Article Volume 31:4

Competence Maritime Du Parlement Canadien Et Ses Consequences Sur I'application Du Code Civil, La

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McGILL LAW JOURNAL

REVUE DE DROIT DE McGILL

Montreal

Volume 31

1986

No 3

La competence maritime du Parlement canadien et ses

consequences sur l’application du Code civil

Andr6 Braen*

Apr~s avoir tracE rorigine des sources du droit
maritime au Canada, l’auteur s’attarde sur
l’expression < navigation and shipping> et
tente d’en cerner le contenu en se basant sur
Ia jurisprudence qui s’est developp~e autour
de l’interpr~tation du paragraphe 91(10) de
]a Loi constitutionnelle de 1867. I1 reprend le
d~bat sur la comp6tence en amiraut6 de Ta
Cour fed6rale. Uauteur constate que la juris-
prudence, en d~finissant la juridiction de la
Cour fedrale, n’est pas conforme A celle qui
a interprt6 le partage des comp6tences en
matire de < navigation and shipping >. ‘au-
teur met en question r’application par la Cour
fed~rale de la common law dans les inci-
dences privies de causes d’amiraut6 meme si
le litige a pris naissance au Quebec et, n’eut
t6 du caractre maritime, aurait
t6 adjug6
selon le droit civil du Quebec.
‘auteur favo-
rise rapplication des dispositions du Code civil
et constate la r6ticence de la Cour fed~rale i
ce faire.

After discussing the sources of Canadian
maritime law, the author examines the term
“navigation and shipping” and attempts to
discern its meaning in terms of the juris-
prudence which has developed around the
interpretation of subsection 91(10) of the
ConstitutionAct, 1867. He engages in the debate
over the Federal Court’s admiralty jurisdic-
tion and the existence of a federal common
law. The author notes that the case law, in
defining the jurisdiction of the Federal Court,
bears little relation to that pertaining to the
distribution of powers in the matter of”nav-
igation and shipping”. The author questions
the desirability of the Federal Court’s appli-
cation of common law in admiralty cases even
when such litigation has its origins in Quebec
and would have been adjudicated according
to the civil law of Quebec but for the presence
of a maritime element.

*De ]a Facult” de droit de rUniversit6 d’Ottawa, Section de droit civil.

Ce numrro 6tait dejA sous presse lorsque la Cour supreme a rendu sa drcision dans l’affaire
ITO-International Terminal Operators Ltd c. Miida Electronics Inc. (26 juin 1986) no 16674,
16680.

McGill Law Journal 1986
Revue de droit de McGill

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[Vol. 31

Sommaire

Introduction

1. La comp6tence maritime du Parlement canadien

1.1. Lafacture maritime des articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle

de 1867

1.2. L’expression << navigation and shipping .>
1.3. Les restrictions 4i la competence maritime du Parlement
1.4. Les entreprises et ouvrages maritimes de compitence fldrale

1.4.1. En g~n~ral
1.4.2. Les relations de travail

1.4.3. Les exceptions provinciales

2.

3.

La comptence en amiraut6 de la Cour f6d6rale du Canada
2.1. Priliminaires
2.2. L’application du test constitutionnel di la compitence en amirauti

de la Courfdrale

2.3. L’uniformisation du droit maritime canadien

La survie du droit maritime provincial
3.1. La compitence maritime provinciale
3.2. L’application du droit provincial par les tribunaux de droit commun
3.3. L’application du droit provincial par la Cour fidirale

Conclusion

“*

*

*

1986]COMPETENCE MARITIME DU PARLEMENT CANADIEN 371

Introduction

Le Code civil du Bas-Canada contient, en son livre quatri~me, une s6rie
de dispositions formant une esp~ce de petit code maritime.1 Cette r6gle-
mentation demeure toutefois incompl6te. D’abord, malgr6 le fait que le Code
civil fiut adopt6 par un corps 16gislatif souverain, sur le plan local, le statut
colonial du Canada au moment de la codification constituait une limite
s6vre aux ambitions des codificateurs. 2 D’autre part, le commerce maritime
peut 8tre r~gi par d’autres dispositions de droit civil contenues ailleurs dans
le code et ce, abstraction faite du probl~me constitutionnel et de celui de
la coexistence d’une 16gislation maritime fed6rale. 3 En effet, dans la mesure
ofi le commerce maritime reste subordonn6 au droit civil, les r~gles g~nrales
relatives au contrat, A la responsabilit6 dlictuelle, au mandat, au contrat
d’entreprise et peut-etre, au regime du voiturier continuent de s’appliquer.
Les codificateurs notaient d’ailleurs que la majorit6 des dispositions appli-
t6 incorpor~es dans les r~gles com-
cables de la loi commerciale avaient
munes.4 Enfin, des dispositions de droit terrestre peuvent ainsi op6rer dans
un champ d’activit6s r~gies par le droit maritime si un point n’y est pas
trait6 sp6cifiquement et sans trahir pour autant l’autonomie de ce droit
maritime. 5

‘Le Code civil du Bas-Canada [ci-apr~s C.c.B.-C.] est entr6 en vigueur le ler aofit 1866. Son
livre quatri~me contient les lois commerciales. Plusieurs dispositions dnonc~es dans ce livre
quatri~me se rapportent . des institutions d’ordre maritime. Ainsi, le titre deuxi~me du livre
contient les dispositions relatives aux batiments marchands (art. 2355-2406 C.c.B.-C.). II est
divis6 en cinq chapitres: l’enregistrement des batiments, le transport des batiments enregistrs,
l’hypothque sur les batiments, le privilege ou gage maritime sur les bitiments, leur cargaison
et leur fret, et finalement, les propriftaires, maitres et matelots. Le titre troisi~me contient les
dispositions relatives A l’affittement (art. 2407-2460 C.c.B.-C.). II est divis6 en six chapitres:
les dispositions g6n6rales, la charte-partie, le transport des marchandises i la cuellette, le
connaissement, les obligations du propri6taire ou fr6teur et du matre, et finalement, les obli-
gations de l’affr~teur. Le titre quatri~me se rapporte au transport des passagers par batiments
marchands (art. 2461-2467 C.c.B.-C). Le chapitre quatri~me du titre cinqui me se rapporte i
l’assurance-maritime (art. 2606-2692 C.c.B.-C.). Enfin, le titre sixiame contient les dispositions
relatives au prat i la grosse (art. 2693-2711 C.c.B.-C.).

2Rapport des Commissaires pour la Codification des Lois Civiles du Bas-Canada, septi~me
rapport, Qu6bec, Desbarats, 1865 [ci-apr s Septiame rapport]. Pour une analyse historique de
l’application du droit maritime au Qu6bec, voir. A. Bra6n, ( Le droit maritime du Qu6bec A
l’aube de la codification
3Quant A Ia coexistence de la l6gislation maritime fed6rale et des dispositions du C.c.B.-C.,
voir J. Pineau, (( La 16gislation maritime canadienne et le Code civil qu6b6cois o (1968) 14
McGill W. 26.

(1985) 16 R.G.D. 429.

4Supra, note 2 A la p. 215.
5R. Rodi~re, Traitt gnral de droit maritime: Introduction, l’armement, vol. 1, Paris, Dalloz,

1976 aux pp. 52-53.

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Le droit maritime qu6b~cois s’est form6 sur une base d’emprunt. La
source principale mais non exclusive utilis~e par les codificateurs pour r~di-
ger les dispositions maritimes du Code civil du Bas-Canada demeure l’or-
donnance de la marine de 1681.6 Elle fit ijuste titre perue comme constituant
la base sur laquelle les tribunaux europ6ens et amricains avaient 6tabli leur
syst6me. Elle poss~dait en outre les avantages d’avoir 6 abondamment
utilis6e par les tribunaux anglais et d’avoir t6 la loi appliqu~e en Nouvelle-
France malgr6 la controverse relative A la validit6 de sa r6ception. 7 La pro-
vince de Qu6bec, d’abord colonie frangaise, puis colonie anglaise a done
reu de ses m6tropoles les principaux 6I6ments qui firent retenus au moment
de la codification.

Le Code civil du Bas-Canada a 6 adopt6 par un corps lgislatif sou-
verain sur le plan local. En 1866, la seule limite qui s’imposait aux codi-
ficateurs d6coulait du statut colonial. Peu apr~s l’adoption du Code, le pacte
fed6ratif se r6alisa. L’accord constitutionnel confia alors au Parlement cana-
dien une comp6tence legislative exclusive en mati~re de navigation et marine
marchande.8 Tr~s t6t, cette competence a 6t6 perque de fagon lib6rale par
les tribunaux. Par la suite, les m~mes tribunaux sont venus limiter ce pou-
voir en distinguant entre le transport maritime intraprovincial et
extraprovincial.

Qu’advient-il alors de la comp6tence des lgislateurs provinciaux en
mati~re maritime? Les dispositions maritimes du Code civil peuvent-elles
constituer une 16gislation valide et applicable par les tribunaux eu 6gard au
contexte constitutionnel canadien? Chercher une r6ponse satisfaisante A ces
questions s’avre complexe. D’abord, parce qu’il s’agit d’analyser l’inter-
pr6tation jurisprudentiele des dispositions constitutionnelles qui distri-
buent les comptences 16gislatives dans ce domaine. A cette analyse se joint
le probl~me de la competence maritime de la Cour fed~rale. Celui-ci est le
tribunal d’amiraut6 du Canada,9 une tfche qu’il exerce concurremment avec
les tribunaux de droit commun. Or, A la suite des alias de la jurisprudence,
sa comptence depend du type de reclamation dont on veut le saisir; en
effet, il faut prouver entre autres que la rclamation dont il est question
relive de la comp6tence l~gislative du Parlement. 10 En se pronongant de la

6Supra, note 2 aux pp. 225-27.
7Sur ce sujet, voir. J.C. Pouliot, Glanures historiques et lgales, Quebec, Dussault et Proulx,
1925 aux pp. 10-38; A. Perrault, Trait de droit commercial, vol. 1, Montreal, Albert LUvesque,
1936 aux pp. 109-16; E. Lareau, Histoire du droit canadien, vol. 1, Montreal, Priard, 1888
aux pp. 120-37.

8Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., c. 3, art. 91(10).
9Loi sur la Courfedrale, S.R.C. 1970 (2e supp.), c. 10, art. 22.
‘OSur la comp6tence en amiraut6 de la Cour fedrale du Canada, voir A. Bradn, ((La juri-

diction en Amiraut6 de la Cour fedrale du Canada)> (1981) 41 R. du B. 367.

1986]COMPlfTENCE MARITIME DU PARLEMENT CANADIEN 373

sorte, la jurisprudence s’est aussi prononce sur le contenu reel de la com-
p6tence maritime du Parlement.

D’autre part et par definition, le droit maritime participe autant au
droit public qu’au droit priv6. I1 se drfinit au sens large comme 6tant 1en-
semble des r~gles juridiques qui gouvernent la navigation maritime.I Outre
son caractbre public et comme branche du droit priv6, cet ensemble comprend
les r~gles juridiques gouvernant les relations entre les particuliers int6ressrs
dans une aventure maritime. Ainsi, plusieurs sujets de reclamation A carac-
tare maritime sont des litiges de droit priv6. Les sources juridiques peuvent
i ce moment 8tre multiples et difterentes. 12 On voit alors que sur un plan
constitutionnel, le travail de d6limitation des comprtences peut s’avrer fort
drlicat.

C’est donc A ranalyse de cette jurisprudence que nous voulons nous
attarder afin de pr~eiser la competence maritime, s’il en est, d’une province
et partant, la validit6 constitutionnelle des dispositions maritimes du Code
civil. En particulier, il est important de s’interroger sur les consequences
insoupgonn~es de ces d~eisions judiciaires dans un systbme de tradition
civiliste ainsi que sur le sort qu’elles rrservent aux dispositions maritimes
du Code civil du Bas-Canada.

1. La comptence maritime du Parlement canadien

1.1. La facture maritime des articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de

1867

La principale disposition de la Loi constitutionnelle de 1867 qui traite
du domaine maritime est le paragraphe 91 (10). Celui-ci octroie au Parlement
une competence l6gislative exclusive en mati6re de << navigation and ship- ping >>. Lexpression a W traduite de diflerentes fagons: << navigation et marine marchande >>, <( navigation et btiments marchands >> ou encore, << naviga- tion et exprditions par eau >. Pour des fins de commodit6, nous retiendrons
la premiere traduction frangaise 6num~re.

A ce chef de comp6tence proprement dit, il faut ajouter la comptence
fred6rale sur le service naval, 13 les amarques, les boures et les phares, 14 la
quarantaine, l’6tablissement et le maintien des h6pitaux de marine, 15 les

IJ. Brisset, Cours de droit maritime, Facult de droit, Universit6 d’Ottawa, 1955 a la p. 3
‘2S.A. Cantin, Juridiction d’amiraut canadienne et competence de la Cour fed8rale en matibre

[non publi6].

maritime, these de doctorat en droit, Universit6 d’Ottawa, 1978 a la p. 139 [non publire].

‘ 3Loi constitutionnelle de 1867, supra, note 8, art. 91(7).
141bid., art. 91(9).
15lbid., art. 91(1 1) et 92(7).

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passages d’eau (<< ferries >>) entre une province et tout pays britdhnique ou
6tranger, ou entre deux provinces 16 et finalement, les ouvrages et entreprises
fred6rales, en particulier:

les lignes de bateaux A vapeur ou autres navires, chemins de fer, canaux, t616-
graphes et autres ouvrages et entreprises reliant ]a province A une autre ou A
d’autres provinces, ou s’6tendant au-deli des limites de la province;
les lignes de bateaux A vapeur entre la province et tout pays britannique ou
tranger.17

, ces titres sp6cifiques et dans une moindre mesure, il faut aussi mentionner
la comp6tence fed6rale qui s’6tend A la reglementation des echanges et du
commerce, aux pecheries 18 et au pouvoir r6siduel. 19

Enfin, precisons que

‘article 108 de la Loi constitutionnelle de 1867
transf”era aux autorites federales la propriete de certains ouvrages maritimes
existant A cette 6poque, i savoir: les canaux, les hhvres publics, les phares
et quais, les bdteaux A vapeur, dragueurs et vaisseaux publics et finalement,
les ameliorations sur les lacs et rivieres. 20

1.2. L’expression < navigation and shipping ) Les mots << navigation >> et << shipping o, utilises soit separ6ment, soit te l'objet d'une abondante interpr6tation judiciaire. conjointement, ont Avant d'entreprendre l'analyse de ces decisions, il convient de retenir la portee des definitions qu'on accole generalement i ces mots. Puisqu'il n'existe pas encore de version officielle de la Loi constitutionnelle de 1867, nous ne retiendrons que l'expression anglaise. Ainsi, le Black's Law Dictionary d6fi- nit le mot > de la fagon suivant:

The act or the science or the business of traversing the sea or other navigable
waters in ships or vessels.2′

< Shipping >> est pour sa part plus difficile i circonscrire. L’ouvrage en ques-
tion le fait en referant i l’expression << law of shipping >> qu’il definit comme
suit:

A comprehensive term for all that part of the maritime law which relates to
ships and the persons employed in or about them. It embraces such subjects
as the building and equipment of vessels, their registration and nationality,
their ownership and inspection, their employment (including charter-parties,

16Ibid., art. 91(13).
7Ibid., art. 92(10)(a) et (b).
‘Isbid., art. 91(2) et (12).
‘9Le pouvoir g~niral ‘ederal dans son aspect r~siduaire introductif de ‘art. 91 de ]a Loi
20Voir la Loi constitutionnelle de 1867, ibid., ann. III.
21Black’s Law Dictionary, 5e 6d., St Paul, Minn., West, 1979 A la p. 927.

constitutionnelle de 1867, supra, note 8.

1986]COMPfETENCE MARITIME DU PARLEMENT CANADIEN 375

freight, demurrage, towage and salvage), and their sale, transfer, and mortgage;
also, the employment, rights, powers and duties of masters and mariners; and
the law relating to ship-brokers, ship-agents, pilots, etc. 22
Le mot << navigation > refere donc i l’art ou i la science de se mouvoir
sur l’eau avec un appareil. I1 poss~de une connotation nettement technique.
Par ailleurs, le mot << shipping ) a une portee beaucoup plus vaste et il vise plus que les simples expeditions de marchandises par eau. I1 recouperait finalement cette realite A la fois 6conomique et juridique qu'on appelle le commerce maritime. Cette definition litterale et non-exhaustive A d6ja t6 appliqu6e et rete- nue dans l'affaire Antares Shipping Corp. c. Le navire Capricorn par la Cour fed6rale.23 Le mot << shipping utilise au paragraphe 9 1(10) de la Loi cons- titutionnelle de 1867 recoupe, selon le tribunal, la meme realite que celle decrite dans la definition 6laboree ci-haut. 24 Selon S.A. Cantin, l'utilisation conjointe des mots navigation >> et
<< shipping >> dans ce texte constitutionnel a comme consequence de sou-
mettre presque tout le domaine du droit maritime A la competence legislative
du Parlement.25 Cette port6e non-limitative de l’expression s’inspirerait du
concept d’aventure maritime autour duquel les regles de droit maritime se
sont developpees au cours des Ages. 26 Quoiqu’il en soit, le terme << shipping >>
n’etait pas inconnu du legislateur britannique en 1867. Quelques annees
auparavant, il avait deja adopt6 le Merchant Shipping Act, 1854;27 son con-
tenu etait toutefois loin de recouper l’entiere realite du commerce maritime
qui se pratiquait alors.28

La facture maritime des articles 91 et 92 suggere donc une interpretation
large et liberale du paragraphe 91(10). C’est cette interpretation qui sera
retenue par les tribunaux charges de delimiter le contenu de cette disposition.

22Ibid., a la p. 1235.
23(1973), [1973] C.E 955, 15 N.R. 236 (Ire inst.), inf. (1978), [1978] 2 C.E 834, 88 D.L.R.

