Apparences, bonne foi et consultations internes entre d~cideurs
en droit administratif : Consolidated-Bathurst Packaging Ltd c.
Syndicat international des travailleurs du bois d’Am6rique, sec-
tion 2-69 et La Commission des relations de travail de l’Ontario
Patrick Robardet*
dans
Le 15 mars dernier, la Cour supreme du
Canada,
Consolidated-Bathurst
Packaging Ltd c. Syndicat international des
travailleurs du bois d’Amrique, section 2-69
et La Commission des relations de travail de
l’Ontario, d~cida que la tenue de reunions pld-
nitres, pour examiner l’avant-projet d’une
ordonnance d1abore par un banc plus restreint
de la Commission des relations de travail de
l’Ontario (CRTO), ne violait pas les principes
de justice naturelle.
L’auteur centre sa discussion des opinions
majoritaire et dissidente autour 1) du droit
d’atre entendu et de la rfgle audi alteram par-
tern et 2) de l’impartialit6 et de l’ind6pendance
judiciaire. L’auteur souligne que la majorit6
recherche la manifestation d’une atteinte A l’un
ou l’autre de ces principes de justice naturelle,
tandis que la minorit6 se concentre sur la pri-
maut6 des apparences. II conclut qu’en recher-
chant la preuve d’une interf6rence r6elle au
niveau de ces principes, la majorit6 fait preuve
de formalisme excessif. Toutefois, il se r6jouit
de son adoption de la technique du bilan.
L’auteur consid~re que ce dossier reste
suivre, et entrevoit une r6forme l6gislative
dans ce domaine, visant h 6tablir une plus
grande uniformit6 d&cisionnelle en droit admi-
nistratif canadien.
On March 15, 1990, the Supreme Court of
Canada, in Consolidated-Bathurst Ltd v.
International Woodworkers of America, Local
2-69 and The Ontario Labour Relations
Board, held that the practice of holding a full
board meeting to discuss a draft decision pre-
pared by a three-person panel was not a viola-
tion of the rules of natural justice.
The author focusses his discussion of the
majority and dissenting opinions on 1) the
right to be heard and the audi alteram partern
rule and 2) the independence and absence of
bias on the part of an adjudicator. The author
maintains that the majority looks for an exter-
nal manifestation of the infringement of either
of these principles of natural justice, whereas
the dissent focusses on appearances. He con-
cludes that the majority’s concern with pro-
ving actual interference with these principles
is overly formalistic. However, he welcomes
its adoption of the “balance-sheet approach”.
Finally, he considers that it will be interesting
to follow the issues raised by this case and
foresees the enactment of legislation to
increase uniformity in Canadian administra-
tive law decisions.
* LL.L., LL.M., LL.D., Coordonnateur, Section du droit administratif, Commission de r6forme
du droit du Canada.
Revue de droit de McGill
McGill Law Journal 1990
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 35
I.
Introduction
L’arr& rendu le 15 mars dernier par la Cour supreme du Canada dans l’af-
faire Consolidated-Bathurst Packaging Ltd c. Syndicat international des tra-
vailleurs du bois d’Amdrique, section 2-69 et La Commission des relations de
travail de l’Ontario’ vise la ldgalit6 d’une pratique habituelle de la Commission
des relations de travail de l’Ontario [ci-apr~s la CRTO], de soumettre A l’exa-
men d’une r6union pl6ni~re les avant-projets d’ordonnances 61abor6s par un
banc plus restreint avant que ce demier ne les rende, lorsque ces ordonnances
touchent des principes g6n6raux.
A. Les faits de l’espce
Le litige r6sultait d’une decision de la CRTO statuant que lors de n6gocia-
tions visant la signature d’une convention collective, la Compagnie
Consolidated-Bathurst avait refus6 de n6gocier de bonne foi en ne divulguant
pas qu’elle projetait de fermer l’usine en question. Le banc saisi du dossier dut
d6cider si le projet de la compagnie constituait en r6alit6 une decision de facto
que celle-ci aurait dfi divulguer au syndicat. A cette fin, la CRTO dut decider
si elle devait modifier –
ses crit6res de qualification
d’une telle decision. Cette question de principe (ou de << politique >>), la CRTO
la ddbattut lors d’une r6union pl6ni~re. Inform~e de son d6roulement, la com-
pagnie pr6senta une demande de rdexamen de la ddcision initiale pour le motif,
notamment, que la tenue de rdunions pl6ni~res 6tait ill6gale. Le refus de la
CRTO de proc6der A ce r~examen au motif que de telles r6unions ne violaient
pas les principes de justice naturelle, entraina une demande de controle
judiciaire.
ce qu’elle ne fit pas –
La CRTO justifiait sa pratique en invoquant la n~cessit6 de promouvoir la
coh6rence de ses decisions et d’y maintenir un haut niveau de qualit6, sans
imposer ni viser une uniformit6 absolue. Selon la CRTO, les r6unions pl6ni~res
ne portent que sur des questions de politique et non pas sur les faits de chaque
dossier, elles ne comprennent pas de prise de vote et de presence, et, destin6es
faire partager des ides g~n~rales et des exp6riences de travail, elles res-
semblent aux consultations tenues par les juges apr~s les audiences avec leurs
clercs, ou aux discussions informelles entre coll~gues juges.
1[1990] 1 R.C.S. 282, 105 N.R. 161 [ci-apr~s Consolidated-Bathurst cit6 aux R.C.S.], conf.
(1986), 56 O.R. (2d) 513 (C.A.), inf. (1985), 51 O.R. (2d) 481 (Div. Ct). Les jugements rendus en
Cour supreme du Canada le furent pour la majorit6 par le juge Gonthier (pour lui-meme et lesjuges
Wilson, La Forest, L’Heureux-Dub6 et McLachlin) et pour la minorit6 par le juge Sopinka (pour
lui-m~me et le juge Lamer). Le jugement unanime de la Cour d’appel de l’Ontario fut rendu par
le juge Cory, et ceux de la Cour divisionnaire de l’Ontario, par le juge Rosenberg (pour lui-meme
et le juge Holland) et par le juge Osler, dissident.
1990]
CASE COMMENTS
B. Les jugements des trois instances
Par un jugement majoritaire du juge Rosenberg (et du juge Holland), la
Cour divisionnaire accueillit la demande de r6vision judiciaire au motif de la
violation de la r~gle audi alteram partem. La position dissidente du juge Osler
sur ce point fiat approuv6e dans les motifs principaux enonc6s par le juge Cory
dans l’arret unanime d’appel. Cet arret pr6cise toutefois les balises de la proc6-
dure de r6union pl6ni~re. Le pourvoi entrepris contre l’arret d’appel fiat rejet6
par une majorit6 de cinq juges en Cour supreme du Canada, contre une double
opinion dissidente qui reprend les motifs de la majorit6 en Cour divisionnaire
de l’Ontario.
Le juge Gonthier (au nom de la majorit6 en Cour supreme) aborde la vali-
dit6 de la proc6dure de la r6union pl6ni~re dans la double optique des deux
laquelle i rattache le prin-
r~gles de justice naturelle, celle de l’impartialit6 –
cipe
l’abri de pressions indues susceptibles de les faire changer d’avis –
fussent
et celle du droit d’6tre entendu, retenu en 1’esp6ce comme motif principal’. Les
juges Sopinka et Lamer, dissidents, se sont, par contre, fond6s sur le droit d’&re
entendu. Examinons les diffdrents points de vue exprim6s en les regroupant
autour des deux notions du droit d’8tre entendu et d’impartialit6.
