La bonne foi dans l’ex cution des contrats
Ginette Leclerc*
Cet article examine l’dtat actuel du droit
qu~b6cois sur Ia notion de bonne foi dans
l’ex6cution des contrats et, en parall~le, les
r~gles 6tablies par le nouveau Code civil du
Qudbec. Une analyse retrospective permet de
retracer les sources du concept de bonne foi et
de souligner le r6le important de la jurispru-
dence dans son 6laboration, notamment en
mati~re d’abus de droit, dtant donn6 l’absence
de disposition prdcise et expresse sur ]a bonne
foi dans le Code civil du Bas-Canada. Puis,
l’auteure examine le r6le de la bonne foi dans
certains contrats (le contrat de travail, le con-
trat de mandat et le contrat de vente). Elle se
penche aussi sur son incidence en matire
d’inex6cution et d’extinction des obligations
ainsi que relativement a la protection des tiers.
S’engageant ensuite dans une 6tude pros-
pective, l’auteure passe en revue les princi-
pales dispositions du Code civil du Qudbec se
rapportant a la bonne foi, soit les dispositions
de port6e g~n6rale (dont les articles 6 et 7) et
certaines dispositions qui, sans 8tre des expres-
sions de la bonne foi comme telle, permettent
de pr6venir des comportements abusifs dans
certains types de contrats.
This article examines the present state of
Quebec law regarding the duty of good faith in
the performance of contractual obligations, as
well as the new rules set out in the Civil Code
of Quibec. A retrospective analysis traces the
sources of the good faith doctrine and reveals
the important role played by the case law in its
development, most notably in the context of
abuse of rights, given the lack of an express
provision in the Civil Code of Lower Canada
specifying a general duty of good faith. The
author then examines the role of good faith in
specific contracts (employment, agency and
sale). She also considers its remedial impact in
cases of non-performance or extinction of con-
tractual obligations and its role in the protec-
tion of third party rights.
The author then canvasses the provisions of
the Civil Code of Qudbec which codify the
general duty of good faith (notably articles 6
and 7), as well as certain provisions which are
not a direct expression of the good faith prin-
ciple, but which serve to prevent abuse by reg-
ulating the conduct of the parties in certain
types of contracts.
* Avocate au Barreau du Quebec et au Barreau de Paris ; associ6e, Ogilvy Renault, avocats. L’au-
teure remercie mademoiselle Daphn6 Cousineau, stagiaire en droit, et mademoiselle Frangoise Col-
pron, 6tudiante en droit, pour ]a prdcieuse assistance qu’elles lui ont apport~e dans la preparation
de cet article.
Revue de droit de McGill
McGill Law Journal 1992
Mode de citation: (1992) 37 R.D. McGill 1070
To be cited as: (1992) 37 McGill L.J. 1070
1992]
CONGRPS HENRI CAPITANT
1071
Sommaire
Introduction
I.
Le regime actuel
A. L’existence et les sources de la notion g~n~rale de bonne foi dans
l’ex6cution des contrats
1. Le contenu et la port6e de la notion de bonne foi
2.
3.
L’6volution de la notion de bonne foi
La th6orie de l’abus de droit
B. Le r6le de la bonne foi dans certains contrats
1. Le contrat de travail
Le contrat de mandat
2.
Le contrat de vente
3.
C. L’incidence de la bonne foi en matire d’inexicution et
d’extinction des. obligations
D. Le r6le de la bonne foi dans la protection des tiers
II. Le nouveau regime
A. Les dispositions de porte g~nrale
B. Les dispositions relatives i certains contrats
1.
2.
3.
4.
Le contrat de vente
Le contrat de mandat
Le contrat de travail
Le contrat de consommation et le contrat d’adh6sion
Conclusion
Introduction
***
De prime abord, l’obligation des parties
un contrat de faire preuve de
bonne foi au moment d’ex6cuter leurs obligations ne fait aucun doute. Cepen-
dant, si l’on recherche les fondements de ce principe dans le Code civil du Bas-
Canada, la doctrine et la jurisprudence, force est de conclure qu’il n’est pas, ou
du moins n’a pas toujours W si 6vident.
L’entr6e en vigueur prochaine du nouveau Code civil du Quibec’, et
l’obligation de bonne foi, fournit
notamment de ses dispositions se rapportant
le pr6texte idal pour faire le point sur la notion de bonne foi dans l’ex6cution
1P.L. 125, Code civil du Quibec, ire sess., 34e L.g. Qu6., 1990-91 (sanctionn6 le 18 d6cembre
1991, L.Q. 1991, c. 64) [ci-apr~s Code civil du Quebec ou Cc.Q.].
1072
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 37
des contrats. Le but de cet article n’est pas de refaire une 6tude philosophique
de cette question puisque d’autres s’en sont d6jA chargrs2. I1 s’agit plut6t de
drfinir l’6tat du droit en la mati~re au vu des dispositions du Code civil du Bas-
Canada et d’analyser les r~gles 6tablies par le Code civil du Qudbec qui gou-
verneront bient6t les relations contractuelles.
Cet article se divise en deux parties. La premiere est une analyse r6trospec-
tive permettant de retracer les fondements, en droit qurbrcois, du concept de
bonne foi dans l’exrcution des contrats ainsi que son 6volution ; la seconde est
une analyse prospective passant en revue les principales dispositions du Code
civil du Quibec se rapportant A cette notion et tentant d’en 6valuer la portre.
I. Le regime actuel
A. L’existence et les sources de la notion g6ngrale de bonne foi dans
l’exicution des contrats
Le droit qu6b6cois, fiddle
la tradition civiliste, reconnait la notion g6n6-
rale de bonne foi dans l’ex6cution des contrats. Le concept de bonne foi est un
6lment central de notre droit civil ; il entre en jeu tant au stade de la d6couverte
du contenu obligationnel d’un contrat qu’A celui de 1’appr6ciation de son ex6-
cution par l’un ou l’autre des cocontractants.
Contrairement au droit frangais, l’obligation d’ex6cuter un contrat de
bonne foi ne prend pas sa source, en droit qu6b6cois, dans une disposition 16gis-
lative sp6cifique et de port6e grn6rale. Ainsi, le Code civil du Bas-Canada
ne contient pas d’6quivalent au paragraphe 3 de l’article 1134 du Code civil
frangais qui stipule expressrment que les conventions doivent atre exrcut6es de
bonne foi. Suivant les commentaires de la doctrine et les rapports des codifica-
teurs, il semble que 1’obligation de bonne foi dans l’exrcution des contrats ait
t6 consid6re suffisamment 6vidente et reconnue pour ne pas justifier l’intro-
duction dans le Code civil du Bas-Canada d’une disposition la consacrant de
fagon expresse3.
