No. 2)
NOTES
Descarreaux v. Jacques: un commentaire
1 s’agit ici de l’appel d’un jugement de M. le juge W. Morin
rendu dans la Cour sup6rieure du district de Quebec, le 7 mars 1968.
‘article 308 C.P.C.
Le jugement porte sur le sens A donner h
en ce qui concerne le secret professionnel des m~decins.
Rappelons bri~vement les faits: le demandeur intente une action
en dommages-int6r~ts contre le d6fendeur, mddecin psychiatre, pour
<
avoir 6t6 intern6 sans motif A un h6pital pour traitement de d~sordres
mentaux. Le d6fendeur plaide justement que c’est A cause de ces
d6sordres qu’il a recommand6 son internement.
Au cours de 1’interrogatoire pour le compte de la d6fense, le
procureur appela comme t~moin le docteur M. Caux qui avait soign6
M. Jacques au pr~alable. C’est alors que le procureur du demandeur
formula une objection en vertu de i’aricle 308 C.P.C. En effet celui-ci
nia au d6fendeur le droit de faire entendre le docteur Caux ou d’autres
m~decins pour ddvoiler le secret professionnel m6dical & moins c’en
avoir 6t6 relevg au prialable par le demandeur lui-mme.
Un 6l6ment de la preuve du d~fendeur est aussi A souligner avant
d’aborder l’6tude de ]a dcision:
Les procureurs du ddfendeur, avec l’autorisation du tribunal produisent
en liasse des lettres (signes par le demandeur) 6manant de l’r6tude l6gale
des procureurs du demandeur, lettres autorisant sp6cifiquement et nom-
m6ment un psychiatre y nomm6 h prendre connaissance des dossiers m6di-
caux du demandeur dans certains h6pitaux respectivement Mentionnds dans
les lettres et dans lesquels le demandeur aurait s6journ6.l
Quelle 6tait autrefois. la loi en ce qui a trait au secret professionnel
m~dical avant le nouveau Code de Procedure Civile. L’article 332 se
lisait comme suit:
1 ne peut 6tre contraint de ddclarer ce qui lui a td r6vdl6 confidentiellement
A raison de son caractare professionnel conune aviseur religieux ou 1gal,
ou comme fonctionnaire de l’Etat lorsque l’ordre public y est concern. 2
Les m~decins n’6taient done pas mentionn~s ici. Mais ils 6taient
tenus au secret professionnel par le lien corporatif. En effet ‘article
60(2) de la Loi Mdicale dit ceci:
Un mdecin ne peut
raison de son caractore professionneL3
tre contraint de d6clarer ce qui lui a W rv16 h
lJugement de la Cour supdrieure, district de Qu6bec, no 147-350, & la p. 4.
2 L’article 332.
a 1964 S.R.Q. c. 249, article 60(2).
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[Vol. 16
C’est sur ce seul texte que reposait le secret professionnel m6dical
avant le nouveau Code de Procedure Civile. Autour de ce texte
s’6tait d~velopp6 toute une jurisprudence.
I1 s’dtait d~velopp6 en jurisprudence deux 6coles de juristes h l’6gard de
l’interprdtation des devoirs et des droits d’un m6decin par rapport au
secret professionnel.
Pour l’une de ces 6coles le secret professionnel m6dical 6tait d’ordre
public, et, partant, ne pouvait 6tre ddvoil6 pour aucune consid6ration et
cola m~me avec le consentement expr~s du malade au ddvoilement dudit
secret professionnel m&lical. 4
L’autre 6cole admettait la validit6 du consentement du malade ‘
d6lier son m~decin du secret professionnel.
En Cour suprieure, les procureurs du d~fendeur firent grand 6tat
de la cause Mutual Life Insurance Co. of New York v. Dame Jealn-
notte-Lamarche 5 oii l’on optait pour ]a seconde 6cole.