(3d) 28 (Appel), conf. (1979), [1980] 1 R.C.S. 553, 111 D.L.R. (3d) 289.

24Ibid. aux pp. 958-59, M. le juge Pratte.
25Cantin, supra, note 12 aux pp. 132-33.
26Ibid. L’auteur renvoie a l’opinion du juge Rand dans Goodwin Johnson Ltd c. The Ship

(Scow) A T & B (1954), [1954] S.C.R. 513 aux pp. 521-22.

27(R.-U.), 17 & 18 Vict., c. 104.
28Cette lgislation i caract~re largement administratif n’en codifiait pas moins plusieurs
principes de droit maritime priv6 tels que consacr6s par le tribunal d’amiraut6 anglais. Divis~e
en 11 parties, elle contenait des dispositions relatives A la propri~t6 et A l’enregistrement des
bAtiments britanniques (partie 2), aux maitres et matelots (partie 3), A Ia prevention des acci-
dents (partie 4) et A la responsabilit6 du propri~taire (partie 9). S’agissant d’une legislation
imp6riale, elle 6tait donc applicable au Canada d’alors. Elle explique la presence d’un article
prliminaire au d6but du titre deuxi6me du livre quatri~me du C.c.B.-C et consacr6 aux bati-
ments marchands. L’art. 2355 C.c.B.-C. renvoie en effet A cet acte imp6rial pour tout ce qui
conceme les batiments marchands.

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Les tribunaux ont adopt6 une approche g~n~reuse envers le gouver-
nement fed~ral t~t dans l’histoire d’interpr6tation des dispositions ’16gisla-
tives en mati~re maritime. Une province ne peut validement octroyer A une
compagnie le pouvoir d’6riger des travaux pouvant obstruer des eaux navi-
gables. En effet, la Cour supreme du Canada dans Queddy River Driving
Boom Co. c. Davidson29 avait soulign6 que tout ce qui pouvait 8tre reli6 A
la navigation et i la marine marchande semblait avoir 60 confi6 a la com-
p6tence l6gislative exclusive du Parlement. 30

Le domaine du pilotage relve de la competence l6gislative du Parle-
ment en mati~re de navigation et marine marchande. Le comit6 judiciaire
du Conseil priv6 a jug6 dans Paquet c. Pilots’ Corp. (Quebec)31 que la 16gis-
lation ‘eddrale pourvoyant A la qualification des pilotes, leur r~mun6ration
et l’ex6cution de leurs obligations affectait n6cessairement la propri6t6 et les
droits civils des pilotes; mais la g6n6ralit6 du paragraphe 92(13) est restreinte
par les chefs de competence 6num6r6s A l’article 91.

Toutefois, certaines limitations au pouvoir f:ed6ral 6taient reconnues.
Dans Reference Re Waters and Water-Powers32 le juge Duff s’est interrog6
sur le contenu du paragraphe 91(10). La comptence du Parlement pourrait
englober le contr~le de la navigation et de la marine marchande (< ship- ping >>), le contr6le des eaux navigables, l’am6lioration de la navigabilit6,
les aides A la navigation, l’exploitation d’installations portuaires et des che-
mins de fer portuaires, les quais, les chantiers navals et peut-etre, s’6tendre
i toute mati~re reli~e au transport par eau.33 Le m~me juge douta toutefois
que la competence fed~rale aille si loin; d’abord, parce que les lignes de
bateaux et autres ouvrages interprovinciaux ou internationaux constituent

29(1883), 10 S.C.R. 222, M. le juge en chef Ritchie.
30 bid. aux pp. 232-33.
3′(1929), [1929] A.C. 1029, (sub nom. Paquet c. Corp. of Pilots of Quebec Harbour) 54 D.L.R.
323. Dans City of Montreal c. Montreal Harbour Comm’rs (1925), [1926] A.C. 299, [1926] 1
D.L.R. 840 (PC.), le meme tribunal r6petait une fois de plus que le pouvoir du Parlement en
matire de navigation et marine marchande devait 6tre interpr6t6 libralement m~me si son
exercice peut affecter s6rieusement les droits civils et la propri6t6 dans une province. Mais ce
pouvoir ne peut permettre l’occupation par les autorit~s fedrales sans indemnisation des terres
appartenant i la Couronne du chef d’une province. Comme en mati~re de pecheries, le pouvoir
federal en matire de navigation et marine marchande ne confore aucun droit de propri6t6.
Voir aussi: R. c. Robertson (1882), 6 S.C.R. 52; A.G. Canada c. A.G. Ontario (1897), [1898]
A.C. 247 (PC.); A. Bradn, << Les ententes administratives en mati~re de pecheries 7> (1983) 14
R.G.D. 309 aux pp. 312-13.

32(1929), [1929] S.C.R. 200, [1929] 2 D.L.R. 481 [ci-apr~s citE aux S.C.R.]. La Cour supreme
y fit d’avis que le pouvoir en mati~re de navigation et marine marchande ne permet pas
l’occupation de terres provinciales par les autorit6s portuaires f’ed6rales. Si ce pouvoir existe,
ce n’est qu’A titre andillaire et il ne peut s’exercer qu’apr~s le paiement d’une compensation
ad6quate i la province.
33Ibid. aux pp. 220-21.

1986]COMPETENCE MARITIME DU PARLEMENT CANADIEN 377

une exception a la compbtence d’une province sur les ouvrages et entreprises
d’une nature locale; d’autre part, si l’expression << navigation et marine mar- chande >> englobait les sujets pr~vus aux paragraphes 91(9),3 4 (13), 3 5 et 92(10)(a)
et (b),36 ces derni~res dispositions seraient tout simplement redondantes.

La competence du Parlement s’6tend aux eaux navigables. Celles-ci
doivent atre de vbritables voies de communication sur lesquelles la navi-
gation peut s’effectuer de fagon commode et 6tre apprci6e selon une situa-
tion d’ensemble. 37 Meme si une province peut lbgiferer sur des ouvrages de
nature locale, ce qui concerne l’am6lioration des cours d’eau navigables
relive de la competence legislative exclusive du Parlement.38 Enfin, le Par-
lement est le seul habilit6 i lgiferer A l’6gard du droit public de navigation 39
ou encore, i l’6gard des eaux extra-territoriales. 40 En vertu des paragraphes
91(10), (13) et 92(10), ((the intention of the British North America Act was
to place within the sole control of Dominion Parliament all rights affecting
navigation between the Dominion and any foreign country and as well the
right to legislate as to grants of a ferry between the Dominion and a foreign
country >>.41

I’expression << navigation et marine marchande >> comporte un carac-

tare 6volutif. Ce ne sont pas des mots

[o]f a static nature tied to their meaning as of 1867, the date of the B.N.A. Act,
but living words which encompass usage in accord with man’s ingenuity in the
development of water craft and the purpose of it in navigable waters.42

34les amarques, les boules, les phares et l’le de Sable.
351es passages d’eau (ferries) entre une province et tout pays britannique ou 6tranger, ou entre

deux provinces.

36(a) lignes de bateaux A vapeur ou autres navires, chemins de fer, canaux, tel6graphes et
autres ouvrages et entreprises reliant la province i une autre ou i d’autres provinces, ou
s’tendant au-delA des limites de la province;

(b) lignes de bateau i vapeur entre la province et tout pays britannique ou 6tranger ….
37Bell c. Corp. of Quebec (1879), 5 App. Cas. 84 (PC.); Leamy c. R. (1916), 54 S.C.R. 143,
33 D.L.R. 237; MacLaren c. A.G. Quebec (1914), [1914] A.C. 258 (PC.); J. Brire, <(Les droits de l'Itat, des riverains et du public dans les eaux publiques de l'Etat du Qu6bec o, R&alis6 pour la Commission d'btude des probl~mes juridiques de l'eau, Gouvemement du Quebec, 1969 [non publi6]; D. Alh~rithi~re, La gestion des eaux en droit constitutionnel canadien, Quebec, Editeur officiel, 1976; Quebec, Ministare des richesses naturelles, Le droit quebcois de l'eau, Montreal, Centre de recherche en droit public, Universit6 de Montreal, 1977 (sous la direction de G. Lord); Canada, Expansion 6conomique r6gionale, Water Law in Canada: The Atlantic Provinces, Ottawa, Information Canada, 1973 (G.V. La Forest); B. Laskin, Le cadre juridictionnel de la r~gie des eaux, Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1961. 38Booth c. Lowery (1917), 54 S.C.R. 421, 35 D.L.R. 303. 39A.G. British Columbia c.A.G. Canada (1913), [1914] A.C. 153, 15 D.L.R. 308 (PC.); Leamy c. R., supra, note 37. 4Croft c. Dunphy (1932), [1933] 1 D.L.R. 225, [1932] 3 W.W.R. 696 (PC.). 41Re International and Interprovincial Ferries (1905), 36 S.C.R. 206. 42R. c. Rice (1962), [1963] 1 C.C.C. 108 aux pp. 110-11 (Ont. Mag. Ct). REVUE DE DROIT DE McGILL [Vol. 31 Aussi, un r~glement municipal anti-bruit pr~tendant s'appliquer A des courses d'hydroplanes a-t-il W jug6 inapplicable par la Cour du magistrat de l'On- tario dans R. c. Rice.43 Plus r~cemment, dans l'affaire Municipalite de St-Denis de Brompton c. Filteau,44 la municipalit6 demanderesse r~clamait l'mission d'une injonc- tion permanente pour enjoindre le d~fendeur de retirer son embarcation A moteur des eaux d'un lac navigable situ6 sur le territoire municipal. La municipalit6 invoquait au soutien de sa demande sa propre r6glementation adopt~e en vertu du paragraphe 413(2) du Code municipal de Quebec. Cette disposition permet au conseil d'une municipalit6 de r6glementer l'usage d'embarcations i moteur. La demande fiut rejet~e par la Cour sup~rieure du Quebec. Le pouvoir confer6 au Parlement en vertu du paragraphe 91(10) doit etre interpr&t6 largement. Cette disposition ne distingue pas entre la -navigation commerciale et celle de plaisance. Le tribunal se rfera A une 6tude du juge Laskin:45 les mots << navigation >> et < vessels >> ou < ships ou << shipping >> repr~sentent deux ides diffrentes. La navigation a trait A
l’action de se mouvoir sur l’eau; elie a comme consequence d’obliger un
bateau A suivre une route d~termin~e. Les mots < vessels >>, ships > ou
< shipping >>, pour leur part, font reference A l’activit6 commerciale qui uti-
lise la navigation. Enfin, le tribunal cita une autre decision de la Cour sup6-
rieure qui avait jug6 que la r~glementation A l’gard des petits navires et A
la s~curit6 aquatique relevait de la competence lgislative exclusive du Par-
lement en vertu de 91 (10).46 Le paragraphe 413(2) de Code municipal a donc
W d~clar6 inconstitutionnel.

Les tribunaux ont donc opt6 en faveur d’une interpretation large et
lib~rale du paragraphe 91(10) sans n~cessairement d~finir son contenu. Les
decisions analys~es se caract~isent par l’insistance avec laquelle les tribu-
naux se sont bombs A n’analyser que l’aspect technique de l’expression
< navigation et marine marchande >. Uaspect civil de l’expression a fina-
lement
t6 peu discut6. Les tribunaux ont toutefois reconnu que cette dis-
position doit se lire en correlation avec celles des articles 91 et 9247 et que
la competence fedrale en la mati~re est capable d’empi~ter sur les droits
civils et la propri~te. Dans ce demier cas, le pouvoir d’intervention du
Parlement est limit6 a ce qui est n6cessaire pour lgif”erer de fagon g~n~rale

43Ibid.
-(1983), [1983] C.S. 937, 6 D.L.R. (4th) 596.
45Supra, note 37 A ]a p. 224.
46Cytrynbaum c. R. (29 avril 1982), Terrebonne 700-27-5395-817, M. le juge Ducros (C.S.).
t6 accus6 d’avoir navigu6 sur le Lac-des-Seize-Iles dans une embarcation
Cytrynbaum avait
de plus de 5.5 metres de longueur sans gilet de sauvetage, contrairement A ]a rfgIementation
‘art. 400 de ]a Loi sur la marine
ftedbrale sur les petites embarcations adopt6e en vertu de
marchande du Canada, S.R.C. 1970, c. S-9.

47Booth c. Lowery, supra, note 38.

1986]COMPtTENCE MARITIME DU PARLEMENT CANADIEN 379

et efficace en mati6re de navigation et marine marchande. 48 En fait, ce sont
les comp6tences provinciales sur les droits civils et la propri6t6 ainsi que
sur les enterprises et ouvrages de nature locale qui semblent 6tre le principal
frein i l’extension illimit6e du pouvoir fed6ral en mati6re maritime. rin-
terpr6tation judiciaire A cet 6gard a servi aussi bien A 6tendre la comp6tence
fed6rale qu’a la d61imiter.

1.3. Les restrictions 4t la competence maritime du Parlement

On avait depuis longtemps d6cid6 que la comp6tence maritime des
autorit6s f-ed6rales ne s’6tend pas A l’6gard d’un traversier par cAbles reliant
deux rives d’un cours d’eau A lint6rieur d’une province. 49 De la meme fagon,
les tribunaux ont confirm6 i plusieurs reprises le pouvoir d’une province
d’incorporer des compagnies de navigation.50 Ainsi, dans Re Lake Winnipeg
Transportation, Lumber & Trading Co.,51 le pouvoir du Manitoba d’incor-
porer une compagnie de transport de passagers et de marchandises sur le
Lac Winnipeg a 6t6 jug6 valide. Relativement A la comp6tence du Parlement
en mati6re de navigation et marine marchande, le tribunal s’exprima ainsi:

Legislation on that subject would seem rather to deal with such matters as the
law of the road, lights to be carried, how vessels are to be registered, evidence
of ownership and title, transmission of interest and such matters. 52
En 1955, dans le renvoi intitul6 Reference Re Validity of the Industrial
Relations and Disputes Investigation Act,53 la Cour supreme du Canada eut
A se prononcer sur l’application de la 16gislation fed6rale en mati6re de
relations de travail i l’gard des employ6s d’une compagnie offrant des
services d’arrimage, de d6bardage et de terminus dans divers ports cana-
diens. L’article 53 de la Loi sur les relations industrielles et sur les enquetes
visant les differends du travail5 4 pr6tendait en effet rendre applicables les
dispositions de ladite loi aux employ6s des entreprises relevant de ‘autorit6
16gislative du Parlement; particuli6rement, < .

48Nisshin Kisen Kaisha Ltd c. Cie des chemins defer nationaux du Canada (1980), [1981]

1 C.E 293, 111 D.L.R. (3d) 360 (Ire inst.).

49Dinner c. Humberstone (1896), 26 S.C.R. 252.
50Loiconstitutionnellede 1867, supra, note 8, art. 91( 1). VoirMacdougalc. Union Navigation
Co. (1877), 21 L.C. Jurist 63 (B.R.); Union Navigation Co. c. Couillard (1875), 7 R.L. 215
(C.S.), conf. (1877), 21 L.C. Jurist 71 (B.R.).

51(1891), 7 Man. P. 255 (Q.B.). Voir aussi: Algoma Central Railway Co. c. R. (1901) 7 Ex.

C.R. 239; R. c. Martin (1904), 36 N.B.R. 448 (S.C.T.D.).

521bid. A la p. 259, M. le juge Taylor.
53(1955), [1955] S.C.R. 529, [1955] 3 D.L.R. 721 [ci-apr~s Stevedoring cit6 aux S.C.R.].
54S.1 C. 1952, c. 152.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 31

Le tribunal opina en faveur du caractere intra vires de la 16gislation
federale A ‘gard de ces employes dans la mesure ofi le d6bardage est une
activit6 essentielle ou necessairement reliee au transport maritime et oil la
compagnie offrait ses services A des navires exploites exclusivement sur une
base internationale. Einterpretation large et liberale du paragraphe 91(10)
fit encore retenue. Le juge Rand expliqua que l’importance 8conomique et
le caractere international de la navigation avaient incit6 le l6gislateur bri-
tannique i confier cette competence exclusivement au Parlement.55 Il fit
d’avis que le pouvoir fredral en vertu des paragraphes 91(10) et 92(10)(a)
et (b) s’6tendait clairement i toutes les caracteristiques (< features >) propres
au navire et qu’il pouvait etre reli6 A la compftence du Parlement en matiare
de commerce interprovincial et international. 56 Accessoirement, une 16gis-
lation fredrale pouvait affecter les droits civils.

Mais le caractrre intra vires de ce genre de 16gislation d6pend ultime-
ment des circonstances propres A chaque cas. Ainsi, on consid6ra que les
alineas (a) et (b) du paragraphe 92(10) constituaient une exception A la regle
de la competence provinciale sur les ouvrages et entreprises de nature locale
et sur les droits civils. Le juge Taschereau confirma la capacit6 du Parlement
d’affecter de fagon accessoire les droits civils lorsqu’il 16gifere en matiere
de navigation et marine marchande:5 7

This however, cannot be construed as excluding the provincial jurisdiction
over certain matters, as for instance, inland shipping, which is not always of
federal concern. 58

Le juge Rand insista sur la terminologie du paragraphe 92(10) qui conere
i la province une juridiction sur les lignes de bateaux et autres ouvrages
intraprovinciaux. Par exemple, des aspects non relies A la navigation et
marine marchande tels l’rtablissement des tarifs de traversiers ou des horaires
relevent du pouvoir provincial.

Shipping is not confined to the large sense of undertakings such as <(lines of ships> it may be fluid both in routes and functions. Single ships may be engaged
in interprovincial or foreign commerce today, otherwise than incidentally, and
local trade tomorrow: they may be carriers of goods for their owners or for the
public: they may compose fishing fleets as in the Maritime provinces and British
Columbia with employees in incidental activities. They have their home port
in a province. In these, as in strictly local undertakings, the local interest is
paramount and the civil rights of the crews prima facie find their regulation
in provincial law.59

55Voir supra, note 53 i la p. 547.
56Ibid. aux pp. 550-51.
57Ibid. A la p. 541.
581bid. i la p. 542.
59Jbid. i la p. 552.

