Article Volume 39:1

Pour une interprétation modérée et raisonnée du refus d'option entre responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle (article 1458, deuxième alinéa du Code civil du Québec)

Table of Contents

Pour une interpretation mod6r6e et raisonnre du
refus d’option entre responsabilit6 contractuelle

et responsabilit6 d6lictuelle

(article 1458, deuxi~me alinra du Code civil du Quibec)

Genevieve Viney’

Avec

‘article 1458, deuxi~me alinda C.c.Q., le
refus d’option entre rdgime contractuel et rdgime
d6lictuel est devenu une solution 16gale au Quebec.
qui
est en rdalitd une interdiction de l’option – n’a 6t6
vraiment systdmatis6e que dans les annres cin-
quante.

En France, la rgle dite du non-cumul>> –

L’auteure examine les rdsultats de. l’expdrience
frangaise afin de mettre en garde les tribunaux qud-
bdcois contre une interprdtation trop systdmatique
de l’article 1458 C.c.Q.

En France, parmi les applications que lajurispru-
dence fait de la rfgle du non-cumul, il en est qui sont
commanddes par le respect du contenu m~me du
contrat, tandis que d’autres garantissent des particu-
laritls du rdgime contractuel qui ne touchent pas
directement au contenu des obligations contrac-
tuelles.

Selon l’auteure, de fagon gdndrale, on peut cons-
tater que, telle qu’elle est manide actuellement par la
jurisprudence frangaise, la rgle du non-cumul
rdpond trks mal A la fonction qui lui est en principe
assignde. En effet, elle fait souvent obstacle A des
demandes qui ne menacent nullement l’intdgrit6 du
contrat, alors qu’en revanche, dans beaucoup d’hy-
poth~ses oa le respect des prvisions contractuelles
est effectivement menac6 par l’intervention d’un
tiers, elle est purement et simplement 6cartde.

En ddfinitive, la mise en oeuvre actuelle de la
rfgle du non-cumul par la jurisprudence frangaise
parait franchement ddfectueuse. D’une part, elle
produit des effets pervers sdrieux en retardant indi-
ment l’admission de nombreuses demandes pourtant
justifides au fond et, d’autre part, elle n’empeche
nullement la ddformation du contrat par l’intrusion,
As l’initiative des tiers, des rhgles ddlictuelles dans le
champ contractuel.

La constatation de ces imperfections conduit
done ii pr6ner une interprdtation moddre de l’article
1458, deuxihme alinra C.c.Q. Afin d’6viter que le
refus d’option impos6 par ce texte ne conduise aux
memes errements que ceux auxquels la rhgle du
non-cumul a donn6 lieu en France, les juges doivent
constamment garder A l’esprit le but de cette dispo-
sition, qui est d’assurer le respect du contrat. C’est
done la seule prdoccupation qui devrait les guider
aussi bien pour dterminer le domaine de la rfgle
nouvelle que pour ddfinir les modalitds de sa mise
en ceuvre.

With the enactment of the second paragraph of
article 1458 C.C.Q., the preclusion of an option
between the contractual regime and the delictual
regime has been legislatively entrenched in Qudbec.
In France, the “non-cumul” rule – which, in
reality, prohibits option – was not truly systema-
tized until the 1950s.

The author examines the results of the French
experience in order to alert Quebec courts to the
dangers of an overly systematic interpretation of ar-
ticle 1458 C.C.Q.
Among the jurisprudential applications of the
“non-cumul” rule in France, there are those necessi-
tated by respect for the actual substance of the con-
tract, while others guarantee particularities of the
contractual regime that are not directly concerned
with the substance of the contractual obligations.

According to the author, generally speaking, it is
evident, as currently applied by French jurispru-
dence, that the “non-cumul” rule inadequately ful-
fills the function that is, in principle, assigned to it.
In effect, it is often an obstacle to claims that in no
way threaten the integrity of the contract, while, on
the other hand, in many cases in which respect for
contractual provisions is effectively threatened by
the intervention of a third party, it is purely and sim-
ply dismissed.

Clearly, the current implementation of the “non-
cumul” rule by French jurisprudence seems obvi-
ously defective. On the one hand, it produces seri-
ous perverse effects by unduly inhibiting the ad-
mission of many otherwise substantially justified
claims, and, on the other hand, it in no way prevents
the distortion of the contract by the intrusion, at the
initiative of a third party, of delictual rules in the
field of contract.

The ascertainment of these imperfections thus
advocates in favour of a moderate interpretation of
article 1458, paragraph 2 C.C.Q. In order to prevent
the option prohibition imposed by that text from
leading to the same problems to which the “non-
cumul” rule gave rise in France, judges must con-
stantly keep in mind the objective of this provision,
which is to ensure the respect of the contract. This
is thus the only preoccupation that should guide
them, as much in order to determine the scope of the
new rule as to define the modalities of its implemen-
tation.

* Professeur 4 l’Universit6 de Paris, Panthdon-Sorbonne.

Revue de droit de McGill
McGill Law Journal 1994
Mode de r~fdrence: (1994) 39 R.D. McGill 813
To be cited as: (1994) 39 McGill L.J. 813

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 39

Sommaire

Introduction

I.

Les rayons et les ombres de > en droit frangais

II. Les enseignements A tirer de l’exp~rience frangaise pour
l’interpr~tation de l’article 1458, deuxi~me alin~a C.c.Q.

Conclusion

Introduction

Dans la p6riode qui a pr&cd6 le vote du Code civil diu Qubec, la question
du droit d’option de la victime entre regime contractuel et r6gime d6lictuel dans
les cas oti les conditions d’application de ‘un et de l’autre se trouvent simulta-
n~ment r~unies a 6t6 tr~s discut~e au Qu6bec’ comme ailleurs2. Et, apr~s une
p~riode d’h6sitations3, la Cour supreme du Canada a clairement statu6, dans
l’affaire Wabasso Ltd. c. National Drying Machinery Co., en faveur de l’option4.
Par un contrat conclu en Pennsylvanie, Wabasso avait achet6 de National
Drying des machines qui se r~v~l~rent par la suite d6fectueuses et provoqu~rent
un incendie. L’acheteur assigna donc en responsabilit6 le vendeur mais, cette
action ayant 6 port6e devant la Cour sup6rieure du Qu6bec, le vendeur opposa
un d~clinatoire de comp6tence. I1 invoqua en effet le caract~re contractuel de la

