La dynamique de l’impunit: autour de la d6fense
d’ex turpi causa en common law des d61its civils
Pierre Legrand jr*
Exclus du droit ? Ce n’est pas si simple. II n’y a pas int6rt A exclure jamais
personne absolument. Le droit a besoin d’8tre publiquement appliqu6
tous I.
Prologue
<< Quod quis ex culpa sua damnum sentit, non intellegitur damnum sen-
tire >>2. Plus lapidairement encore, les juristes romains posaient que << culpa cul-
pam abolet >>’. Cette reconnaissance d’un effet lib6ratoire h la faute du d6fen-
deur eu 6gard au comportement fautif de la victime elle-meme, aujourd’hui
obsolte dans son absolutisme, resterait toutefois d’actualit6 s’agissant des con-
duites hors la loi.
L’id6e n’est pas neuve. Pour l’auteur d’un pr6judice, le plus intuitif des
moyens de d6fense est certes de s’en prendre celui qu’il a 16s6. En m6disant
de la victime, on justifierait la violation du droit. Or, il serait d’autant plus facile
d’incriminer la victime que sa conduite participerait de l’i116gal. Meme la vic-
fait innocente. Tel entendement
time immorale ne serait, du reste, pas tout
affleure dans divers domaines du droit priv6. Ainsi la victime de la faute con-
tractuelle qui s’est associ6e h la transaction r6pr6hensible perd son droit h la
r6clamation des b6n6fices qui lui eussent antrement r6sult6 de l’acte dans lequel
elle a tremp6. En droit des d6lits civils, la victime se verrait pareillement priv6e
des dommages-int6r~ts compensatoires auxquels elle aurait pu autrement
pr6tendre.
* Membre des Barreaux du Qu6bec et de l’Ontario et professeur A la Facult6 de droit de l’Uni-
versit6 McGill.
Revue de droit de McGill
McGill Law Journal 1991
‘Alain, < Histoire de mes pens6es >>, dans Les arts et les dieux, Paris, Gallimard (<< Biblioth~que
de la Pliade >>), 1958 h la p. 47.
2Pomp. D. 50.17.203. Voir, pour une traduction frangaise, Les cinquante livres du Digeste ou des
Pandectes de l’EmpereurJustinien, t. VII, trad. par Hulot, Metz, Behmer et Lamort, 1805 : << Celui
qui souffre du dommage par sa propre faute n'a pas droit de s'en plaindre >.
3<< La faute supprime la faute >> [traduction libre] : R. Zimmermann, The Law of Obligations [.
Roman Foundations of the Civilian Tradition, Cape Town, Juta, 1990 A la p. 1030, oi l’auteur sou-
ligne que le droit romain faisait exception 4 la r~gle au cas de conduite dolosive du d6biteur.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 36
Cette tension trouble l’image simple d’un crdancier aux prises avec son
ddbiteur. Y a-t-il lieu de consolider la faute du ddfendeur pour raison de turpi-
tude de la victime ? Convient-il, en d’autres termes, de donner suite a l’argu-
ment du ddfendeur qui avance que la conduite de la victime est telle qu’elle
oblitdrerait la faute qu’on lui reproche A telle enseigne que cette victime ne sau-
rait maintenant se plaindre d’une telle faute ? L’on relguerait, ni plus ni moins,
la victime au dehors de la salle d’audience; celle-ci, comme Garcin dans la
piece de Sartre, pourrait clamer son ddpit : < Mais je suis hors jeu ; ils font le
bilan sans s'occuper de moi >W. Comment, en effet, la victime pourrait-elle etre
6coutde, 6tant entendu qu’elle s’est d’elle-m~me mise au ban de la ldgalit6 ?
Que pourrait-elle maintenant en appeler a l’assistance des juges ?
Mais ce th~me est trop facile. Certes, il est bon que le juge puisse apprrcier
le degr6 de culpabilit6 du comportement de la victime. Rien ne justifie toutefois
qu’on 6rige cette conduite en empechement dirimant A la compensation. L’dcart
de conduite de la victime n’efface pas la ndcessit6 de la rdparation. Sans comp-
ter l’urgence de ne pas affadir le sens de la responsabilit6 civile chez les indi-
vidus. Une 6tude consacrre
l’arbitrage qu’il convient d’oprrer entre les intd-
rats en cause oscille obligatoirement entre le plaidoyer et le rdquisitoire:
coupable, le demandeur suscite le blarme ; victime, il attire la sympathie.
La lecture des recueils de jurisprudence sugg~re que les tribunaux ont
rdcemrnment eu A connaitre, dans diverses juridictions de common law, de confi-
gurations factuelles plus ou moins condamnables dans le contexte desquelles la
problmatique qui m’intdresse s’est franchement soulevde. A cet 6gard, l’affaire
Norberg c. Wynrib n’est pas en reste5 . Parce qu’elle a, tout derni~rement, large-
ment agit6 la question,
la faveur de faits d’ailleurs particuli~rement scabreux,
et parce qu’elle fera l’objet d’un pourvoi en Cour supreme du Canada, condui-
sant ainsi sans doute au prononc6 d’un arr& de principe, la ddcision de la Cour
d’appel de la Colombie-Britannique dans cette affaire me tiendra lieu de point
d’appui tout au long de mon propos. Aussi convient-il de relater bri~vement les
faits saillants qui l’ont provoqu6 et de rdsumer succinctement les jugements
auxquels elle a donn6 lieu, tant en premiere instance qu’en appel.
En ddcembre 1978, l’extraction d’une dent chez Laura Norberg [L.N.] la
soulage de sdrieuses migraines, non sans qu’elle se fit toutefois accoutum6e,
dans l’entretemps, au mddicament connu sous le nom de Fiorinal >. Cette ser-
vitude l’entraime, en mars 1982, au cabinet du Docteur Morris Wynrib [le Doc-
teur W.], septuagrnaire, veuf et solitaire. Invoquant divers malaises, L.N.
4J.-. Sartre, Huis cos, Paris, Gallimard, 1947, sc. v h la p. 81.
5(1990), 66 D.L.R. (4th) 553, 44 B.C.L.R. (2d) 47 (B.C.C.A.) [ci-apr~s Norberg (C.A.) citd aux
D.L.R.], conf. (1989), 50 D.L.R. (4th) 167, (1988), 27 B.C.L.R. (2d) 240 (B.C.S.C.) [ci-apr~s Nor-
berg (S.C.) cit6 aux D.L.R.]. La Cour supreme du Canada a accueilli, le 15 novembre 1990, une
requate en autorisation de pourvoi drpos~e par la demanderesse-appelante.
1991]
NOTES
obtient pendant plusieurs mois les prescriptions de < Fiorinal >> qu’elle requiert
de ce m6decin. En d6cembre 1982, L.N. se voit toutefois contrainte de mettre
fin A sa supercherie et d’avouer au Docteur W. sa condition de d6pendance. Le
m6decin fait alors comprendre h L.N. qu’il reste dispos6 h lui prescrire le m~di-
cament qu’elle souhaite obtenir si elle se montre pr~te A satisfaire h ses exi-
gences sur le plan sexuel. L.N. refuse cette proposition et entreprend d’obtenir
des prescriptions d’autres m6decins.
Vers la fin de l’ann6e 1983, ses sources de << Fiorinal >> s’6tant taries, L.N.
se r6signe
consulter h nouveau le Docteur W. et h se conformer h ses d6sirs.
S’ensuivent une douzaine de s6ances, tenues tant au cabinet du Docteur W. qu’h
son appartement, pendant lesquelles celui-ci demande h L.N. de participer h
divers actes sexuels. La preuve r6v~le qu’en aucune circonstance le Docteur W.
n’a recours h la force et que jamais L.N. ne refuse ses avances. Pendant les
quelque dix-huit mois que se poursuivent ces rencontres, le Docteur W. remet
h L.N. plus de quarante prescriptions, sans compter les fois oii il lui donne en
mains propres les m6dicaments requis. L.N. est subs6quemment accus6e, puis
condamn6e pour obtention frauduleuse de stup6fiants en vertu de la Loi sur les
stupffiants6.
L.N. r6clame du Docteur W. des dommages-int6rts compensatoires et
punitifs. Elle all~gue voies de fait (assault), n6gligence, violation de l’obligation
fiduciaire due par un m6decin h son patient et violation de contrat. En premiere
instance, le juge Oppal, de la Cour supreme de la Colombie-Britannique, retient
que les actes sexuels pos6s avec L.N., comme les prescriptions r6p6t6es h son
endroit, violent l’obligation fiduciaire h laquelle est tenu le m6decin. Bien que
telle violation ouvre normalement la porte h un octroi de dommages-int6r~ts, la
patiente ne peut, en l’esp~ce, pr~tendre h ce remade vu la pertinence de la
d6fense d’ex turpi causa non oritur actio invoqu6e par le Docteur W.7. A cet
6gard, le raisonnement du juge parait se d6rouler en trois phases.
1. L’6nonc6 de la r~gle
[A]n injured plaintiff who engages in criminal conduct at the time of the injury
may be denied all tort recovery for damages.
The defence applies equally to plaintiffs who have been engaged in immoral
conducte.
I[…
6Loi sur les stupffiants, L.R.C. 1985, c. N-1.
7Le Black’s Law Dictionary, 5e dd., St-Paul, Minn., West, 1979 offre la traduction suivante:
< Out of a base [illegal, or immoral] consideration, an action does [can] not arise >.
Norberg (S.C.), supra, note 5 aux pp. 172-73. La Cour s’appuie ici sur l’arret Hegarty c. Shine
(1878), L.R. 4 I. 288 (Q.B.D.) [ci-apr~s Hegarty].
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 36
If the defence of ex turpi cause [sic] is to be successful, the defendant must
prove that there is a causal link between the plaintiff’s injury and his participation
in illegal or immoral activity […]. An injury must have occurred as a natural con-
sequence of the plaintiff’s offence9.
2. L’6nonc6 du fondement de la r~gle
No court will lend its aid to a plaintiff who seeks to profit by his own wrongdoing.
I[…]I
It should be noted that this defence applies where it would be unconscionable
for a court to give relief or compensation to a plaintiff. It does not in any sense
relieve a defendant wrongdoer 0 .
3. L’6nonc6 de la pertinence de la r~gle en l’esp~ce
Both parties were voluntary participants in an illicit relationship. The plaintiff
voluntarily agreed to participate in the sexual activity. Whatever hurt she has suf-
fered is a direct natural consequence of her illegal agreement with the defendant.
Her claim is founded on her illegal and immoral acts. While he capitalized on her
addiction, she took advantage of his age and loneliness. She admitted this. One can
sympathize with her addiction. However, there were alternatives which were open
to her. It should not be forgotten that she was convicted of double doctoring herself
during this period of time. Moreover, she was receiving drugs not for medicinal
but for illicit purposes. The doctor’s conduct, of course, was reprehensible. She
was a reluctant but a willing party to the sexual encounters. She knowingly entered
into an illegal bargain albeit not necessarily on terms which would be to her satis-
faction”.
L.N. interjette appel de cette d6cision. Le juge en chef McEachem, dans un
jugement repr6sentant l’opinion majoritaire de la Cour d’appel et confirmant le
jugement entrepris 2 , refute l’argument se fondant sur une violation de son obli-
gation fiduciaire par le m6decin 3 . Quant h l’all6gation de n6gligence, le juge en
chef conclut t l’existence d’une obligation de diligence du m~decin envers sa
patiente de la gu6rir de son accoutumance au m6dicament ou, A tout le moins,
de la r6f6rer h une clinique de d6sintoxication. I1 estime, par ailleurs, que le
Docteur W. a viol6 cette obligation, causant du coup un pr6judice A L.N. Cette
9Norberg (S.C.), supra, note 5 a la p. 173. La Cour s’appuie ici sur Mack c. Enns (1983), 25
C.C.L.T. 134, 44 B.C.L.R. 145 (C.A.) [ci-apr~s Mack (C.A.) cit6 aux B.C.L.R.].
