Article Volume 56:1

De Genève à Doha : genèse et évolution du traitement spécial et différencié des pays en développement dans le droit de l’OMC

Table of Contents

McGill Law Journal ~ Revue de droit de McGill

DE GENVE DOHA : GENSE ET VOLUTION DU
TRAITEMENT SPCIAL ET DIFFRENCI DES PAYS EN

DVELOPPEMENT DANS LE DROIT DE LOMC

Charles-Emmanuel Ct*

This article documents the origins and
evolution of differential treatment in interna-
tional economic law, using a discussion of inter-
national development law as a backdrop, in or-
der to shed light on the transformations that
this concept has undergone. This study is man-
dated not only because the concept of develop-
ment has been redeployed in the work of inter-
national organizations, but also because of the
perspective adopted in the current Doha Round
of WTO negotiations. It is also mandated be-
cause differential treatment has materialized in
international environmental law under the new
label of common but differentiated responsibili-
ties. An undeniable sign of juridical vitality,
the concept of differential treatment continues
to seep into the customary practices of states
and into new areas of international law, such as
areas relating to the diversity of cultural ex-
pressions.

The author begins by outlining the emer-
gence of the concept of differential treatment
within the United Nations. He then analyzes
how the concept was received in the law of the
multilateral commercial system, from its origins
to the creation of the WTO, and goes on to ex-
amine the application of differential treatment
by WTO members, paying special attention to
the Generalized System of Preferences, which is
one of its main modes of application. Finally,
the author outlines the prospects for the evolu-
tion of differential treatment in light of the cur-
rent Doha Round of negotiations.

Cet article a pour objectif de documenter la
gense et lvolution du traitement diffrenci en
droit international conomique, avec en filigrane
une discussion sur le droit international du
dveloppement, afin dclaircir les transformations
quil a pu subir. Cette tude simpose au vu du
redploiement du concept de dveloppement
dans laction des organisations internationales
ainsi que dans la perspective des ngociations en
cours lOMC dans le cadre du cycle de Doha.
Elle simpose aussi parce que le traitement
diffrenci sest matrialis en droit international
de lenvironnement, sous lappellation nouvelle des
responsabilits communes mais diffrencies .
Signe dune incontestable vitalit juridique, le
concept de traitement diffrenti continue de
sinsinuer dans la pratique conventionnelle des
tats et dans de nouvelles sphres du droit
international comme celle relative la diversit
des expressions culturelles.

Lauteur rappelle dabord lmergence du
concept de traitement diffrenci dans lenceinte
des Nations Unies. Ensuite, la rception du
concept dans le droit du systme commercial
multilatral est analyse, de ses origines la
cration de lOMC. Lapplication du traitement
diffrenci par les membres de lOMC est ensuite
tudie avec une attention particulire pour le
Systme gnralis de prfrences (SGP) qui est
lune de ses principales modalits dapplication.
Finalement,
les perspectives dvolution du
concept de traitement diffrenci sont esquisses
la lumire des ngociations qui se droulent
actuellement dans le cadre du cycle de Doha.

* Professeur adjoint la Facult de droit de lUniversit Laval, DCL (McGill). Lauteur
remercie sa collgue la professeure Kristin Bartenstein pour ses commentaires ainsi
que le professeur Alain Pellet. Lauteur demeure bien entendu le seul responsable de
toute erruer ou omission qui pourrait subsister.

Citation: (2010) 56:1 McGill LJ 115 ~ Rfrence : (2010) 56 : 1 RD McGill 115

Charles-Emmanuel Ct 2010

116 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

Introduction

Lmergence du concept de traitement diffrenci
dans lenceinte des Nations Unies
A. Les premiers travaux de la CNUCED
B. Lendossement par lAssemble gnrale des

Nations Unies

La rception du concept de traitement diffrenci
dans le systme commercial multilatral
A. Le traitement diffrenci dans le GATT de 1947 et

la naissance du droit international du dveloppement
1. Le postulat galitaire du GATT de 1947 et sa remise
en question
2. Lajout de la partie IV du GATT de 1947 et les

premires manifestations du traitement diffrenci

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131

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I.

II.

III.

3. La Clause dhabilitation et la conscration du traitement

diffrenci

4. Le traitement diffrenci dans la leve des obstacles non

tarifaires au commerce

B. La continuation du traitement diffrenci dans les

accords de lOMC et ses transformations

Lapplication du concept de traitement diffrenci dans
le systme commercial multilatral
A. Lapplication au moyen du Systme gnralis de

prfrences (SGP)
1. Lacquis et les difficults des schmas nationaux de

prfrences

2. Laffaire CE Prfrences tarifaires et lvolution

du concept de dveloppement

B. Les autres applications du traitement diffrenci et les

difficults quelles comportent
1. Linapplication de la clause volutive
2. La contre-productivit du principe de non-rciprocit
3. Le traitement diffrenci entre pays en dveloppement

et le Systme global des prfrences commerciales
(SGPC)

4. Les accords commerciaux rgionaux entre pays en

dveloppement

5. Le traitement diffrenci drogatoire ad hoc de Lom

Cotonou

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DE GENVE DOHA 117

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176

IV.

Les perspectives dvolution du concept de traitement
diffrenci dans le systme commercial multilatral
A. La dconstruction du droit international du dveloppement

et le traitement diffrenci

B. Le traitement diffrenci lheure du cycle de Doha

Conclusion

118 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

Introduction

Plus que jamais, limpratif du dveloppement mobilise laction des
organisations internationales. La dcennie 2001-2010 a t place sous le
signe des Objectifs du Millnaire pour le dveloppement par lAssemble
gnrale des Nations Unies1. Le cycle de ngociations commerciales multi-
latrales, lanc en 2001 Doha et se poursuivant toujours, est appel
Programme de Doha pour le dveloppement par lOrganisation mon-
diale du commerce (OMC)2. La Confrence des Nations Unies sur le com-
merce et le dveloppement (CNUCED) continue se runir tous les
quatre ans depuis sa premire runion de Genve en 1964. La CNUCED
XII, qui a eu lieu en 2008 Accra, portait sur le thme des perspectives et
enjeux de la mondialisation pour le dveloppement. Le Secrtariat de la
CNUCED publie galement un rapport annuel extrmement fouill sur
les rapports entre commerce et dveloppement3, en plus davoir largi son
champ dactivit linvestissement tranger direct4. De son ct, le Con-
seil des droits de lhomme a mis sur pied un groupe de travail qui cherche
oprationnaliser le droit au dveloppement, droit proclam en 1986 par
lAssemble gnrale5. Plusieurs confrences et sommets mondiaux ont
t convoqus sous lgide des Nations Unies au cours des quinze der-
nires annes sur le thme du dveloppement, quil sagisse de la Conf-
rence internationale du Caire sur la population et le dveloppement6, du

1 Dclaration du Millnaire, Rs AG 55/2, Doc off AG NU, 55e sess, supp n 49, Doc NU

A/55/49 (2001) 4.

2 OMC, Dclaration ministrielle, OMC Doc WT/MIN(01)/DEC/1 (2001), 4e sess [Dclara-

tion de Doha].

3 Voir par ex CNUCED, Trade and Development Report, 2009: Responding to the Global

Crisis. Climate Change Mitigation and Development, New York, Nations Unies, 2009.

4 Voir par ex CNUCED, World Investment Report, 2009: Transnational Corporations,

Agricultural Production and Development, New York, Nations Unies, 2009.

5 Dclaration sur le droit au dveloppement, Rs AG 41/128, Doc off AG NU, 41e sess,
supp n 53, Doc NU A/41/53 (1987) 196 ; Conseil des droits de lhomme, Rapport du
groupe de travail sur le droit au dveloppement sur les travaux de sa neuvime session,
Doc off AG NU, 9e sess, Doc NU A/HRC/9/17 (2008). Voir Stephen Marks, The Human
Right to Development: Between Rhetoric and Reality (2004) 17 Harv Hum Rts J 137 ;
Azzouz Kerdoun, Le droit au dveloppement en tant que droit de lhomme : porte et
limites (2004) 17 : 1 RQDI 73 ; Maurice Kamto, Retour sur le droit au dveloppe-
ment au plan international : Droit au dveloppement des tats ? (1999) 11 : 1 RUDH
1 ; Georges Abi-Saab, Le droit au dveloppement (1988) 44 Ann suisse dr int 9 ; Re-
n-Jean Dupuy, dir, Le droit au dveloppement au plan international, Alphen aan den
Rijn, Sijthoff & Noordhoff, 1980 ; Jean-Jacques Israel, Le droit au dveloppement
(1983) 87 : 1 RGDIP 5.

6 Rapport de la Confrence internationale sur la population et le dveloppement, Doc off

NU, 1994, Doc NU A/CONF.171/13 (1995).

DE GENVE DOHA 119

Sommet mondial de Copenhague pour le dveloppement social7, de la
Troisime Confrence des Nations Unies sur les pays les moins avancs8,
de la Confrence internationale de Monterrey sur le financement du dve-
loppement9, du Sommet mondial de Johannesburg sur le dveloppement
durable10 ou encore du Sommet mondial de 2005 sur les suites donner
aux textes issus du Sommet du Millnaire11.

Le concept de dveloppement est polysmique et son acception sest
largie, enrichie et complexifie au fil du temps. Avec la confrence de
Bandoung de 1955 et llan quelle a donn aux revendications du tiers-
monde et au mouvement de la dcolonisation, qui a fait accder
lindpendance des dizaines de pays sous-dvelopps, le dveloppement
sest longtemps entendu comme un concept strictement conomique12. Il
sagissait darticuler un discours visant inflchir le droit international
pour quil se mette au service du dveloppement conomique des pays du
Sud, dans le respect de leur souverainet chrement gagne. La principale
technique juridique qui a t employe dans les relations conomiques in-
ternationales pour tenir compte de limpratif du dveloppement est celle
du traitement diffrenci des pays en dveloppement, qui consiste mo-
duler leurs obligations conventionnelles en fonction du niveau et des be-
soins de leur dveloppement13. Cette matrialisation juridique du discours
du dveloppement classique sest dabord ralise dans le systme com-
mercial multilatral, non sans subir par la suite linfluence de lvolution
ultrieure du concept de dveloppement.
Ce discours du dveloppement, son articulation dans les rsolutions de
lAssemble gnrale des Nations Unies et dautres institutions interna-

7 Rapport du Sommet mondial pour le dveloppement social, Doc off NU, 1995, Doc NU

A/CONF.166/9.

8 Rapport de la Troisime Confrence des Nations Unies sur les pays les moins avancs,

Doc off AG NU, 2001, Doc NU A/CONF.191/13.

9 Rapport de la Confrence internationale sur le financement du dveloppement, Doc off

NU, 2002, Doc NU A/CONF.198/11.

10 Rapport du Sommet mondial pour le dveloppement durable, Doc off NU, 2002, Doc NU

A/CONF.199/20.

11 Document final du Sommet mondial de 2005, Rs AG NU 60/1, Doc off AG NU, 60e sess,

supp n 49, Doc NU A/60/49 (2006) 3.

12 Voir gnralement Odette Guitard, Bandoung et le rveil des peuples coloniss, 3e d,
Paris, Presses Universitaires de France, 1969 ; Arthur Conte, Bandoung : Tournant de
lhistoire (18 avril 1955), Paris, Robert Laffont, 1965.

13 Voir Kristin Bartenstein et Charles-Emmanuel Ct, Le traitement diffrenci au
service du dveloppement durable : une rponse juridique approprie aux ingalits
entre tats ? , Colloque sur les ingalits dans le systme mondial : science politique,
philosophie et droit, prsent au Centro Brasileiro de Anlise e Planejamento, So Pau-
lo, Brsil, 4 septembre 2009 [non publi].

120 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

tionales ainsi que les inflchissements rels qua connus le droit interna-
tional positif pour le mettre en uvre ont donn naissance, dans les an-
nes 1960, une discipline juridique nouvelle, dfendue surtout par la
doctrine franaise14. Cette cole franaise du droit international du dve-
loppement sest efforce de thoriser ces actions et ces initiatives interna-
tionales. Elle les a rassembles et les a organises dans un cadre concep-
tuel juridique nouveau et cohrent. Elle a voulu voir au sein du systme
commercial multilatral la naissance dun rgime juridique parallle pour
les pays en dveloppement, faisant merger une nouvelle branche du droit
international public, indpendante du droit international conomique. Le
traitement diffrenci tait la pierre de touche de cette nouvelle discipline
juridique. Cet effort doctrinal et la discipline du droit international du d-
veloppement ont finalement implos sous la pression combine des muta-
tions qua connues le concept de dveloppement et de lvolution de la so-
cit internationale. La thorisation juridique de la multitude dactions et
dinitiatives internationales visant promouvoir le dveloppement appa-
rat maintenant tre insoutenable. Lcole franaise du droit international
du dveloppement a vcu et constitue dsormais un jalon de lhistoire du
droit international public au vingtime sicle15.
Avec la prise de conscience des limites cologiques de la plante et
lmergence du droit international de lenvironnement, travers les dcla-
rations des premires confrences mondiales sur la question, le concept de
dveloppement a effectivement commenc connatre des mutations fon-
damentales16. Cette volution ne sest pas produite de manire linaire ou
uniforme. En effet, partir de la conscration du concept de dveloppe-
ment durable dans le rapport Brundtland de 1987, le concept de dvelop-
pement a connu une volution protiforme : son contenu sest enrichi et
son acception sest complexifie17. Lide-force derrire le dveloppement

14 Voir le texte correspondant la note 72.
15 Voir Pierre-Marie Dupuy, Droit international public, 8e d, Paris, Dalloz, 2006 aux no
601, 614 ; Ahmed Mahiou, International Law of Development dans Rdiger Wol-
frum, dir, The Max Planck Encyclopedia of Public International Law, New York, Oxford
University Press, 2008, en ligne : Max Planck Encyclopedia of Public International Law
.

16 Voir Dclaration de la Confrence des Nations Unies sur lenvironnement dans Rap-
port de la Confrence des Nations Unies sur lenvironnement, Doc off NU, 1972, Doc NU
A/CONF.48/14/Rev.1 (1973) 3 ; Dclaration de Rio sur lenvironnement et le dvelop-
pement dans Rapport de la Confrence des Nations Unies sur lenvironnement et le d-
veloppement, Doc off NU, 1992, Doc NU A/CONF.151/26/REV.1 (Vol I) (1993) 2. Voir
gnralement Jean-Maurice Arbour et Sophie Lavalle, Droit international de
lenvironnement, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2006.

17 Voir Commission mondiale sur lenvironnement et le dveloppement, Notre avenir
tous, Montral, ditions du Fleuve, 1988 ; Kristin Bartenstein, Les origines du con-
cept de dveloppement durable [2005] RJE (3e) 289.

DE GENVE DOHA 121

durable est quil est dsormais impensable de parler strictement de dve-
loppement conomique sans le concilier avec les limites cologiques de la
plante. Le dveloppement doit rpondre aux besoins du prsent sans
compromettre la capacit des gnrations futures de rpondre aux
leurs 18. Aprs le dveloppement durable, lexpression dveloppement
humain est galement apparue en 1990, dans les travaux du Programme
des Nations Unies pour le dveloppement (PNUD) sur lvaluation du ni-
veau de dveloppement des tats19. Lexpression dveloppement social a
aussi t consacre par la tenue du sommet mondial de Copenhague au
milieu des annes 1990. Dun instrument international lautre, dune or-
ganisation internationale lautre, le concept de dveloppement cultive
une certaine ambigut sur son acception exacte. Alors que la conception
classique du dveloppement renvoyait clairement aux rapports Nord-Sud,
le concept, tel quil volue, semble avoir fait clater la grille danalyse uni-
dimensionnelle. Dornavant, il renvoie galement la protection de
lenvironnement, la promotion des droits de lhomme et la construction
de ltat de droit au sein dune collectivit, dimensions qui transcendent
la division Nord-Sud.

La plupart des organisations internationales sintressent dsormais
lune ou lautre des acceptions du dveloppement. La promotion du dve-
loppement peut tre soit sa mission centrale, soit lune des missions ou
lun des objectifs connexes qui sest greff ses fonctions principales. Sans
en faire un inventaire exhaustif, il faut souligner que plusieurs commis-
sions techniques ou organes du Conseil conomique et social des Nations
Unies oeuvrent de manire transversale ou sectorielle sur le concept de
dveloppement20. Outre la CNUCED, les acteurs classiques du dvelop-
pement dans le systme onusien sont toujours pied duvre, quil
sagisse par exemple du PNUD, de lOrganisation des Nations Unies pour
le dveloppement industriel (ONUDI), du Fonds international de dvelop-
pement agricole (FIDA) ou encore de la Banque mondiale et du Fonds
montaire international (FMI). Plusieurs autres institutions spcialises
des Nations Unies se sont galement saisies du dveloppement comme ob-
jectif orientant laccomplissement de certaines de leurs fonctions.

18 Arbour et Lavalle, supra note 16 la p 69.
19 Voir PNUD, Rapport mondial sur le dveloppement humain 2009. Lever les barrires :

Mobilit et dveloppement humains, New York, PNUD, 2009.

20 Voir par ex la Commission de la population et du dveloppement, la Commission du
dveloppement social, la Commission de la science et de la technique au service du d-
veloppement, la Commission du dveloppement durable, le Groupe intergouverne-
mental dexperts composition non limite en matire dnergie et de dveloppement
durable, ainsi que le Comit des politiques du dveloppement.

122 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

Malgr ce foisonnement institutionnel autour du concept de dvelop-
pement, son intgration relle dans le droit international positif demeure
rare. La rception et lapplication de la technique juridique du traitement
diffrenci des pays en dveloppement dans le systme commercial multi-
latral reste ce jour lune de ses manifestations les plus dynamiques
dans les relations internationales. Comment rconcilier le fait que la fin
du droit international du dveloppement a t annonce avec le fait que le
traitement diffrenci des pays en dveloppement est toujours prsent
dans le droit de lOMC ? Lobjet de cette tude est de documenter la ge-
nse et lvolution du traitement diffrenci en droit international cono-
mique, avec en filigrane une discussion sur le droit international du dve-
loppement pour claircir les transformations quil a pu subir. Lexpression
gnrique traitement diffrenci est employe de manire gnrale dans
cette tude pour dsigner la technique juridique qui consiste moduler les
obligations des membres de lOMC en fonction des besoins de leur dve-
loppement. La terminologie utilise dans le systme commercial multila-
tral sest modifie dans les textes juridiques, pour finalement se stabili-
ser avec lexpression traitement spcial et diffrenci21. Lexpression trai-
tement diffrenci est nanmoins utilise dans cette tude pour permettre
dtudier la technique aux diffrents stades de son volution, ce qui signi-
fie quelle doit tre comprise comme correspondant au traitement spcial
et diffrenci du droit de lOMC.
Cette tude simpose au vu du redploiement du concept de dvelop-
pement dans laction des organisations internationales ainsi que dans la
perspective des ngociations en cours lOMC dans le cadre du cycle de
Doha, qui portent entre autres sur le traitement diffrenci. Elle simpose
aussi parce que le traitement diffrenci sest matrialis en droit inter-
national de lenvironnement sous lappellation nouvelle des responsabili-
ts communes mais diffrencies22. Lapplication du traitement diffrenci
dans le rgime juridique sur les changements climatiques est actuelle-
ment lun des principaux enjeux sur lequel butent les ngociations sur la
rforme de ce rgime conventionnel23. Ltude de la gense et de
lvolution du traitement diffrenci dans le droit de lOMC peut aussi
contribuer ltude transversale de cette technique. Signe dune incontes-
table vitalit juridique, le concept continue de sinsinuer dans la pratique

21 Voir texte correspondant la note 109.
22 Voir gnralement Kristin Bartenstein, De Stockholm Copenhague : gense et vo-
lution des responsabilits communes mais diffrencies en droit international de
lenvironnement (2010) 56 : 1 RD McGill 177.

23 Voir Sophie Lavalle, Le principe des responsabilits communes mais diffrencies
Rio, Kyoto et Copenhague : Essai sur la responsabilit de protger le climat (2010) 42 :
1 tudes internationales 51.

DE GENVE DOHA 123

conventionnelle des tats et dans de nouvelles sphres du droit interna-
tional, comme celle relative la diversit des expressions culturelles24.

Lmergence du concept de traitement diffrenci dans lenceinte des
Nations Unies est rappele dans la premire partie, o limportance des
travaux de la CNUCED et lvolution du discours onusien sur la question
sont soulignes (I). La rception du concept dans le droit du systme
commercial multilatral est analyse dans la deuxime partie, de ses ori-
gines la cration de lOMC (II). Lapplication du traitement diffrenci
par les membres de lOMC est tudie dans la troisime partie, avec une
attention particulire pour le Systme gnralis de prfrences (SGP),
qui est lune de ses principales modalits dapplication (III). Finalement,
les perspectives dvolution du concept de traitement diffrenci sont es-
quisses la lumire des ngociations qui se droulent actuellement dans
le cadre du cycle de Doha (IV).

I. Lmergence du concept de traitement diffrenci dans lenceinte des

Nations Unies

A. Les premiers travaux de la CNUCED

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et de la mise en place de
lOrganisation des Nations Unies (ONU), la Commission conomique pour
lAmrique latine (CEPAL) sest rapidement impose comme le porte-voix
des pays en dveloppement, sous limpulsion particulire de son premier
Secrtaire excutif, lconomiste et haut fonctionnaire argentin Ral Pre-
bisch25. Les travaux de ce dernier ont voulu dmontrer que le systme
commercial multilatral alors naissant ainsi que les thories conomiques

24 Convention sur la protection et la promotion de la diversit des expressions culturelles,
20 octobre 2005, RT Can 2007 n 8, art 16 (entre en vigueur : 18 mars 2007) [Conven-
tion]. La Confrence des Parties de la Convention a rcemment approuv des directives
oprationnelles concernant larticle 16 qui prvoit un traitement prfrentiel pour les
pays en dveloppement dans le but de faciliter les changes culturels avec ceux-ci :
Approbation de directives oprationnelles pour la mise en uvre de la Convention et
futures activits du Comit dans Confrence des parties la Convention sur la protec-
tion et la promotion de la diversit des expressions culturelles, Rs UNESCO 2.CP.7, Doc
off UNESCO, 2e sess, Doc NU CE/09/2.CP/210/7 (2009).

