McGILL
LAW JOURNAL.
VOLUME 8
MONTREAL, 1962
NUMBER 4
CERTAINS ASPECTS DE LA DISCRETION JUDICIAIRE
L’Hon. Lucien Tremblay*
Les tribunaux ont dfi A quelques reprises poser la distinction entre le pouvoir
lgislatif et le pouvoir judiciaire.
Le plus clair 6nonc6 de cette distinction que je connaisse est celui bross6
par monsieur le juge Pratte de la Cour d’appel dans la cause Giroux v. Maheux
(1947 B.R. 163 1 la page 168):
Chacun sait que le propre du pouvoir judiciaire est de rendrc justice, c’est-i-dire de donner
a chacun ce qui lui appartient. La dicision judiciaire, quel que soit le tribunal qui la rcnde, ne
crie pas de droits; el-e ne fair que diclarer ceux dont Ic tribunal constate l’existence. Cette
d~cision risulte uniquement de l’examen des faits a la lumiare de la loi. Celle-ci crie les droits,
et le tribunal les constate. Cette constatation se fait par l’application aux faits d’une norme
objective, ind~pendante du tribunal lui-mame, er a laquelle celui-ci ne peut rien changer: ]a
loi. 14 pouvoir de d6cider autrement n’est point le pouvoir judiciaire.
Parlant ensuite des pouvoirs de la R~gie provinciale des transports et com-
munications, monsieur le juge Pratte continue (p. 169):
II n’est dit nulle part que celui qui aura rempli telle ou telle condition aura le droit d’ob-
tenir l’autorisation d exploiter une entreprise publique. Ainsi donc, on ne peut que sollicirer
l’autorisation, et la Rgie l’accordera ou la refusera suivant cc qu’elle croira opportun en vue
de l’intrt public; elle disposera de ]a demande non pas d’apras une norme preexistante, objec-
tive et ind~pendante, puisque la Loi n’en fixe pas, mais d’apr~s une norme qu’ellc 6tablira elle-
m~me et qui correspondra A la conception qu’elle se fera de ce que l’int&ft public exige. Sa
dcision ne constatera pas de droits existants; elle criera des droits pour l’avenir. I1 paralt
done que, lorsque la R~gie accorde I’autorisation d’exploiter un service public; qu’elle fixe les
conditions de cette exploitation; ou qu’elle rvoque ou modifie une autorisation qu’elle a
d~jA accord&c, elle n’exerce pas un pouvoir judiciaire. On est convenu de dire que le pouvoir
ainsi exerc6 est un pouvoir administratif; en r~alit6 c’est un v~ritable pouvoir 16gislatif…
Cet 6nonc6 de la distinction entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir admi-
nistratif a 6t6 accept6 par monsieur le juge Fauteux de la Cour supreme du
‘arrat Alliance des professeurs catholiques de Montreal v. Labour
Canada dans
Relations Board (1953, 2 S.C.R. 140 A la page 165).
En g~nral, le r6le du juge consiste donc A determiner les faits et A leur
appliquer la rbgle qu’impose la loi. Le juge constate ainsi les droits et les
obligations des parties.
*Juge en chef de la province de Qu6bec.
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Par exception, la loi confare parfois au juge un pouvoir sans dftermincr
avec prcision les cas oA il pourra l’exercer, les limites dans lesquelles il sera
circonscrit. Ce pouvoir peur 6tre exerc& A la discr&tion du juge. Si l’on s’en
tenait exclusivement au texte de la loi, on pourrait croire que cc pouvoir est
absolu, que ce pouvoir peut 6tre exerc6 d’une fagon arbitraire.
