Les effets juridiques de la Convention de la Baie James au
regard du droit interne canadien et qu6becois
S6bastien Grammond*
On a souvent qualifi6 la Convention de la
Baie James et du Nord qudbdcois et l’en-
semble des trait6s avec les autochtones d’<< ac-
cords sui generis >>, sans les rattacher aux cat6-
gories g6n6rales de notre syst~me juridique.
Cet article cherche h d6terminer quels sont les
rfgles du droit interne qui gouvernent la Con-
vention et analyse l’interaction entre les di-
verses sources du droit interne –
priv6,
public, 16gislatif, constitutionnel –
dans leur
application h la Convention. L’auteur y dd-
montre que de fagon g~n6rale, le droit public
s’appliquant h la Convention et aux autres trai-
t6s avec les autochtones renvoie aux r~gles du
droit priv6 sur les contrats, qui en gouvernent
la formation et l’ex6cution. La Convention fait
6galement l’objet d’une mise en oeuvre 16gis-
lative, en vertu des lois f6d6rale et provinciale
qui l’ont valid6e. Ces lois transforment les
droits contractuels accord~s aux autochtones
par la Convention en droits statutaires et
rendent celle-ci obligatoire face aux tiers. Qui
plus est, l’objet particulier de cette Conven-
tion, qui est d’accorder des droits collectifs
aux autochtones, et le caract~re solennel de sa
signature permettent de classer ce type de con-
trat parmi les trait6s avec les autochtones; la
Convention b6n~ficie donc de la protection des
articles 25 et 35 de la Loi constitutionnelle de
1982.
The James Bay and Northern Quibec
Agreement, and aboriginal treaties more gener-
ally, have often been described as “sui
generis,” without any further reference to the
general concepts of our legal system. This arti-
cle attempts to determine the domestic legal
rules applicable to the Agreement and to ana-
lyze the interconnection between the sources
of Canadian law –
public, private, statutory,
constitutional – which govern it. The author
submits that the Agreement is governed by
public law, which for the most part refers to
the private law of contract to set the rules for
theAgreement’s formation and execution. Fur-
thermore, the Agreement was validated and
given effect to by federal and provincial legis-
lation which therefore created a series of stat-
utory rights and made the Agreement binding
on third parties. Finally, since the Agreement’s
object is to confer collective rights on aborigi-
nal peoples and given the solemn circumstan-
ces surrounding its conclusion, it must also be
qualified as an aboriginal treaty. Accordingly,
the Agreement benefits from the protection
afforded by sections 25 and 35 of the Consti-
tution Act, 1982.
* LL.B., Universit6 de Montr6al ; assistant de recherche au Centre de recherche en droit public
de l’Universitd de Montr6al. L’auteur d6sire remercier les professeurs Andr6e Lajoie, Frangois
Chevrette et Jeremy Webber, qui ont bien voulu commenter le manuscrit de ce texte.
Revue de droit de McGill
McGill Law Journal 1992
Mode de citation: (1992) 37 R.D. McGill 761
To be cited as: (1992) 37 McGill L.J. 761
McGILL LAW JOURNAAL
[Vol. 37
Sommaire
Introduction
1.
Qualification de la Convention
A. Droit applicable
B. Qualification contractuelle
1. Capacit6 des parties
2. Consentement
3.
4.
Objet licite
Cause
C. Qualification comme trai
1. La notion de << trait6 >> en droit canadien
2. D6finition jurisprudentielle
3.
Tentative de systdmatisation
la Convention
4. Application
II. Mise en oeuvre de la Convention
A. Par le droit commun des contrats
B. Par la loi
1. Clauses de mise en oeuvre
2.
3.
Clauses de priorit6 en cas de conflit
La Loi sur les Cris et les Naskapis du Qudbec et les lois
qu6b6coises particuli~res
C. Par la Constitution
1. Article 25 de la Charte canadienne des droits et liberts
2. Article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982
a. Objet de la protection
b. Micanisme de protection
Conclusion
1992]
Introduction
CONVENTION DE LA BAIE JAMES
Que la Convention de la Baie James et du Nord qudibcois’ soit l’expres-
sion d’un compromis politique avant d’etre un instrument juridique ne fait
aucun doute. Cette Convention, on s’en souvient, a
t6 n6goci6e pour permettre
au gouvemement du Qu6bec de continuer la construction du complexe hydro-
6lectrique La Grande. Le gouvemement de l’6poque avait entrepris la r6alisa-
tion de ce projet sans se pr6occuper des droits des autochtones cris on inuit qui
vivaient dans le territoire affect6. Confront6
une 6ventuelle reconnaissance
judiciaire de droits ancestraux dont on ignorait l’6tendue, il pr6f6ra n6gocier une
entente lui permettant, moyennant un certain nombre d’avantages conf6r6s aux
autochtones, de poursuivre la construction des barrages et de s’assurer du con-
tr6le des ressources naturelles du Nouveau-Qu6bec.
La Convention, en consid6ration de l’abandon par les Cris et les Inuit de
leurs droits ancestraux, leur accorde une gamme d’avantages destin6s h favori-
ser leur d6veloppement 6conomique et culturel. Ces avantages comprennent le
versement de compensations mon6taires s’61evant
150 millions de dollars,
l’octroi de certains droits territoriaux de chasse et de peche et la cr6ation d’un
programme de soutien aux chasseurs, ainsi que la cr6ation d’administrations
r6gionales et locales ayant certaines comp6tences en mati~re d’6ducation, de
sant6 et de services sociaux, de police, de transport et de d6veloppement 6cono-
mique. De plus, la Convention divise le territoire du Nouveau-Qu6bec en trois
cat6gories. Les autochtones d6tiennent un droit d’occupation exclusif sur les
terres de cat6gorie I. Ils d6tiennent un droit de chasse, de peche et de pi6geage
exclusif sur les terres de cat6gorie II, alors que les tiers peuvent y exercer toute
activit6 compatible avec ce droit. Les terres de la cat6gorie III sont soumises au
r6gime gn6ral des terres de la Couronne.
Oa placer la Convention et les autres trait6s conclus avec les autochtones
dans les cat6gories de notre syst~me juridique ? Rarement s’est-on attaqu6 de
front A une telle question. On pr6f~re, en effet, ne pas y donner de r6ponse d6fi-
nitive de peur d’en d6couvrir plus tard les lacunes. Tout comme le juge en chef
Dickson, on qualifie les traitgs d’< accords sui generis >2, avouant implicite-
ment qu’on ne sait pas trop comment les classer.
Cette attitude de retenue extreme s’explique sans doute lorsqu’on s’aper-
goit qu’il est impossible d’identifier parfaitement la Convention ou les autres
trait6s avec les autochtones, comme par exemple la Convention dfinitive avec
1Convention de la Bale James et du Nord qudbjcois, 11 novembre 1975, reproduite dans Con-
vention de la Bale James et du Nord quibicois et conventions complimentaires, Qudbec, tditeur
officiel, 1991 [ci-apr6s Convention de la Baie James ou Convention]. Les parties h cette Conven-
tion sont le gouvernement du Qu6bec, la Socidt6 d’6nergie de la Baie James, la Soci6t6 de d6ve-
loppement de la Baie James, la Commission hydro61ectrique de Qu6bec et le Grand Council of the
Crees (of Qudbec), les Cris de la Baie James ainsi que les bandes dont ils sont membres, la Nor-
thern Quebec Inuit Association, les Inuit du Qu6bec, les Inuit de Port Burwell et le gouvernement
du Canada.
2Simon c. R., [1985] 2 R.C.S. 387 A la p. 404, 24 D.L.R. (4th) 390 [ci-apr s Simon cit6 aux
R.C.S.] ; cette d6cision concernait un trait6 de paix conclu en 1752 entre la province de Nouvelle-
Ecosse et la Tribu des Micmacs.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 37
les Inuvialuit3, avec une seule institution juridique du syst~me canadien. Ajuste
titre, on fait remarquer que ces trait6s participent A la fols du contrat, de la 16gis-
lation et du trait6 international4. En effet, on peut analyser le droit relatif aux
trait6s sous trois angles diff6rents. En plus de cr6er des obligations dans le sys-
t~me interne canadien, la Convention, selon la conception des autochtones,
repr6sente une entente fondamentale devant r6gir les relations entre nations. Et,
puisqu’il s’agit de nations, on doit 6galement envisager la possibilit6 que la
Convention puisse rev~tir certaines caract6ristiques d’un trait6 international. Les
trait6s impliquent done une interaction entre trois ordres juridiques diff6rents :
l’ordre autochtone, l’ordre canadien et l’ordre international. L’6tude de ces trois
ordres et de leur interaction constitue un programme de recherche ambitieux,
que je n’ai pas encore men6 h terme. Le pr6sent article ne rendra compte que
de la vision du droit interne canadien.
On s’entend g6n6ralement pour qualifier la Convention de trait6 avec les
autochtones. Toutefois, le contenu de cette notion de trait6 reste assez flou.
Selon moi, une telle qualification n’exclut pas que la Convention soit 6galement
qualifi6e de contrat. En effet, l’activit6 de nature contractuelle de l’Itat est sou-
mise, en l’absence de r~gles exceptionnelles de droit public, aux dispositions
gn6rales du droit priv6. C’est donc du droit civil que la Convention tire sa force
obligatoire dans la mesure oii elle respecte les r~gles de formation des contrats.
Le droit civil donnera 6galement ouverture aux recours contractuels a l’encontre
d’une partie qui n’aurait pas respect6 ses obligations selon la Convention. Au
terme de cette analyse contractuelle, il sera possible de d6gager les 616ments qui
particularisent les trait6s par rapport aux contrats ordinaires.
J’6tudierai ensuite la mise en oeuvre de la Convention au moyen du droit
priv6 des contrats, puis en vertu des dispositions l6gislatives et constitution-
nelles applicables. Loin de soumettre les traitds un ensemble de r~gles rigides
et impropres, leur qualification contractuelle ouvre done la porte une structure
juridique tout
fait originale.
I. Qualification de la Convention
Qu’est-ce que la qualification juridique, sinon la cat6gorisation d’un objet
dans le but de d6terminer les r~gles qui lui sont applicables ? Qualifier un fait,
une situation, c’est en isoler les caract6ristiques significatives qui d~clencheront
l’application d’une r~gle de droit. L’op6ration est n~cessairement r6ductrice,
mais elle permet de d6limiter, dans l’ensemble infini des situations factuelles,
un nombre f’mi de regroupements auxquels on pourra faire correspondre un
nombre n6cessairement fini et r6duit de r~gles juridiques diff6rentes. La quali-
fication est done une op6ration pr6alable h toute d6cision judiciaire.
En principe, puisque la Convention de la Baie James est une entente con-
clue par l’Etat, sa qualification doit s’op6rer h partir du droit public. Cependant,
3La revendication de l’Arctique de l’Ouest : entente finale des Inuviahlit, 5 juin 1984, Ottawa,
Minist~re des Affaires indiennes et du Nord canadien, 1984 [ci-apras Convention difinitive avec
les Inuvialuit.
4Voir, par exemple, J.M. Keeping, The Inuvialuit FinalAgreement, Calgary, Canadian Institute
of Resources Law, 1989 aux pp. 77-78 au sujet de la Convention ddfinitive avec les Inuvialuit.
