L’article 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertgs
et la langue
Jos6 Woehrling*
Malgr6 l’attention particuli~re portge A la
question linguistique dans la Charte cana-
dienne des droits et liberts, l’article 15(1) en-
chfisse le droit fi l’galit6 et l’interdiction de
la discrimination, sans prohiber express6-
ment les distinctions fond~es sur Ia langue.
Les tribunaux devront par cons quent se
montrer plus s~v~res fA l’6gard des distinc-
tions fondges sur un des motifs dnumrfs A
‘article 15(l) que dans le cas d’un motif qui
n’est pas express~ment mentionn&, comme la
langue. Le niveau de contr6le judiciaire uti-
lis6 dans ce dernier cas d~pendra de l’inter-
prgtation qui ser faite de l’article 15(1).
‘auteur
soutient qu’il y a trois interpretations possi-
bles. La premiere thgorie, (( moniste >>, donne
priorit6 au droit fi l’galit6 et conduit au con-
trble < minimal >> d’une loi qui d~finit des motifs
de distinction fondus sur la langue. La deuxime
th~orie, galement (( moniste >, fait de l’ar-
ticle 15(1) une simple norme anti-discrimi-
natoire et conduit au contrble < interm&liaire o.
La troisi~me th~orie, ((dualiste)), fait du droit
Sl'galitE et l'interdiction de ]a discrimina-
tion des fondements indgpendants l'un de
l'autre et d'6gale importance, et conduit A un
niveau de contr~le variable. L'auteur estime
que l'adoption de cette demiare ihterprgta-
tion est souhaitable.
Section 15(1) ofthe Canadian Charter ofRights
and Freedoms speaks directly to equality and
freedom from discrimination, without spe-
cifically referring to distinctions based on lan-
guage. As a result, the courts should be more
severe in dealing with incidents of discrim-
ination on the basis of the enumerated heads
of section 15(1) thafi those, such as language,
not expressly mentioned. The extent to which
courts may nevertheless intervene in the lat-
ter cases will depend upon the interpretation
of section 15(1) as a whole. The author con-
tends that there are three possible ap-
proaches. The first, a "monist theory", gives
priority to the right to equality, and would
lead to minimal scrutiny of laws which dis-
tinguish according to language. The second
theory, also "monist", would give precedence
to the notion of antidiscrimination and would
lead to an "intermediate" level of scrutiny.
The third theory, a "dualist" one, would ac-
cord equal and independent importance to
the two concepts, and would lead to a vari-
able level of scrutiny. The author argues for
the adoption of the third theory.
*Professeur titulaire, Facult6 de droit, Universit6 de Montreal.
Revue de droit de McGill
McGill Law Journal 1985
1985]
L'ARTICLE 15(1) ET LA LANGUE
Sommaire
Introduction
I. La port6e de
'article 15(1) en matire linguistique
A. L'interprtation de l'article 15(1) commefondement du droit * l'galitg
(thgorie moniste numiro 1)
B. L'interpr~tation de l'article 15(1) comme disposition anti-
discriminatoire (thgorie moniste numgro 2)
C. L'interpr~tation de Particle 15(1) comme contenant ai lafois le droit
ii l'galitg et l'interdiction de la discrimination (thgorie dualiste)
II. L'omission de la << langue >> comme motif de discrimination express~ment
prohib6
Conclusion
La question linguistique a jou6 un r6le essentiel A ‘occasion de l’61a-
boration et de l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982.’ C’est par
. elle que s’expliquent, en grande partie, les attitudes et les d6-
r6ference
cisions des principaux protagonistes qui ont particip6 au processus de << ra-
patriement o A l'origine de la nouvelle constitution.
C'est ainsi que, si le gouvernement fed6ral a pris l'initiative, en octobre
1980, de faire modifier la constitution canadienne, c'est pour remplir la
promesse faite aux Qu6b6cois, A 1'occasion du r6ferendum tenu au mois de
mai pr6c6dent, de renouveler le syst~me fed6ral canadien pour satisfaire
certaines des revendications traditionnelles du Qu6bec, notamment celles
relatives A la protection de la langue et de la culture frangaises, qui ont
toujours occupe un rang primordial.
De meme, si le gouvernement du Qu6bec a en d6finitive refus6 de
participer A 1'accord constitutionnel du 5 novembre 1981, faisant ainsi du
'Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11, annexe B. La Charte canadienne des droits
et Iiberts [ci-apr~s: la Charte] constitue la Partie I (art. 1-34) de la Loi constitutionnelle de
1982.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 30
Quebec la seule province A s'opposer d l'adoption de la nouvelle constitution,
c'est en bonne partie parce qu'il consid6rait comme inacceptables certaines
des dispositions linguistiques contenues dans la Charte, notamment l'article
23, qui a pour effet de diminuer la comp6tence traditionnelle des provinces
dans le domaine de l'6ducation.
D'autres provinces, sans afficher aussi ouvertement que l'ont fait le
Quebec et le gouvemement fed6ral leurs pr6occupations dans ce domaine,
ont n~anmoins accord6 une importance considerable A la question linguis-
tique. II en va ainsi, d'apr~s ce qu'on a pu en savoir, du Nouveau-Brunswick,
du Manitoba et de l'Ontario. Dans le cas de cette demire province, le d6sir
de ne pas etre soumise i certaines obligations constitutionnelles en mati~re
linguistique semble avoir jou6 un r6le essentiel dans les attitudes qu'elle a
adopt~es.
A l'occasion du d~bat qui a entour6 'adoption de la constitution de
1982, le gouvernement federal et les gouvernements provinciaux se sont
surtout pr~occup~s du sort et des int~r~ts des deux principaux groupes lin-
guistiques du pays, et plus particuli~rement des collectivit~s qui sont en
situation minoritaire : les francophones vivant hors du Quebec, d'une part,
et les anglophones qui resident dans cette province, de l'autre. La diversit6
linguistique et culturelle du Canada ne se limite cependant pas A la coexis-
tence d'une majorit6 anglophone et d'une minorit6 francophone, laquelle
est, A son tour, majoritaire A l'int6rieur du Quebec. On le sait, des minorit~s
culturelles importantes, dont la langue d'origine n'est ni l'anglais, nile fran-
gais, vivent dans certaines parties du pays, et sont plus nombreuses, dans
le cas de certaines provinces A majorit6 anglophone, que la minorit6 fran-
cophone.2 A d6faut de pouvoir compter sur les divers gouvernements pour
d~fendre leurs int~rts, ces <( autres
communaut~s culturelles et linguis-
tiques sont donc intervenues dans le d6bat constitutionnel par le biais de
leurs associations et ont revendiqu6 A leur tour certains droits qu'elles d6-
siraient voir inscrits dans la constitution.3 Dans une certaine mesure, bien
limit~e il est vrai, elles ont obtenu satisfaction.
2Ainsi, par exemple, m~me si les francophones formaient la majorit6 de ]a population du
Manitoba lorsque ]a province fut cr~e en 1870, ils ne constituent plus A l'heure actuelle que
six pour cent de la population provinciale. Ils sont par consequent moins nombreux que les
Manitobains d'origine germanique ou ukrainienne. Voir J.E. Magnet, < The Charter's Official
Languages Provisions: The Implications of Entrenched Bilingualism ) (1982) 4 Sup. Ct L. Rev.
163 A lap. 165.
30n peut notamment retracer les interventions des associations repr6sentant les minorit6s
ethniques dans le processus constitutionnel en consultant: Canada, Delibgrations du Comit
special mixte du Snat et de la Chambre des Communes sur la Constitution du Canada (Pr6-
sidents: H. Hays, S. Joyal) (9 d~cembre 1980) [ci-apr~s: D6lib~rations du Comit spcial
mixte].
1985]
L'ARTICLE 15(1) ET LA LANGUE
L'importance accordre A la question linguistique A l'occasion du pro-
cessus constitutionnel et la diversit6 des attentes et des exigences qui ont
6t6 manifestres dans ce domaine expliquent la place rrservre aux disposi-
tions relatives au statut des langues et aux droits linguistiques dans la nou-
velle constitution. Meme parmi les pays qui connaissent, comme le Canada,
une situation de plurilinguisme, il en est peu dont la constitution contienne
des dispositions aussi nombreuses et aussi complexes dans ce domaine que
la Loi constitutionnelle de 1982.4 Celles-ci se rangent en deux categories, de
nature et d'une importance tr~s inrgales: la premiere contient les disposi-
tions consacrres au statut des deux << langues officielles ) au Canada, l'anglais
et le frangais, ainsi qu'aux droits i l'instruction dans la langue de la minorit6
dont jouissent les minorit6s francophones hors Quebec d'une part et la
minorit6 anglo-qurb6coise de l'autre ;5 la deuxirme catrgorie comprend les
dispositions susceptibles 6ventuellement de fonder certains droits s'atta-
chant A l'usage d'une langue autre que le frangais et l'anglais.6
4Pour une comparaison de la Loi constitutionnelle de 1982 avec les constitutions d'autres
pays plurilingues, voir G. Turi, Les dispositions juridico-constitutionnelles de 147 AStats en
mati~re de politique linguistique (1977) ; et A. Verdoodt, La protection des droits de 1'homme
dans les Etats plurilingues (1973).
511 s'agit des articles 16 A 20 et 23 de la Charte auxquels il faut ajouter l'article 133 de la
Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., c. 3 et l'article 23 de Ia Loi de 1870 sur
le Manitoba (Can.), 33 Vict., c. 3. Les deux derni~res lois font partie, au m~me titre que ]a
Loi constitutionnelle de 1982 de la Constitution du Canada. Voir Loi constitutionnelle de 1982,
supra, note 1, art. 52(2).
6Voir Ia Charte, articles 25 et 27 (en combinaison avec 'article 22). En autant que les droits
traditionnels des autochtones portent sur Ia langue et la culture, ils sont prrservrs par le biais
de Particle 25. Quant A 'article 27, 6tant donn6 qu'il s'agit d'une disposition interpretative,
elle ne confere directement, par son seul effet immrdiat, aucun droit supplrmentaire. Cepen-
dant, les tribunaux pourront lui donner une importance rrelle en l'appliquant en combinaison
avec d'autres dispositions de Ia Charte. Ainsi, le professeur Magnet, supra, note 2 i la p. 174,
estime que le principe du << multiculturalisme >), qui est consacr6 par l’article 27 de ]a Charte,
((casts an onus on all Canadian governments to deliver a wide range of services in the language
of the recipient or to insure availability of qualified translators at public expense >. W.S. Tar-
nopolsky, ( The Equality Rights dans W.S. Tarnopolsky & G.-A. Beaudoin, 6d., The Canadian
Charter of Rights and Freedoms (1982) 395 aux pp. 437-42 considrre lui aussi que l’article 27
peut entraner des droits vrritables en faveur des minoritrs canadiennes autres que les minoritrs
de langues officielles. Par contre, le professeur Hogg, dans P.W. Hogg, Canada Act 1982:
Annotated (1982) A la p. 72, pense que < s. 27 may prove to be more of a rhetorical flourish
than an operative provision >.
