Article Volume 55:2

De Dunsmuir à Khosa

Table of Contents

McGill Law Journal ~ Revue de droit de McGill

DE DUNSMUIR KHOSA

Lhonorable Louis LeBel*

Lexercice du contrle judiciaire en droit
administratif canadien a rcemment t rexa-
min par la Cour suprme du Canada dans le
cadre des arrts Dunsmuir c. Nouveau Bruns-
wick et Canada (Ministre de la Citoyennet et
de lImmigration) c. Khosa. Lauteur se penche
sur limpact de ces deux dcisions la lumire
des raisons qui ont pouss la Cour modifier
certains aspects fondamentaux du contrle judi-
ciaire.

Lauteur value dabord limpact de larrt
Dunsmuir par rapport lquit procdurale, un
aspect souvent nglig de cette dcision de la
Cour. Lauteur prsente ensuite un commen-
taire sur la rforme des normes de contrle ju-
diciaire introduite par ce mme arrt, et ce,
travers le concept de dfrence et son rle dans
ce domaine du droit administratif. Finalement,
lauteur aborde larrt Khosa pour analyser la
relation entre lapproche des normes de contrle
dveloppe dans Dunsmuir et celle dcoulant
des rgimes lgislatifs de contrle judiciaire.
Une telle analyse permet de faire le point sur
lvolution rcente dans ce domaine complexe
du droit administratif canadien.

In Dunsmuir v. New Brunswick and Can-
ada (Minister of Citizenship and Immigration)
v. Khosa, the Supreme Court of Canada re-
cently re-examined the exercise of judicial re-
view in Canadian administrative law. The au-
thor evaluates the impact of these two decisions
in light of the motivations that led the Court to
modify certain fundamental elements of judicial
review.

The author begins by assessing the impact
of the Dunsmuir decision on procedural fair-
ness, an often ignored aspect of the decision.
The author then presents Dunsmuirs discus-
sion regarding the standard-of-review reform
through the concept of deference and its role in
administrative law. Finally, the Khosa decision
is used to present an analysis of the relation-
ship between the standard of review approach
introduced in Dunsmuir, and the standard of
review defined in legislative frameworks of ju-
dicial review. Such an inquiry allows the author
to outline recent developments and to clarify
the current state of the law in this complex do-
main of Canadian administrative law.

* Juge la Cour suprme du Canada. Ce texte est une version remanie dune allocution
prononce le 7 octobre 2009, lors dune confrence organise par lAssociation du Jeune
Barreau de Montral, et le 11 mars 2010, devant les juges de la Cour suprieure du
Qubec et de la Cour du Qubec.

Citation: (2010) 55 McGill L.J. 311 ~ Rfrence : (2010) 55 R.D. McGill 311

Louis LeBel 2010

312 (2010) 55 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

Introduction

I.

II.

Dunsmuir et lquit procdurale

Dunsmuir et les normes de contrle judiciaire
A. Rvision des normes de contrle
B. Rvision de la mthode pragmatique et fonctionnelle

III.

Larrt Khosa

Conclusion

313

313

318
319
322

325

327

DE DUNSMUIR KHOSA 313

Introduction

Lexamen de la jurisprudence rcente sur le contrle judiciaire en droit
administratif au Canada rend ncessaire une rflexion attentive sur cer-
tains principes fondamentaux du droit canadien. Par exemple, le concept
de dfrence, qui joue un rle si fondamental en droit administratif, im-
plique des aspects de la primaut du droit, de la sparation constitution-
nelle des pouvoirs et de la suprmatie lgislative. Lapplication de ces
principes fondamentaux na cependant pas permis de dvelopper aisment
un cadre cohrent pour lexercice de la fonction de contrle judiciaire,
comme en tmoigne lhistoire de celui-ci.

Larrt rcent de la Cour suprme du Canada dans Dunsmuir c. Nou-
veau-Brunswick1, rendu en mars 2008, ainsi que larrt Canada (Ministre
de la Citoyennet et de lImmigration) c. Khosa2, prononc en mars 2009,
ont examin les complexits du contrle judiciaire au Canada. Jentends
aborder la manire dont ces arrts ont modifi les perspectives du contrle
judiciaire.

Je mattaquerai dabord ltude de larrt Dunsmuir. Cette dcision a
permis la Cour de rexaminer lanalyse de contrle judiciaire et de re-
considrer les exigences de lquit procdurale lgard de la cessation de
lemploi des titulaires de charges publiques. Puisque cet aspect de Duns-
muir est souvent nglig, je commencerai mon analyse en rappelant
limpact de cet arrt sur les titulaires de charges publiques et sur les prin-
cipes de justice naturelle qui avaient t noncs dans larrt Knight c.
Indian Head School Division No. 193, en 1990.

I. Dunsmuir et lquit procdurale
Avant larrt Dunsmuir, les tribunaux maintenaient une distinction
nette entre les employs publics lis par un contrat rgulier demploi et
ceux qui taient titulaires dune charge publique. Seuls ces derniers
avaient droit lexcution dobligations dquit procdurale en cas de
renvoi. De plus, les jurisprudences canadienne et britannique avaient ta-
bli une distinction encore plus troite entre les titulaires de charges pu-
bliques qui pouvaient tre renvoys seulement pour motif et ceux qui ser-
vaient la Couronne son bon plaisir. On reconnaissait aux premiers des
droits lquit procdurale dans le cas de cessation de leur fonction. Au-

1 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, 291 D.L.R. (4e) 577 [Dunsmuir].
2 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, 304 D.L.R. (4e) 1 [Khosa].
3 [1990] 1 R.C.S. 653, 69 D.L.R. (4e) 489 [Knight avec renvois aux R.C.S.].

