Case Comment Volume 36:1

Légitime défense et le syndrome de la femme battue: R. c. Lavallée

Table of Contents

COMMENTS
CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Lrgitime defense et le << syndrome de la femme battue >>:

R. c. Lavalle

Anne-Marie Boisvert*

Introduction

Lyn Lavall~e cohabitait depuis environ quatre ans avec Kevin Rust. Elle
entretenait avec lui une relation tumultueuse, caract6risre par la brutalit6 de
Rust
son 6gard. Le 31 aofit 1986, h l’issue d’une fte tenue h leur maison et
apr~s le d6part de la plupart des invitds, Lyn et Kevin se sont disputes dans une
chambre A coucher siture h l’6tage sup6rieur. Comme ce dernier quittait la piece
et lui tournait le dos, Lyn Lavallre l’a abattu d’un seul coup de carabine.

Le cas de Lyn Lavallre n’est pas unique. Comme elle, de nombreuses
femnes subissent rdguli~rement la violence de leur man ou de leur conjoint’.

* Professeure, Facult6 de droit de l’Universit6 de Montral.

Revue de droit de McGill
McGill Law Journal 1991

ILe present commentaire fait 6tat uniquement de la violence faite aux femmes dans le cadre des
conflits familiaux, dans la mesure ofi elles sont les principales victimes de la violence conjugale.
Voir, entre autres, M. Howard, < Husband-Wife Homicide: An Essay from a Family Law Perspec- tive > (1986) 49 Law & Contemp. Probs. 63 a lap. 70, n. 40 (oia on estime que 94 98 % des vic-
times sont des femmes).

II est toutefois impossible de foumir des chiffres prrcis sur l’ampleur du phrnom~ne de la vio-
lence envers les femmes, notamment en raison du fait que ces crimes font l’objet d’un tr~s faible
taux de drnonciation. Au Canada, on estime qu’environ une femme sur dix est victime de la vio-
lence physique de son partenaire, voir L. MacLeod, La femme battue au Canada: un cercle
vicieux, Ottawa, Conseil consultatif canadien de la situation de Ia femme, 1980. Une 6tude plus
rrcente menre par Ia m8me auteure conclut que chaque annre, un million de Canadiennes sont bat-
tues par leur partenaire. Voir Pour de vraies amours ; Privenir la violence conjugale, Ottawa, Con-
seil consultatif canadien sur la situation de la femme, 1987 i la p. 7. Aux 12tats-Unis, les chiffres
sont tout aussi alarmants. Voir K. Kinports, < Defending Battered Women's Self-Defense Claims >>
(1988) 67 Oregon L. Rev. 393, n. 3.

La difficult6 de fournir un compte rendu exact de la situation est exacerbre par ]a difficult6 de
drfinir la violence conjugale. Dans ce commentaire, nous utiliserons de fagon interchangeable les
termes < violence conjugale >>, << violence domestique >> et << violence par un conjoint, partenaire ou man > pour rendre compte de la situation des femmes qui subissent la violence de Ia personne de

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 36

D’autres, avant elle, ont mis fin A pareille situation en tuant leur agresseue, dans
des circonstances oi parfois la n6cessit6 d’une riposte immediate n’apparaissait
pas 6vidente3. Et elles ont dfi faire face A la justice pour rrpondre it des accu-
sations de meurtre ou d’homicide involontaire coupable. Ce qui distingue le cas
de Lyn Lavallre c’est que la Cour supreme du Canada vient pour la premiere
fois de reconnaitre qu’en pareille situation l’accusre pouvait invoquer la 16gi-
time defense et presenter une preuve d’expert susceptible d’6clairer le jury sur
ce qu’il est convenu d’appeler le < syndrome de la femme battue > .

La question directement en litige devant la Cour supreme concernait

‘ad-
missibilit6 de la preuve d’expert sur le syndrome de la femme battue, et dans
1’6ventualit6 oii la Cour en viendrait A la conclusion que pareille preuve ait 6t6
admissible, la suffisance des directives du juge au jury h cet 6gard. Technique-
ment, la cause pr6sentait essentiellement un problme de preuve classique. En
effet, malgr6 que Lyn Lavallre n’ait pas t6moign6 h son proc~s, le psychiatre de
la d6fense relata beaucoup de choses que lui avait dites l’appelante lors d’6va-

sexe masculin avec laquelle elles entretiennent une relation affective, t l’intdrieur ou non des liens
du mariage.

Notons enfin qu’il n’existe pas de definition unique de ce qu’est la femme battue >. Pour les
fins de ce commentaire, nous adopterons celle propos~e par le docteur Lenore Walker, psycho-
logue, qui s’intrresse depuis longtemps au ph~nomne de la femme battue et dont les dcrits ont
grandement influenc6 la littrrature sur ce qu’il est maintenant convenu d’appeler le < syndrome de Ia femme battue >>. Selon elle, est une femme battue

a woman who is repeatedly subjected to any forceful physical or psychological behav-
ior by a man in order to coerce her to do something he wants her to do without any
concern for her rights. Battered women include wives or women in any form of inti-
mate relationship with men. Furthermore, in order to be classified as a battered woman,
the couple must go through the battering cycle at least twice. Any woman may find her-
self in an abusive relationship with a man once. If it occurs a second time, and she
remains in the situation, she is defined as a battered woman.

L. Walker, The Battered Woman, New York, Harper & Row, 1979 A la p. xv. Cette d6finition est
reprise par le juge Wilson dans R. c. Lavallie, [1990] 1 R.C.S. 852 h lap. 888, 76 C.R. (3d) 329
[ci-apr~s Lavallie cit6 aux R.C.S.].

2Bien que ce commentaire traite de Ia situation des femmes battues qui tuent leur agresseur,
pareil phnom~ne, compte tenu du nombre important de femmes qui sont soumises “A la violence
de leur partenaire, est plut6t rare. Par exemple, aux Etats-Unis, on estime que moins de I % des
femmes battues ont recours t la force meurtriire pour mettre fin A la violence de leur conjoint. Par
ailleurs, les statistiques compil~es par le Federal Bureau of Investigation indiquent qu’alors que
30 % des femmes victimes d’homicide ont dt6 tudes par leur mari ou compagnon, seulement 6 %
des victimes de sexe masculin ont succomb6 aux mains de leur compagne. Voir, M. Mihajlovich,
Does Plight Make Right: The Battered Woman Syndrome, Expert Testimony and the Law of
Self-Defense > (1987) 62 Indiana L.J 1253 t ]a p. 1256, n. 22.

3Souvent, en effet, l’homicide a lieu alors que l’agression n’est pas en cours. Voir infra.
4L’expression syndrome de Ia femme battue > d~signe essentiellement l’ensemble des carac-
t~ristiques pr~sentes chez les femmes soumises t une violence physique et psychologique rtp~tde
pendant une p6riode de temps relativement longue. Dans la mesure cependant ol l’expression
syndrome > connote l’id~e d’anormalit6, nous ne pouvons nous empecher de la trouver probld-
matique. Voir infra.

1991]

COMMENTS

luations psychiatriques, et sur lesquelles il n’y avait pas d’616ments de preuve
admissibles au dossier. La couronne n’6tait donc pas satisfaite des directives
donn6es au jury relativement t la preuve d’expert fond6e sur le ou’i-dire. La
Cour supreme en vint rapidement A la conclusion qu’t cet 6gard, le juge du pro-
c~s avait ad6quatement rempli sa fonction5. Le v6ritable int6rt de la d6cision
r6side donc dans la reconnaissance par la Cour de la pertinence et de l’admis-
sibilit6 de la preuve d’expert sur le syndrome de la femme battue lorsque la vic-
time de violence conjugale a tu6 son agresseur et invoque la 16gitime d6fense.

Aux ttats-Unis, pareille preuve est admise depuis un peu plus de dix ans
devant les tribunaux de plusieurs ttats6 et cette question a suscit6 de tr~s nom-
breux commentaires, tant dans le public en g6n6ral 7 que dans la communaut6
juridiques. L’ouverture
la 16gitime d6fense et h la preuve d’expert sur le syn-
drome de la femme battue dans le cas des femmes qui tuent leur conjoint violent
remettent en question notre conception de la 16gitime d6fense. Souvent, ces
femmes commettent l’homicide dans des circonstances oa l’agression n’est pas
en cours9 . Par ailleurs, il est toujours tentant de pr6tendre qu’une autre alterna-
tive que le recours h la violence s’offrait A la femme, soit celle de quitter son
conjoint0 . Certains voient donc dans l’admission de la preuve d’expert un
assouplissement des r~gles r6gissant l’admissibilit6 de la 16gitime d6fense”,

5Supra, note 1 hL la p. 897.
6Pour un rescensement des dtats am6dricains qui ont d6clar6 admissible ]a preuve et de ceux qui

ont exprim6 l’opinion contraire, voir M. Mihajlovich, supra, note 2 aux pp. 1260-63.

7Voir E.M. Schneider, Equal Rights To Trial For Women: Sex Bias In The Law Of Self-

Defense > (1980) 15 Harv. C.R.-C.L. L. Rev. 623

la p. 623.

SVoir, surtout, P.L. Crocker, < The Meaning of Equality for Battered Women Who Kill in Self- Defense > (1985) 8 Harv. Women’s L.J. 121 (pour une analyse critique) ; E.M. Schneider et S. Jor-
dan, Representation of Women Who Defend Themselves In Response To Physical Or Sexual
Assault > (1987) 1 Fam. L.R. 118 (pour un expos6 de la th-se f6ministe A cet 6gard) ; N. Fiora-
Gormally, >
(1978) 2 Law & Human Behavior 133; C.J. Rosen, < The Excuse Of Self-Defense : Correcting A Historical Accident On Behalf Of Battered Women Who Kill > (1986) 36 Amer. L. Rev. 11 ;
K. Kinports, (1988) 67 Oregon L. Rev.
393 ; D.L. Faigman, < The Battered Woman Syndrome And Self-Defense : A Legal And Empirical Dissent > (1986) 72 Virginia L. Rev. 619 ; M. Mihajlovich, supra, note 2 (pour un plaidoyer A ‘en-
contre de la recevabilit6 d’une telle preuve) ; Schneider, ibid.

Au Canada, par contre, ]a litt~rature sur le sujet est A peu pros inexistante. Voir, cependant, D.J.
Brodsky, (1987) 25 Alta L. Rev.
461 (Me Brodsky 6tait le procureur de Lyn Lavall6e devant la Cour supreme du Canada) et L.
Stuesser, < The 'Defence' of 'Battered Woman Syndrome' in Canada > (1990) 19 Man. L.J. 195.
9Voir, surtout, Rosen, ibid. aux pp. 13-14. Voir aussi, Schneider, ibid. i la p. 634; Fiora-
Gormally, ibid. A la p. 141 et R.C. Copparone, The Defense of Battered Women Who Kill >
(1987) 135 U. of Penn. L. Rev. 427.

10Faigman, supra, note 8 aux pp. 621-22.
“Voir, entre autres, Faigman, ibid., et Mihajlovich, supra, note 2.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 36

alors que d’autres l’associent h la cr6ation d’un nouveau moyen de d6fense pour
les femmes battues 2 .