Le Code civil du Bas-Canada n’est pas pour autant totalement silencieux
en ce qui a trait a la bonne foi dans l’exrcution des conventions. En effet, plu-
sieurs dispositions de ce Code renvoient directement ou indirectement h la
notion de bonne foi pour 6valuer ou sanctionner la conduite des parties pendant
la durre du contrat. Par exemple, il en est ainsi de l’article 1895 C.c.B.-C. en
mati~re de contrat de soci6t6 et de l’article 1527 C.c.B.-C. en mati~re de contrat
de vente4.
Pour sa part, la jurisprudence a impos6 l’obligation de bonne foi dans
l’exrcution des contrats en s’appuyant sur l’article 1024 C.c.B.-C. qui 6dicte la
2Voir notamment E. Colas, << La notion d'6quit6 dans l'interpr~tation des contrats> (1981) 83
R. du N. 391 a la p. 415 ; P. Girard, << 'Good Faith' in Contract Performance: Principle or Pla-
cebo? o (1983) 5 Sup. Ct L. Rev. 309 ; G.A. Rosenberg, << The Notion of Good Faith in the Civil
Law of Quebec>> (1960) 7 R.D. McGill 2.
3P.-A. Crrpeau, <(Le contenu obligationnel d'un contrat , (1965) 43 R. du B. can. 1 h ]a p. 24.
4Ibid. a la p. 18.
1992]
CONGRfES HENRI CAPITANT
1073
r~gle de port6e g6n6rale voulant que l'6quit6 fasse partie int6grante de tout con-
tratO.
Finalement, cette obligation est aussi clairement consacr6e par la doctrine.
Ainsi, le professeur Cr6peau, retragant les fondements de la notion de bonne foi
dans l'ex6cution des contrats, remonte aux origines du droit civil en citant
Domat6:
'un doit A I'autre
I n'y a aucune esp~ce de contrat oil il ne soit sous-entendu que
la bonne foi avec tous les effets que 1'6quit6 peut demander, tant en la mani6re de
s'exprimer dans la convention que pour 1'ex6cution de ce qui est convenu et de
toutes les suites.
1.
Le contenu et la port6e de la notion de bonne foi
Tel que mentionn6 pr6c6demment, l'article 1024 C.c.B.-C. a
t6 interpr6t6
par la doctrine7 et la jurisprudence' qu6b6coises comme 6tant la source princi-
pale de l'application de la notion de bonne foi dans l'ex6cution des contrats. Cet
article 6nonce :
1024. Les obligations d'un contrat s'6tendent non seulement
ce qui y est
exprim6, mais encore a toutes les consequences qui en d~coulent, d'apr~s
sa nature, et suivant l'6quit6, l'usage ou la loi.
La relation qui existe entre la notion d'6quit6 et celle de bonne foi est dif-
cerner. Certains auteurs semblent ramener purement et simplement la
ficile
notion d'6quit6 A celle de bonne foi9. D'autres voient dans l'6quit6 un concept
plus large dont d6coule l'obligation d'ex~cuter les conventions de bonne foi1
ou, encore, la transposition en pratique d'un concept th6orique". Afin d'6valuer
la port6e de l'obligation de bonne foi dans l'ex6cution des contrats, il n'apparait
cependant pas essentiel de s'attarder sur cette question. Ce qui importe, c'est de
savoir que cette obligation est fond6e sur l'article 1024 C.c.B.-C. et que cet arti-
cle ne fait pas de distinction entre tel ou tel contrat : toute convention est donc
5La Cour supreme a ainsi fait le lien entre l'art. 1024 C.c.B.-C. et le devoir de bonne foi dans
l'arrt Banque Nationale du Canada c. Soucisse, [1981] 2 R.C.S. 339 a ]a p. 357, 43 N.R. 283 ;
voir aussi 123021 Canada Inc. c. Amos Development Co. (1992), 45 Q.A.C. 78 (C.A.) (en appel).
6Cit6 dans supra, note 3 a la p. 24.
7C'est ainsi que sur Ia base de l'art. 1024 C.c.B.-C. et de l'ancien droit, le professeur Cr6peau
l'existence d'une obligation implicite pour les parties de se conformer dans l'ex6cution
conclut
des prestations A l'exigence de la bonne foi (ibid. a la p. 26). Le civiliste P.B. Mignault d6duit 6ga-
lement de l'art. 1024 C.c.B.-C. que les conventions doivent atre ex6cutdes de bonne foi (Le droit
civil canadien, t. 5, Montreal, C.Th6oret, 1901
la p. 264).
Supra, note 5. Voir aussi Banque Nationale du Canada c. Couture, [1991] R.J.Q. 913 A la p.
9J.-L. Baudouin, Les obligations, 3e 6d., Cowansville, Qu6., Yvon Blais, 1989, n 365. Voir aussi
918, 38 Q.A.C. 23.
Mignault, supra, note 7 A la p. 264.
1Colas, supra, note 2 a la p. 398.
'1Suivant Rosenberg:
The judge must interpret every contract, every obligation, and every legal relation or
conflict which is brought before him in the light of equity. The needle which the judge
uses to inject this equity into the interpretation of the law is the notion of good faith
[...]. The juridical translation of this equity is the general notion of go6d faith (supra,
note 2 h Ia p. 23).
1074
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 37
soumise i l'article 1024 C.c.B.-C. II s'ensuit que l'6quit6 et, partant, l'obligation
d'ex6cuter le contrat de bonne foi, se superposent toujours aux clauses expres-
s6ment pr6vues par les parties 2.
2.
L'6volution de la notion de bonne foi
A d6faut d'une disposition pr6cise et expresse du Code civil di Bas-
Canada i cet 6gard, la reconnaissance de l'obligation de bonne foi dans l'ex6-
cution des contrats s'est donc faite par le biais des tribunaux. Ce processus de
reconnaissance s'est 6chelonn6 sur plusieurs dizaines d'ann6es et a gravit6
autour de la notion d'6quit6. Plusieurs th6ories ont ainsi 6t6 6bauch6es et test6es
ensuite par les cours avant que celles-ci n'en arrivent
6tablir les r~gles qui
s'appliquent aujourd'hui en la mati~re.
Avant 1960, les tribunaux qu6b6cois n'ont jamais ni6 l'existence de la
notion d'<< 6quit6-bonne foi > en mati~re d’ex6cution des contrats et y ont mame
fait r6f6rence de faqon expresse dans certaines d6cisions13. Ce n’est toutefois
qu’au cours des ann6es soixante que ce concept a pris une dimension nouvelle
dans le sens d’une plus grande reconnaissance.
Ce changement a sans doute 6t6 suscit6 par l’6volution sociale survenue
depuis l’adoption du Code civil du Bas-Canada en 186614. C’est ainsi que le
16gislateur est intervenu, en 1964, pour introduire une nouvelle section au cha-
pitre Des contrats > du Code intitul6e << De l'6quit6 dans certains contrats >
(articles 1040a-1040e) et visant des contrats susceptibles, de par leur nature, de
contenir sinon des clauses abusives, du moins des clauses refl6tant le d6s6qui-
libre des forces entre les parties.
