McGill Law Journal ~ Revue de droit de McGill
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES :
DES CAS DE KAFLAH AU QUBEC, 1997-2009
Denise Helly, Valrie Scott,
Marianne Hardy-Dussault et Julie Ranger*
Laffirmation de la primaut de la justice
tatique ressort de lide dun lien consubstantiel entre
tat et droit, selon laquelle le droit na pas dautre
ralit sociale que celle assigne par la loi tatique,
nationale, et ne peut tre multiforme. Pourtant la
multiplicit des normes, rationalits et mcanismes de
justice dans toute socit et lexistence de traits
internationaux sur les droits fondamentaux mettent
mal cette ide. Les droits tatiques ne peuvent plus
ignorer les autres ordres normatifs sous peine de
porter atteinte des principes dsormais admis: la
dignit des acteurs, la lgitimit de leur identification
personnelle et leur ncessaire adhsion lautorit de
ltat. Dans ce contexte, une de nos recherches analyse
la rception par des juges de valeurs et de normes
familiales suivies par des musulmans et le prsent
texte se penche sur la rception de la kaflah, une
forme de prise en charge dun enfant musulman
abandonn, orphelin ou dont la famille ne peut
assumer le cot de lducation. Neuf jugements, ren-
dus au Qubec entre 1997 et 2009, sont prsents.
The affirmation of the primacy of state justice
stems from the idea that there is an integral link be-
tween law and state, where the social reality of the
law is only that which is assigned to it by the statean
idea that leaves no room for legal pluralism. The pres-
ence of international treaties on fundamental rights,
and the plurality of norms, rationales and mechanisms
of justice have repudiated this idea. State law can no
longer ignore other normative orders without under-
mining principles such as the dignity of actors, and the
legitimacy of their personal identity. In this context we
intend to assess the reception of Muslim values and
norms by central actors in the legitimization of any
foreign law: the judges. We study nine judicial deci-
sions in Quebec rendered between 1997 and 2009
about kaflah, a Muslim legal institution to take care
of abandoned children.
* Denise Helly est professeure titulaire lInstitut national de recherche scientifique.
Forme en anthropologie (PHD La Sorbonne, 1975), sociologie, science politique et
sinologie (cole des Langues Orientales, Paris), elle a pour intrts les politiques
dimmigration, les thories de la citoyennet et du nationalisme, les politiques de
pluralisme culturel dont le multiculturalisme canadien, les rgimes de relation entre
tat et religion et linsertion des musulmans en Europe et au Canada. Valrie Scott,
bachelire en relations internationales et droit international de lUQM, bachelire en
droit de lUQM et auxilire juridique la Cour suprme du Canada en 2008-2009,
complte prsentement un LLM New York University. Marianne Hardy-Dussault,
avocate, LLB (UdeM), LLM (McGill), est doctorante lUniversit Laval. Julie Ranger,
co-rdactrice de la version franaise du Refugee Law Reader, dtient un baccalaurat en
politique et psychologie de lUniversit McGill et un baccalaurat en droit de
lUniversit de Montral. Son travail porte sur limmigration et les droits de la personne
et elle complte un MPA lUniversit du Nouveau-Mexique.
Denise Helly, Valrie Scott, Marianne Hardy-Dussault et Julie Ranger 2011
Citation: (2011) 56:4 McGill LJ 1057 ~ Rfrence : (2011) 56 : 4 RD McGill 1057
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Introduction
I.
II.
La pluralit des valeurs et lIslam
Une recherche sur des causes de droit familial dpose
par des parties musulmanes
III.
Internormativit, interlgalit de fait
IV.
Des dossiers de kaflah au Qubec
V.
La rgle de ladoption plnire au Qubec
VI.
Respect contrast de la diffrence de norme
A. Respect de la coutume trangre
B. Cration de catgories et ses limites
C. Respect strict de la loi trangre
D. Analogie entre institutions trangres et du for
VII. Effacement de la diffrence ou cration de nouvelles
normes ?
A. Oblitrer llment dextranit
B. Analogie simplificatrice et nouvelle norme ?
C. Standards ou principes interprtatifs gnraux et
rgle de conflit
1. Le droit lgalit : discrimination des Musulmans
et des trangers
2. Intrt suprieur de lenfant versus respect du droit
tranger
Conclusion : Tensions, dtours et checs
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1059
Introduction
La multiplicit des normes, rationalits et mcanismes de justice dans
une socit et lexistence de traits internationaux sur les droits
fondamentaux, qui relativisent les droits nationaux penss pour des
socits homognes, mettent en cause le modle du positivisme juridique
tatique. De plus, le fait que des ordres juridiques ou normatifs autres
qutatiques rgissent le quotidien de certains individus heurte les
tenants du paradigme moderniste et provoque des dbats et des
controverses publiques peu informs. Tant que ces ordres taient le fait de
socits lointaines, ils pouvaient tre renvoys aux univers davant la
modernit. Mais le retour du religieux , limmigration du Sud et le
militantisme des populations amrindiennes leur donnent une nouvelle
visibilit. Il en est de mme des controverses concernant la conciliation de
ces ordres normatifs et des droits individuels, en particulier les droits des
femmes musulmanes1 ainsi que
respect des objectifs du
multiculturalisme canadien2 et des rgimes de relations entre tat et
religion, notamment la lacit3. LIslam est particulirement cibl par les
tenants du modernisme et du positivisme lgal, car il incarne un enjeu de
la diversit religieuse : quel statut accorder aux normes et pratiques
juridiques ne relevant pas des droits tatiques occidentaux ?
le
I. La pluralit des valeurs et lIslam
Jusquaux annes 1960, limmigration musulmane est peu importante
en Occident quand en Europe, des travailleurs arrivent dIndonsie, du
Maghreb et de Turquie et sont traits avec mpris, mais sans rfrence
leur religion. la fin des annes 1980, la rfrence leur religion devient
constante et pjorative et stend lAmrique du Nord, alors que limage
1 Ayelet Shachar, Multicultural Jurisdictions: Cultural Differences and Womens Rights,
Cambridge, Cambridge University Press, 2001 ; Sirma Bilge, Beyond Subordination
vs Resistance: An Intersectional Approach to the Agency of Veiled Muslim Women
(2010) 31 : 1 Journal of Intercultural Studies 9.
2 Will Kymlicka, The Essentialist Critique of Multiculturalism: Theories, Policies,
Ethos , Confrence prsente lors du colloque Le multiculturalisme a-t-il un avenir ?
luniversit de Paris 1 Panthon Sorbonne, 26-fvrier 2010 [non publi].
3 Camille Froidevaux-Metterie, tats-Unis : comprendre lnigme thocratico-laque
(2007) 3 : 36 Critique internationale 105 ; Jean-Paul Willaime, The Paradoxes of
Lacit in France dans Eileen Barker, dir, The Centrality of Religion in Social Life:
Essays in Honour of James A Beckford, Hampshire, (R-U), Ashgate, 2008, 41 ; Grard
Bouchard et Charles Taylor, Rapport de la Commission de consultation sur les
pratiques daccommodements relies aux diffrences culturelles : Fonder lavenir. Le
temps de la conciliation, Qubec, Gouvernement du Qubec, 2008 ; Ccile Laborde,
Critical Republicanism: The Hijab Controversy and Political Philosophy, Oxford, Oxford
University Press, 2008.
1060 (2011) 56:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
savante des musulmans demeure ambige ou ngative4. Des conflits
surgissent propos de mosques, du foulard islamique (France,
Belgique et Canada), de lenseignement musulman lcole publique
(Allemagne), de la formation des imams (Espagne, Pays-Bas, Royaume-
Uni et Belgique), de tribunaux islamiques (Canada et Royaume-Uni) et
de mariages forcs (Pays-Bas et Royaume-Uni). La rislamisation de
gnrations nes et socialises en Europe5, la diffusion de lislamisme
politique6, le regain de lide de conflit de civilisations7, les actes
terroristes et les conflits et guerres dans des pays musulmans contribuent
aussi faire de l Islam une figure trange et dangereuse. Cependant,
des dynamiques structurales interviennent. Lislam est objet de litige et
daversion parce quil rvle des tensions sociales et idologiques et les
limites des systmes de tolrance occidentaux.
La premire de ces tensions se manifeste en matire de gestion de la
pluralit culturelle issue de limmigration. Depuis les annes 1970, les
gouvernements occidentaux (tat, ville et rgion) pratiquent un red boot
4 Maxime Rodinson, La fascination de lislam, Paris, Maspro, 1980 ; Edward W Sad,
Covering Islam: How the Media and the Experts Determine How We See the Rest of the
World, d rvise, New-York, Vintage Books, 1997 ; Laurence O Michalak, Cruel and
Unusual: Negative Images of Arabs in American Popular Culture, 3e d, Washington,
DC, American-Arab Anti-Discrimination Committee, 1983 ; Jack G Shaheen, Reel Bad
Arabs: How Hollywood Vilifies a People, New-York, Olive Branch Press, 2001 ; Jack G
Shaheen, Arab and Muslim Stereotyping in American Popular Culture, Washington
(DC), Center for Muslim-Christian Understanding, Georgetown University, 1997 ;
Douglas Little, American Orientalism: The United States and the Middle East Since
1945, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2002.
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socits, Bruxelles, De Boeck, 1990, 179 ; Gilles Kepel, Les banlieues de lIslam :
Naissance dune religion en France, 2e d, Paris, ditions du Seuil, 1991 ; Farhad
Khosrokhavar, Lislam des jeunes, Paris, Flammarion, 1997 ; Gerdien Jonker et Valrie
Amiraux, dir, Politics of Visibility: Young Muslims in European Public Spaces,
Bielefeld, Transcript, 2006.
6 Olivier Roy, Lislam mondialis, Paris, ditions du Seuil, 2002 ; Franois Burgat,
LIslamisme lheure dAl Qaida : Rislamisation, modernisation, radicalisation, Paris,
La Dcouverte, 2005.
7 Bernard Lewis, The Roots of Muslim Rage: Why so Many Muslims Deeply Resent the
West, and Why their Bitterness Will Not Easily Be Mollified (1990) 266 : 3 The Atlan-
tic Monthly 47 ; Samuel P Huntington, The Clash of Civilizations and the Remaking of
the World Order, New-York, Simon & Schuster, 1996 ; Benjamin R Barber, Djihad ver-
sus McWorld : Mondialisation et intgrisme contre la dmocratie, traduit par Michel
Valois, Paris, Descle de Brouwer, 1996 ; Francis Fukuyama, La fin de lhistoire et le
dernier homme, traduit par Denis-Armand Canal, Paris, Flammarion, 1992 ; Francis
Fukuyama, The Great Disruption: Human Nature and the Reconstitution of Social
Order (1999) 283 : 5 The Atlantic Monthly 55 ; Roy P Mottahedeh, The Clash of Civi-
lization: An Islamicists Critique (1996) 2 : 2 Harvard Muslim Eastern and Islamic
Review 1.
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1061
multiculturalism 8 ou un cultural racism 9, soit laffirmation dune
culture nationale et le financement public dusages minoritaires (activits
socio-culturelles dassociations ethniques). Ils rduisent la diffrence
culturelle des usages sans porte sociale ou politique. De fait, jusquaux
annes 1990, la pluralit religieuse des socits occidentales, les rgimes
de relation entre tat et glise et les protections historiques accordes
des minorits religieuses (amish, mennonite,
judaque, catholique,
protestante, Tmoins de Jhovah, doukhobor et huttrite) ne font pas
partie des dbats et de lhorizon de la gestion de la diversit culturelle des
socits civiles.
partir des annes 1990, les demandes de respect de leurs valeurs et
de leurs pratiques par des minorits religieuses issues de limmigration,
dont celle musulmane, qui est la plus nombreuse en Europe, montrent
linadquation des programmes de relations interraciales (Royaume-Uni),
daide financire aux ONG ethniques (Pays-Bas et Belgique flamande),
comme de la politique du multiculturalisme canadien de lutte anti-
discriminatoire et de changement institutionnel. Les demandes des
minorits religieuses musulmane, sikh et judaque, comme celles de
Chrtiens pratiquants10, pntrent lespace public et questionnent des
schmes de pense des majorits culturelles, alors que des organisations
internationales
lEurope et Union
Europenne) promeuvent le respect des diffrences culturelles.
Une seconde tension dcoule des demandes qui rouvrent le dossier de
la position de ltat face aux croyances et institutions religieuses. Des
segments des opinions publiques et des groupes de pression puissants
(syndicats denseignants et de fonctionnaires, partis de gauche et groupes
fministes) sopposent tout rle public de la religion11. Dans le monde
(ONU, UNESCO, Conseil de
8 Audrey Kobayashi, Multiculturalism: Representing a Canadian Institution dans
James Duncan et David Ley, dir, Place/Culture/Representation, Londres, Routledge,
1993, 205. Au Canada, le programme du multiculturalisme fut cr la suite du
rapport de la Commission sur le Bilinguisme et le Biculturalisme et la veille dune
lection nationale conteste entre le Parti libral du Canada et le Nouveau Parti
dmocratique. Un groupe de pression ukrainien, notamment de Winnipeg, rclama du
gouvernement fdral une galit de traitement avec les francophones sous la forme
dun programme de financement public dcoles enseignant leurs langues ancestrales.
9 Aleksandra lund et Carl-Ulrik Schierup, Paradoxes of Multiculturalism: Essays on
Swedish Society, Aldershot (R-U), Avebury, 1991.
10 Winnifred Fallers Sullivan, The Impossibility of Religious Freedom, Princeton, Prince-
ton University Press, 2005.
11 Jos Casanova, Public Religions in the Modern World, Chicago, Chicago University
Press, 1994 ; Jos Casanova, Immigration and the New Religious Pluralism: A Euro-
pean Union/United States Comparison dans Thomas Banchoff, dir, Democracy and
the New Religious Pluralism, New-York, Oxford University Press, 2007, 59.
la nouvelle
influence politique des
1062 (2011) 56:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
historiquement catholique, notamment franais, qubcois et wallon, ces
courants dopinion se montrent particulirement intolrants et font de la
lacit un rgime dathisme tatique, ce quelle ne saurait tre. La lacit
est un des modes de la neutralit religieuse de ltat et de la primaut des
institutions politiques sur les institutions religieuses12. Ce mode se
caractrise par sa vise dune sparation nette du politique et du
religieux13, mais, comme tout concept politique et
juridique, son
interprtation donne lieu des dbats et affrontements.
La troisime tension rvle, quant elle, combien le modle
volutionniste dune scularisation invitable des socits civiles est
rvolu. La permanence des croyances religieuses, les amnagements
religieux dans les coles, les administrations publiques et les grandes
entreprises,
courants
fondamentalistes chrtiens en tmoignent. Certains courants dopinion
qualifient cette situation de recul. Professant une philosophie
moderniste14, ils croient aux bienfaits assurs et continus du progrs, la
suprmatie de la rationalit et une seule dfinition de la modernit. Ils
voient dans la foi religieuse un refus de la science, une alination
intellectuelle, une contrainte sociale et un conservatisme moral et sexiste.
Ils passent sous silence les changements de doctrine (fminisation de
lglise anglicane, protestantisme ouvert aux thses scientifiques et
catholicisme plus individualiste) et, dans le cas des musulmans, les
diverses
les populations
musulmanes occidentales15, les positions des rformistes16 et les critiques
12 Cette primaut prend des formes diffrentes : sparation de ltat et de lglise (tats-
Unis, France, Mexique et Uruguay), religion dtat (Scandinavie, Grce, Danemark et
Royaume-Uni), coopration entre ltat et lglise (Allemagne et Belgique), privilges
importants ou restreints accords par ltat une religion (Espagne, Italie et Canada).
Voir Jean Baubrot, dir, Religions et lacit dans lEurope des douze, Paris, Syros, 1994 ;
Stephen V Monsma et J Christopher Soper, The Challenge of Pluralism: Church and
State in Five Democracies, Lanham (Md), Rowman & Littlefield Publishers, 1997 ;
Brigitte Basdevant-Gaudemet et Francis Messner, dir, Les origines historiques du
statut des confessions religieuses dans les pays de lUnion europenne, Paris, Presses
Universitaires de France, 1999 ; Albert J Menendez, Church and State in Canada,
Amherst (NY), Prometheus Books, 1996 ; MH Ogilvie, Religious Institutions and the
Law in Canada, 2e d, Toronto, Irwin Law, 2003 ; Denise Helly, Orientalisme
populaire et modernisme : Une nouvelle rectitude politique au Canada (2010) 31 : 2 La
Revue Tocqueville 157 [Helly, Orientalisme ].
et
interprtations du droit
islamique dans
Gellner, Postmodernism, Reason and Religion, Londres (R-U), Routledge, 1992.
13 Maurice Barbier, La lacit, Paris, LHarmattan, 1995 la p 81.
14 Bryan S Turner, dir, Citizenship and Social Theory, Londres (R-U), Sage, 1993 ; Ernest
15 Yusuf Talal Delorenzo, The Fiqh Councilor in North America dans Yvonne Yazbeck
Haddad et John L Esposito, dir, Muslims on the Americanization Path?, Oxford, Oxford
University Press, 2000, 65 ; Ihsan Yilmaz, The Challenge of Post-Modern Legality and
Muslim Legal Pluralism in England (2002) 28 : 2 Journal of Ethnic and Migration
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1063
du modernisme et du patriarcat par les fministes musulmanes17. Ils
ignorent aussi les sondages effectus dans certains pays musulmans18
montrant un dsir de dmocratie et dinclusion des femmes dans la sphre
publique et une seule diffrence notable : un puritanisme en matire de
sexualit. Ils ignorent enfin les dbats sur la dconstruction des
dichotomies religieux-sculier , public-priv , modernit-traditions
Studies 343 ; Mathias Rohe, The Formation of an European Sharia dans Jamal
Malik, dir, Muslims in Europe: From the Margin to the Center, Mnster, Verlag, 2004,
161 ; Tariq Ramadan, tre musulman europen : tude des sources islamiques la
lumire du contexte europen, traduit par Claude Dabbak, Lyon, Tawhid, 1999 ; Peri
Bearman, Rudolph Peters et Frank E Vogel, dir, The Islamic School of Law: Evolution,
Devolution, and Progress, Cambridge (Mass), Harvard University Press, 2005. Pour di-
verses interprtations dans le contexte canadien, voir Helly, Orientalisme , supra
note 12 ; Anna C Korteweg, The Sharia Debate in Ontario: Gender, Islam and Repre-
sentations of Muslim Womens Agency (2008) 22 : 4 Gender & Society 434 ; Ayelet
Shachar, Privatizing Diversity: A Cautionary Tale from Religious Arbitration in Fam-
ily Law (2008) 9 : 2 Theor Inq L 573 ; Pascale Fournier, In the (Canadian) Shadow of
Islamic Law: Translating Mahr as a Bargaining Endowment (2006) 44 : 4 Osgoode
Hall LJ 649 ; Pascale Fournier, La femme musulmane au Canada : profane ou
sacre ? (2007) 19 : 2 Can J Women & L 227 ; Natasha Bakht, Religious Arbitration
in Canada: Protecting Women by Protecting Them from Religion (2007) 19 : 1 C J
Women &L 119 ; Annie Bunting et Shadi Mokhtari, Migrant Muslim Womens Inter-
ests and the Case of Sharia Tribunals in Ontario dans Vijay Agnew, dir, Racialized
Migrant Women in Canada: Essays on Health, Violence, and Equity, Toronto, Univer-
sity of Toronto Press, 2009, 232.