Mais, peut-tre par deformation professionnelle, les cours de justice ont
refus d’interprtter cc pouvoir comme absolu, comme arbitraire. Elles ont
elles-m~mes pose des limites A l’exercice de cc pouvoir en d~eidant qu’il ne
peut 6tre exerc6 que judiciairement, c’est-a-dire de la fagon dont s’exercent les
pouvoirs ordinaires d’une cour de justice. La jurisprudence exige donc que le
juge n’exerce cc pouvoir que dans les cas qui le justifient et dans les limites
requises pour atteindre un but lgitime. Les cours d’appcl se sont toujours
rfserv6 le pouvoir de scruter les motifs du premier juge et d’intervenir si ces
motifs ne leur paraissent pas valables.
Je propose donc comme d6finition de la discr&cion judiciaire: la facult6 d’une
cour de justice d’exercer un pouvoir en apparence absolu pour des motifs
valables.
J’6tudierai quelques aspects de cette discr&ion judiciaire. Je n’ai pas la
prfcention de fournir un travail savant, bourr6 de citations. Je communique
seulement les r6flexions que m’ont suggres vingt-cinq ans dc pratique des
tribunaux sur certains cas oa la loi, 6crite on non crite, conf~re au juge un
pouvoir discr&ionnaire.
Le premier cas est un sujet brfilant et comporte des embfiches. Jc voudrais
me demander si le juge peut intervenir au cours de l’enqute et de l’audition ct,
dans 1’affirmative, quelles limites il faut assigner A ses interventions.
Quelques considfrations prfalables aideront A la solution du problame.
II faut rappeler d’abord qu’une cause n-est pas un concours entre deux
avocats oA le plus habile doit rfussir. Une cause, c’est une controverse entre
l’Ittat et un citoyen ou entre deux citoyens, une controverse concernant la vie,
la libert6 ou les biens des citoyens. Le jugement ne dcidera donc pas quel
avocat mrite de gagner la joute, mais A quelle partie la loi donne raison.
Ensuite, il ne faut pas oublier que les citoyens ont un besoin absolu d’avoir
confiance dans l’administration de la justice: La loi leur dfend de se fairc
justice I eux-mfmes. Si Pon veut qu’ils observent ce prfcepte, ils doivent avoir
la certitude d’obtenir justice s’ils s’adressent aux tribunaux. Ii ne suffit donc
pas que le peuple regoive une bonne justice, il faut encore qu’il soit persuade’
qu’il revoit une bonne justice.
En gardant en mfmoire ces deux considerations d’ordre gfnfral, tentons
de rfpondre A la question pose.
Le juge n’6tant pas un arbitre entre les avocats mais un arbitre entre les
justiciables, je crois qu’il peut ct doit intervenir quand son intervention cst
nfcessaire pour assumer une meilleure justice.
No. 4]
LA DISCRTION JUDICIAIRE
Par exemple, au cours de l’enqu&e, si l’un des avocats oublie une preuve
essentielle, je crois que c’est le devoir du juge de signaler cette omission. De
m~me, s’il remarque qu’une d~fectuosit6 de la procedure peut empcher la con-
sidration du mrite de la cause, je crois que c’est le devoir du juge de signaler
cette dfectuosit& Son devoir ne va pas plus loin cependant. Si l’avocat ne
prend pas les moyens de couvrir l’omission ou de rem6dier 1 la d~fectuosit6,
son client et lui-m~me en subiront les consequences.
Pendant l’interrogatoire d’un t~moin, je crois que le juge est justifi6 d’in-
tervenir pour &laircir un point rest6 obscur. Mais, sauf dans des cas exception-
nels comme, par exemple, celui oil l’une des parties n’est pas represent& par
avocat, il doit Eviter soigneusement d’assumer le rble de l’avocat. Ses questions
doivent &tre telles qu’elles paraissent destin&s non pas A d~montrer qu’une des
parties a raison mais 1 d&ouvrir laquelle -des parties a raison. J’estime que le
juge doit, dans tous les cas, 6viter les questions suggestives ou les questions
pressantes, c’est-l-dire, toute question qui indique quelle r~ponse le juge desire
obtenir. Extraire pniblement une r~ponse du t~moin, c’est un bon moyen de
justifier un jugement que l’on d6sire rendre, mais ce n’est pas un bon moyen
d’obtenir la vritL Quelques t~moins jouissant d’une forte personnalit& r~sis-
teront aux pressions du juge et ce seront souvent ceux qui se sont pr~sent~s
devant la cour avec la resolution bien arr~t& d’viter de dire la vrit6. Mais,
la plupart des t~moins, intimid~s par l’appareil judiciaire, craignant de se
compromettre, n’oseront pas resister et se tairont ou conviendront de faits
qu’ils savent inexacts.