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cune obligation dquit ntait due aux seconds4. La distinction problma-
tique entre ces deux types de titulaires de charges publiques a t rejete
dans Knight. Dans ce jugement, la majorit de la Cour a dcid que le di-
recteur des services ducatifs dans une rserve indienne, qui occupait une
fonction au bon plaisir de son employeur, avait quand mme droit
lexcution dobligations dquit procdurale avant son renvoi5. La Cour a
constat la difficult de classer les titulaires de charges publiques dans
ces catgories prcises. Elle a aussi not limportance de sassurer que les
organismes administratifs exercent correctement leurs pouvoirs dlgus
et ce, mme lgard des employs quils engagent selon leur bon plaisir.
Ces facteurs ont amen la Cour reconnatre que des titulaires de char-
ges publiques, comme M. Knight, ont droit des protections procdurales
minimales, comme le droit dtre entendus, avant leur renvoi. Cependant,
malgr labolition dune partie de ces distinctions problmatiques, la Cour
a continu faire la distinction entre le statut des titulaires dune charge
publique et celui demploys lis par contrat, qui se situaient dans une re-
lation de matre et serviteur avec la Couronne, selon le langage un peu
dsuet quemployait Lord Reid dans larrt fondateur Ridge v. Baldwin6.
Dans larrt Knight, la Cour dcida que ladministration scolaire en
cause tait tenue des obligations substantielles de justice naturelle
lgard de lemploy en raison du caractre final de la dcision et de son
impact sur la vie professionnelle de lemploy et sur sa capacit gagner
sa vie. Pour excuter son obligation, lemployeur devait alors communi-
quer lemploy les motifs de son renvoi et lui donner une occasion de
sexpliquer avant de procder son congdiement. En
lespce,
ladministration scolaire avait respect ces deux obligations7. Le juge So-
pinka, crivant au nom de la minorit, navait pas voulu reconnatre
lexistence dune obligation dquit naturelle, mais avait exprim son ac-
cord avec la conclusion selon laquelle lemploy avait bnfici de toutes
les garanties procdurales pertinentes.
Dans larrt Dunsmuir, la Cour a en partie confirm, mais aussi par-
tiellement modifi, lapproche quelle avait adopte dans Knight. Tout
dabord, la Cour a confirm certains lments de la dcision Knight au su-
jet de lexistence des obligations gnrales dquit ou de justice naturelle
auxquelles sont tenus les dcideurs administratifs8. Tous les membres de

4 Voir Ridge v. Baldwin (1963), [1964] A.C. 40, [1963] 2 All E.R. 66 (H.L.) ; Nicholson c.
Haldimand-Norfolk Regional Police Commissionners, [1979] 1 R.C.S. 311, 88 D.L.R. (3e)
671.

5 Knight, supra note 3 aux pp. 675-76.
6 Supra note 4.
7 Knight, supra note 3 aux pp. 684-86.
8 Dunsmuir, supra note 1 au para. 81.

DE DUNSMUIR KHOSA 315

la Cour ont cependant abandonn la conception voulant que tous les titu-
laires dune charge publique aient droit lexcution dune obligation
dquit procdurale ou de justice fondamentale dans les questions relati-
ves leurs renvois, mais que cette obligation ne sapplique pas aux em-
ploys publics protgs par un contrat demploi. Si un contrat existe, le
rapport demploi demeure gouvern par le droit du contrat plutt que par
des principes de justice naturelle, et ce, mme si lemploy se trouve aussi
titulaire dune charge publique.

Larrt Dunsmuir abolit ainsi la distinction entre un titulaire dune
charge publique et un employ li par un contrat ordinaire. Il pousse en-
core plus loin la simplification de lanalyse du statut juridique de
lemploy public qui avait commenc dans larrt Knight9. Comme je lai
crit avec le juge Bastarache, cette distinction avait t difficile mainte-
nir. Elle laissait dans des zones grises et incertaines des groupes
demploys quil tait difficile de catgoriser, tels que les mdecins ratta-
chs au Service de sant publique ou les administrateurs de niveau in-
termdiaire dans les municipalits10.
Cependant, les difficults relatives la catgorisation des employs
lis par contrat et des titulaires de charges publiques ntaient pas seules
en cause. Des motifs de principe et des raisons dordre pratique justi-
fiaient cette rvaluation de larrt Knight. La nature mme des rgles de
justice naturelle tait en cause. En effet, celles-ci visent au moins en par-
tie protger les intresss contre lexercice arbitraire et illgitime de
lautorit des pouvoirs dlgus par la loi. Dans les cas o un employeur
renvoie son employ de bonne foi, conformment aux dispositions dun
contrat demploi, on conoit difficilement comment cette proccupation
peut tre pertinente. Un renvoi avec un pravis raisonnable ou pour un
motif suffisant ne parat pas en soi injuste11.
Dun point de vue plus pratique, les recours dun employ renvoy en
droit commun, quil sagisse de la common law ou du droit civil, peuvent
en ralit tre plus efficaces que ceux que reconnat le droit administratif.
En common law et en droit civil, par exemple, la priode de pravis tient
compte de facteurs divers tels que lge, la dure du service, lexprience
et la possibilit de retrouver un emploi analogue. Un employ public pour-
rait aussi obtenir des dommages additionnels dans le cas o son renvoi
aurait t motiv par la mauvaise foi, ainsi que sil reoit ou bnficie des