16 Charles Kurzman, dir, Modernist Islam, 1840-1940: A Sourcebook, Oxford, Oxford Uni-
versity Press, 2002 ; Charles Kurzman, dir, Liberal Islam: A Sourcebook, New York, Ox-
ford University Press, 1998 ; John L Esposito, Islam: The Straight Path, 3e d, Oxford,
Oxford University Press, 1998 ; Mohammed Ali Syed, The Position of Women in Islam:
A Progressive View, Albany (NY), State University of New York Press, 2004 ; Asma Bar-
las, Believing Women in Islam: Unreading Patriarchal Interpretations of the Quran,
Austin, University of Texas Press, 2002 ; Azizah al-Hibri, Islam, Law and Custom:
Redefining Muslim Womens Rights (1997) 12 : 1 Am UJ Intl L & Poly 1.
17 Deniz Kandiyoti, dir, Women, Islam and the State, Philadelphie, Temple University
Press, 1991 ; Leila Ahmed, Women and Gender in Islam: Historical Roots of a Modern
Debate, New Haven, Yale University Press, 1992 ; Lila Abu-Lughod, dir, Remaking
Women: Feminism and Modernity in the Middle East, Princeton (NJ), Princeton Uni-
versity Press, 1998 ; Asma Lamrabet, Le Coran et les femmes : une lecture de libration,
Lyon, Tawhid, 2007 ; Margot Badran, Understanding Islam, Islamism, and Islamic
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Women and Western Feminists: The Debate on Particulars and Universals (1998)
50 : 7 Monthly Review: An Independent Socialist Magazine 19 ; Shahrzad Mojab,
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18 Ronald Inglehart, dir, Islam, Gender, Culture and Democracy: Findings from the World
Values Survey and the European Values Survey, Willowdale (Ont), De Sitter Publica-
tions, 2003.
les
libraux positivistes et
1064 (2011) 56:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
et ses implications dans le champ du droit familial19. Ces courants
dopinion se centrent plutt sur divers vtements des musulmanes et sur
le statut social des femmes dans lIslam dont ils construisent des images
essentialistes et fausses.
Ces trois tensions rvlent un renchantement du monde 20 et un
pluralisme des valeurs et des ordres juridiques qui interrogent trois
postulats modernistes : lide de la rationalit individuelle comme seule
source de valeurs, luniversalisme formel ou abstrait des droits et la
centralit de la justice tatique.
Selon une utopie des Lumires, demeure lide que lunivers humain
est une entit logique et que les idaux de libert, dgalit, de
connaissance, de scurit et dintrt personnel nentrent en conflit quen
raison de lirrationalit des acteurs. Cette vision de possibles unit et
harmonie dune socit et des acteurs fait de la rationalit le seul et vrai
fondement des conduites humaines. Isaiah Berlin21 a t un des auteurs
affirmer contre
la
communication entre cultures et dnoncer lide dune vrit objective
ou universelle qui serait le fondement des conduites humaines et de leur
unit. Vu les besoins contradictoires de la psych humaine, les idaux
modernes sont souvent en conflit (galit-libert ; libert-moralit ;
dmocratie-libert ; dmocratie-paix) et considrant la variabilit des
valeurs, une foi religieuse, un affect et une appartenance collective sont
des bases de ligne de vie aussi lgitimes que lexamen rationnel. John
Gray22, un disciple de Berlin, conclut que les dfinitions dun idal de vie
tant diverses,
irrmdiable et
permanente en dmocratie sous peine de conflit violent ou de dni de
libert et de dignit. Il propose comme seule valeur commune
linterdiction des pratiques non humaines : esclavage, gnocide,
perscution, torture et humiliation.
la ngociation entre valeurs est
fonctionnalistes
19 Janet Halley et Kerry Rittich, Critical Directions in Comparative Family Law: Gene-
alogies and Contemporary Studies of Family Law Exceptionalism (2010) 58 : 4 Am J
Comp L 753.
20 Marcel Gauchet, Le Dsenchantement du monde : une histoire politique de la religion,
Paris, Gallimard, 1985.
21 Isaiah Berlin, The Crooked Timber of Humanity: Chapters in the History of Ideas, New
York, Knopf, 1991 aux pp 21-25 ; Isaiah Berlin The Apotheosis of the Romantic Will
dans Henry Hardy et Roger Hausheer, dir, The Proper Study of Mankind: An Anthology
of Essays, New-York, Farrar, Straus and Giroux, 1998, 553 ; Isaiah Berlin, Political
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Hardy, Londres (R-U), Chatto & Windus, 2006.
22 John Gray, The Case for Decency , New York Review of Books (13 juillet 2006) 20-22.
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1065
Luniversalisme abstrait des droits affirme le mrite individuel comme
unique critre des places sociales. Depuis les annes 1960, ce principe a
t dbattu et la ncessit de tenir compte de diverses formes de
discrimination, notamment culturelle et religieuse, a t admise pour
assurer une relle galit des droits et des chances23.
Quant au troisime postulat moderniste, lide de la primaut de la
justice tatique, il ressort dun positivisme et dun ethnocentrisme qui
voient un lien consubstantiel entre tat et droit et nient que ce dernier ait
une ralit sociale propre et puisse tre multiforme. Roderick A.
Macdonald et Thomas McMorrow24 rapportent cette reprsentation la
fiction sur laquelle repose tout tat national, par exemple lhomognit
culturelle de la population du territoire quil contrle. Pourtant, le droit
tatique ne saurait ignorer les autres ordres normatifs non seulement en
vue dassurer une unit sociale illusoire, mais aussi en vue de mettre en
acte des principes primordiaux de la dmocratie : lgale dignit des
acteurs25 et leur adhsion aux actions de ltat26. Lapplication rigide
23 Michael J Sandel, Liberalism and the Limits of Justice, Cambridge, Cambridge Univer-
sity Press, 1982 ; Iris Marion Young, Justice and the Politics of Difference, Princeton
(NJ), Princeton University Press, 1990 ; Will Kymlicka, Liberalism, Community, and
Culture, Oxford, Clarendon Press, 1989 ; Will Kymlicka, dir, The Rights of Minority
Cultures, Oxford, Oxford University Press, 1995 ; Seyla Benhabib, dir, Democracy and
Difference: Contesting the Boundaries of the Political, Princeton (NJ), Princeton Univer-
sity Press, 1996 ; Sylvie Mesure et Alain Renaut, Alter Ego : Les paradoxes de lidentit
dmocratique, Paris, Aubier, 1999 ; Michael Walzer, Pluralism: A Political Perspective
dans Will Kymlicka, dir, The Rights of Minority Cultures, Oxford, Oxford University
Press, 1995, 139 ; Axel Honneth, La lutte pour la reconnaissance, traduit par Pierre
Rush, Paris, ditions du Cerf, 2002 ; Denise Helly, Cultural Pluralism: An Overview
of the Debate since the 60s (2002) 2 : 1 Ethnopolitics, Studies in Ethnicity and Nation-
alism 75.
24 Myths of Miscegenation: Should the Concept of Reasonable Accommodation for Sub-
ordinated Groups and Minorities Be Constitutionalized? dans Bogdan Iancu, dir, The
Law/Politics Distinction in Contemporary Public Law Adjudication, Utrecht, Eleven
International Publishing, 2009, 89 la p 93 et s.
25 Warwick Tie, Legal Pluralism: Toward a Multicultural Conception of Law, Aldershot
(R-U), Ashgate, 1999.
26 Roderick A Macdonald, Lhypothse du pluralisme juridique dans les socits dmoc-
ratiques avances (2002-03) 33 : 1-2 RDUS 133 ; Roderick A Macdonald, Metaphors
of Multiplicity: Civil Society, Regimes and Legal Pluralism (1998) 15 : 1 Ariz J Intl &
Comp L 69 ; Roderick A Macdonald, Critical Legal Pluralism as a Construction of
Normativity and the Emergence of Law dans Andre Lajoie et al, dir, Thories et
mergence du droit : pluralisme, surdtermination et effectivit, Montral, Thmis,
1998, 9 ; Martha-Marie Kleinhans et Roderick A Macdonald, What is a Critical Legal
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Gardes : Hypothses sur lmergence des normes, linternormativit et le dsordre
travers une typologie des institutions normatives dans Jean-Guy Belley, dir, Le droit
soluble : Contributions qubcoises ltude de linternormativit, Paris, LGDJ, 1996,
233.
1066 (2011) 56:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
dune norme, apanage dun tat et dune majorit culturelle, ignore ces
principes et la question du pluralisme juridique est pose vu limportance
accorde dsormais lindividu27 et son sentiment didentit et de
continuit28. Question dautant plus pose quen vertu du droit
international priv, les juges peuvent tre amens se prononcer sur les
effets de lgislations et dinstitutions qui reposent sur des valeurs et des
usages qui leur sont trangers. Quen est-il des diffrences culturelles qui
heurtent la conception occidentale de lgalit, de la rationalit et de
lautonomie individuelle29 ?
Lorsquune partie invoque une norme ou une valeur autre qutatique,
les juges se trouvent au cur de la tension entre tolrance et intolrance.
Ils peuvent faire place au droit la diffrence ou ne voir que lextranit
de la valeur ou de la norme et la refuser. Mais ils doivent motiver leurs
dcisions. Pour ce faire, ils disposent doutils et de techniques de
raisonnement dont lusage repose parfois sur un choix de valeurs. Au
nombre des outils sont les lois et conventions de droit international priv
ainsi que les chartes des droits qui dictent notamment des rgles de
conflits et des droits fondamentaux. Au nombre des techniques figurent le
syllogisme juridique (dduction de prmisses) ou axiologique, lide
danalogie entre pratiques et la cration de nouvelles catgories et normes
pour
dtalon[s]
axiologique[s] 30 conduit les juges sappuyer sur des standards comme
lordre public, lintrt de lenfant, la bonne foi, la scurit et lgalit des
sexes, alors que par lide danalogie ils peuvent tenter de comprendre une
notion ou une institution trangre en se rfrant une notion ou une
institution interne quils estiment similaire (une rpudiation gale un
divorce, une dot une donation ou pension alimentaire). Les juges peuvent
encore arguer selon des valeurs personnelles ou selon celles quils
estiment dominantes si la dfinition de la norme par la loi est absente ou
ralits nouvelles. Lusage
tenir
compte de
27 Erik Jayme, Identit culturelle et intgration : Le droit international priv postmoderne.
Cours gnral de droit international priv, collection Recueil des cours 251, Martinus
Nijhoff, 1995.
28 Daniel Gutmann, Le sentiment didentit : tude de droit des personnes et de la famille,
Paris, LGDJ, 2000 ; Charles Taylor, Sources of the Self: The Making of the Modern
Identity, Cambridge (Mass), Harvard University Press, 1989.
29 Alison Dundes Renteln, The Cultural Defence, Oxford, Oxford University Press, 2004.
30 Christelle Landheer-Cieslak et Anne Saris, La rception de la norme religieuse par les
juges de droit civil franais et qubcois : tude du contentieux concernant le choix de la
religion, lducation et la pratique religieuse des enfants (2003) 48 : 4 RD McGill 671
la p 719 et s.
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1067
imprcise (surdtermination31). Comme le souligne le professeur Luc B.
Tremblay, le dcideur
ses prcomprhensions,
aborde le texte […] en apportant invitablement avec lui ses attentes,
ses prjugs,
ses
prsuppositions, bref, la prconception quil a du texte, du droit, du
monde en gnral, de la morale, de la politique, de la mtaphysique,
de la nature humaine, de la psychologie, de lhistoire, de la religion,
etc32.
ses
croyances,
II. Une recherche sur des causes de droit familial dpose par des parties
musulmanes
Les rsultats ci-aprs exposs sont issus dune recherche qui tudie le
traitement, par des juges du Qubec, dOntario, du Royaume-Uni et
dEspagne33, de litiges conjugaux et familiaux ports par des parties se
rfrant des normes et pratiques, culturelles ou juridiques, musulmanes
(diverses formes de divorce, de paiement de dot et de division des biens ;
autorit parentale ; garde et ducation des enfants). Pour la priode de
janvier 199734 juillet 200735, cette recherche vise tudier comment des
interprtes centraux de lapplication des normes que sont les juges de
droit familial prennent en considration ces normes et pratiques. Le droit
de la famille est un champ propice lexamen du traitement dunivers
autres par des juges, car linstitution familiale est un lieu de reproduction
de cultures minoritaires et la cellule familiale un lieu de coexistence de
31 Grard Timsit, Les figures du jugement, Paris, Presses Universitaires de France, 1993.
32 Luc B Tremblay, Linterprtation tlologique des droits constitutionnels (1995) 29 :
2 RJT 459 la p 492.
33 Les pratiques familiales musulmanes selon des juges. Subvention CRSH 2007, directrice
D Helly, co-chercheurs A Bunting (Droit, York University), F Colom (Philosophie, CSIS,
Madrid), A Saris (Droit, UQAM), assistantes: Marianne Hardy-Dussault, Flore Valluis,
Valrie Scott, Al-Rahim Moosa, Julie Ranger et Julie-Anne Archambault.
34 Durant les annes 1970-80, le flux dimmigrs musulmans au Qubec nest pas
significatif, il crot partir de 1987 (Denise Helly, Canada : Flux migratoires des pays
musulmans et discrimination de la communaut islamique dans Ural Mano, dir,
Reconaissance et discrimination : Prsence de lislam en Europe occidentale et en
Amrique du Nord, Paris, LHarmattan, 257). Prsumant dune priode daccoutumance
ncessaire au systme juridique local, nous avons choisi la date de 1997 pour inclure
des causes que ces nouveaux immigrants auraient pu dposer devant les tribunaux de
la province.
35 Selon les mots-cls en anglais, franais et espagnol: islam, sharia, musulman,
islamique, nom et origine nationale et ethnique de tout pays musulman, kaflah,
tabanni, makfoul, kafil, kufala, special guardianship, maher – mahr, dot, talak, khul,
ajr (cadeau de mariage), sadaqa, faridah, muajjal (partie de dot paye lors mariage),
muwajjal (partie paye en diffr), polygamie, arbitrage, mdiation, imam, sunnite,
chiite, ismalien, soufi.
1068 (2011) 56:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
valeurs de diverses sources (individuelle, communautaire et tatique). En
sus, les droits tatiques et religieux coexistent souvent en droit de la
famille.
Selon le recensement de 2001, les personnes se dclarant de confession
musulmane reprsentent deux pourcent de la population canadienne.
Dans le cas du Qubec o rsident 108 600 musulmans la mme date,
partir de deux banques de donnes, Westlaw Canada et Azimut, on
recense 157 jugements provenant de la Cour du Qubec, de la Cour
suprieure ou de la Cour dappel dans lesquels une rfrence un lment
musulman ou un pays musulman est prsente. Une fois retirs les cas
de personnes de confession judaque, maronite, melkite ou grecque
orthodoxe (huit) et les cas sans prcision sur la confession des parties,
notamment dimmigrs libanais (treize), lchantillon tudier comprend
136 jugements. De ces 136 jugements, soixante-cinq contiennent une
rfrence explicite par les parties une valeur, une pratique, une norme
ou une loi musulmanes et soixante et onze nen incluent aucune.
La moiti des causes a t initie par des migrs du Maghreb,
quelques unes par des natifs dorigine canadienne franaise et aucune par
un descendant dimmigrs n au Canada. Les
immigrs sont
principalement dorigine libanaise, syrienne, iranienne et pakistanaise et
les parties initiant les causes sont principalement des femmes. Des 136
jugements, quarante-sept portent sur un divorce et des mesures
accessoires (pension alimentaire et partage de biens), treize sur la nullit
dun mariage clbr au Qubec ou ltranger, huit sur des kaflah, dix-
neuf sur laccs, la garde et/ou lducation denfants et le reste, en
majorit, sur une division de biens. Quant aux soixante-cinq causes
rfrant explicitement une pratique juridique musulmane, trente et une
concernent des divorces et annulations de mariage ltranger, vingt-huit
des litiges au sujet de la garde ou/et de lducation denfants, et six des
kaflah. La kaflah peut tre dfinie comme une dlgation dautorit
parentale, une prise en charge permanente ou une protection formelle36
dun mineur, orphelin ou abandonn, ou encore une tutelle officieuse
selon les termes dune loi tunisienne la dcrivant37.
Dans le prsent article, nous dcrivons uniquement les rsultats de
lanalyse des dossiers concernant une kaflah et ayant fait lobjet de
36 Ana Quiones Escmez et al, Kafala y Adopcin en las relaciones hispano-marroques
[Kalafa et adoption dans les relations hispano-marocaines], Madrid, FIIAPP, 2009 la
p17 et s ; A Canac, Rflexions sur linexistence de ladoption en droit musulman
(1959) 2 Revue Algrienne 27 [Canac, Rflexions ] ; J Lapanne-Joinville, La filiation
maternelle en droit musulman malkite [1952] Revue Marocaine de Droit 256.
37 Loi n 1958-0027 du 4 mars 1958 relative la tutelle publique, la tutelle officieuse
[kaflah] et ladoption [Loi no 1958-0027].
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1069
dcisions judiciaires au Qubec entre 1997 et 2009. Trois kaflah ont t
prononces au Maroc, une au Pakistan et deux en Algrie. Cependant, on
dispose de huit jugements concernant une kaflah. En effet, la suite
dun jugement rendu en 2006, un couple dmigrs dAlgrie a dpos deux
requtes ayant donn lieu un jugement, lun en 2008 et lautre en 2009.
Bien que ces deux derniers jugements aient t rendus en dehors de la
priode initialement dtermine pour cette tude, ils ont t inclus dans la
prsente analyse qui porte donc sur huit jugements rendus entre 1997 et
2009. Cette analyse du statut accord par des juges une diffrence
normative convoye par des prceptes issus de socits de culture
islamique ou de la religion musulmane montre un traitement fort
diffrent dont on ne sait sil faut en dduire une incohrence des juges ou
une plasticit de la loi.