1992]
CONVENTION DE LA BAIE JAMES
le droit public, en mati~re de contrats, renvoie au droit priv6, sous r6serve d’ex-
ceptions pr6vues par des r~gles sp6ciales du droit public. I1 faudra donc exami-
ner si la Convention satisfait aux conditions de formation des contrats en droit
priv6, tout en tenant compte des r~gles de droit public applicables. Ensuite, nous
verrons si elle entre dans la cat6gorie des << trait6s avec les autochtones >>.
A. Droit applicable
La question du droit applicable aux ententes de l’ttat a d6jA 6t6 6tudi6e. On
analyse ces ententes comme faisant partie du droit relatif
la Couronne et h la
constitution du gouvernement, et non pas comme relevant de la << propri6t6 et
des droits civils >>, au sens de l’article 92(13) de la Loi constitutionnelle de
1867′. Ainsi, les r~gles de droit relatives aux contrats du gouvemement provin-
cial rel~vent de la competence 16gislative provinciale, et celles portant sur les
contrats f6d6raux, de la comp6tence f6d6rale6 . Mais, en l’absence d’intervention
16gislative, d’oti viennent ces r~gles ?
L’un des effets juridiques imm6diats de la conquete de la Nouvelle-France
par l’Angleterre a 6t6 d’y implanter le droit du conqu6rant relatif h la souverai-
net6 et au gouvemement, qu’on appelle maintenant < droit public >>7. Or, un
principe fondamental du droit anglais est la soumission du gouvernement et de
la Couronne, notamment en mati~re de contrats, au droit commun 8 ; et par droit
commun, on entend le droit commun du lieu, en l’esp~ce, le droit commun du
Qu6bec, c’est-a-dire, en mati~re de contrats et de d6lits, le Code civil9 . Cepen-
dant, ces r~gles de droit priv6 ne s’appliquent pas d’elles-momes aux contrats de
l’Etat, comme c’est le cas lors d’un litige entre particuliers. C’est plut6t le droit
public, r6gissant la Couronne, qui renvoie au droit priv6.
Lorsqu’on tente de transposer ce raisonnement h l’entente quelque peu par-
ticulire qu’est la Convention de la Baie James, on rencontre encore cette
double possibilit6 de qualification: cette Convention est-elle r6gie par le droit
de la Couronne (ce qui permettrait de l’assimiler aux contrats administratifs
ordinaires), ou plut6t par le droit priv6 relatif aux contrats 0 ? Autrement dit, la
5(R.-U.), 30 & 31 Vict., c. 3. C’est en effet ce qui ressort de l’opinion majoritaire du juge Beetz
dans rarrt Laurentide Motels Ltd c. Beauport (Ville de), [1989] 1 R.C.S. 705 aux pp. 714-27, 94
N.R. 1 [ci-apr~s Laurentide Motels cit6 aux R.C.S.]. Voir 6galement A. Lajoie, Contrats adminis-
tratifs : jalons pour une thiorie, Montr6al, Th~mis, 1984 aux pp. 46-60.
6Quebec North Shore Paper Company c. Canadien Pacifique Ltde, [1977] 2 R.C.S. 1054
la
p. 1063, 9 N.R. 471.
7Ruding c. Smith (1821), 2 Hag. Con. 371, 161 E.R. 774 a la p. 777 (Consistory Court de Lon-
dres). Dans les colonies de peuplement (le reste du Canada), l’ensemble du droit anglais 6tait regu
dos l’arriv6e des premiers colons.
sp.G. Quibec c. Labrecque, [1980] 2 R.C.S. 1057 aux pp. 1082-83, 38 N.R. 1 [ci-apr~s Labrec-
que cit6 aux R.C.S.] ; Windsor & Annapolis Railway c. R. (1886), 11 App. Cas. 607 k la p. 613
(P.C.) : Their Lordships are of opinion that it must be regarded as settled law that, whenever a
valid contract has been made between the Crown and a subject, a petition of rights will lie for
damages resulting from a breach of that contract by the Crown. >> Voir aussi Thomas c. R. (1874),
10 Q.B.D. 31.
9Laurentide Motels, supra, note 5 aux pp. 720, 724. C’est le cas 6galement pour les contrats du
gouvemement f6d6ral : Arthur Kofinan etAssocids c. R., [1975] C.F. 557 (Ire inst.).
100n pourrait proposer une troisi~me qualification possible: celle de mati6re li6e aux autochto-
nes. Cependant, on ne qualifie pas ici les trait6s dans le cadre du partage des compdtences dans
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 37
Convention rel~ve-t-elle du droit public ou bien du droit priv6 ? A mon avis, les
raisons qui militent pour la qualification des contrats administratifs comme rele-
vant du droit public valent tout autant pour la Convention et tous les trait6s avec
les autochtones. Les pouvoirs de l’ttat sont d6finis par le droit public –
cons-
titutionnel, l6gislatif ou jurisprudentiel. Son pouvoir de contracter, et aussi de
conclure des trait6s, ne d~coule pas du droit commun priv6, mais bien du droit
public.
Le m6canisme de renvoi au droit priv6 ne couvre pas n6cessairement toutes
les r~gles du droit priv6 concern6. En effet, comme le juge Beetz le mentionne
dans l’arrt Laurentide Motels, au sujet du droit applicable aux municipalit6s,
c’est le droit public qui d6termine l’6tendue de l’application du droit priv6:
Cependant, la question de savoir quand le droit civil peut s’appliquer aux corpo-
rations municipales est une question de droit public, et non pas de droit priv6. […]
II serait 6tonnant que le droit d’exception, qui est ici le droit civil, d6termine sa
propre application” .
Cette derni~re phrase contient la c16 de la solution : en mati~re de droit
public, le droit commun est le droit d’exception. I1 est donc possible que le droit
public apporte des modifications –
au droit
commun auquel il renvoie. C’est ce qui explique que les tribunaux appliquent
souvent aux trait6s des r~gles diff6rentes de celles du droit commun, notamment
en mati~re d’interpr6tation. Ces d6rogations constituent des r~gles de droit
public, qui supplantent les r6gles de droit priv6 qui autrement s’appliqueraient
h la situation. A supposer que le droit priv6 s’applique exproprio vigore, et non
pas par un m6canisme de renvoi s6lectif, de telles modifications jurispruden-
tielles seraient impossibles, car elles iraient A l’encontre du principe de la supr6-
matie du Parlement sur les d6cisions judiciaires.
l6gislatives ou jurisprudentielles –
A titre d’exemple de telles modifications issues du droit public, on peut
mentionner la r~gle, 61abor6e par la Cour f6d6rale dans l’affaire Wewayakum,
selon laquelle les bandes indiennes ont la capacit6 voulue pour conclure des
trait6s et seules leurs r~gles intemes d6terminent qui peut etre mandat6 A cette
fin 3. Ce principe a pour effet d’6carter les r~gles du droit civil qui concernent
le mandat et l’absence de capacit6 des groupes non incorpor6s.
La prescription pourrait 6galement faire l’objet d’une telle r~gle jurispru-
dentielle. En effet, l’id6e qu’une partie puisse perdre ses droits par simple 6cou-
lement du temps est fort peu appropri6e dans le cas d’ententes qui portent sur
les relations entre deux peuples. De plus, dans bien des cas, les autochtones
le but de d6terminer quel ordre de gouvernement dftient cette comp6tence. La question est plut6t
de savoir si les trait~s font partie du droit public ou du droit priv6, ce qui est tout A fait 6tranger
aux art. 91 et 92 de laLoi constitutionnelle de 1867. D’ailleurs, cette question de qualification exis-
tait avant 1867, alors que la colonie formait un Etat unitaire.
“Supra, note 5 A la p. 720. Voir aussi Labrecque, supra, note 8 A la p. 1083.
12Du moins au Quebec, oai le droit priv6 est de source 16gislative. La situation est diffrente dans
les autres provinces, quant aux r~gles qui n’ont pas encore fait l’objet d’une intervention
16gislative.
13Bande indienne Wewayakum c. Bande indienne Wewayakai, [1991] 3 C.F. 420, [1992] 2
C.N.L.R. 177 (ire inst.) [ci-apr~s Wewayakum cit6 aux C.F.].
19921
CONVENTION DE LA BAlE JAMES
n’ont pas regu toute l’information ndcessaire h la constatation d’une violation de
leurs droits, et ils 6taient d6lib6rdment maintenus dans l’ignorance de docu-
ments importants”4. Enfin, la revendication judiciaire par les autochtones a long-
l’autorisa-
temps 6t6 restreinte par des rbgles qui soumettaient les poursuites
tion du surintendant gdndral des affaires indiennes 5. L’application aveugle de la
prescription une partie qui n’a pas eu une occasion r6elle de revendiquer ses
droits devant les tribunaux entranerait un r6sultat tout i fait indquitable. Il serait
donc souhaitable que les tribunaux d6rogent au droit civil pour reconnaitre que
les droits issus de traitds sont imprescriptibles.
Une demi~re difficult6: la Convention vise des territoires qui n’ont 6t
annexes au Qu6bec qu’en 1898 et en 191216. Le Code civil ayant 6t6 adopt6 en
1866, il faut done 6claircir le m6canisme par lequel il s’applique A ces nouveaux
territoires. Les lois (provinciales et f6d6rales) de modification des frontibres ne
contenaient aucune disposition transitoire sur le droit applicable A l’Ungava.
Seul le Qu6bec, dans des lois subsdquentes, y a 6tendu l’application de l’en-
semble de ses lois’7. Le l6gislateur f6ddral n’a rien fait de tel, et il est done pos-
sible que des lois fdd6rales visant uniquement le Qu6bec et adoptdes avant 1912
ne s’appliquent pas dans le Nouveau-Qudbec8. Cependant, cette irrdgularit6
n’affecte pas la Convention : en effet, le droit des obligations et des contrats,
contenu dans le Code civil du Bas-Canada, est entibrement de competence pro-
vinciale et est done applicable A tout le territoire du Qudbec.
On objectera sans doute que rien ne permet, a priori, de classer les traitds
parmi les contrats et qu’ils devraient plut6t 8tre rdgis par un corpus de droit
autonome. C’est pourquoi on d6crit souvent les traitds comme des ententes sui
generis.
Mais qu’est-ce que cela veut dire, une entente sui generis ? La premiere
interpr6tation est que contrairement A ce que j’ai avanc6 jusqu’ici, il existe bel
et bien une r~gle non 6crite de droit public qui exclut l’application du droit privd
aux traitds. En plus d’etre contraire h un bon nombre d’obiter dicta des tribu-
naux, cette position n’est pas exempte de difficult6s d’application. En effet, elle
l’interpr6tation et
implique que l’ensemble des rbgles relatives A la formation,
A l’exdcution des trait6s constitue un corpus parallble et distinct de celui du droit
priv6. Une grande incertitude d6coulera sfirement de l’dlaboration graduelle de
14Par exemple Guerin c. R., [1984] 2 R.C.S. 335
15L’art. 141 de la Loi des Indiens, S.R.C. 1927, c. 98, interdisait a quiconque de recevoir sans
Ia p. 347, 13 D.L.R. (4th) 321.
autorisation des fonds pour une rdclamation collective d’une bande d’Indiens.
16Acte concernant la ddIimitation des frontires nord-ouest, nord et nord-est de la province de
Qudbec, S.C. 1898, c. 3 ; Loi concernant la dilimitation desfrontires nord-ouest, nord et nord-est
de la province de Qudbec, S.Q. 1898, c. 6 ; Loi de l’extension desfronti&es de Quebec, S.C. 1912,
c. 45 ; Loi concernant l’agrandissement du territoire de la province de Qudbec par l’annexion de
l’Ungava, S.Q. 1912, 2 Geo. V, c. 7.