A notre avis, la d6cision dans l’affaire Lavallge d’admettre l’expertise doit
8tre accueillie favorablement. Dans un texte courageux, la Cour supreme, sous
la plume de Madame le juge Wilson, reconnait que nombre de streotypes mas-
culins sous-tendent l’application traditionnelle de la justification qu’est la l6gi-
time d6fense. La d6cision ne crie pas de nouveau moyen de defense pour les
femmes battues, mais reconnalt pIfitot qu’il est normal de juger une accus6e en
tenant compte de la perspective des fenmes. Le juge Wilson 6crit, citant une
d6cision am6ricaine 13 , que:

L’intim6e avait droit a ce que le jury examine ses actes h la lumi~re de ses propres
perceptions de la situation, notamment celles r6sultant de notre o longue et regret-
table tradition de discrimination fond~e sur le sexe >. Tant que les effets de cette
tradition n’auront pas 6t6 supprim6s, nous devons veiller A ce que les directives
que nous donnons relativement h la 16gitime d6fense accordent aux femmes le
droit de faire juger leur conduite A la lumire des handicaps physiques et indivi-
duels qui r~sultent de la discrimination fondde sur le sexe. Sinon on se trouvera
5 refuser A l’int~ress6e le droit d’6tre jug6e selon les memes rfgles que celles qui
s’appliquent aux ddfendeurs de sexe masculin 4.

Dans ce contexte, nous dit la Cour supreme, la preuve d’expert est de
nature dissiper les mythes et st&6otypes entourant la violence domestique de
fagon A aider le jury comprendre les circonstances entourant la commission de
l’acte reproch6 A l’accus6e’5 .

La d6cision de la Cour supreme dans l’affaire Lavallge constitue une mani-
festation tangible d’une 6volution du droit canadien vers une plus grande sen-
sibilit6 aux perceptions et visions des femmes. Autre aspect significatif: cette
perc6e de la perspective f6minine s’61abore dans le contexte de l’appr~ciation
de la l6gitime d6fense, justification par excellence de l’homicide intentionnel.
En effet, l’accus6e qui invoque avec succ~s ce moyen de defense t l’encontre
d’une accusation d’homicide voit son acte reconnu comme l6gitime et non pas
simplement excuse .

12Voir, entre autres, Note, The Battered Wife Syndrome: A Potential Defense to a Homicide

Charge >> (1978) 6 Pepperdine L. Rev. 213 ; Case note, Does Wife Abuse Justify Homicide ? >>
24 Wayne L. Rev. 1705 (pour le point de vue A l’effet que ce moyen de defense est discrimina-
toire); E. Vaughn et M. Moore, > (1983) N. Kent. L.
Rev. 399; Rosen, supra, note 8.

13State v. Wanrow, 559 P. 2d 548 (Wash. 1977).
‘4Lavallie, supra, note 1 h la p. 875, Mine le juge Wilson.
’51bid. a la p. 873.
16La th6orie en mati~re criminelle op~re une distinction entre les justifications et les excuses.
Alors que la justification a pour effet de nier le caractre mauvais de l’acte, en reconnaissant qu’il
a dt61 gitimement commis, l’excuse, tout en affirmant le caract~re mauvais de ]a conduite, recon-
nait ]a prdsence d’un motif qui justifie ]a compassion pour son auteur. La litt~rature f6ministe
insiste particuli~rement sur l’importance de l’acc~s pour les femmes battues A ]a lgitime defense

1991]

CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

Ce commentaire tient h rendre compte de cette importante ddcision. I1 a
aussi pour objet d’analyser dans quelle mesure elle peut servir la cause de ceux
et celles qui luttent pour l’61aboration d’une throrie de la 16gitime dMfense et,
dans un contexte plus global, d’une th~orie du droit criminel qui tienne compte
des perceptions des femmes au m~me titre que de celles des hommes. Une telle
throrie devrait apporter, aux femmes forcres de se drfendre, une protection
6gale 7 a celle accordre aux hommes, une protection libre d’iddes reques et de
stdrdotypes de toutes sortes” .

Toutefois,

‘acceptation de la preuve relative au syndrome de la femme bat-
tue nous semble prrsenter quelques risques. L’application m6canique du syn-
drome de la femme battue peut entraimer des effets pervers. L’utilisation de la
preuve d’expert ne devrait en aucun cas favoriser l’6mergence d’un double stan-
dard de l6gitime defense. Ajouter au crit~re existant –
toujours habit6 de l’ima-
gerie masculine – un nouveau standard juridique st6rotyp6 de la femme battue
risque de d6favoriser les femmes qui ne satisferaient pas h ce nouveau crit~re.
II pourrait aussi en rrsulter une dilution inutile de la justification qu’est la 16gi-
time defense.

par opposition A Ia provocation ou aux moyens de defense mettant en cause un 6tat mental deficient
ou altdrr, telles l’alidnation mentale ou la responsabilitd attnure. Voir, surtout, Schneider, supra,
note 7 it la p. 638 ; Schneider et Jordan, supra, note 8 et Crocker, supra, note 8 aux pp. 130-31.
1711 est int~ressant de noter que, bien que dans l’affaire qui nous int~resse la question ne soit pas
abordre sous cet angle, nombre de causes amdricaines oh les tribunaux ont fait droit A la preuve
d’expert sur le syndrome de la femme battue se fondent principalement sur la protection accordre
par ]a Constitution amrricaine t l’galitl de tous devant la loi, << the equal protection clause >. Voir
State c. Wanrow, supra, note 13.

La littrature frministe insiste aussi beaucoup sur le droit constitutionnel h l’6galit6 devant la
loi. Voir, entre autres, Schneider et Jordan, ibid. la p. 118, Schneider, ibid. et A. Eppler, << Battered Women and the Equal Protection Clause: Will the Constitution Help Them When the Police Won't? > (1986) 95 Yale L.J. 789.

ISMalgr6 l’attention croissante accordre au ph~nom~ne et l’volution du droit en la mati~re, il
est troublant de constater que la violence conjugale est encore vue par plusieurs comme un phd-
nom~ne normal. Cette perception est illustrre par l’exp~rience suivante conduite aux ttats-Unis.
Un groupe de sujets de sexe masculin fut appeld 4 assister A quatre situations violentes, les cher-
cheurs tentant de drcouvrir a quelle occasion les sujets seraient disposes A intervenir. I1 est apparu
que les sujets ont r~agi quand la violence 6tait perprtrde par un homme contre un homme, par une
femme contre un homme et par une femme contre une autre femme. Contrairement aux attentes
intervenir quand l’agression dtait perprtre
des chercheurs, aucun des sujets ne s’est montr6 prat
par un homme contre une femme. Une des raisons invoqure par les sujets pour justifier leur
absence d’intervention fut a l’effet qu’on prenait pour acquis que l’agresseur 6tait le mari de la vic-
time et que, quelque part, cette demi~re avait probablement << mdrit6 > les coups. Voir G. Borofsky,
G. Stallak et L. Messe, << Sex Differences in Bystander Reactions to Physical Assault > (1971) J.
Experimental Soc. Psychology 313, cit6 dans Fiora-Gormally, supra, note 8 a la p. 148.

Un autre exemple est la dornavant crl~bre hilarit6 qui s’est empar6e de la Chambre des Com-
munes h Ottawa quand on y a dvoqu6 que la violence conjugale affligeait une canadienne sur dix.
Canada, Drbats de la Chambre des Communes (12 mai 1982) 4 Ia p. 17734.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 36

En analysant les conditions de recevabilit6 de la l6gitime d6fense, nous
ferons done 6tat du progr~s r6alis6 dans la perception de la perspective des
femmes suite A l’admission du t6moignage d’expert relatif au syndrome de la
femme battue. Nous rendrons toutefois compte des risques que nous venons
d’6voquer pour offrir une mise en garde.

I. La l6gitime defense et ]a perspective des femmes

La 16gitime d6fense, codifi6e aux articles 34 et suivants du Code criminel9 ,
pose le principe qu’une personne est justifi~e de se d6fendre et de repousser une
agression ill6gale en ayant recours A la violence et, si n6cessaire, en allnt jus-
qu’A supprimer la menace. Cette d6fense serait fond6e sur une forme de n6ces-
site bas6e sur l’instinct de conservation”. On justifie aussi le recours h la force
pour repousser ‘attaque par l’impossibilit6 de recourir a la loi pour assurer sa
d~fense”. Lorsque ses conditions d’application sont rencontr6es, la 16gitime
d6fense constitue un moyen de d6fense complet entrainant l’acquittement de
l’accus6e. Ses conditions de recevabilit6, passablement complexes, m6riteraient
simplification’. Le Code criminel les ddf’mit en distinguant deux situations, soit
celle oil celle qui a provoqu6 l’attaque peut invoquer la n6cessit6 de se
d6fendre’, soit le cas de la 16gitime d6fense contre une attaque sans provoca-
tion24 . Dans cette derni~re 6ventualit6, les conditions d’application de la d6fense
varient en fonction de l’intention qui animait l’accus6e au moment ott elle a
accompli l’acte qu’on lui reprochez .

Pour nos fins, il est suffisant de s’int6resser aux crit~res du paragraphe

19L.R.C. 1985, c. C-46 [ci-apr~s C.Cr.].
20J. Fortin et L. Viau, Trait de droit penal ggnral, Montreal, Th6mis, 1982 h la p. 254.
21W. LaFave et A. Scott, Handbook on Criminal Law, St. Paul, West Publishing, 1972 h la p.
391.22Nombre d’auteurs ont d6plor6 cette situation et insist6 sur ]a ndcessit6 de simplifier les con-
ditions d’exercice de la defense. Voir surtout D. Stuart, Canadian Criminal Law, 2e dd., Toronto,
Carswell, 1987 I Ia p. 405 ; E. Colvin, Principles of Criminal Law, Toronto, Carswell, 1986 A la
p. 178 ; Commission de r6forme du droit du Canada, Partie g~n6rale -Responsabiliti
et moyens
de difense (Document de travail 29) Ottawa, Approvisionnement et services, 1982 t la p. 116 et
Commission de r6forme du droit du Canada, Pour une nouvelle codification d droit pdnal (Rap-
port 31) Ottawa, Approvisionnement et services, 1987 t la p. 41.

nArt. 35 C.Cr.
4Art. 34 C.Cr.
2L’article 34 C.Cr. propose des crit~res quelque peu diff~rents pour 6valuer la Idgitime defense
d’un individu qui n’entend pas causer ]a mort de son agresseur (par. (1)) et celle de celui qui a caus6
Ia mort de ]a victime (par. (2)). L’interaction entre les deux paragraphes de l’article 34 pose des
probl~mes d’interpr~tation complexes qui ne sont pas abord~s dans l’arret Lavalle et il n’entre pas
dans le cadre de ce commentaire de les examiner. A ce sujet, voir Stuart, supra, note 22 aux pp.
409-10.