25 Rapport de la Commission spciale charge dtudier le projet de cration dune commis-
sion conomique pour lAmrique latine, Rs CES 106 (VI), Doc off CES NU, 1948, Doc
NU E/712/Rev.1 (1948). Voir Anne-Sophie Savignat, Les premiers travaux de Raul
Prebisch la CEPAL (2001) 29 : 113-114 Mondes en Dveloppement 13. En 1984, la
dnomination de la CEPAL est devenue CEPALC, pour Commission conomique pour
lAmrique latine et les Carabes : Composition, mandat et programme de travail de la
Commission conomique pour lAmrique latine, Rs CES 1984/67, Doc off CES NU, 2e
sess, supp n 1A, Doc NU E/1984/84/Add.1 19.

124 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

librales sur lesquelles il reposait dsavantageaient structurellement les
pays de la priphrie au profit des pays du centre. Les pays en dvelop-
pement taient vous demeurer des exportateurs de produits de base
vers les pays industrialiss dans des conditions de moins en moins profi-
tables, selon la thorie critique de la dtrioration des termes de
lchange 26.
Avec le mouvement de la dcolonisation et laccession lindpendance
dun grand nombre de pays en dveloppement, les revendications de
lAmrique latine ont trouv, au tournant des annes 1960, une rsonance
universelle et lAssemble gnrale des Nations Unies a pu sen saisir,
alors quelle devenait la tribune du tiers-monde. En continuit avec les
travaux de la CEPAL, lAssemble gnrale a voulu poursuivre la r-
flexion sur les liens entre commerce et dveloppement dans une enceinte
qui ntait pas domine par les pays industrialiss, comme lavait t jus-
qualors le systme commercial multilatral mis en place par lAccord g-
nral sur les tarifs douaniers et le commerce27 de 1947. Elle a convoqu la
premire Confrence des Nations Unies sur le commerce et le dveloppe-
ment (CNUCED) Genve en 1964, avec Ral Prebisch comme Secrtaire
gnral. En prparation de cette premire CNUCED, Prebisch a rdig un
rapport fondamental qui a jet les bases non seulement des travaux de la
confrence, mais aussi des revendications du tiers-monde qui ont culmin,

26 Voir notamment CEPAL, The Economic Development of Latin America and its Princip-
al Problems, Lake Success (NY), United Nations Department of Economic Affairs, 1950.
Sur les critiques du milieu acadmique contre les premires nonciations de la thorie
de la dtrioration des termes de lchange, voir Savignat, supra note 25 la p 13.

27 30 octobre 1947, 55 RTNU 187 (entre en vigueur : 1er janvier 1948) [GATT de 1947].
Une version consolide du GATT de 1947 intgrant toutes les modifications qui lui ont
t apportes a t publie dans le vol IV IBDD (1969) 1. Toutes les rfrences ult-
rieures au GATT de 1947 renvoient au texte consolid, moins que le contexte
nindique le contraire. Les parties contractantes originelles du GATT de 1947 qui lont
appliqu les premires au moyen du Protocole dapplication provisoire (Protocole por-
tant application provisoire de lAccord gnral sur les tarifs douaniers et le commerce, vol
IV IBDD (1969) 82, art 1 [Protocole dapplication provisoire]), sont lAustralie, la Bel-
gique, le Canada, Cuba, les tats-Unis, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas et le
Royaume-Uni, rejoints plus tard en 1948 par le Brsil, la Birmanie (Myanmar), le Cey-
lan (Sri Lanka), lInde, la Norvge, la Nouvelle Zlande, le Pakistan, la Rhodsie du
Sud (Zimbabwe), lUnion Sud-africaine (Afrique du Sud), puis par le Chili (1949), le Da-
nemark (1950), la Dominique (1950), la Finlande (1950), la Grce (1950), Hati (1950),
lIndonsie (1950), lItalie (1950), le Nicaragua (1950), la Tchcoslovaquie (Rpublique
Tchque et Slovaquie) (1950), la Sude (1950), lAllemagne (1951), lAutriche (1951), le
Prou (1951), la Rpublique dominicaine (1951), la Turquie (1951), lUruguay (1953) et
le Japon (1955). Voir OMC, 128 pays taient signataires du GATT en 1994, en ligne :
OMC .

DE GENVE DOHA 125

une dcennie plus tard, avec celles prnant linstauration dun nouvel
ordre conomique international28.

Le rapport Prebisch synthtisait la pense conomique de son auteur
et formulait des recommandations spcifiques pour rtablir lquit dans
le systme commercial multilatral29. Le GATT de 1947 tait fond sur
lgalit souveraine de ses parties contractantes, ce qui signifiait que peu
importe leur niveau de dveloppement conomique, celles-ci taient toutes
soumises aux mmes obligations juridiques30. Une des critiques princi-
pales du rapport Prebisch visait prcisment liniquit fondamentale du
systme commercial multilatral qui consistait traiter de manire gale
des pays ingaux sur le plan conomique. cette iniquit factuelle, le
rapport recommandait une rponse juridique, soit ltablissement dun r-
gime particulier pour le commerce des pays en dveloppement. Ce rgime
serait caractris par la non-rciprocit des engagements dans les ngo-
ciations commerciales multilatrales, par un traitement prfrentiel pour
les pays en dveloppement, ainsi que par la cration daccords commer-
ciaux rgionaux entre ceux-ci31. Il sagissait de prvoir un double rgime
normatif, tenant compte du niveau de dveloppement conomique de
ltat, afin de rtablir lquit dans le fonctionnement du systme com-
mercial multilatral.
Cette ide-phare na pas russi simposer lors de la premire
CNUCED, qui a recommand que les relations commerciales internatio-
nales et les politiques commerciales soient rgies par une srie de prin-
cipes gnraux et de principes particuliers. Si lacceptation gnrale du
principe de non-rciprocit a pu tre constate32, le Huitime principe g-
nral concernant les prfrences tarifaires en faveur des pays en dvelop-
pement a t rejet par les pays dvelopps, empchant la CNUCED de

28 Ral Prebisch, Vers une nouvelle politique commerciale en vue du dveloppement
dans Actes de la Confrence des Nations Unies sur le commerce et le dveloppement, Doc
off CES NU, 1964, Doc NU E/CONF.46/141, vol II (1965) 5.

29 Voir Guy Feuer et Herv Cassan, Droit international du dveloppement, 2e d, Paris,
Dalloz, 1991 aux no 415-16 ; FV Garca-Amador, The Emerging International Law of
Development: A New Dimension of International Economic Law, New York, Oceana,
1990 aux pp 95-98 ; Alain Pellet, Le droit international du dveloppement, Paris,
Presses Universitaires de France, 1978 aux pp 42-53.

30 Voir texte correspondant la note 61.
31 Prebisch, supra note 28 aux pp 69-70.
32 Principes directeurs rgissant les politiques tarifaires et autres appliquer aux ar-
ticles manufacturs et aux articles semi-finis des pays en voie de dveloppement dans
Actes de la Confrence des Nations Unies sur le commerce et le dveloppement, Doc off
CES NU, 1964, annexe A.III.4, Doc NU E/CONF.46/141, vol I (1965) 42 au para 5.

126 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

prendre des mesures particulires son sujet33. Celle-ci a d se rsoudre
ne recommander que la cration dun comit des prfrences, charg de
rconcilier les positions des pays dvelopps et des pays en dveloppe-
ment, afin de mettre au point la meilleure mthode possible dapplication
du principe des prfrences tarifaires34.
Le bras de fer entre pays du Nord et pays du Sud sest rsolu par la

victoire de ces derniers et lacceptation gnrale du principe de prf-
rences tarifaires. Les travaux sur le concept de traitement diffrenci ont
t repris New Delhi en 1968, lors de la deuxime CNUCED, avec un
accord unanime sur linstauration du SGP35. Les objectifs gnraux du
SGP ont pu tre fixs, mais les travaux pour en prciser les dtails ont t
confis au Comit spcial des prfrences cr cette fin et ont d se
poursuivre jusquen 1970, avant que cette premire oprationnalisation
du traitement diffrenci ne voie le jour et que les discussions sur son in-
tgration dans le systme commercial multilatral ne puissent commen-
cer sur la base des arrangements labors la CNUCED36.
cette rivalit avec le GATT de 1947, dans lapproche juridique pour
gouverner le systme commercial multilatral, sest ajoute une rivalit
institutionnelle. LAssemble gnrale a dcid de prenniser
la
CNUCED, en faisant delle un de ses organes subsidiaires, et celle-ci est
rapidement devenue le forum international privilgi pour discuter des

33 Voir Huitime principe gnral et Troisime principe particulier, Principes gnraux
et principes particuliers dans Actes de la Confrence des Nations Unies sur le com-
merce et le dveloppement, Doc off CES NU, 1964, annexe A.I.1, Doc NU
E/CONF.46/141, vol I, (1965), 20 aux pp 22, 25.

34 Prfrences dans Actes de la Confrence des Nations Unies sur le commerce et le dve-
loppement, Doc off CES NU, 1964, annexe A.III.5, Doc NU E/CONF.46/141, vol I (1965),
44.

35 Admission prfrentielle ou en franchise des exportations darticles manufacturs et
darticles semi-finis des pays en voie de dveloppement dans les pays dvelopps, Rs
CNUCED 21(II), Doc off CNUCED NU, 2e sess, Doc NU TD/97/v 1 (1968) 41 [Admission
prfrentielle ou en franchise].

36 Voir Feuer et Cassan, supra note 29 au no 493 ; Georges Merloz, La CNUCED : Droit
international et dveloppement, Bruxelles, Bruylant, 1980 aux pp 189-90 ; Milan
Bulaji, Principles of International Development Law: Progressive Development of the
Principles of International Law Relating to the New International Economic Order, 2e
d, Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1993 aux pp 289-91. Le Comit spcial des prfrences
a finalement russi adopter des conclusions concertes sur le SGP en 1970. Ces ar-
rangements, qui constituent le principal instrument international ayant donn corps au
SGP, ont immdiatement reu laval du Comit du commerce et du dveloppement au
moyen dune dcision adoptant le rapport du Comit spcial et prenant note de ses con-
clusions concertes : Conclusions concertes du Conseil spcial des prfrences, Doc off
CNUCED CCED, 10e sess, supp n 6A, Doc NU TD/B/329/Rev.1 (1970) 1 [Conclusions
concertes] ; Systme gnralis de prfrences, Dc CNUCED CCED 75 (S-IV), Doc off
CNUCED CCED, 4e sess extra, supp n 1, Doc NU TD/B/332 (1970) 1.

DE GENVE DOHA 127

questions touchant au commerce et au dveloppement37. Le monopole du
GATT de 1947 sur le systme commercial multilatral fut doublement
branl par la disparition du Vieux-GATT, ce club slect de pays indus-
trialiss quil tait ses dbuts, qui fut provoque par ladhsion de plu-
sieurs pays en dveloppement nouvellement indpendants ainsi que par
lmergence de la CNUCED comme nouveau forum dans le domaine co-
nomique38. Le GATT de 1947 ne pouvait plus ignorer les revendications
des pays en dveloppement et particulirement celle visant lintgration
du traitement diffrenci dans les rgles gouvernant le systme commer-
cial multilatral. Les premiers travaux de la CNUCED sont devenus
dautant plus persuasifs quils
furent rapidement endosss par
lAssemble gnrale des Nations Unies.

B. Lendossement par lAssemble gnrale des Nations Unies

Le concept de traitement diffrenci pour les pays en dveloppement
et les recommandations de la CNUCED concernant ltablissement dun
rgime juridique particulier pour le commerce Nord-Sud ont par la suite
t systmatiquement repris, explicits et dvelopps par lAssemble g-
nrale des Nations Unies dans ses grandes dclarations sur le dveloppe-
ment. Il faut toutefois noter que cet intrt pour le traitement diffrenci
na pas toujours eu la mme intensit. Sil a atteint son paroxysme au mi-
lieu des annes 1970 avec la revendication dun nouvel ordre conomique
international, force est de constater que lintrt pour le traitement diff-
renci sest amenuis dans le discours des Nations Unies depuis la fin de
la Guerre froide et lavnement de la mondialisation.
Dans sa Stratgie internationale du dveloppement pour la deuxime
Dcennie des Nations Unies pour le dveloppement39, en 1970, lAssemble
gnrale des Nations Unies a pris le relais de la CNUCED pour recom-
mander la mise en uvre le plus rapidement possible des arrangements

37 Constitution de la Confrence des Nations Unies sur le commerce et le dveloppement en
tant quorgane de lAssemble gnrale, Rs AG 1995 (XIX), Doc off AG NU, 19e sess,
supp n 15, Doc NU A/5815 (1965) 1.

38 Cette aspiration de la CNUCED devenir une organisation gnrale du commerce tait
dautant plus menaante que lassise institutionnelle du GATT de 1947 tait bancale,
puisque ce dernier ne prvoyait pas linstitution dune organisation internationale et
que son Secrtariat et le Conseil du GATT remplissaient informellement cette fonction
depuis lchec de lOrganisation internationale du commerce. Charles-Emmanuel Ct,
La participation des personnes prives au rglement des diffrends internationaux co-
nomiques : llargissement du droit de porter plainte lOMC, Bruxelles, Bruylant, 2007
aux pp 36-38. Voir Charte de La Havane instituant une organisation internationale
du commerce dans Acte final de la Confrence des Nations Unies sur le commerce et
lemploi, 24 mars 1948, RT Can 1948 n 32 la p 3 (jamais entre en vigueur).

39 Rs AG 2626(XXV), Doc off AG NU, 25e sess, supp no 28, Doc NU A/8028 (1971) 43.

128 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

sur le SGP40. Elle appelait aussi la ngociation et la mise en uvre de
plans dintgration rgionale entre pays en voie de dveloppement41.

La mfiance des pays en dveloppement envers le GATT de 1947 et
laffirmation du concept de traitement diffrenci dans le systme com-
mercial multilatral ont t au cur du discours de lAssemble gnrale
sur linstauration dun nouvel ordre conomique international. La dclara-
tion de 1974 affirmait que ce nouvel ordre devait tre fond sur le plein
respect du principe du [t]raitement prfrentiel et sans rciprocit pour
les pays en voie de dveloppement, chaque fois que cela est faisable, dans
tous les domaines de la coopration conomique internationale chaque fois
que cela est possible 42. Son programme daction cet effet appelait
lapplication, lamlioration et llargissement du SGP. Il appelait gale-
ment suivre les principes de non-rciprocit et du traitement prfren-
tiel en faveur des pays en voie de dveloppement dans les ngociations
commerciales multilatrales43. Il faisait aussi la promotion de lintgration
conomique rgionale entre pays en voie de dveloppement et enjoignait
ces derniers accorder un traitement prfrentiel aux importations en
provenance de leurs pairs44.

Le discours des Nations Unies sur le nouvel ordre conomique inter-
national a atteint son paroxysme avec ladoption de la controverse
Charte des droits et devoirs conomiques des tats45, la mme anne, qui
affirmait entre autres que les tats ont le devoir de prendre des mesures
destines assurer des avantages supplmentaires pour le commerce in-
ternational des pays en voie de dveloppement 46. De faon moins con-
traignante, la Charte prvoyait aussi que les tats devraient accorder,
amliorer et largir le SGP et envisager srieusement dadopter dautres

40 Ibid au para 32.
41 Ibid au para 39.
42 Dclaration concernant linstauration dun nouvel ordre conomique international, Rs
AG 3201(S-VI), Doc off AG NU, 6e sess extra, supp no 1, Doc NU A/9559 (1974) 3 au pa-
ra 4(n).

43 Programme daction concernant linstauration dun nouvel ordre conomique internatio-
nal, Rs AG 3202(S-VI), Doc off AG NU, 6e sess extra, supp no 1, Doc NU A/9559 (1974)
5 au para I(3)(a)(x).

44 Ibid au para VII(1)(c), (e).
45 Rs AG 3281(XXIX), Doc off AG NU, 29e sess, supp no 31, Doc NU A/9631 (1975) 53
[Charte]. Cette rsolution de lAssemble gnrale des Nations Unies a t rejete par
les pays dvelopps, dont six sy sont opposs et dix se sont abstenus lors du vote pour
des motifs tournant davantage autour des dispositions concernant lexpropriation et la
nationalisation que de celles sur le traitement diffrenci dans le systme commercial
multilatral. Voir Andreas F Lowenfeld, International Economic Law, 2e d, Oxford, Ox-
ford University Press, 2008 aux pp 489-94.

46 Charte, supra note 45, art 14.

DE GENVE DOHA 129

mesures oprationnalisant le traitement diffrenci47. En lien avec
lintgration conomique rgionale, elle proclamait enfin le droit des pays
en voie de dveloppement daccorder des prfrences commerciales exclu-
sivement leurs pairs sans en tendre le bnfice aux pays dvelopps48.

Lanne suivante, en 1975, alors que lAssemble gnrale voulait
apaiser les tensions entre pays dvelopps et pays en dveloppement sur
les questions conomiques, celle-ci a adopt une rsolution qui cherchait
rtablir un certain consensus et faisait des recommandations prcises
lgard du traitement diffrenci49. Elle prconisait la rduction ou
llimination des obstacles non tarifaires, lgard des produits dont
lexportation prsente un intrt particulier pour les pays en dveloppe-
ment, sur une base diffrentielle et plus favorable pour ces derniers. Elle
souhaitait galement que lintgration du SGP dans le systme commer-
cial multilatral, ralise en 1971 par le GATT de 1947, soit prolonge au-
del de la priode de dix ans initialement prvue. Elle appelait enfin pour
la premire fois les pays dvelopps faire preuve de modration dans
lapplication de droits compensateurs aux importations de produits sub-
ventionns en provenance des pays en dveloppement.
Dans sa Stratgie internationale du dveloppement pour la troisime
Dcennie des Nations Unies pour le dveloppement50 de 1980, lAssemble
gnrale a raffirm son soutien au concept de traitement diffrenci
travers les mesures spcifiques quelle prnait51. Elle rclamait une appli-
cation plus effective du traitement diffrenci dans le systme commercial
multilatral ainsi que la ngociation de rductions ou llimination pro-
gressive des restrictions aux importations en provenance des pays en d-
veloppement, spcialement en ce qui concerne les obstacles tarifaires et
les obstacles au commerce des produits agricoles et des produits tropi-
caux. Elle renouvelait son soutien envers le SGP, quelle considrait tre
un moyen daction long terme en faveur des pays en dveloppement,
ainsi que son dsir de voir ces derniers favoriser et intensifier leurs
changes mutuels.

La fin de la Guerre froide allait entraner une rupture avec le discours
antrieur des Nations Unies sur le dveloppement conomique. La d-

47 Ibid, art 18, 19.
48 Ibid, art 21.
49 Dveloppement et coopration conomique internationale, Rs AG 3362(S-VII), Doc off

AG NU, 7e sess extra, supp no 1, Doc NU A/10301 (1976) 3 aux para 8-9.

50 Rs AG 35/56, Doc off AG NU, 35e sess, supp n 48, Doc NU A/35/48 (1981) 123.
51 Ibid aux para 52-54, 60, 63, 64, 67. Il faut noter le changement terminologique opr
par lAssemble gnrale compter de cette rsolution qui remplace lexpression consa-
cre de pays en voie de dveloppement par celle de pays en dveloppement.

130 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

tente des relations internationales, la fin des rivalits idologiques et un
nouveau consensus sur les questions conomiques et politiques ont amen
lAssemble gnrale soutenir moins activement le traitement diffren-
ci dans le systme commercial multilatral. Dans sa Dclaration sur la
coopration conomique internationale, en particulier la relance de la
croissance conomique et du dveloppement dans les pays en dveloppe-
ment52, adopte au printemps 1990, lAssemble gnrale na fait aucune
mention explicite du traitement diffrenci53. Elle sest contente de souli-
gner le caractre vital de la conclusion du cycle dUruguay afin dassurer
un accs largi aux marchs internationaux pour les exportations des
pays en dveloppement. Puis, elle a raffirm limportance des principes
sur lesquels repose le systme commercial multilatral, sans les nommer,
pour atteindre cet objectif, ainsi que celle de lintgration conomique r-
gionale pour les pays en dveloppement.
Dans la Stratgie internationale du dveloppement pour la quatrime
Dcennie des Nations Unies pour le dveloppement54, adopte la fin de
lanne 1990, le concept de traitement diffrenci est rapparu dans le
discours de
lAssemble gnrale, mais avec moins demphase
quauparavant55. LAssemble gnrale proclamait quun systme com-
mercial multilatral fond sur les principes de non-discrimination et de
transparence tait la condition pour rsoudre les problmes urgents des
pays en dveloppement. Puis, dans un langage plus oblique que celui
quelle emploie habituellement, lAssemble gnrale dclarait quil fallait
tenir compte dans la pratique du fait que [l]es rgles du systme com-
mercial international admettent la ncessit dun traitement diffrenci et
favorable pour les pays en dveloppement [nos italiques]56. Elle a cepen-
dant raffirm plus clairement son soutien envers le SGP en appelant
son application effective et son amlioration, ainsi que son souhait de
voir se multiplier les accords dintgration conomique entre pays en d-
veloppement.

La Dclaration du Millnaire57 constitue le plus rcent jalon de la
construction du discours onusien sur le dveloppement. Dans ce texte
adopt en 2000, lAssemble gnrale des Nations Unies ne rserve plus
que la portion congrue au traitement diffrenci, mais il est vrai que

52 Rs AG S-18/3, Doc off AG NU, 18e sess extra, supp no 2, Doc NU A/S-18/15 (1991) 5.
53 Ibid aux para 32, 34.
54 Rs AG 45/199, Doc off AG NU, 45e sess, supp n 49, Doc NU A/45/49 (1991) 134 [Stra-

tgie pour la quatrime Dcennie].