‘7Loi concernant les territoires d’Abitib4 de Mistassini et d’Ashuanipi, S.Q. 1899, c. 5, art. 3;
Loi concernant l’Ungava et 6rigeant ce territoire sous le nom de Nouveau-Qudbec, S.Q. 1912, c.
13, art. 2. Ces dispositions font maintenant partie de Ia Loi sur la division territoriale, L.R.Q. c.
D-11, art. 17.
‘8Pour une discussion en profondeur de ce sujet, voir L. Patenaude, << L'extension territoriale du
Code civil actuel >> dans J. Brossard, 6d., Le territoire qudbjcois, Montrdal, P.U.M., 1970, 49 aux
pp. 84-85.
REVUE DE DROIT DE McGILL
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ces r~gles, d’autant plus que le r6sultat final risque de pr6senter de fortes res-
semblances avec le droit priv6 d6jA existant. Il me semble plus prudent de
prendre comme base les r~gles du droit priv6, en leur apportant des exceptions
lorsqu’on le juge souhaitable, A l’aide du m6canisme que je viens de d6crire.
Une autre interpr6tation voudrait que le droit r6gissant les trait6s soit le
produit d’une relation historique entre les peuples autochtones et les colonisa-
teurs europ6ens, se situant ainsi ni dans l’ordre juridique canadien, ni dans l’or-
dre juridique autochtone, mais plut6t entre les deux. tvidemment, une telle
position soulve des questions complexes de th6orie du droit que je n’ai pas
l’ambition de r6soudre dans le cadre de cet article. Elle m’apparait cependant
suspecte, car elle semble fusionner les sources formelles de la r~gle de droit (la
loi ou la jurisprudence) avec les conditions mat6rielles de son 6mergence (la
relation historique). En effet, il me semble impossible qu’une r~gle de droit
puisse ne pas faire partie d’un ordre juridique d6termin6. Il est vrai que les argu-
ments politiques qu’on apporte pour la soutenir sont ind6pendants du syst~me
juridique concern6, mais une fois qu’elle est reconnue, elle appartient h ce sys-
tome juridique, en l’occurrence le droit interne canadien. Je rejetterai done cette
interpr6tation pour les fins du present article.
C’est done le droit priv6 du Qu6bec qui r6gira la Convention de la Bale
James, sous r6serve cependant de modifications apport6es A ce corpus de droit
par la loi ou la jurisprudence.
B. Qualification contractuelle
En droit qu6b6cois, une entente est un contrat si elle satisfait aux quatre
conditions 6nonc6es A l’article 984 du Code civil du Bas-Canada:
984. Quatre choses sont n6cessaires pour la validit6 d’un contrat:
Des parties ayant ]a capacit6 l~gale de contracter;
Leur consentement donn6 l6galement;
Quelque chose qui soit I’objet du contrat;
Une cause ou consid6ration licite.
1.
Capacit6 des parties
Quelles sont les parties qui ont conclu la Convention ? Du c6t6 gouverne-
mental, on retrouve le gouvernement du Qu6bec, le gouvernement du Canada,
ainsi que trois soci6t6s d’Etat qu6b6coises : Hydro-Qu6bec, la Soci6t6 d’6nergie
de la Baie James (SEBJ) et la Soci6t6 de d6veloppement de la Baie James
(SDBJ). I1 ne fait pas de doute que toutes ces parties ont la capacit6 l6gale de
contracter. Celle des corporations d6coule de l’article 358 du Code civil. Celle
de l’ttat, tant canadien que qu6b6cois, d6coule du pouvoir g6n6ral de contracter
dont dispose la Couronne en tant que corporation’ 9.
La partie autochtone est multiforme. On retrouve d’abord deux corpora-
tions sans but lucratif, le Grand Conseil des Cris et la Northern Qudbec Inuit
Association (NQIA). Cependant, ces corporations n’agissent pas uniquement en
“9Labrecque, supra, note 8 a la p. 1082: < La Couronne [...], en plus de ]a pr6rogative, jouit d'une capacit6 g6n6rale de contracter selon les r~gles du droit commun. >>
1992]
CONVENTION DE LA BAIE JAMES
leur nom propre. L’intitul6 de la Convention precise qu’elles ont W mandatres
pour agir, la NQIA, par les individus inuit, et le Grand Conseil A la fois par les
individus cris et les huit bandes indiennes cries du territoire affect6 par la Con-
vention. Ces individus autochtones ainsi que les bandes (dans le cas des Cris)
la Convention. On en arrive donc A une structure pyra-
sont 6galement parties
midale, comprenant A la fois les individus brn~ficiaires et un ou deux niveaux
de reprrsentants politiques.
Qu’en est-il de la capacit6 de ces parties ? Celle des corporations, tout
comme celle des individus autochtones, ne fait aucun doute. Le cas des bandes
indiennes est quelque peu obscur, puisque la Loi sur les Indiens ne leur
accorde pas express~ment la personnalit6 juridique. Cependant, la jurisprudence
tend de plus en plus A leur reconnaitre non seulement la capacit6 d’ester en jus-
tice et de reprrsenter leurs membres, mais aussi une capacit6 grn~rale de con-
tracter 21.
On peut se demander pourquoi on a inclus A la fois les autochtones et leurs
reprrsentants comme signataires de la Convention. En effet, i aurait suffi que
les deux associations stipulent pour autrui, et les obligations du gouvernement
envers les individus autochtones n’en auraient pas 6t6 moins fortes. C’est qu’en
fait, la Convention impose 6galement des obligations aux autochtones, dont une
est de taille : la cession du titre ancestral sur le territoire. Un tel titre 6tant sou-
vent qualifi6 de droit collectif2″, il a donc fallu inclure comme parties tous les
titulaires possibles de ce droit, afin d’assurer l’efficacit6 juridique de cette
cession.
2.
Consentement
Une fois les parties identifies, on doit examiner la 16galit6 de leur consen-
tement. Celui du Grand Conseil et de la NQIA, ainsi que des bandes indiennes
cries, ne devrait pas poser de probl~me. Les dirigeants de ces organismes ont
pris part aux n6gociations et il est bien peu probable qu’ils puissent invoquer
une quelconque forme d’erreur ou de dol. I1 en va autrement des individus cris
et inuit qui n’ont pas, bien 6videmment, sign6 la Convention eux-m~mes, mais
qui se sont plut6t fait reprrsenter par leur association ou par leurs chefs au
t6 consult~s par voie r6frendaire.
moyen de procurations; ils ont 6galement
Ont-ils donn6 directement leur consentement A la Convention, ou bien ont-ils
mandat6 leurs repr6sentants pour la conclure
leur place ?
II serait probl~matique de prrtendre que le r~f6rendum puisse constituer un
consentement direct des individus autochtones A l’offre de contracter faite par
20S.R.C. 1985, c. 1-5.
21Wewayakum, supra, note 13 A la p. 430.
22Joe c. Findlay (1981), 122 D.L.R. (3d) 377
la p. 379, 26 B.C.L.R. 376 (C.A.); Twinn c.
Canada (1986), [1987] 2 C.E 450 a lap. 462, 6 FT.R. 138 (Ire inst.) ; Pasco c. Canadian National
la p. 408, 34 B.C.L.R. (2d) 344 (C.A.), conf. par [1989]
Railway (1989), 56 D.L.R. (4th) 404
2 R.C.S. 1069, 68 D.L.R. (4th) 478 ; R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075 A la p. 1112, 70 D.L.R.
(4th) 385 [ci-aprs Sparrow cit6 aux R.C.S.] au sujet d’un droit de p~che. Voir aussi le prrambule
de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Qudbec, S.C. 1984, c. 18 [ci-apr~s Loi sur les Cris et les
Naskapis].
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 37
le gouvernement, surtout 6tant donn6 la confidentialit6 du vote et l’abstention
d’un grand nombre de personnes des trois villages maintenant connus sous le
nom de << dissidents >> qui rendait le r6sultat officiel du scrutin peu conforme t
la r6alit6 politique de ces trois communaut6s. La deuxi~me 6ventualit6, qui fait
appel aux r~gles du mandat, semble 6galement probl6matique puisqu’un grand
nombre de procurations accord6es h la NQIA, autorisant la cession du droit
ancestral, ont 6t6 retir6es lorsque les mandants ont appris la port6e r6elle des
documents qu’ils avaient sign6s 3. I1 faut done envisager la possibilit6 que les
soi-disant repr6sentants n’aient pas eu le pouvoir de Her certains autochtones
que le texte de la Convention d6signe pourtant comme parties et b6n6ficiaires.
L’absence de consentement de certains individus autochtones pourrait-elle
entraimer la nullit6 de la Convention ? I1 semble que non, puisqu’elle porte prin-
cipalement sur des droits collectifs. Ceux-ci sont accord6s aux membres d’un
groupe A cause de leur appartenance h ce groupe. Bien plus, le titre ancestral sur
le territoire est un droit indivisible par nature, b~n6ficiant indiff~remment a l’en-
semble des membres d’un groupe. La question fondamentale n’est donc pas de
savoir si tel ou tel individu a consenti A la Convention et est cons6quemment 1i6
par elle, mais plut6t de d6terminer la taille du groupe titulaire d’un droit collec-
tif et de savoir qui, au nom du groupe, peut prendre les d6cisions relatives A ces
droits, et donc donner un consentement 16gal A la Convention.
Comme l’indique l’intitulM de la Convention, les autochtones poss~dent
plusieurs niveaux de repr6sentation politique. L’entit6 la plus connue est sans
doute la bande, d6finie A l’article 2 de la Loi sur les Indiens. Bien souvent, la
population d’une bande est concentr6e sur une r6serve ou dans un village. II
s’agit done de gens habitant un territoire donn6. La bande poss~de certains pou-
voirs de nature locale, comme ceux d’accorder A ses membres la possession des
terres (article 20 de la Loi sur les Indiens), d’entretenir les routes (article 34)
et de r6glementer certains sujets (articles 81, 83). Au-delM de la bande, on
retrouve la nation. Celle-ci se d6finit par une langue commune, par une proxi-
mit6 g6ographique et, le plus souvent, par une association visant A repr6senter
ses membres au plan politique. La nation crie est 6galement dot6e d’un organe
exergant certains pouvoirs gouvernementaux limit~s: l’Administration r6gio-
nale erie. Enfin, des associations de plus grande envergure, comme l’Assembl6e
des premieres nations, assurent la d6fense des int6rts des autochtones dans
l’ensemble du Canada (ou dans une seule province) sans toutefois poss6der
quelque pouvoir que ce soit. C’est cependant aux bandes que la Loi sur les
Indiens accorde lusage de certaines terres appel~es r6serves. Cela explique sans
doute que ce soit g6n6ralement la bande qu’on consid~re comme titulaire
du droit collectif des autochtones sur le territoire, meme si, dans la tradition
autochtone, c’est la nation qui assume ce r6le. Ainsi, ce sont des bandes (sou-
vent repr6sent6es par leurs chefs) qui poursuivent en justice pour une violation
23Toute ]a question de ]a l6gitimit6 du processus de n6gociation et de ratification de la Conven-
tion est 6tudide par N. Rouland, Les Inuit du Nouveau-Quibec et la Convention de la Bale James,
Quebec, Association Inuksiutiit Katiwajiit et Centre d’6tudes nordiques de l’Universit6 Laval,
1978 aux pp. 128-43. L’auteur y souligne, entre autres, le manque d’information des Inuit au
moment de la signature des procurations et au moment du r6f6rendum de 1976.