1986]COMPITENCE MARITIME DU PARLEMENT CANADIEN 381

La juridiction provinciale A l’ gard d’un traversier local s’explique d’autant
plus si Pon consid~re qu’il constitue simplement la continuation i travers
un cours d’eau d’un chemin public. 60

Si le pilotage constitue une caract~ristique essentielle A la navigation,
il en va autrement en ce qui concerne les relations de travail. Le juge Rand
ajouta donc ce qui suit:

But it would, in my opinion be an unwarranted encroachment on provincial
powers to extend the scope of Shipping in the application of s.53 to crews of
vessels engaged in strictly local undertakings or services, including fishing fleets
and craft engaged primarily in intraprovincial carriage. Subject to that limi-
tation the dominion authority under 91(10) comprehends all Shipping.6′
Le juge Abbott pour sa part sembla delimiter de fagon plus rigoureuse

la competence maritime du Parlement lorsqu’il dfclara:

I should add, however, that in my view, except in such aspects as may relate
to the navigation of the vessel, the combined effect of heads 10, 13 and 29 of
s.91 and head 10 of s.92 is to exclude from federal jurisdiction shipping which
is purely local in character such as a ferry or a line of ships operating wholly
within the limits of one province. 62

Cette d6cision est donc extremement importante. D’abord, parce que
le tribunal a senti le besoin de distinguer entre la navigation et la marine
marchande (<< shipping >>). L’aspect navigation dont la connotation techni-
que est claire relive de la competence legislative exclusive du Parlement.
Elle semble quasiment totale. Quant i
‘aspect de la marine marchande
(<< shipping >>), la competence fed~rale semble moins absolue qu’on ne l’avait
d’abord imagin~e. Le tribunal a clairement 6tabli qu’il faut en matire mari-
time distinguer entre le transport intraprovincial et le transport interpro-
vincial ou international. C’est le libell6 des articles 91 et 92 qui invite A
cette distinction. Enfin, il faut retenir qu’une entreprise qui est n6cessaire-
ment lie A la navigation et marine marchande, m~me si elle constitue une
entit6 ind~pendante d’une compagnie de transport maritime international,
relve de la comptence ied~rale en vertu des paragraphes 91(10) et 92(10).

Reste maintenant a d6terminer quel pourrait 8tre le contenu de la com-
petence provinciale en mati~re maritime et si ce contenu confirme la validit6
constitutionnelle des dispositions maritimes du Code civil du Bas-Canada.
Hormis la question des relations de travail, cette competence s’6tend-eile A
‘assurance maritime, aux droits et obligations des maitres et matelots, i

601bid. A lap. 560, M. lejuge Kellock. Voir aussi: Toronto Transit Comm’n c. Aqua Taxi Ltd

(1956), 6 D.L.R. (2d) 721, [1957] O.W.N. 65 (H.C.).

6 Stevedoring, ibid. A la p. 533. Voir toutefois l’opinion discordante du juge Kellock aux pp.
62Ibid. ]a p. 591.

560-61.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 31

‘affr6tement, A la responsabilit6 du transporteur, etc.? Par exemple, quels
pourraient 8tre les droits civils d’un 6quipage oeuvrant au sein d’une com-
pagnie de transport maritime intraprovincial?

En mati~re de relations de travail, la Cour supreme du Canada confirma
la comp6tence provinciale A l’6gard des employ6s d’une entreprise de trans-
port maritime intraprovincial. Ainsi, dans Agence Maritime Inc. c. Conseil
canadien des relations ouvritres,63 on s’interrogeait sur le pouvoir de l’or-
ganisme intim6 d’accr6diter les employ6s de l’appelante. Celle-ci avait 6
incorpor~e en vertu des lois provinciales et elle exploitait trois navires dont
le port d’attache 6tait Qu6bec. Ses services 6taient reli6s exclusivement au
transport g6n6ral A l’int6rieur des eaux du Qu6bec. Exceptionnellement, ses
navires avaient effectu6 trois voyages A l’6tranger. Dans un jugement una-
nime, la Cour supreme jugea que ces voyages exceptionnels ne suffisaient
pas A changer le caract~re local de l’entreprise. Le fait de franchir la fronti~re
des eaux int~rieures canadiennes pour se rendre de Gasp6 a Qu6bec ne peut
8tre interprt6 comme allant au-delA des limites de la province au sens du
paragraphe 92(10). La comp&ence provinciale fiut 6tablie de la fagon sui-
vante par le juge Fauteux:

sauf en ce qui concerne l’aspect navigation, les dispositions des art. 91(29) et
92(10)(a) et (b) ont collectivement pour effet d’exclure de la comp6tence du
Parlement les entreprises de transport maritime dont les operations sont effec-
tu~es strictement i l’int6rieur d’une m6me province. 64

La meme ann~e, la Cour supreme rcidiva dans l’affaire Three Rivers
Boatman Ltd c. Conseil canadien des relations ouvri’res.65 I’organisme intim6
avait W saisi d’une requete en accrditation par les salari6s de la deman-
deresse, pr6pos6e aux operations maritimes dans le port de Trois-Rivi~res.
Lentreprise pourvoyait au transport des pilotes, officiers de douanes et m&tecins
dans un rayon de 5 milles du port. Le litige avait trait A la d6livrance par
la Cour sup~rieure du Qu6bec d’un bref d’6vocation A l’encontre de lor-
ganisme t’ed6ral. En obiter, le juge Fauteux signala que le juge de premiere
instance 6tait justifi6 d’6mettre le bref dans la mesure off la requite faisait
voir que les op6rations de l’entreprise 6taient conduites A Trois-Rivires et
ne se rattachaient pas A du transport extraprovincial.

Le caract~re intraprovincial d’une entreprise maritime peut donc cons-
tituer une limite s6rieuse au pouvoir fed6ral en mati~re de navigation et
marine marchande. Certains auteurs enseignent que la navigation maritime

63(1968), [1969] R.C.S. 851, 12 D.L.R. (3d) 722 [ci-apr~s Agence Maritime Inc. cit6 aux

R.C.S.].

64Ibid. A la p. 859.
65(1969), [1969] R.S.C. 607, 12 D.L.R. (3d) 710 [ci-apr~s Three Rivers Boatman Ltd].

1986]COMPE-TENCE MARITIME DU PARLEMENT CANADIEN 383

releve dans tous les cas du pouvoir federal, meme lorsqu’il s’agit de navi-
gation locale,66 ce qui est juste compte tenu de la jurisprudence precedem-
ment analysee. En matiere de transport maritime, ils precisent que la
compbtence est tant6t federale, tant6t provinciale. Ainsi, les paragraphes
91(29) et 92(10) ont pour effet d’exclure du champ legislatif fedbral les entre-
prises de transport maritime dont les operations s’effectuent A l’int~rieur
d’une meme province. 67 Le juge en chef Laskin distingue cependant entre
le pouvoir i 1’6gard des traversiers et celui en relation avec la marine mar-
chande (< shipping >);68 s’il attribue le premier i la comp6tence provinciale,
il hesite A trancher en faveur des provinces en ce qui concerne la marine
marchande intraprovinciale.

1.4. Les entreprises et ouvrages maritimes de compitence ftdrale

1.4.1. En general

Quels sont donc les ouvrages maritimes de nature extraprovinciale tom-
bant sous la competence legislative du Parlement? Les ouvrages et entre-
prises maritimes 6numeres aux paragraphes 91(13) et 92(10)(a), (b) et (c)
entrent clairement dans cette categorie. Depuis l’arret A.G. Ontario c. Win-
ner,69 la jurisprudence retient deux criteres pour permettre la qualification
d’une entreprise federale. 70 Le premier a trait aux services r6guliers et con-
tinus d’une entreprise: si une partie, meme minime, des activit6s regulieres
d’une entreprise est extraprovinciale, les tribunaux opteront en faveur de
la competence legislative du Parlement. 71 Une entreprise peut toutefois scin-
der ses operations entre deux compagnies, l’une exergant au niveau pro-
vincial et l’autre, sur la scene extraprovinciale. 72 Le second critere concerne

66G.-A. Beaudoin, Lepartage despouvoirs, 3e Ed., Ottawa, 2ditions de l’UniversitE d’Ottawa,
1983 A la p. 263. Voir aussi: F Chevrette et H. Marx, Droit constitutionnel, Montreal, Presses
de l’Universit6 de Montreal, 1982 f la p. 715″et s.

67Beaudoin, ibid.
68B. Laskin, Canadian Constitutional Law, 4e Ed. rbv. par A.S. Abel et J.I. Laskin, Toronto,

Carswell, 1975 aux pp. 497 et s.

69(1954), [1954] A.C. 541, [1954] 4 D.L.R. 657 (PC.).
70Chevrette et Marx, supra, note 66 a la p. 943 et s.
71R. c. Toronto Magistrates exparte Tank Truck Transport Ltd (1960), [1960] O.R. 497 (H.C.),
conf. (1961), [1963] 1 O.R. 272 (C.A.); R. c. Cooksville Magistrate’s Court ax parte Liquid
Cargo Lines Ltd (1964), [1965] 1 O.R. 84 (H.C.); R. c. Borisko Bros Quebec Ltd (1969), 29
D.L.R. (3d) 754 (C. sess. Qu&.); Re Pacific Produce Delivery & Warehouses Ltd and Retail,
Wholesale & Dept Store Union, Local 580 (1974), 44 D.L.R. (3d) 130, [1974] 3 W.W.R. 389
(B.C.C.A.); Agence Maritime Inc., supra, note 63.

72Re A.G. Quebec and A. & E Baillargeon Express Inc. (1978), 97 D.L.R. (3d) 447 (C.A.

Qua.).

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 31

l’interconnexion des services: ce n’est pas parce qu’une voie locale de trans-
port peut etre raccord~e A une voie fed6rale que la province perd sa juri-
diction i son 6gard. 73 Les activit6s d’une entreprise ted6rale pourront donc
etre r6glement~es par les autorit6s :ed6rales.

1.4.2. Les relations de travail

La legislation sur les relations de travail a pour objet de d6finir les
droits et obligations des employeurs et employ~s. A ce titre, elle constitue
clairement une mati~re de droits civils et propri6t6 qui rel~ve de la com-
p6tence l6gislative exclusive d’une province en vertu du paragraphe 92(13).74
La comp6tence f:ed6rale dans ce domaine demeure l’exception; malgr6 tout,
elle n’a cess6 de s’accrotre. 75 Ainsi, le Parlement peut pr6tendre exercer une
comptence exclusive dans ce domaine s’il est 6tabli que cette comp6tence
est partie int6grante de sa comp6tence principale. 76

Dans le renvoi Stevedoring77 il fuit d~cid6 que la legislation f:ed6rale du
travail s’appliquait aux entreprises dont les activit6s constituent une partie
int~grante de la navigation et marine marchande. Le Parlement peut l6giferer
accessoirement, e’est-A-dire affecter les droits civils, dans la mesure ofi cela
est essentiel pour lui permettre le plein exercice de sa comptence en mati~re
de navigation et marine marchande. C’est ainsi que les employ6s d’une
compagnie de d6bardage qui offre ses services i des lignes extraprovinciales
de bateaux seront soumis A la legislation f:ed6rale du travail. La 16gislation
provinciale devient simplement inop~rante A leur 6gard.

D’autres decisions judiciaires sont venues pr6ciser le champ d’appli-
cation de la 16gislation f:ed6rale du travail en mati~re maritime. Ainsi, dans
Swait c. Board of Trustees of Maritime Transportation Union,78 la Cour
d’appel du Quebec a jug6 valide la l~gislation fed6rale crrant une tutelle sur
un syndicat international de marins. On a jug6 entre autres que la com-
petence du Parlement en mati~re de navigation et marine marchande lui
permettait de ce faire.

73City of Montreal C. Montreal Street Railway (1912), [1912] A.C. 333, 1 D.L.R. 681 (P.C.).
74Sur ce sujet, voir. A. Tremblay, Les competences l6gislatives au Canada et les pouvoirs
provinciauxen mati~re depropriitOet dedroits civils, Ottawa, Editions de l’Universit6 d’Ottawa,
1967 i lap. 229 et s.

of Federal Jurisdiction)) (1969) 47 R. du B. can. 355.

75Voir C.H. McCairn, >. Or, le paragraphe 91(10) permet au
Parlement de l6giferer sur l’emploi d’un personnel canadien et les conditions
de travail A l’int6rieur d’une entreprise maritime.

Dans Verreault Navigation Inc. c. Syndicat international des marins
canadiens,82 ‘appelante exploitait une entreprise de dragage et un chantier
naval. On s’interrogeait sur le pouvoir du Conseil canadien des relations
de travail d’accr6diter les employ6s de l’entreprise. La Cour d’appel fed6rale
a jug6 qu’une entreprise de dragage rel6ve de la comptence fed6rale non
pas parce qu’une telle entreprise utilise des 6quipements flottants ou parce
qu’elle fait normalement affaires dans plusieurs provinces mais bien parce
que son activit6 est si intimement lie A la navigation qu’eile ressort du
pouvoir f:ed6ral en vertu de 91(10). Cette d6cision n’6tait pas unanime. Le
juge Lalonde inscrivit une dissidence A reffet que le dragage, la construction
et la rdparation de navires ne rel6vent pas du paragraphe 91(10): draguer,
tout comme construire un quai, bien qu’6tant reli6 A la navigation, ne cons-
titue pas une activit6 qui s’exerce dans la cadre de la navigation.

79(1968), 68 D.L.R. (2d) 613, 29 M.P.R. 66 (N.S.S.C.) [ci-apr~s cit6 aux D.L.R.].
8Obid. A la p. 623. Voir aussi: Jebsens (UK) Ltd c. Lambert (1975), 64 D.L.R. (3d) 574

(B.C.C.A.).

81(1982), [1982] 2 C.E 855, 135 D.L.R. (3d) 485 (Appel) [ci-apr s Crosbie Services Ltd].
82(1982), [1983] 2 C.E 203 (Appel).

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 31

Finalement, la Cour d’appel du Qu6bec rendait une d6cision int6res-
sante dans l’arret Socite Canadienne des Mbtaux Reynolds Ltte c. Fran-
coeur.83 Lappelante exploitait A Baie-Comeau une aluminerie comprenant
des installations portuaires oft travaillaient des employes accredit6s par le
Conseil canadien des relations de travail. On s’interrogeait sur l’application
de la legislation fed6rale ou provinciale A leur egard. Le tribunal a rappel6
qu’en matiere de relations de travail, la comp6tence f:ed6rale demeure l’ex-
ception. D’autre part, il est toutefois permis de diviser les activit6s d’une
entreprise pour d6terminer queUe loi, fed6rale ou provinciale, sera applicable
A tel ou tel secteur d’activit6s de ‘entreprise. Mme si l’appelante est une
entreprise A caractre provincial, l’unit6 des d6bardeurs releve de la com-
p6tence fed6rale. Le travail des d6bardeurs dans un port oft s’effectuent des
activites de navigation extraprovinciale est intrinsequement reli6 A la navi-
gation et marine marchande au sens du paragraphe 91(10). Le pouvoir pro-
vincial en matiere de droits civils doit ceder le pas A la reglementation
fRed6rale.

1.4.3. Les exceptions provinciales

Sauf en ce qui concerne la navigation, si une activit6 est reliee au trans-
port intraprovincial, la comp6tence d’une province sera confirmee. C’est du
moins le cas en matiere de relations de travail tel qu’il en decoule des arrets
Stevedoring, Agence Maritime Inc. et Three Rivers Boatman Ltd.84 D’autres
decisions sont venues limiter la comp6tence fed6rale dans le domaine.

Dans Seafarers’ International Union c. Zapata Maritime Service Co.,85
le Conseil canadien des relations ouvrieres a decid6 qu’il n’avait pas juri-
diction A 1’6gard des employes d’une entreprise specialisee dans la fabrication
du greement des navires effectuant l’exploration petroliere en mer. Les acti-
vit6s en question sont une partie de l’industrie d’exploration des hydrocar-
bures qui est consid6ree comme une entreprise locale. Le fait que les navires
eux-memes soient sujets A la legislation fed6rale concernant la securit6 et
‘octroi des brevets aux officiers ne change en rien la nature de l’activit6. A
notre avis, cette decision ne r6sisterait pas A ‘analyse judiciaire compte tenu
surtout de l’affaire Crosbie Services Ltd.86

Dans ‘affaire Dow Chemical of Canada, Ltd c. Pulp, Paper & Wood-
workers of Canada, Local 5,87 la Cour supreme de Colombie-Britannique a
juge qu’une entreprise dont les services sont d’entreposer sur les quais des

83(1983), [19831 C.A. 336.
84Supra, notes 53, 63 et 65.
85(1980), [1980] 2 C.L.R.B. Rep. 7.
86Supra, note 81.
87(1980), 111 D.L.R. (3d) 164, 22 B.C.L.R. 108 (S.C.).

1986]COMPETENCE MARITIME DU PARLEMENT CANADIEN 387

produits chimiques expedies par rail et destines i etre charg6s i bord de
navires de haute mer, ne constituait pas une entreprise tombant sous la
juridiction fed6rale en matiere de navigation et marine marchande. La com-
petence federale en matiere de relations de travail demeure l’exception.
Meme si rentreprise contracte avec des d6bardeurs en vue du chargement
des navires, elle n’exploite pas elle-meme des services de d6bardage. Meme
si ce sont des navires de haute mer qui sont destin6s A recevoir les produits
entreposes par l’entreprise, on ne peut considerer celle-ci comme exploitant
elle-meme des lignes de bateaux extraprovinciales. En somme, l’entreprise
ne fait qu’entreposer et conserver ces produits. Ce n’est pas parce que la
cessation de ses activitds peut affecter le debardage et le transport maritime
que ses activit6s peuvent 6tre qualifiees comme 6tant intrinsequement reliees
i la navigation et marine marchande.