I1 importe d’analyser imm6diatement ce jugement pour y d6celer
les modalit~s de la r~gle du secret medical avant le nouveau code
Dans ce cas, la Mutual Insurance Co. of New York demandait
l’annulation de la police d’assurance 6mise en faveur de l’assur6 par
suite de la fausset6 des reprisentations et des r6ticences dudit
assur6. Le m~decin de l’assur6 pouvait-il s’objecter A t6moigner?
Tel 6tait le problkme.
Le juge Rivard note d’abord que l’aticle 60 (2) de ]a Loi Mddicale
est le seul que nous poss6dions pour r6soudre ce probl~me. 1l se
demande tout d’abord A qui appartient le secret:
De qui est-il la propri
6t? II devrait appartenir au patient et celui-ci
pourrait done d6lier le mddecin. Ce serait logique. Cependant d’apr6s notre
texte, il semble que le m6decin soit aussi maitre de son secret. En effet
il ne pout 6tre contraint de parlor, mais il est libre do parlor s’il le
vout. Et sauf s’il peut encore Atre relev6 du secret, on arrive h cette 6trange
solution que le mdecin pout se taire quand mgme son, patient voudrait
qu’il parle, et que d’autre part il peut parler quand m~me son patient
voudrait qu’il se taise.6
Donc, le m6decin est maitre de son secret. En un seul cas pourra-t-
il 6tre oblig6 de t6moigner: c’est lorsqu’il est relev6 du secret pro-
fessionnel par le patient: alors le patient, en d6liant le m~decin,
fait sortir du domaine confidentiel le fait sur lequel le m6decin
4 Jugement de la Cour sup6rieure, p. 6.
5 (1935), 59 B.R. 510.
6 Ibid., h Ia p. 522; Rivard, J., continue (A Ia p. 524): Si donc le m~decin est
relev6 du secret par le Vatient, il n’y a plus rien de confidentiel et le m6decin
pout 6tre contraint de parlor… Dans notre .p..e…
relev6
de tout secret professionnel par l’assur6, son patient… Le docteur Collette n
pouvait done pas invoquer ,le secret mdicalh.
le mddecin avait Ut
No. 2]
NOTES
refusait de t~moigner. C’est seulement dans ce cas que le patient
serait en quelque sorte <
Or dams le cas de MutuaZ Insurance, le patient avait dMi6 le m6-
decin de l’assurance de son secret professionnel m dical: dans ce
cas la Cour pouvait obliger le m6decin ., t~moigner car alors la raison
m~me du secret professionnel, c’est-A-dire le caract~re confidentiel,
6tait disparue.7
Il nous apparalit n~cessaire ici de soulever la conception que les
juges se faisaient du secret professionnel avant le nouveau code.
Comme nous l’avons vu le Code ne mentionnat pas les m~decins
comme b~n6ficiant du secret m6dical et ce n’est que le lien corporatif
qui garantissait une certaine pr6rogative au m6decin. L’article 60 (2)
ne parlait aucunement du droit du patient au secret professionnel
de celui A qui il s’6tait confi6: cette mesure 60(2) ne visait qu’A
prot6ger le mddecin et indirectement le secret professionnel.
Il apparait done que juridiquement le caract~re d’ordre social du
secret professionnel 6tait 6cart6.
Comme le souligne le juge Rivard, logiquement le secret devrait
appartenir au patient et il pourrait d6lier le m~decin.8 I1 y aurait
une esp~ce de contrat entre le m6decin et le patient; ainsi une des
parties pourrait Utre d4li6e de son obligation par l’autre9
De m~me le juge Saint-Germain entrevoit la relation client-m6-
decin comme un certain contrat oti l’un ne peut r~v~ler sans le con-
sentement de l’autre:
En r~aliM il y a deux parties en cause ayant 6galement droit au silence
du confident: ]a socidt6 et la personne qui a confi6 le secret et que le
consentement de P’une d’elles seulement ne saurait ddlier d’une obligation
qui existe vis-A-vis de toutes deux.1O
Cette conception du secret professionnel comme un esp~ce de
contrat, cette conception qui investit le patient de la propri~t4 du
secret conduit A reconnaitre le patient comme maitre du secret et
non le m6decin. Ce serait logique, mais malheureusement le Code
b l’6poque du jugement ne reconnaissait pas le caract~re social de ce
secret. El ne fallait pas s’attendre A trouver dans la Loi M4dicale
une disposition reconnaissant le droit du patient mais bien plut6t,
dans le cadre de cette loi, un droit reconnu au m~decin, si bien que
nulle part dans la loi le droit du patient au secret n’tait reconnu.