1992]
CONVENTION DE LA BAIE JAMES
de l’obligation de fiduciaire d6coulant de la cession de terres 2 ou pour la recon-
naissance d’un droit ancestral25.
Le probl~me est plus complexe chez les Inuit, qui n’ont jamais v6cn sous
le r6gime de la Loi sur les Indiens et qui ne sont done pas dot6s d’une structure
politique formelle et impos6e similaire au syst~me des bandes. Cependant, les
Inuit sont, tout comme les Cris, regroup6s dans des villages assez 6loign6s les
uns des autres et prennent des d6cisions politiques A l’6chelle de ces communau-
t6s. II ne serait done que normal de consid6rer ces communaut6s sur un pied
d’6galit6 avec les bandes indiennes, pour ce qui est de leurs droits sur le
territoire.
Le droit canadien consid~re done que ce sont les bandes indiennes et les
villages inuit qui d6tiennent les droits collectifs sur le territoire. Cependant, il
ne faut pas 6carter l’hypoth~se que les nations soient 6galement titulaires de cer-
tains droits. II faut maintenant d6terminer le ou les organes politiques qui
peuvent, an nom de ces titulaires abstraits, disposer de ces droits et, done, don-
ner un consentement 16gal A la Convention.
Le droit interne est bien mal pourvu pour faire face des situations impli-
quant des droits collectifs. En ce qui concerne les bandes indiennes, l’article
2(3)(a) de la Loi sur les Indiens pr6cise que les pouvoirs qui leur sont accord6s
peuvent 6tre exerc6s par une majorit6 d’61ecteurs. I1 impose done aux autochto-
nes une valeur typiquement occidentale: la soumission de la minorit6 aux
voeux de la majorit6. De plus, il n’est pas 6vident que cet article soit applicable
aux pouvoirs d’une bande qui ne lui sont pas accord6s par la Loi sur les Indiens,
mais qui d6coulent plut6t de l’existence ant6rieure de la communaut6 autoch-
tone26. Aussi, A supposer que certains droits profitent A une nation compos6e de
plusieurs bandes, et non aux bandes elles-m~mes, cet article n’est d’aucun
secours. Enfin, la Loi sur les Indiens ne s’applique pas aux Inuit. En ce qui a
trait h ceux-ci, on doit done chercher ailleurs.
Une r6cente d6cision de la Cour f6d6rale vient jeter un nouvel 6clairage sur
cette question. En effet, dans l’affaire Wewayakum, plut6t que d’appliquer les
r~gles du droit canadien concemant le mandat en g6n6ral ou les dispositions de
la Loi sur les Indiens r6gissant l’exercice des pouvoirs des bandes, le juge Addy
a conclu que les collectivit6s autochtones –
qu’il s’agisse de bandes on de
nations –
poss6dent la capacit6 de contracter, de conclure des trait6s, d’etre
titulaires de certains droits et d’ester en justice. L’exercice de ces pouvoirs n’est
limit6 que par les r~gles et coutumes de la bande en question. C’est done dire
qu’ici, l’ordre juridique canadien renvoie h l’ordre juridique autochtone pour
r6gler une question qui, avouons-le, relive exclusivement de l’organisation poli-
tique des autochtones.
I1 est done possible que le consentement donn6 par certains groupes au-
tochtones A la Convention ait 6t vici6, lorsque les r~gles coutumi~res du groupe
24Par exemple Guerin c. R., supra, note 14; Wewayakum, supra, note 13.
25Par exemple PG. Ontario c. Bear Island Foundation, [1991] 2 R.C.S. 570, 83 D.L.R. (4th)
381 [ci-apr~s Bear Island cit6 aux R.C.S.].
26Par exemple les pouvoirs reconnus dans l’affaire Wewayakum, supra, note 13.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 37
en question n’ont pas 6t6 observ~es. Dans le cas ofi un tel groupe poss6dait un
titre ancestral, l’effet contractuel de la Convention n’aurait pas suffi A l’6teindre.
Cependant, nous verrons que l’extinction du titre a fait l’objet d’une disposition
sprcifique de la loi de mise en oeuvre, mettant ainsi l’op6ration A l’abri de toute
contestation aux yeux du droit canadien27. Mais la question du consentement
revet encore une importance politique, en ce que les gouvernements s’appuient
sur le consentement des parties autochtones A la Convention pour l6gitimer leurs
actions ult6rieures.
3.
Objet licite
L’existence d’un objet licite est la troisi~me condition de formation des
contrats. En g6n6ral, il n’y a rien A redire sur les obligations cr66es par la Con-
vention : la cession du titre ancestral en faveur de la Couronne a toujours 6t6
consid&re licite en common law’, et les obligations assum6es par le gouverne-
ment, comme le paiement de sommes d’argent ou l’6tablissement d’un pro-
gramme de srcurit6 du revenu pour les chasseurs, ne sont pas contraires A la loi.
I1 n’en va pas de m~me des promesses de 16gifrer, ou encore des pro-
messes de pr6senter une loi devant le Parlement, ce qui, dans les faits, 6quivaut
une promesse de l6gifrrer29. Le principe de la supr6matie du Parlement rend
6videmment nulles de telles promesses”. Or l’adoption de la loi de mise en
oeuvre est aussi une condition de la prise d’effet de la Convention. L’article 2.7
de cette derni~re precise bien qu’elle ne prend effet qu’une fois les lois f6d6rale
et provinciale entrees en vigueur. Ces lois confirment, comme je le d6montrerai
plus loin, la validit6 de la Convention qui les promettait illrgalement… C’est
donc dire qu’avant l’entr6e en vigueur de ces lois, la promesse de les adopter
n’avait pas encore d’effet, et qu’apr~s, elle 6tait illicite mais nfanmoins
respectre.
Quoi qu’il en soit, il ne faut pas considrrer que la nullit6 d’une promesse
de 16gif6rer entramne la nullit6 de la totalit6 de la Convention. En effet, le droit
civil admet de plus en plus la modification du contrat par le juge, afin d’en 61i-
2 7Voir ci-dessous, partie II.B.1.
28St. Catherine’s Milling and Lumber Co. c. R. (1888), 14 App. Cas. 46 (P.C.).
29La principale promesse de lgifrer est celle d’adopter les lois f~drrale et provinciale de mise
en oeuvre (art. 2.5). L’art. 2.17, quant A lui, oblige le Qu6bec et le Canada A adopter des lois pour
donner effet aux divers chapitres de la Convention. II semble que cet article renvoie aux nom-
breuses lois qurbfcoises adoptres en 1978 (citdes infra, note 111). D’autres mesures sp~cifiques
sont 6galement pr6vues, notamment l’adoption de ]a Loi sur les Cris et les Naskapis (art. 9.0.1),
l’adoption de lois concemant l’administration r~gionale chez les Inuit (art. 12.0.1 et 13.0.1), la
modification des lois relatives A Ia chasse et A la p~che (art. 24.3.29) et la modification des lois
concernant les services de sant6 (art. 14.0.28). Dans ce demier cas, l’tat s’est de plus interdit d’ap-
porter certaines modifications ult~rieures A ces dispositions sans qu’il y ait de < motif valable ,>.
Enfin, un bon nombre de dispositions (par exemple ]a crration d’un district judiciaire, art. 18.0.2 ;
l’exemption de l’application d’une loi, art. 17.0.82) nfcessitent l’adoption d’une loi pour leur mise
en oeuvre. II s’agit done de promesses implicites de lgifrer.
30Voir Renvoi relatif au Rigime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525
Ia p. 548, 83 D.L.R. (4th) 297. Le juge Sopinka 6crit que le fait que le gouvemement ne peut
pas limiter l’exercice des pouvoirs du Parlement est << un aspect fondamental de notre vie
constitutionnelle >>.
1992]
CONVENTION DE LA BAlE JAMES
miner les dispositions dont l’objet serait illicite et de laisser subsister les obli-
gations qui n’y sont pas li6es31. II faut donc, A mon avis, voir les promesses de
16gif6rer contenues dans la Convention comme simplement inex6cutables
judiciairement.
4.
Cause
La Convention de la Baie James est un contrat synallagmatique qui fait
naitre des obligations i la charge des deux parties. Les obligations des autoch-
tones forment la cause de celles de l’Etat, et vice-versa. D’ailleurs, le libell6 des
articles 2.1 et 2.2 reconnait express6ment l’interd6pendance des obligations des
deux parties. –
Nous en arrivons donc A la conclusion que les r~gles du droit civil donnent
ouverture h une analyse contractuelle de la Convention, qu’il reconnait comme
6tant un contrat valide si elle satisfait aux conditions de l’article 984 C.c.B.-C.
C. Qualification comme traitg
II faut maintenant examiner si, en plus d’etre un contrat, la Convention
entre 6galement dans la cat6gorie plus restreinte des << trait6s avec les
autochtones >>.
1.
La notion de << trait6 >> en droit canadien
Dans le vocabulaire juridique courant, le mot << trait6 >> d6signe une entente
entre deux ttats souverains. Or le droit canadien utilise ce terme pour qualifier
des ententes entre l’Ittat et des groupes d’autochtones dont il refuse d’autre part
de reconnaitre la souverainet632. Cette cat6gorie originale des << trait6s avec les
autochtones > proc~de donc d’un glissement de sens, puisqu’une des parties en
cause n’a pas – du moins, dans l’opinion de l’autre partie –
la capacit6 de con-
clure un trait6 au sens habituel, international, du terme.
Pourquoi donc le droit canadien persiste-t-il A utiliser le mot << trait6 >> pour
d6signer ces ententes ?
La premiere raison est historique : on n’a pas toujours ni6, comme c’est le
cas aujourd’hui, la souverainet6 des peuples autochtones. Aux d6buts de la colo-
nisation de l’Am6rique du Nord par les Frangais, les Anglais et les Hollandais,
les nations autochtones 6taient consid6r6es comme de pr6cieux alli6s qu’il fal-
lait courtiser et traiter d’6gal A 6gal. I1 6tait donc normal que les puissances colo-
niales qualifient de trait~s les ententes qu’elles concluaient avec les autochtones.
Dans l’arr~t Sioui, la Cour supreme reconnait largement cette situation histo-
rique : le juge Lamer rappelle plusieurs reprises l’importance du contexte poli-
tique de l’6poque dans l’6valuation des rapports entre autochtones et colonisa-
teurs, et plus particuli~rement en ce qui a trait aux questions de la comp6tence
31J.-L. Baudouin, Les obligations, 3e 6d., Cowansville, Qu6., Yvon Blais, 1989
32Sparrow, supra, note 22 A la p. 1103 ; Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85
la p. 230.
A la p. 130, 71 D.L.R. (4th) 193, M. le juge La Forest [ci-apr6s Peguis cit6 aux R.C.S.].
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 37
des parties et de l’application stricte du droit international33. Le vocabulaire de
la Proclamation royale de 1763 est 6galement r6v6lateur: on y parle de
< nations ou tribus sauvages
que les gouvernements locaux ne doivent pas
d6ranger, ce qui connote une certaine ind6pendance des peuples autochtones 4.
En fait, une d6cision ancienne du Conseil priv6 avait d6j
reconnu qu'ils con-
servaient une certaine autonomie et n'6taient pas soumis h la juridiction des
colonies am6ricaines35. Cependant, et comme par hasard, cette d6cision est par
la suite tomb6e dans l'oubli.
