Abus de droit, qu6rulence
et parties non repr6sent6es
Yves-Marie Morissette*
Le philnomntre de la quthuence, distinct mais coonexe au problilme
des paries non reprdsntie, exige ane rtaction de In part des tibunaux, an
Quibec et aillers. Si l’incidence de [a qu&ulence est de mieax en mieux
documentile, sas attibuts restent difficiles A ddfinir. La litrature mdicale et
juridique penuettent do tracer le profil psychiatrique approximatif do
qudrflent Souvent masculin et sans avocat, il tend & multiplier ls recours
ichec est pris par le qu6nrlent comme aree confirmation
vexatoires. Chaque
de In Idgitinitt de sa requ&te. Toutefois, In description de es symptdmes ne
periet pas un diagnostic infailihble. En effet, il tut .viter de confndre le
qu&ulent et le justiciable tenace daes In revendication de ses droits. Le
reffet
qrudnlent se distingue
thtiapeutique d’une conparution en cour.
t-galement de In persorme
recherchant
Les parties non reprtsent6es constituent ane impoctane cattgore de
justiciables que ton ne doit pas assimiler ans qudrlents. S’il est vrai que ces
ters souvent seuls, la phipart des parties non
demiers se reprdrentent
repetientdor se dispensent d’un avocat faure de moyens financiers addquats.
Pour reintier A cette situation, les tibunax britanniques ont aend d’assister
les ditigants in persomn, notamment en multipliant les programmes d’accts
jtuidique. Paralllement, des mesures de plus en plus fermes ont di prises
pour confronter les qu&ulents, en particulier les (,.MacKenzie friends)), qui
usurpent le r6le de l’avocat et agissem comme reprdsentants d’autesr
justiciables. La Loi sur le Bunveau prtvienr oc genre de problime an Qu=bec,
reste
mais
problnatique. B en va de mltme do la partie qui se fait conseiller par un
profiane, comme das I’affaire Fortin c. Ovtier. Mhne si le personnel des
tribunaux pest assister les justiciables non reprdseintr, ceux-ci sont srouvent
mieux servis par an accds acoru A 1’ifomationjuidique.
i’avocat qui sect de prte-nor au qu&uleca
le cas de
Les n’bunaux an QuOiec et en Angleterre ou d velopp des moyens
juridiqes pour se ddfendre contre les assarts tdp6tds des qudrlents et des
Diveloppements rdcents en d~ontologie, droitprofessionnel et disciplinaire. Textes des confirences du
colloque tenu le 27 avril 2001 b Vile Charron, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2001 A la p. 167
[Morissette, <(Pathologie>>].
2 Rappelons pour m~moire la d6finition qu’en donne un dictionnaire usuel parmi d’autres le Petit
Robert : Tendance morbide A rechercher les querelles et A revendiquer des droits imaginaires,
caractdistique de certaines psychoses>>.
3 Organisation mondiale de la sant6, International Statistical Classification of Diseases and Related
Health Problems, 10e 6d., Gen~ve, a.m.e., 1994 [ICD-IO]. La classification est mieux connue sous son
abr~viation anglaise, ]CD- 10, ou International Classification of Diseases.
4 American Psychiatric Association, Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 4e &d.,
Washington, D.C., a.m.e., 1994. Le manuel est lui aussi habituellement identifi6 par une abr~viation,
DSM-4.
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(borderline personality disorder, narcissisme, hypocondrie, drotomanie, etc.). Le plus
souvent, le sujet n’aura pas conscience de sa situation –
l’affection est dite ego
systonique)) plut6t que oego dystonique)) en ce sens que, comme 1’6rotomanie par
exemple, elle dchappe au sujet et s’auto-renforce. Ainsi, les manifestations de rejet A
l’endroit du sujet 6rotomane’ sont interprtes par lui comme une confirmation du fait
‘6chec des recours qu’il exerce
qu’il est aim ; le qudrulent, pour sa part, interpr~terait
devant les tribunaux comme la confirmation qu’il n’a pas encore obtenu justice.
Revenons sur six des caractristiques que mentionne
la documentation
scientifique disponible sur la qudrulence 6. Premi~rement, il s’agit d’un trouble
d’affect et non d’intellect. Le qu~rulent est gdn~ralement un sujet dou6, tn
scientifique, par exemple, quelqu’un qui a exerc6 tne profession lib~rale ou qui a
drjA connu du succ~s dans les affaires, avant de faire face aux difficultds qui le
rendent qurrulent. Deuxi~mement, ce trouble survient habituellement entre les ages
de 40 et 60 ans. La qurulence est un ddsrquilibre, une maladie m~me, de l’age mfir,
qui met un certain temps A se d~velopper. Ce d~s~quilibre est souvent drclenchd par
un revers que le sujet connait dans sa vie personnelle, familiale ou professionnelle, et
qui est vdcu par lui comme une injustice cuisante. Troisi~mement, la qudrulence
atteint surtout les hommes. Les chiffres, il faut le dire incomplets, dont nous
disposons au Quebec, et sur lesquels nous reviendrons, montrent que 4 fois sur 5 le
qudrulent prdsent devant les tribunaux est de sexe masculin. Quatri~mement, le sujet
affiche le plus souvent un comportement en apparence rationnel. Si l’on laisse de c6td
sa propension litigieuse ddraisonnable, le qudrulent est un sujet ordonn6, organis6
m~me, qui dans ses rapports avec autrui se comporte normalement ; quelqu’un, en
somme, qui est grnralement A mrme de bien fonctionner en societd. Cinqui~mement,
sous sa forme la plus aigue, la qudrulence devient un dlire de persecution. Le
ddsordre peut alors devenir drbilitant, le sujet allant jusqu’A verser dans le ddlire
paranoide et la paranoia pure et simple. Sixi~mement, on prescrit parfois des
‘haloperidol ou le pimozide, pour stabiliser le sujet. Cette
neuroleptiques, comme
medication, qui est mentionnre dans les revues mrdicales, a cependant des effets
secondaires srrieux, notamment extrapyramidaux, et on a de plus en plus tendance A
lui substituer un traitement psycho-thdrapeutique.
5 Une description clinique parmi d’autres de l’6rotomanie, tire du ICD-J1O, supra note 3, relive les
caractistiques suivantes : <(Delusions centering around being loved intensely by another person-
usually a famous person such as movie star or superior at work. [...] Subjects display a paradoxical
conduct : they interpret all verbal and physical denials as further proof of love). Un cas extreme et
tragique d'6rotomanie est A l'origine de l'affaire Osman v. Ferguson, [1993] 4 All E.R. 344 (C.A.),
ultdrieurement port~e devant la Cour europ6enne des droits de l'homme : voir Osman c. Royaume-Uni
(1998), VIII Cour Eur. D.H. (Sir. A) 3166. On doit au grand psychiatre firangais Gadtan Gatian de
Clrambault (1872-1934), dont Jacques Lacan avait dit qu'il dtait onotre seul maitre en psychiatrie ,
la description la plus complete de l'6rotomanie : voir Gadtan Gatian de Cldrambault, Oeuvres
psychiatriques, &. par Jean Fretet, Paris, Frdndsie, 1987.
6 Les principales sources disponibles sur le sujet dans des revues m&licales sont dnumr6es dans
Morissette, oPathologie >, supra note 1 A la p. 170, n. 4.
2004]
Y -M. MORISSETTE – ABUS DE DROIT
2. Incidence du ph~nom~ne dans la jurisprudence qu~b~coise. Une
recherche effectude en f~vrier 2000 dans la jurisprudence publide au Qudbec
permettait d’identifier un certain nombre d’affaires r6centes o6i le comportement
d’une partie prdsentait toutes les apparences d’une qurulence non diagnostique 7 . A
td publi6es depuis l’affaire
cette date, plus d’une trentaine de ces affaires avaient
Yorke c. Paskell-Mede8 , premier jugement en droit qu~b~cois qui ait assujetti A
l’exigence d’une autorisation judiciaire prdalable l’exercice de recours en justice par
un justiciable nomm~ment d6sign6. Tout indique cependant que le cas de figure en
droit qu~b6cois demeure, par son ampleur et par ses nombreuses ramifications, celui
de Valery Fabrikant. Selon un psychiatre consult6 sur ce sujet, le diagnostic
s’imposerait d’embl6e dans ce cas9 . I1 est cependant int~ressant de souligner que la
perspective psychiatrique demeure thdrapeutique et ax6e sur le sujet. Autrement dit,
bien que psychiatrie et droit judiciaire puissent se rejoindre sur les 616ments d’un
diagnostic” , c’est toujours le sort du patient, et non celui de l’institution judiciaire ou
des cibles du qu6rulent, qui prdoccupe le psychiatre. Hors les cas extremes comme
celui de Fabrikant, on peut meme supposer que le qu~rulent n’int6ressera gure la
psychiatrie. Certes, il abuse des tribunaux, dont on pourrait dire qu’ils lui servent en
quelque sorte de divan. Mais si le sujet vit en assez bonne harmonie avec son
entourage imm6diat et que, comme Fabrikant, il ne juge pas utile de consulter sur cet
aspect de sa personnalit6 parce qu’il se considre normal, on en conclura qu’il n’a pas
besoin d’8tre trait& Le caract~re al6atoire du traitement est sans doute pour quelque
chose dans cette r6serve. I1 suffit d~s lors que le qu6rulent soit tenu A distance de
l’appareil judiciaire, ce qui a priori n’est pas de la comp6tence du psychiatre.
Ces facteurs semblent expliquer que, lorsque l’on d6cle un profil qudrulent dans
la jurisprudence, le cas 6volue presque toujours en marge de la psychiatrie. I1 ne faut
pas en conclure que le phdnom~ne est, de ce fait, ndgligeable. On trouve sur le r~seau
Intranet du minist&re de la Justice du Quebec une liste” de tous les plaideurs qui, i un
titre ou un autre, ont fait l’objet d’une ordonnance de la Cour supdrieure du Qu6bec
semblable A celle accord6e dans l’affaire Yorke. Au mois de mai 2003, la liste en
question 6numdrait 58 ordonnances distinctes pour des personnes physiques qui dans
7Ibid. aux nn. 8-12 et 33-35.
8 [1996] R.J.Q. 1964 (C.S.) [Yorke]. Voir par ex. Nguiagain c. Commission de lafonctionpublique,
[1996] R.J.Q. 3009 (C.S.), Byer c. Quebec (Inspecteur gbnzral des institutionfinancibres), [2000] R.L.
615, [1999] J.Q. no. 5789 (C.S.) ouLecours c. Pilon, [2000] J.Q. no. 4953 (C.S.).
9 Entrevue du Dr. Laurence Kirmayer, professeur au D6partement de psychiatrie et directeur de la
Division de psychiatrie sociale et transculturelle de l’Universit6 McGill.
1 L’une et l’autre, par exemple, tiennent compte du mode, dupattern, de comportement du sujet: la
qudrulence, en effet, ne se diagnostique que dans la dur~e.
11 Cette liste ne peut donc 8tre consult6e que de l’int~rieur du r6seau du ministre. Par contraste, une
liste alphab6tique des parties vis6es par de semblables ordonnances est mise A la disposition du public
sur le site Internet du Court Service britannique et peut 8tre consult6e en ligne:
(6 juin 2002).