La doctrine n’a pas non plus 6t6 6trang~re
ce ph6nom~ne 6volutif. En
1949, Perrault s’interrogeait d6j sur l’opportunit6 de modifier le principe de la
force obligatoire des conventions, notamment par le biais de la th6orie de l’abus
de droit, de la l6sion entre majeurs ou d’une disposition d6cr6tant qu’un droit
doit 6tre exerc6 de bonne foi15. De son c6t6, en 1965, le professeur Cr6peau
n’avait plus de doute sur la place qui doit 6tre r6serv6e A l’6quit6 et A la bonne
foi en mati~re contractuelle lorsqu’il publia son article sur le contenu obligation-
nel du contrat16.
En pratique, les grands tournants de l’6volution jurisprudentielle du con-
cept << 6quit6-bonne foi > peuvent 6tre retrac6s A partir des decisions rendues en
mati~re d’abus de droits contractuels.
12Comme le souligne Trudel : < Toute convention est soumise A l'art. 1024 C.C. : l'quit6, la loi,
l'usage et la nature de l'engagement servent toujours de compl6ments. [...] La bonne foi est I'assise
des conventions ; cette fonction naturelle regoit dans nos lois un caract6re juridique dont les corol-
laires r6gissent la formation et l'ex6cution des contrats. ) (Traitd de droit civil d Quebec, t. 7,
Montr6al, Wilson et Lafleur, 1946 a ]a p. 338).
13Voir par exemple Hogue c. New York Fire Insurance Co., [1956] C.S. 466.
14 Cr6peau, supra, note 3 a la p. 23.
15A. Perrault, La th6orie de l'abus des droits
(1949) 9 R. du B. 361, notamment aux pp.
369-72, 378.
16Supra, note 3.
1992]
CONGRLS HENRI CAPITANT
1075
3.
La th6orie de l'abus de droit
Comme son nom le laisse deviner, la throrie de l'abus de droit est venue,
i l'origine, rrprimer l'exercice abusif d'un droit par ailleurs lgitime. I1 y avait
exercice abusif d'un droit lorsque son titulaire l'exergait dans l'intention de
nuire
autrui17.
Meme sous cette forme restreinte, la throrie de l'abus de droit a longtemps
6t6 rejetre au Quebec et les principes de bonne foi et d'6quit6 sous-jacents
celle-ci 6taient rarement reconnus de fagon expresse. On y opposait le principe
de la libert6 contractuelle et de l'autonomie des volontrs. Comme le soulignait
le professeur Baudouin, les parties ne pouvaient pas se plaindre de ce qu'elles
avaient effectivement voulu s.
L'arr~t rendu par la Cour d'appel du Qu6bec en 1949 dans l'affaire Quaker
Oats est venu, d~faut d'admettre la notion d'abus de droit contractuel en droit
son application19. Si trois des juges
qurbrcois, du moins lancer le drbat quant
ayant entendu cet appel ont en effet ni6 l'existence de cette throrie dans notre
droit", les deux autres Pont reconnue de faon plus ou moins expresse21.
Au cours des annres qui suivirent ce jugement partag6, les tribunaux du
admettre la th6orie de l'abus de droit contractuel dans le
Quebec en vinrent
cas oti un cocontractant exerce son droit avec malice et mrchancet 22. Cette
reconnaissance de la th6orie de l'abus de droit fondre sur la mauvaise foi dans
l'exrcution d'un contrat fat consacrre formellement en 1981 par la Cour
supreme du Canada dans l'arrt Banque Nationale du Canada c. Soucisse 3.
Selon ce courant jurisprudentiel, l'obligation de bonne foi dans l'exrcution des
contrats recoupait done l'obligation imposant A une partie de ne pas abuser de
ses droits contractuels. Elles reposaient toutes deux sur un 6tat d'esprit s'appr6-
ciant subjectivement: absence ou pr6sence de malice, de m6chancet6 ou d'in-
tention de nuire.
17 David Angus, dans son article
Paris, P.U.F, 1930
la p. 17).
18Supra, note 9, n* 366.
19Quaker Oats Co. of Canada c. C6, [1949] B.R. 389.
2Voir ibid. a lap. 396, MM. les juges Galipeault et Marchand ; h la p. 409, M. le juge Surveyer.
21Voir ibid. a la p. 401, M. le juge Ltourneau; a Ia p. 407, M. le juge St-Jacques.
22Voir par exemple Noivo Automobile Inc. c. Mazda Motors Canada Ltd, [1974] C.S. 385 a la
p. 387:
Nous en venons a la conclusion qu’il peut y avoir abus de droits h mettre fin a ce con-
trat sans donner de cause valable, malgr6 une stipulation du contrat permettant d’y
mettre fin sans mentionner de cause, si celui qui invoque telle clause, le fait avec
malice et mdchancetd.
Voir aussi Banque Provinciale du Canada c. Martel, [1959] B.R. 278 ; Aluminum Co. of Canada
Ltd c. Syndicat national des employds de l’aluminium d’Arvida Inc., [1966] B.R. 641 ; Fiorito c.
Contingency Insurance Co., [1971] C.S. 1 ; Rjal Michaud Automobile Inc. c. Nissan Automobile
Co. (Canada), [1974] C.S. 561 ; Godbout c. Provi-Soir Inc., [1986] R.L. 212.
23Supra, note 5.
1076
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 37
L’6volution jurisprudentielle s’est poursuivie et a abouti h la cr6ation d’une
distinction nette entre l’obligation de bonne foi et la th6orie de l’abus de droit,
cette derni~re 6tant devenue plus large et englobant maintenant la premiere.
D6jA, en 1977, la Cour d’appel avait indiqu6 que les motifs qu’un mandant
aurait pu invoquer pour d6noncer une lettre d’intention relative ‘ un emprunt
hypoth6caire n6goci6 pour son compte par son mandataire ne devraient pas
r6sulter d’un pur caprice mais 6tre raisonnables et plausibles24. II ne suffisait
plus au mandant d’6tablir l’absence d’intention malicieuse de sa part –
un 616-
ment subjectif – mais il devait 6galement d6montrer le caract~re raisonnable
du refus –
un 616ment objectif. La Cour d’appel a pr6cis6 sa pens6e dans son
arrt rendu en 1987 dans la cause de Banque Nationale du Canada c. Houle:
Apr~s avoir examin6 la doctrine et la jurisprudence ci-haut mentionn6es, j’en
viens
la conclusion que le moment est maintenant opportun pour d~clarer que
cette thdorie [de l’abus de droit], qui fait maintenant partie du droit qu6b6cois, ne
doit plus 8tre limit6e en mati~re contractuelle seulement aux cas oii le cr6ancier
r6agit malicieusement, m6chamment ou est de mauvaise foi. Dans le pr6sent cas,
la banque a engag6 sa responsabilit6 en demandant paiement et en prenant posses-
sion de I’actif assujetti
sa cr6ance sans avoir donn6 A ses d6biteurs un prdavis
raisonnable. En agissant de la sorte, la banque a agi de fagon injustifi6e et intem-
pestive. Elle a commis une faute et cette faute constitue un d6lit donnant droit t
r6paration en vertu de l’article 1053 du Code civil25.