9 Ibid. aux para. 79-117.
10 Ibid. au para. 94.
11 Ibid. au para. 105.

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protections additionnelles des normes du travail ou des lgislations sur les
droits de la personne12.
linverse, les recours administratifs peuvent parfois entraner des
rsultats injustes pour lemployeur ou pour lemploy. Ainsi, une violation
de lquit fondamentale rend la dcision de renvoi nulle ds lorigine.
Lemploy rtablit alors la situation qui existait avant son renvoi et reoit
son salaire et ses indemnits pour le temps coul entre la dcision de
lemployeur et le jugement. Lemployeur peut cependant renvoyer
lemploy de nouveau, en respectant cette fois les exigences procdurales
imposes par les principes de justice fondamentale. Dautres considra-
tions, comme la possibilit pour lemploy de se trouver un autre emploi,
deviennent ce moment trangres lanalyse. Par ailleurs, lemployeur
ne saurait invoquer lobligation de lemploy de limiter le prjudice puis-
que des salaires impays ne sassimilent pas aux dommages-intrts. De
cette faon, il pourrait tre expos payer des traitements qui nauraient
pas d normalement tre verss, selon la dure des procdures judi-
ciaires13.

La Cour suprme du Canada tait fort consciente de ces questions
avant mme larrt Dunsmuir. Ainsi, dans Wells c. Terre-Neuve14, le titu-
laire dun emploi de la fonction publique avait t renvoy lorsquune loi
avait aboli son poste. Malgr le caractre lgislatif ou statutaire de sa re-
lation demploi, la Cour avait alors dcid que lemploy avait droit
dexercer les recours de common law pour violation de contrat la suite de
son renvoi. Le juge Major, crivant pour la Cour, avait alors soulign, fort
propos, les aspects contractuels importants de la relation juridique entre
le fonctionnaire et ltat :

Un examen fond sur le bon sens de ce que signifie le fait de travail-
ler pour le gouvernement tend indiquer que ces relations portent
toutes les marques dun contrat. Des ngociations donnent lieu une
entente et un emploi et engendrent des obligations excutoires
pour les deux parties. La Couronne agit en grande partie comme un
citoyen ordinaire le ferait, sengageant dans des relations commer-
ciales avantageuses pour les deux parties, tant avec des particuliers
quavec des socits. Bien que la Couronne puisse tre tenue de sui-
vre des lignes directrices prvues par la loi, le rsultat demeure
quand mme un contrat de travail15.

12 Ibid. aux para. 108, 111. Pour un jugement rcent sur lvaluation des dommages dans
le cas dun renvoi de mauvaise foi, voir Honda Canada c. Keays, 2008 CSC 39, [2008] 2
R.C.S. 362 aux para. 87-90, 294 D.L.R. (4e) 577, juge LeBel, dissident.

13 Dunsmuir, supra note 1 aux para. 108-109.
14 [1999] 3 R.C.S. 199, 177 D.L.R. (4e) 73 [Wells avec renvois aux R.C.S.].
15 Ibid. au para. 22.

DE DUNSMUIR KHOSA 317

De mme, certains auteurs ont exprim des rserves lgard des ten-
tatives de catgorisation stricte des employs publics comme titulaires de
charges publiques ou comme employs contrat. Ils ont dailleurs souli-
gn ltat incertain et insatisfaisant de la jurisprudence qui stait dve-
loppe dans ce domaine16.
Les conclusions de larrt Dunsmuir sur cette question de justice natu-

relle ne signifient toutefois pas quun employ public ne pourrait jamais
exercer des recours ou des droits provenant du droit administratif lorsque
son employeur met fin son emploi. En labsence dun contrat demploi,
un employ public pourrait toujours invoquer les principes dquit proc-
durale pour tenter de se protger contre un congdiement injuste. De
plus, les titulaires de fonctions de ltat rgies par la Constitution17, com-
me les juges, ont droit au respect de lobligation dquit naturelle puisque
la Constitution elle-mme, et non pas un simple contrat, dtermine les
lments essentiels de leurs rapports juridiques avec ltat18. De plus,
Dunsmuir reconnat toujours des droits lquit procdurale dans le cas
demploys publics qui remplissent rellement leurs fonctions au bon plai-
sir de la Couronne, en ce sens quon peut les renvoyer sommairement19.
Enfin, les dispositions mmes dune loi qui gouverne une relation demploi
peuvent tablir de telles obligations. Ainsi, lorsquune loi accorde certains
droits procduraux, il serait justifi de placer ces droits dans leur contexte
pour reconnatre implicitement leur titulaire certaines garanties proc-
durales qui sy rattachent habituellement20.
En rendant larrt Dunsmuir, la Cour suprme du Canada na jamais
voulu rduire limportance des principes de justice fondamentale dans le
droit administratif canadien. Comme je lai soulign avec le juge Bastara-
che, lquit procdurale demeure, pour la Cour, une pierre angulaire du
droit administratif canadien moderne21. Dailleurs, lexigence dquit pro-
cdurale demeure particulirement importante dans le contexte des rela-
tions demploi. Les remarques du juge Dickson, selon lesquelles un niveau

16 Voir David J. Mullan, Administrative Law, Toronto, Irwin Law, 2001 aux pp. 166-67 ;
Phyllis Norrie, Status and Contracts of Employment in the Field of Public Education
in Saskatchewan (1991) 55 Sask. L. Rev. 365.

17 Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., c. 3, reproduite dans L.R.C. 1985,

app. II, no 5 [Constitution].