Dans R. c. Videoflicks Ltd (1984), 5 O.A.C. 1 A Ia p. 25, 15 C.C.C. (3d) 353, la Cour d’appel
de l’Ontario, en interprtant l’article 2(a) de la Charte (libert6 de conscience et de religion) i
la lumi~re de l’article 27 a conclu que
a law infringes freedom of religion, if it makes it more difficult and more costly to
practice one’s religion [.. .], such a law does not help to preserve and certainly does
not serve to enhance or promote that part of one’s culture which is religiously based.
Par consequent, le tribunal a consid~r6 que l’article 27 exige une certaine tgalit de traitement
entre les divers groupes culturels du Canada.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 30
Alors que les articles de la constitution relatifs aux << langues officielles )>
cr6ent des droits gn6ralement pr6cis et d6taill6s et, par cons6quent, im-
m6diatement applicables, ceux qui ont trait aux < autres >> cultures pr6sen-
tent plut6t un caract~re vague et ambigu qui rend difficile l’6valuation de
leur importance r6elle tant qu’ils n’auront pas W interpr6t6s et concr6tis6s
par les tribunaux.
Mais, dans les deux cas, les droits linguistiques qui d6coulent de ces
dispositions, ou qui sont susceptibles d’en d6couler dans le cas des articles
relatifs aux minorit6s culturelles autres que celles de langue frangaise ou
anglaise, entrent dans la cat6gorie des droits << collectifs >. En effet, ils ont
pour objet et pour finalit6 de permettre i une collectivit6 particuli~re, d6finie
par la langue ou, plus g6n6ralement, par la culture, de conserver et d’6pa-
nouir sa sp6cificit6. En outre, les individus qui sont appel6s A b6n6ficier des
droits en cause pourront les invoquer dans la mesure oft ils sont membres
de la collectivit6 concern6e. Dans les deux cas, 6galement, les droits qui
sont pr6vus en faveur des minorit6s culturelles et linguistiques constituent
la mise en oeuvre de mesures sp6ciales, qui placent les groupes en cause
dans une situation particuli~re par rapport au reste de la population et qui,
en quelque sorte, semblent les privil6gier. En r6alit6, on le sait bien, ce
La m~me approche a WtA adopt~e par la Cour provinciale d’Alberta dans R. c. W.H. Smith
(1983), [1983] 5 W.W.R. 235 A la p. 258, 26 A.L.R. (2d) 238, oft Monsieur le juge Jones a
consid6r6 que
[i]n requiring the Charter to be interpreted in a manner consistent with the pres-
ervation and the enhancement of the multicultural heritage of Canadians, the section
[l’article 27], in my opinion, directs that a measure of equal treatment be dispensed
when interpreting any problem involving the Charter and a problem involving
multicultural considerations.
Dans cette affaire, la cour a 6galement considr6 que la religion fait partie de la culture et, par
consbquent, qu’interpr6t6 fi la lumi~re de l’article 27, l’article 2(a) de la Charte interdit A l’ttat
de privilfgier indfiment les croyances de certains citoyens au d6triment de la libert6 religieuse
d’autres. Cependant, A cause de ]a tradition chr6tienne du Canada et parce que l’article 93 de
la Loi constitutionnellede 1867garantit des droits particuliers A certains groupes confessionaux,
l’galit6 de traitement exig6e par ‘article 27 ne peut etre consider6e comme absolue.
Enfin, dans Reference re Education Act of Ontario and Minority Language Education Rights
(1984), 47 O.R. (2d) 1 A la p. 39, 10 D.L.R. (4th) 491, la Cour d’appel de l’Ontario a consid6r6
que
[i]n the light of s. 27, s. 23(3)(b) should be interpreted to mean that minority language
children must receive their instruction in facilities in which the educational envi-
ronment will be that of the linguistic minority. Only then can the facilities reasonably
be said to reflect the minority culture and appertain to the minority.
Consid6rant le caract~re indissociable de la langue et de la culture, il n’est pas 6tonnant de
voir le tribunal faire appel A l’article 27 pour renforcer la signification de l’article 23 qui garantit
les droits A ‘instruction dans ]a langue de ]a minorit6.
1985]
L’ARTICLE 15(1) ET LA LANGUE
traitement particulier est rendu n~cessaire en raison de la situation mino-
ritaire des collectivit~s consid~r~es, et permet aux membres de ces collec-
tivit~s d’esprer b6n6ficier d’une fgalit6 r~elle –
et non pas simplement
formelle –
avec le reste de la population.
Etant donn6 ce souci des r6dacteurs de la constitution pour la protection
des droits linguistiques, il est int~ressant de constater qu’il ne les a pas
conduits, en r~digeant l’article 15(1) consacr6 au droit A l’galit6 et a l’in-
terdiction de la discrimination, i prohiber spcifiquement les distinctions
fond~es sur la langue.7
Pourtant, on reconnait traditionnellement que l’interdiction de la dis-
crimination dirig~e contre les membres d’un groupe particulier, A cause de
leur appartenance A celui-ci, constitue un complement n~cessaire, voire un
prrequis, par rapport aux mesures sp~ciales destinies A prot6ger le groupe
en cause en le faisant b~neficier d’un traitement particulier. En d’autres
termes, la premiere condition A remplir pour garantir le droit de tout in-
dividu de parler sa langue, de conserver sa culture ou de pratiquer sa religion
consiste A appliquer strictement les principes d’6galit6 et de non-discrimi-
nation, de fagon A placer les membres de la minorit6 sur un pied de parfaite
fgalit6 avec les individus appartenant Ala majorit6.8 La deuxi~me condition,
tout aussi importante il est vrai, exige que la minorit6 puisse conserver et
perp~tuer ses traditions et ses caract6ristiques propres. C’est IA que des me-
sures sp~ciales de protection qui permettent a la minorit6 d’avoir ses propres
institutions culturelles, 6ducatives et, le cas 6ch~ant, religieuses se r~vlent
n~cessaires. 9
7Par contre, l’article 15(1) prohibe express~ment les discriminations fond~es sur 1’<< origine nationale ou ethnique > (nos soulign6s).
sVoir, par exemple, F. Capotorti, Study on the Rights ofPersons Belonging to Ethnic, Religious
and Linguistic Minorities (1979) Doe. N.U. E/CN4/Sub. 2/384/Rev. 1 i la p. 41:
[P]revention of discrimination, on the one hand, and the implementation of special
measures to protect minorities, on the other, are merely two aspects of the same
problem: that of defending fundamental human rights.
et f la p. 54:
[T]he effiective implementation of the rights of persons belonging to ethnic, religious
and linguistic minorities to enjoy their own culture, to profess and practice their
own religion and to use their own language requires, as an absolute precondition,
that the principles of equality and non-discrimination be firmly established in the
society in which those persons live.
9C’est ce que soulignait d~jfi la Cour Permanente de Justice Internationale dans son c0l8bre
avis consultatifde 1935. Voir tcoles minoritaires en Albanie (6 avril 1935) S6rie A/B 64 C.P.J.I.
4 i lap. 17:
1’id6e qui est fA Ia base des traitfs pour la protection des minorit6s est d’assurer i
des groupes sociaux incorpor6s dans un Etat, dont la population est d’une race,
d’une langue ou d’une religion autre que Ia leur, la possibilite d’une coexistence
pacifique et d’une collaboration cordiale avec cette population, tout en gardant les
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 30
Le droit des minorit6s de r6clamer tout i la fois la pleine 6galit6 avec
la majorit6 et la pr6servation de leur identit6 propre en b6n6ficiant de cer-
taines institutions particulires, est aujourd’hui garanti par le Pacte inter-
national relatif aux droits civils et politiques, dont les articles 2(1) et 26
contiennent les principes d’6galit6 et de non-discrimination. L’article 27
reconnait de plus le droit des minorit6s ethniques, religieuses et linguistiques
<( d'avoir [...] leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur
propre reli'ion, ou d'employer leur propre langue >.10
caract~res par lesquels ils se distinguent de la majorit6 et en satisfaisant aux exigences
qui en d6coulent.
Pour atteindre ce but, deux choses surtout ont 6t6 consid6r6es comme nfcessaires
et font ‘objet des dispositions desdits trait6s.
Tout d’abord, assurer que les ressortissants appartenant A des minorit6s de race,
de religion ou de langue se trouvent, a tous les points de vue, sur un pied de parfaite
6galit6 avec les autres ressortissants de l’ttat.
En second lieu, assurer aux groupes minoritaires des moyens appropri~s pour la
conservation des caractres ethniques, des traditions et de la physionomie nationales.
Les deux choses sont d’ailleurs 6troitement lies, car il n’y aurait pas de v&itable
fgalit6 entre majorit6 et minorit6 si celle-ci 6tait priv6e de ses propres institutions
et partant oblig~e de renoncer A ce qui constitue 1’essence meme de sa vie en tant
que minorit6.
Pour une description du syst~me de protection des minorit6s dans le cadre de la Soci6t6 des
Nations, voir Capotorti, ibid. aux pp. 16-26.
IOPacte international relatif aux droits civils et politiques (en vigueur pour le Canada depuis
le 19 aofit 1976) [ci-apr~s: le Pacte]. Pour le texte, voir M. Lebel, F Rigaldies & J. Woehrling,
Droit international public: Notes et documents, 2e 6d., t. 2 (1982) A ]a p. 857 et s. :
Article 2(1): Les tats parties au pr6sent Pacte s’engagent i respecter et
! garantir A tous les individus se trouvant sur leur territoire
et relevant de leur comp6tence les droits reconnus dans le
pr6sent Pacte, sans distinction aucune, notamment de race,
de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion po-
litique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou
sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.
Article 26: Toutes les personnes sont 6gales devant Ia loi et ont droit
sans discrimination i une 6gale protection de la loi. A cet
6gard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir
A toutes les personnes une protection 6gale et efficace contre
toute discrimination, notamment de race, de couleur, de
sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute
autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune,
de naissance ou de toute autre situation.
Article 27: Dans les ttats ofi
il existe des minorit6s ethniques, reli-
gieuses ou linguistiques, les personnes appartenant A ces
minorit6s ne peuvent 8tre priv6es du droit d’avoir, en com-
mun avec les autres membres de leur groupe, leur propre
vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre re-
ligion, ou d’employer leur propre langue.
1985]
L’ARTICLE 15(1) ET LA LANGUE
Le Canada a ratifi6 le Pacte en 1976. I1 se trouve par consequent dans
l’obligation de mettre son ordre juridique interne en conformit6 avec les
normes contenues au Pacte, dans la mesure du moins ofi leur effet sur son
territoire en d6pend.