1991]

COMMENTS

34(2)26. En vertu de cette disposition, invoqu6e par Lyn Lavall6e t son proc~s,
est justifi~e la personne qui, en repoussant une attaque qu’elle n’a pas provo-
qu6e, cause intentionnellement la mort de son agresseur si elle rencontre deux
conditions. Premi~rement, elle doit avoir eu des motifs raisonnables d’appr6-
hender la mort ou des 16sions corporelles graves et, deuxi~mement, elle doit
avoir cru, pour des motifs raisonnables, ne pouvoir se soustraire autrement h la
menace. L’enqu~te du juge des faits portera donc
la fois sur l’honntetd de la
croyance de l’accus~e et sur le caract~re raisonnable des motifs fondant celle-ci.

A. Les motifs raisonnables pour apprihender la mort ou les lisions

corporelles

Le paragraphe 34(2) pose donc comme premiere condition que l’accus6e
ait eu des motifs raisonnables pour appr6hender la mort ou quelque 16sion cor-
porelle grave. II n’est pas n6cessaire que cette croyance soit juste. La jurispru-
dence accepte que la perception de l’accus6e puisse 8tre erron6e, dans la mesure
ofi une personne raisonnable, plac6e dans les m~mes circonstances, aurait com-
mis la m~me erreur. Le jury est appel6 h 6valuer la raisonnabilit6 de la croyance
de l’accus6e quant A l’imminence et la gravit6 du danger, que cette croyance
s’av~re ou non fond~e, en fonction du fameux standard de 1′<< homme raison- .27. 1 doit se demander si un homme raisonnable, pla96 dans les m~mes nable circonstances que l'accus6e, aurait perqu le danger. Ce concept de l'homme raisonnable semble aussi vieux que la common law, m~me si aujourd'hui encore il reste difficile de donner un visage t cette cr6ature hypoth6tique. La jurisprudence a tent6 d'en dessiner plusieurs por- traits2 , souvent 6vasifs, qui reviennent essentiellement A se r6fdrer aux attentes 26Le paragraphe se lit ainsi : Quiconque est il6gaIement attaqu6 et cause la mort ou une 16sion corporelle grave en repoussant l'attaque, est justifi6 si : a) d'une part, il Ta cause parce qu'il a des motifs raisonnables pour apprdhender que la mort ou quelque 16sion corporelle grave ne r6sulte de Ta violence avec laquelle l'attaque a en premier lieu t6 faite, ou avec laquelle l'assaillant poursuit son dessein ; b) d'autre part, il croit, pour des motifs raisonnables qu'il ne peut pas autrement se soustraire k la mort ou A des lesions corporelles graves. 27 Selon Reilly c. R., [1984] 2 R.C.S. 396 Ta p. 404, 13 D.L.R. (4th) 161: Celle-ci [la croyance de l'accusd] doit quand m~me se fonder sur des motifs raisonna- bles et probables en ce sens qu'il doit s'agir d'une erreur qu'un homme ordinaire pre- nant des precautions normales aurait pu commettre dans les memes circonstances. [...] Le point de vue de 'homme raisonnable que les termes du par. 34(2) mettent en cause en l'espce est le crit~re objectif habituellement adopt6 pour 6valuer la conduite d'un homme. Un homme raisonnable est un homme en pleine possession de ses facult~s. 2SPour un portrait classique, voir Arland c. Taylor, [1955] O.R. 131 A Ta p. 142, 3 D.L.R. 358 (C.A.). M. le juge Laidlaw explique: REVUE DE DROIT DE McGILL [Vol. 36 de la soci6t6 en mati~re de responsabilit6 et d'actes raisonnables29. Le recours au standard objectif de l'homme raisonnable se porte en quelque sorte garant du caract~re normatif du droit criminel et confere A la 16gitime d6fense son carac- t~re de justification. L'homicide intentionnel commis en 6tat de 16gitime d6fense n'est pas un crime parce que l'acte ainsi commis est conforme A la norme. I1 est jug6 raisonnable et ne doit donc pas 6tre bltm6. Certes, depuis quelques ann6es, la personne >> qu’h lF< homme >> raisonnable, et
on se rdfere plus volontiers
on reconnalt qu’elle ne doit pas n6cessairement pr6senter les caract6ristiques
d’un adulte de sexe masculin et de race blanche”. Toutefois, nombre de cri-
tiques ont A juste titre insist6 sur le fait que, si le standard de la personne rai-
sonnable peut pr6tendre faire r6f6rence A une quelconque r6alitP31, il est en fait

The standard of care by which a jury is to judge the conduct of parties in a case of the
kind under consideration is the care that would have been taken in the circumstances
by ‘a reasonable and prudent man’. I shall not attempt to formulate a comprehensive
definition of ‘a reasonable man’ of whom we speak so frequently in negligence cases.
I simply say he is a mythical creature of the law whose conduct is the standard by
which the Courts measure the conduct of all other persons and find it to be proper or
improper in particular circumstances as they may exist from time to time. He is not an
extraordinary or unusual creature; he is not superhuman; he is not required to display
the highest skills of which anyone is capable; he is not a genius who can perform
uncommon feats; nor is he possessed of unusual powers of foresight. He is a person
of known intelligence who makes prudence a guard to his conduct. He does nothing
that a prudent man would not do and does not omit to do anything that a prudent man
would do. He acts in accord with general and approved practice. His conduct is guided
by considerations which ordinarily regulate the conduct of human affairs. His conduct
is the standard ‘adopted in the community by persons of ordinary intelligence and
prudence’.

29Selon M. lejuge Dickson dans R. c. Hill, [1986] 1 R.C.S. 313 aux pp. 324-25,27 D.L.R. (4th)
187:

C’est la prdoccupation qu’a la soci6t6 d’encourager le comportement raisonnable et non
violent qui incite le droit A adopter le crit~re objectif. Le droit criminel se soucie, entre
autres choses, de fixer des normes au comportement humain. Nous cherchons At encour-
ager une conduite qui se conforme ht certaines normes de la soci6t6 en mati~re de res-
ponsabilit6 et d’actes raisonnables. Pour le faire, le droit emploie tr~s logiquement la
norme objective de la personne raisonnable.

souvent commod6ment laiss6 it l’apprdeiation du jury. Supra, t ]a p. 332.

II est paradoxal de constater cependant, qu’en cette mati&e, la d6termination de la norme est
30Ibid. A la p. 331.

En fait, il serait impossible d’imaginer une personne ordinaire sans sexe ou sans age.
Certaines caractdristiques comme le sexe, l’age ou la race n’empechent pas qu’une per-
sonne puisse etre qualifi6e d’ordinaire. […] Comme Lord Diplock l’a dcrit dans l’arret
Camplin aux pp. 716-717 : << la qualit6 d'<< homme raisonnable >> n’a jamais 6t6 limit~e
t un adulte de sexe masculin >.

31<< Criticism of the reasonable man is rampant. [...] As a fictional, hypothetical individual, the reasonable man does not reflect the social reality of anyone >> : Crocker, supra, note 8 i la p. 125,
n. 9. Voir aussi, Note, << Manslaughter and the Adequacy of Provocation: The Reasonableness of the Reasonable Man >> (1958) 106 U. Pa. L. Rev. 1021 [ci-apr~s << Manslaughter >>] ; E. Schwab,
<< The Quest for the Reasonable Man >> (1982) 45 Texas B.J. 178; Donovan & Wildman, < Is the 1991] CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE influenc6 par la perception masculine32 . La femme ne semble pas b6n6ficier de la pr6somption de raisonnabilit6 qu'on associe au comportement masculin. Comme le fait remarquer E.M. Schneider: Widespread adherence to the sex-biased "reasonable man" compounds women's problems: "in all that mass of authorities which bears upon this branch of the law [the reasonableness standard], there is no single mention of the reasonable woman". Being female renders a successful self-defense claim unlikely. Female traits have been viewed as the antithesis of reasonableness; women were conside- red incapable of meeting the standard required of a reasonable man. Rationality has been considered a male characteristic; women have been viewed as 'disabled' by their lack of logic. This sex stereotype and the atypical self-defense settings in which women act have made it difficult for them to appear reasonable and demonstrate the reasonableness of their acts. 33 S'il n'existe pas de standard 16gal r6f6rant h la << femme raisonnable > pou-
vant servir d’6talon pour d6terminer ce qui, dans le monde juridique, est 16gi-
time et donc, conforme aux attentes de la soci6t6 en mati6re de responsabilit6
p6nale, cela ne veut pas dire que notre soci6t6 n’entretient aucune vision de la
femme raisonnable. Les st6r6otypes sur la < nature > f6minine et sur le r6le des
femmes dans la soci6t6 sont largement r6pandus 4. Le probl~me rencontr6 par
celles qui font face i la justice est pr6cis6ment que cette vision collective, lar-
gement encourag6e par un savoir psychologique reposant aussi sur les percep-
tions masculines s, ne correspond pas i la vision qui sert de fondement h la
norme 16gale.

Dans l’affaire Lavalle, le juge Wilson, traitant plus sp6cifiquement des
femmes battues, adhne sans ambages A l’id e que la vision masculine de la per-

Reasonable Man Obsolete? A Critical Perspective on Self-Defense and Provocation > (1981) 14
Loy. L.A.L. Rev. 435.
32Cette situation est d~plorde depuis plusieurs annes par une littrature f6ministe de plus en plus
abondante. Voir surtout Schneider, supra, note 7 aux pp. 631 et s. et Schneider et Jordan, supra,
note 8 aux pp. 120 et s.
33Supra, note 7 aux pp. 623, 635-36 (les notes ont dt6 omises). Voir aussi Crocker, supra, note
la p. 125, n. 11.

8

Fiora-Gormally, supra, note 8 aux pp. 142-51.

34Pour un r6sum6 et un aperqu des diff~rents modes de perpetuation de ces iddes reques voir
35Selon Fiora-Gormally, ibid.

la p. 143:

Of tremendous significance is the widely-reported Broverman study, which reveals that
contemporary clinicians and therapists, who are entrusted with preserving the norms of
our culture, have a narrowly defined view of an “adjusted” woman’s traits and dispo-
sition. That view in no way resembles their opinion of the traits of a well-adjusted man,
which are almost identical to the traits of a well-adjusted person. The authors of the
study explain that the modem clinician’s notions of “femininity”, “masculinity”, and
“healthy adult”, leave the woman in a catch-22 predicament. In order to be a healthy
“feminine” woman, she must adjust to and accept traits which do not typify those of
a healthy adult. On the other hand, if she attempts to conform to the standards of a
“healthy adult”, she loses her “femininity” and becomes an unhealthy woman [les notes
ont 6 omises].

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 36

sonne raisonnable ignore certaines r6alit6s v~cues par les femmes et pourtant
tout aussi pertinentes A l’analyse de la 16gitimit6 de la conduite. Elle s’exprime
en ces termes :

S’il est difficile d’imaginer ce qu’un < homme ordinaire >> ferait A la place d’un
conjoint battu, cela tient probablement au fait que, normalement, les hommes ne
se trouvent pas dans cette situation. Cela arrive cependant A certaines femmes. La
d6f’mition de ce qui est raisonnable doit done 6tre adapt6 A des circonstances qui,
somme toute, sont 6trang~res au monde habit6 par l’hypoth6tique < homme rai- sonnable >>

L’imagerie masculine dont est habit6e la fameuse personne raisonnable
impr~gne particuli~rement les crit~res de recevabilit6 de la 16gitime d6fense.
Ces derniers donnent souvent l’impression que, pour qu’une personne puisse se
pr6valoir de la d6fense, sa conduite doit n6cessairement rencontrer le critre
objectif d’une altercation entre deux hommes de force 6quivalente. En effet,
cette imagerie colore la notion de danger d’une fagon qui ne tient pas compte
des perceptions feminines. Or, appliqu6s aux femmes qui entendent invoquer la
l6gitime d6fense, ces st&6rotypes ont souvent pour effet de priver ces demi~res
de toute justification.