0lIbid. aux pp. 173-74. La Cour s’appuie ici sur Mack c. Enns (1981), 17 C.C.L.T. 29, 30
B.C.L.R. 337 A Ia p. 345 (S.C.) [ci-apr s Mack (S.C.) cit6 aux B.C.L.R.].
“Ibid. A Ia p. 174.
12Le juge Gibbs concourt h cette opinion.
13Le juge en chef McEachem s’appuie sur l’arrat Lac Minerals Ltd c. International Corona
Resources Ltd, [1989] 2 R.C.S. 574 A la p. 647, 61 D.L.R. (4th) 14 pour conclure qu’une relation
juridique t6moignant d’incidences fiduciaires ne saurait, malgr6 tout, donner naissance h une rela-
mation pour violation d’une obligation fiduciaire que dans un cas de divulgation d’information
confidentielle ou autres circonstances du genre ( or something like that >>): Norberg (C.A.),
supra, note 5 A ]a p. 556.
1991]
NOTES
derni~re doit toutefois se voir imputer une faute contributive vu l’ingestion
volontaire de m6dicaments de sa part 4.
La d6fense d’ex turpi causa, avanc6e par le Docteur W., doit-elle modifier
cette d6termination ? Le juge en chef McEachem affirme d’abord qu’A la
lumi~re de la jurisprudence 5, cette d6fense ne saurait intervenir que dans les cir-
constances oii, le demandeur et le d6fendeur ayant particip6 A une entreprise cri-
minelle commune, le demandeur est victime de la n6gligence du d6fendeur dans
le cours de cette operation. Dans ce contexte, en effet, les complices ne sont pas
tributaires d’une obligation de diligence l’un envers l’autre. Or, malgr6 que l’af-
faire renvoie pr6cis6ment h un cas oa << plaintiff and defendant [...] were both
engaged in a joint or common criminal enterprise to traffic unlawfully in a pro-
le juge en chef retient que << the plaintiff is nevertheless entitled
hibited drug >>16,
to proper medical treatment from the defendant >>1. I1 n’explicite gu~re cette
attdnuation de la r~gle tout juste 6nonc6e. Il est cependant permis de croire que
ce que le juge en chef parait percevoir comme le particularisme de l’obligation
m6dicale n’est pas 6tranger t cette conclusion”.
La subsistance de l’obligation de diligence du Docteur W. 6tablie, le juge
en chef n’en proc~de pas moins h sanctionner l’application de la d6fense d’ex
tuipi causa A l’esp~ce. C’est qu’il est, selon le juge en chef McEachern, un
deuxi~me volet h cette d6fense. Au-delii de la dissuasion d’entreprises crimi-
nelles communes par le biais d’une suspension de l’obligation de diligence,
cette d6fense permet, en effet, de sauvegarder le principe aux termes duquel
the court’s assistance will not be furnished to a plaintiff who seeks damages for
injuries resulting from illegal and immoral activity or out of an arrangement or
transaction which had as one of its incidents an illegal or immoral consideration 19.
Rejoignant ici le juge de premiere instance et choisissant, t son instar, d’accep-
ter la pertinence de la d6fense d’ex tuipi causa au vu des faits en litige, le juge
en chef McEachern prend soin de pr6ciser que << [i]n this case, of course, I rely
far more heavily upon illegal than upon immoral conduct 20.
La dissidence du juge Locke porte, de mani~re tout
fait circonscrite, sur
l'application aux faits de l'esp~ce de la r~gle selon laquelle la d6fense d'ex turpi
'4 bid. A la p. 557.
'5lbid. A lap. 558. Le juge en chef s'appuie, pour l'essentiel, sur l'arrt Betts c. Sanderson Estate
(1988), 53 D.L.R. (4th) 675, 31 B.C.L.R. (2d) 222 (B.C.C.A.) [ci-apr~s Betts cit6 aux D.L.R.].
161bid.
71bid.
Islbid. a la p. 557:
'91bid. a la p. 559.
20Ibid.
He owed a professional responsibility both to the plaintiff and to the state not to mis-
treat her in a medical way by extending her period of addiction without proper treat-
ment regardless of her wishes.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 36
causa n'est pertinente que dans le contexte d'une participation des parties A une
activit6 criminelle commune lorsque le prdjudice subi par le demandeur drcoule
de cette operation meme". Selon le juge dissident, la seule entreprise qui puisse
8tre dite commune >> –
soit la relation h caract~re sexuel – n’est pas crimi-
nelle. II n’y a, en l’instance, aucune op6ration criminelle < commune >, mais
bien que deux crimes distincts :
In the instant case, though there was obviously joint sexual activity there was
no common purpose. The plaintiff asserts she would not have indulged in sex
except to obtain drugs. Her crime, if any, was “double doctoring”. The defendant
says nothing, but it is plain that sexual gratification by itself was his individual
object, and any crime for which he could have been charged was trafficking in
drugs. Sexual intercourse between consenting adults is not a crime. There was no
one criminal illegalitoto which both were parties. The damage did not result from
any joint motivation .
Dans ces circonstances, le juge Locke conclut it l’octroi de dommages-intdr~ts
symboliques, indiquant que le caractbre immoral de la conduite de L.N. ne sau-
rait, t lui seul, faire obstacle i sa reclamation h l’encontre du Docteur W.:
[R]ecovery in this action can only be sustained on the ground of negligent and
wrongful supply of drugs. […] Sexual immorality is not relevant to the wrongful
supply of drugs. Recovery is therefore not defeated by any doctrine of immora-
lity.
Par-delit les divergences de vues relevant de l’interprdtation factuelle et de
la qualification juridique, il me parait que l’on peut extraire des opinions expri-
mdes en Cour d’appel deux propositions fondamentales -lesquelles rejoignent
d’ailleurs, pour l’essentiel, les dnoncds du juge de premibre instance.
1. Tous les juges s’entendent pour aff’rmer la pertinence de la d6fense d’ex turpi
causa dans le cas ofi le prdjudice subi par le demandeur, et pour lequel celui-ci
rdclame compensation, lui est rdsultd de sa participation it une entreprise crimi-
nelle avec le ddfendeur. Le demandeur se voit alors ddchu de son droit t tout
rembde judiciaire et notamment de toute crdance de dommages-intrts qui
serait autrement sienne.
2. Selon la majoritd, il en est ainsi parce que l’entreprise criminelle commune
a pour effet de suspendre l’obligation de diligence que se devraient normale-
ment les parties. Lorsque, comme en l’espbce, des circonstances exceptionnelles
autorisent la survie de l’obligation de diligence, la ddfense d’ex turpi causa n’a
pas lieu de s’appliquer sauf si sont en cause des circonstances oii l’illgalit6 ou
l’immoralitd du demandeur commande au juge de ne pas compromettre l’int-
211bid. aux pp. 567-68, oi le juge Locke s’appuie principalement sur les arrats Mack (C.A.),
supra, note 9 [pourvoi en Cour supreme du Canada refusd : (1984), 52 N.R. 235] et Betis, supra,
note 15.
22Norberg (C.A.), supra, note 5 A ]a p. 567.
23Ibid. A la p. 568.
1991]
NOTES
grit6 du Droit et donc, de ne pas lui venir en aide. Telle ill6galit6 ou immoralit6
doit alors rejoindre directement l’activit6 fondant la r6clamation.
En tant qu’il postule, de mani~re particuli~rement saisissante24 , une < ges-
tion diff6rentielle des ill6galismes >>, l’arrat Norberg c. Wynrib fournit d’em-
biWe les pistes de recherche n6cessaires ?i mon analyse. Cette d6cision montre,
en effet, comment la formule des << ill6galismes privil6gi6s >>, d’inspiration fou-
caldienne26 , peut 8tre heureusement transplant6e de son contexte criminologique
original au cadre d6lictue 27. Aussi est-ce h partir des conclusions qu’ent6rine
cette d6cision que je me propose de formuler les deux interrogations autour des-
quelles s’articulera ma r6flexion. Premi~rement, convient-il que l’acceptation de
la d6fense d’ex turpi causa dans une instance donn6e doive entrainer, pour le
demandeur, le refus de quelque compensation que ce soit ? Deuxi~mement, y
a-t-il lieu de retenir l’application de la d6fense d’ex turpi causa au motif que la
conduite reproch6e au demandeur est immorale, lors meme qu’elle n’a rien
d’ill6gal ?
I. Le d6ni de compensation
Toute d6fense reconnue en droit des d6lits civils loge h l’enseigne de l’une
ou l’autre de deux grandes cat6gories : elle est << excuse >> ou << justification > s.
La notion de << justification >> intervient dans les situations off la conduite du
d6fendeur n’6tant pas fautive, le demandeur ne peut fonder sa r6clamation de
compensation. Si, dire que la conduite du d6fendeur est justifi6e, c’est, pour le
Droit, nier le caract~re fautif du comportement examin6, c’est en outre affirmer
que la meme conduite qui interviendrait ult6rieurement dans des circonstances
similaires ne serait pas, elle non plus, jug6e fautive. Ainsi la justification
24C’est le lieu de souligner que je ne me propose pas d’insister sur ]a presence d’une sollicitation
de faveurs 4 caract~re sexuel dans le cadre de ce litige. A la mani6re des juges de premiere instance
et d’appel, je ne vois pas que les faits de l’esp~ce justifient des d6veloppements relatifs i cette
question pr6cise. Voir, par exemple, Norberg (C.A.), supra, note 5 i la p. 556, oti le juge en chef
McEachem retient que L.N. se trouvait en effet en mesure de donner un consentement v6ritable-
ment volontaire aux actes sexuels. Le caract6re d6gradant des gestes du Docteur W. ne parat pas
devoir modifier cette conclusion en l’instance. II reste a voir dans quelle mesure les parties, les
dventuels intervenants et la Cour supreme du Canada voudront rectifier cette d6termination, ce qui
aurait notamment pour consequence de conduire h une reconnaissance de responsabilit6 civile fon-
d6e sur les notions d’infliction de coups (battery) et voies de fait (assault).
25F. Acosta, < A propos des illdgalismes privil~gi6s [ :] r6flexions conceptuelles et mise en con-
26Voir M. Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975.
27Voir Acosta, supra, note 25 passim.
2Voir, sur Ia distinction - d'inspiration p6naliste -
entre o excuse > et justification > en droit
des d6lits civils, G.P. Fletcher, << Fairness and Utility in Tort Theory >> (1972) 85 Harv. L. Rev. 537
aux pp. 558-59 ; J.L. Coleman, < Moral Theories of Torts : Their Scope and Limits > (1982) 1 Law
& Phil. 371 h la p. 377 ; R. Sullivan, << Trespass to the Person in Canada: A Defence of the Tra-
ditional Approach >> (1988) 19 Ottawa L. Rev. 533 4 la p. 555.
texte
(1988) 21 :1 Criminologie 1 4 la p. 1.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 36
implique carr6ment la sanction par le Droit, dans un contexte d6fini, d’une con-
duite donn6e. II est des d6cisions qui, ayant eu a connaitre de la d6fense d’ex
twpi causa, lui ont pr~cis6ment confer6 le statut de justification. Dans ces affai-
res, les juges ont retenu que le d6fendeur n’6tait tout simplement pas titulaire
d’une obligation de diligence A l’endroit du demandeur, l’ill6galit6 de l’entre-
prise A laquelle les deux individus avaient collabor6 ayant eu pour cons6quence
de < suspendre >> toute obligation qui eut normalement exist6. Ainsi dans l’arr&
Hegarty c. Shine29 , la Cour souligne que l’obligation de diligence est une notion
relationnelle, c’est-h-dire que cette obligation nait des relations des justiciables
les uns envers les autres. Si ceux-ci sont engag6s dans la poursuite d’une activit6
ill6gale, leur relation ne saurait plus fonder une obligation de diligence. C’est
ce qu’6crit Lord Chancellor Ball: To support obligation founded upon rela-
tion, it appears to me the relation must be one that we can recognise and sanc-
tion >30. Dans le langage de Hohfeld, on parlerait de negation of legal duty >>,
c’est-h-dire d’un privilege confr6 au d6fendeur d’agir A l’encontre du deman-
deur en restant A l’abri de toute responsabilit6 civile. Tels agissements seraient
< privil6gi6s > (privileged acts)31.