Quant P’article 27 du Pacte, il est mis en oeuvre en droit canadien
par les dispositions de la constitution dont l’objet est de prot~ger les droits
linguistiques et culturels des minorit6s.II Les articles 2(1) et 26 du document
international trouvent 6videmment leur contrepartie dans l’article 15(1) de
la Charte canadienne des droits et libertis. Cependant, la liste des motifs
express6ment prohib6s de discrimination de l’article 15(1) est moins com-
plete que celle des articles correspondants du Pacte et, tel que soulign6
pr6c6demment, la langue, en particulier, fait dMfaut A cette liste. Sans doute
l’6numeration A l’article 15(1) de la Charte n’est-elle pas limitative et les
tribunaux pourront-ils par consequent interpreter cet article 15(1) de fagon
A lui faire interdire 6galement les distinctions non raisonnables et non jus-
tifiables, fondees sur un motif non mentionn6, comme la langue. Mais il
n’en reste pas moins que le Pacte aurait 6t6 mis en oeuvre de fagon plus
satisfaisante si l’article 15(1) visait lui aussi tous les motifs de discrimination
express6ment prohib6s par l’instrument international.’ 2 En effet, on admet
g6n6ralement que les tribunaux canadiens, lorsqu’ils commenceront A ap-
pliquer l’article 15(1), 13 devront se montrer plus s6veres A l’6gard des dis-
qui
tinctions et classifications –
sont fondees sur un des motifs 6num6res que dans les cas oil il s’agit d’un
motif qui n’est pas mentionn6 de fagon expresse, comme la langue. Ainsi,
le degr6 de protection offert par la Charte, quant A l’6galite linguistique,
risque fort d’etre moindre que les garanties qui existent en vertu des articles
2(1) et 26 du Pacte.
contenues par exemple dans une loi –
“En fait, les dispositions de la constitution canadienne relatives aux droits des minorit~s
anglophone et francophone (voir supra, note 5) peuvent 6tre considr~es comme beaucoup
plus g6n6reuses que ce qui est requis par l’article 27 du Pacte. A l’inverse, dans le cas des
autres minorit~s linguistiques et culturelles (voir supra, note 6), Ia Charte ne va gu6re au-del
de la norme minimale exig~e par le Pacte, selon les conclusions de l’&ude des Nations Unies,
supra, note 8.
12Sur la mise en oeuvre des trait~s internationaux relatifs A la protection des droits fonda-
mentaux en droit interne canadien, voir A. Desjardins,
que le Comit6 des droits de l’homme, cr 6 en vertu de l’article 28 du Pacte, a fait r6terence A
ce qu’il considre etre des lacunes dans le droit canadien, A savoir notamment que <(ses lois
(Red6rales, provinciales et territoriales) ne contiennent pas une liste de motifs de discrimination
prohibfs, qui soit aussi vaste que celle contenue A 'article 2 du Pacte international relatifaux
droits civils et politiques >. En ce qui concerne la langue, ]a seule loi canadienne qui prohibe
express6ment les discriminations fond~es sur ce motif est la Charte des droits et libert~s de la
personne, L.R.Q., c. C-12, art. 10.
‘3 Conform6ment A r’article 32(2) de ]a Charte, les articles 15(1) et 15(2) ne sont entr~s en
vigueur que le 17 avril 1985.
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[Vol. 30
La pr~sente etude tentera pr6cisrment d’examiner quelle est au juste
l’application de l’article 15(1) par rapport aux distinctions et classifications
fond~es sur la langue, c’est-A-dire de determiner la port6e de 1’< galitk lin-
guistique >> que la Charte garantit. A cette fin, il y aura lieu d’examiner les
differentes interpretations dont l’article 15(1) est susceptible. Puis on se
demandera pour quelles raisons la langue n’a pas W inscrite au nombre
des motifs de discrimination expressrment prohib6s par l’article 15(1) de
la Charte.
I. La porte de
‘article 15(1) en mati~re linguistique
Dans queUe mesure l’article 15(1) s’applique-t-il aux distinctions fon-
does sur la langue parl~e par les personnes et donne-t-il, par consequent, un
droit A 1o 6galit6 linguistique > ? La question est plus compliqu~e qu’il n’y
parait. A premiere vue, en raison du fait que
‘article 15(1) possde une
structure complexe et qu’il est susceptible pour cette raison de donner lieu
A des interpretations diverses et, sous certains aspects, divergentes.
Les deux principaux 61ments de l’article 15(1) sont le concept d’ galitM,
lequel est 6nonc6 A l’aide de quatre formulations diff rentes et successives,
et le concept de non-discrimination. Ces deux elements constitutifs peuvent
8tre consid~rs, soit comme 6tablissant deux normes juridiques dilirentes,
independantes l’une de l’autre encore que complmentaires, soit comme
n~cessairement relies l’un A l’autre, de fagon A constituer une norme unique.
Dans le premier cas, nous parlerons d’une interpretation, ou throrie dualiste
de l’article 15(1) et, dans le deuxi~me, d’une interpretation, ou th6orie mo-
niste. En fait, l’interpr~tation moniste est susceptible de prendre deux formes
differentes, selon que l’on donne la preference A l’un ou d l’autre des deux
concepts contenus dans ‘article. Autrement dit, si une seule th~orie dualiste
est possible, il existe par contre deux theories monistes.
En effet, si l’on s’appuie sur le fait que les deux membres de ]a phrase
de l’article 15(1) sont grammaticalement relies par le mot oind~pendam-
ment o (without), il faut sans doute considerer que le r~dacteur de la Charte
entendait lier les deux concepts de ‘article de fagon A donner le r6le principal
A l’un d’entre eux, l’autre devenant alors en quelque sorte l’accessoire du
premier. Selon que la primaut6 reviendra au concept d’ galit6 ou a celui de
non-discrimination, le r6le de l’article 15(1) sera 6videmment different.
A. L’interpritation de l’article 15(1) comme fondement du droit i l’galitg
(thgorie moniste numiro 1)
Selon cette premiere interpretation, ‘article 15(1) est consid6r6 contenir
une seule norme juridique, A savoir le < droit A M'galit6 ind6pendamment
de toute discrimination> (right to equality without discrimination). Ici, par
1985]
98LARTICLE 15(1) ET LA LANGUE
consequent, aucun sens sp6cifique n’est accord6 au concept de non-discri-
mination, lequel est compris comme repetant le concept d’galit6 sous une
forme negative. 14
Si l’article 15(1) se borne A garantir le droit A ‘galit6,
il s’agit cependant
d’une garantie qui est congue de la fagon la plus complte possible: les
quatre formulations complementaires successivement utilis6es par le r&
dacteur de la Charte indiquent son intention d’inclure dans l’article toutes
les significations imaginables du concept d’egalite (equality before and under
the law; equal protection and equal benefit of the law).
Dans la mesure oft l’article 15(1) garantit le droit a l’egalit6, il interdit
alors toutes les distinctions, quel qu’en soit le motif, qui n’ont pas de bonnes
raisons d’etre, ou encore, si l’on prefere, toutes les distinctions << irration-
nelles >> entre les personnes. Par consequent, une personne traitee differem-
ment des autres, sans que cette difference de traitement ne se justifie par
un motif pertinent, se verrait denier le droit A l’egalit6 et pourrait faire appel
A la protection de l’article 15(1).
Enfin, il n’y a guere qu’une fagon d’interprter la presence, A l’article
15(1), d’une liste enumerant de fagon non limitative certains motifs de
discrimination specifiquement prohibes: elle indiquerait lintention du r6-
dacteur de la Charte de designer ces distinctions comme etant < intrins6-
quement suspectes > et d’enjoindre, par consequent, aux tribunaux de recourir
en ce qui les concerne A un contr6le particulierement s6vere. Les juges
devraient donc se montrer tr s exigeants en ce qui concerne la nature des
raisons invoquees pour justifier une distinction sur la base d’un des motifs
enumeres. Par contre, dans le cas d’une distinction fondee sur un motif non
‘4Cependant, plus g~nralement, on attribue un sens different A chacun des deux concepts.
En effet, on consid~re d’habitude que le principe de l’ggalit est viol6 lorsqu’une personne est
trait~e sur la base d’une consideration ou d’une caract~istique non pertinente: il y a alors
traitement injuste et irrationnel (unfair and irrational treatment). C’est le cas, par exemple,
lorsqu’un individu se voit refuser un emploi A cause de son apparence physique ou vestimen-
taire, sans que celle-ci constitue une << bonne raison )> pour lui refuser cet emploi en particulier.
Par contre, il y a discrimination lorsqu’une personne est trait6e de fagon d~favorable A cause
de son appartenance A un groupe dfsavantag6. Pour cette distinction entre le concept d’Agalit6
et celui de non-discrimination, voir notamment B. Hough, <
A.W. MacKay, dd., The Canadian Charter of Rights: Law Practice Revolutionized (1982) 306
A la p. 308; O.M. Fiss, <( Groups and the Equal Protection Clause> (1976) 5 Phil. & Pub. Aff.
107 A la p. 159.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 30
6num&rr,
un contr6le moins s~v~re. 15
la langue par exemple, les juges devraient se contenter d’appliuer
Par consequent, l’interdiction sp6cifique du recours A certaines distinc-
tions, apparemment redondante car d6jA logiquement comprise dans l’in-
terdiction g~n~rale de toutes les distinctions irrationnelles, s’expliquerait par
la ditherence des << niveaux de contr6le )> que le r~dacteur de la Charte voulait
voir s’appliquer dans l’un et dans l’autre cas.16
Ainsi, pour nous r~sumer, suivant cette premiere interpr6tation, les
distinctions irrationnelles fond~es sur la langue sont interdites de fagon
implicite par ‘article 15(1). En outre, afin de vrifier la rationnalit6 des
‘5Bien sfir, il est Egalement possible de consid6rer que l’num~ration de l’article 15(1) est
simplement illustrative et que le rrdacteur de la Charte n’attachait pas d’importance particuli~re
aux motifs de discrimination expressrment prohibrs. Cependant, cette interpretation n’est gu~re
retenue et les auteurs qui ont analys6 l’article 15(1) croient pour la plupart que 1’existence d’une
liste de motifs expressrment prohibrs indique que le rrdacteur de la Charte voulait que les
tribunaux exercent un contr6le plus severe en ce qui les concerne. Voir notamment M. Gold,
<(A Principled Approach to Equality Rights: A Preliminary Inquiry > (1982) 4 Sup. Ct L. Rev.
131 A Ia p. 138 ; Tarnopolsky, supra, note 6 A la p. 422. Cependant, le caractere non homogne
des motifs expressrment prohibrs par l’article 15(1) entralne certaines difficult6s; voir Hogg,
supra, note 6 A ]a p. 51 et Gold, ibid., A la p. 148 et s. Sur les probl~mes d’interprrtation poses
par l’absence d’homog6ndit6 des motifs expressrment prohibrs par l’article 15(1), voir infra,
notes 36 A 38 et les drveloppements au texte.
16La distinction entre diferents niveaux de contrrle (levels of scrutiny) s’inspire 6videmment
de la jurisprudence des tribunaux amrricains relativement A l’application de l’equalprotection
clause du quatorzi~me amendement. Les principes utilisrs par les tribunaux am~ricains dans
ce domaine sont excellemment exposes par Fiss, supra, note 14. La jurisprudence am6ricaine
est 6galement rrsumre par Gold, ibid., et Tarnopolsky, supra, note 6.
