Des droits patrimoniaux de la
personnalit6 en droit frangais
Gr6goire Loiseau”
La thorie des droirs de la personnalit6 ne cesse de se
complexifier. Bien que le droit extrapatrimonial de la per-
sonnalitd ait acquis une reconnaissance certaine, le droit
patrimonial de la personnalit6 ne constitue pas encore,
quant A lui, une vritable donn~e du droit positif frangais.
Or ‘auteur avance que la consdration d’un tel droit serait
opportune.
Deux prdoccupations essentielles commandent cette
consdration. D’une part, cela 6viterait de ddnaturer le droit
extrapatrimonial chaque fois qu’est fondde sur celui-ci la
rdparation du prjudice purement 6eonomique rdsultant de
l’utilisation non consentie d’un attribut d’une personnalit6
notoire. D’autre part, cela permettrait de pallier
l’inadaptation du droit extrapatrimonial pour assurer la
commereialisation de la valeur conomique d’un attribut
d’une personnalit6 notoire.
Afin d’6viter que
‘un ne se retrouve soumis A
l’influence de l’autre, ‘auteur retient une conception dua-
liste du droit : le droit patrimonial de la personnalit6 dolt
etre conqu comme un droit distinct du droit extrapatrimo-
nial. C’est ainsi que ‘auteur propose formellement de dis-
tinguer le druit primaire de la personnalit6 (soit le droit ex-
trapatrimonial) et le droit d6riv6 de la personnalit6 (soit le
droit patrimonial).
Bien que le droit ddriv6 de la personnalit6 soit un
droit patrimonial, dvaluable en argent, ce caracthre ne rend
compte qu’imparfaitement de sa v6ritable nature. En vdritd,
le droit d6riv6 comporte aussi un aspect personnel pronon-
c6 qui conduit L le classer parmi les droits patrimoniaux a
caract~re personnel.
L’auteur soutient que
l’on ne peut concevoir
‘existence du droit ddriv6 de la personnalit6 sans lui attri-
buer le caract re d’un droit disponible entre vifs, mais
qu’en revanche sa transmissibilit6 A cause de mort s’avere
inopportune. La patrimonialit6 du druit ddriv6 n’invalide
pas en effet la thbse de son intrnsmissibilit6 b cause de
mort. I1 s’agit en rdalitd d’une patrimonialit6 incompl~te
qui, eu 6gard Z. 1’6ment personnel de ce droit, ne peut at-
teindre sa pldnitude.
Personality-rights theory is becoming
increasingly
complex. Although extrapatrimonial personality rights
have been recognized, recognition of patrimonial personal-
ity rights is not yet a fact in the positive law of France. The
author recommends establishing such a right.
Two considerations underpin this recommendation.
On the one hand, recognition would avoid distorting extra-
patrimonial rights each time reparation for a purely eco-
resulting from the unauthorized use of
nomic prejudice –
a well-known personality’s attributes-is based on such a
right. On the other hand, it would solve the inadequacy of
extrapatrimonial rights in providing a basis for marketing
famous personalities’ attributes.
The author adopts a dualist view of the law in order
to avoid submitting one type of right to the influence of the
other. the patrimonial personality right must therefore be
distinct from the extrapatrimonial right. The author thus
suggests a formal distinction between primary personality
rights (extrapatrimonial rights) and derived personality
rights (patrimonial rights).
Although the derived personality right is a patrimo-
nial right- monetarily assessable-this characterization
reflects only partially its true nature. In fact, the derived
right also includes a strong personal aspect, leading to its
classification among personal patrimonial rights.
The author argues that it is impossible to conceive of
derived personality rights without making them transmis-
sible inter vivos, although transmissibility upon death, he
concludes, would be inappropriate. The patrimonial char-
acter of these rights does not invalidate this last conclusion:
at issue is an incomplete patrimonial character that, be-
cause of the derived right’s personal nature, cannot achieve
full transmissibility.
The author concludes that any legislative intervention
would be premature. Doctrine and jurisprudence must first
put patrimonial personality rights to the test.
L’auteur cos r’essai en affirmant que toute interven-
tion Igislative en la matire serait prdmatur.e. La doctrine
et la jurisprudence doivent auparavant avoir le temps
d’dprouver le droit patrimonial de la personnalit6.
. Docteur en droit. Agr6gd des Facults de droit, Professeur
l’Universit6 de Valenciennes. Ancien
Boulton Visiting Research Professor A la Facult6 de droit de l’Universit6 McGill.
Revue de droit de McGill
McGill Law Journal 1997
Mode de rf6rence : (1997) 42 R.D. McGill 319
To be cited as: (1997) 42 McGill L.J. 319
320
MCGILL LAW JOURNALIREVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 42
Introduction
I. Une dvolution indispensable
A. La d6naturation du droit extrapatrimonial de la personnalit pour
pourvoir i la r6servation de la valeur 6conomique d’un attribut d’une
personnalit6 notoire
B. L’inadaptation du droit
extrapatrimonial pour assurer
la
commercialisation de la valeur dconomique des attributs d’une
personnalit6 notoire
1. Contrats d’abstention et conventions d’exploitation
2. Les justifications d’un droit patrimonial de la personnalit6
3. Conception moniste ou dualiste du droit patrimonial de la person-
nalit6
II. La distinction des droits primaires et des droits d~riv6s de la
personnalit6
A. La notion de droit driv6 de la personnalit
1. D6finition du droit primaire et du droit d6riv6 de la personnalit6
2. Les pr6rogatives du droit d6riv6 de la personnalit6
3. Les contours du droit d6riv6 de la personnalit6
4. Les rapports entre le droit primaire et le droit d6riv6 de la
personnalit6
B. La nature des droits d6driv6s de la personnalit6
1. Le droit d6riv6 de la personnalit6 est un droit patrimonial A
caractbre personnel
2. Le droit d6riv6 de la personnalit6, nouvelle forme de droit de
propri6t6 intellectuelle ?
III. Le r6gime des droits d6rivds de la personnalit6
A. L’appartenance des droits d6riv6s de la personnalit6
1. Les titulaires des droits d6riv6s de [a personnalit6
2. Les droits d6riv6s de la personnalit6 et les r6gimes matrimoniaux
3. L’exercice oblique des droits d6riv6s de la personnalit6
B. La disponibilit6 des droits d6fiv6s de la personna/it6
1. La transmissibilit6 entre vifs des droits d6riv6s de la personnalit6
2. La transmissibilit6 & cause de mort des droits d6riv6s de la
personnalit6
Conclusion: faut-il I6gifdrer ?
1997]
G. LoIsEAU – DES DROITS PATRIMONIAUX
Introduction
Faut-il consacrer, dans les droits de tradition romano-germaniste et en particulier
en droit frangais, l’existence de droit patrimoniaux de la personnalit6 ? Ces droits d’un
genre nouveau mais d’une esp~ce connue peuvent-ils trouver leur place dans ces sys-
t~mes juridiques, ou s’y montrent-ils, au contraire, inopportuns ?
Sans doute, leur 6mergence, dans l’ordrejuridique des pays occidentaux, est-elle h
l’heure actuelle un ph6nomne encore modeste. Tandis que les droits extrapatrimo-
niaux de la personnalit6 gagnent un peu partout, sous une forme ou sous une autre,
leurs lettres de noblesse, l’idde d’un droit d’exploitation des attributs de la personnalit6,
tels que l’image, le nom ou bien la voix, ne retient que depuis peu 1’attention des juris-
tes.
Pourtant, il y a plus de quarante ans que le droit amdricain a ouvert la voie en d6-
gageant, A c6t6 du right ofprivacy protecteur des int6rgts extrapatrimoniaux, un right of
publicity conqu pour satisfaire des intr&ts patrimoniaux’. Cette nouvelle g6ndration de
droits de la personnalit6 doit beaucoup, comme son cousin le right of privacy2 , au for-
midable essor des techniques de communication et de publicit ainsi qu’au d6velop-
pement, qui lui tint lieu de corollaire, du star-system’, rdpondant au besoin d’un droit
d’6tre laiss6 tranquille (right to be let alone’, le right of publicity est A l’inverse un pur
produit de cette 6volution qui, au fond, a r6v616 la valeur marchande et commerciali-
sable que le nom ou l’image d’une c6ldbrit6 peut d6sormais avoir. C’est de
l’inadaptation et des limites rencontrees par le right ofprivacy pour rpondre aux sou-
cis de r6servation et de commercialisation de cette valeur qu’est n6, des exigences de
Broadway et de Hollywood, le right of publicity6. Patrimonial et cessible?, ce dernier
‘ La premiere cause ayant consacr6 le right of publicity fut Haelan Laboratories Inc. c. Topps
Chewing Gum Inc., 202 E2d 866 (2d Cir. 1953) [ci-apr~s Haelan], certiorari refus6 346 U.S. 816
(1953). Elle fut rendue 48 ans apri-s la cause Pavesich c. New England Life Insurance Co., 50 S.E. 68
(1905), laquelle avait retenu, pour la premiere fois, ‘existence du right ofprivacy.
‘ Quant aux raisons ayant pr6sid6 A la conception du right of privacy, voir surtout S.D. Warren et
L.D. Brandeis, The Right of Privacy>> (1890) 4 Harvard L. Rev. 193.
‘ Sur la gense du right of publicity, voir M.B. Nimmer,
the Right of Publicity: Dracula’s Progeny and Privacy’s Stepchild> (1974) 22 U.C.L.A. L. Rev. 1103
a la p. 1117 ; R.T. Rader,
MCGILL LAW JOURNAL! REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 42
t~moigne en effet d’une rupture radicale avec le caractre personnel et in6valuable
traditionnellement reconnu au right ofprivacy qui 1’empechait tout h la fois d’8tre c~dW
et de fonder la rparation de pr6judices 6conomiques en cas d’exploitation non con-
sentie de la personnalit6 d’une c6l6brit. L’exp6rience am6iicaine le montre donc par-
faitement et sans doute de mani~re prodromique : le droit patrimonial de ]a personnall-
t6 apparait sur la sc~nejuridique comme un droit dissident.
Toujours est-il qu’en comnon law quelques droits ont consacr6 depuis cette s6ces-
sion. Certaines provinces canadiennes ont ainsi reconnu, d~s 1973 , 1’existence d’un
la p. 243 ; W.M. Borchard, <
Society 228
p. 5 ; R. Ausness, <
terly 977 t la p. 988 ; R. Whitman et T.J. Dembinski, <> (1982) 121 Trusts and Estates 49 ; R.R. Kwall, Is Independence Day Dawning
for the Rights of Publicity?
(1983) 17 U.C. Davis L. Rev. 191 A la p. 210 ; R.C. Cray,
lap. 644 ; J.E. Salomon, Jr., <
la p. 1204 et s. ; C.L. Buchanan, <
Likeness Monster : Should the Right of Publicity Protect Against Imitation?>> (1990) 65 N.YU. L.
Rev. 782 A lap. 786 ; J.T. McCarthy, The Right of Publicity and Privacy, New York, Clark Boardman
Callaghan, 1992 aux pp. 10-14 et s. et 10-55 et s. ; M. Madow, <
<
Swift & Company Co., 415 F.2d 1205 A la p. 1206 (8th Cir. 1969) [ci-apr~s Cepeda] ; Price c. Hal
Roach Studios Inc., 400 ESupp. 836 h lap. 844 (S.D. N.Y. 1975) [ci-aprbs Hal Roach] ; Hicks c. Ca-
sablanca Records, 464 FSupp. 426 h la p. 429 (S.D. N.Y 1978) [ci-apr~s Hicks] ; Martin Luther
King, Jr, Centre for Social Change Inc. c. American Heritage Products Inc., 296 S.E.2d 697 hi la p.
704 (1982) [ci-apr~s Center for Social Change] ; Bi-Rite Enterprises Inc. c. Button Master, 555
F.Supp. 1188 A la p. 1200 (S.D. N.Y 1983) ; Acme Circus Operating Co. c. Kuperstock, 711 E2d
1538 (11th Cir. 1983) [ci-apr~s Acme Circus] ; Bi-Rite Enterprises Inc. c. Bruce Miner Poster Co.,
616 F.Supp. 71 A la p. 73 (D. Mass. 1984) ; State of Tennessee ex rel. Elvis Presley International Me-
morial Foundation c. Crowell, 733 S.W.2d 89 A ]a p. 97 (Tenn. Ct. App, 1987).
‘ Voir par ex. Hanna Manufacturing Co. c. Hillerich & Bradsby Co., 78 E2d 763 (5th Cir. 1935),
certiorari refus6 296 U.S. 645 (1935) ; Rosemont Enterprises Inc. c. Random House Inc., 294
N.YS.2d 122 L la p. 129 (1968), confirm6 301 N.YS.2d 948 (1969).
9 Voir par ex. Paramount Pictures Inc. c. Leader Press, Inc., 24 F.Supp. 1004 (W.D. Okla. 1938), A
propos de ]a reproduction de l’image et du nom de stars du cin6ma sur des posters ; O’Brien c. Pabst
Sales Co., 124 F2d 167 (5th Cir. 1941), A propos de la reproduction sur un calendrier de la photogra-
phie d’un footballeur connu des ann6es 1938-1939. D’autres d6cisions admettaient certes que la per-
sonne cdlbre puisse s’opposer A rappropriation de son nom ou de son image sur le fondement du
right ofprivacy, mais ne lui accordaient des dommages et int6rts qu’en reparation du prdjudice mo-
ral en ayant rsultd. Voir ainsi Fisher c. Murray M. Rosenberg Inc., 23 N.YS. 2d 677 (1940) ; Miller
c. Madison Square Garden Co., 28 N.YS. 2d 811 (1941) ; Cason c. Baskin, 30 So.2d 635 (1947).
‘0 Krouse c. Chrysler Canada Ltd. (1973), [1974] 1 O.R. (2′) 225 t lap. 237 et s., 40 D.L.R. (3′) 15
(C.A.). Voir dgalementAthans c. Canadian Adventure Camps Ltd. (1977), [1978] 17 O.R. (2′) 425, 80
D.L.R. (3′) 583 (H.C.J.) [ci-apr~s Athans avec renvois au O.R.] ; Racine c. C.J.R.C. Radio Capitale
Ltie. (1977), [1978] 17 O.R. (2′) 370, 80 D.L.R. (3) 441, 35 C.P.R. (2′) 236 (Co. Ct.) ; Heath c.
Weist-Barron School of Television Canada Ltd. (1981), [1982] 34 O.R. (2) 126, 62 C.P.R. (2′) 92
1997]
G. LoIsEAu – DES DROITS PATRIMONIAUX
323
droit patrimonial d’exploitation de la personnalit6, le right to market his personality”,
distinct du right of privacy rrglement6 par diverses 16gislations provinciales’2 . Plus r6-
cemment, le 12 mai 1994, la Cour Supreme de JamaYque a admis t son tour qu’une
crl6brit6 a un droit exclusif A l’usage commercial de son nom et de son image qu’elle
peut ceder ou conc6der de son vivant et qui se transmet
ses h6ritiers. Pour
cette juridiction, h l’instar du droit de propri6t6 reconnu sur le goodwill d’un com-
merce, le droit doit, en effet, reconnaitre des droits patrimoniaux sur la notori&6t qui
s’attache
la personnalit6 d’une crl6brit6, de sorte qu’il y a violation de ces droits lors-
qu’un attribut de la personnalit6 d’une crl~brit6 est appropri6 A des fins commerciales”.
Mais la fortune de ce droit n’est gu~re, en v~rit6, all6e plus loin”. Le droit anglais, no-
tamment, qui n’organise aucune protection sp&cifique de la personnalit6, semble tout
aussi hostile A l’id~e d’un droit patrimonial sur celle-ci”. Tout au plus permet-il qu’une
personne renomm6e obtienne reparation du pr6judice 6conomique resultant de
l’appropriation de son nom ou de son image A des fins commerciales ou publicitaires
lorsqu’elle exploite elle-meme drji la valeur des ces attributs dans l’exercice d’une ac-
sa mort
(H.C.J.) ; Dowell c. Mengen Institute, [1983] 72 C.P.R. (2′) 238 (Ont. H.C.J.) ; Baron Philippe de
Rothschildc. Casa de Haban Inc. (1987), [1988] 19 C.P.R. (3′) 114 (Ont. H.C.J.). Voir aussi Joseph c.