On doit aussi admettre que les dispositions de ces trait6s sont g6n6ralement
de nature politique et qu'on retrouve rarement des stipulations semblables dans
des contrats entre deux parties priv6es. I1 suffit de penser
la conclusion d'un
trait6 de paix36, A une garantie de la libert6 de religion37 ou encore h l'engage-
ment de se comporter en bons sujets de Sa Majest6 et de collaborer
l'admi-
nistration de la justice3'. En effet, ce sont des droits de nature collective et
publique, qui profitent h l'ensenble d'un peuple. Le droit canadien a donc qua-
lifi6 ces ententes de trait~s h la fois selon leur contenu et selon le statut des
parties.
Mais l'utilisation du vocable de trait6 a aussi une fonction id6ologique:
satisfaire la fiert6 des signataires autochtones en utilisant un terme normalement
r6serv6 aux relations internationales, connotant ainsi un statut 6gal. Pourtant,
parmi les obligations qu'acceptent les autochtones, se trouve celle de se com-
porter en bons sujets de Sa Majest6... Voilh un d6calage majeur entre le titre et
le dispositif. Qualifier une telle entente de trait6 ne peut donc viser qu' main-
tenir une ambiguit6 malsaine sur les intentions r6elles de l'ttat. D'ailleurs, les
ententes r6centes entre l'ttat et des peuples autochtones, comme la Convention
de la Baie James ou la Convention difinitive avec les Inuvialuit, ne portent pas
le nom de trait6. On les appelle plut6t << conventions >> ou < accords sur des
revendications territoriales >>, ce qui est plus conforme h la vision qu’a le gou-
33R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025 aux pp. 1038, 1056, 70 D.L.R. (4th) 427 [ci-apras Sioul citd
aux R.C.S.]. L’arr& Sioui concemait un document de 1760 sign6 par le g~n6raI Murray qui assurait
aux Hurons, en 6change de leur reddition, la protection britannique et le libre exercice de leur reli-
gion, de leurs coutumes et du commerce avec les Anglais. La Cour supreme a qualifi ce document
de traitd.
Sioui, supra, note 33 A Ia p. 1034.
34Reproduite dans S.R.C. 1985, app. II, n 1 a la p. 5.
35Mohegan Indians c. Connecticut (19 d6cembre 1772) [non publie] ; pour une bonne descrip-
tion de cette affaire, voir J.H. Smith, Appeals to the Privy Council from the American Plantations,
New York, Octagon Books, 1965 aux pp. 422-42.
36Traiti ou Articles de la Paix et de l’Amitid Renouvelie entre la Province de Nonvelle-Ecosse
et la Tribu des Micmacs, 22 novembre 1752, reproduit dans Simon, supra, note 2 aux pp. 392-95.
37Trait6 entre la Couronne britannique et la nation huronne, 5 septembre 1760,,reproduit dans
3STraitN’ 3 entre Sa Majestj la Reine et la Tribu des Saulteux, 3 octobre 1873, Canada, Extrait
des Documents de la Session de 1875 et documents connexes, Ottawa, Approvisionnements et ser-
vices Canada, 1981 [traduction frangaise], Canada, Indian Treaties and Surrenders, vol. I, Ottawa,
Imprimeur de la Reine, 1891, n’ 131-32 [version originate] [ci-apr~s TraitdN’ 3]; Trait6N” 6 entre
Sa Majestd la Reine et des Indiens Cris, 23, 28 aofit et 9 septembre 1876, Canada, Extrait des
Documents de la Session de 1877 et documents connexes, Ottawa, Approvisionnements et services
Canada, 1981 [traduction frangaise], Canada, Indian. Treaties and Surrenders, vol. II, Ottawa,
Imprimeur de la Reine, 1891, n’ 157A [version originale] [ci-apr~s TraitM N” 6].
1992]
CONVENTION DE LA BAIE JAMES
vemement du statut des parties autochtones. Le rapport de forces 6tant ce qu’il
est, l’Etat ne se sent plus oblig6 de faire des concessions symboliques.
2.
D6finition jurisprudentielle
I1 n’est pas 6tonnant qu’une notion aussi floue que le concept de trait639 ne
soit d6finie ni dans la Loi sur les Indiens, ni dans la Loi constitutionnelle de
19824″. C’est donc h la jurisprudence qu’il faut s’en remettre pour en discerner
les caract6ristiques essentielles. Jusqu’h tout r6cemment, les tribunaux cana-
diens n’avaient pas donn6 de d6finition tr~s pr6cise .du mot << trait6 >>. Par
exemple, dans l’affaire White and Bob41, la Cour d’appel de la Colombie-
Britannique s’est content6e de dire que les trait6s se situaient quelque part entre
les trait6s intemationaux et les contrats purement priv6s. Deux arrats r6cents de
la Cour supreme (Simon et Sioui) permettent maintenant de d6limiter assez
pr6cis6ment l’6tendue du concept de trait6 A 1’aide de trois crit~res. Ii s’agit
d’un accord de volont6s, qui cr6e des obligations ex6cutoires et qui est accom-
pagn6 d’une certaine solennit6. Le juge en chef Dickson l’6nonce ainsi dans
Simon :
Le trait6 6tait un 6change de promesses solennelles entre les Micmacs et le repr6-
sentant du Roi conclu pour faire la paix et la garantir. I1 s’agit d’une obligation
exdcutoire entre les Indiens et l’homme blanc […]42.
Cette d6finition apporte plusieurs 616ments. Tout d’abord, les obligations
cr66es sont ex6cutoires. IL ne s’agit pas d’obligations morales ou de nature poli-
tique. << Ex6cutoire >> signifie ex6cutoire en droit interne canadien. Ensuite, ce
ne sont pas tous les accords entre Sa Majest6 et une bande qui seront qualifi6s
de trait6s : ils doivent 8tre solennels. Enfin, le terme < mutuellement >>41
indique
que le trait6 peut cr6er des obligations incombant A chaque partie; mais il ne
signifie pas, A mon avis, que tout trait6 doive n6cessairement comporter des
obligations A la charge des deux parties.
Ii est 6vident que cette d6finition est tr~s large. Le juge en chef Dickson
avoue d’ailleurs que le principe de l’interpr6tation favorable aux autochtones
milite en faveur de l’extension de la d6finition du trait6 bien au-delh des onze
trait6s num6rot6s et des autres trait6s qui comportent une cession de territoire44.
Cela explique que dans l’affaire Sioui, un document qui,
premiere vue, n’a
aucunement l’apparence d’un trait6 ait 6t6 ainsi qualifi6. Cette souplesse con-
3 partir de maintenant, je n’utiliserai le mot << trait6 >> que dans le sens singulier de < trait6 avec les autochtones > que lui accorde le droit interne canadien.
titutionnelle de 1982].
40Constituant l’annexe B de Ia Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11 [ci-apr~s Loi cons-
41R. c. White and Bob (1965), 50 D.L.R. (2d) 613 a la p. 617, 52 W.W.R. 193 (B.C.C.A.), conf.
42Supra, note 2 A la p. 410.
43Terme que le juge Lamer ajoute
la definition du trait6 dans l’arrt Sioui, supra, note 33
par [1965] R.C.S. vi [ci-apr~s White and Bob cit6 aux D.L.R.].
Ia p. 1044.
441bid. aux pp. 1042-43. On appelle < trait6s num6rot~s > une s6rie de onze trait6s conclus entre
1871 et 1923, par lesquels les autochtones ont c6d6 leur titre ancestral sur la totalit6 des provinces
des prairies, ainsi que sur des parties de l’Ontario, de la Colombie-Britannique et des Territoires
du Nord-Ouest.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 37
corde avec l’attitude favorable aux autochtones que la Cour suprame a manifes-
t6e depuis quelques ann6es.
Les arr~ts Simon et Sioui rejettent d6finitivement l’argument qu’un trait6
doit n6cessairement contenir des clauses par lesquelles les autochtones cadent
leur titre ancestral sur un certain territoire. La Cour supreme a maintenant clai-
rement inclus dans la cat6gorie des trait6s les accords qui ne comportent pas de
cession de territoire ou cr6ation de r6serves et aussi ceux qui ne cr6ent pas de
droits nouveaux mais ne font que reconnaitre des droits d6jA existants4′. II est
6galement 6vident qu’un document ne doit pas forc6ment s’intituler < trait6 >)
pour m6riter cette qualification.
3.
Tentative de syst6matisation
Oji est donc la sp6cificit6 du trait6 par rapport au simple contrat, ou mame
par rapport au contrat administratif, qui lie l’Etat A un particulier ?
Bien entendu, la pr6sence d’une partie 6tatique et d’une partie autochtone
est un 616ment distinctif d’un trait6. Cependant, ce n’est pas en raison de la race
du cocontractant qu’on accorde un statut sp6cial
ces contrats. L’octroi de
droits en fonction de la race est une notion aujourd’hui discr6dit6e. C’est plut6t
l’appartenance i un groupe culturel distinct et la volont6 de pr6server ce groupe
qui justifient la protection suppl6mentaire accord6e aux droits qui d6coulent des
trait6s. En effet, la pr6servation de la diff6rence culturelle est la principale rai-
son d’etre des r~gles de droit relatives aux peuples autochtones et aux minorit6s
en gdn6ral. Par exemple, l’article 27 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques46 pr6voit le droit des minorit6s ethniques i leur propre vie
culturelle. Aussi, les articles 4 et 6 du projet de Declaration des droits des
peuples autochtones47 assurent h ceux-ci le droit
la diff6rence culturelle.
Puisque ces groupes culturels ne disposent g6n6ralement pas d’une struc-
ture formelle de gouvernement, d’un Etat qui leur soit propre, les modes de
repr6sentation utilis6s pour les Her peuvent varier. Le plus souvent, on cherchera
? rendre tous les individus membres du groupe parties au trait6, au moyen de
mandats donn6s soit A leur chef “, soit une association sans but lucratif49. Dans
d’autres cas, ce sont les tribus elles-m~mes qui traitent et qui abandonnent leurs
45Simon, supra, note 2 aux pp. 408-10.
4619 d6cembre 1966, 999 R.T.N.U. 187.
47Universal Declaration on Indigenous Rights: A Set of Draft Preambular Paragraphs and
Principles, Doc. off. CES NU, 40e sess., item 12 4 la p. 2, Doc. NU E/CN.4/Sub.2/25 (1988).
4 8Voir Trait6 N’ 8 entre Sa Majestj la Reine et des Indiens Cris, Castors, Chipewyans et autres,
21 juin 1899, Canada, Extraits des Documents de la Session de 1900 et de 1901 et documents con-
nexes, Ottawa, Approvisionnements et services Canada, 1981 [traduction frangaise], Ottawa,
Imprimeur de la Reine, 1966 [version originale] ; Trait6 N’ 11 entre Sa Majestd le Roi et des
Indiens Esclaves, C6tes-de-Chien, Loucheu, Liavres et autres, 27 juin 1921, Ottawa, Approvision-
nements et services Canada, 1981 [traduction frangaise], Ottawa, Imprimeur de ]a Reine, 1967
[version originale] ; Traitj conclu ii Manitoulin Island entre le gouvernement de la province du
Canada et des Indiens Outaouais, Ojibways et autres, 6 octobre 1862, Canada, Indian Treaties and
Surrenders, vol. I, Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1891, n’ 94 [version originale].
4 9Par exemple Convention de la Bale James, supra, note 1 ; Convention d6finitive avec les In-
vialuit, supra, note 3.