Sur le meme sujet, voir L.H. Tribe, American Constitutional Law (1978) A la p. 991 et s.;
J. Tussman & J. tenBroek, ((The Equal Protection of the Law o (1949) 37 Calif. L. Rev. 341.
Les trois niveaux de contr~le utilis~s par la Cour supreme des ttats-Unis font en sorte que la
s~v~rit6 des tribunaux A l’egard d’une loi contest~e en vertu du quatorzi~me amendement est
susceptible de varier selon la nature de la distinction (classification) en cause et selon la sub-
stance des droits que cette loi menace de nier ou de restreindre. Le contrOle < rigoureux > (strict
scrutiny) intervient lorsque la loi fait appel A une distinction intrins~quement suspecte >
comme la race, ]a religion ou l’origine nationale ou ethnique, et lorsque les droits menac6s
font partie de ceux qui sont consid~rs comme fondamentaux. Dans ces cas, les tribunaux
exigent, pour maintenir Ia validit6 de Ia loi, que celle-ci soit justifi6e par un overriding state
interest et que son objet ne puisse 8tre atteint par un autre moyen moins prejudiciel. Dans les
cas oti aucune des deux conditions qui entranent le recours au contrOle rigoureux) n’est
(minimal scrutiny). I1 suffit alors,
remplie, les tribunaux utiliseront le contr6le (minimal
pour ddmontrer que Ia loi est valide, de prouver qu’elle poss~de un objet < l6gitime (legitimate
state interest) et que la distinction qu'elle op~re est relire de faon raisonnable ) A cet objet.
Quant au contrrle intermdiaire > (intermediate scrutiny), comme son nom l’indique, il s’in-
s~re entre les deux prrc~dents et il s’applique, semble-t-il, principalement dans les cas de
distinctions fondres sur le sexe. Les tribunaux exigent alors que la loi dont la validit6 est
contestre serve un objet ((important>> (important governmental objective) et que la distinction
qu’elle opere entre les sexes possede un lien substantieh) avec le but poursuivi par le l6gislateur.
1985]
L’ARTICLE 15(1) ET LA LANGUE
raisons invoqu~es pour justifier une difference de traitement qui a pour
motif la langue parle par une ou plusieurs personnes, les tribunaux doivent
avoir recours A un contr6le moins s6vre que celui qu’ils utilisent dans le
cas des motifs de distinction 6num.r~s dans ‘article 15(1).
L’avantage de cette premiere th~orie est sa grande simplicit6.17 Quant
aux critiques que ‘on peut lui adresser, elles sont essentiellement les mmes
que celles qui se dirigent i l’encontre de la deuxi~me th~orie moniste. Nous
les soul~verons donc apr s avoir examin6 cette derni~re.
B. L’interpritation de Particle 15(1) comme disposition anti-discriminatoire
(thgorie moniste num~ro 2)
Cette deuxi~me interpr6tation consiste, toujours en s’appuyant sur le
mot << ind6pendamment > qui relie les deux membres de la phrase de Particle
15(1), i subordonner le concept d’galit6 i celui de non-discrimination, de
telle fagon que 1interdiction de la discrimination soit consid6r~e comme la
norme juridique unique de Particle 15(1). Autrement dit, le droit A 1’6galit6
ne signifierait donc rien d’autre que le droit de ne pas subir de traitement
discriminatoire. 18
Pour que cette deuxi6me th6orie moniste poss de une signification dif-
ferente de la premiere, il faut 6videmment que le concept de non-discri-
mination regoive une d6finition sp6cifique, qui ne se confonde pas avec celle
du concept d’6galit6.
Effectivement, il existe certains crit~res que ‘on utilise traditionnelle-
ment pour reconnaitre les distinctions qui sont discriminatoires, par op-
position a celles qui sont simplement irrationnelles ou, si ‘on pr6fere, qui
n’ont pas de < bonnes raisons >>.9
C’est ainsi qu’on a d~fini la discrimination comme suit:
[D]iscrimination is the treatment of a person (i) in a less advantageous way
than he would otherwise be treated (ii)(a) because he belongs to a disadvantaged
group or (b) has some trait correlated to such membership (iii) where his
belonging to such group or having such trait does not constitute a good reason
for the less advantageous treatment.20
Par consequent, les deux critres qui permettent de distinguer la v6-
ritable discrimination des simples classifications irrationnelles sont, d’une
‘7Cette premiere thdorie semble correspondre A l’interpr~tation faite par Tarnopolsky, supra,
‘8C’est l’interpr~tation que semble privilgier Hough, supra, note 14 A la p. 320. Voir 6ga-
note 6 A la p. 422.
lement Gold, supra, note 15 A la p. 145.
19Pour ‘analyse de cette distinction, voir supra, note 14.
20Hough, supra, note 14 A ]a p. 307; voir 6galement Gold, supra, note 15 A la p. 146.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 30
part, le caract6re d~savantageux du traitement appliqu6 i la personne qui
subit la discrimination 2 et, d’autre part, rappartenance do cette personne
i un groupe qui pr6sente lui-meme certaines caract6ristiques – un groupe
collectivement d6savantag6 par rapport aux autres membres de la soci6t6. 22
A la lumi6re de ce qui precde, il apparaft que le concept de non-
discrimination est plus sp6cifique et, par cons6quent, plus restreint que le
concept d’6galit6 tel que celui-ci a 6t6 d6fini jusqu’A pr6sent. En effet, une
distinction discriminatoire est toujours, en m~me temps, irrationnelle. 23 Par
contre, une distinction irrationnelle n’est pas n6cessairement discriminatoire.24
Solon la deuxi6me th6orie moniste, l’article 15(1) ne prohibe donc pas
les simples distinctions irrationnelles, mais uniquement celles qui sont dis-
criminatoires.25 Quant A ces derni6res, il y a lieu de les ranger dans deux
2’En fait, comme le souligne Gold, supra, note 15 A la p. 146, cc premier critre n’est pas
d’une tr~s grande utilit6 pour caract6riser la discrimination:
[U]nless discrimination involves something more than an adverse effect, it is re-
dundant in light of the practical realities of litigation under the Charter.
No person will challenge a law on the basis that he or she receives a benefit where
others do not ; real-world cases will concern claims that a person has been adversely
affected by the law.
C’est donc le deuxi6me critre, celui de ‘appartenance A un groupe social ddsavantag6, qui
est d~cisif.
22 Le groupe d6savantag6 doit 8tre un groupe social naturel et non pas une simple categoric
juridique cr66e par le droit. Ainsi, personne ne songerait A dire que le groupe des contribuables
qui ont un revenu sup6rieur A 50 000 $ par an subit une discrimination parce que le taux
d’imposition qui s’applique A ces contribuables est consid6rablement plus
lev6 que celui qui
frappe les contribuables t revenu plus faible. Par contre, on pourrait soutenir que cette difl’rence
dans le taux d’imposition est contraire au principe de l’galit6 (si l’on r6ussit f d6montrer que
le montant du revenu n’est pas un crit re pertinent pour faire varier le taux d’imposition).
Pour cette distinction entre les groupes qui constituent des natural classes et ceux qui sont des
artificial classes, voir Fiss, supra, note 14 aux pp. 148 et 156. Bien str, dans certains cas, ]a
qualification peut se r6v6ler difficile comme par exemple dans le cas des personnes fig~es.
23Cependant, une distinction qui a une <(bonne raison) n'est ni irrationnelle, ni discrimi-
natoire; voir la d6finition donn6e par Hough, supra, note 14 A ]a p. 307. Ainsi, un protestant
ne pourrait sans doute pas se plaindre de discrimination si on lui refusait un poste de professeur
de religion dans une institution scolaire catholique: dans ce cas, la religion du candidat est un
motif pertinent de distinction.
24Admettons qu'une personne d'origine alsacienne se voie refuser un emploi A Toronto parce
qu'elle ne parle pas l'anglais mais seulement le dialecte alsacien et que ]a connaissance de
l'anglais ne soit pas, en l'occurence, une bona fide occupational qualification pour l'emploi
postul&. Si l'individu en cause est le seul Alsacien de Toronto, il pourrait se plaindre d'avoir
subi un traitement injuste et irrationnel et invoquer le principe d'6galit6 pour en obtenir le
redressement. Par contre, il ne pourrait se plaindre de discrimination. Cela changerait cependant
si les Alsaciens formaient A Toronto une minorit6 d6savantag~e. Voir dgalement les exemples
donn6s par Hough, supra, note 14 A ]a p. 308.
25Par contre, 6tant donn6 qu'en vertu de la th6orie moniste num6ro 1 toutes les distinctions
irrationnelles sont interdites, celles qui sont discriminatoires le sont 6galement (m~me si cette
th6orie ignore par ailleurs le caract~re sp6cifique du concept de non-discrimination).
1985]
L'ARTICLE 15(1) ET LA LANGUE
cat6gories: les discriminations fondees sur l'un des motifs express6ment
6num6rrs dans la liste de 15(1), d'une part, et, d'autre part, toutes les autres
'article 15(1) prohibe << toute discri-
distinctions discriminatoires (en effet,
mination >>). Enfin, tout comme dans le cadre de la premiere interpr6tation
(throrie moniste num6ro 1), il faut croire que si le rrdacteur de la Charte
a distingu6 deux cat6gories differentes de << discriminations >>, c’est presque
certainement parce qu’il voulait que les tribunaux appliquent un niveau de
contr8le different dans les deux cas.
Cependant, si le nombre de categories distingu6es est semblable dans
les deux th6ories monistes, il ne devrait probablement pas en aller de meme
en ce qui concerne les niveaux de contr8le applicables. Dans le cadre de la
throrie moniste numrro 1, on pourrait en effet imaginer de soumettre les
distinctions non 6num6rres au contrfle << minimal >> et celles qui sont ex-
pressrment 6numr es au contrrle
que la deuxi~me th6orie moniste ne rend l’article 15(1) applicable qu’aux
seules distinctions discriminatoires, le contr~le << minimal >> apparaitrait
probablement comme insuffisant, m~me en ce qui concerne les discrimi-
nations autres que celles qui sont sprcifiquement vis6es dans la liste de
l’article 15(1). Autrement dit, c’est le contr~le << intermrdiaire >> qui devrait
s’appliquer dans le cas d’une discrimination fondre sur un motif non 6nu-
m6, comme la langue, alors que les motifs express6ment prohibrs par
‘article 15(1) exigeraient 6videmment le recours au contr6le << rigoureux >>.26
Voyons . pr6sent quelles sont les consequences precises qui drcoulent
de la throrie moniste num6ro 2 relativement i la portre de l’article 15(1)
en mati~re linguistique.
Pour que ‘article 15(1) puisse servir de fondement ;k la contestation
d’une distinction fond6e sur la langue parl6e par une ou plusieurs personnes,
ou sur quelque autre motif de distinction non expressrment prohib6, il faut
que cette distinction soit discriminatoire ; si elle n’est qu’irrationnelle, ‘ar-
tile ne sera d’aucun secours. 27
2 6Pour ]a signification concrete des trois niveaux de contr6le (levels of scrutiny) dans la
jurisprudence am6ricaine, voir les 6tudes indiqures, supra, note 16.
27Ainsi, pour attaquer, en vertu de l’article 15(1), les dispositions de Ta Charte de la langue
francaise, L.R.Q., c. C-l I, qui exigent en certaines circonstances l’usage (excIusif ou non) de
la langue frangaise, une personne qui parle une langue autre que le frangais devrait d6montrer:
(a) que la Ioi Ta place dans une situation moins avantageuse, (b) parce qu’elle appartient A un
groupe d6savantag6, (c) alors que ‘appartenance A ce groupe ne constitue pas une < bonne
raison )) pour un tel traitement moins avantageux. Dans l'6tat actuel de Ta jurisprudence, cette
d6monstration pourrait se r6v6ler difficile. En effet, dans certains arrts, on a jug6 que l'obli-
'autre) ne
gation d'utiliser la langue de la majorit6 ('anglais dans un cas, le frangais dans
comportait pas discrimination contre ]a minorit6 parce que la r~gle 6tait ]a meme pour tous.