Dans Pacific Customs Brokers Ltd c. Office & Technical Employees
Union,88 le m8me tribunal ajug6 que les relations de travail chez un courtier
en douanes relevent strictement du domaine provincial. I’objet de ce genre
d’entreprise est de servir d’intermediaire entre une clientele et les autorites
douanieres federales. Leurs services ne sont pas essentiels et ne tombent
pas sous le pouvoir residuel devolu au Parlement. Cette decision est donc
fort interessante dans la mesure ofa beaucoup d’entreprises, appelees tran-
sitaires ((>), combinent les services du courtier en douanes
et du transitaire en matiere terrestre, a6rienne ou maritime.

Enfin, dans Cargill Grain Co. c. International Longshoremen’s Ass’n
Local 1739,89 la Cour d’appel federale etait saisie d’une demande en r6vision
judiciaire en vertu de l’article 28 de la Loi sur la Courfedrale.90 L’appelante
contestait la validite d’une d6ecision du Conseil canadien des relations de
travail modifiant le certificat d’accreditation d’un syndicat de debardeurs.
La d6ecision pretendait inclure dans l’unite de negociation les employ6s oeu-
vrant dans un elevateur i grains dans le port de Quebec. Le dechargement
des navires etait accompli par le personnel navigant et non par les employes
de l’entreprise. Le juge Pratte a rappel6 que le Parlement a competence
exclusive en matiere de relations de travail clans les cas ofi cette competence
est une partie integrante de sa competence principale sur un autre sujet.91
Les employes vises ne s’occupent pas de decharger les navires; en conse-
quence, il ne peuvent 6tre consideres comme oeuvrant dans le cadre d’une

88(1980), [1980] 4 W.W.R. 587, 19 B.C.L.R. 128 (S.C.).
89(1983), 51 N.R. 182 (C.E Appel).
90Supra, note 9.
9tSupra, note 89 i la p. 190.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 31

entreprise fed~rale. Le juge Marceau s’interrogea de la fagon suivante sur
l’6tendue du terme << d~bardage : Parce que des oprations de tri, de manutention et d'entreposage de marchan- dises peuvent 8tre partie incidente de transport par mer, il n'en r~sulte pas que toutes les operations de tri, de manutention et d'entreposage de marchandises, meme sur un quai, le soient n~cessairement. A mon sens, des operations de cette nature sont partie incidente du d~bardage et comme telles rattach6es au transport lui-meme, lorsqu'elles sont n~cessaires justement pour compl6ter l'op~ration de transport et assurer la livraison de la marchandise a son des- tinataire. Earr& Stevedoring, tel que je le comprends, ne dit rien de plus. 92 Le fait que l'entreprise en soit une de nature extraprovinciale n'est pas pertinent dans la mesure ofi il ne s'agit pas de r6glementation d'un activit6 fed6rale en tant qu'activit6 meme mais plut6t de r~glementation des rela- tions de travail dans une entreprise. La demande de r6vision judiciaire fut donc accueillie. En somme, le caract~re intraprovincial d'une entreprise maritime vient limiter la competence du Parlement en mati~re de navigation et marine marchande, sauf en ce qui a trait A l'aspect de la navigation. La r~glemen- tation des activit6s d'une entreprise fed~rale relive du pouvoir central qui peut ainsi l6gi:erer de fagon A affecter incidemment les droits civils et la propri~t6. Ainsi, en mati~re de relations de travail, meme si la competence provinciale demeure la r~gle, le Parlement pourra pr~tendre exercer une comp6tence exclusive si celle-ci est partie int6grante de sa competence prin- cipale en mati~re de navigation et marine marchande. A cet 6gard, il convient de distinguer entre les activit6s d'une entreprise qui s'exercent dans le cadre de la navigation et marine marchande ou qui en est une partie int6grante ou n6cessairement li6e. Les dcisions analys~es referent 6videmment au transport maritime extraprovincial. C'est la constante. D'autre part, A des fins de qualification, les activit6s de l'entreprise peuvent etre divis~es. Enfin, ce n'est pas parce que des activit6s d'une entreprise peuvent affecter la navigation et marine marchande que l'on doit n6cessairement les faire entrer dans le cadre d'une entreprise fed~rale. 2. La competence en amiraut6 de la Cour f~d~rale du Canada 2.1. Prdliminaires Cr6e par le Parlement canadien en vertu de 'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, la Cour fed6rale de premiere instance est charg~e, entre autres, d'appliquer le droit maritime canadien.93 L'tendue de la com- petence en amiraut6 qui a t6 ainsi conferee A la Cour fed~rale a d'abord 92Ibid. aux pp. 199-200. 93Voir 'art. 22(1) de la Loi sur la Courfederale, supra, note 9. 1986]COMPtTENCE MARITIME DU PARLEMENT CANADIEN 389 W perque de fagon tres lib6rale: elle 6tait confirmee si la matiere, objet du litige dont la Cour 6tait saisie, dependait, soit de r'application du droit maritime canadien, soit de 'application d'une legislation tederale en matiere de navigation ou de marine marchande, ou encore si cette matibre relevait de la competence legislative octroyee au Parlement en vertu du paragraphe 91(1O).94 Cette fagon d'envisager la competence de la Cour tederale a te toutefois radicalement 6cartee par la Cour supreme du Canada en 1977.95 Celle-ci a rappel6 que la competence juridictionnelle de la Cour federale ne recouvre pas la competence 16gislative du Parlement canadien, son createur. La Cour f'ederale n'est pas un tribunal dont la juridiction civile est illimitee; c'est un tribunal statutaire mis sur pied par le Parlement en vue d'une meilleure execution des < lois du Canada > .96 Ainsi, il est impossible de saisir la Cour
federale d’un litige portant sur une matiere qui, bien que relevant de la
competence l6gislative du Parlement, est regie par des regles de droit d’une
province a defaut d’une 16gislation dfiment adoptee par le Parlement. On
ne saurait 1egitimement soutenir que la Cour federale a pour mission d’in-
terpreter et d’appliquer un droit provincial.

Deux pre-requis sont essentiels pour que la Cour federale puisse exercer

sa juridiction en amiraut: 97

1) 11 faut d’abord que la demande dont on veut saisir la Cour relive de la
comp6tence 16gislative du Parlement en mati~re maritime, particuli~rement
sous la rubrique (navigation et marine marchande ).
2) Puis, il faut d6montrer rexistence d’une 16gislation fid6rale applicable, que
ce soit une loi, un r~glement ou encore, de la (( common law fed6rale )>98 en
vue de solutionner le litige.

Ces deux tests sont complementaires.

Uinterpr6tation judiciaire des dispositions de la Loi constitutionnelle
de 1867 octroyant une comp6tence maritime au Parlement a permis d’en

94Robert Simpson Montreal Ltd c. Hamburg-Amerika Linie Norddeutscher (1973), [1973]

C.E 1356 (Appel).

95Voir i ce sujet les arr~ts fondamentaux Quebec North Shore Paper Co. c. Canadian Pacific
Ltd (1976), [1977] 2 RC.S. 1054, 71 D.LR. (3d) I11 [ci-apris Quebec North Shore]; et McNamara
Construction (Western) Ltd c. R. (1977), [1977] 2 R.C.S. 654, 75 D.L.R. (3d) 273 [ci-apr~s
McNamara].

96Loi constitutionnelle de 1867, supra, note 8, art. 101.
97Bradn, supra, note 10 aux pp. 412-13.
98Voir les deux arrats pr6eit6s, supra, note 95. Pour le sens de 1expression <(common law fied6rale ), voir Laskin, supra, note 68 i la p. 793 et s. Sur le meme sujet, voir P.W. Hogg, (Constitutional Law - Limits of Federal Court Jurisdiction - Is There A Federal Common Law?> (1977) 55 R. du B. can. 550.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 31

delimiter plus ou moins pr~cis6ment le contenu. A cet exercice, il faut 6ga-
lement ajouter l’examen de lajurisprudence qui a pour objet d’6tudier l’6ten-
due de la competence en amiraut6 de la Cour fed6rale. M~me s’il faut distinguer
entre la competence lgislative et la competence d’attribution judiciaire,
l’exercice n’est pas futile. En effet, dans la mesure ofi la competence en
amiraut6 de la Cour federale n’est 6tablie que si elle satisfait, en particulier,
aux exigences du premier test (celui de la constitutionnalit6), les decisions
judiciaires A cet 6gard permettront de mieux d6limiter la competence mari-
time du Parlement, surtout celle en relation avec la navigation et marine
marchande. Sans vouloir faire oeuvre exhaustive, il importe de s’attarder
sur la jurisprudence rcente en ce domaine.

2.2. L’application du test constitutionnel 4i la compitence en amirautM de la

Cour fidgrale

L’article 22(2) de la Loi sur la Cour fdrale 6num~re de fagon non
exhaustive les domaines sp~cifiques de reclamations pour lesquelles le Par-
lement a confer6 une juridiction en amiraut6 i la Cour frd6rale. Charg~e
d’appliquer le droit maritime canadien, la Cour, plus particuli~rement, a
juridiction pour entendre les litiges ayant trait:

-au droit de proprit6 ou A la possession d’un navire;

-aux privileges et aux hypothques maritimes;

-A la responsabilit6 dfcoulant des dommages causes aux marchandises trans-
portfes ou A 1’6quipement;

-A la responsabilit6 dcoulant d’un abordage;

-au connaissement ou au contrat d’affr6tement;

-au remorquage et au pilotage;

-au sauvetage;

-A ‘approvisionnement du navire;

-A la construction et A la rfparation du navire;

-aux gages de l’rquipage;

-aux d~bours du capitaine;

-aux contributions A ravarie commune;

-4 rassurance maritime; et

-aux reclamations de droits de dock, de port ou de canal.

1986]COMPETENCE MARITIME DU PARLEMENT CANADIEN 391

La competence de la Cour s’6tend: a) i tous les navires, canadiens et
6trangers, sans 6gard au lieu de residence ou au domicile du proprirtaire;
b) A toutes les demandes que les faits grn~rateurs du litige se soient produits
en haute mer ou dans les eaux oii s’exerce la juridiction canadienne; c) i
toutes les hypoth~ques ou tous les privileges maritimes, peu importe le lieu
de leur creation. 99 II appert donc le 1gislateur n’a pas voulu crier de limites
g~ographiques A cette juridiction. Notons que la competence en amiraut6
de la Cour fRedrale peut s’exercer en matirre personnelle ou en mati~re
r~elle.

Dans TropwoodA.G. c. Sivaco Wire & Nail Co.,100 la Cour supreme du
Canada a jug6 que les reclamations relatives aux dommages causes A des
marchandises transport~es par bateau en provenance de l’tranger font par-
tie du droit maritime et relvent constitutionnellement de la competence
legislative du Parlement en mati~re de navigation et marine marchande.
Concernant cette question, le juge en chef Laskin nota ‘existence de la Loi
sur le transport des marchandises par eau1 ‘ et de ‘article 657 de la Loi sur
la marine marchande du Canada’0 2 qui traitent de la responsabilit6 du
transporteur maritime et au sujet desquelles, il declare:

I1 est A mon avis indubitable que ces deux lois, en ce qu’elles traitent du
transport des marchandises par eau, relvent constitutionnellement de la corn-
p6tence fed6rale en mati~re de navigation et d’exp~dition par eau [< shipping o], et je suis du m~me avis en ce qui concerne les r gles de droit reconnues par la loi qui r6gissent la r6clamation pr6sent e en l'esp ce en Cour fed6rale. Le Parlement peut l6giferer sur les rapports entre les transporteurs de marchan- dises par navire et les exp6diteurs, les propriftaires ou destinataires de ces marchandises, tout autant qu'il peut 16giferer sur les questions de responsabilite pour le transport de marchandises par chemin de fer ou par avion .... 103 Le meme juge insiste par la suite sur le pouvoir lgislatif fRedral & 1'6gard des aspects contractuels des services de transport relevant du pouvoir fred- ral.104 En fait, la rMclamation en question fait partie du droit maritime a '6gard duquel le Parlement peut l6gifrrer en vertu de sa compktence en mati~re de navigation et marine marchande. Dans Antares Shipping Corp. c. Le navire Capricorn,105 la Cour supreme du Canada jugea qu'une demande portant sur le titre, la possession ou la 99Voir l'art. 22(3) de la Loi sur la Courfedrale, supra, note 9. 100(1979), [1979] 2 R.C.S. 157 aux pp. 165-66, 99 D.L.R. (3d) 235 [ci-apr~s Tropwood cit6 aux R.C.S.] 01S.R.C. 1970, c. C-15. 102S.R.C. 1970, c. S-9. 103Supra, note 100 aux pp. 165-66. 104Ibid. Voir: Grand Trunk Railway Co. c. A.G. Canada (1906), [1907] A.C. 65 (RC.). 05Supra, note 23. McGILL LAW JOURNAL [Vol. 31 proprirt6 d'un navire relevait de la comptence 16gislative du Parlerment en matirre de navigation et marine marchande. Dans Aris Steamship Co. et Associated Metals & Minerals Corp. c. Le navire Evie W, 106 le juge Ritchie de la Cour supreme du Canada faisait siennes les paroles du juge en chef Laskin dans l'affaire Tropwood. La rrcla- mation pour dommages i la suite d'un retard dans la livraison d'une car- gaison rel~ve de la compltence 16gislative du Parlement en matire de navigation et marine marchande. I1 ajouta en obiter 1 l'6gard des cas de reclamations maritimes 6num~res au paragraphe 22(2) de la Loi sur la Courfederale ce qui suit: II est important de remarquer que les chefs de comptence 6num6r6s au par. 22(2) sont aliment6s, dans le cadre du droit applicable, par le droit maritime canadien ou toute autre loi du Canada en mati~re de navigation et de marine marchande.' 07 Dans l'arr~t Wire Rope Industries of Canada (1966) c. B.C. Marine Shipbuilders,10 8 la Cour supreme du Canada, toujours saisie du probl~me de la comptence en amiraut6 de la Cour fedrrale, jugea que la responsabilit6 d~coulant d'un contrat de remorquage ainsi que les droits et obligations provenant d'un contrat d'affr~tement de chaland 6taient des parties int6- grantes du droit maritime canadien et relevaient, par le fait meme, de la competence legislative du Parlement octroy6e par le paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867. Les alin~as 22(2)(m) et (n) de la Loi sur la Courfed~rale rel~vent donc de la competence maritime edrrale. A ce sujet, la Cour supreme du Canada a rendu une decision fort impor- tante dans l'arr~t Triglav c. Terrasses Jewellers Inc. 109 ralin~a 22(2)(r) de la Loi sur la Courfed~rale confere A ce tribunal une juridiction concurrente quant i < toute demande n~e d'un contrat d'assurance maritime ou y rela- tive >. Iappelante soutenait que cette disposition attributive de juridiction
6tait inconstitutionnelle. Entre autres questions, la Cour supreme eut A exa-
miner la suivante:

Ualin0a 22(2)(r) est-il ultra-vires et sans effet au motif que l’assurance maritime
ne relive pas de Ia comptence du Parlement du Canada?

1

-6(1980), [1980] 2 R.C.S. 322 A la p. 324, 110 D.L.R. (3d) 1 [ci-apr~s Aris Steamship].
0 7Tropwood, supra, note 100 i la p. 161.
108(1980), [1981] 1 R.C.S. 363, 121 D.L.R. (3d) 517.
109(1983), [1983] 1 R.C.S. 283, (sub nom. Terrasses Jewellers Inc. c. Tiglav) 54 N.R. 32 [ci-
apras Triglav cit6 aux R.C.S.]. Pour un commentaire de et arr~t, voir. A. Bradn, < Questions de comptence: la comp6tence lEgislative en matire d'assurance maritime; la comp6tence en amiraut6 de Ia Cour provinciale ,> (1985) 16 R.G.D. 195.

1986]COMPkTENCE MARITIME DU PARLEMENT CANADIEN 393

La question est importante dans la mesure ofi l’assurance maritime est un
sujet sur lequel plusieurs provinces canadiennes ont legifer6. 110 On sait que
le Code civil du Bas-Canada contient des dispositions applicables en la
matiere. Par contre, il n’existe pas de legislation federale sur le sujet. Le
juge Chouinard conclut que la disposition attaque est intra vires. L’arret
Tropwood’I I avait confirm6 la competence du Parlement en matiere de droit
maritime. D’autre part, ‘expression <(navigation et marine marchande >
doit recevoir une interpr6tation large et lib6rale et elle englobe le droit
maritime canadien; 112 en somme, l’expression constitue le fondement de la
comp6tence du Parlement en matiere de droit maritime.

Mais l’assurance maritime fait-elle toutefois partie de ce droit maritime
ou est-elle une matibre de propri6t6 et droits civils dans la province? E616-
ment contrat est pr6dominant dans l’assurance.1 3 C’est pourquoi l’assu-
te perque comme une mati6re de propri6t6 et de droits
rance a toujours
civils relevant de la comp6tence 16gislative des provinces. La liste des d6ci-
sions judiciaires sur le sujet est fort explicite, comme le reconnait le juge
Chouinard. 114 Mais, comme il le fait remarquer, aucune de ces d6cisions
n’avait trait A l’assurance maritime. Celle-ci et originalement le prat A la
grosse, sont les ancetres de l’assurance terrestre et constituent des contrats
maritimes. Aussi, aprbs avoir trac6 un historique de la question,’ 15 le juge
conclut que l’assurance maritime fait partie du droit maritime et est une
matiere qui, en vertu du paragraphe 91(10), releve de la competence 16gis-
lative du Parlement canadien.