7 Ibid., h la p. 524.
8 Ibid., & la p. 522.
0 Idem, p. 524.
10 Ibid., a la p. 515.
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[Vol. 16
Voyons donc maintenant comment le juge de premikre instance
dans l, cause Descarreaux v. Jacques a r6solu ce problme en tenant
compte du nouvel article 308 C.P.C. que nous reproduisons ici:
De m~me, ne peuvent 6tre contraints de divulguer ce qui leur a
confidentiellement en raison de leur 6tat ou profession:
t6 r~v616
1-…
2-
les avocats, les notaires, les m~decins et les dentistes; A moins dans
tous les cas, qu’ils n’y aient 6t6 autorisds, expressdment ou implicitement,
par ceux qui leur ont fait ces confidences.
Premi~rement, il se rdf~re aux commentaires des Commissaires au
sujet de l’article 308 C.P.C.:
Cet article n’apporte aucune modification a la disposition de l’article 332
du Code en ce qui concerne
les pr~tres et autres ministres du culte,
mais il ddroge au droit existant pour les personnes qui y sont vis6es. On
se rappelle les controverses soulevies par la question du secret mdical:
d’apras les uns, le secret aurait sa source dans l’ordre public et serait en
consequence inviolable, sans igard & la volonti de celui qui l’a confid;
d’aprs les autres, le secret appartiendrait au malade qui devrait toujours
pouvoir en dlier. C’est cette derniare opinion qui a prgvalu en jurispru-
dence, et les Commissaires sont d’avi qu’elle doit 6tre consacrge par un
texte. On observera que la disposition sugg&r6e vise igalement les avocats,
les notaires, les mgdecins et les dentistes, qui b6nificient tous du ‘mgmo
privilage en vertu de lois particuliares.1l
Selon les Conmissaires donc l’article 308 d6roge au droit existant
en ce qui concerne les personnes mentionn6es aux alin~as deux et
trois de cet article. Les Commissaires ont consid~r6 le d~bat qui
avait pr6cd comme un ddbat impliquant directement la volont6 du
patient; dans un cas, malgr6 la volont6 du patient, l’ordre public
rendait le secret inviolable; dans l’autre le secret appcrtiendrait au
malade qui devrait toujours pouvoir l’en d61ier. Les Commissaires
ont dcid6 de respecter ce droit du patient: ils ont d6cid6 de recon-
naitre au patient la propri~t6 du secret. 2 Et c’est ce droit qu’ils ont
voulu voir respecter en l’ajoutant A l’alin~a second, << moins dans
tous les cas qu'ils n'y aient 6t6 autoris6s, express6ment ou implicite-
ment, par ceux qui Ieur ont fait ces confidences>>.
C’est aussi ce droit que le juge de premiere instance a voulu
reconnaitre:
Considdrant que le principal intdress6 dans cette discussion entre juristes
6tant somme toutes le client du m6decin, le malade et le justiciable, les
Commissaires se crurent justifids de
isncher la question d6finitivement
par un texte dans le sens de l’article 308 du Code de Proc6dure Civile
pour l’entibre protection et du justiciable et du client du mddecin et, aussi,
du mdecin lui-mbme.13
I”Jugement, C.S.,
12 Cf. 4 ce sujet les notes du juge Rivard reproduites plus haut.
13 Jugement, C.S., A la p. 7.
Ia lp.
5.