II. La r~gle audi alteram partem, le droit d’etre entendu et les << discus- sions de politique >
A. Selon la minoriti, la violation de a r~gle s’apprdcie dans les apparences
et le risque couru, et non pas selon un bilan de l’utilitg de la procedure
litigieuse
Le juge Sopinka (et le juge Lamer), dissident en Cour supreme, centre le
d6bat sur la question suivante : y a-t-il eu violation de la r~gle < he who decides
must hear > et du droit de connaitre la preuve invoqu6e contre so? ? Le juge
Sopinka retient l’apparence comme crit~re applicable: < en mati~re d'atteinte A
21bid. 4 la p. 322.
3Ibid.
4Ibid.
la p. 292.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 35
l'int6grit6 du processus d6cisionnel, il suffit qu'il y ait apparence d'injustice >> .
Par comparaison, l’opinion majoritaire du Juge Gonthier applique la tech-
nique d’un bilan coflts/avantages A la proc6dure de la r6union pl6ni~re. Cette
technique suppose une hi6rarchisation de certains principes (ou valeurs), sus-
ceptible, comme le montre l’esp~ce, d’opposer des points de vue.
Dans la hi6rachie des valeurs adopt6e par les deux juges minoritaires, la
pr6servation de l’int6grit6 et de l’6quit6 du processus dolt primer sur toute autre
consid6ration en mati~re de justice naturelle6. Ce souci les conduit h pr6f6rer
une compr6hension fonctionnelle des processus A l’apparence des formes des
d6cisions en r6sultant7 –
sinon, il suffirait, par exemple, de relever que seuls
les membres qui si6geaient lors de l’audience ont
t6 les auteurs de la d6cision
pour conclure a la validit6 du processus. Cette manire d’aborder la proc6dure
des organismes administratifs, de pr6ciser le juge Sopinka, permet d’6valuer la
place des politiques en fonction de ‘6volution du droit relatif t la classifica-
tion des tribunaux et A l’application des r~gles de justice naturelle et d’6quit6 a
leur endroit >>, depuis l’arr&t Nicholson de 1979’. D~s lors, un d6ni de justice
naturelle dolt 6tre appr6ci6 en tenant compte de l’obligation pour un tribunal
donn6 de d6voiler la politique qu’il s’apprte A examiner et appliquer et de don-
ner aux parties la possibilit6 d’en d6battre lors d’une audience 9. Mais, pour la
minorit6, cette primaut6 du droit d’etre entendu (selon l’acception large
actuelle) ne peut 8tre limitde que par des restrictions formelles et expresses, telle
une autorisation 16gislative de faire primer l’uniformisation des d6cisions sur le
respect de la justice naturelle0 . tgalement, selon le juge Sopinka, la retenue
judiciaire en mati6re de latitude proc6durale des organismes administratifs” doit
5lbid. A lap. 296. Globalement, cette demarche 6pouse celle de l’opinion majoritaire de la Cour
divisionnaire de l’Ontario, ax0e sur une application stricte de la r~gle audi alteram partem, fond~e
sur la nature contradictoire du processus d6cisionnel en cause et sur le principe de sa transparence.
Voir les notes du juge Rosenberg, supra, note 1, 51 O.R. (2d) aux pp. 486-87, pour qui la tenue
de r6unions pl6ni~res viole le droit d’etre entendu de ]a compagnie demanderesse car elle < would
have no way of knowing what was being said in these discussions and no opportunity to respond >,
ibid. A la p. 492. En effet, le juge Rosenberg souligne, A lap. 492, que ces r6unions involved a
substantial risk that opinions would be advanced by others and arguments presented. […] Surely,
the discussion would involve policy reasons why s.15 should be given either a broad or narrow
interpretation. Members or support staff might relate matters from their own practical experience
which might be tantamount to giving evidence >> [nous soulignons].
6Supra, note 1 aux pp. 298-99.
71bid. A lap. 299, M. le juge Sopinka: il s’agit d’< examiner le r6le des politiques dans le pro-
cessus dcisionnel des tribunaux administratifs >.
SNicholson c. Haldimand-Norfolk Police Commrs Bd, [1979] 1 R.C.S. 311, 88 D.L.R. (3d) 671,
“Cette latitude est notamment reconnue par l’arr&t Komo Construction Inc. c. Commission des
relations de travail du Quibec, [1968] R.C.S. 172, 1 D.L.R. (3d) 125, que l’on peut consid6rer
cit6 a ]a p. 301.
nitres, et A la p. 305.
91bid. t la p. 301.
lVoir ibid. A la p. 298 sur I’absence de rfgles de proc&lure formelles visant les r6unions pli-
1990]
CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE
c6der devant une obligation statutaire d’entendre quand cette derni~re << consti-
tue une limite expresse que la Loi impose au contr~le de la Commission sur sa
proc6dure >>2 Cette proposition r6affirme la sup6riorit6 normative du droit 6crit
sur le juge, selon laquelle l’interpr6tation judiciaire des textes ne doit pas servir
A en 6luder la port6e13.
B. La technique du bilan comme moyen d’valuer une violation de lajustice
naturelle, selon l’opinion majoritaire du juge Gonthier
L’id6e directrice de la majorit6 est la suivante : << les r~gles de justice natu-
relle doivent tenir compte des contraintes institutionnelles auxquelles les tribu-
naux administratifs sont soumis >> et des objectifs de leur cr6ation (efficacit6,
entendu dans le cadre de la technique du bilan qu’il d6finit, de m~me qu’il rela-
tivise le contenu des r~gles de justice naturelle 15.
L’exclusion d’une primaut6 de principe des droits des parties est confirm6e
par une deuxi~me proposition. L’opinion majoritaire ne se limitera pas, en fin
de solde du bilan, d6gager de l’exp6rience experte de l’organisme la justifica-
tion de la proc6dure de r6union pl~ni~re mais l’incorporera dans 1’id6e directrice
de ‘application des r~gles de justice naturelle. En effet, selon la majorit6, au
lieu de < dissuader les organismes administratifs de tirer profit de l'exp6rience
acquise par leurs membres ... les r~gles de justice naturelle devraient, par leur
application, concilier les caract6dristiques et les exigences du processus d6cision-
nel des tribunaux sp6cialis6s avec les droits des parties en mati~re de proce-
dure >16.
1.
L’objet de la technique du bilan: un tableau des coflts et avantages
L’objet du bilan 4 dresser est le suivant:
La question principale est de savoir si, vu l’importance de la question de politique
en cause en 1’espkce et la n6cessit6 de maintenir un niveau 6lev6 de qualit6 et de
coh6rence dans les d6cisions de la Commission, les r~gles de justice naturelle per-
comme un tr~s bel exemple de concision judiciaire, grace bt la plume de feu le juge Pigeon. La cita-
tion de cet arrlt par le juge Sopinka m6rite d’8tre signal6e car la jurisprudence n’en a g6n~ralement
pas fait grand cas, malheureusement.
12Supra, note 1 A la p. 307.
13Cette idle, dont l’avenir est 4 suivre, on la retrouve, toujours sous la plume dissidente du juge
Sopinka, mais 6tendue aux rapports du contrat, de la loi 6crite et du droit commun jurisprudentiel,
dans l’arrat r6cent Board of Education of the Indian Head School Division No.19 of Saskatchewan
c. Knight, [1990] 1 R.C.S. 653, dans lequel le juge Sopinka fait valoir qu’une obligation d’dquit
doit 8tre dtablie par les textes pertinents et non pas prdsum6e s’appliquer.
14Supra, note 1 aux pp. 323-24.
15Ceci fut r6affirm6 rcemment, par exemple, par l’arr& Knight, supra, note 13.