III. Internormativit, interlgalit de fait
Au Canada, comme dans toute autre socit existent des formes
dinternormativit non codifies par des lois tatiques, notamment dans le
domaine familial. Une rconciliation de normes juridiques distantes peut
tre tente en facilit[ant] les conditions de migration internormative
entre les diffrents ressorts 38. Ainsi, selon la Loi sur le divorce de 2002,
les tribunaux anglais peuvent exiger la dissolution du mariage religieux
avant daccorder un divorce civil. En 1990, au Canada, sous pression de
rabbins, dONG et de groupes fminins juifs, un ajout similaire a t fait
dans la Loi sur le divorce : un tribunal peut suspendre des procdures de
divorce entre judaques tant que lpoux na pas accord le divorce
religieux (get)39. Une clause similaire existe en Ontario dans la Loi sur le
droit de la famille40. la suite dune dcision de la Cour suprme en
200741, un homme a t condamn verser 50 000 $ de dommages son
ex-pouse pour ne pas avoir respect son contrat daccorder le divorce
religieux et davoir gard la femme enchane (agunot) durant quinze
ans, lempchant de se remarier religieusement et davoir des enfants. Des
amendements similaires seraient inutiles dans le cas des femmes
38 Roderick A Macdonald et Alexandra Popovici, Le catchisme de lislamophobie dans
Myriam Jzquel, dir, La justice lpreuve de la diversit culturelle : Actes du Sixime
Symphosium de la Chaire de recherche du Canada en tudes qubcoises et
canadiennes, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2007, 19 la p 49.
39 Loi sur le divorce, LRC 1985, c 3 (2e supp), art 21.1.
40 LRO 1990, c F3, art 56(5).
41 Bruker c Markovitz, 2007 CSC 54, [2007] 3 RCS 607.
1070 (2011) 56:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
musulmanes et reprsenteraient mme un recul de leurs droits, car elles
disposent du droit de divorcer sans laccord dautrui42.
Il existe dautres formes dinternormativit de fait. En raison du statut
priv de la vie familiale dans les systmes politiques occidentaux et de la
capacit des individus de recourir divers systmes normatifs et
dinventer des pratiques, il coexiste, au sein dune socit, des codes
normatifs diffrents. Par exemple,
ladoption est une pratique
intrafamiliale frquente dans nombre de socits o elle prend des formes
diffrentes selon les systmes de parent en vigueur et demeure souvent
rgle de manire prive. Les migrs de pays du Sud recourent peu aux
tribunaux tatiques pour demander une reconnaissance juridique de cette
pratique en raison du traitement souvent ngatif de leur demande.
La prfrence des Musulmans, comme dautres personnes, pour une
sanction religieuse ou coutumire lors de la rsolution de conflits
familiaux se traduit par leur recours la fois des tribunaux tatiques et
des instances de mdiation islamique43. En Europe et en Amrique du
Nord, certains recourent une instance darbitrage religieux pour valider
un divorce et un tribunal tatique pour rgler des conflits affrents au
divorce (partage du patrimoine, garde des enfants)44. En Ontario, depuis
2006, date de modification de trois lois sur la famille, les dcisions
dinstances darbitrage religieux sont lgales si les imams, rabbins et
autres autorits religieuses rendant des dcisions ont suivi une formation
en droit canadien. Ces instances rpondent essentiellement aux requtes
de femmes demandant un divorce religieux refus par leur poux (deux
cents cas environ par anne en Ontario)45. lchelle canadienne, il existe
trois instances formalises de mdiation ismalienne et une instance de
mdiation ad hoc dans chaque mosque importante (mille fidles et plus).
Au Royaume-Uni, on dsigne lusage dinstances darbitrage religieux
et de tribunaux privs par le terme dAngrezi Sharia (sharia anglaise).
Menski et Yilmaz ont montr comment les musulmans britanniques ont
incorpor des rgles de la loi anglaise dans leurs pratiques coutumires,
42 L Clarke et P Cross, Muslim and Canadian Family Laws: A Comparative Primer, To-
ronto, Canadian Council of Muslim Women, 2006.
43 Ronald Inglehart, dir, Islam, Gender, Culture, and Democracy: Findings from the World
Values Survey and the European Values Survey, Willowdale (Ont), Sitter Publications,
2003.
44 Pour diverses interprtations dans le contexte canadien, voir supra note 15.
45 Christopher Cutting, Problematizing Public and Private Spheres: Ongoing Faith-
Based Practices in Ontario Family Law , Confrence prsente lors de la rencontre an-
nuelle de lAmerican Academy of Religion Association, Montral, 8 novembre 2009 [non
publie]. Des instances similaires ne sont pas autorises au Qubec.
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1071
notamment en matire de divorce46. Dautres auteurs ont comment cette
pratique qui permet des immigrs de ne pas renoncer leur tradition et
de construire un ordre juridique nouveau. Au Royaume-Uni o vivent
prs de trois millions de musulmans, existent pour le moins quatre-vingts
cinq instances darbitrage islamique. Souvent nommes erronment
tribunaux islamiques puisque des imams et non des juges y rendent
dcision, elles sont presque toujours rattaches une mosque et une
cole religieuse particulire (Hanafi, Maliki, Shafii et Hanbali). Certaines
sont trs actives. LIslamic Shariah Council, sis Londres, a trait sept
milles plaintes de 1982 2009-201047. Cependant, seules les dcisions du
Muslim Arbitration Tribunal48 ont valeur lgale, sauf en matire de
divorce civil. Cette instance, prsente dans les zones de concentration des
rsidents de culture musulmane, dispose de bureaux Birmingham,
Manchester, Bradford, Nuneaton et Londres. Autre usage49, des migrs
de Turquie au Royaume-Uni amnagent le mariage arrang en se
mariant trois fois : religieusement sans consommer le mariage pour se
connatre, civilement en enregistrant leur mariage avec les autorits
tatiques et socialement par une rception.
Au Canada anglais, il y a un accord entre avocats musulmans, imams
et ONGs musulmanes, selon lequel en matire de partage des biens
familiaux lors dun divorce ou dun hritage, des parts gales sont alloues
aux femmes et hommes comme le veut la loi canadienne. Ce nest pas la
rgle patriarcale et islamique dune moiti de part aux femmes (vu leur
non-contribution au budget
familial) qui trouve application. En
Allemagne, larticle 13 de la Charte islamique du Conseil des Musulmans
46 David Pearl et Werner Menski, Muslim Family Law, 3e d, Londres, Sweet & Maxwell,
1998 la p 75. Ihsan Yilmaz, Muslim Laws, Politics and Society in Modern Nation
States: Dynamic Legal Pluralisms in England, Turkey and Pakistan, Aldershot (R-
U), Ashgate, 2005.
47 Islamic Sharia Council, en ligne : Islamic Sharia Council
48 Trois autres instances darbitrage islamique importantes sont : Bh am Muslim Family
Support Service Shariah Council Birmingham, Muslim Law Shariah Council Lon-
dres Ouest, Shariah Court of the UK Londres Nord.
49 Ihsan Yilmaz, Law as Chameleon: The Question of Incorporation of Muslim Personal
Law into English Law (2001) 21 : 2 Journal of Muslim Minority Affairs 297 ; Samia
Bano, Complexity, Difference and Muslim Personal Law : Rethinking the Relationship
between Shariah Councils and South Asian Muslim Women in Britain, thse de doc-
torat en droit, University of Warwick, 2004 [non publie, archive au Warwick Research
Archive Portal, en ligne : WRAP
1072 (2011) 56:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
dAllemagne50 stipule que linterprtation locale de la loi islamique signifie
le respect des lois allemandes sur le mariage et les successions51.
IV. Des dossiers de kaflah au Qubec
Il existe dans les lgislations occidentales deux formes juridiques
dadoption : ladoption simple qui ne rompt pas la filiation biologique et
ladoption plnire qui la rompt dfinitivement et instaure le secret des
origines dans certaines juridictions, dont le Qubec. Ladoption est
prohibe dans les pays musulmans en vertu de deux versets coraniques52.
Cette interdiction sexplique par le fait que ladoption contrevient au
principe de base du systme de parent agnatique en usage dans ces
socits, par exemple une filiation fonde sur un lien du sang, et aux
rgles successorales53. Cependant il existe trois exceptions : lIndonsie, la
Turquie et la Tunisie54.
Lors de son tmoignage propos dun enfant cachemiri recueilli sa
naissance par la sur de son pre et son conjoint, immigr en 2008 au
Royaume-Uni et retir lge de quatre ans de sa nouvelle famille par un
travailleur social au nom de la lutte contre le trafic denfants55, Werner
Menski, un anthropologue reconnu des lgislations dAfrique et dAsie du
Sud56, explique :
36. The traditional Islamic prohibition against adoption is simply
based on a refusal by traditional Islamic scholars (which is in turn
based on Islamic textual sources, including the Quran, specifically in
50 Conseil Suprieur des Musulmans dAllemagne (ZMD), Charte islamique : Dclaration
de principe concernant les relations des musulmans avec ltat et la socit, 2002, en
ligne: Conseil Suprieur des Musulmans dAllemagne (ZMD)
51 Mathias Rohe, Sharia in an European Context dans Ralph Grillo et al, dir, Legal
Practice and Cultural Diversity, Surrey (R-U), Ashgate, 2009, 93.
52 Sourate 33, Verset 4 : Il [Allah] na pas fait […] que vos fils adoptifs soient comme vos
propres fils . Sourate 33, Verset 5 : Appelez les (vos fils adoptifs) du (nom) de leurs
pres, cela est plus juste auprs dAllh. […] (Coran, traduit par E Monter, Genve la
p 530).
53 A Canac, Rflexions , supra note 36. Voir aussi Hadjira Bencheikh Hocine Dennouni,
La Garde : un attribut de la maternit en droit algrien (1986) 38 : 3 RIDC 897.
54 Loi n 1958-0027, supra note 37. La Tunisie reconnat ainsi ladoption et la kaflah.
Selon lart 3 (ibid), La tutelle officieuse est lacte par lequel une personne majeure
jouissant de la pleine capacit civile, ou un organisme dassistance, prend sa charge
un enfant mineur dont il assure la garde et subvient ses besoins .
55 Le couple et lenfant sont musulmans et tous trois citoyens pakistanais. Le retrait de
lenfant fut port devant les tribunaux et la kaflah reconnue valide lgalement comme
une garde (custody). Lenfant fut restitu au couple.
56 Werner Menski, Comparative Law in a Global Context: The Legal Systems of Asia and
Africa, 2e d, Cambridge, Cambridge University Press, 2008.
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1073
verses 33.4-5 and 33.37) to accept the legal fiction of an adoption,
whereby a childs bloodline is deemed to be transferred from the birth
parents to the adoptive parents. The classical Muslim law clearly
lays heavy emphasis on purity of blood and on legitimacy and this is
most relevant in relation to property law matters. Naturally, this
prohibition against adoption affects boys, in particular, and has po-
tentially huge implications in succession law, a major field of Islamic
jurisprudence […].
37. However, the general position in Islamic law as outlined above
does not mean that adoption is totally prohibited or unknown among
Muslims. De facto arrangements have always existed as a result of
various local customs across the Muslim world. The solution found
in Muslim societies is not termed adoption but is then rather
called fosterage or some form of family arrangement for transfer-
ring the custody of a child.
38. There is thus a risk that when relevant foreign terms are trans-
lated into English as adoption , by persons who may not be famil-
iar with fine legal distinctions of such technical terms, we associate
with this term the same consequences as in English law. That as-
sumption would be quite faulty, since the transfer of a Muslim childs
custody results in Muslim law in a concept akin to Special Guardi-
anship , as it is now known officially in English law, but not in a
full-fledged adoption which assumes also a change of bloodline.
59. With reference to the present case, there are apparently just three
verses in the Quran that touch on the topic of adoption. There are
some scholars, as Pearl and Menski (1998: 408) point out, who argue
that these relevant verses do not actually prohibit adoption. What
these verses reject is merely the full legal fiction that a persons blood-
line could be effectively changed by adoption.
60. The most relevant verses are found in book 33, verses 4-5 (The
Koran. Translated with an introduction by Arthur J. Arberry, Ox-
ford: Oxford University Press, 1982, p. 427) :
33.4. God has not assigned to any man two hearts
within his breast ; […] neither has He made your adopted
sons your sons in fact. That is your own saying, the words of
your mouths ; but God speaks the truth, and guides on the
way.
33.5. Call them after their true fathers, that is more equi-
table in the sight of God. If you know not who their fathers
were, then they are your brothers in religion, and your cli-
ents .
61. The only other location in the Quran is 33.37, which mentions
the issue of touching the wives of adopted sons. This is less clear and
1074 (2011) 56:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
more to be read, probably, as an indication that adoption did actu-
ally exist than that it is prohibited altogether57.
Vu ces prceptes, deux pratiques sont suivies quand des enfants sont
abandonns, orphelins ou trs pauvres, ou encore quand un couple est
sans enfant. Lune, rapporte par Menski ci-dessus, consiste en un accord
familial, souvent dfini par les femmes et selon lequel un enfant est donn
en garde un membre de la famille ayant un lien de parent par le sang
avec lun ou les deux parents. Cette pratique signifie le transfert de la
responsabilit de lenfant lapparent en cause et dans nombre de
socits elle est une obligation : on doit donner un enfant un parent qui
ne peut pas en avoir. Dans le cas du Pakistan, Menski commente cette
pratique :
53. In Azad Kashmir, even more than in Pakistan itself, it is not ab-
solutely necessary to go to a formal Court to bring about the transfer
of parental responsibility. A family arrangement within the realm of
local custom and in line with or at least not openly contradicting
Islamic principles suffices to bring about legal validity. The
documents that I have been shown therefore document a legally valid
transfer of parental authority within a Muslim extended family in
Pakistan/Azad Kashmir that took place in the non-state law realm
as a matter of fact.
57. In my view, as already indicated in paragraph 53 above, these
documents are sufficient evidence to confirm that a de facto adoption
of a newly born child known as Anas within this Muslim family took
place with effect from 26 December 200558.
Une autre pratique plus formalise est un recueil lgal (kaflah)
accord par un juge ou un notaire un recueillant musulman (kafil59),
apparent ou non, lequel assumera lducation de lenfant (makfoul) et
pourra lui faire dons et legs. En France, o sont reconnues ladoption
simple et ladoption plnire, la Garde des Sceaux a dfini la pratique
comme une forme de protection de lenfant, qui permet son ducation et
sa prise en charge matrielle durant sa minorit, par une famille
musulmane 60. Menski rappelle combien ce qui est dnomm intrt
suprieur de lenfant dans les lgislations occidentales et dans les
conventions internationales est pris en compte lors dune dcision de
kaflah. Il cite lexemple pakistanais :
57 Werner Menski, Expert Report. Re: Mohammed Anas: De facto adoption in Azad
Kashmir , 16 octobre 2009 aux para 36-38, 59-60 [non publi].
58 Ibid aux para 53, 57.
59 Le pluriel de kaflah est kufala avec une barre horizontale au-dessus du dernier
a . Les claviers occidentaux ne permettent pas dinscrire ce signe. Le terme de
recueillants comme quivalent de kufala est aussi souvent utilis.
60 Rp min n 3703, Snat, JO, 21 aot 2008, 1698.
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1075
Section 17 of the 1890 Guardians and Wards Act provides in this re-
gard:
17. Matters to be considered by the Court in appointing guardian :
(1) In appointing or declaring the guardian of a minor, the Court
shall, subject to the provisions of this section, be guided by what, con-
sistently with the law to which the minor is subject, appears in the
circumstances to be for the welfare of the minor.
(2) In considering what will be for the welfare of the minor, the Court
shall have regard to the age, sex and religion of the minor, the char-
acter and capacity of the proposed guardian and his nearness of kin
to the minor, the wishes, if any, of a deceased parent, and any exist-
ing or previous relations of the proposed guardian with the minor or
his property.
(3) If the minor is old enough to form an intelligent preference, the
Court may consider that prfrence 61.
Au Qubec, des personnes dclares recueillants dun enfant par une
autorit judiciaire dun pays musulman demandent aux tribunaux
daccorder le statut denfant adopt lenfant. Elles dsirent le faire
immigrer et/ou lui assurer un statut juridique stable, percevoir les
bnfices sociaux accords aux parents et organiser la gestion de leurs
biens (hritage). Ce sont des immigrs de longue date, devenus citoyens
canadiens, des natifs canadiens-franais convertis, qui sont alls recueillir
un enfant au Maroc ou encore des migrs rcents, dont certains sont
arrivs au Qubec avec un enfant sous kaflah. Des neuf enfants
concerns, sept enfants rsident au Qubec et sont sous tutelle de leur
kafil. Les modalits dimmigration de ces enfants sont parfois difficiles
lucider.
Larticle 14 de lAccord Canada-Qubec relatif limmigration et
ladmission temporaire des aubains de fvrier 1991, connu sous
lappellation dAccord Gagnon-Tremblay-McDougall, prvoit que
le
gouvernement canadien tablit seul les critres de slection pour les
immigrants appartenant la catgorie de la famille et, le cas chant,
[que] le Qubec est responsable de leur application aux immigrants de
cette catgorie destination de la province 62. La liste des personnes
relevant de la catgorie du regroupement familial, telle que dfinie par les
61 Menski, supra note 56 au para 46. Au para 52 de ce mme document, lauteur rapporte
lopposition des juges du Cachemire sous jurisdiction pakistanaise, rgion aussi appele
Azad Jammu and Kashmir (AJK) : AJK Courts have been saying, for example, that
they are not willing to consider relevant cases from the Pakistani jurisdiction which
would show that Pakistani courts place the welfare of a child above the traditional Is-
lamic presumption of the Muslim fathers superior right of custody (ibid au para 52).
62 Accord Canada-Qubec relatif limmigration et ladmission temporaire des aubains,
Qubec, 5 fvrier 1991, art 14.
1076 (2011) 56:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
autorits fdrales, est incluse dans larticle 19 du Rglement sur la
slection des ressortissants trangers du Qubec qui lapplique aux
demandes de parrainage prsentes sur son territoire :
19. La catgorie du regroupement familial dsigne un ressortissant
tranger qui, par rapport un rsidant du Qubec, est :
a) son poux, conjoint de fait ou partenaire conjugal ;
b) son enfant charge ;
c) son pre, sa mre, son grand-pre ou sa grand-mre ;
d) son frre, sa soeur, son neveu, sa nice, son petit-fils ou sa petite-
fille, orphelin de pre et de mre et g de moins de 18 ans qui nest
pas mari ou conjoint de fait ;
e) (paragraphe abrog) ;
f) une personne mineure qui nest pas marie que ce rsidant du
Qubec a lintention dadopter et quil peut adopter en vertu des lois
du Qubec ;
[…] [nos italiques]63.
la
lgislation
Selon larticle 24.1 de ce mme Rglement, tout rsident dsirant adopter
lenfant quil demande de parrainer doit produire une dclaration du
ministre de la Sant et des Services sociaux attestant que celui-ci na pas
de motif dopposition ladoption de lenfant.
