Article Volume 66:2

L’indépendance du Québec et le choix autochtone de la continuité canadienne

Des observateurs autochtones et non autochtones estiment que la création éventuelle d’un État québécois souverain ne saurait mettre fin à la relation entre le Canada et les peuples autochtones vivant au Québec sans leur consentement. Prenant en considération les leçons et les modèles qu’offrent les précédents internationaux, en particulier l’expérience européenne, cet article étudie les procédés institutionnels et juridiques qui permettraient, dans l’hypothèse d’un vote référendaire clairement favorable à l’indépendance du Québec, de concilier cette volonté de sécession avec la décision éventuelle de certains peuples autochtones du Québec de conserver leur lien avec le Canada. La négociation d’une entente constitutionnelle et internationale assurant la continuité canadienne pour les autochtones du Québec qui en feraient la demande sera présentée comme une voie privilégiée de conciliation des choix collectifs exprimés, sans nécessairement devoir modifier les frontières du Québec. Les auteurs proposent une définition du champ de la continuité canadienne, décrivent les aspects originaux de l’entente proposée et expliquent les éléments essentiels du régime juridique qui serait mis en place par une telle entente.

Indigenous and non-Indigenous observers alike believe that the eventual creation of a sovereign Quebec state cannot end the relationship between Canada and the Indigenous peoples living in Quebec without their consent. Taking into account the lessons and models offered by international precedents, including the European experience, this paper explores the institutional and legal processes that would, in the event of a clear referendum vote in favour of Quebec independence, reconcile Quebec’s desire for secession with the possible decision of some of the Indigenous peoples located in Quebec to maintain their connection to Canada. The authors argue that it is possible to reconcile the collective choices of both Quebecers and Indigenous peoples without necessarily having to change the borders of Quebec. They outline a constitutional and international agreement that would ensures Canadian continuity for the Indigenous peoples of Quebec who demand it. After proposing a definition of the scope of Canadian continuity, the authors describe some novel aspects of the proposed agreement, and explain the essential elements of the legal regime that would be put in place by such an agreement.

* Ghislain Otis, Professeur à l’Université d’Ottawa et Chaire de recherche du Canada sur la diversité juridique et les peuples autochtones. Les travaux dont est issu cet article ont bénéficié du soutien financier du Programme des chaires de recherche du Canada.

Aurélie Laurent, PhD. Maître de conférences en droit public, Le Mans Université.

Les auteurs expriment leur gratitude aux évaluateurs anonymes, à la professeure Sophie Thériault, ainsi qu’aux professeurs Benoît Pelletier et Patrick Dumberry, qui ont commenté une version antérieure de cet article. Leurs observations ont été d’une grande pertinence.

Table des matières

Introduction

I.   Une hypothèse : permettre une continuité juridique canadienne pour les peuples autochtones du Québec

A. Le contenu du choix autochtone de la continuité canadienne dans un Québec indépendant

1.    La reconduction des normes constitutionnelles canadiennes et des responsabilités du Canada

2.    Les compétences et les responsabilités du Québec indépendant

3.    Le territoire du Québec

B. La nécessité d’innover par une entente supranationale avec les autochtones

1.    La pleine participation des peuples autochtones

2.    Les expériences supranationales comme source d’inspiration

II. Une proposition : mettre en œuvre la continuité canadienne par des procédés internationaux

A.  Les dispositifs de coordination des ordres juridiques

1.    La consécration de l’acquis canadien en matière autochtone

2.    La primauté, l’application directe et l’ancrage constitutionnel

3.    Un dispositif transitoire étanche

4.    La modification, la dénonciation et le retrait

B. Les aménagements politiques, financiers et administratifs

1.    Les compensations dans la participation aux prises de décision

2.    La mise en œuvre financière et administrative de la continuité canadienne

C. La mise en œuvre judiciaire de l’entente

1.    Nécessité d’une clause d’interprétation conforme

2.    Assurer une continuité juridictionnelle avec le Canada

3.    Perpétuer la dualité juridictionnelle actuelle

4.    Une « cour suprême » mixte pour assurer l’interprétation uniforme de l’entente

Conclusion

Introduction

Autochtones et non-autochtones cohabitent sur la terre nommée Québec depuis le début du XVIIe siècle. Leurs vies se trouvent aujourd’hui imbriquées comme jamais, mais le legs fragile d’un passé de survivance et de résistance ainsi que la contingence d’un avenir entre promesse et péril pèsent lourd de part et d’autre. Revendications autochtones et aspirations québécoises se rejoignent parfois et s’entrechoquent aussi. Parmi les enjeux de cette coexistence séculaire, il y a celui de l’indépendance du Québec.

La Cour suprême du Canada a statué en 1998 que si le Québec ne jouit pas d’un droit constitutionnel de faire sécession unilatéralement, le Canada ne détient pas davantage le pouvoir constitutionnel de refuser a priori toute sécession négociée[1]. C’est dans le cadre des négociations de bonne foi rendues obligatoires par une majorité référendaire clairement exprimée en faveur de l’indépendance que devrait être réglée, selon la cour, la question des intérêts des peuples autochtones du Québec[2]. Dans un premier temps, les parties prenantes devraient négocier une entente conformément aux principes constitutionnels que sont « le fédéralisme, la démocratie, le constitutionnalisme et la primauté du droit, et la protection des minorités »[3]. Dans un second temps, si l’entente se matérialisait, celle-ci devrait être mise en œuvre notamment par le biais d’une révision constitutionnelle[4].

Certains représentants autochtones estiment que la création d’un État québécois souverain ne saurait détacher du Canada les peuples autochtones vivant au Québec sans que ces derniers n’y consentent. Cette position fut notamment exprimée par des chefs eeyou (cris) qui affirmèrent que « [o]ur relationship with the federal government could not be unilaterally abolished, nor could its responsibilities toward us be unilaterally transferred to another nation »[5]. À la veille du référendum québécois de 1995, un leader inuit disait à peu près la même chose en déclarant :

The special relationship with the federal government has been our salvation many a time and it cannot be cut. We will not be spectators and bystanders while this exercise is being attempted. We will never allow our ties and our relationships with that jurisdiction to be cut as a result of any project in sovereignty [notes omises].[6]

Selon ce point de vue, un peuple autochtone vivant au Québec pourrait conserver son rattachement à l’État canadien si tel était son choix. Un autre représentant autochtone avançait en 2018 que les peuples autochtones du Québec ont « le droit de décider de leur statut politique et, s’ils le désirent, de choisir de demeurer au sein du Canada si le Québec décidait de s’en séparer »[7].

Dans l’hypothèse d’un vote clairement favorable à l’option indépendantiste se poserait la question de savoir s’il serait possible de concilier le choix de l’indépendance québécoise avec celui, éventuellement exprimé, du maintien du lien entre le Canada et un peuple autochtone vivant au Québec. À ce jour, certains analystes n’ont pas hésité à faire des droits des peuples autochtones un terreau fertile pour les thèses favorables à la partition territoriale du Québec en cas de sécession, tenant pour radicalement inconciliables une demande autochtone de continuité canadienne et un État québécois indépendant dans ses frontières actuelles[8]. Par ailleurs, certains indépendantistes affirment avec certitude que les peuples autochtones du Québec devraient suivre les Québécois sur le chemin de la rupture du lien juridique avec l’État canadien[9].

Mais, n’est-il pas possible d’envisager que les peuples autochtones du Québec qui le souhaitent puissent conserver leur rattachement avec le système juridique et politique canadien sans faire obstacle à l’indépendance du Québec et sans que les frontières de ce dernier n’aient à être modifiées[10]? Cette approche respecterait à la fois la décision légitime des Québécois d’acquérir leur indépendance et le libre choix tout aussi légitime de peuples autochtones du Québec de préserver leur relation avec l’État canadien.

Il vaut donc la peine d’examiner cette formule sur le plan de l’ingénierie juridique et institutionnelle dans la perspective des négociations qui devraient suivre un vote favorable à l’indépendance. C’est ce que nous tenterons de faire dans les pages qui suivent. Nous proposerons d’approfondir — sans prétendre nullement à l’exhaustivité — les principaux aspects juridiques et institutionnels d’un modèle de rattachement continu au Canada de peuples autochtones du Québec (continuité canadienne) dans l’hypothèse de l’accession de celui-ci à l’indépendance. Pour ce faire, nous prendrons en considération les leçons et les modèles que peuvent nous offrir les précédents internationaux, en particulier l’expérience européenne.

Cette étude n’aborde toutefois pas la question de savoir si les peuples autochtones du Québec ont, selon le droit constitutionnel ou le droit international en vigueur, un droit strict à l’intangibilité de leur lien avec le Canada. Elle part plutôt du postulat que le Québec et le Canada accepteraient pleinement d’intégrer dans une entente de sécession un régime qui assurerait la continuité canadienne pour les peuples autochtones qui en exprimeraient la demande, et ce, indépendamment de l’existence ou non d’une obligation juridique leur incombant formellement à cet égard.

Dans un premier temps, nous expliciterons les contours de cette hypothèse de la continuité canadienne à travers une entente de droit international (partie I), dont découlera ensuite une proposition concrète sur les éléments fondamentaux que devrait comporter une telle entente (partie II).

I.   Une hypothèse : permettre une continuité juridique canadienne pour les peuples autochtones du Québec

Mieux cerner la proposition qui pourrait être faite aux peuples autochtones du Québec demande de se pencher d’abord sur la portée juridique (ce qui comprend la portée territoriale) de la décision de rester rattaché au Canada malgré l’accession du Québec à l’indépendance (section A). Nous identifierons mieux ensuite les aspects innovants d’une telle continuité canadienne, qui passerait par le truchement d’une entente de droit international (section B).

A. Le contenu du choix autochtone de la continuité canadienne dans un Québec indépendant

Le maintien du rattachement d’un peuple autochtone au Canada viserait tous les acquis fondamentaux d’une relation multiséculaire sui generis qui s’est construite au fil de l’évolution constitutionnelle. Les autorités étatiques actuelles, tant dans la sphère fédérale que québécoise, sont les avatars des couronnes française et britannique ayant successivement et graduellement affirmé leur souveraineté à l’égard du territoire composant aujourd’hui le Canada, y compris le Québec. L’implantation de l’État a, selon la Cour suprême du Canada, fait naître l’obligation corrélative des autorités publiques d’agir honorablement dans leur relation avec les peuples autochtones (notamment en conciliant l’affirmation de souveraineté néo-européenne avec l’antériorité de ces peuples[11]), et en respectant les engagements solennels de la Couronne (qui se manifestent aujourd’hui entre autres dans la Proclamation royale de 1763[12], les traités, et les dispositions de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 qui reconnaît et confirme les droits ancestraux et issus de traités existants[13]). Certes, la Cour suprême du Canada ne remet pas en question la souveraineté de l’État à l’égard des autochtones, mais elle rappelle que « [l]es peuples autochtones vivaient ici avant les Européens et [qu’]ils n’ont jamais été conquis »[14]. Pour réduire cette tension structurelle de nature à mettre en jeu la légitimité de l’ordre constitutionnel, la plus haute juridiction du pays évoque explicitement l’impératif persistant de concilier par voie de traité (au sein de l’État) l’autorité de la Couronne et la souveraineté autochtone préexistante[15].

L’affirmation et l’exercice effectif de la souveraineté étatique emportent donc simultanément des prérogatives et des responsabilités, qui résultent en une obligation constante de l’État d’agir honorablement dans ses rapports avec les peuples premiers relativement à leurs intérêts et leurs droits particuliers. Celle-ci comprend notamment l’obligation de négocier de bonne foi, de consulter les autochtones et de trouver des accommodements adéquats lorsque des droits ancestraux sont revendiqués[16], ou lorsque des droits issus de traités sont en cause[17]. On peut appeler « bloc constitutionnel autochtone »[18] cet ensemble évolutif de principes et de règles (écrits et non écrits) qui définissent et encadrent la « relation spéciale »[19] que le passé colonial et la dynamique constitutionnelle plus récente ont forgée entre les peuples autochtones et l’État. Ce bloc serait l’enjeu central de la mise en œuvre du principe de continuité canadienne relativement aux peuples autochtones du Québec qui opteraient pour cette voie.

Deux impératifs précis découleraient par conséquent du principe de continuité canadienne pour les peuples autochtones concernés : d’abord, la reconduction des responsabilités et des compétences du Canada à l’égard de ces peuples et de leurs terres dans le respect de leurs droits constitutionnellement protégés, des obligations de fiduciaire et de l’honneur de la Couronne (1); ensuite, la reconduction des responsabilités et des compétences du Québec, y compris le devoir d’agir honorablement dans le respect des droits des peuples autochtones et des engagements enchâssés dans l’ordre constitutionnel canadien (2). À cet égard, la question de la portée territoriale de la continuité canadienne au Québec se posera (3).

1.    La reconduction des normes constitutionnelles canadiennes et des responsabilités du Canada

La préservation du lien juridique et politique entre le Canada et les peuples autochtones du Québec a d’abord pour corollaire le maintien du binôme compétence-responsabilité qui structure ce lien. L’ensemble des compétences et des obligations fédérales découlant du bloc constitutionnel autochtone devrait être confirmé à l’égard des peuples l’ayant demandé, de sorte que le Canada soit toujours tenu d’agir honorablement envers eux et de respecter leurs droits reconnus par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (ou tout autre texte ou principe non écrit applicable). Toute avancée réalisée par les peuples autochtones dans leurs revendications territoriales et dans leur quête d’autodétermination au sein du Canada s’appliquerait ainsi aux peuples autochtones du Québec l’ayant choisi.

La nature et la portée des compétences et des responsabilités canadiennes seraient fonction de l’état du droit constitutionnel au moment des négociations. Il n’est pas impossible qu’une relation différente de celle qui existe aujourd’hui ait pu, entre temps, être enchâssée dans la loi fondamentale. Il est toutefois raisonnable de supposer que, s’il advenait que l’actuel article 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867[20] ait été modifié, le palier fédéral conserverait certaines responsabilités et compétences particulières en matière autochtone. Parmi les questions de grande importance relevant de la compétence canadienne, on retrouverait certainement la protection des droits ancestraux et issus de traités des peuples autochtones aux termes de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982[21]. Ces droits peuvent couvrir une ample gamme de matières[22], allant des questions territoriales, environnementales, sociales[23] et culturelles aux enjeux liés à la famille[24] ou à l’autonomie politique autochtone. S’ajouterait la volonté de préserver les droits sui generis des autochtones, notamment sur leurs terres, ne découlant pas de l’article 35 mais de la loi fédérale ou de la common law.

En définitive, à la faveur de la reconduction de la responsabilité et du droit canadiens à l’égard des peuples autochtones du Québec l’ayant choisie, la relation spéciale et directe entre ces peuples et la Couronne canadienne serait maintenue, de même que tous les avantages pouvant découler de la dynamique de contre-pouvoirs qui accompagne la répartition de compétences entre deux entités étatiques[25]. Le Canada resterait partie à tous les traités conclus avec les peuples concernés, y compris la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ)[26]. Il devrait alors assurer leur mise en œuvre et participer à leur révision, le cas échéant. De plus, il resterait un acteur obligé dans les négociations de traités futurs concernant le territoire traditionnel et l’autonomie gouvernementale de peuples autochtones du Québec[27]. Le Canada pourrait appliquer aux peuples autochtones concernés et à leurs terres la législation fédérale découlant de l’exercice de ses compétences autochtones tout en étant assujetti à cet égard aux dispositions constitutionnelles canadiennes. Il serait loisible au Canada d’élaborer des politiques et des programmes divers destinés à combler les besoins spécifiques des peuples autochtones en question et, dans le cadre de ces programmes, d’effectuer les transferts de ressources requis aux communautés et aux individus.

Comme c’est actuellement le cas, la compétence canadienne serait tantôt territoriale, particulièrement lorsqu’elle régirait les questions afférentes aux terres dont les autochtones ont la propriété ou l’usage exclusif, collectif et inaliénable, tantôt personnelle, lorsqu’elle se rapporterait au statut et à la situation juridique des individus en tant que tels sans égard au statut de la terre et à leur lieu de résidence au Québec[28].

La légitimité singulière de l’éventuelle revendication de peuples autochtones du Québec de conserver leur lien avec le Canada tiendrait au fait qu’ils détiennent des droits collectifs issus d’une souveraineté précoloniale qui en fait des communautés politiques autoconstituées[29]. Les tenants du maintien du lien autochtone avec le Canada s’appuient d’ailleurs précisément sur les droits différenciés des peuples autochtones découlant des traités, des droits ancestraux, de la constitution et des obligations fiduciaires de la Couronne. C’est la quête de protection et de pérennisation de ces droits et compétences spécifiquement autochtones qui justifie le discours de la continuité canadienne autochtone.