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47 cas 6taient de sexe masculin et dans 11 cas de sexe fdminin. Cette liste ne rel6ve
que les affaires traitdes par la Cour supdrieure ; or, on sait que le m6me probl~me
sdvit ailleurs, y compris devant les juridictions administratives (voire pdnales, comme
ce fut le cas dans les affaires Fabrikant). Qui plus est, on rencontre dans la
jurisprudence un nombre appreciable d’affaires oit, m~me en l’absence d’une
ordonnance comme celles dvoqudes plus haut, il parait lgitime de se demander, d la
lumi6re du comportement d’une partie, si elle ne prdsente pas un tableau qudrulent
conforme A la dafmition psychiatrique de ce trouble de la personnalitd. Dans certains
cas, une rdponse affirmative A la question parait claire 2 . Ailleurs, elle est moins nette,
et s’il est hasardeux de porter un jugement, les signes A tout le moins avant-coureurs
12 Voir notamment le cas de M. Guillaume Kibale. La banque de donnes oJugements canadiens de
Quicklaw > contient 54 jugements portant sur divers recours et incidents pour lesquels Kibale, partie
demanderesse ou requ~rante se repr6sentant en personne, assigne notamment, entre 1987 et 2002, les
parties suivantes : le Tribunal canadien des droits de la personne (demande de bref de mandamus
rejetde avec ddpens, le 20 mai 1987, [1987] F.C.J. no. 465 (C.F.)), Transports Canada (requite en
autorisation de pourvoi rejetde, avec dapens le 30 juin 1988, [1988] C.S.C.R. no. 216), le ministre du
Secrdtare d’dtat (adjudication des ddpens, 10 janvier 1991, [1991] EC.J. no. 15 (C.F.)), l’Office
national de l’dnergie (appel rejet6 avec dapens le 8 d6cembre 1992, [1992] F.C.J. no. 1118 (C.A.F.)),
Sa Majest
la Reine du chef de l’Ontario (demande d’autorisation d’appel rejetde avec ddpens le 18
mars 1999, [1998] C.S.C.R. no 578), Sa Majestd la Reine, repr~sente par le Minist~re de la Justice du
Canada (demande d’autorisation d’appel rejetde avec ddpens le 19 novembre 1998, [1998] C.S.C.R.
no 219, accompagnde de diverses demandes incidentes dgalement rejetdes), l’Universitd d’Ottawa
(appel rejet6 avec ddpens le 29 mars 2000, [2000] O.J. no. 1052 (C.A.)), et OC Transpo (demande
d’autorisation d’appel, pendante, produite le 1′ novembre 2001, [2001] C.S.C.R. no 538). Deux
plaintes portdes devant la Commission de la Fonction publique et la Commission canadienne des
droits de la personne, ddcrites dans Kibale c. Canada, [1994] A.C.F. no 161 (1994) 169 N.R. 217,
semblent avoir 6t A l’origine de la plupart de ces recours, qui sont tous systdmatiquement rejetds,
mais il est clair que plusieurs autres recours, tous rejetds eux aussi, et contre par exemple l’Universit6
d’Ottawa, ci-haut, le Conseil canadien du ddveloppement social (voir Kibale c. Canada (Secr~taire
d’itat), [1990] A.C.F. no. 735 (C.F.)), la Commission des services policiers de la Municipalit6
r6gionale d’Ottawa-Carleton ou la Socidtd de I’Aide A l’enfance d’Ottawa-Carleton (voir Kibale c.
Ontario, [1998] O.J. no. 4184 (C.A. Ont.)) concement des rdclamations distinctes. Dans Kibale c.
Canada, [1997] A.C.F. no. 480, le juge Lufly dcrivait au para. 6 :
telle requite n’ait 6t6 prdsentde. DejA dans un jugement du 3 novembre 1988, le juge Hugessen avait
remarqu6:
Le requdrant n’est pas le dermier venu ; au contraire, il a une grande experience A
plaider ses propres causes devant les tribunaux de tous les niveaux et il sait tr~s bien
qu’il ne peut pas toujours les gagner. Au surplus, depuis le 25 mars etjusqu’A la date du
d6p6t de la prdsente requete, le requdrant a personnellement comparu et plaid6 devant
la Cour supreme du Canada et devant la Cour d’appel faddrale. Durant cette m~me
pdriode, dans deux autres dossiers, il a prdsent6 une requite 6crite en Cour d’appel et a
intentd une action en dommages et int&rts, au montant de 800 000 $ devant la Division
de premiere instance.
2004]
Y -M. MORISSETTE – ABUS DE DROIT
d’un acharnement processif sont pr6sents 3 . Ces affaires se situent toutes sur le m6me
axe, le long duquel les manifestations qu6rulentes varient en intensitd.
3. Aspects juridiques de la qukrulence. Outre ses apparitions officieuses parce
que non diagnostiqu6es, la qu6rulence fait aussi de loin en loin dans la jurisprudence
des apparitions officielles, dont on retiendra ici les deux illustrations suivantes.
Premirement, on a ddjA jug6, de mani~re sans doute prdvisible, qu’un diagnostic
m~me tout A fait vraisemblable de qu~rulence, port6 par un psychiatre appel comme
expert, ne saurait constituer une preuve d’alidnation mentale en d6fense A une
accusation de voies de fait 4 . Cela dit, il ne faut pas dcarter la possibilit6 que, sous une
forme aigu
indissociable de la paranoia, ce trouble de la personnalit6 devenu
maladie mentale grave puisse constituer une forme d’alidnation mentale pour les fins
de la responsabilit6 p6nale. Dans une autre esp~ce”5 , plus int6ressante, le demandeur
se repr6sentait lui-meme et soutenait que son incapacit6 permanente de travailler
rdsultant d’un 6tat qudrulent diagnostiqu6 par deux psychiatres16 lui donnait droit au
13 Voir par exemple Scheuneman c. Canada (Procureur gniral), [2000] 2 C.F. 365, (1999) 176
F.T.R. 59, au para. 59, conf. par Scheuneman c. Canada (procureur g~nral), [2000] A.C.F. no. 1997,
(2000) 266 N.R. 154, demande de permission d’appeler A la Cour supreme refusde, [2001] S.C.C.A.
no. 9.
14 Voir R. v. Walsh (1990), 95 N.S.R. (2d) 126 (N.S. Co. Ct.). Voir aussi U.S. v. Riggin, 732 F. Supp.
958 (1990), un cas exemplaire de qudrulence, ofi l’on peut lire, A lap. 960: (Dr. Small concluded that
Mr. Riggin suffers from a rare form of “Paranoid Personality Disorder”. He further considered that
Mr. Riggin may be suffering from delusional disorders of a persecutory type and further reported that
Mr. Riggin behaves in a rigid, inflexible way and that he does seem to have the problem “querulous
paranoia.” Ominously, Dr. Small concluded his report by stating that there is no good treatment for
this condition>>.
15 Roussel c. Canada, [1997] A.C.I. no. 1195, [1998] 3 C.T.C. 2941, confirmd pour les m~mes
motifs par Roussel c. Canada (Ministre du revenu national), [2000] A.C.F. no. 1724, 2000 D.T.C.
6608, [2001] 2 C.T.C. 35.
16 Le diagnostic 6tait on ne peut plus explicite et il est peut-8tre utile de citer ici le rapport medical
reproduit au para. 8 de la decision de la Cour canadienne de l’imp6t:
Monsieur Roger Roussel se prdsente comme une personne intelligente qui a rdussi A
s’eduquer et A devenir autonome malgr
les conditions d’adversit6 et de carence dans
son enfance. It est A l’emploi du gouvemement du Qu6bec depuis 27 ans, mais n’a pas
rdussi, dans ses perceptions de lui-meme, A obtenir la reconnaissance et le m6rite qui lui
reviennent. En effet, il se sent bloqu6 depuis 14 ans dans un poste de technicien en
administration. En outre, monsieur Roussel a un profil de personnalitd caractdris6 par
de la rigidit6, une hypertrophie du moi et un manque de souplesse et d’adaptabilitd dans
une organisation
telle qu’une bureaucratie gouvemementale. Dans ce contexte
indvitablement conflictuel au travail et compte tenu de ses traits de personnalit6, il s’est
insidieusement d6velopp6 chez monsieur Roger Roussel un trouble mental caract6ris6
par un d6lire de revendication qui l’am~ne A totalement s’investir dans des litiges sans
fin. Cette pathologic correspond A ce que l’on appelle la paranoia quenlans de type
processif. I1 s’agit d’un trouble mental plut6t rare, caractdis6 simplement par un d6lire
de type pers6cutoire bien syst6matisd qui n’affecte pas les fonctions intellectuelles et le
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 49
credit d’imp6t pour drficience physique ou mentale prdvu par l’article 118.3 de la Loi de
l’imprt sur le revenu. I1 fut ddboutd devant la Cour canadienne de l’imp6t et devant la
Cour d’appel f&tdrale, en raison du libell6 spdcifique de la loi qui vise, ici, les incapacitrs
de se livrer aux activitds de la vie courante, et non l’incapacit6 permanente de travailler.
Qu’elle soit ou non diagnostiqure, la qurulence dans le prdtoire prdsente
habituellement un certain nombres de traits distinctifs, un tableau, qui coincide avec
le diagnostic psychiatrique mais qui est la projection juridique d’une attitude
excessivement processive. Un jugement ontarien, Lang Michener v. Fabian7 avait
rpertori6 plusieurs de ces caractdristiques et fut repris au Qudbec dans l’affaire Byer c.
Qu~bec (Inspecteur gnral des institutions financikres) 8 . On peut en citer ici les
principales.
Premirement, le justiciable qurulent fait montre d’opiniatret6 et de narcissisme.
Si, dans une socidt6 donn6e pourvue d’un syst~me de droit parvenu A pleine maturit6,
chaque sujet de droit exergait en permanence, jusqu’A la limite, la plnitude de tous
ses droits subjectifs tels qu’il les pergoit avant proc~s, les tribunaux seraient
constamment sollicitds par tout le monde et il est probable que la vie en socidtd
deviendrait intolerable. I1 faut laisser du jeu au droit, ce que la plupart des gens
comprennent intuitivement et ce qui peut expliquer, en partie du moins, l’importance
relative dans le corpus litigieux des r~glements nrgocids avant procs. Mais ce facteur
6chappe au sujet de droit qudrulent, pour qui la confrontation avec un juste
contradicteur”9 exacerbe le sentiment d’injustice. Toute contraridt6 risque donc de se
traduire de sa part par une nouvelle initiative judiciaire poursuivie jusqu’au bout.
Deuxi~mement, le justiciable qudrulent se manifeste en demande plut6t qu’en ddfense
–
et, compte tenu de l’ampleur des moyens qu’il met en oeuvre, la partie qui lui
rnsiste risquerait elle aussi d’ftre taxde d’opinidtret6 si ce n’6tait qu’elle est
le choix des moyens, de se dafendre pied A pied.
contrainte, n’ayant pas
Troisi~mement, le justiciable qurrulent multiplie les recours vexatoires, y compris
contre les auxiliaires de la justice. I1 n’est pas rare, en effet, que ces procedures et ces
plaintes soient dirigres contre les avocats, le personnel judiciaire ou mme les juges
jugement en dehors de la sph&re du ddlire. Cependant, ce ddire envahissant affecte le
comportement de la personne qui en est atteinte et qui consacre une bonne partie de sa
vie A obtenir justice en s’impliquant dans des d6marches judiciaires pratiquement sans
fin et A son propre d~triment. Malheureusement, il s’agit d’une maladie chronique qui
ne rdpond pas bien au traitement psychiatrique. Conclusion : J’arrive donc A la
conclusion que monsieur Roger Roussel, compte tenu de son trouble mental, est inapte
A reprendre son travail en tant que technicien en administration au MEQ [Minist~re de
l’Lducation du Qudbec]. Compte tenu aussi de la chronicit6 de sa maladie et de son
pronostic rrserv6, je suis d’avis que l’on devrait considdrer monsieur Roger Roussel en
invalidit6 totale et permanente.
‘7 (1987) 59 O.R. (2e) 353, (1987) 37 D.L.R. (4e) 685 (C.S. Ont.) ; voir Morissette, <,Pathologie)),
supra note 1 aux pp. 188-89.
I8 [1999] Q.J. no. 5789, [2000] R.L. 615 (C.S.).
19 L'observation est de Me Jean Saint-Onge.
2004]
Y-M. MORISSETTE- ABUS DE DROIT
font
l'objet d'allgations de partialit6 et de plaintes
personnellement, qui
ddontologiques. Quatri~mement, la rditdration des m~mes questions par des recours
successifs et ampliatifs, et la recherche des m6mes r6sultats malgr6 les dchecs r6p6t6s
de demandes antdrieures, sont fr6quentes. La partie qu6rulente n6gocie le plus
souvent A la hausse et, si elle demande des dommages-intdrets, les sommes rdclam6es
tendent A augmenter en cours de route et de recours en recours. Cinqui~mement, les
arguments de droit mis de l'avant par le justiciable qudrulent se signalent A la fois par
leur inventivitd et leur incongruit. Ils ont une forme juridique, certes, mais sont A la
limite du rationnel. La position prise par le demandeur dans la principale affaire Byer
(reposant sur une lecture extravagante d'un article de la Loi sur les assurances) ou
par Fabrikant dans une de ses nombreuses affaires2 (invoquant une loi de 1495
pass~e sous le r~gne d'Henri VIII pour fonder un droit d'appel informa pauperis) en
sont des exemples. Sixi~mement, les 6checs rdpdt~s des recours ainsi exerc6s par la
partie qudrulente entraiment A plus ou moins longue dch~ance son incapacit6 A payer
les d6pens et frais de justice auxquels elle est condamnde. On avait invoqu6 cette
circonstance pr6cise dans l'affaire Grepe v. Loam, premiere d6cision publire en droit
anglais oi un justiciable fut assujetti i 1'exigence d'une autorisation judiciaire
prdalable A l'exercice de ses recours en justice2 . C'est une circonstance difficile A
6valuer, car elle relive plut6t de la sociologie judiciaire, mais elle m6riterait d'&re
6tudi6e en profondeur2 . Septi6mement, la plupart des d6cisions adverses, sinon
toutes, sont portdes en appel par la partie qu6rulente, ou font l'objet de demandes de
revision ou de r6tractation. Enfm, huiti~mement, comme on l'a d6jAi not6, le
justiciable qudrulent se reprdsente seul.
