Article Volume 45:2

L'incidence des tests d'ADN sur le droit québécois de la filiation

Table of Contents

L’incidence des tests d’ADN

sur le droit qudbdcois de la filiation

Alexandra Obadia”

Les tests g6ndtiques aujourd’hui disponibles per-
mettent de prouver avec une quasi-certitude la filiation
d’un enfant dont l’tat est contest6. Ce bouleversement
scientifique comporte des r6percussions
importantes
dans le domaine du droit de Ia famille.

L’auteure propose un examen de l’impact de la
preuve d’ADN sur le droit qu6bdcois de la filiation.
L’adoption d’une approche de droit compar6 permet de
situer l’6volution legislative an Quebec dans un con-
texte plus global. L’auteure sugg~re que le droit quebd-
cois rdv~le une attitude conservatrice en ce qui a trait
aux ordonnances affdrentes aux tests de filiation, com-
parativement an droit des provinces de common law,
des ttats-Unis et de l’Europe. Par contre, que ce soit en
droit queb6cois ou 6tranger, les tests d’ADN, pour Etre
recevables, doivent toujours Etre fiables, utiles et ef-
fectues dans le respect des droits fondamentaux des
parties interessees. Lorsqu’une personne refuse de su-
bir ce genre de test, tout au moins le tribunal pourra-t-il
en tirer une inference negative.

En outre, l’auteure considere plusieurs questions
6thiques et juridiques soulev es, an Qu6bec comme A
l’6tranger, par la pratique des tests d’ADN, notanment
la difflcult6 pour les tribunaux de rdconcilier ces tests
avec les droits A l’inviolabilite et A l’intdgrite de Ia per-
sonne et au respect de ]a vie prive. Enfin, l’auteure
commente les tentatives de resoudre Ie conflit entre la
v~it6 biologique et la realit6 psychosociale,
Ia lu-
mitre du principe souverain de l’intrt de l’enfant.

The availability of genetic testing now enables us
to determine the filiation of a child, with near certainty
in cases of dispute. This scientific upheaval has had
enormous repercussions on family law.

The author examines, through a comparative ap-
proach, the way in which DNA testing has contributed
to the recent evolution and changes in Quebec filiation
law, thus putting the developments in Quebec in a more
global context. She suggests that Quebec law has
adopted a conservative attitude when it comes to or-
dering filiation tests, especially when compared to the
law in other Canadian provinces, the United States, and
Europe. However, in Quebec, as in other jurisdictions,
in order to be accepted as evidence, DNA tests must be
reliable, useful, and caried out in a way that respects
the fundamental rights of the interested parties. When
faced with a refusal to be subjected to such a test, the
courts at least have the power to draw a negative infer-
ence.

Moreover, the author considers the legal and ethi-
cal questions raised both in Quebec law and in other ju-
risdictions by the practice of DNA testing, particularly
the difficulty the courts face in trying to reconcile such
tests with the right to inviolability and integrity of the
person, and the right to privacy. Lastly, the author dis-
cusses the attempts in the various legal traditions sur-
veyed to resolve the conflict between biological reality,
on the one hand, and psychosocial reality on the other,
in light of the fundamental principle of the best inter-
ests of the child.

M M Obadia est membre du Barreau du Qu6bec depuis 1991. Elle a oeuvr6 en pratique privee dans
les domaines du litige civil et familial jusqu’en 1997. S’6tant spcialis6e dans le domaine des bio-
technologies dans le cadre d’une maitrise en droit, elle pratique actuellement au sein du Centre de re-
cherche en droit public de l’Universit6 de Montreal dans le cadre duquel elle a d6velopp6 une exper-
tise affdrente au brevet sur la mati~re vivante ainsi que sur les questions relevant de Ia genetique hu-
maine. L’auteure remercie le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSHC) dont
la subvention a contribu6 h la r6alisation de cet article, dans le cadre du projet “Genetic Testing and its
Effects on Canadian Family Law and Policy”. Elle tient 6galement A remercier la professeure Bartha
Maria Knoppers qui a assur6 la mise en place et la direction du projet.

Q Revue de droit de McGiil 2000

McGill Law Journal 2000
Mode de r6f6rence : (2000) 45 R.D. McGill 483
To be cited as: (2000) 45 McGill LJ. 483

MCGILL LAW JOURNAL / REvUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 45

Introduction

1. R~gles l6gislatives en droit de la filiation

A. Moyens d’6tablissement de la filiation

1. L’acte de naissance
2. La possession d’6tat
3. La pr~somption de patemitd
4. La reconnaissance volontaire

B. Actions en r~clamation et/ou contestation d’ tat
C. Les limites & la preuve de filiation

1. Concordance entre titre et possession d’6tat
2. La prescription
3. Preuve par t~moignage
4. La procr6ation m6dicalement assist6e

D. L’intrt de l’enfant

II. Incidence de la preuve d’ADN sur le droit de la filiation

A. Le traitement de la preuve d’ADN par les diffrents systbmes de droit

1. Place de la preuve d’ADN dans les syst~mes de droit

Les provinces de common lawet les Etats-Unis

B. Admissibilit6 au procbs de la preuve d’ADN

1. Recevabilitd de la preuve d’ADN

a. Fabilit6 de la technique

i. Au Canada
ii. Droit compard

b. UtilitM

i. Au Quebec
ii. Droit compar6

c. L6galit6 de la preuve : le consentement

i. Au Qu6bec
ii. Droit compar6

2. La force probante

a. Valeurprobante intrinsbque
b. Appr6ciation du tribunal:poids de la preuve d’ADN

i. Au Qu6bec

2. Pouvoir du juge d’ordonner un test d’ADN

a. Au Qu~bec
b. Droft compar6

a. Au Quebec
b. Droit compar6

i
ii. LEurope

2000]

A. OBADIA – L’INCIDENCE DES TESTS D’ADN

485

ii. Droit compar6

C. Problmes 6thiques etiuridiques

1. Droit A l’inviolabilitM et & I’int6grit de la personne
a. Le test d’ADN A partir d’un support d~tach6

i. Au Quebec
ii. Droit compar6
b. Le consentement

i. Principe g~n~ral : consentement libre et 6clair6
ii. Le mineur
iii. Le majeur inapte
iv. La personne d~c6d~e

c. Refus de consentement: inference n~gative

i. Au Qu6bec
ii. Droit compard

2. Le droit au respect de la vie priv~e

a. Droit au secret du g~niteur vs droit de renfant de connaftre

ses ofigines

b. Droit au respect de la vie familiale
c. Droit au respect de la vie prive dude cujus

D. Vrit6 biologique vs ralit psychosociale

1. Au Qu6bec
2. Droit compar6

Conclusion

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

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Introduction

La famille a connu un vdritable bouleversement au cours des demi~res ddcennies,
avec pour r6sultat une r6alit6 nouvelle et fort diffdrente de ce qu’elle 6taitjadis. En ef-
fet, nous avons connu un 6clatement de la cellule familiale, 6clatement qui prend
source, notamment, dans une augmentation notable du taux de divorce, ainsi que dans
un changement des valeurs morales an sein de la socidt6, d’ofi les <> tirs r~pandues de nos jours. Ce ph6nomine, alli6 A celui de l’essor des nou-
velles technologies de reproduction, a chang6 la vision sociale du concept de la fa-
mille qui s’est vu 61argi et libralis. I englobe h prdsent une ddfinition de la famille
qui n’est pas toujours reprsentative de la r~alit6 biologique, mais plut6t d’une r6alit6
nouvelle A laquelle le systame de droit qu6bdcois a da s’adapter.

C’est ainsi que ds 1980, lors d’une rdforme du Code civil’, toute distinction entre
la filiation 16gitime et la filiation naturelle fit 61iminde, garantissant d&s lots les m-
mes droits t tous les enfants dont la filiation 6tait dtablie. Le lien de filiation 6tait d6-
sormais classifi6 sous deux rubriques, soit par le sang ou par l’adoption. De plus, en
1991, lons d’une seconde r6forme du Code civil3 , le caractre irrdfatable de la pr6-
somption de patemit6 fit 6limin6. Ces changements t6moignent sans aucun doute
d’une ouverture plus grande du droit qu6b6cois face A la v6rit6 biologique, ouverture
qui ne revat cependant pas un caract~re absolu.

La filiation matennelle, contrairement A la filiation patemelle, n’est pas probl6ma-
tique au Qu6bec dans la mesure ott elle s’6tablit par le constat de l’accouchement.
Ainsi, la femme qui accouche est la mere 16gale de renfant qu’elle met an monde.
Cette r~gle se voit renforcde et confirm6e par les dispositions du Code civil du Quibec
d6clarant nulles les conventions de procrdation ou de gestation pour le compte
d’autiu, de meme que par celles interdisant de rdclamer ou de contester une filiation
issue d’une procrdation m&licalement assist&e. Toutefois, il en va tout autrement en
ce qui conceme la filiation patemelle qui ne pouvait, jusqu’A rdcemment, 8tre ddter-
min6e de fagon certaine.

Or, dans les dix demi~res ann~es, les progrs scientifiques en mati~re de tests de
patemit6 se sont avdrds r6volutionnaires quant h cette question grace h la mise au
point de tests d’identification par empreinte g6n~tique (tests d’ADN) qui permettent
d~sormais de confirmer avec une certitude quasi absolue la filiation biologique. En ef-
fet, les tests traditionnels d’analyses sanguines existant jusqu’alors permettaient uni-
quement d’exclure la paternitd et non de l’6tablir de fagon certaine. Par ailleurs, tan-

Loi instituant un nouveau Code civil etportant reforme du droit de lafamille, L.Q. 1980, c. 39.
‘ Art. 594 C.c.Q. (1980).
Code civil du Qufbec, L.Q. 1991, c. 64.
‘Art. I11 et s. C.c.Q.
‘Art. 541 C.c.Q.
‘Art. 538 et s. C.c.Q.
‘Voir J. HWtu, (L’expertise sanguine dans la recherche de paternit& (1970) 5 RJ.T. 233 4 lap. 237.

2000]

A. OBADIA – L’NCIDENcE DES TESTS D’ADN

dis que les tests de globules rouges antig6nes et les tests HLA pouvaient atteindre une
prdcision moyenne de 61% A 99%, le test d’ADN, infiniment plus prdcis, produit au
minimum une pr6cision de 99,8%’. Ayant finalement en main un test susceptible de
d6terminer le dien r6el> de filiation de fagon quasi certaine, d6tenons-nous une solu-
tion aux probl~mes de preuve existant en droit de la filiation ou avons-nous, au con-
traire, cr66 de nouveaux probl~mes A r6soudre ?

Notons que l’utilisation des tests g6n6tiques peut se faire tant dans un contexte
judiciaire que dans un contexte extra-judiciaire. Dans ce dernier cas, il est en effet
possible de s’adresser directement h des laboratoires priv6s se sp6cialisant dans ce
type d’analyse, en dehors de toute proc6durejudiciaire. L’information r6v616e s’avre
pr6cieuse en ce qu’elle permet d’6valuer les chances de succ~s des proc6dures en fi-
liation et ainsi d’6viter les frais d’un procs vou6 h l’6chec, ou encore d’encourager un
rfglement hors cour en cas de procedures d6jh entam6es et parfois d’appaiser un cli-
mat familial incertain. Le recours A ce type d’analyse permet 6galement la conserva-
tion d’6chantillons pouvant servir de preuve en cas de litige post mortem. De plus,
l’analyse sera d6terminante quant h des questions de mariage consanguin ou de
transmission de maladies g6n6tiques. Mentionnons cependant qu’au Canada, aucune
r6glementation n’encadre cette pratique, que les laboratoires soient publics ou priv6s.

La pr6sente 6tude se concentrera toutefois sur l’incidence des tests d’ADN dans
un contexte judiciaire. Ce faisant, nous examinerons la place que le droit qu6b~cois
accorde h ces nouvelles techniques scientifiques pour ensuite analyser leurs r6percus-
sions sur certaines notions importantes, soit celle du meilleur int6r&t de l’enfant et
celle des droits et libert6s fondamentaux, plus particuli~rement les droits 4 l’int6grit6,
A l’inviolabilit6 et h la vie priv~e. Par ailleurs, nous nous pencherons incidemment sur
la question de ‘int6ret financier que ces nouvelles technologies suscitent aupr s de
l’ttat, dans la mesure oti elles lui permettront de retracer le g6niteur, d6biteur ali-
mentaire. Dans cette perspective, des r6f6rences seront faites au droit compar6, de fa-
gon toutefois occasionnelle et sommaire, le pr6sent article ayant pour th~me central
une analyse du droit qub6cois.

L’examen de ces questions se divisera en deux parties. Dans un premier temps,
nous entreprendrons une brave analyse des r~gles 16gislatives applicables en matire
de filiation au Qu6bec (I) ; dans un second temps, nous aborderons l’incidence des
tests d’ADN sur le droit qu6b6cois de la filiation, dans une perspective, A l’occasion,
de droit compar6 (II).

‘ HLA : Human Leucocyte Antigens. Les antig nes de leucocytes humains cod6s gdn~iquement
different d’un individu h ‘autre et servent A faire un typage afin de connaitre la compatibilit6 de deux
individus. Les tests HLA sont uilis~s g6n6ralement dans le contexte des greffes d’organes. Voir S.
Couture, dans Congras annuel du Barreau du
Quibec (1994), MontraI, Baneau du Qu6bec, 1994,315 A lap. 322.

MCGLL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGLL

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I. Rgles I6gislatives en droit de la filiation

Les effets du droit de la filiation ont des cons&tuences importantes en droit de la
famille dans la mesure ot ils se r6percutent a divers niveaux. En effet, la d6termina-
tion du lien de filiation influera sur le droit de garde et les droits d’accets, de meme
que sur l’obligation alimentaire, les emp&chements au mariage et enfin sur les droits
de succession ab intestat.

Notons que le Code civil du Qudbec ne d6finit pas le concept de 4iliation>, pas
plus que celui de <>. Tandis qu’on d6finissait autrefois ce lien comme une rela-
tion fonde sur la procreation et que l’on faisait une distinction entre la filiation 16gi-
time et naturelle, la filiation est d6finie aujourd’hui comme un lien juridique qui unit
un parent a un enfante.

La loi ne d6finissant pas la notion de filiation, son analyse nous permettra de d6-
gager certains critares. Pour ce faire, nous 6tudierons, dans un premier temps, les dif-
fdrents moyens d’6tablir la filiation (A), pour ensuite traiter des actions en rdclamation
etlou en contestation d’6tat (B), des limites t la preuve de la filiation (C) et finalement
de la notion de l’int&r&t de lrenfant (D).

A. Moyens d’6tablissement de la filiation

La loi prdvoit que la preuve de la filiation peut se faire par quatre moyens soit, par
ordre d’importance, l’acte de naissance (1), la possession d’6tat (2), la prdsomption de
paternit6 (3) et la reconnaissance volontaire (4).

1. L’acte de naissance

L’acte de’naissance est devenu, depuis la r6forme du Code civil de 1980, le pre-
mier moyen d’6tablir la filiation”. La mUre et le p~re de l’enfant ont chacun le devoir
de d6clarer leur 6tat de parent au directeur de l’6tat civil, et ce, en apposant leur nom
respectif sur la d6claration de naissance de l’enfant dans les trente jours de la nais-
sance.