Pour toutes sortes de raisons qui tiennent A leur anatomie,

leur psycho-
logie, A leur socialisation et
leur r6le dans notre soci6t6, les femmes r6agissent
diff6remment des hommes37. Elles ont une perception diff~rente, mais tout aussi
l6gitime du danger et de la n~cessit6 de se d6fendre. I1 peut arriver qu’elles
craignent r6ellement pour leur vie ou leur int6grit6 physique dans des situations
oti un homme ne percevrait pas le danger38. Moins fortes physiquement et sou-
vent moins bien entrain6es que les hommes, elles sont plus souvent victimes
d’agressions, de la part d’une personne qu’elles connaissent ou de la part de par-
faits inconnus. Les femmes ont une exp6rience de la peur inconnue des
hommes. Or, la peur peut entraimer des erreurs dans la perception qu’elles ont
du danger. Comme la th6orie de la l6gitime d6fense n’exige pas que la percep-
tion du danger soit parfaitement juste, mais fond6e sur des motifs raisonnables,
il suffit, pour que les femmes regoivent un traitement 6gal aux hommes, que la
raisonnabilit6 de leurs perceptions soit reconnue.

Les femmes sont aussi conscientes que le syst~me p6nal est moins enclin
h les prot6ger. Longtemps le droit a ferm6 les yeux sur la violence domestique,
quand il ne l’a pas ouvertement sanctionn~e3 9. Encore aujourd’hui, la protection

36Supra, note I A la p. 874.
37Pour une 6tude d~taill~e de ces facteurs voir Fiora-Gormally, supra, note 8.
38Schneider et Jordan, supra, note 8 A ]a p. 119.
39,kcet 6gard, la Cour reconnait, supra, note 1

la p. 872 que le droit, loin de protger les
femmes contre la violence domestique, l’a meme sanctionn6e. Ainsi, la common law a longtemps
reconnu au mari un droit de chatiment sur sa femme. Voir A ce sujet Sir W. Blackstone, Commen-
taries on the Laws of England, t. 1, dd. par W.D. Lewis, Philadelphia, Rees Welsh, 1898:

1991]

COMMENTS

accord6e par l’appareil judiciaire aux femmes victimes de la violence de leur
conjoint est mince4′. Les forces de l’ordre sont r6ficentes h intervenir pour r6gler
les < chicanes de m6nage >>4, les poursuites sont peu nombreuses et les rares
condamnations entrainent des peines relativement l6gres42. Par ailleurs, l’agres-
sion sexuelle contre une femme consfitue toujours un des crimes les moins rap-
port6s43 et pour lequel le taux de condamnation est relativement peu 61ev64. Le
sentiment qu’6prouvent les femmes de la n6cessit6 de se d6fendre et leur per-
ception de l’ampleur de la menace ne peuvent etre r6ellement compris et trait6s
de fagon 6quitable sans tenir compte de ces consid6rations longtemps n6gligdes.

Ceci est particuli~rement vrai des femmes battues qui,

un certain
moment, sentent la n6cessit6 de se d6fendre alors qu’un observateur ext6rieur ne
serait pas en mesure de percevoir le danger. A cet 6gard, la Cour dans l’affaire
Lavalle reconnait que le t6moignage d’un expert sur le caract~re cyclique de
la violence subie par l’accus6e peut en effet aider le jury h entrevoir le climat
de terreur dans lequel elle vivait au moment de l’incident final. I peut aussi
mieux saisir l’6tat mental de cette derni~re au moment critique oil elle a appuy6
sur la d6tente. Or, cet 6tat ne saurait se comprendre qu’ t la lumi~re des effets
cumulatifs d’une brutalit6 subie pendant des mois ou des ann6ese.

La th6orie du caract~re cyclique de la violence a 6t6 avanc6e et v6rifide par
la psychologue am6ricaine Lenore Walker4″. Selon cette th6orie, la violence

The husband also, by the old law, might give his wife moderate correction. For as he
is to answer for her misbehaviour, the law thought it reasonable to entrust him with this
power of restraining her, by domestic chastisement, in the same moderation that a man
is allowed to correct his apprentices or children. But this power of correction was con-
tained within reasonable bounds, and the husband was prohibited from using any vio-
lence to his wife, otherwise than lawfully and reasonably belongs to the husband for
the due government and correction of his wife. The civil law gave the husband the
same, or a larger, authority over his wife: allowing him for some misdemeanors, to beat
his wife severely with scourges and cudgels; for others, only to use moderate
chastisement.

Voir aussi Schneider et Jordan, ibid. aux pp. 120-21 et Schneider, supra, note 7 aux pp. 627

et s.

la Sant6 et le Bien-etre social, Chambre des Communes, Ottawa, mai 1982.

4Voir, g6n~ralement, Report on Wolence in the Family: Wife Battering, Comit6 permanent sur
41Voir E.A. Sheehy, Autonomie personnelle et droit criminel : Quelques questions d’avenir pour
les femmes, Document consultatif, Conseil consultatif canadien sur la situation de la femme,
Ottawa, Approvisionnements et services, 1987
42G. Fraser, < Taking Spousal Assault Seriously; A Philisophical View of Legal Contradiction >

la p. 9 et Eppler, supra, note 17.

(1985) 5 Windsor Y.B. Access Just. 368 h la p. 369.

43Les multiples humiliations et vexations impos6es par le syst~me p6nal aux femmes qui portent
cet 6gard. Voir, Sheehy, supra, note 41 t la

plainte ne font rien pour favoriser un changement
p. 19.

441bid. Voir aussi Schneider et Jordan, supra, note 8 A la p. 119.
45Lavalle, supra, note 1 A la p. 880.
461bid.

REVUE DE DROIT DE McGILL

(Vol. 36

conjugale se perp6tue de fagon cyclique et comporte trois phases. La premiere
phase est drfinie par une montre de la tension entre les conjoints et une srie
d’incidents d’agression verbale et physique d’importance croissante. La
deuxi~me phase se caractrrise par une perte de contrrle de la part de l’homme,
et c’est A cette 6tape que surviennent les graves incidents de violence. Cette
deuxi~me 6tape dissipe la tension et amne la troisi~me phase oji le conjoint
violent fait souvent preuve de sentiments de remords et entoure la victime d’at-
tentions. Cette prriode de rrpit encourage souvent la victime A rester avec son
conjoint et
croire que la violence ne se rrp~tera plus. Malheureusement, le
cycle recommence et la remont~e de la tension cause chez la victime un senti-
ment de terreur qui va s’accentuant47.

47Le docteur Walker rsume ainsi la th~orie du caract~re cyclique dans Lavall~e, supra, note 1

aux pp. 879-80:

Une deuxi~me throrie importante vrrifie dans le cadre de cette 6tude est la thdorie
Walker du caract~re cyclique de ]a violence. Suivant cette throrie de ]a reduction de
tension, le cycle de violence r~prtre comporte trois phases distinctes : (I) l’accroisse-
ment de ]a tension, (2) l’incident de violence grave et (3) Ia contrition assortie de man-
ifestations d’amour. La phase initiale se caractrrise par une augmentation graduelle de
la tension se traduisant par des actes precis qui accroissent les frictions, par exemple
le recours aux injures, A la m~chancetd intentionnelle ou aux mauvais traitements phy-
siques. L’agresseur exprime de l’insatisfaction ou de l’hostilitd, mais non at outrance.
La femme tente de l’apaiser, faisant ce qu’elle pense susceptible de lui plaire, de le
calmer ou,
tout le moins, de ne pas l’irriter davantage. Elle essaie de ne pas riposter
A ses gestes hostiles et se sert de m~thodes grnrales de reduction de col~re. Bien sou-
vent elle y r~ussi pendant quelque temps ce qui la renforce dans sa conviction irraliste
qu’elle peut maltriser cet homme […]
La tension continue A monter et enf’m la femme ne peut plus attdnuer les rdactions col6-
reuses de l’homme. Extrnure par le stress constant auquel elle est soumise, elle fuit
habituellement la presence de l’agresseur, craignant de ddclencher par inadvertance une
explosion. Constatant son retrait, il commence t se montrer de plus en plus oppressif
t son 6gard. […] La tension entre les deux devient insupportable. La deuxi~me phase,
celle de l’incident violent grave, devient d~s lors inevitable en l’absence de l’interven-
tion d’un tiers. Parfois, c’est elle qui provoque l’6ruption inevitable de colre afin d’en
determiner le lieu et le moment, ce qui lui permet de prendre de meilleures dispositions
pour r&luire au minimum les blessures et ]a douleur.
La deuxi~me phase se caract~rise par l’6ruption incontrlable des tensions cr~des au
cours de la phase initiale. Dans un cas typique, l’agresseur lache sur ]a femme une ava-
lanche d’agression verbale et physique qui peut laisser la femme fortement 6branlde et
gravement bless~e. En fait lorsqu’il y a des blessures, c’est normalement au cours de
cette deuxi~me phase. C’est alors 6galement qu’intervient Ia police, si tant est qu’on
l’appelle. La phase de ]a violence grave prend fin au moment o
l’agresseur arrate, ce
qui amne habituellement une reduction physiologique de la tension. Ce ph~nom~ne a
lui-meme un effet naturel de renforcement. Souvent la violence rdussit pr6cistment
parce qu’elle est efficace.
A la troisi~me phase qui suit, il se peut que l’agresseur fasse des excuses, qu’il essaie
d’aider sa victime, qu’il lui t~moigne de la gentillesse et du remords et qu’il la comble
de cadeaux ou de promesses. L’agresseur lui-m~me peut croire h ce stade-ci qu’il ne
se laissera plus jamais aller
la violence. La femme veut le croire et, du moins au debut

19911

CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

En l’esp~ce, le trmoignage du psychiatre appel6 par la ddfense au proc~s
a fait 6tat de la presence de telles caract6ristiques dans la relation entre l’accusre
et Rust. I1 a expliqu6 comment la d~tdrioration de leurs rapports au cours de la
prriode prrcrdant 1’homicide avait produit chez l’accusre des sentiments crois-
sants de terreur” .