16Supra, note 1
la p. 327, M. le juge Gonthier.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 35
mettent la tenue d’une runion pl~ni~re de la Commission sous r6serve des con-
ditions expos6es par la Cour d’appel et, dans la n6gative, si une procedure qui per-
met aux parties d’8tre pr6sentes, telle une audience pl6nihre de ]a Commission, est
la seule autre solution acceptable17.
Cette position, qui reproduit en partie les motifs du juge Osler, dissident en
Cour divisionnaire et du juge Cory pour la Cour d’appel, est axde principale-
ment sur les avantages de la rdunion pldni~re en tant que moyen de r6aliser une
cohdrence ddcisionnelle en raison m8me de la nature tripartite de la CRTO”8. La
Cour d’appel de l’Ontario ajoutait que, puisque la CRTO avait l’obligation de
prendre en consid6ration les cons6quences de ses d6cisions sur l’ensemble des
rapports employeurs-employ~s, des discussions collectives constituaient un
moyen appropri 19. Plus particuli~rement, le juge Cory vit dans le caract~re
reprdsentatif de la CRTO une garantie du respect de la justice naturelle .
L’approche majoritaire en Cour supreme, par comparaison, se fonde
davantage sur l’objet du bilan. Le bilan consiste << soupeser les avantages de
la pratique de la Commission de tenir des reunions pl6ni~res en regard des
inconv6nients que comporte la tenue de d6bats en l'absence des parties >>21.
Mais, la d6monstration offerte par le juge Gonthier souligne plus le solde posi-
tif, pour la CRTO, du bilan cofits/avantages de diverses options proc6durales,
qu’elle ne refl~te un bilan des cofits et avantages proc6duraux respectifs de l’or-
ganisme et des parties, ou qu’elle n’indique l’existence d’un solde ndgatif pour
les parties. Curieusement, en effet, la fonction << utilitaire >> pour l’organisme,
comme pour les parties, de la r~gle audi alteram partem n’est pas abordde par
la majorit6 comme un 6ldment de l’6quation.
Or, abstraction faite de tout esth6tisme des formes proc6durales, la r~gle
audi alteram partem demeure un principe d’efficacit6 d6cisionnelle. Au plan
fonctionnel, ainsi que seul le juge Sopinka le souligne,
la capacit6 des juges de tribunaux administratifs de se renseigner, de mettre h pro-
fit leurs comp6tences et exp6rience et les attentes qu’ils le feront, […] accroft l’in-
portance de [l’obligation de divulguer]. La divulgation peut constituer une protec-
171bid. A a p. 324.
18Voir supra, note 1, 51 O.R. (2d) aux pp. 499-500 et, t la p. 508, M. le juge Osler:
It seems to me that, […] the practice of full board consultation on important issues may
well be a practical and desirable way of harnessing the ‘labour relations sense acquired
from accumulated experience in the area’. That potential must have been a compelling
reason for the constitution of the board as it is now found.
19Supra, note 1, 56 O.R. (2d) A la p. 515.
2Ibid. A la p. 515, M. le juge Cory:
Moreover, the tripartite membership of the Board which, by statute, includes persons
who are representatives of employers and employees will help to ensure that there is
no breach of the principles of natural justice during those discussions.
21Supra, note 1 A la p. 324, M. le juge Gonthier.
1990]
CASE COMMENTS
tion importante contre l’utilisation d’6lments inexacts ou de thories non
6prouves2.
En outre, la m6thode propos~e par la majorit6 en Cour supreme ne semble sup-
poser ni n’inclut explicitement des 6quivalences ou des correspondances, dans
les colonnes du bilan, entre, par exemple, un avantage pour une partie (par
exemple, le droit de contre-interroger) et un cofit pour l’organisme (par
exemple, une augmentation de la durde d’une audition).
2.
Les cofits d’6ventueles options de rechange
La d6marche de la majorit6 consiste, de manire significative, A avoir
d’abord pris acte de contraintes institutionneles telles que 1’ampleur des taches
et la diversit6 des statuts des membres de l’organisme’ ainsi que la nature tri-
partite de la Commission qui oblige h former des bancs de composition 6gale
entre employeurs et employ6s.
La seconde 6tape du bilan fut d’6valuer les cofits respectifs d’6ventueles
options de rechange. Selon le juge Gonthier, il faut decider si
les r~gles de justice naturelle permettent la tenue d’une r6union pl6ni~re de la
Commission sous reserve des conditions expos~es par la Cour d’appel et, dans la
n6gative, si une proc6dure qui permet aux parties d’6tre pr6sentes, telle une
audience pl6ni~re de la Commission, est la seule autre solution acceptable 24.
R~duire ainsi apparemment ‘altemative A deux options tend d6jt &t introduire un
616ment de n6cessit6 dans 1’6quation plutOt qu’& indiquer la voie d’une
6valuation effective d’alternatives proc6durales’. Cette seconde 6tape 6voque
aussi ‘application du crit~re de proportionnalit6 d6gag6 dans le cadre de 1’arti-
cle 1 de la Charte canadienne des droits et libertds.
’21bid. aux pp. 304-05, M. le juge Sopinka.
23Le juge Gonthier cite le chiffre de 3189 affaires dont la CRTO traita en 1982-83. La CRTO,
selon le dossier, se composait de 11 vice-prsidents A plein temps, 4 t temps partiel, 10 commis-
sakes permanents, 22 autres 4 temps partiel et il y avait, en moyenne, 266 affaires
entendre par
an pour le president et les vice-prsidents plein temps.
24Supra, note 1 A la p. 325. Les conditions expos6es par la Cour d’appel se r~sument A l’obli-
gation d’entendre les parties en cas de presentation de nouvelles preuves ou d’<< introduction of
fresh material >>, voir supra, note 1, 56 O.R. (2d), h la p. 517, M. le juge Cory.
25-l convient en effet de souligner que le juge Gonthier a, pr6alablement
l’argument cit6 dans
le texte, indiqu6 (voir supra, note 1 t lap. 323) que le rapport McRuer avait suggdr6 un troisi~me
module, celui de la r6union officieuse t laquelle les parties auraient le droit de rpondre aux argu-
ments soulev~s par les commissaires: voir Royal Commission Inquiry into Civil Rights, vol. 5
(Report No. 3) (Toronto : The Queen’s Printer, 1971) [ci-apr~s Rapport McRuer] aux pp. 2205-06,
portant sur le respect par un judicial tribunal (au sens particulier oi l’entendait le juge McRuer)
du principe << he who decides must hear >. Ce principe, ainsi que la recommandation du Rapport
McRuer, sont cites par le juge Rosenberg dans le jugement majoritaire de la Cour divisionnaire.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 35
Selon le juge Gonthier, la proc6dure alternative des audiences pl6ni~res
< ne serait pas forc6ment pratique dans tous les cas oi il se pr6sente une ques-
tion de politique importante >>26 car elle susciterait des < difficult~s d'organisa-
tion >>27. L’analyse semble se r6duire aux avantages de la proc6dure attaqu6e et
l’application du bilan laisse croire que l’utilit6 pour les parties de la procedure
plus formaliste de l’audience pl6ni~re a t6 sous-6valu~e, pour ne pas dire esca-
mot6e. Le bilan ne solde donc pas une < perte >> du droit d’8tre entendu et un
gain de commoditg administrative qui aurait pu etre jug6 profiter aussi aux par-
ties. La d6marche manque 6galement de clart6 sur la question de savoir si le
caract~re excessif de certains cofits institutionnels justifie la limitation des droits
particuliers. Tous ces points indiquent, compte tenu de ce que l’arrat
Consolidated-Bathurst ne faisait pas intervenir la Charte canadienne des droits
et libertds, que l’on ne peut encore pousser trop loin un parall~le entre le bilan
tel qu’il fut d6fini et appliqu6 en l’esp~ce, et les arr~ts Singh’s et Oakes29 quant
au poids de la commodit6 administrative et au crit~re de proportionnalit6
respectivement.