On peut donc dire qu’h l’heure actuelle, en droit qu6b6cois, la th6orie de
l’abus de droit impose
la fois une obligation de bonne foi dans l’ex6cution du
contrat et une obligation d’agir raisonnablement dans l’exercice de droits con-
tractuels. II ne suffit plus de prouver, pour 6viter d’6tre tax6 d’abus de droit,
l’absence d’une intention malicieuse –
un 616ment subjectif – mais encore
faut-il apporter la preuve du caract~re raisonnable du comportement –
un 616-
ment objectif.
Pour le moment, la Cour d’appel et la Cour supreme semblent avoir con-
serv6 une distinction entre l’obligation d’agir de bonne foi et celle d’agir de
fagon raisonnable. On peut toutefois se demander si ces deux obligations n’en
viendront pas A se confondre et
6tre regroup6es sous une notion 6largie de
bonne foi englobant A la fois un crit~re subjectif et un crit6re objectif. Comme
nous le verrons ci-dessous, c’est l’approche suivie par le Code civil du Qu6bec
qui fait de l’exercice d6raisonnable d’un droit un manquement A l’obligation de
bonne foi 2 .
B. Le r6le de la bonne foi dans certains contrats
Parall~lement aux d6veloppements suscit6s par la th6orie de l’abus de
droit, l’obligation de bonne foi a subi une 6volution qui lui est propre A l’6gard
de certains contrats mettant en cause une relation de confiance entre les cocon-
tractants, tels le contrat de travail ou le contrat de mandat. Le salari6 et le man-
24Landry c. Cunial, [1977] C.A. 501 aux pp. 505-06.
21[1987] R.J.Q. 1518 a la p. 1529, 9 Q.A.C. 9, sur ce point conf. par [1990] 3 R.C.S. 122, 74
D.L.R. (4th) 577.
26Voir ci-dessous, partie II.A.
1992]
CONGRES HENRI CAPITANT
1077
dataire sont ainsi soumis un devoir de loyaut6 qui apparait comme un d6mem-
brement de l’obligation de bonne foi. La notion de bonne foi joue 6galement un
r6le non n6gligeable dans certains contrats nomm6s, tel le contrat de vente. Exa-
minons plus en d6tail ces contrats particuliers.
1.
Le contrat de travail
En mati~re de contrat de travail, il existe une jurisprudence bien 6tablie
imposant A l’employ6 une obligation d’honn&et et d’< ex6cution conscien-
cieuse > de ses obligations contractuelles, comme l’a r6cemment r6it6r6 la Cour
supreme du Canada dans l’arrt Banque de Montreal c. Kuet Leong Ng27. Cette
l’employ6 de se placer dans des situations
obligation qui interdit notamment
de conflit d’int6rts croft avec le degr6 de responsabilit6 rattach6 an poste
occup6d. L’employ6 se voit 6galement imposer une obligation de discr6tion et
son profit, ou au profit des tiers, les
de confidentialit6 l’emp~chant d’utiliser
son employeur, notamment
informations de nature confidentielle appartenant
pour lui faire concurrence29 .
Dans le cadre de l’obligation de non-concurrence, il est int6ressant de
tour assurer la protection
constater que l’6quit6 et la bonne foi viennent tour
de l’employ6 et lui imposer des devoirs. C’est en effet au nom de l’6quit6 que
leur applica-
les clauses de non-concurrence ne contenant pas de limite quant
t6 jug6es invalides. Mais c’est
tion dans le temps on un territoire donn6 ont
6galement sur le fondement de cette meme r~gle d’6quit6 et de bonne foi qu’une
obligation implicite de non-concurrence lie l’employ6, m~me en l’absence de
toute stipulation contractuelle expresse . Mis
part le contrat de travail, un
autre contrat mettant en cause une relation de confiance entre les cocontractants
m6rite l’attention : le contrat de mandat.
2.
Le contrat de mandat
Le mandataire est soumis
des dispositions sp6cifiques du Code civil du
Bas-Canada pour ce qui est de l’ex6cution fiddle et loyale de son mandat. Ainsi,
les articles 1484 et 1706 C.c.B.-C. interdisent au mandataire d’acqu6rir des
biens qu’il est charg6 de vendre31 . L’article 1713 C.c.B.-C. oblige par ailleurs le
rendre compte de sa gestion > et remettre et payer au man-
mandataire
concurrence, voir Positron Inc. c. Desroches, [1988] R.J.Q. 1636 (C.S.).
27[1989] 2 R.C.S. 429 A a p. 438, 62 D.L.R. (4th) 1 [ci-apr~s Kuet Leong Ng cit6 aux R.C.S.].
28lbid. aux pp. 438, 443.
29Pour une synthse des obligations d’un employ6 en mati~re de confidentialit6 et de non-
30Voir A cet 6gard l’arrt de la Cour d’appel dans l’affaireN.EB.C. National Financial Brokerage
Center Inc. c. Investors Syndicate Ltd, [1986] R.D.J. 164. Dans cette affaire, la Cour d’appel a
maintenu l’ordonnance d’injonction interlocutoire rendue par la Cour sup6rieure a l’6gard d’em-
ploy6s qui faisaient concurrence A leur ancien employeur, non pas sur la base de 1’engagement
souscrit dans leur contrat d’emploi, lequel fut jug6 invalide en raison de I’absence de limitation
dans le temps et de restriction territoriale, mais sur la base d’une obligation de loyaut6 implicite.
31Pour une application jurisprudentielle de ces articles, voir : Jolicoeur c. Centrale d’immeubles
Ste-Foye Inc., [1966] R.C.S. 755 ; Drouin c. Lopez, [1978] C.S. 871 ; Bichard c. Langlois (1932),
38 R.L. 500; Dominion Financial Corp. c. Donaldson (1927), 43 B.R. 387; Gross Real Estate
Agency c. Racicot (1911), 20 B.R. 394.
1078
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 37
dant tout ce qu’il a regu sous l’autorit6 de son mandat, m~me si ce qu’il a requ
n’6tait pas dfi au mandant >32. L’article 1710 C.c.B.-C., qui requiert du manda-
taire qu’il agisse avec < tous les soins d'un bon p6re de famille > peut aussi 8tre
invoqu6 au soutien de l’obligation de loyaut633.
La bonne foi devra 6galement guider l’action du mandataire au moment oil
il choisira de mettre fin au mandat. L’article 1759 C.c.B.-C. reconnait en effet
au mandataire la facult6 de renoncer A son mandat, mais pr6cise qu’il sera res-
ponsable des dommages subis par son mandant s’il ne peut justifier par un motif
raisonnable cette renonciation. Ainsi, le mandataire qui renoncerait
ex6cuter
le mandat dans le but de nuire au mandant s’exposerait
des dommages.