En somme,
fdrale et qubcoise en matire
dimmigration ne reconnat pas les enfants sous rgime de kaflah comme
des enfants charge et les rend inligibles au parrainage. Elle ne
reconnat pas non plus les enfants sous tutelle comme des enfants
charge. Nanmoins, des enfants sous kaflah ont t admis au Qubec
dans deux cas dexception. Un enfant64 a immigr en 2002 en suivant une
63 Rglement sur la slection des ressortissants trangers, RRQ, c I-0.2, r 4, art 19. Au sens
de larticle 1(1)(d.1) du Rglement sur la slection des ressortissants trangers (ibid),
lexpression enfant charge signifie :
il est g de moins de 22 ans et n’est pas mari ou conjoint de fait ;
i.
ii. il est un tudiant qui n’a pas cess de dpendre, pour l’essentiel, du
soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents compter de la date o il
atteint l’ge de 22 ans ou il est devenu, avant cet ge, un poux ou un
conjoint de fait et il n’a pas cess d’tre inscrit un tablissement
d’enseignement postsecondaire agr par les autorits gouvernementales
comptentes et de frquenter celui-ci en y suivant activement temps plein
des cours de formation gnrale, thorique ou professionnelle ;
iii. il est g de 22 ans ou plus et il n’a pas cess de dpendre, pour
l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents compter de
la date o il a atteint l’ge de 22 ans ;
64 Adoption (En matire d), 2006 QCCQ 8524, [2006] RJQ 2286 (CQ).
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1077
procdure interne spciale rendue publique dans la note sur les
procdures dimmigration numro 2008-14, laquelle permet aux enfants
sous kaflah faisant partie de la famille de fait dun candidat
limmigration permanente dtre admis avec son kafil si celui-ci satisfait
certaines conditions65. Un enfant66 a bnfici dun projet pilote du
ministre de la Sant et des Services sociaux, responsable du Secrtariat
ladoption internationale, qui autorisa, jusquen 2005, limmigration
denfants sous tutelle. Quinze enfants sous kaflah ont t admis au titre
de ce projet67. Limmigration de cinq enfants sous rgime de kaflah
prononce au Maroc demeure inexplique.
V. La rgle de ladoption plnire au Qubec
Au Qubec, sous linfluence des juridictions de common law qui ne
reconnaissent que ladoption plnire, ladoption rompt le lien de filiation
entre lenfant et sa famille dorigine et tablit le secret sur les origines
sous rserve des empchements de mariage ou dunion civile. Lenfant
adopt change de nom et a les mmes droits et obligations que lenfant de
filiation par le sang68.
Ladoption est rgie par le Code civil du Qubec et la Loi sur la
protection de la jeunesse69. Il existe deux rgimes selon le lieu de domicile
de lenfant aux fins dadoption : ladoption interne, lorsque ladopt est
domicili au Qubec, et ladoption internationale, lorsquil existe un
lment dextranit, cest–dire quand lenfant est domicili ltranger.
Dans le cas dun enfant domicili au Qubec, les tapes sont les
suivantes : (1) Consentement des parents ladoption de lenfant ou
dclaration dadmissibilit de lenfant ladoption par le Directeur de la
Protection de la Jeunesse (DPJ) qui devient tuteur de lenfant ; (2)
Ordonnance de placement de lenfant par le tribunal chez les adoptants
durant six mois (trois mois dans certains cas dexception) pour voir si
65 Ministre de lImmigration et des Communauts culturelles, Direction des politiques,
des programmes et de la promotion de limmigration : Service-conseil aux candidats
limmigration. Note sur les procdures dimmigration, Traitement des demandes visant
des enfants sous tutelle (KAFALA), NPI no 2008-014, 19 dcembre 2008, en ligne :
Publications du Qubec
des demandes]. Nous navons pu savoir quelle date cette procdure interne a
commenc tre applique.
66 ZZE (Dans la situation de), [2006] RDF 193, [2005] JQ no 8332 (CQ) [ZZE].
67 Les informations sur limmigration des enfants cits ci-dessus nous ont t transmises
par des responsables du ministre de lImmigration et des Communauts culturelles du
Qubec et par des avocats des parties.
68 Art 577-578 CcQ.
69 Art 543-584 CcQ ; Loi sur la protection de la jeunesse, LRQ c P-34.1, art 71-71.15.
1078 (2011) 56:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
ladaptation se droule bien et dclaration par le tribunal de tutelle aux
adoptants ou autre personne ; (3) la fin de la priode de probation, une
requte en adoption est dpose ; (4) Jugement dadoption par le
tribunal70.
Dans le cas dun enfant non domicili au Qubec, la procdure sera
diffrente si le pays dorigine de lenfant est partie ou non la Convention
sur la protection des enfants et la coopration en matire dadoption
internationale ratifie par le Canada en 2004 et intgre au droit
qubcois71. Le Maroc, lAlgrie et le Pakistan, les pays impliqus dans les
dcisions rpertories, ne sont pas parties la Convention de La Haye72.
Cest pourquoi nous ne prsenterons que la procdure concernant les
enfants originaires de pays non-parties.
Ladoption dun enfant originaire dun pays non-partie la Convention
de La Haye peut tre prononce ltranger ou au Qubec selon ce que
prvoit la loi du pays dorigine de lenfant. Dans les deux cas, depuis 2004,
les dmarches doivent tre effectues par un organisme agr par le
ministre de la Sant et des Services sociaux moins quun arrt
ministriel ne prvoie autre chose73. Si la loi trangre prvoit que le
jugement dadoption doit tre prononc au Qubec, ladoptant devra
dposer une demande dordonnance de placement conjointement avec le
DPJ74. Cette ordonnance peut exceptionnellement tre prononce si le
requrant ne satisfait pas aux articles 563 et 564 CcQ, sil existe des
motifs srieux ou si lintrt de lenfant le commande75. En plus des
conditions de base prvues au Code civil du Qubec qui requiert que
ladoptant soit domicili au Qubec, quil soit majeur, quil ait au moins
dix-huit ans de diffrence avec ladopt et quil se soit soumis une
valuation psychosociale, le tribunal devra sassurer que les rgles
70 Art 551 et s CcQ ; Loi sur la protection de la jeunesse, supra note 69, art 71 et s.
71 Convention sur la protection des enfants et la coopration en matire dadoption
internationale, 29 mai 1993, RT Can 1997 no 12 [Convention de La Haye] ; Loi assurant
la mise en uvre de la Convention sur la protection des enfants et la coopration en
matire dadoption internationale, LRQ c M-35.1.3.
72 Notons par ailleurs que le Maroc et lAlgrie ont sign la Convention relative aux droits
de lenfant, 20 novembre 1989, 1577 RTNU 3, RT Can 1992 no 3 (entre en vigueur : 2
septembre 1990 ; ratification par le Canada : 13 dcembre 1991 avec approbation des
provinces). Le Maroc a sign cette convention avec une rserve sur le droit de lenfant
la libert de religion. Pour la liste des tats parties, voir tat prsent, en ligne : HCCH
73 Art 564 CcQ.
74 Alain Roy, Le droit de ladoption au Qubec, Montral, Wilson & Lafleur, 2006 la p 99.
75 Art 568, al 3 CcQ.
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1079
prescrites par le droit tranger sont respectes76. En particulier, le
tribunal devra vrifier si un consentement en vue dune adoption qui a
pour effet de rompre le lien prexistant de filiation entre lenfant et sa
famille dorigine 77 a t donn par les parents de lenfant. Le Code civil
du Qubec prvoit ensuite qu la fin dun dlai de six mois, le requrant
et le DPJ pourront dposer une requte en adoption et, le cas chant, un
jugement dadoption pourra tre rendu par le tribunal78.
Si le droit tranger prvoit que le jugement dadoption doit tre rendu
dans le pays dorigine de lenfant, la dcision dadoption devra faire lobjet
dune reconnaissance judiciaire au Qubec79. En plus de vrifier les
conditions de bases mentionnes prcdemment, le tribunal devra
sassurer que le consentement ladoption de lenfant a t donn en vue
dune adoption qui a pour effet de rompre le lien prexistant de filiation
entre lenfant et sa famille dorigine 80. La reconnaissance judiciaire peut,
pour des motifs srieux et si lintrt de lenfant le commande, tre
accorde mme si ladoptant ne sest pas conform aux dispositions des
articles 563 et 564 du CcQ81. La reconnaissance accorde, le jugement
dadoption prend plein effet au Qubec.
ces rgles en matire dadoption interne et internationale sajoute
larticle 3092 du CcQ qui figure au chapitre X sur le droit international
priv et qui trouve application lorsquun lment dextranit existe, par
exemple le domicile tranger de lenfant ou de ses parents biologiques. Cet
article prvoit que le consentement des parents et ladmissibilit de
lenfant ladoption sont rgis par la loi du domicile de lenfant tandis que
leffet de ladoption, tel que la rupture ou non de la filiation, relve de la
loi du domicile de ladoptant.
Dans les dossiers de kaflah soumis aux tribunaux qubcois entre
1997 et 2009, les requrants sont tous des rsidents permanents au
Qubec82, parfois des citoyens canadiens. Ils ont suivi deux stratgies dans
le but dadopter des enfants qui leur avaient t confis sous kaflah : (1)
demander la reconnaissance dune kaflah prononce ltranger titre
dadoption83 ; et (2) demander lassimilation de la kaflah une tutelle84
76 Art 546-547, 563 CcQ ; Roy, supra note 74 la p 99.
77 Art 568, al 1 CcQ.
78 Art 566 CcQ ; Roy, supra note 74 la p 102.
79 Art 565 CcQ ; Roy, supra note 74 la p 103.
80 Art 568, al 1, 574, al 1 CcQ ; Roy, supra note 74 la p 105.
81 Roy, ibid la p 105.
82 Selon 3147 CcQ, la cour serait aussi comptente si seul lenfant en cause rsidait au
Qubec.
83 ZZE, supra note 66 ; Adoption 08581, 2008 QCCQ 14414, [2008] JQ no 16340.
1080 (2011) 56:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
ou une ordonnance de placement85 en vue, dans les deux cas,
dentreprendre un processus dadoption interne.
La seconde stratgie repose sur largument voulant que lenfant sous
kaflah ait chang de domicile, soit parce quil est sous tutelle, soit parce
quil est entr au pays selon un des rgimes dexception en matire
dimmigration expliqus prcdemment. Advenant quun tribunal conclut
que lenfant est domicili au Qubec, le rgime dadoption interne
sappliquerait. Par consquent,
larticle 3092 CcQ, qui prescrit
lapplication de la loi trangre au consentement ladoption, ne
sappliquerait plus et ladoption denfants par des recueillants musulmans
en serait favorise.
Comme ladoption et la kaflah sont des institutions distinctes, cette
stratgie, tout comme la premire, semble a priori voue lchec. Comme
nous le verrons dailleurs, largument du changement de domicile de
lenfant a t rejet, car il aurait permis de contourner le rgime
dadoption internationale. En effet, au vu des explications donnes ci-
dessus sur le rgime de la kaflah, de larticle 20 de la Convention
internationale relative aux droits de lenfant qui dfinit la kaflah comme
un moyen de protection de lenfant diffrent de ladoption, et au vu des
rgles du Code civil du Qubec sur le respect des rgles de la loi trangre
relatives au consentement et ladmissibilit de lenfant ladoption, il
semble impossible de faire produire la kaflah les mmes effets quune
adoption. Le Secrtariat ladoption internationale indique dailleurs aux
futurs adoptants que, puisque la loi trangre doit tre prise en compte, il
est impossible dadopter des enfants originaires de pays prohibant
ladoption, quils soient ou non viss par une kafala 86. Nanmoins, dans
les cas tudis, des juges ont prononc ladoption denfants, parfois selon
des raisonnements
juridiques peu convaincants. Ils ont souhait
rgulariser la situation denfants sans statut clair et stable.
Pourtant, lorsquelle reconnat une dcision trangre en matire
dadoption, la cour doit sassurer que celle-ci cre un nouveau lien de
filiation. Comme le fait dailleurs remarquer le juge Damour dans lune
des causes tudies, le lgislateur a modifi le Code civil du Qubec en
1993 afin dexiger du tribunal saisi quil sassure que ce jugement a pour
84 A c Qubec (PG), 2007 QCCS 2087, [2007] RDF 528 (CS) [A c Qc].
85 CC (Re), [1998] JQ no 4179 (CQ) (QL), inf par [2000] RJQ 2252, [2000] RDF 624 (CA)
[CC (Re) (CQ)] ; ABM (Dans la situation d), [2002] RJQ 1161, [2002] RDF 475 (CQ)
[ABM] ; Adoption (En matire d), supra note 64.
86 Ministre de la sant et des services sociaux, Secrtariat ladoption internationale,
Kafala et adoption (5 juin 2010), en ligne : Secrtariat ladoption internationale
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1081
effet, en vertu de la loi trangre, de crer un lien de filiation 87. Une
autre modification, ayant eu lieu en 1987, cre lobligation pour les
adoptants de faire approuver leur projet avant de se rendre ltranger
et, de ce fait, viter que des situations juridiques sans issue soient cres
ou que le droit des enfants soit mis en pril 88.
VI. Respect contrast de la diffrence de norme
En fonction du droit international priv qui participe des principes de
rciprocit entre tats et qui veut assurer aux individus une stabilit et
une prvisibilit de leur statut personnel, le sens et la fonction dune
institution ou dune loi trangre doivent tre respects. Aussi, les juges
ne peuvent contourner le statut juridique des personnes, mariage, divorce
et filiation, dans les pays dorigine ou au Canada. Une protection doit en
effet tre accorde qui a organis sa vie en fonction dun systme
juridique et se retrouve vivre sous un autre systme. Mais se posent les
questions de la compatibilit des systmes juridiques en prsence et de la
comptence du juge. Comme nous lavons vu en matire de statut
personnel au Canada et au Qubec, la rgle de la loi du domicile
sapplique plutt que celle de la citoyennet, souvent suivie en Europe
continentale, ou que celle du domicile ou de la citoyennet suivie au
Royaume-Uni.
Lors dune demande de reconnaissance au Canada dune adoption
prononce ltranger, si le pays du demandeur a sign la Convention sur
la protection des enfants et la coopration en matire dadoption
internationale, larticle 565 CcQ prvoit que la dcision dadoption certifie
conforme la Convention est reconnue de plein droit par traitement
administratif. Or, les pays musulmans ne sont pas signataires de cette
convention et seule reste ouverte la voie judiciaire pour qui veut faire
produire des effets juridiques une kaflah.
87 Loi modifiant le Code civil et dautres dispositions lgislatives concernant ladoption, LQ
1983, c 50, art 4. La loi visait, selon des notes explicatives du juge Oscar dAmours,
amliorer la scurit juridique des adoptants et des adopts en clarifiant les rgles de
droit applicables en matire dadoption internationale, voir Droit de la famille 2954,
[1998] RJQ 1317 la p 1320, [1998] RDF 380 (CQ) [DF 2954] ; Carmen Lavalle,
La Convention sur la protection des enfants et la coopration en matire dadoption
internationale et sa mise en oeuvre en droit qubcois (2005) 35 : 2 RDUS 355 la p
371. En ce qui concerne la premire loi qubcoise en matire dadoption, voir Loi
concernant ladoption, SQ 1923-1924, c 75.
88 DF 2954, supra note 87 la p 1321 ; Loi concernant ladoption et modifiant la Loi sur
la protection de la jeunesse, le Code civil du Qubec et le Code de procdure civile, LQ
1987, c 44, art 1 [Loi concernant ladoption (1987)].
1082 (2011) 56:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
A. Respect de la coutume trangre
Dans ABM, le juge Crte interprte le droit pakistanais comme
permettant aux parents de consentir ce que leur enfant soit confi des
personnes qui entendent obtenir une adoption ltranger. Pour ce faire,
le juge doit cependant sen remettre la coutume et non uniquement loi.
Il doit statuer sur une requte dordonnance de placement en vue dune
adoption interne. La requrante dsire adopter un enfant avec son
conjoint. Lenfant est son neveu maternel et vit avec le couple au Qubec
depuis deux ans. La requrante dpose une demande dordonnance de
placement laquelle le DPJ sobjecte pour les raisons suivantes : le
domicile de lenfant aux fins dadoption est le Pakistan, lequel interdit
ladoption ; le jugement rendu au Pakistan en est un de garde
(guardianship) ; le consentement spcial nexiste quau Qubec, do la
ncessit dune demande conjointe des requrants et du DPJ ainsi que
dun recours au Secrtariat ladoption internationale89.
Pour tablir quaucune loi nautorise ladoption au Pakistan, le
Procureur gnral dpose en preuve une expertise et un document du
Haut Commissariat du Pakistan. Lexpert,
le professeur Khaleel
Mohammed de lUniversit Brandeis, expose ceci :
29.1. […] Adoption is not allowed in Pakistan to Muslims […]. Paki-
stan however allows for guardianship under the Guardians and
Wards Acts of 1890.
29.2. Pakistan will recognize laws of a foreign country but within its
own border, the Family Court of Pakistan will allow adoption […] to
Christian parents […].
29.3. The Pakistani court will only issue a permit for guardianship to
Muslims in keeping with the letter of the law, although tribal custom
will interpret such guardianship to be a parent-child relationship
[…]90.
Il poursuit en ajoutant ceci :
In 1999 visas were allowed for wards to accompany their guardians
to the United States, where adoption proceedings were [sic] unde-
taken and granted. Pakistan recognizes these rulings91.
Le sens du terme adoption selon la loi de ltat amricain non identifi
dans lextrait nest pas prcis.
La requrante et son conjoint prsentent six documents produits au
Pakistan. Elle sest vue confier la tutelle de lenfant par sa sur en vertu
89 ABM, supra note 85 au para 8.
90 Ibid au para 29.
91 Ibid au para 30.
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1083
dun jugement rendu le 25 mai 1998 qui la dsigne guardian to the
person of the minor 92. Par affidavit, la mre lui a donn la garde de
lenfant ( hand over the custody ) et la autorise lemmener son
adresse au Qubec ou tout autre endroit 93. Cette garde pour
toujours et cette autorisation ont t confirmes par les deux parents en
une dclaration officielle devant notaire public et deux tmoins le 15 avril
1998 ainsi que par un Deed of adoption sign par les deux parents et la
requrante le 28 avril 199894.
Le juge fait siennes certaines des conclusions de la Cour dappel qui,
dans un jugement rendu en 2000, qui sera tudi ci-aprs, retient quon
ne peut invoquer le domicile actuel de lenfant pour surseoir aux rgles
trangres relatives au consentement et ladmissibilit de lenfant
ladoption et quon doit distinguer les rgles relatives au consentement
ladoption, qui sont soumises au droit tranger (Pakistan), des effets de
ladoption qui sont ceux du Qubec95.
la suite du dpt de ces documents et des deux expertises, le juge
Crte conclut que les parents biologiques ont donn un consentement
clair ladoption de leur fils par les requrants. Il retient aussi quil
existe une coutume pakistanaise
qui fait en sorte que si des musulmans obtiennent un jugement de
Tutelle , un consentement ladoption et une permission de sortir
lenfant du pays, ils pourront par la suite obtenir un jugement
dadoption dans un autre pays et le Pakistan le reconnatra96.