Par ailleurs, dans l’6tude des motifs raisonnables pour appr6hender la mort
ou des 16sions corporelles graves, la jurisprudence a interprrt6 la 16gitime
ddfense comme exigeant que l’accusre ait apprdhend6 un danger imminent
quand elle a accompli l’acte, malgr6 que le paragraphe 34(2) ne comporte pas
expressrment une telle exigence49 . Pareil crit~re centre l’analyse du juge des
faits sur l’incident isol6, sans 6gard aux circonstances l’ayant prrcrd6. Cette
exigence de l’imminence du danger, d’un lien temporel imm~diat entre l’attaque
et la riposte, prend tout son sens dans le contexte de la rixe soudaine et impr6-
visible entre deux hommes de force 6quivalente, image qui vient naturellement
1’esprit quand on invoque la 16gitime d6fense, mais qui d6savantage souvent
les femmes. La r~gle de l’imminence sous-entend des prdsomptions tacites,
comme

‘affirme la Cour supreme dans l’affaire Lavallge:

Le sens pr&6 au mot << imminent >> 6voque l’image du << couteau lev6 >> ou du fusil
braqu6 sur une personne. La raison d’8tre de la r~gle de l’imminence paralt 6vi-
dente. Le droit en mati~re de l6gitime defense est conqu pour assurer que le
recours A la force des fins vraiment drfensives est vraiment n6cessaire. […] Or,
s’il y a un laps de temps important entre la premiere agression illgale et la riposte
de l’accus6, on est port6 a soupgonner que ce dernier a 6t6 mfi par la vengeance
plutrt que par la ndcessit6 de se d6fendre. Dans le cas type de l’dchaufourrre dans
un bar entre deux hommes de taille et de force 6gales, cette infdrence est logique.
En effet, comment peut-on se sentir en danger au point de tirer sur un homme non
arm6 lorsque celui-ci profare une menace de mort, puis se retourne et quitte la
piece ? On ne peut 8tre certain ni du sdrieux de la menace ni de la capacitd de celui
qui l’a faite de 1’ex6cuter. D’autre part, on a toujours la possibilit6 de s’enfuir ou
d’appeler la police. S’il revient et qu’il lve le poing, on peut, au besoin, r6pondre
de la meme fagon 50 .

Or, ces pr~somptions engendrent des in6quitds quand elles s’appliquent
aux femmes et, particuli~rement, aux femmes battues qui entendent invoquer la
l6gitime defense apr~s avoir tu6 leur conjoint violent. En effet, il arrive parfois
qu’elles tuent leur agresseur pendant une altercation violente. Cependant elles

de leurs relations, l’espoir qu’il pourra changer renaitra en elle. Cette troisi me phase
encourage Ia femme A rester avec l’homme. En fait, d’apr~s nos constatations, la troi-
si~me phase pourrait aussi atre caractrris~e par l’absence de tension ou de violence,
sans marque observable d’amour-contrition, et atre cependant encourageante pour la
femme.

la p. 876, Mine le juge Wilson.

481bid.
49Voir Reilly c. R., supra, note 26 ; R. c. Baxter (1975), 33 C.R.N.S. 22 (Ont. C.A.) etR. c. Bogue
50Lavallie, supra, note 1

(1976), 13 O.R. (2d) 272, 30 C.C.C. (2d) 403 (C.A.).

la p. 876, Mime le juge Wilson.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 36

commettent plus souvent 1’homicide alors qu’un certain laps de temps s’est
6coul6 depuis l’attaque ou la menace, ou encore alors que leur conjoint leur
toume le dos ou est meme endormi51. En pareilles circonstances, l’imminence
du danger est diffieilement perceptible pour un observateur ext6rieur, 6tranger
aux circonstances particuli~res en pr6sence. Souvent aussi, la femme utilisera
une arme quelconque alors que son conjoint a les mains vides. A premiere vue,
pareilles circonstances rendent le plaidoyer de i6gitime d6fense beaucoup plus
difficile.

Cette situation s’est produite dans l’arr~t Whynot 2 oii l’accus6e avait tir6
sur son conjoint 6tendu sans cormaissance. La preuve au procs r6v6lait que la
victime dominait le foyer en usant r6gulirement de violence A l’6gard de l’ac-
cus6e et des autres membres de la famille. Le soir de sa mort, il avait menac6
l’accus6e de tuer tous les membres de la famille si elle tentait de le quitter.
Apr~s qu’il eut perdu connaissance, A la suite d’une importante ingestion d’al-
cool, l’accus6e alla chercher un des fusils de chasse de son marl et tira sur lui.
La Cour d’appel de la Nouvelle-tcosse jugea que, dans ces circonstances, le
juge de premiere instance avait eu tort de soumettre la 16gitime defense au jury:

Dans le cas de
‘article 34, il doit s’agir d’une attaque qui est en cours […]. La
force employde ne doit pas ddpasser ce qui est ndcessaire pour repousser l’attaque
en question ou pour pr6venir une nouvelle attaque. A mon avis, nul n’a le droit
d’user de force pour emp~cher une attaque imaginde qui peut ou non se concre-
tiser 3.

Les faits dans l’affaire Lavallge prdsentent plusieurs similitudes avec les
circonstances de l’affaire Whynot. Lyn Lavall6e a tir6 sur Rust alors que ce der-
nier, sans arme, lui toumait le dos et s’appr&ait t quitter la piece, apr~s l’avoir
menac6e de la tuer quand tous les invit6s seraient partis. Or, nous dit Madame
le juge Wilson, l’homme raisonnable hypoth6tique, qui n’aurait assist6 qu’A
l’incident final, n’aurait vraisemblablement pu reconnaitre la menace de Rust
comme comportant un danger r6el de mort. Le t6moignage d’un expert sur le
syndrome de la femme battue peut donc, en expliquant la sensibilit6 accrue de
l’accus6e aux actes de son partenaire, aider le jury h d6ecider si elle avait des
motifs raisonnables d’appr6hender la mort ou des l6sions corporelles graves au
moment oti elle a agi.

Outre l’6clairage qu’il apporte sur l’6tat de terreur de l’accus6e au moment
oft elle a press6 sur la d6tente, le juge Wilson explique que l’expert peut aider
le juge des faits h comprendre en quoi la nature cyclique des mauvais traite-
ments subis par l’accus6e donne h la violence un degr6 de pr6visibilit6 qu’on ne

51Voir supra, note 1.
52R. c. Whynot (Stafford) (1983), 37 C.R. (3d) 198, 9 C.C.C. (3d) 449 (N.S.C.A.) [ci-apr s Why-

not cit6 aux C.C.C.].
531bid. a la p. 464.

1991]

COMMENTS

trouve pas dans un incident isol6 entre deux personnes qui ne se connaissent
pas’ :

La violence r6pdt6e permet aux femmes battues d’dtablir une 6chelle dont elles
peuvent se servir pour << 6valuer >> la possibilit6 de supporter un acc~s de violence
chez leur partenaire ou d’y survivre. Aussi arrivent-elles
discerner les indices
d’une violence inhabituelle. Pour les femmes battues, cette capacit6 de reaction A
la violence h laquelle elles sont constamment expos6es est un outil de survie. II
ressort des recherches que les femmes battues qui ont recours A l’homicide
subissent une violence particuli~rement grave et fr6quente par rapport celles qui
ne commettent pas l’homicide. Elles savent distinguer entre les deux types de dan-
ger qu’elles connaissent et ceux qui sont nouveaux. Elles ont eu d’innombrables
occasions d’apprendre A connaitre la violence de leur partenaire et de perfection-
ner cette connaissance. Et, il importe de le souligner, elles sont en mesure de dire
en quoi l’ultime incident de violence diff6rait des autres : elles sont capables de
prdciser les aspects de la demi~re agression qui leur ont permis de se rendre
compte que cette fois-ci l’incident aboutirait L un acte de la part de l’agresseur qui
mettrait leur vie en danger 55.

Pourtant, on invoque parfois un argument de politique criminelle

1’en-
contre de l’admissibilit6 de la preuve d’expert, et m~me, pour nier la possibilit6
d’invoquer la 16gitime d6fense dans les cas oti la femme battue tue son conjoint
dans des situations ott l’agression n’est pas en cours. La th6orie de la l6gitime
d6fense se fonde sur une pr6occupation pour la pr6servation de la vie humaine,
d’oi les exigences de ndcessit6 d’utilisation de la force et de proportionnalit6 de
la riposte en regard de la s6v6rit6 de la menace 6. Certains auteurs remettent
donc en question la 16gitimit6 de l’acte pos6 alors que la victime n’a pas encore
mis sa menace
ex6cution ou alors que, l’agression termin6e, elle ne semble
plus pr6senter de danger imm6diat. Ils en tirent l’argument qu’admettre la 16gi-
time d6fense alors que la r~gle de l’imminence ne peut 6tre strictement observ6e
aurait 1’effet dangereux d’avaliser la vengeance priv6e.

Dans l’affaire Lavallie, le juge Wilson aborde la question en des termes
diff6rents, faisant une analogie entre la situation de la femme battue et celle de
l’otage : << Si l'auteur de la prise d'otage lui dit qu'il le tuera dans trois jours, est-il en principe raisonnable que l'otage saisisse une occasion qui s'offre le pre- mier jour de le tuer ou doit-il attendre l'ex~cution de la menace le troisi~me jour ? >> Dans la mesure ot la question posse au jury concerne toujours la rai-
sonnabilit6 de la croyance de l’accus6e et la raisonnabilit6 de son acte compte
tenu des circonstances oit elle se trouvait au moment oil elle a agi, le caract~re
normatif du droit criminel n’est pas mis en p6ril. Ce n’est ni 1’6tat ni la qualit6

54Lavalle, supra, note 1 aux pp. 880-81.
55J. Blackman, < Potential Uses for Expert Testimony: Ideas Toward the Representation of Bat- tered Women Who Kill >> (1986) 9 Women’s Rights Reporter 227 A lap. 229, cit6 par le juge Wil-
son dans Lavallge, ibid. a la p. 881.

56Mihajlovich, supra, note 2 t la p. 1269, n. 98.
5TSupra, note 1 A Ia p. 889.

REVUE DE DRO1T DE McGILL

[Vol. 36

de l’accus6e qui sert de fondement A la d6fense, mais bien la qualit6 de l’acte
pos6 compte tenu des circonstances. Dans ce contexte, la preuve d’expert sur le
syndrome de la femme battue sert uniquement d’instrument pour 6largir l’6ven-
tail des circonstances i consid6rer afin de d6terminer la 16gitimit6 de l’acte.

En outre, l’ouverture i la preuve d’expert sur le syndrome de la femme bat-
tue et l’assouplissement de la r~gle de l’imminence nous invitent h revoir notre
conception de la lgitimit6. Dans cette mesure, nous y voyons un r6el progr~s
pour l’6volution du droit criminel. Encore trop souvent, l’id~e que l’on se fait
de ce qui constitue un homicide 16gitime ou justifi6 se fonde sur des modules
masculins. Comme le font remarquer les auteures Schneider et Jordan:

Standards of justifiable homicide have been based on male models and expecta-
tions. Familiar images of self-defense are a soldier, a man protecting his home,
family or the chastity of his wife, or a man fighting off an assailant. […] The acts
of men and women are subject to a different set of legal expectations and stan-
dards. The man’s act, while not always condoned, is viewed sympathetically. He
is not forgiven, but his motivation is understood by those sitting in judgment upon
his act since his conduct conforms to the expectation that a real man would fight
to death to protect his pride and property. […] The law clearly does not permit a
woman to protect herself to the same extent that a man may protect himself 5g.