55 Ibid aux pp 46, 48(b)(f), 49.
56 Ibid au para 48(b).
57 Supra note 1.

DE GENVE DOHA 131

lacception du dveloppement sy trouve grandement largie, recouvrant
ses dimensions conomiques, humanitaires, scuritaires, sociales et envi-
ronnementales. Elle part du constat quil faut maintenant accepter la
mondialisation en tant que ralit afin quelle devienne une force posi-
tive pour lhumanit tout entire , tout en reconnaissant que les pays en
dveloppement doivent surmonter des difficults particulires pour faire
face ce dfi majeur 58. Parmi les cibles atteindre pour mettre en place
un partenariat mondial pour le dveloppement, lAssemble gnrale d-
signe la mise en place [d]un systme commercial et financier multilat-
ral ouvert, quitable, fond sur le droit, prvisible et non discriminatoire
[nos italiques]59. Le traitement diffrenci ny est mentionn quen ce qui
concerne les pays les moins avancs (PMA), les pays industrialiss tant
invits adopter une politique dadmission en franchise de douane et hors
quota pour la quasi-totalit des produits exports par les PMA60. Aucune
autre mention du traitement diffrenci nest faite par lAssemble gn-
rale.
Ces travaux de la CNUCED et de lAssemble gnrale des Nations
Unies, ainsi que tous les instruments internationaux quelles ont adopts,
nont jamais eu quun caractre purement recommandatoire et ne rele-
vaient que du droit international prospectif. Cest dabord dans le droit in-
ternational conomique que le concept de traitement diffrenci a pu
sancrer vritablement dans le droit international positif, ralisant dans
une certaine mesure les vux de lAssemble gnrale quil sintgre au
systme commercial multilatral.

II. La rception du concept de traitement diffrenci dans le systme

commercial multilatral

A. Le traitement diffrenci dans le GATT de 1947 et la naissance du droit

international du dveloppement

1. Le postulat galitaire du GATT de 1947 et sa remise en question

Les rgles qui gouvernaient le systme commercial multilatral mis en
place par le GATT de 1947 postulaient lgalit de ses parties contrac-
tantes. Ce postulat galitaire, classique en droit international, se tradui-
sait par une galit juridique. Par exemple, le principe de la non-
discrimination dans
internationales

58 Stratgie pour la quatrime Dcennie, supra note 54 au para 5.
59 Ibid au para 13.
60 Ibid au para 15.

commerciales

les

relations

132 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

sappliquait toutes les parties contractantes. Une de ses dclinaisons, la
clause de la nation la plus favorise (clause NPF), signifie que tous les
tats doivent tre traits de la mme manire par la politique commer-
ciale de chaque partie contractante, rendant illicite tout traitement de fa-
veur pour les pays en dveloppement61. Par ailleurs, la conduite des ngo-
ciations tarifaires, qui visaient rduire progressivement les droits de
douane, tait fonde sur un principe de rciprocit puisque le systme re-
pose sur lquilibre des concessions tarifaires faites par chaque partie con-
tractante.
Le texte original du GATT de 1947 ne comportait quune seule disposi-

tion touchant la question du dveloppement conomique. Cette disposi-
tion, sous le contrle du Conseil du GATT, permettait exceptionnellement
aux parties contractantes de protger leurs industries naissantes au
moyen de mesures non discriminatoires incompatibles avec leurs obliga-
tions62. Elle a t modifie en 1955 dans une premire rforme du texte du
GATT de 1947 pour tenir compte des besoins des pays en dveloppement,
largissant ainsi sa porte et assouplissant le contrle de son applica-
tion63. La modification a pour lessentiel cr un rgime juridique prf-
rentiel pour limposition de restrictions quantitatives par les pays en d-
veloppement afin de rtablir lquilibre de leur balance des paiements. Ce
rgime sest cependant avr largement insuffisant pour pallier aux pro-
blmes vcus par les pays en dveloppement dans le systme commercial
multilatral.
Avant mme la premire CNUCED, les parties contractantes du
GATT de 1947 avaient entrepris certains travaux pour se pencher sur la
problmatique du statut des pays en dveloppement dans le systme
commercial multilatral. Cette prise en considration demeurait cepen-
dant minimale et sa principale ralisation a t la publication en 1958 du
rapport dun groupe dexperts, prsid par lconomiste autrichien Gott-
fried Haberler, mandat pour rflchir la question64. Si le rapport Ha-

61 GATT de 1947, supra note 27, art I(1).
62 Ibid, art XVIII. Voir Dominique Carreau et Patrick Juillard, Droit international cono-

mique, 3e d, Paris, Dalloz, 2007 au no 670 sur la porte limite de cette disposition.

63 Protocole portant amendement du prambule et des parties II et III de lAccord gnral
sur les tarifs douaniers et le commerce, 10 mars 1955, 278 RTNU 169. Cette disposition
a aussi fait lobjet dune dcision des parties contractantes en 1979, lissue du cycle de
Tokyo, qui prvoyait que les pays en dveloppement pourraient lappliquer avec une la-
titude additionnelle (Mesures de sauvegarde des fins de dveloppement, GATT Doc
L/4897, supp n 26 IBDD (1980) 230).

64 GATT, Lvolution du commerce international : Rapport dun groupe dexperts, Genve,
GATT, 1958 ; Feuer et Cassan, supra note 29 au no 419. Sur lintgration des pays en
dveloppement au systme commercial multilatral, voir gnralement Mohamed Lotfi
MRini, De La Havane Doha : Bilan juridique et commercial de lintgration des pays

DE GENVE DOHA 133

berler ne parlait pas du concept de traitement diffrenci, concept qui de-
vait natre quelques annes plus tard lONU, il recommandait toutefois
que les besoins spcifiques des pays en dveloppement soient pris en con-
sidration dans les ngociations tarifaires conduites sous les auspices du
GATT de 1947. Cette recommandation a t suivie et a fait lobjet dun
programme daction adopt en 1963 par les parties contractantes,
linitiative dun groupe de pays en dveloppement. Ce programme daction
tait dabord destin encadrer les ngociations tarifaires alors en cours,
mais les parties contractantes ont convenu du mme souffle quil tait n-
cessaire que le GATT de 1947 se dote dun cadre juridique et institution-
nel adquat pour traiter de la problmatique du statut des pays en dve-
loppement dans le systme commercial multilatral65. Toutefois, la dci-
sion ministrielle de 1963 envisageait dj la ncessit dexaminer
durgence dautres mesures et a prvu ce titre la mise sur pied dun
groupe de travail sur les prfrences tarifaires66.

2. Lajout de la partie IV du GATT de 1947 et les premires manifestations

du traitement diffrenci

La tche de rflchir la cration de ce cadre juridique et institution-
nel a t confie un comit dont les travaux ont abouti, en 1966, la v-
ritable prise en considration globale de la problmatique du statut des
pays en dveloppement dans le GATT de 1947 grce lajout de la partie
IV au trait. Cette nouvelle partie tait entirement consacre aux rap-
ports entre commerce et dveloppement67. Nanmoins, la partie IV de-

en dveloppement dans le systme commercial multilatral, Qubec, Presses de
lUniversit Laval, 2005 ; Jean Maurice Djossou, LAfrique, le GATT et lOMC : Entre
territoires douaniers et rgions commerciales, Qubec, Presses de lUniversit Laval,
2000.

65 Les pays industrialiss sengageaient entre autres geler la protection tarifaire
lgard des produits prsentant un intrt particulier pour les pays en dveloppement,
admettre les produits tropicaux en franchise de douane, liminer les droits de douane
sur les produits de base et sur les produits manufacturs et semi-manufacturs en pro-
venance des pays en dveloppement. Ils sengageaient galement supprimer les res-
trictions quantitatives aux importations en provenance des pays en dveloppement,
ainsi qu rduire les taxes intrieures sur les produits provenant principalement ou
entirement de ces pays. Mesures prendre en vue de lexpansion du commerce des pays
en voie de dveloppement, considre comme un moyen de favoriser leur dveloppement
conomique, GATT PC Dc du 21 mai 1963, 21e sess, supp n 12 IBDD (1964) 36.

66 Ibid au para 24.
67 Les parties contractantes ont adopt le texte de la partie IV du GATT de 1947 le 26 no-
vembre 1964 et se sont par la suite entendues pour lappliquer de facto ds le 8 fvrier
1965, avant que la modification conventionnelle nentre formellement en vigueur le 17
juin 1966. Protocole modifiant lAccord gnral sur les tarifs douaniers et le commerce
par linsertion dune partie IV relative au commerce et au dveloppement, 8 fvrier 1965,
572 RTNU 321 (entre en vigueur : 27 juin 1966) ; Dclaration concernant lapplication

134 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

meurait avant tout symbolique et se contentait de prendre acte de la si-
tuation des pays en dveloppement et de la ncessit de faire des efforts
positifs pour ceux-ci dans le systme commercial multilatral, tant au
plan de laction individuelle des parties contractantes que de leur action
collective. Ctait particulirement vrai dans la conduite des ngociations
tarifaires, pour lesquelles des engagements de principe semblables au
programme daction de 1963 taient pris68. Elle ne comportait aucun en-
gagement contraignant de la part des parties contractantes et ses pres-
criptions relevaient toujours, en dernire analyse, du droit international
prospectif69. Cette avance juridique tait contemporaine de la premire
CNUCED et la partie IV abordait dailleurs la question de la coopration
entre les instances du GATT de 1947 et celles de la CNUCED.

Lapport le plus significatif de la partie IV du GATT de 1947 a cepen-
dant t lintroduction du principe de la non-rciprocit dans les ngocia-
tions commerciales multilatrales : Les parties contractantes dvelop-
pes nattendent pas de rciprocit pour les engagements pris par elles
dans des ngociations commerciales de rduire ou dliminer les droits de
douane et autres obstacles au commerce des parties contractantes peu d-
veloppes [nos italiques]70. Cette disposition tait en rupture avec le
principe de rciprocit qui ntait inscrit dans aucune disposition du
GATT de 1947, mais qui gouvernait jusqualors la conduite des ngocia-
tions commerciales multilatrales. Cela signifie que chaque partie con-
tractante est cense se prter au jeu des concessions tarifaires et autres
engagements, le systme commercial multilatral reposant en dfinitive
sur lquilibre global des concessions faites par chacune delles. Le prin-
cipe de non-rciprocit restait circonscrit uniquement au stade de la con-
duite des ngociations commerciales multilatrales71 ; il signifiait concr-
tement que les pays en dveloppement navaient plus se sentir obligs

de facto des dispositions du Protocole modifiant lAccord gnral sur les tarifs douaniers
et le commerce par linsertion dune partie IV relative au commerce et au dveloppement,
GATT PC Dc du 8 fvrier 1965, 22e sess, supp n 13 IBDD (1965) 11.
68 GATT de 1947, supra note 27, art XXXVI(3), XXXVII(1), XXXVIII(2)(b).
69 La partie IV souligne par exemple la ncessit dlaborer des mesures pour sattaquer
au problme de la dpendance des pays en dveloppement aux exportations de produits
de base, ou encore la ncessit de faciliter la diversification de la structure de leur co-
nomie en assurant, si possible, un meilleur accs aux marchs pour leurs exportations
de produits manufacturs. Ibid, art XXXVI(4), XXXVI(5).

70 Ibid, art XXXVI(8).
71 Il est entendu que lexpression nattendent pas de rciprocit signifie, conformment
aux objectifs noncs dans cet article, quon ne devrait pas attendre dune partie con-
tractante peu dveloppe quelle apporte, au cours de ngociations commerciales, une
contribution incompatible avec les besoins de son dveloppement, de ses finances et de
son commerce, compte tenu de lvolution passe des changes [nos italiques] : ibid,
Ad art XXXVI(8).

DE GENVE DOHA 135

de faire des concessions lors des ngociations. Toutefois, le principe de
non-rciprocit ne touchait pas davantage lgalit juridique des parties
contractantes qui demeuraient toutes pleinement soumises aux obliga-
tions du GATT de 1947, comme la clause NPF et linterdiction de prvoir
des prfrences tarifaires pour les pays en dveloppement.
La doctrine franaise a voulu voir dans lintgration du principe de

non-rciprocit dans le droit international positif le signal de la naissance
du droit international du dveloppement72. La porte juridique relle du
principe a peut-tre t exagre par lcole franaise, certains y voyant
tort une entorse au principe de la non-discrimination et la clause NPF73.
La partie IV du GATT de 1947 na pas vritablement intgr le concept de
traitement diffrenci pour les pays en dveloppement puisque ceux-ci
demeuraient toujours soumis aux mmes obligations que les pays dve-
lopps. Elle a seulement introduit le principe voulant que les pays en d-
veloppement naient plus se prter au jeu des concessions lors de ngo-
ciations commerciales multilatrales. La partie IV a cependant mis en
place le cadre juridique et institutionnel qui devait permettre la vritable
intgration du concept du traitement diffrenci dans le systme commer-
cial multilatral.

72 Feuer et Cassan, supra note 29 au no 15 ; Garca-Amador, supra note 29 aux pp 31-36 ;
Bulaji, supra note 36 aux pp 48-51. Voir Michel Virally, Vers un droit international
du dveloppement (1965) 11 AFDI 3 ; Michel Virally, O en est le droit international
du dveloppement ? (1975) 29 R Jur Pol Ind Co 271 ; Guy de Lacharrire, Commerce
extrieur et sous-dveloppement, Paris, Presses Universitaires de France, 1964 ; Guy de
Lacharrire, La stratgie commerciale du dveloppement, Paris, Presses Universitaires
de France, 1973 ; Guy de Lacharrire, Linfluence de lingalit de dveloppement des
tats sur le droit international (1973) 139 Rec des Cours 227 ; Socit franaise pour
le droit international, dir, Pays en voie de dveloppement et transformation du droit in-
ternational, Paris, Pdone, 1974 ; Alain Colombeau et al, tudes de doctrine et de droit
international du dveloppement, Paris, Presses Universitaires de France, 1975 ; Mau-
rice Flory, Droit international du dveloppement, Paris, Presses Universitaires de
France, 1977 ; Mohammed Bedjaoui, Pour un nouvel ordre conomique international,
Paris, UNESCO, 1979 ; Maurice Flory et al, La formation des normes en droit interna-
tional du dveloppement, Paris, Centre national de la recherche scientifique, 1984 ;
Madjid Benchikh, Droit international du sous-dveloppement : Nouvel ordre dans la d-
pendance, Paris, Berger-Levrault, 1983 ; Mohamed Bennouna, Droit international du
dveloppement : Tiers monde et interpellation du droit international, Paris, Berger-
Levrault, 1983 ; Jacques Bouveresse, Droit et politiques du dveloppement et de la coo-
pration, Paris, Presses Universitaires de France, 1990. Voir aussi Conseil canadien de
droit international, dir, Le droit international du dveloppement : Travaux du quatrime
congrs annuel tenu lUniversit dOttawa, Ottawa, Facult de droit de lUniversit
dOttawa, 1975 ; Conseil canadien de droit international, dir, Le droit international et le
dveloppement : Travaux du quinzime congrs annuel, Ottawa, Conseil canadien de
droit international, 1987 ; James CN Paul, The United Nations and the Creation of an
International Law of Development (1995) 36 : 2 Harv Intl LJ 307.

73 Pour un exemple dune telle interprtation exagre de lapport de la partie IV, voir

Feuer et Cassan, supra note 29 au no 421.

136 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

La mme anne, le concept a t intgr pour la premire fois dans le
systme de rglement des diffrends par les parties contractantes74. Les
pays en dveloppement se voyaient offrir la possibilit de demander au
Directeur gnral doffrir ses bons offices dans les diffrends qui les oppo-
saient des pays dvelopps ; les parties contractantes avaient alors
lobligation de lui fournir toute information.
Cest au moyen de la technique juridique de la drogation temporaire
aux rgles gnrales du GATT de 1947 que le concept de traitement diff-
renci a pu vritablement senraciner dans le systme commercial multi-
latral. Sous la pression des travaux de la CNUCED et des rsolutions de
lAssemble gnrale des Nations Unies, les parties contractantes du
GATT de 1947 ont vot deux dcisions en 1971, introduisant un rgime
juridique particulier pour le commerce avec les pays en dveloppement.
Une premire dcision a rendu licite pour une dure de dix ans
lapplication du SGP dvelopp par la CNUCED, en permettant aux par-
ties contractantes qui le dsiraient dtablir un traitement tarifaire prf-
rentiel pour les pays en dveloppement75. Une drogation au rgime juri-
dique gnral tait indispensable puisque les prfrences tarifaires
taient interdites par la clause NPF. Celles-ci consistaient appliquer des
tarifs douaniers diffrents des produits similaires, selon le pays
dorigine. La dcision de 1971 ne dsignait par les catgories de pays pou-
vant bnficier ou offrir des prfrences tarifaires, mais la pratique vou-
lait plutt que lon renvoie aux pays qui staient dsigns comme bnfi-
ciaires du SGP la CNUCED, selon le principe de lauto-lection, puis que
chaque partie contractante soit alors libre de choisir parmi ces pays ceux
qui pourraient bnficier de son schma national de prfrences76.
Une deuxime dcision a galement rendu licite pour une dure de dix
ans les prfrences tarifaires que les pays en dveloppement pouvaient
saccorder entre eux, conformment au Protocole concernant les ngocia-
tions commerciales entre pays en voie de dveloppement77. Celui-ci a mis en
place une sorte de sous-systme commercial multilatral prfrentiel, r-
serv exclusivement aux pays en dveloppement qui y avaient adhr. De

74 Procdure dapplication de larticle XXIII, GATT PC Dc du 5 avril 1966, 23e sess, supp

n 14 IBDD (1966) 19.

75 Rgime gnralis de prfrences, GATT PC Dc L/3545, 27e sess, supp no 18 IBDD

(1972) 27.

76 Feuer et Cassan, supra note 29 au no 498 ; Carreau et Juillard, supra note 62 au no
674 ; Merloz, supra note 36 la p 196. Voir Conclusions concertes, supra note 36, partie
IV.

77 8 dcembre 1971, 858 RTNU 182 (entre en vigueur : 11 fvrier 1973) [Protocole]. Voir
aussi Ngociations commerciales entre pays en voie de dveloppement, GATT PC Dc
L/3636, 27e sess, supp no 18 IBDD (1972) 28.

DE GENVE DOHA 137

telles prfrences tarifaires auraient autrement t interdites par la
clause NPF et cette drogation temporaire rpondait ainsi aux appels de
la CNUCED et de lAssemble gnrale pour un renforcement de
lintgration conomique entre pays du Sud. nouveau, cette deuxime
dcision de 1971 laissait les parties contractantes libres de dterminer si
elles se considraient comme un pays en dveloppement78.

3. La Clause dhabilitation et la conscration du traitement diffrenci

Le caractre temporaire et drogatoire du traitement diffrenci a t
critiqu parce quil donnait limpression de marginaliser le rgime juri-
dique particulier mis en place pour le commerce des pays en dveloppe-
ment, en le confinant au statut dexception79. Cest dans le cadre du cycle
de Tokyo que la pice matresse de lintgration du concept dans le sys-
tme commercial multilatral allait tre adopte. La Clause dhabilitation
de 1979 a refondu les drogations de 1971 en un seul texte qui prennise
et tend le rgime du commerce des pays en dveloppement en lui don-
nant une assise juridique permanente, fonde sur la dualit des normes
dans le GATT de 194780. Elle a sembl placer les rgimes du commerce
Nord-Nord et Nord-Sud/Sud-Sud en parallle et gaux en dignit 81,
sur un pied dgalit juridique, ne prsentant plus le rgime du commerce
des pays en dveloppement comme un rgime dexception. Ce texte fon-
damental a t salu par la doctrine franaise comme la conscration du
droit international du dveloppement, elle qui voyait dans la dualit nor-
mative la summa divisio de cette nouvelle discipline juridique82.

La Clause dhabilitation proclame dabord le principe du traitement
diffrenci et plus favorable, suivant lequel les parties contractantes du
GATT de 1947 peuvent droger la clause NPF pour accorder un traite-
ment prfrentiel aux pays en dveloppement83. Le principe se dcline en
quatre modalits dopration diffrentes :

La possibilit pour les pays dvelopps dappliquer le SGP lgard
des pays en dveloppement est maintenue dans les mmes conditions84.

78 Feuer et Cassan, supra note 29 au no 52.
79 Ibid au no 428.
80 Traitement diffrenci et plus favorable, rciprocit, et participation plus complte des
pays en voie de dveloppement, GATT PC Dc L/4903, 35e sess, supp no 26 IBDD (1980)
223 [Clause dhabilitation].

81 Voir Feuer et Cassan, supra note 29 au no 421. Cette interprtation a finalement t re-

jete en 2004 par lOrgane dappel de lOMC : voir texte correspondant la note 150.

82 Feuer et Cassan, supra note 29 au no 35.
83 Clause dhabilitation, supra note 80, art 1.
84 Ibid, art 2(a).

138 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

Ceux-ci peuvent accorder un traitement tarifaire prfrentiel lgard des
parties contractantes de leur choix, en conformit avec les travaux de la
CNUCED sur le SGP.

La deuxime possibilit introduit une modulation nouvelle du traite-
ment diffrenci en ce qui concerne les obstacles non tarifaires au com-
merce des pays en dveloppement85. La leve de ces obstacles a fait lobjet
de plusieurs nouveaux accords sectoriels ngocis lors du cycle de Tokyo,
comme les droits antidumping, les subventions et les droits compensa-
teurs, les obstacles techniques au commerce ou les marchs publics86. Un
traitement diffrenci et plus favorable peut tre accord aux pays en d-
veloppement lgard des dispositions du GATT de 1947 qui ont fait
lobjet dun code de Tokyo. En labsence dune dfinition, la qualit de pays
en dveloppement est attribue pour les fins de cette disposition suivant
le principe de lauto-lection, ce qui signifie que le pays en dveloppement
est la partie contractante qui se considre comme tel87.