Voir Association des Gens de lAir du Quebec c. Lang (1978), [1978] 2 C.E 371 A la p. 378
(C.A.) : Devine c. PG. Quebec (1982), [1982] C.S. 355 aux pp. 374-5 ; Ford c. PG. Quebec (28
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 30
Pour decider si une distinction fondee sur la langue constitue de la
discrimination, les tribunaux appliqueront les criteres qui decoulent de la
definition de ce concept generalement admise, s'ils estiment que le redacteur
de la Charte a voulu implicitement y renvoyer. Sinon, ils devront inventer
leurs propres criteres, qui ne seront probablement pas tres difftrents de la
definition traditionnelle.
Ainsi, dans le cadre de cette deuxieme interpretation, chaque fois que
l'article 15(1) est invoque pour contester une distinction fondee sur un motif
autre que ceux qui sont expressement enumeres, le juge doit verifier s'il
existe une veritable discrimination avant de pouvoir appliquer la Charte.
Par contre, en toute logique, chaque fois qu'il s'agit d'un des motifs de
distinction enumeres, 'existence d'une discrimination devrait etre presum~e
puisque l'article 15(1) d6signe expressement ces distinctions comme etant
discriminatoires. Cette presomption pourra cependant 8tre ecartee si l'on
'existence de < bonnes raisons >> qui justifient le recours A la dis-
prouve
tinction en cause dans les circonstances de 1’espece. 28
Ajoutons egalement que dans le cadre de cette deuxieme interpretation
de l’article 15(1), il est possible de tenir compte des hypotheses off un motif
de distinction qui n’est pas habituellement utilis6 de fagon discriminatoire
devient l’objet d’une telle utilisation A l’occasion, par exemple, de l’appa-
rition de problemes sociaux particuliers. Ainsi, il existe des societes dans
lesquelles les clivages linguistiques ne posent pas de problemes particuliers
jusqu’aujour ofi l’arrivee massive d’immigrants allophones leur confere une
plus grande acuite. Si la majorite autochtone succombe A la tentation d’ap-
pliquer aux nouveaux arrivants un traitement desavantageux, les conditions
de discrimination seront reunies et l’article 15(1) pourra des lors etre invoqu.
Une autre consequence pouvant decouler de l’interpretation de l’article
15(1) suivant la deuxieme theorie moniste est que le recours A une distinc-
tion fondee sur la langue, ou sur un autre motif non enumere pourrait etre
considere comme discriminatoire A l’egard de certaines personnes qui ap-
partiennent A un groupe desavantage, sans l’8tre de la meme fagon A l’egard
d’autres personnes placees dans une situation diflerente. L’article 15(1) ne
dcembre 1984), Montral 500-05-002008-843 (C.S.) aux pp. 11-2 [retenu pour publication].
En d’autres termes, ces decisions sont A 1’effet qu’une loi ou un r~glement qui impose ,A ]a
minorit6 de parler et d’utiliser la langue de ]a majorit6 s’applique 6galement f tous. Voilfi, sclon
nous, une fagon de comprendre le concept d’8galit& qui r~duit celui-ci A fort peu de signification.
En r~alit6, on le sait bien, le respect de l’galit6 ne consiste pas A traiter de fagon identique
ceux qui sont dans des situations ditterentes, mais bien au contraire A tenir compte de ces
differences. Si ]a loi exige rutilisation d’une langue unique qui, pour certains est Jeur langue
maternelle et pour d’autres une langue 6trangre, il parait 6vident qu’elle ne traite pas 6galement
les uns et les autres.
28Voir, supra, note 23.
1985]
L’ARTICLE 15(1) ET LA LANGUE
pourrait alors 6tre invoqu6 que par celles qui subissent une discrimination,
mais non pas par les personnes A 1’6gard desquelles la distinction en cause
possde seulement un caract~re < irrationnel >.29 II parait 6vident qu’une
telle consequence n’est cependant pas souhaitable, puisque la difference
entre les effets juridiques qui decoulent de chacune des deux situations est
elle-m~me peu compatible avec le concept d’galit. LA ne r6side pas ce-
pendant la principale faiblesse de cette deuxi~me interpretation de l’article
15(1), comme nous allons le voir.
En effet, la critique essentielle que l’on peut adresser aux deux theories
monistes est la meme et elle se rattache prcisment A ce qui fait leur ca-
ractre < moniste >>. On peut leur reprocher en effet de ne pas tenir compte
de la dualitt conceptuelle de l’article 15(1), lequel contient A la fois l’afflr-
mation du droit A 1’6galit6 et l’interdiction de la discrimination. Or, l’on sait
qu’il faut 6viter les interpretations qui ne donnent pas un sens utile A tous
les concepts utilis~s par le r~dacteur d’un texte l~gislatif ou constitutionnel. 30
Pour respecter ce principe, il est donc nrcessaire de considerer que l’article
15(1) comprend non pas une, mais deux normes juridiques, ayant chacune
un sens et des effets propres. C’est le postulat sur lequel repose la th~orie
que nous qualifierons de <( dualiste > ; celle-ci constitue donc une troisi~me
et derni~re interpr6tation de l’article 15(1).
C. L’interprtation de Particle 15(1) comme contenant ‘i la fois le droit ti
l’galitg et l’interdiction de la discrimination (thorie dualiste)
Ainsi, la th6orie dualiste reconnait l’existence, dans l’article 15(1), de
deux normes juridiques distinctes : d’une part, le droit A 1’6galit6 – premier
membre de phrase, qui pr6cde le mot < ind6pendamment >> –
et, d’autre
part, 1’interdiction de la discrimination – deuxi me membre de phrase, qui
suit le mot d ind6pendamment >. Quant A cette deuxi~me norme, elle est
elle-meme double, puisque le r~dacteur de la Charte, apr~s avoir interdit
29Une loi provinciale colombienne exigeant une maitrise parfaite de P’anglais pour certains
postes de la fonction publique (sans que les habilet~s linguistiques constituent une bona fide
occupational qualification en 1’occurrence) serait d~s lors discriminatoire A 1’Ngard des membres
de la minorit6 francophone de la province, sans l’8tre de la m~me fagon A l’6gard d’individus
isols dont la langue n’est nile francais, ni l’anglais. Quant A ces derniers,
‘exigence d’une
habilet& linguistique non pertinente constituerait simplement un traitement injuste et irrationnel.
30En outre, I’article 1(b) de ]a Dclaration canadienne des droits, S.C. 1960, c. 44 a 6t6
interprbt6 comme interdisant les distinctions < irrationnelles>> autant que Ta discrimination
proprement dite ; voir Currc. La Reine (1972), [1972] R.C.S. 889, 26 D.L.R. (3d) 603. 11 serait
6tonnant que Ta Charte offre une protection moins 6tendue que Ta loi de 1960.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 30
toutes les distinctions discriminatoires – << ind6pendamment de toute dis-
crimination >> –
prohibe encore plus particuli~rement celles qui sont ex-
press6ment d6sign~es dans l’article – << notamment les discriminations fond6es
sur la race [ .
.] >>.31
Pour que la distinction faite par l’article 15(1) entre le droit A l’galit6
et rinterdiction de la discrimination ait un effet utile, il faut 6videmment
adopter, comme dans le cas de l’interpr6tation pr6c6dente (th6orie moniste
num&o 2), une d6finition du concept de non-discrimination qui ne se confonde
pas avec celle du concept d’6galit6. Nous retiendrons celle qui a &6 utilis6e
jusqu’A. present.32
Or, comme il a d6jA 6t6 soulign6, sous sa forme sp6cifique et restrictive,
le concept de non-discrimination est logiquement contenu dans le concept
d’6galit6. Autrement dit, le principe de l’6galit6 6tant incompatible avec
quelque distinction non rationnelle que ce soit, il interdit a fortiori les
distinctions qui sont discriminatoires. Si le r6dacteur de la Charte a pris la
peine d’ajouter A l’affirmation du droit i l’6galit6 une interdiction de la
discrimination, il s’ensuit qu’il voulait fort probablement 6tablir des cat6-
gories differentes de distinctions, chacune appelant un autre type de contrale
judiciaire : d’une part, les distinctions simplement << irrationnelles >>, les-
quelles sont toutes prohib6es par le principe d’6galit6 ; d’autre part, les dis-
tinctions discriminatoires, lesquelles sont interdites de fagon g6n6rale par
le debut du deuxi~me membre de phrase de l’article 15(1).
Le meme type de raisonnement s’applique 6galement au double carac-
tare de l’interdiction de la discrimination. La seule fagon de donner un effet
utile A l’addition, dans le deuxi~me membre de phrase de l’article 15(1),
d’une interdiction gnrale de toutes les distinctions discriminatoires et
d’une prohibition spcifique de certaines discriminations, lesquelles sont
express6ment numres, consiste A consid6rer que le r6dacteur de la Charte
entendait distinguer entre la cat~gorie des discriminations < ordinaires >> et
celle qui r~unit les discriminations consid~r6es comme les plus graves.
Ainsi, contrairement aux th6ories monistes qui postulent l’existence de
deux cat6gories de distinctions seulement, et de deux niveaux de contr~le,
la th6orie dualiste prend pour acquis que le r6dacteur de la Charte entendait
differencier trois cat6gories de distinctions, et autant de niveaux de contr8le :
(a) les distinctions discriminatoires fond6es sur un des motifs 6num6r6s
dans l’article 15(1) ; elles rclament bien sfir 1’exercice du contr6le judiciaire
32Dans Ia version anglaise du texte: <... without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability >).
32 Voir supra, notes 14 et 20.
1985]
L’ARTICLE 15(1) ET LA LANGUE
le plus s6v~re, c’est-A-dire le < contr6le rigoureux >> ; (b) les distinctions dis-
criminatoires fond~es sur un motif autre que c~ux qui sont 6num~r6s ; elles
justifient le recours au o contr6le intermidiaire >); (c) les distinctions qui
ne sont pas discriminatoires, mais qui sont irrationnelles (without good
reasons) ; en ce qui les concerne, les tribunaux doivent se contenter d’exercer
le <(contr6le minimal >.
Comparons A present les effets de cette th~orie dualiste avec ceux qui
d~coulent des deux interpretations monistes examinees pr6c&lemment. Nous
concentrerons notre attention sur la port6e de l’article 15(1) en mati~re
linguistique.
Tout comme la th~orie moniste num~ro 1, la th~orie dualiste a pour
effet de rendre l’article 15(1) applicable non seulement aux distinctions dis-
criminatoires, mais 6galement A celles qui sont seulement irrationnelles. Par
contre, la thorie moniste num~ro 2 n’entrane que la prohibition des seules
distinctions discriminatoires, au sens restreint du terme. Si le crit~re utilis6
pour choisir entre les trois interpretations est celui du meilleur degr6 de
protection constitutionnelle offert par l’article 15(1), la th~orie moniste nu-
m~ro 2 devrait 8tre par cons6quent rejet6e au profit de l’une des deux autres.