1992]
CONVENTION DE LA BAIE JAMES
droits territoriaux . On constate donc que le droit canadien n’impose pas une
structure juridique fixe A l’organisation autochtone ayant la capacit6 d’enga-
ger un groupe. Cela est dfi
l’attitude ambiguE du droit face aux collectivitds
autochtones : on n’a jamais voulu reconnaitre leur nature politique, sauf peut-
6tre pour les assimiler A des municipalit~s. Cette attitude est aujourd’hui en 6vo-
lution, mais dans deux directions diff6rentes. Selon une premiere tendance, le
d6finir lui-m~me la structure politique autoch-
droit interne canadien cherche
tone. La Convention de la Baie James en est probablement le meilleur exemple.
Elle d6finit aux chapitres 9 et suivants, de mani~re tr~s d6taill6e, les pouvoirs
S6tre accord6s aux nouvelles bandes indiennes cries, aux corporations de villa-
ges inuit, ainsi qu’aux administrations r6gionales crie et inuit. De plus, elle d6fi-
nit m~me qui peut, A l’avenir, donner un consentement au nom de l’ensemble
des Cris: c’est l’Administration r6gionale51. Une telle r6glementation pouss6e
du fonctionnement interne des collectivit6s autochtones entrane des risques
d’acculturation aux traditions occidentales de d6cision h la majorit6 et de hi6rar-
chisation des d6tenteurs du pouvoir politique. La deuxi~me tendance, au con-
traire, cherche non pas A imposer une structure politique mais A reconnaitre les
coutumes autochtones en la mati~re”. Si elle pose sans doute le probl~me de la
preuve de telles coutumes dans un contexte litigieux, elle permet aussi de pro-
duire des r6sultats plus satisfaisants pour les autochtones.
Mais la pr6sence d’une partie autochtone ne constitue pas le seul 16ment
caract6ristique des trait6s. En effet, la solennit6, une des trois conditions de for-
mation des trait6s 6nonc6es dans les arr~ts Simon et Sioui, reste 6trang~re aux
quatre conditions classiques pos6es par le droit civil.
Mais qu’entend-on au juste par < solennit6 > ? En droit civil, ce mot
d6signe l’accomplissement de formalit6s n6cessaires A la validit6 d’un acte,
comme l’enregistrement d’un contrat ou la signature d’un 6crit. Cependant, dans
l’affaire Sioui, la Cour, devant un manque 6vident de telles formalit6s, met plu-
t6t l’accent sur une solennit6 que j’appellerais << substantive >>, car elle qualifie
bien plus le contenu du trait6 que ses formalit6s de cr6ation. Dans cette affaire,
le trait6 entre le g6n6ral Murray et les Hurons 6tait un trait6 de paix. II visait A
d6finir la nature des relations entre deux peuples ; d’ofi son caract~re << substan-
solennel. De plus, c'est la r6f6rence, dans le document, h la libert6
tivement
de religion, des coutumes et du commerce avec les Anglais qui rend vraisem-
blable l'hypoth~se que ce document, en apparence informel, constitue un trai-
50Voir par exemple Trait N 3 et Traitg N' 6, supra, note 38. Dans le cas de la Convention de
la Baie James, les bandes dtaient signataires du trait6 en plus de leur membres.
Loi sur l'Administration rigionale crie, L.R.Q. c. A-6.1, art. 6(c).
51Convention de la Baie James, supra, note 1, art. 11A.0.5(c) ; cet article est reproduit dans la
52Wewayakum, supra, note 13 A la p. 430:
II n'est 6videmment pas n6cessaire qu'une telle autorisation fasse l'objet de r~gles, de
lois ou de proc6dures sp6ciales autres que celles que prescrivent les traditions, les cou-
tumes et le gouvernement de la bande concern~e.
De la m6me fagon, dans l'affaire Chefs heriditaires traditionnels des six nations c. Canada
(Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 43 ET.R. 132 aux pp. 144-45, [1991] 2 C.E
40, le juge Rouleau a laiss6 entendre que les coutumes autochtones en mati~re de d6signation des
chefs pourraient 8tre constitutionnellement prot6g6es.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 37
t65 . Cet 616ment avait d'ailleurs 6t6 d6cisif en Cour d'appel'4. I1 est donc pos-
sible d'int6grer cette exigence de solennit6 n6cessaire a l'existence d'un trait6
l'une des quatre conditions classiques de formation des contrats l'objet.
Cette tendance des tribunaux a consid6rer que les trait6s doivent comporter
un objet sp6cial n'est pas limit6e a l'arrt Sioui oit, en plus du passage d6ja cit6
sur l'importance de la libert6 de religion, des coutumes et du commerce, le juge
Lamer indique que des << droits politiques ou sociaux >> sont un bon exemple de
droits pouvant faire l’objet d’un traitP5s. A l’inverse, dans un arr~t rendu peu
apr~s Sioui, le juge La Forest refuse d’accorder une protection (ici, une immu-
nit6 de taxation) a des op6rations commerciales d’une bande indienne56. Selon
lui, de tels avantages juridiques ne sont accord6s aux autochtones que dans la
mesure oii ils sont justifi6s par la sp6cificit6 autochtone. De meme, dans l’arrat
White and Bob, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique avait affirm6 que
des accords portant sur des objets individuels et prives ne pouvaient pas 8tre
qualifi6s de trait6s T.
Mais comment qualifier pr6cis6ment la sp6cificit6 de cet objet ? Puisque la
raison d’6tre de la notion de trait6 est la pr6servation d’un groupe culturel, il en
d6coule que l’attribution ou la reconnaissance de droits collectifs a ce groupe
culturel est une caract6istique essentielle du trait6. Rien ne justifie de qualifier
de trait6s des contrats purement commerciaux auxquels un autochtone, ou
m~me une bande indienne, est partie. La notion de droits collectifs d’un groupe
autochtone s’accorde d’ailleurs avec le caract~re politique des trait6s que j’ai
mentionn6 plus haut.
Ces droits collectifs peuvent 6tre de deux types5″. Premi~rement, ils
peuvent 6tre attribu6s aux individus autochtones, en raison de leur appartenance
h une collectivit6. De tels droits ont bien sir un 616ment individuel : ils mettent
en relation chaque individu et l’~tat, et on peut concevoir que l’Etat viole le
droit de l’un sans violer le droit de l’autre. II y a alors multiplicit6 des rapports
juridiques. Cependant, m~me si chaque individu est s6par6ment en rapport avec
l’Etat-d6biteur, il ne s’agit pas d’un droit individuel, puisque le crit~re d’attri-
bution de ce droit est l’appartenance a un groupe”9 . Une deuxi~me possibilit6 est
1’attribution de droits au groupe lui-m~me, par l’interm6diaire de ses associa-
tions repr6sentatives (bande, autorit6 r6gionale, commission scolaire, etc.).
53Supra, note 33 A la p. 1048.
54Sioui c. PG. Quibec, [1987] R.J.Q. 1722 A la p. 1727.
55Supra, note 33 a Ia p. 1043.
56Peguis, supra, note 32 A la p. 138.
57Supra, note 41 A la p. 617, M. le juge Davey: < It is also clear in my opinion that the word
is not used in its widest sense as including agreements between individuals dealing with their pri-
vate and personal affairs. >
application en mati~re scolaire au Qu6bec >> (1984) 18 R.J.T. 1.
58Voir, sur les droits collectifs en g6n6ral, P. Carignan, De la notion de droit collectif et de son
59Reference Re An Act to Amend the Education Act (1986), 53 O.R. (2d) 513, 25 D.L.R. (4th)
1 aux pp. 54-55 (C.A.), MM. les juges Zuber, Cory et Tarnopolsky, conf. par la C.S.C., infra, note
115 : < Collective or group rights, such as those concerning language and those concerning certain
denominations to separate schools, are asserted by individuals or groups of individuals because of
their membership in the protected group. >>
1992]
CONVENTION DE LA BAlE JAMES
Dans ce cas, il n’y a qu’un seul rapport de droit, qui ne peut 6tre viol6 on rempli
qu’h l’6gard de tous les membres du groupe
la fois. En effet, il serait pour le
moins incongru qu’une corporation soit cr66e ou qu’une 6valuation environne-
mentale soit r6alis6e A l’6gard de certains individus seulement. Une revendica-
tion collective est alors la seule vole efficace.
A partir de ces deux particularit6s du trait6 par rapport au contrat, je suis
maintenant en mesure de proposer une definition du trait6 avec les autochtones :
un trait6 est un contrat par lequel un groupe autochtone d6termine ses droits col-
lectifs avec l’Etat. Ces droits collectifs sont g6n6ralement li6s t la pr6servation
et an d6veloppement de l’identit6 culturelle des autochtones.
4.
Application
la Convention
A la lumi~re de cette d6finition, que peut-on dire de la Convention de la
Baie James ? L’ayant d6jh qualifi6e de contrat, et ayant 6tabli qu’une des parties
est une collectivit6 autochtone et que l’autre est l’Etat, il reste A d6terminer la
nature des droits qui en d~coulent. Un bon nombre de ceux-ci sont collectifs
par nature .>, en ce sens que leur mise en oeuvre s’effectue simultan6ment h
l’6gard de tous les membres de la collectivit6 autochtone b6n6ficiaire. Ainsi en
est-il du droit de voir l’ttat constituer les structures politiques, comme les nou-
velles bandes et les administrations r6gionales et locales, du droit de le voir pro-
c6der A l’6valuation environnementale des nouveaux d6veloppements, du droit
au versement d’une indemnit6 pour l’extinction du titre ancestral et du ” droit >>
Sl’adoption par l’ttat des mesures l6gislatives promises. D’autres droits
peuvent 8tre exerc6s par des individus, comme celui de chasser sur les terres de
la cat6gorie II, mais ne sont accord6s h ces individus qu’en raison de leur appar-
tenance an groupe culturel cri on inuit. D’ailleurs, la Convention pr6voit, an
chapitre 3, un m6canisme de d6finition du statut de membre des collectivit6s
auxquelles sont attribu~s ces droits collectifs.
La Convention satisfait aussi aux trois crit~res de l’arr& Sioui. Premi~re-
ment, elle constitue un accord de volont6s. Suite A des n6gociations, les gou-
vemements et les repr6sentants des autochtones se sont entendus sur le texte
de la Convention. Celle-ci fit ensuite approuv6e, lors d’un r6f6rendum, par les
autochtones habitant le territoire concern6″. Finalement, elle a
t6 d6clar6e
valide par des lois du Parlement f6d6ral et de l’Assembl6e nationale du Qu6-
bec61. Deuxi~mement, la Convention cr6e des obligations ex6cutoires, puis-
qu’elle est r6dig6e dans un style imp6ratif qui exclut tout caract~re facultatif.
Troisi~mement, la Convention a 6t6 conclue dans des conditions solennelles,
comme l’indique la tenue d’un r6f6rendum pour l’approuver. De plus, les dis-
positions fondamentales qui d6terminent le statut des Cris et des Inuit du Qu6-
bec ainsi que leurs relations avec l’appareil gouvernemental remplissent l’exi-
gence de solennit6 substantive. On pent donc, an regard de ces trois crit6res,
affirmer que la Convention est un trait6.
60Sur la possibilit que ce consentement ait pu 8tre vici6, voir ci-dessus, partie I.B.2.