Daniels, [1986] 4 B.C.L.R. (2′) 239, 11 C.ER. (3’) 544 (C.S.).
” Athans, supra note 10 A lap. 437 ; D. Himmelfarb, A Canadian Perspective on the Protection of
an Individual’s Personality from Commercial Exploitation, New York, Clark Boardman, 1985 aux pp.
263 et 272; R.G. Howell, <(The Common Law Appropriation of Personality Tort>> (1986) 2 I.P.J. 149
A la p. 197 ; R.G. Howell, > (1991) 32 C. de D. 301.
2 Voir Privacy Act, R.S.B.C. 1979, c. 336 ; Privacy Act, L.M. 1970, c. 74 ; The Privacy Act, R.S.S.
1978, c. P-24 ; The Privacy Act, S.N. 1981, c. 6.
” B. St. M. Hylton et P. Goldson,
“Le droit amrrican a toutefois 6galement inspir6 le droitjaponais qui a consacr6, en 1976, un droit
patrimonial semblable au right of publicity, d~nomm6 paburishitiken, distinct du puraibashiken, cor-
respondant en quelque sorte au droit extrapatrimonial de la personnalit6 ou au right of privacy. Voir
Lester c. Tokyo Daiichi Film citre dans McCarthy, supra note 7 5 la p. 6-119, note 1 ; McQueent c.
Towa K.K., citre dans McCarthy, ibid A la p. 6-120, note 6 ; Hiromi Go c. Sukiyo Ningyo-Kenkyuso
cit(e dans McCarthy, ibid. A lap. 6-120, note 6. Voir aussi T. Doi, Character Merchandising in Japan:
Protection of Fictional Characters and Well-Known Personalities as the Basis for Merchandising Ac-
tivities> (1978) Annual Ind. PL. 283 ; McCarthy, ibid. A la p. 6-119 ; H.E. Ruijsenaars,
110 ; Saito, cit6 dans Ruijsenaars, ibid. lap. 111, note 9.
” E. Veitch, Libel, Privacy and Rights of Publicity
(1972) 23 Northern Ireland Legal Q. 204;
W.R. Cornish, Intellectual Property: Patents, Copyright, Trade Marks and Allied Rights, 2 6d., Lon-
dres, Sweet & Maxwell, 1989 A la p. 420 ; McCarthy, ibid.
la p. 6-111 ; J. Holyoak,
The French Right to One’s Image: A Legal Lure? (1994) 5 Entertainment L. Rev. 163 A la p. 167.
Voir aussi Bi-Rite Enterprises Inc. c. Bruce Miner Co., 757 F2d 440
lap. 442 (lst Cir. 1985). Cer-
tains auteurs sont pourtant favorables h la reconnaissance d’un tel droit. Voir P. Russell, The Com-
mercial Exploitation of Real Names>> (1979) 129 New LJ. 791 A la p. 792 ; T. Frazer, Appropriation
of Personality: A New Tort?
(1983) 99 L.Q. Rev. 281 t la p. 307 ; Buchanan, supra note 7 11 la p.
368 et s. ; C.L. Buchanan, The Need for a Right of Publicity>> (1988) 10 European I.P Rev. 227.
MCGILL LAW JOURNAL! REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 42
tivit6 commerciale”. tgalement r~tif A la formalisation d’un nouveau droit”, le droit
australien s’est seulement efforc6 jusqu’ present d’assouplir les conditions de l’action
en passing off afin de faciliter la reparation du prejudice 6conomique resultant de
l’exploitation sans autorisation du nom ou de l’image de personnes notoires”.
Cette r6serve caract6rise encore, A bien des 6gards, la plupart des droits romano-
germanistes. A bien y regarder, ceux-ci ne pas aussi vite que le crai-
gnait, voil soixante ans, Josserand’9. Mais une 6volution s’est amorc~e ; le droit patri-
monial de la personnalit6 ne laissa plus, aujourd’hui, indifferent. Les doctrines suisse et
belge y consacrent quelques travaux 20. En Italie, le Tribunal civil de Rome a jug6, en
1986, que l’on ne peut m~connaitre dans les droits de la personnalit6 un contenu patri-
monial”, en fait de quoi l’on a pu affirmer qu’un droit analogue au right of publicity
‘ Ainsi, un joueur clbre de cricket qui commercialise l’usage de son nom ne pourra s’opposer A
sa reproduction non autoris~e sur des battes de cricket et obtenir rdparation du prejudice dconomique
en r6sultant que s’il est lui-meme engag6 dans la fabrication ou le commerce de battes de cricket. Voir
lap. 791 ; C.J. Hartmann et S.M. Renas,
la p. 143 ; Frazer, ibid. aux pp.
298-89.
,7 A. Brown, Character Merchandising: A View from Australasia>> (1986) 2 I.P.J. 93 aux pp. 95 et
114; McCarthy, supra note 7 h lap. 6-115.
” Quelques decisions ont sanctionn6 l’appropriation du nom ou de l’image d’une personne c lbre
sur le fondement de ‘action en passing off sans exiger un champ commun d’activit6s > entre celle-ci
et l’utilisateur du nom ou de rimage. L’usage d~ceptif du nom incitant le public A croire que la cdld-
brit6 a parrain6 le produit suffit a dtablir le passing off. Voir 10th Cantanae Pty Ltd. c. Shoshana Pty
Ltd. (1987), [1988] 79 A.L.R. 299 (F.C. Gen. Div.), t propos de l’utilisation dans une publicit6 pour
une marque de t616viseurs du nom d’une vedette de la tl6vision australienne, Sue Smith ; Hogan c.
Koala Dundee Pty Ltd., [19881 83 A.L.R. 187 (F.C. Gen. Div.) et Pacific Dunlop Ltd. c. Hogan,
[1989] 87 A.L.R. 14 (C.F. Gen. Div.), A propos de l’utilisation sur toutes sortes de produits du nom du
personnage de Mick Dundee, rendu c~l~bre par son interpretation par Paul Hogan dans le film Cro-
codile Dundee. Voir aussi S. Simpson, Merchandising and the Protection of Celebrityo (1988) 62
Australian L.J. 624; S. Simpson, The Price of Fame Revisited>> (1989) 63 Australian L.J. 281.
‘9 L. Josserand, ,La personne humaine dans le commerce juridique>> D.1932.Chron.l.
2oF Dessemontet, Le droit k sa propre image : droit de la personnalit6 ou droit A la publicit6> dans
Facult6 de droit et de sciences 6conomiques de l’universit6 de Neuchatel, Milanges en l’honneur de
Jaques-Michel Grossen, Bfie (Francfort-sur-le-Main), Helbing & Lichtenhahn, 1992 a lap. 41 ; J.-B.
Zufferey, Droit de la personnalit6 : quelques 616ments d’une analyse dconoique > dans P. Gauch, F.
Werro et J.-B. Zufferey, dir., La protection de la personnalitj : bilan et perspectives d’un nouveau
droit, Fribourg (Suisse), tditions universitaires Fribourg Suisse, 1993 A lap. 203 ; F. Rigaux, La pro-
tection de la vie privie et des autres biens de la personnaliti, Bruxelles, l~mile Bruylant, 1990 aux pp.
392 et 762 et s.
2’ G. Assumma, note sous Pretura di Roma, 18 f6vrier 1986, Il diritto di autore.1986.G.C. 215 A la
p. 222 ; R. Pardolesi, cit dans M. Bianca, I contratti di sponsorizzazione, Dogana (Repubblica di San
Marino), Maggioli, 1990 A ]a p. 201, n. 21 ; M. Dogliotti, note sous Pretura Roma, 18 avril 1984,
Giurisprudenza Italiana.1985.I2.544 ; M. Garutti, note sous Pretura Roma, 18 avril 1984, Giurispru-
denza Italiana.1985.I2.543 t la p. 551 ; G. Assumma, note sous Pretura di Roma, 6 juillet 1987, II
diritto di autore.1987.G.C.570 ; C. Scognamiglio, note sous Tribunale Roma, 29 janvier 1991, 11 dirit-
to dell’informazione e dell’informatica.1992.G.53 ; P. Testa, cit6 dans Bianca, ibid. A lap. 201, n. 21 ;
G. Ponzanelli, cit6 dans M. Bianca, ibid. A la p. 201, n. 21 ; Tribunale Roma, 22 d6cembre 1994, II
diritto dell’informazione e dell’informatica.1995.G.641.
1997]
G. LoIsEAu – DES DROITS PATRIMONIAUX
325
6tait d~sormais consacr6 par le droit positif italien. De fait, mame si son existence
reste encore controverse, de tr s nombreux auteurs italiens semblent aujourd’hui fa-
vorables A la reconnaissance d’un droit patrimonial, sinon sur la notori~t6 elle-mme,
du moins sur le nom ou l’image a travers lesquels elle pent etre commercialis~eu.
En France, quelques juridictions du fond ont 6galement fait 6tat, ces demi~res an-
n~es, d’un droit patrimonial a l’image=. En particulier, la Cour d’appel d’Aix-en-
Provence a affirm6, le 21 mai 1991, que <<[]e droit t l'image rev& un caractire, non
seulement moral, strictement personnel A son titulaire, s'6teignant avec lui et b6n~fi-
ciant de la protection de l'article 9 du Code civil, mais aussi patrimonial [...]> et que
<
A. de Vita, <
respect de la vie prive et de l’image en droit compari: Colloque de L’I.EC. et de I’Institutfran~ais
de presse des 22 et 23 mars 1991, Paris, Actes de Colloques de lI.F.C., Supp. Gaz. Pal., 25 A lap. 34,
laquelle estime que Ia prise en consid6ration d’un droit patrimonial d’exploitation de la personnalit6,
par Iajurisprudence ou le lgislateur, est encore hypothdtique.
24 Voir surtout Assumma, note sous Pretura di Roma, 18 f6vrier 1986, supra note 21 ; Assumma,
note sous Pretura di Roma, 6 juillet 1987, supra note 21. Voir aussi M. Bianca, supra note 21 A Ia p.
199 ; L. Lombardi, cite dans Bianca, ibid. A la p. 202, n. 22 ; R. Moccia, cit6 dans Bianca, ibid. A lap.
203, n. 26 ; C. Scognamiglio, cit6 dans Bianca, ibid
lap. 202, n. 22 ; Ponzanelli, supra note 21 ; S.
Gatti, <(Il cdiritto>> alla utilizzazione economica della propria popolaritn> (1988) Rivista del diritto
commerciale e del diritto generale delle obbligazioni 355 ; 0. Troiano, cit6 dans Tribunale Roma, 22
d6cembre 1994, supra note 21 t la p. 642, notes en bas de page ; A. Orestano, cit6 dans Tribunale
Roma, 22 d~cembre 1994, ibid A la p. 642, notes en bas de page ; V. Zeno-Zencovich,
Martorana, note sous Tribunale Milano, 26 octobre 1992, 1 diritto dell’informazione e
dell’informatica.1993.G.947.
2 Trib. gr. inst. Lyon, 17 d6cembre 1980, D.1981.Jur.202 (note R. Lindon et D. Amson) ; R. Nerson
et J. Rubellin-Devichi,
D.1985.Somm.323 (note R. Lindon) ; Paris, 10 d6cembre 1985, Gamand c. Gomila, Juris-Data 85-
27616 ; Trib. gr. inst., Paris, 25 novembre 1987, Ford c. Presses de la Citi, Juris-Data 87-45166 ; voir
aussi Paris, 2 f6vrier 1993, D.1993.I.R. 118, qui juge que le droit t l’image d’un mannequin a une
valeur patrimoniale.
2 Aix-en-Provence, 21 mai 1991, Bull.inf.Cass.1991.Jur.40, n 1478 ; voir aussi Aix-en-Provence,
21 mai 1991, R.J.D.A. 1991Jur.665, n 756 ; Trib. gr. inst. Aix-en-Provence, 24 novembre 1988,
J.C.P.1989.II.21329 (note J. Henderycksen) ; J. Patarin,
27 Paris, 7 juin 1983, Gaz.Pal.1984. 2sem. Jur.528 (note G.-G. Lamoureux et B. Pochon),
D.1985.Inf.165.
326
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 42
ce jour, prononcde. Seul le Conseil d’1tat, le 3 mars 1993′, appel6 h statuer sur la
soumission A la T.V.A. des redevances perques par un joueur de tennis professionnel
qui avait autoris6 une soci t6 A commercialiser des modules de raquettes portant son
nom, a analys6 ce contrat comme une concession du droit d’exploiter le nom A des fins
commerciales.
A ce compte, on ne peut donc soutenir que le droit patrimonial A l’image ou
au nom constitue aujourd’hui une donn6e du droit positif frangais. Quant aux
auteurs, qui se sont principalement interrog6s sur la nature du droit A l’image29, ils
ne sont pas, loin s’en faut, unanimes. A la v6rit6, nul ne feint d’ignorer qu’il
existe, dans la r~alit6 des faits, un commerce de l’image. Mais ce qui divise la
doctrine est moins cette tendance i la patrimonialisation de l’image, dont M.
Stoufflet faisait d6jh 6tat il y a pros de quarante ans”, ou bien encore du nom ,
que la r6action du droit face A ce ph6nom~ne. Certains auteurs tiennent pour av6-
r6e 1’existence d’un droit patrimonial sur l’image2, ou mettent l’accent sur le
double aspect, patrimonial et extrapatrimonial, du droit A l’image , tandis que
d’autres soulignent plus justement que son existence n’est pas encore reque en
‘ Cons. d’tat, 3 mars 1993, J.C.P.1993.Pan.act.140, n 450 ; Cons. d’tat, 3 mars 1993, Droit fis-
cal.1993.I.1289 (Concl. 0. Fouquet).
29 Voir cependant les auteurs qui 6voquent l’6ventualit6 d’un droit patrimonial au nom : P. Ancel,
L’indisponibilit des droits de la personnaliti: une critique de la thiorie des droits de la personnalitd,
these de doctorat en droit, Dijon, 1978 A lap. 207 et s., n* 209 [non publi~e] ; R Pollaud-Dulian, note
sous Cass. corn., 27 f6vrier 1990, J.C.P.1990.1l.21545 ; R Pollaud-Dulian,
J.C.P.1994.I3780, n 16 ; C. Zanella, Les marques nominatives, thse de
droits de la personnalitd
doctorat en droit, Paris If, 1994 aux pp. 74-75 [non publfie) ; Y. Buffelan-Lanore, Droit civil : pre-
miere annie, 9′ &l., Paris, Masson, 1995 A la p. 141, n 174. Voir aussi S. Alamowitch,
sous Cass. civ. 1′, 5 mai 1987, D.1988.Somm.197 ; P. Kayser, La protection de la vie privie par le
droit : protection du secret de la vie privie, 3′ dd., Paris, Economica, 1995 aux pp. 183 et 197. Voir
aussi Logeais, supra note 15 A lap. 165 et s.
J.C.P.1957.I.1374, ad 25.
‘3 Stoufflet, supra note 30 au n 32 ; B. Edelman,
par D. Tallon, a’ 106 ; A.R. Bertrand, Un nouveau droit voisin du droit
d’auteur: le droit t l’image>> (1990) 32 Cahiers du droit d’auteur 1 A lap. 3 ; P. Conte et B. Petit, Les
personnes, 2! 6d., Grenoble, Presses de l’Universit6 de Grenoble, 1995 t lap. 31, n 38 ; C. Bigot, La
protection de l’image des personnes et les droits des h6ritiers>> (1995) 10 Rev. tri. dr. de ]a communi-
cation 28 ; C.-E. Renault,
juillet 1996.Doctr.2, n 8 ; M. Sema, L’image des personnes physiques et des biens, Paris, Economica,
1997 Ilap. 135.
1997]
G. LoIsEAU – DES DROITS PATRIMONIAUX
droit frangais ‘ tout en avouant leur faveur h sa reconnaissance&’ . Mais ils sont
aussi nombreux
se montrer hostiles h cette conception, soit qu’ils affirment
qu’un tel droit patrimonial n’existe pas’ et que <1]image humaine, elle, ne peut
faire naltre qu'un droit de la personnalit 37 , soit qu'ils ne pensent pas
<
Au total, il parait donc anticip6 de vouloir faire entrer les droits patrimoniaux de la
personnalit6 dans l’expos6 du droit positif : si l’6mergence de tels droits est ind6nia-
ble’9, leur prise en consid6ration par la jurisprudence doit encore s’affermir et surmon-
ter le scepticisme doctrinal.