Dans un cours dispensd A la Facultd de m6decine Paris-Sud sur les dalires
chroniques, le Dr. Sandrine Maillet, psychiatre, donne du syndrome un portrait
synth~tique :
4. Piasticitk du diagnostic. I1 semble opportun, avant de quitter le terrain de la
qudrulence, d’ajouter deux observations incidentes sur le sujet. La premi~re concerne
ce qu’on appelle en anglais the apprehension of overinclusive diagnosis>>, un risque
20 Fabrikant c. Adolph, [1995] Q.J. no. 285 (C.A.) et [1997] Q.J. no. 1592 (C.A.).
21 [1887] 37 Ch. D. 168 (C.A.) ; voir infra au 13.
22 On peut avancer I’hypoth6se que le comportement d’un justiciable qu rulent entrainera t6t ou tard
sa ruine et le privera de sa facultd de saisir les tribunaux de nouvelles demandes. I1 s’agit cependant
d’une donnde de fait difficile A vrifier A partir des dossiers judiciaires.
23 En ligne:
(28 juin
2002).
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 49
s6rieux en psychiatrie off les sympt6mes sont g6ndralement moins tangibles qu’en
orthop6die. La plasticit6 du diagnostic psychiatrique le rend en effet vuln6rable A des
manipulations, comme
‘a d6montr6 en ex-URSS l’histoire de la (schizophr6nie
indolente 24 . Ce diagnostic suscita A la longue des
lenten ou oschizophr6nie
protestations v6h6mentes de la part de l’Association mondiale de psychiatrie. I1 servit
pourtant pendant des anndes A isoler en milieu psychiatrique ferm6 des individus
probablement sains d’esprit, mais fermement opposds au r6gime politique alors en
place dans ce pays. Bien entendu, une personne peut exhiber une propension A la
qudrulence tout en ayant des revendications de droit 16gitimes, et il arrive que les
tribunaux servent de demier retranchement A des justiciables tenaces dont les
positions impopulaires ou genantes demeurent n~anmoins licites2″. S’il peut &re utile
de connaitre le profil psychiatrique de la qu6rulence dans l’appr6ciation de certains
comportements, la plus grande prudence demeure de mise avant de restreindre par une
mesure judiciaire la facult6 d’un justiciable de s’adresser aux tribunaux. C’est, de
fagon 6vidente (et heureusement),
‘attitude qu’adoptent les tribunaux face A ce
probl~me, ici comme en Angleterre.
5. Fonction th6rapeutique du procs. Deuxi~mement, et dans un registre
voisin, il ne faut pas sous-estimer la valeur proprement th6rapeutique du 16gendaire
o
sa version de l’histoire. Il s’est d6velopp6 en droit am6ricain depuis une quinzaine
d’ann6es une influente 6cole de pens6e, Therapeutic Jurisprudence, qui s’efforce de
mettre en lumi6re, voire de mesurer, l’effet th6rapeutique des voies du droit, qu’il
s’agisse de proc6dures judiciaires ou autres26 . On veut ainsi dvaluer avec plus de
24 Paul Chodoff et Walter Reich en donnent un compte rendu frappant dans Sidney Bloch, Paul
Chodoff et Stephen A. Green, dir., Psychiatric Ethics, 3e &., New York, Oxford University Press,
1999. Dans son chapitre (Misuse and Abuse of Psychiatry : An Overview), A la p. 58, Chodoff &crit
sur la psychiatric en URSS : ( … the Snezhnevsky system made it easy to classify dissenters as
suffering such illnesses as “sluggish schizophrenia”, a diagnosis not disqualified by “seeming
normality” and “absence of symptoms”, or, as is illustrated by the case of General Grigorenko, by a
panoply of human characteristics mislabeled as symptoms)). Reich, A la p. 196 et s., dans un chapitre
intitul
Practice 127, et trois auteurs, Bruce J. Winick, David B. Wexler et Edward A. Dauer, font un
rapprochement avec le droit prrventifi) dans < Preface: A New Model for the Practice of Law)>
(1999), 5 Psychol. Pub. Pol’y & L. 795. A ma connaissance, la qulndence n’a presque jamais 6t6
dvoqure en tant que telle par les tenants de cette dcole (voir toutefois D. Miller et al., ,Litigiousness as
a Resistance to Therapy)> (1986) J. Psychiatry & Law 109 ; mais plusieurs s’intressent au phdnomrne
de la propension litigieuse (litigiousness) et attribuent aux tribunaux une fonction b~ndfique de
soupape de r~gulation sociale.
27 Senior Judge, United States District Court, Eastern District of New York. Le juge Weinstein 6crit,
dans <(Adjudicative Justice in a Diverse Mass Society)> (2000), 8 J.L. & Pol’y 385 aux pp. 409-10:
The most powerful weapon we have is empathy. The leavening influence of regard for
our fellow human beings and concern for their welfare does more than any practice,
procedure, rule or statute to ensure equality in the courts and our administrative
agencies. Nisi prius, as well as other judges, can become hardened by too much
exposure to tragedy. Few of us find the time or interest to volunteer and help people in
our deprived communities and, thus, get to know how they live. We must try to bridge
the gap between them and us. We must try to open communication between the heart of
the law and the hearts of those who seek justice from us. This goal requires not only
that we act justly on a moral plane, but also that we make our reasoning understandable
and, so far as practicable, acceptable to every level of society. Leading appellate judges
have described the appellate functions as performed almost entirely through research
and cogitation. Such a description is not useful for trial lawyers and district judges who
observe and deal with real people who are sometimes irrational, but always unique,
interesting and important. Often what they want most is a hearing to demonstrate that
we understand their fears and their sense of mortality. The need for sensitivity to people
is just as true for lawyers in their offices as it is for judges in their courtrooms.
28 Supra note 23 : Les inventeurs mrconnus […] sont convaincus d’avoir fait la drcouverte du
si~cle, cherchant par tous les moyens A protrger leur invention et A la faire reconnaitre. Comme ils
dchouent dans l’obtention d’un brevet ou lorsqu’on leur dit que leur “trouvaille’ n’en est pas une, ils
estiment 8tre d~poss&ls, voles, expropris .
29 Ibid. :
La sinistrose drlirante : apr~s accident du travail ou traumatisme de la voie publique
[…] le malade rrclame avec achamement une pension, un redressement du taux
d’invaliditd qu’il a obtenu et persecute de ses recriminations et menaces les employrs
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 49
Si l’on voulait pousser jusqu’au bout cette analyse, il faudrait probablement
envisager le ph6nom~ne de la qu6rulence sous l’angle qu’emprunte Ian Hacking dans
certaines de ses oeuvres r6centes et remarqu6es, L’4me r6crite3 et Les Fous
voyageurs”. I1 est tr~s plausible, en effet, que la qu6rulence se range parmi les
d6sordres conjoncturels, ou socialement construits, au m~me titre par exemple que la
fi~vre obsidionale, la fugue pathologique, l’hyst6rie, la dipsomanie, la neurasth6nie et
la n6vropathie, la paralysie g6n6rale, l’ohomosexualitd>>, l’anorexie et la boulimie, le
trouble de la personnalit6 multiple, le syndrome d’hyperactivitd, le syndrome de
Stockholm, le post-traumatic stress syndrome, le recovered memory syndrome et le
false memory syndrome. Conque de la sorte, la qu6rulence apparaitrait au point de
convergence de facteurs qui, dans une soci6t6 et A une 6poque donn6es, sont
extrins~ques au sujet : la prolif6ration des droits subjectifs, la multiplication des
mesures d’acc~s A la justice, la judiciarisation des rapports entre personnes et
l’expansion d’une certaine anomie32 ambiante. Lorsque ces facteurs s’att6nuent –
ou
lorsqu’ils sont absents, ce qui est le cas dans beaucoup de soci6t6s contemporaines –
la qu6rulence est moins fr6quente ou inexistante.
II. La partie non-repr6sent6e, mais parfois conseillee par un tiers
6. Querulence et partie non repr~sentke. Si l’6quation oqu&ulent, donc
partie non repr6sent6e> se v6rifie en pratique dans 1’6crasante majorit6 des cas, on ne
peut 6videmment pas l’inverser et soutenir que toute partie non reprdsent~e est
qu6rulente. I1 est ind6niable, pourtant, que le premier ph~nom~ne, l’absence de
repr6sentation,
la qu6mlence, comme sous-ensemble. Or, le
ph~non6ne de
temps une
prdoccupation croissante pour les tribunaux. En tdmoignent, par exemple, la parution
inclut
la partie non reprdsent6e devient depuis quelque
le second,
de la S6curitd Sociale, les avocats et les m~decins-experts ou contr6leurs : il multiplie
les demandes de contre-expertise et les procedures de recours, arguant avec autorit6 de
l’importance du handicap qu’il a subi du fait du traumatisme.
30 Ian Hacking, L ‘me r99crite, trad. par Julie Brumberg-Chaumont et Bertrand Revol, Paris, Les
Emp~cheurs de penser en rond, 1998. Traduction de Rewriting the Soul: Multiple Personality and the
Sciences of Memory, Princeton (N.J.), Princeton University Press, 1995.
31 Ian Hacking, Les Fous voyageurs, trad. par Frangoise Bouillot, Paris, Les Empecheurs de penser
en rond, 2002. Traduction de Mad Travellers : Reflections on the Reality of Transient Mental Illnesses,
Charlottesville (Va.), University Press of Virgina, 1998.
32 Sur cette notion charg~e de sens, voir Raymond Boudon et Frangois Bourricaud, Dictionnaire
critique de la sociologie (2e 6d.), Paris, Presses Universitaires de France, 2002. On peut la d6finir pour
nos fins actuelles, empruntant A Durkheim dans La Division du travail social ou Le Suicide, comme la
carence temporaire d’une r6glementation sociale capable d’assurer la cooperation entre fonctions
spdcialisdes, ou comme un mal procdant de l’illimitation du ddsir humain, de l’inddtermination des
objectifs A atteindre et de l’incertitude sur les esp6rances lgitimes. Une these de sociologie consacrde
au cas Fabrikant prdsente celui-ci comme le r6sultat d’une anomie institutionnelle A l’Universitd
Concordia: voir Mathieu Beauregard, Lafolie de Fabrikant, Paris, L’Harmattan, 1999.
2004]
Y-M. MORISSETTE – ABUS DE DROIT
rcente d’un article sur le sujet A la premiere page d’un grand quotidien33 mais aussi,
et de fagon plus sdrieuse, les constats dresses en 2001 par le Comitd que prsidait le
Professeur Ferland, ainsi que les 6lments de rdforme proposes par ce comit6 dans
son rapport 4. Compte tenu de la tr~s grande qualit6 de ce rapport qui, sur ce point
comme sur beaucoup d’autres, vise la question telle qu’elle se prdsente actuellement
au Quebec, il est inutile de revenir ici sur tous les aspects du problme. On y apprend
notamment que l’ampleur du ph~nom~ne varie d’une juridiction A l’autre et que son
envergure tend par endroits A ddcroitre. A la Chambre de la famille de la Cour
sup~rieure du Qu6bec, par exemple, le pourcentage d’affaires oii une partie n’6tait pas
repr6sentde est pass6 entre 1994 et 1999 de 30,3% A 42%, une augmentation
d’environ 40%. A la Chambre civile de la Cour sup~rieure, ce pourcentage est passd
de 16,2% A 14,2% pendant la meme p~riode, diminuant ainsi de 2 points de
pourcentage. k la Chambre civile de la Cour du Quebec, la d~croissante est nette : de
27,5% en 1994 A 20,3% en 1999, une chute importante de 7,2 points35, soit 25%.
Dans quelques syst~mes de droit 6trangers mais assez voisins du n6tre, on a
approfondi le profil statistique du ph~nom~ne, ce qui permet de distinguer les
situations selon le type de litige, selon qu’une ou plusieurs parties plaident en
personne, de meme que selon le sexe, le revenu moyen, la scolarisation, etc. des
parties concemes. Le secteur du contentieux familial semble 8tre partout le domaine
de predilection des parties non reprdsentdes et, comme au Quebec, il gagne en
importance. Ainsi, comme le rapporte le rapport Ferland, les chiffres les plus
complets, en provenance de l’Arizona, d6montrent que, dans le district judiciaire de
Maricopa, A Phoenix, on a observd la progression suivante : en 1980, 27% des
affaires comportaient une partie non representee, en 1985 ce chiffre 6tait pass6 A 48%
et en 1991 il 6tait de 88%. Des donn6es compildes par la suite d6montrent qu’en
mati&re familiale, 60% des affaires procedent sans avocats, 30% comportent une
partie repr6sentee et 10% comportent deux parties ou plus representees par avocats. I1
ressort de statistiques etablies au Nouveau Mexique que, selon son profil typique, le
justiciable non represent6 est de sexe feminin, partie a un litige familial, vivant en
milieu urbain, d’origine hispanique, gagnant 15 000 $ par annee, et se representant
33 Kirk Makin,
2002) A-1, A-6.