En ce qui concerne ce dernier point, le juge se rfre une dcision du
juge dAmours dans laquelle ce dernier reconnat que le droit tranger, en
matire de consentement, peut comprendre la coutume97. Considrant ce
qui prcde, le juge Crte conclut que lenfant est admissible ladoption.
La cour commente toutefois le Deed of adoption prsent par les
requrants et qui mentionne que lenfant pourra hriter de ses parents
biologiques :
[C]eci naffecte en rien la validit du consentement et ne le limite
certainement pas. Cette clause ne vise que les effets de ladoption.
Elle ne restreint daucune faon ladoption elle-mme. Au contraire,
92 Ibid aux para 13, 24.
93 Ibid.
94 Ibid aux para 13, 18, 20.
95 Ibid aux para 16 ; Droit de la famille 3403, [2000] RJQ 2252 aux para 51, 60-61,
[2000] RDF 624 (CA) [DF 3403].
96 ABM, supra note 85 aux para 34.
97 Ibid aux para 34, 37 ; Droit de la famille 2906, [1998] RDF 370, [1997] JQ no 5760
(CQ) [DF 2906].
1084 (2011) 56:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
elle permet lenfant de pouvoir hriter de ses parents mme sil a
t adopt. On pourrait aller jusqu suggrer au lgislateur
qubcois damender le Code civil du Qubec pour permettre ces
enfants adopts dhriter de leurs parents, le cas chant. a ne peut
tre que dans leur intrt. Actuellement au Qubec, pour arriver
cette mme fin, il faut que les parents procdent par testament98.
Le juge prcise que si les requrants avaient dpos une demande de
reconnaissance de kaflah comme adoption au sens du droit qubcois, il
se serait vu contraint de la refuser puisque la loi pakistanaise ne permet
pas une rupture du lien de filiation biologique. Mais les requrants ont
demand dapprcier un consentement ladoption et ladmissibilit
de lenfant ladoption selon les rgles, la coutume ou le processus
habituel qui existe au Pakistan 99. Au nom de la coutume pakistanaise
cite par lexpert, le juge considre le cas comme une demande dadoption
denfant tranger formule au Qubec et relevant dun consentement
spcial au sens de larticle 555 CcQ. Il commande la poursuite des
procdures dadoption, soit laudition pour ordonnance de placement.
Cette dcision a retenu lattention de la doctrine, notamment celle du
professeur Goldstein. Selon ce dernier, linterprtation large du terme loi,
compris larticle 3092 CcQ, est lun des lments essentiels dune
solution favorable ladoption internationale 100.
B. Cration de catgories et ses limites
Au Royaume-Uni, en 2002, une notion juridique a t introduite dans
le Adoptions and Children Act pour reconnatre la spcificit de la
kaflah, soit la notion de special guardianship101 (garde lgale).
LAllemagne a aussi cr une catgorie hybride dadoption permettant de
donner place la kaflah102. Tel na pas t le cas au Qubec. Aussi,
comme nous le verrons ci-aprs, certains
juges ont-ils tent de
comprendre cette institution en la rapprochant dune notion reconnue en
droit interne.
En 2007, deux requrants demandent la reconnaissance et lexcution
au Qubec de deux dcisions manant dun tribunal marocain, soit une
98 ABM, supra note 85 au para 19.
99 Ibid au para 41.
100 Grald Goldstein, Chronique de droit international priv 2002 (2002) 15 : 2 RQDI
57 la p 62 ; Jeffrey A Talpis, Laccommodement raisonnable en droit international
priv qubcois, Montral, Thmis, 2009 aux pp 38-39.
101 Adoptions and Children Act 2002 (R-U), 2002, c 38, art 115. En Inde, cela ne fut pas fait
pour ladoption selon le Code de la famille applicable aux hindous.
102 Isabelle Lammerant, Ladoption et les droits de lhomme en droit compar, Bruxelles,
LGDJ, 2001 la p 274.
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1085
ordonnance de kaflah et une autorisation damener lenfant au Qubec.
Les requrants ont la double citoyennet, canadienne et marocaine, se
sont maris en 1989 et rsident au Canada depuis 1976 et 1989. Lenfant
est n au Maroc en 2005 et vit dans un orphelinat. En dcembre 2005, il
est reconnu comme abandonn de ses parents par le tribunal de premire
instance de Bni-Mellal. En octobre 2006, le mme tribunal attribue la
prise en charge de lenfant (kaflah) aux deux requrants et les autorise
lemmener leur domicile au Qubec pour quil y rside de manire
permanente hors du Maroc. En fvrier 2007, les autorits marocaines
nomment les requrants tuteurs de lenfant. Le requrant confie alors
lenfant son beau-frre et entame des dmarches au Maroc (changement
de nom de lenfant et obtention de passeports aux deux noms de lenfant)
et au Canada. Il sadresse au ministre de la Citoyennet et de
lImmigration, au Secrtariat ladoption et au Service de ladoption des
Centres Jeunesse afin de permettre lentre sur le territoire qubcois de
lenfant103.
Dans son jugement en date du 4 mai 2007, la juge Julien souligne que
le but recherch par les requrants serait une modification artificielle du
domicile de lenfant afin de le soumettre la loi qubcoise et de favoriser
une adoption plnire au Qubec104. Cependant, elle opre un
rapprochement entre le droit qubcois et le droit marocain en retenant
dabord que les difficults rencontres par les requrants ne signifient pas
que la kaflah ne doit pas tre reconnue linstar dun jugement de
garde ou de tutelle et en avanant que la kafala prononce au Maroc
dans le respect des rgles de la loi marocaine serait proche de ladoption
au sens de la loi qubcoise 105. Elle dclare excutoires les ordonnances
mises par le tribunal marocain, leur donnant plein effet au Qubec et
rendant possible la venue de lenfant au Qubec. Elle fait de la kaflah un
rgime particulier avec effets sui generis, effets quelle ne prcise pas :
Cette reconnaissance [de jugements marocains] ne soustrait pas A, B
et X des dmarches ncessaires un ventuel projet dadoption ou
lentre de X au Canada […].
Le statut de X est clairement modifi par lattribution de la Kafala
A. Un lien a t cr. Ce lien sappellera une prise en charge, une
tutelle, une garde lgale ou une adoption par analogie notre propre
rgime tel quentendu par la Cour dappel. Ce lien ainsi cr, nest
pas en soi contraire lordre public106.
103 Adoption 08581, supra note 83 aux para 16-18, 20-22 ; MS c Qubec (PG), 2009
QCCS 3790 au para 7, [2009] RDF 644 [MS].
104 A c Qc, supra note 84 au para 3.
105 Ibid aux para 43, 59.
106 Ibid aux para 35-36.
1086 (2011) 56:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
La juge ne prcise pas les effets de sa reconnaissance des ordonnances
marocaines sur les processus dimmigration et dadoption de lenfant,
effets qui demeurent imprcis. Le DPJ avait soulev deux questions : un
tribunal qubcois peut-il reconnatre et demander lexcution de
dcisions marocaines, dont un
jugement de kaflah ? Cela ne
contreviendrait-il pas aux mcanismes dimmigration et dadoption
existants et ne constituerait-il pas une fraude la loi ? Un rgime de
kaflah serait-il contraire lordre public107 ? La juge Julien refuse ces
arguments, car
la requte ne concerne pas une demande de
reconnaissance de kaflah titre dadoption, mais une reconnaissance
titre de tutelle. Par ailleurs, il ne saurait y avoir fraude, car le requrant
ne sest jamais cach de ses projets et nest pas de mauvaise foi.
la suite de cette dcision, les requrants multiplient les recours en
matire dimmigration et dadoption. En 2008, ils se voient refuser une
reconnaissance de kaflah au titre d adoption par la Cour du Qubec108.
En septembre 2007, ils reoivent acceptation par Citoyennet et
Immigration Canada dune demande de parrainage de lenfant, puis un
rejet de cette demande, le 25 septembre 2007, par la Direction de
limmigration familiale et humanitaire du Qubec pour le motif que
lenfant nest pas un membre de la catgorie du regroupement familial109.
En octobre 2007, ils portent cette dcision du ministre de lImmigration
et des Communauts culturelles devant le Tribunal administratif du
Qubec (TAQ) et, devant la dcision ngative de celui-ci, dposent une
requte en rvision judiciaire devant la Cour suprieure110.
Comme le rapporte la juge Julien, le 14 mai 2008, les requrants
dposent une demande dordonnance de placement de lenfant devant la
Cour du Qubec111. La juge Proulx de la Cour du Qubec a rejet la
requte, mais la Cour dappel a ensuite infirm cette dcision112. Le 15 mai
2008,
les parties se voient refuser une demande de rvision
administrative dune dcision du ministre de lImmigration et des
Communauts culturelles jugeant que lenfant nest pas dans une
situation de dtresse (ce qui aurait permis de le faire immigrer mme sil
ne satisfaisait pas toutes les conditions du regroupement familial). la
suite de ce rejet par le juge Chrtien, ils prsentent une deuxime
107 Art 3155(5) CcQ.
108 Adoption 08581, supra note 83.
109 MS, supra note 103 aux para 25-26.
110 Ibid au para 42.
111 Ibid au para 43.
112 Adoption 10100, 2010 QCCQ 10528, [2010] RDF 797, inf par Adoption 11117,
2011 QCCA 1129, [2011] JQ no 7589.
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1087
demande de rvision judiciaire que la juge Roy juge irrecevable en raison
du dlai coul depuis la dcision et du fait que le requrant, titre de
tuteur de lenfant, ntait pas reprsent par avocat113. En 2009, ils
demandent la reconnaissance de lordonnance no 63/08 du 9 novembre
2008 mise par un juge charg des affaires des mineurs au tribunal de
premire instance de Bni-Mellal, au Maroc, leffet dautoriser le DPJ
rgulariser la situation de lenfant. Cette dernire procdure fait lobjet
dun jugement, rendu le 13 juillet 2009, par la juge Julien. Elle fait
rfrence aux lments de preuve de son jugement de mai 2007 :
[L]a kafala [constitue] une action humanitaire consistant
accueillir un enfant indigent dans le but de lduquer, de soccuper
de lui matriellement et moralement comme sil sagissait de lun de
ses propres fils sans que cela produise des effets sur sa filiation
lgitime si elle existe
[…]
Au moment du Jugement, les parties admettaient que la Kafala
est une institution structure, encadre, scurise de protection de
lenfant114.
La juge sintresse ensuite aux effets potentiellement discriminatoires
de la loi dimmigration qubcoise, et ce, bien quelle ne puisse dclarer
cette loi invalide puisque le Procureur gnral na pas t avis quune
question constitutionnelle serait souleve. Ladite loi mentionne, au titre
des personnes ligibles au regroupement familial, les enfants charge et
les personnes ges de moins de dix-huit ans. Le rpondant respecte
toutes les conditions sauf une : les autorits comptentes du pays de
destination nont pas dclar par crit quelles ne sopposaient pas
ladoption. Comme dans tout cas dadoption denfants domicilis dans des
pays musulmans, la question du consentement des parents biologiques
la rupture de filiation reprsente un obstacle. La juge prsente la
jurisprudence de la Commission de limmigration et du statut de rfugi
(fdrale) en la matire et la solution apporte en France. Selon une
dcision de la Cour de cassation franaise, les rsidents peuvent adopter
un enfant sous kaflah la condition que le reprsentant du mineur ait
donn son consentement en pleine connaissance des effets attachs par la
loi franaise ladoption 115. La juge Julien conclut quil sagit de dcider :
si les diffrentes ordonnances reconnues par la Cour suprieure,
incluant lordonnance 63/08 du 19 novembre 2008, suffisent
113 MS, supra note 103 au para 28.
114 Ibid aux para 9, 11.
115 Ibid au para 65.
1088 (2011) 56:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
prouver le consentement requis par larticle 568 C.c.Q ou si le
consentement donn par les tuteurs suffit116.
Elle ne partage pas le point de vue du Procureur Gnral leffet que
lordonnance marocaine est contraire lordre public. Elle la rend
excutoire, car le document ne fait que constater que, selon les autorits
marocaines, la rsidence de lenfant pris en charge est au Qubec et
ncessite sa rgularisation dans ce pays117. Elle ne se prononce pas sur les
effets de sa dcision et il faudra attendre pour voir comment cette dcision
pourra tre utilise par dautres instances.
La Cour dappel, dans sa dcision, a ordonn le placement de lenfant
en vue de son adoption, dclar ce dernier enfant charge et confirm
lautorit parentale des parties. Selon la Cour dappel, le jugement de
kaflah, dont la rvocation semblait improbable, a pour effet de confier
aux requrants la tutelle de lenfant. Bien quau Maroc, il ne soit pas
possible de consentir une adoption qui rompt la filiation, la cour estime
que [c]est une erreur de faire un absolu de cette disposition fonde sur
un prcepte religieux 118. Essentiellement, se rfrant longuement aux
propos tenus par la juge Julien, la Cour dappel retient quil faut donner
effet aux dcisions marocaines qui ont t reconnues et dclares
excutoires par la Cour suprieure119. Elle a en outre soulign que le
tribunal tranger avait autoris la poursuite des procdures introduites
au Qubec en vue de rgulariser la situation de lenfant120. Pour la Cour
dappel, ce cas trs particulier ne relve dailleurs pas tout fait dune
adoption internationale. Les requrants ont plutt effectu des dmarches
parallles :
Lorsque les Parents se sont adresss aux tribunaux marocains, ils
exeraient un droit affrent leur citoyennet marocaine, un droit
que ne possde pas le simple citoyen canadien. Un droit diffrent de
celui reconnu aux personnes domicilies au Qubec dadopter un
enfant tranger, mais seulement aux conditions et selon les
modalits du Code civil, dont celle de faire reconnatre au Qubec
ladoption prononce dans un autre pays121.
116 Ibid au para 68
117 Ibid aux para 36-41.
118 Adoption 11117, 2011 QCCA 1129 au para 78.
119 Ibid, au para 79 ; MS, supra note 103 aux para 54-61.
120 Adoption 11117, supra note 118 aux para 68-76.
121 Ibid au para 81.
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1089
Afin dviter que les parties de demeurent dans une situation qui parat
contraire au droit de la personne, la Cour dappel a donc fait preuve de
souplesse dans linterprtation du Code civil122.
C. Respect strict de la loi trangre
Dans CC (Re) (CQ), la dcision rendue par la cour conduit plutt au
strict respect de la loi trangre et de ses effets. Cette affaire concerne un
couple de convertis qui a recueilli quatre enfants selon des dcisions de
kaflah rendues au Maroc entre 1989 et 1997. Ils ont t dclars tuteurs
des enfants par la Cour suprieure en 1997 et ont pu changer le nom
(musulman) des enfants. Ces derniers vivent avec eux au Qubec et deux
sont citoyens canadiens. Le couple dpose auprs du DPJ une requte
pour ordonnance de placement des quatre enfants en vue de leur
adoption. La requte est considre irrecevable par le DPJ qui allgue :
labsence de qualits des requrants pour intenter seuls une telle
procdure. Il serait […] contraire lordre public dutiliser un acte
juridique afin de contourner les dispositions lgales qubcoises et
ainsi carter lapplication des rgles particulires aux matires
dadoption dun enfant tranger123.
Daprs le DPJ, le consentement donn en lespce par le tuteur est
gnral et non spcial. Il doit par consquent tre reu par le DPJ qui
pourra dclarer lenfant admissible ladoption124. Par ailleurs, les enfants
ayant t domicilis au Maroc au moment de la dcision de kaflah, il
sagit dune adoption internationale et non dune adoption interne.
Ladoption au sens reconnu par la lgislation qubcoise nexiste pas
au Maroc. Les autorits marocaines ne peuvent ni ne souhaitent
prononcer dadoption denfants marocains. Les enfants sont confis
des cautions adultes qui acceptent den prendre soin pour une
priode indtermine.
[…]
Le changement de domicile des enfants compter du jugement de
tutelle qubcois naurait pas dimpact en matire dadoption.
Associer un nouveau domicile qubcois aux enfants pour permettre
aux requrants de contourner les dispositions prvues par la loi
qubcoise au sujet des enfants originalement domicilis hors
Qubec autoriserait de faire indirectement ce que la loi ne permet
pas de faire directement.
122 Ibid au para 88.
123 CC (Re) (CQ), supra note 85 au para 4. Considrant quils nont pas de lien de filiation
avec lenfant, en vertu de larticle 825 Cpc, ils doivent demander ladmissibilit de
ladoption au DPJ.
124 CC (Re) (CQ), supra note 85 au para 5.
1090 (2011) 56:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
[…]
Le directeur souligne galement le risque de voir se multiplier le
nombre de telles procdures de nomination de tuteur aux fins de
contournement des
lois applicables aux adoptions denfants
domicilis hors du Qubec125.
Les requrants mentionnent que larticle 80 CcQ attribue aux enfants
le domicile de leur tuteur et avancent que les rgles applicables au
consentement et ladmissibilit ladoption devraient tre celles du
domicile du tuteur126. Ils prtendent en outre que :
La procdure devrait tre la servante du droit et ne saurait
empcher les requrants dobtenir lgard des enfants qui leur ont
t confis un jugement dadoption crant en leur faveur un nouveau
lien de filiation.
Les requrants nacceptent pas que la dcision du tuteur des enfants
de consentir leurs adoptions puissent permettre au directeur de
recevoir ce consentement et de confier les enfants aux personnes
quil jugera en mesure den assumer la garde sa discrtion127.
Lavis dune juriste marocaine cite lors dune cause juge en 1993 est
rapport :
Kafala . Ceci peut se traduire par caution ou cautionnement
ou encore remise en garde.
Il faut constater que lon est loin de la notion dadoption plnire […].
Au Maroc, cette notion de Kafala peut tre assimile ladoption
simple dans la mesure o lenfant adopt lest uniquement en
surface , cest–dire sans aucune des consquences juridiques
dcoulant de la filiation lgitime.
[…] Ladoption dans son sens prcis et littral fait de ladopt lenfant
naturel et lgitime de celui qui ladopte […]. Or, cette sorte
dadoption est interdite par le droit musulman et abolie par le code
du statut personnel marocain128.
En ce qui concerne le domicile des enfants, le juge Gravel conclut que :
Permettre aux requrants de court-circuiter la notion de domicile
des enfants ns hors Qubec, en leur attribuant un domicile
qubcois en fonction de la tutelle […] est contraire lesprit du
125 Ibid aux para 9, 11, 13.
126 Ibid aux para 19.
127 Ibid aux para 22-23.
128 Droit de la famille 1904, [1994] RDF 167 aux para 37-38, [1993] JQ no 2811 (CQ), tel
que cit dans CC (Re) (CQ), supra note 85 aux para 24-25 [DF 1904].