Ces droits et intérêts propres aux peuples autochtones ne couvrent toutefois pas toutes les dimensions de la réalité et de la vie en société. Du point de vue du droit constitutionnel et des normes internationales, les autochtones sont considérés comme tous les autres citoyens canadiens et québécois lorsque leurs droits ou intérêts singuliers en tant que peuples premiers ne sont pas en cause. Comme l’affirme clairement la Cour suprême du Canada, « [l]es Autochtones font partie du Canada et ne jouissent pas d’un statut particulier pour ce qui est des obligations constitutionnelles imposées à l’égard de l’ensemble des Canadiens »[30].

Au-delà de ses responsabilités spécifiques à l’égard des peuples autochtones et de leurs terres, le Parlement du Canada détient, aux termes de la Loi constitutionnelle de 1867, des compétences de portée générale qui s’appliquent aux individus autochtones vivant au Québec et sur les terres détenues par des collectivités autochtones comme à toute autre personne ou tout autre endroit au Canada. On songe ici aux lois fédérales d’application générale relatives au divorce, au droit criminel, aux brevets, aux poids et mesures, à la propriété intellectuelle, à la faillite, aux banques, aux taux d’intérêt, à l’aéronautique, à la navigation, à la pêche, à l’agriculture, à l’immigration et aux télécommunications, pour ne donner que ces exemples[31]. Il appert d’emblée que ces compétences fédérales générales ne comportent pas intrinsèquement de dimension proprement autochtone : elles ne mettent pas nécessairement en jeu la relation historique singulière entre les peuples premiers et la Couronne qui fonde le bloc constitutionnel autochtone, de sorte que les autochtones ne sont pas a priori concernés d’une manière différente des autres citoyens canadiens résidant au Québec. Dans la vaste sphère des affaires qui intéressent indifféremment l’ensemble de la population, une éventuelle demande autochtone de continuité canadienne n’aurait pas plus de poids que celle d’autres citoyens canadiens résidant au Québec et ayant voté contre l’indépendance du Québec.

Ceci ne veut pas dire, bien sûr, que plusieurs compétences fédérales ne peuvent revêtir un intérêt particulier pour les autochtones en tant que membres de communautés distinctives. La protection des savoirs et des productions artistiques autochtones est, par exemple, un enjeu de propriété intellectuelle reconnu[32]. De même, les dysfonctionnements du droit criminel sont particulièrement criants en ce qui a trait à la situation spécifique de plusieurs collectivités et individus autochtones[33]. Cependant, comme une compétence fédérale sur les peuples autochtones et leurs terres serait reconduite (si tant est qu’une telle compétence existe au moment pertinent), le Parlement canadien serait habilité, en cas de besoin, à fixer des normes particulières dans ces domaines relativement aux autochtones et à tout autre sujet susceptible de mettre en jeu des intérêts autochtones clairement différenciés de ceux de l’ensemble de la population. Les normes canadiennes s’imposeraient et devraient être respectées au Québec dans la mesure où elles seraient compatibles avec les droits constitutionnels reconnus aux autochtones en droit canadien. En application de la règle de prépondérance des normes canadiennes, qui devrait elle aussi être reconduite, ces normes canadiennes l’emporteraient sur les règles québécoises en cas de conflit de lois[34].

La question se poserait en outre de savoir si l’application de la Charte canadienne des droits et libertés relève du bloc constitutionnel autochtone[35] Les garanties découlant de la Charte canadienne déterminent de manière substantielle les conditions d’exercice par le pouvoir fédéral de ses compétences spécifiquement autochtones. Ainsi, ces garanties se trouvent suffisamment rattachées fonctionnellement au bloc constitutionnel autochtone pour en faire partie à titre d’accessoire au principal. De plus, comme la continuité canadienne exigerait du Québec indépendant qu’il n’empiète pas sur les compétences canadiennes relatives aux peuples autochtones, il ne serait pas cohérent que sa charte des droits soit opposable aux pouvoirs canadiens se déployant dans le périmètre du bloc autochtone. Il y aurait donc un risque de vide juridique préjudiciable aux individus dans un domaine aussi important que les droits fondamentaux. Pour ces raisons, il faudrait rendre applicable sur le territoire du Québec indépendant la Charte canadienne, qui serait alors invocable par toute partie intéressée à l’encontre des actions canadiennes relevant du bloc constitutionnel autochtone[36].

En outre, la continuité canadienne s’étendrait à certains droits qui, dans le cadre constitutionnel fédéral actuel, n’ont pas besoin d’être reconnus à titre particulier aux peuples premiers, mais que les représentants autochtones pourraient trouver essentiels et qu’ils pourraient légitimement revendiquer comme des éléments de l’acquis canadien. Il s’agirait, premièrement, du droit de détenir la double nationalité. Maintenir la citoyenneté canadienne des autochtones concernés serait en effet un aspect non négligeable de la réalisation de la continuité. De plus, ce statut de citoyen canadien permettrait aux autochtones de continuer de jouir, en droit canadien, des droits démocratiques et de la liberté de circulation et d’établissement au sein du Canada[37]. Il serait par surcroît idéal d’assurer expressément aux autochtones concernés un droit de libre circulation et d’établissement entre le Québec et le Canada. Cette liberté de mouvement transfrontalier au nom de la continuité canadienne contribuerait au maintien des liens entre autochtones de part et d’autre de la frontière entre le Québec et le Canada[38]. Les autochtones du Québec devraient aussi continuer de pouvoir accéder à des lois canadiennes rédigées en français et en anglais, et de pouvoir choisir entre l’usage du français ou de l’anglais dans leurs relations avec les autorités canadiennes.

2.    Les compétences et les responsabilités du Québec indépendant

Le Québec détiendrait toutes les prérogatives d’un État indépendant, étant entendu que cet État accepte de maintenir les compétences canadiennes, les responsabilités et les droits issus du droit canadien relativement aux peuples autochtones vivant sur son territoire. La reconduction des compétences et des responsabilités canadiennes n’aurait pas pour effet d’évincer toute autorité et toute responsabilité du Québec à l’égard des autochtones, puisqu’il conserverait les compétences qui étaient les siennes avant l’entente. Il se pourrait cependant qu’au moment des négociations, les compétences provinciales aient été modifiées et limitées par rapport à ce qu’elles sont aujourd’hui, notamment par un élargissement tout aussi souhaitable qu’inévitable de l’autonomie autochtone[39].

En l’état actuel des choses, les autochtones ne sont pas à tous points de vue des personnes relevant de la compétence fédérale et leurs terres des « enclaves fédérales » totalement soustraites à la compétence du Québec. La Cour suprême du Canada consacre « le principe fondamental selon lequel les lois provinciales peuvent s’appliquer aux peuples autochtones; les Premières Nations ne sont pas des enclaves du pouvoir fédéral dans une mer de compétences provinciales »[40]. Depuis son arrêt dans Banque canadienne de l’Ouest c. Alberta, la plus haute juridiction du Canada préconise en fait une application restrictive du principe d’exclusivité des compétences[41], et estime que la règle générale devrait être l’application simultanée des normes provinciales et fédérales valides[42].

En conséquence, une loi provinciale s’applique en général aux autochtones et à leurs terres si elle n’a pas pour objet spécifique et exclusif de régir une matière qui est de compétence fédérale. Une vaste gamme de lois et de politiques québécoises d’application générale s’étend ainsi aux autochtones du Québec et à leurs terres, puisqu’elles ne régissent pas une question qui concerne leur statut et leurs droits particuliers. De plus, la compétence fédérale n’empêche nullement le Québec de prendre en considération dans ses lois générales le particularisme autochtone dans la mesure où la loi poursuit une fin québécoise légitime, comme l’éducation, le logement, la santé, la protection des enfants[43] ou encore l’offre de services de police adaptés dans le cadre du régime québécois[44]. Comme le souligne la Cour suprême du Canada, « [u]ne disposition législative n’excède pas la compétence de la province du simple fait qu’on y trouve le mot “autochtone” »[45].

Le mouvement d’atténuation de la logique d’exclusivité des compétences a mené la Cour suprême du Canada à l’écarter purement et simplement dans le cas d’une loi provinciale d’application générale qui réglemente et restreint l’exercice des droits ancestraux ou issus de traité protégés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 dans le cadre d’un régime provincial par ailleurs valide[46]. Une province ne pourra toutefois pas adopter une loi ayant spécifiquement pour objectif essentiel d’abroger unilatéralement les droits ancestraux ou issus de traités d’un peuple autochtone[47].

L’effet de la continuité canadienne serait de reconduire les règles de partage des compétences — étant entendu que les attributions et les responsabilités du Québec cesseraient d’être provinciales. Cette formule protégerait par ailleurs les autochtones contre tout manquement du Québec indépendant à ses devoirs fondamentaux découlant du droit positif canadien (incluant la constitution, la loi fédérale et la common law) se rapportant au champ de la continuité canadienne. Il faut mentionner, en particulier, les devoirs fiduciaires, l’obligation d’agir honorablement en toute circonstance et celle de ne pas restreindre sans justification les droits ancestraux ou issus de traité reconnus et confirmés aux termes de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Dans l’hypothèse vraisemblable où le Québec indépendant opterait pour un gouvernement sous forme de république, les obligations et les prérogatives ci-devant dévolues à la Couronne du chef du Québec passeraient à l’État québécois[48]. Cela ne ferait pas obstacle à la substance de la continuité canadienne concernant les droits des autochtones, comme le montre bien l’exemple américain[49].

Se pose toutefois la question de savoir si la continuité canadienne exigerait que la Charte canadienne s’applique à l’action gouvernementale québécoise intervenant dans le champ du bloc autochtone. Il est très probable que, dans un Québec indépendant, les pouvoirs publics québécois seraient astreints au respect d’une charte des droits qui serait d’emblée opposable aux actions québécoises relevant du bloc autochtone, comme une loi d’application générale réglementant l’exercice d’un droit ancestral. Néanmoins, pour éviter tout décalage préjudiciable entre les chartes québécoise et canadienne, il faudrait rendre la Charte canadienne opposable au Québec conformément au principe de faveur, c’est-à-dire de manière à permettre aux parties intéressées de se prévaloir de cette charte chaque fois qu’elle offrirait une protection plus grande que le droit québécois sur des enjeux relatifs au bloc autochtone[50].

Les peuples autochtones du Québec ayant opté pour la continuité canadienne devraient par ailleurs continuer de pouvoir disposer de versions française et anglaise des lois québécoises et d’avoir le choix entre le français et l’anglais dans leurs communications avec l’État québécois. Cette garantie, qui ne concerne peut-être pas directement le bloc autochtone, pourrait faire partie d’un chapitre de l’entente de sécession traitant des droits des minorités linguistiques.

Force est de constater que la continuité canadienne entamerait tout de même sensiblement la capacité d’action d’un Québec indépendant sur son territoire, tout en conférant au Canada une compétence substantielle dans le domaine matériel de l’entente sur ce même territoire. Au surplus, les obligations et les contraintes afférentes à la continuité canadienne auraient dorénavant un fondement dans l’ordre juridique international et engageraient la responsabilité de l’État québécois au regard du droit des gens (jus gentium). L’effet de la reconduction au profit du Canada de la compétence et des responsabilités du Parlement fédéral en matière autochtone serait de perpétuer — en ce qui concerne les peuples autochtones visés — un enchevêtrement de responsabilités et de pouvoirs qui commanderait une coordination et une coopération étroites des autorités québécoises, autochtones et canadiennes.

3.    Le territoire du Québec

La perspective de l’indépendance du Québec cristallise un argumentaire partitionniste très volontaire. La protection constitutionnelle des frontières du Québec en tant qu’entité fédérée n’est pas contestée[51]; il s’agit plutôt de savoir si, lors des négociations suivant un vote favorable à l’indépendance, on pourrait de manière légitime exiger du Québec qu’il renonce à une partie de son territoire comme condition d’une entente de sécession, et ce, au nom du principe constitutionnel de la protection des minorités et des droits des peuples autochtones dégagé par la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la sécession[52].

Certains arguments partitionnistes ne se rapportent pas directement aux droits des peuples autochtones. Ainsi, on a affirmé que le Québec indépendant pourrait perdre tout titre juridique sur les territoires nordiques visés par les lois de 1898[53] et de 1912[54] au motif que ceux-ci lui auraient été confirmés ou cédés en sa qualité de province canadienne. Il serait donc possible, en cas de sécession, d’induire l’annulation du titre du Québec par condition résolutoire[55]. De fait, d’un point de vue positiviste formel, l’existence juridique même du Québec et de ses attributions sur la totalité de son territoire actuel (et non uniquement le Nord-Ouest et l’Ungava) tient entièrement à son statut dans l’ordre constitutionnel en place. Pour paraphraser les arguments partitionnistes, on ne peut supposer que l’on aurait même créé la province de Québec si l’on avait compris que celle-ci pouvait plus tard se retirer du Canada[56]. Si l’on retenait ce type de raisonnement, le Québec deviendrait ipso facto une nullité juridique en cessant de faire partie du Canada, ce qui ferait de son indépendance une impossibilité au regard du droit canadien. Or, la Cour suprême du Canada reconnaît clairement la possibilité de la sécession dans le cadre juridique canadien, ce qui mine la thèse d’une annulation rétroactive des droits du Québec par voie de condition résolutoire implicite. De plus, on fait valoir que la protection de l’intégrité territoriale du Québec n’a plus de raison d’être dès lors que celui-ci répudie l’ordre constitutionnel[57]. Le cas de figure envisagé dans la présente étude est toutefois la sécession négociée dans la perspective de la primauté du droit, ce qui rend l’argument caduc.

Le principal argument constitutionnel en faveur de la partition concerne toutefois les droits des peuples autochtones signataires de la Convention de la Baie-James et du Nord Québécois. On avance en premier lieu que la CBJNQ témoigne d’un engagement du Québec à ne jamais remettre en cause son lien fédéral avec le Canada sans l’accord des signataires autochtones[58]. Il n’existe toutefois aucun élément factuel étayant cette supposée volonté du Québec de régler pour toujours la question de sa relation avec le Canada par le biais de la Convention. Or, un traité doit être interprété et appliqué de manière à refléter l’intention commune des parties au moment de sa conclusion, et non uniquement la perspective autochtone[59] — si tant est que les signataires autochtones concevaient effectivement la CBJNQ comme une promesse solennelle de fédéralisme perpétuel. Par ailleurs, la thèse du veto des signataires autochtones et de leur droit de se séparer du Québec en vertu de la Convention repose essentiellement sur le postulat d’une suppression de la relation juridique trilatérale actuelle entre le Canada, le Québec et les signataires autochtones dans le cadre de la Convention. Comme l’écrit un tenant de cette thèse :

The creation of an independent Quebec within its present provincial borders would automatically prevent Canada from fulfilling its fiduciary obligations under the JBNQA and from fulfilling the “special responsibility” referred to in the preamble to the federal legislation implementing the JBNQA [notes omises].[60]

Selon les partisans de la partition, puisque, aux termes mêmes de la Convention, les obligations imposées aux autorités fédérales ne peuvent être modifiées sans l’accord des signataires autochtones[61], il en résulte que seul le démembrement territorial du Québec permettrait de sauvegarder les engagements du Canada[62]. Notons d’abord qu’un tel argument, donnant aux seuls termes de la Convention un effet juridique décisif sur la détermination des frontières internationales du Québec et du Canada, est paradoxal. En effet, la partition empêcherait le Québec de se conformer à ses engagements et de profiter des droits découlant de la CBJNQ, ce qui serait tout aussi contraire à celle-ci que la neutralisation des obligations du Canada. Il faudrait alors logiquement affirmer qu’elle ne permet pas la partition sans l’accord des parties, dont le Québec. De plus, la partition ne permettrait nullement au Canada de respecter ses obligations aux termes de la Convention, car elle mettrait plutôt fin purement et simplement à cette dernière qui est par nature une entente trilatérale.

En outre, la prétention selon laquelle la sécession du Québec entraînant la fin des engagements du Canada constituerait une violation de la CBJNQ (et donc une entorse prima facie à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982[63]) pourrait, si elle était admise, exiger de trouver un moyen de préserver la responsabilité du Canada. En revanche, elle ne requerrait pas de supprimer toutes les compétences existantes du Québec sur le territoire visé par la Convention. Le maintien des compétences québécoises ne serait en rien une atteinte aux droits existants des autochtones aux termes de la Convention, mais serait au contraire requis pour en assurer le respect par le Québec.

L’argument partitionniste fondé sur la CBJNQ devient nul et non avenu dès lors que les obligations du Canada aux termes de la Convention et du droit canadien sont confirmées, et donc la nature tripartite de la convention préservée (voire renforcée) par son enchâssement dans un traité international portant sur la continuité canadienne et dans les textes la mettant en œuvre[64]. En définitive, une entente sur la continuité canadienne autochtone dans un Québec indépendant permettrait le respect intégral de la CBJNQ par toutes ses parties, contrairement au démembrement territorial.

Des porte-paroles autochtones ont par ailleurs déclaré dans le cadre de travaux de l’ONU que « if Quebec becomes a separate state, we will insist on our right of self-determination, our right to choose which, if any, state we determine to associate ourselves with »[65]. Cette affirmation soulève la question de la capacité qu’aurait potentiellement un peuple autochtone, au regard du droit international, de répudier, de manière discrétionnaire et unilatérale, toute continuité québécoise soit pour devenir lui-même indépendant, soit pour rattacher son territoire traditionnel au Canada.