3 4 Minist6e de la Justice du Quebec, Une nouvelle culturejudiciaire. Rapport du Comiti de rivision de
la procdure civile, Quebec, Publications du Quebec, juillet 2001, en ligne : Minist e de la Justice du
Qu6bec
aux pp. 14-19, 87-95 [Rapport Ferland]. Nul doute que le probl&me sourd depuis assez longtemps,
puisque I’avait constat6 dans le champ du droit de la famille le rapport Possible et actuelle, une plus
grande humanisation du dro de la famille?, Fondation du Barreau du Qu6bec, 1997, en igne :
Banreau du Qu6bec
3 5 Rapport Ferland, ibid. A la p. 16.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 49
seule parce qu’elle ne peut assumer les coots de sa repr6sentation par avocat. De
telles analyses restent A faire au Qu6bec.
Les cofits de la justice, la chute des plafonds d’admissibilit6 A l’aide juridique, la
baisse de confiance du public envers le Barreau, et la volont6 d’acc~s direct A la
justice (ou, si l’on pr6f~re, l’engouement pour le
les causes les plus fi-6quemment cit6es pour expliquer le ph6nomne36 . Ici encore, il y
a place A des travaux d’approfondissement au Qu6bec. Ainsi, un rapport d6jA cit6 de
la Fondation du Barreau du Qu6bec, qui se fondait sur un sondage statistiquement
repr6sentatif, avait conclu il y a quelques ann6es que le taux de satisfaction des
justiciables divorc6s envers leurs avocats 6tait assez 6lev637 . En revanche, le syst6me
D>>, si l’on en juge par la prolif6ration de certains sites internet et l’appr6ciation de
quelques observateurs, progresse de mani&re constante.
On peut aussi se demander, At la lumi&re d’exp6riences 6trang~res, si
les
am6nagements proposds pour venir en aide aux justiciables non repr6sent6s sont
susceptibles de r6duire la frdquence des initiatives judiciaires sans espoir. Tout porte a
croire que la r~ponse appelle plusieurs nuances.
7. Le rapport Woolf et le litigant in person> en droit anglais. En Angleterre,
le rapport Woolf 8 aura marqu6 un point tournant, semble-t-il, dans l’attitude
judiciaire face A cette nouvelle r6alit6. La r6forme qui en est issue, commenc~e en
1999’9, montre une tr~s louable ouverture envers les justiciables, ouverture t laquelle
font d’ailleurs 6cho les recommandations du Comitd Ferland. Ainsi, dans son rapport
intdrimaire de juin 1995, dont le chapitre 17 6tait intitul Litigants in person>>, Lord
Woolf abordait en ces termes la question de la partie non repr6sentde :
Only too often the litigant in person is regarded as a problem for judges and for
the court system rather than the person for whom the system of civil justice
36 Voir Rapport Ferland, supra note 34 aux pp. 16-17.
37 Humanisation, supra note 34 aux pp. 20-23.
38 Lord Harry Wolf, Access to Justice: Final Report to the Lord Chancellor on the Civil Justice
System in England and Wales, Londres, Her Majesty’s Stationery Office, 1996, en ligne: Lord
Chancellor’s Department
[Rapport Wool#]. Le
rapport Woolf, dont l’auteur 6tait d l’dpoque Master of Rolls et est aujourd’hui Lord Chief Justice,
pava la voie pour le livre blanc Modernising Justice: The Governments Plan For Reforming Legal
Services and the Courts, Londres, Her Majesty’s Stationery Office, 1998, en ligne : Lord Chancellor’s
Department
39 Elle a d6 entame par le Access to Justice Act 1999 (R.-U.), 1999, c. 22, en ligne : Her Majesty’s
Stationery Office
toujours et A dessein : en effet,
‘un des objectifs de son principal auteur 6tait de mettre en place une
structure pennanente qui verrait A l’am6lioration constante du fonctionnement de la justice civile, le
Civil Justice Council, dtabli par la loi de 1999.
20041
Y -M. MORISSETTE – ABUS DE DROIT
exists. The true problem is the court system and its procedures which are still
too often inaccessible and incomprehensible to ordinary people4 .
Ce renversement de perspective devait mener A l’adoption d’une gamme de mesures
comprenant l’entr6e en vigueur de nouvelles Civil Procedure Rules, la cr6ation de
kiosques d’information juridique, une utilisation remarquablement innovatrice des
technologies de l’information 1 , le recours systdmatique A la m6diation ainsi qu’A
d’autres modes de r~glement des diff6rends, et la mise sur pied du Community Legal
Service42 . L’un des objectifs g6ndraux du rapport final est d’assurer que d6sormais les
4 1 Le Court Service, dont le site internet, tr6s charg6, peut 8tre consult6 A l’adresse
du Court Service permettra 6ventuellement d’acc6der en ligne A tous les tribunaux ; plusieurs sont dejA
accessibles de cette fagon.
42 On trouvera dans Lord Chancellor’s Department, The Community Legal Service: A Consultation
Paper, Londres, a.m.e., 1999, en ligne: Lord Chancellor’s Department
r6forme Woolf. Le Community Legal Service (CLS), qui vise manifestement A combler certaines
lacunes de l’aide juridique, d6finit sa raison d’8tre comme suit : The Community Legal Service is the
framework for comprehensive local networks of good quality legal and advice services, supported by
co-ordinated funding, and based on the needs of local people. Its aim is to improve access to
information and advice so that people in England and Wales can fird out about their rights and how to
enforce them>>. Le rapport annuel du CLS rendu public au d6but de 2001 notait :
anglais. II faut dire que, paradoxalement, le droit anglais prrsentait un terrain fertile
pour un certain type d’abus, ceux qui surviennent lorsqu’une partie, sans etre
reprrsentde par avocat, est assistre d’un tiers profane. Au Quebec,
‘alinda 128 (2)a)
de la Loi sur le Barreau45 , qui qualifie comme 6tant du ressort exclusif de ‘avocat en
exercice
(nous soulignons)
empecherait probablement une interprrtation aussi lib6rale que celle retenue par la
Cour d’appel d’Angleterre dans ‘arr~t McKenzie v. McKenzie46 . Dans cette affaire, la
Cour, invoquant une remarque que Lord Tenterden avait faite en 1831″, avait
reconnu le droit de tout justiciable qui se reprrsente lui-m~me de se faire assister d’un
profane au cours d’un proc~s. Nul doute qu’en rendant cette decision, par ailleurs
assez limitre quant A sa portre intentionnelle s, la Cour dtait animre par le drsir de
faciliter l’acc~s A la justice49. Avec le temps, cependant, la dcision engendra une
pratique maintenant assez firquente, connue sous le nom de
48 Supra note 46 A lap. 1036. Le rrle anticip6 du tiers dtait trrs circonscrit : (He was merely there to
prompt and to make suggestions to the husband in the conduct of his case, the calling of his witnesses
and, perhaps more importantly, on the very critical and difficult questions of fact in this case, to assist
him by making suggestions as to the cross-examination of the wife and her witnesses >.
49 Les circonstances de l’affaire s’y prrtaient : (1) il s’agissait d’une requrte en divorce assez
complexe, comportant des circonstances possibles d’adult~re, et qui avait nrcessitd 10 jours
d’enqudte; (2) le requlrant 6tait devenu inadmissible A l’aide juridique apr~s le debut de la procedure
mais avant le pmcrs ; (3) un jeune avocat inscrit dans un barreau australien, et en stage A Londres,
avait offert de l’aider A mener bdnrvolement sa cause.
2004]
Y -M. MORISSETTE – ABUS DE DROIT
McKenzie friends5 et il est m~me admis qu’une rdmundration soit vers6e A ces
derniers pour le service ainsi fourni5 .
Entre 1999 et 2001, la Cour d’appel d’Angleterre a entrepris de restreindre par
une sdrie de d6cisions les interventions des McKenziefriends et les abus de procddure
des parties non repr6sentdes. Nous reviendrons sur ce second aspect de la question au
14 ; tenons-nous en pour le moment aux McKenzie friends. D6jA dans R. v. Bow
County Court, ex parte Pelling2 , Lord Woolf avait confirmd au nom de la Cour la
d6cision d’un juge de premiere instance de ne pas permettre les interventions d’un
McKenziefriend et formul6 quelques directives d’application g6n6rale sur le sujet53 ;
la d6cision soulignait le danger qu’il y a t laisser un profane prendre le contr6le d’un
litige au nom d’autrui, surtout lorsque, comme c’6tait le cas en l’occurrence, le
profane en question prdside un groupe de pression vou6 A la d6fense des droits des
pares divorces et prete son concours A une personne qui r~pond A cette description54 .
Mais le cas le plus r6v61ateur ici reste probablement la decision de la Cour d’appel
o L’association Families Need Fathers, par exemple, groupe de pression actif dans le champ du
droit de la famille, publie un bulletin intitul6 McKenzie, en ligne :
Attorney General v. Ebert, supra note 44 au para. 16, au sujet du Litigants in Person Society.
51 Voir R. v. Bow County Court, ex parte Pelling, [1999] 4 All E.R. 751 (C.A.), [1999] 1 W.L.R.
1807.52 ibid.
53 Ibid. au para. 14:
We do […] stress : (i) that the authorities lay down that a McKenzie friend has
personally no rights with regard to litigation, it is the litigants who have the right; (ii)
that a McKenzie friend has no right to be an advocate; (iii) that both in proceedings in
chambers and in proceedings in open court, the court has a discretion to exclude a
McKenzie friend; and (iv) that the difference between the position in open court and in
chambers is one of degree. That is because in open court a member of the public has,
subject to the question of room, an entitlement to be present while in the case of a
hearing in chambers he or she does not have that entitlement. In the case of an open
court hearing, there usually must be some justification established if a person is not to
have the benefit of the assistance of another person, or some evidence that that person
has previously acted inappropriately or is acting inappropriately at the hearing which
makes it reasonable for the court to deprive the litigant of the assistance which would
otherwise be provided.
54 Ibid. au para. 17:
There are […] two features to Dr Pelling’s activities to which we should refer. The first
is that Dr Pelling at times has difficulty in divorcing his campaigning role as chairman
of the pressure group to which he belongs from that as an assistant of litigants in
person. The second is that if a person chooses to regularly appear as a McKenzie friend,
especially if he is also a clerk, because he is earning his living in this way, he must
exercise considerable restraint or he will cease to conduct himself as an assistant and
will indirectly run the case, using the litigant in person in the manner in which a puppet
master uses a puppet. Such behaviour could provide a finn foundation for a judge not
wishing him to be present as a “McKenzie friend”.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 49
les arguments
l’affaire Noueiri v. Paragon Finance PLC5 .
rendue en septembre 2001 dans
Confront~e A un McKenzie friend particuli~rement tenace, dont il appert qu’il dtait
lui-m~me qu~rulent56 , et qui soulevait sans vergogne
les plus
extravagants sous prdtexte d’aider des parties non repr~sentdes, la Cour rappelle la
rigueur des conditions auxquelles les tribunaux britanniques, en vertu de la legislation
applicable, peuvent accorder discr~tionnairement un droit d’audience A une personne
qui n’est ni membre du Barreau, ni elle-meme partie A un litige. De telles ddrogations
doivent demeurer strictement encadrdes par la loi et tout A fait exceptionnelles “,
seules des personnes apparemment autoris~es peuvent 8tre admises A opostulerm ou
r~diger les actes de la procedure 6crite”5 , et il importe d’encourager les justiciables
non repr~sentds A utiliser les services de professionnels comp~tents. L’int&ess6,
Anthony Alexander, qui se manifestait occasionnellement par l’entremise de deux
soci~t~s, Peaceful Warriors Ltd. et Anthony Alexander Ltd., se voyait dfsormais
interdire de reprdsenter qui que ce soit, directement ou indirectement, sans
autorisation prdalable de la Cour obtenue sur demande 6crite et motiv~e. Ces
decisions coincidaient par ailleurs avec des mesures destindes A venir en aide aux
parties non repr~sent~es, par
le moyen principalement de conseils juridiques
b~n~voles ou bon march6, comme le releve le rapport annuel de la Cour d’appel pour
l’ann~e judiciaire 2000-2001 “.
” [2001] 1 W.L.R. 2357, [2001] E.W.C.A. Civ. 1402 (Lexis).