1Voir notamment P.-A. Cr~peau, < (1962) 22 R. du B. 501 ; A. et R. Nadeau, Traitdpratique de la responsabilitd
civile dilictuelle, Montreal, Wilson et Lafleur, 1971 au n 44 et s. ; L. Baudouin, Le droit civil de
la Province du Quebec, Montreal, Wilson et Lafleur, 1953 aux pp. 879-85 P.P.C. Haanappel, > (1985) 10 Can. Bus. L.J. 306; J.-L. Baudouin, La responsabilitj civile
ddlictuelle, 4′ dd., Cowansville (Qu6.), Yvon Blais, 1994 aux n- 29-38 ; M. Tancelin, Des obliga-
tions : Contrat et responsabiliti, 4′ 6d., Montreal, Wilson et Lafleur, 1988 aux n- 401-403.
2Voir pour la Belgique, R.O. Dalcq, Traitg de la responsabilitj civile, 2′ 6d., Bruxelles, F. Lar-
ci~re, 1967 aux n- 120-42 ; pour la Suisse, H. Deschesneaux et P. Tercier, La responsabilitj civile,
Berne, Staempfli, 1975 aux pp. 258-60 ; pour ]a position des auteurs anglais, A. Tunc, Internatio-
nal Encyclopedia of Comparative Law, vol. X1, La Haye, J.C.B. Mohr (Paul Siebeck), Tfibingen/
Martinus Nijhoff, 1981 ; pour la doctrine am~ricaine, le rapport non publi6 de Posser au Congr~s
de Hambourg de 1962.
3Dans l’ensemble, les tribunaux 6taient pourtant d6jh plut6t favorables h l’option. Voir J.-L. Bau-

douin, supra note I au n 240; Tancelin, supra note 1 au n 402.

4[1981I 1 R.C.S. 578, 38 N.R. 224, infirmant [1979] C.A. 279 (infirmant [1977] C.S. 782)

[ci-apr~s Wabasso].

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LE REFUS D’OPTION

responsabilit6 pour d6nier la comp6tence de la juridiction saisie et revendiquer
celle des juridictions pennsylvaniennes. Mais l’acheteur objecta que le fait
gdn6rateur de la responsabilit6, 6tant un d6faut d’information sur les dangers de
la chose vendue, r6v~tait un double caractre : il constituait h la fois un manque-
ment au contrat et une imprudence caract6risant la faute d6lictuelle, de telle
sorte que la demande pouvait, selon lui, 6tre pr6sent6e devant le tribunal com-
p6tent pour statuer sur l’action d6lictuelle – qui 6tait pr~cis6ment la juridiction
saisie -,
la victime ayant la possibilit6 d’opter en faveur du r6gime d6lictuel.
Cette argumentation fit accuellie par la Cour sup~rieure qui rejeta le d~clina-
toire de comp6tence. En revanche, la Cour d’appel infirma cette d6cision qui fut
r6tablie par la Cour supreme du Canada.

La position de la jurisprudence se trouvait ainsi clarifi6e, mais l’arrt
Wabasso fit aussit6t l’objet de commentaires critiques qui r6v6l rent les divi-
sions de la doctrine sur cette question d61icate6 et il y a tout lieu de penser que
cette controverse pesa d’un grand poids lors de l’examen de la question par les
r6dacteurs du Code civil du Qudbec.

Quoi qu’il en soit, celui-ci consacra explicitement, h l’article 1458, la solu-
tion inverse de celle qui avait 6t6 admise par la Cour supreme du Canada. En
effet, tandis que, dans son alin6a premier, cet article rappelle que toute per-
sonne a le devoir d’honorer ses engagements contractuels>>, son second alin6a
pr6cise

[qu’]elle est, lorsqu’elle manque h ce devoir, responsable du prejudice corporel,
moral ou materiel qu’elle cause a son cocontractant et tenue de r~parer ce pr6ju-
dice; ni elle ni le cocontractant ne peuvent alors se soustraire d l’application des
regles du rigime contractuel de responsabiliti pour opter en faveur de rdgles qui
leur seraient plus profitables [mes italiques].

Le refus d’option devient ainsi au Quebec une solution 16gale, ce qui est,
semble-t-il, exceptionnel, la question 6tant rest6e, dans la plupart des pays, du
ressort des tribunaux. Elle est en outre explicitement impos6e aux deux parties,
alors qu’ordinairement c’est seulement la facult6, pour la victime, de s’6vader
du cadre contractuel qui est discut6e. Enfm, on remarquera que c’est l’applica-
tion des r (1982) 27 R.D. McGill 813 ; P.-G. Jobin,
(1980) 40 R. du B. 160; M. Tancelin,

REVUE DE DROIT DE McGILL

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Et d’ailleurs, d’une certaine faqon, ce principe paraft bien dans la logique
des rrformes rralis6es par ce Code. En effet, celui-ci ayant sensiblement rappro-
ch6 les r6gimes contractuel et drlictuel7, on peut penser que le particularisme du
regime contractuel a 6t6 rrduit au strict minimum command6 par le respect du
contrat, de telle sorte que toute tentative en vue de le neutraliser par substitution
des r~gles drlictuelles aux r~gles contractuelles normalement applicables peut
apparaitre comme une menace dirige contre le contrat lui-meme.

Toutefois, si l’on examine les solutions consacrres par la plupart des droits
6trangers, force est de constater que le refus radical de toute option entre r6gime
contractuel et r6gime drlictuel est une solution peu rrpandue en droit compar68.
La plupart des syst~mes juridiques adoptent, sur cette question, des positions qui
sont soit franchement favorables t l’option, soit d’un empirisme qui laisse en
fait une large place h celle-ci9.

Reste qu’en France, la r~gle dite du non-cumul –

qui est en r6alit6 une
interdiction de l’option –
a 6t6 d6fendue avec vigueur par la doctrine qui l’a
parfois prrsentre comme rrpondant h une exigence imprrieuse de logique’ .
D’ailleurs, la plupart des auteurs lui restent aujourd’hui attach6s” et la jurispru-
dence l’applique quotidiennement 2.

nommis, vol. 2, Ste-Foy (Qua.), Presses de l’Universit6 Laval, 1993 A la p. 235, n, 4.

7C. Masse, La responsabilit6 civile> dans La riforme d Code civil: Obligations, contrats
8Voir T. Weir, International Encyclopedia of Comparative Law, vol. XI, La Haye, J.C.B. Mohr
(Paul Siebeck), Tilbingen/Mouton, 1976, c. 12, n- 47-72; M. Rutsaert, Rapport de synth~se au
8′ colloque juridique international de Venise, octobre 1977 > [1977] R.G.A.T. A la p. 532.

9C’est ]a position des jurisprudences anglaise et amtricaine. Voir Weir, ibid. aux n- 68-70; J.

Jolowicz, dir., Droit anglais, 1″ 6d., Paris, Dalloz, 1986 au n 76.

1Voir R. Rodi~re, Etudes sur la dualit6 des rrgimes de responsabilit6
, partie I, J.C.P.
1950.1.861 ; R. Rodi~re, ottudes sur la dualit6 des r~gimes de responsabilitd
, partie II, J.C.P.
1950.1.868 ; E.N. Martine, L’option entre la responsabilitg contractuelle et la responsabilit6 dilic-
tuelle (th~se de doctorat en droit), Universit6 de Caen, Paris, Librairie gdnrrale de droit et de juris-
prudence, 1957.