18 Dunsmuir, supra note 1 au para. 115. Voir aussi Wells, supra note 14 au para. 31.
19 Dunsmuir, supra note 1 au para. 115.
20 Ibid. au para. 116. Dans Malloch v. Aberdeen Corp. ([1971] 1 W.L.R. 1578, [1971] 2 All
E.R. 1278 (H.L.)), la House of Lords dcida que lobligation lgale de donner un avis de
trois semaines dune proposition de renvoi tait rpute inclure un droit de faire des
reprsentations lassemble laquelle serait discute la proposition.

21 Dunsmuir, supra note 1 au para. 79.

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lev de justice procdurale est exig dans le cas des dcisions qui impli-
quent le droit de continuer exercer une profession, demeurent tout aussi
pertinentes quau moment de leur rdaction il y a trente ans22. cet effet,
Dunsmuir a tout simplement reconnu que ce niveau lev de justice natu-
relle peut tre atteint sans ncessairement recourir aux principes de droit
administratif. La justice procdurale ne peut tre considre comme fige
dans un contexte statique, incapable dvoluer. En rvaluant et en red-
finissant les situations dans lesquelles ces obligations dquit procdu-
rale sappliquent, notre Cour a reconnu la nature volutive de notre soci-
t et a voulu que la justice naturelle se dveloppe en accord avec les nor-
mes et valeurs modernes de cette dernire. La mise de ct par Dunsmuir
de lexigence que les titulaires de charges publiques soient ncessairement
titulaires dun droit lquit procdurale en cas de renvoi respecte la na-
ture juridique relle des emplois publics et tmoigne de la capacit
dadaptation du droit administratif canadien.

II. Dunsmuir et les normes de contrle judiciaire
Cette contribution importante de larrt Dunsmuir au dveloppement
de lquit procdurale et des principes de justice fondamentale a certai-
nement t occulte par la rvaluation des trois normes traditionnelles
de contrle judiciaire. Lintrt exprim dans la communaut juridique
propos de cette dcision se comprend bien. Dunsmuir a apport deux
changements importants au droit administratif dans ce domaine. Il a
dabord aboli les deux normes du manifestement draisonnable et du rai-
sonnable simpliciter pour y substituer une norme unique et unifie de ra-
tionalit. Ensuite, il a modifi la mthode dite pragmatique et fonction-
nelle pour en faire une mthode plus simple et plus holistique danalyse
de contrle judiciaire. Cette mthode doit tre utilise pour dterminer le
niveau de dfrence appropri lgard dun dcideur administratif.
Certes, il est encore tt pour valuer limpact de ces changements. Ce-
lui-ci sera dtermin avec le dveloppement de la jurisprudence dans les
cours de justice et les tribunaux administratifs. Ces changements ont t
faits dans lespoir quau terme de cette volution, se mette en place un
systme plus efficace de contrle judiciaire. Lavenir nous indiquera si cet
espoir tait raliste.

22 Kane c. Conseil dadministration de lUniversit de la Colombie-Britannique, [1980] 1

R.C.S. 1105 la p. 1113, 110 D.L.R. (3e) 311.

DE DUNSMUIR KHOSA 319

A. Rvision des normes de contrle
Le premier changement effectu par la Cour dans Dunsmuir a t de

fusionner les deux variations de la norme du draisonnable en un stan-
dard unique. Les critiques du maintien de la distinction entre les deux
normes de raisonnabilit sont bien connues. Je mtais exprim sur ce su-
jet dans mes motifs concurrents dans laffaire de Toronto (Ville de) c.
S.C.F.P., section locale 7923. Javais alors soulign que la norme du mani-
festement draisonnable tait au fond trop semblable celle du raisonna-
ble simpliciter. La distinction dpendait de paramtres vagues et inconsis-
tants qui affectaient sa mise en uvre. Quel niveau dexamen tait ap-
propri pour dcider quand une dcision pouvait tre qualifie de manifes-
tement draisonnable ? Quel degr dirrationalit une dcision devait-elle
atteindre pour justifier une intervention judiciaire24 ?

Les problmes de la mise en uvre dun systme fond sur des degrs
dirrationalit taient bien illustrs dans certaines remarques du profes-
seur David Mullan : Like uniqueness, irrationality either exists or does
not. There cannot be shades of irrationality. In other words, I defy any
judge or lawyer to provide a concrete example of the difference between the
merely irrational and the clearly irrational! 25.
Malgr tous les efforts des tribunaux dans des causes importantes
comme Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan26, ce dfi savrait peu
prs impossible relever. Les juristes, quils soient juges ou avocats, ren-
contraient de grandes difficults lorsquils tentaient de dterminer les ba-
ses conceptuelles des deux normes de rationalit. Ainsi, des remarques
caustiques du juge Berger, de la Cour dappel de lAlberta, avaient souli-
gn les difficults rsultant de la distinction entre le simplement et le
manifestement draisonnable. Il les qualifiait de twin obstacles of rea-
sonableness and patent unreasonableness which challenge the judicial
mind to, among other questionable nuances, distinguish between probing
and somewhat probing analyses 27. Ces rserves et ces difficults ont
amen la Cour suprme du Canada rvaluer lusage des trois normes

23 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77, 232 D.L.R. (4e) 385 [Toronto c. S.C.F.P.]. Voir aussi
Voice Construction Ltd. c. Construction & General Workers Union, Local 92, 2004 CSC
23, [2004] 1 R.C.S. 609 aux para. 39-41, 238 D.L.R. (4e) 217.

24 Toronto c. S.C.F.P., supra note 23 aux para. 101-34.
25 David J. Mullan, Recent Developments in Standard of Review dans Taking the Tri-
bunal to Court: A Practical Guide for Administrative Law Practitioners, Ontario, Cana-
dian Bar Association, 2000 la p. 25, tel que cit dans Toronto c. S.C.F.P., supra note
23 au para. 105.