Alors que le droit excuse ou reconnait comme 16gitimes les homicides
commis par les hommes, que ce soit dans le but de d6fendre leur int~grit6 phy-
sique, leurs biens ou leur honneur 9 , les m~mes comportements commis par les
femmes ont traditionnellement requ moins de sympathie. Le commentaire de
Blackstone h l’effet que, pour un homme, tuer sa femme 6quivalait au meurtre
d’un parfait inconnu, alors que l’homicide de son mari par une femme devait se
comparer a l’homicide commis contre la personne du souverain et donc recevoir
le meme traitement que la trahison, en fournit un 6loquent exemple'”. Bien
entendu, cette r~gle est chose du pass6, mais il n’est pas n6cessaire de chercher
tr~s loin pour trouver des exemples r~cents du peu d’attention que porte le droit
aux violations A l’int~grit physique des femmes et de l’impossibilit6 pour ces
derni~res de se d6fendre h l’int6rieur du cadre de la loi. Ainsi, jusqu’h ces der-
nitres ann6es, une femme ne pouvait se d6fendre A l’encontre du viol perp6tr6
sur sa personne par son mar, dans la mesure oii pareil comportement ne cons-
tituait meme pas un crime. Encore de nos jours, l’attention sp~ciale apport6e par
les m6dias au << ph6nom~ne >> des femmes qui tuent leur conjoint en l6gitime
d6fense – par opposition au silence relatif qui entoure les homicides beaucoup

58Supra, note 8 aux pp. 120-21.
s,

[Tihe law has generally been in agreement that if a husband discovers his wife in the act of
adultery and he kills her or her paramour, the provocation is so great that the law will not punish
him for murder >> : Manslaughter >>, supra, note 31 h lap. 1029. La fameuse loi du paramour >
n’a, semble-t-il, jamais trouv6 application quand la femme trouvait son mar en situation
d’adultre.

6Voir Schneider, supra, note 7 aux pp. 628-29.

1991]

CHRONIQUE DE JRISPRUDENCE

plus nombreux perp6tr6s par les hommes contre leurs partenaires –
indique
combien il nous apparait anormal qu’une femme se d6fende, surtout si aucune
agression n’est actuellement en cours lors de la riposte.

Or, la preuve d’expert sur le syndrome de la femme battue porte sur le
caract~re raisonnable du geste pos6 par l’accus6e et son admission indique que
notre droit criminel reconnait dor6navant aux femmes le droit de se d6fendre au
m~me titre que les hommes. I1 en va de meme de la r6ception du plaidoyer de
16gitime d6fense dans des circonstances ohi traditionnellement le droit ne voyait
aucune n6cessit6 de se d6fendre. II n’est que juste de reconnaitre que, quand
elles pergoivent, pour des motifs raisonnables, que leur vie ou leur int6grit6 phy-
sique sont menac~es, les femmes sont justifi6es de se d6fendre. Et, que la
menace provienne d’un inconnu ou d’un conjoint, nous ne voyons pas comment,
comme ont pu le faire certains commentateurs, il faudrait voir dans cette recon-
naissance, < an open season on men >>

En outre, l’argument veut qu’on devrait tout de m~me exiger de la femme,
la force meurtri~re, que << le couteau soit lev6, le avant qu'elle n'ait recours fusil braqu6 sur elle ou le poing lev6 >> pour que son appr6hension soit juridi-
quement raisonnable et justifi6e. Et ceci meme si on admet que l’exp6rience de
la femme battue une sensibilit6 particulire lui permet-
la violence a conf6r6
tant de d6tecter plus facilement le danger. Madame le juge Wilson r6torque:

Je ne crois pas que ce soit une g6n6ralisation injustifi6e d’affirmer qu’en raison de
leur taille, leur force, leur socialisation et leur manque d’entramnement, les femmes
sont normalement incapables de se mesurer aux hommes au corps i corps. L’exi-
gence, pos6e dans l’arr&t Whynot, qu’une femme battue attende que l’agression
soit < en cours >> pour que ses appr6hensions soient reconnues comme juridique-
ment valables reviendrait, pour reprendre la formule d’un tribunal am6ricain, a la
temp6rament >. Je partage l’avis, exprim6 par Willou-
condamner au < meurtre ghby [...] que << cela n'apporte rien L la socit6, si ce n'est peut-6tre le risque accru que lafemme battue soit elle-mfme tude, de l'obliger d attendre que le mari qui la maltraite se remette atla battre, pour pouvoir agir avec justification >> (nous
soulignons) 62.

B. Les motifs raisonnables de croire en l’absence d’alternatives

En plus d’exiger 1’existence de motifs raisonnables fondant la croyance de
l’effet que sa vie ou son int6grit6 physique aient 6t6 en danger, le
l’accus6e
paragraphe 34(2) du Code criminel demande que cette derni~re ait cru, toujours
pour des motifs raisonnables, ne pouvoir autrement se soustraire t la menace
qu’en tuant son agresseur. Or, quand une femme battue all~gue avoir tu6 son
conjoint en 16gitime d6fense, i vient presque naturellement h l’esprit de se

61Voir Eber, << The Battered Wife's Dilemma; To Kill or To Be Killed >> (1981) 32 Hastings L.J.

895 4 la p. 930, n. 190. Voir aussi Casenote, supra, note 12 aux pp. 1715-16, 1725-26.

62Supra, note 1 h la p. 883.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 36

demander pourquoi, si la violence rdp~te 6tait vraiment intol6rable, elle ne l’a
pas simplement quitt6 au lieu de supporter la violence et d’en arriver At la der-
nitre extrdmit6. Pareille question connote, la Cour supreme le reconnait 63 ,
l’adhdsion A plusieurs idtes reques 4. Nombre de personnes en effet croiront que,
si la femme est restte avec l’homme qui la battait, c’est parce qu’au fond, la vio-
lence n’6tait pas aussi s6vre qu’elle le prdtend. Ou encore on y verra la con-
firmation du plaisir masochiste qu’6prouvent certaines femmes A souffrir 65. Or,
comme le fait remarquer le juge Wilson, savoir pourquoi une femme n’a pas
quitt6 son agresseur bien avant l’incident ayant entraim6 la mort de ce demier,
prtsente peu de pertinence quant A la question de savoir si elle croyait raison-
nablement n’avoir d’autre choix que l’homicide au moment critique 66. La ques-
tion en litige n’est pas de savoir pourquoi l’accus~e n’a pas quitt6 son conjoint
violent mais bien d’apprtcier si, au moment oit elle a tu6 son agresseur, elle
croyait, pour des motifs raisonnables, ne pouvoir autrement preserver sa vie ou
son intdgrit6 physique.

Cependant, le fait que la femme battue n’ait pas fui la violence risque
d’8tre invoqu6 Ax l’appui de l’affirmation voulant que l’accusde 6tait libre de s’en
aller au moment ultime. A cet 6gard, le tdmoignage d’un expert peut apporter
des 6claircissements utiles67. Ce ttmoignage est utile dans le contexte oji,
avance le juge Wilson: << les m~mes facteurs psychologiques qui expliquent l'incapacit6 d'une femme i quitter une situation de violence expliquent peut- 8tre aussi dans une certaine mesure pourquoi elle n'a pas essay6 de s'6chapper au moment ofi sa vie lui semblait menacde >6s plut6t que de tuer son agresseur.

En l’espce, dans son tdmoignage, l’expert appel6 par la ddfense a tent6
d’expliquer comment et pourquoi l’appelante n’avait pas quitt6 Rust. II a fait
6tat de la similitude entre le comportement de l’accuste et ce que les sp6cialistes
en psychologie ddcrivent comme un 6tat d’<< impuissance acquise >>. Ce ph~no-
m~ne, observ6 et d6crit par le psychologue Charles Seligman A la suite d’exp6-
riences sur des animaux, a 6t6 par la suite appliqu6 At la situation des femmes
battues, entre autres par le docteur Walker69 . La thtorie de l’impuissance

631bid. A la p. 884.
64Pour un expos6 de ces ides voir Crocker, supra, note 8 aux pp. 132 et s.
65La psychologie, freudienne en particulier, est particulirement responsable de l’idde largement
rdpandue a l’effet que la passivit6, la faiblesse et la soumission sont des attributs naturels de la
f~minit6. Voir Fiora-Gormally, supra, note 8 aux pp. 142-43.

66Lavallie, supra, note 1 a la p. 884.
67Un des arguments invoqu~s A l’encontre de la recevabilit6 de ]a preuve d’expert met en doute
la ntcessit6 de recourir a 1’expertise pour dissiper les idles reques en mati~re de violence conjugale
qui pourraient porter pr6judice A la defense et postule que le jur6 moyen est parfaitement capable
de faire la part des choses. Voir, Mihajlovich, supra, note 2 aux pp. 1263-69. En l’esp~ce, pareille
prtention a 6t6 avanc6e par le minist~re public qui a qualifi6 le tdmoignage de 1’expert de parfai-
tement << inutile >> et << superflue >. Manifestement, Madame le juge Wilson ne partage pas cet avis.

6SSupra, note 1 A Ia p. 888.
69Supra, note 1.

1991]

COMMENTS

acquise explique pourquoi les femmes battues restent avec leur conjoint en d6pit
des mauvais traitements. En vertu de cette th6orie, la femme p6riodiquement
soumise
la violence en vient d6velopper une image n6gative d’elle-meme et
un sentiment d’impuissance. Elle fuit par 6prouver le sentiment qu’il n’existe
aucune issue h la violence. Elle prend alors une attitude passive et soumise, exa-
cerb6e par la cr6ation d’6tranges liens affectifs entre elle et son agresseur, liens
qu’on a compar6

ceux qui unissent les otages et leurs ravisseurs0 .

Outre ces explications reli6es aux liens affectifs et psychologiques ayant
<< attach6 >> ‘accus6e A son agresseur, des raisons d’ordre 6conomique
expliquent souvent pourquoi une femme battue n’a pas fui la violence avant
l’incident fatal71 . En effet, nombre de femmes qui l’on reproche de n’avoir pas
quitt6 un homme violent ne peuvent en effet tout simplement pas se payer ce
luxe. L’absence de qualifications professionnelles ad6quates, un emploi moins
bien r6munr6, la presence d’enfants dont il faut prendre soin sont autant de fac-
teurs qui incitent les femmes battues ii s’accommoder de la violence.

Quoi qu’il en soit, le juge Wilson est formelle:

Je souligne a ce stade-ci qu’il n’appartient nullement au jury de porter un juge-
ment sur lefait qu’unefemme battue inculpae est restie avec l’homme qui l’agres-
sait. Encore moins lui est-il pennis d’en conclure qu’elle a renonc6 a son droit a
la lgitime ddfense. Je signale en outre que la doctrine traditionnelle de la Idgitime
dafense n’exige pas qu’une personne quitte son foyer plut6t que de se d6fendre :
R. c. Antley (1963), 42 C.R. 384 (C.A. Ont.). La maison d’un homme est peut-9tre
son chilteau, mais c’ est aussi lefoyer de la femme, mgme si elle peut lui parattre
davantage comme une prison dans les circonstances (nous soulignons) 72.
Cette r6f6rence a la maxime traditionnelle, voulant que la maison d’un
homme soit son chAteau, et la reconnaissance du fait que le privilege d’occuper
cet espace n’est pas exclusivement r6serv6 a l’homme, sont A notre avis parti-
culirement lourdes de sens. Tout d’abord, on consacre ainsi la tendance juris-
prudentielle voulant que le fait de ne pas avoir quitt6 les lieux, au lieu de ripos-

70Selon C.P. Ewing, Battered Women Who Kill, Lexington, Mass., Lexington Books, 1987 aux

pp. 19-20, cit6 par Mine le juge Wilson dans Lavallie, supra, note 1 A ]a p. 886:

La personne ayant moins de pouvoir dans les rapports en question –
que ce soit la
femme battue, l’otage, l’enfant maltrait6, l’adepte d’un culte ou le prisonnier –
en est
rdduite 4 une tr~s grande d~pendance et il arrive mame qu’elle s’identifie t la personne
qui possde plus de pouvoir. Bien souvent, cette d6pendance et cette identification ont
pour consequence que les personnes soumises et moins puissantes deviennent << plus negatives dans leur appraciation d'elles-memes, moins capables de se d6brouilIer par elles-memes et, par consequent, ont encore plus besoin de la personne investie d'un grand pouvoir >. A mesure que ce << cycle de d6pendance et de diminution de l'estime de soi > se rap~te avec le temps, la personne qui, dans cette relation, a moins de pouvoir
forme avec celle qui en a plus, un << fort lien affectif >.