‘Voir G. Comu, Le probleme d cumul entre responsabilitg contractuelle et responsabilitd
dilictuelle, Rapport prdsent6 au 6′ colloque international de Hambourg, 1962 [non publif] ; H. ct
L. Mazeaud et A. Tunc, Traitj thiorique et pratique de la responsabiliti civile dilictuelle et con-
tractuelle, t. 1, 6′ 6d., Paris, Montchrestien, 1965 aux n – 173-207.

La quasi-totalit6 des traitrs et manuels rdcents prrsentent ]a r~gle du non-cumul comme un did-

ment du droit positif qui n’appelle pas de discussion.

En revanche, plusieurs theses lui ont consacr6 des drveloppements importants. Les deux plus
rdcentes sont celles de J. Huet, Responsabilitg contractuelle et responsabilitg delictuelle : Essai de
ddlimitation entre les deux ordres de responsabilitd, thse de doctorat en droit, Paris-II, Collections
Theses Frangaises, 1978 [non-publie] ; M. Espagnon, La regle d non-cumul des responsabilitis
contractuelle et ddlictuelle en droit civilfrangais, these de doctorat en droit, Paris-I, Collections
Theses Frangaises, 1980 [non-publide].

Parmi les theses plus anciennes, il convient de citer celles de A. Brun, Rapports et domaines des
responsabilitds contractuelle et dilictuelle (th~se, Lyon), Paris, Sirey, 1931 ; J. Van Ryn, Respon-
sabilitd aquilienne et contrat, th~se, Bruxelles, 1933 [non-publie] ; W. Czachorski, Le probline
du cumul de la responsabilitd contractuelle et dlictuelle, th~se, Bruxelles, 1962 [non-publide].
Voir G. Viney, Les obligations – la responsabilitg : Conditions, Paris, Librairie gdndrale de droit

et de jurisprudence, 1982 aux n- 216-3 1.

12 Voir les arrts dans Viney, ibid. aux n- 220-21. Voir 6galement Cass. civ. 1′ , 6 janvier 1981,
D.1982.Inf.24; Cass. civ. 1′, 11 mai 1982, Bull. civ. 1982.1.151, n, 170; Cass. civ. 1′ , 1″ mars
1983, Bull. civ. 1983.1.74, n 84 ; Cass. civ. 1″, 3 mai 1984, Bull. civ. 1984.1.126, n” 149 ; Cass.

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LE REFUS D’OPTION

Est-ce t dire qu’elle soit pour autant enracin6e dans la tradition juridique
franqaise au point d’8tre d6finitivement in6branlable et intouchable ? L’affirmer
serait, t mon avis, tr~s excessif. En effet, si cette r~gle peut effectivement se
r6clamer de d6cisions assez anciennes 13, elle n’a 6t6 vraiment syst6matis6e
qu’au cours des ann6es cinquante”4. Elle est donc relativement r6cente. En outre,
elle comporte des exceptions assez nombreuses’ 5 dont l’une au moins a une por-
t6e consid6rable, puisqu’elle conceme toute inex6cution p6nalement incrimin6e
d’une obligation contractuelle. En effet, jusqu’I un arr&t du 3 mars 19936, dont
la port6e reste pour l’instant incertaine, la Chambre criminelle de la Cour de
cassation a constamment admis que
‘action civile fond6e sur un tel fait peut
8tre port6e, accessoirement A l’action publique, devant la juridiction r6pressive,
mais qu’elle doit alors 8tre jug6e selon les principes de la responsabilit6 d6lie-
tuelle, le juge p6nal n’ayant pas la possibilit6 de statuer sur le fondement des
r~gles contractuelles. Or comme, en droit frangais, la victime dispose, sur le
fondement des articles 2, 3 et 4 du Code de procidure pinale, d’un droit d’op-
tion entre la voie civile et la voie p6nale, elle se trouve ainsi investie d’une
facult6 de choix entre l’application des r~gles contractuelles et celle des r6gles
d61ictuelles”7. C’est done l une entorse de taille au principe du <>.
Enfin, il importe de souligner que la faveur dont celui-ci a longtemps b6n6-
fici6 aupr~s de la doctrine tend A devenir moins enthousiaste, certains auteurs
ayant exprim6 des critiques sinon contre la r~gle elle-meme, du moins contre la
mani~re dont elle est parfois appliqu6e 8.

C’est pourquoi il semble important d’examiner avec soin les r6sultats de
l’exp~rience frangaise afm de mettre 6ventuellement en garde les tribunaux qu6-
bMcois contre une interpr6tation trop syst6matique de l’article 1458 C.c.Q.

I. Les rayons et les ombres de la r~gle du non-cumul des responsabilit~s

contractuelle et d61ictuelle>> en droit franqais

C’est parce que le particularisme du regime de la responsabilit6 contrac-
tuelle leur est apparu comme une garantie de l’int6grit6 du contrat lui-meme que
la doctrine et la jurisprudence frangaises ont pos6 en principe qu’il doit etre pro-
t6g6 contre l’intrusion des r~gles d6lictuelles : c’est done par rapport cet objec-
tif qu’il importe d’appr6cier les positions actuelles du droit frangais. Les appli-
cations faites aujourd’hui de la r~gle du non-cumul sont-elles toutes r6ellement

com., 26 f6vrier 1985, Bull. civ. 1985.IV.67, n’ 78; Cass. civ. 2′, 30 novembre 1988, Bull. civ.
1988.II.130, n* 240; Cass. com., 14 f6vrier 1989, Bull. civ. 1989.IV.39, no 59; Cass. com., 13
novembre 1990, Bull. civ. 1990.IV.190, n’ 71 ; Cass. civ. 2′, 26 mai 1992, Bull. civ. 1992.11.75, n’
154; Cass. civ. 1, 4 novembre 1992, Bull. civ. 1992.1.181, n 276 ; Cass. civ. 1′, 27 janvier 1993,
Bull. civ. 1993.1.28, n 42; Cass. civ. 2′, 9 juin 1993, Bull. civ. 1993.11.110, n 204.
13Par ex. Cass. civ., 6 avril 1927, S.1927.1.201 (note H. Mazeaud), D.1927.I.111.
14 Voir Rodi~re, supra note 10; Martine, supra note 10.
15Voir Viney, supra note 11 aux n- 222-25.
t6Cass. crim., 3 mars 1993, Bull. crim. 1993.240, n 96.
17 Voir M. Muller, L’inexdcution pinalement rdpr~hensible d contrat, th~se de doctorat d’ttat,

Paris-i, Collections Theses Frangaises, 1976 aux n- 138, 139.

18Voir notamment Espagnon, supra note 11 ; G. Viney, <>

J.C.P. 1993.1.3664, n- 1-6; 3727, n- 4-6.

McGILL LAW JOURNAL

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n~cessaires au respect du contrat ? La mani~re dont cette r~gle est appliqu6e et
mise en oeuvre ne conduit-elle pas parfois a des r6sultats 6trangers, voire meme
contraires, au but recherch6 ?