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1091
lgislateur qubcois qui nous demande de prendre en compte la
comptence des autorits trangres en matire de filiation129.
Le juge Gravel refuse par consquent la demande de placement, car le
domicile des enfants aux fins dadoption est le Maroc et les conditions
rgissant ladoption dun enfant domicili hors Qubec nont pas t
respectes. En 2000, la Cour dappel infirme toutefois cette dcision pour
des motifs exposs dans une section ultrieure de cet article130.
Dans une cause plus rcente, un couple demande la reconnaissance
comme adoption dune kaflah prononce en Algrie. Il se voit opposer un
refus au nom dune diffrence de nature des deux institutions et de
limpossibilit de les assimiler. La juge Durant-Brault expose que :
[L]enfant tait domicili en Algrie et la loi du pays dorigine a t
clairement porte la connaissance du tribunal. Il en appert que,
sous peine dillogisme ou de contradiction flagrante, le tribunal se
trouve dans limpossibilit de reconnatre ce qui serait contraire la
loi trangre soit une adoption, quelle que soit la porte de la
procdure de recueil appele Kafala131.
Le dossier est le suivant. Lenfant Z…E. est n en Algrie en 2003 de
parents inconnus. Il a t confi aux requrants le 10 mars 2004 par un
tribunal algrien. Les requrants le font venir au Qubec grce au projet-
pilote du ministre de la Sant et des Services sociaux qui autorise
pendant un temps limmigration denfants sous tutelle au Qubec. [Par]
lettre date du 2 juillet 2004 adresse au ministre des Relations avec les
Citoyens et de lImmigration du Qubec […]. Elle [le Secrtariat
ladoption internationale] atteste que ces dernierss ont rempli toutes les
conditions requises par la loi qubcoise […] 132 et lenfant est admis en
rsidence permanente au Canada le 12 mars 2005. Par lettre du 18 mai
2005, le Secrtariat enjoint les requrants de prsenter une requte en
reconnaissance du jugement de tutelle (kaflah) rendu en Algrie.
Les requrants saisissent plutt le tribunal dune requte de
reconnaissance dun jugement de kaflah comme jugement dadoption. Ils
produisent toute pice utile, notamment lacte de leur mariage Alger en
octobre 1990, lacte de naissance de lenfant en Algrie, lvaluation
psychosociale, une attestation provenant de la Direction de la Wilaya de
Tipaza, alors tutrice dlgue des enfants, qui certifie que lenfant a t
abandonn dfinitivement par la mre biologique et plac en Kafala
chez des requrants domicilis Montral, Qubec ainsi quun Acte de
129 CC (Re) (CQ), supra note 85 au para 39.
130 Voir la partie VII.B, ci-dessous.
131 ZZE, supra note 66 au para 66.
132 Ibid au para 12.
1092 (2011) 56:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
recueil lgal (kaflah), identifi tort par le traducteur comme un Acte
dadoption . Dans ce document, les requrants se sont engags
subvenir, sur leurs fonds propres ses besoins essentiels, le loger, le
nourrir, le vtir, lduquer, le soigner et favoriser toute action pour
promouvoir son bien-tre 133. Les requrants dposent aussi un document
traduit de larabe, dat du 14 avril 2004 et octroyant lenfant leur nom
de famille :
[L]a procureure des requrants a fait valoir que, mme sil est juste
de dire que la dcision judiciaire prononce en Algrie en conformit
avec sa loi ne constitue pas un jugement en adoption, il y a lieu de
reconnatre lActe de recueil lgal accord par le tribunal de H. le 10
mars 2004 comme quivalant une adoption tant donn les
consquences quil emporte, soit la prise en charge complte et
dfinitive de lenfant, des devoirs assimilables aux devoirs parentaux
ainsi que le changement de nom obtenu ensuite par une demande
lautorit gouvernementale comptente134.
Le DPJ conteste le bien-fond de la procdure pour plusieurs raisons
dont lune centrale : le tribunal ne peut reconnatre une adoption qui, du
propre aveu des requrants, nen est pas une 135. Le tribunal entend les
reprsentations des requrants :
Notamment, les requrants, de confession musulmane, nous ont
reprsent par la voix de leur procureure et coreligionnaire que,
dans le pays dorigine de lenfant, les lois religieuses consacres par
les lois civiles elles-mmes ne permettent pas de reconnatre lenfant
n hors mariage. Par consquent, lenfant n dans un tel contexte
(cest le cas de notre sujet) se voit confi la Direction de laction
lgale, agissant comme tuteur des enfants assists (pice R-9),
laquelle voit inscrire lenfant dans les registres publics sous un
nom quelle choisit mais sans aucune mention de lidentit des
parents biologiques. Cest dire que lacte de naissance initial, ici
produit sous R-4, natteste daucun lien de filiation et ne mentionne
aucun nom au titre du pre ou de la mre136.
Cependant, la juge refuse de considrer la kaflah comme un quivalent
fonctionnel dune adoption plnire pour deux raisons. Premirement,
lenfant na jamais t adopt puisque, dans les documents soumis la
cour, on ne retrouve aucune dcision ou procdure crant un lien de
filiation entre lenfant et les requrants. Deuximement, la preuve
dmontre que le droit algrien prohibe ladoption plnire. La juge
conseille aux requrants de poursuivre les dmarches afin que lenfant
133 Ibid aux para 5-6, 9.
134 Ibid au para 16.
135 Ibid au para 17.
136 Ibid au para 30.
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1093
soit dclar admissible ladoption plnire au Qubec puisquil a t
abandonn la naissance et na pas de filiation137 et quil a lgalement son
domicile aux fins de son adoption au Qubec.
Dans un autre cas de requte visant faire reconnatre une kaflah
titre dadoption , encore une fois conteste par le PG et le DPJ, le juge
Proulx suit le mme raisonnement. la suite dun jugement rendu par la
juge Julien en mai 2007 donnant un effet la kaflah comme rgime de
parent particulier138,
les requrants prsentent une requte en
reconnaissance dun jugement dadoption le 6 septembre 2007. Le 25
septembre 2007, un avis de dnonciation de la mise en cause [DPJ] de
moyens de non recevabilit pour cause de chose juge et pour absence de
fondement juridique est dpos 139. Le requrant plaide, entre autres,
que :
– aux fins dune adoption, on doit appliquer le droit du domicile de
lenfant, soit le droit marocain
– au Maroc, les dmarches effectues par lui et la loi en vigueur ne
rompent pas le lien de filiation
– suivant la dcision de la Cour dappel, la Kafala est prs du rgime
dadoption au Qubec140.
Le PG et le DPJ sopposent aux conclusions recherches par le
requrant. La procureure du DPJ rappelle lobligation dune valuation
psychologique, de dmarches […] effectues par un organisme agr ou
seul avec le support du ministre 141 et que le requrant na pas produit
de preuve du droit tranger […] ou encore dmontr quil y ait rupture du
lien de filiation 142. Elle prcise encore quaucune preuve na t prsente
de lintrt de lenfant tre adopt et
que les dispositions relatives ladoption sont de lordre public et que
par consquent, un jugement en reconnaissance ne peut tre
prononc que si les conditions prvues sont rigoureusement
respectes. Faire autrement, dit-elle, serait de faire primer lintrt
de lenfant sur les conditions de ladoption prvues [sic] le
lgislateur143.
137 Larticle 559 CcQ permet de dclarer admissible ladoption un enfant de plus de trois
mois, sans filiation maternelle, ni paternelle.
138 A c Qc, supra note 84.
139 Adoption 08581, supra note 83 au para 3.
140 Ibid au para 27.
141 Ibid au para 28.
142 Ibid au para 29.
143 Ibid au para 32.
1094 (2011) 56:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
Elle prtend enfin que les dispositions de larticle 574 CcQ ont t
modifies aprs la dcision de la Cour dappel et que maintenant, il y est
ajout que les consentements doivent avoir t donns en vue dune
adoption et de rompre le lien de filiation 144.
Selon le juge Proulx, la preuve dmontre […] que le requrant a
assum tous les cots relis lenfant depuis sa prise en charge. Il se rend
au Maroc rgulirement pour voir lenfant 145. Le juge rappelle une
rgle absolue soit que toute dcision concernant lenfant soit prise dans
son intrt et le respect de ses droits , mais sans que cet intrt prime
sur lapplication des dispositions lgislatives 146. Il ajoute que la preuve
ne permet pas non plus de dfinir o se situe le meilleur intrt de cet
enfant [qui] ne sait toujours pas que les donneurs de soins ne sont pas ses
vritables parents et […] qui volue en milieu marocain dans une socit
laquelle il appartient 147. Le tribunal souligne quil est de lobligation du
requrant de produire la Loi trangre devant la cour afin que celle-ci
puisse tre value et W soumise au contre-interrogatoire des
parties 148, ce que ce dernier na pas fait laissant place lapplication du
droit qubcois. Le tribunal souligne aussi qu il est impossible de
conclure sur limpact des dcisions marocaines dposes lgard du lien
de filiation de lenfant avec ses parents biologiques 149. Aux yeux du juge
Proulx, on ne peut conclure que les consentements donns conformment
la loi marocaine lont t en vue dune rupture de filiation. Il expose sa
dcision :
Le recours prsent par le requrant en est un en reconnaissance
dun jugement dadoption. La Cour considre quil a failli
dmontrer que la dcision rendue par les tribunaux marocains est de
nature dune adoption et respecter les termes et exigences de la loi
qubcoise. Par consquent, la Cour doit rejeter les prtentions des
requrants150.
La cour, cependant, rserve aux parties tout autre recours relatif
ladoption.
144 Ibid au para 33.
145 Ibid au para 25.
146 Ibid aux para 34-35.
147 Ibid au para 37.
148 Ibid au para 44.
149 Ibid au para 40.
150 Ibid au para 54.
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1095
D. Analogie entre institutions trangres et du for
Lide danalogie entre pratiques, par exemple quune rpudiation
gale un divorce, une dot une donation ou pension alimentaire, peut tre
suivie par des juges. En Amrique latine, lors de rsolution de conflits
autochtones, on utilise lexpression justicia intercultural151 pour dsigner
la recherche de lquivalent de notions et normes fondamentales du droit
positif, sans sen tenir des principes de justice marqus culturellement,
comme les droits individuels et lgalit des sexes. Par exemple, en cas de
crime, la conception autochtone rfre une rupture de la paix dans la
communaut et non une faute ou une culpabilit individuelle. Le type
de rsolution du conflit nest donc pas lamende ou lemprisonnement,
mais la restauration de lharmonie par un rituel et lassignation dune
tche. Pareillement, la notion dquit procdurale ou de justice naturelle
peut tre rendue par la notion dabsence dabus dautorit et darbitraire.
Et des principes universels transculturels peuvent tre le droit vie,
linterdiction desclavage et de torture, et la lgalit des procdures, des
dlits et des peines.
Aux Pays-Bas, depuis 2002, le ministre des Affaires sociales assimile
kaflah et famille daccueil sil est prouv que les parents biologiques
(demeurs ltranger souvent) ne participent pas lducation des
enfants152. Dans les cas de divorce, le contrat de mariage musulman, qui
inclut le paiement dun maher et le rgime de sparation des biens des
poux, est souvent reconnu comme un contrat priv et le paiement du
maher ordonn.
Au Qubec nous ne trouvons aucun cas o un raisonnement par
analogie aurait permis le respect de la spcificit de linstitution trangre
quest une kaflah. Mais, existe-t-il dans le droit civil qubcois une
institution permettant de tenir compte du rgime de kaflah ? Assimiler
kaflah et famille daccueil ne rsoudrait pas limpossibilit des
recueillants de faire immigrer les enfants dont ils sont responsables, ni
celle de les adopter selon le droit qubcois. La tutelle ne semble pas plus
pertinente, et ce, pour deux raisons. Les enfants sous tutelle ne sont pas
ligibles au parrainage et ne peuvent immigrer au Qubec. Ils ne sont pas
admissibles une adoption plnire si le pays de leur domicile refuse la
rupture de la filiation biologique.
151 Francisco Colom Gonzlez, Justicia intercultural. El pluralismo jurdico y el potencial
de la hermenutica normativa (2009) 33 RIFP 7.
152 Andr J Hoekema, Does the Dutch Judiciay Pluralize Domestic Law ?, dans Grillo et
al, dir, Legal Practice and Cultural Diversity, Surrey (R-U), Ashgate, 2009, 177 la p
181.
1096 (2011) 56:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
Limpossibilit de reconnatre la pratique de parent de la kaflah
comme une adoption au sens du droit qubcois cre un cueil. Les juges
ne peuvent pas rpondre aux vux des requrants, des vux qui
semblent pourtant lgitimes aux yeux de la plupart des juges.
VII. Effacement de la diffrence ou cration de nouvelles normes ?
Comme nous lavons vu, des requrants tuteurs denfant sous kaflah
plaident que le domicile de lenfant est au Qubec. Ils cherchent viter
les effets du domicile de lenfant ltranger qui rendent la loi trangre
seule applicable aux conditions dadoption. En vertu de larticle 80 CcQ, le
domicile dun enfant mineur est celui de son tuteur. En principe, si le
tuteur a son domicile au Qubec, lenfant peut devenir objet dune
adoption interne. En effet, pour quun enfant soit admissible une
adoption interne, il faut le consentement de ses parents ou, en cas de
dcs de ceux-ci, consentement du tuteur ou, si impossibilit de
consentement des parents ou du tuteur, mission dune dclaration
judiciaire dadmissibilit ladoption. On voit toutefois que ce mcanisme
ne permet pas deffacer tout lment dextranit, car le consentement des
parents, sils ne sont pas dcds, demeure ncessaire ou, dans le cas dun
enfant abandonn, une dclaration judiciaire dadmissibilit ladoption
est requise.
A. Oblitrer llment dextranit
Dans une affaire juge en 2006, des parties convainquent une juge
quil y a changement de domicile la suite de leur tutelle dun enfant et
que lapplication de la loi trangre peut tre vince153. Alors quelles
taient domicilies en Algrie, les parties ont obtenu une dcision de
recueil (kaflah) concernant un enfant n en 1995. En 2002, elles
migrent au Qubec avec lenfant154 et dposent une requte dordonnance
de placement en vue de ladopter. Le DPJ soppose la requte, car selon
la loi algrienne lenfant nest pas admissible adoption.
La juge Bernier admet largument. Elle conclut que dans le cas dune
personne domicilie en Algrie qui y obtient une kaflah et migre
lgalement au Qubec avec lenfant, il y a un changement effectif de
domicile et la demande dadoption relve de ladoption interne155. Les
153 Adoption (En matire d), supra note 64.
154 Selon la procdure prvue dans Traitement des demandes (supra note 65), il est prve
quun enfant sous kaflah rpondant certains critres peut immigrer avec ses parents
de fait.
155 Adoption (En matire d), supra note 64 au para 44.
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1097
requrants et lenfant ont eu le mme domicile en Algrie et au Qubec et
aucun lment dextranit ne justifie lapplication des rgles de droit
international. Comme le fait remarquer la juge Bernier, les requrants
taient domicilis en Algrie au moment de la dcision de kaflah, ils ont
suivi les lois applicables dans ce pays et nont pas essay de contourner la
loi algrienne et qubcoise. Tout soupon de fraude la loi, notamment
dimmigration, et tout soupon de trafic sont carter156. Au nom de
labsence dextranit, la cour accde la demande des requrants et
dclare que ladmissibilit ladoption de lenfant doit tre tudie en
fonction des rgles applicables une adoption interne157.
La juge contourne-t-elle le sens du domicile donn par larticle 3092
CcQ aux fins dadoption ? Les faits particuliers de cette affaire
permettent-ils de retenir une solution qui se distingue de celle retenue par
les autres juges en matire de kaflah, notamment la Cour dappel ? De
plus, la Cour ne sinterroge pas sur la ncessit dobtenir le consentement
des parents ou une dclaration atteste dabandon de lenfant, questions
qui ne pourront qutre souleves un
jour. Or, comme montr
prcdemment, lexamen du droit algrien rvlera en principe que les
parents ne peuvent consentir une adoption plnire, une institution non
reconnue dans ce pays, et que lenfant ne peut davantage tre dclar
admissible ladoption par les autorits algriennes. Mais le droit
algrien interdit-il quun enfant soit adopt dans un pays autre que
lAlgrie ?
De fait, cette dcision de la cour semble contrevenir la Convention de
La Haye qui exige le consentement des parents pour toute adoption
brisant le lien de filiation avec leur enfant. La Convention de la Haye
prvoit que ltat dorigine doit stre assur :
1) que les personnes, institutions et autorits dont le consentement
est requis pour ladoption ont t entoures des conseils ncessaires
et dment informes sur les consquences de leur consentement, en
particulier sur le maintien ou la rupture, en raison dune adoption,
des liens de droit entre lenfant et sa famille dorigine ;
2) que celles-ci ont donn librement leur consentement dans les
formes lgales requises, et que ce consentement a t donn ou
constat par crit ;
3) que les consentements nont pas t obtenus moyennant paiement
ou contrepartie daucune sorte et quils nont pas t retirs, et
156 Ibid aux para 50-56.
157 Ibid aux para 70-71.
1098 (2011) 56:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
4) que le consentement de la mre, sil est requis, na t donn
quaprs la naissance de lenfant ; […] [nos italiques]158.
Selon la Convention de la Haye, la reconnaissance de ladoption
comporte celle du nouveau lien de filiation. Si ltat daccueil exige une
adoption plnire, larticle 26(1)(c) prvoit que le lien prexistant de
filiation est alors rompu. Lorsque, dans ltat dorigine o ladoption a t
prononce, ladoption nest pas plnire, elle peut nanmoins tre
convertie en adoption plnire dans ltat daccueil qui reconnat
ladoption si les conditions suivantes nonces larticle 27(1) sont
runies : a) si le droit de ltat daccueil le permet ; et b) les
consentements viss larticle 4, lettre c) et d), ont t donns en vue
dune telle adoption 159. Qualifier le cas dadoption interne en vertu du
domicile de lenfant au Qubec ne clt donc pas le dossier.
B. Analogie simplificatrice et nouvelle norme ?
Dans laffaire CC (Re) (CQ) prcdemment mentionne, la Cour
dappel refuse de changer le domicile denfants sous rgime de kaflah160.
Cependant, la dtermination du domicile dun enfant aux fins dadoption
nest pas la seule tape en vue de son adoption et elle ne permet pas de
conclure la position des juges en matire de refus ou de respect dune
diffrence de norme. De fait, les juges refusent cette diffrence et tentent
dassimiler la kaflah ladoption pour lui donner effet en sol qubcois.