Dans son acception la plus large évoquée par certains experts du droit international, le droit des peuples autochtones à l’autodétermination[66] leur confère possiblement la faculté de créer unilatéralement un État indépendant dans le cas « extrême » ou « très exceptionnel » [nos traductions][67] où leurs droits fondamentaux seraient systématiquement bafoués et où toute forme d’autodétermination interne ou de participation politique leur serait niée[68]. Les droits des peuples autochtones et du Québec ne diffèrent d’ailleurs pas fondamentalement à cet égard[69]. Or, en dépit de ses lacunes, le droit constitutionnel canadien reconnaît une gamme de droits et libertés fondamentaux ainsi que des droits collectifs aux autochtones. Sont notamment reconnus les droits autochtones issus de traités et les droits ancestraux, qui incluent, selon la Couronne et le Parlement canadiens, le droit à l’autodétermination interne et à l’autonomie[70]. Même en présumant qu’elle accepterait la thèse selon laquelle un peuple a le droit de faire sécession pour remédier à une situation grave d’oppression (la sécession-réparation), il est très peu probable que la communauté internationale estime que le traitement des peuples autochtones au Canada justifie leur sécession unilatérale. Comme le souligne la Cour suprême du Canada, le droit international tient pour primordiale l’intégrité territoriale des États[71]. Néanmoins, un peuple autochtone qui se déclarerait indépendant et serait en mesure de prendre et de conserver de facto le contrôle exclusif et effectif d’une partie de territoire pourrait acquérir le statut d’État indépendant[72].

Concernant l’hypothèse d’un droit pour un peuple autochtone de détacher son territoire traditionnel du Québec pour le rattacher au Canada, un auteur a estimé qu’une sécession unilatérale du Québec rompant le lien entre le Canada et les peuples autochtones sans leur consentement pourrait légitimer la tentative de ces derniers de rétablir ce lien par la séparation, si nécessaire[73]. Or, en dehors de la question de son bien-fondé, cet avis ne prend pas en considération le cas d’une sécession négociée dans laquelle le Québec accepterait de reconduire le lien entre le Canada et les peuples autochtones qui le demandent. De plus, la revendication du droit pour un peuple autochtone de rattacher unilatéralement une fraction de territoire au Canada serait, juridiquement, aussi problématique que la sécession. Certes, on soulignera qu’il ne s’agirait dans ce cas-ci que de permettre aux autochtones de choisir de rester au sein du Canada, ce qui peut sembler être le contraire de la sécession. En réalité, accorder un tel droit à un peuple autochtone équivaudrait à lui conférer la prérogative de fixer les frontières internationales entre l’État canadien et un futur État québécois indépendant. Or, il s’agit en droit international d’une décision qui relève de l’État lui-même, que ce soit dans le cadre d’un passage concerté du statut de territoire à celui d’entité sécessionniste ou d’un traité établissant une frontière internationale. L’État canadien étant, au regard du droit des gens, le titulaire de la souveraineté sur le territoire concerné, il a la prérogative d’en disposer[74]. Les règles du droit international ne favorisent donc pas plus que le droit canadien la thèse d’un droit d’action unilatérale autochtone liant le Canada et le Québec en matière territoriale, en particulier lorsque la volonté autochtone de conserver un lien avec le Canada est respectée.

La protection constitutionnelle du territoire québécois s’imposerait donc aux négociateurs comme point de départ, protection qui trouverait vraisemblablement un écho dans le droit international selon l’opinion clairement majoritaire des experts[75]. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que les parties ne pourraient pas tout de même aborder les questions territoriales, ni que, à l’issue de certaines négociations, le Québec n’accepterait pas la modification de ses frontières. La Cour suprême du Canada mentionne d’ailleurs à juste titre dans le Renvoi relatif à la sécession que le territoire devrait compter parmi les sujets à discuter[76]. De fait, plusieurs questions ayant une incidence territoriale gagneraient à être clarifiées[77]. Les parties pourraient indiscutablement aborder le sujet, notamment dans la perspective d’ajustements territoriaux réciproques.

En revanche, demander au Québec de renoncer à une partie de son territoire afin de permettre à certains peuples autochtones de conserver leur lien avec le Canada serait en pratique très difficile, sinon impossible, à justifier au regard des principes qui gouverneraient les négociations, dès lors que le maintien de ce lien est admis et respecté par le Québec sans que la partition ne soit utile ou nécessaire. Nul ne peut écarter catégoriquement la possibilité d’une entente sur cette question soit pour permettre à un peuple autochtone d’accéder à l’indépendance, soit pour le rattacher territorialement au Canada. Il est évident que le Québec ne consentirait à abandonner une parcelle de son territoire constitutionnellement protégé qu’en échange d’une contrepartie proportionnée, et seulement dans la mesure où ses intérêts fondamentaux seraient sauvegardés. Le Canada, de son côté, pourrait se montrer rétif à l’idée que les peuples autochtones puissent « choisir leur État », puisque ce précédent pourrait engendrer d’autres revendications de même nature, cette fois de communautés transfrontalières avec les États-Unis.

B. La nécessité d’innover par une entente supranationale avec les autochtones

Une entente assurant la continuité canadienne dans un Québec indépendant pour les peuples autochtones qui le souhaitent serait négociée et conclue en amont de l’indépendance et prendrait effet au moment de celle-ci. Elle constituerait alors un traité international passablement original tant sur le plan de ses parties prenantes (1) que des procédés de coordination juridique qu’elle mettrait en place (2).

1.    La pleine participation des peuples autochtones

Un premier aspect relativement inédit serait la participation des représentants des peuples autochtones à la négociation d’une entente de portée non seulement constitutionnelle, mais aussi internationale.

Il faut souligner d’entrée de jeu que certains peuples autochtones du Québec n’ont, à ce jour, jamais formellement reconnu, par traité ou autrement, la souveraineté de la Couronne, ni son titre sous-jacent à leurs territoires traditionnels[78]. Leur posture consiste à ne considérer l’État que comme une réalité de facto[79]. Or, le contexte de la sécession du Québec poserait directement la question de la souveraineté étatique. Ces peuples pourraient continuer de refuser toute reconnaissance, même négociée, de la souveraineté de l’État, qu’il soit canadien ou québécois. Cela voudrait dire qu’ils s’abstiendraient de participer aux négociations relatives à une entente de continuité canadienne qui pourrait être interprétée comme une reconnaissance de la souveraineté étatique canadienne ou québécoise. L’avantage de cette stratégie pour les peuples concernés serait de préserver en principe leur souveraineté originaire dans l’ordre juridique autochtone. Elle aurait en revanche l’inconvénient de reléguer ces peuples à la marge des grandes manœuvres juridiques qui détermineront concrètement la place que l’État prétendra occuper dans leur vie après l’indépendance du Québec.

On peut toutefois penser que certains peuples souhaiteraient maintenir formellement leur lien avec le Canada et qu’ils participeraient aux négociations.

Dans le Renvoi relatif à la sécession, la plus haute juridiction du Canada n’aborde pas la question de la place des autochtones dans les négociations qui seraient obligatoires dans la foulée d’un vote clairement favorable à l’indépendance du Québec[80]. Certains plaident néanmoins qu’en évoquant le rôle des « participants » et des « acteurs politiques » aux négociations sans nécessairement limiter la portée de ces termes aux gouvernements fédéral et provinciaux, la Cour aurait voulu, sans toutefois le dire explicitement, faire une place aux peuples autochtones[81]. De plus, les dispositions de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones favorisent clairement la participation autochtone à la négociation d’une entente qui les affecterait de manière évidente et singulière en tant que peuples premiers[82].

Puisque la proposition de continuité canadienne repose sur le respect du choix fait à cet égard par un peuple autochtone, il va de soi que l’hypothèse de départ de la présente étude fait au peuple concerné une place à part entière à la table des négociations.

Il reviendrait à chaque peuple autochtone, le plus souvent constitué d’une pluralité de communautés locales, de fixer les règles de désignation de ses représentants. Cette démarche ne serait pas toujours aisée, comme on le voit lorsqu’il s’agit d’identifier les porte-paroles légitimes d’une communauté ou d’un peuple aux fins des négociations territoriales et des consultations relatives à des projets affectant les territoires revendiqués par un peuple autochtone[83]. Les autorités étatiques ne pourraient toutefois pas s’ingérer dans ces débats dont la résolution relève de l’autodétermination interne autochtone. La participation de peuples premiers soulèverait en outre la question de la représentation des individus vivant en milieu urbain ou à l’extérieur de leur communauté d’origine. Il appert que la majorité d’entre eux sont membres d’une nation autochtone reconnue[84], de sorte qu’ils pourraient être représentés par l’intermédiaire de cette nation[85].

Outre la participation des peuples autochtones du Québec à la négociation de l’entente, se poserait la question du rôle de ces peuples dans le processus de révision constitutionnelle ayant pour objet sa mise en œuvre. L’article 35.1 de la Loi constitutionnelle de 1982 dispose que les gouvernements fédéral et provinciaux sont liés par l’engagement d’inviter les représentants des peuples autochtones « à participer aux travaux » des conférences constitutionnelles examinant tout projet de modification des dispositions du bloc constitutionnel autochtone[86]. Comme l’écrit la Commission royale sur les peuples autochtones, aux termes de cette disposition, « hormis une probable participation à la rédaction d’un projet de modification, les autochtones, en tant qu’individus, et les nations autochtones, en tant qu’entités politiques, n’ont aucun rôle officiel de ratification, si ce n’est comme votants dans un référendum fédéral ou provincial »[87].

Des auteurs ont cependant avancé que, dans le contexte de la sécession du Québec, tout désengagement du Canada à l’égard des droits ancestraux ou issus de traités des autochtones du Québec, de ses obligations fiduciaires et des exigences de l’honneur de la Couronne à leur égard ou de toute autre protection de droits autochtones découlant de l’ordre juridique canadien exigerait l’accord des peuples concernés[88]. On ne peut effectivement pas exclure totalement la possibilité que les tribunaux appliquent le principe de l’honneur de la Couronne de manière à exiger la consultation approfondie, voire le consentement, des autochtones spécifiquement touchés par un projet de révision constitutionnelle dont l’effet serait de les priver de leurs droits ou d’en diminuer la portée[89]. Ce développement pourrait se fonder sur une interprétation dynamique de l’article 35.1 ou sur l’honneur de la Couronne comme principe constitutionnel non écrit. La Cour suprême n’a-t-elle pas, par exemple, souligné « la reconnaissance grandissante du fait que les peuples autochtones et non autochtones sont des partenaires dans la Confédération »[90]? Il faut toutefois noter que l’hypothèse d’une obligation constitutionnelle d’obtenir le consentement autochtone n’est évoquée que pour protéger les autochtones contre une éventuelle violation ou diminution de leurs droits.

Cette exigence ne serait guère problématique pour les gouvernements, car il n’est nullement question de priver les autochtones de leurs droits sans leur consentement ni de renier les responsabilités du gouvernement canadien à leur égard. L’entente proposée viendrait même sécuriser davantage les responsabilités canadiennes et québécoises qui continueraient d’avoir un ancrage constitutionnel, mais qui seraient aussi, comme il est expliqué plus loin, enchâssées dans un traité engageant la responsabilité internationale des deux États.

Si l’on présume que le consentement d’un peuple autochtone à tout projet portant atteinte à ses droits particuliers serait juridiquement requis et que ce peuple refuse d’approuver la révision constitutionnelle parce qu’il la considère attentatoire à ses droits ou contraire aux responsabilités canadiennes afférentes, les tribunaux pourraient être amenés à trancher. Dans l’hypothèse où il serait statué que l’entente est conforme aux droits du peuple concerné, les objections juridiques à la révision constitutionnelle seraient alors levées, ce qui n’empêcherait nullement les participants de poursuivre les discussions. Dans le cas contraire, l’entente devrait être revue pour la rendre conforme aux droits du peuple autochtone.

La décision de peuples autochtones du Québec de conserver leur lien avec le Canada, et l’engagement du Québec et du Canada de respecter ce choix, feraient de ces peuples des acteurs clés d’un traité international, ce qui est relativement nouveau. Le précédent le plus récent et le plus pertinent, bien qu’il n’ait jusqu’ici pas été mené à son terme, est le projet de Convention nordique saamie de 2005[91]. Ce projet de convention transnationale concerne directement le peuple autochtone saami. Il vise à répondre aux difficultés tenant au caractère transfrontalier de ce peuple et lui reconnaît certains droits (notamment des droits fonciers et le droit à l’autodétermination interne)[92]. Cette convention constituera ainsi un authentique traité international contraignant pour les États qui la ratifieront, soit la Finlande, la Norvège et la Suède. Or, ce projet a été négocié par des représentants étatiques et par des membres nommés par les parlements saamis de chacun de ces pays[93]. Mattias Åhrén, qui faisait partie du groupe d’experts « mixte » de rédaction de la Convention, explique qu’il avait été initialement envisagé que le peuple autochtone saami soit véritablement partie à l’accord. Devant le risque de priver la convention de l’effet juridique d’un traité en droit international si tel était le cas, il a été décidé que les trois États seulement en seraient partie.

En revanche, le processus de négociation et de rédaction du projet de convention ainsi que les modalités prévues pour son entrée en vigueur et ses éventuelles modifications ultérieures prennent pleinement en considération la volonté du peuple saami. C’est notamment l’accord nécessaire des parlements saamis qui démontrerait que la Convention est, selon Mattias Åhrén, « a modern treaty between the Finnish, Norwegian and Swedish state-forming peoples, on one hand, and the Saami people, indigenous to the three countries, on the other » [notes omises][94]. On a pu aussi dire que ce projet était une manifestation de l’égalité entre Nations en raison du processus dans lequel il a été conçu[95].

Cet exemple montre qu’il est envisageable qu’une entente internationale associe pleinement les peuples autochtones concernés aux phases de négociation et de ratification même si, sur le plan formel, ils ne sont pas partie au traité international. En effet, la souveraineté externe des peuples autochtones n’est pas encore reconnue par l’ordre juridique international, qui demande une forme étatique aux parties signataires d’un traité. Il serait possible de formaliser le consentement par la signature des représentants autochtones sans que les peuples représentés soient pour autant des États parties au sens du droit international, ou, à tout le moins, de prendre solennellement acte du consentement autochtone dans l’entente.

2.    Les expériences supranationales comme source d’inspiration

L’objectif de l’entente sur la sécession du Québec assortie d’une continuité canadienne en matière autochtone serait de faire en sorte que les droits des peuples autochtones soient maintenus (ainsi que les responsabilités du Canada), mais aussi d’assurer leur effectivité par des mécanismes de contrôle politique et juridictionnel. Il faudrait également franchir le cloisonnement entre les ordres juridiques canadien et québécois, qui empêcherait la préservation d’un lien juridique et politique entre le Canada et les peuples concernés. Dès lors, une application du droit canadien à l’égard de personnes ou de territoires situés dans un Québec indépendant devrait nécessairement s’articuler dans le cadre d’un traité international dans lequel le Québec consentirait à l’opposabilité du droit canadien dans un champ circonscrit. Cela pourrait donc se faire par la médiation de normes supranationales qui s’imposeraient au Québec, mais qui seraient en fait canadiennes.

La pratique internationale donne à voir des traités bilatéraux comportant des caractéristiques voisines de ce qui est étudié ici. Ainsi, certains traités visant la protection des minorités nationales interviennent entre États « parents » et États de résidence, mais ils ont des effets juridiques beaucoup plus limités que ceux de l’entente canado-québécoise envisagée. En effet, même lorsqu’ils permettent une certaine autonomie des collectivités ethnoculturelles bénéficiaires, comme c’est le cas pour les îles Åland, celle-ci demeure avant tout garantie par le droit interne de l’État de résidence[96]. Un autre type de traité bilatéral, la cession à bail, permet à un État d’exercer les prérogatives de la puissance publique sur un territoire sans en avoir la souveraineté territoriale[97]. Toutefois, ce type d’accord n’aménage généralement pas un partage complexe des compétences entre les parties signataires sur le territoire concerné. Or, ce partage serait la clé de voûte de l’entente sur la continuité canadienne.

Nous proposons donc de s’inspirer des entités supranationales qui, bien que n’ayant pas pour objet de protéger les droits ou l’autonomie de minorités ou de peuples, permettent d’assurer efficacement la coordination entre les ordres juridiques, et ce dans le respect de la souveraineté territoriale. Parfois critiquée, la comparaison entre des États et des organisations internationales peut se justifier par une approche fonctionnelle du droit comparé, qui s’attache pragmatiquement à étudier des unités de comparaison selon l’objectif recherché (ici, une coordination entre ordres juridiques).