No. 2]
NOTES
Ainsi dans le cas qui nous pr6occupe, le juge reconnait les pr6-
tentions du d~fendeur au fait qu’une fois poursuivi en dommages
pour cmal practice>> le m6decin est tacitement relev6 par le demandeur
du secret professionnel. 14 Mais il limite cette autorisation tacite au
t6moignage du seul m6decin d6fendeur dans l’action. Pour les aufres
m6decins, le malade-client demeure, en vertu de V’article 808 C.P.C.
le seul juge de la situation lorsqu’il s’agit de les relever du secret
professionnel m6dical.
Or les autres m6decins, n’ayant pas
to express6ment ou tacite-
ment relev~s dudit secret professionnel par le demsadeur,
ne sauraient divulguer, devant la Cour, m~me dans l’int6rft du mddecin
poursuivi et devant le texte de
‘article 172 C.P.C., le secret professionnel
m6dical et les confidences h eux faites par le poursuivant conme client
et A cause de leur profession.15
Son interpr6tation logique correspond donc au texte de l’article,
et A la porte que lui avait donn6 les Codificateurs. fl l’interprate
m~me rigoureusement puisqu’il n’est pas pr~t A accepter les lettres
du demandeur autorisant un m~decin A examiner son dossier d’h6pital
comme 6quivalent A une
Le juge accueille donc l’objection. Le d6fendeur en a appel6 de
la decision et la Cour d’Appel a accueilli le premier moyen de l’ap-
pelant sans s’6tre cru dans l’obligation de s’arr~ter aux autres moyens.
Le premier moyen 6tait le suivant: l’article 308 du C.P.C. n’em-
p~chait d’aucune fagon le Dr. Magella Caux de tmoigner de son
chef mais il ne pouvait y Utre contraint.17
L’appelant, aprbs avoir not6 que le secret professionnel du m6decin
ne figurait pas A ‘article 332, le trouve cependant A 1’article 60(2) de
la Loi M6dicale comme nous 1’avons vu pr~c~demment. Pour lui
l’article 308 du nouveau C.P.C. est le r~sultat de l’incorporation
<
II nous semble qu’une telle formulation a tendance b nous montrer
une juxtaposition de deux droits bien distincts plut6t qu’un droit
4 Jugement, C.S., A la p. 9.
. 10.
15 Ibid., b la
16 Ibid., h la p. 10.
17Factum de l’appelant,
18 Ibid., A la p. 7.
la p. 5.
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[Vol. 16
subordonn6 A un autre. En effet d’une part on a
aucun impact 16gal, aucune reconnaissance, et d’autre part le droit
du patient de d6lier le m6decin de son secret professionnel par auto-
risation expresse ou implicite.
Pour l’appelant l’article 308 ne modifie de fait en rien la prero-
gative du m6decin. f1 soumet que la cour devrait par cons6quent
r~soudre le litige en s’inspirant de la cause Mutual Insurance. En
effet pour lui le t~moin peut s’objecter & une question touchant
le secret professionnel.29 S’il ne s’objecte pas, le patient ne pourrait
pas lui s’objecter; mais si le m6decin s’objectait, le patient pourrait
alors le relever du secret professionnel, par ce fait le secret perdrait
son caract~re confidentiel et alors le m~decin pourrait 6tre contraint.
Le m6decin-t~moin ne s’4tant pas object6 ici, la Cour aurait dfi
reconnaitre son droit de t~moigner. Nous reviendrons sur ce motif
lorsque nous analyserons le jugement de la Cour d’appel.
Jugement de la Cour d’appel
Le jugement a t4 rendu par M. le juge en chef Tremblay, juge-
ment auquel MM. les juges Montgomery et Rivard ont souscrit.2′
Apr~s avoir cit6 l’article 308 et le paragraphe deux de l’article
60 de ]a Loi Mddicale, le juge se pose ]a question suivante:
Ces dispositions ont-elles pour effet de rendre un m6decin inhabile A t~moi-
gner sur ce qui fait 1’objet du secret professionnel ou seulement de lul
permettre de refuser de parler s’il estine juste de le faire.22
11 tente ensuite de r6pondre A cette question en analysant d’une
fagon d4taill6e les articles concernant l’audition du t6moin. Selon le
savant juge, ‘l’article 295 pose le principe que toute personne eat
oblig~e de t6moigner. A ce principe, le Code pose des exceptions;