La possibilit pour les pays en dveloppement de saccorder entre eux
un traitement tarifaire prfrentiel est galement maintenue, mais la
Clause dhabilitation innove en largissant considrablement le rgime
particulier du commerce Sud-Sud88. Celui-ci nest plus limit aux conces-
sions tarifaires faites par les pays en dveloppement dans le cadre du Pro-
tocole89. Tous les accords commerciaux rgionaux ou mondiaux entre pays
dvelopps sont dsormais viss, ce qui signifie que les pays en dvelop-
pement peuvent conclure de tels accords, autrement contraires la clause
NPF, dans des conditions plus favorables que lexception du rgime gn-
ral du GATT de 1947 qui ne permet de tels accords que sils libralisent
lessentiel du commerce entre leurs parties90. Des accords commerciaux
sectoriels entre pays en dveloppement peuvent ainsi tre conclus sans vi-
ser lessentiel du commerce entre ceux-ci. Toujours en raison de labsence

85 Ibid, art 2(b).
86 Voir Accord relatif la mise en oeuvre de larticle VI de lAccord gnral sur les tarifs
douaniers et le commerce, 12 avril 1979, 1186 RTNU 3 (entre en vigueur : 1er janvier
1980) [Code antidumping] ; Accord relatif linterprtation et lapplication des articles
VI, XVI et XXIII de lAccord gnral sur les tarifs douaniers et le commerce, 12 avril
1979, 1186 RTNU 205 (entre en vigueur : 1er janvier 1980) [Code des subventions] ; Ac-
cord relatif aux obstacles techniques au commerce, 12 avril 1979, 1186 RTNU 277 (en-
tre en vigueur : 1er janvier 1980) [Code de normalisation] ; Accord relatif aux marchs
publics, 14 avril 1979, 1235 RTNU 259 (entre en vigueur : 1er janvier 1981) [Code des
marchs publics].

87 Voir Feuer et Cassan, supra note 29 au no 52.
88 Clause dhabilitation, supra note 80, art 2(c).
89 Supra note 77.
90 GATT de 1947, supra note 27, art XXIV(8).

DE GENVE DOHA 139

de dfinition, la qualit de pays en dveloppement qui permet de bnfi-
cier de cette disposition suit galement le principe de lauto-lection91.

La dernire modulation du principe du traitement diffrenci consti-
tue une autre innovation puisquelle cre un rgime particulier encore
plus favorable pour une sous-catgorie de pays en dveloppement. Les
parties contractantes peuvent accorder un traitement spcial aux pays les
moins avancs (PMA), dans le contexte de toute mesure gnrale ou sp-
cifique en faveur des pays en voie de dveloppement 92. La dtermination
des parties contractantes appartenant la sous-catgorie des PMA ne re-
lve ni de la partie qui souhaite appliquer cette disposition, ni de celle qui
dsire en bnficier, mais est plutt effectue par la CNUCED qui dresse
priodiquement une liste nominative des PMA93.
En plus doprationnaliser le concept de traitement diffrenci de ma-
nire assez labore, la Clause dhabilitation raffirme galement le prin-
cipe de non-rciprocit dans la conduite des ngociations commerciales
multilatrales qui est aussi prvu par la partie IV du GATT de 194794. La
Clause dhabilitation accorde en outre une attention particulire aux PMA
et enjoint les pays dvelopps faire preuve dune grande modration
leur gard dans ces ngociations95.
Allant de pair avec lintgration du traitement diffrenci dans le droit
international positif, une clause volutive est prvue pour assurer
lquilibre et larticulation entre le rgime commercial gnral du GATT
de 1947 et le rgime commercial particulier des pays en dveloppement96.
Cette clause prvoit que les pays en dveloppement sattendent ce que
leur capacit rintgrer le rgime commercial gnral samliore avec le
dveloppement progressif de leur conomie, ce qui signifie quils
sattendent rintgrer progressivement le rgime commercial gnral.
Cette disposition fondamentale tablit une passerelle thorique entre les

91 Voir Feuer et Cassan, supra note 29 au no 52.
92 Clause dhabilitation, supra note 80, art 2(d).
93 La Clause dhabilitation ne renvoie pas explicitement la dsignation des PMA faite
par la CNUCED (Carreau et Juillard, supra note 62 au n 688). LAssemble gnrale
des Nations Unies a tabli la premire liste des PMA en 1971 et elle en a confi la ges-
tion la CNUCED, conjointement avec le Conseil conomique et social (Identification
des pays en voie de dveloppement les moins avancs, Rs AG 2768(XXVI), Doc off AG
NU, 26e sess, supp n 29, Doc NU A/8429 (1972) 54 au para 5). La dernire mouture de
la liste des PMA contient 49 tats (CNUCED, UN List of LDCs After the 2006 Triennal
Review, en ligne : CNUCED ).

94 Clause dhabilitation, supra note 80, art 5.
95 Ibid, art 6, 8.
96 Ibid, art 7.

140 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

deux rgimes et indique que le statut de pays en dveloppement ne de-
vrait pas tre statique, mais plutt dynamique.
Aussi importante quelle ait pu tre pour lintgration du concept de
traitement diffrenci dans le systme commercial multilatral, la Clause
dhabilitation ne prvoit que la possibilit et non lobligation
daccorder un traitement diffrenci et plus favorable aux pays en dve-
loppement en ce qui concerne les modalits dopration spcifiques expo-
ses ci-dessus. Seules les incompatibilits avec la clause NPF, dans le do-
maine prcis de ces modalits, ont t lgalises. Pour que dautres ma-
nires doprationnaliser le concept de traitement diffrenci puissent tre
appliques, il existait toujours la possibilit que les parties contractantes
votent une drogation ad hoc pour une mesure donne, en application des
rgles gnrales du GATT de 1947 prvoyant loctroi de drogations97. Il
faut rappeler que cest laide de cette technique juridique que le concept
du traitement diffrenci a dabord pu vritablement sintgrer au sys-
tme commercial multilatral.

4. Le traitement diffrenci dans la leve des obstacles non tarifaires au

commerce

Une dernire innovation apporte par le cycle de Tokyo a t
lintroduction dune nouvelle modalit dopration du concept de traite-
ment diffrenci. Plusieurs codes de Tokyo ont prvu des dispositions qui
modulaient leur contenu obligatoire afin de tenir compte du statut parti-
culier des pays en dveloppement dans le secteur vis par laccord. Ces
codes sont alls plus loin que la Clause dhabilitation, en ce qui concerne
les obstacles non tarifaires, parce que le traitement diffrenci appropri
tait spcifiquement prescrit par le texte de laccord. Les pays en dvelop-
pement viss ntaient pas dsigns, ce qui signifie que le principe de
lauto-lection sappliquait nouveau.
Quatre types de modulation du contenu obligatoire des codes de Tokyo
pouvaient tre distingus. Un premier type dobligations prescrivait aux
pays dvelopps de prendre spcialement en considration la situation des
pays en dveloppement, lorsquils imposaient des droits antidumping98 ou
dans llaboration et lapplication de rglements techniques et de
normes99. Un deuxime type dobligations exemptait les pays en dvelop-
pement de lapplication de leurs dispositions, doffice pour linterdiction

97 Cette possibilit est rappele par la Clause dhabilitation elle-mme (ibid, art 2). Voir

GATT de 1947, supra note 27, art XXV(5).
98 Code antidumping, supra note 86, art 13.
99 Code de normalisation, supra note 86, art 12.

DE GENVE DOHA 141

des subventions lexportation100, ou aprs ngociations pour les droits
antidumping101, pour loctroi des marchs publics102, ou pour faciliter
llaboration et lapplication des rglements techniques et des normes par
les pays en dveloppement103. Un troisime type dobligations diffrait
lapplication des dispositions pour les pays en dveloppement qui le sou-
haitaient, que ce soit pour lensemble du Code de lvaluation douanire104,
ou pour certaines des dispositions du Code des licences dimportation105.
Un quatrime et dernier type dobligations prvoyait lobligation pour les
pays dvelopps de fournir de lassistance technique aux pays en dvelop-
pement dans les domaines des droits antidumping, de lvaluation doua-
nire et de la normalisation106.
En somme, les professeurs Dominique Carreau et Patrick Juillard ob-
servent avec justesse que leffet de lintgration du concept de traitement
diffrenci dans le systme commercial multilatral aura t de mettre fin
lapplication de la clause NPF dans les rapports commerciaux Nord-Sud
et Sud-Sud107. Lacquis du GATT de 1947 a t maintenu la faveur de la
conclusion du cycle de lUruguay et de la cration de lOMC en 1994, mais
lintgration du concept a connu certaines transformations.

B. La continuation du traitement diffrenci dans les accords de lOMC et

ses transformations

La conclusion des accords de lOMC, lissue du cycle dUruguay, en
1994, ne marque pas de rupture par rapport au GATT de 1947, en ce qui
concerne lintgration du concept de traitement diffrenci dans le sys-
tme commercial multilatral108. Lacquis juridique a cependant subi
quelques transformations au passage, commencer par un changement

100 Code des subventions, supra note 86, art 14.
101 Feuer et Cassan, supra note 29 au no 408.
102 Code des marchs publics, supra note 86, art 3.
103 Code de normalisation, supra note 86, art 12.
104 Accord relatif la mise en oeuvre de lArticle VII de lAccord gnral sur les tarifs doua-
niers et le commerce, 12 avril 1979, 1235 RTNU 127, art 14 (entre en vigueur : 1er jan-
vier 1981) [Code de lvaluation douanire].

105 Accord relatif aux procdures en matire de licences dimportation, 12 avril 1979, 1186
RTNU 373, art 1(2), 3(b)(iv) (entre en vigueur : 1er janvier 1980) [Code des licences
dimportation].

106 Voir Feuer et Cassan, supra note 29 au no 408 ; Code de lvaluation douanire, supra

note 104, art 14 ; Code de normalisation, supra note 86, art 12.

107 Carreau et Juillard, supra note 62 au no 664.
108 Guy Feuer, LUruguay Round, les pays en dveloppement et le droit international du
dveloppement (1994) 40 AFDI 758 la p 774 [Feuer, Uruguay Round ] ; Carreau et
Juillard, supra note 62 au no 682.

142 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

de dnomination, lexpression gnrique du concept lOMC tant deve-
nue traitement spcial et diffrenci 109. La Clause dhabilitation a t
intgralement reconduite dans les accords de lOMC par le GATT de
1994110, ce qui signifie que son application par les membres de lOMC est
soumise au nouveau systme de rglement des diffrends mis en place en
1995. La principale assise du traitement diffrenci dans le systme
commercial multilatral voit donc sa place dans le droit international po-
sitif tre confirme et profite du renforcement juridique et institutionnel
que constitue la cration de lOMC.
La modalit dopration du traitement diffrenci introduite par les

codes de Tokyo, qui consiste prvoir des modulations aux obligations ju-
ridiques tenant compte de la situation conomique des pays en dvelop-
pement, est galement reprise et tendue dans les accords de lOMC. Ces
dispositions modulent les obligations visant les obstacles non tarifaires au
commerce des marchandises dans les secteurs qui taient rgis par les
codes de Tokyo, mais aussi dans les secteurs nouvellement rgis du com-
merce des marchandises, des services, des aspects des droits de proprit
intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), ainsi que dans le sys-
tme de rglement des diffrends. Certes, les modalits dopration du
traitement diffrenci qui ont t les plus significatives jusqu mainte-
nant sont celles permettant loctroi de prfrences tarifaires aux pays en
dveloppement. Ceci dit, labaissement progressif des tarifs douaniers
dans le systme commercial multilatral ne peut que tendre donner de
plus en plus dimportance cette autre modalit dopration, mesure
que les principaux obstacles au commerce deviennent non tarifaires. Le
nombre de dispositions de cette nature sest grandement accru par rap-
port aux codes de Tokyo (il y en a maintenant plus de 145) et rend impos-
sible linventaire exhaustif dans le cadre du prsent article. Le Secrtariat
de lOMC a publi une note trs utile dans laquelle il a effectu ce travail,
mais surtout dans laquelle il propose une typologie des dispositions des
accords de lOMC oprationnalisant le traitement diffrenci111.

109 Feuer, Uruguay Round , supra note 108 la p 767.
110 Accord gnral sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 dans Accord de Mar-
rakesh instituant lOrganisation mondiale du commerce, 15 avril 1994, 1867 RTNU 165,
annexe 1A, art 1(b)(iv) (entre en vigueur : 1er janvier 1995) [respectivement GATT de
1994 et Accord sur lOMC] ; Communauts europennes Conditions doctroi de prf-
rences tarifaires aux pays en dveloppement (2004), OMC Doc WT/DS246/AB/R au para
90 (Rapport de lOrgane dappel) [CE Prfrences tarifaires, Rapport de lOrgane
dappel].

111 OMC, Conseil du commerce et du dveloppement, Mise en uvre des dispositions rela-
tives au traitement spcial et diffrenci figurant dans les accords et dcisions de lOMC :
Note du Secrtariat, OMC Doc WT/COMTD/W/77 (2000) aux para 2-17. Voir aussi
OMC, Comit du commerce et du dveloppement, Traitement spcial et diffrenci pour

DE GENVE DOHA 143

Un premier type de dispositions vise accrotre les possibilits com-
merciales des pays en dveloppement. Il sagit du type le moins rpandu
dans les accords de lOMC (douze dispositions au total). Par exemple, il est
prvu que les membres de lOMC tiennent compte des besoins et de la si-
tuation particulire des pays en dveloppement dans la mise en uvre de
leurs engagements en matire daccs au march des produits agricoles, y
compris les produits tropicaux112.
Un deuxime type de dispositions impose aux membres de lOMC de
prserver les intrts des pays en dveloppement. Il sagit du type le plus
frquent dans les accords de lOMC (quarante-sept dispositions au total).
Par exemple, il est prvu que dans le cas dun diffrend entre un pays en
dveloppement et un pays dvelopp, le pays en dveloppement puisse
exiger quau moins un membre du groupe spcial soit un ressortissant
dun pays en dveloppement113.
Un troisime type de dispositions prvoit une flexibilit dans les enga-
gements, dans les mesures et dans lutilisation des moyens daction pour
les pays en dveloppement (trente dispositions au total). Les dispositions
vises ici sont celles qui attnuent le contenu des obligations du rgime
commercial gnral de lOMC pour une dure indtermine, comme celles
mentionnes prcdemment qui permettent aux pays en dveloppement
dimposer des hausses tarifaires ou des restrictions quantitatives pour
protger une industrie naissante114.
Un quatrime type de dispositions prvoit des priodes de transition
pour les pays en dveloppement (vingt dispositions au total). Ces disposi-
tions attnuent galement le contenu des obligations du rgime commer-
cial gnral de lOMC, mais pour une dure dtermine. Par exemple, la
prohibition des subventions lexportation ne fut pas applique aux pays

les pays les moins avancs : Note du Secrtariat, OMC Doc WT/COMTD/W/135 (2004)
[OMC, Traitement spcial et diffrenci pour les pays les moins avancs]. Pour une pr-
sentation descriptive des dispositions des accords de lOMC qui intressent les pays en
dveloppement, voir gnralement Peter Gallagher, Guide to the WTO and Developing
Countries, La Haye, Kluwer Law International, 2000. Pour un tour dhorizon plus com-
plet de la question, voir Bernard Hoekman, Aaditya Mattoo et Philip English, dir, Deve-
lopment, Trade and the WTO : A Handbook, Washington (DC), Banque mondiale, 2002.
112 Accord sur lagriculture , 15 avril 1994, 1867 RTNU 436 dans Accord sur lOMC, su-

pra note 110, annexe 1A, prambule.

113 Mmorandum daccord sur les rgles et procdures rgissant le rglement des diff-
rends , 15 avril 1994, 1869 RTNU 426, dans Accord sur lOMC, supra note 110, annexe
2, art 8(10) [Mmorandum daccord sur le rglement des diffrends].

114 Voir la discussion sur larticle XVIII du GATT de 1947, supra note 27 et texte corres-

pondant.

144 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

en dveloppement pendant les huit premires annes de son entre en vi-
gueur115.
Un cinquime type de dispositions prvoit la fourniture dune assis-
tance technique pour les pays en dveloppement (quatorze dispositions au
total). Par exemple, le Secrtariat de lOMC doit fournir une aide juri-
dique additionnelle aux pays en dveloppement qui le lui demandent dans
le cadre dun diffrend port lOMC116.
Un sixime type de dispositions prvoit des mesures pour aider les
PMA (vingt-deux dispositions au total). Ces dispositions qui visent exclu-
sivement les PMA peuvent elles-mmes tre classes dans lun des cinq
types prcdant. Par exemple, les membres de lOMC doivent faire preuve
de modration dans la soumission de plaintes contre un PMA117.
Outre les modalits mentionnes ci-dessus, la possibilit den crer
dautres par voie de drogation ad hoc est aussi maintenue par les accords
de lOMC118. Cette procdure extraordinaire a permis la mise en place en
1999 dun nouveau rgime particulier pour le commerce des PMA pour
une priode de dix ans (la drogation a rcemment t renouvele pour
une priode additionnelle de dix ans)119. Ce nouveau rgime juridique d-
rogatoire semble vouloir aller plus loin que celui qui est prvu pour les
PMA, depuis 1979, par la Clause dhabilitation. La porte exacte du r-
gime particulier pour le commerce des PMA mis en place en 1979 de-
meure ambige120 : permet-il aux membres de lOMC de prvoir un trai-
tement plus favorable pour les PMA uniquement lorsquelles accordent un
traitement tarifaire prfrentiel ou tout autre traitement plus favorable
aux pays en dveloppement en vertu de la Clause dhabilitation ? Dans
laffirmative, cela signifierait que le traitement diffrenci au profit des
PMA ne peut tre que laccessoire du traitement diffrenci offert tous
les pays en dveloppement. Par exemple, un traitement tarifaire prfren-

115 Accord sur les subventions et les mesures compensatoires , 15 avril 1994, 1869
RTNU 57, dans Accord sur lOMC, supra note 110, annexe 1A, art 27.2(b) [Accord
SMC].

116 Mmorandum daccord sur le rglement des diffrends, supra note 113, art 27(2).
117 Ibid, art 24(1).
118 Accord sur lOMC, supra note 110, art IX(3)(4) ; Mmorandum daccord concernant les
drogations aux obligations dcoulant de lAccord gnral sur les tarifs douaniers et le
commerce de 1994 dans GATT de 1994, supra note 110, art 1(c)(v).

119 Prfrences tarifaires en faveur des pays les moins avancs : Dcision portant octroi
dune drogation, OMC Doc WT/L/304 (1999) [Prfrences tarifaires en faveur des pays
les moins avancs (1999)] ; Prfrences tarifaires en faveur des pays les moins avancs :
Dcision portant prorogation de la drogation, OMC Doc WT/L/759 (2009).

120 Voir Carreau et Juillard, supra note 62 au no 687.

DE GENVE DOHA 145

tiel ne pourrait tre offert aux PMA que dans le cadre dun schma natio-
nal de prfrences appliquant le SGP dvelopp la CNUCED121.
Cest pour lever en partie cette ambigut que la drogation de 1999 a
t adopte, sans aucune rfrence la Clause dhabilitation, si ce nest
quelle naffecte ni ne prjuge des droits qui en dcoulent. Ce rgime parti-
culier pour les PMA permet aux pays en dveloppement de prvoir eux-
mmes des prfrences tarifaires en faveur des PMA, chose qui leur serait
autrement interdite par la clause NPF et la Clause dhabilitation122. Il
sagit donc dune modalit dopration originale du traitement diffrenci
dans le systme commercial multilatral qui permet aux pays en dvelop-
pement dappliquer le concept en faveur des plus dmunis dentre eux.
Par contre, les drogations de 1999 et de 2009 ne touchent pas la ques-
tion de la porte juridique exacte de la Clause dhabilitation dans les rap-
ports commerciaux entre les pays dvelopps et les PMA.

La catgorisation des pays bnficiaires du traitement diffrenci dans
les accords de lOMC est galement marque par la continuit avec
lacquis du GATT de 1947. Le principe de lauto-lection prside encore
la dsignation des bnficiaires de lessentiel des dispositions prvoyant
un traitement diffrenci pour les pays en dveloppement dans les accords
de lOMC123. Le SGP constitue toujours une exception la rgle de lauto-
lection : ce sont les pays qui accordent des prfrences tarifaires qui d-
signent les pays pouvant en bnficier, bien que les pays en dveloppe-
ment puissent se dsigner eux-mmes comme bnficiaires du SGP dans
lenceinte de la CNUCED. Cette position est cependant conteste par cer-
tains pays en dveloppement et lOrgane dappel a pour le moment soi-
gneusement vit de trancher la question, ce qui laisse planer un doute
sur la licit, pour un pays dvelopp, dexclure demble un pays qui se
considre en dveloppement de son schma national de prfrences124. La
catgorie des PMA constitue galement une exception la rgle puisque
la technique de la liste nominative est toujours employe par les accords

121 Voir OMC, Traitement spcial et diffrenci pour les pays les moins avancs, supra note

111 au para 9.

122 Prfrences tarifaires en faveur des pays les moins avancs (1999), supra note 119, art 1.
123 Le Secrtariat de lOMC est cependant davis que lauto-lection dun membre comme
pays en dveloppement pourrait faire lobjet dune contestation dans le cadre du sys-
tme de rglement des diffrends, sans que le fondement juridique de cette affirmation
ne soit expliqu. Cette interprtation pourrait se fonder sur la clause volutive de la
Clause dhabilitation (OMC, Quels sont les pays en dveloppement lOMC ?, en ligne :
OMC ). Voir gnralement
Guglielmo Verdirame, The Definition of Developing Countries under GATT and other
International Law (1996) 39 German YB Intl Law 164.

124 Voir CE Prfrences tarifaires, Rapport de lOrgane dappel, supra note 110 au para

129.

146 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

de lOMC, mais le renvoi la liste des PMA dresse par lONU est clari-
fi125. Il faut noter quune nouvelle catgorie de pays en dveloppement
avait fait son apparition dans les accords de lOMC, avec les pays en tran-
sition, qui bnficiaient de certaines dispositions prvoyant un traitement
diffrenci spcifique126. Cette catgorie, maintenant caduque, renvoyait
aux pays dEurope centrale et orientale qui taient en transition dune
conomie planifie une conomie de march.