II en va tout diff6remment de l’excuse. Alors que la justification appelle au
d6ni de cause d’action, l’excuse participe plus volontiers du d6ni de remade.
Excuser le d6fendeur de sa conduite, c’est, en effet, admettre que, malgr6 les rai-
sons valables qu’il y aurait d’op6rer compensation, le d6fendeur n’a pas h
indemniser le demandeur dans les circonstances de l’esp~ce. Le cas classique de
1’excuse reste sans doute la folie. Excuser le d6lit commis par le fou n’a pas
pour cons6quence de modifier l’imp6ratif de ne pas s’engager dans cette con-
duite. La norme de diligence reste inchangfe. Toutefois, le Droit estime qu’il y
a lieu de reconnaitre, dans l’instance, que le d6fendeur ne saurait se voir blfim6
pour le d6lit en litige. Le comportement n’en restant pas moins fautif, il pourrait
fort bien, intervenant dans d’autres circonstances, donner ouverture A r6para-
tion. Ce qui autorise A dire que contrairement h la justification –
ob l’acte est
jug6 non fautif –
l’excuse proclame l’agent non fautif.
Parce que rien, au-delh d’un puritanisme oiseux, ne justifie l’oblit6ration de
l’entreprise ill6gale A laquelle appelle n6cessairement une n6gation de l’obliga-
tion de diligence entre les parties, il y a lieu de retenir, A l’exemple de la Cour
2 9Supra, note 8.
3 0Ibid. h lap. 294 ; voir aussi a la p. 299 (Lord Chief Baron Palles). Voir en outre, par exemple,
Smith c. Jenkins (1969), 119 C.L.R. 397 notamment aux pp. 400 (M. le juge en chef Barwick) et
403 (M. le juge Kitto), [1970] A.L.R. 519 (Aust. H.C.) [ci-apr~s Smith cit6 aux C.L.R.] ; Ashton
c. Turner, [1980] 3 W.L.R. 736
Ia p. 745, 3 All E.R. 570, (Q.B.) (M. le juge Ewbank); Hillen
c. LCJ. (Alkali), Ltd, [1934] 1 K.B. 455 (C.A.), conf. pour d’autres motifs par, [1936] A.C. 65,
[1935] All E.R. 555 (H.L.).
3 W.N. Hohfeld, Fundamental Legal Conceptions, 6d. par W.W. Cook, New Haven, Yale Uni-
versity Press, 1919 aux pp. 38-50 et sp6cialement aux pp. 45 et 49.
1991]
9 NOTES
d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire Norberg c. Wynrib”, que
doivent subsister les r~gles 6ldmentaires du droit des drlits civils quand ce serait
dans l’illicdit6. Entendons-nous. Montaigne avait drjA ressenti qu’ il y a
quelque degr6 d’honneur, mesmes au mal faire >,,3 Ainsi il faut certes accepter,
avec Gibson, que le neveu qui tue sa fiche tante ne puisse r6clamer devant les
titre de b6n6ficiaire de la police d’assurance et que les voleurs qui
tribunaux
ne s’entendent pas quant A la division du magot ne puissent porter leur querelle
en cour’. L’objectif compensatoire de la responsabilit6 civile devient alors ‘
juste titre assujetti h d’autres valeurs35. Hormis des conjonctures aussi nettement
abjectes qui, se situant au degr6 cent mille de l’illdgalit6, m6ritent de se voir
franchement conf’mes h l’obscurantisme, le judiciaire doit toutefois se faire fort
de rdsister t la tentation de vouer 1’entreprise illgale aux gdmonies. Car tel pro-
cessus de marginalisation relfgue la situation ill6gale h un 6piphrnom~ne, h
l’abri de toute influence juridique rrdemptrice que ce soit. Par crainte de corro-
borer le demandeur dans son illgalit6, la cour abandonne les parties A leur
d6loyaut6 rrciproque. Plut6t qu’une telle pratique de l’abdication –
une poli-
il faut ainsi que les tribunaux privilrgient la juridicisation,
tique de l’autruche –
c’est-a-dire l’assujettissement de l’entreprise illrgale aux prrceptes fondamen-
taux du droit des drlits civils. C’est pourquoi il me parait que la Cour d’appel
de la Colombie-Britannique a su faire preuve de sagacit6 lorsque’elle a, comme
dans Norberg c. Wynrib36, refus6 la mise au ban de l’ill6galit6 de la demande-
resse et choisi d’aborder la ddfense d’ex turpi causa a titre d’< excuse >.
D’autres arguments, sans doute plus pragmatiques, m~ritent encore d’8tre
avanc6s A 1’appui de cette position. Ainsi les obligations drlictuelles devraient
8tre constantes afm que les justiciables sachent h quoi l’on s’attend d’eux. Affir-
mer qu’un conducteur d’automobile a une obligation envers l’un de ses passa-
gers –
parait curieux.
et pas envers l’autre – un observateur –
un acolyte –
32Norberg (C.A.), supra, note 5.
33M. de Montaigne, Essais > dans Oeuvres compltes, Paris, Gallimard (< Biblioth~que de Ia
Pliade ), 1962, liv. I, c. XXIII A la p. 118 [d'abord paru en 1580].
34D. Gibson, Illegality of Plaintiff's Conduct as a Defence > (1969) 47 R. du B. can. 89 4 la
p. 89, renvoyant A Lundy c. Lundy (1895), 24 S.C.R. 650 et Everet c. Williams (The Highwayman’s
Case) (1893), 9 L.Q.R. 197, respectivement. Ce sont de telles situations dont on peut dire qu’elles
rejoignent la preoccupation que faisait valoir M. le juge Taylor dans Mack (S.C.), supra, note 10
At Ia p. 345:
The purpose of the rule today must be to defend the integrity of the legal system, and
the repute in which the courts ought to be held by law-abiding members of the com-
munity. It is properly applied in those circumstances in which it would be manifestly
unacceptable to fair-minded, or right-thinking, people that a court should lend assis-
tance to a plaintiff who has defied the law.
Ce crit&e est d’ailleurs adopt6 par la Cour d’appel dans Mack (C.A.), supra, note 9 aux pp. 149
et 151 (M. le juge Hutcheon, au nom de Ia Cour).
35Voir F.A. Trindade et P. Cane, The Law of Torts in Australia, Melbourne, Oxford University
Press, 1985 A ]a p. 439.
36Norberg (C.A.), supra, note 5.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 36
Quoique l’ampleur de la responsabilit6 du conducteur puisse 6ventuellement
varier eu 6gard it la conduite du demandeur, l’obligation due devrait, elle,
demeurer inchang6e. Par ailleurs, l’int6gration de la d6fense d’ex turpi causa
la notion d’obligation ferait perdre au demandeur un avantage d’importance sur
le plan de la preuve. Exiger du demandeur qu’il prouve l’absence d’ill6galit
risquerait d’8tre parfois dfcisif A son encontre. Aussi parait-il plus dquitable de
r6clamer du d6fendeur qui invoque l’ill6galit6 qu’il en fasse lui-mame la
preuve 37.
Encore faut-il voir que cette d6fense d6roge, it certains 6gards, h la notion
traditionnelle d’<< excuse >>. En effet, s’agissant d’ex turpi causa, la n6gation de
compensation n’est alors pas attribuable t la personnalit6 du d6fendeur mais
bien t des consid6rations d’ordre socio-politique transcendant le litige en cause.
Ce sont celles-ci qui sugg~rent que, quoique fautif, le d6fendeur n’a pas h
indemniser sa victime en l’instance, ce qui n’est pas dire que le meme geste,
pos6 en d’autres circonstances –
c’est-it-dire dans un contexte oti la conduite
de la victime ne se r~v~lerait pas elle-meme r6pr6hensible – n’aurait pas des
consequences autrement plus s6rieuses de son point de vue. Alors que, dans sa
forme courante, l’excuse met en conflit, au premier chef, deux int6r~ts indivi-
duels –
soit l’int6ret du demandeur h la r6paration et, par exemple, l’intdret du
d6fendeur A la protection de sa personne contre lui-meme –
il n’en va pas ainsi
eu 6gard A la d6fense d’ex turpi causa alors que s’affrontent l’int6ret individuel
t la r6paration et l’int6ret collectif dans la dissuasion de certains comportements
r6pr6hensibles. Or, comme le montre l’arr&t Norberg3″, cette opposition se
r6soud sans ambages en faveur de l’int6r~t collectif. Soupesant les illgalismes
en cause, le juge privil~gie la condition du d6fendeur. J’estime telle n6gation de
l’int6ret du demandeur A la r6paration par trop radicale et je crois en outre que,
contrairement t ce que l’on peut penser, l’int6ret collectif ne s’en porte pas
mieux pour autant.
A. L’intret du demandeur
Trois raisons principales militent en faveur d’un temp6rament A la r~gle
classique.
1. Avant que sa port6e ne se voit 6tendue au droit des d6lits civils, le lieu de la
d6fense d’ex turpi causa fut d’abord le domaine du contrat39. On le comprend
sans peine: comment le Droit pourrait-il, en toute int6grit6, venir en aide t la
37 Voir A.M. Linden, Canadian Tort Law, 4e 6d., Toronto, Butterworths, 1988 aux pp. 448-49.
Selon Hegarty, supra, note 8 a Ta p. 300 (Lord Chief Baron Palles), 1’ill6galit6 doit etre plaid~e
et ne saurait donc etre invoqu6e proprio motu par ]a cour.
38Norberg (C.A.), supra, note 5.
39Voir Smith, supra, note 30 aux pp. 409-12, oii le juge Windeyer offre un savant expos6 rela-
tivement aux origines de ce brocard.
1991]
NOTES
victime d’une violation de contrat afin de lui assurer le profit qu’elle entendait
retirer d’une entreprise illfgale ? Dans la sphere d6lictuelle, toutefois, il n’est
plus question de < profit >> mais bien simplement de reparation, c’est-4-dire de
justice corrective4 . Mieux, le demandeur jouit d’un droit A la compensation. En
effet, si l’on parle d’<< excuser >> le ddfendeur, l’on prdsuppose, dans l’ordre
logique des choses, un droit du demandeur, conceptuellement entier. Autrement,
la notion d’<< excuse > est vidre de sa substance.
