Deux ou trois choses que je sais d’elle
(1a rationalite juridique)
Yves-Marie Morissette”
La plupart des dtats de choses apprdhend6s par le droit
dans une soci~t6 comme le Canada s’auto-g&ent spontanfment.
Mais certains font exception, soit parce qu’ils se heurtent A une
attitude de rdsistance au droit, soit parce qu’ils reclent une vd-
ritable indetermination en fait ou en droit. Un nombre restreint
de ces situations se rend jusque devant la Cour suprame du Ca-
nada, une institution qui a pour rfle de porter des jugements de
valeur aim de r~soudre des problmes particulibrement ardus.
Le systhmejuridique a notamment pour finalit6 d’apporter A ces
problbmes des solutions avisds mais qui le plus souvent n’ont
rien d’apodictique. I1 s’agit en demibre analyse de mettre un
terme A nne controverse au moyen d’une rponse finale qui fait
autorit6.
Le processus judiciaire tire une bonne part de sa Idgiti-
mit6 du fait qu’il s’impose pour purger le droit de son ind6ter-
mination. Selon l’auteur, le positivisme offre la reprdsentation
th~orique du droit la plus juste et la plus universalisable. I1 faut
pr6fdrer Hart A Dworkin, car la thlse <dhercul6enne, de ce der-
nier, selon laquelle il existe toujours une rdponse meilleure
entre toutes aux questions juridiques les plus difficiles, est re-
belle A toute vrification empirique. Un effet b6n~flque du po-
sitivisme hartien est qu’il incite lejuge A faire preuve de retenue
et d’humilit6 dpistdmologique, qu’il lui rappelle sans cesse
combien est prucaire sa lfgitimit6. Lea progras rdcents des
droits fondamentaux en Occident et A l’6chelle internationale
dfnotent peut-etre une adhsion implicite A la thse dworki-
nienne de la bonne ou de Ia meilleure rdponse. Sinon, comment
justifier la multiplication des aires d’inddtermination (par
exemple, les <,principes de justice fondamentales>) propices aux
jugements de valeur judiciaires les plus libres? Ce doit etre
parce que la croyance en la meilleure rponse se r6pand. Mal-
heureusement, dans a recherche futile qui en rdaulte, les juge-
ments judieiaires deviennent hercul6ens par leurs dimensions,
une ampleur de surface compensant une absence de profondeur.
Cette qu~te de ]a bonne r6ponse conduit A une proliffration de
jugements complexes et divisds qui affaiblissent l’autorit du
droit.
Most legal situations in a society like Canada are self-
resolving. Some, however, are not so, either because they arise
in a pocket of resistance to law, or because they involve genu-
ine factual or legal indeterminacy. A small number of legally
indeterminate situations reach the Supreme Court of Canada, an
institution designed to make value judgments about intractable
problems. One goal of the legal system is to resolve these
problems with finality by means of prudential solutions rarely if
ever amenable to apodictic reasoning. What matters, ultimately,
is that a controversy be brought to an end with a final and
authoritative answer.
The judicial process derives a large part of its legitimacy
from the fact that it is needed to purge the law of its indetermi-
nacy. Positivism, the author argues, is the most accurate and
universalizable theory of law. Hart is to be preferred over
Dworkin, as the latter’s Hercules thesis of “better fit” and “bet-
ter light” defies empirical verification. One secondary benefit of
Hart’s positivism is that it invites judges to show self-restraint,
to practise epistemological humility and to be forever aware of
the precariousness of their legitimacy. The recent progression
of human rights in the West and on an international scale ar-
guably carries with it an implied adhesion to the Dworkinian
thesis of the good or the best answer. How else could one jus-
tify the considerable expansion of areas of indeterminacy (e.g.
“principles of fundamental justice”) where judges make wide-
ranging value judgments? It must be because of a belief in the
existence of best answers. Unfortunately, in the resulting and
futile search for the best answer, judgments become Herculean
in size, an absence of depth being compensated by an abun-
dance of superficial material. This quest for the best answer
leads to a proliferation of complex and divided judgments
which undermine the authority of the law.
“Facult6 de droit et Institut de droit compar6, Universit6 McGill. Professeur h la Facult6 de droit et
membre de l’Instiut de droit compart de l’Universit6 McGill. Ce texte est une version 16g&rement
remani~e d’une communication livrie en novembre 1999 h l’Universit6 du Quebec A Montral dans le
cadre des s~minaires de philosophie du droit de la Chaire UNESCO d’dtude des fondements philoso-
phiques de lajustice et de la soci~t6 d~mocratique. L’auteur, qui a bnifici6 des commentaires 6claiis
de son coll~gue le professeur Roderick A. Macdonald, assume seul la responsabilit6 de ce qui est pr6-
sent6 ici.
Revue de droit de McGill 2000
McGill Law Journal 2000
Mode de rf6rence: (2000) 45 R.D. McGill 591
To be cited as: (2000) 45 McGill LJ. 591
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MCGILL LAW JOURNAL/REVUEDEDROITDE MCGILL
[Vol. 45
I. Ce dont il s’agit
A. Champ du droit
B. Sous-ensemble I: le champ non itigieux
C. Sous-ensemble II: le champ itigieux
D. Place de I’ind~termination dans le champ Iftigieux
E. L~gitimit6 pr~caire des jugements de droit
II. Quelques repr6sentations de ce dont il s’agit
A. Le regard du th~oricien du droit: le droit vu des cimes
B. Le regard du tacheron du droit positif : le droit vu du bas vers le haut
2000]
Y-M. MORISSETTE – LA RATIONALIT5 JURIDIQUE
593
I. Ce dont il s’agit
A. Champ du droit
1. De tons les dtats de choses qui existent dans une socidt6 comme celle que
nous trouvons ici et maintenant, la plupart ne sont que trbs imparfaitement apprdhen-
d6s par le droit ou sont tout simplement ignores par lui. Ainsi, un Picasso, an regard
du droit, se r6duit A un meuble corporel transmissible par succession, peut-etre vise
par une 16gislation 6trang~re sur le patrimoine national ; le droit a peu ou n’a rien A
dire sur l’art, l’architecture, l’6motivit6, la physique des particules, sur la virtuosit6 de
Glenn Gould ou l’adresse –
de Wayne Gretzky. Ndanmoins,
1& oti il a quelque chose A dire, le droit consacre des efforts consid6rables’ pour le faire
avec intelligibilit6, clart6 et rigueur, de mani~re 4 etre aussi prdvisible que possible
dans ses applications. Ces finalit6s ont plus d’importance en droit que, par exemple,
dans le roman expressionniste allemand, le rap ou la haute couture.
sportive, pas civique –
B. Sous-ensemble I: le champ non litigieux
2. Dans le sos-ensemble d~jh restreint des 6tats de choses qui sont largement ou
pleinement appr6hend6s par le droit – par exemple, et A des degrds divers, la vente de
ma r6sidence, le vol
l’6talage d’une paire de gants, l’insolvabilit6 d’un cofid6jusseur
–
l’immense majorit6 des cas s’auto-g&ent spontan6ment. Trouve alors illustration
l’idae de self-enforcing rule, de normativit6 autopoidtique comme les ronds-points
aux grandes intersections routi~res. La normativit6 iddale, du point de vue du juriste,
c’est celle qui s’auto-gre, et qui, le lib6rant, lui permet de se consacrer A autre chose,
comme la philatdlie, la peche A la ligne ou la politique municipale.