71Dans ses notes, lejuge Wilson dvoque ces facteurs : Lavallge, ibid. a lap. 887. Voir aussi Faig-

man, supra, note 8 4 la p. 645.

72Lavallie, ibid. aux pp. 888-89.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 36

en admettant que cela eut 6t6 possible –

ter –
ne fait pas n6cessairement
perdre h l’accusre la facult6 d’invoquer avec succ~s la 16gitime d6fense. Tradi-
tionnellement, en common law, le ddfaut de se retirer de la sc~ne de l’agression
quand il 6tait possible de le faire sans danger, au lieu de riposter, faisait perdre
la justification73 . Le droit canadien a cependant fait preuve de souplesse a cet
6gard, surtout quand l’agression a lieu au domicile de l’accus 74. Dans l’arrt
Deegan75, la Cour d’appel de l’Alberta explique la souplesse de la r~gle par des
concessions A la nature humaine. Dans son jugement, la Cour reprend en effet
le passage de l’arrt Brown c. U.SA.76 ofi le juge Holmes 6crit:

Rationally the failure to retreat is a circumstance to be considered with all the
others in order to determine whether the defendant went farther than he was jus-
tified in doing; not a categorical proof of guilt. The law has grown, and even if
historical mistakes have contributed to its growth it has tended in the direction of
rules consistent with human nature. Many respectable writers agree that if a man
reasonably believes that he is in immediate danger of death or grievous bodily
harm from his assailant he may stand his ground and that if he kills him he has
not exceeded the bounds of lawful self-defensen.

Or, comme la notion de l’homme raisonnable, cette concession

la nature
humaine est lourdement chargre de la perspective masculine. I1 est depuis tou-
jours dans l’ordre des choses qu’un homme d~fende son territoire, son honneur
et sa dignit678. L’arr~t Lavallie constitue le premier exemple d’application de
cette ide A une femme accusre et lui reconnait comme fondement la juste
revendication d’un territoire par la femme. Comme les femmes subissent prin-
cipalement les agressions de la part de leur partenaire au domicile conjugal,
cette reconnaissance de leur droit de se drfendre chez elles 6vite de les placer
dans la difficile situation, pour justifier leur conduite, de devoir choisir entre
mettre leur vie en danger ou quitter un espace qui est aussi le leur?9.

(2d) 417 (Alta. C.A.) et R. c. Ward (1978), 4 C.R. (3d) 190 (Ont. C.A.).

73Voir Stuart, supra, note 22 A la p. 408.
74Outre l’arr& Antley, cit6 par le juge Wilson, voirR. c. Deegan, [1979] 6 W.W.R. 97,49 C.C.C.
75Ibid.
76256 U.S. 335 (1920).
77Deegan c. R., supra, note 74 aux pp. 440-41.
78<< Does the law hold a man who is violently and feloniously assaulted responsible for having brought such necessity upon himself, on the sole ground that he failed to fly from his assailant when he might have safely done so? [A] true man, who is without fault, is not obliged to fly from an assailant [...] >>: Envin c. State, 29 Ohio St. 95 (1876) t lap. 103, citd dans T. Katheder, Crim-
inal Law – Lovers and other Strangers: Or, When is a House a Castle? – Privilege of Non-Retreat
in the Home Held Inapplicable to Legal Co-Occupants – State v. Bobbitt 415 So. 2d 724 (Fla.
1982) > (1983) 35 11 Fla. St. U.L. Rev. 465, n. 21.

amrricains quant au devoir de se retirer.

Voir aussi Faigman, supra, note 8 A ]a p. 623, n. 14, pour un rdsum6 de l’attitude des tribunaux
79Katheder, ibid. 4 la p. 484:

To ignore the privilege to stand one’s ground in the home in the face of a murderous
assault is to tear down the walls of the victim’s dwelling and expose him or her to the

1991]

CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

et c’est

Ensuite –

ce niveau que l’image choisie par Madame le juge
Wilson est la plus puissante –
elle attaque de front la raison traditionnellement
‘Ittat en mati~re de violence
invoqu6e pour justifier la non-intervention de
domestique et la pi~tre performance de l’appareil judiciaire pour prot6ger les
femmes battues0 . La maison d’un homme a longtemps 6t6 la forteresse oji, loin
de l’intervention de 1’autorit6 publique et m~me encourag6 par elle, il a exerc6
en maitre ses droits et son autorit6 sur celle que la loi lui a longtemps permis
de consid6rer comme sa propri6t6. A cet 6gard, en insistant sur le fait que le cha-
teau de l’homme est aussi celui de la femme, le jugement de la Cour dans l’af-
faire Lavallge indique sans 6quivoque qu’aux yeux des juges, cette malheureuse
6poque est r6volue.

HI. La preuve d’expert sur le syndrome de la femme battue : quelques

cueils A 6viter

Tout au long du jugement, la Cour insiste sur le fait que le t6moignage de
l’expert ne doit pas faire perdre de vue la question d6terminante. I appartient
en d6fimitive au jury de d6cider si l’accus6e a vraiment craint, pour des motifs
raisonnables, subir la mort ou des s6vices corporels graves et ne pouvoir autre-
ment s’y soustraire qu’en tuant son agresseur. Ce rappel de la Cour nous appa-
rait fondamental en ce qu’il permet d’6viter les dangers que rec~1e une mauvaise
utilisation de la preuve d’expert sur le syndrome de la femme battue.

Le simple fait d’6tre une femme qui a dft subir la violence r6p6t6e d’un
conjoint n’autorise pas en soi le recours A la force meurtri~re. Pour que l’accu-
s6e soit acquitt6e, encore faut-il que les crit~res de la l6gitime d6fense soient
rencontrds. Le r6le du tdmoignage de l’expert doit se limiter A aider le jury t
ddterminer ce que l’accus~e a raisonnablement cru, compte tenu de sa situation
et de ses exp6riences ant6rieures. Le t6moignage de l’expert ne doit pas cons-
tituer l’616ment essentiel d’une quelconque d6fense particuli6re pour la femme
battue, mais uniquement aider le jury ddterminer si, compte tenu d’un 6ventail
de circonstances que l’expertise lui aura permis de mieux appr6cier, la conduite

same self-defense standard as one confonted with a similar assault on a public way or
common thoroughfare; it is to say to the victim that, as far as shelter from external vio-
lence is concerned, you have no home.

L’auteur reconnait cependant que l’application du privilfge de non-retrait h la victime d’une agres-
sion de ]a part d’un partenaire avec lequel elle partage les lieux risque d’entramner la facheuse con-
sdquence d’augmenter la violence h l’int6rieur des foyers. I1 nous apparait cependant que de com-
battre ]a violence conjugale en niant 4 la femme battue le droit de se d6fendre reconnu h d’autres,
aborde le probl~me par le mauvais c6t6 de la lorgnette.

80Sur la distinction entre les spheres de droit public et celles dites de droit priv6, domaine ot
l’intervention de l’6tat est moins facilement tol&6re, et sur le r6le de cette distinction dans l’assu-
jettissement des femmes, voir H. Lessard, < The Ideas of the 'Private': A Discussion of State Action Doctrine and Separate Sphere Ideology >>, dans C. Boyle et al., dd, Charterwatch: Reflex-
ions on Equality, Toronto, Carswell, 1986 4 la p. 107.

McGILL LAW JOURNAL

(Vol. 36

de l’accus6e 6tait raisonnable et justifi6e. L’insistance de la Cour h cet 6gard
nous apparalt essentielle h plusieurs points de vue.

soit celle de savoir si l’acte a 6t6 commis en 16gitime d6fense –

Tout d’abord, accorder une trop grande importance h la qualification de
l’accus6e comme << femme battue >> et au t6moignage de l’expert sur les effets
psychologiques de la violence risque d’61oigner l’analyse du jury de la question
en litige –
pour centrer le d~bat sur la qualit6 de l’accus6e. Or, axer trop lourdement le
d6bat sur les effets psychologiques de la violence sur cette derni~re au d6triment
d’une analyse objective de la qualit6 de l’acte qu’elle a commis, risque d’entrat-
ner des effets pervers au plan th6orique, de poser de s6rieux probl~mes de poli-
tique criminelle en plus, en d6fimitive, de desservir la cause des femmes.

En effet, il existe un paradoxe certain au plan th6orique si, pour aider le
jury
juger de la raisonnabilit6 des actes de l’accus6e au moment o6i elle a tu6
son agresseur, l’essentiel de la preuve pr6sent6e consiste A d6montrer que, suite
h une violence subie pendant des ann6es, cette demi~re a d6velopp6 un syn-
drome psychologique d~formant sa perception de la r~alit6t1 . Le standard de la
personne raisonnable, ou, pour les fins de la pr6sente analyse, de la femme rai-
sonnable, doit 8tre 6valu6 en relation avec les caract6ristiques d’une personne
mentalement saine. A cet 6gard, nous devons constater que, dans la mesure oii
l’expression syndrome de la femme battue 6voque un ensemble de << symp- t6mes >> qui appellent l’image de l’anormalit6, elle est probl6matique et ne rend
pas justice au but v6ritablement poursuivi par la pr6sentation de la preuve d’ex-
pert. Le syndrome de la femme battue n’est pas une maladie mentale. L’expres-
sion fait plut6t r6f6rence a un ensemble d’6motions et de r6actions pr6sentes
chez les femmes soumises h une violence r6p6t6e. Or, ces caract6ristiques sont
susceptibles de se rencontrer chez toute femme normale qui serait soumise au
m~me traitement que l’accus6e 2 . La preuve d’expert doit donc 8tre comprise
comme un outil susceptible d’amener le jury A conclure que, dans les circons-
tances, la croyance et les actes pos6s par l’accus6e 6taient raisonnables. Presen-
ter la question autrement reviendrait h attribuer h la femme raisonnable les idio-
syncrasies particuli~res de l’accus6e, ce qui est de nature A affaiblir le caract~re
normatif du droit criminel, et n’est ni souhaitable ni n6cessaire”.