Dans le cadre de la thorie dualiste comme dans celui de la th~orie
moniste num6ro 2, chaque fois que ‘article 15(1) est invoqu6 pour contester
une distinction fondde sur un motif qui, comme la langue, n’est pas 6numr6
dans l’article, le tribunal doit commencer par qualifier l’usage qui est fait
de ce motif de distinction pour dire si celui-ci est irrationnel ou discrimi-
natoire. Dans le cadre de la thorie moniste num~ro 2, si la distinction est
consid~r~e comme irrationnelle sans 8tre pour autant discriminatoire, l’ar-
tile 15(1) ne trouve pas d’application. Avec la th6orie dualiste, il s’applique
dans les deux cas et la qualification a pour seul objet de determiner le degr6
de contr8le dont les tribunaux doivent faire usage. Enfin, dans le cadre de
la th6orie moniste num6ro 1, aucune qualification de ce genre n’est n~ces-
saire: seul compte le fait que le motif de distinction en cause soit ou non
6num&6 express6ment A l’article 15(1).
Comme on ‘a d~jA soulign6, alors que la thdorie dualiste postule l’exis-
tence de trois categories de distinctions, et d’autant de niveaux de contr6le,
les theories monistes n’en pr~supposent que deux. Celles-ci pr~sentent donc
‘avantage d’une plus grande simplicit6. Par contre, le recours A une cat~gorie
suppl~mentaire dans le cadre de la th~orie dualiste peut etre consider6 comme
permettant aux tribunaux d’introduire plus de nuances dans leur attitude
et d’6voluer avec plus de souplesse entre les deux p6les de l’activisme et de
la retenue judiciaires.
Avec la th6orie dualiste, le niveau de contr6le judiciaire applicable aux
distinctions fondaes sur la langue, ou sur un autre motif non express6ment
284
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 30
6num 6r, est susceptible de varier selon les circonstances. En effet, de telles
distinctions peuvent atre consid~r~es habituellement comme 6tant simple-
ment irrationnelles, ce qui suppose ‘application du contr6le minimal, mais
acqu~rir suivant certaines circonstances politiques ou sociales un caract~re
plus grave et devenir d~s lors susceptibles d’8tre consid~res comme dis-
criminatoires, ce qui entraine l’application du contr6le intermdiaire. On
pensera A ce propos A l’hypoth~se soulev~e prc~demment, d’une soci6t6
traditionnellement unilingue dans laquelle l’arriv~e massive d’immigrants
allophones fait surgir des clivages linguistiques. Cette possibilit6 de choisir
le niveau de contr6le judiciaire applicable selon les circonstances n’existe
pas dans le cadre des deux autres theories.
Par contre, il existe une consequence commune aux trois theories : 6tant
donn6 que la langue n’est pas 6num~r~e a l’article 15(1), les distinctions
fond6es sur un motif linguistique ne justifient jamais le recours au contr6le
<< rigoureux >.
Enfin, la th~orie dualiste permet d’ viter une consequence indfsirable
que nous avons identifi~e dans le cadre de la th~orie moniste num6ro 2.
Selon celle-ci, en effet, si une m~me distinction fond~e sur la langue poss~dait
A l’6gard de certaines personnes un caract~re simplement irrationnel alors
qu’elle est susceptible d’atre consid~r~e comme discriminatoire A l’gard
d’autres personnes, plac~es dans une situation diff”erente, seules ces derni~res
pourraient invoquer le secours de l’article 15(1), lequel resterait par contre
sans aucun effet A l’gard des premieres.33 Dans le cadre de l’interpr~tation
dualiste, Farticle 15(1) s’appliquerait dans les deux cas, la seule difference
r~sidant alors dans le niveau de contr6le judiciaire utilisable.34
Cet examen des cons6quences pratiques de chacune des trois thories
nous a 6galement permis de d~gager les principaux critres qui, A notre avis,
devraient servir aux tribunaux pour choisir, parmi toutes les interpretations
de ‘article 15(1), celle qu’ils appliqueront dans I’avenir.
Le premier critre, on l’a dejA soulign6, est celui du degr6 de protection
offert par l’article 15(1). I1 conduit A 6carter la th6orie moniste num6ro 2,
puisque celle-ci ne permet pas d’appliquer l’article aux distinctions qui sont
<< irrationnelles >> sans cependant 8tre 6galement discriminatoires.
Le deuxi~me crit~re, celui de la simplicitM, conduirait quant A lui A
choisir la th6orie moniste num6ro 1 qui ne postule que l’existence de deux
niveaux de contr6le, plut6t que la th~orie dualiste qui en presuppose trois.
33Supra, note 29.
34Dans le cadre de Ta thorie moniste num~ro 1, larticle 15(1) est 6galement applicable dans
les deux cas, puisque toutes les distinctions irrationnelles et, par consequent, celles qui sont
en plus discriminatoires sont interdites. Cependant, le niveau de contr6le sera toujours le meme,
puisque la langue n’est pas un des motifs de discrimination express6ment dnum~r~s.
1985]
L’ARTICLE 15(1) ET LA LANGUE
Cependant, la theorie dualiste possede un avantage qui nous semble
important sur la theorie moniste numero 1. Elle permet aux tribunaux d’ap-
pliquer aux distinctions fond6es sur un motif non enumere, comme la langue,
un niveau de contrele qui varie selon l’usage qui en est fait et selon les
circonstances. Par consequent, elle permet une plus grande souplesse dans
l’utilisation de l’article 15(1), ce qui constitue un avantage suffisant pour
contrebalancer l’inconvenient qui resulte de la plus grande complexite de
cette interpretation.
En definitive, il semble donc que la consideration des effets pratiques
decoulant de chacune des trois interpretations susceptibles d’tre donnees
.1 l’article 15(1) nous conduise it retenir la theorie dualiste comme 6tant la
plus avantageuse.
Les tribunaux devraient se sentir libres de s’appuyer sur ce critere des
effets pratiques pour choisir entre les trois theories, dans la mesure ofi le
critere de la coherence logique de l’interpretation n’est pas d’une grande
utilite en ce qui concerne l’article 15(1).
En effet, comme cela ressort de ce qui precede, chacune des trois theories
encourt certains reproches lorsqu’on l’evalue du point de vue de la fidelite
au texte de l’article 15(1). Les deux theories monistes ont le defaut de ne
pas tenir compte de la dualite conceptuelle de l’article, 35 alors que la theorie
dualiste, qui repose precisement sur la distinction entre le concept d’egalit6
et celui de non-discrimination, possede l’inconvenient de ne pas tenir compte
de la structure grammaticale de la disposition. En definitive, par consequent,
aucune des trois interpretations de l’article 15(1) ne permet de lui donner
une application qui serait entierement compatible avec chacun des elements
qui le constituent en meme temps qu’avec sa construction grammaticale.
Soulignons enfin que toutes les trois interpretations de l’article 15(1)
soulevent certaines difficultes semblables liees au caractere h6terogene des
motifs de discrimination express6ment prohibes dans cette disposition.
En effet, les interpretations examinees reposent toutes sur le postulat
en vertu duquel le redacteur de la Charte a voulu distinguer plusieurs ni-
veaux differents de contr6le judiciaire en ce qui concerne l’application de
l’article 15(1). C’est un point du vue qu’il est n6cessaire d’adopter si l’on
veut donner un sens et un effet utile A l’existence de la liste non limitative
35Cependant, ce d~faut est plus s~rieux, concrtement, en ce qui concerne la deuxi~me th~orie
moniste, selon laquelle
‘article 15(1) contiendrait uniquement le concept restrictifde non-
discrimination, que dans le cas de la th~orie moniste num~ro 1 qui interprate l’article comme
contenant le concept extensif d’galit6 (on a soulign6 pr~c~demment que le droit i l’ galit6
englobe n~cessairement le droit , la non-discrimination). En outre, 6tant donn~e l’extraordinaire
minutie avec laquelle le droit A l’6galit8 a 6t6 dbfini dans l’article 15(1), il serait paradoxal que
celui-ci soit en definitive interprt comme une simple disposition anti-discriminatoire.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 30
des motifs de discrimination express~ment prohib~s, qui est contenue dans
l’article. Les classifications express~ment visees sont alors consid~r~es comme
exigeant le recours A un contr6le judiciaire plus s6v~re.
Cependant, pour que cette interpr6tation soit parfaitement justifiable,
il faudrait que les divers motifs de distinction contenus dans la liste de
Particle 15(1) pr~sentent une certaine homogeneit. Est-ce le cas ? Ceux qui
soul~vent la question semblent vouloir y r~pondre par la n~gative.3 6 Le
manque d’homog~n~it6 des distinctions 6num~r~es par l’article 15(1) s’ex-
pliquerait, semble-t-il, par le fait que la redaction de la liste contenue dans
celui-ci a surtout &6 influenc~e par les d~marches de divers groupes de
pression aupr~s du gouvernement fed6ral, lequel 6tait A 1’6poque fort en
peine de r~unir les appuis n~cessaires pour la poursuite de son entreprise
de rapatriement unilateral de la constitution. 37
L’ht6rogen~it6 des distinctions de l’article 15(1) compliquera par con-
sequent encore davantage l’interpr~tation de cette disposition, d6ja passa-
blement complexe. Elle rend plus difficile, en effet, la caractrisation des
niveaux de contr6le judiciaire qu’il s’agit de distinguer.
Mais, il n’est pas possible pour autant de faire abstraction de l’existence
de la liste de P’article 15(1).38 Le fait que le r~dacteur de la Charte ait prohib6
express6ment des classifications spfcifiques signifie presque assur~ment qu’il
a voulu que les tribunaux appliquent, en ce qui les concerne, un contr6le
plus rigoureux que celui qui est valable pour les distinctions qui ne sont
pas expressfment prohib~es. La nature des motifs politiques qui sont A
l’origine de la constitution de la liste des distinctions express~ment prohib~es
par le r6dacteur de la Charte importe assez peu.
supra, note 6 5 ]a p. 422.
lobbying on the part of representatives of some of the groups listed in the section ).
36Voir Hogg, supra, note 6 i ]a p. 51 ; Gold, supra, note 15 i ]a p. 148 et s. ; Tarnopolsky,
37Gold, ibid. A lap. 150: ((The language of section 15 is the result of intensive and successful
38D’ailleurs, l’absence d’homog6n6it6 des divers groupes vis6s par l’num~ration de l’article
15(1) n’est pas totale. II est vrai qu’on y trouve A ]a fois des groupes sociaux naturels, ceux
qui sont d6finis par la race, l’origine ethnique ou nationale, la religion et d’autres qui sont
plut6t des cat6gories juridiques artificielles (pour la distinction entre natural classes et artificial
classes, voir supra, note 22), mais toutes les cat6gories vis6es pr6sentent par ailleurs certaines
caract6istiques communes: il s’agit de groupes qui sont collectivement d6savantag6s –
en
situation de faiblesse – par rapport A la portion plus favoris6e de ]a population et qui exercent
relativement peu d’influence sur le processus d6mocratique majoritaire de prise de d6cisions
en tout cas, pas assez pour l’infl6chir A leur avantage. A ce titre, les groupes
politiques –
6num6r6s dans l’article 15(1) sont tous dans une situation quijustifie une protection particuli6re,
de la part du pouvoir judiciaire, contre les decisions susceptibles de leur etre impos~es par le
pouvoir politique (16gislatif et gouvernemental) domin6 par ]a majorit6. Pour une application
du meme raisonnement dans le cadre du droit am6ricain, voir M.S. Ball, < Judicial Protection
of Powerless Minorities o (1974) 59 Iowa L. Rev. 1059 ; Fiss, supra, note 14 A ]a p. 151 et s.