ainsi A l’article 295 m~me, ne peuvent t6moigner les personnes qui
19 Ibid., A la p. 9.
20A ce sujet il cite Beaudoin, J.L., Secret professionnel et Droit ou Secret
dans le Droit de la Preuve, 1965, p. 42 oiL celui-ci dit: <
donnies fpax le Nouveau Larousse Universel en deux volumes et qui est
celle qui s’applique clairement dams le cas prdsent, c’est iobliger par
vole de droit. > Je crois que le sens qu’il faut donner au paragraphe 2 de
l’artiole 309 C.P. c’est que le mndecin peut
tre oblig6, forc6 de tdmoigner
sur lea faits qui autrement feraient F’objet du secrat professionnel si la
personne qui lui a rdv&l6 ces faits y consent. Sinon, on ne pourwa l’obliger
t t6moigner, mais il pourr
l’inlta-
bilit6. L’Vrticle 308 constiue une exception A la dernibre patie du premier
alinda de l’article 295 C.P. qui 6dicte que xtoute personne apte b ddposer
peut 6tre contrainte de le faire .24
L’interpr~tation adopt6e par la cour est celle adopt~e en 1935
dans Mutual Insurance Co. of New York que nous avons discut6
plus haut.2 5
le faire. Le lgislateur n’a pus ddcr&t
Le juge en chef remarque tout d’abord <
au patient de s’objecter. Ce n’est que si une objection au t moignage
est faite par le t~moin que le patient pourra avoir une certaine in-
fluence. Dans ce cas,
II appartiendra au tribunal de d~cider si les faits sur lesquels on interroge
le m~lecin font bien partie du domaine professionnel. Si la r6ponse est
affirmative et si la personne qui a fait les rdvdlations refusait d’autoriser
le t4moignage, le tribunal devra dispenser le mddecin de tdmoigner.27
Puis le juge rejette l’interpr~tation donn6e par Jacques d’un
passage du rapport des Codificateurs soulignant que:
Mgme si Jacques avait raison, les explications des codificateurs peuvent
aider h interprdter une disposition obscure du Code mais elles ne sauraient
pr~valoir h l’encontre d’un texte clair comme celui qui nous inttresse.s
Par consequent la Cour d’appel accueille 1’appel, casse le jugement
de la Cour supdrieure et rejette 1’objection g6n~rale du demandeur
formule A 1’audience par Fun de ses avocats contre le t6moignage
du docteur Caux.
Nous soumettons que cette interpretation ne rend pas justice
‘article 308 et qu’elle ne r~pond pas aux objectifs
au texte mgme de
pour lesquels les codificateurs ont modifiM l’article 308.
24Supra, n. 21, A la p. 1n.,1.
2 5 Supra, A la p. 400.
26Supra, ti 21, it lap. i, l.
27 Ibid., i la p. 1112.
28 Ibid., Al a V. $112.
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[Vol. 16
Premi~rement il importe d’analyser les modifications apport~es
A la loi par le nouvel article 308. Sous l’article 332 trois groupes
jouissaient du secret professionnel:
l’aviseur religieux, l’aviseur
public et le fonctionnaire de l’Etat.
Les Codificateurs, sauf dans un cas (pr~tres ou autres ministres
du culte), cr~ait du droit nouveau pour les autres personnes qui y
6taient vis6es: par consequent on 6tablit trois r~gimes diff~rents
pour les trois catggories 6tablies au mgme article.
On reprend sensiblement les mgmes mots 29 que l’article 332 pour
le debut de l’article 308 et ce d’autant plus aisdment que l’article ne
modifie pas la situation de Ia premiere cat6gorie de personnes, c’est-h-
dire, pr~tres ou autres ministres du culte. Puis on soumet, au troisi~me
alin~a, ]a nouvelle r~gle qui gouvernera les avocats, mfdecins…
c’est-A-dire la catdgorie qui nous pr~occupe ici.