26 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247, 223 D.L.R. (4e) 577.
27 Chauvet v. Alberta (Workers Compensation Board, Appeals Commission), 2007 ABCA

155, 409 A.R. 17 au para. 17, [2007] 8 W.W.R. 649.

320 (2010) 55 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

de contrle et introduire une nouvelle norme unique qui sappliquerait
en plus, videmment, de la norme dexactitude ou de correction.
cette tape, il est ncessaire de soulever une question apparemment
simple, mais en ralit difficile : quest-ce que le raisonnable ? Il sagit
dune question dlicate et fondamentale. Des volumes de science juridique
lui ont t consacrs dans peu prs tous les domaines du droit, puisquon
la retrouve dans bien dautres domaines que le droit administratif. Dans
le cas du contrle judiciaire, le concept de raisonnable se rattache primor-
dialement la notion de dfrence. Jai soulign dans une confrence an-
trieure que le concept de dfrence demeure mal compris en droit admi-
nistratif28. Pour les fins de mon propos, je tenterai de dfinir la dfrence
comme une attitude de respect pour lintention du lgislateur et pour la
capacit de dcision des tribunaux et des dcideurs administratifs. Ce
concept exige quune cour charge dexercer la fonction de contrle judi-
ciaire dmontre une attitude de respect authentique pour les dcisions des
lgislatures, pour leurs choix lgislatifs de dlguer des pouvoirs des
corps et tribunaux administratifs. De plus, cette notion exige que les cours
fassent preuve dune certaine sensibilit lgard des exigences de laction
des tribunaux administratifs et sachent prendre en compte le contexte
particulier dans lequel ces organismes exercent leurs fonctions29.
Cependant, cette exigence de dfrence ne signifie pas que la cour qui
procde un contrle judiciaire sur la base de la norme du raisonnable
doive identifier un degr particulier de dfrence30. En ralit, lorsquune
cour dcide que la norme du raisonnable sapplique, elle doit alors dcider
si le rsultat se situe bien dans un ensemble de rsultats possibles et ac-
ceptables, dfendables au regard des faits et du droit31. Avec le juge Bas-
tarache, jai soulign limportance, cet gard, des principes de justifica-
tion, de transparence et dintelligibilit pour dcrire la norme de contrle
des procdures et des dcisions du dcideur administratif : est-il possible
de justifier la procdure ou le rsultat au regard des faits et du droit rela-
tif la question ? La procdure de dcision est-elle demeure libre de
toute influence de facteurs externes qui nont pas t clairement articuls
ou dclars ? Le rsultat est-il comprhensible en tenant compte du
contexte factuel et juridique dans lequel il est survenu ? La dfrence,
tout comme le raisonnable, ne se prte pas aisment la quantification.

28 Voir Louis LeBel, Some Properly Deferential Thoughts on Deference (2008) 21 Can.

J. Admin. L. & Prac. 1.

29 Ibid. aux pp. 6-7.
30 Cette question a t souleve par le professeur Mullan. Voir David Mullan, Dunsmuir
v. New Brunswick, Standard of Review and Procedural Fairness for Public Servants:
Lets Try Again! (2008) 21 Can. J. Admin. L. & Prac. 117 la p. 135.

31 Dunsmuir, supra note 1 au para. 47.

DE DUNSMUIR KHOSA 321

Si une attitude de dfrence est justifie, la cour charge de la rvision ju-
diciaire doit examiner la matire soumise son contrle, en gardant
lesprit les idaux de justification de transparence et dintelligibilit, mais
en acceptant de sincliner devant une dcision rendue dans le respect de
ces idaux. Le concept de dfrence implique aussi la ncessit de recon-
natre quune question peut souvent recevoir plus dune rponse et que la
cour exerant le pouvoir de contrle devrait respecter un rsultat et un
processus dcisionnel qui se situent dans le domaine du raisonnable. La
cour de rvision ne devrait pas chercher imposer sa propre conception de
ce que serait ncessairement une meilleure solution lorsquune attitude
de dfrence simpose lgard dune dcision.

Par contre, si aucune dfrence ne se justifie, un contrle suivant la
norme de correction ou dexactitude sappliquera. cet gard, Dunsmuir
ne change rien la nature de la norme de la dcision correcte. En vertu de
celle-ci, la cour peut substituer sa propre opinion de la dcision approprie
celle quavait adopte le dcideur administratif32.

Les deux principes qui guident le contrle judiciaire, cest–dire le
respect de la rgle de droit et la suprmatie lgislative, sont implicites
dans la dfinition du concept de dfrence. Comme je lai crit avec le juge
Bastarache dans Dunsmuir, la primaut du droit est assure par le der-
nier mot quont les cours de justice en matire de comptence, et la su-
prmatie lgislative, par la dtermination de la norme de contrle appli-
cable en fonction de lintention du lgislateur 33. Dans lexercice de leurs
fonctions de rvision des dcisions administratives, les tribunaux doivent
chercher raliser un quilibre appropri entre la ncessit dassurer la
primaut de la rgle de droit et celle de reconnatre quil nest pas lgitime
pour les cours de justice dinterfrer avec les dcisions des lus et celles
des organismes administratifs uvrant lintrieur de leur autorit sta-
tutaire. Ladoption dune attitude approprie de dfrence, dans les cas
appropris, permet aux tribunaux de trouver lquilibre ncessaire entre
ces deux principes concurrents34.