3.
Le solde du bilan: la justification de l’utilit6 des r6unions pl6ni~res
La justification pr6sentde par la majorit6, qui confirme celle de la Cour
d’appel, consiste en deux motifs. Premi~rement, la r6union pl6ni~re permet 4t
l’organisme de b6n6ficier de l’exp6rience acquise de tous les membres, notam-
ment de l’expertise m~me de la CRTO conque par le l6gislateur comme tribunal
sp6cialis6. Rappelons que l’objectif vis6 par la majorit6 est de ne pas dissua-
der les organismes administratifs de tirer profit de l’exp6rience acquise par leurs
membres … >>’o. Selon un deuxi~me motif, secondaire en apparence, la r6union
pl6ni~re permet d’6viter la contrari6t6 de d6cisions que pourrait engendrer, con-
trairement au principe d’6galit6 devant la loi, le grand nombre de personnes
composant les diff6rents bancs. Le juge Gonthier se limite A noter que ce prin-
cipe serait viol6 si l’issue des litiges devait d6pendre de l’identit6 des per-
sonnes qui composent le banc >>.
2Supra, note 1 h la p. 326.
27Ibid. Nous faisons r~f~rence ici au nombre d’affaires A traiter, au nombre de personnes dispon-
ibles, et 1’obligation de respecter 1’6galit6 des reprdsentants en constituant les bancs, motifs qui
rendent 6galement impraticable la troisi~me formule propos6e dans le Rapport McRuer.
uSingh c. Ministre de l’emploi et de l’immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, 17 D.L.R. (4th) 422
(sub nom. Re Singh et Ministre de 1’emploi et l’immigration).
29R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, 26 D.L.R. (4th) 200.
30Supra, note 1 A la p. 327, M. le juge Gonthier.
311bid.
1990]
CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE
4.
Le seuil de non-tol6rance de la latitude de l’organisme, ou le point de
d6clenchement de l’intervention judiciaire
D’autres 616ments 6trangers, selon nous, i la technique du bilan, sont avan-
c6s dans l’opinion majoritaire. La clause privative qui protege les d6cisions de
la CRTO est soulign6e. Ceci laisse supposer que la coh6rence juridique des
d6cisions d’un organisme 6chappe au contr~le judiciaire en vertu de la doctrine
de la decision raisonnable32. La pr6sence d’une clause privative dans notre
esp~ce conduit ainsi ‘ penser que l’arr~t majoritaire illustre, alors qu’il n’en
d6cide pas, l’application de la thorie de la retenue judiciaire au respect des
r~gles de justice naturelle. Parmi les indices en ce sens, relevons qu’afm de jus-
tifier la r6union pl6ni~re par l’expertise de la CRTO, le juge Gonthier invoque,
en premier lieu, l’arr& Socit6 des alcools du Nouveau-Brunswick33, comme le
fit la Cour d’appel de l’Ontario. L’expertise acquise par un organisme sp6cialis6
peut le < dispenser >>, premi~rement, d’entendre les parties sur les m6rites des
principes applicables t ses d6cisions, et deuxi~ment, de voir ses d6cisions sou-
mises k un contr~le judiciaire maximum en raison de << l'inf6riorit6 en exper-
tise > des juges de la 16galit6 ! D~s lors, ot situer le motif de d6clenchement de
l’intervention judiciaire ?
Une premiere r6ponse est contenue dans la conclusion voulant que l’orga-
nisme puisse prendre des mesures effectives << pour favoriser la coh6rence de
ses d6cisions [mais qui] ne doivent pas entraver la capacit6 de chacun des
membres d'un banc de d6cider selon sa conscience et ses opinions >>. Mais ceci
ne constitue pas, en v6rit6, la lirnite raisonnable de la latitude proc6durale recon-
nue A cet organisme, car, toujours selon la majorit6, la r~gle audi alteram partem
limite de mani~re multiple le recours
la r6union pl6ni~re.
En premier lieu, cette proc6dure ne peut pas permettre, sous couvert de
consulter des collfgues, de les faire participer effectivement A la prise de d6ci-
sion35. De fait, le juge Gonthier r6affirme le principe voulant que celui qui par-
32Mais, seule Ta Cour d’appel de ‘Ontario 6voque l’applicabilit6 de la doctrine de la decision
d6raisonnable aux decisions de procedure, alors que l’arrt majoritaire de la Cour supreme ne
l’aborde pas. I1 convient toutefois de souligner que la position de la Cour d’appel est conforme aux
crit~res d~finis dans l’arrt CAIMAW c. Paccar of Canada Ltd, [1989] 2 R.C.S. 983 par les juges
La Forest (crit~re du fondement rationnel) et Sopinka (crit~re du d~saccord du juge de la 16galit6).
33Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Socidt des alcools du
Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, 97 D.L.R. (3d) 417.
34Supra, note 1 t la p. 328, nous soulignons.
35Supra, note 1, 56 O.R. (2d) 4 la p. 517, M. le juge Cory:
As in any judicial or quasi-judicial proceeding, the panel should not decide the matter
upon a ground not raised at the hearing without giving the parties an opportunity for
argument. It is also an inflexible rule that while the panel may receive advice there can
be no participation by other members of the Board in the final decision.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 35
ticipe effectivement h une d6cision doit, en vertu de la maxime < he who deci-
des must hear >>, < avoir entendu la totalit6 de la preuve et des plaidoiries sou-
mises par les parties >>36. Mais, puisque la reunion pl~ni~re, < comme bien d'au-
tres pratiques judiciaires >> comporte certaines imperfections, notamment en
ce qui concerne la possibilit6 pour les parties d’&re entendues et l’ind6pendance
du d6cideur >>3′, quel am6nagement procedural peut satisfaire la r~gle audi alte-
ram partem ? Pour le juge Gonthier, < la seule violation possible de la r~gle a
lieu quand on propose une nouvelle politique ou un nouvel argument h une r6u-
nion pl~ni~re de la Commission et qu'une decision fond~e sur cette politique ou
cet argument est rendue sans qu'on accorde aux parties la possibilit6 de r6pli-
quer >>38. I1 faut en effet, de dire le juge d’appel Cory, < aviser les parties de tout
nouveau moyen A propos duquel elles n'ont pas soumis de plaidoiries >>”, voire
convoquer une audience suppldmentaire. Cependant, ce raisonnement ne vaut
pas, en dernier lieu, pour 1’6laboration de politiques de portde g6n~rale.
5.
Elaboration et application de politiques et respect de la r~gle audi alte-
ram partem
L’accord g6n6ral des trois cours sur l’applicabilit6 de la maxime he who
decides must hear >> laisse subsister dans l’ensemble des motifs des juges, qu’ils
soient majoritaires ou dissidents, des divergences significatives sur l’importance
de distinguer les questions de politique et de fait.
En Cour divisionnaire, le juge Rosenberg souligne l’imbrication des ques-
tions de fait et de politique en raison de l’impossibilit6 de d6battre des secondes
sans faire appel A 1’exp6rience et h des d6cisions ant6rieures, donc, A des faits,
et sans comparer ces faits ant6rieurs: A ceux de l’esp~ce en cause’. En Cour
supreme, le juge Sopinka, dissident, ajoute que la nature des politiques impose
la divulgation et la contradiction, car, selon la jurisprudence non contest6e de
la Cour supreme, les politiques sont trait6es comme des questions de fait plut6t
que comme du droit4″ et peuvent dos lors faire l’objet d’une preuve contraire en
La position adopt e par la Cour d’appel n’est done pas aussi lib&ale que certains l’ont pr6tendu :
voir M. Falardeau-Ramsay, < Collegiality and Decision-Making in the Aftermath of the
Consolidated-Bathurst Decision>> (1988) 1 CJ.A.L.P. 207 aux pp. 209 et 210; comparer B.A.