Le cas de l’Union européenne est peut-être un des exemples les plus aboutis auquel on peut penser, dans la mesure où le droit de l’Union bénéficie d’une très grande effectivité en fonctionnant par la voie de l’intégration[98] — c’est-à-dire une pénétration des normes produites au niveau des institutions de l’Union dans les ordres juridiques de ses États membres. Ce n’est pourtant pas la comparaison la plus adéquate, car les traités de l’Union européenne fondent une structure supranationale. Ils créent un niveau supplémentaire de prise de décisions politiques, exercé en commun avec les États membres à travers l’instauration d’organes dans lesquels ils jouissent d’un certain pouvoir de participation. Les traités européens prévoient le transfert de compétences, parfois qualifiées de souveraines, des États vers des institutions politiques communes habilitées à produire des normes législatives. Cela explique d’ailleurs la comparaison possible de l’Union avec un système fédéral[99]. Or, dans l’entente envisagée dans le présent article, il n’est nullement question de constituer un autre niveau de responsabilité politique en créant des institutions politiques supranationales. Il s’agit davantage de coordonner l’ordre juridique canadien avec l’ordre juridique québécois afin qu’une partie du droit édicté par le premier puisse s’imposer dans le second, dans un objectif de continuité pour les peuples autochtones.

Dès lors, il serait plus intéressant de considérer, à des fins de comparatives, les relations qu’entretient l’Union européenne avec certains États européens qui lui sont associés sans en être des États membres. L’Union européenne est en effet partie à des conventions internationales la liant d’une part à la Suisse et d’autre part à la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein dans le cadre de l’Espace économique européen (EEE) et de l’Association européenne de libre-échange (AELE)[100].

La doctrine a d’ailleurs pu imaginer qu’en cas de retrait de l’Union d’un État membre, on pense bien sûr au « Brexit », l’ex-État membre ait un statut comparable à ces pays « associés »[101] soit en devenant membre de l’EEE et l’AELE comme la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein, soit en négociant une entente ad hoc lui permettant par exemple de maintenir sa participation au marché intérieur de l’Union[102]. Le parallèle avec un Québec accédant à l’indépendance, mais qui souhaiterait continuer de faire partie d’une zone économique de libre-échange avec le Canada, est donc très frappant. Mais ce parallèle pourrait aussi servir dans un domaine de compétence très différent : le droit des peuples autochtones.

Le partenariat EEE/AELE est un traité international classique, puisqu’il ne crée pas un autre niveau de gouvernance et de responsabilité politique. Il est toutefois original dans la mesure où il concerne directement les groupes et les individus, leur donne les moyens juridiques de faire valoir leurs droits, et prévoit la réception dans l’ordre juridique des États partenaires du droit de l’Union européenne dans le secteur économique du marché intérieur[103]. En effet, ce partenariat entre l’Union européenne et certains États permet à ceux-ci d’accéder au marché intérieur de l’Union européenne et de faire partie de la zone de libre-échange. Il organise aussi, et surtout, une homogénéité juridique avec le droit du marché de l’Union européenne. Ainsi, la véritable extension du marché intérieur à des États non membres de l’Union demande que, sur le territoire de ces derniers, les individus et les opérateurs économiques aient des droits et obligations comparables à ceux prévus par le droit de l’Union[104].

C’est pourquoi l’accord EEE comprend plusieurs dispositions au libellé strictement identique à celles contenues dans le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne[105], et prévoit aussi un processus d’alignement sur la législation de l’Union en mettant à jour les annexes au traité, qui incorporent au fur et à mesure les évolutions législatives de l’Union. Ainsi, les États parties à l’EEE doivent se conformer à ce que l’on appelle l’acquis communautaire (ou le droit de l’Union européenne)[106] en respectant notamment les annexes de l’accord EEE qui font référence au droit dérivé (tant antérieur que postérieur à la signature de l’accord) intéressant l’EEE. L’accord demande la mise à jour des annexes (mais pas de manière automatique) afin de s’adapter aux actes de l’EEE, tout en permettant une application des actes de l’UE « à peu près en même temps dans l’UE et dans les États AELE »[107]. Enfin, et nous y reviendrons, le traité impose une interprétation de l’accord EEE conforme à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, pour assurer le principe d’homogénéité s’agissant du contentieux. On peut dès lors conclure, comme Magnusson et Lochet, que

dans la droite ligne des principes de droit international public, la principale source du droit EEE demeure formellement l’accord EEE. Cependant, le respect du principe d’homogénéité exige en permanence que, dans l’application et l’interprétation du droit EEE, les règles du droit de l’Union européenne et leur interprétation soient prises en considération.[108]

En pratique, il en résulte que le droit élaboré par l’UE est appliqué directement et jouit d’une primauté dans des États qui n’en sont pas membres. Les individus et les groupes visés par ce droit peuvent le mobiliser devant les instances juridictionnelles nationales et européennes pour contester tant les lois et les actions de l’UE que celles de l’État sur le territoire duquel ils se trouvent. Il n’y a, en d’autres termes, pas de différence matérielle entre la situation juridique effective des justiciables qui vivent dans l’État signataire non membre de l’UE et celle de ceux qui vivent dans un pays membre de l’UE en ce qui concerne les matières relevant de l’entente.

Ce partenariat européen, qui dépasse le cadre du droit international classique, est riche d’enseignements dès lors qu’il s’agit de réfléchir à une entente relative à la continuité canadienne pour les peuples autochtones du Québec qui la réclameraient. Il donne un modèle juridique autorisant l’application d’une partie du droit canadien (relatif aux peuples autochtones) dans un Québec souverain, ainsi que son opposabilité tant à l’égard des autorités canadiennes que des autorités québécoises, sans pour autant créer une structure supranationale édictant un droit dérivé (ayant des compétences législatives). En ce sens, il serait peut-être plus juste d’utiliser la terminologie « transnational » plutôt que « supranational » pour qualifier ce cadre normatif. Quoi qu’il en soit, les techniques de renvoi au droit de l’Union, la mise en œuvre concrète de cette « translation normative » et les compensations en ce qui concerne la participation à la prise de décision au sein de l’espace normatif de départ (l’UE) pourraient donc servir pour élaborer un modèle d’entente et aideraient à imaginer les mécanismes précis permettant de mettre en œuvre cet objectif de continuité politique et juridique canadienne pour les peuples autochtones du Québec. C’est ce que nous proposons d’examiner en détail dès à présent.

II. Une proposition : mettre en œuvre la continuité canadienne par des procédés internationaux

Pour comprendre comment fonctionnerait précisément le cadre normatif d’une continuité canadienne pour les peuples autochtones du Québec, il faut d’abord se pencher sur les techniques juridiques contenues dans l’entente qui permettraient de coordonner les ordres juridiques canadien et québécois tout en attribuant au Canada une responsabilité politique vis-à-vis des autochtones (section A). Il est ensuite nécessaire d’expliquer l’exécution de l’entente, notamment par les différents acteurs administratifs (section B) et judiciaires (section C).

A.  Les dispositifs de coordination des ordres juridiques

Il faut concevoir des techniques juridiques opérant des passerelles entre le droit québécois, le droit canadien et le droit des peuples autochtones à partir de leur histoire constitutionnelle commune, tout en gardant une traçabilité de la responsabilité politique dans l’édiction de ce droit.

En effet, la structure internationale permettrait de procéder à différents renvois entre l’ordre juridique du Québec indépendant et le droit canadien des peuples autochtones tel qu’il existerait au moment de l’indépendance et tel qu’il serait modifié par la suite, sans rompre le lien entre le Canada et les peuples autochtones souhaitant y rester rattachés (1). Il faut en outre penser aux mécanismes juridiques assurant l’effectivité du dispositif (2), ainsi qu’à l’application dans le temps, au moment de l’entrée en vigueur (3) et après (4).

1.    La consécration de l’acquis canadien en matière autochtone

L’entente intervenue — qui aurait valeur de traité international entre le Québec indépendant et le Canada — devrait prévoir le maintien en vigueur au Québec du bloc constitutionnel autochtone canadien, de la citoyenneté canadienne des autochtones et de leur droit de libre circulation, ainsi que de leurs droits fondamentaux et linguistiques afférents aux questions ressortissant au champ matériel de l’entente. Des dispositions viendraient affirmer expressément que les compétences et les responsabilités canadiennes perdureraient, tout comme les lois et les règlements déjà édictés par le Canada dans l’exercice de ses compétences sectorielles relatives aux peuples autochtones. Les termes des dispositions constitutionnelles canadiennes pourraient être réaffirmés et l’application continue des principes non écrits et des règles de common law énoncée. Ainsi, la continuité canadienne pour les peuples autochtones serait opposable aux autorités canadiennes, aux autorités québécoises et aux particuliers autochtones et non autochtones vivant au Québec.

En dehors de l’affirmation du principe de continuité, l’accord devrait plus systématiquement intégrer l’acquis canadien. C’est alors que les traités européens EEE et AELE peuvent servir de source d’inspiration. S’agissant des normes fédérales législatives et réglementaires antérieures à l’indépendance, l’ensemble des termes serait matériellement repris dans l’annexe à l’entente (à condition de se situer dans le domaine du traité). Par exemple, les lois fédérales canadiennes applicables au Québec et rattachées à la compétence relative aux autochtones et à leurs terres seraient entièrement reprises dans l’entente, ce qui les rendrait directement applicables au Québec. Un « toilettage » linguistique et formel des textes pourrait toutefois être nécessaire, par exemple pour que la référence aux provinces du Canada se rapporte au Québec dans le cadre de l’accord. Une clause transversale d’interprétation de ces termes pourrait aussi remplir ce rôle pour l’ensemble du traité, en précisant l’équivalent de chaque terme dans le cadre de l’entente.

Le principe de continuité permettrait aux autorités canadiennes, même après l’entrée en vigueur de l’entente, de modifier, voire d’abroger des lois et des règlements relevant du bloc autochtone conformément aux règles canadiennes de hiérarchie des normes. Un mécanisme pour ajouter ou modifier des lois (ou règlements) dans les annexes du traité devrait par conséquent être créé, à la manière de ce qui existe dans l’accord EEE. Dans le cadre de l’EEE, c’est le Comité mixte (organe politique composé de représentants des parties contractantes) qui « décide des modifications à apporter aux annexes [de l’]accord le plus tôt possible après l’adoption par la Communauté d’une nouvelle législation communautaire correspondante, de façon à permettre une application simultanée de cette dernière et des modifications des annexes [de l’]accord »[109]. Ce système semble cependant avoir ses limites. La Commission européenne s’est plainte du retard croissant dans l’application des nouveaux actes de l’Union par les trois États AELE, tandis que le Conseil regrette une « fragmentation du marché intérieur et […] une asymétrie des droits et obligations pour les opérateurs économiques »[110] en raison de ces délais, des adaptations et des dérogations. Ces modalités comportent ainsi de sérieux inconvénients et, dans le cadre de l’entente discutée ici, elles pourraient faire craindre des accrocs aux principes de continuité et d’homogénéité juridiques entre les peuples autochtones du Canada et ceux du Québec.

Les limites mentionnées ci-dessus démontrent qu’il faudrait sans doute améliorer le système EEE avant de l’adapter au traité canado-québécois. La première solution serait d’opter pour une transcription automatique de la législation canadienne dans les annexes de l’entente sans aucune modification textuelle et sans l’intervention d’un comité mixte. Dans cette hypothèse, les clauses d’interprétation transversales du traité seraient les seules gardiennes de l’adaptation de la législation fédérale canadienne au contexte québécois. Ainsi, les acteurs la mettant en œuvre devraient se fier à la logique de l’entente et faire preuve de pragmatisme en cas d’inadéquation textuelle. Cette solution ne favorise donc pas de manière optimale la sécurité juridique, et il vaudrait mieux éviter que des normes qui se seraient « perdues dans la traduction/translation » ne produisent un contentieux. Par conséquent, la seconde solution serait de créer un comité mixte canadien et québécois sur la mise en œuvre de l’entente, tel qu’il existe dans l’EEE[111]. Il serait chargé de procéder aux adaptations, mais serait contraint de le faire dans un certain délai[112]. En cas de dépassement du délai, la législation serait incorporée dans les annexes en l’état, et l’on reviendrait à la première solution, qui ne serait alors qu’un pis-aller transitoire en attendant que le comité mixte ne fasse les adaptations. Le principe de continuité serait ainsi pleinement garanti. Ce comité mixte devrait en outre obligatoirement comporter des membres autochtones pour assoir sa légitimité auprès des peuples premiers et concrétiser le principe de participation de ces derniers aux décisions qui les concernent, en adéquation avec les déclarations de l’ONU et de l’OEA[113].

Les évolutions postérieures du droit canadien relatif aux peuples autochtones pourraient se concrétiser à un niveau infralégislatif ou législatif, mais aussi constitutionnel. Si le droit constitutionnel canadien révisé modifie substantiellement les droits des autochtones, pourrait-on prévoir que la nouvelle disposition constitutionnelle canadienne soit intégrée à l’entente? Ce devrait être le cas si l’on adopte une conception rigoureuse du principe de continuité voulant que les autochtones du Québec continuent, malgré l’indépendance du Québec, à recevoir le même traitement que les autres peuples autochtones[114].

S’agissant de la gestion des affaires internationales, l’entente aurait d’abord pour effet de reconduire la responsabilité internationale du Canada eu égard aux traités concernant une matière relevant du bloc autochtone[115] qu’il aurait ratifiés antérieurement à l’entente[116]. Cette responsabilité s’étendrait-elle aux nouvelles ratifications de conventions internationales par le Canada relativement aux peuples autochtones après l’indépendance du Québec? Bien que le Québec, en tant qu’État souverain, ne serait pas lié dans l’ordre juridique international par ces ratifications canadiennes, toute législation canadienne mettant en œuvre un accord international ratifié par le Canada devrait, si elle relève du bloc constitutionnel autochtone, être incorporée dans les annexes de l’entente et bénéficier de la sorte aux peuples autochtones du Québec[117]. De cette manière, la continuité canadienne serait sécurisée et les autochtones ne seraient en rien lésés dans l’hypothèse où le Québec indépendant ne ratifierait pas une convention à laquelle le Canada serait devenu partie. On retrouve d’ailleurs la même logique dans l’EEE. L’article 80 du traité prévoit en outre une coopération avec l’Union européenne sur le volet extérieur : des échanges de vues, des canaux diplomatiques, des consultations qui peuvent ainsi déboucher sur le ralliement des États de l’AELE aux déclarations politiques ou positions communes des organes de l’UE[118]. L’entente pourrait institutionnaliser ce type de coopération au sein d’un comité mixte qui comprendrait des représentants autochtones.

Par ailleurs, il faudrait imposer au Canada qu’il se conforme au principe du « traitement canadien » pour les peuples autochtones du Québec, ce qui empêcherait le constituant, le législateur et le gouvernement canadiens de discriminer les peuples autochtones du Québec par rapport aux peuples autochtones du Canada ou de leur accorder un traitement spécial injustifié. Cette précaution permettrait de protéger les autochtones tout en assurant au Québec que le principe de continuité juridique ne puisse (intentionnellement ou non) aboutir à une ingérence du Canada dans les affaires québécoises alors que les peuples premiers du Canada ne sont pas concernés. Dès lors, les autochtones du Québec pourraient être traités par le Canada différemment des autres peuples autochtones, mais ce traitement devrait se justifier par une différence de situation et ne saurait leur être moins favorable ou plus favorable.

2.    La primauté, l’application directe et l’ancrage constitutionnel

Pour s’assurer de l’effectivité de la continuité juridique du droit canadien, les parties pourraient en outre prévoir expressément l’effet direct de l’entente dans l’ordre juridique québécois et sa primauté sur toutes les autres dispositions nationales. L’entente étant un traité international, les deux États seraient bien entendu tenus l’un envers l’autre de respecter les engagements auxquels ils auraient souscrit. Les particuliers (individus ou groupes) pourraient aussi se prévaloir des règles de l’entente, sans qu’aucune règle nationale ne soit nécessaire pour les préciser ou les transposer dans l’ordre juridique étatique (principe de l’effet direct). En cas de conflit entre une norme nationale et une norme supranationale de l’entente, cette dernière devrait prévaloir (principe de primauté).

Les parties pourraient s’assurer qu’en sus de sa qualité d’accord international, l’entente ait une assise constitutionnelle tant au Canada qu’au Québec. Les peuples autochtones du Québec bénéficieraient alors d’un double ancrage normatif, constitutionnel et international, et pourraient en cas de besoin user des voies de droit et des recours relatifs à cette double assise.