Ce devoir impos6 au mandataire est semblable A celui impos6 au membre
d’une soci6t6 A dur6e ind6termin6e qui provoque la dissolution de la soci~t6.
L’associ6 peut, aux termes de l’article 1895 C.c.B.-C., demander A son gr6 la
dissolution de la soci6t6 sous r6serve que celle-ci soit provoqu6e < de bonne foi
et non dans un temps pr6judiciable t la soci6t6 >>.
Le Code civil du Bas-Canada ne pose pas les m~mes exigences en ce qui
a trait A la r6vocation du mandat par le mandant puisque l’article 1756 reconnait
ce demier le droit de le r6voquer en tout temps. Ce droit s’explique en raison
de l’616ment de confiance qui caract6rise la relation mandant-mandataire34 . I1 ne
va cependant pas jusqu’A permettre la r6vocation faite de fagon malicieuse et
avec l’intention de nuire. Compte tenu de l’extension apport6e par la jurispru-
dence A la th6orie de l’abus de droit, la r6vocation d6raisonnable du mandat par
le mandant pourrait 8tre rfprim6e en vertu de l’article 1024 C.c.B.-C..
En d6finitive, on peut conclure que l’obligation de loyaut6 est une des
facettes de l’obligation de bonne foi, facette qui entre en jeu lorsque la nature
du contrat exige un degr6 de bonne foi particulier. Hormis cette obligation de
loyaut6 sp6cifique, d’autres aspects de la notion de bonne foi sont pr6sents dans
certains contrats nomm6s. Le contrat de vente en fournit un bon exemple.
3.
Le contrat de vente
Le Code civil du Bas-Canada r6serve une place particuli~re A la bonne foi
dans le cadre du contrat de vente. La bonne ou la mauvaise foi du vendeur aura
ainsi une incidence sur sa responsabilit6 en raison de la garantie des d6fauts
cach6s. En effet, le vendeur sera tax6 de mauvaise foi dans le cas oti, connais-
sant les vices cach6s affectant la chose vendue, il a fait d6faut de les divulguer
A son acheteur. II pourra donc 6tre contraint d’en restituer le prix de vente et
3211 est int6ressant de constater que le principe de ‘art. 1713 C.c.B.-C., qui vise sp6cifiquement
les mandataires, a dt6 appliqu6 par ]a Cour supreme du Canada A une relation employeur-employ6
dans Kuet Leong Ng, supra, note 27 h la p. 436.
33Gigudre c. Colas (1915), 48 C.S. 198 ; C. Fabien, < L'abus de pouvoirs du mandataire en droit
civil qu6b6cois >> (1978) 19 C. de D. 55 aux pp. 67-69.
34M. Tancelin, Des obligations : contrat et responsabilit6, 4e 6d., Montr6al, Wilson et Lafleur,
1988, no 262.
1992]
CONGRfES HENRI CAPITANT
1079
d’indemniser l’acheteur pour tous les dommages subis35. Pour sa part, le ven-
la restitution du prix et des frais occasionn6s
deur de bonne foi n’est tenu qu’
par la vente36. La bonne foi joue 6galement un r61e en mati~re de vente de la
chose d’autrui37.
Les contours et la port6e de l’obligation d’< 6quit6-bonne foi >> ayant 6t6
cerns, il convient de s’interroger sur son impact en mati~re d’inex~cution et
d’extinction des obligations.
C. L’incidence de la bonne foi en matire d’inexgcution et d’extinction des
obligations
Le Code civil du Bas-Canada r6serve un r6le important A la notion de
bonne foi en mati~re d’attribution de dommages pour l’inex6cution d’un con-
trat. Les r~gles pertinentes sont contenues aux articles 1074 et 1075 C.c.B.-C.
qui distinguent entre la simple inex6cution, qui rend le d6biteur passible des
dommages directs et pr6visibles, et celle due au dol, pour laquelle le d6biteur
est tenu A tous les dommages directs, pr6visibles ou non3″. Tel que dfcid6 par
la Cour d’appel dans la cause Bahler c. Pfeuti, le dol au sens de ces articles s’as-
simile i la mauvaise foi du d6biteur39.
Comme l’indiquait le professeur Baudouin, la distinction existant entre les
dommages << directs >> et les dommages << pr6visibles >> est difficile A cerner, ces
deux crit~res se confondant souvent4″. Le fait demeure cependant qu’en pratique
les tribunaux verront toujours dans la mauvaise foi du d6biteur une occasion
pour augmenter les dommages dont il est passible, peu importe la qualification
qu’ils attribueront A ces dommages.
Soulignons que le caract~re reciproque de l’obligation de bonne foi se
manifeste lors de l’attribution de dommages-int6r~ts pour cause d’inexfcution
du contrat : le cr6ancier de l’obligation devra en effet faire preuve de bonne foi
en prenant les mesures raisonnables pour mitiger ses dommages 41.
Le droit qu6b6cois offre par ailleurs divers exemples de situations ofi la
bonne foi des contractants est d6terminante dans l’extinction de leurs rapports
contractuels. Certains cas sont express6ment pr6vus dans le Code, notamment
35Art. 1527 C.c.B.-C.
36Art. 1528 C.c.B.-C.
37Voir les art. 1489 ; 2268, al. 4 C.c.B.-C. L’art. 1487 C.c.B.-C. recompense aussi, quoique impli-
citement, la bonne foi de l’acheteur de la chose d’autrui en pr6voyant qu’il pourra recouvrer des
dommages du vendeur s’il ignorait que la chose n’appartenait pas h ce dernier.
38 1074. Le dfbiteur n’est tenu que des dommages-intfrats qui ont 6t6 pr6vus ou qu’on
a pu pr6voir au temps oa l’obligation a 6t6 contract6e, lorsque ce n’est point par
son dol qu’elle n’est point ex6cut6e.
1075. Dans le cas m~me ofj l’inex6cution de l’obligation r~sulte du dol du dfbiteur,
les dommages-int~rats ne comprennent que ce qui est une suite imm6diate et
directe de cette inex~cution.
39[1988] R.J.Q. 258.
40Supra, note 9, n, 711.
4 1Baudouin, ibid. n 715.
1080
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 37
en mati~re de paiement42. La bonne foi intervient 6galement pour fixer les r~gles
en mati~re de r6p6tition de 1’indu, suivant les articles 1047 et suivants du Code
civil du Bas-Canada.
De fagon plus indirecte, la bonne foi du cr6ancier ou, plut6t, son absence
de mauvaise foi, pourra lui permettre d’6chapper h certaines obligations grace
une clause d’exclusion de sa responsabilit6. La validit6 d’une telle clause est
en effet maintenant admise en droit qu6b6cois, sous r6serve de certaines condi-
tions, dont l’absence de dol ou de faute lourde, lesquels peuvent dans une cer-
taine mesure 6tre assimil6s
la mauvaise foi 43.