Du coup, un probl~me demeure que l’on ne peut 6luder. Est-il souhaitable ou A
l’inverse inopportun de reconnaitre, en droit positif franqais, des droits patrimoniaux de
la personnalit6 ? A-t-on vraiment besoin de nouveaux droits, de ces nouveaux droits ?
lEtant par hypoth~se ceux d’une minorit6 –
les personnes renommOese – ne sont-il
pas la r6surgence de privileges d’une nouvelle forme d’aristocratie ? En outre, est-il
vraiment n~cessaire, alors m~me que la thorie des droits de la personnalit6 m6rite en-
core d’8tre travaill~e, r6fl~chie et de faqon gn&irale consolid6e, d’en vouloir boulever-
ser ‘assise extrapatrimoniale, sur laquelle tous – ou presque –
s’accordent, par la re-
connaissance de droits patrimoniaux de la personnalit6 ? II y a I, en v~rit6, plus que
des interrogations : elles peuvent devenir, le cas 6ch6ant, de v6ritables resistances h la
reconnaissance de ces droits.
M E. Gaillard, Les conflits de lois relatifs au droit patrimonial A l’image aux
-tats-Unis : t propos
de lajurisprudence Groucho Marxm> (1987) 73 Rev. cri. dr. internat. priv6 1 A lap. 9, n 15 ; G. Gou-
beaux, ((Les personnes dans J. Ghestin, dir., Traitj de droit civil, Paris, L.G.D.J., 1989 A lap. 294, n
316.
s E. Gaillard, La double nature du droit A rimage et ses cons&luences en droit positif frangaiso
D.1984.Chron.161 a la p. 164. Voir aussi L. Collet, La notion de droit extrapatrimonial, th6se de
doctorat en droit, Universit6 de Paris 11, 1992
lap. 261, n 255 [non publie] ; R Malaurie,
(1988) Rev. trim. dr. civ. 79 A lap. 96, qui n’estime pas opportun de reconnaitre un droit patrimonial A
‘application des r~gles de la responsabilit civile ou de l’enrichissement sans cause suffisant
l’image,
ici i assurer la protection des int6rts p~cuniaires des personnes c61 bres.
‘” B. Teyssi6, Droit civil : les personnes, 2’ &l., Paris, Litec, 1995 A la p. 38, n 49 ; A.M. Luciani,
Les droits de la personnaliti : du droit interne au droit international priv, th~se de doctorat en droit,
Universit6 de Paris I, 1996 t lap. 91, n 92 [non publi~e].
, Voir A ce effet la partie III.A.1, ci-dessous.
McGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 42
Aussi est-il imp~ratif d’examiner en pr6alable les raisons pour lesquelles la cons6-
cration de droits patrimoniaux de la personnalit6 semble aujourd’hui souhaitable. I1 se-
ra ensuite utile de prciser les bases d’une nouvelle conception des droits de la person-
nalit6 en droit franais.
I. Une 6volution indispensable
La crise des droits de la personnalite6″
La critique est ais6e et il n’est pas nouveau d’en prendre pour cible les droits de la
personnalit6. 11 ne s’agit pas, cependant, de rench6rir ici dans la critique et encore
moins de relever toutes les imperfections d’une th6orie dont l’61laboration reste encore
trks largement h faire. I1 est plus important, en revanche, de prendre conscience que les
droits de la personnalit6 traversent aujourd’hui une crise : sollicit~s A l’origine pour
prot6ger la personnalit6 sous ses manifestations les plus tangibles, dans une conscience
plus aigud de la dignit6 de la personne humaine, ils le sont A pr6sent pour d6fendre des
valeurs purement 6conomiques, dans la revendication d’un monopole d’exploitation
sur ces valeurs. Or il est pour le moins paradoxal qu’A mesure que l’id6e d’une protec-
tion de la personnalit6 humaine s’enracine et prend corps sous la forme de droits sub-
jectifs, ces derniers soient finalement rcup&6rs pour servir des fins mercantiles. I1 y a
1k, A n’en pas douter, motifs A une v&itable crise, les droits de la personnalit6 ne pou-
vant visiblement sans trouble concilier les valeurs morales qui les sous-tendent par na-
ture avec des preoccupations 6conomiques qui, t6t ou tard, d~termineront leur r6gime
par r&alisme. Face A cet antagonisme, une 6volution radicale est donc indispensable.
Elle passe par la -reconnaissance d’un nouveau droit, un droit patrimonial
d’exploitation de la personnalit6, distinct du droit extrapatrimonial. A bien y regarder,
la conception d’un droit subjectif distinct permettra en effet d’6viter, d’une part, la d6-
naturation du droit extrapatrimonial chaque fois qu’il sert A la r6servation de la valeur
6conomnique d’un attribut de la personnalit6 et de pallier, d’autre part, h son inadapta-
tion pour assurer la commercialisation de cette valeur 6conomique.
A. La d6naturation du droit extrapatrimonial de la personnalit6 pour
pourvoir h la reservation de la valeur dconomique d’un attribut
d’une personnalitd notoire
Le droit extrapatrimonial n’a pas vocation i fonder la reparation du prjudice 6co-
nomique r~sultant de l’exploitation non consentie de la valeur d’un attribut de la per-
sonnalij
”
ris, Odile Jacob, 1994 A la p. 87.
1997]
G. LoIsEAu – DES DROITS PATRIMONIAUX
A considdrer les droits de la personnalit6 consacr6s par le droit positif, il est bien
accept6 qu’ils sont congus pour prot6ger les int6r~ts moraux du sujet attach6s 4 la sau-
vegarde de ce qui fait ou exprime sa personnalit6. Tel est le sens de ces droits qui ont,
par essence, une nature extrapatrimonial&’ . Ds lors, toute activit6 d’autrui qui porte
atteinte, non
l’int6grit6
de ses attributs mais un monopole sur leur valeur patrimoniale, ne peut th6orique-
ment ni pratiquement affecter le droit extrapatrimonial de la personnalit6.
la promotion de la personnalit6, non
la pr6servation mais
I1 en r6sulte que la sanction de 1’appropriation de la valeur 6conomique d’un attri-
but de la personnalit6, sur le fondement du droit extrapatrimonial, ne peut se faire
qu’au prix d’une d6naturation de celui-ci, en d6guisant la 16sion d’un int6rt patrimo-
la personnalit&4 3. Or, au-delh de l’artifice, c’est la
nial sous une pr6tendue atteinte
conception meme du droit extrapatrimonial de la personnalit6, dans ses fondements ju-
ridiques et philosophiques, qui est directement remise en cause : les considdrations mo-
rales lies A la d6fense de la personnalit6 sont en effet radicalement inconciliables avec
la nature 6cononique des int6rts en jeu. Moins que la gene que l’on peut 6prouver A
travestir la v6ritable nature de l’int6r&t d6fendu, c’est la crainte de dMourner le droit de
la personnalit6 de ses assises et de r&Iuire la valorisation de la dignit6 humaine des
questions d’argent qui doit conduire
refuser de fonder sur ce droit la r6paration d’un
pr6judice purement 6conomique. Car en s’y risquant, il ne faut pas douter que les con-
sid&ations marchandes pr6sideront 6galement, tft ou tard, A la d6termination du r6-
gime du droit de la personnalit6 : le droit patrimonial de la personnalit6 existera donc
de toute fagon, mais au prix de la dilution progressive du droit extrapatrimonial.
A la r6flexion, la distinction entre l’6thique extrapatrimoniale et la logique patri-
moniale n’est en den le rapport d’une utopie archaique .une modernit6 r6aliste. C’est
l’affrontement de deux d6marches 6galement actuelles mais qui n’ont pas les m~mes
valeurs : l’une comme l’autre doivent donc 8tre prises en compte, mais sans que l’une
ne force l’autre. C’est pourquoi il est essentiel de laisser au droit extrapatrimonial de la
personnalit6 son domaine et son r6gime et de cr6er, puisque le besoin s’en fait sentir,
un droit patrimonial auquel il reviendra de fonder la r6paration du pr6judice r6sultant
d’une exploitation sans droit de la valeur 6conomique du nom ou de l’image.
Sans doute pourrait-on soutenir que les r~gles de la responsabilitd civile suffisent A
pallier aux insuffisances du droit extrapatrimonial et conjurer ainsi sa d6naturation”.
De fait, le recours au droit commun de la responsabilit6 permettrait ind6niablement de
sanctionner quiconque exploite sans autorisation le nom, l’image ou la voix d’une per-
sonne notoire et de r6parer la 16sion d’int6r~ts de nature purement patrimoniale. Mais il
n’en demeure pas moins que ces r~gles sont en revanche impuissantes A suppl6er
l’inadaptation du droit extrapatrimonial pour assurer la commercialisation de la valeur
6conomique des attributs d’une personnalit6 notoire.
2 Luciani, supra note 39 t lap. 26, qui souligne que les droits de la personnalit6 ont 6t6 d6finis, ds
l’origine, par opposition aux droits patrimoniaux.
‘3 Rubellin-Devichi, supra note 38 t lap. 95.
“Rubellin-Devichi, ibid ; Goubeaux, supra note 34 bt lap. 293 et s.
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 42
B. L’inadaptation du droit extrapatrimonial pour assurer la
commercialisation de la valeur 6conomique des attributs d’une
personnalitd notoire
1. Contrats d’abstention et conventions d’exploitation
Le droit extrapatrimonial ne rpugne pas seulement A fonder la r6paration d’un
pr6judice purement 6conomique, il est en outre fondamentalement inadapt6 pour pour-
voir
l’exploitation mercantile de la personnalit6. D’une part, il ne peut, par nature, ni
8tre c6d6 ni etre conc&t6. I1 en r6sulte que, en cas de conflit entre le licenci6 autoris6 A
exploiter la notori6t6 d’un attribut de la personnalit6 et un tiers cherchant lui-meme A
en tirer profit, le premier est aujourd’hui sans qualit6 pour faire cesser l’utilisation d’un
nom ou d’une image qui, par hypoth~se, n’est pas sien. D’autre part, apprehend6
comme le droit de d6fendre la personnalit6 et de s’opposer A son emploi par autrui, le
droit extrapatrimonial oblige a concevoir les conventions par lesquelles le sujet autorise
l’usage de son nom ou de son image comme des conventions d’abstention h l’exercice
de ce droit”. Or cette conception ne permet pas de rendre compte des conventions dont
l’objet est d’exploiter la valeur commerciale d’un nom ou d’une image notoire.
L’6conomie de ces contrats commande d’y voir plut6t la transmission, par le conc6dant
au licenci6, d’un droit d’exploitation du nora ou de l’image qui ne peut 6tre qu’un droit
patrimonial : en confdrant A son cocontractant le droit d’exploiter la valeur commer-
ciale de sa personnalit6, on pergoit bien que la personne ne s’abstient pas d’exercer le
droit n6gatif d’interdire la commercialisation de celle-ci ; elle transmet au licenci6 un
droit de nature patrimoniale qui l’autorise
tirer lui-m~me profit de la valeur de la no-
tori6t6. Le r6alisme voudrait ds lors que I’on reconnaisse l’existence de ce droit. Car il
va sans dire que lh oai le droit extrapatrimonial fait d6faut, les r~gles de la responsabili-
t6 civile ne sont pas plus habiles A justifier l’id e d’un droit d’exploitation transmis au
licenci6.
Reste A savoir, toutefois, si la reconnaissance de ce droit est vraiment justifi6e,
c’est-A-dire s’il est, au fond, l6gitime de consacrer un monopole au profit de certaines
personnes sur 1’exploitation publicitaire et commerciale de leur personnalit6.
2. Les justifications d’un droit patrimonial de [a personnalit6
Sans pr6tendre a l’exhaustivit6, on peut d6nombrer trois raisons essentielles de re-
connaitre a une personne renommde un monopole sur l’exploitation de la valeur de sa
personnalit6.
D’une part, il n’est pas d6raisonnable de considdrer que la personne qui a donn6
une valeur commerciale A son image ou A son nom par l’activit6 rayant rendue notoire
doit pouvoir en recueilir ouvertement et personnellement le profit”. La notori~t6 de
celui qui a rendu son nom ou son image c6lbre est en effet en g6n6ral moins le fruit
d’un hasard que le rsultat d’un travail pers6v6rant, parfois depuis longtemps : plus
45G. Loiseau, Le nom objetd’un contrat, Paris, L.G.D.J., 1997 aux pp. 283-84, n* 291.
Gaillard, supra note 35 A lap. 163, n* 1.
1997]
G. LoIsEAu – DES DROITS PATRIMONIAUX
souvent li6e h l’exercice d’une activit6 qu’A la faveur fortuite d’un 6vnement’, elle est
d’abord le r6sultat d’investissements physiques ou intellectuels importants pour obte-
nir, dans l’exercice de cette activit6, la reconnaissance du public. Consacrer un droit
la fois de r~server la valeur 6conomique de la notori6t6 A
patrimonial permet d~s lors
celui qui l’a acquise au prix d’efforts soutenus et mdritants et d’encourager par I4-
meme ces efforts. Inversement, il va de soi que l’absence d’un monopole de la per-
sonne renommde laisserait t tous la possibilit6 de tirer profit de sa notoridt6 sans con-
trepartie et en cela de s’enrichir injustement.
D’autre part, la reconnaissance d’une exclusivit6 de la personne sur l’utilisation
publicitaire et commerciale de sa personnalit6 est ndcessaire pour en optimiser le pou-
voir attractif et augmenter ainsi le b6ndfice susceptible d’8tre retir6 par chacun de ceux
qui acqui~rent le droit de l’exploiter A des fins promotionnelles. Au contraire, en
‘absence de toute attribution en exclusivit6 et donc de tout contr6le, le nom ou 1’image
notoire pourrait 8tre utilis6 par tous et pour tout usage, et perdrait d~s lors rapidement
sa valeur. Car outre l’usure publicitaire resultant d’une surexploitation de son pouvoir
attractif, la valeur du nom ou de l’image peut se trouver rapidement dpr6ci~e par un
usage inconciliable avec l’image de marque que le signe vhicule : il en va ainsi, par
exemple, si le nom de telle actrice habituelement utilis6 pour la promotion de parfums
de luxe peut 6tre librement utilis6 pour vanter des produits alimentaires bon march6 ou
pour designer des marchandises de mauvaise qualit6. Dans ces conditions, il serait 6vi-
demment inepte d’ouvrir
tous l’acc~s aux attributs d’une personnalit6 notoire si leur
exploitation publicitaire par tous les prive au bout du compte de leur pouvoir attractif et
donc de leur valeur.
En dernier lieu, la reconnaissance d’un droit de la personne renomm~e de contr6ler
l’exploitation de sa notori6t6 n’est pas sans incidence sur la protection des consomma-
teurs dans la mesure oj, A d6faut, ceux-ci pourraient 8tre induits en erreur par des pu-
bicit6s utilisant l’image ou le nom d’une c616brit6 pour promouvoir des produits ou
des services que celle-ci n’aurait en r~alit6jamais accept6 de cautionner.