Toutefois, lorsque la conception ou la naissance survient pendant le mariage, i se-
ra permis 4 run des 6poux de dclarer la filiation a l’6gard de rautre’2. Ainsi, l’acte de
naissance sera susceptible de refl6ter tant une rcalit6 sociale qu’une r6alit6 biologique
et pourra constituer dans les faits une reconnaissance officielle de paternit6. Toutefois,

Voir C. Bernard et C. Choquette, (<1es incidences de l'identification g6n6tique sur le droit de ]a fi- liation qu6b6cois>> dans C. Hennau-Hublet et B.M. Knoppers, din, L’analyse gdntique a desfins de
preuve et les dmits de l’Homme. Aspects midico-scientifique, ithique et juridique, Bruxelles, Bruy-
lant, 1997, 353 A lap. 354.

Art. 523 C.c.Q.
“Art. 113 C.c.Q.
‘ Art. 114, a]. I C.c.Q.

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A. OBADIA – L’INCIDENCE DES TESTS D’ADN

comme nous le verrons plus loin, le parent absent lors de cette declaration aura un re-
cours en contestation d’6tat, lorsque n~cessaire.

2. La possession d’dtat

La possession constante d’6tat est le second moyen d’dtablir la filiation. I1 pr6-
vaudra A d6faut d’un acte de naissance”. I1 s’agit d’un concept purement social, ind6-
pendant de la vdrit6 biologique, s’6tablissant par une preuve factuelle. Ainsi, les faits
mis en preuve viseront a 6clairer le tribunal sur la nature, filiale ou non, de la relation,
et ce, par le biais d’une reunion suffisante de faits g6n6ralement connus de l’entourage
des parties”.

Divers 616ments ayant trait A la vie sociale de l’enfant seront pris en consid6ration,
dont le nom de famille qu’il porte. Ak cet effet, notons qu’au Qu6bec, depuis 1982, les
enfants peuvent porter le nom d’un des parents, soit celui de la mare ou du pore, ou
encore les deux noms, diminuant ainsi sensiblement le poids de ce premier crit~re. Un
autre 616ment d’importance qui sera consid6r6 sera celui du traitement du parent vis-a-vis de l’enfant : le parent traite-t-il l’enfant comme s’il s’agissait du
sien ? Enfin, la r6putation sera 6galement apprdci~e, dans la mesure oti l’on examinera
si, socialement, les parties en cause sont perques comme ayant une relation filiale ou
non.

Cette possession d’6tat 6tablie, il faut, dans un second temps, en prouver la cons-
tance. Pour ce faire, il est souhaitable que la possession d’6tat ait d6but6 a la naissance
de l’enfant et se soit 6tendue sur une p6riode significative, et ce, nonobstant les moda-
litds de garde, 6tant donn6 que la possession d’etat demeurera constante pour le parent
qui ne voit qu’occasionnellement son enfant dans le cadre de droits d’acc&s’ . La ju-
risprudence r6v0le la grande discretion qu’ont les juges pour 6valuer la notion de
constance dans la possession d’dtat, ce qui semble justifi6 6tant donn6 la diversit6 des
situations de faits rencontrdes. En effet, on assiste aujourd’hui 4 des changements de
partenaires de plus en plus frdquents, t6moignant des relations de couples pr6caires
sinon instables, d’oi la difficult6 grandissante A 6tablir les liens de filiation et la n6-
cdssit6 pour les tribunaux d’adapter le droit aux changements sociaux”.

” Art. 523 C.c.Q.
14 Art. 524 C.c.Q.
15 M. Ouellette, Dmit de lafamille, 3′ &l., Montral, Thlmis, 1995 4 lap. 59.
26 Voir Droit de la famille –

1217, [1989] R1D.F. 9 (C.S.). Dans cette affaire, la mre, lors de
l’accouchement, a d6clar6 que son man 6tait le pare de l’enfant A l’acte de naissance. Celui-ci, m~me
apr~s le divorce des parties, lorsque l’enfant a 3 ans, continue A Ie traiter comme le sien. Or Ie premier
conjoint de fait de la mare post-divorce (celle-ci vivant avec un autre conjoint au moment de
l’audition, que l’enfant appelle 6galement papa) revendique la patemit6 invoquant le fait qu’il aurait
eu des relations sexuelles avec la mire pendant la p6riode de ]a conception, cc qu’elle nie. Le tribunal
rejette cette requate, considdrant qu’il y a concordance entre le titre et la possession d’6tat en faveur
de l’ex-mari.

MCGILL LAW JOURNAL! REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 45

II est int&essant de noter que les tribunaux qu6b6cois, usant de cette discrdtion,
ont dfjh statu6 que le profil g6n6tique d’un enfant ne doit pas 8tre retenu en tant
qu’616ment rnis en preuve pour 6tablir la possession constante d’6tae’. Notons que
cette d~cision affiche une volont6 du tribunal de ne pas faire primer la v6rit6 biologi-
que sur la r6alit6 psychosociale de 1’enfant, ce qui sera abord6 plus amplement ult6-
rieurement.

3. La pr~somption de patemitd

MaIgr6 1’abolition des notions d’enfant lgitime on naturel dans la loi qu6b6coise,
la prdsomption de paternit6 est maintenue dans le Code civil du Quibec. Ainsi,
1’enfant n6 pendant le mariage on dans les trois cents jours de sa dissolution ou de son
annulation sera pr6sum6 avoir pour pare le ma de sa more”. Toutefois, si durant cette
p6riode la more s’est remarida, le nouveau man sera alors le pore pr~sum6.

Alors qu’il s’agissait anciennement d’une pr6somption absolue et irrdfragable,
depuis la r6forme du Code civil du Quebec la prdsomption de paternit6 est d6sormais
r6futable. Elle pourra par cons6quent 8tre renvers~e sous reserve, bien entendu, des
limites A la preuve. Devrions-nous voir lh une ouverture quant A la rdalit6 biologique
ou s’agit-il tout simplement d’une adaptation A une nouvelle rdalit6 sociale ?

4. La reconnaissance volontaire

A dafaut d’une filiation 6tablie par le biais des moyens expos6s ci-haut, la filiation
pourra 6tre 6tablie par la reconnaissance volontaire de l’enfant par le parent concer-
n6. La reconnaissance de patemit6 rdsulte tout simplement de la daclaration d’un
homme qu’il est le pore de l’enfante et ne lie que son auteur”. Notons que l’on ne peut
contredire par la seule reconnaissance volontaire une filiation ddjA 6tablie et non in-
firm6e en justice”. Ainsi, il s’agit du dernier moyen de preuve auquel on aura recours
pour dtablir la fiHiation, filiation qui ne sera pas toujours representative de la r~alit6
biologique 6tant donn6 qu’un parent > pourra reconnaitre sa patemitd.

B. Actions en rdclamation etlou contestation d’tat

Au Qu6bec, la filiation s’6tablitjudiciairement par le biais de deux recours, soit la
r6clamation d’dtat et la contestation d’6tat2 . Ainsi, lorsque la filation a d~jh 6t6 6tablie
de fagon extra-judiciare (par l’un des moyens exposds ci-haut), la contestation de

Droit de lafamille – 989, [1991] RJ.Q. 1343 aux pp. 1354-55 (C.S.).
” Art. 525, al. I C.c.Q.
‘ Art. 526 C.c.Q.
21 Art. 528 C.c.Q.
22Art. 529 C.c.Q.
n Art. 530 et s. C.c.Q.

Art. 527, a. 2 C.c.Q.

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A. OBADIA – L’INcIDENcE DES TESTS D’ADN

cette filiation pourra se faire, par le biais d’une action en contestation, par la mare de
l’enfant ou par toute personne intdressde. Elle pourra 6galement se faire par le pre
prdsum6, et dans ce cas, il s’agira d’une action en dasaveu.

Toutefois, lorsque la filiation n’est pas 6tablie, le recours appropri6 sera

‘action
en rdclamation de filiation, laquelle pourra 6galement atre jointe A une action en con-
testation lorsque la filiation est d6jA 6tablie par l’acte de naissance, la possession
constante d’6tat ou encore la prdsomption de paternit6e.

C. Les limites A la preuve de filiation
Certaines r~gles viennent toutefois limiter la preuve prdsentde dans le cadre d’une
action en filiation. Ainsi en va-t-il de la concordance entre l’acte de naissance et la
possession constante d’6tat (1), de la prescription (2), de la limite 4 la preuve testimo-
niale (3) et enfin des r~gles relatives A la procrdation m~dicalement assistde (4).

1. Concordance entre titre et possession d’6tat

Le premier obstacle a la preuve de filiation survient Iorsque 1’enfant a un titre et
une possession d’dtat qui concordent. La loi prdvoit alors que la filiation de cet enfant
ne pourra en aucun cas 6tre contestde , crdant ainsi une prdsomption absolue et im-
muable.

Par conscquent, aucune preuve, quelle qu’en soit sa nature ou sa force probante,
ne pourra 8tre admise pour contredire une telle filiation, et ce, meme s’il s’agit d’une
preuve gdn6tique. Ainsi, les tribunaux refusent de fagon constante de modifier la filia-
tion d’un enfant possddant un titre et une possession d’6tat qui concordent et rejettent
toute preuve d’ADN susceptible de contredire une telle filiation malgr6 le fait que
cette preuve soit reprdsentative de la v6drit biologique”, et ce, au nom du principe de
la paix dans les families et de la stabilit6 du lien de filiation.

2. La prescription

Le second 616ment susceptible de faire obstacle au recours judiciaire en matire
de filiation est la prescription qui devra atre respect~e comme dans toute autre matire
civile. Ainsi, le 16gislateur qu6b6cois a 6dict6 une courte prescription d’un an pour
l’action, par le p~re prdsum6, en contestation de filiation7. Ce d6lai commence A cou-

Art. 531 C.c.Q.
Art. 532 C.c.Q.
Art. 530 C.c.Q.

2s Bernard et Choquette, supra note 9 lap. 365.
9 Art. 53 1, al. 2 C.c.Q.

27Dmit de lafamille- 989, supra note 17 ; Dmit de lafamile – 2552, [1996] R.D.F. 889 (C.S.);
Dmit de la famille – 1217, supra note 16 ; Dmit de la famille – 2579, [1997] IRD.F 94 (C.S.);
Droit de lafamille -3184

[1999] R.D.F 176 (C.S.).

MCGILL LAW JOURNAL/ REVUE DE DROIT DE MCGILL

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rir A compter du jour oti la prdsomption de paternit6 prend effet A moins que le pire
pr6sum6 n’ait pas eu connaissance de l’enfant, auquel cas le d6lai commence A courir
au moment de cette connaissance. La mire qui veut contester la patemit6 du p~re pr6-
sum6 doit elle aussi le faire dans l’ann~e qui suit la naissance de l’enfant. Quant aux
autres recours en filiation, la prescription est de trente ans?.

3. Preuve par t~moignage

Le Idgislateur a pr6vu que :’, 61iminant ainsi certaines limites k la preuve qui existaient anciennement,
notamment celles ayant trait au renversement de la pr~somption de patemite3 . II n’en
demeure pas moins que la preuve par tdmoignage se voit imposer certaines condi-
tions.

En effet, la preuve par t~moignage sera admise A condition qu’il y ait un com-
mencement de preuve ou encore des pr6somptions ou des indices graves rdsultant de
faits d6jh clairement 6tablis 3. Ces conditions ne seront toutefois pas applicables au d6-
fendeur h une action en filiation’ ou encore aux parties dans une action visant 5. ren-
verser une prdsomption de patemite5 , pas plus qu’au demandeur dans une action en
contestation de patenite’.

Notons que le t6moignage de l’expert en g6n6tique pourra atre introduit par le
biais du d6p6t de son rapport sur le profil g~n6tique. De plus, le refus d’une partie de
se soumettre
un test d’ADN pourra, dans certains cas, constituer un indice grave,
donnant ouverture A la preuve testimoniale”.

4. La procr6ation m6dicalement assist6e

Un obstacle additionnel A la preuve en mati~re de filiation se retrouve dans
1interdiction de contester ou de r6clamer la filiation d’un enfant n6 d’une procrdation
mdlicalement assiste&. Ainsi, la procrdation m6dicalement assist6e ne crde aucun
lien juridique de filiation” et entrainera le rejet par les tribunaux de tout recours visant
A la faire reconnaitre. Ceci semble t6moigner d’une intention claire de ne pas privil6-

“Art. 533 C.c.Q.

Art. 536, al. 1 C.c.Q.
Art. 219 et s. C.c.B.-C.
Art. 533 C.c.Q.
Art. 535, al. 1 C.c.Q.
” Art. 535, al. 2 C.c.Q.
6Bernard et Choquette, supra note 9 A lap. 366.
” Droit de lafamille – 1059, [1990] R.D.F. 385 (C.A.) ; Droit de lafamille – 1859, [1993] RJ.Q.

2302 (C.A.) ; Droitde lafamille -2192,

[1995] R.D.E 196 (C.A.).

“Art. 539, al. I C.c.Q.

Art. 538 C.c.Q.

2000]

A. OBADIA – L’INCIODENCE DES TESTS D’ADN

gier la rdalit biologique mais, au contaire, de protdger la stabilit6 du milieu de
I’enfant et sa relation avec ses parents 16gaux, qu’ils soient ou non ses g6niteurs.

La loi prcvoit cependant une exception qui prendra effet lorsque l’enfant nalt
d’une telle mdthode, durant le mariage, alors que le man n’a pas consenti A la pro-
crdation m6dicalement assistde. Dans ce cas, ce dernier pourra contester la filiation et
ainsi ddsavouer l’enfant’ . Nous pouvons en dcduire, a contrario, que lorsque le marl
y aura consenti, une prdsomption absolue de patemit6 sera cr66e A son 6gard,
nonobstant tout d6lai de prescription, a moins 6videmment qu’il ne prouve que la
grossesse ne rdsulte pas de la procrdation m~dicalement assist.e mais plutrt de
l’adult~re, auquel cas les r~gles de l’action en dasaveu s’appliqueront.

Mais qu’en est-il des conjoints de fait? Notre Code civil ne leur reconnaissant an-
cun droit, la prdsomption de patemit6 ne sera pas opposable au conjoint de fait qui au-
ra consenti a la procrdation mddicalement assistde. Toutefois, si ce dernier a consenti
et refuse par la suite de reconnaitre ‘enfant, il engagera sa responsabilit6 tant envers
la more qu’envers l’enfant”‘ ; il sera alors possible de les indemniser par le biais de
dommages-intr&s’ 2 . Prdcisons cependant que le conjoint de fait ne sera soumis A au-
cune obligation 16gale, qu’elle soit alimentaire ou autre, vis-a-vis de cet enfant. Les
tribunaux qu~brcois n’ont pas encore eu l’occasion de statuer sur la question ; toute-
fois, nous retrouvons dans la jurisprudence des provinces de common law des daci-
sions rejetant les recours de maris ayant consenti A une procrdation mddicalement as-
sistde et qui, suite A une srparation, demandaient le ddsaveu”.

D. Uintr~t de I’enfant

L’intdrat de ‘enfant est un 6l6ment primordial dans la prise de toute dacision sus-
ceptible de ‘affecter. Au Qudbec, depuis la rcforme du Code civil de 1980, l’intdrat
de ‘enfant et le respect de ses droits ont prdsdance dans toutes les d6cisions qui le
concement”. Ce m6me principe se retrouve sur le plan international dans la Conven-
tion internationale relative aux droits de l’enfant”.