56 La Cour le pr6sente en ces termes, aux paras. 18-19. :
Mr. Alexander described himself and his history in an application he made for a post as
a Citizens Advice Bureau worker at the RCJ advice bureau in January 1999. He was
then 52 years old and lived in London. He said he had qualified as an advocate in
California and had frequently appeared in court on his own behalf and on behalf of
others as a Mackenzie friend. The bureau did not in fact employ him. He was made
bankrupt in February 2000. […] In his affidavit he described how he helped litigants
who “were obvious victims of society who seemed in genuine need and had no other
recourse but to turn to someone of goodwill to assist them”. We had the opportunity of
observing Mr. Alexander when he addressed us for over an hour at the hearing. He has
immense self-confidence as an advocate. The extent to which he gives appropriate
assistance to those he sets out to assist, or assists the court in its task of administering
justice, was the issue we had to determine.
II appert, au para. 33, qu’Alexander avait lui-mdme ant~rieurement fait l’objet d’un Grepe v. Loam
orden) (sur cette notion, voir infra au 13).
57 Au plan technique, la d6cision consacre une interpretation restrictive des art. 27 et 28 du Courts
and Legal Services Act 1990, dispositions dont l’adoption parait avoir &6 motiv~e par une volont6 de
faciliter l’acces A la justice.
58 Supra note 56 au para. 81 :
The Court has further developed its very successful liaison with the Royal Courts of
Justice Citizens Advice Bureau through its Director, Joy Julien, and with other pro
bono bodies. The RCJ Citizens Advice Bureau and its team of in-house lawyers offer
professional assistance in providing advice and formulating grounds of appeal. The
Bureau also refers cases to a team of pro bono lawyers from City law firms, who
prepare litigant’s papers for court. Finally the Bar Pro Bono Unit offers a team of
barristers who devote time to free representation. An experiment is about to begin
which will enable most litigants in person, who obtain permission to appeal to the Court
of Appeal, Civil Division to be represented by a barrister, pro bono, at the hearing. […]
The combined effect of these services is that most unrepresented litigants, who obtain
permission to appeal, may now obtain pro bono assistance throughout the preparation
and conduct of an appeal. This is a major and welcome advance. A new facility has
recently been introduced in the form of the Personal Support Unit which is part of the
RCJ Advice Bureau and is staffed by volunteers who offer practical assistance. They
help litigants follow the procedures involved in conducting a case in person, and will
accompany them to court to offer moral support.
Ce rapport peut Etre consult6 en ligne : Court Service
60 [1996] J.Q. no. 4766 (QL) (T.P. Biron, Lafontaine, Grenier). Le Tribunal note au para. 10:
La libertd d’expression est certes un droit fondamental. Un justiciable a le droit de
demander d’dtre entendu devant le tribunal au moyen de procedures, mdme si celles-ci
peuvent pamitre discutables aux yeux d’un observateur le moindrement averti. I1 est
toutefois du devoir d’un avocat qui comprend son r6le d’auxiliaire de la justice de
refuser de preter son nom A des tactiques dilatoires et A des documents aussi farfelus
que ceux qu’on trouve dans le prdsent dossier.
Le m~me avocat fut par la suite radi6 en raison de troubles schizoides diagnostiqus : voir Lemieux c.
Barreau du Quebec (sub nomine Barreau du Qukbec c. Lemieux), [1996] D.T.P.Q. no. 149 (T.P. Biron,
Mailloux, Poirier), [1996] A.Q. no. 3254 (QL), et Lemieux c. Barreau du Quibec, [1999] D.T.P.Q. no.
173 D.D.E. 96D-102 (T.P. Biron, Lavoie, Sylvestre).
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 49
rdseaux importants de pro se litigants>> se constituent61 et l’on prdconise de plus en
plus la fragmentation (ounbundling 62 ) des services juridiques, ou le partage des
tiches entre avocat et client, dans le but d’en reduire les cofits.
En droit qudbdcois, cependant, le probleme le plus 6pineux est d’un autre ordre et
rappelle celui considdrd par la Cour d’appel d’Angleterre dans l’affaire Noueiri v.
Paragon Finance PLC. Ce probleme survient lorsqu’une personne qui n’est pas
mrnembre du Barreau (mais qui peut 8tre un ancien avocat radi6) conseille un
justiciable sur le deroulement d’un litige, voire r6dige en son nom des actes de
procedure destines A tre revetus de la seule signature de ce justiciable. Le r6cent arret
de la Cour supreme du Canada dans le dossier Fortin c. Chrtien63 , arrdt confirmant
une decision de la Cour d’appel du Quebec64, a fait largement la lumiere sur cette
question. I1 met en scene en arriere-plan le Club juridique et son fondateur Yvon
Desc6teaux. J’en retiens les elments suivants : (1) le contrat par lequel une personne
n’appartenant pas au Barreau offre de r6diger un acte de proc6dure pour le compte
d’autrui contrevient au sous-paragraphe 128(1)b) de la Loi sur le Barreau et est donc
nul parce que contraire d l’ordre public ; (2) par contre, l’acte de procedure issu de ce
contrat constitue un acte juridique distinct et valide, qui concretise le droit reconnu au
61 11 s’agit d’un phdnom~ne transfrontalier au sujet duquel on peut 8tre tentd de paraphraser Karl
Marx:
62 Un auteur en donne la definition suivante :
The term “unbundling”
is just now making it into the lexicon, descriptive of any
process
in which something complex is broken down into smaller and simpler
components. In the legal context, “unbundling” refers to the process of breaking down
the multiple roles an attorney might play into smaller simpler groups of tasks. […]
Unbundling (also called discrete tasks representation) offers clients a middle ground
between dispensing with lawyers altogether or signing on for the full service package.
The client is in charge of determining which services are to be performed by the client,
which services are to be performed by the lawyer, and the extent or depth to which the
lawyer will perform the services. […] The client could contract separately to perform
other tasks or perform them without using a lawyer. One of the cardinal principles of
unbundling is “[u]se your lawyer only for what only your lawyer can do”.
Voir notanment, sur ce sujet qui ne manque pas de complexitd, Richard Zorza, Re-Conceptualizing
the Relationship Between Legal Ethics and Technological Innovation in Legal Practice : From Threat
to Opportunity>> (1999) 67 Fordham L. Rev. 2659, John C. Rothermich, oEthical and Procedural
Implications of “Ghostwriting” for Pro Se Litigants : Toward Increased Access to Civil Justice>>
(1999) 67 Fordham L. Rev. 2687 et Mary Helen McNeal, ((Redefining Attorney-Client Roles
Unbundling and Moderate Income Elderly Clients > (1997) 32 Wake Forest L. Rev. 295.
63 [2000] A.C.S. no. 51 (QL), 201 D.L.R. (4e) 223, [2001] R.C.S. 500 (l’anne de la decision, 2000,
s’explique parce que le jugement fut rendu sdance tenante le 2 novembre 2000 ; ndanmoins, les motifs
de la decision ne furent d~poss au dossier que le 21 juillet 2001) [Fortin c. Chr~tien avec renvois A
QL].
‘ Fortin c. Chrtien, [1998] Q.J. no. 4010 (QL) (C.A. Brossard, Rousseau-Houle, Biron) ; il y a
d~saccord entre la Cour d’appel et la Cour supreme sur la notion de nullit6 partielle, que la seconde,
contrairement A la premiere, estime inapplicable en l’esptce. Voir [2000] A.C.S. no. 51 au para. 40.
2004]
Y-M. MORISSETTE – ABUS DE DROIT
justiciable par l’Art. 61 C.p.c. de se reprdsenter seul ; (3) ce justiciable est libre de se
faire (aider par un tiers dans
la r6daction et la pr6paration de ses actes de
procddure 65 et l’acte qui en r6sulte –
contrairement par exemple A celui qu’un
justiciable aurait fait pr6parer en connaissance de cause par une personne inhabile au
sens de l’article 122 de la Loi sur le Barreau –
ne peut 8tre invalidd ; (4) il importe
de concilier le droit du justiciable de se repr6senter lui-m~me avec les exigences de
cette loi mais on se m6prend si l’on croit que l’acc~s d la justice impose d’assouplir
ces exigences.
I1 faut saluer le rdalisme et la lucidit6 de cette d6cision. Elle neutralise autant qu’il
est possible de le faire la tension entre le droit individuel d’acc~s aux tribunaux et la
d6finition 16gale du monopole d’exercice, c’est-A-dire des actes r6serv6s, du Barreau.
Suffira-t-elle A contenir les exc&s du Club juridique et de son animateur ? D’une part,
la nullit6 du contrat, solution de droit priv6, ne le prive pas de sa valeur 6conomique,
pas plus qu’elle ne rend la contrebande de cigarettes moins lucrative ; i est donc
probable que, sans autre mesure corrective, de nouveaux (clients auront recours aux
m~mes services A l’avenir, et toujours contre r6mundration. D’autre part, l’ill6galitd
maintenant av&6re de certaines activit6s de l’association, solution de droit public,
devrait dor6navant permettre d’en emp~cher
les
contrevenants A des sanctions p6nales. Quelques autres d6cisions judiciaires ont elles
aussi restreint des activit6s douteuses de la meme association66 . Compte tenu,
cependant, des antdc6dents disciplinaires de l’une des personnes les plus directement
concem6es 67, de la fagon dont le Club juridique recycle, si l’on peut dire, l’arret
Fortin c. Chretien68, et surtout du sort subi par certains des adh6rents de cette
la continuation et exposer
65 Ibid. au para. 43.
66 Je pense par exemple A De Niverville c. Descdteaux [1997] A.Q. no. 448 (QL), [1997] R.J.Q.
1049, voir ci-dessous note 73, et A Lafrenibre c. Clubjuridique, [1999] J.Q. 4449 (QL) (C.A. Robert),
requ~te pour permission d’appeler rejet6e [1999] C.S.C.R. no. 574.
67 On a int6rt A prendre connaissance de la d6cision du Comit6 de discipline du Barreau du Qu6bec
dans le dossier Bernard c. Desc6teaux, no. 06-89-00412, en date du 21 mars 1990, ainsi que de la
dacision du mime comit6 entre les m~mes parties, no. 06-89-00420, en date du 23 mai 1990, pour
comprendre A quoi l’on a affaire. I1 s’agissait, semble-t-il, d’une forme aigud de qudrulence ou, peut-
8tre, d’drotomanie.
en
juridique poss~de un portail passablement
68 Comme pour beaucoup d’autres associations semblables, l’intemet est ici pleinement mis A
contribution. Le Club
ligne:
de la libert6 d’expression. L’arrt Fortin c. Chrtien y est present6 en ces termes :
conseiller dans la preparation des procedures par une personne non membre du barreau du [Q]udbec
afin de se reprdsenter devant le tribunal sans avocat. Ce jugement vaut pour tout le [C]anada grce A
des Qu6b6cois! Le Club Juridique de Laval, de Montr6al et de Qu6bec a des membres au Qudbec, au
[C]anada et dans le monde .
charg6,
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 49
association69 , il y a lieu de se demander si une rdponse plus globale, du type de celle
mise d l’essai par la Cour d’appel d’Angleterre70 , et attaquant le probl~me A sa racine,
n’est pas n6cessaire afm de contrecarrer la demande (et donc l’offre) de conseils
juridiques en violation de la Loi sur le Barreau.
risque souvent de
fausser
la partie non repr6sent~e
11. La partie non reprksentke mais conselle par le juge. Participant d un
proc~s,
la dynanique
contradictoire, au sens d’
contentieuses pratiqudes ici. Citons en exemple le cas des pr6venus non repr6sent~s
qui annoncent vouloir plaider coupable avec explications>) et qui d6voilent ensuite
au cours d’une explication avec
la poursuite des 616ments
d’information susceptibles de fonder une d6fense valable en droit. Quel doit tre alors
le r6le du procureur de la poursuite ?
le procureur de
Mais c’est le plus souvent le juge que la partie non repr~sent~e place en situation
delicate, comme en t~moignent plusieurs des sources citdes dans le rapport du Comitd
Ferland 1 . Cette question ddborde de beaucoup le sujet qui m’intdresse ici et on ne
peut donc l’aborder de front mais il faut en dire quelques mots car elle a un lien avec
la qu6rulence et les syndromes voisins. En se repr6sentant elle-meme, une partie perd
le b~n6fice d’une mise d distance ou d’une objectivation de sa situation, par un tiers
qui connaft le droit et qui lui est loyal, son avocat ; celui-ci est d’ailleurs tenu A un
devoir gdn~ral d’objectivit 72 . Moins la partie s’av&e elle-meme capable de porter un
regard critique sur sa situation, moins elle parvient, pour user d’une expression
vieillotte, A mod6rer ses transports, plus la presence de l’avocat est n6cessaire et plus
son absence se fait sentir. I1 n’y a rien d’6tonnant, dans ces conditions, A ce que le
qu6rulent pr~fre presque toujours plaider en personne. On peut bien stir tenter de
supplier l’absence d’avocat en confiant au personnel du tribunal ou au juge une
fonction d’assistance et d’information73 . C’est ce que rappelait le juge Gonthier dans
l’arrt Fortin, mais en pr6cisant qu’on atteint vite la limite de ces solutions : oLes
greffiers et greffi~res des cours fournissent 6galement une aide technique pr6cieuse
aux justiciables et les juges encadrent et guident les personnes non repr6sent6es par
des avocats dans l’exercice de leurs droits. Cependant, ils ne sauraient en aucune
69 Certains dchouent lamentablement (comme dans Vinette c. Bissonnette, [2001] J.Q. no. 1081 (QL)
(C.S. Mongeau)). D’autres ont gain de cause (comme en prerniire instance dans Place Lorraine inc. c.