“‘ La notori~t6 est certes parfois le fruit des 6vdnements et non, proprement parler, du m6rite de la
personne. C’est le cas, par exemple, de Donna Rice qui a conclu un important contrat publicitaire
pour promouvoir la marque de jeans No excuses apris que la r6v6lation de ses relations intimes avec
le S6nateur et candidat
la prsidence am~ricaine Gary Hart l’ait rendue c61 bre. Voir Madow, supra
note 7 t la p. 179. On peut 6galement citer le cas de Ronald Biggs, rendu c61 bre par l’attaque du train
Glasgow-Londres le 8 aoft 1963 et qui, r6fugi6 depuis au Br6sil, est apparu en 1989 dans un spot
publicitaire pour attester de la qualit6 de serrures de marque Fama. Voir J.-M. Lehu, Origines et mo-
des d’utilisation des cdl~britis par la publiciti, th~se de doctorat en sciences de gestion
(sp#cialisation marketing), Universit6 de Paris I, 1993
la p. 510 [non publi~e]. Cela 6tant, de tels
exemples sont rares et surtout condamnables, sp6cialement lorsque la notoridt6 proc~de d’une activit6
criminelle. En outre, on rel~vera que lorsque la notori~t6 a 6t6 acquise t la faveur d’un 6vnement
fortuit, elle connait en g6n~ral une obsolescence bien plus rapide que celle rsultant de l’exercice
d’une activit6 littraire, artistique ou sportive et ne peut donc atre exploite commercialement trHs
longtemps.
332
MCGLL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGLL
[Vol. 42
3. Conception moniste ou dualiste du droit patrimonial de la
personnalit6
Si la reconnaissance de droits patrimoniaux de la personnalit6 se r6v~le, en d6fini-
tive, opportune, encore faut-il savoir s’ils doivent 6tre appr6hend6s comme un aspect,
un simple composant d’un droit g6n6ral de la personnalit6 ou, au contraire, comme des
droits radicalement distincts, dissidents, du droit extrapatrimonial. Dans le premier cas,
on considrera que le droit de la personnalit6 prsente
la fois des prdrogatives d’ordre
extrapatrimonial et des pr&ogatives d’ordre p~cuniaire. Dans le second, on dissociera
plus nettement ces deux ordres de pr&ogatives en en faisant l’objet de droits subjectifs
distincts.
En France, ces deux conceptions ont chacune leurs tenants : s’agissant du droit t
l’image, certains auteurs prsentent le monopole d’exploitation comme un aspect de ce
droit comportant par ailleurs un aspect extrapatrimonial. D’autres d6fendent plutot
l’id~e d’une structure dualiste du droi 9. On adh6rera sans hesiter 4 cette derni&e con-
ception. Car, tout bien consid6r6, le risque de l’analyse moniste serait toujours que l’un
des deux ordres de prdogatives se trouve vassalis6, soumis h l’influence dominante de
l’autre. En d’autres termes, une analyse moniste personnaliste conduirait A placer le
droit d’exploitation dans l’orbite des prrogatives personnelles de nature extrapatri-
moniale et A lui faire subir en cons6quence un rgime dont on a soulign6
l’inadaptation”. Plus grave, une analyse moniste faisant du monopole d’exploitation la
pr&ogative dominante du droit risquerait de rduire le droit extrapatrimonial h un r6le
de simple correctif, m~connaissant
terme son caract~re de droit fondamental attribu6
A toute personne en raison de sa dignit6.
Autrement dit, mieux vaut consid~rer que la protection des int&rts moraux et la
satisfaction des int&rts p~cuniaires du titulaire d’un nom ou d’une image notoire re-
pr6sentent deux objectifs que la raison et l’observation des faits commandent de disso-
cier”. Cette conception dualiste, qui permet de preserver au droit extrapatrimonial sa
spdcificit6 et d’ajuster le droit d’exploitation aux besoins de la pratique, rend compte en
outre de la difference d’objet de ces deux droits : tandis que le droit extrapatrimonial
porte sur la personnalit6 in se et nait de la seule humanit6 de son titulaire, le monopole
d’exploitation s’applique A une personnalit6 notoire et nalt, en fait, de la notori6t6 du
sujet. Aussi, sans remplacer l’id~e par la formule, une distinction pourrait 6tre sugg6r6e
4 Edelman, supra note 33 ; Talon, supra note 33 ; X. Dijon, Le sujet de droit en son corps : une
mise a I’dpreuve du droit subjectif, thse de doctorat en droit, Namur, 1982 A la p. 311, n 452 [non
publi~e] ; Rigaux, supra note 20 AIa p. 762 et s. ; P. Conte et B. Petit, Les personnes, Grenoble, Pres-
ses de l’Universit6 de Grenoble, 1992 A la p. 27, n 3 1.
” Gaillard, supra note 35 ; Acquarone, supra note 32 au n 25 ; Dessemontet, supra note 20 h la p.
50 ; Collet, supra note 35 ; Malaurie et Aynks, supra note 35 ; Pollaud-Dulian, supra note 29 au if
16 ; Kayser, supra note 32. Voir aussi une opinion toutefois plus mitige : Goubeaux, supra note 34 h
la p. 293 ; J. Henderycksen, note sous Trib. gr. inst. Aix-en-Provence, 24 novembre 1988,
J.C.P. 1989.1l.21329, n 20.
0 Ettore, supra note 5.
‘ La formule s’inspire de celle employee par P. Roubier k propos de la dualit6 des prdrogatives
(droit moral et droit d’exploitation) du droit d’auteur : P. Roubier, Le droit de la propridt6 industrielle,
t. 2, Paris, Recueil Sirey, 1952 k la p. 364, n’ 209.
1997]
G. LoIsEAU – DES DROITS PATRIMONIAUX
entre, d’un c6t6, le droit extrapatrimonial de la personnalit6, qualifl6 de droit primaire
de la personnalitg, et, de l’autre, le droit patrimonial d’exploitation de la personnalit6,
d6nomm6 droit de la personnaliti.
Quel cr6dit accorder cette conception ? C’est ce qu’il importe d’6prouver en d6-
veloppant les grands traits de la distinction du droit primaire et du droit driv6 de la
personnalit6 avant d’examiner le r6gime de ce dermier.
II. La distinction des droits primaires et des droits ddrivfs de la
personnalit6
Loin de vouloir proc&ler A une 6tude approfondie des droits primaires et des droits
d6riv6s de la personnalit6, c’est plut6t l’originalit6 de ces derniers par rapport au droit
extrapatrimonial classique qu’il est int6ressant de cerner. Pour s’en faire une ide
claire, on envisagera successivement la notion puis la nature des droits d6riv6s de la
personnalit6.
A. La notion de droit ddriv6 de la personnalit6
1. Dfinition du droit primaire et du droit d6riv6 de la personnalit
Le droit primaire de la personnalit6 peut &re d6flni comme le droit fondamental de
travers les signes
toute personne de contrOler l’accis des tiers ‘ sa propre personnalit6
qui la caract6drisent, tels que le nom, l’image ou la voix, en s’opposant, le cas 6ch6ant,
leur emploi par autrui. Ce droit est dit
tous les 8tres humains en consid&ation de l’humanit6 et de la dignit6 en chacun et
s’attache ainsi sans discrimination A la personnalit6 per se. II rel~ve donc en quelque
sorte de la primarit6 de la personnalit6 ou encore du premier degr6 de celle-ci.
Le droit d~riv6 de la personnalit6 est quant t lui le droit des personnes renomm6es
de contr6ler
‘exploitation commerciale de leur personnalit6, c’est-h-dire le droit
d’exploiter personnellement ou de conc6der l’exploitation, des fins commerciales ou
publicitaires, de la valeur attractive des 616ments 6voquant la personnalit6, tels que le
nom, l’image ou la voix, ainsi que de s’opposer h toute commercialisation non consen-
tie qui en serait faite. Ce droit est dit <
sa reconnaissance suppose que la personnalit6 ait acquis une valeur patrimoniale par
l’effet de la notoid6t6 du sujet, de sorte que l’on peut consid~rer qu’il proc&te, ainsi,
d’une ddrivation de la personnalit6 ou d’un second degr6 de celle-ci. D’une certaine
mani~re, un parallke peut 6tre fait avec les produits dits d6div6s qui correspondent h
1′ exploitation, sous des formes driv6es, des personnages des oeuvres littdraires
(Frankenstein, Sherlock Holmes), des bandes dessin6es (Tintin, Mickey), des dessins
anim6s (Bugs Bunny) et des films (Crocodile Dundee) par leur apposition sur une large
vari6t6 de supports (T-shirts, autocollants, affiches, poup6es, gadgets divers). Cette
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 42
pratique, connue dans les pays anglo-saxons sous le nom de character merchandising”,
s’applique 6galement A la commercialisation de signes distinctifs qui, utilis6s norma-
lement comme marque, sont parfois exploitds pour eux-memes, ind6pendamment du
produit qui leur sert de support. C’est ainsi, par exemple, que l’on trouve des trousses
d’6colier en forme d’6tui de chewing-gum Hollywood Chewing-gum, des port-cls re-
produisant une bouteille de Perrier, des briquets Bic ou des gommes Coca-Cola.
L’id6e, A chaque fois, est la m~me : le personnage ou la marque – en raison de sa no-
tori6t6 –
ajoute A sa fonction primaire une utilit6 secondaire en devenant un 616ment
commercialisable en soi. L’exploitation du personnage ou de la marque, sous la forme
de produits d6riv6s qui b6n6ficient de son pouvoir attractif, donne alors naissance 4 des
droits que ‘on qualifie de droits d6riv6s . De ce point de vue, l’analogie avec les droits
d6riv6s de la personnalit6 est bien sfir manifeste : le profit tir6 de l’exploitation de la
personnalit6 est en effet un sous-produit de celle-ci ou plus exactement un produit d6ri-
v6 de la notori&6 du sujet qui, en confdrant aux attributs de la personnalit6 une valeur
attractive, les transforme en biens commercialisables ‘ .
2. Les pr6rogatives du droit d6riv6 de la personnalit6
C’est tout d’abord le droit soit d’exploiter personnellement, soit plus g6ndralement
de concdler 1’exploitation publicitaire ou commerciale de tel ou tel signe de la person-
nalit6 (nom, image, voix). Dans le premier cas, la personne exploite elle-meme, dans
1’exercice d’n commerce, la valeur frugifere des attributs de sa personnalit6 comme le
fit, par exemple, le c61bre joueur de tennis Ren6 Lacoste en commercialisant sous son
nor des vtements de sport. L’individu a alors un intdr& commercial direct A
‘exploitation du signe de sa personnalit6. Dans le second cas, de loin le plus courant, ]a
personne concede, par la voie contractuelle, le droit d’explbiter la valeur d’un attribut
de sa personnalit6 A un tiers qui, l’associant A ses propres produits ou services, escomp-
te b6n6ficier ce faisant de son pouvoir attractif. Tandis que le licenci6 attend un avan-
tage commercial de l’op6ration, le titulaire du droit d6riv6 de la personnalit6 le con-
cede, dans cette hypothb~se, dans un but financier.
Mais le droit d6riv6 de la personnalit6 comprend aussi le droit, pour la personne
renomm6e, de s’opposer et de faire interdire toute exploitation commerciale ou publici-
52 P. Shears, Legal Protection of Character Merchandising in England and the United States>>
(1985) 14 Anglo-Am. L. Rev. 49 ; N.R. Shapiro, Don’t Toy Around: A Look at Character Mer-
chandising>> (1985) 1 I.P.J. 85 ; Brown, supra note 17 ; R.G. Howell,
.J. 197 ; D.
Young, Passing Off, 3′ &l., Londres, Longman, 1994 A lap. 133 et s. Voir 6galement sur le merchan-
dising d’images d’oeuvres d’art : J.C. Ginsburg, Exploiting the Artist’s Commercial Identity: The
Merchandising of Art Images>> (1995) 163 R.I.D.A. 2.
” G. Bigle, Droits ddrivis: licensing et character merchandising, Paris, J. Delmas et Cie, 1987 ; A.
Bertrand, Le droit d’auteur et les droits voisins, Paris, Masson, 1991 a la p. 553, s. 13.1 ; Juris-
classeur: Contrats distribution, vol. 2, fasc. 4060,
‘ Lehu, supra note 47 A la p. 563, qui d~finit, de faon g6n6rale, le droit d~iv6 comme le droit
d’utilisation de la notori6t6 pr6tablie de l’image d’une personnalit6, d’un logo, d’une marque>>. Et cet
auteur ajoute : Dans cette acceptation du terme, force est de reconnaltre que l’utilisation d’une c61-
brit6 dans la publicit6 est par d6finition du droit ddriv& .
1997]
G. LOISEAU – DES DROITS PATRIMONIAUX
laquelle elle n’a pas personnellement consenti.
taire des attributs de sa personnalit6
Le plus souvent, le pr6judice patrimonial rsultant de la commercialisation non con-
sentie d’un 616ment de la personnalit6 consiste dans un manque h gagner, c’est-A-dire
dans la rmun6ration que la personne aurait pu percevoir si elle avait n6goci6 et autori-
s6 cet emploi. L’6valuation de ce pr6judice peut alors etre faite au regard de ce que la
personne perqoit habituellement pour ce genre d’op6ration ou, A d6faut, en tenant
compte des profits r6alis6s par ‘exploitant auquel le sujet aurait pu Atre associ6. Mais
le pr6judice peut aussi rsulter de la d6pr6ciation de la valeur publicitaire des attributs
de la personnalit6, notamment lorsque la personne renomme n’aurait pas consenti A
‘utilisation incrimin6e, soit parce qu’ele r6serve habituellement ‘exclusivit6 du pou-
voir attractif de sa personnalit6 h d’autres types de produits, voire h une marque d6-
termin~e, soit plus g6n6ralement parce qu’elle ne souhaite pas associer sa personnalit6
h des produits qui risqueraient de galvauder son < (par exemple, en
associant son nom A des produits m6nagers si elle a coutume de promouvoir des par-
fums de luxe). Un tel pr6judice serait 6galement caract6ris6 dans l’hypoth~se oti les
produits commercialisds avec le nom ou l’image de la personne renomm6e se r6v6le-
raient de mauvaise qualit6, d6fectueux ou non conformes
leur destination normale’5.
3. Les contours du droit d6riv de [a personnalit6
La difficult6 de d6terminer avec pr6cision les diffdrents aspects de la personnalit6
m6ritant de faire l’objet d’un droit primaire de la personnalite’ retentit 6videmment
lorsqu’il s’agit de d6tailler les diffdrents droits ddrivds de la personnalit6 qui pourraient
la
8tre reconnus. Sans doute, la sagesse voudrait que l’on s’en remette sur ce point
pratiquejudiciaire, mieux A. m~me dejuger, de manire empirique, quand ‘exploitation
publicitaire ou commerciale d’un aspect de la personnalit6 justifie que l’on reconnaisse
t la personne le droit de contr6ler celle-ci. Pour autant, h d6faut de proposer des solu-
tions th6oriques somme toute assez hasardeuses, il n’est pas inutile de fixer les grandes
lignes, les contours de ce que peut raisonnablement recouvrir la cat6gorie des droits
ddriv6s de la personnalit6. Certains de ces droits ne font, a priori, aucun doute : il en va
ainsi de ceux qui concement l’exploitation des attributs les plus significatifs de la per-
sonnalit6, comme le nom, l’image ou encore la voix. De meme, sans pr6tendre 6puiser
la mati~re’, un droit patrimonial pourrait &tre reconnu sur les sumoms et pseudonymes
” Voir par exemple, R Alaphilippe et J.P. Karaquillo, note sous Paris, 28 f6vrier 1980,
D.1982.Inf.92, qui, dans une espce oa un joueur de tennis de renom avait autoris6 l’utilisation de son
patronyme A des fins promotionnelles, a constat6 le caractare 6conomique du prdjudice rsultant de la
commercialisation sous ce nom d’une chaussure inadapt~e h ]a pratique du tennis. Pour la Cour, le
sportif avait subi un dommage de nature commerciale dans la mesure oti sa r6putation risquait ainsi
d’8tre d~pr6ci6e, ce qui rduisait ses chances d’exploiter de nouveau son nom de mani~re b~n~fique
pour la promotion ou la diffusion d’autres articles.
” Pour une proposition de d6finition et de d6limitation de la catgorie des droits de la personnalit6,
voir Luciani, supra note 39 au n 44 et s.