Crane, < Comment on the Consolidated-Bathurst Decision >> (1988) 1 C.J.A.L.P. 215.
36Supra, note 1 a la p. 329, M. le juge Gonthier (approbation de l’arrat Doyle c. Commission
37Ibid. a la p. 328.
38Ibid.
la p. 338.
391bid.
40Supra, note 1, 51 O.R. (2d) h la p. 492.
4 1Voir Capital Cities Communications Inc. c. Canadian Radio-Television Commission, [1978] 2
sur les pratiques restrictives du commerce, 1 C.F. 362 (Appel)).
R.C.S. 141, 18 N.R. 181.
1990]
CASE COMMENTS
vertu de la justice naturelle42. En cons6quence, il peut y avoir un d6ni de justice
naturelle, < [q]uoique le dossier ne permette pas de d6terminer avec certitude si
la formulation, lors de la r6union pl6ni~re, d'une politique qui n'a pas 6t6 divul-
gu6e aux parties a eu un effet sur la d6cision, [d~s lors] que la chose ait tr~s bien
pu se produire >>, selon le juge Sopinka43. Ce pas n’a pas 6t6 franchi par la majo-
rit6 malgr6, de dire le juge Gonthier, que la r6union pl6ni~re empeche les parties
de savoir ce qui y est dit et de < r6pliquer aux nouveaux arguments soumis par
les personnes qui y ont assist6. De plus, il y a toujours le risque que les per-
sonnes pr6sentes h la r6union discutent de la preuve >>. A l’dvidence, donc, la
conclusion que ce risque n’emportait pas de cons6quence n6gative confirme,
apr~s que la majorit6 ait 6voqu6 de la doctrine de la retenue judiciaire, les diver-
gences de vues sur la confiance h accorder
l’organisme.
Mais, le partage des opinions se fonde aussi sur la diffdrence de nature des
questions de fait et des questions de politique dans la mesure oil cette diff6rence
emporte une gradation des droits de participer. Sur le fond, le juge Gonthier
explique en effet, que ‘application de la r~gle audi alteram partem impose que
les questions de politique soient abord~es diff6remment des questions de fait
puisque leurs cons6quences < vont au-del du r~glement du litige particulier
'6gard de la r~gle audi alteram partem, < la
entre les parties >0″. I1 rappelle qu’
r~gle relative aux arguments juridiques ou de politique qui ne soul~vent pas des
questions de fait est un peu moins s6v~re puisque les parties n’ont que le droit
de pr6senter leur cause ad6quatement et de r~pondre aux arguments qui leur sont
d6favorables >>.
Ce droit ressemble, selon nous, h un droit d’etre entendu. De plus, l’arr&
ne d6montre pas en quoi r6side la distinction op~ratoire des questions de fait et
de politique et n’exclut pas formellement l’id6e d’appliquer un droit de pr6-
senter une cause >> L l’61aboration de politiques g6n6rales effectu~e dans le con-
texte de la prise de decisions particuli~res. Nous sommes donc forc6s de con-
clure, apr~s le rappel A l’effet que les r~gles de justice naturelle ne permettent
pas des personnes qui n’ont pas entendu toute la preuve de voter sur l’issue
42Voir Innisfil (Municipalitj du canton) c. Vespra (Municipaliti du canton), [1981] 2 R.C.S. 145,
43Supra, note 1
44Ibid. A la p. 335.
45Ibid.
la p. 337, M. le juge Gonthier, et aux pp. 337-38:
Puisque ces questions font appel A l’analyse des lois, des d6cisions antdrieures et des
besoins sociaux qui sont pergus, les consequences d’une decision de politique prise par
la Conunission ne d6pendent pas, dans une certaine mesure, de l’int~r& immdiat des
parties, meme si eles peuvent avoir un effet sur l’issue de la plainte.
37 N.R. 43.
la p. 305.
4Ibid. t la p. 339.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 35
du litige >> ou de << de faire des observations sur des questions de fait >01, et apr~s
avoir 6t6 inform6 que la preuve n’6tablissait pas si les r6unions pl6ni6res ne ser-
vaient r~ellement qu’h discuter de questions de politique, que la distinction entre
les questions de fait et de politiques fut r6glde par un flou voulu s. L’arr~t majo-
ritaire a minimis6 l’importance du risque 6voqu6 au motif qu’ [i]l ne faut pas
refuser les avantages que l’utilisation valable de ce processus de consultation
peut procurer, uniquement h cause de la simple crainte que cette pratique 6tablie
ne soit pas respect6e, en l’absence de toute preuve que la chose s’est pro-
duite >04. De fait, la majorit6 a refus6 d’6tendre A l’application de la r~gle audi
alteram partem le crit~re de la crainte raisonnable qui permet d’entacher une
proc6dure en raison d’une crainte raisonnable de partialitY, pour ensuite exiger
la preuve d’une violation r6elle du devoir d’entendre et de la maxime < he who
decides must hear >.
I. L’ind~pendance judiciaire des membres = leur impartialitM
intellectuelle
La maxime << he who decides must hear >> ayant 6t6 respect6e en l’esp~ce
par les trois membres du banc originel, l’argumentation majoritaire nous invite,
dans un second temps, ii examiner la question de << l'ind6pendance judiciaire des
membres d'un banc dans le contexte d'une r6union pl~ni~re de la
Commission >>50, c’est-h-dire, A examiner les cons6quences de la presence d’au-
tres membres lors de cette r6union.
Des jugements contradictoires avaient 6t6 rendus ant~rieurement sur le pro-
blame comme en l’esp~ce, de la pr6sence de tiers qui n’avaientpas vot6. Se fon-
dant sur un vieil arr~t ontarien de 1916, Re Toronto and Hamilton Highway
Commission and Crabb”, la majort rejette l’id6e que << toute discussion avec
une personne qui n'a pas entendu la preuve entache forc6ment de nullit6 la d6ci-
sion qui s'ensuit parce que la discussion est susceptible d'< influencer >> le d6ci-
deur >>52.
47Ibid. A lap. 336, M. le juge Gonthier: il prdcise, A cette meme page, que les r~gles de justice
naturelle ne permettent pas a des personnes qui n’ont pas entendu toute la preuve
de voter sur l’issue du litige. Leur participation aux discussions portant sur ces ques-
tions de fait pose moins de problimes quand elles ne participent pas a la d6ecision finale.
Cependant, j’estime que ces discussions violent g6n&alement les r~gles de justice natu-
relle parce qu’elles permettent a des personnes qui ne sont pas parties au litige de faire
des observations sur des questions de fait alors qu’elles n’ont pas entendu la preuve.
4I1bid.
la p. 337 : la position majoritaire affirme que
[l]es discussions sur les politiques n’ont pas pour objet de decider quelle partie aura
finalement gain de cause, mais elles ont pour objet d’exposer les diffdrents critres juri-
diques que la Commission peut adopter et de d6battre leur valeur relative.
49Ibid. t la p. 336, M. le juge Gonthier.
“Tel est le titre de la sous-division c), contenue A la p. 329, ibid.
51(1916), 37 O.L.R. 656 (C.A.).