Seront pris en considdration dans l’6valuation de l’intdr~t de l’enfant ses besoins
moraux, intellectuels, affectifs et physiques, son age, sa sant6, son caract~re, son mi-
lieu familial ainsi que les autres aspects de sa situation’. D’autres critares pourront
6galement entrer en compte, tels les enjeux financiers, l’information m6dicale (in-

“a Art. 539, al. 2 C.c.Q.
4Art 540 C.c.Q.
42 Quebec, Ministbre de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice, t. 1, Quebec, Publica-

tions du Qutbec, 1993 A lap. 326.
4 Z(M.J.) c. Z-R.(A.M.) (1995), 53 A.C.W.S. 95 (Div. grn. Ont.) [ci-aprs Z (M.J.)]; L c. L
(1994), 114 D.L.R. (4′) 709 (Div. grn. Ont).

“Art. 33, al. I C.c.Q., anciennement art. 30, al. 1 C.c.B.-C.
“Rds. AG 44/25, Doc. off. AG NU, 44! sess., supp. n 49, Doc. NU A/44/49 (1989) 167 aux art. 2-3.
46 Art. 33, al. 2 C.c.Q.

MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 45

cluant les risques de maladie gdnrtique), le sain ddveloppement psychologique et so-
ciologique de l’enfant, 1’effet de l’6tablissement du lien de filiation on encore le be-
soin de continuitd dans ses relations. Par ailleurs, lorsque l’age et le discemement de
l’enfant le permettent, le tribunal devra lui donner la possibilit6 d’6tre entendu” dans
la mesure, bien 6videmment, oii il en va de son intdr~t.

II. Incidence de [a preuve d’ADN sur le droit de la filiation

Les r~gles grn~rales d’6tablissement de la filiation ayant 6t6 expos~es, nous en-
treprendrons A prdsent une analyse de l’incidence des nouvelles
techniques
d’identification par empreinte g6nrtique sur ces r~gles. Pour ce faire, nous nous ques-
tionnerons sur la fagon dont le droit qurbecois de la filiation traite les tests d’ADN
(A), pour ensuite nous pencher sur l’application des rfgles grnrrales de la preuve sur
ces tests, en examinant leur admissibilit6 dans le cadre d’un proc s (B), examiner les
probl~mes 6thiques et juridiques auxquels ils se heurtent (C), et finalement, analyser
la dualit6 existant entre la v&it6 biologique et la rdalit6 psychosociale A la lumi~re du
meilleur intdr& de l’enfant (D).

A. Le traitement de la preuve d’ADN par les difftrents systames de

droit

L’accueil que le droit rdserve a la preuve d’ADN est fonction de deux 61ments, h
savoir la place que lui accorde un syst me de droit (1), ainsi que le pouvoir qui est
donn6 au juge d’ordonner de tels tests (2).

1. Place de la preuve d’ADN dans les systbmes de droit

Malgr6 l’av~nement et la reconnaissance scientifique des tests d’ADN qui ont
pour effet de mettre fin A l’incertitude quant h la patemit6 biologique, ce nouveau
moyen de preuve ne se voit pas accorder une place de choix au Qudbec (a). Un survol
de diffdrents rdgimes de droit nous rdv~le que cette position ne fait pas l’unanimit6
(b).

a. Au Qu6bec

Bien que la preuve en droit de la filiation puisse thdoriquement se faire par tous
les moyens, le 16gislateur ne fait aucune mention sprcifique des tests d’ADN dans le
Code civil du Qudbec, et ce, malgr6 qu’il en ait eu l’opportunit6 lors de la rdforme de
1991 qui entra en vigueur le l’janvier 1994.

” Voir B.M. Knoppers, M.-A. Grimaud, C. Choquette et S. Le Bris, aLes tests g~nrtiques t des fins
d’identification>> dans Institut suisse de droit compare, Analyse gintique hwnaine etprtection de la
personnalit’, Zurich, Schulthers Polygraphischer Verlag, 1994, 57 aux pp. 92-93.

” Art. 34 C.c.Q.

2000]

A. OBADIA – L’INCIDENCE DES TESTS D’ADN

En effet, lors de cette r6forme, la fiabilit6 des tests d’ADN 6tait d~jh largement re-
connue et rdpandue tant aupr~s des communaut6s scientifiques que juridiques. De
plus, leur utilisation se faisait de plus en plus fr~quente en matire de filiation, dans un
contexte judiciaire comme extra-judiciaire. Pourtant, le 16gislateur quebcois semble
avoir choisi d’exclure ce moyen de preuve en droit de la filiation. En effet, son ab-
sence ne constitue assur6ment pas un oubli, mais la volont6 6vidente du l~gislateur de
donner prsance h la rdalit socio-affective plut6t qu’h la v~rit6 biologique.

Certaines disposititons du Code civil du Quibec semblent cependant favoriser la

vdrit6 biologique et donc les tests d’ADN. Tel est le cas de la prescription trentennaire
qui rdgit l’6tablissement de la filiation, ainsi que de Particle 533 C.c.Q. qui permet
d’introduire tout moyen de preuve pour 6tablir la filiation. II en va de meme de la dis-
parition, lors de la r6forme du Code civil de 1991, du caract~re absolu et irrefutable de
la prdsomption de patemit6 existant h l’encontre du man de la mere. Par ailleurs, le
titre de <> qui fut donn6 aux dispositions traitant de la filiation
dans le Code civil lors de la r6forme de 1980 peut 6galement porter A confusion. Tou-
tefois, l’6tude de l’ensemble des dispositions du Code civil rdv~le au contraire tine r6-
ticence manifeste du 16gislateur face 4 ces nouvelles technologies, ce demier accor-
dant une place privil~gi~e a la r6alit6 socio-affective.

La prdsomption irrefragable qui existe lorsque la filiation est 6tablie par un titre et
une possession constante d’6tat concordants” en est la premi~re manifestation. En ef-
fet, m~me pas un test d’ADN, atssi fiable qu’il puisse etre, ne pourra 8tre admissible
pour contester une telle filiation. Cette r~gle sots-tend une volont6 de sauvegarder la
stabilit6 du milieu de l’enfant et la paix dans les familles qui sont considanies comme
6tant du meilleur int&rt de ‘enfant, et ce, que la prdsomption de filiation refl~te ou
non la vdrit6 biologique.

Par ailleurs, les dispositions relatives A la procr6ation mdicalement assistde
constituent un autre indice de la place qu’accorde le l6gislateur aux tests gn6tiques.
En effet, il est interdit de rclamer ou de contester la filiation d’un enfant issu d’une
procr6ation midicalement assistde ‘ , de sorte que la vdrit6 biologique se voit ni6e de-
vant des enjeux sup~rieurs, soit la stabilit6 du milieu de l’enfant et la paix dans les
families.

Les dispositions relatives

la prdsomption de patemite’ semblent rdv6ler un obs-
tacle additionnel a la v&it6 biologique, et ce, malgr6 qu’il ne s’agisse plus d’une pr6-
somption irr6fragable ‘ . En effet, l’abolition du caract~re irrdfragable de cette pr6-
somption pourrait 8tre vue comme une ouverture a la preuve biologique. Toutefois,
rappelons que lorsque 1’enfant aura 6t6 61ev6 et trait6 par le mad comme le sien et que
l’acte de naissance attestera cette rdalit6 socio-affective, celle-ci pr6vaudra. Ainsi, si

4″ Art. 530 C.c.Q.

Art. 538 et s. C.c.Q.
S Art. 525 et s. C.c.Q.
2 Bernard et Choquette, supra note 9 A la p. 365.

MCGLL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGLL

[Vol. 45

ouverture il y a quant A la v~rit6 biologique, elle se voit massivement contr6e par des
dispositions t~moignant ultimement d’une volont6 du lgislateur de sauvegarder la
r6alit6 psychosociale. Cette r~alit6 triomphera sur la vrit6 biologique et permettra
d’6viter une utilisation automatique des tests d’ADN en matire de filiation, et ce,
dans le meilleur int&t de l’enfant.

b. Droit comparM

En Europe continentale, deux systemes juridiques pr6valent en droit de la filia-
tion. II s’agit, d’une part, du systhme de source germanique et, d’autre part, du sys-
tame de tradition romaniste, dcoulant du droit frangais. Ce derier, dont le droit qu6-
b~cois s’inspire, est fond6 sur le principe de la reconnaissance volontaire de la filia-
tion ‘. Quant au syst~me germanique, il se d6marque notablement de la pense roma-
niste dans la mesure oih sa philosophie est base sur le principe de la descendance.
Dans cette perspective, le lien de sang joue un r61e primordial darsm la d6termination
judiciaire du lien de filiation.

C’est ainsi qu’en droit allemand la v6it6 biologique primera sans &quivoque et k
tous 6gards, peu importe la rdalit6 sociale de l’enfant. Ainsi, la recherche de cette v6-
rit6 biologique est obligatoire pour le tribunal qui a le devoir d’en assurer
l’6tablissement A tout prix et par tous les moyens. C’est dans cet esprit que la loi im-
pose A la fenmne non mari6e qui accouche d’indiquer A l’acte de naissance le nom du
ou des p~res possibles de l’enfante.

Quant aux pays de tradition romaniste, tels que la France et la Belgique, oun con-
trepoids [est attach6] A la recherche de la v6rit6 objective par la prise en compte des
aspects subjectifs des r6alit6s vdcues> ‘. On accorde ainsi une place importante h la
r6alit6 psychosociale que vit l’enfant et, par ce fait meme, h la possession constante
d’6tat qui pourra supplanter la v6rit6 biologique. Toutefois, en ce qui conceme la
France, cette position semble 6tre pousse A I’extr~me dans la mesure oi la v6rit6
biologique y est presque totalement nie. En effet, on va m~me jusqu’h permettre aux
femmes d’accoucher <,
c’est-A-dire sans indiquer leur nom sur l’acte de
naissance de l’enfant. De plus, depuis janvier 1993, les actions en recherche de mater-
nit6 naturelle sont interdites lorsque la mere a demand6 le secret, et ce, au plus grand
m6pris de la Cour europenne des droits de l’homme7. Pour ce qui est de la recherche
de patemit6, des prdsomptions ou indices graves sont ntcessaires ?k l’ouverture d’une

SM.-T. Meulders-Klein, > dans Hennau-Hublet et Knoppers, supra note 9,397 A la p. 399.

I fbid. A ]a p. 401.
“Ibid. t la p. 402.

Une tradition du droit frangais, remontant A St-Vincent-de-Paul, permet ]a matemit6 secrete,
commun6ment appdl6e ctmaternit sous YX> (art. 341-1 Code civilfranfais Eci-apr;s C. civ.] ; art. 47
C. fam. et aide soc.).

” Marckx c. Belgique (1978), 31 Cour Eur. D.H. (S6r. A) 4 A lap. 21.

2000]

A. OBADIA – L’INCIDENCE DES TESTS D’ADN

proc6dure h cet effee. C’est ainsi que les 616ments de preuve relatifs h la possession
d’6tat jouent un r6le primordial”, nonobstant la vdrit6 biologique.

En ce qui concerne le droit beige, celui-ci se rapproche de fagon 6tonnante au
droit qudb6cois en matire de filiatione. En effet, bien que le droit civil beige tdmoi-
gne lui aussi d’une certaine ouverture face a la vdrit6 biologique, permettant notam-
ment h la preuve de la filiation de se faire par tous les moyens”, celle-ci se voit forte-
ment temp&6re. Ainsi, comme au Quebec, les tribunaux beiges rej~teront toute preuve
visant A modifier la filiation d’un enfant poss6dant un acte de naissance et une posses-
sion constante d’6tat qui concordent!.

Nous notons que les dispositions relatives a la pr6somption de paternit6 quant au
mad de la mare sont 6galement d’une grande similitude avec les dispositions qudb6-
coises’. II en va de mame des limites impos6es par la prescription, ainsi que de celles
qui d6coulent de la filiation issue d’une procr6ation m~dicalement assist6e”.

Tout comme au Qudbec, nous observons en Belgique un grand souci d’&tuilibre
entre la v6drit6 biologique et la r6alit6 psycho-affective. Ainsi, le droit beige tdmoigne
d’une certaine souplesse face A la preuve biologique en permettant que la preuve de la
filiation puisse se faire par tous les moyens. Cependant, il impose de nombreuses res-
trictions a cette preuve, similaires A celles que l’on retrouve en droit qu~b6cois, en ce
qui conceme la patemit6 dans le manage, la procrdation m&ticalement assist6e et la
concordance entre le titre et la possession d’6tat. Ces restrictions ont pour effet de fa-
voriser la r6alit6 psychosociale de l’enfant devant laquelle la vdrit6 biologique doit
c~der le pas.

Ainsi, une grande diffdrence iddologique s6pare les systames de tradition roma-
niste de ceux de tradition germanique dans leur traitement de la preuve par ADN et
done de la v6rit6 biologique. Notre analyse de l’ouverture des diffdrents systames de
droit face A la preuve d’ADN nous amane A nous pencher, a pr6sent, sur une de ses
consquences directes, soit le pouvoir qui est accord6 au juge d’ordonner de tels tests.

2. Pouvoir du juge d’ordonner un test d’ADN

Les diffdrents traitements que les syst6mes germanique et romaniste font de ]a v6-
rit6 biologique ont men6 les Idgislateurs A adopter des positions divergentes quant aux
pouvoirs qui sont accord6s au tribunal pour ordonner un test d’ADN. L’analyse de

N. Hustin-Denies, <> et lorsque la cour est d’avis
qu’elles n’auraient que pour effet de troubler Ia paix famiiliale, 6tant donn6 qu’elles
contreviennent A l’intdr& de l’enfant”.

“L.R.M. 1987, c. F20, art. 21.
L.R.O. 1990, c. C.12, art.10.
L.N.-B. 1980, c. C-2.1, art. 110.

“R.S.N.S. 1989, c. 160, art. 27.
R.S.P.E.I. 1988, c. C-6, art.10.
R.S.N. 1990, c. C-13, art 8.
“L.R.Y. 1986, c. 22, art 15.

Respectivement: S.A. 1991, c. 11, art. 69(1) ; S.A. 1990, c. P-0.7, art. 13.

“S.S. 1990-91, c. C-8.1, art. 48.

D.H. c. D.W. [1992] OJ. n 1737 (Div. g#n.), en ligne: QL (OJ) [ci-aprs D.H.]. S. c. M., (1994)
113 D.L.R. (4′) 443, 92 B.C.L.R. (2′) 265 (S.C.) ; Wncelli c. Lorenzetto [1993] B.CJ. n* 2011 (Prov.
Ct), en ligne : QL (BCJ) [ci-aprs Wncell] ; Gaudie c. Goudie [1993] B.CJ. n 1049 (S.C.), en ligne:
QL (BC) ; Schubert c. Cahoon Estate (1994), 120 D.L.R. (4′) 581,6 E.T.R. (2′) 197 (B.C. S.C.) ; ES.
c. C.H. (1994), 120 D.L.1R (4′) 432,22 C.C.L.T. (2′) 292 (Div. g6n. Ont.) [ci-apr~s ES.] ; voir aussi T.
Caufield, <(Patemity Testing in the Genetic Era> (1996) 17:1 Health L. Can. 19; C.C. (Guardian ad
litem oJ) c. YK.B. [1996] B.CJ. n 996 (S.C.), en ligne : QL (BC]) ; Epps c. Honyara [1998] B.CJ. n
2261 (Prov. Ct.), en ligne : QL (BC) [ci-aprs Epps] ; J.A. c. E.D.S. [1998] AJ. n7 451 (Q.B.), en li-
gne : QL (A) ; LM.S. c. R.H. [1996] B.CJ. n 2539 (Prov. CL (Fam. Div.)), en ligne : QL (BC) [ci-
aprs LM.S.] ; Schuh c. Schulzer (1998), 60 B.C.L.R. (3′) 295 ; 28 C.P.C. (4) 373 (S.C.) ; TN.T c.
J.S. (1998), 52 B.C.L.R. (3′) 352 (S.C.) [ci-aprs TN.T.].