” Voir par exemple, M. Contanine-Raynaud,
P. Lagarde, dir., L’information en droit privg, Paris, L.G.D.J., 1978, 401 au n 26, qui admet
1’existence d’un droit patrimonial d’exploitation de la vie priv~e. Voir 6galement en ce sens : Collet,
supra note 35 k ]a p. 276 et s., n 271 et s.
336
McGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 42
lorsqu’ils sont 6troitement associ6s une personnalit6 notoire comme c’est le cas, par
exemple, du pseudonyme Johnny Hallyday, plus connu que le patronyme du chanteur,
Smet.
En revanche, il ne paralt pas souhaitable d’6tendre, A l’instar du droit am6ricain, le
monopole d’exploitation
des aspects periph6riques de la personnalit6 tels des acces-
soires vestimentaires caract6ristiques ou encore une phrase associ6e, dans l’esprit du
public, A une personne c6l~bre”. Un tel 6largissement du droit patrimonial de la per-
sonnalit6 risquerait en v6rit6 d’entrainer une dilution de ce droit dans des applications h
des indices de plus en plus abstraits d’une personnalit6 notoire, avec le risque de d6me-
sure que ron peut ais6ment imaginer.
L’examen critique de l’exp6rience amdricaine invite aussi A s’opposer
ce que le
droit d6riv6 de la personnalit6 soit 6tendu A ‘exploitation commerciale d’un person-
nage fictif incam6 par un acteur ‘ayant rendu c6lbre9. Sans doute, lorsque l’acteur est
aussi le cr6ateur de son personnage –
il
peut avoir un droit sur celui-ci au titre du droit d’auteur. Mais, 4 d6faut, il ne paralt pas
comme ce fut le cas de Charlie Chaplin –
58 Voir Motschenbacher c. R.J. Reynolds Tobacco Co., 498 F2d 821 (9th Cir. 1974) juge que la re-
presentation dans une publicitd t66vis~e de la voiture etroitement associee dans ]’esprit du public A un
pilote de course renomm6, Lothar Motschenbacher, constitue une exploitation de la personnalit6 de ce
dernier et r6alise une violation de son right of publicity ; Lombardo c. Doyle, Dane & Bernbach Inc.,
396 N.Y.S. 2d 661 (1977) : juge que l’imitation dans une publicit6 des gestes et du style caract6risti-
ques de Guy Lombardo, chef d’orchestre particulirement connu pour son interpretation musicale de
l’airAuld Lang Syne, constitue une appropriation de sa personnalit6 A des fins commerciales ; Carson
c. Here’s Johnny Portable Toilets Inc., 698 F.2d 831 (6th Cir. 1983) affirm6 810 E2d 104 (6th Cir.
1987) : juge que ]a locution Here’s Johnny, phrase par laquelle le ce1 bre presentateur John W, Carson
est h ce point etroi-
commence toujours la presentation de son show televis6 – The Tonight Show –
tement associ6e A Johnny Carson qu’elle constitue un aspect de sa personnalit6 et un indice de son
identite. Son emploi comme marque de toilettes mobiles, pouvant faire croire que M. Carson cau-
tionne les produits en cause, porte atteinte A son right of publicity ; White c. Samsung Electronics
America Inc., 971 F2d 1395 (9th Cir. 1992) : juge que la representation dans une pubicit6 commer-
ciale d’un robot coiff6 d’une perruque blonde, portant une robe longue et de gros bijoux et se tenant
dans un decors semblable 1 celui dujeu t66vis6 la Roue de la Fortune (the Wheel of Fortune), 6voque
la personnalit6 de sa presentatrice vedette, Vanna White, et constitue une violation de son right of
publicity. Voir 6galement Rapp. (1995) 17(4) Entertainment L. Rep. 17 A lap. 17 et s., s’agissant de
robots ressemblant aux acteurs George Wendt et John Ratzenberger, rendus cel6bres par la s~rie
Cheers.
59 Voir en droit am6ricain, Hal Roach, supra note 7
lap. 836 et s. et Price c. Worldvision Enterpri-
ses Inc., 455 F Supp. 252 (S.D. N.Y. 1978), affirm6 603 F2d 214 (2d Cir. 1979) : reconnait aux ac-
teurs Stanley Laurel et A Oliver Hardy un right of publicity leur assurant la maltrise de l’exploitation
commerciale des personnages de Laurel et Hardy ; Groucho Marx Productions Inc. c. Day and Night
Co., 523 E Supp. 485 h la p. 490 (S.D. N.Y 1981), renvers6 pour d’autres motifs 689 E2d 317 (2d
Cir. 1982) [ci-apr~s Groucho Marx Productions] : juge que le right of publicity de Julius, Leo et
Adolph Marx s’6tend au contr6le de ]a commercialisation des personnages des Marx Brothers –
Groucho, Harpo et Chico – qu’ils avaient crUs ; Lugosi c. Universal Pictures, 160 Cal. Rptr. 323
(1979), 603 P. 2d 425 (1979) [ci-apr s Lugost] : juge que le right of publicity de Bela Lugosi s’etend
au personnage de Dracula qu’il a incam6 avec brio et dont il est, pour beaucoup, d6sormais insepara-
ble. Voir 6galement, en faveur de cette extension des droits patrimoniaux de la personnalite, Desse-
montet, supra note 20 aux pp. 48-50.
1997]
G. LoIsEAu – DES DROITS PATRIMONIAUX
337
justifi6 de lui reconnaitre un droit sur l’exploitation d6driv6e du personnage concurrent
de celui du cr6ateur titulaire du droit d’auteur, ou de ses cessionnaires. D’autant qu’il
n’est pas, m~me dans ce cas, priv6 de toute prdrogative puisqu’il dispose, en qualit6
d’artiste-interpr~te, d’un droit voisin du droit d’auteur sur sa prestation et conserve A
1’exploitation d6rivde de son image ou de conc6der ce
ce titre le droit de proc~der
droit un tiers, sauf stipulation contraire du contrat”. La reconnaissance d’un droit d6-
riv6 de la personnalit6 sur ‘exploitation du personnage incarn6 par l’acteur apparalt
donc, dans ces conditions,
la fois injustifide et inutile.
Le droit ddriv6 de la personnalit6 ne doit enfin concerner que l’exploitation de na-
ture strictement commerciale de celle-ci. Quoique confdrant A l’individu un monopole
sur l’utilisation de son nom, de son image, de sa voix, etc., i ne saurait etre le droit de
tout interdire ou, pis, de tout monnayer. Au contraire, il va de soi que l’information du
public justifie parfois, et bien sfir davantage lorsqu’il s’agit de personnes cdl~bres, que
leur nom soit mentionn6 ou leur image projetde sans leur consentement pr6alable et
sans une juste indemnit6. Par exemple, la pr6sentation au cours d’un journal t6l6vis6
d’un reportage sur le spectacle d’un chanteur avec un aperqu de sa prestation ne consti-
la
tue pas une exploitation indue de son droit ddriv6 h l’image ou de son droit ddriv6
voixe. De meme, l’article de presse relatant la dernire performance d’un sportif ne
porte pas atteinte A son droit ddriv6 au nom. Dans le m8me ordre d’iddes, il faut consi-
ddrer que le droit driv6 de la personnalit6 laisse 6galement intacte la libert6 des tiers
de parodier ou de caricaturer une personnalit6 notoire3 . Les marionnettes mises en
sc~ne dans les 6missions satiriques ne sauraient en consequence constituer une exploi-
la voix des personnes parodides. N’en
tation des droits ddivs au nom,
d6plaise A celles-ci, la c616brit6 a aussi un prix qui ne se monnaie pas.
l’image ou
Ii reste vrai, ndanmoins, que la fronti~re entre l’exploitation commerciale de la per-
sonnalit6 et la parodie ou les ndcessit6s de l’information est parfois d6licate A 6tablir.
Ainsi, force est de constater que certaines biographies de c616brit6s ressortissent moins
dans certains cas A la libert6 d’expression qu’h une exploitation purement mercantile de
personnalitds notoires du moment. De meme, si l’on veut bien croire A la vocation in-
60 Loi df 92-597 du 1″ juillet 1992 relative au code de la proprijtJ intellectuelle (partie Ligislative),
J.O., 3juillet 1992, 8801, art. L. 212-3 [ci-apr~s C. prop. int.].
6WEn ce sens, J. Ravanas, note sous Paris, 11 mai 1994, D.1995.Jur.188.
62 Contra, en droit am&icain : Zacchini c. Scripps-Howard Broadcasting Co., 433 U.S. 562, 53 L.
Ed. 2d 965 (Ohio 1977): juge que la retransmission non autoris~e au cours d’informations t6ldvis6es
de la prestation d’un
S.A. Diamond, <
(1983) 73 Trademark Rep. 276.
6 Voir en droit amricain, Cardtoons, LC. c. Major League Baseball Players Association, 868 F
Supp. 1266 (N.D. Okl. 1994) ; Rapp. (1995) 16(9) Entertainment L. Rep. 3 A la p. 5 ; B.P. Keller et
D.H. Bernstein, <
chera cette solution de l’article L. 122-5-4 C. prop. int., supra note 60, qui apporte une exception au
droit d’auteur, lorsque l’oeuvre a dt6 divulgu6e, en autorisant la parodie, le pastiche et la caricature.
Mais voir toutefois sur la question, B. Ader, <
Legicom : Revue trimestrielle du droit de la communication 10.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 42
formative d’une certaine presse tirant profit de la vie des gens riches et c61bres qu’elle
se plait A relater, la limite est parfois franchie avec 1’exploitation marchande que font
quelques <
Mais, dans ce dernier cas, ‘exploitation de la personnalit6 constitue moins sans doute,
pour celui qui en est victime, une atteinte A son droit d6riv6 de la personnalit6, justifiant
la r6paration d’un pr6judice purement patrimonial, qu’une violation de son droit pri-
maire de la personnalit6 entrainant un prejudice essentiellement moral.
4. Les rapports entre le droit primaire et le droit d6riv6 de la
personnalit6
La notorit6 d’une personne limite incvitablement sa facult6 d’invoquer une at-
teinte aux droits primaires de sa personnalit6 (droit au nom, A l’image, A la vie pdvde).
Les n6cessit6s de l’information, en particulier, l’obligent A supporter que son nom soit
mentionn6 dans la presse, son image publi6e ou diffusde A la t6l6vision. LA o
tout un
chacun pourrait 6ventuellement se plaindre d’une violation de sa sphere priv6e, la no-
tori6t6 du sujet l’oblige en quelque sorte se soumettre
l’attention publique et corr6-
lativement lui interdit de s’opposer A toute 6vocation de sa personnalit6. II ne faut pas y
voir, en v6rit6, une acceptation tacite des 6ventuelles atteintes par la personne notoire
mais plut6t une appr6ciation diff~rente de ce qui est ou non susceptible de lui porter
atteinte eu 6gard h la publicit6 qu’elle-m~me recherche!.
Cela 6tant, il serait faux de croire que la notori6t
fait disparaitre l’int~r& moral de
la personne A la preservation de sa personnalit6. Si le seuil de la protection est certes
recul6, pour tenir compte de l’int6r& public A ‘information ainsi que, d’une certaine
manire, du caract~re g6n6ralement volontaire de l’exposition de l’int&ess6(e) h la
publicit6, toute protection ne doit pas pour autant 6tre d~ni~e pour les atteintes les plus
graves et les plus manifestes
la personnalit6. En d’autres termes, il faut consid~rer
que le droit d6riv6 de la personnalit6 qui r6sulte de l’accession du sujet As la notori6t6
s’ajoute mais ne suppl~e pas le droit primaire de la personnalit6 qui rdpond h l’intr&t
fondamental attach6, pour chaque individu, A la sauvegarde de l’int6grit6 de sa person-
nalit6. Les deux types de droits coexistent, de la meme fagon que coexistent l’int6rt
moral et l’intdr&t patrimonial qui leur r6pondent. Pour ne prendre que deux exemples,
on peut ainsi concevoir qu’un sportif c6l bre demande r6paration, sur le fondement de
son droit d6riv6 au nom, du pr6judice commercial rdsultant de l’utilisation non consen-
tie de son patronyme pour promouvoir des 6quipements sportifs et agisse, sur le fon-
dement de son droit primaire au nom, contre l’emploi non consenti de celui-ci dans une
oeuvre de ‘esprit pour en affubler un personnage ridicule. De meme, on peut imaginer
qu’une actrice c6l bre excipe de son droit d6riv6 A l’image pour 8tre associ e aux pro-
fits r6sultant de l’utilisation de sa photographie dans une campagne publicitaire pour un
parfum, mais fonde sur son droit primaire A l’image l’action visant As interdire la repro-
duction dans une revue
” C’est donc A tort, t notre avis, que de trs nombreux auteurs justifient la lic6it6 de la mention du
nom ou de la reproduction de l’image d’une personne publique par l’existence d’une autorisation ta-
cite ou pr6sum~e de celle-ci. En ce sens, voir encore r~cemment, Renault, supra note 33. Adde : Trib.
gr. inst. Nanterre, 6 avril 1995, Gaz. Pal. 1995. 1′ sem. Jur. 285.
1997]
G. LoIsEAu – DES DROITS PATRIMONIAUX
339
le plus simple appareil. En somme, A la pr6servation d’un int~r& moral doit correspon-
dre le jeu du droit primaire de la personnalit6, cependant que l’atteinte un int&r&t pa-
trimonial justifie la mise en oeuvre du droit d6riv6 de la personnalit6.
Se pose alors la question d’une 6ventuelle primaut6 de Fun des droits sur l’autre.
S’exprimant h propos du droit patrimonial A. l’image dont il dMfend la conception, M.
Kayser estime que
<
droit d6riv6 de la personnalit6 tend bien A la conquete d’une clientele pour la person-
nalit6 notoire du sujet. Mais l’incertitude qui r~gne sur la cat6gorie des droits de clien-
tale, dont on a d~nonc6 le manque de rigueur”, rduit A l’6vidence l’int6r& de ce der-
nier classement.
Voir de mani~re g6n6rale, sur cette qualification, J. Audier, Les droits patrimoniaux a caractre
personnel, Paris, L.G.DJ., 1979.
70 Voir notanment R. Nerson, Les droits extrapatrimoniaux, th~se de doctorat en droit, Universit6
de Lyon, 1939 aux pp. 481-83, n 214 [non publi~e] ; Audier, ibiL
7P . Roubier, <
7lbibL h lap. 291.
73Ibid A lap. 292.
74 Voir notamnment, J. Raynard, Droit d’auteur et conflits de lois : Essai sur la nature juridique du
droit d’auteur, th~se de doctorat en droit, Facult6 de Droit et des Sciences Econorniques de Montpel-
]a p. 7 au n viii.
1997]
G. LoIsEAu – DES DROITS PATRIMONIAUX
Peut-on d&s lors aller plus loin et qualifier le droit d6riv6 de la personnalit6 de droit
de propri6tP7 ? D’embl6e, force est de considdrer qu’en 1’absence d’objet matdriel il ne
saurait de toute fagon s’agir d’une propri6t6 ordinaire. Tout au plus la conception de la
notori6t6 comme un bien incorporel peut sugg~rer un rapprochement avec la propri6t6
incorporelle. L’opposabilit6 erga omnes du droit d’exploitation, qui permet h son titu-
laire d’en tirer profit, accr~literait d’ailleurs cette analys&’. Mais i n’en reste pas
moins qu’h la diffdrence d’autres propri6t6s incorporelles, la notori6t6 et a fortiori la
personnalit6 notoire ne peuvent 8tre vendues ; elles sont par essence incessibles. Or
cette incessibilit6 interdit d’en faire l’objet d’une propri6t6 pure et simple, tant du
moins que l’on tient A l’id6e selon laquelle <1'ali6nabilit6 est le coeur du systme indi-
vidualiste et lib6ral de la propri6t6, la prdrogative essentielle par laquelle peuvent
s'6vanouir les atteintes port6es
toutes les autres prdrogatives ".