Le recours au crit~re objectif de la personne raisonnable garantit que tous
seront tenus h la m~me norme de conduite ind6pendamment de leurs traits par-
ticuliers et de leur facult6 A rencontrer la norme. Ce n’est que dans cette mesure

8 Mihajlovich, supra, note 2 aux pp. 1276-78 et Faigman, supra, note 8 h ]a p. 644.
82Kinports, supra, note 1 a la p. 417. Voir aussi Crocker, supra, note 8 A la p. 140, n. 83.
83Certains auteurs f6ministes avancent pourtant que le recours A un critre subjectif serait mieux
en mesure d’assurer aux femmes un traitement 6quitable. Voir Rosen, supra, note 8 et C. Boyle,
Un examen f~ministe du droit criminel, Ottawa, Approvisionnements et Services, Canada, 1985,
section 4.4.1. Voir enfin, Schneider, supra, note 7 (c’est du moins ainsi que nous comprenons son
plaidoyer pour une defense << individualis6e >>).

19911

COMMENTS

que les principes de responsabilit6 individuelle et d’6galit6 peuvent 8tre pleine-
ment respect6s”. Une reconnaissance du fait que les facteurs traditionnels pris
en compte pour ddterminer le caract~re raisonnable d’une conduite sont trop
6troits et centr6s sur une vision masculine de ce qui constitue un comportement
acceptable, et l’int6gration de la r6alit6 f6minine h la d6finition du standard ne
pr6sentent pas le danger d’affaiblir la norme. La red6finition de ce qui nous
apparait l6gitime exige l’61argissement du contexte dont on tient compte pour
6valuer la raisonnabilit6 de la conduite de l’accus6e de fagon h y incorporer des
facteurs longtemps ignor6s par le droit. Dans la mesure ot ces facteurs sont
davantage reli6s au genre de l’accus6e qu’h ses idiosyncrasies, le caract~re nor-
matif du droit criminel n’est pas mis en p6ril 5. I est tout
fait possible d’at-
teindre une plus grande 6quit6 dans le traitement accord6 aux femmes par le
droit criminel sans recourir h un traitement sp6cial qui tiendrait compte des idio-
syncrasies de l’accus6e. La pertinence et l’utilit6 principales de la preuve d’ex-
pert sur le syndrome de la femme battue doivent r6sider dans l’aide que pareil
tdmoignage peut apporter au jury dans la d6termination de l’aspect raisonnable
de la conduite de l’accus6e et dans la destruction des mythes et st6r6otypes
entourant la perception que nous avons de la violence conjugale, iddes reques
qui sont pr6judiciables h l’61aboration d’une d6fense pleine et enti~re.

A cet 6gard, le t6moignage de l’expert sur le ph6nom~ne d’impuissance
acquise que d6veloppent certaines femmes suite h la violence r6p6t6e de leur
partenaire, nous apparait devoir 8tre utilis6 avec circonspection. Dans la mesure
ott, comme l’entend la Cour supr~me dans l’affaire Lavallie6, il est destin6 h
dissiper les mythes sur la violence domestique, le t6moignage de l’expert fournit
un instrument pr6cieux h la d6fense. Ii en est un aussi quand le t6moignage sert
A dissiper l’id6e que, si la femme n’a pas quitt6 son conjoint avant l’incident
fatal, la violence subie ne devait pas atre si terrible, et donc la menace ressentie
sans fondement. Cependant, pr6sent6 de mani~re
inciter le jury h compatir
avec l’accusde et h comprendre son 6tat psychologique en entrevoyant comment
la violence r6p6t6e a pu d6former sa perception de la r6alit6, il constitue un ins-
trument dangereux. En plus de mettre en p6ril le caractre normatif du droit cri-
minel, il risque de desservir la cause des fenmes qui luttent pour faire recon-
naitre que leurs perceptions et les gestes qu’elles posent sont tout aussi
raisonnables que ceux des hommess .

84R. c. Hill, supra, note 29 a la p. 344, Mine le juge Wilson.
85Ce fait a par ailleurs d~jt 6t6 reconnu par la Cour supreme dans R. c. Hill, ibid. aux pp. 331-32.
86A cet dgard, l’insistance par Ta Cour sur le fait que les raisons psychologiques qui expliquent
pourquoi une femme battue n’a pas quitt6 plus t6t son conjoint ont une importance relative dans
la mesure o elles expliquent un ph6nom~ne qui n’est pas pertinent en regard de la question de
savoir si au moment critique l’accus6e a raisonnablement craint pour sa vie et cru devoir tuer son
agresseur, nous apparait bienvenue.

87Voir Crocker, supra, note 8 aux pp. 136 et s.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 36

En outre, une analyse centr6e sur les particularitds de l’accusge par oppo-
sition h une 6valuation de l’acte pos6 ferait perdre A la defense invoqure son
caract~re de fait justificatif. Ainsi, elle en ferait une excuse fondre essentielle-
ment sur la compassion 6prouv~e par la socift6 face au calvaire longtemps
endur6 par l’accusde. Or, la crdation d’une excuse particuli~re pour les femmes
battues qui tuent leur conjoint violent pose de srrieuses difficultds tant au point
de vue des principes qu’au point de vue de l’avancement de la cause des
femmes. Au plan de la politique criminelle, la crdation d’une excuse risque de
vdhiculer un cynique message qui ne saurait etre toldr, message
l’effet que
le recours h la justice priv6e en mati~re de violence domestique est acceptable
lorsque le syst~me judiciaire s’av~re incapable de protdger l’intdgrit6 physique
des femmes. Sans compter que la creation d’une excuse particuli~re aurait aussi
pour effet de consacrer les femmes dans leur rrle de victimes et de perp6tuer les
std6rotypes que la preuve d’expert a justement pour mission de dissiper.

Le fait d’accorder une ddfense particuli~re aux femmes pouvant corres-
pondre au nouveau stdrotype de la << femme battue >> et prdsenter, aux yeux des
experts, suffisamment des sympt6mes attribuds h cette demi~re risque par ail-
leurs d’entrainer le facheux rrsultat de priver celles qui ne rencontrent pas ces
crit~res de tout moyen de ddfense. I1 serait en effet dommage que, pour faire
valoir 6quitablement son droit h la l6gitime ddfense, une femme doive nrcessai-
rement prdsenter suffisamment de << symptrmes >> aux yeux des experts pour
8tre qualifife de femme battue. Les femmes ont une perception et une exp6-
rience du danger qui mdritent d’etre prises en compte, qu’elles soient ou non des
femmes battues. La redefinition de ce que nous tenons pour raisonnable et l’ap-
plication moins rigide de la r~gle de l’imminence du danger doivent profiter it
toutes, qu’elles vivent ou non avec un homme, qu’elles soient ou non battues,
qu’elles connaissent ou non leur agresseur. Le syndrome de la femme battue ne
doit pas devenir une exception s’appliquant uniquement au standard traditionnel
de l’homme raisonnable 8 . I1 s’agit d’un outil, parmi d’autres, susceptible d’ou-
vrir l’univers juridique t la perspective des femmes.

Conclusion

Les femmes n’ont pas besoin de la creation d’un standard sp6cial pour
b6n6ficier d’une protection 6gale A celle des hommes contre les condamnations
injustifi~es. I est suffisant que le droit reconnaisse que leurs perceptions et leurs
actes puissent 6tre tout aussi justifiables que ceux des hommes. Pour toutes
sortes de raisons, les femmes, qu’elles soient ou non soumises A la violence de
leur conjoint, ont une perception du danger qui differe parfois de celle des
hommes. Ii peut aussi arriver qu’elles pergoivent la ngcessit6 de recourir A la
force meurtri~re dans des circonstances oii un homme n’en sentirait pas le

“Ibid. a ]a p. 151.

1991]

CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE

besoin. Une application plus compr6hensive du crit~re de la personne raison-
nable est de nature h satisfaire ce besoin et, dans la mesure oii les tribunaux sont
la perspective des femmes, la th6orie de la lgi-
enfin pr~ts h faire une place
time d6fense offre suffisament de souplesse pour rencontrer les aspirations 16gi-
times des femmes.

Dans ce contexte, il faut se r6jouir de l’admission de la preuve d’expert sur
le syndrome de la femme battue par la Cour supreme dans l’affaire Lavallde.
Cette preuve permettra au jury d’analyser objectivement les actes de l’accus6e,
tout en tenant compte de 1’6ventail des circonstances oil elle se trouvait au
moment oti elle a agi. La preuve d’expert sur le syndrome de la femme battue
sera particulirement utile pour dissiper les mythes et st6r6otypes entourant la
violence conjugale et pour faire voir au jury comment, compte tenu des circons-
tances particuli~res dans lesquelles elle se trouvait, la perception du danger par
I’accus6e 6tait raisonnable. La preuve d’expert est utile en ce qu’elle sert t 6lar-
gir l’6ventail des circonstances dont le jury peut tenir compte, cet 6ventail ayant
jusqu’A maintenant surtout tenu compte de r6alit6s propres aux hommes, n6gli-
geant la perspective des femmes. Outre la r6ception de la preuve d’expert sur
le syndrome de la femme battue, c’est, en d6finitive, la reconnaissance par la
Cour supreme de ce fait capital qui nous apparait surtout fiche de promesses.

Mahe v. Alberta: Management and Control of

Minority Language Education

Robert G. Richards*

Introduction

The Supreme Court of Canada recently offered its first detailed elaboration
of the minority language educational rights guaranteed in section 23 of the
Canadian Charter of Rights and Freedoms.’ Mahe v. Alberta2 defines those
rights broadly and gives minority language communities the authority to man-
age and control minority language education. It is a major victory for language
rights activists and will have a continuing impact on provincial and national
affairs.

Mahe is a direct response to the representations of minority language
groups that control of minority language education is a key to their continuing
vitality and survival. They argue that the educational system is central to com-
munity life and is an essential vehicle for the transmission to younger genera-
tions of language skills and cultural values. Those contentions clearly found
favour with the Court and inspired the substantive result in the appeal.

In general terms, Mahe obviously reflects the orthodox approach to bilin-
gualism in Canada.’ It advances and protects the minority language rights of
individuals in all provinces at a time when those rights are under public and
political pressure. Further, it attempts to help minority language communities
counter the social forces which continue to undermine many of them. Measured
against the accepted model of Canadian bilingualism, the decision represents
sound language rights policy.

*B. Comm., LL.B., LL.M. of MacPherson, Leslie and Tyerman, Regina, Saskatchewan. The
author would like to thank Donna Greschner for her comments on an earlier draft. The author
appeared as counsel for the Attorney-General of Saskatchewan in the Mahe case. The views
expressed are those of the author.

McGill Law Journal 1991
Revue de droit de McGill

‘Canadian Charter of Rights and Freedoms, Part I of the Constitution Act, 1982, being Schedule

B of the Canada Act 1982 (U.K.), 1982, c. I1 [hereinafter Charter].

2Mahe v. Alberta, [1990] 1 S.C.R. 342, 68 D.L.R. (4th) 69 [hereinafter Mahe cited to S.C.R.].
3For a general discussion of Canadian language policy see: K. McRoberts, “Making Canada
Bilingual: Illusions and Delusions of Federal Language Policy” in D.P. Shugarman & R. Whitaker,
eds, Federalism and Political Community (Peterborough, Ont.: Broadview Press, 1989).