Le Canada s’engagerait à enchâsser l’obligation de respecter l’entente dans sa loi fondamentale et à adopter toutes les mesures législatives requises pour approuver et déclarer valide l’entente en droit canadien, ce qu’il pourrait faire en vertu de ses compétences en matière de relations internationales et de relations avec les peuples autochtones. De même, l’entente devrait exiger que la constitution québécoise non seulement confirme que les droits des peuples autochtones du Québec sont au moins égaux à ceux reconnus par la constitution canadienne, mais aussi procède à un renvoi explicite à l’entente s’agissant des modalités concrètes pour garantir une continuité avec le Canada pour les peuples autochtones qui le souhaitent[119]. De plus, l’entente énoncerait l’obligation pour le Québec de prévoir dans sa loi fondamentale que les autorités québécoises ne puissent modifier ou dénoncer le traité, ou consentir à sa modification ou à sa dénonciation par le Canada qu’avec l’accord des peuples autochtones concernés. L’entente exigerait en outre que les dispositions constitutionnelles québécoises renvoyant à l’entente et à l’obligation d’obtenir le consentement des autochtones ne puissent elles-mêmes être modifiées ou abrogées sans le consentement desdits peuples autochtones.

Ces arrangements constitutionnels équivaudraient à une forme de co-souveraineté, étant donné qu’ils reconnaîtraient aux peuples autochtones un véritable rôle constituant, en plus d’un pouvoir réel dans la définition des relations internationales entre le Québec et le Canada pour toutes les questions relevant du traité.

3.    Un dispositif transitoire étanche

Pour des raisons évidentes de sécurité juridique, il serait nécessaire de conclure cette entente en amont de la souveraineté effective du Québec afin que le régime juridique des autochtones du Québec soit prévu sans aucune possibilité de rupture ou de décalage temporel.

Il faudrait que le texte ait une valeur juridique contraignante et prévoie une date spécifique d’entrée en vigueur. Or, pour qu’il n’y ait aucune rupture pour les autochtones concernés, et pour éviter de s’interroger lors d’éventuels contentieux sur le régime juridique applicable aux autochtones entre l’accession du Québec à la souveraineté et l’entrée en vigueur de l’entente, il vaudrait mieux que les deux événements soient concomitants. Autrement dit, l’entente sur la continuité canadienne doit prévoir d’entrer en vigueur le même jour que l’indépendance du Québec.

La partition de la Tchécoslovaquie offre ici un précédent pertinent[120]. En effet, celle-ci s’est faite de manière consentie et concertée, et avait été précédée d’accords bilatéraux de coopération signés par les deux parties avant la date prévue de l’accession à la souveraineté de la République tchèque et de la République slovaque (notamment un accord établissant une union douanière entre les deux pays[121]). Un auteur a ainsi remarqué qu’il aurait fallu, en théorie, attendre l’apparition de chacune des deux Républiques comme sujets de droit international pour conclure ces accords, mais qu’en pratique leur report aurait créé d’immenses difficultés[122].

Il est difficile d’imaginer quel obstacle déterminant empêcherait une reconnaissance du Québec au moment consenti par les parties, ou comment cela pourrait porter atteinte par ricochet à la validité de l’entente préconisée. Il paraît peu probable que du point de vue du droit international, la validité de l’instrument soit contestée et qu’il ne puisse s’appliquer au jour un de l’indépendance du Québec. Cependant, il est toujours possible de s’en assurer en insérant dans l’entente certaines dispositions pour éviter toute ambiguïté. Premièrement, une clause explicative pourrait préciser que les parties veulent faire de cet accord un traité de droit international en vigueur dès le premier jour de l’indépendance du Québec. Deuxièmement, une clause pourrait organiser une ratification de l’entente par le Québec à la date de son indépendance. Troisièmement, si l’entente était ultérieurement officialisée par les deux États, une clause expresse de rétroactivité à la date de l’indépendance du Québec pourrait être prévue[123].

Enfin, l’entente devrait stipuler qu’elle n’entre en vigueur — et donc que le Québec n’accède à l’indépendance — que lorsque le Canada aura adopté toutes les mesures pour la rendre valide et opposable en droit canadien au moment de l’indépendance, et que la constitution québécoise contenant toutes les garanties exigées par le traité en faveur des autochtones aura été adoptée — étant entendu que la date de sa promulgation serait la même que celle de l’indépendance du Québec.

4.    La modification, la dénonciation et le retrait

Le traité devrait en outre être de durée illimitée. De plus, les parties contractantes devraient s’engager à obtenir l’accord des peuples autochtones concernés avant de modifier le traité d’une manière portant atteinte à leurs droits, de le dénoncer ou de consentir à sa dénonciation par l’autre partie étatique[124]. Les peuples autochtones seraient dès lors partie prenante aux décisions concernant l’évolution du traité, ce qui leur donnerait un statut fonctionnellement équivalent à celui des parties contractantes étatiques.

De manière générale, les négociations de traités avec les peuples autochtones permettant de solder les revendications foncières et de mettre en place l’autonomie gouvernementale autochtone ne seraient pas stoppées par l’entente. Elles auraient vocation à être poursuivies, quel que soit leur contenu. La conclusion de nouveaux traités et de compromis propres à satisfaire tel ou tel peuple autochtone pourrait d’ailleurs rendre inutile, de leur point de vue, la préservation de leur lien avec le Canada. L’accord pourrait ainsi prévoir un « droit de retrait » de chacun des peuples autochtones concernés, selon leur mode de décision propre. Un peuple autochtone pourrait donc sortir définitivement de l’entente pour passer à une relation bilatérale avec le Québec.

B. Les aménagements politiques, financiers et administratifs

La responsabilité politique à l’égard des peuples autochtones demeurerait matériellement canadienne (et non pas supranationale) pour ce qui est des affaires relevant du Canada. C’est pourquoi il faut déterminer la nature de la participation du Québec et des peuples autochtones qui y vivent dans les décisions politiques canadiennes (1). En outre, une nouvelle répartition administrative et financière propre à assurer l’application de l’entente serait indispensable (2).

1.    Les compensations dans la participation aux prises de décision

Un Québec indépendant ne saurait continuer à pourvoir comme avant des représentants à la Chambre des communes canadienne, ni au sein de l’exécutif fédéral. De même, il n’y aurait plus de sénateurs du Québec. Les décisions politiques canadiennes relevant du domaine de l’entente produiraient donc leurs effets dans un Québec indépendant qui n’aurait pas eu son mot à dire au sein des institutions qui les prendraient. Il faudrait alors réfléchir à des modalités tendant à compenser cette perte d’influence du Québec. On ne saurait, en effet, minimiser l’importance du sacrifice démocratique auquel le Québec devrait consentir pour mettre en œuvre la continuité canadienne au profit des peuples autochtones.

Le Canada devrait être tenu de respecter un mécanisme préalable d’information et de consultation des autorités québécoises compétentes. Si l’on s’inspire à nouveau de la structure EEE/AELE, on observe que le traité prévoit un droit de consultation et d’information de bonne foi. Ainsi, la Commission européenne doit informellement solliciter l’avis d’experts des États de l’AELE, informer les États AELE de ses propositions, et échanger éventuellement à ce sujet au sein du comité mixte EEE à la demande d’une partie[125]. Ces experts AELE sont ensuite associés aux travaux des comités qui assistent la Commission européenne[126]. On pourrait, sur ce modèle, prévoir que le comité mixte tripartite serve de forum de discussion pour les projets ou propositions de lois ou de règlements canadiens relevant du domaine du traité. Ce comité serait composé des ministres aux affaires autochtones de chacun des deux États ainsi que de leurs représentants, si bien que le législateur canadien pourrait tenir compte des particularités québécoises dans l’élaboration des normes
canadiennes vis-à-vis des autochtones. Il faudrait en outre prévoir en amont un droit d’information du ministère compétent au Québec dès qu’un projet ou une proposition dans le domaine du traité serait élaboré. Ces informations et consultations des autorités québécoises compétentes (et de leurs experts) ne sauraient être complétées par une autre forme de participation : le Québec n’aurait ni droit de veto, ni droit de peser dans le vote des lois dans une fédération qu’il a choisi de quitter[127].

En revanche, étant donné que le domaine de l’entente ne porterait pas uniquement sur une matière spécifique, mais viserait des sujets de droit particuliers, les peuples autochtones, il faudrait que ces derniers puissent participer aux processus décisionnels les concernant. Il apparaît indispensable que des représentants autochtones siègent au sein du comité mixte, soient consultés et participent à l’élaboration des lois et règlements canadiens, à l’instar des représentants du Québec.

2.    La mise en œuvre financière et administrative de la continuité canadienne

Pour que le Canada puisse poursuivre ses politiques fédérales à l’égard des peuples autochtones du Québec, il lui faudrait mobiliser un certain budget à même de financer ses différents programmes. Celui-ci devrait être établi dans l’entente. En outre, une fois le bloc autochtone canadien reconduit par l’intermédiaire de l’entente internationale, celle-ci devrait assurer que ce droit soit effectivement appliqué par les pouvoirs exécutifs et administratifs compétents.

La mise en œuvre pécuniaire de l’entente serait sans doute un des points clés sur lesquels les négociateurs de l’entente devraient trouver un compromis. Le Canada étant dépourvu de tout pouvoir de taxation dans un Québec souverain, il paraît plausible qu’il demande au Québec de contribuer aux dépenses budgétaires qu’il engagerait pour les autochtones du Québec. La formule de la compensation financière exacte du Québec pour les programmes canadiens devrait ainsi être précisée dans l’entente, comme cela est d’ailleurs le cas dans les accords EEE/AELE en Europe[128].

En outre, le budget de fonctionnement de la modeste structure supranationale (puisque dépourvue de compétences législatives) devrait aussi être prévu dans l’entente pour s’assurer de sa pérennité financière — notamment en ce qui concerne les éventuels fonctionnaires internationaux contribuant à la mise en œuvre de l’entente. Le budget à prévoir dépendrait alors en grande partie du type d’administration prévue par l’entente.

Pour être effective, l’entente devrait être répercutée au quotidien auprès des peuples autochtones concernés et de la population en général. Elle serait en effet conçue pour que les normes d’origine canadienne soient opposables aux autorités d’exécution sur le terrain[129]. La question est dès lors organique : quels seraient les organes et le personnel responsables de cette administration? Plusieurs hypothèses sont envisageables. L’administration chargée de la mise en œuvre pourrait se rattacher organiquement au Canada (au gouvernement fédéral), aux peuples autochtones, ou encore au Québec. Elle pourrait également être partagée entre ces acteurs.

L’approche a priori la plus évidente part de l’idée que, si la continuité juridique était instaurée, devrait aussi suivre une « continuité administrative ». Ceci aurait pour conséquence que les fonctionnaires fédéraux canadiens conserveraient leur rôle d’interlocuteurs auprès des autochtones. Cette solution a en outre l’avantage d’être particulièrement claire sur le plan de la responsabilité politique, puisque le gouvernement canadien rendrait ainsi directement compte de ses actions auprès des peuples autochtones du Québec. Pour qu’une telle continuité administrative soit assurée, il faudrait prévoir que le statut des institutions, des agents, des infrastructures et des établissements ou bureaux soit réglé entièrement par le Canada et soit soumis au droit fédéral. Ce simple renvoi à l’administration canadienne marquerait toutefois une concession de taille de la part du Québec quant à la maîtrise effective de son territoire et, partant, de l’exercice de sa souveraineté. Cette concession serait d’autant plus grande si le Canada demandait une compensation financière au Québec sans que ce dernier n’ait de contrôle sur la mise en œuvre de l’entente et du droit qui en découle. Dans cette hypothèse, on considérerait, un peu à l’instar d’un auteur, qu’il existerait des sortes de consulats sur les territoires autochtones concernés pour représenter l’administration publique du Canada au Québec dans le domaine autochtone visé par le traité[130].

Il est aussi envisageable que les peuples autochtones soient eux-mêmes les administrateurs des politiques canadiennes. Ainsi, pour optimaliser l’autonomie autochtone au Québec, le Canada pourrait organiser un régime de transfert de ses responsabilités réglementaires et administratives aux peuples autochtones qui acceptent ces responsabilités[131]. Ces attributions viendraient s’ajouter aux compétences législatives et administratives propres qu’ils auraient en vertu de la constitution, de traités, de droits ancestraux ou de lois canadiennes, ainsi que de lois québécoises dans la mesure où celles-ci sont conformes à l’entente. Un tel dispositif contribuerait fortement au développement d’une gouvernance en accord avec les réalités et les besoins des autochtones. En effet, ces derniers mettraient en place et prendraient en charge des services dont ils détermineraient eux-mêmes les priorités.

On peut également envisager que le Québec soit désigné par le Canada pour assurer, au moins en partie, la mise en œuvre des politiques autochtones décidées au niveau fédéral canadien. Cette approche serait calquée sur la délégation oblique qui est conforme à la culture constitutionnelle connue des acteurs. En continuité par rapport au droit constitutionnel canadien tel qu’il existe aujourd’hui, l’utilisation de cette technique dans le cadre de l’accord transnational ne semblerait pas poser a priori de difficultés particulières aux juristes et administrateurs canadiens, québécois et autochtones. De fait, le principe d’administration indirecte est bien connu dans les structures supranationales comme l’Union européenne (mais également l’EEE). Ainsi, dans l’Union européenne, en dehors de quelques exceptions, la mise en œuvre des normes européennes passe par des organes initialement étatiques, mais qui sont aussi au service de l’Union. Certes, cette « incapacité administrative »[132] a parfois été considérée comme étant une faiblesse de l’Union européenne, mais cette solution est plus respectueuse de la souveraineté des États.

Il se pourrait toutefois que les autochtones considèrent cette technique d’exécution comme une concession qui les éloignerait trop de l’objectif de continuité. Une solution de compromis consisterait alors non pas à écarter toute délégation au Québec, mais à impliquer les peuples autochtones dans le processus. En cas de délégations obliques en faveur du Québec, le consentement préalable des peuples autochtones intéressés devrait être prévu.

Ainsi, le traité transnational pourrait instaurer un principe de mise en œuvre par des autorités canadiennes tout en leur donnant explicitement la possibilité de recourir à des mécanismes permettant une administration autochtone, québécoise ou mixte des normes canadiennes au Québec. La responsabilité politique du Canada envers les peuples autochtones serait ainsi entièrement conservée. L’entente pourrait, si besoin, délimiter des domaines ou des matières pour lesquels ces mécanismes seraient admis. Quoi qu’il en soit, une priorité accordée aux peuples autochtones dans l’administration des décisions les concernant par le biais de transferts de responsabilités offre des avantages. Une telle priorité (pouvant être encadrée matériellement dans l’entente) irait non seulement dans le sens d’une plus grande autonomie revendiquée par les peuples autochtones, mais elle éviterait aussi au Québec de voir des agents canadiens mettre en œuvre sur son territoire des normes édictées à Ottawa.

Il faudrait cependant que les organes chargés de l’administration des normes canadiennes agissent conformément aux normes de base, tant celles de l’entente elle-même que celles issues du bloc constitutionnel autochtone qui y sont transposées. Un dispositif contentieux et juridictionnel efficace et légitime devrait remplir cette fonction.

C. La mise en œuvre judiciaire de l’entente

Concevoir un système juridictionnel est indispensable au bon fonctionnement de la continuité canadienne pour les autochtones et mérite une attention particulière étant donné l’importance du contentieux judiciaire dans le règlement des « questions autochtones ».

1.    Nécessité d’une clause d’interprétation conforme

Pour assurer la persistance de l’acquis canadien et le maintien d’une homogénéité juridique entre les peuples autochtones du Québec et ceux du Canada, une clause d’interprétation conforme devrait être insérée dans le traité. Une telle clause garantirait aux autochtones du Québec que le tribunal compétent pour connaître de tout conflit relatif à la continuité canadienne et au bloc autochtone canadien le trancherait en utilisant la jurisprudence par ailleurs applicable au Canada sur le sujet.

Ainsi, si l’on s’inspire à nouveau de l’accord EEE, on relève qu’il comprend une clause d’interprétation conforme à la jurisprudence pertinente de la Cour de justice européenne antérieure à la signature, et que « l’interprétation des dispositions postérieures à la signature doit se faire en tenant compte des principes établis par la jurisprudence de l’Union européenne postérieure à la signature »[133]. S’il existe une nuance dans l’obligation d’homogénéité juridique avec la jurisprudence de référence, selon qu’il s’agisse de normes antérieures ou postérieures à l’accord international, la pratique contentieuse a toutefois montré qu’une telle distinction ne produisait pas d’effet concret dans l’interprétation prétorienne. Ce faisant, dans le système EEE, les juges appliquent indifféremment la jurisprudence de la Cour de justice européenne antérieure ou postérieure à l’accord, et l’homogénéité juridique se trouve effectivement maintenue[134]. De même, l’entente sur la continuité canadienne devrait prévoir une interprétation conforme à la jurisprudence établie au moment du litige. Cela permettrait que l’acquis autochtone canadien perdure au Québec dans la lignée des jurisprudences antérieures et postérieures à l’entente des juridictions fédérales canadiennes et de la Cour suprême du Canada.

Dès lors, les questions à résoudre sont de savoir, premièrement, quelles seraient les juridictions chargées de trancher les litiges relatifs à l’entente et au droit qu’elle reproduirait, et, deuxièmement, selon quelles modalités de saisine — notamment, lorsque des requérants entendent contester ou se prévaloir d’une norme canadienne prévue dans l’accord supranational en matière autochtone.