“M.A.E. c. C.L (1993), 82 B.C.L.R. (2′) 11 (S.C.) [ci-aprzs MAE.] ; ce principe est 6galement

dnone6 dans les arrbts : LM.S., ibid. et TN.T, ibid.

20001

A. OBADIA – L’INCIDENCE DES TESTS D’ADN

Aux ttats-Unis, la majorit6 des ttats sont 6galement munis de dispositions per-
mettant aux tribunaux d’ordonner certains tests dans le cadre de proc&lures visant
l’6tablissement du lien de filiation. Ainsi, ces lois 6tatiques contiennent des disposi-
tions prdvoyant sp6cifiquement le pouvoir du tribunal d’ordonner A la m~re, a l’enfant
ou au pare pr6tendu de se soumettre t des tests gdn~tiques afin d’ tablir la paternit”.
Certaines de ces lois vont jusqu’h crier une obligation pour le tribunal d’ordonner un
test g6n6tique lorsqu’il est saisi d’une requ&e A cet effet’.

ii. UEurope

La Belgique, bien que dot~e d’une lgislation tr~s similaire a celle qui r~git le
Qu6bec en mati~re de filiation, se distingue toutefois de fagon notable A ce chapitre.
En effet, le Code civil beige permet au tribunal d’ordonner, m~me d’office, un test
sanguin ou tout autre test selon des m~thodes scientifiquement 6prouv6es”. Un pou-
voir similaire est 6galement accord6 aux tribunaux du Royaume-Uni en vertu du Fa-
mily Law Reform Act 1969″.

En ce qui concerne la France, toute mesure d’instruction incluant un test sanguin
ou toute autre m6thode m~dicale certaine peut 8tre ordonn6e par le tribunal’. La de-
mande peut 6tre faite par le mar 9′, par la mere ou l’enfante, par le prtendu p&e9′ ou
enfin par le d6fendeur dans une requite pour pension alimentaire (action h fins de
subsides) ‘ . Le tribunal peut 6galement ordonner d’office le test g6n6tique afin
d’6tablir la patenit69 . Toutefois, malgr6 que ce pouvoir soit discr6tionnaire, le juge ne
peut refuser d’accder A une demande d’expertise faite en vertu des articles 430-31 et
342-44 du Code civil frangais, qui seront invoqu~s respectivement par le p~re prten-

‘6Aa. Code 26-17-12 ; Kan. Stat. 38-1118 ; NJ. Stat. 9:17-48 ; Ohio Rev. Code 3111.22 ;
R.I. Gen. Laws 15-8-11 Wash. Rev. Code 26.26.100 ; Me. Rev. Stat. tit. 19-A, 1558 ; Ark.
Code 9-10-108 ; Conn. Gen. Stat. 46b-168 ; Ga. Code Ann. 19-7-43, 19-7-45 et 19-7-46 ; Ind.
Code 31-14-16-1 ; Mich. Comp. Laws 722.716 ; Mont. Code Ann. 40-5-201,40-6-113 et 46-6-
112 ; N.H. Rev. Stat. Ann. 522:1; Colo. Rev. Stat. 13-25-126 ; Haw. Rev. Stat. 584-11 ; N.M.
Stat. Ann. 40-11-12; N.D. Cent. Code 14-17-10 ; Wyo. Stat. 14-2-109 ; Miss. Code 93-9-21;
Ky. Rev. Stat. 406.081.

” Colo. Rev. Stat. 13-25-126; Haw. Rev. Stat. 584-11 ; N.M. Stat. Ann. 40-11-12; N.D. Cent.
Code 14-17-10 ; Wyo. Stat. 14-2-109 ; Miss. Code 93-9-21 ; Ky. Rev. Stat. 406.081 ; Me. Rev.
Stat. tit. 19-A, 1558 ; R.I. Gen. Laws 15-8-11 ; en Alabama : Alabama ex Re- Goodno c. Cobb,
567 So.2d 376 (Ala. Civ. App. 1990).

u Art. 33 locties Code civil belge.

(R.-U.), 1969, c. 46, art. 20.
‘0 Art. 143-44 N.C. proc. civ.
” Art. 313-2 C. civ. ; Cass. civ. 1, 18 mars 1981, Bull. civ. 1984.1.79, n7 94 ; D. 1982.Inf.254 (note
D. Huet-Weiller) et Trib. gr. inst. Paris, 24 janvier 1983, D. 1983.Inf.327 (1′ esp.) (note D. Huet-
Weiller).

Art. 340 C. civ. ; Cass. civ. 1, 29juin 1965, D. 1966Jur.20 (note A. Rouast).

9′ Art. 340-1 C. civ. ; Cass. civ. 1″, 18 octobre 1989, D. 1990Jur.145 (note A. B6nabent).
94Art. 342-4 C. civ.
9′ Cass. civ. 1′, 14 f6vrier 1990, Bull. civ. 1990.1.34, nd 46, D. 1990.690, obs. Massip.

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGLL

[Vol. 45

du et dans le cadre d’une action pour fins de subsides. Ce principe se justifie dans la
mesure ofi l’expertise constituera une fin de non-recevoir dans ces deux cas particu-
liers”.

Ainsi, nous constatons que le Qu6bec se d6marque dans ce domaine en adoptant
une attitude tr~s conservatrice relativement A l’ordonnance de tests d’identification en
mati~re de filiation. Cette prise de position d6coule d’un souci ormnipresent de protec-
tion des droits et libertds fondamentaux de la personne. Notons que ces droits sont
interpr6t6s, en mati~re familiale, A la lumire du critare du meilleur int6rt de l’enfant
qui doit primer dans toute d6cision qui le conceme?.

B. Admissibilit6 au procms de la preuve d’ADN

En plus des limites A la preuve d6jh 6tudi~es, la preuve d’ADN doit respecter
certaines r~gles pour 8tre admissible dans le cadre d’un procs. En effet, il devra, dans
un premier temps, 8tre mis en preuve qu’elle r6pond 4 certains critares afin 8tre rece-
vable (1) ; dans un second temps, sa force probante devra 6tre 6tablie (2).

1. Recevabilit6 de [a preuve d’ADN

En rfgle g6nrale, pour 8tre recevable, la preuve d’ADN doit, comme toute autre
preuve soumise dans le cadre d’un procs, atre flable (a), utile (b) et avoir 6t6 obtenue
l6galement (c).

a. Fiabilit6 de la technique

Trois crit~res sont g6n6alement utilis6s pour d6terminer la fiabilit6 d’une preuve
scientifique, A savoir, la validit6 du principe fondamental qui sous-tend la preuve,
l’efficacit6 de la technique exposant la preuve et l’application convenable de cette
technique A la cause en litige!’. Malgr6 l’utilisation relativement r6cente du proffil g6-
n6tique en mati~re de filiation, cette m6thode 6tait d6jh amplement utilis6e, depuis de
nombreuses ann6es, dans les domaines de la recherche fondamentale et de la g6n6ti-

Cass. civ. 1, 21 juillet 1987, Bull. civ. 1987.1.179, n’ 245 ; Cass. civ. 1′, 18 octobre 1989, D.

1990.Jur.145 (note A. B6nabent).

Art. 33 C.c.Q.
Au Canada, voirR. c. Wray, [1971] R.C.S. 272, 11 D.L.R. (3′) 673 ; aux ttats-Unis, certaines lois
ont adopt6 le test de l’arrt Frye c. United States 293 F 1013 (D.C. Cir. 1923) drnongant que ]a preuve
bas6e sur une nouvelle technique scientifique ne doit 6tre recevable que s’il y a acceptation gdn6rale
des rdsultats de l’expert par ]a communaut6 scientifique t laquelle il appartient (A cet effet, voir P.C.
Giannelli, The Admissibility of Novel Scientific Evidence: Frye v. United States, a Half Century
Later
(1980) 80 Colum. L. Rev. 1197) ; tandis que d’autres lois ont adopt6 la rgle de la pertinence
(telle que stipulde dans la r~gle 401 des Federal Rules of Evidence).

2000]

A. OBADIA – L’INCIDENcE DES TESTS D’ADN

que de population7. Ainsi, le profil g6n6tique a fait ses preuves auprs du monde
scientifique avant d’6tre transpos6 dans le monde juridique.

On peut dire que le fondement scientifique du profil g6ndtique ainsi que la tech-
nique usuelle le produisant sont tr s peu contestds par les milieux tant scientifique que
juridique”. Cependant, la controverse r~gne en ce qui conceme l’application conve-
nable de la technique permettant de visualiser le profil g6ntique ainsi que son inter-
prdtation. En effet :

La rigueur du protocole lors des tests gdndtiques comme le choix des sondes
utills6es ou de renzyme de restriction peuvent biaiser les rdsultats, s’ils ne sont
pas excutds minutieusement. Des dangers de contamination et des probl~mes
techniques tels que le ddplacement des bandes ne sont pas ngligeables. De
plus, l’erreur humaine est omniprdsente […]. Les rdsultats obtenus peuvent Etre
ambigus et difficiles h interprter pour une personne manquant d’exp&ience ou
d’objectivit& Les probabilitds appuyant les rdsultats doivent tenir compte des
risques de mutation et de la frquence des allbles dans les diffdrentes popula-
tions. Les tests d’ADN exigent donc une expertise mdticuleuse et responsable
ainsi qu’un protocole strict et complee 1.

L’apprdciation de la fiabilit6 de cette preuve par empreinte g6ndtique demeure toute-
fois sujette A la discr6tion des tribunaux en fonction des exigences 61abordes par les
divers systbmes de droit, tel qu’en fait dtat la prdsente partie.

i. Au Canada

On peut affirmer qu’au Canada, en r~gle gdndrale, les tribunaux admettent
d’office la preuve d’ADN sans questionner la fiabilitd du test. En effet, on ne peut re-
lever qu’une seule occasion, soit l’affaire Kotyk c. Jackson”, dans le cadre de laquelle
la dafense a soulevd l’irrecevabilit6 d’un test d’idenfication gdntique. Le test d’ADN
concluait A la patemitd du ddfendeur sans prdciser cependant le degrd de probabilitd ni
le nombre de sondes utilisdes pour le profil g6ntique. Ainsi, compte tenu des ambi-
gu’tds et lacunes du rapport, le tribunal daclara que le test d’ADN ne permettait pas de
conclure A la paternit6 du dafendeur.

Au Qubec, une analyse de la jurisprudence rpertorie r6vble que les rdsultats
des expertises sanguines ou gdn6tiques soumis en matibre familiale lors d’un proc~s
ne sontjamais questionnds en dafense quant A leur fiabilit6, pas plus qu’ils ne le sont
quant A l’expertise du laboratoire les ayant produits ou encore quant 4 la comp6tence

K.M. Summers, >, (1987) 14

Ann. Hum. Bio. 203.

“0 R.J. Richards, (,DNA Fingerprinting and Paternity Testing>> (1989) 22 U.C. Davis L. Rev. 609 a
lap. 633 ; E.D. Shapiro, S. Reifler, et C.L. Psome, (1992-93) 7 J. L. & Health 1 A lap. 38.

Bernard et Choquette, supra note 9 h lap. 377.

10(1991), 96 Sask. R. (2′) 175 (Prov. CL).

MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGLL

[Vol. 45

de l’expert dans l’interprdtation des rdsultats”. Ainsi, ces rcsultats sont accept~s par le
defendeur soit de fagon explicite'” ou, plus souvent, de faqon implicite'”.

Cependant, cette confiance aveugle que l’on porte aux tests d’ADN peut mener a

des injustices, comme le font remarquer certains auteurs :

[L]orsque des tests scientifiques sont en cause, les tribunaux, qui sont habi-
tuellement tits vigilants A l’dgard des risques de violations de droits et libert~s
fondamentaux, manquent souvent de rigueurjuridique face ii 1’6valuation de la
fiabilit6 de la technologie m~me. II ne faudrait pas que ce traitement distinct
d6econsidere I’administration de lajustice’ .

ii. Droit compar6

Aux ttats-Unis, l’attitude des tribunaux est semblable A celle que l’on constate au
Canada dans la mesure oil la fiabilit6 du test d’ADN est rarement questiornme. La
premiere utilisation du test g6n6tique en mati~re de filiation remonte h l’affaire Re
Baby Girl S.” dans laquelle le tribunal admit le test sans examiner son exactitude,
malgr6 le d6saccord d’un expert scientifique'”. Par Ia suite, dans l’affaire King c. Tan-
ner”, le tribunal admit la preuve d’ADN en se basant uniquement sur I’arret Re Baby
Girl S.”‘, sans questionnement additionnel”‘.

Le droit beige, quant A lIi, impose au juge d’appr6cier, en vertu de son et de son exp6rience professionnelle, la fiabilit6 et la validit6 de la
preuve scientifique, A charge pour lui de s’informer addquatement. Ainsi, la partie qui
requiert l’expertise n’aura pas, th6oriquement, le fardean de preuve A cet dgard!”. On
constate cependant en Belgique, tout comme au Qu6bec, une foi aveugle des tribu-
naux dans la preuve scientifique qui est souvent admise d’office'”.

En France, la jurisprudence a d6fini le concept de <'m6thode mdicalement cer- taine>> comme 6tant toute m6thode dont les conclusions scientifiques sont de nature Al

‘O’Droit de lafamille – 2219, [1995] R.D.F 432 (C.S.) conf. par. [1996] RJ.Q. 552 (C.A.) ; Droit
de lafamille – 1859, supra note 37 ; Droit de lafamille- 2530, [1996] R.D.. 913 (C.S.) ; Droit de
lafamille – 2552, supra note 27 ; Droit de lafamille – 2796, supra note 68.

‘0’ S. c. S., [1973] C.S. 530. Dans cette affaire ‘avocat de la ddfense a accept6 ‘expertise s&ologi-
ne permettait que de ‘exclure et non de

que concluant A la paternit6 alors que le type de test utilis6
l’inclure.

‘0 Droit de lafamille – 2219, supra note 103 ; Droit de lafamille- 989, supra note 17 ; Droit de

lafamille- 2530, supra note 103.

Bernard et Choquette, supra note 9 aux pp. 37 8-79 .

,07 140 Misc.2d 299,532 N.Y.S.2d 634 (Sup. Ct. 1988) [ci-apr~s Re Baby Girl S.].
‘”Sur le sujet voir: D.L. Burk, (DNA Identification: Possibilities and Pitfalls Revisited

(1990) 31

Jurimetrics 53 h la p. 73.

‘w 142 Misc.2d. 1004,539 N.YS.2d 617 (Sup. Ct. 1989).
“o Supra note 107.
.’ Voir dgalement: Re Paternity of J.LK., 151 Wis.2d 566,445 N.W.2d 673 (Ct. App. 1989).
.. Hustin-Denies, supra note 60 aux pp. 306-07.
” Ibid. aux pp. 314-15.

2000]

A. OBADIA – L’INCIDENCE DES TESTS D’ADN

exclure, A elles seules, toute possibilit6 de paternit6 du p~re prdtendu, avec une certi-
tude absolue>”‘. La notion de <> n’est toutefois pas pr&cise.