Desjardins, [1998] A.Q. no. 2377 (QL), toutefois cass6 en appel: voir [2002] J.Q. no. 51), et sont
donn~s en exemple par le Club juridique –
voir cependant l’usage dplorable qui est fait de cette
dernire d6cision sur le site internet du Club juridique, dans un communiqud du 20 janvier 2002.
70 Supra note 59.
71 Supra note 34.
72 C’est m~me, o3i que l’on soit, un trait caract&istique de la fonction. En droit qudbdcois, l’art. 2.03
du Code de dontologie des avocats, R.R.Q. 1981, c. B-I, r. 1, 6nonce parmi les devoirs g~n~raux de
la profession:
canadien, on n’a pas encore formul6 de r~gles visant A expliciter le r6le du juge qui
entend une partie non repr6sent6e. Mais cela s’est fait en Australie, dans le champ du
droit familial oit, comme ici, les tribunaux font souvent face au probl~me. Aussi
disposons-nous de deux d6cisions intressantes A ce propos75 . Elles 6noncent sur la
question des parties non reprdsentdes des directives adapt6es aux proc6dures r6gies
par la Partie VII du Family Law Act 197576. Cette Partie VII a pour fmalit6 sp6cifique
l’int6rdt des enfants, qui a pr6s6ance dans ces procddures sur l’intdr& des parties.
Comme l’crivait la Cour dans l’affaire Johnson, <<[i]n cases involving children,
where contact and residence are the issues, the court is at all times constrained to act
in the best interests of the child. Generally speaking, that obligation imposes upon the
court the necessity to conduct as full and complete an enquiry into the relevant issues
as is possible, and not to be inhibited by restrictive procedures>77 . Cela justifie
certaines entorses A la proc6dure de type contradictoire, ainsi qu’une attitude plus
interventionniste de la part des juges, ce que visent A encadrer les directives sur les
parties non reprdsentdes que je reproduis en annexe dans leurs deux versions
et
successives. Cependant, c’est
l’infl~chissement qu’elle comporte, qui mritent d’dtre soulignds. En affirmant le
caract~re discr6tionnaire des interventions du juge en vertu de ces directives, en re-
formulant A la baisse les paragraphe 4, 5 et 7 de mani~re A rendre plus r6alistes les
attentes des parties non repr6sent6es, et surtout en insistant sur le fait que ces
directives ne sont pas destindes A fonder des motifs d’appel pour la partie non
l’volution entre ces deux documents,
74 Supra note 63 au para. 54.
75 Johnson and Johnson (1997) 22 Fain. L.R. 141 et Re F : Litigants in Person Guidelines [2001]
Fam. C.A. 348. La premiere de ces deux d6cisions impliquait un justiciable, mdecin de son dtat, qui
s’6tait reprdsent6 seul en premiere instance et qui, sans 6tre qu6ulent, 6tait atteint d’un trouble de la
personnalit6 qualifid par un psychiatre appel6 comme expert, de
reprdsent6 et particuli~rement intransigeant, comme le fait ressortir la d6cision en appel.
76 La Partie VII, adoptde en 1995, porte sur les proc&lures relatives aux enfants et
60B (1) The object of this Part is to ensure that children receive adequate and proper
parenting to help them achieve their full potential, and to ensure that parents fulfil their
duties, and meet their responsibilities, concerning the care, welfare and development of
their children. (2) The principles underlying these objects are that, except when it is or
would be contrary to a child’s best interests: (a) children have the right to know and be
cared for by both their parents, regardless of whether their parents are married,
separated, have never married or have never lived together ; and (b) children have a
right of contact, on a regular basis, with both their parents and with other people
significant to their care, welfare and development ; and (c) parents share duties and
responsibilities concerning the care, welfare and development of their children ; and (d)
parents should agree about the future parenting of their children.
17 (1997) 22 Fam. L.R. 141, au para. 121.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 49
repr~sent~e, la Cour, par sa decision du 6 juin 2001 “, signale les limites inhrentes de
cette solution. Et elle le fait 6loquemment, en dissipant certaines illusions sur l’acc~s
A la justice” , lequel est peut-8tre mieux servi, en fm de compte, par des mesures
extrieures au pr~toire, comme celles adoptdes par la Cour d’appel d’Angleterre8 ,
que par des lignes de conduite peu rfalistes. Ce qui est sr, en tout cas, c’est que de
telles directives risquent d’etre sans grand effet sur l’authentique qu~rulent qui lui, au
contraire, y trouvera des motifs additionnels de contestation.
III. Quelques mesures correctives actuellement utilis~es par les
tribunaux
12. Vue d’ensemble. I1 existe en droit local une gamme de mesures correctives
pour remddier aux abus de procddure, dont certaines sont on ne peut plus classiques
(ex. l’action en dommages-intfr&s pour abus de droit) et d’autres de crdation
relativement rfcente (ex. la requ~te pour rejet selon les Art. 75.1 et 75.2 C.p.c.). Le
problfme n’est pas nouveau et on le retrouve dans tous les grands systfmes de droit
occidentaux. Certains ont d’ailleurs sdcrt6 une jurisprudence abondante sur les
critfres permettant de calibrer l’abus de procfdure”, une question que j’avais 6tudi6
78 [2001] Fam. C.A. 348, aux paras. 224-250.
79 Ibid. aux paras. 242-243 :
It should be recognised that persons who represent themselves are almost always at a
disadvantage in legal proceedings. Advocacy is a professional skill that has almost
always been performed by highly trained lawyers in our legal system. They not only
bring those skills to bear but also professional objectivity that a litigant in person lacks,
particularly in family law proceedings. It is simply not possible to create a level playing
field [rdfdrence au point 7 de la premiere version des directives] where one party is
represented by a professional and the other is not. Thus, to provide a guideline to judges
of this type, if applied literally, not only sets the judge an impossible task but is likely to
create unreal expectations on the part of the litigant in person and at the same time give
a false impression of lack of impartiality by the judge to the party who is represented.
[…] Litigants may be self-represented by choice or increasingly, as a result of being
unable to afford representation while at the same time failing to qualify for legal aid.
The Court is moving to deal with this situation in a number of ways but it cannot by the
use of guidelines affect its obligation to conduct trials according to law.
80 Supra note 63.
81 La jurisprudence est bien foumie ici meme, ainsi que dans les provinces de common law et en
Angleterre – plus qu’en France, par exemple, oit le probl~me est gdndralement trait6 sur le plan de la
responsabilitd civile plut6t que sur celui du droit judiciaire. Le caractre inquisitoire de la procedure
suivie en France y est probablement pour beaucoup. Par ailleurs, c’est sans conteste en droit amdricain
que l’on trouve le foisonnement le plus riche de d6cisions judiciaires sur cette question. Si sur ces
questions le droit des dtats est parfois, comme dans le cas de la Californie, tr~s ddveloppd, c’est en
droit f&tdral que l’on trouve la cdlfbre R~gle 11 des Federal Rules of Civil Procedure. Celle-ci a
inspir6 A elle seule plusieurs centaines de decisions publides, dont beaucoup sont intdressantes pour le
type de sanction imposfe au plaideur abusif. Outre le rejet du recours abusif et les dommages accordas
A la victime, ces sanctions comprennent diverses restrictions sur les recours futurs ou, dans les cas les
2004]
Y -M. MORISSETTE – ABUS DE DROIT
dans un article paru en 198482. Je m’en tiendrai ici A la jurisprudence qui intdresse
plus directement la qurulence et les syndromes voisins, sans revenir sur la question
des drpens frustratoires rrcemment illustrde par l’affaire Tlsserand Entreprises inc. c.
Gentra Canada Investment Inc. 83 Deux aspects me semblent d’actualitd : l’utilisation
qui est maintenant faite, en droit anglais comme en droit qudbdcois, des pouvoirs
inhrents des tribunaux, et une tendance 6mergente dans la jurisprudence sur l’abus
de droit. A cela s’ajoutent bien entendu les innovations jurisprudentielles ddjA prises
en consideration aux paras. 11-13 ci-dessus.
13. Origine et portre actuele du pouvoir inherent en droit anglais. Les
ordonnances se rapportant au pouvoir inherent des tribunaux existent depuis plus
d’un si~cle en droit anglais et il est probable qu’elles se pratiquaient longtemps avant
que les tribunaux n’en consacrent explicitement le principe. Leur origine dans la
jurisprudence anglaise publire remonte d l’arret Grepe v. Loam 8 , ce qui explique
qu’elles soient connues sous le nom de .
fondement juridique le pouvoir inhrrent des tribunaux d’assurer le drroulement juste
et 6quitable des procedures qui s’instruisent devant eux et, de fagon plus grndrale, de
maintenir l’intrgritd de l’administration de la justice. Lord Woolf, A l’dpoque Master
of the Rolls, en a mrticuleusement retrac6 l’dvolution dans Ebert v. Venvi 8>. La
question prdcise qui se posait dans cette affaire 6tait de savoir si, dans l’exercice du
pouvoir inherent en question, la High Court pouvait assujettir A l’exigence d’une
autorisation prralable de l’un de ses juges l’exercice d’un recours futur, d’un recours
dans un autre district de la mdme cour, ou d’un recours devant une autre juridiction
(en 1’esp~ce, le County Court). L’existence dans la 16gislation britannique d’une
disposition visant sprcifiquement les recours vexatoires 86 et crrant une procddure
‘injonction : voir respectivement Bigsby v. Runyon, 950 F. Supp. 761 (1996) (Lexis),
plus lourds,
certiorari refis6 522 U.S. 1118, et Merrigan v. Affiliated Bankshares of Colorado, 775 F. Supp. 1408
(1991) (Lexis), certiorari refus6 506 U.S. 823.
82 Yves-Marie Morissette, 4.’initiative judiciaire voure A 1’&chec et la responsabilitd de l’avocat ou
de son mandant> (1984) 44 R. du B. 397.
83 [1998] J.Q. no. 1665 (QL) (C.A. Proulx, Forget, Pidgeon), [1998] R.L. 581 (QL), commentd dans
Morissette, Pathologie, supra note 1 aux p. 189 et s. Pour une extension rrcente de la condamnation
aux dapens frustratoires non contre ‘avocat mais contre un tiers (en l’occurrence contre l’actionnaire
et l’administrateur de la demanderesse), voir Plastocap inc. c. Bundock, [2000] J.Q. 4715 (QL) (C.S.
Babin).
84 [1887] 37 Ch. D. 168 (C.A.) tel que cit6 dans Ebert v. Venril, infra note 85.
85 [2000] Ch. 484 (C.A.), [1999] 3 W.L.R. 670 [avec renvois aux W.L.R.] ; compte tenu du nombre
de dacisions qui peuvent 6tre consultes sous ce nom par l’entremise de la banque Lexis ((England and
Wales Reported and Unreported Cases>, il est utile de pr~ciser qu’il s’agit ici d’un jugement du 30
mars 1999.
86 II s’agit de l’art. 42 du Supreme Court Act 1981, dont l’origine lointaine est le Vexatious Actions
Act 1896. L’art. 42 est reproduit ici en annexe ; qu’iI suffise de signaler pour le moment qu’il permet
un contr6le tr&s dtendu sur les agissements d’un justiciable, mais que ce contr6le ne peut 8tre exercd
qu’A la demande du Procureur grnrral. Voir A titre d’illustration, dans un cas apparent et grave de
qurulence, H.M Attorney General v. Nyantekyi, [2001] E.W.H.C. Admin. 845 (Lexis).
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 49
distincte A cette fm donnait naissance A une complication : le Parlement avait-il
souhaitd que cette proc6dure prenne la place du pouvoir inh6rent exercd dans Grepe v.
Loam ? Malgr6 quelques d6cisions en sens contraires en Nouvelle-ZM1ande et en
Australie, dont un arrt de la High Court of Australia87 , la Cour d’appel dans Ebert v.