Au cours de l’audition, le juge peut, s’il le juge A propos, discuter courtoi-
sement avec les avocats. Ceux-ci sont ses auxiliaires dans l’administration de
la justice. Ils sont 11 pour 1’aider A rendre un meilleur jugement. Le juge doit
donc donner i chaque avocat la latitude la plus enti~re dans l’expos6 des argu-
ments favorables aux propositions qu’il soutient, pourvu que l’avocat ne se
r~p~te pas. Le juge doit &viter de d&ider contrairement aux pr&entions d’un
avocat avant de l’avoir entendu. Ceci paralt 6lmentaire mais cela se produit
parfois. Le juge a parfaitement le droit de dire a l’avocat que celui-ci ne l’a
pas encore convaincu mais il n’a pas le droit de lui dire: “Vous ne me con-
vaincrez jamais.”
Le juge doit aussi 6viter les plaisanteries. Le citoyen dont la vie, la libert&
ou les biens sont en jeu n’a pas le goOt de rire. L’avocat, accabl6 par la respon-
sabilit6 qui p se sur ses -paules, attentif aux p~rip~ties du proc~s, n’a pas le
go-at de rice. Tous deux, cependant, se sentent tenus de rire devant une plai-
santerie du juge, mais ils ne le font pas de bon coeur et ils gardent sur les l~vres
un gofit d~sagr~able.
Je terminerai ce point en disant que le juge ne doit pas manifester son opinion
sur les faits de la cause avant la fin de l’enqu&e, c’est-i-dire, avant d’avoir
entendu toute la preuve et qu’il ne doit pas manifester une opinion definitive
sur le droit avant d’avoir entendu tous les arguments A l’encontre de cette
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opinion. L’administration de la justice doit atre sereine et l’attitude du jugc
doit r~fl~ter cette sr~nit. I1 est parfois difficile pour un juge qui a exerc6 la
profession d’avocat pendant de nombreuses ann~es de maintenir une tellc
attitude, mais c’est une des servitudes auxquelles il s’est astreint en passant du
barreau A la magistrature.
Je ne suis pas le seul A penser ainsi. Dans Rex v. Darlyn (88 C.C.C. 269) Ic
juge O’Halloran de la Cour d’appel de la Colombie britannique 6crivait (p. 271):
Perusal of the transcript of what occurred during the examination of the witnesses at the
trial, read with the lcarned Judge’s summing-up to the jury, conveys the unavoidable implica-
tion that the distinguished and able Judge who presided at this trial unfortunately allowed
his unconcealed belief in the certainty of the guilt of the accused appellant to influence him
so strongly, that he unwittingly assumed part of the functions of prosecuting counsel, and
to a degree also allowed the rules of evidence to be circumvented if not directly broken to
the prejudice of the appellant.
Et plus loin (p. 271):
There are two traditional common law rules which have become so firmly imbedded in
our judicial system that a conviction is very difficult to sustain on appeal if they are not
observed. The first is, that if the accused is without counsel, the Court shall extend its helping
hand to guide him throughout the trial in such a way that his defence, or any defence the
proceedings may disclose, is brought out to the jury with its full force and effect. The second
is, that it is not enough that the verdict in itself appears to be correct, if the course of the
trial has been unfair to the accused. An accused is deemed to be innocent, it is in point to
emphasize, not until he is found guilty, but until he is found guilty according to law.