D. Le r~le de la bonne foi dans la protection des tiers
Si la bonne foi joue un r6le important i l’6gard des parties i un contrat, elle
pourra 6galement avoir une incidence sur l’opposabilit6 du contrat A un tiers. En
principe, la convention conclue entre deux parties est opposable aux tiers A titre
de fait juridique. Cette convention ne fait certes pas naitre d’obligations contrac-
tuelles entre les parties et le tiers, mais ce dernier doit la respecter et en tenir
compte dans ses agissements4 . Dans certaines circonstances, cependant, le prin-
cipe de la bonne foi va permettre au tiers de faire 6chec A la r~gle de l’opposa-
bilit6 des contrats. II s’agira notamment des cas oti un contrat a 6t6 conclu en
fraude des droits d’un cr6ancier par un d6biteur insolvable45. Ainsi que l’a jug6
la Cour sup6rieure du Qu6bec dans l’affaire Labbd c. Nolin: (La loi qui
cherche i faire r6gner la bonne foi ne peut tol6rer ce genre d’op6ration. 46
Avant de conclure sur le r6le de la bonne foi eu 6gard it la protection des
tiers en mati~re contractuelle, il convient de mentionner qu’il existe un r6gime
de protection accord6 aux cr6anciers dans le cadre d’une vente en bloc d’un
fonds de commerce47 ainsi qu’un r6gime dont b6n6ficient les tiers de bonne foi
dans le cadre de la th~orie du mandat apparent4″.
42Voir les art. 1143, 1145 C.c.B.-C.
43Comme le dit le professeur Baudouin, supra, note 9, n 744:
I1 est politiquement concevable que l’on puisse se prdmunir contre des erreurs de juge-
ment ou de conduite, mais non contre les consequences d’un acte volontaire ou d’une
n6gligence grossi~re, d’autant plus qu’en mati~re contractuelle, la bonne foi doit pr6-
sider A 1’ex6cution de l’obligation et aux rapports des parties. Ce serait d~truire cette
exigence et r6duire A n~ant 1’effet obligatoire du contrat que de permettre A un d6biteur
de refuser volontairement d’ex6cuter l’obligation ou d’en alt6rer fondamentalement
l’ex6cution par son propre fait sans en subir les cons6quences.
cause, engage un individu qu’il sait i6
poursuivi en dommages.
44Ibid. n* 382; l’auteur cite l’exemple courant suivant: l’employeur qui, en connaissance de
son concurrent, commet une faute d~lictuelle et peut dtre
45Ce sont les art. 1032-1040 C.c.B.-C. qui viennent sanctionner la fraude du d6biteur insolvable
et prot6ger le cr6ancier de bonne foi. Ces articles pr6cisent les conditions dans lesquelles un cran-
cier peut, par le biais de l’action dite paulienne, faire d6clarer nulle A son 6gard une op6ration frau-
duleuse conclue par son d6biteur au prejudice de son patrimoine. Voir 6galement Baudouin, supra,
note 9, n 579.
la p. 421 ; conf. par (sub nom. Duchesne c. Labbe) [1973] C.A. 1002.
46[1972] C.S. 418
47Voir les art. 1569a et s. C.c.B.-C. On peut sans doute consid6rer que les art. 1569c et 1569d,
al. 5 constituent une sanction de ]a mauvaise foi de l’acheteur qui fait d6faut de respecter les dis-
positions de la loi visant ]a protection des tiers.
48Art. 1730 C.c.B.-C. Sur les rapports entre le mandant et les tiers, voir Fabien, supra, note 33
a Ia p. 79 et s.
1992]
CONGRE-S HENRI CAPITANT
II ressort de cette analyse que la notion de bonne foi est bien implant6e
dans le droit civil qu6b6cois contemporain. Voyons maintenant sous quelles
td transpos6e dans le nouveau droit civil et quelle place
formes cette notion a
lui a rgserv6e le l6gislateur qu6b6cois.
II. Le nouveau regime
D~s la lecture des premiers articles du Code civil du Qudbec, on constate
que le l6gislateur a reconnu ce que les tribunaux avaient d6jh pergu : le principe
de l’autonomie de la volont6, dans son sens le plus strict, ne colle plus h la r6a-
lit6 sociale. Les dispositions du Code civil du Qudbec visent A atteindre un 6qui-
libre entre d’une part, les rigueurs des principes de la libert6 contractuelle et de
la force obligatoire des contrats, et d’autre part, la souplesse affdrente aux prin-
cipes de justice et d’6quit6. Le Code civil du Quebec instaure ainsi des r~gles
qui refl~tent cette nouvelle philosophie, r~gles qui auront un impact majeur sur
l’interpr6tation des contrats et le r6le de nos tribunaux. II met tout d’abord en
place une obligation g6n6rale de bonne foi qu’il appuie ensuite par une s6rie de
mesures qui, sans 8tre des expressions directes de la notion de bonne foi, per-
mettent de r6glementer des comportements abusifs en mati~re contractuelle.
Examinons donc de plus pros ces dispositions, en commengant par celles
certains
qui 6tablissent le principe de port6e g6n6rale, puis celles relatives
types de contrats particuliers.
A. Les dispositions de portie g~nirale
Les articles 6 et 7 C.c.Q. consacrent le caract~re fondamental de l’obliga-
tion de bonne foi dans le droit civil qu6b6cois en y apportant, en plus, l’exten-
sion jurisprudentielle de la raisonnabilit6 du comportement. Ils se lisent comme
suit :
6. Toute personne est tenue d’exercer ses droits civils selon les exigences de la
bonne foi.
7. Aucun droit ne peut 8tre exerc6 en vue de nuire
autrui ou d’une mani~re
excessive et d6raisonnable, allant ainsi a I’encontre des exigences de la bonne
foi.
Aces dispositions de port6e g6n6rale s’ajoute celle de l’article 1375 C.c.Q. qui
se trouve au livre < Des obligations >> :
1375. La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la
naissance de l’obligation qu’A celui de son execution ou de son extinction.
Ces articles n’6noncent pas vraiment des r~gles de droit nouveau puisqu’ils
reprennent l’essence des principes ddvelopp6s par nos tribunaux. Ii est h pr~voir
malgr6 tout que cette codification aura des consequences importantes au niveau
jurisprudentiel ; en effet, les juges pourront maintenant asseoir sur des disposi-
tions ldgislatives expresses et pr6cises leurs decisions fond6es sur des consid6-
rations d’6quit6 et d’6quilibre contractuel. Le r6le des tribunaux 6voluera 6ga-
la lumi~re des dispositions du Code civil du Quebec en mati~re de
lement
contrats nomm6s et de certains types de contrats caract~re protectionniste >>.