A. Parmi les applications que la jurisprudence fait de la r~gle du non-
cumul, il en est qui sont command6es par le respect du contenu m~me du con-
trat, tandis que d’autres garantissent des particularit6s du r6gime contractuel qui
ne touchent pas directement au contenu des obligations contractuelles.

10) Dans les cas oa l’application du regime d6lictuel aux actions en res-
ponsabilit6 fond6es sur l’inobservation entre cocontractants d’une obligation
contractuelle aurait pour effet d’altirer le contenu mme de la convention, le
principe de la force obligatoire du contrat est directement en cause. Les tribu-
naux n’ont donc jamais h6sit6, dans ces hypotheses, a s’opposer A l’extension
du domaine d’application normal de l’article 1382 et suivants C.N.’ 9.

Ce refus a 6t6 notamment exprim6 a propos d’esp~ces dans lesquelles l’une
des parties cherchait A utiliser ‘article 1382 C.N. afin d’6viter que le fait g6n6-
rateur de la responsabilit6 ne ffit appr6ci6 en fonction des r~gles contractuelles.
La jurisprudence s’est montr6e en particulier intransigeante vis-a-vis des cr6an-
ciers qui r~clamaient
‘application de l’article 1382 C.N. pour 61uder les cons6-
quences de dispositions l6gales ou de clauses conventionnelles restrictives de
responsabilite2 o. La Cour de cassation a d’ailleurs eu l’occasion 6galement, bien
que plus rarement, de faire preuve de la m8me rigueur vis-a-vis du d~biteur qui
pr6tendait tirer argument de ce meme texte pour 6chapper a une responsabilit6
stricte de nature contractuelle A laquelle il se trouvait expos6 vis-a-vis du
demandeur2′.

Mais le plus souvent, lorsque l’extension du r6gime d6lictuel hors de son
domaine propre est sollicit6e par la victime, ce n’est pas l’article 1382 C.N. qui
est invoqu6, mais plut6t l’article 1384, premier alin6a C.N. Le r6gime de res-
ponsabilit6 de plein droit du fait des choses, dont ce texte est aujourd’hui le
si~ge, n’a pas en effet de correspondant en mati6re contractuelle. Ici encore, la
jurisprudence se montre donc tr~s ferme dans son refus 22. La m~me solution a
d’ailleurs 6t6 6galement admise dans des cas oii le demandeur cherchait A faire
intervenir dans le champ contractuel les articles 1385 ou 1386 C.N. ou encore
la th6orie des troubles de voisinage 3.

Ajoutons que le souci de faire respecter le contrat a, de la m8me manire,
amen6 les tribunaux A refuser l’application aux litiges soumis Ai l’empire du
r6gime contractuel des r~gles d6lictuelles lorsqu’elles auraient eu pour effet de

19Voir Viney, supra note 11 au n 220 ; Espagnon, ibid. au n 60 et s.
20Voir Cass. civ. 1′, 11 janvier 1961, Bull. civ. 1961.1.23, n 28 ; Cass. civ. 3′, 14 avril 1964, Bull.
civ. 1964.111.154, n 182. Voir 6galement Poitiers, 29 juin 1983, D.1984.Jur.61 (note G. Daverat).
21Cass. civ. 1″, 28 mai 1962, Bull. civ. 1962.1.238, n 267.
2 2Voir les arrts cit6s dans Viney, supra note 11 au nw 220, n. 287. Voir 6galement Cass. civ. 2,
15 d~cembre 1986, D.1987.Jur.221 (note C. Larroumet); Cass. civ. 2′, 24 juin 1987, J.C.P.
1987.IV.304; Cass. civ. 2′, 30 novembre 1988, Bull. civ. 1988.11.30, n 240; Cass. civ. 2, 26 mal
1992, Bull. civ. 1992.11.75, n 154.

2Voir Espagnon, supra note 11 aux n” 107-12.

1994]

LE REFUS D’OPTION

tenir en 6chec une clause quelconque du contrat, par exemple une clause
p~nale24 ou une clause compromissoirez .

Se rattachent enfm au respect du contrat les decisions qui refusent h la vic-
time la possibilit6 de se prrvaloir de l’assurance de responsabilit6 de l’auteur du
dommage lorsqu’une clause du contrat d’assurance limite la garantie i la res-
ponsabilit6 d6lictuelle alors que l’action exerc~e est de nature contractuelle2 6 .
Ces applications de la r~gle du non-cumul sont 6videmment justifi~es dans
leur principe, mais h la condition, bien entendu, que la qualification <> de l’action exercre soit incontestable. Or, bien souvent, nous le verrons,
elle ne l’est nullement.

20) Parfois d’ailleurs, lorsque la r~gle du non-cumul est invoqu6e, ce
n’est pas pour pr6server le contenu et la portre des obligations elles-mmes,
mais pourfaire privaloir certaines particularit6s du rdgime de la responsabilit
contractuelle. Or la Cour de cassation se montre 6galement favorable A son
application dans ces hypotheses.

Ainsi a-t-elle impos6, sur le fondement de ce principe, les r~gles de preuve

normalement applicables entre cocontractants 7 .

Elle a 6galement eu l’occasion de refuser A la victime, sur ce mme fon-
dement, la possibilit6 d’6carter le principe de non-rdparation du dommage con-
tractuel imprdvisible rdsultant de l’article 1150 C.N. 5.

Mais c’est surtout afin d’imposer les particularitds du rdgime de l’action en
responsabilit6 contractuelle que la r~gle du non-cumul est frrquemment invo-
qu6e et, ici encore, la jurisprudence s’est drclarre favorable A son application.
La Cour de cassation refuse en effet catdgoriquement, ds lors qu’l est constat6
que les conditions d’application du regime contractuel se trouvent rdunies, d’ad-
mettre que la victime soit autorisre a se placer sur le terrain drlictuel soit pour
faire jouer les r~gles de comp6tence juridictionnelle applicables en ce domaine,
soit pour 6chapper aux drlais de prescription ou de forclusion limitant la dur6e
de l’action contractuelle29.

Dans ces hypotheses, la r~gle du non-cumul acquiert alors une fonction qui
drpasse largement la protection du contenu obligationnel du contrat. Elle
devient une garantie de l’autonomie du rdgime de la responsabilit6 contrac-
tuelle. Certes, dans la mesure oii ce particularisme est prdsent6 comme une con-
sequence de l’origine contractuelle de la r~gle mrconnue, ces applications

24Cass. civ. 3′, 1′ frvrier 1972, Bull. civ. 1972.I/I.54, n 74.
25Cass. civ. 3, 17 juin 1970, Bull. civ. 1970.111.300, no 413.
6Cass. civ. 1′ , 6 janvier 1981, D.1982.Inf.24, [1981] R.G.A.T. 539 ; Cass. civ. 1′, 1″ mars 1983,

Bull. civ. 1993.1.74, n 84; Cass. civ. 1′ , 27 janvier 1993, Bull. civ. 1993.1.28, n’ 42.