Ensuite, il continue (p. 274):
R. v. Sussex Justices, Ex p. McCarthy (1923), 93 L.J.K.B. 129 (Lord Hewart C.J., Lush-
and Sankey JJ.) and R. v. Essex Justices, Lx p. Perkins (1927), 96 L.J.K.B. 530 (Avory, Swift
and Talbot JJ.) are two decisions in which it appears that although no injustice actually
occurred, as has happened here, nevertheless the conviction in one case and a maintenance
order in the other case were quashed on certiorari because as Lord Hewart C. J. put it in the
Mc.arthy case at p. 131, it “‘depends not on what actually was done, but on what might appear
to be done. The rule is that nothing is to be done which so much as creates even a suspicion
that there has been an improper interference with the course of justice.
Lord Chief Justice Hewart said also at p. 131, that “It is not merely of some importance,
but of fundamental importance, that justice should not only be done, but be manifestly and
undoubtedly seen to be done”. (My note–the words “be
seen” ought to be read “seem”:
per Avory J. in the Perkins case, p. 532).
.
Swift J. at p. 533, in the Perkins case in quoting Lord Hewart’s cited observations in the
McCarthy case, said: “It is essential that justice should be so administered as to satisfy reason-
able persons concerned that the tribunal is impartial.”
Dans la m~me cause, le juge Bird 6crivait (p. 277):
The nature and extent of a Judge’s participation in the examination of a witness is no
doubt a matter within his discretion, a discretion which must be exercised judicially. I conceive
it to be the function of the Judge to keep the scales of justice in even balance between the
Crown and the accused. There can be no doubt in my opinion that a Judge has not only the
right, but also the duty to put questions to a witness in order to clarify an obscure answer or
to resolve possible misunderstanding of any question by a witness, even to remedy an omission
of counsel, by putting questions which the Judge thinks ought to have been asked, in order
to bring out or explain relevant matters: Yuill v. Yuill, (1945) 1 All E.R. 183. But neither
that right or duty in my opinion extends to justify judicial participation in the examination
of a witness of a nature which a jury could reasonably interpret as indicating a pre-disposition
on the part of the Judge toward one side or the other.
Un autre domaine oA le juge exerce sa discretion judiciaire est celui de la
sentence en droit criminel.
No. 41
LA DISCRETION JUDICIAIRE
Le code criminel prescrit d’abord qu’une personne qui est d~clar&e coupable
d’une infraction n’encourt i cet Egard aucune autre peine que celle que prescrit
la loi (art. 5 (1) (b) c.cr.). Le juge n’a donc pas le pouvoir d’inventer des peines.
Le code criminel impose quatre sortes de peines: la mort, le fouet, 1’empri-
sonnement et l’amende. I1 faut ajouter pour mention seulement que cerraines
lois pr~voient la confiscation de biens qui ont servi a la commission d’une
infraction.
Dans des cas tr~s rares, l’imposition d’une peine dtermine est obligatoire
comme, par exemple, la mort dans le cas de meurtre qualifi6 commis par une
personne !ge de dix-huit ans on plus. Le juge n’a alors aucune discretion.
Parfois, la loi fixe un maximum et un minimum. Dans cc as, la discretion
du juge s’exerce entre le minimum et le maximum. Dans la plupart des cas, la
loi fixe un maximum seulement et alors le juge a pleine discr&ion. II peut
imposer la peine qu’il croit devoir imposer jusqu’au maximum et m~me, dans
certains cas, suspendre la sentence ou accorder la lib&ation conditionnelle.
Quels principes doivent guider le juge dans l’exercice de cette discr~tion?
La loi ne donne aucune directive precise, mais Particle 638 du code criminel,
qui traite de la suspension de la sentence, fournit certaines indications quand
il r~ffre a l’ige de l’accus6, a sa r~putation, A ses antcedents, A la nature de
Finfraction e aux circonstances attnuantes dans lesquelles l’infraction a 6t6
commise. La jurisprudence fournit aussi des normes “qui peuvent se r~sumer
ainsi: gravit6 du crime, degr6 de premeditation, circonstances att~nuantes ou
aggravantes, possibilitE de rehabilitation du coupable.