Plus que toute autre, cette d6cision pose directement le probl6me de la
coexistence avec le droit maritime canadien, de regles provinciales en droit
maritime, et remet m8me en question leur survie. La cour n’a pas eu A se
prononcer sur la validit6 des dispositions provinciales du Code civil en
matiere d’assurance maritime. I1 n’en reste pas moins que la validit6 cons-
titutionnelle des dispositions provinciales en la mati6re semble pr6caire,
surtout lorsque la cour affirme:

A. mon avis, le procureur g6n6ral du Canada a raison de qualifier l’assurance
maritime de matire relevant & proprement parler de la propri6t et des droits

I OBran, ibid. i lap. 197 n. 11.
“‘Supra, note 100.
” 2Pour une definition de l’expression << droit maritime canadien >, voir l’art. 2 de la Loi sur

la Courfederale, supra, note 9.

“13Voir Tremblay, supra, note 74 A lap. 524 et s.
114Voir aussi: Citizens Insurance Co. of Canada c. Parsons (1881), 7 App. Cas. 96 (PC.); A.G.
Canada c. A.G. Alberta (1916), [1916] 1 A.C. 588, 26 D.L.R. 288 (P.C.); Re Insurance Act of
Canada (1931), [1932] A.C. 41, [1932] 1 D.L.R. 97 (RC.); Canadian Indemnity Co. c. A.G.
British Columbia (1976), [1977] 2 1.C.S. 504, 73 D.L.R. (3d) 111.

5 Voir aussi: Intermunicipal Realty & Development Corp. c. Gore Mutual Insurance Co.
11

(1977), [1978] 2 C.E 691, 108 D.L.R. (3d) 494 (Ire inst.) [ci-apr~s Intermunicipal Realty].

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 31

civils mais qui a n~anmoins N confiee au Parlement comme partie de la
navigation et des expeditions par eau. ien va de meme par exemple des lettres
de change et des billets promissoires qui sont mati~res de propri6t6 et de droits
civils, mais au sujet desquelles la comp6tence a 6t6 attribu6e au Parlement par
le par. 18 de 1’art. 91 de la Loi constitutionnelle de 1867.116

Apr~s une telle affirmation, pourrait-on valablement soutenir que la
l6gislation d’une province en mati~re d’assurance maritime est constitu-
tionnellement valide, si ce n’est A titre suppl6tif et en 1’absence de 16gislation
fed6rale?

Plusieurs autres dcisions sont venues confirmer l’inclusion des chefs
de r6clamation 6num6r~s au paragraphe 22(2) de la Loi sur la Courfed~rale
dans le pouvoir g6n6ral du Parlement en mati~re de navigation et marine
marchande.

Ainsi, un contrat en vertu duquel on s’engage A fournir et installer des
g6n6rateurs sur un brise-glace est un contrat relatif A la construction ou
l’6quipement d’un navire au sens de l’alin6a 22(2)(n) de la Loi sur la Cour
fedrale. C’est une matire qui rel6ve de la comp6tence 16gislative du Par-
lement en vertu de ses pouvoirs sur la navigation et marine marchande. 117
De la meme fagon, on a jug6 que la remise en 6tat de navigabilit6 d’un
batiment de haute mer est une mati6re tombant sous le paragraphe 91(10), 118
comme 1’est ‘exdcution d’un privilege maritime n6 A la suite de la fourniture
d’approvisionnements n6cessaires.119

On a jug6 rcemment qu’un contrat de fourniture de poisson a un
navire-usine oblig6 de demeurer sur certains champs de peche est un contrat
de foumiture au sens de l’alin6a 22(2)(m) de de la Loi sur la Courfedrale.
Cette disposition s’entend de la fourniture des approvisionnements n6ces-
saires sans y 8tre toutefois limit6e. En ce sens, la fourniture de marchandises
peut ne pas 8tre n6cessaire A 1’exploitation du navire mais seulement acces-
soire ou compl6mentaire tant qu’elle concourt ou est destin6e a concourir
A 1exploitation du navire. De plus, un contrat de transbordement effectif
de marchandises et de livraison en haute mer d’un navire A l’autre est un
contrat maritime relevant en tant que tel du pouvoir fed6ral en mati~re de
navigation et marine marchande. Une action en dommages-int6rets A la

” 6Supra, note 109 A la p. 292 [nos italiques].
117Canadian General Electric Co. c. R. (1979), [1979] 2 C.E 410 (Appel).
“8Skaarup Shipping Corp. c. Hawker Industries Ltd (1980), [1980] 2 C.E 746, 111 D.L.R.

(3d) 343 (Appel).

“MarlexPetroleum Inc. c. The HarRai(1984), [1984] 2 C.E 345, 4 D.L.R. (4th) 739 (Appel).

1986]COMPtTENCE MARITIME DU PARLEMENT CANADIEN 395

suite de l’inex~cution d’un tel contrat ressort de la comp6tence de la Cour
fed6rale. 120

Une poursuite bas6e sur le recouvrement de factures impay6es A la suite
de la conclusion d’une convention de location d’installations portuaires
relive de la comp6tence en amiraut6 de la Cour fed6rale. Ces cr6ances font
partie d’un service maritime int6gr6.121

Le pouvoir fed6ral en mati~re de navigation et marine marchande s’en-
tend-il de tous services maritimes int6gr6s? R6cemment, on a jug6 que la
r6glementation du transit rel6ve de la comptence 16gislative fed6rale en
mati~re de navigation et de transport maritime. 122 Il en irait de meme en
ce qui concerne les activit6s d’un transitaire maritime 123 ou d’une entreprise
de debardage. 124

D’autre part, m~me si le contrat d’assurance maritime relive du droit
maritime qui rel~ve lui-meme du paragraphe 91(10), les relations entre un
courtier d’assurance et son client ne tombent pas sous la comp6tence en
amiraut6 de la Cour fed6rale. 125 I1 en va de m~me en ce qui concerne les
r~gles applicables au mandat donn6 par un partie aux fins de r6gler une
poursuite en dommages-int6r&ts intent6e par un autre partie a la suite d’un
abordage entre deux navires. 126

Enfin, dans Sio Export Trading Co. c. Le navire Dart Europe,127 un
connaissement avait W 6mis en vue du transport d’un conteneur du Dane-
mark vers Chicago via Anvers et Montr6al. A ce dernier endroit, le trans-
porteur maritime avait constat6 des avaries au conteneur et l’avait fait
transporter vers Dorval pour que la marchandise puisse etre r6emball6e.
C’est au cours de ce transport terrestre que la marchandise fut avari6e. On
s’interrogeait donc sur la comp6tence de la Cour fed6rale A l’6gard de ce
genre de r6clamation. On a jug6 que dans ce cas-ci, le transport terrestre ne

12OKuhr c. Le Friedrich Busse (1982), [1982] 2 C.E 709, 134 D.L.R. (3d) 261 (ire inst.). Voir
aussi: Sumitomo Shoji Canada Ltd c. Le navire Juzan Maru (1974), [1974] 2 C.E 488, 49
D.L.R. (3d) 277 (Ire inst.).

t210shawa Harbour Comm’n c. Lakespan Marine Inc. (9 mai 1984), T-3002-82 (C.E Ire

inst.).

12Miida Electronics Inc. c. Mitsui O.S.K Lines Ltd (1981), [1982] 1 C.E 406, 124 D.L.R.
(3d) 33 (Appel) [ci-apres Miida Electronics cit6 aux C.E]. Cette decision a t6 port6e en appel
devant la Cour supreme du Canada.

123Robert Simpson Montreal Ltd c. Hamburg-Amerika Linie Norddeutscher, supra, note 94.
124Barberlines A/S Barber Steamship Lines, Inc. c. Ceres Stevedoring Co. (1974), [1974] 1

C.E 332 (Ire inst.).

125Voir Intermunicipal Realty, supra, note 115.
126Transports Insurance Company Inc. c. L’Ondine (21 juin 1982), A-794-81 (C.E Appel).
127(1983), [1984] 1 C.E 256, 144 D.L.R. (3d) 182 (Ire inst.).

McGILL LAW JOURNAL

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se rattachait pas d’assez pres au transport maritime pour faire partie inte-
grante des activites maritimes. Le tribunal n’avait donc aucune juridiction
A l’egard du transporteur terrestre.

C’est ainsi qu’en abordant le probleme de la competence en amiraut6
de la Cour federale, les tribunaux sont venus preciser le contenu du pouvoir
maritime f’ederal. On sait qu’une demande dont on veut saisir ce tribunal
doit, entre autres, satisfaire au test constitutionnel. Encore une fois, il faut
distinguer entre la competence 16gislative et la competence judiciaire d’un
tribunal statutaire. Mais en definitive, le resultat est exactement le meme
puisqu’il s’agit, comme dans le premier cas, de delimiter le domaine d’ap-
plication du paragraphe 91(10). I’exercice n’est pas sans danger comme nous
le verrons.

Or, quant i cette demarche, on s’apergoit que les tribunaux ne prennent
meme plus la peine de distinguer entre le transport maritime intraprovincial
et celui s’effectuant sur une base extraprovinciale. Finalement, on refere
plut~t aux activites maritimes qui sont regies par le droit maritime et on
declare que ce droit maritime releve de la competence l6gislative du Par-
lement sous la rubrique ( navigation et marine marchande >>.

Mieux! Si on applique l’affaire Triglav, il semblerait que tous les chefs
de r6eclamations enumeres au paragraphe 22(2) de la Loi sur la CourfedWrale
sont susceptibles d’etre traites comme des matieres de propriet6 et droits
civils mais qui ont neanmoins 6t6 confies au Parlement comme partie inte-
grante de la navigation et des expeditions par eau. Si un sujet releve consti-
tutionnellement de la competence legislative du Parlement, cela signifie que
ce dernier peut 16gif:erer a son egard. L’exclusivit6 est la regle et une dis-
position provinciale sur le meme sujet deviendrait alors inoperante. Dans
‘affaire Triglav, c’est le sujet lui-meme, ‘assurance maritime, qui est declare
faire partie de la competence legislative du Parlement, comme pour les
lettres de change et les billets promissoires. I1 ne s’agit meme plus d’une
competence accessoire affectant les droits civils et la propriete.

Dans notre premier cas, les paragraphes 92(10) et (13) constituaient des
limites au pouvoir maritime federal. Dans le second cas, les limites sautent.
Par exemple, dans l’arret Triglav, la Cour supreme du Canada a reconnu
malgr6 tout et en moins de deux lignes que les provinces possedent aussi
une competence en droit maritime par l’effet du paragraphe 92(l0).128 Mais,
quel peut etre le contenu reel de cette competence provinciale? Celle-ci en
est-elle une qui d6coule de la theorie du champ inoccup?’ 29 Les dispositions

128Triglav, supra, note 109 A la p. 289.
129Pourune d6finition de cette th~orie, voir les propos dujuge Pigeon dans Tomell Investment
Ltd c. East Marstock Lands Ltd (1978), [1978] 1 R.C.S. 974 aux pp. 986-87, 77 D.L.R. (3d)
145.

1986]COMPPETENCE MARITIME DU PARLEMENT CANADIEN 397

maritimes provinciales sont-elles destinies A n’ tre appliqu~es qu’A titre
suppl6tif, par les tribunaux ordinaires ou encore, en l’absence de toute 16gis-
lation fedrale? Lorsque l’accessoire devient le principal les tribunaux doivent-
ils toujours distinguer entre le transport maritime intraprovincial et
extraprovincial?

2.3. L’uniformisation du droit maritime canadien

La Cour fied6rale du Canada a W 6tablie en vue d’une meilleure admi-
nistration des lois du Canada.’ 30 C’est en vertu des chefs de r6clamation
6num6r6s au paragraphe 22(2) de la Loi sur la Courfedrale, qui constitue
une 16gislation fed6rale valide, qu’elle exerce sa juridiction en amiraut6.
Chaque alin6a de ce paragraphe rel6ve de la comp6tence 16gislative du Par-
lement et constitue une disposition de fond (<< substantive right >) applicable
qui s’alimente A partir du droit maritime canadien. 13′ C’est ce droit que la
Cour fed6rale est charg6e d’appliquer.

Le droit maritime canadien est constitu6 en partie des r6gles 6manant
de la l6gislation fed6rale. Lorsqu’on r6fere A ses parties non-6crites, l’iden-
tification des r6gles du droit maritime canadien rel6ve du grand art. La Cour
fed6rale ne peut en effet exercer sa comp6tence en amiraut6 A l’6gard d’une
demande fond6e sur le droit provincial. Le droit maritime applicable compte
tenu de la comp6tence en amiraut6 octroy6e A la Cour de l’tchiquier, puis
A la Cour fed6rale, 132 est le droit maritime anglais tel qu’il existait a ses
origines et tel qu’il a rev6cu A la suite de la disparition des restrictions que
le Parlement britannique avait impos6es A la comp6tence de la Cour d’ami-
raut6 anglaise, 133 c’est-A-dire l’ensemble du droit maritime en vigueur en
Europe occidentale A l’6poque de l’amiral et alors que ce droit faisait partie
du droit des nations (jus gentium).134 C’est aussi le droit maritime anglais
tel qu’il a t6 incorpor6 dans le droit canadien et tel qu’il a 6t6 modifi6 A
l’occasion par le Parlement en vertu de sa comp6tence l6gislative en matre

130Loi constitutionnelle de 1867, supra, note 8, art. 101.
‘3’Aris Steamship, supra, note 106.
’32En conferant une juridiction en amiraut6 i la Cour fed6rale, le 16gislateur s’est r6ffer6 au
droit appliqu6 soit par la Cour de l’Echiquier, soit par la Cour d’Amiraut6 anglaise. Voir. ‘Acte
de l’Amiraut4, 1891, S.C. 1891, c. 29, art. 4; Ia Loi d’Amiraut, 1934, S.C. 1934, c. 31, art. 3;
et l’art. 2 de Ia Loi sur la Courfedgrale, supra, note 9, pour la d6finition de l’expression << droit maritime canadien >.

133Le Parlement britannique est fr&luemment intervenu pour restreindre la comp6tence attri-
bu6e d~s 1360 A la Cour d’Amiraut6. Graduellement, le 16gislateur restaura cette juridiction.
Voir. L.H. Laing, ((Historic Origins of Admiralty Jurisdiction in Englando (1946) 45 Mich.
L. Rev. 163.

’34Davie Shipbuilding Ltd c. R. (1978), [1979] 2 C.E 235 1 lap. 251, 90 D.L.R. (3d) 661 (Ire

inst.).

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maritime. 135 C’est enfin ce corps de r~gles tel qu’il existe ou qu’il existera
puisqu’il est susceptible d’etre modifi6 par le Parlement en raison de sa
competence en la mati~re.1 36

Malgr6 l’obscurit6 de son contenu, le droit maritime applicable par la
Cour fed6rale est un droit uniforme i travers le Canada.’ 37 En particulier
et hormis la l6gislation f:ed6rale, e’est le droit maritime anglais qui doit 6tre
considr6 comme < a body of substantive law, the same throughout Canada, not part of the general provincial law. >>138

Cette fagon d’incorporer le droit maritime anglais par renvoi pose de
s~rieux problmes dans un pays oii coexistent deux traditions juridiques.
Plusieurs sujets de reclamation maritime sont en definitive des litiges de
droit priv6 dont les sources peuvent 8tre multiples. 139 En effet, l’exclusion
des r~gles provinciales peut conduire A des r6sultats plut6t incongrus lors-
qu’il s’agit d’appliquer ce droit a des litiges originant de la province de
Quebec. C’est tr~s justement qu’un auteur 6crivait:

1 appert que dans les provinces de tradition de common law cette question
soulve moins de controverses puisque les concepts juridiques observ6s par
les juridictions d’amiraut6 furent en majeure partie reconnus ou meme assi-
mil6s A diverses 6poques en Angleterre par les tribunaux ordinaires …. 140

L’arr~t Miida Electronics’41 en est un exemple trop 6clatant A notre avis.
Un vol fit commis dans un hangar du port de Montr6al. Les marchandises
vol~es venaient d’arriver du Japon A bord d’un navire de l’intim~e. La Cie
International Operators Ltd, 1’autre intim~e, avait, A la demande du trans-
porteur maritime, proc~d6 au d6chargement et plac6 les marchandises dans
le hangar en question. Le propri6taire des marchandises vol~es, l’appelante,
poursuivit donc devant la Cour fed~rale le transporteur maritime et l’en-
treprise de terminus. Son action 6tait fond~e sur l’inex~cution du contrat

135National Gypsum Co. c. Northern Sales Ltd (1963), [1964] R.S.C. 144,43 D.L.R. (2d) 235,
M. le juge Cartwright [ci-apr~s National Gypsum cit6 aux R.S.C.]; Barthe c. Le navire S/S
Florida (1968), [1969] 1 R.C. de I’E.

136Dart. 22(1) de la Loi sur la Courfederale, supra, note 9, spEcifie que ]a comp6tence en
amiraut6 du tribunal repose sur (( le droit maritime canadien > ou sur (( une autre loi du Canada
en mati~re de navigation ou de marine marchande >. Voir aussi l’art. 42 de la m~me loi.
137National Gypsum, supra, note 135 i la p. 153. Voir aussi: Intermunicipal Realty, supra,
note 115; Associated Metals & Mining Corp. c. Le navireEvie W (1977), [1978] 2 C.E 710, 83
D.L.R. (3d) 538 (Appel), conf (sub nom. Aris Steamship), supra, note 106; Sivaco Wire & Nail
Co. c. Atlantic Lines & Navigation Co. (1977), [1978] 2 C.E 720, 78 D.L.R (3d) 529 (Ire inst.),
conf. (sub nom. Tropwood), supra, note 100.
‘ 38Associated Metals & Mining Corp. c. Le navire Evie W, ibid. Voir aussi: Union Steamship
Co. of British Columbia c. Bow Mclachlan & Co, The Ship Camosum (1906), 10 Ex. C.R. 348.
139Cantin, supra, note 12 a la p. 139.
14Ibid. A la p. 336.
141Supra, note 122.