Or, il me parait que ce droit que fait valoir la demanderesse en l’esp~ce
n’est pas objectivement distinct du droit h compensation que ferait valoir tout
autre demandeur. La seule diffdrenciation qu’il soit possible d’oprrer repose sur
une donnre fonci~rement extrins~que au droit h la compensation, soit l’intrgrit6
morale de cette demanderesse”. Celle-ci serait, si l’on veut, indigne d’exercer
ce droite2. Or, Demolombe disait drjh des paroles qu’il vaut de rrprter:
La justice est due toujours et A tous ! il nous parait impossible d’admettre qu’il
existe une catrgorie d’affaires et une classe de plaideurs, auxquels on soit en droit
de dire : l’acc~s du prdtoire vous est ferm6 ! nous ne voulons pas vous entendre43
2. Le ddfendeur n’a aucun droit A l’impunit6 qui lui 6choit. L’application de la
ddfense d’ex turpi causa dans sa traditionnelle rigueur 6quivaut, en effet, pour
la cour h sanctionner l’illfgalit6 – c’est- -dire le d6lit civil –
du drfendeur. On
permet, par le jeu de la ddfense d’ex turpi causa, une partie ayant commis un
drlit civil de se soustraire impunrment h toute indemnisation que ce soit. Par
crainte de donner son aval une irrrgularit6, la cour en sanctionne une autre,
soit le drlit du d6fendeur. Or, rien, du point de vue du drfendeur, ne parait jus-
tifier telle immunit6 ; il 6tait 6galement partie h l’entreprise ill~gale et, qui plus
est, a commis un drlit civil. N’est-il pas ainsi paradoxal que la partie comptant
son d6bit deux illdgalismes se voit ainsi exon~re aux drpens d’un demandeur
dont la conduite est somme toute moins condamnable ? C’est le lieu d’appliquer
la phrase de Bodenheimer, riche de simplicit6, selon lequel : << The concept of
responsibility [...] implies that the detrimental consequences of a person's
actions are normally imputed to him >>. Pourquoi le drfendeur qui, sur le plan
4Voir, par exemple, Betts, supra, note 15 h la p. 681 :
The principle that a person cannot use the law to profit from his or her own criminal
conduct is well established in the law of property and in the law of contract. If it were
applied strictly in the law of tort it would prevent an award of punitive or aggravated
damages, but would extend no further. An award of purely compensatory damages can-
not be considered to be permitting a wrongdoer to profit from his or her crime (le juge
Lambert, au nom de la Cour; c’est moi qui mets les mots en italiques).
Et ce, quoi qu’en dise Linden, supra, note 37
la p. 464.
p. 184, no 104.
41Voir G. Ripert, La r~gle morale dans les obligations civiles, 4e 6d., Paris, L.G.D.J., 1949 4 la
421bid. a la p. 191, no 108.
43C. Demolombe, Cours de Code Napolgon, t. XXXI, Paris, Lahure, 1882 h Ia p. 377, no 437.
44E. Bodenheimer, Philosophy of Responsibility, Littleton, Colo., Rothman, 1980 A la p.8.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 36
p6nal, reste comptable des cons6quences p6nales de son comportement t l’en-
droit de son complice –
je songe, par exemple, A un cas d’homicide
involontaire- ne serait pas memement responsable des cons6quences civiles de
ses gestes envers celui-ci45 ? Dans les mots de Cronkite:
When a defendant comes into court and argues that he should not make good the
damage he has caused, and gives as his sole reason that the plaintiff is also a bad
man, he is making the oldest retort of the human mind when charged with evil46.
3. L’application sans nuance de la d6fense d’ex turpi causa p~che par arbitraire
h l’endroit du demandeur. En privant celui-ci de sa compensation, le Droit
ajoute par-lh meme A la sanction p6nale, une autre sanction. Or, seuls les deman-
deurs ayant v6ritablement souffert un pr6judice donnant autrement ouverture t
compensation seront alors brim6s. Parmi ceux-ci, les demandeurs ayant subi un
pr6judice civil plus important souffriront tout particuli~rement comme, du reste,
les demandeurs plus d6munis. En outre, il faut bien constater l’incommensura-
bilit6 de la faute reproch6e au demandeur et de la compensation dont il se voit
priv6. I1 pourra, par exemple, avoir agi de fagon absolument r6pr6hensible et
pourtant n’8tre que relativement peu afflig6 de l’application de la d6fense d’ex
turpi causa, son prejudice civil 6tant mineur. Corrdlativement, la victime ayant
subi un pr6judice important se verra priv6e d’une compensation d’envergure
malgr6 une conduite, ill6gale certes, mais peut-6tre moins s6v~rement condam-
nable47. L’on assiste ainsi h une forme de criminalisation d6guis6e du recours
civil; Ripert parlait d6jh de l’imposition d’une << p6nalit6 civile >>4.
Et la tyrannie de la d6fense d’ex turpi causa se fait davantage marqu6e
lorsque les juges se melent d’en att6nuer la rigueur quand ils estiment que les
circonstances de l’esp~ce font appel A un exercice de discr6tion de leur part.
Ainsi dans une affaire Shelley c. Paddock49, le demandeur obtient une compen-
sation malgr6 le caract~re ill6gal de l’entreprise A laquelle il 6tait m616 avec le
d6fendeur, la Cour ayant prononc6 sur le caract~re relatif de sa culpabilit6.
B. L’intjrt collectif
Appel6e A intervenir, h la demande de la victime, pour corriger l’injustice
surgie de l’infliction d’un pr6judice par ce d6fendeur h ce demandeur, donc
appel6e A intervenir pour r6tablir un 6quilibre perturb6 au sein d’un ordre rela-
tionnel autonome, la cour n’a pas, se situant sur le seul plan de la r6paration,
45Voir Jackson c. Harrison (1978), 138 C.L.R. 438 h la p. 465, 19 A.L.R. 129 (Aust. H.C.) (M.
46F.C. Cronkite, Effect of the Violation of a Statute by the Plaintiff in a Tort Action >> (1929)
le juge Murphy) [ci-apr~s Jackson cit6 aux C.L.R.].
7 Can. Bar Rev. 67
la p. 83.
47Voir Jackson, supra, note 45 4 la p. 464 (M. le juge Murphy).
48Supra, note 41 a ]a p. 184, no 104.
49(1980] Q.B. 348, [1980] All E.R. 1009 (C.A.) [ci-apr~s cit6 aux Q.B.].
1991]
NOTES
verser dans l’instrumentalisme et A opter pour une politique de promotion du
bien-8tre collectif et ce, aux d6pens de cette victime meme 0. I1 n’en reste pas
moins que l’on peut identifier, outre la r6paration, un autre objectif poursuivi
par le droit des d6lits civils qui lui est d’ailleurs ant6rieur dans la chronologie,
soit la pr6vention. A cette dtape pr6liminaire, la notion d’int6r~t public reste
d6terminante dans la mesure oii intervient une ide d’ordonnancement de la
conduite des parties au litige comme de l’ensemble des justiciables.
L’on veut donc laisser croire –
l’arrt Hegarty c. Shine offre un bel
que l’immunit6 conf6r6e au d6fendeur par le biais
exemple de cette position’ –
du recours it la d6fense d’ex turpi causa servirait l’int6rt collectif en ce que le
demandeur, laiss6 sans compensation, se verrait alors dissuade de r6p6ter sa
conduite r6pr6hensible. I1 faut voir d’embl6e que cette dissuasion ne peut inter-
venir que lorsqu’un opprobre s’attache au comportement du demandeur. Or,
l’on peut croire que, eu 6gard A la violation de lois p6nales A caract~re r6gula-
teur, la censure morale qui sanctionne de telles incartades reste des plus miti-
g6es. Trindade et Cane en concluent que
while deterrence of breach by means, for example, of a fine may be desirable, the
unpredictable and usually much more serious sanction of the denial of a civil
remedy may seem an unnecessary and unduly harsh penalty52.
Cet << int6rt collectif >> ne saurait toutefois faire abstraction de l’impact d’une
telle ddcision sur la personne du d6fendeur. Celui-ci ne comprendra-t-il pas, en
effet, que toute op6ration ill6gale conduite avec des complices le place d’office
A l’abri de toute responsabilit6 civile t l’endroit de ces individus ? Peut-8tre
incit6 A l’ill6galit6, sfirement encourag6 A la l6g~ret6 advenant un contexte d’il-
16galit6, le d6fendeur ne se voit en rien enseigner que sa conduite d6lictueuse
mrite sanction53. Ainsi dans la mesure oti l’on se montre dispos6 h accepter
qu’une d6cision judiciaire puisse infl6chir la conduite des justiciables, i faut
bien conclure, en l’esp~ce, que, loin d’avoir les int6r~ts 16nitifs et salvateurs
recherch6s, un arr~t tel celui de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique
dans l’affaire Norberg c. Wynrib op~re un raffermissement de l’int6r& social qui
reste tout A fait relatif . Encore ne parl6-je ici que des situations dans lesquelles
la n6gligence du d6fendeur se r6v~le, en termes utilitaires, socialement moins
dommageable que l’infraction p6nale A laquelle participait le demandeur. Or,
l’on peut imaginer, sans qu’il n’y ait lieu pour autant de verser dans de faciles
409-10, ob l’auteur traite d’une structure morale autonome.
5 0Voir E.J. Weinrib, << The Special Morality of Tort Law > (1989) 34 R.D. McGill 403 aux pp.
5 Supra, note 8.
52Supra, note 35 A la p. 437.
53Voir, en ce sens, J.G. Fleming, The Law of Torts, 7e 6d., Sydney, Law Book Co., 1987 t la
p. 278.
54Norberg (C.A.), supra, note 5.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 36
ratiocinations, des circonstances oii l’6quation utilitaire est renvers6e55. Et Pin-
t6r& collectif est-il bien servi qui permet l’exon6ration d’un d6fendeur ayant la
capacit6 de payer –
lors que la victime de sa
n6gligence, s6rieusement bless6e et sans le sou, reste tributaire de l’infrastruc-
ture sociale”6 ?
notamment parce qu’assur6 –
Mais l’int6rt public est mis
contribution d’une autre manire encore
quand, par le jeu de la d6fense d’ex turpi causa, le juge civil est conduit Ai s’im-
miscer dans la gradation des peines pr6vue par le l6gislateur au Code criminel
et dans les lois
caract~re p6nal. Car c’est bien 1h la cons6quence, dans une
perspective fonctionnelle, de l’accueil que fait le juge a cette d6fense et au rigo-
risme qu’elle appelle. Qui plus est, cet interventionnisme, comme je l’ai montr6,
est d6pourvu de toute rationalit6. Et c’est en raison de cette atteinte h la ratio-
nalit6 –
que Weinrib se voit conduit t rejeter, pour
le droit des d6lits civils, ce r6le d’adjuvant du droit p6nal :
l’intr& collectif –
donc
The incidental nature of this method of reinforcing the criminal law is not suscep-
tible to rational allocation in advance and should therefore find no place in a legal
system that aspires to rationality57 .
J’irai plus loin. Ii me parait, en effet, qu’une d6cision qui refuse a un
demandeur la compensation h laquelle les principes de justice corrective lui
donnent 16gitimement droit de pr6tendre, au motif qu’il se serait lui-m~me con-
duit de mani~re condamnable, et qui procde, ce faisant, A l’exon6ration com-
plate du d6fendeur, par ailleurs auteur d’un d6lit civil, est de nature h discr6diter
l’administration de la justice civile dans l’esprit des justiciables. II suffit, pour
s’en convaincre, de guetter la r6action des 6tudiants qui abordent cette mati~re58.
Certes, le corollaire de cette intransigeance du droit des d6lits civils n’est
gu~re pr6fdrable et il serait tout aussi dogmatique de fermer les yeux sur la con-
duite du demandeur en lui m6nageant une pleine compensation. Ainsi l’on serait
malvenu de pr6tendre que la situation d’ill6galit6 du demandeur, ne concemant
que l’ttat, ne doit en rien intdresser le litige et doit du coup commander le
recours h la maxime res inter alios acta du point de vue du d6fendeur 9. Per-
mettre au demandeur de s’engager ainsi impun6ment dans l’ill6galit6, sans
crainte de quelque sanction que ce soit, serait pareillement ouvrir la porte A
55E.J. Weinrib, < Illegality as a Tort Defence >> (1976) 26 U.T.L.J. 28 4 lap. 45, oi l’auteur, s’ap-
puyant sur Bentham, souligne pr6cis6ment la fonction anti-utilitaire de l’intervention judiciaire ;
voir J. Benthan, An Introduction to the Principles of Morals and Legislation, 6d. par J.H. Bums
et H.L.A. Hart, Londres, Methuen, 1982, c. XIV [d’abord paru en 1789].