1082
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 37
B. Les dispositions relatives ii certains contrats
L’orientation g6n6rale du Code civil du Quibec h 1’6gard des notions
d’6quit6 et de bonne foi transparait au titre << Des contrats nomm6s >> et y est,
dans le cas de certaines cat6gories de contrats, accentu6e. Bon nombre de r~gles
s’appliquant h certains contrats nomm6s, tels le contrat de vente, la donation, le
contrat de mandat et le contrat de travail, sont dor6navant formul6es dans une
perspective de protection de l’une des parties. Le l6gislateur a, en outre, cr66 des
cat6gories de contrats soumis h un r6gime sp6cial en raison de la position de fai-
blesse ou de vuln6rabilit6 de l’une des parties.
1.
Le contrat de vente
Certains articles du Code civil du Quebec relatifs aux garanties du vendeur
sont de droit nouveau et visent h clarifier ou compl6ter le droit actuel quant aux
garanties auxquelles le vendeur est tenu. Comme sous le Code civil d Bas-
Canada, ces articles tiennent compte, express6ment ou implicitement, de la
bonne ou de la mauvaise foi du vendeur.
Ainsi, selon l’article 1724 C.c.Q., le vendeur ne peut exclure ou limiter sa
responsabilit6 s’il n’a pas r6v6l6 les vices du titre ou du bien qu’il connaissait
ou ne pouvait ignorer, la seule exception possible
cette r~gle 6tant le cas o6i
l’acheteur ach~te A ses risques et p6rils. Notons 6galement que cet article soumet
au m~me r6gime les clauses limitatives ou exclusives de la garantie d’6viction
et de la garantie de vices cach6s par opposition au droit pr6sent qui 6tablit des
r6gimes diff6rents.
Le Code civil d Quibec innove 6galement au chapitre des ventes
tem-
p6rament en instaurant des mesures de publicit649 et des formalit6s lies A la
reprise en paiement du bien vendu .
Ces nouvelles dispositions ont, de toute 6vidence,
t6 adopt6es dans le but
de prot6ger l’acheteur et rappellent les m6canismes de protection de la partie
contractuelle plus faible pr6vus aux articles 1040a et suivants du Code civil d
Bas-Canada. Le l6gislateur est cependant a116 plus loin dans son souci de sau-
vegarder les int6rts de 1’acheteur en obligeant le cr6ancier-vendeur h obtenir du
tribunal, qu’il s’agisse d’un bien mobilier ou immobilier, une autorisation
d’exercer son droit de reprise lorsque son d6biteur a d6jh acquitt6 la moiti6 ou
plus de ses obligations. Ces r~gles alourdissent 6videmment le processus de r6a-
lisation des garanties et on peut s’interroger sur leur opportunit6, notamment
dans les rapports entre commergants.
Enfin, d’importants r6am6nagements ont 6galement 6t6 introduits en
mati~re de ventes en bloc, dor6navant d6sign6es par la notion de < vente d'en-
treprise >>51. Cette r6forme porte en particulier sur les formalit6s destin6es A la
protection des tiers qui, si elles semblent pouvoir rencontrer leur objectif,
pAtissent d’une complexit6 accrue.
49Art. 1745, al. 2 C.c.Q.
50Art. 1749, 2757 et s. C.c.Q.
51Art. 1767 et s. C.c.Q.
1992]
CONGRES HENRI CAPITANT
1083
Si le Code civil du Quibec innove quant aux r6gimes de protection relatifs
aux contrats de vente, voyons d’autre part ce qu’il pr6voit relativement au con-
trat de mandat.
2.
Le contrat de mandat
Les nouvelles dispositions relatives au contrat de mandat codifient expres-
impos6e au mandataire. Ainsi, ‘article 2138
s6ment l’obligation de loyaut6 d6j
laquelle corres-
C.c.Q. ajoute
pond dans le langage traditionnel et quelque peu surann6 du Code civil du Bas-
Canada i l’obligation d’agir en << bon p~re de famille >> –
celle d’agir << avec
honnetet6 et loyautd >>.
l’obligation d’agir avec prudence et diligence –
L’article 2146 C.c.Q. pr6cise qu’un mandataire ne pourra utiliser h son pro-
fit l’information qu’il obtient ou le bien qu’il est charg6 de recevoir ou d’admi-
nistrer, i moins d’y 6tre autoris6 par la loi ou son mandant. Dans l’hypoth~se
contraire, le mandataire sera soumis une double sanction : il devra, d’une part,
compenser le mandant pour le pr6judice subi et, d’autre part, lui verser une
son enrichissement s’il s’agit d’une information ou, s’il
somme 6quivalente
s’agit d’un bien, un loyer ou de l’int6rt sur les sommes utilis6es.
Cette obligation de loyaut6 et de protection des informations se trouve,
comme on le verra, 6galement codifi6e dans le cadre du contrat de travail.
3.
Le contrat de travail
Tel que mentionn6 ci-dessus, le Code civil du Quebec 6tablit, A l’article
2088, une obligation de loyaut6 et de confidentialit6 qui s’6tend h l’information
obtenue <
nouveaut6s, on remarquera que cet article pr6voit la survie de ces obligations
pendant un d6lai raisonnable apr6s la cessation du contrat.
Le Code civil du Quebec codifie 6galement les r~gles d6velopp6es par la
jurisprudence en mati~re de clauses de non-concurrence52. Leur validit6 est
reconnue, quoique l’on impose certaines exigences : ces clauses doivent 8tre
formul6es par 6crit, en termes expr~s, et 6tre circonscrites, tant dans leur
domaine que dans leur port6e g6ographique et temporelle, A ce qui est n6ces-
saire pour prot6ger les int6rts l6gitimes de l’employeur.
Par ailleurs, l’article 2095 C.c.Q. souligne le caract~re r6ciproque de l’obli-
gation de bonne foi : l’employeur ne pourra pas < se pr6valoir d'une stipulation
de non-concurrence, s'il a r6sili6 le contrat sans motif s6rieux ou s'il a lui-m~me
donn6 au salari6 un tel motif de r6siliation >>.
Enfin, les r~gles d’6quit6 et de bonne foi s’appliqueront, aux termes de
‘article 2091 C.c.Q., en mati~re de rupture de contrat de travail A dur6e ind6-
termin6e. Ainsi, on ne pourra mettre fin ce contrat que moyennant un d6lai de
cong6 raisonnable eu 6gard aux circonstances particuli~res et A la dur6e du con-
trat. Cette disposition vient confirmer le principe plus g6n6ral 6nonc6 ? l’article
52Art. 2089 C.c.Q.
1084
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 37
1375 C.c.Q. selon lequel la bonne foi doit gouverner la conduite des parties
m~me lors de l’extinction de l’obligation.
4.