En Allemagne et en Suisse, on utilise le critare scientifique de <> pour juger de la fiabilit6 d’une technique. Celui-ci est d6fini dans
la mesure oti l’on exige, pour qu’il soit rencontr6, un pourcentage de probabilit6 de
99,73%, pourcentage qu’il est possible d’atteindre et meme de d6passer avec une
preuve d’ADN”‘ .

b. Utilit

En plus d’atre fiable, la preuve d’ADN, comme toute autre expertise, doit 8tre
utile ou pertinente. Mine Hustin-Denies propose une d6finition int6ressante de ce cri-
tere :

[Dle fagon plus explicite, ue expertise est utile A la solution d’un litige, d’une
part, lorsque les 616ments de fait qu’elle confirme ou explique constituent une
base solide et pertinente, permettant au magistrat de se prononcer sur le fon-
dement de ]a demande, on, d’autre part, lorsque ]a conviction du juge n’a pu
6tre emport6e par d’autres moyens de preuve, moins chers et plus rapides,
d’ores et djt 6voqu~s devant lui”6.

Ainsi, le tribunal aura discrdtion pour appr6cier, selon les circonstances de la cause et
la preuve d6jA sounise, l’utilit6 de l’expertise, et ce, toujours b la lumi~re du droit
qu’ont les parties de prouver les faits qu’elles all~guent.

i. Au Qu6bec

Les tribunaux qu6b6cois, fid~les guardiens des droits et libert6s fondamentaux de
la personne et de l’intdr& de l’enfant en mati~re familiale, exigent que les tests
d’ADN soient utiles dans le cadre d’une action en filiation. Il pourrait sembler que la
preuve d’ADN soit toujours utile en mati~re de filiation de par la nature m~me de
1’action qui vise la d6couverte de la patemit6. Cependant, tel n’est pas toujours le cas.
En effet, elle ne le sera pas, par exemple, lorsque la filiation n’est pas contest6e par
l’autre partie, ou encore lorsqu’elle a d6ja 6t6 prouv6e A la satisfaction du tribunal par
le biais d’autres moyens de preuve.

Ainsi, dans l’affaire Droit de lafamille –

2796″‘, le demandeur intentait une ac-
tion en r6clamnation de paternit6 et demandait au tribunal d’ordonner que l’enfant se
soumette a un test d’ADN. Voici ce qu’en dit le tribunal:

Dans l’affaire sous 6tude, les circonstances ne justifient pas l’application de la
preuve d’ADN. La mare reconnait la patemit6 du p~e. Celui-ci affine l’8tre.

“4 Cass. civ. 1=, 19 novembre 1991, n 317 a lap. 207.
“5 Meulders-Klein, supra note 53 A lap. 409.
116 Hustin-Denies. supra note 60 aux pp. 307-08.
1,7 Supra note 68 A la p. 2838.

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[Vol. 45

II alI~gue au surplus des prsomptions graves, pracises et concordantes. Ce tri-
bunal ne croit pas alors qu’il faille rompre le principe de l’inviolabilit6 de ]a
personne.
I[…]I

II emporte que la primaut6 du respect de l’int~grit6 soit pr6serv6e, que le test
d’ADN ne devienne pas un moyen de parfaire une preuve dans une r6clamation
de paternit6. Le demandeur peut 6tablir sa paternit6 en respectant les rfgles de
preuve reconnues.

Par ailleurs, dans ‘affaire Droit de lafamille – 2552″‘, le tribunal rejeta une demande
d’ordonnance relative h un test d’ADN jugeant que, meme si ce test 6tait ordonn6, il
ne serait d’aucune utilit6 puisque l’enfant poss6dait un titre et une possession d’6tat
qui concordaient et, par consequent, une filiation d6ja 6tablie de fagon immuable.

ii. Droit compar6

En Belgique, la preuve d’ADN, comme toute expertise, doit atre utile, et n’est pas
admise lorsque le tribunal dispose d’autres 616ments de preuve rayant suffisamment
convaincu”‘. Cependant, la question du droit A la preuve dont b6n6ficient les parties
est soulev6e. En effet, ce principe sous-entend que le tribunal ne pourrait 6carter une
demande d’expertise en mati~re de filiation au motif qu’elle serait superflue, alors
que les autres 616ments de preuve recueillis ne seraient pas susceptibles de fournir une
probabilit6 aussi forte)>'”. II est toutefois recommand6, tout comme en droit frangais,
de commencer par 1’expertise la plus performante, qui serait en l’occurrence le test
d’ADN, lorsqu’il y a doute ou contestation2 ‘.

Le droit suisse, quant A lui, fait primer l’expertise scientifique sur les d6clarations
des parties et des t6moins. Ainsi, dans ce contexte, une expertise telle qu’un test
d’ADN aura pr6sdance en tant que moyen de preuve “.

c. L6galit6 de la preuve :le consentement

Pour que la preuve soit admissible, en plus d’6tre fiable et utile, elle doit avoir 6t6
obtenue 16galement, c’est-A-dire sans contravention A un droit. Cependant, le consen-
tement de la personne que l’on veut soumettre A un test d’ADN ne sera nicessaire que
dans certains systames de droit.

“‘Supra note 27.
” Hustin-Denies, supra note 60 A lap. 315.
‘ Meulders-Klein, supra note 53 A lap. 413.
‘ Ibid. aux pp. 413-14.
IuIbid. la p. 414.

2000]

A. OBADIA – L’INCIDENCE DES TESTS D’ADN

i. Au Quebec

Au Quebec, il est essentiel que la preuve ait 6t6 obtenue l6galement, c’est-t-dire
dans le respect des droits fondamentaux de la personne concern6e. Ainsi, lorsqu’une
personne refuse de se soumettre un test d’ADN, si le test est effectu6 contre son gr6,
les r6sultats seront inadmissibles devant les tribunaux qu6b6cois puisqu’il s’agira
d’une preuve obtenue ill6galement. En effet, au Qu6bec et plus g6n6ralement au Ca-
nada, le Code civil du Quibec'”, la Charte des droits et liberts de la personne” ainsi
que la Charte canadienne des droits et libertds'” protgent les individus contre ce
genre d’intrusion.

ii. Droit compar6

Dans les provinces de common law, malgr6 le pouvoir du tribunal d’ordonner un
test sanguin ou un test d’ADN, le refus de la personne concern6e d’ob6ir A une telle
ordonnance aura pour effet d’emp~cher la production des r6sultats de ces tests, 6tant
donn6 la protection confdr6e par la Charte canadienne des droits et libertis'”.

Par ailleurs, en ce qui conceme les pays europ6ens, ils sont, pour la plupart, dot6s
de lois internes, de lois constitutionnelles, d’accords intemationaux ou encore de prin-
cipes jurisprudentiels qui protgent le droit A l’inviolabilit6 de la personne.

C’est ainsi qu’en Belgique, malgr6 le pouvoir du tribunal d’ordonner A l’int6ress6
de se soumettre A un test d’ADN, aucune mesure ne pourra 6tre prise en cas de refus.
Cependant, en vertu d’un principe jurisprudentiel, tout comme au Qu6bec, une inf6-
rence n6gative pourra 6tre tir6e de ce refus'”. I1 en va de mame en France oA le pou-
voir du juge d’ordonner un test d’ADN en mati~re de filiation est assujetti au consen-
tement expr~s et prdalable de l’int6ress6″‘. En Angleterre, le meme principe pr6vaut, A
la diffdrence que l’inf6rence n6gative qui peut 6tre tirde le sera en vertu d’un texte de
loi’ -‘ (rejoignant ainsi le syst~me des provinces de common law).

En ce qui conceme les pays de droit germanique ou nordique, tel que nous
l’avons vu, l’accent est mis sur la recherche de la v6rit6 biologique, et ce, par tous les
moyens. Ainsi, la preuve de paternit6 sera produite avec ou sans le consentement des
int6ress6s. Par cons6quent, en Allemagne et en Su~de, la personne qui refuse de se

” Art. 2858 C.c.Q.
‘2’L.R.Q. c. C-12.
‘2 Art. 24, partie 1 de la Loi consfitutionnelle de 1982, constituant ‘annexe B de la Loi de 1982 sur

leCanada(R.-U.), 1982, c. 11.

‘2Ibid.
‘”Voir Meulders-Klein, supra note 53 A lap. 419.

Art. 16-11 C. civ.

‘ Family Law Reform Act 1969, supra note 89, art. 23(1).

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 45

soumettre A un test de patemit6 se rend passible d’une amende ou d’une peine
d’emprisonnement ou encore d’ex6cution forcde’.

En Suisse, l’intdress6 sera tenu de collaborer A l’expertise, dans la mesure oii cela
ne repr6sente aucun danger pour sa sant6. De plus, l’Rge de l’enfant ne pourra servir
d’excuse pour refuser une prise de sang, pas plus que ne le sera un motif d’ordre con-
fessionnel”. Par ailleurs, le tribunal aura discretion pour apprdcier le refus et pourra
menacer le rdcalcitrant d’une amende ou d’une peine p6nale. Ce dernier pourra 6ga-
lement r6pondre des dommages que son refus causera sur le plan civil. Toutefois,
contrairement A ‘Allemagne et a la Su~de, la contrainte du corps, donc l’ex6cution
forc6e, ne sera pas admise”‘2.

2. La force probante

La force probante du test d’ADN est soumise deux conditions essentielles, soit
celle de la valeur probante intrins~que de la preuve d’ADN (a), et celle de
l’appr6ciation du tribunal quant au poids qui lui sera accord6 dans la hidrarchie des
moyens de preuve (b).

a. Valeurprobante intrinsque

Le test d’ADN se diffdrencie des autres types d’expertise en ce qu’il poss~de un
pouvoir discriminant tr~s puissant qui lui confere une grande sp6cificit6 individuelle.
De ce fait, il se d6marque par sa supdrioritd face aux tests conventionnels et est large-
ment reconnu dans les milieux mdical etjuridique'”.

II est toutefois important de garder A l’esprit que pour 6tre concluant, le test
d’ADN doit 8tre appuy6 par des analyses statistiques comparatives qui d6termineront
la raret6 du profil g6n6tique obtenu dans la population. Ces analyses statistiques d6-
termineront ultimement le degr6 de la force probante du test d’ADN. Ainsi, un profil
g6n6tique que ‘on retrouve chez 80% de la population aura une valeur probante plus
faible que celui que ‘on retrouve chez seulement 20% de la population.

b. Appr6ciation du tribunal: poids de la preuve d’ADN

Une fois sa valeur probante intrins~que dtablie, la preuve d’ADN sera soumise L
l’appr6ciation du tribunal quant au poids qui lui sera accord6. Toutefois les critres
qui seront appliquds dans le cadre de cette apprdciation judiciaire varieront en fonc-
tion des pays.

“- En Allemagne : art. 372a du code de procddure civile (ZPO) ; pour ]a Su~de, voir Meulders-

Klein, supra note 53 A lap. 418.

“, Art. 254, ch. 2, C. civ.
‘”Art. 41 et s. C. des obligations.
‘”Voir Bernard et Choquette, supra note 9 t lap. 379.

2000]

A. OBADIA – L’INCIDENCE DES TESTS D’ADN

i. Au Qudbec

Au Quebec, le tribunal a discrdtion quant au poids qu’il accorde A la preuve
d’ADN par rapport aux autres moyens de preuve qui lui ont 6t6 pr6sentds. En effet,
cette preuve g6n6tique ne constitue qu’un moyen de preuve parmi les autres'”. A ce
titre, elle devra atre appr6ci6e et pes6e par le tribunal qui jugera de l’importance qu’il
sera opportun de lui accorder.

Par ailleurs, cette preuve sera, sans aucun doute, 6cart6e devant certains enjeux
sup&ieurs, tel l’int6rt de l’enfant qui a toujours pr6s6ance dans les d6cisions qui le
concement. De plus, elle devra 6galement c~der le pas face au respect des droits et i-
bert6s fondamentaux de la personne. Ainsi, tel qu’expos6 prc6demment, lorsqu’un
test aura 6t6 effectu6 contre le gr6 de la personne, sa force probante sera nulle puisque
cette preuve se verra 6carte, 6tant inadmissible en droit.

ii. Droit compard

En Belgique, il appert qu’en prdsence d’une expertise <>, le tribunal a discr6tion dans l’apprciation qu’il fait de cette preuve par rap-
port aux autres moyens de preuve qui lui ont 6t6 sournis. Toutefois, lorsque le test r6-
v0le des probabilit6s 6gales ou sup~rieures h 99,73%, lejuge doit privil6gier ce moyen
de preuve!4. Tandis qu’en droit Suisse, de fagon plus radicale, si l’expertise amine
une preuve certaine (99,73 % ou plus), toute contre-preuve sera exclue”6 .

C. Probimes 6thiques etjuridiques

La pratique des tests d’ADN est susceptible de soulever certains probl~mes
d’ordre 6thique et juridique dont l’importance est loin d’6tre n6gligeable et dont les
solutions sont loin d’8tre simples. En effet, certains droits fondamentaux pourront etre
affect6s lors de la mise en oeuvre de ces tests ; ainsi en va-t-il du droit h l’inviolabilit6
et A l’int6grit6 de la personne (1), de meme que du droit A la vie priv6e (2). Par
ailleurs, comme nous le verrons dans le cadre de ce chapitre, certains de ces droits
entreront parfois en conflit, auquel cas, les enjeux se compliquent.

1. Droit A I’inviolabilitW et A I’int~grit de [a personne

Le test d’ADN, s’il est pratiqu6 contre la volont6 de l’intdress6, enfreint le droit
fondamental de ce dernier h l’inviolabilit6 de sa personne”‘. Toutefois, ce test peut
maintenant 8tre pratiqu6 A partir de supports d6tachs du corps hunain, tel un ongle
ou un cheveu. Ainsi, le test d’ADN pratiqu6 A partir d’un support d6tach6 du corps se
voulant, par sa nature, beaucoup moins intrusif 6tant donn6 l’absence de ponction

‘- Voir ibid aux pp. 379-80.
53 Voir Meulders-Klein, supra note 53 a la p. 415.
‘ Voir ibidL
37 Charte des droits et libertis de la personne, supra note 124 et art. 10 C.c.Q.

MCGIu LAW JOURNAL/REVUEDEDROITDE MCGILL

[Vol. 45

corporelle et parfois meme de contact physique avec la personne, qu’en est-il d’un tel
pr61 vement? Porte-t-il atteinte A l’inviolabilit6 de la personne de la meme fagon que
lorsque cette demikre n’y consent pas (a) ? Par ailleurs, qu’en sera-t-il du consente-
ment lorsqu’il s’agit d’un mineur, d’un majeur inapte ou encore d’un d6funt (b) ? Fi-
nalement, quelles seront les consquences d’un refus de consentement (c) ?

a. Le test d’ADN c partir d’un support d6tach6

I y a lieu de determiner si le fait que le support soit d~tach6 du corps empche ou
non qu’il y ait violation des droits A l’inviolabilit6 et b l’int6grit6 de la personne. La
r6ponse variera en fonction des syst~mes juridiques.

i. Au Qu6bec

La doctrine analys6e semble indiquer une interprdtation assez large du concept de
l’invioIabilit6 de la personne qui englobe non seulement l’aspect physique de
l’atteinte mais 6galement son aspect psychologique ou moral”. II s’ensuit de cette in-
terpr6tation qu’un pr6lvement effectu6 A partir d’une partie d6tach6e du corps cons-
titue une violation aux droits A l’int6grd et h l’inviolabilit6 de la personne lorsqu’il y
a absence de consentement.