Analysons done de plus pros ce troisi~me alin6a. Comme les
Codificateurs le soumettent dans leur rapport en ajoutant << moins,
dans tous les cas, qu'ils n'y aient
t6 autoris6s, express6ment ou
implicitement, par ceux qui 'leur ont fait ces confidences , on visait
A
le secret au malade qui devrait toujours pouvoir en
Il est bon ici de se rappeler la conception du secret professionnel
des juges dans la cause -de Mutual Insurance Co. qui le consid6rait
comme une esp~ce de contrat entre deux parties et que le consen-
tement de Fun 6tait n6cessaire pour lib6rer l’autre de l’obligation;
devons-nous rappeler aussi que, dans le cas ou le m~decin s’objecte,
si le patient le relive de son obligation, le caractare confidentiel
disparadt et le tmoin-m~decin doit et peut 6tre contraint de i moigner
car le secret professionnel n’existe plus entre les deux: le patient a
relev6 le m6decin de son obligation sous le <
Tout ceci vise clairement A 6tablir ici que le principal int~ress6
dans la r6v~lation du secret professionnel est le patient et non le
m6decin comme d’ailleurs I’affirme le juge de premiere instance 31
et que c’est au patient que les Codificateurs ont confi6 le secret;
il est maltre du secret.
Le sens -apparent de l’article est pour P’alin6a troisi~me:
les
m~lecins ne peuvent 6tre contraints de divulguer ce qui leur a 6t6
r6v6l6 confidentiellement… A moins, dans tous les cas, qu’ils n’y
aient W autoriss… par ceux qui ‘leur ont fait ces confidences.
2 9 De mgme, ne rpeuvent 6re contamints de divulguer…
3OJugement, C.S., A ]a p. 5.
81 Jugement, C.S., A l a p. 7.
No. 2]
NOTES
Non seulement ce sens est-il apparent mais, nous le soumettons,
c’est le seul sens qui rende justice au texte et objectif de l’article car
si ce texte visait -A prot~ger le patient, le principal int6ress6, alors
il devait le proteger dams tous les cas, sp&cialement les cas oh il
risque de voir le caractere confidentiel de ses r6v6lations menac6.
En effet on peut envisager quatre situations:
a) le m6decin s’objecte A temoigner;
le patient s’objecte au t moignage
1)
2) le patient veut qu’il temoigne
b) le m6decin veut t6moigner;
3) le patient s’objecte au t6moignage
4) le patient veut qu’il t6moigne
Deux situations sont tr~s claires et ne posent aucun probl~me
puisque les volontes du patient et du m6decin sont concordantes,
les situations (1) et (4). Mais qu’arrive-t-il en (2) et (3) oh les
volont6s s’affrontent.
Selon le juge en chef, en (2) le m~decin peut
moigner si le patient y consent.32 Mais en (3)
temoigner malgr6 l’opposition du patient.
tre force de t6-
le mcdecin pourrait
Consid6rons ce r6sultat en gardant A l’esprit que ce que l’on
vise A proteger ici c’est le secret professionnel, les confidences faites
dans le cadre d’un <
refuserait-il de temoigner si son client veut qu’il temoigne? Claire-
ment si le principal int6ress6 refuse le privil~ge qui visait uniquement
A le proteger, on ne voit pas de raison pourquoi les faits ne seraient
pas divulgu~s.
Mais d’autre part pourquoi un patient refuserait-il de voir di-
vulguer certaines confidences faites par lui A son mdecin? Ici
l’int6r~t est manifeste alors que dans le cas (2) aucun intfrt semble
exister.33
Les dispositions du Code devant 6tre interpr4ites de fagon A ce
qu’elles aient un sens, l’article 308 ne peut Utre interpr6te que dans
le sens ou il vise A couvrir la situation (3): un m~decin est pr~t A
t6moigner mais le patient, principal intfress6, refuse de l’autoriser
A temoigner.