27Voir Cass. civ. 1′, 30 avril 1968, Bull. civ. 1968.1.100, n 128.
28Voir Cass. civ. 1′ , 11 mai 1982, Bull. civ. 1982.1.151, n 170, Gaz. Pal. 1982. 2′ sem. Jur.612
(note F. Chabas) ; G. Durry, (1982) Rev. trini. dr. civ. 144.

29Voir les arr~ts cits dans Viney, supra note 11 au n* 221, n. 293. Voir 6galement Cass. civ. 1′,
3 mai 1984, Bull. civ. 1984.1.126, n 145 ; Cass. civ. 1′, 11 janvier 1989, J.C.P. 1989.11.21326 (note
C. Larroumet); Cass. civ. 1″, 4 novembre 1992, Bull. civ. 1992.1.181, n 276.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 39

paraissent logiques et naturelles. II n’en reste pas moins qu’elles sont loin de
s’imposer avec la meme 6vidence que celles qui r6pondent directement au souci
de faire respecter les obligations nres du contrat et les clauses ins6r6es dans le
contrat.

Bien plus, lorsqu’il s’agit de particularit6s discutables, comme celles qui
touchent au regime de ‘action”, la r~gle du non-cumul, qui accuse leur impact,
aggrave d’autant leurs inconvdnients.

B. De faqon g6nrrale, d’ailleurs, on peut constater que, telle qu’elle est
manire actuellement par la jurisprudence franqaise, la regle d non-cumul r-
pond tres mal d la fonction qui lui est en principe assign6e. En effet, elle met
souvent obstacle h des demandes qui ne menacent nullement l’int6grit6 du con-
trat, alors qu’en revanche, dans beaucoup d’hypoth~ses oti le respect des pr6vi-
sions contractuelles est effectivement menac6 par l’intervention d’un tiers, elle
est purement et simplement 6cartre.

10)

Il est tresfi-6quent que la regle d non-cumul soit invoquie pour tenir
en ichec des demandes qui sont en ralitijustifies ar fond et dont elle retarde
ou emp~che l’aboutissement, sans aucune utilit6.

a) C’est le cas notamment lorsque le juge d6clare irrecevable une
demande d’indemnit6 qui aurait
t6 manifestement justifire sur le terrain con-
tractuel, tout simplement parce que le demandeur, ou son conseil, a commis une
erreur de qualification en se plaqant sur le terrain de l’article 1382 et suivants
C.N. La r~gle du non-cumul apparait alors comme un moyen dilatoire idal dont
peuvent user et abuser les plaideurs de mauvaise foi.

On pourrait illustrer ce jugement par de nombreux exemples. Nous n’en
prendrons qu’un seul, tir6 de la jurisprudence rrcente”. Le propri6taire d’un
immeuble situ6 dans un secteur protdg6 avait confi6 t un entrepreneur la r6fec-
tion de ce bdtiment. L’entrepreneur ayant nrglig6 les prescriptions de l’archi-
tecte des batiments de France, une subvention, qui 6tait en principe accordre
pour ces travaux, fut refusre et le propri6taire r6clama une indemnit6 A lentre-
preneur pour compenser cette suppression. Le tribunal prononga une condamna-
tion sur le fondement de l’article 1382 C.N. au motif que l’entrepreneur avait
mrconnu les dispositions du devis et contrevenu aux prescriptions techniques
du programme de ravalement et que ce comportement constituait une faute. Or
ce jugement fut cass6 pour violation de la r~gle du non-cumul, l’article 1382
C.N. 6tant drclar6 inapplicable h la reparation d’un dommage se rattachant A
l’exdcution d’un engagement contractuel>. Pourtant, dans cette esp~ce, l’inex6-
cution du contrat 6tait patente ; la r~gle du non-cumul n’aura donc servi qu’h en
retarder la sanction.

b) Mais, il y a pire : cette r~gle est en effet tres souvent utilisge pour tenir
en 6chec des demandes dont le caractre contractuel est en r~alitj extr~mement
douteux.

30Voir Viney, ibid. au n* 237.
31Cass. civ. 2’, 9 juin 1993, Bull. civ. 1993.11.110, n 204.

19941

LE REFUS D’OPTION

Deux exemples, pris presque au hasard dans la jurisprudence r6cente,

illustrent cette affirmation.

Le premier est tir6 d’un arret de la deuxi~me chambre civile de la Cour de
cassation du 26 mai 199232. Pendant les travaux de restauration d’un immeuble,
un incendie se d6clara et d6truisit l’automobile du maitre de l’ouvrage, gar6e
pros du chantier. L’action exerc6e contre l’entrepreneur fut accueillie en appel
sur le fondement de l’article 1384, premier alin6a, mais l’arr& fut cass6 au motif
<[q]u'en statuant ainsi sur le fondement de l'article 1384, alin6a 1, du Code civil alors qu'elle retenait l'existence d'un march6 de travaux entre les parties, la cour d'appel a viol6 les textes susvis~s [tant l'article 1147 que l'article 1384, 1e" alin6a C.N.] [...]>. II s’agit donc lh d’une application de la r~gle de non-cumul
assortie de consequences 6videmrnment d6sastreuses pour la victime oblig6e de
recommencer son procs uniquement parce que son conseil se serait tromp6
dans le choix du texte utilis6 comme fondement de l’action. Or on peut forte-
ment douter qu’il y efit ici erreur de qualification. Pour que celle-ci ffit carac-
t6ris6e, il faudrait en effet admettre que le contrat de louage d’ouvrage tendant
h la r6novation d’un immeuble cr6e une obligation de s6curit6 quant aux biens
du maitre de l’ouvrage situ6s proximit6 du chantier. Sinon, les conditions de
la responsabilit6 contractuelle n’6tant pas toutes r6unies, il n’y aurait aucune rai-
son d’exclure a priori l’application de l’article 1384, premier alin6a C.N. Or, le
moins que l’on puisse dire, c’est que la reconnaissance de cette pr6tendue obli-
gation de s~curit6 n’est gu~re r~aliste.

Dans une autre affaire, qui a 6t soumise t la premiere chambre civile de
la Cour de cassation le 27 janvier 1993″3, il s’agissait d’un accident cause par
une trongonneuse 6lectrique alors que la victime donnait un coup de main h son
fr~re pour couper du bois. La Cour d’appel ayant estim6 que la situation n’6tait
pas contractuelle, avait fait application de l’article 1384, premier alin6a C.N.,
mais l’assureur de responsabilit6 se pourvut en cassation. Ii all6gua que le dom-
mage r6sultait de l’inex~cution d’un > et qu’il ne
devait donc aucune indemnit6, la police d’assurance ne garantissant que la res-
ponsabilit6 d6lictuelle. Or il obtint gain de cause. Cette decision me parait 6ga-
lement contestable, car englober dans le cat6gorie des contrats pareille situation
relive, me semble-t-il, de la plus haute fantaisie. En 61argissant
ce point le
concept de contrat, on lui retire en effet toute sp6cificit6.