Le contrat de consommation et le contrat d’adh~sion
Le Code civil du Quibec instaure de nouvelles cat6gories de contrats, dont
deux sont tout particuli~rement int6ressantes dans le cadre d’une 6tude de la
notion de bonne foi : le contrat de consommation et le contrat d’adh6sion. Ces
contrats sont soumis A un r6gime sp6cial ayant pour effet de contraindre la partie
pergue par le lggislateur comme 6tant en position de force
agir de bonne foi
dans ses rapports avec l’autre partie. La d6finition du contrat de consommation
ne contient pas de grandes surprises. Elle s’apparente
celle donn6e dans la Loi
sur la protection du consommateur 3 et est fond6e sur la relation entre un con-
sommateur (personne physique) et une autre partie offrant des biens ou des ser-
vices dans le cadre d’une entreprise qu’elle exploite.
La d6finition du contrat d’adhsion est plus surprenante ou,
tout le moins,
plus inqui6tante eu 6gard au r6gime de protection instaur6 en faveur de l’adh-
rent. Aux termes de l’article 1379 C.c.Q., le contrat est d’adhsion < lorsque les
stipulations essentielles qu'il comporte ont 6t6 impos6es par l'une des parties ou
r6dig6es par elle, pour son compte ou suivant ses instructions, et qu'elles ne
pouvaient 6tre librement discut6es >>. On remarque tout de suite l’absence de
toute limitation li6e
la qualit6 des parties. Le contrat
d’adhsion vise done tous les types de contrats, y compris les contrats nomm6s
comme la vente, le d6p6t, le prt ou l’assurance, qu’ils soient conclus entre deux
consommateurs, entre un consommateur et un commerqant ou entre deux com-
mergants.
la nature du contrat ou
Les cons6quences qui d6coulent de la qualification de contrat de consom-
mation ou de contrat d’adhsion sont de deux ordres. Premi~rement, ces con-
trats seront, dans tous les cas, interpr6t6s en faveur de l’adhrent ou du consom-
mateur et ce, conform6ment h l’article 1432 C.c.Q. L’autre partie
un contrat
d’adhsion ou de consommation part donc avec un handicap, dans tout litige
pouvant l’opposer
un adh6rent ou h un consommateur. Deuxi~mement, son
d6savantage ne s’arr~te pas l puisque les tribunaux auront dor6navant, aux
termes des articles 1435 h 1437 C.c.Q., une large discr6tion pour annuler cer-
taines clauses du contrat de consommation ou d’adh~sion, ou pour r6duire les
obligations qui en d6coulent.
Ainsi, le juge pourra annuler une clause externe >>, c’est- -dire une clause
int6gr6e A un contrat par renvoi h un autre document, s’il n’est pas convaincu
qu’elle a 6t6 express6ment port6e
la connaissance de l’adh6rent ou du consom-
mateur ou qu’il en avait autrement pris connaissance S4.
Un lourd fardeau de preuve est 6galement impos6 h l’autre partie un con-
trat de consommation ou d’adh6sion comportant < une clause illisible ou incom-
pr6hensible pour une personne raisonnable >>. Cette clause pourra en effet atre
53L.R.Q. c. P-40.1.
54Art. 1435 C.c.Q.
1992]
CONGRfES HENRI CAPITANT
1085
l’article 1436 C.c.Q. si elle cause un pr6ju-
frappre de nullit6 conform6ment
l’adh~rent ou au consommateur et que l’autre partie ne rrussit pas a
dice
d6montrer qu’il avait 6t6 bien inform6 de la nature et de l’6tendue de la clause
en litige.
Si l’autre partie r6ussit
survivre aux embfiches de la clause externe et de
la clause illisible ou incomprehensible, il lui restera n6anmoins A surmonter le
peril de la clause abusive. Celle-ci est d6finie comme suit au deuxi6me alin~a
de l’article 1437 C.c.Q. :
Est abusive toute clause qui d6savantage le consommateur ou l’adh~rent d’une
mani~re excessive et drraisonnable, allant ainsi A l’encontre de ce qu’exige la
bonne foi ; est abusive, notamment, la clause si 6loign~e des obligations essen-
tielles qui d~coulent des r~gles gouvernant habituellement le contrat qu’elle dana-
ture celui-ci.
En presence d’une clause abusive, le tribunal aura le pouvoir soit de l’annuler
ou de r6duire l’obligation qui en drcoule.
Force est de constater que le sort de l’autre partie un contrat de consom-
mation ou d’adhrsion sera entre les mains du tribunal qui aura une large discr6-
tion en mati~re d’apprrciation de la preuve, d’6valuation de la clause en litige
et de determination de la sanction applicable.
Les objectifs du ministre de la Justice du Qu6bec55 d’atteindre un nouvel
6quilibre en mati~re contractuelle et de prot6ger la partie la plus faible semblent
avoir recueilli l’appui de la majorit6 des intervenants; il en va toutefois autre-
ment des r~gles 6tablies en mati~re de contrat d’adhrsion56 . N’aurait-il pas 6t6
suffisant, dans le cadre des rapports entre commergants, de s’en remettre aux
dispositions de portre grnrrale des articles 6, 7, 1375 et 1434 C.c.Q. qui con-
sacrent le caract~re fondamental de la bonne foi et de l’6quit6 en mati~re con-
tractuelle ? La rrponse A cette question drpendra, en grande partie, de l’usage
que nos tribunaux feront de leur nouvelle discr6tion.
Conclusion
Si les r~gles du jeu posses par le Code civil du Quibec suscitent certaines
interrogations, il n’y a par contre aucune incertitude quant A la vigueur du con-
cept de bonne foi en droit qu6b~cois.
Comme on l’a vu, le Code civil du Quebec instaure une philosophie nou-
l’6volution de
velle dans les rapports contractuels, philosophie qui correspond
la socirt6 qurb6coise au cours des cent vingt-cinq ans ayant suivi l’adoption du
Code civil du Bas-Canada. Les principes de la libert6 contractuelle et de la force
obligatoire des contrats y sont r6it&rs mais avec certaines nuances et certains
tempraments. On remarque que si le contrat demeure l’instrument de rrfrrence
55Qu~bec, ministre de Ia Justice, La riforme du code civil: quelques 61iments du projet de loi
l’Assemblde nationale le 18 dicembre 1990, Quebec, Direction des communica-
125 prisentd j
tions, mai 1991 (J’honorable G. Rdmillard, ministre de Ia Justice) A la p. 1.
56Sous-commission du barreau du Quebec sur le droit des obligations, Mimoire du Barreau du
Quibec sur le Code civil du Qudbec (Projet de loi 125), Montreal, juillet 1991 aux pp. 9, 10.
1086
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 37
par excellence pour appr6cier les droits et obligations des parties, il ne constitue
toutefois qu’une manifestation de l’intention des parties, laquelle devra 8tre
d6terminde en se rapportant d’autres sources, telles le Code civil d Quebec
et ses dispositions imposant aux parties un devoir de bonne foi.
Les tribunaux auront entre les mains les outils n6cessaires pour fagonner
une jurisprudence qui reflte bien,
l’instar du Code civil d Quibec, les
r6centes orientations de la soci6t6 qu~b6coise en mati6re d’6quit6 et de bonne
foi. L’avenir dira s’ils r6ussiront dans cette mission d6licate…