56Voir Jackson, supra, note 45 A la p. 465 (le juge Murphy).
57Supra, note 55 t la p. 45. A mon avis, Linden, supra, note 37
]a p. 464, se trompe lorsqu’il
affirme que le droit civil a raison de conforter, dans cette situation, ]a sanction p6nale.
5 ,Voir, en ce sens, infra, au texte accompagnant la note 110.
59L’usage de cette expression est empmnt6 A G.H.L. Fridman, (The Wrongdoing Plaintiff >
(1972) 18 R.D. McGill 275 A la p. 306.
1991]
NOTES
l’anathdmatisation. Comment, d~s lors, ddnouer l’impasse suscitde par ce que
‘on est convenu d’appeler un < illrgalisme bilat&al >> ?
A l’heure actuelle, la jurisprudence canadienne parait bien avoir fait sa
place h la defense d’ex turpi causa en mati~re de droit des drlits civils. Dans
la foule des premieres applications”, le juge Addy, jugeant dans l’affaire onta-
rienne Tomlinson c. Harrison, 6crit ainsi que < the defence of ex turpi is part and
parcel of the law torts [sic] in this Province >>61. Dans Tallow c. Tailfeathers, la
Cour d’appel de l’Alberta, par le biais d’un bref panorama historique, indique
que l’applicabilit6 de la defense d’ex turpi causa au domaine drlictuel constitue
d’ailleurs un ph6nom6ne fort ancien62. C’est sans doute ce qui a conduit la Cour
sanctionner h son tour
supreme du Canada, par voie d’obiter dictum il est vrai,
cette prn6tration de la defense d’ex turpi causa dans le domaine d6lictuel. Au
terme d’une revue jurisprudentielle et doctrinale de la question, le juge Estey
conclut, au nom de la Cour:
Whatever the state of the law may be at the present time, however, I do not
find these circumstances to be an appropriate occasion for the invocation of this
defence. If the loss suffered by the [victim] was occasioned by his voluntary par-
ticipation in an illegal transaction, the courts should not come to his assistance.
This does not seem to have been the case, however 63.
60Voir, par exemple, Danluk c. Birkner, [1946] O.R. 427, 3 D.L.R. 172 (C.A. Ont.) ; Joubert c.
Toronto General Trusts Corp., [1955] 3 D.L.R. 685, 15 W.W.R. 654 (Man. C.A.) ; Ridgeway c. Hil-
horst (1967), 61 D.L.R. (2d) 398, 59 W.W.R. 309 (Man. Q.B.); Rondos c. Wawrin (1968), 68
D.L.R. (2d) 658, 64 W.W.R. 690 (Man. C.A.) [ci-apr s Rondos cit6 aux D.L.R.].
61[1972] 1 O.R. 670 a la p. 678, 24 D.L.R. (3d) 26 (H.C.) [ci-apr s Tomlinson cit6 aux O.R.].
Les h6sitations de la Cour d’appel de l’Ontario sur ce point, drvoiles par le juge Cory, maintenant
de ]a Cour supreme du Canada, dans une affaire Phillips c. Vespini, restent insuffisanment prci-
sees pour interroger ce jugement; voir, pour un renvoi cet arr& inrdit du 11 mai 1988, Pugliese
c. Macrillo Estate (1988), 67 O.R. (2d) 641 A lap. 648 (H.C.) [ci-apr~s Pugliese]. Mais voir, pour
une decision de la Colombie-Britannique approuvant express~ment Tomlinson, Dolson c. Hughes
(1979), 107 D.L.R. (3d) 343
la p. 348, 17 B.C.L.R. 350 (B.C.S.C.) (M. le juge Taylor).
62(1973), 44 D.L.R. (3d) 55 aux pp. 59-61, [1973] 6 W.W.R. 732 (Alta C.A.) (M. le juge Cle-
ment) [ci-apr~s Tallow cit6 aux D.L.R.]. La Cour renvoie notamment A l’arr& Colburn c. Patmore
(1834), 1 C.M. & R. 72 A lap. 83, 149 E.R. 999 A lap. 1003, oh Lord Chief Baron Lyndhurst 6cri-
vait:
I know of no case in which a person who has committed an act, declared by the law
to be criminal, has been permitted to recover compensation against a person who has
acted jointly with him in the commission of the crime. It is not necessary to give any
opinion upon this point; but I may say, that I entertain little doubt that a person who
is declared by the law to be guilty of a crime cannot be allowed to recover damages
against another who has participated in its commission.
63Canada Cement LaFarge Ltd c. British Columbia Lightweight Aggregate Ltd, [1983] 1 R.C.S.
452 A lap. 479, 145 D.L.R. (3d) 385 [ci-apr~s Canada Cement cit6 aux R.C.S.] (c’est moi qui mets
les mots en italiques). La traduction frangaise me parait drficiente dans la mesure oii l’on y rend
l’anglais < transaction > par < contrat
Consid~rant que ce litige avait trait au d6lit civil de complot (conspiracy) et que ce passage
marque l'aboutissement d'une discussion prcis~ment drvolue au rrle de la defense d'illgalit en
.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 36
Ce faisant, la Cour supreme se drmarque nettement d'une dissidence du juge
Abbott lequel, dans une affaire Miller c. Decker, avait refus6 de voir, pour la
defense d'ex tuipi causa, un quelconque rrle en mati~re ddlictuelle4. Certes,
cette derni~re position s'est rrcemment vue r6itre, dans Betts c. Sanderson
Estate, par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique. Ainsi selon le juge
Lambert, 6crivant au nom de la Cour,
[tihe principle that a person cannot use the law to profit from his or her own cri-
minal conduct is well established in the law of property and in the law of contract.
[...] an extension of the principle into the purely compensatory aspects of the law
of tort represents, not just an extended application of the principle, but a modifi-
cation of the principle itself. That modification has only a very tenuous hold on
the law of tort, if it has any place there at all65.
Mais il faut Yoir que, malgr6 ce malaise, la Cour d'appel s'estime clairement
lie par l'une de ses propres decisions -
consacrant,
selon le tribunal d'appel, la pertinence de la defense d'ex turpi causa en mati~re
d~lictuelle67.
l'affaire Mack c. Enns' -
Les conditions auxquelles le droit positif tient le d6fendeur A un recours
pour negligence qui souhaite invoquer la defense d'ex turpi causa sont, pour
l'essentiel, au nombre de deux. L'ill6galit6 imputre au demandeur doit etre sur-
droit des drlits civils, je ne puis admettre la lecture indfiment restrictive qu'en sugg~re le juge Lam-
bert, au nom de la Cour, dans Betts, supra, note 15 A la p. 682, qui dcrit:
The[se] words [...] constitute a general statement of the legal principle in words appro-
priate to contract and property cases. [...] I consider that the application of the principle
to tort cases cannot yet be regarded as having been settled by the Supreme Court of
Canada.
Certes, ainsi que je l'ai mentionn6 au texte, cette formulation de la Cour supreme ne participe pas
de la ratio decidendi de l'arr&. Elle n'en demeure pas moins des plus nettes.
64[1957] S.C.R. 624 aux pp. 627-28, 9 D.L.R. (2d) 1 [ci-apr~s Miller cit6 aux S.C.R.]. La dis-
sidence, h laquelle concourait le juge Taschereau, s'appuyait sur un passage tir6 de Foster c. Mor-
ton (1956), 4 D.L.R. (2d) 269 h la p. 333, 38 M.P.R. 316 (N.S.C.A.) [ci-apr~s Foster cit6 aux
D.L.R.], oa le juge MacDonald concluait que
in principle this doctrine of illegality should not afford a general defence to civil
actions of negligence arising out of automobile accidents, particularly in Canada where
many kinds of conduct are prohibited by the Criminal Code and by many Provincial
Acts of a penal nature.
Dans cette affaire, la d6fense d'ex turpi causa n'avait finalement pas t6 jugde pertinente vu l'ab-
sence d'entreprise ill~gale commune. I1 est h noter que la majorit6, dans Miller, ne discute pas ia
defense d'ex turpi causa.
Des rticences similaires sont exprim~es en Angleterre a la meme 6poque. Dans National Coal
Bd c. England, [1954] A.C. 403 A lap. 419 (H.L.), Lord Porter 6crit: << the adage itself is generally
applied to a question of contract and I am by no means prepared to concede where concession is
not required that it applies also to the case of a tort >>. Pour sa part, Lord Asquith renchdrit, a la
p. 428 : Cases where an action in tort has been defeated by the maxim are exceedingly rare >.
65Supra, note 15 -h la p. 681.
66Mack (C.A.), supra, note 9.
67Supra, note 15 aux pp. 684-85 (M. le juge Lambert, au nom de Ia Cour).
1991]
NOTES
venue dans le cadre d’une entreprise illgale commune avec le drfendeur et le
prejudice dont se plaint le demandeur doit lui 6tre rdsult6 de cette entreprise ill-
gale meme s. C’est ce que reprend l’arr~t Norberg c. Wynrib69 . Le paradoxe
auquel conduit la premiere de ces exigences n’a pas 6chapp6 h l’attention des
tribunaux. Soit un demandeur bless6 par la negligence d’un d6fendeur alors que
ce demandeur s’adonne h une entreprise ill~gale. Si le ddfendeur se trouvait
memement impliqu6 dans l’entreprise ill~gale, il n’encourra aucune responsabi-
lit6 civile. Toutefois, si le d6fendeur n’6tait pas partie h l’activit6 ill~gale, il
devra r~pondre de sa negligence. Comme le dit le juge Lambert dans Betts c.
Sanderson Estate, << [t]he net result of a principle intended to prevent a plaintiff
from profiting from his own wrong would be to permit a defendant to profit
from his own wrong >>70.
Ainsi revue en mati~re d~lictuelle, la defense d’ex turpi causa se voit, h
toutes fins pratiques, assimilre h la defense de volenti non fit injuria. Par
exemple, dans Blakely c. 513953 Ontario Ltd, le juge Honey 6eit pdremptoire-
ment:
sissant de s’engager dans une entreprise illdgale, a tacitement accepts le risque
d’une conduite ddlictueuse de la part du ddfendeur. Telle 6quation, m~me si elle
ne se voit pas formellement exprimde par la Cour, transparait parfois des cir-
6SVoir, par exemple, Tomlinson, supra, note 61 A la p. 677 (M. le juge Addy); Mongovius c.
Marchand (1988), 44 C.C.L.T. 18 aux pp. 28-31 (B.C.S.C.) (M. le juge Rowles); Joubert c.
Toronto General Trusts Corp., supra, note 60 h la p. 690 (M. le juge en chef Adamson) [insistance
sur la prdsence d’une entreprise illrgale conjointe] ; Betts, supra, note 15 [absence d’entreprise illd-
gale conjointe] ; Mack (C.A.), supra, note 9 4 la p. 151 [absence d’entreprise illgale conjointe et
de lien de causalit6] ; Blakely c. 513953 Ontario Ltd (1985), 49 O.R. (2d) 651 aux pp. 653-54, 49
C.P.C. 120, 31 M.V.R. 10 (S.C.) (M. lejuge Honey) [ci-apr~s Blakely cit6 aux O.R.] [absence d’en-
treprise illgale conjointe] ; Pugliese, supra, note 61 A la p. 649 (M. le juge Chadwick) [absence
d’entreprise illgale conjointe] ; Foster, supra, note 64 [absence d’entreprise illegale conjointe] ;
Rondos, supra, note 60 4 la p. 663 (M. le juge Guy) [insistance sur la presence du lien de causa-
lit] ; Canada Cement, supra, note 63 [absence de lien de causalit6] ; Bond c. Loutit (Nounen),
[1979] 2 W.W.R. 154 aux pp. 166-67 (Man. Q.B.) (M. le juge Hamilton) [absence de lien de
causalitf].