1985]
L'ARTICLE 15(1) ET LA LANGUE
En outre, il est tr6s difficile de voir comment les tribunaux pourraient
concr6tiser le statut particulier que le r6dacteur de la Charte a si manifes-
tement voulu donner aux motifs de discrimination 6numr6s, autrement
qu'en leur appliquant un degr6 de contr6le judiciaire plus s6v6re. D'ailleurs,
comme le montre la jurisprudence am6ricaine qui a appliqu6 le quartor-
zieme amendement, il n'est tout simplement pas possible pour les tribunaux
de se passer compl6tement d'une telle distribution des motifs de classifi-
cation entre divers niveaux de contr6le. Si le texte constitutionnel n'en
pr6voit pas, c'est aux tribunaux de l'inventer, comme cela s'est pass6 aux
ttats-Unis. I1 serait cependant paradoxal que les tribunaux canadiens se
sentent libres d'en faire autant alors que la constitution qu'ils appliquent,
contrairement 5. celle des Etats-Unis qui est muette sur ce point, d6signe
express6ment certains motifs de discrimination comme plus
que les autres.
Apres ces d6veloppements relatifs A l’application de l’article 15(1) en
matiere linguistique, il est 16gitime de se demander pourquoi la langue n’a
t6 ins6r6e dans la liste des motifs de discrimination express6ment pro-
pas
hib6s.
H. L’omission de la << langue >> comme motif de discrimination expressement
prohib6
Pour plusieurs raisons, cette omission parait surprenante. En premier
lieu, soulignons que le Projet de loi C-60, presente par le gouvernement
fRederal en 1978 et destine A modifier la constitution dans les domaines ofi
celui-ci pensait avoir competence pour le faire par le biais d’une simple loi
federale, contenait un article relatif aux droits a l’egalit6 dans lequel la langue
etait au nombre des motifs de discrimination expressement prohib6s. 39
Par contre, la langue etait deji absente de l’enumeration figurant A
l’article 15(1) du projet constitutionnel present par le gouvernement ca-
nadien le 6 octobre 1980 et il en est reste ainsi a toutes les etapes du long
processus A l’issue duquel, apres les multiples peripeties politiques, diplo-
matiques et judiciaires que l’on connalt, ce projet est enfin devenu la Loi
constitutionnelle de 1982. Pourtant, les travaux du Comite special mixte sur
la Constitution du Canada ont donne lieu A la modification de L’numeration
figurant dans l’article 15(1) a l’origine; ce n’6tait cependant pas pour y
39 Projet de loi C-60, Loi modifiant la Constitution du Canada dans certains domaines res-
sortissant ii la competence legislative du Parlement du Canada et prevoyant les mesures neces-
saires 6 la modification de la Constitution dans certains autres domaines, 3e sess., 30e LUg.,
1978, art. 9. Pour l’historique de cette tentative fed~rale de rajeunissement de la constitution,
voir E. McWhinney, Quebec and the Constitution 1960-1978 (1979) A Ta p. 120 et s.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 30
ajouter la langue, mais les << drficiences mentales ou physiques >> comme
motif suppl~mentaire de discrimination prohib~e.40
L’omission de la langue dans 1’6numrration de l’article 15(1) surprend
6galement lorsque
‘on compare celui-ci aux dispositions 6quivalentes qui
figurent dans les constitutions d’autres pays qui, comme le Canada, connais-
sent le plurilinguisme,41 ou encore A celles que l’on trouve dans les conven-
tions internationales relatives A la protection des droits fondamentaux. Quant
A ces derni~res, elles contiennent toutes une disposition anti-discriminatoire
dans laquelle la langue figure au nombre des motifs de distinction expres-
srment et sp~cifiquement prohibes. 42
Comme nous l’avons indiqu6 pr~crdemment, 6tant donn6 que le gou-
vernement ftedral a ratifi6 certaines de ces conventions, cette absence de
parallrlisme entre les normes contenues dans celles-ci en mati~re de non-
discrimination linguistique et l’article 15(1) de la Charte pourrait proba-
blement 8tre analys~e comme un manquement du Canada A ses obligations
internationales. 43
Enfin, il est permis de s’6tonner du silence de l’article 15(1) en regard
de la discrimination linguistique lorsque l’on connait l’importance et l’fipret6
des problmes relies i la langue au Canada, autant dans le pass6 qu’A l’heure
pr~sente. Les affrontements linguistiques qui ont marqu6 l’histoire du pays
et qui font encore l’actualit6 aujourd’hui auraient sans doute justifi6 une
reference expresse i la langue, dans la mesure, on le sait, oft celle-ci efit
t6
ainsi rang6e dans la cat~gorie des differenciations << suspectes >> qui exigent
un contrrle plus srv~re de la part des tribunaux.
Mais peut-8tre est-ce lI pr6cis6ment le r6sultat que les r6dacteurs de la
Charte voulaient 6viter. En effet, il est possible d’imaginer qu’en 6cartant
la langue de la cat~gorie des distinctions auxquelles les tribunaux se sentiront
40Gold, supra, note 15 A la p. 150.
4’Voir Turi, supra, note 4 et Capotorti, supra, note 8 A la p. 55.
42Voir supra, note 12. Pour un relev6 des dispositions concernant les droits linguistiques et
le droit A 1’6galit6 linguistique dans les instruments internationaux les plus importants, voir
M. Tabory,
6galement J. Claydon, ( The Transnational Protection of Ethnic Minorities : A Tentative Fra-
mework for Inquiry> (1975) 13 A.C.D.I. 25; Verdoodt, supra, note 4 A ]a p. 19 et s. Dans
l’article 2 de Ia Declaration universelle des droits de l’homme et dans les articles 2(1) et 26 du
Pacte, supra, note 10, ]a langue est express6ment vis6e dans l’dnumfration, meme si, par ailleurs,
celle-ci n’est pas limitative.
43Pour un relev6 des conventions internationales relatives A ]a protection des droits de rhomme
auxquelles le Canada est devenu partie, voir M. Cohen & A.E Bayefsky, <(The Canadian
Charter of Rights and Freedoms and Public International Law > (1983) 61 Can. Bar Rev. 265
A la p. 285. Pour les rapports entre le droit international et le droit interne canadien, voir E
Rigaldies & J. Woehrling,
la langue frangaise et i la langue anglaise, et par cons6quent A ceux qui
parlent ces langues: il s’agit des articles 16 A 20 et 23 de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et de
l’article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba.45 En outre, elle contient
6galement des dispositions qui sont peut-etre susceptibles de conferer des
droits de nature linguistique A des personnes parlant certaines langues autres
que l’anglais et le frangais, A savoir les articles 25 et 27.46
L’application de toutes ces dispositions entrainera done la cr6ation de
<< statuts linguistiques particuliers o au profit des personnes appartenant A
certains groupes identifi6s par le crit~re de la langue. S'agit-il 1A d'un r6sultat
incompatible avec une application << rigoureuse >> de l’article 15(1) en ma-
ti~re linguistique ? Il semble que non, A premi6re vue du moins, si l’on veut
bien se rappeler que les dispositions d’une loi ou d’une constitution s’in-
terpr~tent les unes par rapport aux autres. Par cons6quent, mame si la langue
figurait au nombre des distinctions express~ment prohib~es par l’article 15(1),
cela n’aurait sfirement pas pour effet d’empecher ‘application d’autres dis-
positions de la constitution qui conferent A certains individus ou A certains
groupes des droits ou privileges particuliers en mati~re linguistique.
Mais il est 6galement vrai que l’application de l’article 15(1) est sus-
ceptible d’affecter l’interpr6tation qui sera donn6e aux dispositions linguis-
tiques, et cela de fagon d’autant plus importante que le degr6 de contr6le
appliqu6 aux distinctions fond6es sur la langue sera exigeant et s~v6re. En
particulier, la crainte de susciter des conflits entre ‘article 15(1) et les articles
16 i 20 et 23 –
pourrait amener les tribunaux A
ne pas vouloir donner aux dispositions linguistiques une interpr6tation aussi
lib6rale et, surtout, aussi &volutive qu’il serait possible et souhaitable. 47
et, peut-etre, 25 et 27 –
de la Loi constitutionnelle de 1982, supra, note 1.
44La <(Constitution du Canada> comprend tous les textes 16gislatifs vis6s A l’article 52(2)
4sSupra, note 5.
46Voir, supra, note 6 et les d~veloppements au texte.
47Ainsi, si les principes d’EgalitE et de non-discrimination, d’une part, et l’attribution de
droits particuliers, de l’autre, constituent deux moyens compl6mentaires de garantir A la mi-
norit6 l’6galit6 avec le reste de Ia population, il existe 6galement un certain antagonisme –
voire une contradiction – entre les deux. Alors que les droits linguistiques collectifs b6n6ficient
i certains individus a cause de leur appartenance i un groupe particulier, le principe de l’galit6
suppose pr6cis6ment que les individus soient trait6s sans consid6ration des caract6ristiques
par lesquelles ils se rattachent A un groupe particulier, linguistique ou autre. Plus pr6cis6ment
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 30
Par consequent, il n’est pas impossible de penser que l’omission de la
langue dans la liste de l’article 15(1), qui a pour effet d’6carter le recours au
contr6le rigoureux > en ce qui concerne la justification des classifications
fond~es sur ce motif, s’expliquerait par le souci du r~dacteur de la Charte,
en r~duisant les risques de conflit entre l’article 15(1) et les dispositions
linguistiques, de ne pas mettre d’entraves i une interpretation judiciaire
large et lib~rale de ces derni~res.48 En outre, cette omission pourrait pro-
bablement 6tre interpr~t~e comme indiquant que le redacteur de la Charte
considerait que 1’6galit6 linguistique individuelle est moins importante et ne
n~cessite pas d’tre autant protegee que l’6galit6 des deux grands groupes
linguistiques du Canada, laquelle est consacr~e par les articles 16 a 20 et 23
de la Charte –
et par les autres dispositions pertinentes de la < Constitution
du Canada >49
encore, si les avantages particuliers accord~s aux membres d’une minorit6 sont consid6r~s par
ceux-ci comme n~cessaires pour les mettre A Egalit6 avec les individus appartenant ft ia majorit6,
ces derniers auront par contre assez fr~quemment le sentiment que le traitement plus favorable
accord6 fl d’autres les place eux-m~mes dans une situation d~savantag~e et contrevient ainsi
au principe d’galit.