1986]COMPETENCE MARITIME DU PARLEMENT CANADIEN 399

de transport et sur la responsabilit6 d6lictuelle de 1’entreprise de terminus.
La Cour fed6rale, division de premire instance, avait rejet6 les pour-
suites.’ 42 En particulier, la poursuite contre l’entreprise de terminus avait
W rejet6e au motif qu’il n’y avait pas eu de preuve de l’existence d’une
faute au sens du droit commun et que, de plus, la clause Himalaya contenue
dans le contrat de transport prot6geait les auxiliaires du transport maritime.
Rappelons que la clause Himalaya contenue normalement dans un con-
naissement a pour objet de faire profiter les auxiliaires du transport maritime
des clauses d’exon6ration et de limitation de responsabilit6 normalement
applicables au transporteur maritime.

En appel, la Cour d’appel fed6rale a rejet6 le pourvoi A l’6gard du trans-
porteur maritime et accueilli celui a l’6gard de l’entreprise de terminus. C’est
dans ce demier cas que l’appelante plaidait l’application de r6gime de la
responsabilit6 d6lictuelle du Qu6bec ou encore, de l’obligation de common
law de prendre soin des marchandises qui incombait A l’entreprise.

Le juge Pratte, dissident, 6tait d’avis qu’il fallait rejeter l’appel. Aucune
preuve n’a 6 apport6e concernant Fobligation incombant A l’entreprise de
manutention de prendre soin des marchandises. En l’absence d’une telle
obligation, le d6faut par l’entreprise de faire plus pour prot6ger les mar-
chandises ne constituait pas une faute au sens de l’article 1053 du Code
civil. De plus, la clause Himalaya contenue dans le connaissement prot6geait
le manutentionnaire. Enfin, le juge 6tait d’avis que la Cour fed6rale n’avait
pas comp6tence a 1’6gard de ce genre de r6clamation. D’autre part, il doutait
que l’on puisse appliquer les r~gles de common law dans ce cas1 43

Le juge suppl6ant Lalande fut d’avis d’accueillir ‘appel i l’encontre de
l’entreprise de terminus. Le transit maritime est une question relevant de
la comptence 16gislative du Parlement sous la rubrique < navigation and shipping >> et en tant que telle, elle fonde la comp6tence judiciaire de la Cour
fed6rale. Comme d6positaire, l’entreprise a fait preuve de n6gligence et la
clause Himalaya ne saurait l’exempter de sa responsabilit6.144

C’est lejuge Le Dain qui rendit A cet 6gard l’opinion la plus int6ressante.
Quant A la comptence de la Cour fed6rale, le juge 6tait d’avis que la r6gle-
mentation du transit (terminal operator) relive de la comp6tence l6gislative
fed6rale en mati~re de navigation et marine marchande.1 45 De plus, la res-
ponsabilit6 d6lictuelle de l’entreprise est une question maritime au sens de
la d6finition du droit maritime canadien donn6e i l’alin6a 2(g) de la Loi

142(1979), [1979] 2 C.E 283, 96 D.L.R. (3d) 518.
143Miida Electronics, supra, note 122 A la p. 414.
144Ibid. A la p. 427 et s.
145Ibid. A Ia p. 418.

McGILL LAW JOURNAL

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sur la Courfedgrale.146 La competence du tribunal ayant 6t6 6tablie, quel
est le droit applicable pour solutionner le litige? La clause Himalaya n’6carte
pas, selon lui, la responsabilit6 du manutentionnaire pour n6gligence. Alors,
faut-il recourir A l’article 1053 du Code civil ou aux rtgles de common law
pour 6tablir la n~gligence? A ce stade-ci, il convient de citer en entier la
rtflexion du savant juge a ce propos:

Apr~s analyse d’autres arguments et plus ample r6flexion, j’en suis venu A ]a
conclusion que la question de la comp6tence doit 8tre appr6ci~e en tenant pour
acquis que si l’action intent6e par le propri6taire de la cargaison contre le
transitaire 6tait r6gie par le droit maritime canadien, elle serait fond6e sur la
responsabilit extra-contractuelle de common law d’un sous-d~positaire comme
dans l’affaire Gilchrist Watt & Sanderson Pty Ltd. c. York Products Pty Ltd….
et qu’6tant donn6 la nature particulitre de la responsabilit6 en matitre de d6pot,
il n’y a pas lieu d’appliquer i celle-ci le crit~re du lieu qui s’applique tradi-
tionnellement A la compktence d’amiraut6 en matitre de responsabilit6 d6lic-
tuelle. Si la responsabilit6 du transitaire vis-A-vis du propri6taire de la cargaison
devait 8tre regard6e comme une question maritime, au sens de la d6finition
que donne l’article 2 de la Loi sur la Cour fed~rale … du << droit maritime canadien >>, en raison du rapport 6troit existant en pratique entre le transit et
l’ex6cution du contrat de transport, le droit applicable devrait 6tre uniforme
partout au Canada. … Mon opinion se trouve confirm6e par le fait que les
rgles de la common law en matitre de d6p6t constituent, pour d6terminer les
obligations et la responsabilit6 du transitaire, un fondement plus coh6rent et
plus solide que les principes de la responsabilit6 d6lictuelle du droit civil. Cela
est dans l’int6r~t du commerce maritime et ne va certainement pas A l’encontre
de l’esprit du droit civil qu6b6cois, comme le montre l’article 2388 du Code
civil, qui semble avoir 6t6 consid6r6 comme ayant une port6e g6n6rale dans
l’arr& rendu par le juge Girouard dans l’affaire Inverness Railway and Coal
Company c. Jones … 1 47

Ce genre de rtflexion commande plusieurs remarques. En premier lieu,
le juge Le Dain exprime l’opinion que les r~gles de common law en mati~re
de dtp6t sont plus cohtrentes et solides. Cette affirmation n’est pas appuyte
d’aucune fagon par son auteur.

En deuxi~me lieu, il est difficile, sur le plan juridique, de soutenir que
l’article 2388 du Code civil recommande l’application de la common law
pour rtsoudre ce genre de litige. Cette disposition qui renvoie aux lois civiles
et maritimes d’Angleterre n’a d’effet qu’I l’6gard des dispositions du Code
traitant du privilege ou gage maritime lesquelles, precise l’article, n’ont pas
d’application devant la Cour de vice-amiraut6. C’est l’ordonnance de la
marine de 1681 qui a inspir6 la redaction de ces dispositions. La notion de
privilege maritime n’avait pas d’&quivalent exact en droit anglais. Conscients
de cette divergence, les codificateurs ont simplement prtcis6 que ces dis-
positions s’appliquaient A 1’6gard des bdtiments navigant i l’inttrieur de la

‘461bid. aux pp. 418-19.
1471bid. aux pp. 416-17.

1986]COMPtTENCE MARITIME DU PARLEMENT CANADIEN 401

province et des bfitiments enregistres lorsque la contestation i leur egard
s’6levait devant les tribunaux de droit commun. Lorsque la contestation i
leur egard s’61evait devant lejuge de vice-amiraut6, le droit maritime anglais
devait 6tre applique. 148 En effet, A 1’6poque de la codification, la Cour de
vice-amiraut6 6tait un tribunal anglais charg6 de juger les litiges <(according to the civil and maritime Law of the High Court of the Admiralty of England >>.149 Historiquement, faut-il le rappeler, le Canada est pass6 du
statut colonial A celui de pays dont la personnalite internationale est affran-
chie. La Cour federale du Canada n’est certes pas un tribunal colonial.

Dans Mannix Ltd c. N.M. Paterson & Sons150 l’article 2388 avait

te
cite par le defendeur pour affirmer que les articles 2424, 2427 et 1675 du
Code ne pouvaient 8tre appliques par la Cour de l’tchiquier, le tribunal
federal d’amiraute qui flxt remplac6 par la Cour fedrale. Le juge Smith
declara ce qui suit:

This proposition appears to be unfounded since article 2388 Civil Code pro-
vides clearly that it is the provisions contained in Chapter Four (relating to
the Privilege and Maritime Lien upon vessels) which do not apply in cases
before the Court of Vice-Admiralty. There is no such provision applicable to
articles of the Civil Code other than those contained in Chapter Fourth.’5′

En troisieme lieu, sur le plan constitutionnel, il est int6ressant de noter
l’affirmation A l’effet que la r6glementation du transit maritime est un domaine
d’activit6s relevant de la competence 16gislative du Parlement en matiere
de navigation et marine marchande. Si l’entreposage terrestre d’une car-
gaison maritime est une question fed6rale, est-ce a dire que le Parlement
est le seul habilit6 i 16gifrrer i l’6gard de la responsabilit6 contractuelle ou
extra-contractuelle de ce genre d’entreprise?

En quatri6me lieu, pour la Cour supreme du Canada, ce sont les chefs
de r6clamation 6numer6s au paragraphe 22(2) de la Loi sur la Courfederale
qui constituent une 16gislation fed6rale applicable relevant de la comp6tence
16gislative du Parlement et qui fondent par surcroit la comp6tence en ami-
raut6 de la Cour fed6rale. Ces dispositions se nourrissent a meme le droit
maritime canadien.

La d6marche du juge Le Dain parait s’ecarter de cette voie. Si un litige
est une question maritime au sens de la d6finition du droit maritime cana-
dien, la Cour fed6rale est comp6tente. II semble donc que ce soit l’alin6a
2(g) de la Loi sur la Cour federale qui ait ete ainsi consid6r6 comme une

148Septi~me rapport, supra, note 2 aux pp. 231-33.
’49The Mary Jane (1848), 1 Stuart 267 e la p. 270 (C. vice-am. B.-C.).
150(1965), [1965] 2 R.C. de l’t. 107, conf. (1965), [1966] R.S.C. 180, 55 D.L.R. (2d) 119.
1’lbid. i la p. 113.

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[Vol. 31

l6gislation fedrale applicable. k cet 6gard, et vu 1’extr~me confusion entou-
rant la ddfinition et le contenu de ce droit, la comp6tence maritime du
Parlement est appel~e A connaltre une croissance acc~l~r~e. La distinction
entre le transport maritime intraprovincial et extraprovincial n’est plus d’au-
cune utilit6. D~s qu’une activit6 terrestre est li~e d’assez pros au transport
maritime, cela est suffisant pour invoquer la competence du Parlement en
mati~re de navigation et marine marchande. Celle-ci couvrirait alors tout
le champ du commerce maritime.

En cinqui~me lieu, le savant juge semble avoir confondu le droit mari-
time canadien ou anglais avec la common law. Hormis ses parties 6crites
(Le. la legislation fed~rale), le droit maritime canadien est le droit maritime
anglais tel qu’il 6tait appliqu6 par la Cour d’Amiraut6 anglaise. Dans The
Gaetano and Maria,1 52 le juge Brett a d6fini ainsi le droit maritime:

The law which is administered in the Admiralty Court of England is the English
maritime law. It is not the ordinary municipal law of the country, but it is the
law which the English Court of Admiralty either by Act of Parliament or by
reiterated decisions and traditions and principles has adopted as the English
maritime law … 153

Dans Canadian General Electric Co. c. Pickford & Black Ltd 54 le juge
Ritchie s’exprimait de la fagon suivnte:

I think that in the exercise of the equitable jurisdiction of this court, and in
view of the fact that the Admiralty Court has always proceeded upon other
and different principles from that on which the common law principles appear
to be founded, that the plaintiff is in this case entitled to the claim of interest
as allowed by the court below, in its formal order for judgment. 155

L2obstruction syst6matique des cours de common law avait r6duit sen-
siblement la competence de la Cour d’Amiraut6 anglaise. Dans un litige
maritime, si la cause d’action avait pris naissance en partie sur mer, ou en
partie sur terre, les cours de common law s’octroyaient juridiction. Lrap-
plication des chartes-parties, des contrats de transport de marchandises par
mer ou des contrats d’assurance maritime relevait ainsi des cours de common
law. Cette concurrence ne prendra fin qu’en 1873 lorsque le Parlement bri-
tannique adoptera le Supreme Court of Judicature Act. 156 En vertu de cette
loi, un juge exergant la juridiction confteree i la division d’amiraut6 pourra

152(1882), 7 PD. 137 (C.A.).
153Ibid. i la p. 143. Ces propos sont cit6s par le juge Thurlow dans R. c. Canadian Vickers
Ltd (1977), [1978] 2 C.E 675 i la p. 684, 77 D.L.R. (3d) 241 (Ire inst.), inf. (1979), [1980] 1
C.E 366, 102 D.L.R. (3d) 240 (Appel).

154(1971), [1972] R.C.S. 52, 20 D.L.R. (3d) 432 [ci-apr~s cit6 aux R.C.S.].
155Ibid. i la p. 57.
156(Rt-U.), 36 & 37 Vict., c. 66. Sur cette question, voit. The Ship Catala c. Dagsland (1928),

[1928] Ex. C.R. 83 aux pp. 85-86.

1986]COMPkTENCE MARITIME DU PARLEMENT CANADIEN 403

aussi exercer tous les memes pouvoirs et ‘6tendue de juridiction confer~s
A unjuge de la Haute Cour de Justice. Autrement dit, on proc&da A la fusion
des tribunaux pour mettre fin aux escarmouches. On n’a certes pas proc6d
A la fusion du droit maritime et de la common law meme si plusieurs
principes ont pu s’entremeler par la suite; le droit maritime conserve toute
son autonomie. Aussi, il est erron6 A notre avis de faire 6quivaloir au nom
de l’uniformit6 du droit, le droit maritime canadien et la common law.

En sixi~me lieu, la Cour supreme du Canada a rappel6 dans les arrets
McNamara et Quebec North Shore que la Cour fed6rale est un tribunal
constitu6 en vue d’une meilleure administration des lois du Canada. C’est
en ce sens qu’elle refusait de faire reposer la juridiction de la Cour fRed6rale
sur le seul fondement de la comp6tence 16gislative du Parlement. En fait,
la Cour supreme a rappel6 en 1977 la v6ritable porte qui doit etre donn6e
A l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.

En effet, jusqu’en 1916, les jugements de la Cour supreme du Canada
et du Comit6 judiciaire du Conseil priv6 6taient A 1’effet que l’expression
<<[l]ois du Canada >> ou <<[1]aws of Canada >> ne se limitait pas aux lois f:ed6-
rales mais incluait aussi toute loi canadienne y compris <<[t]he laws of the provinces >>.57 Cette tendance sera renvers6e dans l’arret Consolidated Dis-
tilleries Ltd c. Consolidated Exporters Corp.,15 8 la Cour supreme y d6clarant
ce qui suit:

It is to be observed that the <(additional courts >>, which Parliament is hereby
authorized to establish, are courts <(for the better administration of the laws of Canada. >> In the collocation in which they are found and having regard to
the other provisions of the British North America Act, the words, the laws
of Canada, >> must signify laws enacted by the Dominion Parliament and within
its competence. If they should be taken to mean laws in force anywhere in
Canada, which is the alternative suggested, s.101 would be wide enough to
confer jurisdiction on Parliament to create courts empowered to deal with the
whole range of matters within the exclusive jurisdiction of the provincial legis-
latures, including property and civil rights >> in the provinces …. 159

Dans les affaires McNamara et Quebec North Shore, la Cour supreme
a affirm6 que l’expression <<[1lois du Canada >> d6signe une loi dfiment adop-
t6e en vertu de la comp6tence lgislative du Parlement, un r~glement adopt6
en vertu d’icelle ou encore, la common law fed6rale sans toutefois prdciser
le sens de cette expression. Le juge Laskin qui a rendu les decisions dans

57City of Quebec c. R. (1894), 24 S.C.R. 420; Re References by the Governor-General in
1
Council (1910), 43 S.C.R. 536; A.G. Ontario c. A.G. Canada (1911), [1912] A.C. 571, 3 D.L.R.
509 (P.C.); Bonanza Creek Gold Miningc. R. (1915), 50 S.C.R. 534, 21 D.L.R. 123, inf. (1916),
[1916] 1 A.C. 566, 26 D.L.R. 273 (P.C.).

158(1930), [1930] S.C.R. 531, [1930] 3 D.L.R. 704 [ci-apr~s cit6 aux S.C.R.]
1591bid. aux pp. 534-35.