2.    Assurer une continuité juridictionnelle avec le Canada

En général, les États définissent unilatéralement leurs critères de compétence judiciaire, parmi lesquels la territorialité reste prépondérante (même si les clauses contractuelles attributives de juridiction ou encore la nationalité d’une des parties peuvent intervenir)[135]. Mais certaines conventions internationales ont aussi pour objet de régler les conflits de juridictions dans certaines matières, en particulier dans le cadre de l’Union européenne ou avec les pays qui y sont associés[136]. On pourrait donc parfaitement envisager que l’entente entre le Québec et le Canada organise la compétence judiciaire dans le domaine du bloc autochtone qu’elle régit.

Un appareil juridictionnel pourrait dès lors être mis en place de manière à équilibrer les intérêts québécois, canadiens et autochtones.

3.    Perpétuer la dualité juridictionnelle actuelle

L’option d’attribuer l’ensemble du contentieux de l’entente uniquement aux juridictions québécoises ne paraît pas être la plus apte à assurer la continuité, bien qu’une telle option serait à la fois simple et respectueuse de la souveraineté du Québec. Une approche de nature à maximiser la logique de continuité institutionnelle et procédurale pourrait consister à s’inspirer fortement du statu quo judiciaire. Le régime actuel autorise tout intéressé à saisir un tribunal québécois[137] lorsque le litige met en cause une loi ou une action gouvernementale québécoise[138]. Après avoir épuisé ses recours au sein de la hiérarchie judiciaire québécoise, le justiciable peut solliciter la permission d’être entendu par la Cour suprême du Canada. Lorsque c’est une action fédérale qui est au cœur d’un différend, la Cour fédérale est parfois la seule à pouvoir en connaître en première instance et en appel[139], étant entendu que la Cour suprême du Canada peut, à la demande d’une partie, accepter de se saisir de l’affaire. Tant le tribunal québécois que la Cour fédérale peuvent trancher de manière incidente (ou à titre principal dans le cas des cours supérieures provinciales) les questions constitutionnelles telles que celles se rapportant au partage fédératif des compétences, aux droits ancestraux et issus de traités des peuples autochtones, et à la Charte canadienne[140].

Ainsi, l’entente pourrait s’attacher à perpétuer autant que possible, sans nécessairement la reconduire parfaitement, cette dualité juridictionnelle surplombée par une juridiction suprême qui assurerait, à la faveur d’un mécanisme de filtrage des dossiers, une interprétation et une mise en œuvre intégrées du bloc constitutionnel autochtone canadien au Québec. Appliquant le principe de confiance mutuelle en matière judiciaire, le Canada et le Québec accepteraient par traité de reconnaître la compétence et l’autorité des tribunaux de l’autre selon que le litige soit québécois ou canadien. À la demande de toute partie intéressée, les juridictions québécoises et canadiennes pourraient trancher — dans leur domaine respectif d’attribution et dans le respect de la clause d’interprétation conforme — toute question concernant les normes et les modalités de la continuité canadienne, y compris celles se rapportant à la délimitation du bloc constitutionnel autochtone, et donc à la portée de l’application du droit matériellement canadien au Québec.

L’entente devrait enfin prévoir que les juridictions compétentes auraient au moins les mêmes pouvoirs de réparation et de redressement que ce qui existe en droit canadien.

4.    Une « cour suprême » mixte pour assurer l’interprétation uniforme de l’entente

Il n’apparaîtrait pas conforme au fait que l’entente entre le Canada et le Québec soit une entente entre États souverains de confier à la Cour suprême du Canada, au sein de laquelle ne siègerait aucun juge québécois, le rôle formel d’arbitre ultime des litiges relatifs à cette entente. Il devrait plutôt être loisible aux justiciables ayant franchi les échelons de l’ordre judiciaire concerné, à l’exclusion de celui de la Cour suprême canadienne[141], d’interjeter appel d’un jugement québécois ou canadien devant une juridiction suprême mixte qui, sur permission, accepterait de trancher le litige. Cette cour pourrait être, d’un point de vue organique, intégrée fonctionnellement à la Cour suprême du Canada. Elle agirait à titre de juridiction supranationale ad hoc et serait composée de juges canadiens et québécois dans une proportion comparable à celle de la Cour suprême du Canada actuelle (si l’on veut être ici aussi dans la stricte continuité) ou bien de manière paritaire (si l’on entend favoriser l’optique supranationale attentive au principe d’égalité entre États)[142].

Il faudrait en outre saisir l’occasion d’innover en incorporant une composante autochtone dans cette juridiction, par exemple en exigeant la présence d’un juge autochtone, en rendant obligatoires pour tous les juges de posséder des compétences spécifiques en droit autochtone et en donnant un pouvoir de nomination aux collectivités autochtones.

Cette juridiction mixte devrait, selon la clause d’interprétation conforme, suivre la jurisprudence de la Cour suprême du Canada relative à toute question se rapportant au droit matériellement canadien rendu applicable au Québec par l’entente internationale. Ceci étant, on pourrait craindre que cette juridiction ad hoc confrontée à des problèmes non résolus par la jurisprudence canadienne ne fasse preuve d’une trop grande audace. Un lien organique avec la Cour suprême du Canada (par exemple, si la juridiction mixte comprenait obligatoirement parmi ses membres le juge en chef de la Cour suprême du Canada et d’autres juges désignés par ce dernier) pourrait réduire le risque d’asymétrie jurisprudentielle entre les deux juridictions. À titre de comparaison, et alors même qu’il n’y a pas ce lien organique entre les cours, le « dialogue » entre la Cour AELE et la Cour de justice de l’UE fonctionne plutôt bien[143].

En outre, pour protéger de manière plus étanche l’autonomie du droit canadien et garantir la continuité, il serait possible de prévoir une faculté de saisine de la Cour suprême du Canada pour avis simple, de manière à ce que la juridiction supranationale s’assure que l’interprétation est conforme au droit canadien, sans pour autant créer un rapport hiérarchique[144].

Comme dans le cadre contentieux classique du droit international, cette juridiction pourrait ainsi être ouverte aux États parties pour contrôler le respect de chacun de leurs engagements.

Conclusion

Le paysage juridique qui résulterait de l’entente discutée dans cet article différerait de celui imaginé par les tenants d’une conception puriste ou traditionnelle de l’indépendance du Québec. En effet, par le détour d’un traité international signé entre États égaux, le bloc constitutionnel autochtone canadien continuerait de s’appliquer sur le territoire québécois, autorisant dès lors le Canada à voter des lois et à mettre en place des politiques applicables aux peuples autochtones du Québec ayant opté pour ce régime. Le Canada, dont les obligations fiduciaires seraient reconduites, resterait redevable aux autochtones concernés du respect de l’honneur de la Couronne, des traités, des droits ancestraux et de tout autre droit reconnu aux autochtones par la constitution et la loi canadiennes ainsi que la common law. L’administration canadienne pourrait agir sur le territoire québécois et des tribunaux canadiens pourraient toujours entendre des affaires relatives à la continuité canadienne. De surcroît, le Québec n’aurait pas de représentation politique directe au sein des institutions politiques canadiennes adoptant les lois et prenant les décisions relevant de l’entente.

Ces compromis seraient d’une ampleur telle qu’un État souverain ne pourrait y consentir que pour la sauvegarde d’intérêts de la plus haute importance. Or, il s’agirait pour le Québec de prendre acte d’une décision historique de peuples premiers, et ainsi prendre son indépendance dans le respect de leur libre choix. Le Québec répudierait ainsi l’approche héritée de l’ordre colonial britannique qui consiste pour les gouvernements à négocier entre eux des cadres constitutionnels affectant directement les droits des peuples autochtones sans qu’ils soient partie prenante. Tempérée dans son exercice, l’indépendance du Québec serait fortifiée dans sa légitimité.

La mise en place de la continuité canadienne serait d’emblée en butte à des obstacles politiques. L’écueil le plus important pourrait être l’art délicat de faire accepter par tous les acteurs du processus de révision constitutionnelle un éventuel accord de sécession dont l’entente de continuité canadienne ferait partie. La doctrine évoque la difficulté de procéder à des modifications constitutionnelles majeures au Canada en général[145], et dans le contexte de la sécession du Québec en particulier[146].

Le risque d’une impasse existe, mais les prophéties d’échec assuré surestiment peut-être la capacité juridique des protagonistes d’agir arbitrairement, et sous-estiment certainement les ressources du droit en présence d’une situation justifiant de dépasser des blocages préjudiciables aux intérêts légitimes des parties prenantes à une entente négociée de bonne foi et conforme aux principes structurels dégagés par la Cour suprême[147].

                                   

[1]     Voir Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217 aux para 88, 92, 161 DLR (4e) 385 [Renvoi relatif à la sécession].

[2]     Voir ibid au para 139.

[3]     Ibid aux para 90–95.

[4]     Voir ibid au para 84. Pour une étude sur la formule de révision constitutionnelle à retenir, voir Stéphane Courtois, « La ratification d’un accord de sécession entre le Québec et le Canada : procédure de modification de la Constitution et référendum national » dans Patrick Taillon, Eugénie Brouillet et Amélie Binette, dir, Un regard québécois sur le droit constitutionnel : mélanges en l’honneur d’Henri Brun et de Guy Tremblay, Montréal, Yvon Blais, 2016, 855.

[5]     Matthew Coon Come, « Cree Experience with Treaty Implementation » dans Terry Fenge et Jim Aldridge, dir, Keeping Promises: The Royal Proclamation of 1763, Aboriginal Rights, and Treaties in Canada, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2015, 153 à la p 163. Voir aussi Grand Council of the Crees, Sovereign Injustice: Forcible Inclusion of the James Bay Crees and Cree Territory into a Sovereign Québec, Nemaska, Grand Council of the Crees, 1995; Roméo Saganash, « Le Québec et les peuples autochtones : une perspective crie de la Baie-James » dans Natacha Gagné, Thibault Martin et Marie Salaün, dir, Autochtonies : vues de France et du Québec, Québec, Presses de l’Université Laval, 2009, 249 à la p 257.

[6]     Douglas Sanders, « If Quebec Secedes from Canada Can the Cree Secede from Quebec? » (1995) 29:1 UBC L Rev 143 à la p 156.

[7]     Ghislain Picard, « La souveraineté des Premières Nations au programme du prochain gouvernement » (26 septembre 2018), en ligne : Le Devoir <ledevoir.com> [perma.cc/PJQ6-KWTR].

[8]     Voir Peter Radan, « “You Can’t Always Get What You Want”: The Territorial Scope of an Independent Quebec » (2003) 41:4 Osgoode Hall LJ 629 [Radan, « Territorial »]; Peter W Hogg, « Principles Governing the Secession of Quebec » (1997) 8:1 RNDC 19 aux pp 42–45.

[9]     Voir notamment Sanders, supra note 6 aux pp 154–56. Voir aussi Frédéric Bérard et Stéphane Beaulac, Droit à l’indépendance : Québec, Monténégro, Kosovo, Écosse, Catalogne, Montréal, Éditions XYZ, 2015 aux pp 104–05.

[10]    Jean-François Lisée a évoqué un scénario de ce genre en proposant que « dans un Québec souverain, le gouvernement canadien et le gouvernement québécois continu[ent], comme avant, d’exercer les mêmes devoirs et les mêmes responsabilités envers les autochtones du Québec » (Jean-François Lisée, « Sortir de l’ambiguïté autochtone : une suggestion » (23 novembre 2015), en ligne (blogue) : Le blogue et les balados de Jean-François Lisée <jflisee.org> [perma.cc/J2VP-6LM6]). Voir Pierre Trudel, « La souveraineté du Québec et les peuples autochtones » (2017) 18 Nouveaux Cahiers socialisme 54 aux pp 57–59.

[11]    Voir notamment Manitoba Metis Federation Inc c Canada (PG), 2013 CSC 14 au para 66 [Manitoba Metis Federation], citant Première nation Tlingit de Taku River c Colombie-Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74 au para 24; Nation haïda c Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73 au para 32 [Nation haïda]; Beckman c Première nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53 au para 42 [Beckman].

[12]    George R, Proclamation, 7 octobre 1763 (3 Geo III), reproduite dans LRC 1985, ann II, n1. Voir Loi constitutionnelle de 1982, art 25(a), constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.

[13]    Loi constitutionnelle de 1982, supra note 12, art 35. Comme l’écrit Slattery, « [t]he roots of the Aboriginal Constitution lie in the ancient relations between Aboriginal peoples and the Crown going back to the earliest days of European settlement — relations recognized in the Royal Proclamation and given concrete form in Treaties between the Crown and Aboriginal peoples » (Brian Slattery, « The Aboriginal Constitution » (2014) 67 SCLR 319 à la p 336).

[14]    Manitoba Metis Federation, supra note 11 au para 67, citant Nation haïda, supra note 11 au para 25.

[15]    Voir par ex Nation haïda, supra note 11 au para 20.

[16]    Voir notamment ibid au para 26; Nation Tsilhqot’in c Colombie‑Britannique, 2014 CSC 44 au para 17 [Nation Tsilhqot’in]; Daniels c Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12 au para 56 [Daniels].

[17]    Voir notamment Première nation crie Mikisew c Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69 [Mikisew]; Beckman, supra note 11; Première Nation de Grassy Narrows c Ontario (Ressources naturelles), 2014 CSC 48 [Grassy Narrows]; Chippewas of the Thames First Nation c Pipelines Enbridge Inc, 2017 CSC 41; Clyde River (Hameau) c Petroleum Geo‑Services Inc, 2017 CSC 40.

[18]    Slattery utilise l’expression « Aboriginal Constitution » (Slattery, supra note 13).

[19]    Manitoba Metis Federation, supra note 11 aux para 67, 72.

[20]    (R-U), 30 & 31 Vict, c 3, art 91(24), reproduit dans LRC 1985, annexe II, n5.

[21]    Voir Delgamuukw c Colombie-Britannique, [1997] 3 RCS 1010 aux para 178, 181, 153 DLR (4e) 193 [Delgamuukw]; R c Morris, 2006 CSC 59 au para 83 [Morris]. Voir aussi Paul c Colombie-Britannique (Forest Appeals Commission), 2003 CSC 55 au para 33; Bande Kitkatla c Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme et de la Culture), 2002 CSC 31 au para 70 [Bande Kitkatla]; Nation Tsilhqot’in, supra note 16 au para 129; Mitchell c MRN, 2001 CSC 33 [Mitchell].

[22]    Voir Terre-Neuve-et-Labrador (PG) c Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani-Utenam), 2020 CSC 4 (« [l]es droits protégés par l’art. 35 couvrent un vaste éventail de sujets, englobant les titres jusqu’à l’utilisation du tabac et ils touchent tous les aspects de la vie, de l’adoption d’enfants à la commémoration des lieux de sépulture des ancêtres de la communauté » au para 27).

[23]    Le droit ancestral de pratiquer la médecine traditionnelle a été reconnu dans Hamilton Health Sciences Corp v DH, 2015 ONCJ 229 au para 3.

[24]    Par exemple, l’adoption peut relever des droits ancestraux (voir Casimel v Insurance Corporation of British Columbia (1993), 82 BCLR (2e) 387, 106 DLR (4e) 720).

[25]    Au sujet de la dynamique de contre-pouvoirs offerte par la répartition des compétences dans une structure fédérale, voir Professeur Bradford Morse, « How Would Quebec’s Secession Affect Aboriginal Peoples and Aboriginal Rights? » (1999) 11 NJCL 107 aux pp 137–38.

[26]    Voir Convention de la Baie-James et du Nord québécois et conventions complémentaires, 11 novembre 1975 (édition 1998), en ligne (pdf) : Association des employés du Nord québécois <aenq.org> [perma.cc/BB89-VLP9] [CBJNQ].

[27]    Les négociations dont il est ici question sont fondées sur la revendication de droits ancestraux.

[28]    Pour une explication des facteurs déterminant la nature territoriale ou personnelle d’une compétence, voir notamment Ghislain Otis et Geneviève Motard, « De Westphalie à Waswanipi : la personnalité des lois dans la nouvelle gouvernance crie » (2009) 50:1 C de D 121 aux pp 134–42.

[29]    Ils se distinguent à cet égard de manière décisive de la minorité anglophone de souche européenne.

[30]    Manitoba Metis Federation, supra note 11 au para 72.

[31]    Pour plus d’exemples, voir notamment Loi constitutionnelle de 1867, supra note 20, art 91.

[32]    Voir Catherine Bell et Robert K Paterson, Protection of First Nations Cultural Heritage: Laws, Policy, and Reform, Vancouver, UBC Press, 2009.

[33]    Pour une vue d’ensemble des divers dysfonctionnements du système de justice criminelle canadien en contexte autochtone, voir notamment Craig Proulx, « Current Directions in Aboriginal Law/Justice in Canada » (2000) 20:2 Can J Native Studies 371 aux pp 372–81. Voir aussi Mylène Jaccoud, « Entre méfiance et défiance : les Autochtones et la justice pénale au Canada » (2020) 61:1 C de D 63.