L’exigence d’un lien de causalit6 ne fut pas toujours reconnue. En droit am~ricain, par exemple,
on refusait compensation t une victime dans les cas oa la participation de celle-ci h un acte illegal
donnait au tiers l’occasion d’8tre negligent 4 son endroit. D~s lors, un demandeur qui, en violation
du droit penal, conduisait un dimanche, ne pouvait r~clamer pour quelque prdjudice que ce soit
qu’il subissait dans le contexte de cette entreprise, que son acte ill6gal eut caus6 le prejudice ou
qu’il n’en ait 6t6 que l’occasion. Voir, par exemple, pour une recension de nombreuses decisions
illustrant cette justice somme toute gu~re achevde, H.S. Davis, < The Plaintiff's Illegal Act as a
Defense in Actions of Tort >> (1905) 18 Harv. L. Rev. 505 ; E.R. Thayer, < Public Wrong and Pri-
vate Action >> (1914) 27 Harv. L. Rev. 317 h la p. 338 ; Prosser and Keeton on the Law of Torts,
5e dd. par W.P. Keeton, St-Paul, Minn., West, 1984 aux pp. 231-33.
69Norberg (C.A.), supra, note 5 h la p. 558.
7Supra, note 15 a la p. 685.
71Supra, note 68 h la p. 654.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 36
constances entourant la decision judiciaire. La plus belle illustration en est sans
doute l’affaire Tallow c. Tailfeathers, alors que le juge Allen ayant express~ment
fond6 son jugement sur la d6fense de volenti et le juge Clement ayant fait tout
aussi nettement reposer le sien sur la d6fense d’ex turpi causa, apr s avoir clai-
rement refus6 de consid6rer la defense de volenti, le troisi~me juge, le juge
Prowse, se fait fort de concourir simultanrment aux deux jugements”.
Or, l’on n’ignore pas l’impopularit6 de la d6fense de volenti aupr6s des tri-
bunaux qui, soucieux d’6viter un drni de compensation radical au demandeur,
en astreignent l’usage t des conditions rigides. Celles-ci sont bien exprimres par
la Cour supreme du Canada dans l’arr~t Dubg c. Labar:
[L]e moyen de d6fense de volenti ne s’applique que lorsque les circonstances sont
telles qu’il est manifeste que le demandeur, connaissant le risque presque certain
de pr6judice, a essentiellement convenu de renoncer
son droit de poursuite pour
les blessures subies par suite d’une negligence quelconque du drfendeur. L’accep-
tation du risque peut 6tre expresse ou peut ressortir de fagon nettement implicite
de la conduite des parties, mais elle n’est opposable […] que lorsqu’on peut vrai-
ment dire que les deux parties ont compris que le drfendeur n’assumait aucune
responsabilit6 de diligence pour la srcurit6 du demandeur et que le demandeur ne
s’attendait pas t ce qu’il le fasse.
I …]I
Le bon sens r6v6Te que ce n’est que rarement qu’un demandeur consentira vrai-
ment A accepter le risque drcoulant de la n6gligence du drfendeur 73.
C’est ainsi que Linden peut 6crire que << courts rarely invoke the defence nowa-
days 4
Aussi peut-on comprendre qu'un examen de la jurisprudence drlictuelle en
mati~re d'ex turpi causa rrv~le, de m~me mani~re, un malaise des tribunaux
face au radicalisme des consequences qu'entraine traditionnellement l'applica-
tion de cette d6fense -
soit le d6ni de compensation total. Dans Tomlinson c.
Harrison, quoiqu'il se montre tout t fait pr~t h accueillir la d6fense d'ex turpi
causa en mati~re drlictuelle75, le juge Addy soul~ve la possibilit6 qu'elle ne
joue pas au cas d'illrgalismes constituting a mere breach of a penal statute or
a minor offence of the nature of those formerly known at common law as mis-
demeanours >>76. Pareillement, dans Tallow c. Tailfeathers, le juge Clement
estime qu’il convient de confiner la portre de la defense d’ex turpi causa aux
infractions criminelles ressortissant de la juridiction f6drale : I conclude that
the rule has no application to provincial laws nor to by-laws >>.
la Cour).
72Supra, note 62 aux pp. 56, 68 et 68, respectivement.
71[1986] 1 R.C.S. 649 A Ta p. 658, 27 D.L.R. (4th) 653 (M. le juge Estey, pour une majoritd de
74Supra, note 37 A ]a p. 451.
75Supra, note 61.
76Ibid.
77Supra, note 62 t Ta p. 65.
1991]
NOTES
Si, comme semble l’entendre la jurisprudence canadienne, la d6fense d’ex turpi
causa doit avoir droit de cit6 en mati~re d6lictuelle, il me parait, eu 6gard aux
cons6quences particuli~rement rigoureuses r6sultant d’un alignement de cette
d6fense sur celle de volenti non fit injuria, qu’un autre module m6rite d’8tre
retenu. Je sugg~re donc, h l’instar de Linden7s, une analogie entre la d6fense
d’ex turpi causa et celle de n6gligence contributive. Cette conclusion me parait
d’autant plus heureuse qu’elle est autoris6e par les textes l6gislatifs en vigueur.
Une lecture des onze lois provinciales et territoriales relatives t la n6gli-
gence contributive rend compte que, pour dix d’entre elles, il y a lieu h un pro-
nonc6 de responsabilit6 civile partag6e et, d~s lors, h un octroi rdduit de
dommages-int6rets au demandeur dans tous les cas ofi celui-ci aurait commis
une faute >>”. Or, cette notion parait certes suffisamment large pour englober
la commission d’un acte criminel. Le l6gislateur n’ayant pas entendu conf6rer
aux infractions criminelles un statut qui les diff6rencierait des autres types de
fautes, il n’y a pas lieu de se lancer ici dans des distinguos plus ou moins subtils.
Les civilistes connaissent bien le mot de Planiol selon lequel toute violation de
la loi est constitutive de faute8″. L’acte criminel donnerait ainsi, pour les fins de
ces textes, ouverture A la n6gligence contributive. S’il est vrai que la loi mani-
tobaine a recours h la notion davantage circonscrite de < n6gligence >> plut6t
qu’ celle de faute >, je ne vois pas que cette pr6f6rence se r6v~le d6termi-
nantes1. Comme le dit Gibson,
[n]egligent conduct is that which can reasonably be foreseen to involve an unrea-
sonable risk of harm […]. [I]llegal acts by the plaintiff which increase the foresee-
able risk of harm, should be regarded as “contributory negligence’ 82.
78Supra, note 37 A la p. 467.
79Voir, pour une formulation typique, The Contributory Negligence Act, R.S.N. 1970, c. 61,
art. 2:
Where by the fault of two or more persons damage or loss is caused to one or more
of them, the liability to make good the damage or loss shall be in proportion to the
degree in which each person was at fault [c’est moi qui mets le mot en italiques].
Voir 6galement Contributory Negligence Act, R.S.A. 1980, c. C-23, art. 1(1) (< fault ) ; Negli-
gence Act, R.S.B.C. 1979, c. 298, art. I (< fault ) ; Loi sur la nigligence contributive, L.R.N.-B.
1973, c. C-19, art. 1(1) (< faute ); Contributory Negligence Act, R.S.N.S. 1967, c. 54, art. 1(1)
(< fault ) ; Negligence Act, R.S.O. 1980, c. 315, art. 4 ( fault or negligence ) ; Contributory
Negligence Act, R.S.P.E.I. 1988, c. C-21, art. 1(1) ( fault ) ; The Contributory Negligence Act,
R.S.S. 1978, c. C-31, art. 2(1) (< fault > ); Contributory Negligence Ordinance, R.O.N.W.T. 1974,
c. C-13, art. 2 ( fault ) ; Contributory Negligence Act, R.S.Y.T. 1986, c. 32, art. 1(1) (< fault >).
Voir, pour un bref historique de l’av~nement de lois provinciales en mati~re de partage de res-
ponsabilit6 civile mettant en valeur l’influence du droit civil, W.F. Bowker, Ten More Years
Under the Contributory Negligence Acts
(1965) 2 U.B.C. L. Rev. 198 aux pp. 201-02.
80Voir M. Planiol, note sub Paris, 8 f6vrier 1896, D.1896.2.457.
8 1Loi sur les auteurs de dilits civils et la n~gligence contributive, L.R.M. 1987, c. T-90, art. 4.
82Supra, note 34 A la p. 95.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 36
Deux des quelques ddcisions qui ont eu recours 4 cet argumentaire mrritent
d’etre relatres.
Dans une affaire Lewis c. Sayers83, une cour ontarienne avait
connaitre
d’un accident de voiture survenu apr~s qu’un proprirtaire de v6hicule ivre eut
permis h son compagnon, 6galement en 6tat d’6bri6t6, de prendre le volant. Le
propri~taire, bless6 dans l’accident, ayant intent6 un recours en responsabilit6
civile h l’endroit du conducteur, la Cour retient que la defense de volenti ne sau-
rait trouver application 6tant entendu que le demandeur n’a jamais v6ritable-
ment renonc6 A l’exercice d’un 6ventuel droit d’action t l’encontre du conduc-
teur. Le juge Gould entreprend, des lors, de se tourner vers la Negligence Act84
et conclut que la notion de < faute > qui y est mentionnre comprend le geste i116-
gal pos6 par le demandeur:
It appears to me that in a case to which, by reason of its facts, s. 4 of the Negli-
gence Act applies, the Ontario Legislature has quite deliberately substituted for the
ex turpi causa rule a positive direction that the Court shall make a finding as to
the degree of fault or negligence to be attributed to each party and shall apportion
the damages accordingly. I realize of course that s. 4 was enacted primarily to do
away with the absolute defence formerly available in cases of contributory negli-
gence, but the wording is equally apt in relation to the defence now under discus-
sion, to which the added words “fault or” seem to apply with particular force. The
defence ex turpi causa non oritur actio seems necessarily to involve a situation
where both parties are alleged to be at fault, and so long as it is remembered that
s. 4 applies only where the fault of each has contributed to the damages, in my opi-
nion the section leaves no room for the application of the maxim” .
Dans Bigcharles c. Merke86, un voleur par effraction, surpris alors qu’il
quittait les leux de son m6fait, est abattu par le propri6taire de l’ddifice.
Quoique le de cujus eut 6t6 impliqu6 dans une activit6 criminelle, une cour de
Colombie-Britannique retient que les personnes h sa charge doivent pouvoir
profiter de la l6gislation provinciale pr6voyant compensation au b6n6fice des
personnes A la charge de justiciables d6c6d6s . la suite d’une faute. Le juge Sea-
ton op~re toutefois un partage de responsabilit6 en vertu duquel il impute une
faute contributive au voleur dans une proportion de 75 % de la totalit6 des
dommages-int6rrts s . En d6pit du fait que l’entreprise ill6gale en cause n’ait pas
6t6 commune aux deux parties, cette d6cision int6resse par la subsomption
qu’elle op~re de la notion d’ill6galit sous le concept de n6gligence contribu-
tive. D’autres prononc6s judiciaires encore ont manifest6 leur appui t ce raison-
83(1971), 13 D.L.R. (3d) 543, [1970] 3 O.R. 591 (Dist. Ct) [ci-apr s cit6 aux D.L.R.].
84Supra, note 79.
85Supra, note 83 4 la p. 598.
86(1972), 32 D.L.R. (3d) 511, [1973] 1 W.W.R. 324 (B.C.S.C.) [ci-apr~s cit6 aux W.W.R.].
87lbid.
Ia p. 329. Voir dgalement Teece c. Honeybourn (1974), 54 D.L.R. (3d) 549, [1974] 5
W.W.R. 592 (B.C.S.C.).