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ces deux arrts, avait lui-m~me confirm6 l’existence d’une common law
fredrale:

The common law in the various provinces and the civil law in Quebec are
both subject to the ultimate exercise of legislative authority according to the
distribution of legislative power ordained by the B.N.A. Act. It is a pertinent,
even if trite, observation that the unifying role of the Supreme Court … makes
possible an overall uniformity in the common law in the various Provinces
(excluding Quebec), save, of course, in respect of those exceptional cases where
the common law on a particular point has been received in one Province but
not in another. In this context it is a correct observation that there is no such
thing as federal as contrasted with provincial common law. … But because the
common law is potentially subject to overriding legislative power, there is
federal common or decisional law and provincial common or decisional law
according to the matters respectively distributed to each legislature by the
B.N.A. Act.’ 60

Peut-on A partir de ce concept de << common law fed6rale o recourir aux r~gles de common law dans un litige du genre dont 6tait saisi le juge Le Dain? , la limite, pourrait-on argumenter que le Code civil du Bas-Canada a t adopt6 par le Parlement-Uni et qu'i ce titre, il constitue une loi (pr6- confrderative) du Canada que la Cour f"drale peut validement appliquer? En septi~me lieu, m~me si nous avions tort quant A l'inclusion des r~gles de common law au sein du droit maritime canadien, la m6thode du savantjuge nous parait peu respectueuse de la tradition juridique qu6b~coise et du caract~re civiliste de son droit priv6. Doit-on rappeler que l'Acte de Quebec a pr~serv6 l'application d'un droit priv6 distinct que les tribunaux qurb~cois ont pour tAche de sanctionner compte tenu des modifications apport~es par les autorit6s l~gislatives comp6tentes. 161 M~me si la Cour fed~rale n'a pas pour objet d'appliquer et d'interpr~ter le droit civil queb~cois, la recherche de l'uniformit6 du droit maritime cana- dien signifie 1'6cart du droit priv6 qu6b~cois en matire maritime. Dans un pays comme le n6tre, l'uniformisation se fait n6cessairement au detriment du droit civil. Cette tendance risque-t-elle de banaliser sinon balkaniser le droit civil? Comment expliquer qu'A Montreal, les relations extra-contrac- tuelles entre un propri~taire montrdalais de marchandises et un d~positaire montr~alais sont r~gies par des r~gles de common law, inconnues de la population et du juriste de formation civiliste? Ce probl~me devient absurde si on tient compte du fait que la com- petence en amiraut6 de la Cour fredrale s'exerce concurremment avec celle des tribunaux de droit commun. Ce n'est certes pas crier l'uniformit6 du droit dans l'inter~t du commerce maritime que d' tablir un syst~me de r~gles '6Laskin, supra, note 68 A la p. 793. 16'Cantin, supra, note 12 A ]a p. 337. 1986]COMPETENCE MARITIME DU PARLEMENT CANADIEN 405 de droit applicables devant un tribunal fed~ral via la definition du contenu du droit maritime canadien; alors que les tribunaux de droit commun sont, quant A eux, charges de sanctionner le droit civil du Quebec. En fait, la concurrence cree deux corps de r~gles de droit applicables a un seul et meme litige: Fun qui relive du tribunal t'ed~ral et r'autre, des tribunaux de droit commun. Finalement, on crie une situation de forum shopping A l'int6rieur du m~me territoire. Enfin, cette vision assimilatrice via l'uniformisation d'un droit mari- time canadien dont le contenu semble sans limite nous parait aller i l'en- contre de la protection que la Loi constitutionnelle de 1867 accorde au droit civil du Qu6bec. On sait que le paragraphe 92(13) est intimement liH 'histoire et, particuli~rement, A la conservation du droit civil frangais du Quebec. 162 D'autre part, le pouvoir d'uniformisation du droit priv6 que 'article 94 de la Loi constitutionnelle de 1867 octroie au Parlement exclut le Qu6bec. Selon le professeur Beaudoin, c'est la un des points oii sur un plan strictement constitutionnel, le Qu6bec n'a pas un statut identique A celui des autres provinces. 163 Hors ici, ce que le Parlement canadien ne peut faire, la Cour 'ed~rale veut l'accomplir. De plus, 'article 98 de la meme Loi 6dicte que les juristes appel6s A sifger au sein des tribunaux mentionn6s A l'article 96 pour le Qu6bec doivent provenir du Barreau de cette province et ainsi, avoir pr~sum~ment requ une formation civiliste. La Loi sur la Cour supreme164 pourvoit i la presence d'au moins trois juges qu~b~cois en son sein. Or, l'article 41 de la Loi constitutionnelle de 1982 pr~voit que pour modifier la composition du tri- bunal, il faut le concours des onze pouvoirs. 165 Implicitement, les textes constitutionnels canadiens protgent donc la tradition civiliste du Quebec. ,k notre avis, ce serait violer cette protection que d'allouer au Parlement canadien, tent6 par un contenu illimit: de sa competence en mati~re de navigation et marine marchande telle que d6finie par la Cour ied6rale, le pouvoir de lgiferer de fagon ilimit~e en mati~re de droit maritime priv6 et d'introduire ainsi au Quebec la common law. En huiti~me lieu, cette affaire est A rapprocher de la decision rendue par les meme juges dans Domestic Converters Corp. c. Arctic Steamship Line.'66 Des marchandises avaient W transport~es par un navire et entre- pos~es dans un hangar du port de Montr6al. Suite A une accumulation de neige, le toit du hangar s'6tait effondr6. Le propri6taire des marchandises ' 62Tremblay, supra, note 74 A la p. 126 et s. 163Beaudoin, supra, note 66 A la p. 121. '64S.R.C. 1970, c. S-19, art. 6. 165Beaudoin, supra, note 66 A la p. 360. 166(1983), [1984] 1 C.E 211, 46 N.R. 195 (Appel) [ci-apr~s cit6 aux C.E]. REVUE DE DROIT DE McGILL [Vol. 31 ainsi endommagees avait poursuivi devant la Cour fRed6rale le transporteur maritime, 1'entreprise de manutention qui 6tait locataire du hangar, et la Couronne federale, propri6taire du hangar. Seule la responsabilit6 de la Cou- ronne avait te retenue par la Division de premiere instance. En particulier, le pourvoi en appel contre l'entreprise de manutention avait aussi t6 rejet6 par la Cour d'appel federale. S'agissant dans ce cas precis d'une faute d6lic- tuelle n'ayant rien de maritime, lejuge Pratte 6tait d'avis que la Cour fed6rale n'avait pas comptence A l'6gard de ce genre de rclamation et que le droit applicable 6tait le droit civil du Quebec. 67 Le juge Lalande a souscrit en grande partie au m8me raisonnement1 68 Le juge Le Dain 6tait aussi d'avis que le d6lit maritime est celui commis en mer. Donc, le caract6re d6lictuel de la poursuite engag6e contre le manutentionnaire ne pouvait fonder la competence en amiraut6 de la Cour f:ed6rale. Le juge s'est ensuite interrog6 sur l'existence d'un fondement contractuel de nature maritime pouvant justifier 'exercice par le tribunal de sa competence en amiraut6: L'avocat des demanderesses a caractfris6 les rapports juridiques qui ont pris naissance quand ITO a requ la garde des marchandises de sous-d6p~t. II ne s'ensuit pas n~cessairement qu'il y a eu contrat puisqu'il peut y avoir sous- d6pft sans contrat ... . De plus, le dfp8t de common law est inconnu en droit qu6b~cois ofi, en l'absence de lien contractuel, la responsabilit6 civile de celui qui accepte la garde du bien d'autrui est regie par le droit des d~lits et quasi d~lits. 169 Ce raisonnement sera 6cart6 express6ment par le meme juge dans l'affaire Miida Electronics.170 D'abord, en d6cidant que le transit maritime est une question maritime au sens de la definition que donne l'article 2 de la Loi sur la Courfedgrale du << droit maritime canadien >> et relevant de la com-
p6tence l6gislative du Parlement canadien; puis, en decidant que l’unifor-
mite de ce meme droit commandait ‘application des regles de common law
en matiere de sous-d6pot. On voit comment le probl6me de la comp6tence
en amiraut6 de la Cour f:ed6rale peut conduire A la mise au rancart du droit
civil qu6becois en matiere maritime.

Enfin, il n’y a pas de doute que seule la confusion actuelle entourant
la definition du droit maritime canadien explique une telle decision. C’est
pourquoi la demarche empruntee par les tribunaux pour 6tablir la com-
petence en amiraut6 de la Cour fed6rale ne devrait pas 8tre retenue pour
tenter de delimiter le contenu de la competence maritime du Parlement
canadien. Celui-ci a voulu creer sur son territoire un tribunal d’amiraut6
ayant la meme juridiction que le tribunal d’amiraut6 anglais. Sur un plan

6 Mbid. aux pp. 233-34.
l68Ibid. aux pp. 244-45.
l691bid. aux pp. 240-41.
170Supra, note 122 A la p. 416.

1986]COMPETENCE MARITIME DU PARLEMENT CANADIEN 407

juridique, l’Angleterre connalt un syst~me unitaire; deux traditions juri-
diques coexistent au Canada. Sur le plan constitutionnel, l’ttat anglais est
de type unitaire; le Canada est un pays de type federal oii les comptences
l~gislatives sont partagees. Ainsi la r~alit6 i la fois juridique et constitu-
tionnelle emp~che la creation au Canada d’un tribunal d’amiraut6 ayant la
m~me competence que le tribunal d’amiraut6 anglais. Vouloir ignorer cette
r~alit6 fondamentale ne peut que crier sur un plan juridique un 6tat de
confusion extreme.

3. La survie du droit maritime provincial

3.1. La compitence maritime provinciale

Les tribunaux n’ont jamais ni6 que les provinces poss~dent une com-
p6tence en droit maritime en vertu de leurs pouvoirs en mati~re d’ouvrages
et d’entreprises de nature locale ou de propri&t et droits civils. C’est ainsi
qu’on a reconnu que, sauf en ce qui concerne la navigation, le transport
maritime intraprovincial rel~ve de la competence legislative de la province.
La competence du Parlement en mati~re de navigation et marine mar-
chande lui permet A titre accessoire d’affecter les droits civils et la proprit.
L’expression utilis~e au paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867
est tr~s vaste et a pour but, entre autres, d’assurer la conservation du droit
civil frangais tel qu’il a pu revivre apr~s rActe de Quebec. A prime abord,
l’expression englobe tout le droit priv6. Ainsi, elle concernerait les droits et
devoirs des individus entre eux. 171 La jurisprudence a refus6 d’y int~grer
tout le contenu possible de l’expression. Uine tentative de ce genre serait
inopportune et irr~alisable. 172

Dans son excellent ouvrage sur la question, le professeur Tremblay
conclut A une interpretation restrictive de l’expression lorsqu’elle est consi-
d6r~e dans ses relations avec d’autres categories de pouvoir 6num~res aux
articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867.173 En effet, l’expression
est susceptible d’englober plusieurs sujets 6numfrts i ‘article 91 et d~volus
au Parlement; en particulier, la r~glementation des 6changes et du commerce
ainsi que la navigation et marine marchande. Mais puisque ce sont des
categories sp~cifiques, elles se doivent de 1’emporter sur la g~n~ralit6 du
paragraphe 92(13). Ainsi, une province possde un pouvoir absolu et exclusif

17TW.H.P. Clement, The Law of the Canadian Constitution, 3e ed., Toronto, Carswell, 1916

aux pp. 821-22.

l72John Deere Plow Co. c. Wharton (1914), [1915] A.C. 330, 18 D.L.R. 353 (PC.). Voir aussi
Proprietary Articles Trade Ass’n c. A.G. Canada (1931), [1931] A.C. 310, [1931] All E.R. 277
(PC.); Hodge c. R. (1883), 9 App. Cas. 117 (RC.).

173Tremblay, supra, note 74 i la p. 80.

Mc GILL LAW JOURNAL

[Vol. 31

en matirre de proprirt6 et droits civils en autant qu’elle n’empi~te pas sur
une des categories 6num&rres i l’article 91.174 Elle ne peut, ce faisant, s’ap-
proprier un domaine qui ne lui appartient pas. 175

En vertu du prrambule de l’article 92, les pouvoirs provinciaux s’exer-
cent << dans chaque province o. En principe donc, la province jouit d'une competence exclusive limitre. 176 Ainsi, quant A son territoire, la comptence de la province est g6n6rale; en dehors, elle est limitde A la personne de ses residents. En effet, dans la mesure ofi l'objet d'une loi provinciale n'est pas extraprovincial, elle sera jugre valide, bien qu'ayant des effets extra-terri- toriaux accessoires ou incidents. 177 Ainsi, en matire maritime, une l6gis- lation provinciale peut avoir des effets accessoires sur le commerce maritime extraprovincial sans que cela soit inconstitutionnel, en autant que la sub- stance de la loi demeure relire A la proprirt6 et aux droits civils. Doit-on aussi rappeler qu'il est normal que la l6gislation provinciale qui essentiel- lement et substantiellement se rapporte A une mati~re de propri&t6 et droits civils puisse s'appliquer aussi aux personnes, choses et activities qui drpen- dent au premier chef de l'autorit6 l6gislative fed6rale? 178 Meme si les rela- tions de travail au sein d'une entreprise de drbardage peuvent relever de l'autorit6 16gislative fedrrale, les domaines de la responsabilit6 contractuelle ou extra-contractuelle des drbardeurs continuent de relever de l'autorit6 l6gislative provinciale. La proposition devient encore plus dvidente si l'en- treprise est d'un caractrre intraprovincial. Si le Parlement canadien jouit d'un pouvoir d'empi~tement en mati~re de proprit6 et de droits civils, celui-ci demeure quand m~me limit6, comme l'est son pouvoir en matibre de navigation et marine marchande A l'6gard d'une entreprise maritime intraprovinciale. La 16gislation fRedrale ne peut qu'afecter de fagon incidente ou accessoire un chef de comptence attribu6 exclusivement A la province. Aussi, si une 16gislation fedrrale est en relation directe et unique avec la propriet6 ou les droits civils, elle est inconstitutionnelle. La jurisprudence relative au pouvoir fedhral en matirre de rrglemen- tation des 6changes et du commerce 179 est 6loquente A cet 6gard. Depuis l'affaire Citizens Insurance Co. of Canada c. Parsons,180 les tribunaux ont 174Bedard c. Dawson (1923), [1923] S.C.R. 681, [1923] 4 D.L.R. 293. 75A.G. Canada c. A.G. Quebec (1946), [1947] A.C. 33, [1947] 1 D.L.R. 801 (C.); Union 1 176Sur ce sujet, voir: H. Brun et G. Tremblay, Droit constitutionnel, Cowansvile, Qu., Yvon Colliery Co. c. Bryden (1899), [1899] A.C. 580 (PC.). Blais, 1982 aux pp. 323-29. Parsons, supra, note 114. '"Ibid. aux pp. 324-26. '78Tremblay, supra, note 74 i la p. 207. Voir aussi: Citizens Insurance Co. of Canada c. 179Loi constitutionnelle de 1867, supra, note 8, art. 91(2). '8Supra, note 114. 1986]COMPtTENCE MARITIME DU PARLEMENT CANADIEN 409 utilis6 le paragraphe 92(13) pour circonscire plus rigoureusement le pouvoir fed6ral. Aussi, juge-t-on que le paragraphe 91(2) est limit6 au commerce au sens international ou interprovincial. Le Parlement ne pourrait sous pr6texte de r6glementer les 6changes et le commerce, agir dans des domaines accord6s aux provinces par les paragraphes 92(13) et (16) et ainsi r6glementer des op6rations entirement provinciales.18 1 Autrement dit, le Parlement ne peut r6glementer le commerce intraprovincial. En mati6re de commerce maritime, le m~me raisonnement ne vaut-il pas? Dans Singbeil c. Hansen,182 la Cour supreme de la Colombie-Britan- nique s'est interrog6e sur l'application du paragraphe 205(1)(a) de la Loi sur la marine marchande du Canada.18 3 Cette disposition pr6voit que les gages d'un main ne sont pas sujets A saisie ou opposition devant un tribunal. Une disposition fed6rale qui confere A un main une immunit6 face a une 16gislation provinciale g~n6rale en matibre de saisie de salaires n'est pas une loi qui r~glemente un main en tant que main. II s'agit plut6t d'une dis- position en relation, et non simplement incidente, avec les droits civils et la propri6t6. Cette question relive du paragraphe 92(13) et non pas de 91(10). Et le tribunal de pr6ciser [e]ven if this were a federal undertaking, the scope of the jurisdiction of the federal government to legislate in regard to federal undertakings, on matters which are otherwise within the exclusive jurisdiction of the provinces, is confi- ned to <(all matters which are a vital part of the operation of an interprovincial undertaking as a going concern .... 184 Dans PG. Canada c. Services d'H6tellerie Maritime Lt~e,185 un bati- ment 6tait amarr6 dans un bassin du port de Qu6bec et exploit6 comme navire-h6tel. La r~glementation provinciale en mati~re d'h6tellerie 6tait res- pectie. Les autorit6s f:ed6rales pr6tendaient vouloir appliquer a ce batiment la r~glementation relative A la construction et aux mesures de s6curit6 6dict6e en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada. La Cour sup~rieure du Quebec a jug6 que le bdtiment n'6tait pas un navire au sens de ladite loi et que le paragraphe 91(10) ne saurait 6tre interpr6t6 pour englober ce 181Ibid. Voir aussi: Supermarch&s Dominion Lt~ee. R. (1979), [1980] 1 R.C.S. 844, 106 D.L.R. (3d) 581; R. c. Eastern Terminal Elevator Co. (1925), [1925] S.C.R. 434, [1925] 3 D.L.R. 1; A.G. British Columbia c. A.G. Canada (1937), [1937] A.C. 377, [1937] 1 D.L.R. 695 (PC.). 182(1982), 140 D.L.R. (3d) 146, [1982] 6 W.W.R. 340 [ci-apr s cit6 aux D.L.R.]. 183Supra, note 102. 184Supra, note 182 A la p. 155. 185(1967), [1968] C.S. 431. REVUE DE DROIT DE McGILL [Vol. 31 genre de cas. 186 Dans Toronto Transit Comm'n c. Aqua Taxi Ltd,187 la Haute Cour de l'Ontario a decid6 qu'une loi provinciale qui confere une franchise de transport A l'int6rieur d'une municipalit6 ne diminue en rien le pouvoir du Parlement en matiere de navigation et marine marchande. 3.2. L'application du droit provincial par les tribunaux de droit commun Les dispositions du Code civil ont 6t6 maintes fois appliquees par les tribunaux de droit commun aux prises avec des litiges maritimes. En la matiere, la competence de la Cour fedrale est en effet concurrente avec celle des tribunaux de droit commun. La Cour supreme du Canada elle-meme a eu l'occasion d'interpreter et d'appliquer une disposition de droit maritime contenue dans le Code civil dans l'arret Inverness Railway and Coal Co. c. Jones, 88 en l'occurrence 'article 2383 qui traite du privilege maritime des derniers 6quippeurs. Apres avoir fait l'historique du droit maritime au Quebec, le juge Girouard s'ex- prima de la fagn suivante: Whatever may be the rule of law in this respect, concurrent jurisdiction of ordinary courts in maritime matters provided for by the French Courts has been so long exercised and recognized by the jurisprudence of Quebec from the cession to the present date that I would hesitate to disturb it, especially as the point has not been taken either in the courts below or in this Court. 189 En fait, les dispositions du Code civil traitant des privileges maritimes ont t6 si frequemment interpretees par nos tribunaux qu'il ne convient pas de bouleverser cet usage. 190 Dans Williams c. Albatross Ferro-Cement Ltd,191 les regles relatives au contrat d'entreprise ont 6t6 appliquees parla Cour superieure du Quebec A la suite de l'inexecution d'un contrat de construction d'une coque de navire. 186La Cour dit, ibid. A la p. 446: [i]t appears to that court that the S.S. Florida used as a hotel and situated in a locality the property rights of which are vested in the Province of Quebec, as it cannot be used in navigation, hence does not come within the Canada Shipping Act, the project must be deemed to be a local undertaking and, consequently, not within the powers of the Parliament of Canada given to it by [s. 91(10)] ... 187Supra, note 60. t88(1907), 40 S.C.R. 45. Quelquesjuges 6taient toutefois d'avis que c'6tait la loi anglaise qui devait s'appliquer. En particulier, voir les opinions des juges Davies et Idington. 189Ibid. aux pp. 56-57. 19Henn c. Kennedy (1890), 17 R.J.Q. 243 (C.S.); Dagenais c. Douglas (1871), 3 R.L. 440, 16 L.C. Jurist 109 (C.S.); Delisle c. L~cuyer (1871), 15 L.C. Jurist 262 (C.S.); Plante c. Clark (1866), 17 Dc. B.-C. 75, 16 R.J.R.Q. 168 (C. circ.). 191(1975), [1975] C.S. 803. 1986]COMPtTENCE MARITIME DU PARLEMENT CANADIEN 411 Dans Associated Metals & Mineral Corp. c. World Transport Ltd, 192 la Cour d'appel du Qu6bec appliqua, outre la Loi sur les connaissements,193 les dispositions du Code relatives au mandat ainsi que d'autres relatives aux obligations de l'aflr6teur,194 en particulier en ce qui concerne les droits et obligations d6coulant du courtage de navires. Dans l'arr~t Cie Wilfrid Allen c. Rail and Water Terminal (Quebec) Inc.,195 la Cour sup6rieure du Qu6bec s'interrogeait sur le r6gime de res- ponsabilit6 applicable i un transporteur maritime alors qu'aucun connais- sement n'avait 6t6 6mis concernant le transport d'6quipement de forage. R6ferant A une d6cision de la Cour d'appel du Quebec, 196 le tribunal jugea que la pr6somption de faute pr6vue i l'article 1675 devait recevoir appli- cation. Eabsence de connaissement a comme cons6quence l'inapplicabilit6 des motifs d'exon6ration dont jouissent les transporteurs par eau selon la Loi sur le transport des marchandises par eau.1 97 Le Code civil sert alors de droit suppl6tif et r6git les droits et obligations des parties. La limitation de responsabilit6 6dict6e par l'article 2434 doit 6re 6cart6e clans la mesure ofi le transporteur n'a pas fait la preuve de sa diligence. Tr~s r6cemment, dans General Traders Ltd c. Saguenay Shipping Ltd,198 la Cour d'appel du Qu6- bec, ayant A se prononcer sur la comp6tence << en amiraut6 >> de la Cour
provinciale, a jug6 qu’une r6clamation d6coulant d’avaries subies par une
cargaison transport6e par voie maritime du pays de Galles jusqui la Bar-
bade n’6tait pas en soi une mati6re de navigation et marine marchande; ce
genre de r6clamation r6sulte plut8t d’un contrat de transport de biens.