3. Une masse 6crasante d’dtats de choses tombent dans cette catdgorie, depuis
l’exemple trivial du feu de circulation jusqu’aux millions de transactions sur titres qui
s’effectuent quotidiennement dans les marches boursiers, en passant par les innom-
brables cas de reconduction tacite de baux rsidentiels ou, mieux encore, les ventes au
d6tail d’objets usuels, un rite c6ldbr6 sans art, en tout temps et partout.
4. Lorsque se pr6sente une situation susceptible de s’auto-gdrer spontan6ment, il
pent devenir nicessaire d’expliciter ce qui la r6git, c’est-,-dire de trouver la rbgle ap-
plicable, de la lire, puisqu’elle se prdsente habituellement sons une forme 6crite, et de
la <, au sens que le second Wittgenstein donne h ce dernier mot. It suffit
alors de localiser une r~gle univoque, dont l’applicabilit6 ne laisse pas de place an
doute, et qui est investie, selon l’expression d’Ernest Weinrib, d’une intelligibilit6
immanente (immanent intelligibility). Une telle r~gle rdpond sans ambigut6 t la
question : < . Dans ce type de situation, le r6le du juriste est as-
‘Mais parfois assez futiles, i faut bien le dire : voir la 16gislation fiscale qui, A force de prdcision et
de rigueur, n’est comprise que par un corps restreint de spfdialistes.
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MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 45
sez semblable A celui d’un biblioth6caire ou d’une documentaliste : il lui faut retracer
par des proc6d6s mod6r6ment techniques, ex ante ou ex post, un texte (ou une norme)
qui vide la question2. Quiconque a cherch6 un r~glement municipal avant
d’entreprendre des travaux de r6novation a d6jh fait 1’exp6rience de ce genre de chose.
5. Certaines situations, cependant, ne s’auto-grent pas de cette fagon, soit en
raison d’une r6sistance au droit, soit en raison de l’ind6termination des faits ou du
droit dans un cas particulier. Est alors parfois mis en branle le processus judiciaire, qui
repr6sente une minuscule partie du droit. Souvent aussi, une situation qui ne s’auto-
g&e pas spontan6ment demeure sans suite : il ne se passe rien, les gens prennent leur
mal en patience et ils finissent enfin par mourir, ils d6m6nagent a Hamilton, ils chan-
gent d’idde, ils gagnent h la loterie, ils entrent a la Trappe, etc.
C. Sous-ensemble II: le champ litigieux
6. Dans le corpus des situations qui, 6tant litigieuses, le demeurent, une propor-
tion tr~s volumineuse des cas rel~ve en fait, pour emprunter une expression h Lon
Bloy, de la trique ou de la voirie. Ce sont les besognes de police, ce que j’appellerais
le syndrome du sabot de Denver. Le droit se manifeste alors au sujet vis6 par un exer-
cice d’autorit6 et de sanction souvent assez rude, voire sordide. On peut l’observer
dans toute sa pl6nitude h6t&oeite au 775 de la rue Gosford, oii siege la Cour munici-
pale de Montrdal. Le travail quotidien de cette institution essentielle n’est pas enti6-
rement exempt dejugements de valeur: par exemple, l’affaire dejanvier 1994 otL Ma-
dame le juge Raymonde Verreault, se pronongant sur la gravit6 des agressions
sexuelles commises par un homme de 37 sur sa belle-fille de 9 ans, le fit b6n6ficier
d’une circonstance att6nuante inusit6e. Pour ce jugement de valeur, ele fut vigoureu-
sement prise h partie dans les medias. I1 y a toujours un danger, en effet, a porter des
jugements de valeur au nom d’autrui. Le danger s’accroit lorsque le jugement est pu-
blic et rev~u de la force de la loi, mais cela fait partie des risques du m6tier de juge.
7. Au sein meme de runivers judiciaire, i y a aussi, de fagon pr66minente, un
ph6nom~ne d’auto-gestion partielle des litiges, avec l’assistance de l’institution judi-
ciaire : c’est le ph6nom~ne statistiquement tr~s significatif du r~glement >
(lire out of court), ou de la transaction, qui survient parce qu’intenter un proc~s aug-
mente instantan6ment et substantiellement le cofit 6conomique d’nn diff6rend. Ce
ph6nomne est pr6sent aussi, quoique sous une forme quelque peu diffdrente, dans le
2 Je ne veux pas crder ici l’impression fausse que ce travail est toujours facile. Le nombre, la com-
plexit6 et ‘instabilit6 des textes idgaux et rdglementaires, sans parler des sources prdtoriennes, font de
ce type de recherche une tfiche souvent d6licate, A laquelle d’excellents juristes peuvent s’employer h
longueur de jour. Mais, au fond, cette difficult6 se compare A celle qui consisterait
rassembler plu-
sieurs informations chiffrdes pertinentes tirdes de sources 6parses et a effectuer A partir d’elles, sans
commettre d’erreur, quelques calculs plus ou moins complexes.
3 Sclon la preuve, l’accus6, s’dtant content6 de sodomiser sa victime, n’avait pas port6 atteinte a sa
virginit6: voir Presse canadienne (14 janvier 1994), en ligne: QL
(PC94).
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Y-M. MoRissETTE – LA RATIONALIT” JURIDIQUE
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contentieux penal, oti on le connait sous le nom de plea bargaining –
ce que la Cour
supreme du Canada traduit par ndgociation de plaidoyer. La proportion des affaires
civiles qui > par rapport / celles qui se rendent il jugement est de l’ordre
d’t peu pros 10 t 1. Cela, je crois, est tr s bon signe et drmontre que les justiciables
(souvent aid6s en cela par leurs avocats) ont une compr6hension assez juste de la dy-
nanique intime du proc~s. Ils sentent, intuitivement mais irrdsistiblement, qu’un
mauvais r~glement, auquel on a consenti mame t regret, risque fort d’etre pr6f6rable h
un bon procs dont on ignore l’issue h l’avance. En effet, la ddcision de justice,
comme on se plait souvent A l’appeler, est en rralit6 une ddcision judiciaire et
d’autorit6, le recours aux tribunaux 6tant une sorte de loterie ndgative : on y gagne
rien mais on peut y perdre beaucoup. Vouloir par ce proc6d6 accomplir la >,
telle que peut la sentir chaque sujet de droit dans les profondeurs glauques de sa sub-
jectivit6 brute, relive de la chimire. Voil ce que saisissent plus ou moins confus6-
ment les sujets de droit qui choisissent de transiger plut6t que de se rendre jusqu’au
prrtoire.
8. Par ailleurs, il arrive aussi, mais dans un nombre ndgligeable de cas, que le
sujet de droit soit pathologiquement incapable de porter sur sa propre situation un re-
gard tant soit peu objectif, et que par consdquent il persiste dans une entreprise liti-
gieuse sans espoir. C’est la qurulence, que le dictionnaire d6finit comme ceci : . Dans sa forme la plus virulente,
elle explique le comportement d’un Valery Fabrikant.