Ces esp~ces illustrent donc les inconv6nients que pr~sente l’application
rigoureuse de la r~gle du non-cumul lorsqu’elle s’appuie sur une qualification
contestable de la situation vis~e. Or, malheureusement, tel est le cas aujourd’hui
dans un nombre croissant d’hypoth~ses, tout simplement parce que les notions
qui commandent cette qualification sont toutes remises en cause et Aprement
discut6es. C’est vrai pour la notion de contrat34 , mais aussi pour celle d’obli-

32Bull. civ. 1992.11.75, n* 154.
33Bull. civ. 1993, n* 42.
34 VoirJ. Ghestin, D.1990.Chron.147 ; J. Mestre, oJurisprudence franqaise
en mati~re de droit civil: Obligations et contrats sp6ciaux>> (1989) Rev. trim. dr. civ. 309 ; G. Alpa,
oLe contrat individuel et sa d6finition> (1988) 2 R.I.D.C. 327.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 39

gation n6e du contrat ou rattach6e h celui-ci>>35, ainsi que pour la d6termination
des > et des > au contrat36.

En particulier, le processus jurisprudentiel qui a conduit 4 rattacher au con-
trat, sur le fondement de ‘article 1135 C.N., tout un r6seau de pr6tendues > qui ne font en r6alit6 que traduire entre cocontractants certains devoirs
16gaux existant entre toutes personnes, m~me en l’absence de contrat (comme
les obligations de s6curit6, d’information, de renseignements, de mise en garde,
etc.) a crY6 une large zone commune dont le caract~re mixte est 6vident. D’ail-
leurs, certains arrts le r6v~lent clairement en admettant que le meme fait –
la
non-r6v6lation du danger de la chose vendue –
constitue une faute contrac-
tuelle>> vis-h-vis du cocontractant et une faute d6lictuelle>> A l’6gard des tiers37.
Dans ces conditions, on ne peut qu’8tre frapp6 par la justesse des remarques de
M. le juge Par6, dissident, dans l’affaire Wabasso, qui paraissent 6galement per-
tinentes dans le cadre du droit frangais actuel :

[J]e ne pourrais concevoir qu’une faute commise A l’int6rieur d’un contrat puisse
n’8tre que contractuelle A l’dgard du contractant qui en subit le pr6judice, alors
qu’elle devient d6lictuelle A l’6gard d’un tiers qui subirait le meme prejudice. Je
ne peux voir pourquoi le fait fautif en soi perdrait soudainement son caract~re
d~lictuel, parce que la victime est partie au contrat au cours duquel on la [sic] com-
met. […]

C’est le caract6re de 1’acte lui-m~me qui engendrera celui de ]a faute et non pas
1’existence ou 1’absence de relations contractuelles entre l’auteur du dommage et
sa victime. 3

8

Lorsqu’ils d6clarent irrecevable une demande d’indemnisation fond6e sur
les principes de la responsabilit6 d6lictuelle au motif qu’elle aurait df 8tre pla-
c6e sur le terrain contractuel alors que le fait dommageable rev~t en r6alit6 le
double caract~re d’inex6cution contractuelle et de faute d6lictuelle, les juges
frangais font donc un usage nettement excessif de la r~gle du non-cumul. En
effet, ils permettent alors au d6biteur de l’utiliser pour retarder la sanction de
l’inex~cution, ce qui va directement h l’encontre du but recherch6, qui est pr6-
cis6ment le respect du contrat.

20) En revanche, paradoxalement, dans d’autres hypothises oet ilpourrait
justement sembler nicessaire defaire privaloir le r~gime contractuel afin d’ gvi-
ter que les regles d~lictuelles ne tiennent en ichec les previsions des parties au
contrat, le principe du non-cumul, tel qu’il est compris et appliqu6 par les tri-
bunaux frangais, se trouve en d6faut.

En effet, lorsque l’inex6cution d’une obligation contractuelle porte pr6ju-
dice non pas au cr6ancier lui-m~me, mais un tiers, la jurisprudence admet en
principe que la responsabilit6 du d~biteur vis-h-vis du tiers est de nature extra-

35Voir Viney, supra note 11 aux n- 185-86, 483 et s.
36Voir, a ce sujet, la controverse entre J. Ghestin (> J.C.P. 1992.1.3628) et J.-L. Aubert (< propos d'une distinction renouvelde des parties et des tiers>> (1993) 1 Rev. trim. dr. civ. 263).

37Cass. civ. 1″, 11 octobre 1983, Bull. civ. 1983.1.204, n* 228 ; Cass. civ. 3, 17 octobre 1984,
38 Wabasso (C.A.), supra note 4 A la p. 283.

J.C.P 1984.IV.355.

1994]

LE REFUS D’OPTION

contractuelle. Ces cas de responsabilit6 d6lictuelle pour violation d’une obliga-
tion contractuelle sont en pratique extremement nombreux. Ils concernent, par
exemple, les proches parents agissant en reparation de leur dommage par rico-
chet>> lorsque le dommage principal est la cons6quence de la mauvaise exrcu-
tion d’une prestation de nature contractuelle39. De meme, les victimes du ddfaut
d’un produit ou d’une construction immobili~re qui n’ont pas la qualit6 d’ac-
qu6reurs ou de sous-acqurreurs4″ disposent, contre le fabricant ou le construc-
teur ou les vendeurs interm~diaires avec qui ils n’ont pas de liens contractuels
directs, d’actions en responsabilit6 qui obrissent au rdgime ddlictuel41 . C’est le
cas 6galement des victimes d’une prestation de services d6fectueuse qui agissent
non pas contre leur propre cocontractant, mais contre un sous-contractant (sous-
traitant, sous-locataire, sous-transporteur, etc.)42. Sont enfm soumises au regime
d~lictuel, les actions entre coparticipants A une activit6 commune qui ne sont pas
lids entre eux par contrat”3.

Ainsi est-il courant de voir un tiers au contrat agir contre le ddbiteur en

s’appuyant sur le contrat dont il invoque l’inexdcution.

Or, dans ces cas, la qualification <> de la responsabilit6 qu’il met
en oeuvre permet au tiers de rdpudier d’autres dispositions du meme contrat
comme, par exemple, les clauses amdnageant la rdparation ou limitant la respon-
sabilit6, puisque ces clauses sont nulles en mati~re ddlictuellem. Autrement dit,
le ddbiteur peut, tout en invoquant le contrat auquel il n’a pas
td partie, dans
la mesure oia ce contrat lui est utile pour justifier la responsabilit6, 6carter les
clauses de ce meme contrat qui le g~nent. C’est li une situation qui peut paraitre
anormale, car elle favorise, par l’extension des r~gles de la responsabilit6 ddlic-
tuelle, un vdritable bouleversement des prdvisions contractuelles45.