Je crois que Von peut dire que le juge; quand il impose une peine, doir avoir
pour but la defense de la soci&& S’il s’agit d’un criminel endurci dont les
possibilits de r~habilitation sont nulles, le meilleur moyen de d~fendre la
socift6, c’est de P’emprisonner pour l’emp cher de nuire A ses concitoyens.
S’il s’agit, au contraire, d’un coupable occasionnel qui a agi, non pas dans un
moment d’ali~nation mentale, car alors il ne serait pas un coupable au regard
de la loi et il aurait 6t6 acquitt6, mais sous l’impulsion du moment ou par suite
de l’influence de mauvais compagnons, et dont la rehabilitation est possible,
le meilleur moyen de dfendre la socift6 est de lui donner la chance de devenir
un citoyen utile A ses concitoyens en lui imposant une peine lg6re ou m~me,
dans les cas qui le permettent, en suspendant la sentence ou en le lib&ant condi-
tionnellement. Le juge doit cependant prendre garde que la lg6ret6 de la peine
ne soit pas pour d’autres une invitation A commettre la mme infraction.
L’admission a caution d’un pr~venu est une autre mati~re que le code cri-
minel laisse a Ja discr~tion du juge. En effet, si vous lisez les articles relatifs a
P’admission A caution, tant en premi&e instance qu’en appel, vous verrez que
le lgislateur conf~re le pouvoir sans aucune indication des cas ou il pourra
Erre exercL
En premiere instance, Particle 451 stipule que “un juge de paix … pent…
ordonner qu’un pr~venu . . . soit admis A cautionnement .
.”, Particle 463
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LWol. 8
. . . peut ordonner que le pr~venu soit admis
stipule que “le juge ou magistrat
A caution . . .”,
‘article 465 stipule que “un juge d’une cour sup&ieure dc
juridiction criminelle . . . peut, sur demande, a) avant qu’un prevenu soit
renvoyE pour subir son proc~s, (i) 1’admettre 1 caution…”
En appel, l’article 587 se lit ainsi:
587. Le juge en chef ou le jugc en chef supplanr de ]a cour d’appcl, ou un jug.- de ccttc
cour que doit designer le juge en chef ou Ic juge en chef suppl&int, peur admttre Un applant
i caution cn attcndant la dcision de son appel.
Donc, encore ici, pouvoir donn6 sans restriction. Les cours de justice ont
elles-m~mes, par leur jurisprudence, fix6 les limites dans lesquelles le pouvoir
doit 8tre circonscrit.
Le cautionnement remplace la detention pr6ventive. I1 doit donc tendre au
rn~me but. Or, la d6tention preventive n’est pas une punition. Son seul but est
d’assurer ]a presence de l’accusE lorsqu’elle sera requise. Le but du cautionne-
ment est donc le mme: assurer la presence de l’accus6 lorsqu’elle sera requise.
Le juge qui entend une demande de cautionnement doit se poser deux questions.
D’abord, I’accus6 se pr~sentera-t-il si je lui accorde un cautionnement? Ensuite,
quel cautionnement dois-je exiger pour qu’il se prsente? Pour r~pondre a ces
deux questions, le juge doit peser les considErations principales suivantes:
a) ]a pr~somption d’innocence de l’accus6 en premiere instance et aussi
en appel s’il s’agit d’un appel par le procureur g~n&al ou ‘absence d’une
telle pr~somption en appel quand l’accus6 a 6te d&larE coupable en
premiere instance;
b) la nature de l’infraction;
c) ]a conduite ant&ieure de I’accus6, sa famille, sa position sociale, son
emploi;
d) en appel, les motifs d’appel.
La d&ision d’une demande de cautionnement est sOrement tres difficile.