9. Parfois enfin, la tendance naturelle vers l’auto-r~glement des diff&ends judi-
ciaires est quelque peu frein~e lorsqu’apparaissent des comportements de resistance
au droit par le moyen du droit : c’est le cas lorsque ceux qui ont int6r& A faire durer
une controverse pour se soustraire h leurs obligations instrumentalisent le processus
litigieux afin ddlibdr6ment d’en prolonger et d’en compliquer le daroulement. I1
s’agit, en somme, de la rrciproque de ce que j’ai appel6 plus haut le syndrome du sa-
bot de Denver. Cela s’observe lorsque, par exemple, un assureur se porte h la d6fense
d’un orthopddiste qu’un justiciable impdcunieux, inadmissible A ‘Aide juridique, et
dont la r6clamation se chiffre h moins de 100 000 $, a l’id6e audacieuse de traduire
devant les tribunaux. On concede habituellement dans le milieu de la responsabilit6
mddico-hospitali~re que le justiciable dans cette situation ne pourra faire ses frais si le
proc~s dure un peu. D’oai l’intdrt pour la partie adverse de le faire durer autant
qu’elle le peut’.
4 Cela explique peut-&re pourquoi l’Association canadienne de protection m&licale avait accumul6
au 31 ddcembre 1998 un surplus de 1,6 milliards de dollars, constitu6 partir de primes que versent les
membres de la profession m.dicale et en considdration desquelles, au Quebec, ils reqoivent du gouver-
nement provincial un remboursement annuel de l’ordre de 50 millions de dollars ; voir Association ca-
nadienne de protection m&iicale, Rapport annuel: 1998, Ottawa, A.C.PM., 1999, en ligne: A.C.PM.
<http://www.cmpa.org/fenc/pdf/98annual-f.pdf> ; <<.Assurance-responsabilitd m&licale: Faut-il crier un fonds qu b&cois?>> L’ActualitM~dicale 21:9 (1 mars 2000) 1.
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MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGLL
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D. Place de I’ind6termination dans le champ litigieux
10. L’appareil judiciaire a aussi pour mission de r6soudre les cas de r~elle ind6-
termination s6cr6t6s par le syst~me juridique. Cette mission est accomplie par une
op6ration semblable h celle de ‘apurement d’un compte. Elle n6cessite la mise au net
m6thodique et exhaustive, dans un d6lai que la loi fixe, de ce que l’on peut connaitre
ici et maintenant, hic et nunc, sur quelque chose. Le droit judiciaire et le droit de la
preuve, qui ensemble constituent une 6pist6mologie de l’honnete homme (ou, si l’on
pr6fare, de l’honnte personne), sont les principaux instruments employ6s dans ce
but’. Les juristes ont construit dans ces disciplines juridiques un savoir complexe,
fortement ramifi6 et riche en analyses subtiles, mais qui n’est pas exempt de solutions
contingentes ou m6me cauteleuses. Cela tient t ‘objet de ce savoir (la r6alit6, dont
certains se demandent encore plaisamment si elle existe, mais qui de toute manisre est
4 d’innombrables 6gards d’une complexit6 sans fin) et t sa finalit6 (non pas la pleine
connaissance de la r6alit6, entreprise r6serv6e t Sysiphe, mais plut6t 1’action, tourn6e
vers la solution satisfaisante de diffdrends entre sujets de droit). Le cadre de tout cela,
je le r6p~te, c’est ce que l’on peut savoir hic et nunc.
11. Dans l’accomplissement de cette mission, les tribunaux de premi~re instance
connaissente de nombreuses esp~ces oht le debat porte sur les faits. Exemple : <> II est
possible de s’ablmer des jours durant dans la contemplation de telles questions –
souvenons-nous de David Hume et de la causalit6 -, questions sur lesquelles, du
reste, les experts planchent sans fin et s’affrontent quotidiennement devant les tribu-
naux. On ne saurait dire que les tribunaux de premi~re instance ne tranchent que des
questions de ce genre, mais c’est leur sp6cialit6. Souvent, d’ailleurs, une question en
est une de fait on de droit, non pas h cause de son essence, mais en raison de la r6-
ponse qu’on lui apporte. R6pondre < A la premiere branche de la question 6non-
c6e pr6c6demment, c’est r6pondre t une question de fait. R~pondre <>, c’est r6pondre ii une question
de droit, puisque la r6ponse est susceptible d’applications dans des esp~ces litigieuses
comparables mais ult&ieures. Quittons cependant la distinction entre le fait et le droit,
distinction qui, j’en conviens, est un peu cuistre.
Sans doute faudrait-il ajouter pour 8tre complet certaines autres disciplines juridiques relevant elles
aussi de la m6thodologie, comme par exemple celle trait6e par Pierre-Andr6 C6t6 dans Interprdtation
des lois, 3′ 6d., Montral, Th6mnis, 1999.
6A dessein, j’emploie ici le terme dans son acception juridique. Connaitre n’est pas connaltre par-
tout de la meme fagon ou aux m~mes fins. Exemple : la connaissance chamelle, qui a peu voir avec
Jean Piaget et les sciences cognitives.
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Y-M. MORISSETTE – LA RATIONALIT8 JURIDIQUE
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12. A l’oppos6 de la Cour municipale dont je parlais plus haut, et bien au-dessus
des modestes mais oh! combien utiles tribunaux de premi~re instance, travaille la
Cour supreme du Canada. Elle consacre l’essentiel de son temps t porter des juge-
ments de valeur sur des questions insolubles, en ce sens qu’elles sont ontologique-
des raisonnements logico-d6ductifs : on peut mame dire que, si
ment r6fractaires
une question quelconque se rend jusqu’I la Cour supreme du Canada, c’est prJcis6-
ment parce qu’elle n’a pas de r6ponse en amont de la d6cision qui sera rendue, du ju-
gement de valeur port6 par l’institution d6cisionnaire. Dans ce pan-ci du droit, qui re-
prdsente une fraction infime du ph6nom~ne juridique mais qui a, reconnaissons-le,
une forte pr6sence symbolique dans la soci6t6 (par exemple, le Renvoi relatif a la sj-
cession du Quebec) on peut dire que la fin demi~re de la juridicit6, son eschatologie
en quelque sorte, c’est de r6soudre hic et nunc, pour qu’on puisse passer h autre chose
et continuer h vivre provisoirement ensemble sans s’entre-tuer, le dilemme de l’Ane de
Buridan. Par exemple, l’affaire Rodriguez’. On peut l’associer au dilemme de l’fne de
Buridan parce qu’aucun raisonnement de l’intgrieur du droit positif ne permet de
choisir de mani~re rationnellement irr6sistible entre une proposition A (le droit A la
vie comprend le droit de se donner la mort) et une proposition B (le droit t la vie ne
comprend pas le droit de se donner la mort). Je ne sais pas si un tel raisonnement est
possible de l’extirieur du droit positif ; j’en doute, mais ce n’est pas mon affaire en
tant que juriste. Qu’il existe des convictions religieuses, 6thiques, morales, politiques,
voire des 6motions, des lubies ou des n6vroses morbides, qui puissent guider ce choix
–
l’esprit de certains comme ne 6vi-
dence logique –
je n’en doute pas, mais ici encore ce n’est pas mon affaire en tant
que juriste. La solution de cette version-ci du dilemme de l’fne de Buridan ne
m’int6resse vraiment, en tant que juriste, qu’en aval de la d6cision, et non en amont.