Larrt Dunsmuir affecte cette recherche dquilibre de plusieurs fa-
ons. Dabord, ce jugement raffirme la primaut du droit lorsquil rejette
la norme du manifestement draisonnable. En effet, celle-ci lgitimait des
dcisions draisonnables, mais qui ne ltaient pas suffisamment pour jus-
tifier autrement lintervention35. Larrt souhaite plutt que les tribunaux
remplissent pleinement le rle constitutionnel de protection contre

32 Ibid. au para. 50.
33 Ibid. au para. 30.
34 Voir LeBel, supra note 28 aux para. 3-4.
35 Dunsmuir, supra note 1 au para. 42.

322 (2010) 55 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

lexercice illgal et arbitraire du pouvoir statutaire. En mme temps, il in-
siste sur le respect de la suprmatie du lgislateur en raffirmant
limportance de la dfrence dans lexercice du contrle judiciaire de
laction administrative. En effet, le concept de dfrence exige la recon-
naissance du fait que les tribunaux et les dcideurs administratifs jouent
des rles fort diffrents lintrieur du systme constitutionnel cana-
dien36. De cette manire, Dunsmuir maintient le principe de la sparation
des pouvoirs en protgeant les organismes fonctionnant sous une autorit
lgislative contre des interventions inappropries dans des matires qui
leur auront t confies par les lgislatures.

B. Rvision de la mthode pragmatique et fonctionnelle

Dunsmuir a apport un deuxime changement au droit du contrle ju-
diciaire. Il a rvis la mthode pragmatique et fonctionnelle quavait in-
troduite larrt Bibeault37 et que larrt Pushpanathan avait prcise38.
Les juges de la Cour se sont entendus pour reconnatre quun rexamen
de la mthode pragmatique et fonctionnelle simposait. Lapplication de
cette mthode exigeait beaucoup dnergie et de capacit de divination des
avocats lorsquils essayaient de prdire le rsultat de sa mise en uvre
dans une affaire donne. Comme je lavais affirm dans mes motifs
concurrents dans larrt Chamberlain, lapplication mcanique de cette
mthode, telle une srie de facteurs vrifier lun aprs lautre, comme si
elle faisait partie dune sorte de liste, ntait ni pragmatique, ni fonction-
nelle39.
Au moment de larrt Dunsmuir, un membre de la Cour avait toutefois
exprim son scepticisme lgard du changement de nom dune formule
qui demeurait, son avis, toujours essentiellement la mme, malgr les
modifications que proposait ce jugement dans le cadre de sa rvision des
mthodes de contrle judiciaire40. Toutefois, la modification de la mthode
pragmatique et fonctionnelle par la majorit de la Cour impliquait beau-
coup plus quun changement de nom. Lapproche propose par la majorit
part dune perspective plus holistique. Elle demande la cour de rvision
de dcider si elle doit adopter une attitude de dfrence lgard dune ca-

36 Ibid. aux para. 48-49.
37 U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, 95 N.R. 161 [Bibeault].
38 Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyennet et de lImmigration), [1998] 1

R.C.S. 982, 160 D.L.R. (4e) 193 [Pushpanathan].

39 Chamberlain c. Surrey School District No. 36, 2002 CSC 86, [2002] 4 R.C.S. 710 au

para. 195, 221 D.L.R. (4e) 156 [Chamberlain].

40 Dunsmuir, supra note 1 au para. 121, juge Binnie.

DE DUNSMUIR KHOSA 323

tgorie particulire de dcisions administratives, par un examen de tous
les facteurs pertinents vus dans leur ensemble.

La mthode de contrle judiciaire comprend alors deux tapes.
Dabord, la cour de rvision dtermine si une catgorie de dcision a dj
t examine par les tribunaux. Si la jurisprudence indique quune norme
particulire sapplique cet gard, le tribunal pourrait alors ladopter
sans effectuer une analyse complte. En effet, la jurisprudence peut com-
prendre plusieurs exemples de la norme approprie pour des catgories
particulires de questions. Ainsi, la norme de la dcision raisonnable de-
vrait tre un choix peu prs automatique quand une cour examine des
questions de fait, de politique ou de discrtion, dans les questions mixtes
de fait et particulirement celles o les faits et le droit sont difficiles dis-
socier41. La prsence dune clause privative suggre aussi fortement que la
norme du raisonnable sapplique, mme si elle nest pas dterminante ou
dcisive en soi42. La jurisprudence existante confirme aussi lexistence de
plusieurs cas o lexpertise dun tribunal spcialis justifiera lapplication
de la norme du raisonnable, mme lgard de questions de droit. Cette
application se justifie lorsque le tribunal interprte sa loi constitutive ou
traite de questions de droit ou de lgislation, lgard desquelles il pos-
sde une exprience et des connaissances spcifiques43. Par contre, un cer-
tain nombre de questions de droit exigeraient lapplication de la norme de
la dcision correcte. Comme je lai crit dans Toronto c. S.C.F.P., certaines
questions de droit de nature gnrale peuvent tre dimportance centrale
pour le systme juridique dans son ensemble et se situer hors du domaine
dexpertise dun dcideur spcialis. De telles questions devraient tre d-
cides correctement44. De mme, une cour suprieure a le droit de substi-
tuer son opinion celle du tribunal au sujet des questions constitutionnel-
les, dans le respect des fonctions dvolues aux cours suprieures en vertu
des articles 96 101 de la Constitution45.