48Certaines des interventions devant le Comit6 special mixte sur la Constitution du Canada
illustrent ces craintes relatives aux conflits susceptibles de surgir entre les principes d’galit6
et de non-discrimination, d’une part, et, d’autre part, les droits linguistiques. Voir D&Iibrations
du Comit special mixte, supra, note 3 (9 d~cembre 1980) aux pp. 22:88 (J. Lapierre) et 22:99
(L. Nystrom et A. Juzukonis).
voire une exception –
49Alors que l’article 15(1) a pour but d’assurer l’6galit6 entre les individus, ]a finalit6 des
droits linguistiques et culturels de la Charte est de permettre le maintien et ‘6panouissement
de certaines collectivit~s et d’6tablir, en quelque sorte, l’6galit6 entre les minorit~s, d’une part,
et Ia majorit6, de rautre, c’est-i-dire l’galitO entre les divers groupes qui composent la soci6t6
canadienne. Par consequent, tout comme l’article 27, les articles 16 fA 20 et 23 de la Charle
peuvent 6tre consid~r~s comme un temp&rament –
que Pon a senti
le besoin d’apporter a l’application de Particle 15(1), pour prot~ger les groupes minoritaires Ai
‘8gard desquels une application trop radicale du principe d’Egalit6 aurait eu des effets n~gatifs,
puisque assimilateurs. Dans la mesure ofi il est in6vitable que certains conflits apparaissent, at
l’occasion de ‘application de la Charte, entre l’6galit6 individuelle garantie par l’article 15(1)
et l’dgalit6 des groupes, les tribunaux devront d6couvrir quels sont les droits auxquels le r6-
dacteur de la Charte voulait reconnaltre la primaut6. L’omission de ]a langue comme motif
de discrimination express~ment prohib6 est d~s lors susceptible d’8tre interpr6t~e comme in-
diquant que l’on voulait donner moins-d’importance i la protection de l’galit6 linguistique
individuelle qu’a Ia defense des droits linguistiques collectifs (voir supra, note 5). Par contre,
comme 1’ origine ethnique > figure parmi les motifs de discrimination express~ment prohib~s,
il faudrait en conclure que le r~dacteur de la Charte attachait autant ou plus d’importance A
l’8galit6 ethnique individuelle qu’A l’galit6 collective des groupes ethniques (voir supra, note
6). Cependant, il est vrai que la fronti~re entre langue et culture est souvent difficile A tracer
et, par consequent, les minorit~s ethniques qui peuvent r~clamer les droits garantis par les
articles 25 et 27 de la Charte seront le plus souvent, en m~me temps, des minorit~s linguistiques.
II existe 6galement d’autres considerations qui peuvent aider fi comprendre quelle est la place
qui est reconnue, dans le syst~me de valeurs de la Constitution du Canada, respectivement
aux droits collectifs des minorit~s et aux droits individuels. D~s 1867, Ia premiere constitution
1985]
8LARTICLE 15(1) ET LA LANGUE
Si cette explication est la bonne, elle permet de mieux comprendre le
surprenant mutisme de l’article 15(1) en ce qui a trait d la discrimination
linguistique. II n’en reste pas moins que les consequences qui en d6coulent
sont difficiles A justifier politiquement. Etant donn6 l’h6t6rog6n~it6 linguis-
tique de la population canadienne, 6tant donn6 6galement la nature des
obligations que le gouvernement fed~ral a accept6 de faire assumer au pays
canadienne accorde une place de choix aux droits collectifs : n’est-il pas vrai que les seuls droits
de Ia personne enchiss~s dans l’Acte de l’Amrique de Nord Britannique de 1867 se retrouvent
aux articles 93 et 133 et ont pour but de prot~ger certaines minorit6s linguistiques et confes-
sionnelles ? Bien sir, avec ‘entr6e en vigueur de la Charte canadienne des droits et libert&s, les
droits collectifs des minorit~s ne sont plus les seuls A etre constitutionnellement garantis et,
par consequent, il est devenu ncessaire de les concilier avec les droits individuels qui sont
d~sormais 6galement enchass~s dans Ia Charte. Cependant, il y a de nombreuses raisons de
croire que les droits collectifs des minorit6s, en particulier les droits linguistiques, continuent
de b~n~ficier, dans le cadre de Ia < nouvelle constitution canadienne, d'un statut pr66minent.
En premier lieu, comme cela a W soulign6 au tout debut de la pr~sente 6tude, la protection
des droits linguistiques a 6t6 l'une des preoccupations essentielles de ceux qui ont pris l'initiative
du processus de o rapatriement ,> de la constitution et d’enchassement des droits fondamentaux.
Par consequent, les < r~dacteurs > de Ia Charte accordaient une importance centrale et une
valeur primordiale i ces droits reconnus aux minorit~s de langues officielles.
Ensuite, l’importance des droits collectifs se marque 6galement par le grand nombre de
dispositions qui leur sont consacr~es, supra, notes 5 et 6, ainsi que par la precision et le detail
avec lesquels Ia plupart de celles-ci sont r6dig~es. Ce dernier trait diflrencie les droits lin-
guistiques de plusieurs autres droits et libert~s garantis par ]a Charte, lesquels sont 6nonc~s de
faqon tellement vague qu’il reviendra aux tribunaux de leur donner un sens v~fitable. Sans
doute la nature mame des droits linguistiques exigeait-elle que ceux-ci soient d~finis de fagon
plus d~taill~e et plus precise que, par exemple, les droits fondamentaux de l’article 2 ou, encore,
ceux qui sont dnonc~s A l’article 7. Cependant, on ne peut s’emp~cher de penser que le r~dacteur
de la Charte voulait aussi faire en sorte, en dafinissant avec le plus de precision possible la
port~e des droits linguistiques, que ceux-ci ne puissent pas 8tre r~duits A l’insignifiance par une
interpretation judiciaire trop restrictive et, 6galement, que les restrictions dont pourraient 6tre
frappes ces droits par une legislation ou une r~glementation fedrale ou provinciale, ne puissent
pas etre trop facilement consid~r~es comme justifiables en vertu de l’article 1 de la Charte. En
effet, comme l’a bien montr6 Ia d6cision de la Cour supreme du Canada qui declare inoprant
l’article 73 de la Charte de la languefranCaise, supra, note 27 parce que contraire A l’article
23 de la Charte, plus un droit ou une libert6 est dnonc6 avec d6tail et precision, moins il sera
facile d’admettre qu’une limitation A ce droit ou A cette libert6 est a raisonnable
; PG. Quebec
c. Quebec Association of Protestant School Boards (1984), [1984] 2 R.C.S. 66, 10 D.L.R. (4th)
321. Cependant, ces derni~res remarques ne valent que pour les droits linguistiques, c’est-a-
dire les articles 16 A 20 et 23 de la Charte ainsi que l’article 133 de ]a Loi constitutionnelle de
1867 et l’article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba. Par contre, l’article 35 de Ia Loi cons-
titutionnelle de 1982 qui garantit les droits des autochtones –
et qui est rattach6 A la Charte
par son article 25 –
et l’article 27 de la Charte, qui concerne < le maintien et la valorisation
du patrimoine multiculturel des Canadiens > ne sont gure precis ni d~taill~s et il faudra donc
attendre l’interpr~tation des tribunaux pour etre fix6 sur leur port6e vritable. Ceci indique
tr~s certainement que, parmi tous les droits collectifs garantis par la Charte, c’est aux droits
linguistiques des minorit~s francophone et anglophone que le r~dacteur de Ia Charte attachait
le plus d’importance.
qu’il s’agisse cette fois-ci des droits lin-
sont parmi ceux
Enfin, il faut souligner que les droits collectifs –
guistiques, des droits culturels de l’article 27 ou des droits des autochtones –
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 30
en ratifiant certaines conventions internationales, il efit W logique d’ajouter
la langue au nombre des discriminations express6ment prohib6es par Par-
ticle 15(1).
II faut donc souhaiter que les tribunaux n’adoptent pas une interpr6-
tation de cette disposition qui aurait pour effet d’en diminuer encore da-
vantage la port~e en mati~re linguistique, ce qui serait le cas s’ils dcidaient
de ne ‘appliquer que comme une simple norme anti-discriminatoire (thorie
moniste num~ro 2). Au contraire, en choisissant la th~orie dualiste, les juges
permettraient que ron puisse invoquer l’article 15(1) non seulement contre
les distinctions discriminatoires fond~es sur la langue, mais aussi contre
toutes celles qui sont << irrationnelles >% En outre, les tribunaux se donne-
raient ainsi la possibilit6 de faire varier le niveau de contr6le judiciaire
applicable aux classifications linguistiques selon que celles-ci rentrent dans
l’une ou dans rautre des deux categories pr~c~dentes, c’est-A-dire selon la
gravit6 des consequences qui en dcoulent et les personnes auxquelles elles
s’appliquent.
qui ne sont pas susceptibles d’8tre 6cartfs par une clause de derogation expresse en vertu de
‘article 33. Sans doute, peut-on considrrer que les r~dacteurs de ]a Charte estimaient que les
droits qui ne peuvent jamais etre Ecartfs en vertu de ‘article 33 ont plus d’importance que
ceux qui peuvent 8tre rendus inapplicables sur Ia base de cette disposition –
au nombre
desquels on trouve les droits A 1’6galit6 et A la non-discrimination consacr~s par ‘article 15.
Pour conclure, autant ]a tradition constitutionnelle et les circonstances entourant l’adoption
de la Charte que ]a structure et le contenu de ses dispositions pertinentes permettent de pr6-
tendre que la constitution canadienne repose sur un syst~me de valeurs dans lequel certains
droits collectifs se voient reconnaltre une importance centrale. Ceci n’a d’ailleurs rien d’6ton-
nant si ‘on se rappelle qu’en 1867 l’un des objectifs de la Confed6ration 6tait de crier un cadre
juridique et politique pour un ttat binational et qu’en 1982 la Constitution a 6t6 amendfe
pour donner suite A la promesse faite par le premier ministre canadien aux Qu6b~cois de
satisfaire leurs revendications concernant la protection de ]a langue et de ]a culture de la
minorit6 francophone du pays.
Par cons&luent, les tribunaux ne devraient pas h~siter A donner aux droits collectifs, surtout
aux droits linguistiques des articles 16 A 20 et 23 de la Charte, rinterpr~tation large, libErale
et 6volutive qui est n~cessaire pour assurer la protection et la s~curit6 des minorit6s canadiennes.
Si, A cette occasion, ces droits collectifs entrent en concurrence avec certains droits individuels
et, en particulier, avec le droit A l’6galit6 et A ]a non-discrimination (en fait, il ne pourra gu~re
en 8tre autrement), il faut consid~rer que la Charte permet que la primaut6 soit accord~e aux
droits collectifs.
S’agit-il IA d’une vision < totalitaire > ? Nous ne le croyons pas. En fait, il est tr~s gnfralement
admis que l of existent des minorits ethniques, religieuses ou linguistiques, les droits in-
dividuels doivent parfois ceder la place aux droits des collectivit6s et, en particulier, qu’il est
souvent n~cessaire d’6carter l’galit6 individuelle au profit de l’galitO des groupes. L’observation
des syst~mes juridiques des pays plurinationaux d6montre d’ailleurs que le droft positiftient
largement compte de cet imp~ratif et que, par consequent, la Charte ne constitue pas une
exception, ni une innovation A cet 6gard. Pour de nombreux exemples de dispositionsjuridiques
qui reconnaissent un statut particulier a certaines minoritds et qui, par consequent, 6tablissent
une difference de traitement entre la minorit6 et la majorit6, voir Turi et Verdoodt, supra, note
4, et Capotorti, supra, note 8 A la p. 57 et s. Dans tous ces cas, les droits collectifs des minorit~s
6cartent ou limitent le droit individuel A l’6galit6 et a la non-discrimination.