Admettrait-on quand m~me la qualification g6n&ale de propri6t6, le droit d6riv6 de
la personnalit6 peut-il 6tre rang6 parmi les droits de propri6t6 intellectuelle ? Au sens
lier, Paris, Litec, 1990 au n 265 et s. ; A. Lucas et HJ. Lucas, Traiti de la pmpriitj litiraire et artis-
tique, Paris, Litec, 1994 lap. 35.
' La doctrine et la jurisprudence am6ricaines qualifient g6n&alement le right of publicity de droit
de propridt6 : Nimmer, supra note 3 kL lap. 216 ; A. Lindey, Lindey on Entertainment, Publishing and
the Arts: Agreements and the Law, vol. 3, 2 &l., Deerfield (1), Clark Boardman, 1980 (nise Ajour
1994) A lap. 12-2, par. 12.01[1] ; A.B. Sims, <
49 Ford. L. Rev. 453 A la p. 456 et s. ; W.M. Borchard, Trademarks and the Arts> (1982) 7 Art and
the Law 1 t lap. 5 ; PJ. Heneghan et H.C. Wamsley, (The Service Mark Alternative to the Right of
Publicity: Estate ofPresley v. Russen (1983) 14 Pacific L. 181 A lap. 189 ; Cray, supra note 7 A la
(1984) Entertainment, Pu-
p. 644 ; J.L. Cooper,
46 U. of Pittsburgh L. Rev. 1161 aux pp. 1162 et s. et 1166 et s. ; Ettore, supra note 5 kt la p. 487 ; Ce-
peda, supra note 7 A lap. 1206 ; Uhlaender c. Henricksen, 316 F Supp. 1277 h lap. 1282 (D. Minn.,
1970) ; Hal Roach, supra note 7 A lap. 844 ; Hicks, supra note 7 A lap. 429 ; Factors Etc. Inc. c. Pro
Arts Inc., 579 E2d 215 A la p. 221 (2d Cir. 1978) ; Estate ofPresley c. Russen, 513 F. Supp. 1339 h la
p. 1354 (D. N.J., 1981) [ci-aprs Estate of Presley] ; Martin Luther King, Jr c. American Heritage
Products Inc., 508 F. Supp. 854 A lap. 862 (N.D. Ga. 1981) ; Southeast Bank, N.A. c. Lawrence, 683
N.YS. 2d 218 A la p. 223 (A.D.1 Dept 1984) [ci-aprks Southeast Bank] ; Baltimore Orioles Inc. c.
Major League Baseball Players Association, 805 E2d 663 A la p. 679 (7th Cir. 1986) ; Dworkin c.
Hustler Magazine Inc., 867 E2d 1188 A lap. 1198 (9th Cir. 1989) ; Nash c. C.B.S. Inc., 704 F Supp.
823 A la p. 833 (ND I1. 1989) ; PE.TA. c. Bobby Berosini Ltd., 867 P 2d 1121 k la p. 1135 (Nev.
1994). Certains auteurs pr6sentent plus pr6cis6ment le right of publicity comme un droit de propridt6
intellectuelle : P Samuelson, Reviving Zacchini: Analysing Fst Amendment Defenses in Right of
Publicity and Copyright Cases>> (1983) 57 Tul. L. Rev. 836 t lap. 847 et s. ; J.T. McCarthy, Melville
B. Nimmer and the Right of Publicity: A Tribute > (1987) 34 U.C.L.A. L. Rev. 1703 k la p. 1712 ;
G.A. Pemberton, The Parodist’s Claim to Fame: A Parody Exception to the Right of Publicity
(1993) 27 U.C. Davis L. Rev. 97 A lap. 111, n. 49 et A lap. 113, n. 56; Gracey c. Maddin, 769 S.W.
2d 497 (Tenn. Ct. App. 1989) ; Acme Circus, supra note 7 A la p. 1541 qui qualifient le right of pu-
blicity de droit de proprit6 incorporelle.
7 Voir P Catala, La transformation du patrimoine dans le droit civil modeme
(1966) 64 Rev. trim.
civ. 185 A lap. 201, qui estime qu'([…] un droit sans “corpus” mais opposable A tous emprunte h la
propridt6 son caractre essentiel .
“J. Carbonnier, Flexible droit, 7 &l., Paris, L.G.DJ., 1992 lap. 261.
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MCGILL LAW JOURNAL!REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 42
strict, la propri6t6 intellectuelle se fonde sur un acte de creation intellectuellela. Elle in-
clut ainsi les creations originales ou nouvelles (propri6t6 litt&aire et artistique, brevets
d’invention, dessins et mod~les…), mais ne devrait pas s’6tendre, en revanche, aux
biens qui ne proc~dent pas A proprement parler d’un acte cr6atif. I est vrai que, plus
g6n6ralement, la proprit6 intellectuelle est entendue comme portant sur tous les droits
qui proc~dent h des degr6s variables d’une activit6 de l’intelligence et se caractrisent
par une exclusivit6P. Elle pourrait donc int6grer, ainsi conque, les droits d6riv6s de la
personnalit6, encore que ceux-ci ne soient pas toujours lies a une activit6 intellectuelle
de leur titulaire.
III. Le r6gime des droits d6rivds de Ila personnalit6
La d6termination du rdgime des droits d6riv~s de la personnalit6 commande de
pr~ciser, d’une part, qui ces droits sont attribu6s, et de savoir, d’autre part, A qui et
comment ils peuvent 8tre transmis. II faut done s’attacher, dans un premier temps, As
rendre compte de l’appartenance des droits d&iv6s de la personnalit6 avant
d’envisager, ensuite, leur disponibilit6 entre vifs et A cause de mort.
A. L’appartenance des droits ddrivds de la personnalit
1. Les titulaires des droits d6rivds de la personnalit6
A l’instar des droits primaires de la personnalit6 dont l’attribution r6pond h la con-
sid~ration de l’humanit6 en chacun, les droits patrimoniaux d’exploitation d6rivent de
la seule personnalit6 humaine et ne peuvent done appartenir qu’A des personnes physi-
ques’ . Sans doute l’analogie est-elle forte lorsqu’une soci6t6 renomm6e exploite la va-
leur de sa d6nomination en conc&tant d’autres soci6t6s le droit de l’employer elles-
m~mes comme d6nomination, marque ou nom commercial. Mais, a bien y regarder, le
rapprochement en reste lA car, si la personne morale a un droit de nature patrimoniale
sur son nom, il ne s’agit nullement d’un droit de la personnalit6 mais d’un droit de pro-
pri6t6 industrielle sur le signe distinctif.
11 reste que, puisqu’il d6rive de la personnalit6 humaine et que toute personne est
susceptible d’acc6der, un jour ou l’autre, A une certaine notori6t6 (tant dans l’exercice
d’une activit6 qu’A la faveur fortuite d’un 6vnement), il est pour le moins malais6 de
78 Voir en ce sens, Lucas et Lucas, supra note 73 A la p. 34.
79 H. Desbois, Le droit d’auteur, Paris, Librairie Dalloz, 1950 A lap. 294, n 255 ; Colin et Capitant,
Traitd de droit civil, t. 1, refondu par W. de ]a Morandire, Paris, Librairie Dalloz, 1957 au n’ 683;
Ghestin, Goubeaux et Fabre-Magnan, supra note 37 au n 225.
‘ Voir en ce sens, en droit amdricain : McCarthy, supra note 7, A lap. 4-37, s. 4.7(B) et t la p. 4-38
et s., s. 4.8 ; Eagle’s Eye Inc. c. Ambler Fashion Shop Inc., 627 F Supp. 856 A la p. 862 (E.D. Pa.
1985), qui juge que le right of publicity ne peut 8tre reconnu A une socidt6. Contra, en droit suisse :
Dessemontet, supra note 20 aux pp. 47-48, qui estime que le droit patrimonial A l’image doit pouvoir
6tre invoqu6 aussi bien par les personnes physiques que par les personnes morales. Cette proposition
s’explique cependant par le fait que, en droit suisse, la doctrine et la jurisprudence se montrent favo-
rables A 1’application de ]a theorie des droits de ]a personnalit6 aux personnes morales.
1997]
G. LoIsEAU – DES DROITS PATRIMONIAUX
343
d6terminer A l’avance qui peut revendiquer un droit patrimonial sur sa personnalit& I1
faudrait au contraire considdrer que tout individu a une personnalitd qui l’autorise A
prtendre, au moins virtuellement, au droit de contr6ler son exploitation commerciale.
Mais il est 6vident que ce n’est que lorsque la personnalit6 du sujet aura acquis une
valeur marchande qu’il pourra rellement se pr6valoir, en pratique, d’un droit patri-
monial d6fiv6 de celle-ci. La difficult6 est alors de fixer un seuil de notorift6 A partir
duquel la personnalit6 peut 6tre considdrde avoir une valeur commerciale et permettre A
son titulaire de se pr6valoir du droit d’en contr6ler l’exploitation. La notoridt6 est une
notion bien trop relative pour cela : ce qui est notoire pour les uns ne l’est pas forc-
ment pour les autres. Par exemple, la renomm6e d’un professeur de droit est souvent
ignore du
quand pourrait-on dire qu’une personne est assez ou pas assez notoire pour prdtendre A,
un droit patrimonial d’exploitation de sa personnalit6 ? Bref, la c16 –
doit 8tre recherch~e ailleurs.
si cl6 il y a –
La difficult6 n’est pas, pourtant, insurmontable. L’analyse du pouvoir d’6vocation
des attributs de la personnalit6 peut, A la r6flexion, constituer un moyen commode pour
d6terminer si un droit patrimonial est susceptible ou non d’8tre reconnu sur ceux-ci. De
ce point de vue, il suffit de se demander si tel attribut de la personnalit6 (nom, image on
voix notamment) 6voque une personnalit6 parficuli~re, c’est-h-dire si son 6nonc6 ren-
l’esprit du public, A une personne donne. Dans
voie immMiatement, dans
l’affirmative, cet attribut peut 8tre utilement exploit6 h des fins commerciales puis-
qu’associ6 A un produit ou un service, il le fait instantan~ment profiter du pouvoir at-
tractif de la notori~t6 de la personne. It semble alors justifi6 de reconnaitre
celle-ci le
droit de contrOler l’exploitation de la valeur attractive de l’attribut en cause. En revan-
che, si l’attribut considar6 n’6voque rien, aucune personnalit6 particuli~re, parce que
son titulaire n’est pas connu ou pas suffisamment notoire, l’absence de pouvoir
d’6vocation rend vaine son exploitation publicitaire puisque sa mention ne permet pas
d’associer une personnalit6 valorisante au produit ou an service. L’individu ne pourra
donc prtendre disposer sur celui-ci d’un droit exclusive de nature patrimoniale.
2. Les droits d6riv6s de [a personnalit6 et les r6gimes matrimoniaux
Le droit d’exploiter la valeur de la personnalit6, de fixer les conditions de son ex-
ploitation et d’en d6fendre l’int6grit6 contre les initiatives des tiers doit 8tre conqu
comme un bien propre sous tous les r6gimes matrimoniaux!’. II doit en effet rester pro-
S’ Le droit am6ricain retient une solution contraire puisqu’il admet g~nralement que le right of
publicity constitue un bien commun et doit 6tre port6 A l’actif de la communaut pour sa valeur patri-
moniale et estim6 au jour du partage. Voir en ce sens, Golub c. Golub, 527 N.YS. 2d 946 (1988) (A
propos du right of publicity de l’actrice Marisa Berenson) ; Piscopo c. Piscopo, 555 A. 2d 1190 (Sup.
Ct. N.J. 1988), aff=rm6 557 A. 2d 1040 (A.D. 1989) ( propos du right of publicity du comien Joe
Piscopo) ; Elkus c. Elkus, 572 N.Y.S. 2d 901 (A.D. 1991), appel rejet6 588 N.E. 2d 99 (N.Y 1992) (A
propos du right of publicity de ]a chanteuse d’opa Frederica von Stade Elkus). Adde en doctrine :
G.S. Stiffelman, Community Property Interests in the Right of Publicity: Fame and/or Fortune>>
(1978) 25 U.C.L.A. L. Rev. 1095 ; McCarthy, supra note 7 bt lap. 10-79 et s., s. 10.16. Mais d’autres
auteurs sont plus r6serv6s: HJ. Stanton, The celebrity’s right of publicity>> (1986) 9 Family Advo-
344
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 42
pre h l’6poux auquel la notori6t6 conftre un tel monopole d’exploitation. Cette con-
ception, qui reproduit la solution admise en droit frangais pour les pr6rogatives patri-
moniales de l’auteur d’une oeuvre litt6raire ou artistique!2 , se recommande d’ailleurs de
la nature de droit patrimonial A caractire personnel que l’on peut reconnaitre au droit
ddriv6 de la personnalit6. L’article 1404 du Code civil, applicable au rdgime de com-
munaut6 ldgale, prdcise A cet 6gard que <4orment des propres par leur nature [...]
tous
les biens qui ont un caract~re personnel et tous les droits exclusivement attach6s A la
personne>>. De fait, il apparaitrait choquant qu’A la dissolution de la communaut6, le
droit patrimonial de la personne renommde, qui lui est 6troitement 16, puisse 8tre plac6
dans le lot du conjoint et que celui-ci ait ainsi la possibilit6 de commercialiser A son gr6
les attributs de la personnalit6 de son ancien 6poux (6pouse), alors m~me que ce der-
nier se serait toujours oppos6 A leur exploitation commerciale ou n’y aurait consenti
que pour des usages d6termin6s. Pour les m~mes raisons, il faut aussi consid6rer que,
pendant le mariage, le conjoint renomm6 doit conserver l’initiative de l’exploitation
commerciale et publicitaire de sa personnalit6 ainsi que le libre choix des formes et des
conditions de cette exploitation. Dans le r6gime de communaut6 ldgale, l’article 1428
du Code civil en consacre, du reste, le principe puisqu’il dispose que <
En revanche, les produits ou redevances tir6s de l’exploitation du droit d6riv6 de la
personnalit6 suivent, durant le mariage, les r~gles propres A chaque rdgime. Dans le
r6gime de communaut6 16gale, il est admis que les fruits et revenus des biens propres
alimentent, comme les produits de l’industrie personnelle des 6poux, la communaut6.
Aussi, qu’on les analyse comme des gains du travail de l’6poux renomm6 ou comme
des revenus d’un bien propre, les produits pdcuniaires provenant de la commercialisa-
tion de la personnalit6 viennent grossir la masse commune lorsqu’ils ont leur origine
dans une exploitation ant6rieure A la dissolution de la communaut6″. Si, en revanche,
1’exploitation est post6rieure h la dissolution du rdgime, la communaut6 n’a aucun droit
sur eux puisque le monopole d’exploitation est un bien propre.
3. L’exercice oblique des droits d6riv6s de [a personnalit6
Droit patrimonial A caract~re personnel, le droit ddriv6 de la personnalit6 compte 4
n’en pas douter au nombre des droits dont l’article 1166 du Code civil retire aux
cr6anciers l’exercice par la voie oblique : il est exclusivement attach6 a la personne.
Qu’il s’agisse en effet du droit de commercialiser la personnalit6 comme celui d’en d6-
fendre la valeur, leur exercice est manifestement soumis une apprdciation personnelle
d’ordre moral de leur titulaire qui doit lui 8tre r6servde. Ainsi, les crdanciers ne sau-
raient ddcider A la place de leur d6biteur d’exploiter commercialement sa notori6t6 ou
cate 35 ; R. Reed,
Handbook 407.
Art. L.121-9 C. prop. int., supra note 60.
Voir en ce sens, en droit am6ricain, Stiffelman, supra note 81 A lap. 1114 ; Stanton, supra note 81
iap. 43.
” Voir Audier, supra note 69 h la p. 275, n 248, selon lequel <<[...]
tre personnel sont ncessairement des droits exclusivement attaches A ]a personne>.
les droits patrimoniaux A carac-
1997]
G. LoIsEAU – DES DROITS PATRIMONIAUX
345
prendre l’initiative de n6gocier pour son compte des conventions autres que celles qu’il
a lui-meme conclues. I1 est vrai que, dans ce demier cas, la conclusion de contrats est
aussi une simple facult dont l’exercice est subordonn6 A un acte de volont6 purement
potestatif du d6biteur. Mais i faut d6cider, en outre, que les cr6anciers ne peuvent non
plus agir, en raison de sa passivit6, en liquidation et en recouvrement de la cr6ance
d’indemnit6s dues en compensation d’exploitations non consenties de la personnalit6
du d6biteur. Celui-ci doit en effet rester seul juge de l’opportunit6 de poursuivre une
atteinte aux int6r~ts, meme d’ordre 6conomique, relatifs
sa personnalite’.