61Voir ci-dessous, partie II.B.1.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 37
Un argument supplfmentaire dfcoule du paragraphe (3) de l’article 35 de
la Loi constitutionnelle de 1982, qui fait entrer dans la cat6gorie des trait6s les
accords sur des revendications territoriales:
35. [ …]
(3) I1 est entendu que sont compris parmi les droits issus de trait~s, dont il est fait
mention au paragraphe (1), les droits existants issus d’accords sur des reven-
dications territoriales ou ceux susceptibles d’8tre ainsi acquis.
Or il ne fait pas de doute que la Convention de la Baie James r6glait des
revendications territoriales : au moment de sa signature, des litiges relatifs au
titre ancestral des autochtones 6taient pendants devant les tribunaux. La Con-
vention transigeait ces litiges et transf6rait h l’ttat tout droit ancestral, quelle
que soit sa nature. En ce sens, elle se conformait A la politique ffd6rale de r~gle-
ment des revendications territoriales, qui exigeait l’abandon des droits ances-
traux en 6change de droits prfcisfment dffinis et de compensations mon6taires”.
On pourra soulever l’objection que l’article 35(3) 61argit la signification du
mot << trait6 >> au-delA de son extension normale. Cependant, le but de cet article
semble tout autre : il s’agissait plut6t de s’assurer que les accords conclus apr~s
l’entrfe en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982 recevraient la meme pro-
tection que ceux conclus avant. On peut aussi ajouter qu’avant les modifications
de 1984 A la Constitution, l’article 25 de la Charte canadienne des droits et
libertds63 soustrayait de l’application de la Charte les < droits ou libert6s -
ancestraux, issus de trait6s ou autres -
des peuples autochtones du Canada,
notamment [...] [les] droits ou libertfs acquis par r~glement de revendications
territoriales >>. Les accords sur des revendications territoriales ne produisent cer-
tainement pas des droits ancestraux : il s’agit done de droits issus de traitfs ou
de droits < autres >>. Cette cat6gorie des << autres droits semble faire r6f6rence
des droits de source 16gislative, comme ceux qui d6coulent de la Loi sur les
Indiens. II est done raisonnable de conclure qu'aux yeux de la Constitution, les
accords sur des revendications territoriales constituent un type particulier de
traitfs.
Plusieurs interpr6tations faisant autorit6 s'accordent 6galement A dire que
la Convention est un trait6. D'abord celle des tribunaux : dans une r6cente d6ci-
sion de la Cour f6ddrale, le juge Rouleau affirmait que la Convention 6tait pro-
t6gfe par l'article 35, ce qui implique qu'elle constitue un trait6 : << However, for
any sceptics, I would add that the rights enjoyed by the Crees under the JBNQ
Agreement are further protected by s. 35(1) of the Constitution Act, 1982. 64
Aussi, dans l'affaire Bande d'Eastmain c. Gilpin, le juge Lavergne de la Cour
des Sessions de la Paix a affirm6 que << [1]es droits reconnus et conffr6s aux Cris
par la convention de la Baie James, en regard des terres de la catfgorie 1A, ont
done 6t6 constitutionnalisfs >>6.
62Voir I’dnonc6 de politique fdddrale en date du 8 aofit 1973 [non-publif], reproduit dans B.W.
Morse, Aboriginal Peoples and the Law, Ottawa, Carleton U. Press, 1991 A la p. 630.
6Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 [ci-apr6s la Charte].
&Administration rdgionale crie c. Robinson, 84 D.L.R. (4th) 51 a la p. 70, [1991] 4 C.N.L.R.
84 (ire inst.).
61[1987] RJ.Q. 1637
la p. 1643, 3 C.N.L.R. 54.
1992]
CONVENTION DE LA BAlE JAMES
L’Assembl6e nationale du Qu6bec a adopt6, le 20 mars 1985, une r6solu-
tion se lisant comme suit:
Que cette Assembl6e […] Reconnaisse leurs droits ancestraux existants et les
droits inscrits dans les conventions de la Bale James et du Nord qudb6cois et du
Nord-Est qu6b~cois; Consid6re que ces conventions, de meme que toute autre
convention ou entente future de m~me nature, ont valeur de trait~s ;66
et certainement pas celle du l6gislateur f6d6ral –
M~me si elle n’exprime pas formellement l’intention du l6gislateur qu6b~cois
–
cette r6solution poss~de
la
une forte valeur persuasive. Elle r6v~le la vision de l’une des parties
Convention.
Certains estiment cependant que la Convention n’est pas un trait6. Essen-
tiellement, la pr6sence de parties priv6es emp~cherait une telle qualification. Or,
les pr6tendues << parties priv6es >>, ce sont Hydro-Qu6bec, la SEB et la SDBJ,
l’Etat qu6b6cois, et de surcroit
trois corporations appartenant enti~rement
mandataires de la Couronne67 . Force est donc de reconnaitre qu’il s’agit de par-
ties publiques comme l’ttat qu6b6cois dont elles sont les mandataires. Quoi
qu’il en soit, la jurisprudence a d6j reconnu h la Compagnie de la Baie d’Hud-
son, qui jadis exergait des pouvoirs de nature quasi gouvernementale en
Colombie-Britannique, le pouvoir de conclure des trait6s de la m~me mani~re
que la Couronne6 . Puisque les trois soci6t6s ayant sign6 la Convention exer-
gaient des fonctions quasi. 6tatiques, il semble donc qu’elles 6taient autoris6es
conclure un trait6.
Face A tous ces arguments convergents, on peut donc 6tre confiant que
jamais les tribunaux n’oseront nier que la Convention de la Baie James est un
trait6. S’ils en d6cidaient autrement, ils d6cevraient de tr~s fortes attentes chez
l’encontre de la tendance jurisprudentielle actuelle
les autochtones et iraient
favorable
ces derniers.
II. Mise en oeuvre de la Convention
A. Par le droit commun des contrats
Etant
la base un contrat, la Convention de la Bale James pourra d’abord
6tre mise en oeuvre A l’aide des r~gles habituelles d’ex6cution des contrats.
L’effet principal d’un contrat est de produire des obligations69. C’est donc dire
que l’Etat et les autochtones sont l6galement tenus de respecter les termes de la
Convention.
La premiere cons6quence de cette r~gle est l’impossibilit6 pour une partie
de modifier ou d’6teindre unilat~ralement ses obligations. Le gouvemement est
66Qu6bee, Assembl6e nationale, Journal des Ddbats h la p. 2570 (20 mars 1985).
67Quant Hydro-Qu6bec : Loi sur Hydro-Quibec, L.R.Q. c. H-5, art. 13. Quant a la SDBJ : Loi
sur le ddveloppement de la rdgion de la Baie James, L.R.Q. c. D-8, art. 3. La SEBJ est une filiale
d’Hydro-Qudbec.
68Saanichton Marina Ltd c. Claxton (1989), 57 D.L.R. (4th) 161, 36 B.C.L.R. (2d) 79 (C.A.).
Voir aussi R. c. Bartleman (1984), 12 D.L.R. (4th) 73, 55 B.C.L.R. 78 (C.A.) ; White and Bob,
supra, note 41.
69Art. 1022 C.c.B.-C.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 37
soumis
cette r~gle, tout comme le citoyen ordinaire. Certains auteurs pr6-
tendent toutefois que le gouvernement peut rrsoudre un contrat administratif si
‘<< int6r~t public >>7. Cependant, cette th6orie, drrivre du droit
cela est dans
administratif frangais, n’a pas 6t6 adoptre par la jurisprudence canadienne. Il
serait donc bien 6tonnant qu’elle s’applique
la Convention de la Baie James.
Le caract~re obligatoire des trait6s a d’ailleurs 6t6 reconnu par le juge Lamer,
au nom d’une cour unanime de neuf juges, dans l’arret Sioui : < La ddfinition
m~me d'un trait6 rend donc in6luctable la conclusion que l'extinction d'un trait6
ne peut survenir sans le consentement des Indiens impliqurs. >>71
Mais il n’est question ici que de la branche ex6cutive de l’tat; le Code
civil ne soustrait pas les contrats
la r~gle de la suprrmatie du Parlement et il
est toujours loisible
ce dernier de modifier les engagements du gouvernement
par voie 16gislative, dans la mesure de sa competence constitutionnelle. Toute-
fois, en cas d’ambiguitf,
une telle loi devra 6tre interpr6t6e de fagon restrictive,
car elle porte atteinte
des droits de propri6t6 ou, plus g6n6ralement,
des
droits fondamentaux des autochtones 2 . A cela s’ajoute maintenant l’assujettis-
sement h l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. II faudra donc se
demander si la Constitution autoriserait une modification l6gislative unilat6rale
des droits conf6rs par la Convention73.
L’effet relatif des contrats est une autre r~gle fondamentale du droit priv674.
La Convention ne crfera donc de droits et d’obligations qu’A l’6gard des parties
qui y ont souscrit. ttant donn6 le caract~re collectif de la partie autochtone, il
faudra donc d6terminer quelle 6tait la taille de l’unit6 politique reprrsentre par
les mandataires qui ont n~goci6 et conclu le trait6. Seul ce groupe pourra se
trouver i6. Par exemple, si par un trait6 la nation << x >> cede
la Couronne son
titre ancestral sur un territoire << y >>, cela n’6teindra pas le titre ancestral de la
nation << z >> sur le m~me territoire’. Une telle situation peut se produire lorsque
les titres ancestraux de deux groupes sont superpos6s, ou encore lorsqu’un
groupe pretend c6der plus de territoire qu’il n’en poss~de r6ellement. Ce pour-
rait 6tre le cas des Montagnais, dont le territoire traditionnel de chasse est en
partie vis6 par la Convention. Puisqu’ils ne l’ont jamais sign~e, ils ne pourraient
normalement pas 6tre li6s par la cession qu’elle contient76.
Ceci illustre bien un point fondamental : ce ne sont pas tous les droits
drcoulant de la Convention qui peuvent 6tre mis en oeuvre A l’aide du droit
5 aux pp. 112-18, 132-36.
7Pour une discussion de la doctrine et de la jurisprudence t ce sujet, voir Lajoie, supra, note
71Supra, note 33 A la p. 1063.
72 .-A. C6t6, Interprdtation des lois, 2e 6d., Cowansville, Qu6., Yvon Blais, 1990 aux pp.
443-50.
73Voir ci-dessous, partie II.C.
74Art. 1023 C.c.B.-C.
75C’est pour cette raison que le gouvernement f6d6ral, apr~s avoir conclu les trait6s num6rot6s,
t6 omises
td sign~es jusqu’en 1956 : voir
a cherch6 A obtenir le plus grand nombre possible d’,< adhesions >, de bandes qui avaient
dans le processus de n6gociation original. De telles adhesions ont
Traitd N 6, supra, note 38.
76Mais voir ci-dessous, partie II.B ; la disposition de ]a Convention 6teignant les droits ances-
traux a 6t6 confirmre par ]a loi, dans une formulation qui vise incontestablement les tiers.
1992]
CONVENTION DE LA BAIE JAMES
commun. Contrairement au 16gislateur, les cocontractants ne peuvent porter
atteinte aux droits des tiers. L’ex6cution forc6e par les tribunaux ne pourra donc
viser que les obligations qui peuvent normalement 6tre cr6ees par un contrat.