A I’aide de certains faits pass6s, le juge doit pr~voir la conduite future d’une
personne. C’est un domaine qui relkve de la psychologie beaucoup plus que du
droit. D’un autre c6t6, sa d6cision peut avoir des consequences graves. S’il
refuse un cautionnement A une personne qui est en dernier ressort d6clar~e non
coupable, cette personne a subi une detention qui se justifie difficilement en
justice objective. D’un autre c6t6, s’il accorde un cautionnement A une personne
qui use de sa libert6 pour 6chapper a la justice ou pour commettre d’autres
crimes, il a caus6 A la soci&t6 un tort dificilement reparable. Cest 1A une res-
ponsabilit6 tr~s lourde.
Pour passer maintenant au domaine du droit civil et du droit public, je
signalerai certaines proc6dures qui peuvent 6tre 6minemment bienfaisantes
mais qui peuvent aussi causer des dommages pratiquement irreparables si les
tribunaux permettent qu’on y ait recours A mauvais escient. J’ai en vue. Fin-
jonction et la prohibition.
No. 41
LA DISCRETION JL DICIAIRE
L’article 957 c.p. 6dicte que “un juge de la Cour sup’rieure peut accorder
une ordonnancc d’injonction interlocutoire, dans chacun des cas suivants”.
Si Fun de ces cas se realise, il a le pouvoir mais il n’est pas oblige de l’exercer.
Donc, discretion. Aux articles qui suivent, l’on voit que le juge peut accorder
une injonction int~rimaire sans avis, par consequent sans avoir entendu la
partie adverse. Dans les cas de ncessitE urgente, il peut mme accorder une
injonction interlocutoire sans avis.
En mati~re de prohibition, l’article 1003 c.p. 6dicte que le bref de prohibition
‘article 993 c.p. relatif au
“est … obtenu … comme le mandamus…” Or,
mandamus se lit ainsi:
993. Le bref d’assignation ne peur Etre 6mis qans l’autorisation du juge de la C ur SuP-
rieure, accordc sur presentation d’une requate Iibc11e, appuy& d’un affidavit affirmant la
v~ritE des faits allkgu~s dans la requite.
La loi ne determine pas avec pr&ision les cas oii le juge doit permettre
l’6mission et ceux oX il doit la refuser. Donc, discr&ion.
Le poids de la jurisprudence est A l’effet que le juge doit 6mettre l’injonction
et permettre l’Emission du bref de prohibition lorsqu’il n’est pas clair que le
requrant a tort.
.
Or, cette suspension entraine parfois des injustices graves.
J’en trouve un exemple dans l’affaire Gagne’ v. La Brique Citadelle Limitee
(1954 C.S. 262 et 1955 B.R. 384). En mars 1952, la compagnie conclut avec ses
employ~s une convention collective qui “‘se terminera le 16e jour de mars 1953,
pour se continuer par la suite d’ann&e en anne, 1 moins que l’une ou
‘autre
des parties contractantes ne donne avis par &rit A l’autre partie .
. au moins
soixante jours avant l’expiration de la pr~sente .
. .” L’union d~nonce la con-
vention le 31 janvier 1953 et le ministre du travail nomme un conseil d’arbi-
trage. L’employeur, pr~tendant que Favis n’avait pas &E donn6 dans le dlai
fixE et que partant la convention collective s’Etait renouvelke automatiquement,
obtient l’6mission d’un bref de prohibition contre le conseil d’arbitrage qui
suspend ses procedures. I1 s’agit donc de savoir si la convention collective s’est
renouvelke automatiquement pour la priode courant du 17 mars 1953 au 16
mars 1954. Le 17 avril 1954, la Cour suprieure r~pond dans l’affirmative et
maintient le bref de prohibition. Le 18 fvrier 1955, la Cour d’appel r~pond dans
la negative et casse le bref de prohibition. Au debut de mai 1955, la Cour
supreme du Canada refuse la permission d’appeler. C’est A ce moment, au debut
de mai 1955, que l’on a su d6finitivement que la convention collective ne s’Etait
pas renouvel&e automatiquement pour la priode courant du 17 mars 1953 au
16 mars 1954 et que, par consequent, le conseil d’arbitrage aurait da singer et
faire rapport. Inutile de dire qu’il n’a jamais siEg. L’employeur avait perdu
sa cause en droit mais il l’avait gagn& en fait.