Le couple de natifs convertis ayant recueilli quatre enfants marocains
sous kaflah et stant vu refuser une requte pour ordonnance de
placement en vue de leur adoption porte sa cause en appel. Il plaide que :
(1) Les enfants tant maintenant domicilis au Qubec, les rgles de
ladoption denfants domicilis ltranger ne sappliquent pas ; (2) Les
autorits marocaines ont consenti au changement de domicile des enfants
en les leur confiant comme recueillants rsidant ltranger ; et (3) Selon
larticle 80 CcQ, lenfant mineur est domicili chez son tuteur161. Les
questions en litige sont nouveau : quel est le domicile des enfants aux
fins de leur adoption ? Le droit marocain invoqu pour sopposer une
procdure dadoption a-t-il t prouv ? Si oui, interdit-il de briser le lien
de filiation dorigine ou den crer un additif ?
En septembre 2000, la Cour dappel rend jugement propos dun des
enfants, jugement qui vaudra pour les trois autres. Elle casse la dcision
158 Convention de La Haye, supra note 71, art 4.
159 Ibid, art 27(1).
160 CC (Re) (CQ), supra note 85.
161 Ibid au para 40.
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1099
du tribunal de premire instance162, rendue par le juge Gravel, auquel elle
renvoie le dossier pour quil prononce lordonnance de placement et que le
processus dadoption se poursuive163. La Cour dappel prcise que pour
respecter les normes internationales de la Convention de La Haye, on ne
saurait invoquer le domicile actuel des enfants pour prtendre que
ladoption doive se faire en ignorant les rgles relatives ladoption
internationale 164. Cependant, selon la cour, rien dans la preuve
prsente nindique que le droit marocain interdise ladoption et la
prtention selon laquelle il ny a pas dadoption en droit musulman est
loin dtre vidente 165. Elle refuse dassimiler la kaflah la tutelle et
conclut une quivalence entre kaflah et adoption, sauf dans les effets
sur la rupture de filiation :
[I]l semble que le jugement dadoption marocain ne rompt pas le lien
de filiation dorigine pour en tablir un nouveau avec ladoptant, et
ce, pour des motifs religieux.
[…] Avec gards, la preuve au dossier tel que constitu dmontre
plutt que ce rgime est plus proche de notre droit en matire
dadoption, une exception prs : le lien de filiation avec les parents
biologiques ne serait pas rompu. Pour le reste, on constate que les
enfants sont remis aux parents adoptifs dune faon permanente,
avec tous les attributs de lautorit parentale. […] On est donc loin de
la tutelle telle que nous la connaissons et beaucoup plus prs de
notre rgime dadoption166.
Selon les juges, ce sont les effets dune dcision de kaflah en droit
marocain et dune dcision dadoption en droit qubcois qui diffrent. Ils
dtachent le consentement une kaflah de ses effets, par exemple une
impossibilit de rupture de
le
rapprochement entre kaflah et adoption plnire par le fait que le mot
adoption est utilis dans la traduction des documents lis la
kaflah167. Cette interprtation particulire et non explicite du terme
consentement et la rfrence leffet smantique dune traduction
dfectueuse effacent un des sens de la kaflah et fondent aux yeux des
juges de la Cour dappel le droit des requrants une adoption interne.
Pourtant les articles 568 et 574 CcQ et larticle 2 de la Convention de La
la filiation biologique, soulignant
162 Ibid au para 39.
163 CC (Re), [2000] RJQ 2252 (CA), [2000] RDF 624, infirmant [1998] JQ no 4179 (CQ) (QL)
[CC (Re) (CA)].
164 Ibid au para 51 ; Convention de La Haye, supra note 71.
165 CC (Re) (CA), supra note 163 au para 60.
166 Ibid aux para 60-61.
167 Ibid.
1100 (2011) 56:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
Haye rfrent un consentement ladoption qui a pour effet de rompre
le lien de filiation .
Les juges se rfrent dailleurs la dcision du juge Damour
prcdemment mentionne dans laquelle ce dernier fait mention dune
modification intervenue au Code civil en 1987 et qui a eu pour effet
dintroduire la rgle de conflit maintenant prvue larticle 3092 CcQ :
Le juge saisi des demandes de placement en vue de ladoption devait
sassurer que les rgles concernant le consentement et ladmissibilit
ladoption avaient t respectes (art. 574 C.c.Q.). Ces rgles sont
celles du droit interne marocain. Le juge toutefois navait pas se
proccuper des effets marocains de la dcision dadoption. Le
lgislateur en pareille matire a opt pour une rgle inverse de
conflit de loi au second paragraphe de 3092 C.c.Q. : Les effets de
ladoption sont soumis la loi du domicile de ladoptant .
De nouveau, le juge dAmours rsume correctement la situation
juridique :
En dautres mots, si la Cour est saisie dune demande en
reconnaissance dun jugement dadoption, elle na pas sassurer de
la similitude des effets entre les deux lois pour reconnatre le
jugement dadoption car en cette matire, le lgislateur na pas opt
pour le cumul des deux lois applicables en cette matire, mais plutt
privilgi lapplication de la loi du domicile des adoptants.
Humblement soumis,
jugement
dadoption prononc hors Qubec au fait quil ait les mmes effets
quun jugement dadoption rendu au Qubec crerait une obligation
pour la Cour que le lgislateur na pas exprime. Il faut donc en
conclure que la Cour na pas apprcier cet lment car de la
reconnaissance dcoule les effets prvus dans notre loi. Les rgles
actuelles sont donc que la Cour sassure quil sagit dune dcision en
matire dadoption, que la dcision a t rendue judiciairement, que
les rgles relatives au consentement ou ladmissibilit ladoption
de lenfant ont t respectes selon la loi de son domicile, que la
demande en reconnaissance de jugement est dans lintrt de
lenfant et, enfin, que les conditions et tapes dadoption en regard de
ladoptant ont t respectes 168.
la reconnaissance dun
lier
C. Standards ou principes interprtatifs gnraux et rgle de conflit
1. Le droit lgalit : discrimination des Musulmans et des trangers
Le droit lgalit nest pas invoqu comme argument principal pour
tenter de reconnatre la spcificit du rgime de kaflah. Par contre, il y
168 Ibid aux para 62-63, citant DF 2954, supra note 87 aux para 55-57 ; Loi concernant
ladoption (1987), supra note 88, art 15-16.
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1101
est fait rfrence dans une cause et il est invoqu en argument subsidiaire
dans une autre.
Dans MS169, cause portant sur la reconnaissance dune ordonnance
marocaine permettant la rgularisation du statut de lenfant par le DPJ,
la juge Julien examine les arguments des requrants qui considrent que
lapplication de lgislation qubcoise en matire dimmigration conduit
un rsultat discriminatoire. La lgislation leur interdit de parrainer
lenfant dont ils sont kufala170 :
[] lgard de lexercice de la tutelle ou Kafala dont il est investi,
les autorits administratives du Qubec semblent conclure que S…
ne peut amener lenfant dont il a la charge par dcisions judiciaires,
et dont lexcution au Qubec a t reconnue par le Jugement. Par
voie de consquences, cela signifie que cette tutelle ou Kafala doit
tre exerce distance seulement. Sans en dcider, compte tenu du
recours en rvision judiciaire actuellement pendant, on peut se
demander comment les tuteurs peuvent assurer la protection et
lducation de lenfant, personnellement et conformment aux
responsabilits engendres par la Kafala […], sil ne vit pas avec
eux. Ces devoirs qui leur ont t attribus par dcisions judiciaires
peuvent-ils tre dlgus des personnes nayant pas t soumises
lenqute requise par les autorits marocaines ?
Les dcisions
les autorits
administratives qubcoises signifient-elles limpossibilit pour un
citoyen du Qubec de se voir confier concrtement la tutelle dun
enfant musulman qui ne serait pas uni lui par un lien de filiation ?
les enfants dautres pays et confessions
Quen est-il pour
religieuses ? Existe-t-il un effet discriminatoire
indirect des
dispositions lgislatives applicables en lespce ?
Des questions srieuses dcoulent de ces dcisions171.
jusqu prsent par
rendues
Selon la juge, si ces effets discriminatoires ntaient pas justifis, ils
pourraient exiger un accommodement raisonnable. En effet, en ltat
actuel du droit, un Musulman rsidant au Qubec kafil dun enfant non
apparent et rest ltranger ne peut vivre avec lui. Sa libert de
religion serait restreinte et une forme de coercition culturelle lui serait
impose172 : S… pourrait plaider que cette discrimination fonde sur un
effet prjudiciable […] restreint sa libert de religion dans la mesure o [la
mesure lgislative] le dcourage rester fidle sa religion 173.
169 Supra note 103.
170 Rappelons quun enfant sous tutelle nest pas ligible au regroupement familial.
171 MS, supra note 103 aux para 33-35.
172 Ibid aux para 70-77.
173 Ibid au para 75.
1102 (2011) 56:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
Pour remdier pareille discrimination, si reconnue, la juge identifie
certaines solutions. Lexpression enfant charge , utilise dans le
Rglement sur la slection des ressortissants trangers, pourrait recevoir
une interprtation large ou bonificatrice 174 et ainsi comprendre lenfant
sous kaflah175. Le fait que lun des objectifs de la Loi sur limmigration et
le statut des rfugis soit de veiller la runification des familles au
Canada et que la Convention relative aux droits de lenfant reconnat la
kaflah comme une forme de protection de remplacement , sont des
arguments qui pourraient aussi tre invoqus176.
Dans une cause portant sur une demande dordonnance de placement,
la juge Bernier invoque subsidiairement un argument de justice qui
repose aussi sur les effets discriminatoires qui dcouleraient de
lapplication de la lgislation en matire dimmigration :
Il nous rpugnerait de croire quun enfant domicili au Qubec par
leffet des lois dimmigration serait exclu de la protection que peut lui
apporter une adoption au Qubec du seul fait quil est n dans un
pays qui linterdit. Dcider ainsi nous amnerait tablir une
discrimination lgard de ressortissants canadiens et qubcois du
seul fait quils ont dj vcu ailleurs et que, malgr limmigration, ils
devraient rester soumis aux lois de leur pays dorigine, ce qui serait
contraire aux chartes canadiennes et qubcoises des droits et
liberts de la personne et la Convention internationale des droits
de lenfant177.
Dans cette affaire, aucune rfrence nest faite par les parties une
atteinte lordre public ou une violation de la Charte canadienne178. En
sus, aucun argument lencontre des rgles de droit international priv
ou du droit tranger ne saurait exister puisque la juge a retenu que
lenfant avait son domicile au Qubec, cartant ainsi lapplication du droit
tranger. Cette rfrence la Charte canadienne rvle les motivations de
la juge de justice matrielle envers lenfant, elle ntait aucunement
mandate par le raisonnement juridique suivi. Par ailleurs, on peut
174 La juge rfre larticle suivant : Jos Woehrling, Lobligation daccommodement
raisonnable et ladaptation de la socit la diversit religieuse (1998) 43 : 2 RD
McGill 325 la p 359.
175 MS, supra note 103 aux para 78-79 ; Rglement sur la slection des ressortissants
trangers, supra note 63, art 1 (1) (d.1), 19.
176 MS, supra note 103 aux para 80-81 ; Loi sur limmigration et la protection des rfugis,
LC 2001, c 27, art3(1)(d) ; Convention relative aux droits de lenfant, supra note 72, art
20(3).
177 Adoption (En matire d), supra note 64 au para 67.
178 Charte canadienne des droits et liberts, partie I de la Loi Constitutionnelle de 1982,
constituant lannexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [Charte
canadienne].
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1103
considrer que la motivation de justice invoque est limite un univers
moral particulier et savre peu attentive lordre juridique tranger en
cause, par exemple la loi algrienne qui dfinit la justice du traitement de
lenfant dune autre manire.
2.
Intrt suprieur de lenfant versus respect du droit tranger
Tant en matire dadoption interne quinternationale, une rgle
fondamentale sapplique : le respect de lintrt suprieur de lenfant179.
Selon larticle 21 de la Convention internationale relative aux droits de
lenfant180 et selon larticle 1 de la Convention de la Haye181, lintrt
suprieur de lenfant est le fondement de ladoption. Il rfre aux facteurs
de son dveloppement optimal au plan psychique, affectif et relationnel,
dont au premier plan la qualit du lien entre lui et ses parents dorigine et
ses parents substituts au moment du prononc de ladoption182.
Alors que des parties invoquent le standard de lintrt suprieur de
lenfant, certains juges refusent cet argument. Ces juges soulignent que
larticle 543 CcQ commande que ladoption soit faite dans lintrt de
lenfant et que les conditions prvues par la loi soient respectes. Dans le
cas dune kaflah, lintrt de lenfant et le respect des institutions du
droit tranger musulman sopposent. Selon eux, lintrt de lenfant ne
devrait pas permettre de contourner les rgles de droit et le sens des
institutions trangres, pas plus que daller lencontre de la volont des
parents biologiques ou de ltat dorigine de lenfant. Aussi, selon leur
raisonnement, reconnatre la kaflah comme tutelle, puis plaider le
changement de domicile pour permettre ladoption interne de lenfant
peut-il tre qualifi de fraude la loi, comme lavancent invariablement le
DPJ et le PG du Qubec dans les causes tudies ? Il sagit non seulement
179 Soit ses besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques, son ge, sa sant, le milieu
familial. Voir Claire Bernard et Danielle Shelton, dir, Les personnes et les familles, 2e
d, t 1, Montral, Adage, 1995, module 1 la p 1 ; art 3, 543 CcQ.
180 Convention de La Haye, supra note 71 ; Convention internationale relative aux droits de
lenfant, 20 novembre 1989, 1577 RTNU 3, RT Can 1992 no 3 (entre en vigueur : 2
septembre 1990 ; ratification par le Canada : 13 dcembre 1991 avec approbation des
provinces). Cette dernire convention reconnat lenfant dici ou dailleurs le droit de
porter un nom, le droit davoir une nationalit, le droit dtre consult ou reprsent
juridiquement, le droit au respect comme personne, le droit une alimentation et un
logement appropri ses besoins, le droit des soins de sant et des services sociaux,
le droit lducation, le droit de jouer et davoir des loisirs, le droit dtre protg.
181 Supra note 71.
182 Carmen Lavalle, Pour une adoption sans rupture du lien de filiation dorigine : Dans
les juridictions de civil law et de common law (2008) 146 Informations Sociales 132
la p 133.
1104 (2011) 56:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
dun dtournement des rgles de conflits de droit international priv, mais
dune dnaturation du rgime de kaflah.
Menski ne partage nullement cet avis. Dans le cas de lenfant
cachemiri retir ses parents adoptifs au nom de trafic denfant, il
invoque lintrt suprieur de lenfant :
67. […] The de facto adoption of Anas is in my assessment fully effec-
tive in that jurisdiction and does not need to be confirmed by formal
court proceedings. There is nothing else that Mr. Mohammad Nawaz
and Mrs. Zahra Bibi [Tante paternelle de lenfant] would have had
to do under Kashmiri law to have Anas legally accepted as their
adopted son.
68. There is therefore no need for the High Court in England in a
case such as this one to be concerned about the apparent prohibition
of adoption under Islamic law. The important question would rather
be whether it would be treated as safer and more appropriate to take
steps to grant a formal adoption order under English law, or whether
it is sufficient in the present case, through application of interna-
tional law principles, to grant full legal recognition to what was done
in Azad Kashmir, manifestly in the best interests of this particular
child.
69. Finally, I must add that I am seriously concerned about the wider
policy implications of this case, as subtly referred to above in para-
graph 29. If a social work department in the UK can simply remove a
child from a Muslim family on the basis of an apparent and actu-
ally by now well-known, I should think misunderstanding about
the nature of some Islamic legal provision, in this case adoption, the
fall-out of such action in terms of community relations and govern-
ment policies of inclusion must be considered by the Court, too. Eng-
lish law cannot claim on the one hand that we wish to include people
of different backgrounds, and aim for equality, and then proceed to
ignore the best interests of certain peoples children by simply invad-
ing the privacy of a home and snatching away such peoples chil-
dren183.
Carmen Lavalle met le mme avis184. Elle fait tat des dbats
jurisprudentiels et lgislatifs en France ce propos et montre quel point
les solutions proposes sont varies. La loi franaise prvoit depuis 2001
que ladoption dun mineur tranger ne peut tre prononce si sa loi
personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est n et rside
habituellement en France 185. Le critre de la naissance ne serait pas
183 Menski, supra note 56 aux para 67-69.
184 Carmen Lavalle, Lenfant, ses familles et les institutions de ladoption : Regards sur le
droit franais et sur le droit qubcois, Montral, Wilson & Lafleur, 2005 la p 128 et s
[Lavalle, Lenfant].
185 Art 370-73 C civ.
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1105
applicable au Canada o en matire de statut personnel puisque le
facteur de rattachement est le domicile et non la citoyennet. Lavalle
critique la solution du lgislateur franais : Le texte vot se veut
respectueux des relations intertatiques, mais cette considration semble
lemporter sur lintrt concret des enfants abandonns qui nont pas eu la
chance de natre en France 186. Elle commente aussi le cas qubcois :
Il est de plus en plus vident que la mthodologie traditionnelle de
conflit de lois joue un rle minime dans le processus de ladoption
internationale qubcoise [au profit de rgles matrielles]. La
question tourne surtout autour de lopportunit de prononcer une
adoption en particulier. Lintrt de lenfant devient un critre
essentiel, mais les moyens de le faire valoir sont contests. Outre la
question du respect de la loi trangre dsigne par la rgle de
conflit, certains soutiennent quune application respectueuse de la loi
du domicile de ladopt sinscrit dans le meilleur intrt de lenfant
[…]. Dautres insistent sur le fait quil est ncessaire de favoriser
ladoption dans lintrt de lenfant187.
Dans laffaire CC (Re) (CQ), les requrants qubcois utilisent le
standard du meilleur intrt de lenfant en appui leur requte
dadoption dun enfant dont ils sont les recueillants. Ils prtendent que,
puisque lenfant rside de faon permanente au Qubec et quon reconnat
le Qubec comme domicile aux fins de lexercice de ses droits civils, il est
dans son intrt que sa situation juridique soit rgularise et quil puisse
bnficier des avantages quune nouvelle filiation lui procurerait. Lintrt
de lenfant commande dinterprter la rgle de conflit de faon appliquer
la loi du for qui est plus favorable ladoption et la rgularisation du
statut de lenfant. Le juge Gravel refuse toutefois cette argumentation :
Le tribunal souligne quil ne peut contrevenir aux dispositions
prcisment applicables aux adoptions denfants domicilis hors du
Qubec au nom de lintrt des enfants 188.
Quant aux juges qui accordent une ordonnance de placement, ils ne se
prononcent pas ouvertement sur ce conflit. Une seule exception, la juge
Bernier qui, dans Adoption (En matire d), invoque des considrations
dinjustice par rapport lenfant189.