Dans la mesure oti lors d’une action en justice le cumul est permis, 199
le r6gime de responsabilit6 extra-contractuelle du Qu6bec est applicable au
transporteur maritime ou encore A ses auxiliaires telle l’entreprise de d6bar-
dage. Ainsi, clans Robert Simpsons (Montreal) Ltd c. Canadian Overseas
Shipping Ltd: The Prins William IOO la Cour d’appel du Qu6bec a jug6
qu’en autant qu’une action est bas6e sur le r6gime d6lictuel, le consignataire
qui se plaint d’avaries i sa cargaison a le fardeau de prouver la faute du
transporteur maritime. Dans Ceres Stevedoring Co. c. Eisen und Metall

192(1975), [1975] C.A. 376.
193S.R.C. 1970, c. B-6.
194Voiraussi: Q.N.S. Paper Co. c. Chartwell Shipping Ltd(1979), [1979] C.S. 453; etMoryous-
195(1980), [1980] CS. 994.
196Rail & Water Terminals Ltd c. Canadian Reynolds Metals Co. (19 fevrier 1979), Quebec

sefc. Maritime Ins. Co. (1982), [1982] C.. 22.

200-09-000331-75.

97Supra, note 102.
198(1983), [1983] C.A. 536.
199 Wabasso Ltd c. National Drying Machine Co. (1981), [1981] 1 R.C.S. 578, 38 N.R. 224.
200(1972), [1973] 2 Lloyd’s L.R. 124.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 31

A.G.,201 le m~me tribunal a confirm6 la validit6 d’une clause Himalaya
contenue dans un connaissement maritime et rendant applicables i l’entre-
prise de ddbardage les limitations de responsabilit6 du transporteur mari-
time. Toutefois, cette meme clause est inapplicable dans le cas de faute
lourde de la part de ‘entreprise.

Enfin, dans Miles International Corp. c. Federal Commerce & Navi-
gation Co.,202 le juge O’Connor de la Cour suprieure du Quebec s’est inter-
rog6 sur l’application de la rdgle de la stipulation pour autrui203 en mati~re
de connaissement maritime. Entre autres, il eut A considdrer l’arr~t Re Circle
Sales & Import Ltd204 rendu ! la meme 6poque par la Cour teddrale. Celle-
ci avait ddcid6 que l’article 1029 du Code ne pouvait s’appliquer A l’6gard
d’un connaissement 6mis en Asie pour la raison suivante:

If we were dealing with outward shipments from Quebec where the Bill of
Lading was issued Article 1029 might then be invoked although I would in
any case consider it highly regrettable if principles of Canadian Maritime Law
which would be the same throughout the country could be so interpreted as
to lead to a different result with respect to a bill of lading made in Quebec
from that with respect to an identical bill of lading made in one of the other
provinces. 205

A ce genre d’argumentation, la r~ponse du juge O’Connor fit breve mais
cinglante:

My duty however in the present case is to apply Quebec law as I see it and if
it is different from that of the other provinces, I cannot bend it for the sake
of uniformity.206

3.3. L’application du droit provincial par la Cour fidgrale

La Cour fed~rale du Canada, comme son pr~d~cesseur la Cour de l’chi-
quier, a 6t6 cr6e en vue d’une meilleure application des << lois du Canada . Elle ne doit pas 8tre consid~r~e comme ayant la mission d'appliquer et d'interpr~ter principalement le droit provincial. Toutefois, elle peut lors- qu'elle est saisie de sa competence en amiraut6 et lorsque le droit invoqu6 est le droit maritime canadien dans ses parties non 6crites, recourir A des 21(1976), [1977] C.A. 56. 202Cit6 par S.A. Cantin, supra, note 12 aux pp. 339-40. 203Art 1029 C.c.B.-C. 204(27 mai 1977), T-3394-77 (C.E Ire inst.) cit6 par S.A. Cantin, supra, note 12 aux pp. 340- 41.205 bid. 206 bid. 1986]COMPETENCE MARITIME DU PARLEMENT CANADIEN 413 lois provinciales pour se prononcer sur des points litigieux.207 Une telle utilisation accessoire de lois provinciales ne constitue pas une incorporation de ces rbgles provinciales dans le champ de compbtence de la Cour. Ainsi, dans Williams c. R.,208 elle s'est aid~e de la lbgislation de la Nouvelle-tcosse et de la Colombie-Britannique pour d~couvrir le sens et la porte de l'ex- pression << pbrils de mer >> contenue dans une police d’assurance maritime.
De la meme fagon, rien n’empache la Cour fredrale d’appliquer A titre
accessoire la loi gbn~rale d’une province en ce qui concerne la formation
d’un contrat maritime. 209

Si une telle utilisation demeure possible en mati~re maritime, ce n’est
qu’avec rbticence que le tribunal devra y recourir.210 En fait, cette r&icence
est historique. La Cour de vice-amiraut , puis la Cour de l’xhiquier offraient
du reste un comportement similaire. Ainsi, dans Mannix Ltd c. N.M. Pater-
son & Sons,211 la Cour de l’tchiquier a ordonn6 A l’intim~e de payer des
dommages A la suite de la perte d’une pelle mbcanique transport~e par eau
t6 6mis et
de Baie-Comeau vers Bagotville. Aucun connaissement n’avait
le contrat de transport 6cartait la lbgislation fedbrale. Les dispositions du
Code civil concernant le soin que le maitre doit apporter a la cargaison 212
ainsi que la pr~somption de faute 6tablie i l’article 1675 ont 6t6 jugees
similaires aux r~gles du droit anglais et donc, applicables. Le m8me raison-
nement fit tenu par la Cour supreme du Canada.213

Dans Armand Marchand c. The Ship Samuel Marshall,214 la Cour de
l’Echiquier s’interrogeait sur le droit d’un marin mineur de poursuivre devant
le tribunal d’amiraut6 son employeur en vue de recouvrer ses gages. En droit
anglais, le mineur ne possbde pas ce droit. Particle 304 du Code qui confere
le droit A un mineur fut appliqu6 par le tribunal. Le recours ayant 6t6 invoque
au Qubbec, le droit qurbcois doit r6gir cette question.

207Voir. Intermunicipal Realty, supra, note 115; Stein c. Les navires Kathy K (1972), [1972]
C.E 585 (Ire inst.), inf. (1974), [1974] 1 C.E 657, 4 N.R. 1983 (Appel), conf. (1975), [1976] 2
R.C.S. 802, 62 D.L.R. (3d) 1 [ci-apras Stein]; Resolute Shipping Ltd c. Jasmin Construction
Inc. (1977), [1978] 1 R.C.S. 907, 79 D.L.R. (3d) 402. Voir aussi: R. c. Murray (1966), [1967]
R.S.C. 262, 60 D.L.R. (2d) 647.

208(1985), 5 C.C.L.I. 198 (C.E Ire inst.).
209Resolute Shipping Ltd c. Jasmin Construction Inc., supra, note 207.
21OVoir:. Stein, supra, note 207; Colonial Yacht Harbour c. L’Octavia (1979), [1980] 1 C.E
21,Supra, note 150.
2 ‘2Art. 2424 et 2427 C.c.B.-C.
2t3Supra, note 150. Voir aussi: Canadian Transport Co. c. Court Line Ltd (1940), [1940] A.C.

331 (Ire inst.).

934, [1940] 3 All E.R. 112 (PC.); Bozzo c. Moffat (1881), 11 R.L. 41 (C.S. Qu6.).

214(1921), 20 Ex. C.R. 299.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 31

Enfin, dans Canada Steamship Lines Ltd c. Desgagn,215 des barres de
metal avaient t6 transportfes par voie maritime de Montreal vers Lauzon.
A la suite d’avaries, le transporteur avait W poursuivi devant la Cour de
l’Echiquier. Le contrat 6tait verbal; aucun connaissement n’avait
t6 6mis.
On jugea donc que les b6n6fices de la 16gislation f:ed6rale ne pouvaient etre
accord6s au transporteur.

As the Water Carriage of Goods Act cannot apply to the present contract of
carriage of goods, it also follows that the defendant cannot, therefore, benefit
from the modification of his common law absolute warranty of the duties he
has under section 1675 of the Quebec Civil Code where it appears to me that
the burden of the defendant is as great as the common law obligations arising
in virtue of the warranty of seaworthiness. 21 6
En r6sum6, les tribunaux qu6b6cois n’h6sitent pas A appliquer les dis-
positions du Code civil, particuli~rement en l’absence d’une 16gislation f:ed6-
rale applicable. Us se refusent A appliquer le droit anglais dans un litige
maritime localis6 au Qu6beC. 2 17 A l’inverse, la Cour ted6rale du Canada est
tr~s r6ticente A appliquer le droit qu6bfcois m~me si le litige est localis6 au
Qu6bec.

Conclusion

Le caract~re fortement sp~cialis6 du droit maritime peut effrayer le
g6n6raliste. Au Canada, il existe une autre caract6ristique qui confine le
droit maritime i l’isolement. C’est la confusion n~e en particulier de l’im-
broglio constitutionnel et jurisprudentiel.

La prudence des codificateurs qui ont sugg6r6 l’insertion de dispositions
maritimes dans le Code civil s’explique en grande partie par le statut colonial
d’alors. Malgr6 tout, ils ont fait oeuvre utile et ils ont r6ussi A crier un
ensemble coh6rent de r6gles maritimes, pratique et satisfaisant pour le com-
merce maritime du temps meme si cet ensemble est nettement incomplet.

L’accord constitutionnel de 1867 a confer6 au Parlement canadien une
comp6tence l6gislative exclusive en mati6re de navigation et marine mar-
chande. La facture maritime des articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle
de 1867, ainsi que l’importance de la mati~re, ont sugg6r6 aux tribunaux
une interpr6tation large et lib6rale de la comp6tence maritime fed6rale. On

la p. 244.

215(1967), [1967] 2 R.C. de I’t. 234.
216Ibid.
217, moins de l’incorporer arbitrairement dans le droit qu6b~cois. Dans l’affaire Ceres Ste-
vedoring Co. c. Eisen undMetallA.G., supra, note 201, la Cour d’appel a utilis6 une dicision
du Conseil priv6 basde en particulier sur ‘application de ]a notion d’<(agency > de common
law pour confirmer la validit6 de la clause Himalaya: New Zealand Shipping Co. c. A.M.
Satterthwaite & Co. (1974), [1975] A.C. 154, [1974] 1 All E.R. 1015 (PC.).

1986] COMPETENCE MARITIME DU PARLEMENT CANADIEN 415

a 6galement reconnu au Parlement le pouvoir d’empi~ter sur les droits civils
et la propri~t6 lorsque cela 6tait n6cessaire pour que puisse s’exercer effi-
cacement sa competence maritime. Le renvoi Stevedoring de 1955 constitue
toutefois le point marquant en mati~re de partage puisqu’il obligea par la
suite A op~rer une distinction entre le transport maritime intraprovincial et
extraprovincial. C’est cette distinction qui permet, a notre avis, l’application
valide sur un plan constitutionnel des dispositions maritimes du Code civil,
A ‘exception de celles ayant trait aux batiments marchands. 2 8 Le commerce
maritime intraprovincial devrait relever de la competence provinciale.

Malheureusement, le test de la constitutionnalit6 sur lequel la juris-
prudence fonde en partie la competence en amiraut6 de la Cour fed~rale a
fait sauter cette distinction. En vertu de cette jurisprudence, tout le contenu
du droit maritime est susceptible de relever de l’expression ( navigation et
marine marchande >. D~s qu’une question maritime relive du droit mari-
time, cela est suffisant pour la relier A la competence fed6rale. II est sur-
prenant de constater que la distinction entre le transport intraprovincial et
extraprovincial est appele a disparaitre.

A notre avis et nous croyons 1avoir d~montr6, cette d~marche ne peut
lgitimement etre adopt6e pour d6finir le contenu de la comp6tence mari-
time du Parlement. En particulier, parce qu’ele cr~e deux syst~mes de r~gles
dont run est quelquefois peu respectueux de la tradition civiliste de la
province de Quebec. Le test de la constitutionnalit6 impos6 pour fonder la
comp6tence de la Cour fed6rale doit 6tre abandonn6. Le tribunal d’amiraut6
canadien ne peut pretendre exercer la meme vaste juridiction que celle
exercee par le tribunal d’amiraut=6 anglais, 6tant donn6 la realit6 bi-juridique
et fRederale du Canada.

Enfin, l’attitude des tribunaux i vouloir rechercher A tout prix l’uni-
formit6 du droit nous semble patemaliste. C’est finalement s’en remettre
au seul pouvoir federal. En matiere de transport routier, les provinces se
sont r~cemment concertees pour adopter une reglementation uniforme. L’Of-
fice de revision du Code civil avait propos6 des modifications importantes
aux dispositions du Code traitant, entre autres, de l’assurance maritime, de
l’affretement et du transport maritime;219 seules quelques modifications

218Par exemple, une province ne pourrait 1gif”erer en mati~re d’action r~elle puisque la
comp6tence 16gislative sur le navire, y incluse sa propri6t6, relve du pouvoir fedral en mati~re
de navigation et marine marchande. Voir Ultramar Canada Inc. c. Pierson Steamship Ltd (27
aofit 1982), T-6537-82 (C.E Ire inst.).
219Quebec, Office de r6vision du Code civil, Comit6 sur le contrat d’assurance maritime,
Rapport sur l’assurance maritime, Montreal, E-diteur officiel, 1976; Comit6 sur le contrat d’af-
fritement, Rapport sur l’affrtement, Montreal, E-diteur officiel, 1976; Comit6 du droit du trans-
port, Rapport sur le contrat de transport, Montreal, Editeur officiel, 1972.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 31

mineures ont affect6 l’assurance maritime.220 Concernant l’affr~tement, le
rapport recommandait l’adoption de dispositions plus adaptdes A la situation
moderne; quant au transport de marchandises par eau, l’Office avait, IA aussi,
opt6 pour l’uniformit6 en proposant l’adoption de r~gles similaires aux Rgles
de La Haye.221 En 1968, le professeur Pineau se plaignait du fait que la
16gislature qu6b6coise ne s’6tait jamais demand6 dans quels secteurs marl-
times elle aurait pu agir.222 Les dispositions maritimes du livre quatri~me
sont en effet largement anachroniques aujourd’hui. Plus de dix-sept ans
aprds cet appel, le 16gislateur qudbdcois demeure responsable de son inac-
tivisme. Croit-il qu’une competence legislative puisse disparaitre par ddsudtude?

220Voir l’art. 449 et s. de la Loi sur les assurances, L.Q. 1974, c. 70.
221Voir le Rapport sur le contrat de transport, supra, note 219.
222Pineau, supra, note 3 aux pp. 56-58.