Sil est clair que le concept de traitement diffrenci est bien intgr
dans le droit positif du systme commercial multilatral, il importe
dexaminer sommairement comment ses diffrentes modalits dopration
sont appliques par les membres de lOMC.

III. Lapplication du concept de traitement diffrenci dans le systme

commercial multilatral

A. Lapplication au moyen du Systme gnralis de prfrences (SGP)

1. Lacquis et les difficults des schmas nationaux de prfrences

La premire modalit dopration du traitement diffrenci dans le
systme commercial multilatral a t loctroi unilatral de prfrences
tarifaires pour les produits provenant des pays en dveloppement, par
rapport aux tarifs douaniers normalement imposs aux produits imports,
en vertu de la clause NPF. Lide qui sous-tend ces prfrences tarifaires
est quelles offrent un accs accru au march national des pays dvelop-
ps, pour les produits en provenance des pays en dveloppement, sans que
ces derniers naient faire de concessions tarifaires quivalentes, afin de
favoriser leurs exportations, leur industrialisation et dacclrer le rythme
de leur croissance conomique127. Au moyen du SGP quelle a mis en place
et en supervisant son opration, la CNUCED facilite lapplication des pr-
frences tarifaires en faveur des pays en dveloppement.

La CNUCED na pu quesquisser les traits gnraux du SGP, puisquil
tait non seulement indispensable que celui-ci soit mis en uvre par

125 Accord sur lOMC, supra note 110, art XI(2). La liste dresse lONU par la CNUCED
sapplique donc toujours dans le systme commercial multilatral pour les fins de
lapplication du traitement diffrenci en leur faveur.

126 Accord SMC, supra note 115, art 29 ; Accord sur les aspects des droits de proprit in-
tellectuelle qui touchent au commerce , 15 avril 1994, 1869 RTNU 332, dans Accord
sur lOMC, supra note 110, annexe 1C, art 65 ; Carreau et Juillard, supra note 62 aux
no 692-93.

127 Admission prfrentielle ou en franchise, supra note 35 au para 1.

DE GENVE DOHA 147

chaque pays dvelopp au moyen dun schma national de prfrences,
mais aussi que ces prfrences tarifaires soient lgalises par le GATT de
1947128. Suivant les travaux de la CNUCED, le SGP vise en principe tous
les produits manufacturs et semi-finis, lexclusion des produits agri-
coles et des autres produits de base, sauf pour de rares exceptions pou-
vant tre consenties par les pays donneurs129. Ces derniers gardent enti-
rement le contrle sur lapplication du SGP qui demeure volontaire. Cha-
cun deux dtermine les produits viss par leur schma et la marge prf-
rentielle, cest–dire lampleur de la prfrence tarifaire pour chaque pro-
duit vis. Chacun deux dtermine les rgles dorigine applicables pour
quun produit puisse bnficier des prfrences tarifaires. Chacun deux
dtermine son systme de sauvegarde, qui peut exclure a priori des pro-
duits sensibles du schma de prfrences, ou encore prvoir la suspension
a posteriori des prfrences en cas de dsorganisation du march. Le SGP
tant un engagement non contraignant, les pays donneurs sont libres de
modifier ou de retirer leurs prfrences tarifaires selon leur volont. La
CNUCED avait voulu concevoir le SGP comme un systme mondial afin
dviter que la pratique tatique ne soit contradictoire ou chaotique
lgard des prfrences tarifaires en faveur des pays en dveloppement,
mais aussi pour inciter tous les pays dvelopps lappliquer malgr son
caractre volontaire. Pour obtenir un portrait global du SGP, la particula-
risation de son application rend ncessaire de complter ltude des ins-
truments de la CNUCED et du GATT de 1947 par celle des schmas na-
tionaux de prfrences des pays dvelopps.
lheure actuelle, la CNUCED recense onze schmas nationaux de
prfrences qui lui ont t formellement notifis dans le cadre du SGP,
dont neuf par des membres de lOMC130. Chacun de ces schmas est diff-

128 Sur les travaux de la CNUCED sur le SGP, voir supra note 35 et texte correspondant.
Sur la lgalisation du SGP par le GATT de 1947, voir supra note 75 et texte correspon-
dant. Pour une tude historique rcente sur le SGP, voir Norma Breda dos Santos,
Rogrio Farias et Raphael Cunha, Generalized System of Preferences in General
Agreement on Tariffs and Trade/World Trade Organization: History and Current Is-
sues (2005) 39 : 4 J World Trade 637 aux pp 639-56.

129 Conclusions concertes, supra note 36, parties III, VII, IX ; Feuer et Cassan, supra note

29 aux no 502-503 ; Merloz, supra note 36 aux pp 197-200.

130 CNUCED, Generalized System of Preferences : List of Beneficiaries, New York, Nations
Unies, 2008 la p ii [CNUCED, GSP]. Les membres de lOMC qui ont un schma na-
tional de prfrences sont : lAustralie, le Canada, la Communaut europenne, les
tats-Unis, le Japon, la Nouvelle-Zlande, la Norvge, la Suisse et la Turquie. Les deux
pays donateurs qui ne sont pas membres de lOMC sont le Belarus et la Russie. Pour
des tudes sur le schma canadien de prfrences, voir Jos Anson, Marc Bacchetta et
Matthias Helble, Using Preferences to Promote LDC Exports: A Canadian Success
Story ? (2009) 43 : 2 J World Trade 285 ; J Maurice Arbour, Le systme gnralis de
prfrences et le schma canadien, dix ans aprs : un premier bilan (1983) 21 ACDI
118.

148 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

rent, que ce soit au plan de ses bnficiaires ou au plan des prfrences
tarifaires offertes. Il arrive donc que lun des deux cents pays et territoires
bnficiaires du SGP soit bnficiaire dans le schma national de prf-
rences dun pays donneur, mais quil soit exclu du schma dun autre pays
donneur. Par ailleurs, deux schmas nationaux de prfrences prvoient
des sous-rgimes encore plus avantageux pour un nombre restreint de b-
nficiaires131.

Le schma de prfrences des tats-Unis prvoit un rgime gnral de
prfrences SGP, ainsi quun rgime de prfrences additionnelles pour
certains pays africains viss par le African Growth and Opportunity
Act132. Le schma de prfrences de la Communaut europenne prvoit
un rgime gnral de prfrences SGP, un rgime de prfrences SGP+
qui vise les pays en dveloppement remplissant les conditions lies au d-
veloppement durable et la bonne gouvernance ainsi quun rgime de
prfrences additionnelles pour les PMA133. La licit de lancien schma

131 CNUCED, GSP, supra note 130 aux pp v, 1.
132 -U, Bill HR 434, Trade and Development Act, 2000 ; Text of the African Growth Oppor-
tunity Act, en ligne : AGOA . Les
tudes sont trs nombreuses sur les schmas de prfrences successifs des tats-Unis.
Voir Roman Grynberg et Veniana Qalo, Labour Standards in US and EU Preferential
Trading Arrangements (2006) 40 : 4 J World Trade 619 ; Ryan McCormick, The Afri-
can Growth and Opportunity Act: The Perils of Pursuing African Development Through
US Trade Law (2006) 41 : 2 Tex Intl LJ 339 ; Kevin Moss, The Consequences of the
WTO Appellate Body Decision in EC Tariff Preferences for the African Growth Op-
portunity Act and Sub-Saharan Africa (2006) 38 : 3 NYUJ Intl L & Pol 665 ; Amy M
Mason, The Degeneralization of the Generalized System of Preferences (GSP): Ques-
tioning the Legitimacy of the US GSP (2004) 54 : 2 Duke LJ 513 ; Jay S Newman,
Korea and the American Generalized System of Preferences: Was Graduation a Prop-
er Response ? (1989) 11 : 3 U Pa J Intl Bus L 687 ; Ronald I Meltzer The US Renew-
al of the GSP: Implications for North-South Trade (1986) 20 : 2 J World Trade 507 ;
Frank A Hirsch, Jr, Renewal of the GSP: An Explanation of the Program and Changes
Made by the 1984 Legislation (1985) 18 : 3 Vand J Transnatl L 625 ; Gregory Carroll
Dorris, The Very Specialized United States Generalized System of Preferences: An
Examination of Renewal Changes and Analysis of Their Legal Effect (1985) 15 : 1 Ga
J Intl & Comp L 39 ; Maura Fecher, The Renewal of the United States Generalized
System of Preferences: A Legal and Economic Evaluation of the System and Proposals
for Change (1982-1983) 17 : 2 Geo Wash J Intl L & Econ 365 ; Nina J Lahoud, The
Non-Discriminatory United States Generalized System of Preferences: De Facto Dis-
crimination Against the Least Developed Developing Countries (1982-1983) 23 : 1
Harv Intl LJ 1 ; Thomas P Cutler, The United States Generalized System of Prefe-
rences: The Problem of Substantial Transformation (1980) 5 : 3 NCJ Intl & Com Reg
393.

133 Les tudes sont galement trs nombreuses sur les schmas de prfrences successifs
de la Communaut europenne. Voir Lorand Bartels, The WTO Legality of the EUs
GSP+ Arrangement (2007) 10 : 4 J Intl Econ L 869 ; Maureen Irish, GSP Tariffs and
Conditionality: A Comment on EC-Preferences (2007) 41 : 4 J World Trade 683 ; Gryn-
berg et Qalo, supra note 132 ; Amokura Kawharu, Principles of Non-Discrimination in

DE GENVE DOHA 149

de prfrences de la Communaut europenne, qui prvoyait de tels sous-
rgimes, a t conteste avec succs lOMC, mais cette question de-
meure controverse et appelle des dveloppements plus approfondis134.

Le SGP, comme premire faon doprationnaliser le traitement diff-
renci dans le systme commercial multilatral, soulve des difficults et
des critiques srieuses quant son efficacit relle. Certaines vont mme
jusqu remettre en question son bien-fond comme rponse juridique ap-
proprie aux ingalits de dveloppement entre tats.

Le vice fondamental du SGP et des schmas nationaux de prfrences
pris pour lappliquer est leur caractre volontaire. Les pays donneurs ont
la facult et non lobligation daccorder des prfrences tarifaires aux pro-
duits imports en provenance des pays en dveloppement ainsi que celle
de dterminer la nature et les bnficiaires de ces prfrences135. De plus,
les prfrences accordes par les pays donneurs ne sont pas protges ju-
ridiquement, ce qui signifie quelles peuvent tre retires en tout temps.
Les tentatives de rendre lapplication de la Clause dhabilitation obliga-
toire ont toutes chou jusqu prsent. Il est vrai quune certaine inter-
prtation du droit au dveloppement pourrait servir de fondement concep-
tuel la thse du caractre obligatoire du SGP, mais cette ide ne relve
que de la pure construction doctrinale et na jamais t relaye par le droit

Tariff Preferences Schemes: The WTO Appellate Bodys Decision in EC Preferences
and the Policy Impact on the European Union (2006) 3 NZYB Intl L 43 ; James Har-
rison, Incentives for Development: The ECs Generalized System of Preferences, In-
dias WTO challenge and Reform (2005) 42 : 6 CML Rev 1663 ; Philippe Vincent, Le
nouveau systme communautaire des prfrences gnralises [2005] C de D eur (5e-
6e) 683 ; Michael McKenzie, European Communities Conditions for the Granting of
Tariff Preferences to Developing Countries (2005) 6 : 1 Melb J Intl L 118 ; Lorand
Bartels, The WTO Enabling Clause and Positive Conditionality in the European
Communitys GSP Program (2003) 6 : 2 J Intl Econ L 507 ; Paul Brenton, Integrat-
ing the Least Developed Countries into the World Trading System: The Current Impact
of European Union Preferences under Everything But Arms (2003) 37 : 3 J World
Trade 623 ; Simon Lester, The Asian Newly Industrialized Countries to Graduate
from Europes GSP Tariffs (1995) 36 : 1 Harv Intl LJ 220 ; Steve Peers, Reform of
the European Communitys Generalized System of Preferences: A Missed Opportunity
(1995) 29 : 6 J World Trade 79 ; George Roman, recension de The ECs Generalized Sys-
tem of Preferences de Axel Borrmann, Christine Borrmann et Manfred Stegger (1983)
11 : 1-2 Intl J Legal Info 76.

134 Voir la partie III.A.2, ci-dessous, pour une discussion plus approfondie de laffaire CE

Prfrences tarifaires.

135 Feuer et Cassan, supra note 29 au no 428 ; Corinne Vadcar, Le traitement spcial et
prfrentiel : Plaidoyer contre les systmes de prfrences gnralises , (2005) 132 : 2
JDI 315 au para 36 ; Garca-Amador, supra note 29 la p 105 ; Merloz, supra note 36
aux pp 196-98, 200 ; Bulaji, supra note 36 aux pp 295-96.

150 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

international prospectif136. Les critiques concernant linefficacit cono-
mique du SGP sont srieuses et dcoulent directement de son caractre
volontaire. Les pays donneurs, par leurs schmas nationaux de prf-
rences, tendent exclure les produits imports lorsque les pays en dve-
loppement ont un avantage comparatif, incitant par le fait mme ces der-
niers se spcialiser dans des produits sans y trouver des avantages com-
paratifs, voire les empchant de se spcialiser dans les produits o ils d-
tiendraient un tel avantage137.

Le SGP, comme modalit dopration du traitement diffrenci dans le
systme commercial multilatral, ne profite pas galement tous. Il ap-
parat que les prfrences tarifaires accordes sont surtout utiles pour la
sous-catgorie de pays en dveloppement souvent nomme pays nouvel-
lement industrialiss (PNI), comme la Chine, qui disposent de la capacit
industrielle pour saisir les opportunits commerciales ouvertes par les
schmas nationaux de prfrences des pays donneurs138. En revanche, le
SGP serait inutile pour les PMA et ceux-ci resteraient totalement en
marge des changes commerciaux mondiaux. Malgr tout, mme sil nest
pas utilis son plein potentiel par les pays en dveloppement, le SGP a
nanmoins eu pour effet de leur ouvrir des marchs dexportation qui leur
taient auparavant ferms et, plus symboliquement, de reprsenter une
tentative relle de restructuration des relations conomiques internatio-
nales139.

Par ailleurs, puisque les pays en dveloppement nont pas faire de
concessions tarifaires, cela pose le problme de laccs leur march pour
les exportations en provenance des pays dvelopps qui, leur tour, se-
ront moins enclins largir laccs leur propre march pour les produits
en provenance des pays en dveloppement140.
En dernire analyse, le SGP semble tre porteur dune tare congni-
tale puisque la dynamique qui sous-tend le systme commercial multila-
tral et les accords de lOMC est celle de labaissement, puis de
llimination des tarifs douaniers141. Au fur et mesure que progresse

136 Vadcar, supra note 135 au para 13. Sur le droit au dveloppement, voir texte corres-

pondant la note 5.

137 Vadcar, supra note 135 aux para 65, 69.
138 Feuer et Cassan, supra note 29 au no 506 ; Vadcar, supra note 135 aux para 38-39.
139 Garca-Amador, supra note 29 la p 109.
140 Vadcar, supra note 135 au para 76 ; Michael Hart et Bill Dymond, Special and Diffe-
rential Treatment and the Doha Development Round (2003) 37 : 2 J World Trade
395 la p 397.

141 Voir Conclusions concertes, supra note 36, partie IX ; Merloz, supra note 36 la p 201 ;
Bulaji, supra note 36 la p 291. Le membre du groupe spcial qui a rdig une opinion
dissidente dans laffaire CE Prfrences tarifaires, Rapport du Groupe spcial, rap-

DE GENVE DOHA 151

laccomplissement de cet objectif fondamental, les avantages comparatifs
que les schmas nationaux de prfrences confrent artificiellement aux
pays en dveloppement samenuisent. Cette premire modalit
dopration du traitement diffrenci dans le systme commercial multila-
tral est donc terme, appele perdre de limportance, voire dispa-
ratre. Ces observations critiques forcent sinterroger sur lopportunit
de voir le cycle de Doha sattarder trop longuement sur le SGP. Ses condi-
tions dapplication dans les accords de lOMC gagneraient toutefois tre
prcises puisque son instrumentalisation par un pays donneur a fait
lobjet dun diffrend qui na pas t rgl la satisfaction de tous les
membres.

2. Laffaire CE Prfrences tarifaires et lvolution du concept de

dveloppement

Lapplication du SGP par un pays donneur de prfrences a fait lobjet
dun diffrend port lOMC, dans laffaire CE Prfrences tarifaires142.
Un aspect du schma de prfrences tarifaires gnralises que la Com-
munaut europenne a adopt en 2001, pour la priode 2002-2004, a t
contest avec succs par lInde. La Communaut europenne ne lui avait
accord que le bnfice de son rgime ordinaire, sans lui donner celui des
prfrences additionnelles quelle accordait dans le cadre de ses diffrents
rgimes particuliers. Le Groupe spcial et lOrgane dappel se sont enten-
dus sur lillicit du rgime particulier vis par la plainte, mais pour des
motifs forts diffrents puisque lOrgane dappel a laiss beaucoup plus de
latitude aux pays donneurs de prfrences que ne le faisait le Groupe sp-
cial.
Cette affaire est fondamentale parce quil sagit de la premire fois o
lapplication de la Clause dhabilitation pivot du rgime juridique parti-
culier du commerce Nord-Sud et pierre de touche de lcole franaise du
droit international du dveloppement a t soumise la justice inter-
nationale. Elle lest aussi parce quelle a mis en lumire la pratique des
deux plus grands donneurs de prfrences qui est de soumettre le bnfice
de certaines prfrences tarifaires additionnelles des conditions. Cette
pratique traduit une instrumentalisation du traitement diffrenci pour

pelle aussi que la valeur de ces prfrences a diminu en raison des rductions tari-
faires successives et des accords commerciaux rgionaux, mais il estime nanmoins que
les prfrences tarifaires gnralises restent un type de traitement spcial et diff-
renci important (Communauts Europennes Conditions doctroi de prfrences ta-
rifaires aux pays en dveloppement (2003), OMC Doc WT/DS246/R, au para 9.1, n 425
(Rapport du Groupe spcial) [CE Prfrences tarifaires, Rapport du Groupe spcial]).
142 Supra note 110. Sur cette affaire, voir gnralement Irish, supra note 133 ; Harrison,

supra note 133 ; McKenzie, supra note 133.

152 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

faire la promotion dobjectifs particuliers de leur politique extrieure, aus-
si louables soient-ils. Limportance de laffaire est aussi illustre par le fait
que dix-sept membres de lOMC ont rserv leurs droits de tierce partie,
dont seize pays en dveloppement et un seul pays dvelopp, les tats-
Unis. Cest pourquoi certains auteurs nhsitent pas parler dune dci-
sion qui fait partie des canons de lOrgane dappel de lOMC143.

Le schma communautaire prvoyait dabord un rgime gnral de
prfrences tarifaires en faveur de tous les pays en dveloppement quelle
reconnaissait comme bnficiaires du SGP. Il crait en outre quatre r-
gimes particuliers de prfrences tarifaires additionnelles en faveur dun
nombre plus limit de pays en dveloppement qui remplissait les condi-
tions prvues. Un rgime particulier visait les PMA, un autre visait les
pays qui respectaient certains droits fondamentaux des travailleurs, un
autre encore visait ceux qui respectaient certaines normes environnemen-
tales et un dernier rgime particulier visait les pays qui luttaient effica-
cement contre la production et le trafic de drogues. Le schma commu-
nautaire traitait donc les bnficiaires du SGP de manire discriminatoire
et cest contre la discrimination pose par le rgime concernant les
drogues que lInde a concentr sa plainte (lInde bnficiait du rgime g-
nral mais tait exclue de tous les rgimes particuliers). Les pays bnfi-
ciaires du rgime concernant les drogues taient prdtermins par le
schma, ce qui signifie que la liste des bnficiaires tait ferme, vice sou-
vent fatal en droit international conomique144.
Dans son rapport rendu en 2003, le Groupe spcial a donn raison
lInde et a constat que le rgime concernant les drogues tait incompa-
tible avec le GATT de 1994 parce quil violait la clause NPF et que cette
violation ntait pas justifie par la Clause dhabilitation145. Cette consta-

143 Hlne Ruiz Fabri et Pierre Monnier, note sous OMC, Organe dappel, 7 avril 2004,
WT/DS246, Conditions doctroi de prfrences tarifaires aux pays en dveloppement
(Inde c Communauts europennes), (2004) 131 : 3 JDI 1035 la p 1036.

144 Pour une violation de la clause NPF par une liste ferme, voir par ex Canada Cer-
taines mesures affectant lindustrie automobile (2000), OMC Doc WT/DS139,
WT/DS142/AB/R au para 81 (Rapport de lOrgane dappel). Pour une violation du para-
graphe introductif des exceptions gnrales par une liste ferme, voir tats-Unis
Prohibition limportation de certaines crevettes et de certains produits base de cre-
vettes (1998), OMC Doc WT/DS58/AB/R aux para 165, 177 (Rapport de lOrgane
dappel).