La jurisprudence qu6b~coise en mati~re de filiation abonde dans le m~me sens.
Ainsi, l’affaire Droit de lafamille – 2796 rsume bien cette position lorsque le tribu-
nal 6nonce ce qui suit:

Dans les eirconstances, meme si la santd de ‘enfant n’est pas en pril et que le
prd1kvement ne semble pr6senter aucun danger ni aucune douleur pour renfant,
puisqu’il pout etre effectu6 au moyen d’un pr1lvement d’un 6chantfillon de
cheveux ou d’tn frottis de salive, il n’en demeure pas moins que c’est une at-
teinte k l’inviolabilit de la personne humaine, principe fondamental que les
tribunaux doivent respecter sauf dans les cas exceptionnels o4 la sant6 et la vie
de
‘enfant seraient s6ieusement en danger ou dans d’autres cas oht les cir-
constances l’exigent'”.

ii. Droit compar6

En ce qui conceme la Belgique, l’approche est la meme qu’en droit qu~b6cois.
Ainsi, le pr6lkvement utilis6 pour effectuer un test d’ADN et pratiqu6 sans le consen-
tement de la personne constitue une atteinte A son int6grit6 et A son droit A
l’inviolabilit6, m~me s’il provient d’une partie d6tach6e du corps” .

Voir Knoppers et aL, supra note 47 k lap. 89 ; Bernard et Choquette, supra note 9 k lap. 373.

” Supra note 68 A lap. 2838.
‘Voir Hustin-Denies, supra note 60 aux pp. 319-22 ; voir aussi Meulders-Klein, supra note 53 a Ia

p. 417.

2000]

A. OBADIA – L’INCIDENCE DES TESTS D’ADN

Quant aux pays ayant un syst6me de droit de source germanique, cette question
ne semble pas 8tre un souci 6tant donn6 que la recherche de la vdrit6 biologique sera
le but premier du tribunal et devra s’exrcuter envers et contre tous, tel qu’expos6 pr6-
ceemment.

b. Le consentement

En r~gle gdndrale, le consentement qui est donn6 doit 8tre libre et 6clair'”. Toute-
fois, des r~gles particuli~res s’appliquent dans certains cas tels celui du mineur, du
majeur inapte et de la personne d6cl6de.

i. Principe g6n6ral : consentement libre et 6clair6

Le principe gdniral s’appliquant A tout consentement qui est donn6 est A l’effet
que celui-ci doit 6tre libre et 6clair6, et sera vici6 par l’erreur, la crainte ou la lsion”2.
Ainsi, pour 8tre valide, le consentement devra 6tre exempt de toute pression indue et
6tre donn6 en toute connaissance de cause. Par cons&puent, la preuve d’ADN obtenue
suite A un consentement vici6 pourra 8tre rejetde par le tribunal. Par ailleurs, la per-
sonne qui donne son consentement devra 8tre apte a s’obliger 3 , ce qui nous amine A
envisager les cas des personnes qui ne le sont pas.

ii. Le mineur

Dans le cas du mineur, certaines distinctions s’imposent. En effet, lorsqu’il s’agit
de soins non requis par son 6tat de sant6, le Code civil du Qudbec autorise le mineur
qui a quatorze ans ou plus A consentir seul A ces soins. Cette r~gle comporte toutefois
une exception dans la mesure oit, si ces soins reprdsentent un risque srrieux pour sa
sant6 et peuvent lui causer des effets graves et permanents, le consentement du titu-
laire de l’autorit6 parentale ou du tuteur est alors requis'”.

En ce qui conceme le mineur de moins de quatorze ans, le consentement du re-
prdsentant 16gal est toujours n~c6ssaire. Par ailleurs, si les soins repr6sentent un ris-
que s~ieux pour [sla sant>> et peuvent lui causer des effets graves et permanents>>,
l’autorisation du tribunal est requise en sus”.

La question se pose alors de savoir si le pr6l~vement effectu6 pour le test d’ADN
constitue un soin non requis par l’6tat de santd 6tant donn6 qu’il ne s’agit certaine-
ment pas d’un soin requis par l’6tat de sant6. Ceci nous amine A nous interroger rela-
tivement a ce que constitue un soin. La Loi sur les services de santd et les services so-

“‘ Art. 10 et 1399 C.c.Q.
14 Ibid.
” Art. 1398 C.c.Q.
‘”Art. 17 C.c.Q.
.. Art. 18 C.c.Q.

MCGILL LAW JOURNAL/ REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 45

ciaux’ est silencieuse sur le sujet. Pour ce qui est du Code civil du Qudbec, sans ex-
plicitement offrir de d6flnition de cette notion, il y inclut les examens, pr6l vements,
traitements et ou encore de toute autre
intervention)>. Dans cette perspective, le mineur de quatorze ans et plus peut consentir
seul A un test d’ADN, dans la mesure ot il n’est pas requis par son 6tat de sant6. Tan-
dis que pour le mineur de moins de quatorze ans, le consentement du reprdsentant 16-
gal sera exig6.

Cela nous m~ne A une autre importante question, soit celle de la position conflic-
tuelle devant laquelle se retrouve le titulaire de l’autorit6 parentale. En effet, en plus
d’8tre, dans Ia quasi-totalitd des cas, le parent gardien et h ce titre le reprdsentant 16gal
de l’enfant”‘, le titulaire de l’autorit6 parentale peut 6galement atre d6fendeur dans un
litige relatif A la filiation. Cela 6tant, pourra-t-il avoir l’objectivit6 n6cessaire pour agir
dans l’unique int~r& de l’enfant et faire abstraction de son propre int6r&t, ou se
trouve-t-il dans une position de conflit d’intdr& ?

Pour pallier A ce genre de situation, le Code de procidure civile pr6voit que le tri-
bunal devra, m~me d’office, dans tous les cas oa l’intdrt du mineur est oppos6 A celui
de son reprdsentant 16gal, lui d6signer un tuteur ad hoc”. Notons que les tribunaux
qu6b6cois ne manquent pas de rappeler et d’assurer la mise en application de cette
disposition en mati~re de filiation’. Ainsi, un tuteur ad hoc sera nomm6 afn de
oveiller au meilleur intdr& de l’enfant et 6viter une ddcision teintde de conflit
d’int6rts>>”.

6 L.R.Q. c. S-4.2.
” Art. 11 C.c.Q.
Dmit de lafamille – 2796, supra note 68

” Art. 192 C.c.Q.

Art. 394.2 C.p.c. ; art. 190 C.c.Q.

la p. 2838.

.. Droit de lafamille – 989, supra note 17 ; Droit de lafamille – 2796, supra note 68 ; Droit de la
” Droit de lafamille- 2796, ibid

famille – 3184, supra note 27.

la p. 2836.

2000]

A. OBADIA – L’INCIDENCE DES TESTS D’ADN

iii. Le majeur inapte

* Au Quebec

En ce qui conceme le majeur inapte, le Code civil du Quibec pr6voit, en rtgle g6-
ndrale, que le consentement aux soins non requis par son 6tat de sant6 est donn6 par le
reprdsentant 16gal’. Ainsi, dans la mesure ot l’on assimile le test d’ADN A un soin
non requis par l’6tat de sant6, il est possible d’affirner que le consentement du repr6-
sentant I6gal sera requis afin de soumettre une personne inapte h un tel test. Cepen-
dant, si le pr61ivement est susceptible d’entralner un risque s6drieux pour sa sant6, on
s’iI peut causer des effets graves et permanents, l’autorisation du tribunal sera requise
en sus”. Tel sera le cas du comateux qui, 6tant donn6 son 6tat, est incapable
d’exprimer sa volont6 et devient ainsi inapte.

* Droit compar6

En Belgique, aucune disposition legislative ne prdvoit la possibilit6 pour le tribu-
nal d’ordonner un pr616vement visant t recueillir une empreinte g6n6tique sur un co-
mateux non prot6g6 par un r6gime de protection. Or, cette situation s’avre probl6ma-
tique dans la mesure oti l’on ne peut connaitre la volont6 de ce demier. La doctrine
beige considre que le magistrat soucieux de rester dans les limites des pouvoirs que
la loi lui confere semble imperativement tenu de rejeter toute demande visant A proc6-
der h l’empreinte g6n6tique d’un sujet incapable de manifester son consentement sous
peine de porter, sans son consentement, atteinte h l’int6grit6 physique de ce dernier>'”.
La jurisprudence beige semble toutefois recencer un arr~t de la Cour d’appel de
Bruxelles qui ordonna un pr6lvement sanguin sur un comateux dans le cadre d’une
action en filiation'”.

iv. La personne d6cdd~e

Tel que nous le verrons dans cette section, le Qu6bec demeure tr s respectueux
des droits du cadavre en mati~re de filiation, tandis qu’ailleurs on vajusqu’A permettre
1′ exhumation.

* Au Qu6bec

Au Quebec, les dispositions du Code civil pr6voient que le reprisentant 16gal du
d6funt pourra, A d6faut de volont6 connue ou prsum6e du d6funt, autoriser le pr616-
vement de tissus sur le cadavre mais uniquement dans un but m&tical ou scientifi-

53 Art. 18, 260, 2166 et 2169 C.c.Q.

‘ Art. 18 C.c.Q.
‘ Voir Hustin-Denies, supra note 60 aux pp. 329-30.
” Trib. civ. Nivelles, 29 octobre 1991, inidit, rdform6 par Bruxelles, 31 octobre 1991, Journ. Proc.,
1992 (note J. Fierens) ; Hustin-Denies, ibid A lap. 327.

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[Vol. 45

que”‘. Ainsi, nous en d&tuisons que le pr6l vement d’empreinte g6n6tique sur un ca-
davre, dans le cadre d’une action en filiation, sera interdit 4 moins que le d6funt n’ait
exprim6 sa volont6 h l’effet contraire avant son d~c~s.

* Droit compar6

En Colombie-Britannique, dans l’affaire Lee c. Home”, le tribunal a permis
qu’on utilise A des fins m~dicales un 6ohantillon sanguin d’une personne d6c6d6e
mais pr6lev6 du vivant de la personne pour d6terminer la paternit6 de cette dernire
quant 4 quatre demandeurs exclus de son testament. Cependant, il en va tout autre-
ment lorsqu’il s’agit d’exhumer le d6funt dans le but d’y pratiquer un pr616vement. En
effet, en Ontario, une demande judiciaire d’exhumation afin de proc~der A un test
d’ADN pour d6terminer la paternit6 du d6funt fut catdgoriquement refuse’2 .

En Belgique, aucune disposition sp6cifique ne semble prdvoir le pr6l vement post
mortem dans le cadre d’une action en filiation”. I1 existe une loi sur les pr6lvements
et dons d’organes post mortem qui prdvoit un consentement pr6sum6 du d6funt lors-
qu’il n’a pas, de son vivant, manifest6 son opposition au pr6lvement. On ne peut
toutefois transposer les dispositions de cette loi en mati~re de filiation”1 . Ainsi, dans le
cadre d’une action en filiation, la doctrine considre qu’h d6faut de consentement ex-
pros du vivant de la personne le tribunal devra, avant d’ordonner un pr6lvement post
mortem, examiner la 16galit6 de la mesure, sa nkcessit6 (en regard des autres moyens
de preuve) et sa proportionnalit6 face au but poursuivi’6″ . Notons toutefois qu’en Bel-
gique, dans le cadre de proc6dures en mati~re de filiation, un tribunal a d6jA ordonn6
l’exhumation d’un cadavre afin de proc~der a un pr6l vement pour un 6ventuel test
d’ADN 63.

En France, 1’article 16-11 C. civ. pr6voit que l’identification d’une personne par
ses empreintes g6n~tiques suppose son consentement expr~s et prdalable, sans toute-
fois pr6voir le cas du pr6lvement post mortem. Cependant, dans la cdl~bre action en
paternit6 intentde contre la succession de feu Yves Montand, la Conr d’appel de Paris
a rdcemment ordonn6 l’exhumation du corps du de cujus pour l’accomplissement
d’un test d’ADN’6. En effet, le tribunal ddclara qu’il 6tait de l’intdrt essentiel des
parties d’aboutir dans la mesure du possible A une certitude biologique.

Cette d6ecision nous parait quelque peu aberrante dans la mesure oit, malgr6 le fait
que les ayants droit du de cujus ne se soient pas opposes au prdltvement, ce dernier

Art. 43-44 C.c.Q.
(1993), 84 B.C.L.R. (2′) 341,50 E.T.R. 297 (S.C.).
‘S.R. c. Hill Estate (1996), 14 E.T.R. (2) 11,7 O.T.C. 35 (Div. g6n. Ont.).
“‘ Voir Hustin-Denies, supra note 60 A lap. 331 et Meulders-Klein, supra note 53
‘ Voir Hustin-Denies, ibid
16 Voir ibid a lap. 333.
‘6 Trib. civ. Liege, 17 avril 1989, Journ. Proc., 1989.32, n* 158.
‘” Paris, 6 novembre 1997, D. 1998.1.122.

lap. 421.

20001

A. OBADIA – L’INCIDENcE DES TESTS D’ADN

avait, de son vivant, alors que les proc&tures 6taient d6jh entam6es, clairement mani-
fest6 son refus de se soumettre A ces tests. Non seulement ce refus aurait-il df 6tre
respect6 par ses h6ritiers, mais ces demiers ne sont-ils pas, de par leur position, en
conflit d’int&t dans la prise d’une telle d6cision?

c. Refus de consentement: inference n6gative

Qu’en est-il du refus de se soumettre A un test d’ADN ? Tel que nous le verrons
ici, il peut mener A une inf&ence n6gative du tribunal, inference qui a, selon le sys-
t~me de droit 6tudi6, des assises tant6t 16gislatives et tant6tjurisprudentielles.

i. Au Qu6bec

Le refus de se soumettre h un test d’ADN peut constituer, au Qu6bec et plus g6n6-
ralement au Canada, une preuve indirecte d6terminante de la filiation. En effet, la ju-
risprudence a 6tabli que les tribunaux peuvent tirer une inf&ence n6gative lorsque le
refus de se soumettre au test d’ADN n’est pas justifi6 ou raisonnable'”, ou encore,
qu’il a pour but d’6viter une preuve potentiellement incriminante’.

Toutefois, aucune inference negative n’est tir~e dans certains cas particuliers

lorsque le refus est fond6 sur le fait que la pr6somption de paternit6 n’a pas 6t6 renver-
s6e, lorsqu’il est donn6 par un repr6sentant I6gal, dans l’exercice d’un droit fonda-
mental, lorsqu’il a pour effet de dasavantager l’enfant’ ou, enfin, lorsque ce refus est
motiv6 par la crainte de contracter le SDA ou par les croyances religieuses de Ia per-
sonne1″.

Toutefois, cette position n’est pas unanime au Quebec oia deux theses s’affrontent.
La premi~re, rapport6e par 1’honorable Albert Mayrand, consid~re que le droit ne doit
pas bouder la science” . Dans cette mesure, on ne doit pas se servir du principe de
l’inviolabilit6 de la personne comme paravent pour cacher la v6rit6. Ainsi, le refus de
se soumettre A un test m6dical sans justification raisonnable indique probablement un
d6sir de cacher quelque chose et, dans cette perspective, ce refus doit etre interpr6t6
contre la personne.