Ainsi on comprendrait que les m~decins peuvent divulguer les
t6 autoris6s par
confidences faites par leurs patients s’ils y ont
82 Nous reviendrons plus loin sur la logique interne de cette derni~re phrase.
effet quel gerait ce droit de l’ardicle 308 qui consisterait pour le
33
patient de pouvoir obliger un mrdecin qui ne voudrait pas tdmoigner, alors que
la seule raison pour le mdecin de ne pas tdnoigner est la volont6 de ne pas
divulguer un secret professionnel, que le principal intdressd a consenti a tivrer?
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[Vol. 16
ces m~mes patients. Faire reposer le pouvoir de decider du t6moignage
chez le m~decin seul, c’est-h-dire nier au patient le droit de s’objecter,
c’est vider Particle 308 de son contenu et ne lui reconnaitre aucun
effet.
D’ailleurs l’6tude grammaticale de
‘article et des mots employ~s
nous pousse A conclure dans le m~me sens. A la suite du savant juge
de la Cour d’appel nous refdrons au dictionnaire: ]a signification
donn6 au mot
du mot <
(3) ot rle m~decin veut t~moigner, n’y volt pas d’obstacles personnels;
dans une telle situation le m~decin ne pourrait t~moigner & moins
de ‘cautorisation du patient. Ici l’emploi de ce mot A un sens alors
que dans la situation (2) on a de ]a difficult6 A concevoir que le fait
pour le patient d’accorder au nmadecin ‘la permission de parler en-
trainerait pour le m6decin l’obligation de parler. 1 nous semble que
‘article ? l’inter-
si le l6gislateur avait voulu limiter la port6e de
pr6tation donn~e A cet article par le juge en chef on aurait employ6
un autre mot qu’autoris6 pour d6clencher la contrainte.34
Enfin comme nous l’avons vu, l’appelant citait M. Jean-Louis
Beaudoin pour affirmer que seul le m~decin pouvait s’objecter.81
Or ce mnme auteur commente le texte projet6 de l’article 308 dans
un commentaire d’arr~t paru dans la Revue du Barreau et s’exprime
en ces termes :
Ddsormais le patient ou le client peut Jever le secret et permettre au pro-
t moigner. Cetbe welativitM du secret professionnel n’est
fessionnel de
cependant pas totale et, dans trois cas pr~cis le secret demeurera absolu. 0
Le premier cas est pr~vu par le paragraphe premier du texte
m~me… Le second cas, nous semble-t-il, est celui oti un client ou
un patient meurt avant d’avoir express6ment ou implicitement relev6
34 Par exemple: cle m~decin ne peut ktre contraint de divulguer…
it moins
que le patient ne lui ordonne de t~moigner.2. En fait pour la situation des
avocats, m&Iecins, etc., il aurait 6t6 souhaitable pour rendre le texte non-
6quivoque que les Codificateurs 6erivent: xDe mcme, no peuvent divulguer ou
rdvdld confidentiellement en
6tre contraints de divulguer ce qui leur a W
raison de leur 6tat ou profession… 2.
‘arr~t Sauv6 V. La
35 Op. cit., n. 20.
36 (1965), 25 R. du B. 562 A la p. 567, commentaire de
Reine, [ 1965] C.S., 120, Nouveaux aspects du secret professionnel.
No. 2]
NOTES
le professionnel de son obligation de se taire. (Puis donnant un
exemple de cette situation):
Le mitecin de famille ne peut, sans dispense du patient, venir r:v&ler ces
faits dans un proc6s opposant la compagnie d’assurance et les h6ritiers
du ddfunt. Cependant, en pratique, la question se trouvera rrsalu, plus
souvent, par les clauses m~me de ,a police. 36 a
Selon cet auteur, cit6 par l’appelant lui-mme, m~me si le m&-
decin ne s’objectait pas, il ne pourrait pas t~moigner dans ce cas
oii le patient n’a pas relev6 le professionnel de son secret. Cet auteur
reconnalt done que l’article 308 rend vraiment le patient maitre
du secret.