Lintrt de lenfant ne devrait pas permettre de contourner les rgles
de droit et le sens des institutions trangres, pas plus que daller
lencontre de la volont des parents biologiques ou de ltat dorigine de
lenfant. Cest pourquoi reconnatre la kaflah comme tutelle, puis plaider
186 Lavalle, Lenfant, supra note 184 aux pp 143-44.
187 Ibid la p 150.
188 CC (Re) (CQ), supra note 85 au para 41.
189 Adoption (En matire d), supra note 64 au para 67.
1106 (2011) 56:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
le changement de domicile pour permettre ladoption interne de lenfant
peut tre considr, comme lavancent le DPJ et le PG du Qubec dans les
cas tudis, une fraude la loi. Non seulement sagit-il dun dtournement
des rgles de conflits de droit international priv mais aussi dune
dnaturation de la kaflah. Sous le prtexte que la kaflah est une
tutelle, on tente de transformer une adoption internationale en adoption
interne. Si on ne peut obtenir la reconnaissance de la kaflah comme
adoption, on ne saurait tenter dy parvenir de manire dtourne en
amorant un processus dadoption au Qubec, quil soit international ou
interne. Tel est lavis de ministre franais de la Justice190.
Prtendre interprter la notion de domicile de larticle 3092 CcQ en
fonction de lintrt de lenfant est prsumer de lintention du lgislateur
de favoriser lenfant et de dsigner le Qubec comme son domicile. Cette
stratgie rvle une absence de neutralit, dailleurs invitable, de la
fonction judiciaire. Comme le souligne Pierre-Andr Ct191, cette mthode
dinterprtation, qualifie de pragmatique, conduit linterprte tre
sensible aux consquences dune dcision et aux valeurs et principes qui
ont fait partie du contexte dadoption de la loi. Selon lui, ces prsomptions
prsentent un caractre politique . Il commente :
[L]es prsomptions dintention traduisent limage que lon se fait des
prfrences politiques du
lgislateur. A ce titre, elles font
implicitement partie du message lgislatif et elles sont de nature
conduire lintention vritable de lauteur du texte.
Dans beaucoup de cas, cependant, lemploi des prsomptions
nentretient quun bien faible rapport avec ce que lon peut supposer
tre lintention vritable de lauteur du texte. Les prsomptions sont
en effet utilises par les juges pour faire porter par le lgislateur la
responsabilit des choix que lapplication de la loi exige. Si, dune
part, lon admet quil y a des cas o lintention du lgislateur ne peut
tre dcouverte, soit en raison du silence de la loi, soit en raison de
son obscurit, et quil y a aussi des cas o le juge doit temprer la
rigueur de la loi, et si, dautre part, le rle du juge doit tre, dans
tous les cas, de restituer lintention du lgislateur, il devient alors
invitable, grce au mcanisme de transfert que constituent les
prsomptions dintention, dattribuer au lgislateur la paternit des
choix politiques auxquels le juge doit procder en cas dinsuffisance
ou dincertitude du texte, ou encore lorsque le texte conduit des
rsultats manifestement anormaux192.
190 CE, Circulaire du 16 fvrier 1999 relative ladoption internationale, [1999] JO L
numro de 78/4930 art 1.2.1.2., tel que cit dans Lavalle, Lenfant, supra note 184 la
p 148, n 600.
191 Interprtation des lois, 3e d, Montral, Thmis, 1999 la p 557 et s.
192 Ibid aux pp 559-60.
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1107
Au Qubec, si certains jugements assimilent ou rapprochent la
kaflah de la tutelle193, le rapprochement avec ladoption fait par la Cour
dappel na pas t suivi. Ladoption dun enfant sous kaflah ne saurait
tre prononce lorsquun pays ne permet aucunement de consentir une
adoption rompant le lien de filiation et tablissant une nouvelle filiation
avec les parents adoptifs. Ainsi, la solution du consentement retenue par
le juge Crte et la Cour de cassation franaise ne saurait valoir que si le
droit tranger ninvalide pas ce consentement comme contraire son
ordre public. On pourrait certes affirmer que la validit du consentement
ne regarde que le droit interne du pays dorigine et non lexamen de la
validit du consentement dans le pays daccueil, mais pareil raisonnement
semble incohrent avec lapplication de la loi trangre. Si en raison de
lintrt suprieur de lenfant ou dun principe de justice, on permet un
rgime dadoption non reconnu par un droit tranger, dune part on efface
cette diffrence culturelle, dautre part on porte atteinte la prvisibilit
du droit au nom dune justice individuelle.
lenfant est
Conclusion : Tensions, dtours et checs
Selon le droit qubcois, le rgime de la kaflah pose problme. Sil
nest pas assimil une adoption plnire, certains estiment que lintrt
suprieur de
ignor au profit du respect daccords
intertatiques. Sil est assimil une adoption plnire, dautres
considrent que le droit qubcois est contourn et quune loi trangre et
une pratique culturelle et religieuse sont annules.
Une solution pourrait venir de ngociations avec les pays musulmans
afin de permettre le consentement des parents une adoption plnire
afin de rgulariser la situation denfants dans un nouveau pays
dtablissement. Il semble contradictoire que des pays interdisant
ladoption plnire confient en kaflah des enfants des couples
domicilis dans des pays disposant dun tel rgime. Par ailleurs,
lintroduction dun rgime dadoption simple et la leve du secret des
origines pour les cas dadoption internationale pourraient contribuer la
solution du dilemme pos par la kaflah. Si ladoption plnire ou
substitutive, par exemple remplaant une filiation par une autre, est
interdite dans les pays musulmans, ladoption simple ou additive, par
exemple ajoutant une filiation celle biologique, pourrait tre admise
comme lillustrent les commentaires dune juriste marocaine dans le
193 CC (Re) (CQ), supra note 85 aux para 9-10 ; Adoption (En matire d), supra note 64.
1108 (2011) 56:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
dossier DF 1904194 et la coutume pakistanaise invoque dans ABM et
respecte par le juge Crte195.
On peut aussi avancer quune adaptation de la lgislation en matire
dimmigration pourrait tre envisage afin doctroyer aux enfants sous
kaflah les mmes bnfices qu ceux adopts selon le rgime de
ladoption plnire. Deux autres solutions sont encore possibles. Tel que
mentionn prcdemment, linclusion des enfants sous kaflah au nombre
des enfants charge dans la lgislation en matire dimmigration
permettrait leur entre au Canada. La cration dune catgorie juridique
pour dsigner la pratique de la kaflah, comme cela fut fait au Royaume-
Uni, permettrait de respecter les objectifs du droit international priv et
lintrt suprieur de lenfant. Dans le Adoptions and Children Act de
2002196, le Pakistan, le Bangladesh et lInde ne sont pas inscrits sur la
liste des pays dont les dcisions dadoption sont reconnues197, mais la
cration en 2002 de la catgorie special guardianship pour reconnatre des
effets une kaflah en sol anglais a rsolu les difficults des immigrs
musulmans faire immigrer les enfants sous kaflah et leur accorder
un statut juridique clair. Lavant-projet de loi intitul Loi modifiant le
Code civil et dautres dispositions lgislatives en matire dadoption et
dautorit parentale198 pourrait tre amend afin que le rgime de kaflah
soit reconnu comme une catgorie juridique sui generis dont les effets
seraient prciser (succession ou bnfices sociaux).
En droit civil, il nest certes pas une tradition tablie de crer une
catgorie juridique pour dsigner de nouvelles ralits sociologiques et la
rencontre et la ngociation aux points de contact entre diffrents
univers normatifs et juridiques, en sont rendues hasardeuses. Seule la
juge Julien tente dtre cratrice de droit199. De fait, la dfinition de la
filiation demeure quelque peu rigide au Qubec. La notion de filiation de
facto, sociologique et non biologique, nexiste pas en droit civil la
194 DF 1904 supra note 128 aux para 37-38, tel que reproduit dans CC (Re) (CQ), supra
note 85 aux para 24-25.
195 Nanmoins, en France o existe le rgime dadoption simple, demeurent des difficults
traiter les dossiers de kaflah.
196 Adoptions and Children Act 2002, supra note 101.
197 Duran Seddon, dir, Immigration, Nationality & Refugee Law Handbook, Londres, Joint
Council for the Welfare of Immigrants, 2006 ; Prakash Shah, Transnational Hindu
Law Adoptions: Recognition and Treatment in Britain (2009) 5 : 2 Intl JL Context
107.
198 Avant projet de loi intitul Loi modifiant le Code civil et dautres dispositions lgislatives
en matire dadoption et dautorit parentale, 1re sess, 39e lg, Qubec, 2009
199 A c Qc, supra note 84.
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1109
diffrence de la common law et le Qubec a refus largument de lintrt
suprieur de lenfant pour admettre cette notion200.
Nanmoins, dans ltat actuel du droit, sept des neuf juges impliqus
dans les dcisions tudies semblent prouver un malaise face
limpossibilit des requrants de se voir reconnatre le statut de parents
adoptifs selon la loi qubcoise. Le malaise semble encore plus grand
quand limmigration de lenfant est bloque depuis des mois ou des annes
et que les requrants demandent, en fait, de se voir accorder la possibilit
de vivre en famille. Selon les termes des codes de la famille musulmans,
un enfant sous kaflah appartient sa nouvelle unit familiale et doit
tre trait comme un enfant biologique.
Les deux autres juges montrent aussi une rticence refuser
ladoption, car dans le cas denfants sous rgime de kaflah, des ingalits
de droit sont cres leurs yeux. Aussi invoquent-elles un principe de
justice pour permettre limmigration de lenfant201 ou pour accorder un
enfant vivant au Qubec la protection que peut lui apporter une
adoption 202. Comme la kaflah est assimile une tutelle, les droits de
lenfant sous kaflah rsidant au Qubec diffrent en certains points des
droits de lenfant adopt203. Et, au-del de laspect lgal, la reconnaissance
dune filiation a une importance symbolique pour lenfant. Sur ce point, ne
pourrait-on pas argumenter que le lgislateur ne saurait avoir voulu crer
des effets ingalitaires en lgifrant sur ladoption plnire denfants
rsidant au Qubec ? Des parties ont, rappelons-le, invoqu que : La
procdure devant tre la servante du droit et ne saurait empcher les
requrants dobtenir lgard des enfants qui leur ont t confis un
jugement dadoption crant en leur faveur un nouveau lien de filiation 204.
200 Le Qubec a aboli la filiation illgitime et le statut denfant btard et instaur le droit
dhritage gal pour les enfants naturels et lgitimes. Il demeure cependant la seule
province canadienne o lunion de fait nest pas assimile un mariage. En common
law mais non en droit civil, les conjoints de fait se doivent pension alimentaire et
partage des biens depuis plus de trente ans : Lammerant, supra note 102. La pluri
parentalit a t admise par la Cour dappel de lOntario qui a reconnu lexistence lgale
de trois parents pour un enfant dont la mre vivait avec une autre femme dans laffaire
AA c BB (2007), 83 OR (3e) 575 (CA).
201 A c Qc, supra note 84 ; MS, supra note 103.
202 Adoption (En matire d), supra note 64 au para 67.
203 La tutelle dun mineur se termine la majorit de lenfant (art 255 CcQ), elle est
rvocable (art 254 CcQ) et le tuteur na aucune obligation alimentaire envers le mineur
sous tutelle (art 599 CcQ)
204 CC (Re) (CQ), supra note 85 aux para 22.
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Tentant de rsoudre la question de ladmissibilit ladoption plnire
denfants sous kaflah, les sept juges suivent un des trois raisonnements
suivants :
1. Des juges font quivaloir kaflah et tutelle205, incitant les
requrants dclars tuteurs tenter une demande dimmigration de
lenfant et une procdure dadoption interne, deux procdures dont les
rsultats ngatifs sont prvisibles vu la loi existante. Invoquer la
tutelle pour changer le domicile selon larticle 80 CcQ semble
permettre au juge de conserver une apparence de neutralit.
2. Des juges changent le domicile de lenfant aux fins dadoption en
vertu dun autre argument, la non-extranit, soit la vie commune de
lenfant et de ses kufala au Qubec. Selon eux, lenfant ayant immigr
lgalement au Qubec (par un projet-pilote ou une procdure spciale),
il y a eu changement de domicile et les kafil peuvent amorcer une
demande dadoption interne, laquelle se heurtera certainement au
refus du DPJ lors de la requte dune ordonnance de placement.
3. Sauf le juge Crte, des juges nindiquent pas dans leur dcision sils
ont cherch tablir ou vrifier la preuve. On ne peut que noter
quils ne cherchent gure savoir si des drogations sont admises par
les tats des pays concerns. Ils ne cherchent pas non plus valider
lexpertise parfois apporte par les parties leffet que la loi en
vigueur dans le pays du domicile de lenfant aux fins dadoption
permet une assimilation de la kaflah et de ladoption plnire. Il est
toutefois peu surprenant que le rapprochement entre kaflah et
adoption fait par la Cour dappel nait pas t suivi. Il repose sur une
preuve dficiente du droit tranger. Si la preuve avait t faite que le
droit tranger refusait ladoption plnire, les deux enfants sous
kaflah devenus citoyens canadiens auraient d tre dchus de leur
citoyennet.
Selon larticle 2809 CcQ,
[l]e tribunal peut prendre connaissance doffice […] du droit dun
tat tranger, pourvu quil ait t allgu. Il peut aussi demander
que la preuve en soit faite […]. Lorsque ce droit na pas t allgu ou
sa teneur non tablie, il applique le droit en vigueur au Qubec.
Selon Lo Ducharme, si le droit tranger nest pas allgu,
le tribunal doit imprativement appliquer le droit en vigueur au
Qubec, et ce, mme en matire dadoption. Sil est allgu, il lui
incomberait, en principe, de dcider sil va en prendre connaissance
doffice ou sil va exiger que preuve en soit faite. En pratique, il
205 Ibid aux para 9-10 ; Adoption (En matire d), supra note 64.
DROIT FAMILIAL ET PARTIES MUSULMANES 1111
semble bien que la tendance soit, pour le tribunal, de traiter le droit
tranger comme un fait qui doit tre prouv et, sil ne lest pas,
dappliquer le droit en vigueur au Qubec206.
Ducharme souligne que ce nest que de faon exceptionnelle que le juge
devrait en prendre connaissance doffice, car il sagit dune dmarche
personnelle du juge et ce dernier na pas toujours les connaissances
requises en droit compar pour le faire207. Notons toutefois que, comme le
souligne Alain Roy dans un ouvrage dat de 2006, la Cour du Qubec a
dj conclu quen matire dadoption, le juge doit exiger des parties
quelles prouvent la teneur du droit tranger, labsence de rgle en la
matire ou, le cas chant, que le rsultat de lapplication de ces rgles est
contraire lordre public208. La Cour du Qubec a considr que cette
exception dcoulait de larticle 568 CcQ qui prvoit que les juges doivent
sassurer que
les conditions de ladoption ont t remplies et, notamment, que les
consentements requis ont t valablement donns en vue dune
adoption qui a pour effet de rompre le lien prexistant de filiation
entre lenfant et sa famille dorigine209.
Les trois voies suivies par les juges napportent pas de solution la
demande des parties impliques dans les diffrentes dcisions analyses.
Lun des requrants, comparaissant devant
la Commission des
institutions le 13 janvier 2010, dcrit les cueils auxquels il se heurte pour
devenir pre adoptif dun enfant sous kaflah210. Lenfant qui lui a t
confi, n hors mariage de pre inconnu, a t abandonn et est sans
filiation. Il est donc en principe admissible ladoption puisque larticle
559 CcQ permet ladoption plnire dun enfant de plus de trois mois, sans
filiation maternelle, ni paternelle211. Lcueil pour le juge est que, enfant
illgitime ou pas, Monsieur S. a obtenu au Maroc une kaflah pour cet
enfant. Aussi, Monsieur S., aprs cinq annes de dmarches vaines pour
faire immigrer lenfant dont il est kafil, invoque la Charte canadienne et
la protection contre la discrimination religieuse quelle accorde.
206 Lo Ducharme, Prcis de la preuve, 6e d, Montral, Wilson & Lafleur, 2005 au para 60.
207 Ibid aux para 59-62.
208 Roy, supra note 74 aux para 109-11 ; DF 2906, supra note 97 la p 373.
209 Roy, supra note 74 aux pp 99-100 ; DF 2906, supra note 97 la p 373.
210 Qubec, Assemble nationale, Journal des dbats de la Commission des institutions, 39e
lg, 1e sess, vol 41, no 40 (13 janvier 2010) aux pp 30-33, en ligne : Assemble nationale
du Qubec
103 ; Adoption 08581, supra note 83 ; A c Qc, supra note 84.
211 Journal des dbats, 13 janvier 2010, supra note 210 aux pp 30-33.
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Au Qubec, un changement lgislatif en vue de donner des effets
juridiques la pratique de la kaflah conduirait sans doute un dbat
qui, considrant le faible nombre de dossiers jugs par des tribunaux
qubcois en dix ans, ne semble gure se justifier, et ce, mme si une
rforme de la lgislation encouragerait plus de recueillants musulmans
prsenter une requte en reconnaissance de parents adoptifs.
Lautorisation dentre denfants sous kaflah titre denfants charge
ouvrirait peut-tre une brche des revendications plus affirmes de
reconnaissance dadoption intrafamiliale.
Mais trois enjeux de la non-reconnaissance de la kaflah en sol
qubcois sont plus politiques. Cest
lventualit de demandes
daccommodements raisonnables par des kafil dans un contexte de
manipulation verbale publique o ces accommodements sont considrs
par certains lecteurs comme une concession culturelle indue et comme
une atteinte la souverainet populaire par les juges212. Cest aussi
lventualit dune accusation dindiffrence des pratiques trangres,
nullement nocives socialement et la dmonstration dune faible capacit et
volont du corps lgislatif qubcois de sadapter la pluralit culturelle.
Cest encore la dmonstration faite de la prgnance dune conception de la
loi comme dun rgime unique de droits similaires pour tous, dit universel
mais en fait appliqu selon des rfrences culturelles locales et
particulires213.
Enfin, parlant de prgnance et de diffrence culturelle, on doit
observer un dernier fait dans le contexte actuel de dbats populaires fort
ngatifs autour de la pit excessive des musulmans et de leur
attachement rigide des prceptes religieux. La plupart des requrants
ne montrent gure de crainte de rprobation sociale ou daccusation
dimpit en demandant avec insistance lapplication de la norme
qubcoise dadoption plnire.
212 Helly, Orientalisme , supra note 12.
213 Roderick A Macdonald, The Legal Mediation of Social Diversity dans Alain-G
Gagnon, Montserrat Guibernau et Franois Rocher, dir, The Conditions of Diversity in
Multinational Democracies, Montral, The Institute for Research on Public Policy,
2009, 85.