B. La disponibilitd des droits d6riv6s de la personnalitd
1. La transmissibilit entre vifs des droits d6riv6s de [a personnalit6
II va de soi que la notori~t6 n’a pas forcdment vocation h 8tre exploit6e A des fins
publicitaires ou commerciales. La personne peut pr6f6rer s’en r6server le profit dans
l’exercice de son activit6 ou n’avoir tout simplement pas l’opportunit6 d’en commer-
cialiser la valeur.
En tout cas, lorsqu’elle choisit de commercialiser le pouvoir attractif de sa person-
nalit6, il est rare qu’elle y proc~de elle-m~me ; elle en laisse le plus souvent le soin A un
tiers int6ress6 avec lequel elle conclut un contrat. Or, ce contrat a principalement pour
objet de lui transfdrer le monopole d’exploitation sur un ou des attributs de sa person-
nalit6 notoire. Cette analyse, conforme h ‘6conomie de la convention, est en outre la
seule qui permette de justifier que le cocontractant acquiert non seulement le droit
d’exploiter les attributs de la personnalit6 dont l’utilisation lui a 6t6 consentie, mais
aussi celui de les d6fendre lui-m~me contre l’utilisation que des tiers en feraient. Aussi
ne peut-on raisonnablement concevoir l’existence d’un droit patrimonial d6riv6 de la
le caractre
personnalit6 sans lui reconnaitre, A l’image du right of publicity am6ricain,
d’un droit disponible entre vifs.
Cela pos6, il faut encore qualifier les conventions portant sur un droit d6riv6 de la
personnalit6. De ce point de vue, il importe de distinguer la cession du droit de sa li-
cence, en ce que la cession implique que l’int6ress6 se d6ssaisisse de tout ou partie de
son droit d’exploitation cependant qu’il n’en concede, dans la licence, que la jouis-
sance.
Constitue, ainsi, une licence du droit d6riv6 de la personnalit6 le contrat par lequel
la personne renomm6e autorise un tiers A tirer profit, dans le cadre d’une operation
publicitaire ou d’une utilisation commerciale d6termin6e, du pouvoir d’6vocation de
cet effet le droit de les exploiter
certains attributs de sa personnalit6 et lui concede
“‘ Contra : J. Henderycksen, note sous Trib. gr. inst. Aix-en-Provence, 24 novembre 1988,
J.C.R1989.II.21329 au n 20, qui estime que <[s]i les cr anciers ne peuvent se substituer & leur d6bi-
teur dans 'exploitation de sa notori6t6 ils semblent en revanche fondus, en raison de sa n6gligence, A
agir en ses lieu et place pour exiger non seulement la contrepartie d'un emprunt profitable mais aussi
]a reparation d'un emprunt pr6judiciable>.
” Voir supra note 7.
346
MCGLL LAw JOURNAL! REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 42
moyennant le paiement d’un prix. Par ce contrat, le licenci6 acquiert la jouissance du
droit d’exploitation du conc&lant et peut, dans le respect des termes de la licence, utili-
ser personnellement son nom, son image ou sa voix A des fins publicitaires ou com-
merciales. II tient 6galement de ce contrat de pouvoir d6fendre directement contre les
tiers l’usage des attributs de la personnalit6 du conc6dant qu’il est autoris6 A exploiter.
En effet, h la diff&ence du licenci6 des droits d’exploitation d’une marque ou d’un
brevet, s’agissant de l’exercice de l’action en contrefagon, il ne parait pas souhaitable
de subordonner A l’exclusivit6 de la licence son droit de s’opposer A l’utilisation ill6gi-
time par des tiers des 616ments de la personnalit6 exploit~s. En revanche, il ne devrait
pouvoir agir contre d’autres licenci~s post6rieurs lui faisant concurrence que s’il b6n6-
ficie d’une licence exclusive. Quant au conc6dant, il doit naturellement assurer h
l’exploitant une jouissance paisible du droit conc6d6, mais il n’est pas tenu, sauf si le
contrat l’y invite, garantir le licenci6 contre les agissements fautifs d’autres licenci6s.
Seulement, il engagerait sa responsabilit6 si les fautes incrimin6es avaient pour origine
sa propre faute. En demier lieu, enfin, le contrat de licence d’un droit driv6 de la per-
sonnalit6 6tant le plus souvent conclu intuitu personae, le licenci6 ne devrait pas,
l’image du licenci6 d’un brevet ou d’une marque, pouvoir transmettre le contrat dont il
b6nfficie en c&Iant la licence ou en accordant des sous-licences, sauf stipulation l’y
autorisant express6mente. Mais il va sans dire que l’interdiction de conceder des sous-
licences ne prive cependant pas le licenci6 de la possibilit6 de faire appel A la coop6ra-
tion de tiers pour exploiter les attributs de la personnalit6 du conc~dant. En particulier,
le titulaire d’une licence d’exploitation du nom ou de l’image A des fins publicitaires
peut 6videmment confier A une agence de publicit6 le soin de concevoir la publicit6
utilisant le nom ou l’image de la c616brit6. De meme, le titulaire d’une licence
d’exploitation du nom ou de l’image des fins commerciales doit pouvoir sous-traiter
la fabrication ou la commercialisation des produits portant le nom ou l’image de la c6-
1brit6.
Constitue, en revanche, une cession d’un droit driv6 de la personnalit6 le contrat
par lequel la personne renomm~e confere A une autre personne non mandataire le droit
de commercialiser sa personnalit6 en conc&Iant, sur les attributs de celle-ci, des licen-
ces d’exploitation et se dessaisit, A cet effet, A son profit de tout ou partie de son mono-
pole d’exploitation. A la difference de la licence, aux termes de laquelle le licenci6 ac-
quiert seulement un droit de jouissance (le droit d’exploiter personnellement la valeur
publicitaire du nom ou de l’image pour en tirer un profit commercial), la cession du
droit d6riv
transfere au cessionnaire le monopole d’exploitation de la personne re-
nomm6e pour qu’il en tire lui-meme un profit financier en concluant des contrats pu-
blicitaires avec des tiers. Une telle cession, par exemple, est celle qui intervient fr6-
quemment entre les clubs de football et les joueurs qu’ils emploient, ces derniers c6-
dant aux premiers le droit d’utiliser leur nom et leur image A des fins publicitaires et
donc de n6gocier directement avec des tiers int6ress6s des contrats de licence de nom
nomne conc&lait une licence A un concurrent de celui-ci.
Tel serait le cas, par exemple, si nonobstant l’exclusivit6 accord~e A un licenci6 la personne re-
SL’impossibilit6 de la transmission de la licence conceme aussi bien sa cession A titre particulier
que sa transmission universelle ou A titre universel. NManmoins, malgr6 le caractre intuitus personae
de la licence, sa cession serait valable si le concedant y consentait personnellement.
1997]
G. LoIsEAU – DES DROITS PATRIMONIAUX
ou d’image. La cession, qui peut porter sur l’un ou sur plusieurs droits d~riv6s de la
personnalit6 du c&lant, ouvre alors au cessionnaire le droit de d6fendre en justice, con-
tre les atteintes de tiers, le monopole d’exploitation qui lui a 6t6 c&6d. Mais il faut pr6-
ciser qu’elle ne pr6sente pas toutefois les caractres d6finitif et irr6vocable d’une vente
de droit commun dans la mesure oa les droits patrimoniaux sont susceptibles de reve-
nir dans le patrimoine de la personne renomm6e. I en irait ainsi, en particulier, lorsque
la cession s’int;gre dans un contrat plus g6nral liant le cdant au cessionnaire, un
contrat de travail notamment. A l’issue des relations contractuelles, il paralt justifi6 que
le cessionnaire perde le droit de commercialiser la personnalit6 notoire du c&lant. Par
exemple, s’agissant du contrat liant un sportif A son club, le droit que celui-ci s’est fait
ceder de conclure des contrats publicitaires portant sur le nom ou l’image de l’athlte
devient A notre avis exorbitant lorsque le sportif a 6t6 engag6 par un autre club ou a
cess6 son activit6 sportive. Mais i est vrai que le plus simple serait encore, dans ce cas,
de stipuler dans le contrat une condition r6solutoire subordonnant la cession du mono-
pole d’exploitation au maintien des relations contractuelles de travail (ou autres), tout
en 6cartant conventionnellement la r6troactivit6 des effets de son accomplissement,
c’est–dire de la cessation de ces relations. Ainsi seraient valables tous les contrats
conclus par le cessionnaire avec des tiers durant les relations le liant A la personne re-
nomm~e. Mais celle-ci recouvrerait, t l’issue de ces relations, l’int6gralit6 de son mo-
nopole d’exploitation. En tout 6tat de cause, il faut consid~rer que la cession ob6it,
comme la concession du droit patrimonial, A un principe d’interpr6tation restrictive qui
conduit A exclure les modes d’exploitation non express6ment pr6vus par le contrat ou
impr6visibles h sa date.
Pour atre complet, on ajoutera que la personne renomm6e peut aussi transf~rer son
monopole d’exploitation par la technique de l’apport en soci6t6. Tel sera le cas, no-
tamment, lorsque la personne cr6e une soci6t6 dont l’objet est de commercialiser les
attributs de sa personnalit6 notoire et lui apporte tout ou partie de ses droits patrimo-
niaux d’exploitation en 6change de parts sociales.
2. La transmissibilit6 & cause de mort des droit d6riv6s de la
personnalit6
Existe-t-il une vie commerciale apris la mort ? C’est la premi~re question A se po-
ser : la valeur patrimoniale sur laquelle le droit d6fiv6 de la personnalit6 confere un
la disparition de la personne ? Car il est bien
monopole d’exploitation r6siste-t-elle
entendu que ce n’est que dans l’affirmative que la question de la transmission post
mortem de ce monopole m6rite attention.
Analyse de pros, la notori6t6 se r6v~le 6tre une valeur relativement volatile. Son
maintien d6pend, dans une large mesure, de circonstances 6trang&es A la personne elle-
mame : relais m6diatique, attention du public, dont les variations l’affectent directe-
ment. Dans ces conditions, le passage de l’anonymat
la c616brit est souvent beau-
coup plus long que l’inversion de cette situation : quel acteur, renomm6 aujourd’hui,
sera oubli6 demain ? Quel sportif que ses performances rendent c61bre verra sa noto-
ri6t6 d6cliner rapidement lorsqu’il aura cess6 son activit6 ? Or cette observation est en-
core plus 6vidente apr~s le d6c~s de la personne : si son souvenir perdure dans l’esprit
MCGILL LAW JOURNAL!REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 42
de ses proches, sa notori6t6 s’6tiole rapidement, mesure que la connaissance du pu-
blic s’altre elle-m~me. I suit de 1h que le d~c~s de la personne augure g6n6ralement
une disparition rapide de la valeur 6conomique de sa personnalit6 et, finalement, de
l’objet meme du droit. Cette pr6carit6 de l’objet justifierait en cons6quence celle du
monopole.
Cela 6tant, il y a lieu de constater aussi que certaines notori6t6s, particuli~rement
fortes, r6sistent parfaitement au d~c~s de ]a personne. Mieux, elles s’en trouvent parfois
amplifi6es lorsque l’individu, c6lbre de son vivant, devient un v6itable mythe apr~s
sa mort: Marilyn Monroe, Elvis Presley, Albert Einstein ou Che Guevara sont de ceux-
1h. Plus g6nralement, il semble que si la notori6t6 d6eline le plus souvent apr~s la mort
de la personne, elle connait n6anmoins un regain de vigueur juste apr6s son d~c~s. La
m6diatisation de l’6v6nement et une 6trange inclination populaire h sublimer ce qui
n’est plus y contribuent tr~s largement. Ainsi, le d6c~s d’un acteur sera souvent pr6-
texte A une rediffusion de ses principaux films ; le d6c~s d’un chanteur, l’occasion de
r6eliter ses disques et en tout cas d’en augmenter la vente. Corr6lativement, les pro-
duits d6iv6s de la personnalit6 de la c6lbrit6 connaissent eux aussi, A ce moment, une
inflation consid6rable : T-shirts, badges, posters, stylos et autres produits-souvenirs re-
produisant le nom ou l’image de la c6l6brit6 sont l’objet d’un commerce important. La
question du maintien d’un monopole sur cette exploitation de la personnalit6 se pose
donc vivement apr6s la mort de la c6l6brit6.
Sur ce point, la th~se de la transmission apr~s d&cs du droit d6riv6 de la person-
nalit6 n’est pas sans argument. D’une part, la protection des int6rats l6gitimes de ceux
qui se sont fait consentir, du vivant de la personne, le droit exclusif de commercialiser
sa personnalit6 commande cette solution. A d6faut, 1’extinction du monopole
d’exploitation au d6c~s de l’intdress6 menacerait, au regard des contrats en cours, la sd-
curit6 contractuelle. D’autre part, la transmission aux h6ritiers du monopole
d’exploitation ne leur donne pas seulement la possibilit6 de commercialiser la person-
nalit6 de leur auteur ; il leur permet aussi de s’opposer A toute exploitation de celle-ci A
laquelle ils n’auraient pas consenti. Or, lorsque le d6funt a toujours refus6 de son vivant
de commercialiser sa personnalit6 ou n’a autoris6 que certaines formes d’exploitation,
ce droit de veto conf6r6 par le monopole constitue sans doute, en l’absence de trans-
mission des droits primaires de la personnalit6 du d6funt, un moyen efficace de faire
respecter, apr~s sa mort, sa volont6.
Mais, d’un autre c6t6, il peut sembler choquant que les h6ritiers maintiennent A
leur profit un monopole sur l’exploitation de la personnalit6 du d6funt. La notoridt6
s’acquiert, mais ne s’h6rite pas. Comme l’a not6 avec justesse une cour am6ricaine
dans une affaire int~ressant l’exploitation de la personnalit6 d’Elvis Presley,
notre systrmejuridique ne transmet pas aux h~rtiers les attributs personnels de
la personne m~me s’ils ont d6 partags de son vivant par d’autres ou ont acquis
une certaine valeur conmerciale […]. La notori6t6 entre dans le mame cat~go-
ne que la r6putation; c’est un attribut dont les tiers peuvent tirer profit mais
qu’ils ne peuvent poss&ler […]. Le droit a toujours consid&6 que laisser un
nom honorable A ses enfants 6tait une recompense suffisante en elle-mame
pour la personne, qu’elle soit notoire ou non. La commercialisation de cette
vertu apr~s ]a mort au profit des hdritiers est contraire a notre tradition juridique
1997]
G. LoIsEAU – DES DROITS PATRIMONIAUX
349
et semble mame d’une certaine faqon contraire aux prdsuppos6s moraux de
notre culture’s.
Aussi serait-il opportun qu’au d6c;s de la personne renomm~e, le droit d6driv6 dis-
paraisse et avec lui le monopole sur la personnalit6: celle-ci serait d6sormais accessible
A tous et pourrait 6tre exploit6e librement. Cette solution pourrait au demeurant 6tre
temp&r6e, en ce qui conceme les contrats en cours, en permettant aux licenci6s qui ex-
ploitaient d6jh la personnalit6 du d6funt d’agir, sur le fondement de la concurrence d6-
l’encontre de ceux qui engendreraient une confusion en utilisant la personnali-
loyale,
t6 du de cujus pour promouvoir des produits analogues”. Quant au risque de voir
s’6tablir une v6dritable braderie> de la personnalit6 des c6l6brit6s d6funtes, dont cha-
cun pourrait se servir et tirer profit t sa guise, il peut 8tre 6galement att6nu6 par le jeu
de la responsabilit6 civile en reconnaissant aux proches de la c616brit6 le droit de prot6-
ger la personnalit6 de celle-ci contre l’utilisation qui en serait faite dans des conditions
attentatoires a sa m6moire!’. Dans cette mesure, on ne cachera pas notre faveur pour
cette demi~re conception7.