Une fois le dilemme r6solu (par l’affirmation, par exemple, que le droit h la vie com-
prend le droit de se donner la mort), la proposition retenue, et elle seule, est ce qui
m’int6resse, pas les innombrables gloses, analogies, <>, variantes et tritu-
rations qu’on peut 6tre tent6 d’en tirer. Et cette proposition, bien qu’elle serve assez
souvent A trancher une question insoluble relative h la condition humaine, parfois
m~me dans ce qu’elle a de plus tragique, de plus insoutenable (par exemple, l’affaire
R. c. Latimer), devient apodictique dans l’ordre du droit. I1 n’y a donc plus lieu par la
suite de perdre un temps pr6cieux pour tenter d’61ucider par une apparence
d’intellection un dilemme hors du temps et, pour l’essentiel, imp6n6trable A la raison.
C’est lh ce qu’il faut entendre par une v6rit6 juridique : ainsi est faite la seule et uni-
que petite v6rit6 contingente et d6risoire que le droit se montre capable d’engendrer.
Remarquons cependant que, bien souvent, cette pauvre v6rit6 n’est pas pire qu’une
autre dans un registre voisin : celui, par exemple, de l’6thique. Seulement, en droit, il
et peut-6tre m~me l’imposer imp6rieusement
7 [1998] 2 R.C.S. 217, 161 D.L.R. (4′) 385.
a Rodriguez c. Colombie-Britannique (PG.), [1993] 3 R.C.S. 519, 107 D.L.R. (4) 342.
‘Non pas le premier pourvoi dans l’affaire Latimer, [1997] 1 R.C.S. 217, 142 D.L.R. (4′) 577, mais
le second : [1999] 1 R.C.S. x, S.C.C.A. No. 40, en ligne : QL (SCCA), en appel de (1998), 131
C.C.C. (3) 191, 172 Sask. R. 161.
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MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
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faut accepter une fois pour toutes que le temps presse, qu’h toute question il faut ap-
porter une r6ponse, et que le mieux est l’ennemi du bien. Les tentatives de pr6senter le
droit sous un autre jour ne sont la plupart du temps que bavardage salonard et discours
d’auto-16gitimation par des juristes 6gar6s chez les philosophes.
E. LgitimitW prdcaire desjugements de droit
13. La seule 16gitimit6 du processus judiciaire tel que je viens de le d6crire tient
donc au fait qu’il faut purger le droit de son in6luctable ind6termination chaque fois
qu’un cas particulier et r6el met en lumire une insuffisance normative d’oti r6sulte un
diff6rend qui ne se r~gle pas de lui-meme. Comme je l’ai dit; le droit, pour ce faire,
utilise une 6ristique acquise de longue date, et non sans une aust6re noblesse, meme si
on la traite parfois avec d6dain : je parle de la proc6dure. Mais la l6gitimit6 du tout est
bien pr6caire : c’est celle du mal n6cessaire. En effet, lorsque l’on a pass6 un certain
stade de d6t6rioration dans les rapports entre personnes ou entre groupements en rai-
son d’un diff6rend de la vie concrete, il vient un temps oa il faut mettre un terme au
diff6rend. Voilh tout. Il faut donc des r6ponses aux questions sur lesquelles les int&es-
s6s s’affrontent, mais cela en soi ne garantit aucunement qu’une quelconque bonne
r6ponse sortira de la machine judiciaire. >
disait le juge Oliver Wendell Holmes. Voilt ce que font les juges, avec le concours des
simples juristes : fixer la r~gle l ot a rule there must be. Certains, je dirais meme la
plupart, sont de fort honnetes gens, bien 6lev6s, assez cultiv6s, pacifiques et tout et
tout, mais cela n’a pas plus de pertinence dans l’ordre du droit que la pointure de leurs
chaussures. Tout au plus peut-on s’attendre du juriste, s’il est comptent, A ce qu’il ait
lu avec assiduit6 les <> qu’on lui a appris A consulter : la loi, la jurisprudence
et la doctrine. C’est d6jh bien assez pour que, comme disait Monsieur Flaubert, il se
batte les flancs. Vous n’aimez pas ce qu’il fait? Parfait, venez prendre sa place, et on
verra si ce que vous avez A offrir tient la route. On verra, notanment, ce que vons va-
lez en mati~re de proc6dure et de preuve. Ce que vous valez en philosophie et en 6thi-
que (en sciences morales>>, comme on disait autrefois), ne regarde pas les juristes,
bien que cela puisse par ailleurs avoir quelque int6ret entre la poire et le fromage.
II. Quelques repr6sentations de ce dont il s’agit
A. Le regard du th6oricien du droit : le droit vu des cimes
14. La th6orie et la philosophie du droit, qui chevauchent ce que l’on appelle en
anglais jurisprudence –
le contraire, pour ainsi dire, de ce que l’on appelle en fran-
gais la jurisprudence>> -, ont consacr6 une 6nergie intense depuis un si~cle h saisir
et expliquer la r6alit6 6voqu6e plus haut. La question est compliqu6e du fait que le
ph6nom~ne Droit se pr6sente sous des formes assez diff~rentes d’une tradition juridi-
que ou d’une r6gion h une autre. Ainsi, la description qui pr6cmde ( 1-13) conceme
ce qui a cours ici et maintenant, ou, avec des nuances et des r6serves qui augmentent it
mesure que se prolonge l’6num6ration, ce qui a cours en Nouvelle-cosse, dans le
Vermont, au Pays de Galles, au Queensland, au Texas, I Singapour, et peut-tre aussi,
mais de mani&e beaucoup moins nette, dans les Bouches-du-Rh6ne ou dans le No-
2000]
Y-M. MORISsETTE – LA RATIONALIT8 JURIDIQUE
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ordbrabant (encore que, dans ces deux demiers endroits, la configuration institution-
nelle du droit soit fort diffdrente de ce qui a W d6crit plus haut). Nul doute que, au-
delk d’un certain point dans respace physique ou intellectuel, on ne parle plus des
mames choses : le droit vietnamien, ou. le droit dans les traditions talmudique ol isla-
mique, ont peu ou trs peu Ii voir avec la description qui prdcede. Certaines tentatives
de saisir le droit A un tr~s haut niveau d’abstraction d~notent une volont6 d’61iminer
entihnement du champ de vision le fatras institutionnel qui partout accompagne le
droit et risque d’en occulter l’essence. C’est ce que tenta de faire Koj~ve, dont la re-
marquable Esquisse d’une phdnomdnologie du droie’ doit figurer dans toute biblio-
thbque de qualit6 sur le droit, mais qui donne du sujet une description trop proche de
l’Europe d’avant la deuxihme moiti6 du XXe si~cle pour correctement rendre compte,
par exemple, de l’influente r6alit6 am6ricaine, telle qu’elle a 6volu6 de Marbury c.
Madison” jusqu’A aujourd’hui’2. En revanche, l’interminable d6bat am6ricain sur la
l6gitimit6 du judicial review s’exporte mal lui aussi parce qu’il est trop situ6 dans
l’espace 3.