1990]
CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE
Premirement, cet arret aurait dfi etre 6cart6 car le tiers dont la pr6sence
6tait probl6matique en l’esp~ce, ddbattait des faits et de la preuve, contrairement
aux faits prouv6s dans l’affaire Consolidated-Bathurst. Deuxi~ment, l’analogie
avec le fonctionnement des juges judiciaires constitue un argument a minori
dont la teneur serait la suivante : malgr6 que les d6cideurs administratifs soient
constitutionnellement << infdrieurs >> aux juges, ce qui est bon pour ces demiers
l’est 6galement pour les premiers quand ils font office de << quasi juges >>. Cet
argument laisse perplexe, mais nous n’h6sitons pas h 6crire, h d6faut de pouvoir
le dire bien haut, que ce renversement d’attitude est positif. Une attitude inverse
pr6vaut g6ndralement. L’inversion de la perception traditionnelle des orga-
nismes < infdrieurs >> vaut, ne serait-ce par souci de rdalisme, que pour prendre
acte de la place actuellement occup6e par les organismes administratifs. Mais
l’analyse ne peut se satisfaire de ce seul constat.
Craignant peut-8tre que l’argument analogique pr6cit6 ne suffise pas it con-
vaincre, le juge Gonthier entreprit d’expliquer la nature de l’ind6pendance des
juges, dans la lignde des arrts Beauregard c. Canada et Valente c. R.53 En
r6sum6, l’inddpendance judiciaire, c’est < la libert6 complete de juger une
affaire donnde selon sa conscience et ses opinions, sans l'intervention d'autres
personnes, y compris de juges >>. II en d6coule la conclusion suivante sur la
valeur de la proc6dure institutionnelle de consultation:
Un processus institutionnalis6 de consultation ne permet pas ndcessairement aux
commissaires de parvenir A un consensus, mais il fournit une tribune oii il est pos-
sible de parvenir librement A ce consensus suite h une discussion r6fl6chie des
questions soulevdes5 5.
A. Le crit~re : la notion de seuil infranchissable ou le solde d’un bilan de
l’inddpendance judiciaire ?
L’id6e directrice de la majorit en Cour supreme veut que l’organisme
puisse prendre des mesures effectives < pour favoriser la coh6rence de ses ddci-
52Supra, note 1 a lap. 331, M. le juge Gonthier. Dans 'arret Crabb, il y avait 6t6 jug6, t l'6gard
de <(persons occupying positions analogous to those of judges rather than of arbitrators merely >>,
que:
the most that can be said is that […] those members of the Board who heard the evi-
dence and made the award –
allowed another member of the Board, who had not
heard the evidence, or taken part in the inquiry before, to read the evidence and to
express some of his views regarding the case to them. […] [B]ut it is only fair to add
that if every Judge’s judgment were vitiated because he discussed the case with some
other Judge a good many judgments existing as valid and unimpeachable ought to fall.
Supra, note 51 A la p. 659 [nous soulignons].
64 N.R. 1.
53Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56, 70 N.R. 1, et Valente c. R., [1985] 2 R.C.S. 673,
54Supra, note 1 t la p. 332, M. le juge Gonthier.
55lbid. A la p. 340 [nous soulignons].
McGILL LAW JOURNAL
(Vol. 35
sions [mais qui] ne doivent pas entraver la capacit6 de chacun des membres
d’un banc de d6cider selon sa conscience et ses opinions >>56. Cette condition
laisse entrevoir l’existence d’un crit~re de l’ind6pendance d’esprit du d6cideur
mais, sans confondre imperfections et vices r6dhibitoires, la nature du crit~re
apparait peu pr6cise et semble r6sider davantage dans une 6chelle d’intensit6 de
la contrainte r6pr6hensible57 . Sont ainsi prohib6s : (1) < [toute] ing6rence ext6-
rieure [...] pratiqu6e pour forcer ou contraindre un d6cideur h participer A des
discussions au sujet de questions de politique soulev6es par une affaire sur
laquelle il doit statuer >>5 ; (2) [tout] m6canisme formel de consultation pour
forcer ou inciter (nous soulignons) un d6cideur 4 adopter un point de vue qu’il
ne partage pas >>; (3) < une atteinte h la capacit6 des membres d'un banc de
trancher les questions en litige de mani~re ind6pendante >>.
Apr~s la contrainte exteme, la contrainte interne formelle, puis l’incitation
interne formelle, i reste, dans l’ordre d’une att6nuation progressive, la pression
morale dont la pr6sence lors des r6unions pl6ni~res, par opposition aux discus-
sions informelles, n’est pas ni6e par le juge Gonthier. En fin de compte, le cri-
t~re d’intervention judiciaire est multiforme et 1’6num6ration des entraves a la
capacit6 des membres du banc de statuer selon leurs opinions, permet a nouveau
de souligner que le partage des opinions judiciaires r6side dans une opposition
entre la primaut6 des apparences et la notion de risque, d’une part, et l’exigence
d’une manifestation ext6rioris6e d’une atteinte probable, voire r6elle, d’autre
part.
5 6Ibid. h la p. 328 [nous soulignons].
57En effet, pour le juge Gonthier, il faut
savoir si les inconv~nients que cette pratique comporte sont assez importants pour con-
clure qu’elle constitue une violation des r~gles de justice naturelle ou si les r6unions
pl6ni~res de la Commission sont conformes h ces r~gles pourvu que certaines garanties
soient respect~es,
ibid. aux pp. 328-29.
la p. 332, M. le juge Gonthier.
5SIbid.
59Ibid. aux pp. 332-33.
6Ibid. A la p. 333 : [Lies discussions avec des collgues ne constituent pas en soi une atteinte
A la capacit6 des membres d’un banc de trancher les questions en litige de mani~re ind~pendante >>,
car < la d6cision ultime appartient au d6cideur et il en assume la responsabilit6 entibre >).
61Mais,
les d~cideurs ont le droit de changer d’avis, peu importe que ce soit A la suite de dis-
cussions avec des collgues ou de leur propre r6flexion sur le sujet. L’opinion de la
majorit6 de ses coll~gues peut dgalement amener un d~cideur A changer d’avis par
souci de coh6rence de ]a jurisprudence puisqu’il s’agit d’un critre 16gitime qui doit
atre pris en consid6ration, meme si le decideur n’est i6 par aucune rfgle de stare
dicisis.
1990]
CASE COMMENTS
B.
Inddpendancejudiciaire des membres et crainte raisonnable de partialitM
Cette demi~re question est lie h la poursuite de la cohrence d~cisionnelle
et t la protection de l’int6grit6 d’un processus. De fait, la poursuite de l’unifor-
mit6 ne suppose-t-elle pas qu’une forme d’influence est exerc~e sur les drci-
sions des membres62 ? La majorit6 soutient que << le critere de l'indgpendance
est non pas l'absence d'influence, mais plutot la liberti de decider selon ses
propres conscience et opinions >> (nous soulignons)”. Ce crit~re rdv~le la diffi-
cult6 essentielle du contr6le judiciaire en l’esp~ce, voire une impasse. II parait
illusoire, notre avis, de croire que la libert6 intellectuelle d’un drcideur puisse
c’est-h-dire du point de vue de l’observateur ext6-
se mesurer, objectivement –
autrement que par des crit6res formels d’absence d’influence ou d’in-
rieur –
terf6rence. Autrement, si le juge refuse de supputer, au coeur meme du proces-
l’origine et
sus intellectuel intime du drcideur –
l’impact de quelque influence probable, la voie est fermre.
c’estt-dire subjectivement –
impose, comme le precise
L’approche de l’impartialit6 intellectuelle par la supputation est peu fruc-
tueuse, elle regorge d’embfiches notamment au plan de la preuve, mais le critre
de la crainte raisonnable de partialit6 permet d’y rem6dier, prrcisrment en sanc-
tionnant l’importance des apparences de la justice aux yeux du justiciable ou de
l’administr6, par le biais d’un test objectif. L’approche objective –
exteme au
juste titre le juge Gonthier, de distin-
drcideur –
guer la reunion plrnire en tant qu’<< 616ment important du processus 16gitime
de consultation >>, d’<< une participation h la decision par les personnes qui
n'avaient pas entendu les parties. >>A Toutefois, cette distinction ne peut que
reposer, elle aussi, sur des 616ments de forme, de pr6f6rence A des supputations
quant A l’6tat d’esprit d’un drcideur << sous l'influence d'un tiers >>. Aussi, l’im-
passe est r6v6lre par l’affirmation du juge Gonthier t l’effet que << le dossier
drmontre que chacun des membres du banc s'en est tenu ' son opinion >>65.