145 CE Prfrences tarifaires, Rapport du Groupe spcial, supra note 141 au para
8.1(a)(b)(c)(d). Le Groupe spcial a galement constat que le rgime concernant les
drogues ntait pas justifi par lexception gnrale de larticle XX(b) du GATT de 1994
concernant les mesures sanitaires et phytosanitaires (ibid au para 8.1(e)(f)). Cet aspect
du rapport du Groupe spcial na pas fait lobjet de lappel et a donc t adopt comme
tel, ce qui ouvre la voie la possibilit que lchec de justifier une violation de la clause
NPF par la Clause dhabilitation (supra note 80) soit rachet par une justification au

DE GENVE DOHA 153

tation tait fonde sur une lecture de la Clause dhabilitation qui voulait
que toute discrimination soit interdite entre les pays en dveloppement
bnficiaires du SGP, lexception des PMA qui sont clairement singula-
riss. la lumire du texte, du contexte et des travaux prparatoires de la
Clause dhabilitation la CNUCED, le Groupe spcial a t davis que la
discrimination entre pays bnficiaires des prfrences tarifaires tait in-
terdite en raison du renvoi la drogation de 1971 qui parle de
linstauration dun SGP sans discrimination146. [L]expression sans […]
discrimination figurant au bas de la note de bas de page 3 exige que des
prfrences tarifaires identiques dans le cadre des schmas SGP soient
accordes tous les pays en dveloppement sans diffrenciation, sauf
pour la mise en uvre de limitations a priori 147. Cette interprtation du
Groupe spcial tait en phase avec ce qui nous semble tre lintention ori-
ginelle de la CNUCED en 1970 lors de la cration du SGP. Ce dernier ne
semblait pas devoir admettre de discrimination entre ses bnficiaires : le
concept mme dun systme gnralis tait destin empcher la discri-
mination entre pays en dveloppement et visait multilatraliser les pr-
frences. Les pays en dveloppement qui bnficiaient de prfrences sp-
ciales taient censs perdre cet avantage, mais gagner un accs de nou-
veaux marchs dexportation, grce au caractre gnral et non discrimi-
natoire du SGP. Rien nindique que les mcanismes de sauvegarde qui
taient envisags taient censs sappliquer de manire discriminatoire.
Le principe de lauto-lection des pays bnficiaires semblait aussi
sopposer toute discrimination entre eux et seul loctroi de prfrences
supplmentaires pour les PMA tait envisag explicitement148. Il est vrai
que loctroi des prfrences tarifaires restait subordonn la drogation
ou aux drogations ncessaires par rapport aux obligations internatio-
nales existantes, en particulier celles qui dcoulent de lAccord gnral
sur les tarifs douanier et le commerce 149. Mme lintention originelle de
la CNUCED tait que lapplication du SGP soit conforme aux rgles du
systme commercial multilatral, ce qui signifie que cest linterprtation

titre des exceptions gnrales ou scuritaires des articles XX et XXI du GATT de 1994
(supra note 110).

146 CE Prfrences tarifaires, Rapport du Groupe spcial, supra note 141 aux para 7.65,

7.78, 7.80, 7.116.

147 Ibid au para 7.161. Les limitations a priori dont il est question renvoient aux mesures
de sauvegarde prvues par les arrangements de la CNUCED sur le SGP, que les pays
donneurs peuvent appliquer de manire prventive lgard de certains produits pro-
venant des pays en dveloppement bnficiaires de leur schma national de prfrences
tarifaires. Voir supra note 129 et texte correspondant.

148 Conclusions concertes, supra note 36, parties II(2), III, IV(1), V(2).
149 Ibid, partie IX(2)(c).

154 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

des accords de lOMC qui demeure dterminante pour la licit des prf-
rences conditionnelles.

La premire question que lOrgane dappel a tranche est celle de
larticulation juridique entre la clause NPF et la Clause dhabilitation. La
question est importante puisque lcole franaise du droit international du
dveloppement voyait dans la Clause dhabilitation la reconnaissance po-
sitive du rgime juridique du commerce des pays en dveloppement, en
parallle et en gale dignit, avec le rgime juridique du commerce entre
pays dvelopps150. Cette perception a t rejete par lOrgane dappel qui
jugea, linstar du Groupe spcial, que la Clause dhabilitation fonctionne
comme une exception la clause NPF, ce qui a port un dur coup cette
cole151. La position de la Communaut europenne, selon laquelle la
Clause dhabilitation sapplique lexclusion de la clause NPF, cte cte
et sur un pied dgalit, na pas t retenue. La porte de cette premire
modalit dopration du traitement diffrenci dans le systme commer-
cial multilatral en sort donc rduite, du moins sur le plan symbolique.
LOrgane dappel a t davis que le statut dexception de la Clause
dhabilitation nen diminue pas son importance, mais quil est indispen-
sable dtablir dabord une violation de la clause NPF pour ensuite exami-
ner si celle-ci est justifie par la Clause dhabilitation152.

La thse centrale de lcole franaise du droit international du dve-
loppement, selon laquelle le rgime juridique du commerce avec les pays
en dveloppement est parallle au rgime juridique du commerce entre
pays dvelopps plutt que dans un rapport de subordination ce dernier,
a cependant trouv cho jusquau sein du Groupe spcial. Lun des
membres du Groupe spcial sest explicitement dissoci du rapport de ses
deux collgues, dans une opinion dissidente sur cette question fondamen-
tale de larticulation juridique entre la Clause dhabilitation et la clause
NPF153. Dans une opinion trs fouille sappuyant abondamment sur les
travaux de la CNUCED sur le SGP ainsi que sur ceux de la Commission
du droit international de lONU sur les clauses NPF, ce membre anonyme
a fait valoir que la Clause dhabilitation est une disposition juridique cen-
se tre applique malgr la clause NPF, et non pas titre dexception
celle-ci, comme lindique lemploi du terme nonobstant 154. Par cons-
quent, ni la Clause dhabilitation ni la Drogation de 1971 ntait des ex-

150 Voir supra note 81 et texte correspondant.
151 CE Prfrences spciales, Rapport de lOrgane dappel, supra note 110 au para 90.
152 Ibid aux para 98, 102, 106.
153 CE Prfrences tarifaires, Rapport du Groupe spcial, supra note 141 aux para 9.1-
9.21. Sur la raret des opinions dissidentes et leur impact sur la juridictionnalisation du
systme de rglement des diffrends de lOMC, voir Ct, supra note 38 aux pp 100-101.

154 CE Prfrences tarifaires, Rapport du Groupe spcial, supra note 141 au para 9.13.

DE GENVE DOHA 155

ceptions limites. Toutes deux constituent des changements dapproche
notables et sont destines faire changer notablement et en bien leffet
des rgles commerciales 155.
Cette thse a fait long feu puisque lOrgane dappel a jug que la rela-
tion entre la clause NPF et la Clause dhabilitation en est une de rgle
gnrale et dexception, mais cette exception nest pas typique puisquelle
promeut le commerce et non pas la poursuite dobjectifs non commerciaux
comme les exceptions gnrales ou scuritaires au GATT de 1994. Ce ca-
ractre exceptionnel de la Clause dhabilitation se traduit par des rgles
de preuve exceptionnelles. Les rgles de preuve applicables lOMC veu-
lent que ce soit le membre qui allgue une exception en dfense qui ait la
charge de prouver que les conditions dapplication sont remplies. Or le
statut spcial de la Clause dhabilitation fait en sorte que cette exception
diffre des autres sur le plan des rgles de preuve, puisque lOrgane
dappel a jug que cest dabord le membre plaignant qui doit invoquer
lincompatibilit avec la Clause dhabilitation, en plus de lincompatibilit
avec la clause NPF156. Le membre dfendeur doit alors tablir la compati-
bilit de sa mesure avec les rgles de la Clause dhabilitation qui ont t
invoques par le membre plaignant157. Ce dernier doit donc situer claire-
ment le dbat juridique sur la Clause dhabilitation, mais la charge de la
preuve appartient toujours la partie dfenderesse.
Ce raisonnement soulve toutefois certaines questions : que se passe-t-
il si la partie plaignante omet dinvoquer la Clause dhabilitation ? La par-
tie dfenderesse est-elle forclose de linvoquer comme moyen de dfense ?
Une telle consquence est inconcevable puisquelle viderait lexception de
toute porte juridique. Le fardeau de la preuve de la partie dfenderesse
est-il moindre si la partie plaignante a omis dinvoquer la Clause
dhabilitation ? On peut donc sinterroger sur lutilit relle de ces rgles
de preuve particulires, au-del de la facilitation de la gestion du procs et
du caractre symbolique de lexception exceptionnelle, une bien maigre
consolation pour la dconstruction de la thse centrale de lcole franaise
du droit international du dveloppement.
En lespce, lOrgane dappel a t davis que lInde a suffisamment in-
voqu la Clause dhabilitation devant le Groupe spcial et que la constata-
tion dincompatibilit du rgime concernant les drogues avec la clause
NPF ne faisait pas lobjet dun appel158. Il a donc pu se concentrer sur

155 Ibid au para 9.16.
156 CE Prfrences tarifaires, Rapport de lOrgane dappel, supra note 110 aux para 110,

114, 118, 125.

157 Ibid aux para 115, 118, 125.
158 Ibid aux para 124, 125.

156 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

lanalyse de la question cruciale de la licit de la modulation des prf-
rences tarifaires selon les pays en dveloppement, dans le cadre dun
schma national de prfrences appliquant le SGP.

Lenjeu fondamental est de savoir si la Clause dhabilitation permet de
moduler des prfrences selon le pays en dveloppement bnficiaire ou si
les prfrences accordes aux pays en dveloppement doivent tre iden-
tiques. LOrgane dappel a infirm la constatation du Groupe spcial cet
gard, pour juger que la Clause dhabilitation ninterdit pas la discrimina-
tion entre pays en dveloppement dans un schma national de prf-
rences, mais que les modulations de prfrences ne sont permises que si
elles sont tablies en fonction du stade de dveloppement du pays bnfi-
ciaire (selon lacception largie donne par lOrgane dappel la notion de
dveloppement)159. Les catgories de pays en dveloppement doivent re-
grouper les pays bnficiaires du SGP qui sont dans une situation sem-
blable, cest–dire qui ont les besoins […] du dveloppement, des fi-
nances et du commerce auxquels le traitement en question vise r-
pondre 160. LOrgane dappel en vient cette conclusion en sappuyant sur
le texte et le contexte de la disposition pertinente de la Clause
dhabilitation :

En consquence, nous sommes davis quen imposant aux pays dve-
lopps de rpondre de manire positive aux besoins […] des pays
en voie de dveloppement , qui sont varis et ne sont pas homo-
gnes, le paragraphe 3 c) indique quun schma SGP peut tre sans
[…] discrimination mme si un traitement tarifaire identique
nest pas accord tous les bnficiaires du SGP161.

Cest donc sur la possibilit de moduler les prfrences tarifaires entre les
pays bnficiaires du SGP que lOrgane dappel a infirm la constatation
du Groupe spcial. Quant la question du rgime concernant les drogues
du schma communautaire, ils se sont entendus sur son illicit, mais
pour des raisons diffrentes. Puisque les modulations de prfrences ne
sont permises que si tous les pays bnficiaires ayant les mmes besoins y
ont accs, il est ncessaire que le besoin spcifique vis par le rgime par-
ticulier soit identifi. En lespce, le besoin auquel rpond le traitement
tarifaire diffrenci est le problme de production et de trafic illicite de
drogues dans certains pays bnficiaires du SGP162. Puisque la liste des
pays bnficiaires est ferme et quil ny a aucun critre ou norme dans le
schma communautaire qui permet de distinguer les pays bnficiaires
des autres pays, lOrgane dappel a finalement jug que le rgime concer-

159 Ibid au para 173.
160 Ibid.
161 Ibid au para 165.
162 Ibid au para 180.

DE GENVE DOHA 157

nant les drogues est discriminatoire et viole la Clause dhabilitation163. Ce
rgime particulier a t abrog par la Communaut europenne et celle-ci
sest dote dun nouveau schma de prfrences gnralises en 2005,
schma dont la compatibilit avec le GATT de 1994 est toujours remise en
question par lInde.
Ces doutes exprims par lInde, dans le cadre du suivi de la mise en
uvre de la dcision par lOMC, illustrent bien que laffaire CE Prf-
rences tarifaires soulve plus de questions quelle napporte de rponses.
Jusquo la notion de besoins du dveloppement peut-elle aller ? La porte
de la notion dterminera celle des modulations de prfrences licites. Avec
lvolution de lacception de la notion de dveloppement, dun caractre
purement conomique un caractre global couvrant les dimensions co-
nomiques, environnementales, sociales, scuritaires et humanitaires
(comme le reflte la Dclaration du millnaire), il devient vident que le
SGP peut devenir un instrument de promotion dobjectifs de politique ex-
trieure ayant peu voir avec les objectifs de la CNUCED en 1970. Cest
au problme de linstrumentalisation du SGP comme outil au service du
dveloppement durable auquel on assiste maintenant, problme qui est
un des arguments de Corinne Vadcar dans son plaidoyer contre le SGP164.
Par ailleurs, quels critres serait-il possible demployer pour dterminer si
un pays bnficiaire du SGP peut profiter de prfrences additionnelles ?
Sil est clair quune liste ferme de pays bnficiaires serait illicite, la lati-
tude des pays donneurs dans ltablissement et lapplication de ces cri-
tres demeure inconnue.
Cette modalit dopration du traitement diffrenci dans le systme
commercial multilatral soulevant maintenant les difficults discutes
prcdemment, il est ncessaire dexaminer galement comment les
autres modalits dopration du concept sont appliques, mais surtout,
quelles sont les difficults quelles comportent.

B. Les autres applications du traitement diffrenci et les difficults quelles

comportent

1. Linapplication de la clause volutive

Une disposition qui aurait pu tre parmi les plus importantes de
loprationnalisation du traitement diffrenci dans le systme commer-
la Clause
cial multilatral est

la clause volutive prvue par

163 Ibid au para 187.
164 Vadcar, supra note 135 aux para 96-97.

158 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

dhabilitation165. Celle-ci prvoit la rintgration progressive des pays en
dveloppement dans le rgime commercial gnral du GATT de 1994 ; elle
constitue le lien juridique entre ce rgime gnral et le rgime particulier
du commerce des pays en dveloppement. Elle traduit le caractre
thoriquement dynamique du processus de dveloppement, ainsi que la
nature transitoire du statut de pays en dveloppement. Sa porte juri-
dique aurait pu notamment tre dencadrer lapplication du principe de
lauto-lection des pays en dveloppement, mais elle na ce jour jamais
t applique ou invoque par un membre de lOMC. Les professeurs Do-
minique Carreau et Patrick Juillard sont davis que la clause volutive a
t prvue pour forcer la rintgration des pays en dveloppement les plus
avancs, aussi appels nouveaux pays industrialiss (NPI), dans le rgime
commercial gnral166.

Puisque la Clause dhabilitation est soumise au systme de rglement
des diffrends de lOMC, lapplication ou linapplication de la clause volu-
tive pourrait nanmoins faire lobjet dune plainte dans le futur. En
labsence de critres de mise en uvre, des risques dabus ou demploi ar-
bitraire de la clause volutive par les pays dvelopps ont pu tre
craints167, mais son inapplication indique que ces risques sont extrme-
ment faibles. Le droit semble donc avoir de la difficult simmiscer dans
la catgorisation des bnficiaires du traitement diffrenci, qui demeure
fige et relve au final, par le principe de lauto-lection, uniquement du
politique.
En plus de ne pas avoir t applique, cest galement la logique de la
clause volutive qui na pas t entirement transpose dans les nouvelles
modalits dopration du traitement diffrenci introduites par les accords
de lOMC. En fixant lavance le dlai de rintgration des pays en dve-
loppement dans le rgime juridique gnral, les dispositions appartenant
au type de celles prvoyant des priodes dadaptation se sont loignes de
cette logique, alors que lon aurait pu les fixer titre indicatif ou les pro-
longer, selon la situation individuelle du pays en dveloppement concer-
n168.

165 Voir supra note 96 et texte correspondant.
166 Carreau et Juillard, supra note 62 au no 680.
167 Voir Feuer et Cassan, supra note 29 au no 428.
168 Voir supra note 115 et texte correspondant. Guy Feuer, Libralisme, mondialisation et
dveloppement : propos de quelques ralits ambigus (1999) 45 AFDJ 148 aux pp
151-52 [Feuer, Mondialisation ].

DE GENVE DOHA 159

2. La contre-productivit du principe de non-rciprocit

La premire manifestation du traitement diffrenci dans le systme

commercial multilatral, soit le principe de non-rciprocit dans les ngo-
ciations commerciales multilatrales, a t applique systmatiquement.
Cependant, le rsultat de cette application aurait t contre-productif
pour les pays en dveloppement puisquils seraient devenus les simples
spectateurs de ngociations se droulant essentiellement entre pays dve-
lopps, et ce, mme sils peuvent automatiquement bnficier des conces-
sions tarifaires ngocies entre les pays du Nord par le jeu de la clause
NPF. Leffet pervers du principe de non-rciprocit serait davoir grande-
ment affaibli le rapport de force des pays en dveloppement dans les n-
gociations commerciales multilatrales puisque ces pays nont rien offrir
en termes de concessions tarifaires169. Cette impuissance des pays en d-
veloppement a eu pour consquence directe que le cours des ngociations
commerciales multilatrales na gnralement pas pous leurs priorits
commerciales.

3. Le traitement diffrenci entre pays en dveloppement et le Systme

global des prfrences commerciales (SGPC)

Une application originale du traitement diffrenci dans le systme
commercial multilatral consiste aussi en loctroi de prfrences tarifaires,
mais exclusivement entre pays en dveloppement. Face lapplication
discriminatoire du SGP par les pays dvelopps, en raison de lexclusion
de certains pays bnficiaires pour des motifs purement politiques, plu-
sieurs pays en dveloppement appartenant au G-77 ont dcid en 1988 de
mettre en place leur propre Systme global des prfrences commerciales
(SGPC)170. Ce rgime commercial particulier se veut une autre application
de la Clause dhabilitation, qui autorise et encourage les arrangements
mondiaux conclus entre pays en dveloppement en vue de la rduction ou
de llimination de tarifs douaniers sur une base mutuelle171.

Le SGPC constitue plusieurs gards une oprationnalisation origi-
nale du traitement diffrenci. Dabord, il est le fruit dune initiative de
pays en dveloppement qui ont exploit de manire crative les possibili-

169 Carreau et Juillard, supra note 62 au no 672 ; Hart et Dymond, supra note 140 la p

397.

170 Accord relatif au systme global des prfrences commerciales entre pays en dveloppe-
ment, 13 avril 1988, 1534 RTNU 119 (entre en vigueur : 19 avril 1989) [Accord sur le
SGPC] ; Bulaji, supra note 36 la p 297. Voir gnralement Zalma Haquani,
Laccord relatif du [sic] systme global de prfrences commerciales entre pays en d-
veloppement (1989) 93 : 4 RGDIP 885.

171 Voir supra note 88 et texte correspondant.

160 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

ts ouvertes par la Clause dhabilitation, ce qui leur a permis de corriger
certaines des lacunes juridiques qui affligent cette autre modalit
dopration du traitement diffrenci quest le SGP. Cr au moyen dun
trait qui pose un cadre juridique clair, le SGPC met rellement en place
un systme gnralis, puisque les concessions tarifaires ngocies entre
pays en dveloppement doivent tre tendues tous les pays participants,
sans discrimination, en application du principe de la nation la plus favori-
se172. Ensuite, les prfrences tarifaires consenties dans le cadre du
SGPC sont protges juridiquement, ce qui signifie que les pays donneurs
ne peuvent plus les retirer ou les modifier, linstar des concessions tari-
faires faites dans le cadre du GATT de 1994, et des rgles dorigine uni-
formes sont galement prvues173. Le SGPC est conu comme un instru-
ment dynamique de coopration conomique entre pays en dveloppe-
ment, un lieu de ngociations priodiques dont la manifestation la plus
rcente est le lancement du cycle de So Paulo en 2004174. Tout comme
pour le SGP, la CNUCED fournit le soutien administratif la gestion du
SGPC, qui compte actuellement quarante-trois pays en dveloppement
participants175.

La modulation la plus innovatrice du traitement diffrenci est son
oprationnalisation au sein mme du SGPC, lgard des PMA. Le SGPC,
qui permet dj loctroi de prfrences tarifaires entre pays en dvelop-
pement conformment la Clause dhabilitation, permet en outre aux
pays participants de prvoir des prfrences additionnelles pour les PMA,
en plus de reprendre le principe de non-rciprocit en faveur de ces der-
niers dans les ngociations commerciales conduites sous ses auspices176.
Cette modulation originale du traitement diffrenci apparat moins com-
patible avec la Clause dhabilitation ; loctroi de prfrences tarifaires par
des pays en dveloppement en faveur des PMA a ainsi d tre lgalis au
moyen dune drogation177. Le SGPC aurait initialement t critiqu par
les pays dvelopps non seulement en raison des doutes sur sa licit,
mais aussi parce quil est discriminatoire leur gard178.

172 Accord sur le SGPC, supra note 170, art 9(1).
173 Ibid, art 10, 15, annexe II.
174 SGPC, Dclaration de So Paulo sur le lancement du troisime cycle de ngociations re-
latives au systme global de prfrences commerciales entre pays en dveloppement
(SGPC), GSTP/C.P./SSB/5, Doc off SGPC, sess extra au niveau ministriel, 16 juin
2004.

175 CNUCED, SGPC, Global System of Trade Preference, en ligne : CNUCED .

176 Accord sur le SGPC, supra note 170, art 17, annexe III.
177 Voir supra note 119 et texte correspondant.
178 Voir Bulaji, supra note 36 la p 297.

DE GENVE DOHA 161

4. Les accords commerciaux rgionaux entre pays en dveloppement

les conditions plus souples de

La possibilit pour les pays en dveloppement de libraliser le com-

merce entre eux, des conditions beaucoup moins strictes que celles im-
poses par le rgime juridique gnral des accords de lOMC, a t sou-
vent applique179. Pour ce faire, ceux-ci nont pas obtenir lautorisation
de lOMC, mais doivent simplement lui notifier leur accord commercial,
aprs quoi lOMC peut thoriquement entrer en consultations avec les
membres si laccord devait poser des difficults180. Ce processus de notifi-
cation lOMC a cependant une utilit limite puisquil appert que mme
la licit des accords commerciaux rgionaux, notifie en vertu du rgime
juridique gnral du GATT de 1994, nest en pratique jamais srieuse-
ment remise en question par lOMC181.
la fin de lanne 2008, lOMC recensait vingt-huit accords commer-
ciaux rgionaux entre pays en dveloppement, qui lui ont t notifis au
titre de la Clause dhabilitation, sur un total de 421 accords commerciaux
rgionaux conclus par les membres de lOMC182. De ce nombre, six accords
tablissent une union douanire entre des pays en dveloppement et
vingt-deux sont des accords de libre-change de porte partielle, conclus
suivant
la Clause dhabilitation.
Lapplication du traitement diffrenci par les pays en dveloppement, au
chapitre de la conclusion daccords commerciaux couvrant moins que
lensemble du commerce entre les parties contractantes, demeure donc
marginale par rapport aux accords de libre-change ou aux unions doua-
nires rgulires autoriss par le rgime juridique gnral des accords de
lOMC. Parmi ces vingt-huit accords commerciaux prfrentiels figurent
les deux arrangements mondiaux entre pays en dveloppement mention-
ns prcdemment, soit le Protocole concernant les ngociations commer-
ciales entre pays en voie de dveloppement de 1971 et lAccord relatif au
systme global des prfrences commerciales entre pays en dveloppement
de 1988. De plus, dix-neuf accords plurilatraux entre pays en dvelop-
pement ont galement t notifis au GATT ou lOMC au titre de la
Clause dhabilitation183, ainsi que sept accords bilatraux184.