15. Je consid~re pour ma part que les th6ories sur le droit les plus satisfaisantes
et les plus universalisables appartiennent au courant positiviste” et sont issues des tra-
vaux de Kelsen et Hart. Elles donnent du droit une image qui co’ncide sur ressentiel
avec ce qui a 6t6 vu plus haut, mais qui correspond aussi aux ph6nomhnes juridiques
prdsents dans divers autres cadres spatio-temporels. Ces th6ories sont celles qui par-
viennent le mieux h distinguer le contingent du n6cessaire en droit et ht 6puiser ce que
l’on peut dire avec certitude sur le sujet (mince) de la rationalit6 juridique. Conscient
du contenu de ces theories, lejuriste comprend ce qu’ilfait et appr6cie les limites (vite
atteintes) de la rationalitdjuridique. Je crois utile pour situer les choses A grands traits
de citer ce que dit Hart du positivisme en g6nral dans la th6orie du droit:
‘0 A. Koj~ve, Esquisse d’une ph6nominologie du droit : exposi provisoire, Paris, Gallimard, 1981,
r&lig6 par rauteur au cours de ‘dt6 1943 et demeur6 in&dit avant ‘&ition de 1981.
” 5 U.S. 137 (1803).
12 Je pense ici A ce que Koj~ve 6crit sur le droit public, supra note 10 aux pp. 392-420, et notam-
ment A lap. 400 : <Le “Droit public” qui r~gle les rapports entre l’ttat et ses citoyens qui agissent po- litiquement, c’est-,-dire en tant que citoyens, n’est donc pas un Droit vdnitable. L’Etat et le citoyen se meuvent ici sur le meme plan (politique), mais sur ce plan il n’y a pas de place pour un iers impartial et d~sintdress6, c’est-h-dire qu’il n’y a pas de place pour un Droit quel qu’il soit (prcis6ment parce qu’il n’y a pas de “neutres” en politique)>.
3 Voir P. Kahn, Legitimacy and History: Self-Government in American Constitutional Theory, New
Haven (Conn.), Yale University Press, 1992.
, 11 faut d’ailleurs se m6fier de ce terme. 11 n’est pas question ici de ce que ron pourrait appeler le
positivisme vulgaire, selon lequel le droit dans son entiret6 serait constitu6 de raisonnements rigou-
reusement logico-d6ductifs. Dans les pays de tradition anglo-am6ricaine, le motformalism est syno-
nyme d’une forme voisine mais sans doute moins simpliste de positivisme. Elle a 6t6 incame aux
ttats-Unis, entre autres figures c4l6bres, par Christopher Columbus Langdell, dont on peut dire qu’il
‘ axiologie junidique une qualit logique dont elle est largement d6pourvue. C’est ce posi-
attribuait
tivisme que les realists amricains ont combattu dans les annes trente : voir G. Fletcher, Compara-
tive Law as a Subversive Discipline>> (1998) 46 Am. . Comp. L. 683 aux pp. 687-90 ; je remercie
mon collbgue Daniel Jutras de &’avoir signal6 le texte de Fletcher.
600
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 45
The expression “positivism” is used in contemporary Anglo-American litera-
ture to designate one or more of the following contentions : (1) that laws are
command of human beings ; (2) that there is no necessary connexion between
law and morals, or law as it is and law as it ought to be ; (3) that the analysis or
study of meanings of legal concepts is an important study to be distinguished
from (though in no way hostile to) historical inquiries, sociological inquiries,
and the critical appraisal of law in terms of morals, social aims, functions, &c ;
(4) that a legal system is a “closed logical system” in which correct decisions
can be deduced from predetermined legal rules by logical means alone ; (5)
that moral judgments cannot be established, as statements of fact can, by ra-
tional argument, evidence and proof (“non cognitivism in ethics”). Bentham
and Austin held the views expressed in (1), (2), and (3) but not those in (4) and
(5) ; Kelsen holds those expressed in (2), (3), and (5) but not those in (1) or (4).
Contention (4) is often ascribed to “analytical jurists” but apparently without
good reason.
In continental literature the expression “positivism” is often used for the gen-
eral repudiation of the claim that some principles or rules of human conduct are
discoverable by reason alone 5.
Hart et Kelsen se rejoignent sur les propositions (2), (3), et (5). Pour Hart, la proposi-
tion (1) est inexacte parce qu’ele donne une explication tout h fait incomplete des
choses. Quant t la proposition (4), elle est fausse.
16. La m~me vision d’ensemble du droit comprend 6galement une th6orie de ce
qui pr6occupe en permanence les juristes, c<‘interpr6tation juridique>> proprement
dite, d6jA 6voqude ici au 12. La th6orie en question (ou les theories, car i partir d’un
tronc commun s’616vent plusieurs explications voisines du ph6nom6ne) a son assise
dans les travaux de Kelsen et de Hart, tout particuli~rement, pour le premier, au Titre
VIII de la Thdorie pure du droit” et, pour le second, au chapitre VII de The Concept of
Law”. A partir d’une critique des doctrines
sur
l’interpr6tation”, critique qui pr6sente cette derni~re comme un acte de volont6 plut6t
traditionnelles
juridiques
“H.L.A. Hart, The Concept of Law, 2! &t., Oxford, Clarendon Press, 1961 t la p. 253.
‘6 H. Kelsen, Thoie pure du droit, trad. par Charles Eisenmann, Paris, Dalloz, 1962.
‘7 Hart, supra note 15.
‘s Kelsen, supra note 16 aux pp. 458 : <Jusqu’ici, malgr6 tons ses efforts, la doctrine traditionnelle n’a pas r6ussi h trancher le conflit entre la volont6 et l’expression d’une fagon objectivement valable, soit en faveur de l’une, soit en faveur de l’autre. Toutes les m6thodes d’interprdtation qui ont 6t6 jus- qu’ici d6velopp6es ne conduisent jamais qu’a un rsultat possible, jamais A un rsultat qui serait le seul exacb> et 462-63 :
Le comblement d’une soi-disant lacune dans le droit est une fonction de cration du
droit qui ne peut etre accomplie que par un organe d’application du droit […] ; et ce
n’est pas par voie d’interprtation du droit en vigueur que se ralise cette fonction.
L’interprdtation scientifique ne peut rien faire d’autre ni de plus que d6gager les signifi-
cations possibles des normes juridiques. En tant que connaissance de son objet, elle ne
peut pas opter et decider entre les possibilit~s qu’elle a fait apparaitre ; elle doit aban-
donner le choix et la ddcision t l’organe juridique qui a compdtence d’aprbs l’ordre ju-
ridique pour appliquer le droit. L’avocat qui, dans l’int~rat de son client, s’efforce de
200
Y-M. MORISSETFE – LA RATIONALIT. JURIDIQUE
que de connaissance, la thdorie se d6ploie et fixe son attention, apris Hart, sur la
texture ouverte>> des langues naturelles, de meme que sur le > et
la p6nombre du doute>>9 caract6risant toute r~gle de droit exprim6e dans une langue
naturelle. (C’est le lieu pr6cis oia se sont affront6s Hart et Fuller dans un debat c61-
bre.) Sont ensuite 6cart6es comme non conformes h l’exp6rience juridique les thses
formalistes d’antan (au sens de la proposition (4) ci-dessus, 15) de meme que les
thses sceptiques des American Realists. Sur ces prdmisses somme toute assez sim-
ples se construit une th6orie qui, entre autres objectifs, vise h tracer les limites de ce
qui peut se dire avec rigueur sur le droit en g6n6ral et sur l’interpr6tation juridique en
particulier. Joseph Raz prend le relais de Hart pour explorer le rapport politique entre
le droit et la justice. Dennis Patterson, apris avoir 6tudi6 la signification de Wittgen-
stein pour la thdorie du droit, pousse plus loin le travail analytique de Hart et explore
notamment la pratique de l’6ristique juridique=. La conclusion sur laquelle debouche
la thdorie positiviste de l’interprdtation juridique s’affine mais ne change pas sur
l’essentiel :, dit Michel Troper, ,rdside
dans la validit6 de l’interprdtation qu’il produit>>’, validit6 qui d6pend non pas de la
conformit6 de l’interpr6tation avec un standard exteme, ou en quelque sorte platoni-
cien, mais du fait que l’ordre juridique contfre h cette interpr6tation des effets de
droit. Encore aujourd’hui, selon moi, cette vision de l’interpr6tation juddique rend
compte mieux que toute autre de ce dont il s’agit. La seule l6gitimitd de l’entreprise
tient h ce qu’elle est nicessaire (13), et non pas t ce qu’elle engendre des interpr6ta-
tions vraies – m~me si cela n’exclut pas qu’elle puisse h l’occasion, voire souvent,
donner pour certains ou pour tout le monde, des rdsultats apparamment vrais selon un
crit~re quelconque de vdrit6.