‘6’ Dans Droit de lafamille – 1859, supra note 37, le tribunal tire une inf6rence n6gative du refus
du d6fendeur de se sournettre At un test d’ADN sans motifs, alors qu’il existe une ressemblance frap-
pante entre l’enfant et lui ; consid&ant que l’enfant et le public ont un inter&, tout doute doit atre r6-
solu par la meilleure preuve disponible.

‘6D.M.A. c. M.S. (1992), 129 R.N.-B. (2′) 355

la p. 358 (B.R. Div. far.), conf. par (1993), 133

R.N.-B. (2’) 359 (C.A.).

‘6’ Respectivement : D.H., supra note 84 ; Francis c. Robertson (1987), 60 O.R. (2′) 47 (Ont. Unif.
Farn. CL) ; L(T.W.) c. K(L) [1986] B.C.J. ad 2850 (Co. CL), en ligne : QL (BCJ) ; Z(T) c. W.(A.L)
(1990), [1992] N.W.T.R. 100 (Terr. CL).

‘ Voir A. Grubb et D.S. Pearl, Blood Testing, AIDS and DNA Profiling: Law and Policy, Bistrol,
‘ 69Voir Mayrand, supra note 67 t lap. 106.

Jordan & Sons, 1990 aux pp. 180-81.

MCGLL LAW JOURNAL/ REVUE DE DROITDE McGILL

[Vol. 45

La seconde thse, comme nous pouvons le deviner, s’oppose a toute conclusion
ndgative qui pourrait etre tirde du refus de se soumettre 4 un test de patemit6, invo-
quant qu’une personne doit pouvoir exercer un droit fondamental sans pour autant en
etre p6nalisde. Les tenants de cette th~se, rdsumde par l’honorable juge Monet dans
Paffaire Droit de lafamille-206′”, rappellent au soutien de leur position que l’Office
de R6vision du Code civil a propos6, lors de la r6forme de 1980, un article qui aurait
permis au tribunal de tirer une telle infdrence n6gative en cas de refus injustifie”. Or,
les adeptes de cette seconde thse voient dans le fait que cette recommandation n’ait
pas 6t6 retenue par le 16gislateur une manifestation claire de sa volont6 sur la ques-
tion'”.

Cependant, une jurisprudence qu6bdcoise majoritaire, bien que consciente de
1’existence de ces deux theses et ne manquant de les rappeler, est d’avis que les tribu-
naux peuvent tirer une infdrence n6gative du refus injustifi6 d’une partie de se sou-
mettre A un test de paternite”. Toutefois, le refus, h lui seul, n’est pas ddterminant et
sera considdr6 comme un 616ment de preuve parmi les autres”‘. Les tribunaux ont 6t6
amen6s se questionner sur 1’application de l’article 533 C.c.Q. quant a ce refus de se
soumettre h un pr6lvement. En effet, rappelons que l’article 533 C.c.Q. dicte qu’en
matire de filiation, le tdmoignage n’est admissible qu’en prdsence, notamment,
d’indices graves rdsultant de faits d6j clairement 6tablis. Or, lajurisprudence a 6tabli
que le refus de se soumettre A un pr6l~vement pour un test de patemit6 sans motif va-
lable ne peut, A lui seul, constituer un indice suffisant pour rendre admissible la preuve;
il doit 8tre considd6r avec les autres indices, A la lumire de l’ensemble de la preuve’.

ii. Droit compard

En ce qui conceme les provinces de common law, tel qu’expos6 pr6c~demment,
celles-ci sont’munies de lois autorisant le tribunal 4 ordonner un test, sanguin ou autre,
en mati~re familiale’. Or, ces mames lois pr6voient 6galement qu’une infdrence n6-
gative pourra 8tre tir6e du refus d’une partie de se soumettre h un tel test sans justifi-
cation valable, contrairement au Qudbec ot il s’agit d’un concept jurisprudentiel”.

“‘Droit de lafamille- 206, supra note 69.
” Voir Qu6bec, Office de R6vision du Code civil, Rapport sur le Code civil du Quibec, vol. 1,

Qu6bec, diteur officiel, 1978 4 lap. 110, n 289.

“‘ Droit de lafamille – 206, supra note 69.
‘ 3 Droit de lafamille – 1059, supra note 37, juge Proulx ; Droit de lafamille – 1859, supra note

37 ; Droit de lafamille – 2552, supra note 27.

‘ Droit de lafamille – 2552, ibid
‘”Droit de la famille – 2192, supra note 37 ; Droit de la famille – 2418, [1996] R.D.E 443
(C.A.); Droit de la famille – 2441 (22 mai 1996), MontrUl, 500-09-000968-933, J.E. 96-1301
(C.A.) ; Droit de lafamille – 2579, supra note 27.

‘7 Voir ci-dessus partie IIA.2.b.i.
‘”Ibid.

20001

A. OBADIA – L’INCIDENCE DES TESTS D’ADN

Le Royaume-Uni est, quant 4 lui, 6galement muni d’une disposition l6gislative en
mati~re familiale permettant l’infdrence n6gative dans le cas d’un refus injustifi6’.
Pour ce qui est de la France, un article du nouveau Code de procedure civile permet
de tirer du refus de se soumettre L un test sanguin toute conclusion, incluant une pr6-
somption d6favorable 9 . Le tribunal conserve toutefois son entire discrdtion dans
l’appr6ciation de la valeur de la pr6somption.

La Belgique, tout comme le Qu6bec, ne dispose pas de legislation sp6cifique A cet
effet. Cependant, les tribunaux tireront une infdrence n6gative du refus injustifi6 de se
soumettre A une expertise qui pourrait constituer, lorsque corrobor~e par d’autres
moyens de preuve, une prdsomption de faits quant a la paternit6″‘

2. Le droit au respect de la vie priv6e

ttant donn6 la sp6cificit6 des informations rdv616es par les tests d’ADN quant A
l’individualit6 de la personne concem6e, un autre droit fondamental est susceptible
d’6tre affect6, soit le droit L la vie priv6e. En effet, des informations tr~s personnelles
et potentiellement dommageables sont expos6es dans le cadre de ces tests, tel
l’adult~re ou l’absence de lien de sang. Ces informations ont, sans aucun doute, le
pouvoir de mettre en p6ril la paix et la stabilit6 des families et de cr6er de v6dritables
<.

1950,213 R.T.N.U. 221, S.T.E. 5 [ci-aprs Convention europdenne des droits de l’homme].

“Ibd, art. 2 et 3.
” [1986] R.D.F. 632 (C.S.) A lap. 638, conf. par [1990] R.D.F. 385 (C.A.).
“u Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertds fondamentales, 4 novembre
st 5Supra note 57.
lE Johnston c. Irlande (1986) 112 Cour Eur. D.H. (S~r. A.) 5 a lap. 25.
“‘ Voir Knoppers et aL, supra note 47 aux pp. 104-105.
l Supra note 45.
“2Supra note 184.
“oArt. 33 C.c.Q.

2000]

A. OBADIA – L’INCIDENCE DES TESTS D’ADN

b. Droit au respect de la vie familiale

Parall~lement au droit au respect A la vie privde du parent biologique d6sireux de
faire taire ses g~nes, l’enfant a 6galement un droit individuel au respect de la vie fa-
miliale. En effet, l’interpr6tation de certains textes intemationaux et constitutionnels
permet d’affirmer que la famille forme une cellule sociale qui est prot6g~e contre
toute ingdrence ill6gitime des tiers. Ainsi, la Ddclaration universelle des droits de
l’homme pr6voit h son article 12 que : >. La Convention europdenne
des droits de l’homme est munie d’une disposition semblable, assurant le respect de la
vie familiale’91 .

Le droit au respect A la vie priv6e du parent biologique d6sireux de faire taire ses
genes est susceptible d’entrer en conflit avec le droit de l’enfant au respect de sa vie
familiale, dans la mesure oii il peut le priver de >9. Cependant, rappelons 6ga-
lement que cette vie familiale peut se voir grandement troubl6e par la d6couverte d’un
nouveau lien de filiation d6coulant d’un test d’ADN. I faut toutefois retenir que cette
protection contre toute intrusion dans la vie familiale a pour but premier la protection
de l’int6r&t de l’enfant et, dans cette mesure, elle demeure soumise A cet int6rt prio-
ritaire, en application de la Convention internationale des droits de l’enfant et, au
Qu6bec, de l’article 33 C.c.Q.

c. Droit au respect de la vie prive dude cujus

Les informations r~v66es par le test d’ADN peuvent 6galement entraver le droit A
la vie privde du de cujus qui, si on lui d6couvre des liens de parent6 post mortem, ne
pourra certainement pas reposer en paix. Au contraire, celui-ci se verra expos6, apr s
son d6cbs, h une intrusion majeure dans son intimit6, dans la mesure oil des informa-
tions qu’il aura manifestement voulu garder secrtes, tel un adultre, seront d6voildes.

Par ailleurs, ces informations auront certes des consequences sur sa succession,
6tant donn6 que l’enfant nouvellement ddcouvert pourra, dans certains cas, en reven-
diquer une partie. Or, le d6funt, s’il avait eu connaissance de cette 6ventualit6 avant
son ddc~s aurait pu contrer une telle revendication dans le cadre de son testament, du
moins au Qu6bec. De plus, les consequences de ces nouvelles r6v6lations peuvent
s’avdrer d6chirantes pour le noyau familial.

Malgr6 l’illfgalit d’un pr6livement post mortem (A mois de raisons m6dicales)
au Qu6bec, cette pratique demeure l6gale dans certains pays europ6ens. Ainsi, il y a
lieu de r6fl6chir sur la violation de la vie priv6e du d6funt, ainsi que sur les cons6-

“‘Supra note 184, art. 8.

Voir Hustin-Denies, supra note 60

lap. 325.

MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 45

quences d’un tel pr6l vement et sur les injustices qui en d~coulent, dans la mesure oti
le d6funt ne peut se faire entendre. En effet, ce dernier n’est plus en mesure de pren-
dre les moyens appropri~s relativement A la situation nouvelle rdv6l6e par un test
d’ADN. Par ailleurs, le droit A la vie priv6e du de cujus est susceptible d’entrer en
conflit avec le droit aux origines de l’enfant. A cet effet, nous renvoyons le lecteur aux
propos 6nonc6s au titre (a) de ce chapitre.

D. Vrit biologique vs rdalit6 psychosociale

Notre 6tude sur l’incidence des tests d’ADN sur le droit de la filiation nous mane
in6vitablement au ccmur du d6bat, A savoir la conciliation de ces tests avec l’intdr& de
I’enfant. ttant donn6 la primaut6 accord6e A l’intdr& de l’enfant, il y a lieu de se de-
mander si la preuve d’ADN, malgr6 sa fiabilit6 et sa force probante, pourra se voir
6carter devant cet enjeu sup&ieur. En effet, les consquences qui s’ensuivent, soit la
ddcouverte d’une paternitd jusqu’alors inconnue, et les effets l6gaux qui en d6coulent,
pourront in6vitablement avoir un impact sur le bien-&tre psychologique et parfois
physique de l’enfant. Nous voici, A prdsent, au cceur d’un d6bat important que soulve
l’av~nement des tests g6ndtiques. En effet, dtant donn6 leur nature, les tests d’ADN
peuvent r6v6ler avec une exactitude quasi totale le lien de filiation biologique. Cepen-
dant, cette d6couverte de la sera-t-elle considdrde comme 6tant dans le
meilleur intdr& de l’enfant ? Dans la n6gative, l’intdr& de l’enfant aura-t-il toujours
pr6s6ance an point de faire taire la v6rit6 biologique ou au contraire ces progr~s
scientifiques auront-ils pour effet de modifier les r~gles de notre droit de la filiation ?
Le droit qu6b6cois (1) se distingue-t-il sur cette question des systames de droit 6tran-
gers (2) ?

1. Au Qu6bec

La rdalit6 sociale et lgale du lien de filiation n’a jamais constitu6 un reflet an-
thentique de la v6it6 biologique au Qudbec. Le Code civil du Quibec limite actuel-
lement la preuve g6n6tique, en mati~re familiale, par le biais de diverses r~gles. En ef-
fet, les dispositions affdrentes h la courte prescription d’un an pour le pre pr6sum6
qui veut contester une filiation, celles affdrentes A la conformit6 entre le titre et la pos-
session constante d’6tat et celles relatives aux effets de la procr6ation m&ticalement
assist6e, t6moignent manifestement de cette volont6. Se rapprochant, en cela, des
syst~mes de droit frangais et belge, le droit qu6b6cois ‘”‘ .

Ces dispositions 6cartent l’hypoth~se voulant que la connaissance de la v6rit6
biologique soit automatiquement dans l’int6r&t de l’enfant. Elles t6moignent plut6t
d’une volont6 16gislative manifeste de prdserver la stabilit6 des familles en 6vitant de

’93 J.-C. Galloux, L’empreinte g6n6tique: la preuve parfaite,> J.C.P. 1991.1.3497 au para. 21.

2000]

A. OBADIA – L’INCIDENCE DES TESTS D’ADN

remettre en question
tout moment la filiation. La jurisprudence partage pleinement
cette interprdtation qu’elle met d’ailleurs A exdcution'”. En effet, le tribunal ne man-
que pas de souligner dans l’arr& Droit de lafamille-2143 que :

Le lgislateur a pos6 des r~gles trLs strictes dans l’int&rt du public : courte
prescription pour le p re prdsum6 et absence de contestation lorsque 1’enfant a
une possession d’6tat conforme A son acte de naissance. Le l6gislateur voulait
silrement, pour des raisons d’ordre public, 6viter qu’avec le d6veloppement des
techniques g6n6tiques on puisse remettre en question, en tout temps, ]a filiation
des enfants […]1″.

Un examen de la jurisprudence qu6b6coise r6v~le, cons&tuemment, une tendance
nettement majoritaire des tribunaux h favoriser la r6alit6 socio-affective plut6t que la
r6alit6 biologique”. Notons que cette position respecte les donndes psychologiques
actuelles qui d6montrent le r0le fondamental que joue le parent psychologique dans le
d6veloppement de l’enfante”. Ainsi, clans l’affaire Droit de la famille-2552, apr~s
avoir agi comme le pare de l’enfant pendant douze ans et apr~s avoir 6t6 d6clar6
comme tel a l’acte de naissance, le demandeur requiert le d6saveu et demande au tri-
bunal d’ordonner un test d’ADN. Ce dernier, refusant la demande, s’exprime comme
suit:

La vdrit6 scientifique qui peut r6sulter d’un test n’est pas suffisante pour sup-
planter tous les autres 6lments a considrer, sr le plan juridique et psycholo-
gique, le problme de l’6tat civil d’une personne et son identit6. I1 serait con-
traire k l’intdret public que l’on puisse impun6ment remettre en question I’dtat
civil d’une personne et son identite1″.

Par ailleurs, un r6cent arr&t” rapporte une situation similaire : le demandeur re-
quiert un d6saveu de paternit6 quant an premier de deux enfants n6s au cours de sa vie
commune d’une dur6e de huit ans avec la m~re. II a d6couvert et confirm par un test
d’ADN, suite h la s6paration, qu’il n’en 6tait pas le p~re. ttant donn6 la conformit6
entre l’acte de naissance et la possession d’dtat de sept ans, le tribunal, malgr6 la
preuve r6v6l6e par le test d’ADN, rejette cette demande pr6servant ainsi la paix et la
stabilit6 de cette famille.