Un autre exemple se trouve dans l’affaire Transport Boischatel v. Commission
de relations ouvrieres (1957 B.R. 589. Le 25 juillet 1955, un svndicat depose au
bureau de la Commission de relations ouvrires une require en reconnaissance
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(Vol. 8
syndicale. La Commission accorde cette requfte le 26 janvier 1956. Un juge de
la Cour suprieure permet l’6mission d’un bref de prohibition. L’intime pro-
duit une inscription en droit totale. La Cour sup6rieure maintient cectte inscrip-
tion et casse le bref de prohibition le 29 juin 1956 et la Cour d’appel confirme
ce jugement le ler aofit 1957. Deux ans de dlai entre le d~p6t de la requetce en
reconnaissance syndicale et la dcision en disposant d~finitivement.
En matiare d’injonction, j’ai eu connaissance rfcemment d’une injonction
intrimaire maintenue en vigueur pendant pros de cinq mois en attendant que
la cour puisse entendre les parties sur une demande d’injonction interlocutoire.
Pour la partie qui demeure sous le coup d’une injonction pendant cinq mois
sans r~ussir A presenter sa cause au tribunal, le temps doit sembler singulierc-
ment long.
Je ne blAme personne. Les juges sont en face de probl~mes presque insolubles:
problhmes de locaux, problhmes de temps disponible, probl~mes d’accroisse-
ment du nombre des affaires. II faut tout de mxme s’arreter, considrer le pro-
blame et tenter d’am~liorer la situation dans la mesure du possible.
L’homme de la rue-et il ne faut pas oublier que c’est pour le servir que nous
existons-s’6&onnera sans doute de voir un juge permettre l”mission d’un bref
de prohibition et le m~me juge ou un autre juge de la m~me cour declarer un
peu plus tard, sur une inscription en droit totale, qu’il est clair i la lecture
m~me de la requice que le requrant n’a pas droit au bref de prohibition. Dans
le cas de l’injonction, le dMlai parait surtout dfi A la difficulte de trouver les
jours requis pour proc~der 1 l’enqufte.
II me semble qu’il y aurait amelioration si Pon modifiait la loi pour obliger
le juge i dfcider la question de droit
la premiere occasion, c’est-A-dire, lors
de la demande d’6mission de l’injonction ou du bref de prohibition. Le juge
devrait se poser la question suivante: en prenant pour acquit que les faits
all~gufs sont vrais, le requrant a-t-il droit au remade demand? Si la re’ponse
est negative, l’Emission est refuse. Si la rfponse est affirmative, une injonction
intrimaire peut 6tre accorde ou le bref de prohibition est 6mis et lon procade
A l’enquete le plus t6t possible. La loi pourrait permettre au juge d’Emettre un
ordre de surseoir dans des cas exceptionnels en attendant la decision sur le
droit. L’on pourrait permettre un appel expditif sur cette question de droir
en s’inspirant de la Loi de l’habeas corpus (S.R.Q., 1941, c. 340). Lc d~lai
d’appel pourrait etre consid&ablement abr~g6. L’appel pourrait atre entendu
sans dossier conjoint, sur simple production de copies de la requfte ct sans
factum. Il serait inscrit pour audition A Montreal ou A Quebec, A la premikre
session suivant la date du dfp6t du cautionnement.
II se peut que cette solution ne soit pas la meilleure. Mes lecteurs en jugc-
ront. I1 me semble cependant qu’elle aiderait A une meilleure administration
de la justice.