17. Les reprdsentations positivistes et contemporaines du droit servent d’arri&e-
plan A la pensde de Ronald Dworkin, qui veut d’emblde s’en d6marquer. II n’est pas
facile de synthdtiser sa r6flexion sur le droit : elle a un caract&e it6ratif, ayant 6t6 ex-
d6montrer devant un tribunal que seule est juste telle des diverses interpretations possi-
bles de la norme juridique A appliquer A l’espkce, le juriste qu, dans un commentaire
qu’il publie, distingue l’une des interpr6tations possibles comme la seule <exacte)>, ne
remplissent pas une fonction de science juridique, mais une fonction de politique jur-
dique. ]Is cherchent h influer sur la creation du droit. […I Agir ainsi, c’est pr6senter
faussement comme une v6rit6 scientifique ce qui n’est en r alit6 qu’un simple juge-
ment de valeur politique.
19 ,emprunte ces expressions 4 N. MacCormick, Amselek et C. Grzegorczyk, dir., Controverses autour de l’ontologie du droit, Paris, Presses universi-
taires de France, 1989 h lap. 109.
‘0 Voir D. Patterson, Law and Truth, New York, Oxford University Press, 1996 aux pp. 128-50 et
>, (1997) 50 S. Methodist U.L. Rev. 1563 [ci-apr~s >].
21 M. Troper, ,Une th.orie r~aliste de l’interprtation>>, Atelier de droit civil, Facult6 de droit, Uni-
versit6 McGill, 20 octobre 1999 [non publif].
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 45
prim6e en plusieurs ouvragese et articles sous une forme qui a 6volu entre 1970 et
aujourd’hui. En d’autres termes, Dworkin, contrairement h Hart, n’est pas ‘homme
d’un seul livre. George Fletcher a 6crit que ‘axe Dworkin-Hart correspond au-
jourd’hui h ce que fut autrefois l’axe Blackstone-Bentham (A une g6n6ration de dis-
tance, comme Hart et Dworkin) ou, plus loin encore, l’axe Coke-Hobbes (eux aussi
k une g6n6ration de distance). Dworkin incarnerait aujourd’hui le jurisprudence of
rights, une forme de n6o-jusnaturalisme. I1 ne saurait etre question ici d’entrer de
plain-pied dans cette controverse. On peut cependant extraire de la pens6e de Dwor-
kin, sans trop risquer de la d6former, ce qu’il soutient sur l’interpr6tation juridique.
Dworkin lui-m~me a d’ailleurs donn6 sur ce point des explications synth6tiques dans
un court texte d’abord paru en traduction frangaise (!), explications que Paul Amse-
lek reprend en ces termes :
[S]elon [Dworkin], en effet, le droit en vigueur A chaque instant dana une so-
ciot6 donn~e est complet, car il est possible, A partir des diff&entes r~gles qui le
composent, de tirer des principes implicites plus g6neraux permettant de r6sou-
dre tous les cas susceptibles de se presenter. Aucune d6marche vWitablement
inventive ne serait donc n6essaire de la part des interpr~tes et praticiens du
droit, et notamment de la part des juges : il suffirait de savoir tirer l’implicite
‘explicite. Si nous n’y parvenons par toujours en
objectivement contenu dans
pratique, c’est seulement par suite d’une d6faillance de nos capacit6s intellec-
tuelles ; mais un juge surdou6 aux capacit6s approprid6es […] pourra le faire
sans difficui
.
Voilh olt le bat blesse. Malgr6 une pense f6conde sur le droit et d’astucieuses cons-
tructions conceptuelles a son sujet, Dworkin n’est jamais parvenu A r6futer l’image de
l’interprdtation juridique qui a eu cours partir de Hart (et sur laquelle je me fonde ci-
haut, 13) ; afTrmer ‘existence d’une interpr6tation >, interpr6tation qui serait issue d’un processus de *, n’est pas la m~me chose qu’en d6montrer l’existence en fait. Sur le
strict plan de la conformit6 avec l’exp6rience commune des juristes, la these de
Dworkin ne les convaine pas, puisque tout leur d6montre que, li ot le droit est liti-
gieux, il est ind6termin6. R6sumant la thhse centrale de Dworkin sur l’interpr6tation,
John Finnis a 6crit : <“creative interpretation” […] seeking to make the law the best it ” Principalement dans Taking Rights Seriously, Londres, Duckworth, 1978 ; A Matter of Principle, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1985 ; et Law’s Empire, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1986. ‘ Voir R. Dworkin, La compl~tude du droit> dans Amselek et Grzegorczyk, dir., supra note 19,
127, paru en 1991 sous le titre original on Gaps in the Law>> dans P. Amselek et N. MacCormick,
dir., Controversies about Law’s Ontology, tdimbourg, Edinburgh University Press, 1991, 84. C’est
cet dtat des questions que Patterson utilise dans >, supra note 20.
2’P. Amselek, ,k propos de la th6orie kels6nienne de 1 absence de lacunes dans le droit> dana La
pensde politique de Hans Kelsen, Cahiers de philosophie politique et juridique, nd 17, Caen (Fr.),
Centre de publication de l’Universit6 de Caen, 1990 h lap. 122.
” Les expressions sont de R. Dworkin, <> (1997) 29 Ariz. S.LJ. 353 aux pp.
356-57.
2000]
Y-M. MORISSETTE – LA RATIONALIT5 JURIDIQUE
603
can be, legally authorizes substantial transformations of “settled law” by judges duty-
bound to apply only lawo>2 . Cette th~se, dont on peut se demander d’ailleurs si elle est
descriptive ou normative, n’est certes pas absurde, mais elle est ind6montrable et de
peu d’utilit6 pour lejuriste .