1991]
NOTES
nement ss, au point oi d’aucuns, par trop optimistes, ont cru devoir parler d’une
tendance 9 .
Les r6ticences de Weinrib ne paraissent pas devoir emporter l’adh6sion.
Traitant tout de m~me d’une << acute suggestion >>, cet auteur souligne que
[a]lthough linguistically possible […] it does seem to involve the artificial process
of constructing a proportion out of two different components, the plaintiff’s ille-
gality and the defendant’s negligence 9.
Mais Weinrib fait insuffisamment de cas, selon moi, de la g6mellit6 de la n6gli-
gence et de l’ill6galit6; ainsi au-delM du fait que l’ill6galit6, dans les cas qui
nous occupent, constitue une faute, n’est-il pas vrai de dire que la n6gligence
constitue une forme, peut-8tre dilu6e, de l’illgalit6 en ce que ne pas respecter
son obligation de diligence impos6e par le Droit, c’est bien contrevenir a la
ldgalit69′ ?
Les d6cisions dont j’ai fait 6tat permettent, par leur recours a la notion de
faute contributive, d’harmonier les ill6galismes en cause et l’int6rt social avec
plus d’efficace que ne saurait l’autoriser la d6fense d’ex turpi causa. Dans la
foul6e d’un 6minent juriste anglais qui avait, d~s 1951, entrepris d’analyser l’il-
16galit6 du demandeur h l’enseigne de la n6gligence contributive plut6t que
comme application de la d6fense d’ex turpi causa92, Irvine reprend cette opinion
a son compte:
[O]ne is left with the feeling that contributory negligence apportionment provides
a far safer tool for doing substantial justice on a case-to-case basis, and produces
results more likely to appeal to “fair-minded and right thinking [sic] people” than
this stark and retributive defence of illegality93.
Pr6sentant l’6tat du droit amricain sur la question, Prosser souligne que les tri-
bunaux y ont, depuis longtemps, 6cart6 la th~se selon laquelle un justiciable vio-
88Ainsi dans Pugliese, supra, note 61 h la p. 649, le juge Chadwick 6crit:
If I was to apply the doctrine [of ex turpi causal in this situation I would be inclined
to follow the reasoning of Linden and proceed by way of contributory negligence in
the reduction of the plaintiff’s damages as opposed to total exclusion as a result of the
plaintiff’s conduct.
Voir, pour un renvoi A d’autres d6cisions, D. Cheifetz, Apportionment of Fault in Tort, Aurora,
Ont., Canada Law Book, 1981 aux pp. 193-95.
S9Voir L.D. Rainaldi, 6d., Remedies in Tort, t. 2, Toronto, Carswell, 1987, no 200.
90Supra, note 55 a la p. 36, n. 29. Voir, en outre, les rdserves de F Pollock dans P.A. Landon,
dd., Pollock’s Law of Torts, 15e 6d., Londres, Stevens, 1951 h la p. 127.
91Contra : W.J. Ford, << Tort and Illegality : The Ex Turpi Causa Defence in Negligence Law >
(1977) 11 Melb. U. L. Rev. 32, 164 aux pp. 178-79.
92Voir G.L. Williams, Joint Torts and Contributory Negligence, Londres, Stevens, 1951 aux pp.
333-35.
93J. Irvine, < Annotation > sub Mongovius c. Marchand, supra, note 68 A ]a p. 21.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 36
lant une loi
civils d’autrui94.
caract~re penal serait priv6 de toute protection contre les d6lits
S’il me parait donc heureux de traiter l’illgalit6 du demandeur comme
devant entralner une diminution –
des
dommages-intrr&s auxquels il est normalement en droit de pr~tendre en tant
que victime, il convient n6anmoins de rrserver les cas ott la loi A caract~re penal
qui est violre entend franchement priver le demandeur de toute compensation95.
Quant aux circonstances oti le demandeur aurait vritablement renonc6 t son
6ventuel recours contre le ddfendeur, la d6fense de volenti devra trouver appli-
cation ainsi qu’h l’habitude.
plutrt qu’une 61imination –
II. L’immoralit6 de ]a victime
Je n’ai pas trait6, dans mon analyse, de l’acte immoral, la seule immondi-
cit6 n’6tant pas constitutive de faute civile et n’ayant pas, d~s lors, vocation t
6tre consid~re au titre de negligence contributive. Cette question, en effet, ne
participe en rien de la discretion judiciaire 6tant entendu que celle-ci n’a trait
qu’aux mati~res d’ordre juridique96 . Le caract~re intrins~quement relatif de la
notion d’immoralit6 permettant au juge l’exercice d’un arbitraire sans borne me
conforte dans mon opinion que les tribunaux n’ont pas It tirer des consequences
juridiques –
tel le ddni ou la minoration de compensation – d’une 6valuation
strictement morale du comportement de la victime.
Imperqu, le danger d’alratoire n’a pas emp~ch6 la Cour supreme de la
Colombie-Britannique, dans l’affaire Mack c. Enns, d’englober, dans la defense
d’illdgalit6, l’immoralit6 de la victime. Le juge Taylor 6crivait alors :
The operation of the rule is appropriate, I think, where there is proof of
morally reprehensible activity on the part of the plaintiff, involving an actual or
intended breach of the public peace, and the loss or injury complained of is so con-
nected with the plaintiff’s unlawful activity as to make it unconscionable that a
Court should come to his aid.
I[…]I
Restatement (Second) of Torts (1963), 469.
94Voir Prosser and Keeton on the Law of Torts, supra, note 68 aux pp. 231-33. Voir, en outre,
95Voir Jackson, supra, note 45 aux pp. 465-66 (M. le juge Murphy).
96Voir A. Barak, Judicial Discretion, New Haven, Yale University Press, 1989 i la p. 10 : the
term discretion assumes the existence of a legal problem for which there is more than one lawful
solution > [le mot en italiques est de l’auteur] ; t ]a p. 20 : judicial discretion […] always derives
its force from the law >> ; a ]a p. 19 : Discretion exercised by virtue of law is never absolute >>.
Voir, pour un cas d’obligation faite au juge qurb6cois de prononcer sur les transactions juri-
diques des parties i l’aune des bonnes moeurs >>, art. 13, 990 et 1062 du Code civil du Bas
Canada. Ces textes ont trait au contrat.
1991]
NOTES
The key question is whether the unlawful conduct of the plaintiff leading up to the
events on which the action rests has been so reprehensible as to disentitle him to
the assistance of a court of law.
I[…
I must ask whether it would offend the conscience of right-thinking, law-abiding
members of the community if a court were to lend the plaintiff its assistance in the
circumstances in securing monetary compensation for his injuries. I am compelled
to the conclusion that it would indeed offend the view which such people hold of
the purpose for which the Courts are maintained97.
II n’est certes pas de mon propos de nier qu’il est des notions juridiques
dont le contenu fait n6cessairement appel A l’injection par le juge de consid6ra-
tions morales dans le processus adjudicatif. En d’autres termes, une notion juri-
dique agit bien souvent A titre de v~hicule invitant A des consid6rants d’ordre
moral; et je songe ici, par exemple, aux notions d’< unconscionability >, telle
qu’envisag6e par le Uniform Commercial Code am6dricain s, de n6gligence, de
raisonnabilit6 et quoi encore. Mais je ne saurais admettre qu’au-delM de ces
coquilles vides par le remplissage desquelles le juge est it m~me d’op6rer une
moralisation du droit, il soit l6gitime pour lui de proc6der A des infusions de
morale dans le droit qui ne seraient pas relay~es par une quelconque notion juri-
dique, si floue ou si variable soit-elle par son contenu. Car voilt qui a, on me
l’accordera, une autre allure. L’on franchit alors, en effet, ce qui m’apparait
comme le seuil d’acceptabilit6 du r6le de la morale en droit. Ce que je dis, c’est
une source de
que la morale, la seule morale n’est pas –
la r6gle en vertu de laquelle le demandeur ne
droit. Or – Ripert l’a bien vu –
pourrait obtenir r6paration eu 6gard A sa conduite jug6e r6prdhensible (mais non
ill6gale), cette r6gle, donc, relive pr~cis6ment de la seule morale: ce n’est pas
une r~gle juridique99. Et l’entreprise du juge ne se voit pas autrement justifi6e
lorsqu’elle prdtend se camoufler, plus ou moins piteusement, derriere 1’6cran de
la < politique juridique > (public policy). Eisenberg a raison de faire intervenir
ici une distinction :
et ne doit pas 8tre –
Policies characterize states of affairs as conducive or adverse to the general wel-
fare. In contrast to moral norms, which characterize conduct as right or wrong,
policies characterize states of affairs as good or bad’0 .
I1 ne saurait donc etre question de cautionner telle confusion des genres. Aussi
Corbin avait-il tort d’6crire que [i]n determining what public policy requires,
97Supra, note 10 aux pp. 345 et 347 [c’est moi qui mets les mots en italiques].
9SU.C.C. 2-302.
9 Supra, note 41
1M.A. Eisenberg, The Nature of the Common Law, Cambridge, Harvard University Press, 1988
A Ia p. 26. Voir aussi, par exemple, C.F. Mooney, Public Virtue, Notre Dame, Ind., University of
Notre Dame Press, 1986 A lap. xi : << Morality and public policy may be related [...]. But the two
are also clearly distinct, since not every ethical value promotes the common good >.
la p. 190, no 108.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 36
there is no limit whatever to the ‘sources’
go >>”o. La seule << morale judiciaire >> n’a pas voix au chapitre.
to which the court is permitted to
Du reste, de quoi cette << morale judiciaire >> s’alimenterait-elle ?
Faudrait-il s’en remettre t la moralit6 personnelle du juge ? Cette solution, ne
fut-ce qu’en raison de son caract~re anti-d6mocratique, est loin de s’imposer ‘ .
II n’y a gu~re lieu d’insister que la moralit6 des uns reste h jamais l’immoralit6
des autres. Savatier fait preuve de perspicacit6 qui voit IA comme
un vaste oc6an d’incertitudes oi chaque juge se guide personnellement au moyen
d’une boussole morale ai lui propre, qui se trouve loin de marquer toujours le
meme nord que celle du juge voisin’ 0 .
qui me semblent relever de la dramatisation –
S’agirait-il de puiser plut6t A la morale sociale ? Au-delM des appr6hensions de
Ripert –
selon lequel << [1]'as-
sentiment g6n6ral n'est souvent que l'accoutumance au vice >> , la r6f6rence A
cette (hypoth6tique) morale sociale pose imm~diatement le probl~me de sa
d6termination. Comment en arriver t la cemer de mani~re empirique ? Et com-
ment s’assurer que telle ou telle autre morale dite << sociale >> ne se fasse pas que
le reflet de la morale d’un groupe dominant ou particuli~rement en vue au sein
de la soci6t6 ? Ces arguments, notamment 61abor6s par Ely”05, paraissent faire
justice de cette notion f’malement fruste et mirifique. Ainsi la Cour d’appel de
la Colombie-Britannique a-t-elle eu raison, dans l’affaire Mack c. Enns, de soi-
gneusement 6viter d’endosser le r6le qu’avait voulu faire jouer le tribunal de
premiere instance h la notion de moralit 0 o6.
Faisant fi des raisons qui appellent A un confinement de la morale pure et
dure au non-droit, la jurisprudence anglaise r6cente a, pour sa part, choisi de pri-
vil6gier, sous le couvert de la flexibilit6, la plasticit6 conceptuelle et l’improvi-
sation. L’arr&t Shelley c. Paddock marque le point de d6part de cette 6volution
jurisprudentieller 7. Dans cette affaire, on l’a not&0 5, Lord Denning retient la res-
’01A.L. Corbin, Corbin on Contracts, t. 6A, St-Paul, Minn., West, 1962 A la p. 19, no 1375.