[34]    Rappelons toutefois que selon la Cour suprême du Canada, « il est souhaitable d’adopter une approche restrictive des principes comme celui de la prépondérance fédérale » (Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, 2011 CSC 66 au para 60) de sorte que « [c]haque fois qu’on peut légitimement interpréter une loi fédérale de manière qu’elle n’entre pas en conflit avec une loi provinciale, il faut appliquer cette interprétation de préférence à toute autre qui entraînerait un conflit » (Canada (PG) c Law Society of British Columbia, [1982] 2 RCS 307 à la p 356, 137 DLR (3e) 1; Banque canadienne de l’Ouest c Alberta, 2007 CSC 22 au para 75; Marine Services International Ltd c Ryan (Succession), 2013 CSC 44 au para 69; Sun Indalex Finance, LLC c Syndicat des Métallos, 2013 CSC 6 au para 57; Saskatchewan (PG) c Lemare Lake Logging Ltd, 2015 CSC 53 au para 20).

[35]    Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [Charte canadienne].

[36]    Il faut noter que la compétence canadienne relative aux peuples autochtones et à leurs terres permet d’adopter des lois qui régissent aussi les non-autochtones.

[37]    Voir Charte canadienne, supra note 35, arts 3, 6.

[38]    Cette mobilité transfrontalière des autochtones dépasserait même les normes de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, dont l’article 36 ne mentionne que « le droit d’entretenir et de développer, à travers ces frontières [internationales], des contacts, des relations et des liens de coopération avec leurs propres membres ainsi qu’avec les autres peuples, notamment des activités ayant des buts spirituels, culturels, politiques, économiques et sociaux » (Rés AG, Doc off AG NU, 61e sess, supp n° 49, Doc NU A/61/295 (2007), art 36).

[39]    Borrows est d’avis que les importants pouvoirs des provinces relativement aux autochtones et à leurs terres sont en contradiction avec les promesses faites, notamment dans la Proclamation royale de 1763 (voir John Borrows, « Canada’s Colonial Constitution » dans John Borrows et Michael Coyle, dir, The Right Relationship: Reimagining the Implementation of Historical Treaties, Toronto, University of Toronto Press, 2017, 17).

[40]    Bande Kitkatla, supra note 21 au para 66. Voir aussi Mitchell, supra note 21 au para 133.

[41]    Supra note 34 au para 37.

[42]    Voir Banque de Montréal c Marcotte, 2014 CSC 55 au para 63; Nation Tsilhqot’in, supra note 16 au para 149; Daniels, supra note 16 au para 51.

[43]    Voir par ex NIL/TU,O Child and Family Services Society c BC Government and Service Employees’ Union, 2010 CSC 45 aux para 36–46. Les principes établis dans cet arrêt sont transposables au Québec.

[44]    Voir par ex Commission des services policiers de Nishnawbe-Aski c Alliance de la fonction publique du Canada, 2015 CAF 211 aux para 64–73. Cette décision concerne l’Ontario mais elle applique des principes qui valent également pour le Québec.

[45]    Bande Kitkatla, supra note 21 au para 66. Voir aussi Daniels, supra note 16 au para 51; Sébastien Grammond, « Pour l’inclusion des droits des autochtones dans la Charte des droits et libertés de la personne » (2006) Numéro thématique hors-série R du B 295 aux pp 310–12.

[46]    Voir Nation Tsilhqot’in, supra note 16 aux para 140–52; Grassy Narrows, supra note 17 au para 53.

[47]    La Cour suprême a été très claire à ce sujet dans Delgamuukw (supra note 21 aux para 180–81). Elle ne s’est pas dédite sur ce point dans Nation Tsilhqot’in puisqu’elle s’y penchait sur une loi provinciale d’application générale, et non une loi dont l’objectif spécifique était l’abrogation de droits ancestraux (supra note 16).

[48]    Et sans doute au chef de l’État en ce qui concerne les relations directes de type diplomatique avec les chefs autochtones.

[49]    Morse a montré comment la nouvelle république américaine a pu reconduire dans son ordre juridique la substance des obligations à l’égard des peuples autochtones dévolues formellement à la Couronne sous le régime colonial britannique (voir Morse, supra note 25 aux pp 135–37).

[50]    Imaginons par exemple que, à l’instar de la Charte des droits et libertés de la personne (RLRQ c C-12) actuelle, celle d’un Québec indépendant comporte un mécanisme dérogatoire plus étendu que l’article 33 de la Charte canadienne (supra note 35).

[51]    Voir Loi constitutionnelle de 1871 (R-U)34 & 35 Vict, c 28, art 3, reproduit dans LRC 1985, annexe II, no 11; Loi constitutionnelle de 1982, supra note 12, art 43(a). Le professeur Benoît Pelletier a démontré que l’article 3 de la loi de 1871 reste en vigueur pour régir les situations potentiellement non couvertes par l’alinéa 43(a), lequel ne mentionne expressément que la modification du tracé des frontières « interprovinciales » (voir Benoît Pelletier, La modification constitutionnelle au Canada, Toronto, Carswell, 1996 aux pp 246–48).

[52]    Supra note 1.

[53]    Voir Loi concernant la délimitation des frontières nord-ouest, nord et nord-est de la province de Québec, SQ 1898, c 6; Acte concernant la délimitation des frontières nord-ouest, nord et nord-est de la province de Québec, SC 1898, c 3.

[54]    Voir Loi concernant l’agrandissement du territoire de la province de Québec par l’annexion de l’Ungava, SQ 1912, c 7; Loi à l’effet d’étendre les frontières de la province de Québec, SC 1912, c 45.

[55]    Voir Hogg, supra note 8 à la p 43; Radan, « Territorial », supra note 8 à la p 643; David Jay Bercuson et Barry Cooper, Deconfederation: Canada Without Quebec, Toronto, Key Porter Books, 1991 aux pp 151–52; David L Varty, Who Gets Ungava?, Vancouver, Varty & Company, 1991 aux pp 28–29. Bérard et Beaulac reprennent à leur compte cet argumentaire (voir Bérard et Beaulac, supra note 9 aux pp 111–15).

[56]    Parlant de l’Ungava, Hogg s’exprime ainsi : « It is unlikely that these massive transfers of territory (comprising 10 per cent of present-day Canada) would have taken place if Canada had understood that Quebec would assert a right to take the transferred territory out of Canada » (Hogg, supra note 8 à la p 43).

[57]    Voir Radan, « Territorial », supra note 8 (« Quebec cannot insist upon enforcing a protection contained in a constitution that it is otherwise prepared to reject » à la p 643). Voir aussi Bérard et Beaulac, supra note 9 à la p 115; Steven R Ratner, « Drawing a Better Line: Uti Possidetis and the Borders of New States » (1996) 90:4 AJIL 590 aux pp 606–07.

[58]    Des auteurs écrivent que « [t]he treaty provides for the obligations of both governments to continue indefinitely in a federal arrangement under the Constitution » (Andrew Orkin et Joanna Birenbaum, « The Aboriginal Argument: The Requirement of Aboriginal Consent » dans David Schneiderman, dir, The Quebec Decision: Perspectives on the Supreme Court Ruling on Secession, Toronto, James Lorimer & Company, 1999, 83 à la p 85). Voir aussi Radan, « Territorial », supra note 8 aux pp 657–58.

[59]    Voir notamment R c Marshall, [1999] 3 RCS 456 au para 14, 179 DLR (4e) 193; Mikisew, supra note 17 au para 28; Morris, supra note 21 aux para 18, 35.

[60]    Radan, « Territorial », supra note 8 aux pp 656–57.

[61]    Voir CBJNQ, supra note 26, art 2.15.

[62]    Voir Radan, « Territorial », supra note 8 aux pp 657–58. Radan ne fait que reprendre la prétention de Hogg (voir Hogg, supra note 8 à la p 44).

[63]    Voir Radan, « Territorial », supra note 8 aux pp 657–62.

[64]    Devient également caduque la prétention de Radan, qui s’appuie sur le principe fédéral pour affirmer que « it is impossible to reconcile this federal principle with an amendment to Canada’s constitution by the unilateral action of federal and provincial authorities where such an amendment has the effect of modifying existing Aboriginal or treaty rights » [nos soulignements] (ibid aux pp 659–60).

[65]    Déclaration faite lors de la onzième session du groupe de travail de l’ONU sur les populations autochtones et reproduite dans Alexandra Xanthaki, Indigenous Rights and United Nations Standards: Self-Determination, Culture and Land, New York, Cambridge University Press, 2007 à la p 140.

[66]    Ce droit est affirmé à l’article 3 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (supra note 38, art 3) et à l’article 3 de la Déclaration américaine sur les droits des peuples autochtones (OÉA, Assemblée générale, 46e sess, Doc off OEA/SER.P/AG/RES.2888 (XLVI-O/16) (2016), art 3).

[67]    Timo Koivurova, « Can Saami Transnational Indigenous Peoples Exercise Their Self-determination in a World of Sovereign States? » dans Nigel Bankes et Timo Koivurova, dir, The Proposed Nordic Saami Convention: National and International Dimensions of Indigenous Property Rights, Oxford, Hart Publishing, 2013, 105 aux pp 119, 123 [Koivurova, « Self-Determination »]. Voir généralement Renvoi relatif à la sécession, supra note 1 aux para 112, 122, 126.

[68]    Voir généralement Renvoi relatif à la sécession, supra note 1 aux para 134–35. Pour une analyse exhaustive des positions doctrinales, notamment sur la théorie de la « sécession-réparation », voir Xanthaki, supra note 65 aux pp 132–46. Voir aussi Koivurova, « Self-Determination », supra note 67 aux pp 107–19; S James Anaya, Indigenous Peoples in International Law, 2e éd, New York, Oxford University Press, 2004 aux pp 97–115; Mauro Barelli, « Shaping Indigenous Self-Determination: Promising or Unsatisfactory Solutions? » (2011) 13:4 Intl Community L Rev 413.

[69]    Voir notamment Sanders, supra note 6 aux pp 152, 157 (qui reconnaît à juste titre que les autochtones n’ont pas plus le droit à la sécession unilatérale que le Québec).

[70]    Voir notamment Canada, Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux, L’autonomie gouvernementale des Autochtones : un aperçu de l’approche du gouvernement du Canada concernant la mise en œuvre du droit inhérent des peuples autochtones à l’autonomie gouvernementale et la négociation de cette autonomie, n° de catalogue R32-155/3, Ottawa, MTPSG, 1995; Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, LC 2019, c 24, préambule, art 18(1); Loi sur les langues autochtones, LC 2019, c 23, préambule.

[71]    Voir Renvoi relatif à la sécession, supra note 1 aux para 112, 127–29. En ce qui concerne les documents internationaux, voir notamment l’article 46 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones qui protège l’intégrité territoriale des États (supra note 38, art 46) et l’article 4 de la Déclaration américaine sur les droits des peuples autochtones qui est au même effet (supra note 66, art 4).

[72]    Voir notamment Tara Leroux, « Les frontières terrestres d’un Québec souverain à la lumière du droit international contemporain » (1994–95) 25:1/2 RDUS 239 aux pp 276–81.

[73]    Voir Benedict Kingsbury, « Reconstructing Self-Determination: A Relational Approach » dans Pekka Aikio et Martin Scheinin, dir, Operationalizing the Right of Indigenous Peoples to Self-Determination, Turku, Institute for Human Rights, Åbo Akademi University, 2000, 19 à la p 24.

[74]    Un auteur rappelle que la souveraineté internationale sur un territoire emporte notamment pour son titulaire « la faculté ou le pouvoir de disposer de celui-là comme il le veut » (Marcelo G Kohen, Possession contestée et souveraineté territoriale, Paris, Presses Universitaires de France, 1997 à la p 14).

[75]    Parmi les autorités favorables à l’application de la règle de l’uti possidetis en dehors du contexte colonial, voir Affaire du différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), [1986] CIJ Rec 554 au para 23; Conference on Yugoslavia Arbitration Commission: Opinions on Questions Arising from the Dissolution of Yugoslavia (1992), 31:6 ILM 1488 aux pp 1499–500; Québec, Commission d’étude des questions afférentes à l’accession du Québec à la souveraineté, L’intégrité territoriale du Québec dans l’hypothèse de l’accession à la souveraineté, par Thomas M Franck et al, 1992 aux pp 412–17; Marcelo G Kohen, « Le problème des frontières en cas de dissolution et de séparation d’États : quelles alternatives? » (1998) 31:1 Rev b dr Intern 129 aux pp 135–43; Jean-Marc Sorel et Rostane Mehdi, « L’uti possidetis entre la consécration juridique et la pratique : essai de réactualisation » (1994) 40 AFDI 11; Malcolm N Shaw, « Peoples, Territorialism and Boundaries » (1997) 8:3 Eur J Intl L 478 aux pp 491–503; Anouche Beaudoin, Uti Possidetis et sécession, Paris, Dalloz, 2011. Pour le point de vue contraire, voir par ex Peter Radan, « Post-Secession International Borders: A Critical Analysis of the Opinions of the Badinter Arbitration Commission » (2000) 24:1 Melbourne UL Rev 50 aux pp 59–66; Suzanne Lalonde, Determining Boundaries in a Conflicted World: The Role of Uti Possidetis, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2002.

[76]    Supra note 1 au para 96.

[77]    Comme l’ont montré certains auteurs, le territoire du Québec est, à certains égards, « incertain » (voir par ex Henri Dorion et Jean-Paul Lacasse, Le Québec : territoire incertain, Québec, Septentrion, 2011).

[78]    Voir par ex Atikamekw Nehirowisiw, « Déclaration de souveraineté d’Atikamekw Nehirowisiw » (2014), en ligne (JPG) : Atikamekw Nehirowisiw <atikamekwsipi. com> [perma.cc/23RS-KNVH]. Le 27 novembre 2008, l’Assemblée des chefs de l’APNQL a adopté la « Déclaration sur un processus d’affirmation de la souveraineté des Premières Nations du Québec et du Labrador », rappelant que « [leurs] peuples n’ont jamais renoncé à leur souveraineté » et affirmant que « [l]’heure est venue pour les Premières Nations du Québec et du Labrador d’enclencher un processus d’affirmation unilatéral de leur souveraineté sur le territoire » (Secrétariat de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, (27 novembre 2008) aux pp 1–2, en ligne (pdf) : Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador <apnql.com> [perma.cc/KTY4-YUHG]).

[79]    Pour un exposé de l’argument voulant que la souveraineté de la Couronne n’ait pas de valeur de jure, mais seulement un effet de facto dans la perspective des systèmes juridiques autochtones, voir Kent McNeil, « Indigenous and Crown Sovereignty in Canada » dans Michael Asch, John Borrows et James Tully, dir, Resurgence and Reconcilation: Indigenous-Settler Relations and Earth Teachings, Toronto, University of Toronto Press, 2018, 293.

[80]    Supra note 1. La Cour suprême souligne que l’obligation de négocier de bonne foi est de nature constitutionnelle et que sa violation entraîne des conséquences juridiques (voir ibid au para 102). Toutefois, elle indique clairement qu’elle privilégie la sanction politique à toute éventuelle méconnaissance de cette obligation par les acteurs de la négociation (voir ibid au para 101). Sans contraindre au respect de l’obligation de négocier ou sanctionner son non-respect, un tribunal pourrait être amené à préciser la portée juridique de cette obligation. La Cour n’a en effet pas écarté qu’en certaines circonstances les négociations puissent soulever des questions purement juridiques dont les tribunaux pourront légitimement se saisir. Pour une discussion de la justiciabilité de l’obligation de négocier, voir notamment Patrick Taillon et Alexis Deschênes, « Une voie inexplorée de renouvellement du fédéralisme canadien : l’obligation constitutionnelle de négocier des changements constitutionnels » (2012) 53:3 C de D 461 aux pp 508–21; Dwight Newman, « Reconstituting Promises to Negotiate in Canadian Constitution-Making » (1999) 10 NJCL 1 aux pp 31–33.

[81]    Voir Paul Joffe, « Quebec Secession and Aboriginal Peoples: Important Signals from the Supreme Court » dans Schneiderman, supra note 58, 137 aux pp 139–40; Bérard et Beaulac, supra note 9 aux pp 102–03. Voir aussi Morse, supra note 25 à la p 115.

[82]    Voir notamment supra note 38, arts 3, 18, 19.

[83]    Pour une discussion détaillée de cette problématique, voir notamment Ghislain Otis, « Les droits ancestraux des peuples autochtones au carrefour du droit public et du droit privé : le cas de l’industrie extractive » (2019) 60:2 C de D 451 aux pp 463–70.

[84]    C’est ce qui ressort notamment d’une étude menée par le gouvernement du Canada dans certains centres urbains, montrant que la très grande majorité des Indiens qui y vivent déclarent une affiliation à une première nation (voir Canada, Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux, Affiliation aux Premières nations des Indiens inscrits résidant dans des centres urbains sélectionnés, par Stewart Clatworthy, no de catalogue R2-299/2003F, Ottawa, MTPSG, novembre 2000 à la p 3). Les individus n’ayant pas le statut légal « Indien », parfois appelés « non-inscrits », pourraient néanmoins appartenir à une communauté autochtone selon les règles de cette dernière et donc bénéficier de la continuité canadienne.