II est intdressant de noter que le tribunal fait r6fdrence A la notion de possession
d’6tat involontaire (abord6e dans l’arrt Droit de lafamille-2530=) qui sugg~re que

‘” Droit de lafamille – 2143, [1995] R.D.F. 137 (C.S.) ; Droit de lafamille – 2579, supra note 27
lap. 100.
… Droit de lafamille- 2143, ibid a lap. 140.
“6Droit de lafamille – 206, supra note 69 ; Droit de lafamille – 989, supra note 17 ; Droit de la
famille – 1663 [1992] R.D.F 628 (C.S) ; Droit de lafamille- 1859, supra note 37 ; Droit de lafa-
mille – 2143, supra note 194 ; Droit de la famille – 2579, supra note 27 ; Droit de la famille
2796, supra note 68 ; Droit de lafamille- 3184, supra note 27.

1’Droit de lafamille – 989, ibid. “a lap. 1355.
“‘Supra note 27 A lap. 896.
” Droit de lafamille – 3184, supra note 27.

Supra note 103 A lap. 14.

MCGLL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGLL

[Vol.4

la possession d’6tat ne devient effective qu’A partir du moment de la connaissance du
mensonge, ce qui la rendrait inexistante dans cette affaire, le demandeur ayant ds lors
cess6 de voir l’enfant. Toutefois, ce concept ne permet pas de faire primer les droits
d’un p~re pr6sum6 sur l’int&t de renfant. Ainsi, le tribunal prend en considdration le
dommage psychologique que subirait ‘enfant vis6 par la demande en d6saveu si le
pare exergait ses droits parentaux uniquement A l’dgard du second, qui demeure son
frre ‘. Nous constatons que l’int6rt de renfant estjug6 sup6rieur A la v6drit6 biologi-
que sur laquelle il primera en cas de conflit.

Dans le cadre de deux autres arr~ts, soit Droit de lafamille-989′ et Droit de la
famille-2796’, le tribunal pousse davantage ce raisonnement, usant de sa discr6tion
pour outrepasser la recommandation du tuteur ad hoc. En effet, ce derier, nomm6
pour repr6senter les intrts de ‘enfant, se prononce en faveur d’un test g6n6tique
consid6rant qu’il est dans l’int&& de l’enfant de connaitre la v6rit6 biologique. Toute-
fois, malgr6 cela, le tribunal conclut que la vdrit6 socio-affective demeure dans le
meilleur int&&t de l’enfant.

Dans l’affaire Droit de la famille-989, la mare de l’enfant annonce . son ex-
mar, pros de deux ans apr~s le divorce, qu’il n’est pas le p~re de l’enfant qui avait six
mois lors du divorce. Or, le pare biologique, fort d’une preuve par ADN, revendique
la patemit6. De plus, le directeur de la protection de lajeunesse intervient pour plaider
en faveur des origines biologiques de l’enfant. Voici ce qu’en dit le tribunal :
La lecture de 1’ensemble des dispositions du titre troisi6me do Code civil du
Qudbec portant sur la filiation amne indvitablement 4 Ia conclusion que le 16-
gislateur a refus6 d’6riger en systbme, un principe selon lequel seule compterait
la awv6t6 biologique>>. […] II n’appartient pas au tribunal d’amender le Code
civil pour faire triompher ]a v&dt6 biologique
tout prix conme a sembl6 le
sugg6rer le procureur du D.PJ., plaidant au nom de 1’enfant M [notes orni-
ses]J”

Dans l’affaire Droit de lafamille-2796 , le tribunal refuse de donner suite A la
demande du p~re, appuy6e par le tuteur ad hoc, qui requiert une ordonnance visant A
soumettre l’enfant i un test g6n6tique, dans le cadre d’une action en reconnaissance
de paternit6. En effet, d’une part, cette demande n’est pas contest6e et ne constitue
qu’un moyen pour le p~re de satisfaire sa curiosit6; d’autre part, le tribunal considere
qu’il n’en va aucunement de l’intdr& de l’enfant de connaitre la v6drit6 biologique,
dtant donn6 que sa paternit6 est 6tablie et n’est pas conteste .

IbiL ala p. 18.
Supra note 17.
LI Supra note 68.

Supra note 17 a lap. 1358.
Supra note 68.
Ibid. A ]ap. 2839.

2000]

A. OBADIA – L’INCIDENCE DES TESTS D’ADN

Cependant, dans le cadre d’un courant nettement minoritaire, nous relevons deux
causes dans lesquelles le tribunal a fait triompher la v6rit6 biologique. Dans la pre-
mi~re affaire, Droit de lafamille-2219’, se pronongant sur une action en reconnais-
sance de paternit6 entreprise par le pare biologique, la Cour d’appel, confirmant sur ce
point le jugement de premi~re instance, s’exprime comme-suit-

II me paraitrait aberrant […] d’6carter la v6rit6 et la r6alit6, en l’occurrence que
l’intim6 est le pAre de ‘enfant, et de rejeter sa demande pour le motif qu’il est
pr6f&able .> qu’il ne le soit pas ou qu’une d6claration
de patemit6 ne soit pas faite.

Les faits particuliers de cette cause mettent toutefois ces propos en perspective, en ce
qu’il s’agit d’un pore biologique, r6cemment inform6 de sa paternitd, qui dernande A
etre reconnu tandis que l’enfant, abandonn6e par sa mere, est sur le point d’etre
adopt6e. A cet 6gard, le tribunal d6clare :

[S]i la demande de filiation est d6pos6e avant I’6mission de cette ordonnance
[de placement], iI est r6put6 atre dans l’int&et de ‘enfant que ]a question soit
tranch6e et, qui plus est, ceci respecterait ses droits quant A l’tablissement d’un
lien de filiation entre lui et ses parents par le sang210 .

Dans la seconde affaire, Droit de lafamille-2530 ‘ , le tribunal permet le d6saveu
de patemit6 suite A un test d’ADN ayant r6v6l6 au demandeur qu’il n’dtait pas le pore
de l’enfant, malgr6 la naissance de l’enfant pendant le mariage et l’existence d’une
possession constante d’6tat d’une dur6e de quatre ans. Adoptant une position plus ra-
dicale, il va jusqu’h statuer que l’on ne saurait retenir ‘argument social suivant lequel
la paix des families exige des solutions qui peuvent aller A l’encontre de la v6rit6 bio-
logique pour 6carter le recours en desaveu traditionnel sans une volont6 clairement
exprim6e par le 16gislateur. Le tribunal ne manque toutefois pas de souligner que
l’intdr&t de l’enfant doit primer dans toutes les d6cisions qui le concement. Cepen-
dant, il consid~re que cet int6ret ne serait assur6ment pas servi par un jugement obli-
geant un pare
s’occuper d’un enfant qu’il ne d6sire plus voir. Par ailleurs, un tel ju-
gement pourrait empecher l’enfant de rechercher son pore biologique.

Ainsi, ces deux demi~res d6cisions, clairement minoritaires, se distinguent radi-
calement du courant de pens6e guidant le syst~me qu6b~cois du droit de la filiation.
En effet, elles semblent assimiler la v6rit6 biologique au meilleur int6rt de l’enfant.
Toutefois, tandis que l’on fait miroiter l’int6rt de l’enfant, on ne peut manquer de
remarquer que les intr~ts et droits du parent biologique ont pr6valu dans ces deux ar-
rats; l’ont-il 6t6 au prix de ceux de l’enfant ?

Droit de lafamille – 2219, supra note 103 ; Droit de lafamille- 2530, supra note 103.

Jugement de ]a Cour d’appel, supra note 103 A lap. 557.

. Ibi
2o Ibid. aux pp. 557-58.
2 Supra note 103.

MCGILL LAW JOURNAL! REVUE DE DROITDEMCGILL

[Vol. 45

2. Droit compar6

En ce qui conceme les provinces de common law, la jurisprudence n’adopte pas
une position aussi claire qu’au Qu6bec. En effet, dans l’affaire Goudie c. Goudie2, le
tribunal fait triompher la vdit6 biologique dans des conditions aberrantes. En effet, les
parties divorcxes ont trois enfants. Lorsque la mere se remarie, dans le but de rompre
les liens avec son ex-mari, elle demande au tribunal d’ordonner un test sanguin afin de
prouver que deux des trois enfants ne sont pas de celui-ci. Contre toute attente, le tri-
bunal ordonne le test sanguin afin de connaitre la v&iti biologique. Notons toutefois
qu’un autre juge, dans la meme affaire (diff&ente instance), deplore la tactique de la
mare.

Dans l’affaire S. c. M.”3, vingt ans apr~s un viol ayant rsult6 en grossesse, une
femme poursuit son agresseur en donmages-intrets pour les frais d’entretien occa-
sionn6s par ‘enfant. A cet effet, elle demande une ordonnance de tests sanguins afin
de prouver la parternit6, demande A laquelle le tribunal acquiesce malgr6 le fait que le
pore pr6sum6 n’ait pas consenti, faisant ainsi primer la v6rit6 biologique. Notons que
l’enfant, adulte, consentait A se soumettre h un test d’ADN.

Ces d6ecisions ne sont pas les seules a associer le meilleur intdr& de l’enfant a la
decouverte de son lien de filiation biologique?”. Par ailleurs, plusieurs decisions rd-
centes font primer l’int&& de lajustice sur l’intdr& de l’enfant et, consid6rant qu’il en
va de l’intret de la justice d’etre en possession de la meilleure preuve, ordonnent le
test d’ADN. Toutefois, l’int&t de l’enfant n’est pas totalement 6cartd, dans la mesure
ot) il est mentionn6 que la r~gle de la meilleure preuve ne vaudra que dans la mesure
oh elle ne sera pas nuisible a l’enfant15 . Par ailleurs, notons que les tribunaux des pro-
vinces de common law ont 6galementjug6 la vdrit6 biologique comme 6tant contraire
h l’int&& de l’enfant, notamment dans les cas de procreation m&iicalement assiste 2 ‘”,
lorsque les motivations du demandeur 6taient purement p~cuniaires” ‘ ou encore lors-
que la vdrit biologique est susceptible de troubler la paix et la stabilitd familiale de
1’enfant”.

En ce qui concere la France et la Belgique, conform6ment 4 la tradition roma-
niste, la r~alit6 psycho-affective est privildgi~e 6tant doun6 que ces deux syst~mes ju-
ridiques sont bases sur la reconnaissance et la volontF”. Pour ce qui est de

2,2Supra note 84.
2,Supra note 84.
21 Voir D.H., supra note 84 ainsi que Epps, supra note 84.
21 Voir LM.S., supra note 84, Epps, supra note 84, TN.T, supra note 84 et Vrmcelli, supra note 84

(ne tient pas compte du prejudice h ‘enfant).
216 Voir par ex. Z(M.J.), supra note 43 et L c. L, supra note 43.

ES., supra note 84.
M.A.E., supra note 85.

, Voir Meulders-Klein, supra note 53 aux pp. 402-403.

2000]

A. OBADIA – L’INCIDENCE DES TESTS D’ADN

l’Allemagne et de la Su~de, comme tous les pays de tradition germanique et nordique,
une place imperative et primordiale est accord~e A la vrit biologique.

Conclusion

Les tests d’ADN ont, de par leur nature, le potentiel de modifier de fagon signifi-
cative le droit de la filiation, dans la mesure oi l’on peut, A pr6sent, connaltre avec une
exactitude quasi totale la v6rit6 biologique et ainsi 6tablir le <> lien de filia-
tion. Cependant, aussi concluants et performants que puissent 6tre ces tests, notre
6tude d6montre que ce ne sera pas cette nouvelle technologie qui gouvernera
l’6tablissement 16gal de la filiation, mais plut6t les valeurs sociales et culturelles d’une
nation qui en d6termineront l’importance.

En effet, les choix sociaux et culturels seront refl6t6s dans les diff6rentes 16gisla-
tions des pays, lequelles verront Ai la rise en application de ces choix par l’ouverture
et l’importance qu’elles accorderont aux tests d’ADN en mati~re de filiation. Ainsi,
dans les pays de tradition romaniste la preuve par test d’ADN sera rel6gu6e au second
plan devant la place qu’occupe la reconnaissance sociale du lien de filiation, tandis
que dans les pays de tradition germanique et nordique, 6tant donn6 la primaut6 de la
v6rit6 biologique, une place de choix sera accord6e A ces tests.

Au Qu6bec, le test d’ADN devra cdler le pas devant des enjeux supdrieurs tels,
notamment, le respect des droits fondamentaux de la personne et, avant tout, l’inttini
de ‘enfant. R1 est 6tabli que celui-ci sera servi par la stabilit6 affective et familiale de
l’enfant, plutOt que par la recherche de son lien de filiation biologique. Toutefois,
d’aucuns prdtendent qu’avec les mouvements constants des families modernes dont
nous sommes t6moins Ai notre 6poque, la seule stabilit6 qui demeure parfois pour un
enfant est celle du lien biologique?’. De plus, ne perdons pas de vue que l’int6tr& de
‘enfant pourra A l’occasion commander la recherche de ses origines biologiques, et
ce, pour des raisons midicales ou encore patrimoniales.

Par ailleurs, on ne peut passer sous silence l’importance des tests g6n6tiques pour
l’ttat qui a, quant A lui, un inttir& A retrouver le parent biologique. En effet, dans les
pays munis de programmes sociaux visant h pourvoir aux besoins des enfants d6mu-
nis, les incitatifs gouvemementaux ne seront pas ntgligeables, dans la mesure oil la
recherche et la d6couverte du parent biologique tquivaudront A celle du d6biteur ali-
mentaire, ayant potentiellement comme r6sultat de d6charger l’Etat d’un fardeau fi-
nancier.

Pour terminer, rappelons l’existence des tests d’ADN pratiqu6s dans tm contexte
extra-judiciaire qui, bien que fort utiles dans certains cas, demeurent h ce jour non r6-
glement6s. Or, cette pratique dissimule un danger r6el : celui d’une atteinte illicite A
certains droits tels le droit A l’int6gdt6 et A l’inviolabilit6 et le droit A la vie priv6e de

Voir ibid aux pp. 401-402 ; voir aussi la partie I.B.1.c.ii du present article.

2″ Voir Meulders-Klein, supra note 53 t lap. 405.

526

MCGILL LAWJOURNAL/REVUEDEDROITDEMCGILL

[Vol. 45

l’enfant. En effet, ceux-ci ne peuvent 6tre valablement protdgds 6tant donn6 que,
d’une part, le d6tenteur de l’autorit6 parentale peut faire pr6valoir ses int&rts sur ceux
de l’enfant et que, d’autre part, aucune instance judiciaire ou administrative impar-
tiale, gardienne des droits et intdnits de l’enfant, n’est appel6e h intervenir. Par
ailleurs, la conservation d’6chantillons et la constitution possible de banques de don-
n6es sous-tendent l’acc~s A ces donnes par des personnes non autorisdes, situation
lourde de consquences vu la nature des informations disponibles. De plus, la possi-
bilit6 que ces donndes puissent atre utilises A d’autres fins que celles pr6vues sans
qu’un contr6le ne puisse 8tre exerc6 demeure prdsente. Ainsi, malgr6 que les tests
d’ADN n’occupent pas une place de choix en droit de la filiation au Qu6bec, il est
important, sinon essentiel, que le 16gislateur intervienne h cet effet et, h d~faut
d’imposer un contr~le judiciaire pour filtrer l’exdcution de ces tests, instaure un sys-
tame de contr6le r6glementaire sur la qualit des tests, la qualification des experts et
les m6thodes scientifiques utilises, afin de prot6ger le public contre toute ing&ence
et discrimination possible.