En outre, la soumission de Faction en responsabilit6 au statut ddlictuel
entraeine l’application de r~gles de compdtence et de prescription qui sont sou-
vent diffdrentes de celles auxquelles aurait 6t6 soumis le cocontractant si c’6tait
lui qui avait eu h se plaindre de l’inexdcution.

39 Voir Viney, supra note 11 au n* 210 et les arrAts cites, en particulier, Cass. civ. 1′ , 1 avril 1968,
Bull. civ. 1968.1.89, n 112 ; Cass. civ. 1′, 7 novembre 1973, Bull. civ. 1973.1.266, n, 298 ; Cass.
civ. 2, 22 janvier 1976, Bull. civ. 1976.II.19, n, 23.

4Ceux-ci disposent en effet d’une action <>, ce qui les emp~che de
se placer sur le terrain d~lictuel. Voir P. Jourdain, <> D.1992.Chron.149.

4 1Voir Viney, supra note 11 au n 211 et arrts citds.
42 Voir J. Neret, Le sous-contrat, Paris, Librairie grnrale de droit et de jurisprudence, 1979 au
n’ 308 ; Viney, ibid. au n’ 212. En matire de sous-traitance, voir Cass. Ass. plrn., 12 juillet 1991,
Bull. civ. 1991. Ass. plan., n 5, D.1991.Jur.549 (note J. Ghestin), J.C.P. 1991.H.21743 (note G.
Viney).

43Voir Viney, ibid. au n 213 et arrets cites.
44Voir G. Viney, Les obligations –

la responsabiliti : Effets, Paris, Librairie grnrale de droit

et de jurisprudence, 1988 au n 213 et arr~ts cites.

45 Voir les critiques exprimres par B. Teyssi6, Les groupes de contrats, Paris, Librairie g6nrale
de droit et de jurisprudence, 1975 aux n- 492-95, 564-72 ; Neret, supra note 42 h lap. 197 ; Huet,
supra note I I
lap. 400 ; F. Bertrand, Uopposabiliti du contrat aux tiers, th~se de doctorat d’ttat,
Paris-il, 1979 au n 277 et s. ; Espagnon, supra note 11 au n 188 et s. ; R. Cabrillac, Uactejuri-
dique conjonctif Paris, Librairie grnrrale de droit et de jurisprudence, 1990 au n 484 et s.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 39

Ainsi, le demandeur non contractant est admis

se servir du contrat pour
fonder son action, sans 8tre pour autant soumis h l’&nsemble des r~gles qui s’ap-
pliquent aux contractants.

Ce qui est plus 6tonnant encore, c’est que le rejet des r~gles contractuelles
a parfois pour effet de conf6rer au tiers une situation plus avantageuse vis-4-vis
du d6biteur de la prestation inex6cut6e que celle du crrancier lui-meme. Notam-
ment, il peut 6chapper aux courtes prescriptions qui sont nombreuses en mati~re
contractuelle46, il peut rrpudier les clauses limitatives de responsabilit6, etc.

Autrement dit, l’application des r~gles d6lictuelles dans ces relations entre
d~biteur et tiers victime de l’inexrcution permet de d6jouer les pr6visions du
contrat, ce qui va directement h l’encontre du r6sultat que la r~gle du non-cumul
est censre garantir.

En ddf’mitive, la mise en oeuvre actuelle de la r~gle du non-cumul par la
jurisprudence frangaise parait franchement d6fectueuse. D’une part, elle produit
des effets pervers tr~s graves en retardant abusivement l’admission de nom-
breuses demandes pourtant justifi~es au fond et, d’autre part, elle n’empache
nullement la d6formation du contrat par l’intrusion, h l’initiative des tiers, des
r~gles d6lictuelles dans le champ contractuel.

La constatation de ces imperfections conduit donc 4 prrner une interprrta-

tion mod6rre et circonstancire de l’article 1458, deuxi~me alinra C.c.Q.

H. Les enseignements i tirer de I’exp6rience fran aise pour
‘article 1458, deuxi~me alin6a C.c.Q.

l’interpr6tation de

Afm d’6viter que le refus d’option impos6 par ce texte ne conduise aux
m~mes errements que ceux auxquels a donn6 lieu en France la r~gle du non-
cumul, les juges doivent constamment garder 4 l’esprit le but de cette disposi-
tion, qui est d’assurer le respect du contrat. C’est donc la seule pr6occupation
qui devrait les guider aussi bien pour d6terminer le domaine de la r~gle nouvelle
que pour d6finir les modalit6s de sa mise en oeuvre.

A. Pour assigner au refus d’option un domaine qui lui permette de rem-
plir, sans la d6border, la fonction qui est la sienne, il conviendrait, semble-t-il,
de l’utiliser seulement pour prot6ger, contre l’intrusion des r~gles d6lictuelles,
les obligations qui sont r6ellement n6es du contrat. Mais, dans ce domaine, elle
devrait s’imposer A toute personne qui se pr6vaut de l’inex6cution ou de la mau-
vaise ex6cution du contrat A l’appui de son action en r6paration.

10)

I1 est clair aujourd’hui que, parmi les obligations dont l’inex~cution
est sanctionn6e entre contractants par la responsabilit6 contractuelle, il existe
deux cat6gories bien diff6rentes. Certaines, qui apparaissent comme les obliga-
tions principales, tendent directement h la r6alisation de l’op6ration 6conomique
que les parties ont envisag6e en contractant. C’est par exemple, en cas de vente,
1’obligation de livrer la chose et celle de payer le prix, en cas de louage de

46D61ai d’un an en mati~re de transport terrestre, dM1ai d6cennal ou biennal en mati6re de cons-

truction, < de Faction en garantie contre le vendeur, etc.

19941

LE REFUS D’OPTION

chose, l’obligation d’assurer la jouissance paisible de la chose et celle de payer
le loyer, etc. I s’agit d’obligations uniquement et sp6cifiquement contractuelles
qui forment le cceur meme de la convention.

Cependant, autour de ce noyau central, se sont greff6es d’autres obligations
dites <> qui ne sont pas moins importantes mais qui sont moins 6troi-
tement d~pendantes du contrat, car elles ne font que traduire entre cocontrac-
tants des normes de comportemen’t de port6e g6n~rale : ce sont notamment les
obligations de sdcurit6, d’information, de mise en garde, de loyaut6 et de bonne
foi, etc.

Autrement dit, h c6t6 des obligations sp6cifiquement contractuelles, il
existe des normes de comportement qui s’imposent aux cocontractants comme
elles s’imposeraient A des non-contractants qui se trouveraient dans une situa-
tion analogue.

Certes, on peut admettre que ces normes soient int6gr6es dans la sphere
contractuelle lorsque c’est h l’occasion de l’ex6cution du contrat qu’elles se
manifestent. En effet, le contrat peut avoir sur elles une certaine influence en les
pr6cisant, en les am6nageant ou en les renforgant. Mais il n’en reste pas moins
qu’elles sont par nature d6tachables du contrat, car elles peuvent exister 6gale-
ment dans des situations non contractuelles.