179 Voir supra note 88 et texte correspondant.
180 Clause dhabilitation, supra note 80, art 4(a).
181 Voir Petros C Mavroidis, If I Dont Do It, Somebody Else Will (Or Wont): Testing the
Compliance of Preferential Trade Agreements With the Multilateral Rules (2006) 40 :
1 J World Trade 187 la p 188.

182 OMC, Accords commerciaux rgionaux, en ligne : OMC . LOMC parle de 29 accords, mais elle nen rpertorie en
ralit que 28 dans sa base de donnes sur les accords commerciaux rgionaux.

183 Il sagit des accords commerciaux prfrentiels suivants : Accord commercial Asie-
Pacifique (APTA) (1975) (1) ; Accord commercial Asie-Pacifique (APTA) Adhsion de

162 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

Il faut souligner que lapplication de la Clause dhabilitation par les
pays en dveloppement nest pas systmatique cet gard, puisquils
nhsitent pas conclure aussi des accords commerciaux rgionaux entre
eux sous le rgime juridique gnral des accords de lOMC185. En ce qui
concerne la libralisation des changes entre pays en dveloppement, la
possibilit dappliquer le traitement diffrenci reconnue par les accords
de lOMC est donc applique rgulirement, mais pas systmatiquement.

5. Le traitement diffrenci drogatoire ad hoc de Lom Cotonou

La modalit dopration du traitement diffrenci la plus flexible dans
le systme commercial multilatral demeure celle de loctroi dune droga-
tion ad hoc, qui permet de lgaliser tout traitement de faveur accord
des pays en dveloppement parce quil chappe aux autres modalits
dopration du concept et quil serait autrement illicite 186. Il faut se rappe-
ler que cest cette technique juridique qui a permis au traitement diffren-
ci de vritablement sintgrer dans le droit du systme commercial multi-
latral, avec ladoption des deux drogations de 1971. Cette modalit

la Chine (2001) (2) ; Accord commercial des pays insulaires du Pacifique (PICTA) (2001)
(3) ; Accord de coopration commerciale et conomique pour la Rgion du Pacifique Sud
(SPARTECA) (1981) (4) ; Accord de libre-change de lAsie du Sud (SAFTA) (2004) (5) ;
Association des Nations de lAsie du Sud-Est (ANASE) (1992) (6) ; Accord commercial
entre lANASE et la Chine (2002) (7) ; Association latino-amricaine dintgration
(ALADI) (1980) (8) ; Association sud asiatique de coopration rgionale (ASACR) (1993)
(9) ; Communaut de lAfrique de lEst (CEA) (1999) (10) ; Communaut conomique et
montaire de lAfrique centrale (CEMAC) (1994) (11) ; Conseil de coopration du Golfe
(CCG) (2001) (12) ; Groupe andin (CAN) (1987) (13) ; Groupe du Fer de lance mlan-
sien (GFLM) (1993) (14) ; March commun de lAfrique de lEst et de lAfrique australe
(COMESA) (1993) (15) ; March commun du Sud (MERCOSUR) (1991) (16) ; Commu-
naut conomique des tats dAfrique de lOuest (CEDEAO) (1993) (17) ; Organisation
de coopration conomique (OCE) (1992) (18) ; Union conomique et montaire ouest-
africaine (UEMOA) (1994) (19) [lanne entre parenthse est celle de la signature de
laccord]. OMC, Systme dinformation sur les Accords Commerciaux Rgionaux (SI-
ACR), en ligne : OMC .

184 Il sagit des accords commerciaux bilatraux entre le Laos et la Thalande (1991) (1), le
Pakistan et le Sri Lanka (2002) (2), le Pakistan et la Malaisie (2007) (3), lInde et le Sri
Lanka (1998) (4), lInde et le Bhoutan (2006) (5), lgypte et la Turquie (2005) (6), le
Chili et lInde (2006) (7) [lanne entre parenthse est celle de la signature de laccord].
OMC, Systme dinformation sur les Accords Commerciaux Rgionaux (SI-ACR), en
ligne : OMC .

185 La recension des accords commerciaux rgionaux conclus par les pays en dveloppe-
ment entre eux, sous le rgime juridique gnral des accords de lOMC, dpasse le cadre
de la prsente tude, puisquil ne sagit pas dune application du traitement diffrenci
dans le systme commercial multilatral. Voir Jaime de Melo, Regionalism and De-
veloping Countries: A Primer , (2007) 41 : 2 J World Trade 351.

186 Voir supra note 97 et texte correspondant.

DE GENVE DOHA 163

dopration savre dune importance capitale pour les membres de lOMC
qui souhaitent oprationnaliser le traitement diffrenci de manire ori-
ginale et autrement contraire aux accords de lOMC. Elle est sans doute la
portion la moins visible de son application dans le systme commercial
multilatral, puisque son tude ncessite la recension dune panoplie de
dcisions parses, adoptes pour lessentiel par le Conseil gnral de
lOMC. La drogation ad hoc permet pourtant aux membres de lOMC de
moduler le rgime juridique gnral du commerce mondial pour ladapter
des initiatives juges politiquement acceptables, et ce, mme si elles d-
rogent ses rgles. Cette technique juridique est rgulirement employe
pour permettre la satisfaction des besoins du dveloppement de certains
pays en dveloppement, ce qui traduit bien le pragmatisme et la flexibilit
relle du droit international conomique, une de ses caractristiques sou-
vent mconnue.
Malgr le fait que la drogation ad hoc a pour essence de permettre la
singularisation dun traitement diffrenci lgard dun pays ou de plu-
sieurs pays en dveloppement, il est possible, en observant la pratique de
lOMC, de dgager une typologie sommaire du traitement diffrenci d-
rogatoire.
Un premier type de drogations ad hoc accordes par lOMC vise le
traitement diffrenci qui concerne la leve des obstacles non tarifaires au
commerce. Celles-ci sont demandes par le pays en dveloppement bnfi-
ciaire qui souhaite obtenir la prolongation de la priode de transition pr-
vue par une disposition avant quil ne soit pleinement soumis au rgime
juridique gnral du commerce. Par exemple, plusieurs pays en dvelop-
pement ont obtenu une drogation retardant la fin de la priode de transi-
tion initialement prvue dans les accords de lOMC concernant les valeurs
minimales aux fins de lvaluation en douane des marchandises187.

187 Voir Sngal Drogation concernant les valeurs minimales relevant de lAccord sur la
mise en uvre de larticle VII de lAccord gnral sur les tarifs douaniers et le commerce
de 1994 (2008), OMC Doc WT/L/735 ; El Salvador Drogation concernant les valeurs
minimales relevant de la mise en uvre de larticle VII de lAccord gnral sur les tarifs
douaniers et le commerce de 1994 (2002), OMC Doc WT/L/476 ; Cte dIvoire Droga-
tion concernant les valeurs minimales relevant de la mise en uvre de larticle VII de
lAccord gnral sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (2002), OMC Doc
WT/L/475 ; Madagascar Accord sur les valeurs minimales en ce qui concerne la mise
en uvre de larticle VII de lAccord gnral sur les tarifs douaniers et le commerce de
1994 : Demande de drogation (2001), OMC Doc WT/L/408 ; Cameroun Mise en
uvre de larticle VII de lAccord gnral sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 :
Demande de drogation (2001), OMC Doc WT/L/396 ; Uruguay Demande de droga-
tion concernant les valeurs minimales (2000), OMC Doc WT/L/354. Voir aussi Thalande
Prorogation de la priode de transition prvue pour llimination des mesures concer-
nant les investissements et lies au commerce notifies conformment larticle 5:1 de

164 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

Un deuxime type de drogations ad hoc qui peuvent tre accordes
par lOMC est apparu rcemment dans la pratique de lOMC. Une droga-
tion a t adopte la demande des membres de lOMC participant au
systme de certification du processus de Kimberley concernant les dia-
mants bruts, qui vise linterdiction de limportation ou de lexportation de
diamants illgitimes servant financer la guerre. Cette drogation sous-
trait le commerce international des diamants du rgime juridique gnral
du systme commercial multilatral des fins scuritaires et humani-
taires188. Puisquil nexiste quun seul cas dapplication, il est difficile de le
gnraliser pour en faire un type, mais cette drogation innovatrice ne se
rattache aucun autre type et est une bonne illustration de la flexibilit
mentionne ci-dessus. Cette oprationnalisation du traitement diffrenci
est dautant plus originale quelle participe dune acception large de la no-
tion de dveloppement, rappelant la Dclaration du Millnaire, plus
proche du dveloppement durable que du dveloppement purement co-
nomique classique.
Un troisime type de drogations ad hoc accordes par lOMC vise la
lgalisation du traitement tarifaire prfrentiel en faveur dune catgorie
gnrale de pays en dveloppement bnficiaires. Celles-ci sont deman-
des par les pays donneurs de prfrence qui souhaitent rgulariser leur
pratique au regard des accords de lOMC, ou encore renforcer la scurit
juridique de leur action pour le dveloppement, en raison des doutes quil
peut y avoir sur sa licit. Les seuls exemples de ce type sont les deux d-
rogations mentionnes prcdemment qui concernent loctroi de prf-
rences par des pays en dveloppement en faveur des PMA189.
Un quatrime type de drogations ad hoc accordes par lOMC vise
aussi la lgalisation dun traitement tarifaire prfrentiel, mais cette fois
en faveur dun ou de plusieurs pays en dveloppement bnficiaires.
Celles-ci sont nouveau demandes par le pays donneur de prfrences
qui veut rgulariser la discrimination quil opre entre les pays en dve-
loppement dans sa politique tarifaire. Par exemple, des arrangements
commerciaux prfrentiels franco-marocains remontant aux annes 1960
ont fait lobjet de plusieurs drogations jusqu lentre en vigueur de

lAccord sur les mesures concernant les investissement et lies au commerce : Demande
de drogation (2001), OMC Doc WT/L/410.

188 Drogation concernant le systme de certification du processus de Kimberley pour les

diamants bruts : Dcision du 15 mai 2003 (2003), OMC Doc WT/L/518.

189 Voir supra note 119 et texte correspondant.

DE GENVE DOHA 165

laccord commercial rgional qui a tabli une association entre la Commu-
naut europenne et le Maroc190.
Un dernier type de drogations ad hoc accordes par lOMC vise ga-
lement la lgalisation dun traitement tarifaire prfrentiel, mais cette
fois en faveur dun groupe ou dun ensemble de pays en dveloppement
bnficiaires, octroy dans le cadre dune politique plus globale daide au
dveloppement du pays donneur. Lapplication de ce traitement diffren-
ci drogatoire peut avoir des consquences conomiques significatives
sur le systme commercial multilatral, aussi son application est-elle sans
doute la plus remarque du traitement diffrenci drogatoire. Par
exemple, les tats-Unis sen sont servis pour lgaliser leur politique tari-
faire prfrentielle en faveur des pays andins, qui vise encourager
lexpansion des produits licites comme substituts la production et au tra-
fic de stupfiants illicites, et en faveur des pays du bassin des Carabes,
qui vise appuyer leur redressement conomique191.

Lexemple le plus significatif de ce type de drogations est cependant
celui de la politique europenne daide au dveloppement des pays
dAfrique, des Carabes et du Pacifique (pays ACP) qui fut amnage par
les conventions de Lom I IV. Ces dernires sont maintenant rempla-
ces par laccord de Cotonou192. Les conventions de Lom, qui ont fait
lobjet de quatre rengociations entre 1975 et 1989, ont institu un rgime
global et innovateur pour le commerce entre la Communaut europenne
et les pays ACP193. Ces conventions se voulaient une rponse la revendi-

190 Voir CE/France Arrangements commerciaux franco-marocains : Prorogation de la
drogation (2000), OMC Doc WT/L/361. Voir aussi Suisse Prfrences applicables
lAlbanie et la Bosnie-Herzgovine : Demande de drogation (2001), OMC Doc
WT/L/406 ; Turquie Traitement prfrentiel pour la Bosnie-Herzgovine : Demande de
drogation (2000), OMC Doc WT/L/381.

191 tats-Unis Loi relative aux prfrences commerciales en faveur des pays andins : Pro-
rogation de drogation (2009), OMC Doc WT/L/755 ; tats-Unis Loi relative au re-
dressement conomique du bassin des Carabes : Prorogation de drogation (2009), OMC
Doc WT/L/753. Voir aussi Prfrences communautaires applicables lAlbanie, la Bos-
nie-Herzgovine, la Croatie, la Rpublique fdrale de Yougoslavie et lEx-Rpublique
yougoslave de Macdoine : Demande de drogation en vue de lapplication du traitement
prfrentiel autonome de lUnion europenne aux pays de la partie occidentale des Bal-
kans (2000), OMC Doc WT/L/380.

192 OMC, Confrence ministrielle, Communauts europennes LAccord de partenariat
ACP-CE (2001), OMC Doc WT/MIN(01)/15 [CE Accord de partenariat] ; CE Qua-
trime Convention ACP-CE de Lom : Prorogation de drogation (1996), OMC Doc
WT/L/186.

193 Quatrime Convention ACP-CEE, 15 dcembre 1989, 1925 RTNU 3 (entre en vigueur :
1er septembre 1991) ; Troisime Convention ACP-CEE, 8 dcembre 1984, 1923 RTNU 3
(entre en vigueur : 1er mai 1986) ; Deuxime Convention ACP-CEE, 31 octobre 1979,
1278 RTNU 3 (entre en vigueur : 1er janvier 1981) ; Accord de Georgetown relatif
lorganisation du groupe des tats dAfrique, des Carabes et du Pacifique, 6 juin 1975,

166 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

cation dun nouvel ordre conomique international et elles sont gnrale-
ment considres comme lune de ses rares matrialisations en droit in-
ternational positif. Le rgime mis en place avait plusieurs volets, dont no-
tamment un systme de rgulation du commerce des produits de base qui
prvoyait deux mcanismes de stabilisation des recettes dexportation
pour les pays ACP, le STABEX et le SYSMIN, ainsi quune politique tari-
faire prfrentielle seulement en faveur de ces pays en dveloppement194.

La compatibilit du rgime avec le GATT de 1947 a t conteste
deux reprises et les groupes spciaux ont conclu quil ne sagissait pas
dun accord commercial rgional, au sens du rgime de droit commun de
larticle XXIV, et que la partie IV nintroduisait aucune exception au r-
gime commercial de droit commun195. La Communaut europenne a d
se rsoudre lgaliser le rgime commercial de la convention de Lom IV
au moyen dune drogation ad hoc, mme si les rapports des groupes sp-
ciaux nont jamais t adopts et quelle soutenait toujours que ce rgime
tait licite au regard de larticle XXIV, considr la lumire de la partie
IV du GATT de 1947196. Puisquil tablissait une discrimination tarifaire
entre les pays en dveloppement et que seuls les pays ACP pouvaient en
bnficier, le rgime commercial de la convention de Lom IV constituait
vraisemblablement une violation de la clause NPF qui ne pouvait tre jus-
tifie par la Clause dhabilitation.

La compatibilit de plusieurs aspects du rgime de la convention de
Lom IV avec la drogation qui le lgalisait a galement fait lobjet dune
plainte lOMC, suivant son nouveau systme de rglement des diff-
rends plus contraignant. Le rgime du commerce de la banane, quelle
mettait en place en faveur des pays ACP, a t contest avec succs par
plusieurs pays en dveloppement dAmrique latine qui en taient exclus
et qui subissaient ses contrecoups conomiques, en voyant leur accs au
march communautaire fortement rduit197. Cette dfaite de la Commu-

1247 RTNU 147 (entre en vigueur : 12 fvrier 1976) ; Convention ACP-CEE de Lom,
28 fvrier 1975, [1976] JO L 25/2 (entre en vigueur : 1er avril 1976).

194 Voir Feuer et Cassan, supra note 29 aux no 480-86, 507-509. Voir gnralement Daniel

Dormoy, Lom IV : Les ngociations et laccord (1990) 94 : 3 RGDIP 635.

195 EEC Import Regime for Bananas (1994), GATT Doc DS38/R au para 164, en ligne :
OMC (rapport non
adopt) ; EEC Member States Import Regimes for Bananas (1993), GATT Doc
DS32/R aux para 368-72, en ligne : OMC (rapport non adopt).

196 Quatrime Convention ACP-CEE de Lom : Dcision du 9 dcembre 1994, GATT PC Dc

L/7604, 50e sess, supp n 41 IBDD (1997) 27.

197 Communauts europennes Rgime applicable limportation, la vente et la dis-
tribution des bananes (1997), OMC Doc WT/DS27/AB/R au para 188 (Rapport de
lOrgane dappel). LOrgane dappel a entre autres jug, contrairement au Groupe sp-

DE GENVE DOHA 167

naut europenne lOMC a prcipit une rvision en profondeur du mo-
dle daide au dveloppement en faveur des pays ACP. Le consensus pour
une nouvelle prorogation de la drogation devenant impossible at-
teindre, le modle des conventions de Lom a d tre abandonn au profit
dun nouveau modle consacr par ladoption de lAccord de Cotonou198.
Pour aller lessentiel du point de vue du traitement diffrenci,

lAccord de Cotonou marque une rupture fondamentale par rapport aux
conventions de Lom puisque aprs une priode initiale de transition, qui
a fait lobjet dune drogation, il prvoit que le rgime commercial particu-
lier entre la Communaut europenne et les pays ACP doit rintgrer le
rgime juridique gnral, ce qui signifie que le traitement diffrenci d-
rogatoire a t abandonn199. Les relations commerciales prfrentielles
entre les parties sont dsormais gouvernes par des accords de partena-
riat conomique qui sont des accords de libre-change censs tre compa-
tibles avec lexception pour les accords commerciaux rgionaux de larticle
XXIV du GATT de 1994. Ladoption de drogations nest donc dsormais
plus ncessaire.

LAccord de Cotonou revt un grand intrt puisquil indique que
lapplication la plus importante du traitement diffrenci drogatoire a
maintenant cess dexister. La politique tarifaire prfrentielle de la

cial, que la drogation ne lgalisait pas la violation de larticle XIII(1) du GATT de 1994
par les contingents tarifaires discriminatoires appliqus par la Communaut euro-
penne aux importations de bananes, en faveur des pays ACP.

198 Accord de partenariat entre les membres du groupe des tats dAfrique, des Carabes et
du Pacifique, dune part, et la Communaut europenne et ses tats membres, dautre
part, sign Cotonou le 23 juin 2000, [2000] JO L 317/3 (entre en vigueur : 1er avril
2003) [Accord de Cotonou] ; Cosmas Milton Obote Ochieng The EU-ACP Economic
Partnership Agreements and the Development Question: Constraints and Opportuni-
ties Posed by Article XXIV and Special and Differential Treatment Provisions of the
WTO (2007) 10 : 2 J Intl Econ L 363 aux pp 370-71. Voir gnralement Guy Feuer
avec la collaboration de Ange Ouraga, Un nouveau paradigme pour les relations entre
lUnion europenne et les tats ACP : LAccord de Cotonou du 23 juin 2000 (2002)
106 : 2 RGDIP 269 [Feuer, Cotonou ] ; Philippe Vincent, Lentre en vigueur de la
Convention de Cotonou [2003] C de D eur (1e-2e) 157 ; Abou Abass, The Cotonou
Trade Rgime and WTO Law (2004) 10 : 4 Eur LJ 439 ; Olufemi Babarinde et Gerrit
Faber, dir, The European Union and the Developing Countries : The Cotonou Agree-
ment, Leyde, Martinus Nijhoff, 2005 ; Francis AST Matambalya et Susanna Wolf, The
Cotonou Agreement and the Challenges of Making the New EU-ACP Trade Regime
WTO Compatible (2001) 35 : 1 J World Trade 123 ; Christian Eninam Trimua, Le fi-
nancement communautaire de lajustement structurel dans les pays dAfrique, des Ca-
rabes et du Pacifique travers les Conventions de Lom IV et de Cotonou [2005] RRJ
2155 ; Justice C Nwobike, The Emerging Trade Regime under the Cotonou Part-
nership Agreement: Its Human Rights Implications (2006) 40 : 2 J World Trade 291.

199 Accord de Cotonou, supra note 198, art 36, 37, annexe V ; Ochieng, supra note 198 la p

367. Voir CE Accord de partenariat, supra note 192.

168 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

Communaut europenne en faveur des pays ACP a rintgr le rgime
commercial de droit commun de lOMC, ce qui signifie que les prfrences
tarifaires doivent dsormais tre mutuelles et porter sur lessentiel du
commerce seffectuant entre les parties, plutt quunilatrales et secto-
rielles. Cest pourquoi lAccord de Cotonou a pu tre qualifi de nouveau
paradigme dans la discussion acadmique sur lvolution du droit interna-
tional du dveloppement. Le professeur Guy Feuer voit dans cet accord le
modle juridique indiquant peut-tre la voie de lavenir pour les rapports
juridiques entre pays dvelopps et pays en dveloppement200.
Indpendamment de lintrt de lAccord de Cotonou pour la discus-

sion sur la disparition de lcole franaise du droit international du dve-
loppement, il constitue aussi un recul significatif de la manifestation la
plus connue du traitement diffrenci drogatoire. Il nen demeure pas
moins que la pratique de lOMC atteste que lapplication de cette modalit
dopration du traitement diffrenci se poursuit une moins grande
chelle. Lopposition marque de la CNUCED pour ces prfrences tari-
faires spciales ou verticales, en raison de la discrimination souvent arbi-
traire quelles oprent entre les pays en dveloppement souvent un re-
liquat de relations coloniales ou nocoloniales reste donc dactualit201.