La majorit dans Dunsmuir souligne galement que de vritables
questions de comptence ou de constitutionnalit seraient gnralement
des matires lgard desquelles les cours suprieures devraient appli-
quer la norme de la dcision correcte. Cependant, en reconnaissant
lexistence de vritables questions de comptence, la Cour ne veut pas fai-
re revivre les dbats qui ont marqu la jurisprudence avant larrt

41 Ibid. au para. 53.
42 Ibid. au para. 52.
43 Ibid. au para. 52.
44 Toronto c. S.C.F.P., supra note 23 au para. 62.
45 Dunsmuir, supra note 1 au para. 58 ; Constitution, supra note 17.

324 (2010) 55 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

S.C.F.P. c. Socit des alcools du Nouveau-Brunswick46, en 1979. Elle ne
veut pas inviter les tribunaux intervenir indment dans les dcisions
des tribunaux et des corps administratifs. Dunsmuir sattache plutt
souligner limportance pour les tribunaux administratifs de bien dfinir
les limites des dlgations dautorit qui leur ont t faites. Les tribunaux
administratifs doivent alors tablir les paramtres de leurs actions correc-
tement pour viter les interventions des cours suprieures. Le mme rai-
sonnement sappliquera lutilisation de la norme de la dcision correcte
au rglement des problmes de conflits de juridiction entre des tribunaux
spcialiss47. Cependant, ce type dintervention exige une interprtation
robuste de la comptence du dcideur contrl. Il faut viter de qualifier
de question de comptence toutes les matires autres que la question
troite qui consiste dterminer si une matire se situe bien lintrieur
des pouvoirs dlgus un dcideur administratif48.
En labsence de jurisprudence susceptible dorienter le tribunal, celui-
ci doit sengager dans la seconde tape de la mthode de contrle. Dans ce
cas, une cour doit effectuer une analyse contextuelle qui prend en compte
plusieurs facteurs : lexistence dune clause privative, lobjectif de la cra-
tion de lorganisme, la nature de la question pose et lexpertise de
lorganisme administratif. Lanalyse de contrle judiciaire doit viter
lexamen mcanique de chacun de ces facteurs. Chacun de ceux-ci nest
pas ncessairement pertinent dans un cas particulier. Je souligne que lon
doit les considrer de manire contextuelle, en donnant parfois prsance
au facteur qui parat le plus pertinent une analyse particulire49. Dans
une opinion minoritaire, la juge Deschamps a suggr, cet gard, quon
devrait porter une attention particulire la nature mme de la question
examine50. La majorit de la Cour na cependant pas voulu tablir une
hirarchie dans limportance des facteurs considrer. La norme de
contrle judiciaire demande une cour dadopter une attitude holistique
qui prend en compte les principes fondamentaux sous-jacents
lidentification du choix dune norme de contrle, le maintien de la pri-
maut du droit et le respect de la suprmatie lgislative. Elle invite aller
au cur de la matire et viter des dbats indment complexes sur la
formulation de la norme de contrle.

46 [1979] 2 R.C.S. 227, 97 D.L.R. (3e) 417 [S.C.F.P. avec renvois aux R.C.S.].
47 Dunsmuir, supra note 1 au para. 61.
48 Ibid. au para. 59. Voir aussi S.C.F.P., supra note 46 la p. 233.
49 Dunsmuir, supra note 1 au para. 64.
50 Ibid. aux para. 158-66.

Par

ailleurs,

DE DUNSMUIR KHOSA 325

judiciaire52.

III. Larrt Khosa
Dunsmuir traitait du contrle judiciaire de common law. Il navait tou-
tefois pas examin le problme des rapports de celui-ci avec les rgimes
lgislatifs de contrle judiciaire que lon retrouverait dans des lois fdra-
les ou provinciales. Limportance de ce problme dpend largement de la
nature des dispositions lgislatives en question. Par exemple, on retrou-
vait ce type de problme dans lapplication de la Loi sur les Cours fdra-
les51, qui accorde une comptence gnrale la Cour fdrale dans le
contrle de laction des organismes administratifs fdraux. La Cour su-
prme du Canada navait pas eu alors examiner ses dispositions et no-
tamment celles de son article 18.1. Celui-ci paraissait dfinir des cas par-
ticuliers dans lesquels la cour devrait ou non exercer son pouvoir de
contrle
en Colombie-Britannique,
lAdministrative Tribunals Act prvoyait que le contrle judiciaire relatif
certains sujets devait sexercer suivant la norme du manifestement drai-
sonnable53. Cependant, la loi elle-mme ne dfinissait pas la norme du
manifestement raisonnable et sen remettait la common law sur ce su-
jet54.
Dans Khosa, la Cour suprme du Canada a t confronte au pro-
blme des rapports entre le contrle judiciaire prvu par la Loi sur les
Cours fdrales et le contrle judiciaire de common law. Notre Cour sest
alors prononce sur larticulation entre les dispositions de larticle 18.1 de
la Loi sur les Cours fdrales et la mthode danalyse prescrite dans larrt
Dunsmuir. En bref, lopinion majoritaire a conclu que les dispositions de
larticle 18.1 de la Loi sur les Cours fdrales ncartaient pas la mthode
danalyse recommande par larrt Dunsmuir55. Des opinions concurrentes
quant au rsultat de lappel, mais dissidentes sur ce point, estimaient plu-
tt que la loi cartait le contrle judiciaire de common law et que la Loi
sur les Cours fdrales tablissait non seulement des cas dintervention,
mais aussi des normes de contrle56.