La jurisprudence frangaise sur la question est cependant rare et partag6e : tandis
t propos de
qu’un arr~t de la Cour d’appel de Paris, du 7 juin 1983, expose,
rexploitation commerciale de l’image du d6funt chanteur Claude Frangois,
traire, le 21 mai 1991, propos de la commercialisation de la personnalit6 du d6funt
acteur Jules Raimu, que da valeur patrimoniale de ce droit a vocation h se transmettre
comme toute autre de meme nature aux h6ritiers>>. I1 s’ensuit, A premiere vue, que le
parti pris sur la transmission du droit d6riv6 de la personnalit6 r6pond d’abord L la
considdration de sa nature. Or, d’un c6t6, le caract~re personnel du droit s’oppose a
priori a ce qu’il survive au d6c~s de son titulaire –
l’instar du droit primaire de la
“‘ Memphis Development Foundation c. Factors Etc. Inc., 616 F2d 956 t la p. 959 (6th Cir. 1980)
[traduction de ‘auteur].
9Voir en ce sens, Gaillard, supra note 35 au n 3.
9’ Voir Paris, 7 juin 1983, supra note 27, qui, apris avoir 6cart6 la transmission aux h6dritiers de
Claude Franqois du droit A l’image de celui-ci, ajug6 que <<[s]es h6dritiers peuvent seulement protnger
l'image de leur auteur contre l'utflisation qui en serait faite dans des conditions attentatoires A ]a m6-
moire de celui-cb.
92 Voir 6galement en faveur de cette solution, s'agissant du droit patrimonial
l'image : Gaillard,
supra note 35 au nd 3. Mais voir, au contraire, en faveur de la transmission: A.R. Bertrand, <
lap. 261, n 254 ; A. Sdfiaux,
32 t lap. 198. Et en droit suisse: Dessemontet, supra note 20 aux pp. 43-46.
93Paris, 7 juin 1983, supra note 27.
Aix-en-Provence, 21 mai 1991, supra note 26. Voir djk en premiere instance, Henderycksen,
supra note 85 ; Patarin, supra note 26.
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MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 42
personnalitV” ; de l’autre, sa nature patrimoniale pousse au contraire irrdsistiblement t
sa transmission A cause de mort.
Dans ces conditions, une premiere observation est importante : la patrimonialit6 du
droit dfriv6 de la personnalit6 n’invalide pas nfcessairement la thkse de son intrans-
missibilit6 k cause de mort. A mettre l’accent sur son caractkre personnel, la possibilit6
demeure de juger que le monopole reconnu sur l’exploitation commerciale de la per-
sonnalit6 s’6teint au d.cZs de l’int&ess. II s’agirait en somme d’une patrimonialit6 in-
complkte qui, en raison de l’616ment personnel du droit, n’atteindrait pas sa pl6nitude :
la consideration de la personnalit6 du sujet, qui ancre>> le droit d’exploitation, entrave-
rait sa transmission aux ayants cause. Cela dit, une seconde observation est aussi es-
sentielle : la patrimonialit6 d’un droit a vocation k la plenitude. Comme l’6crit M. Cata-
la, il existe en effet comme un 6lan des droits, une force d’ascension qui les pousse
d’un degr6 k l’autre de la patrimonialit6: 6valuation, exigibilit6, cessibilit6, saisissabili-
t6, transmissibilit6 et, pour finir, inclusion purement comptable dans la masse com-
mune>>’ . D’oi le fait que <[l]es droit nouveaux, quand ils ne naissent pas arm6s de tous
ces attributs, tendent k franchir progressivement ces 6tapes si quelque 616ment moral,
quelque considdration d"'intuitus personae" ne bloque pas l'6volution en chemin)>‘.
Aussi, cette tendance naturelle A la pleine patrimonialit risque fort bien de conduire le
droit ddriv6 de la personnalit6 de la disponibilit6 entre vifs A la transmission h cause de
mort.
Si tel 6tait le cas, les conditions de son maintien apr~s d~c~s m&itent d’8tre pr6ci-
sees. D’une part, il est clair que le maintien du monopole d’exploitation doit alors
profiter aux ayants cause (et non aux procheso>) de la personne renomm6e, c’est-h-dire
aussi bien aux ayants cause universels ou A titre universel qu’aux ayants cause t titre
particulier dans la mesure oa le dck s ne saurait remettre en question, sauf clause con-
SL’intransmissibilit6 A cause de mort des droits extrapatrimoniaux de la personnalit6 est gn6rale-
ment admise en droit frangais : R. Lindon, note sous Paris, 3 novembre 1982, D.1983Jur.249 ; Paris,
7juin 1983, supra note 27. Le droit amricain retient une solution identique A propos du right of pri-
vacy: Schumann c. Loews Inc., 144 N.YS. 2d 27 (1955) ; James c. Screen Gems hIc., 344 P. 2d 799
(Ca D. Ct. App. 1959) ; Maritote c. Desilu Productions Inc., 230 E Supp. 721 (N.D. I11. 1964) ;
Frosch c. Grosset & Dunlop Inc., 427 N.YS. 2d 828 (N.Y A.D. 1980) ; Flynn c. Higham, 197 Cal.
Rptr. 145 (Ct. App. 1983) ; Fasching c. Kallinger, 510 A. 2d 694 (Sup. C. N.J. A.D. 1986) ; James c.
Delilah Films Inc., 544 N.YS. 2d 447 (1989). En droit canadien, les l6gislations de Colombie-
Britannique (Privacy Act, supra note 12, s. 5) et de la Saskatchewan (The Privacy Act, supra note 12,
s. 10) sur laprivacy disposent express~ment que:
R.S.B.C., s. 5.
An action or right of action for a violation of privacy or for the unauthorized use of the
name or portrait of another for the purposes stated in this Act is extinguished by the
death of the person whose privacy is alleged to have been violated or whose name or
portrait is alleged to have been used without authority.
R.S.S., s. 10.
A right of action for violation of privacy is extinguished by the death of the person
whose privacy is alleged to have been violated.
96Catala, supra note 76 A la p. 212 et s.
9’Ibidt Alap. 213.
1997]
G. LoIsEAU – DES DROITS PATRIMONIAUX
traire, les droits que les licenci6s ou cessionnaires tiennent des contrats pass6s avec le
de cujus. Mises A part les r~gles relatives
la d6volution proprement dite, ce sont en
fait toutes les r~gles du droit successoral qui auront vocation h s’appliquer 8, sauf k
pr6ciser que le partage en nature est en pratique difficilement envisageable et que
l’6valuation du monopole d’exploitation pr6sente, par la force des choses, un caractire
relativement al6atoire et arbitraire.
D’autre part, le maintien du monopole d’exploitation apr~s d~c~s doit 8tre admis
sans condition, et en particulier sans le subordonner A l’exercice du droit patrimonial
du vivant de la personne renonme’. Sans doute, cette condition pr6senterait-elle
l’immense m6rite de priver les h6ritiers du droit de commercialiser la personnalit6 de
leur auteur lorsque celui-ci s’est abstenu de le faire de son vivant. Mais elle ne trouve,
en droit, aucune justification acceptable. Tout au plus peut-on admettre qu’il soit fait
6chec h la transmission du monopole d’exploitation lorsque la personne renomm~e a
formellement exprim6 sa volont6 de son vivant d’y renoncer, en refusant syst6mati-
quement d’autoriser la commercialisation de sa personnalit6 ou de solliciter une con-
trepartie patrimoniale h son exploitation non consentie. Mais sachant que la renoncia-
tion h un droit ne se pr6sume pas, celle-ci devra 8tre d6nu~e de toute &quivoque pour
6tre opposable aux h6ritiers.
En dernier lieu, il ne parait pas utile de limiter la dure du monopole d’exploitation
par analogie avec le right of publicity dans plusieurs 6tats am6ricains'” ou le droit
” C’est le cas, en particulier, du r6gime 16gal de l’indivision. I en r6sulte que, conform6ment A l’art.
815-3 C. civ. (France), les actes d’administration (licences) ou de dispositions (cessions) portant sur
les droits d~riv6s de la personnalit6 du d6funt requi~rent le consentement de tous les h6ritiers indivis.
” En droit am6ricain, plusieurs d~cisions ont entendu subordonner le maintien du right of publicity
apris le d6c~s de la c616brit6 A la condition tenant h 1’exploitation de la personnalit6 du vivant de la
c616brit& 1 a en effet 6jug6 que seul le right ofpublicity des personnes ayant d6jt commercialis6 de
leur vivant leur personnalit6 pouvait, apr~s leur mort, profiter A leurs h6ritiers ou h leurs cessionnaires
tandis que, faute d’une telle exploitation, le droit tombait dans le domaine public : Hicks, supra note 7
A la p. 429 ; Lugosi, supra note 59 ; Lennan c. Chuckleberry Publishing Inc., 521 F Supp. 228 (S.D.
N.Y. 1981); Groucho Marx Productions, supra note 59 a la p. 490 ; Estate of Presley, supra note 75 A
]a p. 1355 ; Acme Circus, supra note 7 A Ia p. 1544 ; Nature’s Way Products Inc. c. Nature-Pharma
Inc., 736 F. Supp. 255 (D. Utah 1990). Mais cette condition, critiqude par une majeure partie de la
doctrine, a 6t6 rejetfe par d’autres d6cisions : Hal Roach, supra note 7 h lap. 844 ; Center for Social
Change Inc., supra note 7 A lap. 706 ; Southeast Bank, supra note 75 A lap. 223. Les 16gislations de
Californie (Cal. Civ. Code, tit. 2, ch. 4, art. 990(h) (West 1996)) et du Tennessee (Tenn. Code Ann.
art. 47-25-1103(b) (West 1996)) ont 6galement express6ment rejet6 1’exigence d’une exploitation ante
mortem du right of publicity pour que ce droit soit transmissible A cause de mort. De mani~re g6n6-
rale, le choix d’une transmissibilit6 conditionnelle du right of publicity semble aujourd’hui abandonn6
en faveur d’une limitation de la dur6e du droit transmis inconditionnellement.
” Les 16gislations des dtats am6ricains consacrant la transmission post mortem du right of publicity
en limitent g~n6ralement la duroe. Celle-ci est de cinquante ans en Califomie (Cal. Civ. Code, ibid,
art. 990(g)) et au Kentucky (Ky. Rev. Stat. Ann. Art. 391.170(2) (Baldwin 1996)). La Floride (Fla.
Stat. Ann. art. 540.09(4) (West 1996)) et la Virginie (Va. Code Ann. art. 8.01-40(B) (Michie 1996))
ont pr6f&6 des dur~es plus courtes, respectivement de quarante et de vingt ans, tandis que
l’Oklahoma a opt6 au contraire pour une duroe de cent ans (Okla Stat. Ann. tit. 12, art. 1448(G)
(1986)). Au Texas, le right of publicity tombe dans le domaine public l’ann6e suivant le d6c~s de la
MCGILL LAW JOURNAL! REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 42
d’auteur en France’1. En ce qui conceme ce demier, c’est en effet l’int&& du public qui
justifie la pr6carit6 du monopole, pour qu’il soit assur6 d’avoir accs A la cr6ation. Or,
un tel int~r& ne se retrouve pas vraiment s’agissant de la notori6t6 du sujet dont
l’exploitation commerciale attise seulement l’int&& de quelques-uns. Par ailleurs,
l’exp6drience montre que la valeur publicitaire, donc p6cuniaire, de la notori6t6 d6cline
le plus souvent rapidement apr~s le d6c~s de la personne, ce qui, dans la majorit6 des
cas, rend inutile de limiter la dur~e du monopole d’exploitation. En revanche, il est plus
essentiel de circonscrire
le maintien apr6s d6c~s du monopole
d’exploitation h ce qui ressort v6ritablement
]a commercialisation de la personnalit6.
II est hors de question en effet que les h6dritiers puissent revendiquer, et donc monnayer,
une exclusivit6 sur toute forme d’utilisation de la personnalit6 du d6funt. Au contraire,
il serait souhaitable que la libert6 de l’6voquer, que ce soit dans des documentaires, des
articles de presse, des ouvrages biographiques, etc., soit ici le principe.
strictement
Conclusion : faut-il Iegifrer ?
C’est sur un plaidoyer pour la reconnaissance des droits patrimoniaux de la per-
sonnalit6 que l’on voudrait conclure. L’importance des int&rts pratiques qui y sont at-
tach6s justifie assur6ment que l’on s’y int6resse. Mais leur consid6ration doit en r6alit6
s’appr6cier d’un point de vue beaucoup plus large que les intr&ts du faible nombre que
ces pr&ogatives pourraient concemer. II importe en effet par-dessus tout d’obvier A la
tendance actuelle de recourir aux droits extrapatrimoniaux de la personnalit6 pour fon-
der la r6paration d’un pr6judice purement 6conomique ou pour asseoir le monopole
d’exploitation du sujet sur la valeur de sa personnalit6. Car c’est alors le droit de tous,
celui qui touche de plus prs
la dignit6 de la personne humaine, qui est ainsi progres-
sivement d6natur6 comme prix de la m6connaissance du droit patrimonial. La concep-
tion de droits patrimoniaux de la personnalit6 est donc d’abord affaire de raison : la
conviction de leur n6cessit6 r6pond
la pr6servation indispensable du fondement mo-
ral des droits extrapatrimoniaux de la personnalit6. Paradoxalement peut-6tre, la recon-
naissance par le droit positif de droits patrimoniaux de la personnalit6 parait imp6rieuse
au nor d’une dignit6 humaine qui ne se n6gocie pas.
Mais, alors, faut-il l6gif~rer et consacrer, sous cette appellation ou sous une autre,
la distinction entre les droits primaires et les droits d6riv6s de la personnalit6 ? Nous ne
le pensons pas” . Outre le fait qu’une 16gislation en la mati~re apparait tr~s largement
pr6maturde, elle obligerait h r6diger des dispositions assez larges pour ne pas brider le
personne si celle-ci ne laisse pas de conjoint survivant, ni d’enfants, de petits-enfants ou a d6faut de
plre ou mre et s’iI n’existe pas non plus de cessionnaire du droit (rex. Prop. Code Ann. fit. 4, art.
26.010 (West 1995)). Enfin, au Tennessee, le right of publicity persiste pendant une priode initiale de
dix ans et ne cesse que s’il n’a pas 6t6 exploit6 pendant deux ann~es consdcutives A l’issue de cette
p6riode (Tenn. Code Ann., ibitL, art. 47-25-1104).
“0′ Selon art. L-123-1(2) C. prop. int., supra note 60, le monopole d’exploitation persiste apr~s le
d6c.s de l’auteur pendant cinquante ans au profit de ses ayants droit.
‘0’ Certains auteurs sont favorables a une 16gislation pour consacrer le droit patrimonial A l’image:
Bertrand, supra note 91 A la p. 4 et s. ; Acquarone, supra note 32 au n* 37. D’autres non : Kayser, su-
pra note 32 a n 95.
1997]
G. LoIsEAU – DES DROITS PATRIMONIAUX
353
d~veloppement naturel de cette construction juridique nouvelle, mais en meme temps
suffisamment prcises pour r6glementer le droit patrimonial d’exploitation de la per-
sonnalit6jusque dans ses aspects les plus d6licats, notanment quant ses titulaires (qui
peut revendiquer un tel droit ?), h son 6tendue (conciliation avec la libert6
d’expression, d’information) ou A son sort apr~s ddcis.
En cons6quence, si le ddoublement des droits de la personnalit6 en droits extrapa-
trimoniaux et droits patrimoniaux semble aussi fond6 que n~cessaire, la doctrine et la
jurisprudence doivent, avant la loi, occuper la sc;ne. A elles revient l’avantage essen-
tiel d’avoir le temps d’6prouver ce droit patrimonial avant de lui donner, trait par trait,
sa configuration d6finitive et l’installer dans le droit positif.