18. La tentation est forte pour les positivistes form6s A l’6cole de Hart de penser
de Dworkin ce que Popper pensait de Freud. II serait certes tentant de virifier la thse
de Dworkin, en assujettissant des processus d’interpr6tation juridique, par exemple en
matiine constitutionnelle, A une m6thode expdrimentale avec groupes de contr6le. En
pratique, cela est impossible en dehors des circuits d6jh en place du droit positif, les-
quels ne se prtent pas h la chose. En effet, dans sa dimension litigieuse, le droit porte
profonddment la marque de l’une de ses finalit6s d’origine, qui est d’individualiser
autant que faire se peut l’examen de la question sur laquelle porte le diffdrend pour
que juge et parties puissent aller au fond des choses. Cela explique les pompes du
droit litigieux : la mdticulosit6 et la complexit6 de la procddure 6crite, les usages du
prdtoire, la procddure d’audience, les pratiques de ddlib6ration et de motivation des
d6cisions, etc. Chaque cas 6tant rendu unique par la fagon dont on l’apprhende, il ne
peut y avoir de nouvelles ou d’additionnelles itdrations du meme cas. Est donc exclu
le recours h une mdthode exp6rimentale qui soumettrait h l’attention de plusieurs ju-
ges, ou de plusieurs formations de jugement, la mme espce exactement, h partir des
mhmes preuves, et comportant la meme plaidoirie, afin de voir si effectivement la ca-
pacit6 des institutions juridiques d’apporter les ndmes solutions aux mgmes probIk-
mes se v6rifie dans tous les cas, ou dans un nombre statistiquement significatif d’entre
eux. I1 est fort probable que ce soit le cas, mais on ne peut en dire plus. Bien entendu,
il y a des avantages et des inconv6nients h ces fagons de faire : ainsi, on a beaucoup
gagn6 en instituant au Qudbec la Loi sur l’assurance automobile”‘, mais on a aussi
perdu quelque chose, qui 6tait, avant la mise en place de ce r6gime d’indemnisation
, l’examen h la loupe et au fond (on the merits) de chaque esp~ce liti-
2T. Honderich, dir., The Oxford Companion to Philosophy, Oxford, Oxford University Press, 1995,
s.v. Dworkin>, par I Finnis.
Voir R.A. Posner, Ariz. S.L.L 377, de m~me que The Problematics of Moral and Legal Theory, Cambridge (Mass.),
Harvard University Press, 1999 aux pp. 91-98, 227-65. La perspective pragmatique que d6fend Pos-
ner, et dont il donne diverses illustrations dans son ouvrage (voir notamment son &ude compare sur
le ph6nom~ne appeW litigiousness, aux pp. 217-26), a certainement de quoi plaire au juge puisqu’elle
vise A faciliter la prise de decision en plagant devant le juge plus d’informations pertinentes et rigou-
reuses qu’il n’est d’usage lorsque l’on souscrit A une conception traditionnelle de la fonction judi-
ciaire. Rien dans ce qui est avanc6 ici n’est incompatible avec la thse de Posner, mais cette th~se ne
dit pas tout.
Et les observations que foumissent ces circuits confirment plut& qu’elles n’infirment la th6orie de
Hart: les dissidences clans les formations de jugement et les revirements d’un paller d’appel h un au-
tre montrent bien que la interprdtation n’est constitute de la sorte que parce qu’elle provient
de l’institution qui, en vertu d’une r~gle du second degrd, a le dernier mot sur la question controver-
see.
‘9 L.RQ. c. A-25.
604
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE McGILL
[Vol. 45
gieuse. I1 est venu un temps oti les coats consid6rables d’une politique juridique A
base de faute l’ont emport6, aux yeux du 16gislateur, sur l’examen en profondeur et
sous toutes ses facettes de chaque accident de la route entranant des blessures corpo-
relles. De fagon g6n6rale lorsqu’il y a litige, cependant, le caract re acataleptique des
questions soulev~es impose d’aller au fond des choses avec le plus grand soin : s’il
n’y a pas de <> r6ponse, on aura au moins la satisfaction d’avoir tout mis en
euvre pour vider la question. Mais cette caract6ristique tr~s largement r6pandue du
droit rend la thbse de Dworkin rebelle h toute v6rification empirique : comment, par
exemple, peut-on esp6rer de manikre le moindrement r6aliste d6montrer que la daci-
sion unanime de la Cour supreme du Canada dans le Renvoi sur la scession du Qu-
bec est la bonne, ou la mauvaise, d6cision, que cette ddcisionfits (ou does notfit) the
legal practice better, and puts (ou does not put) it in a better light? Better par rapport
4 quoi ? C’est impossible h d6montrer. Cela dit, le mystare du droit ne signifie pas que
ds qu’il y a litige, on peut litt&alement ddcider n’importe quoi. Seulement,
l’ind6termination demeure irrductible en aval de la ddcision, pour la raison suivante.
Dans toute la gamme des interpr6tations, sensdes ou absurdes, qui s’offrent au dci-
sionnaire (disons de A h Z), le choix se fera A partir d’un sous-ensemble plus restreint
(K h N) circonscrit par le savoir juridique actuel, mais ce sous-ensemble contient par
d6finition la solution que souhaite une partie (par exemple, >, ou >), ainsi que son contraire, souhait6 par la partie ad-
verse (par exemple, , ou encore >, mais aussi –
dans la langue de bois ju-
ridique telle qu’elle se pratique au Canada – >). Sont dcartdes, de A t J et
de 0 A Z, les solutions ou les issues du genre >, ou La loi est intra vires parce que le jeudi matin Montrdal on
n’applique pas la Constitution>. Mais entre K et N, tout est permis.
B. Le regard du tacheron du droit positif : le droit vu du bas vers le
haut
19. De l’intdrieur du droit positif, le th~me de l’ind6termination a toujours 6td
prsent et aucun juriste dot6 d’une certaine exp6rience du m6tier ne peut en ignorer
l’existence. En 1670, par exemple, Sir John Vaughan, juge en chef de la Court of
Common Pleas, faisait remarquer dans une certaine affaire Bushell” :
I would know whether any thing be more common, than for two men students,
barristers or Judges, to deduce contrary and opposite conclusions out of the
same case in law? And is there any difference that two men should infer dis-
tinct conclusions from the same testimony : Is any thing more known that the
same author, and place in that author, is forcibly urg’d to maintain contrary
Bushell’s Case (1670), 124 E.R. 1006 t lap. 1009.
2000]
Y-M. MORISSETTE – LA RATIONALIT5 JURIDIQUE
605
conclusions, and the decision hard, which is in the right? Is any thing more fre-
quent in the controversies of religion, than to press the same text for opposite
tenents? How then comes it to pass that two persons may not apprehend with
reason and honesty, what a witness, or many, say, to prove in the understanding
of one plainly one thing, but in the apprehension of the other, clearly the con-
trary thing […] ?