[85]    Puisque le choix de la continuité canadienne serait une prérogative des peuples autochtones et non d’individus agissant purement à titre personnel, les personnes qui ne sont affiliées à aucun peuple autochtone échapperaient au principe de continuité.

[86]    Supra note 12, art 35.1.

[87]    Canada, Commission royale sur les Peuples autochtones, Vingt ans d’action soutenue pour le renouveau, vol 5, Ottawa, Groupe Communication, 1996 à la p 142.

[88]    Voir notamment Hogg, supra note 8 aux pp 42–45. Voir aussi Radan, « Territorial », supra note 8 aux pp 656–62 (et les auteurs cités); Orkin et Birenbaum, supra note 58 aux pp 85–86; Bérard et Beaulac, supra note 9 aux pp 103–04.

[89]    Pour une discussion de l’effet constitutionnel structurant du principe de l’honneur de la Couronne, voir Peter W Hogg et Laura Dougan, « The Honour of the Crown: Reshaping Canada’s Constitutional Law » (2016) 72 SCLR (2e) 291.

[90]    Daniels, supra note 16 au para 37.

[91]    (16 mai 2016), en ligne (pdf) : Sámediggi <www.sametinget.se> [perma.cc/2MTU-XSL8]. Signé le 13 janvier 2017 par la Finlande, la Norvège et la Suède, le projet poursuit son processus de ratification. Il a été en partie renégocié depuis 2011 (voir Margret Carstens, « Sami Land Rights: The Anaya Report and the Nordic Sami Convention » (2016) 15:1 J on Ethnopolitics & Minority Issues in Europe 75 à la p 94).

[92]    Un ouvrage est paru sur cette question (voir Bankes et Koivurova, supra note 67).

[93]    Le projet a été rédigé par un groupe d’experts comprenant des membres nommés par les gouvernements de la Finlande, de la Norvège et de la Suède, et des membres nommés par le Parlement Sami de chacun de ces pays.

[94]    Mattias Åhrén, « The Saami Convention » (2007) 3 Gáldu Čála 8 à la p 12. Åhrén poursuit « [d]espite that the Saami people could not be formal parties to the Saami Convention, the Convention undeniably marks a new partnership between the Saami and the colonizing peoples » [notes omises] (ibid).

[95]    Voir Timo Koivurova, « The Draft Nordic Saami Convention: Nations Working Together » (2008) 10:3 Intl Community L Rev 279 aux pp 282, 284–91.

[96]    Voir par ex Lauri Hannikainen, « Autonomy in Finland: The Territorial Autonomy of the Åland Islands and the Cultural Autonomy of the Indigenous Saami People » (2002) 2 Baltic Yearbook Intl L 175 aux pp 177–88.

[97]    Une des cessions à bail les plus connues est l’accord entre les États-Unis d’Amérique et la République de Cuba pour la location par les États-Unis de terres à Cuba signé en 1903 (voir généralement Elie Van Bogaert, « The Lease of Territory in International Law » dans WJ Ganshof van der Meersch, dir, Miscellanea W.J. Ganshof van der Meersch: Studia ab discipulis amicisque in honorem egregii professoris edita, vol 1, Bruxelles, Bruylant, 1972, 315 à la p 323). Voir aussi Michael J Strauss, « La vente et la location de territoire, une solution à la montée des eaux? » dans Géraldine Giraudeau, dir, Les enjeux territoriaux du Pacifique, Nouméa, Presses universitaires de la Nouvelle-Calédonie, 2021, 77.

[98]    Voir le texte fondateur de Pierre Pescatore, Le droit de l’intégration : émergence d’un phénomène nouveau dans les relations internationales selon l’expérience des Communautés Européennes, Bruxelles, Bruylant, 2005.

[99]    Voir généralement Aurélie Laurent, Plurijuridismes, juges suprêmes et droits fondamentaux : étude comparée entre l’Union européenne et le Canada, thèse de doctorat en droit, Universités de Toulouse et d’Ottawa, 2015.

[100] Voir CE, Accord sur l’Espace économique européen, [1994] JO, L 1/3 [Accord EEE]; Convention instituant l’Association Européenne de Libre-Echange (AELE), 4 janvier 1960, RO 1960 635 (entrée en vigueur : 3 mai 1960). La Suisse ne fait pas partie de ce système EEE/AELE (ayant signé l’accord d’association sur l’EEE mais refusé sa ratification par référendum), mais elle connaît un partenariat comparable, fondé sur une multitude d’ententes sectorielles (voir Clémentine Mazille, L’Union européenne et la Suisse : recherches sur l’institutionnalisation d’une relation entre l’UE et un État tiers, thèse de doctorat en droit, Université de Bordeaux, 2014).

[101] Voir généralement Cécile Rapoport, Les partenariats entre l’Union européenne et les États tiers européens : étude de la contribution de l’Union européenne à la structure juridique de l’espace européen, Bruxelles, Bruylant, 2011.

[102] Sur les différents scénarios possibles du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, voir notamment Jean-Claude Piris, « BREXIT ou BRITIN : fait-il vraiment plus froid dehors? » (26 octobre 2015), en ligne (pdf) : Fondation Robert Schuman <www.robert-schuman.eu> [perma.cc/3DRJ-SC3L]. Voir aussi Carl Baudenbacher, « How the EFTA Court works – and why it is an option for post-Brexit Britain » (25 août 2017), en ligne : The London School of Economics and Political Science <blogs.lse.ac.uk> [perma.cc/E358-TFJG] [Baudenbacher, « Option for post-Brexit »].

[103] Voir Skuli Magnusson et Antoine Lochet, « Fascicule 4000 : Cour AELE » aux para 8–10, dans JCI JurisClasseur Europe Traité.

[104] L’article premier de l’Accord EEE pose en effet que « [l]e présent accord d’association a pour objet de favoriser un renforcement continu et équilibré des relations économiques et commerciales entre les parties contractantes, dans des conditions de concurrence égales et le respect des mêmes règles, en vue de créer un Espace économique européen homogène » (Accord EEE, supra note 100, art 1). On peut en déduire une forme de conditionnalité au respect de certaines règles assurant l’égalité de traitement et de concurrence égale pour accéder à ce libre-échange régional maximisé. Tel que le démontrent différents discours du négociateur pour l’UE, Michel Barnier, les négociations post-Brexit entre le Royaume-Uni et l’Union européenne à 27 ont été caractérisées par cette volonté du côté européen de sécuriser le marché intérieur face à une concurrence déloyale ou encore des standards de protection diminués (voir par ex Michel Barnier, « Remarques de Michel Barnier suite au septième round de négociations sur un futur partenariat entre l’Union européenne et le Royaume-Uni », conférence de presse, présentée à la Commission européenne, 21 août 2020 [non publiée], en ligne (pdf) : Commission européenne <ec.europa.eu> [perma.cc/M98K-HZQP]; Michel Barnier, « Discours de Michel Barnier en séance plénière du Parlement européen », séance plénière, Parlement européen, 18 décembre 2020 [non publiée], en ligne (pdf) : Commission européenne <ec.europa.eu> [perma.cc/27NV-XHVU]).

[105] CE, [2012] JO, C 326/47.

[106] Voir Roman Petrov, « Exporting the Acquis Communautaire into the Legal Systems of Third Countries » (2008) 13:1 European Foreign Affairs Rev 33.

[107] Magnusson et Lochet, supra note 103 au para 24.

[108] Ibid au para 126.

[109] Accord EEE, supra note 100, art 102.

[110] Piris, supra note 102 aux pp 6–7 (citant les conclusions du Conseil adoptées le 16 décembre 2014).

[111] Voir Accord EEE, supra note 100, arts 92–94.

[112] Ce comité ne serait pas un organe juridictionnel, de sorte qu’il ne lui serait pas loisible de filtrer la réception des normes canadiennes selon son appréciation de leur légalité ou de leur constitutionnalité.

[113] Voir Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, supra note 38, arts 18–19; Déclaration américaine sur les droits des peuples autochtones, supra note 66, arts 21(2), 23(1).

[114] Ceci étant, une modification d’une ampleur telle qu’elle bouleverserait le contenu et l’esprit de l’entente à laquelle le Québec aurait consenti pourrait, dans les cas les plus extrêmes, poser problème au regard du principe de droit international pacta sunt servanda. Dans une telle situation, une négociation en vue de la révision de l’entente serait à même de mieux sécuriser les engagements réciproques des États parties.

[115] Il s’agit essentiellement de conventions internationales générales comprenant des dispositions concernant directement les autochtones. C’est le cas de la Convention relative aux droits de l’enfant (20 novembre 1989, 1755 RTNU 62, arts 17, 30 (entrée en vigueur : 2 septembre 1990)), ou de certaines conventions offrant une protection particulière aux groupes ethnoculturels minoritaires.

[116] À la faveur de la compétence et de la responsabilité canadiennes reconduites par traité, le Canada continuerait d’exercer une compétence, une « juridiction », au Québec. Cette juridiction rendrait le Canada juridiquement responsable de ses actions au regard du droit international.

[117] Les peuples autochtones ayant opté pour la continuité canadienne bénéficieraient aussi du principe de droit canadien exigeant que les lois fédérales soient interprétées en conformité avec les engagements internationaux du Canada. Pour un exposé de ce principe, voir Ktunaxa Nation c Colombie‑Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2017 CSC 54 aux para 65–66.

[118] Voir Accord EEE, supra note 100, art 80.

[119] Ce type de dispositions constitutionnelles renvoyant à des engagements internationaux ou supranationaux est utilisé par les États membres de l’Union européenne. Il existe ainsi des clauses constitutionnelles nationales de renvoi ou de reconnaissance du droit communautaire ou « des clauses d’intégration nationale » (voir José Sanchez, « Le traité établissant une Constitution pour l’Europe et les clauses d’intégration nationale » (2008) 74:2 Rev fr dr constl 351 aux pp 352–54. Voir aussi Encyclopédie juridique Dalloz : répertoire de droit communautaire, vol 2, « Constitutions nationales et droit de l’Union européenne » par Constance Grewe). Par exemple, l’article 88-1 de la Constitution française pose le principe de la participation de « [l]a République […] à l’Union européenne constituée d’États qui ont choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu [des traités] » (Loi constitutionnelle no 2008-103 du 4 février 2008 modifiant le titre XV de la Constitution, JO, 5 février 2008, no 30). Le juge constitutionnel peut dès lors s’appuyer sur une disposition constitutionnelle pour reconnaître les effets juridiques du droit de l’Union européenne.

[120] Voir Jirí Malenovsky, « Problèmes juridiques liés à la partition de la Tchécoslovaquie » (1993) 39 AFDI 305.

[121] Voir ibid aux pp 321–22.

[122] Voir ibid à la p 322, citant Miroslav Potočný, « Smlouva mezi Českou republikou a Slovenskou republikou o dobrém sousedství, přátelských vztazich a spolupráci » [Traité entre la République tchèque et la République slovaque sur le bon voisinage, les relations amicales et la coopération] (1993) 8 Právník 679.

[123] Ce n’est pas l’usage en droit international, mais l’article 28 de la Convention de Vienne sur le droit des traités ne l’interdit pas non plus (23 mai 1969, 1155 RTNU 354, art 28 (entrée en vigueur : 27 janvier 1980)).

[124] Le projet de Convention nordique saamie prévoit également que tout amendement de la Convention sera fait en coopération avec les trois parlements saamis et devra être approuvé par eux, dans les mêmes conditions que leur approbation de la Convention permettant la ratification par les États (supra note 91, art 51).

[125] Voir Accord EEE, supra note 100 (« Dès que la Commission des CE élabore une nouvelle législation dans un domaine régi par le présent accord, elle sollicite de manière informelle l’avis d’experts des États de l’AELE, au même titre qu’elle demande l’avis d’experts des États membres de la CE pour l’élaboration de ses propositions », art 99(1)).

[126] Voir ibid, art 100.

[127] Il nous semble cependant envisageable que les autochtones du Québec concernés puissent élire un député canadien.

[128] Cette contribution financière des États EEE/AELE au budget de l’UE a pu d’ailleurs être jugée « d’une importance comparable à celle de la contribution d’un État membre » (Piris, supra note 102 à la p 7).

[129] Les principes d’effet direct et de primauté procurent une telle effectivité. La condition préalable est celle de la validité de la norme d’origine canadienne fondée sur le partage des compétences prévu dans l’entente.

[130] Voir Lisée, supra note 10.

[131] Comme cette solution pourrait aller à l’encontre du principe du traitement canadien, il faudrait qu’elle soit clairement autorisée par l’entente.

[132] Andrew Moravcsik, « Federalism in the European Union: Rhetoric and Reality » dans Kalypso Nicolaidis et Robert Howse, dir, The Federal Vision: Legitimacy and Levels of Governance in the United States and the European Union, Oxford, Oxford University Press, 2002, 161 aux pp 170–71.

[133] Magnusson et Lochet, supra note 103 au para 49.

[134] Voir Inga Kawka, « The Dialogue between the ECJ and the EFTA Court from the Perspective of the Homogeneity Principle » (2016) Centre d’études juridiques européennes Document de travail 10/2016 à la p 6; EFTA Surveillance Authority v The Republic of Iceland (2003), EFTA Court, E 1/03 au para 27, en ligne : EFTA Court <eftacourt.int> [perma.cc/PL26-QGGQ].

[135] Sur cette vaste question en droit international privé, voir par ex Franz Matscher, « Étude des règles de compétence judiciaire dans certaines conventions internationales » (1978) 161 Collected Courses Hague Academy Intl L 127.

[136] Voir Convention sur les accords d’élection de for, 30 juin 2005, en ligne : Conférence de La Haye de droit international privé, <www.hcch.net> [perma.cc/7MER-HMPA]. Pour l’Union européenne, voir CE, Règlement (CE) n44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, [2001] JO, L 12/1 (dit « Bruxelles I »), modifié depuis par CE, Règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, [2012] JO, L 315/1.

[137] Le Québec peut constituer des tribunaux de première instance et d’appel (voir Loi constitutionnelle de 1867, supra note 20, art 92(14)). Il faut préciser toutefois que c’est l’exécutif fédéral qui nomme les juges des cours supérieures et des cours d’appel des provinces (voir ibid, art 96).

[138] La Cour supérieure d’une province peut, en vertu de sa compétence inhérente, aussi statuer sur la constitutionnalité d’une loi fédérale.

[139] Par exemple, l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales confère une compétence exclusive à cette cour en matière de contrôle judiciaire de la légalité de l’action gouvernementale fédérale (LRC 1985, c F-7, art 18).

[140] La Cour fédérale émet régulièrement des déclarations d’ineffectivité ou d’invalidité de lois fédérales (voir Han-Ru Zhou, « Erga Omnes or Inter Partes? The Legal Effects of Federal Courts’ Constitutional Judgments » (2019) 97 R du B can 276 aux pp 282–86).

[141] Il ne semble en effet pas possible d’envisager un appel d’une décision de la Cour suprême du Canada devant la juridiction supranationale puisque la clause d’interprétation conforme lui imposerait le respect de la jurisprudence pertinente de cette même Cour suprême.

[142] Pour poursuivre l’analogie avec le système juridictionnel de l’EEE /AELE, nous serions dès lors dans l’hypothèse de la juridiction commune à l’EEE et à l’UE, qui avait été au départ envisagée :  « Ce projet envisageait la création de liens organiques entre cette nouvelle Cour EEE et la Cour de justice des Communautés européennes, prévoyant de faire siéger à cette Cour EEE cinq juges de la Cour de justice et trois juges en provenance des cinq États de l’AELE » (Magnusson et Lochet, supra note 103 au para 3).

[143] Voir Kawka, supra note 134; Carl Baudenbacher, « The Judicial Dimension of the European Neighbourhood Policy » (2013) aux pp 9–15, en ligne (pdf) : College of Europe: Department of EU International Relations and Diplomacy Studies <coleurope.eu> [perma.cc/9YJ4-NNFA].

[144] Dans l’accord AELE, il existe ce type de « procédure spéciale en cas de divergences de jurisprudence entre les deux Cours. Cette procédure n’a jamais été mise en œuvre dans la pratique » (Magnusson et Lochet, supra note 103 au para 47). A ce sujet, voir aussi Baudenbacher, « Option for post-Brexit », supra note 102.

[145] Voir notamment Richard Albert, « The Difficulty of Constitutional Amendment in Canada » (2015) 53:1 Alta L Rev 85 aux pp 86–87.

[146] Voir notamment Bérard et Beaulac, supra note 9 aux pp 117–19.

[147] Diverses voies juridiques de sortie d’une éventuelle impasse ont été mises de l’avant par certains auteurs (voir notamment Hogg, supra note 8 aux pp 27–29; Courtois, supra note 4 aux pp 873–75).

dans ce numéro Domestic Contracts and Family Law Exceptionalism: An Historical Perspective

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