C’est pourquoi, si ces obligations ne sont pas excut6es correctement et
qu’un dommage survient, rien ne s’opposerait, me semble-t-il, 4 ce que la vic-
time puisse choisir, pour demander r6paration, entre l’action en responsabilit6
contractuelle et
‘action en responsabilit6 d6lictuelle. Autrement dit, en cas de
m6connaissance d’une obligation accessoire traduisant une norme gen6rale de
comportement, la r~gle du refus d’option (article 1458, deuxi~me alin6a C.c.Q.)
pourrait, h mon avis, etre 6cart6e, car elle est inutile.

2) En revanche, lorsque l’action est fond~e sur la m6connaissance d’une
obligation sp~cifiquement contractuelle, cette r~gle m6rite, me semble-t-il,
d’8tre impos6e non seulement au cr~ancier originel, partie
la conclusion du
contrat, mais aussi A tous ceux qui se pr6valent de cette inex6cution pour agir
en responsabilit6 contre le d6biteur.

Le fait de se fonder sur le contrat pour demander r6paration au d6biteur
devrait en effet obliger le demandeur h se plier aux clauses dudit contrat. Les
distinctions faites actuellement par la jurisprudence frangaise entre les quelques
cat6gories de tiers –
qui disposent d’une
<> de nature contractuelle et, de ce fait, se trouvent privds d’action
d6lictuelle47 et les autres tiers, beaucoup plus nombreux, qui sont soumis au
r6gime d6lictuel4t , ne paraissent pas justifi6es.

en particulier les sous-acqureurs –

En particulier, dans le domaine tr~s vaste des sous-contrats49, la r~gle du
refus d’option pourrait, h mon avis, jouer un r6le fort utile en 6vitant que l’ap-

47Voir Jourdain, supra note 40.
48Voir G. Viney, <> J.C.P. 1992.1.3572 ; J.C.P. 1993.1.3664, n-
1-6.49Voir Neret, supra note 42.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 39

plication des r~gles d6lictuelles aux relations entre cr6ancier principal et sous-
contractant ne permette de d6jouer les pr6visions du contrat principal. Si elle y
parvenait, elle obtiendrait alors un r~sultat que la r~gle frangaise du non-cumul
s’est r6v6l6e incapable d’atteindre.

B. Quant t la mise en euvre judiciaire du refus d’option, elle devrait 6ga-
lement 8tre domin6e par le souci de ne pas d6vier du but poursuivi, A savoir le
respect du contrat.

Or ceci implique, de la part des juges, certaines pr6cautions.
10) La premiere consisterait d virifier, avant defaire usage diu reftts d’op-
tion, que les rigles dilictuelles dont l’application est demand6e sont suscep-
tibles de porter effectivement atteinte au respect diu contrat.

Nous avons vu qu’en France la r~gle du non-cumul est aujourd’hui oppo-
s6e avec succ~s i toute demande qui est fond6e sur les r~gles d6lictuelles d~s
lors qu’il est constat6 qu’elle relive du domaine r6serv6 A l’application du
r6gime de la responsabilit6 contractuelle.

Parfois, elle permet done d’6carter l’application de solutions emprunt6es
au r6gime d6lictuel qui mettraient effectivement en 6chec les clauses du contrat
et d6joueraient ainsi les pr6visions des contractants. Dans ces hypotheses, l’ap-
plication de la r~gle du non-cumul est justifi6e.

Mais il arrive 6galement qu’elle entraine le rejet de la demande ou la cas-
sation d’une d6cision ayant accueilli celle-ci, alors qu’il n’est nullement 6tabli
que les principes d6lictuels auraient port6 une atteinte quelconque au contrat, et
elle conduit alors h des r6sultats regrettables.

Par exemple, si la responsabilit6 du d6biteur d’une obligation de r~sultat a
6t6 recherch6e par erreur sur le fondement de l’article 1384, premier alin6a
C.N., mais que les r~gles du contrat 6taient susceptibles de justifier la condam-
nation, on ne voit vraiment pas l’avantage de la retarder ou d’y faire obstacle.
II en va de m~me lorsque le commettant est poursuivi pour le fait de son
pr~pos6 sur le fondement de l’article 1384, cinqui~me alin6a C.N., alors que
l’activit6 du pr6pos6 se situait dans le champ contractuel. En effet, la r~gle du
non-cumul ne devrait pas non plus etre invoqu6e dans une telle hypoth~se pour
faire obstacle h la responsabilit6, puisque celle-ci est aussi bien justifi6e sur le
terrain contractuel.

On peut done souhaiter que, lorsqu’ils seront saisis sur le fondement de
l’article 1458 C.c.Q., les juges qu6b6cois 6vitent ces excs. Pour ce faire, ils
devraient toujours, avant de repousser une demande ou de censurer une con-
damnation fond6e
tort sur les principes de la responsabilit6 d6lictuelle, alors
qu’ils constatent que c’est le r6gime contractuel qui aurait da s’appliquer, v6ri-
fier que l’application des r~gles d6lictuelles porte effectivement atteinte au res-
pect du contrat.

20) D’ailleurs, m~me apr~s cette v6rification, ils devraientfaire en sorte
que 1’erreur de qualification retarde le moins possible le reglement du litige al
fond. Or, dans cette perspective, il nest pas souhaitable, me semble-t-il, qu’ils

19941

LE REFUS D’OPTION

se contentent, comme le font souvent les juges frangais, de d6clarer la demande
irrecevable. Ils devraient toujours prendre la peine, apr~s avoir provoqu6 les
explications des parties, de requalifier correctement les faits et de statuer au
fond sur la base des textes r6ellement applicables chaque fois qu’ils disposent
des 616ments n6cessaires pour le faire.

Conclusion

En d6finitive, 1’enseignement principal que l’on peut tirer de l’examen de
la jurisprudence frangaise sur cette question du refus d’option entre r6gimes
contractuel et d6lictuel, c’est que le juge ne devrait jamais perdre de vue la rai-
son d’8tre des r~gles qu’il applique. S’il donne h un principe, aussi justifi6
soit-il, une port6e absolue et s’il l’applique ensuite syst6matiquement et m6ca-
niquement, sans prendre garde aux consequences, celles-ci se rdv~lent, t6t ou
tard, inadapt6es, souvent n6fastes et parfois meme contraires au but recherch6.
C’est la difficult6, mais aussi l’utilit6 et l’int6r~t du r6le du juge que d’utiliser
avec discemement les instruments que lui fournissent la loi, la doctrine et les
pr6c6dents judiciaires pour parvenir
la solution la plus juste du litige qui lui
est soumis. Mais il doit toujours avoir conscience qu’il ne s’agit 1h que d’ins-
truments qu’il lui incombe de manier avec intelligence, sans jamais oublier leur
finalit6.