0 2Contra: K. Greenawalt, << Policy, Rights, and Judicial Decision >> (1977) 11 Ga. L. Rev. 991
1
aux pp. 1051-52.
103R. Savatier, note sub Req., 8 juin 1926, D.P.1927.1.113 a lap. 115, cit6 dans P. Le Toumeau,
La regle < Nemo auditur ... >>, Paris, L.G.D.J., 1970, t la p. 142, no 128.
‘4Supra, note 41 4 la p. 72, no 39.
’05Voir J. H. Ely, Democracy and Distrust, Cambridge, Harvard University Press, 1980 aux pp.
63-69. Curieusement, Ely avance –
que ses arguments a l’en-
contre de l’existence d’une morale sociale ne vaudraient pas en common law du meme poids qu’ils
valent en droit constitutionnel ; voir supra aux pp. 67-68. Eisenberg, par ailleurs en dtsaccord avec
Ely relativement A l’existence d’une morale sociale meme, a raison de dire que cette distinction
est artificielle et d’ajouter que, si Ely voitjuste, c’est A ]a fois en droit constitutionnel et en common
law que la notion de morale sociale doit achopper; voir Eisenberg, supra, note 100 A lap. 20. Voir,
pour l’argument de Eisenberg en faveur du recours A ]a morale sociale: supra aux pp. 14-26.
avec circonspection, il est vrai –
106Supra, note 9 aux pp. 149-51 (M. le juge Hutcheon, au nom de la Cour).
07Supra, note 49.
I’Supra, au texte accompagnant ]a note 49.
1991]
NOTES
ponsabilit6 civile du d6fendeur, malgr6 la d6fense d’ill6galit6 avanc6e par ce
dernier, au motif que sa conduite est plus rdpr6hensible que celle du deman-
deur'”. Les libert6s que s’autorise la Cour eu 6gard aux principes traditionnels
sont notamment soulign~es par le juge Brandon qui 6crit: << I still feel some
doubt whether the defendants are not entitled to succeed in law even though
such a result would appear to any ordinary person to be extremely unfair >>”O.
Dans Thackwell c. Barclays Bank plc, le juge Hutchison se montre pret nier
son remade au demandeur quoiqu’il n’ait pas particip6 A une entreprise ill6gale
commune avec le d6fendeur'”. Le juge dit de ces arr~ts relatifs A la d6fense d’ex
turpi causa qu’ils constituent < an exercise in the application of public policy
according to the court's conscience >>.2 Cette large place faite
la << moralit6
judiciaire >> se voit confirm~e dans Saunders c. Edwards, oil le juge Kerr 6crit:
These cases [Shelley et Thackwell] show that the conduct and relative moral cul-
pability of the parties may be relevant in determing [sic] whether or not the ex
turpi causa defence falls to be applied as a matter of public policy” 3.
Ayant jug6 que la culpabilit6 morale du d6fendeur l’emportait sur celle du
demandeur, le juge d6termine que la d6fense d’ill6galit6 ne saurait trouver
application. L’affaire Euro-Diam Ltd c. Bathurst parait marquer l’aboutissement
de ce d6veloppement’ 4. Le juge Kerr 6nonce en ces termes les principes
pertinents :
The ex turpi causa defence ultimately rests on a principle of public policy that the
courts will not assist a plaintiff who has been guilty of illegal (or immoral) con-
duct of which the courts should take notice. It applies if, in all the circumstances,
it would be an affront to the public conscience to grant the plaintiff the relief
which he seeks because the court would thereby appear to assist or encourage the
plaintiff in his illegal conduct or to encourage others in similar acts” 5.
Le juge retient que la d6fense ne s’applique pas en l’esp~ce. Quoiqu’il se soit
agi, dans cette affaire, d’un contrat d’assurance, il ne fait pas de doute, selon
moi, que l’6nonc6 a une port~e davantage g6nrale. A l’instar d’une jurispru-
dence remontant aux dix-septi~me et dix-huiti~me sicles”6 , l’arret Euro-Diam
parait ainsi vouloir consacrer l’immoralit6 des << situations acquises >> pour
‘9Supra, note 49 aux pp. 356-57.
‘”Ibid. t Ia p. 357.
“‘[1986] 1 All E.R. 676 4 la p. 689 (Q.B.).
“21bid. A lap. 688.
“3[1987] 1 W.L.R. 1116 A ]a p. 1127 et, dans le meme sens, aux pp. 1132-33 (M. le juge
Nicholls), [1987] 2 All E.R. 651 (C.A.).
14[1988] 2 W.L.R. 517, [1988] 2 All E.R. 23 (C.A.) [ci-apr~s cit6 aux All E.R.].
“5lbid aux pp. 28-29 [c’est moi qui mets les mots en italiques].
” 6Voir, par exemple, pour de vieilles dcisions 6tendant ]a notion d’ill6galit6 A l’immoralit6 en
mati~re contractuelle, Holman c. Johnson (1775), 1 Cowp. 341 A Ia p. 343, 98 E.R. 1120 (Lord
Mansfield) ; Hegarty, supra, note 8 aux pp. 294-95 (Lord Chancellor Ball) et 299-300 (Lord Chief
Baron Palles).
McGILL LAW JOURNAL
(Vol. 36
mieux stigmatiser l’immoralit6 du recours”. Par-delh les critiques que j’ai d6jh
fait valoir relativement i 1’il6gitimit6 du renvoi h la seule morale eu 6gard,
la fugacit6 et A l’insaisissabilit6 qui la caract6risent, le paradoxe
notamment,
meme auquel provoque cette d6cision ne saurait laisser indifferent. Fridman n’a
pas tort qui conclut que, somme toute, le recours par le droit des d6lits civils 4
la d6fense d’ex turpi causa ne s’est gu~re r6v616 heureux” s.
Epilogue
A propos du r6le de la d6fense d’ex turpi causa en droit des d~lits civils,
le hasard des litiges a pos6 h la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, avec
l’affaire Norberg c. Wynrib” 9, une question h laquelle je crois que le droit civil
frangais aurait r~pondu de fagon plus convaincante. I1 parait ainsi utile de sou-
ligner que le droit frangais, qui n’h6site pas h se montrer tout h fait 1galiste
4 tort, selon moi – moraliste) en mati6re contractuelle , ne fait en
(voire –
rien obstacle h Faction civile visant la reparation du pr6judice caus6 par une
infraction p6nale, le demandeur eut-il lui-m~me particip6 A la commission de
cette infraction”. Dans la m~me veine, il me parait que :
i. s’agissant de l’une de < ces formules toutes faites, [de
'un de] ces brocards
admis sans examen [...I qui apparaissent bient6t, parce qu'on en ignore ou qu'on
en oublie l'origine et qu'on les redit machinalement, comme aussi in~branlables
et aussi 6vidents que les axiomes des sciences math~matiques >>12, la d6fense
d’ex turpi causa ne devrait pas, en common law, avoir droit de cit6 en mati~re
de d~lits civils”z3 ;
Ii. si cette d6fense n’en est pas moins autoris~e par les tribunaux, elle devrait
8tre assimil~e ? la negligence contributive (sauf le cas d’un texte l~gislatif inter-
disant le recouvrement de dommages-int6rats) 24 ;
” 7 Ripert, supra, note 41 t la p. 187, no 106.
“SVoir G.H.L. Fridman, The Law of Torts in Canada, t. 1, Toronto, Carswell, 1989 h lap. 352.
“9 Norberg (C.A.), supra, note 5.
20Voir supra, note 96 pour les articles correspondants du Code civil du Bas Canada.
121Voir, par exemple, Juris-classeur civil, R~gle ‘nemo auditur …’ , app. art. 1131 A 1133,
fasc. 10-1, par P. Le Toumeau, nos 43-51 ; J.-B. Denis, L’action civile de ]a victime en situation
illicite >, D.1976.Chron.243.
122E. Gounot, Le principe de l’autonomie de la volontj en droit privi, Paris, Rousseau, 1912 Ak
lap. 11.
I23Voir Weinrib, supra, note 55 A Ia p. 50 : (the easy assumption that the turpis causa contract
maxim is readily transferable to the field of torts should be fiercely resisted >. Voir aussi, par
exemple: J.P. Swanton, < Plaintiff a Wrongdoer: Joint Complicity in an Illegal Entreprise as a
Defence to Negligence > (1981) 9 Sydney L. Rev. 304; N.H. Crago, < The Defence of Illegality
in Negligence Actions
(1964) 4 MeIb. U. L. Rev. 534.
124Voir, en ce sens, Betts, supra, note 15 aux pp. 683 et 685 (M. le juge Lambert, au nom de
la Cour), appuyant Jackson, supra, note 45 aux pp. 465-66.
19911
NOTES
iii. en tout 6tat de cause, la conduite non illgale du demandeur ne devrait pas
atre prise en consideration par les tribunaux.
La ddfense d'ex turpi causa va h contre-courant du refus par le Droit de
sanctionner l'absolutisme dont trmoignent, par exemple, l'6volution l6gislative
en mati~re de nfgligence contributive et le r6trrcissement par les juges de la
portre de la ddfense de volenti non fit injuria1". Du reste, en droit des contrats
m~me, le rble de l'illdgalit6, et partant de l'immoralit6, sont remis en cause.
Ainsi selon Collins, << courts exercise the jurisdiction to regulate the moral stan-
dards of the community more warily, preferring to leave such questions to the
democratic legislature. Hence this moralistic power to refuse legal sanctions to
offensive agreements normally applies only to contracts which violate criminal
law or some other legislation >>26.
Les objectifs fondamentaux poursuivis par le droit des drlits civils nous
rappellent que l’on ne gagne rien h reconnatre au d6fendeur un privilege de por-
ter atteinte aux int&rts l6gitimes du demandeur A travers une ddfense aussi diri-
mante. Sur le plan des obligations primaires, l’objectif fondamental reste la pr6-
vention du ddlit, ce que l’accueil fait a la d6fense d’ex turpi causa ne contribue
6videmment pas h favoriser. Sur le plan des obligations secondaires, l’objectif
est carrdment laiss6 pour compte. C’est sans
de compensation – on l’a vu –
doute ce qui permet h Trindade et Cane d’affirmer que << [c]onfusion about the
proper role of tort law [...] comes to some sort of head in this area >> 27.
Ciselant avec acuit6 le rble du juge en droit des drlits civils, Weinrib note
que << tort law is not public law in disguise >>2. Ce n’est ainsi qu’avec la plus
grande circonspection que les juges doivent exproprier le droit du demandeur h
reparation. L’immortel porte anglais s’6tonnait d6jh.: << Condemn the fault, and
not the actor of it >>29? Ainsi importe-t-il que, dans nos salles d’audience, l’il-
16galit6 ne participe plus de l’indicible; apr6s sa drjuridicisation, il convient,
autant que faire se peut, de juridiciser h nouveau l’illdgalit6. Et s’agissant de la
conduite immorale du demandeur, il y a lieu de redonner h l’impavidit6 judi-
ciaire ses lettres de noblesse et de demander h celles de nos cours qui le font
encore qu’elles cessent de s’emmitoufler de tant de pudibonderie. Dans les mots
de Holmes, << [m]oral predilections must not be allowed to influence our minds
in settling legal distinctions >>30. Haro, donc, sur les juges cat~chistes !
la p. 464.
Ia p. 437.
12Voir Linden, supra, note 37
126H. Collins, The Law of Contract, Londres, Weidenfeld & Nicolson, 1986 aux pp. 117-18.
127Supra, note 35
128L. Green, <(Tort Law: Public Law in Disguise
129Shakespeare, Measure for Measure, act. II, sc. ii.
1300.W. Holmes, The Common Law, Boston, Little, Brown, 1881 h la p. 148.
(1960) 38 Texas L. Rev. 257, cit6 par Wein-
rib, supra, note 50 t la p. 410.