IV. Les perspectives dvolution du concept de traitement diffrenci dans

le systme commercial multilatral

A. La dconstruction du droit international du dveloppement et le

traitement diffrenci

Dj au dbut des annes 1990, des doutes srieux ont commenc
tre mis quant lexistence du droit international du dveloppement
comme branche du droit international ou discipline juridique. Le tiers-
monde est sorti des annes 1980 trs affaibli politiquement sur la scne
mondiale, avec la crise conomique, alors que les pays industrialiss ont
repris les devants dans larticulation du discours sur les relations cono-
miques internationales. La fin de la Guerre froide a achev cette trans-
formation gopolitique radicale et cest alors que la question de savoir sil
tait toujours possible de parler de droit international du dveloppement
a pu tre pose directement202. Au vu de lincertitude quant lexistence
mme de ce droit et des doutes sur son efficacit rsoudre les retards de

200 Feuer, Mondialisation , supra note 168 la p 155 ; Feuer, Cotonou , supra note 198

la p 290. Voir aussi Vadcar, supra note 135 au para 22.

201 Voir Bulaji, supra note 36 aux pp 293-94.
202 Grard Blanc, Peut-on encore parler dun droit du dveloppement ? (1991) 118 : 4

JDI 903.

DE GENVE DOHA 169

dveloppement des pays les moins nantis, une rponse ngative cette
question semblait simposer avant mme la conclusion du cycle dUruguay
et la cration de lOMC203.
Cette conclusion ngative sest confirme aprs ladoption des accords
de lOMC. En observant lvolution du concept de traitement spcial et dif-
frenci dans le systme commercial multilatral, le professeur Maurice
Flory a constat avec une certaine amertume la disparition du droit in-
ternational du dveloppement, tel que le concevait la doctrine franaise :

Ce qui subsiste du droit international du dveloppement apparat
alors comme un catalogue dexceptions temporaires la rgle du
march. Lexistence dune catgorie particulire d[]tats bnficiant
dun autre rgime juridique de relations conomiques pour compen-
ser une faiblesse et leur permettre daccder au dveloppement a
perdu sa justification. Le fil conducteur qui avait donn au droit in-
ternational du dveloppement sa cohrence nexiste plus204.

Celui-ci conclut en observant quavec la mondialisation et la disparition
du traitement spcial et diffrenci quil peroit, cest la fin du para-
digme Nord-Sud que nous assistons en droit international205. Les pro-
blmes de dveloppement se poseraient dsormais dune manire com-
mune au Nord et au Sud. Un nouveau droit international du dveloppe-
ment social en phase de construction succderait donc au droit internatio-
nal du dveloppement compris en des termes conomiques. Le professeur
Guy Feuer partage cet avis quant la disparition de la diffrenciation des
normes dans le systme commercial multilatral et, en consquence,
celle du droit international du dveloppement, lorsquil affirme que [c]e
rgime est actuellement en phase de dconstruction 206.

Lenterrement de premire classe que ces autorits rservent la dis-
cipline juridique quils ont largement contribu faire avancer ne peut

203 Ibid aux pp 907, 944-45.
204 Maurice Flory, Mondialisation et droit international du dveloppement (1997) 101 : 3

RGDIP 609 la p 625.

205 Ibid la p 631. Voir Dclaration de Copenhague sur le dveloppement social et Pro-
gramme daction du Sommet mondial pour le dveloppement social, Rs 1, Doc off, 1995,
Doc NU A/CONF.166/9 (1995) 4. Pour une opinion allant dans le mme sens, mais au
ton plus provocateur, faisant un constat dchec du nouvel ordre conomique interna-
tional, voir aussi Thomas W Waelde, A Requiem for the New International Economic
Order: The Rise and Fall of Paradigms in International Economic Law and a Post-
Mortem with Timeless Significance dans Gerhard Hafner et al, dir, Liber Amicorum :
Professor Ignaz Seidl-Hohenveldern in Honour of his 80th Birthday, La Haye, Kluwer
Law International, 1998, 771.

206 Feuer, Mondialisation , supra note 168 la p 151. Contra Feuer, Uruguay Round ,
supra note 108 la p 774 : Le seul point quil convient de mettre en lumire pour
linstant, cest que le droit international du dveloppement ne sort pas diminu de
lUruguay Round .

170 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

tre nglig. Cette conclusion ne peut a fortiori pas tre nglige si elle est
fonde sur le constat de la disparition du traitement spcial et diffrenci
en droit international conomique et de la rintgration des rapports
commerciaux Nord-Sud dans
le droit commun. Il est vrai que
lattnuement de lintrt de lAssemble gnrale des Nations Unies pour
le concept de traitement diffrenci vient renforcer cette opinion207. Pour-
tant, bien quil ne soit pas exempt de difficults et de critiques, force est de
constater que le traitement spcial et diffrenci est toujours prsent et
appliqu dans le droit positif du systme commercial multilatral. Nous
assistons davantage la disparition dune certaine conception du droit in-
ternational du dveloppement, porte surtout par la doctrine franaise,
plutt qu celle du concept de traitement diffrenci proprement dit. Le
sort rserv ce concept dans le cycle du dveloppement de Doha actuel-
lement en cours sera dterminant pour valuer sa rsilience dans le sys-
tme commercial multilatral.

B. Le traitement diffrenci lheure du cycle de Doha

Le systme commercial multilatral est actuellement engag dans un
nouveau cycle de ngociations commerciales multilatrales lanc Doha
en 2001. Le cycle de Doha a pris un srieux retard par rapport lagenda
initialement prvu et lissue quil connatra reste pour le moment impos-
sible prvoir. Lun de ses objectifs fondamentaux est de mettre les int-
rts et les besoins des pays en dveloppement au centre du programme
des ngociations. Cest pourquoi ce dernier est communment appel le
Programme de Doha pour le dveloppement. ce titre, le traitement diff-
renci est dsign comme lun des lments spcifiques du programme de
travail de Doha dans lequel les membres de lOMC raffirment que les
dispositions relatives au traitement spcial et diffrenci font partie int-
grante des Accords de lOMC et quil est ncessaire de les rendre plus
prcises, plus effectives et plus oprationnelles 208.
En prvision du lancement du nouveau cycle de ngociations, un
groupe de douze pays en dveloppement appartenant trois continents
ont soumis lOMC un document dans lequel ils faisaient connatre leur
souhait pressant pour que le traitement diffrenci soit remis lavant-

207 Voir la partie I.B, ci-dessus, pour une discussion de lendossement du concept de trai-

tement diffrenci par lAssemble gnrale des Nations Unies.

208 Dclaration de Doha, supra note 2 au para 44. Voir gnralement Joseph M Senona,
Negotiating Special and Differential Treatment from Doha to Post-Hong Kong: Can
Poor People Still Benefit ? (2008) 42 : 6 J World Trade 1041 ; Seung Wha Chang,
WTO for Trade and Development Post-Doha (2007) 10 : 3 J Intl Econ L 553 ; Hart et
Dymond, supra note 140.

DE GENVE DOHA 171

plan de lagenda politique209. Linfluence de lcole franaise du droit in-
ternational du dveloppement, pourtant donne pour morte, est encore
palpable dans cette communication. Faisant fond sur une thse chre
cette cole, le document prparatoire propose qu [e]n substance, les dis-
positions relatives au traitement spcial et diffrenci ne doivent donc pas
tre considres comme des exceptions aux rgles gnrales, mais plutt
comme un objectif inhrent et intgr au systme commercial multilat-
ral 210. Le changement de paradigme et leffritement qua connu le con-
cept de traitement diffrenci dans les accords de lOMC sont nots et il
est jug regrettable que laccent se soit dplac des problmes de dve-
loppement aux problmes de mise en uvre 211. Laccent ne serait plus
mis sur lamlioration des possibilits commerciales, mais plutt sur
loctroi de priodes de transition et dune assistance technique212. Ce do-
cument prparatoire illustre linfluence de lcole franaise lore du
cycle de Doha, dans la politique juridique extrieure de plusieurs pays en
dveloppement. Lvolution des ngociations montre cependant que cet
appel ultime au droit international du dveloppement ne semble pas avoir
t entendu.
Dans ce document prparatoire, les douze pays en dveloppement ont
formul une srie de recommandations qui sont directement reprises dans
la Dclaration de Doha et qui dlimitent le cadre actuel des ngociations
sur le traitement diffrenci lOMC. Dans une premire recommanda-
tion gnrale, ils invitent les membres de lOMC faire un examen appro-
fondi du concept de traitement diffrenci, compris comme un moyen
damliorer les possibilits daccs au march pour les pays en dveloppe-
ment213. Deux autres recommandations plus spcifiques sont galement

209 OMC, Conseil gnral, Prparation de la quatrime session de la Confrence minist-
rielle : Proposition pour un accord-cadre sur le traitement spcial et diffrenci (19 sep-
tembre 2001), OMC Doc WT/GC/W/442 [OMC, Prparation de la quatrime session].

210 Ibid au para 1. LOrgane dappel allait dfinitivement rejeter cette thse dans laffaire
CE Prfrences tarifaires, quelques annes plus tard. Voir supra note 156 et texte
correspondant.

211 OMC, Prparation de la quatrime session, supra note 209 au para 7.
212 Ibid au para 9. Le document reprend ici les critiques identiques formules par Guy
Feuer (Feuer, Mondialisation , supra note 168 la p 151). Au contraire, ce change-
ment de paradigme du traitement diffrenci est salu par les professeurs Michael Hart
et Bill Dymond qui y voient la matrialisation dune politique conomique sense et
fonde sur les effets bnfiques de la libralisation du commerce mondial pour les pays
en dveloppement. Dans cette perspective librale, il semble que toute mesure visant
aider les pays en dveloppement mettre en uvre les rgles du rgime juridique gn-
ral de lOMC est souhaitable, plutt que de concevoir le traitement diffrenci comme
un rgime juridique parallle pour ceux-ci (Hart et Dymond, supra note 140 aux pp 398,
407-409).

213 OMC, Prparation de la quatrime session, supra note 209 au para 10.

172 (2010) 56:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

faites. Une premire adopte une approche qui peut tre qualifie de
pragmatique et consiste amliorer trs court terme la mise en uvre
effective des dispositions particulires existantes qui prvoient un traite-
ment diffrenci214. Une seconde adopte une approche plus globale qui
puise davantage ses racines dans lcole franaise du droit international
du dveloppement et qui consiste adopter moyen terme un accord-
cadre sur le traitement spcial et diffrenci pris cette fois de manire
transversale215. Un tel accord viserait entre autres rendre le traitement
spcial et diffrenci impratif pour les pays industrialiss plutt que fa-
cultatif ; employer les objectifs de dveloppement du millnaire comme
instrument de mesure de la contribution au dveloppement de tout nouvel
accord commercial multilatral ; et remplacer les chances fixes par
des chances lies au rehaussement rel du niveau de dveloppement
dans les dispositions prvoyant des priodes de transitions pour les pays
en dveloppement. Le principe de lengagement unique ne serait plus ap-
plicable automatiquement aux pays en dveloppement.
Un programme de travail ambitieux sur le traitement spcial et diff-
renci a donc t lanc en 2001 par la Dclaration de Doha. Son suivi est
spcialement assur par le Comit du commerce et du dveloppement,
auquel les fonctions normales du Comit des ngociations commerciales
cet gard ont t dvolues. Le programme de travail sinspire directement
du document prparatoire prcit et combine la fois les approches
pragmatique et globale216. Il vise dabord rpertorier les dispositions re-
latives au traitement diffrenci qui sont dj de nature imprative, ainsi
que celles qui sont de nature non contraignante. Il vise ensuite explorer
les diffrents moyens envisageables pour amliorer loprationnalisation
du traitement diffrenci afin que celui-ci offre une rponse effective aux
ingalits entre les membres de lOMC. Un des moyens ltude est la
conversion des mesures relatives au traitement diffrenci en dispositions
impratives. Enfin, en rponse la proposition pour un nouvel accord-
cadre de lOMC sur la question, une rflexion est aussi engage au sein du
Comit du commerce et du dveloppement sur la manire dont le traite-
ment diffrenci pourrait tre incorpor dans larchitecture des rgles de
lOMC.
limage du droulement gnral du cycle de Doha, lvolution des
ngociations sur le traitement diffrenci est laborieuse. Toutefois, cer-
taines tendances se dessinent et quelques rsultats tangibles ont dj pu

214 Ibid au para 12.
215 Ibid au para 14.
216 OMC, Confrence ministrielle, Questions et proccupations lies la mise en oeuvre :

Dcision du 14 novembre 2001, OMC Doc WT/MIN(01)/17, 4e sess au para 12.1.

DE GENVE DOHA 173

tre enregistrs. Les derniers appels lcole franaise du droit interna-
tional du dveloppement que lon a pu dceler dans le document prpara-
toire des douze pays en dveloppement et dans le programme de travail
de Doha sont rejets tacitement, par le pitinement des ngociations sur
les questions touchant lapproche globale. Signe des temps, les ngocia-
tions sur les questions touchant lapproche pragmatique avancent beau-
coup plus rondement, ce qui rsulte en une diffrenciation de
lavancement des travaux selon quil sagit du traitement diffrenci parti-
culier ou transversal.

Les discussions sur le traitement diffrenci particulier, qui traduisent
lapproche pragmatique, avancent si bien que cinq propositions concer-
nant les PMA ont dj t avalises en 2005 par tous les membres de
lOMC lors de la Confrence ministrielle de Hong-Kong217. Ces proposi-
tions adoptes par lOMC apportent quelques innovations juridiques en
faveur des PMA. Par exemple, une procdure acclre pour loctroi des
drogations qui concernent les PMA a t cre. Un vritable nouveau
systme obligatoire de prfrences tarifaires au bnfice des PMA a ga-
lement t institu, prvoyant laccs aux marchs en franchise de douane
et sans contingent pour tous les produits originaires des PMA218. Enfin,
une procdure originale qui permet aux PMA de faire face une situation
o ils ne peuvent excuter leurs obligations a t mise de lavant avec la
possibilit de porter une telle situation lattention du Conseil gnral
pour examen et action approprie. Par ailleurs, un accord de principe a pu
tre ralis entre les membres de lOMC sur vingt-huit autres proposi-
tions de modifications pour renforcer des dispositions particulires sur le
traitement diffrenci, en prvision de la confrence de Cancn219.
Puisque la dclaration ministrielle na pas pu tre adopte lors de cette
Confrence, ces propositions qui font consensus nont pas encore t for-
mellement adoptes par lOMC. Pour le reste, les ngociations pitinent

217 OMC, Confrence ministrielle, Programme de travail de Doha : Dclaration minist-
rielle adopte le 18 dcembre 2005, OMC Doc WT/MIN(05)/DEC, 6e sess aux para 35-38,
annexe F.

218 Ibid. Cette dcision de la Confrence ministrielle de lOMC ralise un vu exprim par
lAssemble gnrale des Nations Unies dans la Dclaration du Millnaire (supra note
1). Voir texte correspondant la note 60.

219 OMC, Prparation de la cinquime session de la Confrence ministrielle : Projet de
Texte ministriel de Cancn (Deuxime rvision), OMC Doc JOB(03)/150/Rev.2 (2003) au
para 12, annexe C ; OMC, Comit du commerce et du dveloppement, Session extraor-
dinaire du comit du commerce et du dveloppement : Rapport du Prsident, M Faizel
Ismail (Afrique du Sud), au Comit des ngociations commerciales, OMC Doc TN/CTD/9
(2004), sess extra au para 2.

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sur les autres propositions soumises ltude sur le traitement diffrenci
particulier220.
En revanche, les discussions sur le traitement diffrenci transversal,
qui traduisent une approche plus globale de la problmatique, sont
presque compltement enlises. Lexception notable cet enlisement des
ngociations consiste en la cration dun mcanisme de surveillance de
lapplication du traitement diffrenci, qui fait maintenant consensus221.
Les ngociations se poursuivent sur les modalits dopration du mca-
nisme de surveillance, qui serait actionn par des communications adres-
ses par les membres de lOMC ou des organes de lOMC. Celui-ci pourrait
fonctionner la fois au niveau technique, lors des sessions du Comit du
commerce et du dveloppement, et au niveau politique, lors des runions
du Conseil gnral de lOMC. Il est symptomatique que les seules avan-
ces ralises lgard du traitement diffrenci transversal portent sur
la cration du mcanisme de surveillance, qui est sans doute linitiative
transversale la plus pragmatique. Les autres questions transversales
lagenda comme lincorporation des rgles sur le traitement spcial et
diffrenci dans larchitecture des rgles de lOMC sont compltement
clipses par les discussions sur ce mcanisme. Ce rejet de lapproche glo-
bale concorde avec la disparition du droit international du dveloppement
au sens o lentendait la doctrine franaise.

La toute dernire Confrence ministrielle a eu lieu lautomne 2009
Genve. Les travaux prparatoires de la Confrence indiquaient dj
que celle-ci ne porterait pas sur les ngociations commerciales actuelle-
ment en cours dans le cadre du cycle de Doha, mais quelle sintresserait

220 OMC, Comit du commerce et du dveloppement, Note sur la runion du 23 juillet 2009,
OMC Doc TN/CDT/M/36 (2009), 36e sess extra au para 6 [OMC, Note sur la runion du
23 juillet 2009] ; OMC, Comit du commerce et du dveloppement, Session extraordi-
naire du Comit du commerce et du dveloppement : Rapport du Prsident, M
lAmbassadeur Thawatchai Sophastienphong (Thalande), au Conseil gnral, OMC
Doc TN/CTD/23 (2008), sess extra aux para 3-5 [OMC, Rapport de M Sophastien-
phong] ; OMC, Comit du commerce et du dveloppement, Session extraordinaire du
comit du commerce et du dveloppement : Rapport du Prsident, M lAmbassadeur
Burhan Gafoor (Singapour), au Conseil gnral, OMC Doc TN/CTD/19 (2007), sess ex-
tra au para 1 [OMC, Rapport de M Gafoor]. Au total, quatre-vingt-huit propositions de
modifications aux dispositions particulires sur le traitement spcial et diffrenci ont
t proposes par les membres de lOMC dans le cadre des ngociations. De ce nombre,
outre les vingt-huit faisant lobjet dun accord de principe depuis la confrence de
Cancn, il faut aussi retrancher trente-huit propositions qui ont t renvoyes des
comits de ngociation sectoriels par le Comit du commerce et du dveloppement.

221 OMC, Rapport de M Gafoor, ibid aux para 7-8, annexe III ; OMC, Note sur la runion
du 23 juillet 2009, supra note 220 aux para 2-3. Le prsident du Comit du commerce et
du dveloppement a rassembl dans une note informelle les modalits dopration pos-
sibles du mcanisme de surveillance pour servir de base aux ngociations (OMC, Rap-
port de M Sophastienphong, supra note 220 au para 6, annexe II).

DE GENVE DOHA 175

plutt au thme gnral de [l]OMC, le systme commercial multilatral
et lenvironnement conomique mondial actuel 222. Cest donc sans sur-
prise quaucun dveloppement significatif ne sy est produit en ce qui con-
cerne lintgration et lapplication du traitement diffrenci dans le sys-
tme commercial multilatral. Les membres de lOMC ont de toute faon
t incapables de sentendre pour adopter une dclaration finale lissue
de la Confrence de Genve.

Conclusion
Au fil de son volution, de la premire CNUCED de Genve aux ngo-
ciations commerciales multilatrales du cycle de Doha, la technique juri-
dique du traitement diffrenci a subi linfluence du contexte politique
dans lequel elle sest inscrite. Son orientation et son application ont pou-
s les contours des discours dominants qui la soutenaient. Le droit inter-
national du dveloppement comme branche autonome du droit interna-
tional, qui se caractrise comme linstrumentation juridique de lidologie
du dveloppement telle quelle sest articule entre les annes 1960 et
1980, sest teint avec la disparition de ce courant de pense dans les rela-
tions conomiques internationales. Le traitement diffrenci nest plus la
summa divisio du rgime juridique du commerce Nord-Sud et Sud-Sud et
dune discipline juridique distincte du droit international conomique, et
donc du droit de lOMC.

Pourtant, le traitement diffrenci na pas disparu du droit de lOMC.
Comme le refltent les dernires grandes rsolutions de lAssemble gn-
rale des Nations Unies sur le dveloppement, la pense dominante dans
les relations conomiques internationales voit maintenant le systme
commercial multilatral comme une rponse aux besoins des pays en d-
veloppement. Lapproche juridique face au traitement diffrenci est donc
passe dune position idologique une position pragmatique. Cette tech-
nique juridique demeure incontournable dans le systme commercial mul-
tilatral, mais cest dsormais la diffrenciation entre les PMA et les
autres pays en dveloppement qui est fondamentale. Pour les pays en d-
veloppement mieux nantis, le traitement diffrenci est maintenant con-
sidr comme un outil devant faciliter leur intgration complte dans le
droit commun de lOMC. Par ailleurs, les mutations qua connues le con-
cept de dveloppement ont galement eu pour effet de transformer
lapplication du traitement diffrenci dans le systme commercial multi-
latral, particulirement dans les schmas nationaux de prfrences tari-
faires amricains et europens. Le traitement diffrenci y est devenu un

222 OMC, Septime session de la Confrence ministrielle : Dcision du 26 mai 2009, OMC

Doc WT/L/760 (2009), 7e sess au para 2.

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instrument de mise en uvre des objectifs de dveloppement durable des
pays donneurs de prfrences, sans que toutes les consquences juri-
diques et politiques de cette volution ne puissent tre perceptibles. La
conclusion du cycle de Doha, si elle se ralise, consacrera probablement
ces transformations dans le droit de lOMC.