62ibid.
631bid.
la p. 334, M. le juge Gonthier:
Ia runion pldni~re […] n’est pas impos~e, elle est convoqude 4 la demande du banc qui
a entendu l’affaire ou par l’un de ses membres. Elle est soigneusement organis~e pour
favoriser la discussion sans qu’il y ait tentative de verifier s’il y a consensus; il n’est
la runion est facul-
pas dress6 de procs-verbal, le vote n’y est pas pris, la presence
tative et les presences n’y sont pas prises. La decision revient enti~rement au banc qui
a entendu l’affaire. On ne saurait dire que cette pratique vise 4 signaler aux membres
du banc qu’il faut se conformer A l’avis de la majorit6 des commissaires prsents. Par
ailleurs, il est vrai qu’il est possible de verifier s’il y a consensus sans recourir L un
vote et que cette institutionnalisation du processus de consultation comporte un risque
d’influence plus prononc6e sur les membres du banc. Cependant, le crit6re de l’ind6-
pendance est non pas l’absence d’influence, mais plut6t la libert6 de decider selon ses
propres conscience et opinions.
64Ibid. t Ia p. 335.
651bid. k la p. 334.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 35
Mais, des lors que le contrOle de la 16galit6 oblige le juge h s’en remettre A des
61ments formels, objectifs et extdrieurs aux d6cideurs, ne fallait-il pas, en d6fl-
nitive, se satisfaire des apparences seules ? La mesure d’une influence r~elle
6tait impossible en 1’esp~ce, en raison notamment de l’inadmissibilitd en preuve
du premier brouillon de d6cision, et de l’absence de proc~s-verbal des r6unions.
La comparaison de la position des juges Sopinka et Lamer, dissidents, et de
celle de la majorit6 indique que cette derni~re ddplace le crit~re de
l’impartialit6-indrpendance vers la partialit6 r~elle comme condition de l’inter-
vention du juge. Un choix fut op6r6 par la majorit6. La difficult6 qu’il pr6sente,
A notre avis, est qu’il est peu conciliable avec le crit~re de l’apparence qui rdgit
la crainte de partialitd. Le risque d’influence ne devait-il pas suffire h qualifier
la situation aux yeux d’ une personne bien renseign~e qui 6tudierait la question
en profondeur, de fagon rraliste et pratique … >>’ ? Toutefois, l’analyse doit tenir
compte de ce que la preuve contenue darts le dossier limitait l’6tendue du con-
tr6le judiciaire. Le dossier ne renfermait pas de preuve sur l’apport de nouveaux
moyens ou de nouveaux arguments lors de la r6union, ni, selon le juge Sopinka,
de preuve quant h ce qui a 6t6 r6ellement discut6 afin de pouvoir determiner la
gravit6 de la violation des r~gles de justice naturelle67.
IV. Bilan de la critique et perspectives d’avenir
La critique de l’arr~t ne saurait faire oublier qu’il reconnalt la n~cessit6 de
garanties. Celles dont 6tait assortie la procedure attaqure en l’esp~ce, savoir,
l’absence d’ordre du jour, de prise de vote et de prdsence, l’absence de discus-
sions sur les faits, l’absence d’introduction de nouveau moyen ou de nouveau
principe, furent jugres < suffisantes pour dissiper toute crainte de violation des
r~gles de justice naturelle >>. Ces garanties sont plus que de simples pr6cau-
tions ; il s’agit d’un veritable encadrement de la latitude procrdurale, qui met
l’accent sur l’obligation d’agir de mani~re < professionnelle >>, comme certains
le sugg~rent69. Mais, les 6lments procdduraux jugds constituer des garanties
validant la rdunion plrni~re peuvent 6galement 8tre retenus pour la condamner;
certaines precautions, telle l’absence de proc~s-verbal, permettent ais6ment de
taxer l’organisme d’avoir une pr6frrence suspecte pour le secret proc6dural. Le
bilan final demeure de rraliser un < 6quilibre [...] entre les droits des parties et
les pressions institutionnelles qui s'exercent sur la Commission >>”.
“6Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’nergie, [1978] 1 R.C.S. 369 h lap.
394,9 N.R. 115 aux pp. 138-39 (version anglaise), M. le juge de Grandpr6, citant M. lejuge Pratte
de la Cour d’appel frdrale.
671bid. aux pp. 306-07.
68Ibid. t la p. 341, M. le juge Gonthier.
69Voir M. Falardeau-Ramsay, supra, note 33 t la p. 213. Mais sans vouloir se limiter h russir
1’examen >> (ou passer le test), sachant que des membres peuvent en influencer d’autres, ibid. t ]a
p. 211.
7Supra, note 1 4 la p. 341, M. le juge Gonthier.
1990]
CHRONIQUE DE JURISPRUDENCE
En d6finitive, la solution est fond6e sur la n6cessit6 de preserver << la sou-
plesse n~cessaire [des r~gles de justice naturelle] pour tenir compte A la fois des
pressions institutionnelles qui s'exercent sur les tribunaux administratifs
modemes et des risques inh6rents A cette pratique >>”. Cet objectif pratique
paralt incontestable. L’analogie avec les cours de justice, qui a permis d’accor-
der aux organismes un traitement favorable, fut agr66e par les juges Osler, dis-
sident en Cour divisionnaire, Cory (unanimement pour la Cour d’appel de l’On-
tario), et Gonthier (pour la majorit6 en Cour supreme du Canada). Toutefois, on
ne peut conclure proprement
un relachement des crit~res de contr6le judi-
ciaire72. L’analogie op~r6e avec le fonctionnement des cours de justice risque
n6anmoins de rendre probl6matique l’application de l’arrat
des organismes
dont le caract~re ou les traditions < judiciaires >> sont moins marqu6es que celles
de commissions de relations du travail ou de tribunaux du travail.
En ce qui conceme la fagon avec laquelle impartialit6 et ind6pendance
d’esprit sont abord6es, l’arr~t souffre d’une vision trop 6troite de l’ind6pen-
dance. La Cour suprame doit s’engager plus hardiment, comme elle le d6montre
dans d’autres domaines, dans un examen plus large de la dynamique interne du
fonctionnement des organisations. Un formalisme quelque peu excessif semble
avoir conduit
exiger la preuve d’une interf&ence r6elle. L’analyse des appa-
rences effectu6e par la majorit6 laisse l’impression d’un malaise provoqu6 par
l’idde meme que des influences r6pr6hensibles soient effectivement exerc6es au
sein d’organismes ind6pendants jouissant d’une solide r6putation ! Ou bien ne
s’agit-il que de l’effet de la pr6somption de bonne foi ? Cette ambiguit6 devra
6tre clarifi6e afin de dissiper les vieux d6mons de la m6fiance obsessive envers
les organismes administratifs. Quant une contribution normative sur la notion
de d6cision, soulignons encore le caract~re formaliste des crit~res retenus pour
qualifier la participation, notamment l’absence de vote et la nature des discus-
sions litigieuses, par opposition une saisie plus globale de l’environnement
sociologique et institutionnel au sein de l’organisme .