Venvil conclut que le pouvoir inherent a une port6e 6tendue, qu’il a d6jA 6t6 exerc6 de
la sorte, et qu’il comprend sfirement la facult d’assujettir A un contr6le les recours
futurs” comme les recours exerc6s devant le County Court (afortiori du fait que cette
juridiction est elle-meme soumise au pouvoir de contr6le de la High Court). Mais le
pouvoir inherent des tribunaux ne suffit pas n6cessairement A la tdche. Ainsi, quelque
temps apr~s la d6cision Ebert v. Venvil s’instruisait une demande d’injonction du
Procureur g6n~ral qui devait mener le 21 septembre 2001 A un jugement de deux
juges de la High Court (Queen’s Bench Division – Administrative Court) dans le
dossier Attorney General v. Ebert89 . Malgr6 quatre Grepe v. Loam orders prononc6
contre lui, et une ordonnance obtenue par le Procureur g6n6ral en vertu de la
disposition 16gislative ddjA 6voqu6e plus haut , Ebert, selon la preuve, persistait et
avait notamment pr6sent6 en trois ans et demi 151 demandes d’autorisation pour
amorcer de nouvelles procddures judiciaires. En cours de route, il s’6tait comport6 de
mani~re proprement outrageante envers le personnel des greffes. Aussi le Procureur
g.n6ral demandait-il qu’Ebert se voie dor6navant interdire l’acc6s physique au palais
de justice, sauf permission 6crite de la cour, obtenue sur demande pr6sent6e et
tranch6e par 6crit. La Cour fait droit A la requete du Procureur g6n6ral, constatant
qu’elle fait face ici A <>
du droit anglais n’a pas encore donn6 lieu ici A un d~bat aussi serre que celui de
l’affaire Ebert v. Venvil. Quoi qu’il en soit, les modalitds de ces ordonnances, qu’elles
soient accord~es dans l’exercice du pouvoir inherent ou en r~ponse A une demande
termes : <
92 1I s’agit de I’article de I.H. Jacob, The Inherent Jurisdiction of the Court> (1970) 23 Curr. Legal
Probs. 23, que Lord Woolf introduit ainsi :
We prefer to approach the issues from a standpoint of principle. Doing so, the starting
point must be the extensive nature of the inherent jurisdiction of any court to prevent its
procedure being abused. We see no reason why, absent the intervention of a statute
cutting down the jurisdiction, that jurisdiction should apply only in relation to existing
proceedings and not to vexatious proceedings which are manifestly threatened but not
yet initiated.
Plus loin, il cite le passage suivant de l’article de Jacob, p. 44, passage qui n’est pas d~nu6 de difficult:
I should conclude this aspect of inherent jurisdiction by emphasising that the inherent
power of a court by summary process to stay or dismiss an action is not confined to
closed categories of cases, of which vexatious suits is one illustration but is a power
which is exercisable in any situation where the requirements of justice demand but not
where there is no such requirement.
93 Supra note 8. On notera, incidemment, que l’arret Grepe v. Loam, supra note 84, n’est pas
mentionn6 dans cette decision.
94 Voir Mazhero v. Yukon (Ombudsman & Privacy Commissioner), [2001] YJ. no. 49, au para. 43.
95 Le Tribunal des droits de la personne s’est pr~valu de ce pouvoir dans Chayer c. Commission
scolaire Marguerite-Bourgeoys, [1998] J.T.D.P.Q. no. 46 (QL) [Chayer] et la question a dtd 6tudide
dans Office municipal d’habitation de Montral c. Simard, [2000] J.Q. no.1396 (C.Q.) (QL) ofi le juge
Aznar conclut, avec raison il me semble, qu’un tribunal administratif –
la R6gie du logement – ne
peut, A la difference de la Cour du Quebec, exercer le pouvoir en question en l’absence d’un texte
legal explicite. Dans Office municipal d’habitation de Montrdal c. Simard, [2001] J.Q. no. 3758 (C.S.)
(QL), la Cour sup~rieure rejetait une demande de la mgme partie requdrante pour faire daclarer
vexatoires les intiatives du m~me intim6.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 49
d’injonction, sont multiples. Elles comprennent selon la jurisprudence publide96 (1)
l’interdiction faite A la partie visde d’intenter de nouvelles procddures ou de continuer
des procedures ddjAi intentdes devant la Cour sup~rieure ou dans un district donn6 –
procedures dont l’ordonnance precise parfois qui doit en 8tre la cible ou quel doit en
6tre l’objet –
sans l’autorisation pr~alable du juge responsable de la juridiction
concemde; (2) l’interdiction faite d la partie visde d’intenter quelque procddure que
ce soit, civile, p6nale ou administrative, y compris une assignation par sub poena,
contre une personne physique ou morale nomm6ment d6sign6e, et l’interdiction
d’inciter quiconque A faire de m~me, sans l’autorisation prdalable du juge responsable
de la juridiction concemde ; (3) l’interdiction faite A la partie vis6e de communiquer
par tdlcopieur ou par td~lphone, directement ou par personne interpos~e, avec un
juge ou un membre du personnel du palais de justice; (4) l’interdiction faite aux
avocats et au personnel de l’Aide juridique de transmettre A une personne physique
ou morale nomm~ment d6sign6e ou A ses avocats quelque procedure que ce soit en
provenance de la partie vis~e sans l’autorisation pr~alable du juge responsable de la
juridiction concemde ; (5) l’interdiction faite aux greffiers et autres fonctionnaires de
la cour de recevoir, d~livrer, timbrer, enregistrer au plumitif ou mettre au r6le
d’audience les procedures provenant de la partie vis~e si elles ne sont pas valablement
autoris~es ; (6) l’interdiction faite aux huissiers de signifier de telles proc6dures si
elles ne sont pas valablement autorisdes ; et (7) l’interdiction faite A la partie vis~e de
d~poser des plaintes ou de former des griefs contre un ou plusieurs membres du
Barreau, ou de l’Ordre des m6decins, autrement que par l’entremise du syndic et
selon la loi. Le choix de la procedure d’injonction dans quelques-uns de ces cas
semble avoir 6 dictd par le fait que la partie requ~rante souhaitait voir inclure dans
l’ordonnance des conclusions dtrang~res au d~roulement de la proc6dure devant la
Cour elle-m~me –
et qui concemaient, par exemple, le processus disciplinaire dans
un ordre professionnel. Dans toutes les affaires publi~es sauf une, la partie vis6e se
reprdsentait elle-meme97 . Signalons en dernier lieu que les tribunaux se montrent
96 1 s’agit, en ordre chronologique, des affaires Yorke, supra note 8, Nguiagain c. Quebec
(Comission de lafonction publique), [1996] A.Q. no. 3434 (QL) (C.S. Barakett), [1996] R.J.Q. 3009,
requete pour permission d’en appeler rejetde, [1997] C.S.C.R. no 74, Droit de lafamille –
2500, J.E.
96-1846 (QL) (C.A. Brossard, Rousseau-Houle, Philippon), De Niverville c. Desc6teaux, [ 1997] A.Q.
no. 448 (QL) (C.S. Rolland), [1997] R.J.Q. 1049, Barreau du Quebec c. Siminski, [1999] J.Q. no.
1568 (QL) (C.S. Chaput), Byer c. Quibec (Inspecteurgngral des institutions financi~res) [1999] J.Q.
no. 5789 (QL) (C.S. Fraiberg), [2000] R.L. 615 (QL), requite pour permission d’en appeler rejetde,
[2000] C.S.C.R. no. 529 (QL), Calais Dveloppement Inc., syndic c. Drazin, [1999] J.Q. no. 5791
(QL) (C.S. Guibault) [Drazin], [2000] R.R.A. 202 (QL), Chayer, ibid. (T.D.P.Q. Sheehan), Fabrikant
c. Corbin, [2000] J.Q. no. 2924 (QL) (C.S. Rolland), Lecours c. Pilon, [2000] J.Q. no. 4953 (QL)
(C.S. Picard) (voir aussi, visant la meme partie, Lecours c. Association des vacanciers du Lac
Morency, [2001] J.Q. no. 5072 (QL) (C.S. Crdpeau), au para. 130), Jonqui re (Ville) c. Simard, [2001]
J.Q. no. 3224 (QL) (C.S. Banford).
97 Le dossier Chayer, supra note 95, ne donne pas d’indication sur ce point mais tout indique que
l’intime se reprdsentait elle-mdme. Dans le dossier Drazin, supra note 96, la parie vis6e par
l’ordonnance dtait reprdsente par un avocat dont le comportement au cours du litige est sdvbrement
censurd par la Cour.
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Y-M. MORISSETTE – ABUS DE DROIT
fort prudents avant de declarer qu’un plaideur est
n6anmoins
vexatoire 98 ,
reconnaissant que la multiplication des recours n’est pas en soi synonyme d’abus et
que dans un litige les meilleures intentions peuvent mener A une ddt~rioration
catastrophique des relations entre les parties99 .
15. Abus de droit et frais extrajudiciaires. Nous touchons ici A un domaine
plus vaste que celui de la qurulence : l’intransigeance dans l’exercice d’un droit, ou
d’un droit pr~tendu, et les cons6quences qu’elle entraine pour la personne qui, se
heurtant A cette intransigeance, est contrainte d’encourir des frais de justice pour
surmonter la situation. Meme si, th~oriquement, rien n’emp~che de conclure qu’une
partie revendiquant la sanction d’un droit au fond (par ex., un droit de propridt6) peut
abuser ipso facto de son droit d’ester en justice, de telles situations dtaient jusqu’d
r6cemment tr~s inhabituelles en droit0 . Le plus souvent, comme dans les cas
typiques de troubles de voisinage, c’est la victime de l’abus de droit, et non celui qui
abuse de son droit de propridtd, qui exercera un recours en justice pour obtenir
d6dommagement ; on l’indemnisera alors pour le prjudice qu’elle a subi au fond. Sur
un plan conceptuel, si l’abus d’un droit au fond 6tait susceptible, ds qu’il se traduit
par une contestation judiciaire, de constituer par surcroit un abus du droit d’ester en
justice, on ne devrait faire aucune distinction entre demandeurs et dafendeurs. En
effet, comme il est tout A fait possible d’abuser du droit d’ester en justice en d6fense
comme en demande, opposer une dafense ferme A une action pour abus de droit
6ventuellement couronn6e de succ~s devrait selon ce raisonnement 6quivaloir A un
abus du droit d’ester en justice. Or, As ma connaissance, ce n’est pas ainsi que les
tribunaux ont traditionnellement trait6 le problme 1. Peut-8tre est-ce attribuable au
particularisme du rgime des dapens et des frais de justice, rdgime dont il a toujours
t6 accept6 qu’il ne permet pas, normalement, d’indemniser la partie victorieuse pour
la totalit6 des d6penses qu’elle aura encourues dans la dafense de ses droits. A
mesure, cependant, que l’dcart s’61argit entre d’une part les frais et d6pens tarif6s, et
d’autre part le coot rdel d’une action en justice victorieuse, on souhaitera mieux
indemniser la partie qui s’est appauvrie pour obtenir gain de cause. Dans ces
conditions, il devient tentant, das que l’on est en prdsence d’un abus de droit au fond,
98 Voir Girouard c. Vincent, R.E.J.B. 2000-22219 (C.S. Dalphond), Financibre Banque Nationale c.
Shaw, [2001] J.Q. no. 2396 (QL) (C.S. Melangon) et Office municipal d’habitation de Montrjal c.
Simard, [20013 J.Q. no. 3758 (QL) (C.S. Chrdtien).
99 Une vdritd qu’illustre bien, par exemple, l’affaire Maison du Parc c. Chayer, [2001] J.Q. no. 2663
(QL) (C.S. Julien).
100 Inhabituelles mais pas inconnues des tribunaux : voir par exemple Fortin c. Weynandt, [1976]
C.S. 161, oA la Cour qualifie d’abusif le recours d’une partie revendiquant de mani~re intraitable le
droit A une ancienne servitude devenue inutile.
101 Pour prendre un exemple des plus connus, il n’est nulle part question dans Drysdale c. Dugas,
(1896) 26 S.C.R. 20 que le d6fendeur Drysdale, condarn
aux ddpens parce qu’il est d6boutd en
appel, a commis un abus du droit d’ester en justice en s’obstinant A poursuivre la contestation sur son
prtendu droit d’exploiter une 6curie bruyante et nausdabonde.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 49
de laisser s’estomper la distinction dvoqure plus haut et d’accorder en sus des frais et
drpens les honoraires extrajudiciaires encourus par la victime de l’abus.