Le pourvoi portait sur une demande de contrle judiciaire en vertu de
larticle 18.1 de la Loi sur les Cours fdrales contre une dcision dun tri-
bunal administratif, la Section dappel de limmigration de la Commission

51 L.R.C. 1985, c. F-7.
52 Ibid., art. 18.1.
53 Administrative Tribunals Act, S.B.C. 2004, c. 45, art. 58-59.
54 Pour un commentaire sur linteraction entre cette loi et Dunsmuir, voir Mark Underhill,
Dunsmuir v. New Brunswick: A Rose by Any Other Name … (2008) 66 Advocate 343
la p. 350.

55 Khosa, supra note 2 aux para. 26, 36.
56 Ibid. au para. 69, juge Rothstein, au para. 138, juge Deschamps.

326 (2010) 55 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

de limmigration et du statut de rfugi. En lespce, Khosa, un immigrant
reu trs jeune en rsidence permanente au Canada, avait t dclar
coupable de ngligence criminelle causant la mort et condamn une pei-
ne demprisonnement de deux ans moins un jour. En raison de cette
condamnation, le gouvernement fdral ordonna son renvoi dans son pays
dorigine, lInde. Khosa forma un appel administratif devant la Section
dappel de limmigration. Il demanda celle-ci dannuler le renvoi et
dautoriser la continuation de son sjour au Canada, en prenant des me-
sures spciales pour des motifs dordre humanitaire en vertu de larticle
67 de la Loi sur limmigration et la protection des rfugis57.

La Section dappel rejeta la demande et confirma lordre de renvoi.
Khosa prsenta alors une demande de contrle judiciaire devant la Cour
fdrale en vertu de larticle 18.1 de la Loi sur les Cours fdrales. Le juge
de premire instance conclut que la norme du manifestement draisonna-
ble gouvernait la dcision de la Section et rejeta la demande de contrle
qui soulevait, selon lui, principalement des questions dapprciation de la
preuve. Khosa interjeta appel devant la Cour dappel fdrale. La majorit
de celle-ci conclut que la norme applicable tait celle du raisonnable et
que la Section dappel avait effectu une analyse draisonnable de la
preuve. En consquence, elle annula la dcision attaque.

Laffaire fut porte devant la Cour suprme du Canada par le ministre
de la Citoyennet et de lImmigration. Une des questions principales d-
battues loccasion devant notre Cour fut celle de la nature du systme de
contrle judiciaire applicable lexamen de la dcision de la Section
dappel. Selon certaines prtentions, larticle 18.1(4) de la Loi sur les
Cours fdrales dterminait le cadre de lintervention des cours fdrales.
Il nautorisait pas lemploi de la mthode de common law, rvise par
larrt Dunsmuir. linverse, une autre argumentation voulait que le re-
cours la mthode danalyse pragmatique et fonctionnelle, comme lavait
modifie larrt Dunsmuir, demeurait pertinent. La Cour suprme du Ca-
nada se divisa loccasion de cet appel. Une majorit endossa lopinion du
juge Binnie, selon laquelle la Loi sur les Cours fdrales dterminait des
cas dintervention, mais ne dfinissait pas des normes de contrle. Selon
cette opinion, la Loi sur les Cours fdrales nexcluait pas la mthode
danalyse de larrt Dunsmuir. La majorit dcida que la norme du rai-
sonnable sappliquait et confirma la dcision de la Section dappel. Deux
juges, les juges Rothstein et Deschamps, conclurent que la codification du
rgime de contrle judiciaire dans la Loi sur les Cours fdrales cartait le
rgime de common law. Cependant, ils reconnurent la validit de la dci-
sion de la Section dappel, puisque Khosa navait pas tabli lexistence de

57 L.C. 2001, c. 27.

DE DUNSMUIR KHOSA 327

lun des cas dintervention judiciaire prvus par la Loi sur les Cours fd-
rales.
Larrt Khosa confirme la validit de lapproche adopte dans Duns-

muir. Il retient lexistence de deux normes de contrle. Il reconnat la va-
lidit et la pertinence de la mthode danalyse prescrite dans cet arrt, en
prsence de rgles lgislatives comme celles qudicte la Loi sur les Cours
fdrales. Surtout, il raffirme limportance du concept de dfrence dont
la pertinence ne dpend pas seulement de la prsence dune clause priva-
tive. Larrt Khosa admet que dans les cas appropris, la cour de rvision
sincline devant les choix interprtatifs de certaines rgles de droit,
lvaluation de la preuve et les solutions adoptes par le dcideur soumis
au contrle judiciaire58. Cette solution ne rejette pas compltement la lgi-
timit du pluralisme juridique dans les limites acceptes par larrt
Dunsmuir. Larrt carte ainsi lapproche prne par les juges Rothstein
et Deschamps, qui aurait impos un contrle dexactitude lgard de tou-
tes les questions de droit en labsence dune clause privative suffisamment
explicite et forte.

Conclusion
Khosa marque ainsi une tape importante dans le dveloppement du
cadre juridique du contrle judiciaire la suite de larrt Dunsmuir. Tou-
tefois, je le qualifie toujours dtape, puisque la longue histoire du contrle
judiciaire et de lvolution de cette partie du droit administratif nest sans
doute pas termine. Les arrts Dunsmuir et Khosa sont des moments
dune recherche dun systme de contrle judiciaire plus simple et plus ef-
ficace, destin assurer non seulement lefficacit des procdures admi-
nistratives, mais galement le respect des principes fondamentaux de
lordre juridique et constitutionnel canadien. Quel sera le terme de cette
route ? Je lignore. Le temps et notre exprience nous le diront. Vous au-
rez, sans aucun doute, loccasion de contribuer largement au droulement
de cette histoire.

58 Khosa, supra note 2 aux para. 25-26.