L’avenir de l’arr& Consolidated-Bathurst est celui d’un dossier prometteur
A suivre. Les organismes autonomes doivent 8tre encourag6s h formuler, puis h
r6viser leurs politiques g6n6rales, mais doivent-ils le faire ind6pendamment des
audiences portant sur des d6cisions individuelles, ou lors de celles-ci, et le cas
la p. 340, M. le juge Gonthier.
71lbid.
72Ainsi que le fait M. Falardeau-Ramsay, supra, note 33 4 la p. 210.
73De mime, les crit~res formels utilis6s par le juge Cory en Cour d’appel pour opposer advice
et participation sont insuffisants. Ces questions appellent un approfondissement dans des arrts h
venir. Nous attendons avec int&& la d6cision de la Cour supreme dans l’affaire Nomie Tremblay
c. Commission des affaires sociales pour laquelle la Cour supreme du Canada a accord6 la permis-
sion d’en appeler le 14 juin dernier. Voir Tremblay c. Commission des affaires sociales, [1985] C.S.
490 ; [1989] RJ.Q. 2053 (C.A.) ; permission d’appeler accordee par la Cour supreme du Canada,
le 14juin 1990. G6n6ralement, voir S. Comtois, < L'affaire No6mie Tremblay et le droit une dei-
sion prise par un tribunal ind6pendant d'esprit
(1990) 3 CJ.A.L.P. 223.
McGILL LAW JOURNAL
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6ch6ant, selon quel type de procedure ? Ces questions devront etre r6gl6es.
L'arr& souligne l'existence de conflits entre l'interdiction de lier sa discr6tion
A l'avance et la recherche d'une plus grande uniformit6 de decision, et touche
au pouvoir des membres de se lier par des decisions, ainsi qu'A la portde des
decisions d'un bane A l'6gard des autres. Ces autres questions indiquent l'ur-
gence d'examiner des procedures d'61aboration de r~gles opposables, et non
plus seulement de politiques g6n~rales, et de revoir le principe de l'interdiction
de lier h l'avance sa discrtion.
Des rrponses en ce sens ont 6t6 avancres rdcemment, en Ontario du moins,
dans le rapport Directions-Review of Ontario's Regulatory Agencies (Macaulay
Report)74 . Une rdforme 16gislative parait in6vitable. Prdparer un guide pour les
parties sur le ddroulement de runions pl~ni~res copi6es sur le mod~le de la
CRTO, notanment en en r6servant l'initiative aux banes et non pas au pr6-
sident75, serait utile dans l'int~rim. Quand, comme en l'esp~ce en vertu de la Loi
sur les relations de travail de 'Ontario, aucune disposition legislative ne permet
un membre d'imposer son avis h un autre, l'organisme est conduit t rechercher
un haut degr6 d'uniformit6 d~cisionnelle par le biais de ses pratiques.
L'attribution d'un pouvoir expr~s en ce sens serait prfdrable quand bien m~me
la consecration l6gislative de la maltrise procddurale permet, sous rdserve de
respecter les r~gles de justice naturelle, de sanctionner une pratique tr~s
ancienne.
L'application de l'arrt Consolidated-Bathurst A un large 6ventail d'orga-
nismes demeure probl~matique en raison de la situation particuli~re de la
CRTO, notamment de sa composition tripartite (comme garantie relative de la
transparence de sa procedure), de l'anciennet6 de la pratique litigieuse et de
l'expertise accumulre de l'organisme dans un domaine sprcialis6. I1 suffirait
que la situation d'un autre organisme diffrfAt de celle de la CRTO pour en
dduire que l'acte de foi profess6 en l'esp~ce par la majorit6 ne peut 8tre dtendu
4 cet autre organisme, prdcis6ment pour ne pas prendre de (risques >>. Une
mme rraction vaudrait si des contraintes institutionnelles 6taient diffdrentes.
Mais, accueuillons avec enthousiasme l’application de la technique du
bilan en droit administratif traditionnel, malgr6 les hesitations relev~es dans la
position majoritaire. Les liens not6s avec l’application de la Charte canadienne
des droits et libertis et le crit~re de proportionnlit6 sont prometteurs. Ils
d6montrent la constitutionnalisation croissante du droit administratif canadien.
Comme pour toute technique nouvelle, nous attendons avec un grand intdrt la
mise au point de la m~thode du bilan.
74Province of Ontario, Management Board of Cabinet (Toronto: Queen’s Printer, 1989).
75Falardeau-Ramsay, supra, note 33 A la p. 212.
1990]
CASE COMMENTS
Finalement, en ce qui conceme le choix du juge Gonthier d’aborder la vali-
dit6 des consultations internes dans la double optique des r~gles d’impartialit6
et du droit d’8tre entendu, il efit 6t6 pr6f6rable, apres que la majoriM ait conclu
que l’apparence de risque d’influence ne suffisait pas i ddclencher l’interven-
tion judiciaire, qu’elle rattache le principe He who decides must hear
(qui
entraine que les d6cideurs fussent
l’abri de pressions indues susceptibles de les
faire changer d’avis) t la r~gle audi alteram partem plut6t qu’I la r~gle d’im-
partialit6. Et ce pour deux raisons. Premi~rement, un tel rattachement eut ren-
forc6 le renversement d’attitude h 1’6gard de < l'inf6riorit6 des organismes
administratifs que nous pergevons dans l'arr~t. Deuxi~mement, dans le meme
sens, les professeurs de droit, pour ne nommer qu'eux, devront expliquer h leurs
6tudiants que, malgr6 les enseignements pass6s, les apparences objectives ne
suffisent plus 6tablir une crainte raisonnable de partialit6 lorsque la confiance
du juge en l'organisme l'emporte -
ce qui est par ailleurs conforme, selon
nous, A la th6orie de la retenue judiciaire 6clair6e par l'arret Paccar. Le d6part
de la course aux premieres places parmi les organismes m6ritoires a peut-etre
6t6 donn6 par la Cour supreme, sans le savoir, pour le plus grand b6n6fice de
tous. Quoiqu'il en soit, du double fondement des motifs majoritaires r6sulte,
selon la formule lapidaire d'Yves de Montigny, un flottement > conceptuel qui
est en quelque sorte accentu6 par la limpidit6 de l’argumentation propos6e par
les juges Sopinka et Lamer >7, et qui m6rite une clarification.
Concluons ce commentaire d’arr& d6jh trop long, par un rappel tir6 des
motifs de madame la juge L’Heureux-Dub6 dans l’arr~t Knight :’
Inh6rente
[la] flexibilit6 [de 1’6quit6 proc6durale] se trouve, 6videmment, la dif-
ficult6 que pr6sentent des conceptions diff6rentes de 1’6quit6 parmi ceux qui sont
appelds t d6cider si l’obligation d’agir 6quitablement a 6t6 remplie. II faut en con-
s6quence att6nuer les assertions que 1’6quit6 est une notion purement subjective?8.
76y. de Montigny, < L'institutionnalisation du processus d&cisionnel et les r~gles de justice natu- relle , chronique < Cour supreme >, Le Journal Barreau, (ler mai 1990) 15.
77Supra, note 13.
78Ibid. 4 la p.32, Mme la juge L’Heureux-Dub6.