Peut-8tre observe-t-on actuellement dans la jurisprudence qudb6coise rrcente une
tendance dans ce sens. C’est ce qui semble ressortir de l’arr& Choueke c. Coopirative
d’habitation Jeanne-Mance2 , dossier oii un juge de premi&e instance accueille une
action de la partie demanderesse fondae sur un bail, et oii une majoritd de la Cour
d’appel casse cette dacision, deux de ses
la demande
reconventionnelle du dafendeur et lui accordant pour cause d’abus de droit de la part
de la demanderesse des donmages substantiels correspondant aux honoraires
extrajudiciaires qu’il a encourus, le juge dissident se contentant de accueillir l’appel,
sans accorder au dafendeur
r~clame pour honoraires
extrajudiciaires. Ce jugement avait 6t6 prdcrd6 de plusieurs decisions comparables
par des tribunaux de premi&re instance’ 3 .
les dommages qu’il
juges accueillant
VoilA une tendance jurisprudentielle qui donne A rrfl~chir, ne serait-ce que sur les
insuffisances de la tarification actuelle en mati~re d’honoraires judiciaires. Si elle
persistait, elle l~verait d’autres obstacles auxquels continuent de faire face
les
victimes de qurulence et de comportements assimilables : en effet, l’indemnisation
int6grale du dommage que subissent ces victimes prdsuppose dans la plupart des cas
une procedure distincte, et elle-mme cofiteuse, pour abus de droit 4 , laquelle
procedure risque d’etre une occasion pour la partie qu6rulente d’infliger un pr6judice
additionnel A son adversaire.
Mais quelques dcisions plus r~centes permettent de douter que cette tendance ne
devienne dominante : les arr~ts Viel c. Entreprises immobilibres du terroir lte”5 et
Socit Radio-Canada c. Gilles E. Niron Communication Marketing inc. ’06 rditrrent
en effet la these classique selon laquelle l’abus de droit sur le fond ne conduit pas
nrcessairement A l’abus du droit d’ester en justice. L’existence d’un abus au fond
102 Supra note 25.
103 Voir par exemple Syndicat des salarig-e-s des Industries Leader (C.S.D.) c. Industries Leader
inc., R.E.J.B. 2001-26382 (C.S. Picard), [2001] J.Q. no. 4487 (QL), Socitj de conseils Durany inc. c.
Gravel, R.J.B.Q. 2001-25869 (C.S. Dubois), [2001] J.Q. no. 4004 (QL), Poulin c. Promutuel
Charlevoix-Montrnorency, socit mutuelle d’assurances g~njrales, R.E.J.B. 2001-24594 (C.S.
Viens), [2001] J.Q. no. 1331 (QL) et Pavilions Des Jardins inc. c. Mitallurgie Syca inc., R.E.J.B.
2001-25057 (C.Q. Mayrand). Voir aussi, cependant, Boileau c. Travailleurs et travailleuses unis de
l’alimentation et du commerce (T.U.A.C.), section
locale 501, R.E.J.B. 2001-25319 (C.S.
Champagne), [2001] J.Q. no. 3342 (QL) et Marquis c. Auxilium Technologies inc., [2001] J.Q. no.
4041 (C.S. Rayle), [2001] J.Q. no. 4041 (QL), aux paras. 107-12.
104 Je pense ici A une affaire comme le dossier Drazin, supra note 96. Une premiere manifestation de
qucrulence porte prdjudice A la partie qui en est victime sans pour autant justifier une intervention
institutionnelle du type Yorke, supra note 8. Cette partie, selon le droit commun, devra normalement
poursuivre la partie fautive pour abus du droit d’ester en justice si elle veut rrcupdrer auprrs d’elle les
drpenses qu’elle a encourues pour les honoraires extrajudiciaires de ses avocats.
105 [2002] R.J.Q. 1262 (C.A.), [2002] J.Q. no. 1056 (QL).
106 [2002] R.J.Q. 2639 (C.A.), [2002] J.Q. no. 4727 (QL).
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Y.-M. MORISSETTE- ABUS DE DROIT
n’est ni une condition nrcessaire ni une condition suffisante pour conclure A
l’existence d’un abus du droit d’ester en justice. Le reste est affaire d’apprrciation au
cas par cas, ce sur quoi d’honn~tes divergences de vue sont toujours possibles,
comme le drmontre les opinions majoritaires et minoritaires dans l’arr&t Gilles E.
Nron Communication Marketing. Cette question, et le problame plus vaste des
honoraires extrajudiciaires, ont recemment fait l’objet d’une dtude approfondie par le
Professeur Adrian Popovici. 1′ 7 I1 conclut A la nrcessitd d’une intervention l6gislative
pour remrdier A l’injustice d’un regime susceptible de placer un drfendeur, meme
lorsqu’il a gain de cause, devant un gouffre financier.
Conclusion
la jurisprudence, d6jA, rejoint
Une fois acquis que la qurulence est vdritablement un trouble s~rieux de la
personnalitd, voire une maladie mentale grave, il me semble que le droit doit
s’appliquer A en minimiser les effets dommageables, tant d’ailleurs pour ceux qui en
sont la cible (y compris les tribunaux) que pour ceux qui en sont atteints. I1 est utile
en un premier temps d’en bien connaitre la symptomatologie, et l’on constate sur ce
point que
la psychiatrie, en retenant comme
manifestations du probl~me un ensemble de
facteurs et de comportements
caractrristiques. La science mrdicale, semble-t-il, est presque impuissante devant ce
problme ; du moins est-ce l’avis de certains experts drjA cites par les tribunaux. Mais
peut-etre le droit l’est-il aussi dans l’dtat actuel des choses. En effet, malgrd le
caract~re spectaculaire, disons-le, de la jurisprudence sur les pouvoirs inhrents des
tribunaux et sur les injonctions contre des qu~rulents notoires, il n’est pas stir que la
solution soit A la mesure du problme. Le plaideur pathologiquement processif,
comme Fabrikant ici ou Ebert i Londres, reporte alors son dvolu sur le tribunal et
n’a de cesse d’obtenir de lui la permission de relancer ses recours : ainsi Ebert qui, en
trois ans, saisit non moins de 151 fois un juge de la High Court pour enfm pouvoir
recommencer A poursuivre les personnes par qui il se sentait 16s6, jusqu’A ce qu’on lui
interdise l’acc~s physique au palais de justice. Lorsque le problrme atteint cette
ampleur, et nous en avons plusieurs exemples
locaux, dont quelques-uns,
malheureusement, sont aussi teintrs de crapulerie, je pense que la privation pure et
simple de la capacitd d’exercice du droit d’ester en justice s’impose. Un curateur
devrait dans ce cas 8tre seul A pouvoir exercer les droits de l’intrress6, et comme ce
dernier sera tentd de contester sans reldiche devant les tribunaux les decisions de son
curateur, la loi (il faut 6videmment que ce soit elle) devrait prrvoir un rrgime
d’exception qui, une fois confirm6 un diagnostic rigoureux, port6 en bonne et due
forme, prive le qurrulent de sa facult de s’adresser aux tribunaux. La solution est
radicale, certes, mais adaptre A la situation. En cette dpoque de prolifdration des droits
individuels, l’idde peut etre impopulaire aupr~s du 16gislateur ou du public, mais cela
107 Adrian Popovici, <4.e sort des honoraires extrajudiciaires (2002), 62 Revue du Barreau 55, p. 124. 54 MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL [Vol. 49 tient au fait qu'ils sont mal renseign~s sur le noeud du problme. Quant au redressement des autres formes d'abus de procedure, il me semble que le droit tel qu'il existe actuellement suffit A la tdche. 2004] Y-M. MORISSE'TE - ABUS DE DROIT Annexe I Supreme Court Act 1981 (Australie) Part II Jurisdiction : The High Court: Powers Section 42 : Restriction of Vexatious Legal Proceedings (1) If, on an application made by the Attorney General under this section, the High Court is satisfied that any person has habitually and persistently and without any reasonable ground - (a) instituted vexatious civil proceedings, whether in the High Court or any inferior court, and whether against the same person or against different persons ; or (b) made vexatious applications in any civil proceedings, whether in the High Court or any inferior court, and whether instituted by him or another, or (c) instituted vexatious prosecutions (whether against the same person or different persons), the court may, after hearing that person or giving him an opportunity of being heard, make a civil proceedings order, a criminal proceedings order or an all proceedings order. (1A) In this section - "civil proceedings order" means an order that - (a) no civil proceedings shall without the leave of the High Court be instituted in any court by the person against whom the order is made ; (b) any civil proceedings instituted by him in any court before the making of the order shall not be continued by him without the leave of the High Court ; and (c) no application (other than one for leave under this section) shall be made by him, in any civil proceedings instituted in any court by any person, without the leave of the High Court; "criminal proceedings order" means an order that - (a) no information shall be laid before a justice of the peace by the person against whom the order is made without the leave of the High Court ; and (b) no application for leave to prefer a bill of indictment shall be made by him without the leave of the High Court ; and "all proceedings order" means an order which has the combined effect of the two other orders. (2) An order under subsection (1) may provide that it is to cease to have effect at the end of a specified period, but shall otherwise remain in force indefinitely. (3) Leave for the institution or continuance of, or for the making of an application in, any civil proceedings by a person who is the subject of an order for the time being in force under subsection (1) shall not be given unless the High Court is satisfied that the proceedings or application are not an abuse of the process of the court in question and that there are reasonable grounds for the proceedings or application. (3A) Leave for the laying of an information or for an application for leave to prefer a bill of indictment by a person who is the subject of an order for the time being in force under subsection (1) shall not be given unless the High Court is satisfied that the institution MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL [Vol. 49 of the prosecution is not an abuse of the criminal process and that there are reasonable grounds for the institution of the prosecution by the applicant.(4) No appeal shall lie from a decision of the High Court refusing leave required by virtue of this section. (5) A copy of any order made under subsection (1) shall be published in the London Gazette. Annexe II Directives de la Family Court of Australia (Full Court) sur les parties non reprdsentfes Les directives furent d'abord formuldes dans l'arr& Johnson and Johnson (1997), 22 Fam. L.R. 141: The obligations of trial judges when hearing cases involving unrepresented litigants under Pt VII of the Family Law Act are : (1) to inform the litigant in person of the manner in which the trial is to proceed, the order of witnesses and the party's right to cross-examine witnesses; (2) to explain to him or her any procedures relevant to the litigation; (3) to assist unrepresented litigants by taking basic information from witnesses such as name, address and occupation ; (4) to explain to the unrepresented party the effect and possible undesirability of the interposition of witnesses and the right to object to the same ; (5) to advise the litigant in person of his or her possible right to object to the tendering of evidence which is or may be inadmissible ; (6) to inform the litigant of his or her possible right to a claim of privilege in relation to a question or tendering of evidence ; (7) to ensure as far as possible that a level playing field is maintained at all times ; (8) to attempt to clarify the substance of submissions of unrepresented parties, especially where garrulous or misconceived advocacy ignores or obfuscates the substantive issues. It is undesirable for trial judges to give legal advice to a litigant in person, as: (1) it may be unfair or give the appearance of unfairness to other parties; (2) the advice given may not be with full knowledge of the facts. 2004] Y.-M. MORISSETTE- ABUS DE DROIT Ces directives furent remanides dans l'arr~t Re F : Litigants in Person Guidelines (F v. F) [2001] Fam. C.A. 348: The revised Guidelines are as follows : - 1. A judge should ensure as far as is possible that procedural fairness is afforded to all parties whether represented or appearing in person in order to ensure a fair trial ; 2. A judge should inform the litigant in person of the manner in which the trial is to proceed, the order of calling witnesses and the right which he or she has to cross examine the witnesses ; 3. Ajudge should explain to the litigant in person any procedures relevant to the litigation ; 4. A judge should generally assist the litigant in person by taking basic information from witnesses called, such as name, address and occupation; 5. If a change in the normal procedure is requested by the other parties such as the calling of witnesses out of turn the judge may, if he/she considers that there is any serious possibility of such a change causing any injustice to a litigant in person, explain to the unrepresented party the effect and perhaps the undesirability of the interposition of witnesses and his or her right to object to that course ; 6. Ajudge may provide general advice to a litigant in person that he or she has the right to object to inadmissible evidence, and to inquire whether he or she so objects. A judge is not obliged to provide advice on each occasion that particular questions or documents arise ; 7. If a question is asked, or evidence is sought to be tendered in respect of which the litigant in person has a possible claim of privilege, to inform the litigant of his or her rights ; 8. A judge should attempt to clarify the substance of the submissions of the litigant in person, especially in cases where, because of garrulous or misconceived advocacy, the substantive issues are either ignored, given little attention or obfuscated. 9. Where the interests of justice and the circumstances of the case require it, a judge may: - - - - draw attention to the law applied by the Court in determining issues before it ; question witnesses; identify applications or submissions which ought to be put to the Court ; suggest procedural steps that may be taken by a party, 58 - MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL [Vol. 49 clarify the particulars of the orders sought by a litigant in person or the bases for such orders. The above list is not intended to be exhaustive and there may well be other interventions that a judge may properly make without giving rise to an apprehension of bias.