On pounrait croire que ce passage se lirnite it constater 1’existence end6mique de diff6-
rences d’opinion, sans 6carter la possibilit6 qu’une opinion doive souverainement
pr6valoir sur toutes les autres parce qu’elle est la bonne. Ce n’est pas le cas. L’arrt
Bushell est la d6cision qui mit fin aux interventions intempestives des tribunaux sup6-
rieurs dans la r6formation des verdicts rendus par les jurys anglais. HI s’agissait ici
d’exhorter les tribunaux et les parties A accepter tels qu’ils sont les verdicts rendus
dans le cours ordinaire des choses. Mais, r6flexion faite, le m~me raisonnement vaut
autant pour les controverses de droit que pour les controverses de fait (comme
d’ailleurs le laisse clairement entendre le passage queje viens de citer). II s’est produit
depuis une vingtaine d’ann6es en droit canadien une prise de conscience progressive
de cette r6alit6, prise de conscience qui conduit t l’adoption d’une nouvelle concep-
tion de l’interpr6tation juridique. Je qualifierais cette conception de pluralisme inter-
pr6tatif. Elle n’est au fond qu’un reflet du changement de mentalit6 (d’6pist6m6, si
l’on veut faire savant) auquel nous assistons actuellement avec l’apparition, en droit
comme ailleurs, de la post-modemit6, des mouvements de d6construction et des 6pis-
tdmologies multiculturelles. Les signes avant-coureurs de cette transition en droit po-
sitif canadien apparurent dans un arrat de 1979″‘, selon lequel plusieurs d6cisions rai-
sonnables mais potentiellement contradictoires, tranchant une m~me question de
droit, peuvent valablement coexister dans l’ordre du droit positif, puisque de toute
mani~re il n’y a pas de bonne r6ponse unique lorsque se pr6sente un problkme
d’interpr6tation. Une fois cette concession faite, on se dirigeait naturellement vers le
probl~me des d6cisions plus ou moins contradictoires mais 6galement ex6cutoires,
problkme qu’il faudrait bien r6soudre d’une mani~re ou d’une autre si l’on voulait
6viter de placer d6lib6r6ment le sujet de droit dans la situation de l’fne de Buridan
(encore lui!). C’est ce h quoi s’appliqua la Cour suprme du Canada dans certaines
d6cisions ultdrieures importantes, non sans quelques h6sitations’, 61aborant en cours
de route la doctrine des contradictions, ou des conflits, op6rationnels33. Paralllement,
on vit aussi 6clore un contentieux du second degr6 sur les conditions acceptables de
r6solution des questions confi6es des tribunaux administratifs soucieux de maintenir
une coh6rence dans lour pratique contentieuse. II paut y avoir, par exemple, plusieurs
rdponses raisonnables et contradictoires A la question un pansement est-il vis6 par la
97 D.L.R. (3) 417.
“‘ S.C.EP, section locale 963 c. Socidtd des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227,
32 Et quelques revers 6galement : voir UE.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, 95 N.R.
161.33 Voir notamment Domtar c. Qudbec (Commission d’appel en matie de ldsions professionnelles),
[1993] 2 R.C.S. 756, 105 D.L.R. (4’) 385 et, surtout, British Columbia Telephone Co. c. Shaw Cable
Systems (B.C.), [1995] 2 R.C.S. 739, 125 D.LR. (4) 443.
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 45
notion d’&luipement m&lical?> ou d’onission de divulguer en cours de n6gociation
de convention collective une intention arratde de fermer une usine constitue-t-elle un
manquement A l’obligation de ndgocier de bonne foi? . Un tribunal administratif peut
16gitimement souhaiter avoir une politique ddcisionnelle uniforme sur de telles ques-
tions, mais l’uniformit6 de ne s’acquiert pas A n’importe quel prixTM. On a lt tous les
signes d’une adh6sion implicite aux thbses de Hart, lesquelles font leur chemin. Les
propos d’un membre de la Cour supreme du Canada en tdmoignent. S’attaquant rd-
cemment h l’image du juge > (expression antinonique s’il en est – presque
le pompier pyromane), Madame lejuge L’Heureux-Dub6 faisait observer:
It is also often suggested that activist judges place their personal preferences
above the requirements of the law. Yet such criticism ignores the process of le-
gal reasoning and justification that forms part of every legal decision. Legal in-
terpretation requires a judge to use arguments and sources that are acceptable
within the legal community, and justify the decision with regard to those val-
ues. This accusation also fails to recognize that cases that make their way to
appeal courts generally reach that stage precisely because there are no clear or
already determined legal principles to decide the questions at issue .
Cette attitude de rdserve, d’hurnilit dpistdmologique, et la conscience par les juges de
la pr6carit6 de leur 16gitimitd, comptent aussi parmi les effets secondaires opportuns
du positivisme 6clair6 de H.L.A. Hart.
20. Mais i serait hasardeux de soutenir que Hart a gagnd et que Dworkin a per-
du, ou vice versa. Les thbses en prsence sont en suspens dans 1’dther. Parallhlement
aux signes que je viens de mentionner, et qui ne concernent que le droit positif cana-
dien hic et nunc, on peut observer aussi la progression consid6rable des droits de la
personne en Occident comme ailleurs, et du droit humanitaire h ‘dchelle internatio-
nale, progression qui suppose une adhesion implicite h la thhse dworkinienne de la
bonne ou de la meilleure rdponse. Sinon, pourquoi diable multiplierait-on de larges
aires d’ind6termination (par exemple la rbgle (sic) des principes de justice fondamen-
tale) oit des juges, ayant plus que jamais les couddes franches, portent des jugements
de valeur au nom d’autrui sur mille versions du bien et du mal? Pourquoi toldrerait-on
une telle extension de la stratdgie du ventriloque, laquelle consiste pour le juge A pr6-
senter comme issue de la loi, ou de la constitution, ou du droit international, etc., la
solution issue en rdalit6 de sa propre volont6? C’est que ‘explication dworkinienne a
incontestablement marqu6 des points. Malheureusement, il arrive aussi qu’elle con-
Voir et comparer S.I.TBA. c. Consolidated-Bathurst Packaging, [1990] 1 R.C.S. 282, 68 D.L.R.
(4′) 524 et Tremblay c. Qudbec (Commission des affaires sociales), [1992] 1 R.C.S. 952, 90 D.L.R.
(4’) 609.
5 C. L’Heureux-DubM, , confdrence prononc6e lors
du Council Awards Luncheon, Association du Barreau canadien, 21 aoft 1999 [non publide]. Je par-
tage entibrement ce point de vue que j’avais exprim6 il y a quelques annies en ces termes : :<(Canada as a Post-Modem Kritarchy>> (1998) 72
A.LJ. 294 h lap. 297.
20001
Y-M. MORISSETE – LA RATIONALIT5 JURIDIQUE
forte certains juges dans la recherche 6perdue de la bonne r6ponse, celle justement
qu’Hercule, selon Dworkin, trouverait A tout coup. D’oi des jugements de dimensions
proprement hdrculdennes, ots l’on compense une absence de profondeur par une am-
pleur de surface. Le droit 6tait exsangue, il a maintenant des accs de goinfrerie. Et
lorsque cette quete de la bonne r6ponse, du Saint-Graal juridique, est pratiqu6e avec
suffisamment d’entetement, elle conduit A une prolifdration de jugements distincts,
quand ce n’est pas dissidents, qui minent l’autorit6 du droit. On pourrait donner ici
quelques exemples mais on s’en abstiendra par consid6ration pour son prochain. En
tout cas, lorsqu’elle sent sa 16gitimit6 v6ritablement attaqu6e, la Cour supreme du Ca-
nada s’exprime lapidairement (tout est relatif) et unanimemente. VoilA ce qu’attendent
d’elle les lecteurs attentifs de H.L.A. Hart.
11 faut donc saluer ravis vers6 dans le Renvoi relatif a la s6cession du Quebec, supra note 7, ou
‘affaire R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456, 177 D.L.1. (4)
encore le second jugement rendu dans
513.