De m~me cet auteur en soulignant le cas du proc~s opposant une
compagnie d’assurance A. un patient, fixe la porte de l’rrat Mutual
Insurance Co. of New York v. Dame Jeannotte-Lamarche: le juge-
ment ne decide que pour le cas oii le m6decin a d6j& td relev6 du
secret professionnel par l’assurg, ce qui n’est pas le cas dans la
pr~sente instance.
D’autre part nous soumettons que ‘le r6sultat du jugement de
la Cour d’appel est juste: dans ce cas pr6cis, l semble que maintenir
l’objection g6n~rale du demandeur contre le t6moignage du docteur
Caux serait inquitable puisque ce serait priver <
Pourrions-nous arriver A une solution 6quitable sans se baser
pour ce faire sur une construction p6nible 3 8 de l’article 308 ? Nous
soumettons que les trois autres motifs pr6sent6s par l’ppelant four-
nissent ais6ment les 6lments de cette solution. Malheureusement la
Cour n’a pas cru bon de se prononcer sur ces motifs additionnels.
Voici le premier de ces motifs:
L’ction intenth au Dr. Descarreaux par Jacques constitue une autorisation
implicite an mdecin qui 1’amat soign6 de t moigner sur la nature des
soins prodigu~s h Jacques.3 9
Le demandeur en effet
Sea Ibid.
37 [10.69] BI, 1109, A la p. 11,12.
38 Ce caractbre p6nible nous est sugg6r6 A la fin du jugement de Is Cour
d’Appel, p. 21,12:
connaissance du tribunal. En intentant action contre le Dr. Descarreaux,
Jacques autorisait non seulement le d6fendeur mais tous les mdecins
i venir en Cour pour faire
auxquels le Dr. Descarreaux s?4tait rTf~r6
part au tribunal de leuxs constatations. 41
Ce sont les moyens de fait de d6fense du Dr. Descareaux qui lui
sont garantis par l’article 172 du Code de Proc6dure Civile.4 2
La cour aurait pu baser son jugement sur le troisi~me motif qui
se lit comme suit:
Les autorisations donnes & le,’ert du Dr. Descarreaux, it la suite de
la motion pour examen de consulter les dossiers des diff6rents h6pitaux
6quivalaient A une autoisation implicite de la pamt de Jacques A ce que
leur contenu soit mis A la disposition do la Cour et expliqu6 it celle-ci par
les m6decins mgmes qui en 6taient les auteMrs. 43
En effet :
Comment, aprbs avoir pris connaissance des dossiers en question,
le
Dr. Normand Plante pounrait-il faite 6tat de ses observations analyzes et
consultations sans que le procureur de Jacques ne s’objeete au motif que
le t6moignage 6uivaut A du simple ouie-dire?
Si la Cour a droit A la meilleure preuve, ce qui ne fait aucun doute,
seuls les auteurs de ces dossiers sont habiles it tmoigner.44
Enfin, le quatri~me motif est bas6 sur l’article 172 C.P.C. Le
Dr. Descarreaux a droit A une pleine et enti6re d6fense. Ainsi:
Puisque les constatations des m6decins figurant dans les dossiers m6dicaux
consult6s War le Dr. Descaneaux constituent les moyens de d6fense de
celui-ci, nous soumettons respectueusement qu’aucune objection ne peut
9tre accueillie pour les tenir A l’cart du tribunal. Comment le tribunal
pourrait-il venir & la conclusion que le Dr. Descarreaux avait raison do
l’admission de Jacques A l’h6pital Saint-Michel Archange
recommander
si le tribunal se voit inhabile h entendre
les t6moignages de ceux sur
lesquels le Dr. Descaxreaux s’est fond6 pour arriver A sa recommandation.
On priverait ainsi le tribunal des renseignements mgmes sur lesquels le
Dr. DesearTeaux s’est appuy&4 5
Pierre LAMARCHE”‘
41 Ibid.
42 Ibid., A la p. 20.
43 Ibid.
44 Ibid., A la p. 21.
45 Ibid., aux pp. 26-27.
* Membre du Comit6 de redaction.