Logiquement, l’application des r~gles du droit civil devrait aussi s’6tendre
aux cas d’inex6cution de la Convention. Ii y a g6n6ralement trois sanctions pos-
sibles une telle inex6cution: le versement de dommages-int6rets et, lorsque
c’est possible, l’ex6cution en nature de l’obligation ou la r6solution du contrat
avec remise des parties dans l’6tat oa elles se trouvaient avant la conclusion du
contrat77. Dans les deux arrets connus ohi on a r~clam6 l’ex~cution d’un trait6 en
vertu de son seul effet contractuel, la sanction demand~e 6tait l’ex6cution en
nature, en l’occurrence le paiement d’une somme d’argent s. En principe, rien
ne semble exclure les deux autres types de sanctions, h moins que certaines cir-
constances rendent une remise en 6tat impossible. Cependant, dans l’arr~t Bear
Island, la Cour supreme a d6clar6 que l’inex6cution par l’Etat de ses obligations
d6coulant du trait6 (inex6cution admise par les parties) ne mettait pas en doute
la validit6 de l’extinction du titre ancestral op6re par le m~me trait679. C’est
donc dire qu’elle a carr6ment exclu la r6solution d’un trait6 comme sanction de
son inex6cution par l’Etat , m~me si elle avait reconnu une quinzaine d’ann6es
auparavant que les cessions de terres 6taient des << contrats synallagmatiques >>81.
Voilh encore une manifestation du d6sir des tribunaux de ne pas remettre en
question la validit6 des trait6s ; et aussi du d6sir de la Cour supreme de voir les
autochtones et le gouvernement r6gler leurs diff6rends par la n6gociation et non
par la contestation judiciaire. Mais h quoi peut mener une n6gociation, si on
retire une partie sa position de force ? Quel int6rt le gouvernement a-t-il A
n6gocier s’il sait d’avance que la pl6nitude de la propri6t6 des terres publiques
ne sera pas remise en question ? On peut esprer que ce passage de l’arr~t Bear
Island sera consid6r6 comme un obiter dictum involontaire ne remettant pas en
cause la possibilit6 d’exiger la r6solution comme sanction de l’inex6cution
d’une obligation d6coulant d’un trait6.
B. Par la loi
La Convention de la Baie James a W ratifi6e par une loi du Parlement et
une loi de l’Assembl6e nationale. De plus, un certain nombre d’autres lois
visent mettre en application les obligations contract6es par l’ttat lors de la
signature de la Convention.
77Art. 1065 C.c.B.-C. ; mais voir ‘art. 1536 C.c.B.-C. qui interdit la rsolution d’une vente d’im-
meuble A moins de stipulation expresse dans le contrat. Un droit ancestral est-il un immeuble ?
78Heny c. R. (1905), 9 R.C. de ‘E. 417, 3 C.N.L.C. 89 ; Dreaver c. R. (1935), 5 C.N.L.C. 92
79Supra, note 25 A la p. 575:
(C. de
‘E.).
I1 est admis que la Couronne n’a pas satisfait
certaines de ses obligations en vertu
de l’accord et a ainsi enfreint ses obligations fiduciaires envers les Indiens. Ces ques-
tions sont actuellement le sujet de n~gociations entre les parties. Cela ne change tou-
tefois rien au fait que le droit ancestral a dtj iteint [nos italiques].
8011 s’agit peut-8tre IA d’une de ces r~gles de droit public d6rogeant au droit civil dont j’ai parl6
dans la partie I.A. Mais qu’aurait d6cid6 la Cour si l’inex6cution avait W le fait des autochtones
et si c’6tait le gouvernement qui demandait la r6solution ?
81Davey c. Isaac, [1977] 2 R.C.S. 897
la p. 903, 77 D.L.R. (3d) 481.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 37
1.
Clauses de mise en oeuvre
La d6termination de l’effet des clauses de mise en oeuvre n’est rien d’autre
qu’un probl~me d’interpr6tation des lois. II faudra donc non seulement tenir
compte du texte m~me des articles pertinents, mais aussi du but de ces lois, qui
est d’accorder une protection l6gislative aux droits accord6s par la Convention.
I1 est donc tout A fait l6gitime et m~me n6cessaire de se r6f6rer au texte meme
de la Convention pour mieux appr6cier le contexte de leur adoption et le but
poursuivi par le 16gislateur. Ii sera 6galement utile d’6tudier les d6cisions judi-
ciaires qui ont examin6 des lois ratifiant des contrats. De plus, en cas d’ambi-
guit6 rgelle dans l’interpr6tation d’une telle loi, il est g6n6ralement admis qu’on
doit lui donner un sens favorable aux autochtones8 2. Cette pr6somption pourra
6tre utile dans le cas qui nous occupe, puisque les lois de mise en oeuvre de la
Convention utilisent des techniques pen courantes en droit canadien.
L’examen de la jurisprudence permet de distinguer les effets possibles de
la ratification l6gislative d’un contrat. Une premiere cat6gorie de lois a simple-
ment pour effet de valider le contrat, ce qui interdit de soulever les motifs d’in-
validit6 habituellement applicables aux contrats 3. Une telle validation permet
6galement aux cocontractants de crder des types d’obligations que le droit com-
mun des contrats n’autorise pas (par exemple, des obligations A la charge des
tiers). Une deuxi~me cat6gorie de lois incorpore le contrat et ainsi transforme
les obligations contractuelles en obligations 16gales 4. Il a 6t6 jug6 que pour
entrer dans cette cat6gorie, une loi n’a qu’ exiger l’ex6cution du contrat par les
parties’. Cette incorporation peut 6tre partielle si la loi de mise en oeuvre
82Nowegijick c. R., [1983] 1 R.C.S. 29 a la p. 36, 144 D.L.R. (3d) 193 ; Peguis, supra, note 32
aux pp. 98-99, M. le juge en chef Dickson; Peguis, ibid. aux pp. 143-44, M. le juge La Forest.
83Sous reserve, bien entendu, du partage des comp~tences lgislatives entre le f6d6ral et les
provinces.
84Plusieurs arr~ts anglais, australiens et canadiens appuient ]a proposition qu’un contrat n’ac-
quiert pas une force statutaire du simple fait qu’il est < valid6 > par une loi. I1 faut plut6t que cette
loi le rende obligatoire ou exige qu’il soit execut6. Manchester Ship Canal Co. c. Manchester
Racehouse Co., [1900] 2 Ch. 352 aux pp. 361-62, conf. par [1901] 2 Ch. 37 A ]a p. 50 (C.A.) ; Re
Wilton’s Settled Estates, [1907] 1 Ch. 50 (H.C.) ; Pyx Granite Co. c. Ministry of Housing and Local
Government, [1960] A.C. 260 (H.L.); Ottawa Electric Railway Co. c. Ottawa (City ol) (1944),
[1945] R.C.S. 105, 57 C.R.T.C. 273 ; Houde c. Commission des gcoles catholiques de Qudbec
(1977), [1978] 1 R.C.S. 937 A la p. 947, 80 D.L.R. (3d) 542, M. le juge Pigeon, dissident:
La seule question
se poser c’est de savoir quelle est l’intention. Quand l’annexe est
une convention cela fournit une raison de croire qu’on a pu vouloir simplement la vali-
der sans en changer la nature. Pour conclure qu’on en a fait un texte lgislatif il faut
qu’on l’ait dit.
La difference entre les lois de validation et les lois operant incorporation semble bien 6tablie en
droit australien: Sankey c. Whitlam (1978), 142 Commonwealth L.R. 1 aux pp. 77, 106 (H.C.);
P. Magennis Proprietary Ltd c. Commonwealth (1949), 80 Commonwealth L.R. 382 a la p. 410
(H.C.), M. le juge Dixon, au sujet d’une loi de la premiere cat6gorie : <
valide , vise dissiper tout doute quant
la conformit6 de la Convention aux
conditions de formation des trait6s. II s’agit donc du premier type de loi de mise
en oeuvre: une simple validation.
On peut cependant se demander si les mots m rise en vigueur > (en anglais,
given effect ) n’ont pas pour effet d’exiger 16galement l’ex6cution de la Con-
86Warnick, supra, note 84
]a p. 19. Voir aussi, quant
(1991) 55 Sask. L. Rev. 127
la Convention difinitive avec les Inu-
vialuit, A.R. Thompson, Land Claim Settlements in Northern Canada: Third Party Rights and
Obligations
la p. 136; Keeping, supra, note 4 aux pp. 87-88.
87Loi sur le rMglement des revendications des autochtones de la Bale James et du Nord qudbg-
cois, S.C. 1976-77, c. 32 [ci-apr6s loi f~d~rale] ; Loi approuvant la Convention de la Baie James
et du Nord qudbdcois, L.R.Q. c. C-67 [ci-apr6s loi provinciale]. L’art. 2 de la loi provinciale se lit
comme suit:
2. 1. La Convention est approuv~e, mise en vigueur et d6clar6e valide par la pr~sente
loi.
2. Les droits, privileges et avantages accord6s par Ia Convention
ses b~n6ficiaires
leur sont reconnus ; les mesures l6gislatives et administratives pr~vues a la Con-
vention seront adopt~es conform~ment
ses termes.
3. Pour donner suite a Ia Convention, les terres de cat6gorie I pr6vues a ladite Con-
Ia 16gislation qui
vention sont mises de cft6 et seront octroydes conform6ment
sera adopt6e t cet effet.
4. Le capital et les int6rats des obligations que le Quebec doit 6mettre en vertu de
Ia Convention, y compris les int6r~ts sur les intr~ts courus, sont pay~s a meme
le fonds consolid6 du revenu.
5. L’indemnit6 globale ainsi que toutes les sommes vis6es
l’article 25.3 de la Con-
vention sont exemptes d’imp6t suivant les modalit6s pr6vues audit article.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 37
vention, allant ainsi au-delA d’une simple confirmation de validit6. Cependant,
il faut se rappeler que cette disposition reprend les termes de l’article 2.7 de la
Convention, qui diff6rait le moment de son entr6e en vigueur jusqu’A l’entr6e en
vigueur des deux lois de ratification. Les mots << mise en vigueur >> dans ces lois
ne feraient donc que constater le r6sultat pr6vu par l’article 2.7 de la
Convention.
Le deuxi~me alin6a, en revanche, transforme les droits contractuels cr66s
par la Convention en droits statutaires. Ainsi, meme si la Convention n’est pas
globalement incorpor6e dans les lois de mise en vigueur, ces lois accordent aux
b6n6ficiaires des droits statutaires identiques A ceux que pr6voit la Convention.
Cela a pour effet d’incorporer en partie la Convention dans la loi. En effet, dire
que quelqu’un a un droit, c’est aussi dire que son d6biteur a une obligation et
est tenu de l’ex6cuter. Or l’affaire Caledonian Railway de la Chambre des Lords
a 6tabli qu’exiger l’ex6cution d’une obligation 6tait suffisant pour donner force
l6gislative it cette obligation .
Le texte de l’article 3(2) pose trois conditions A la protection qu’il accorde:
(1) il protege des droits, privileges et avantages >> ; (2) il protbge les droits des
autochtones b6n6ficiaires ; et (3) ces droits sont ceux pr6vus par la Convention.
Ii ne vise donc pas la Convention enti6re.
Les << b6n6ficiaires >> sont d6finis dans la Convention au chapitre 3 comme
6tant les individus cris ou inuit remplissant certaines conditions. Cependant, j’ai
expos6 plus haut le caract~re collectif de la partie autochtone A la Convention.
Malgr6 la d6finition individuelle des b6n6ficiaires, ce caract~re collectif devrait
donc se r6percuter sur les droits, privileges et avantages qui leur sont garantis.
Ainsi, ces droits pourront soit appartenir A un individu autochtone, en raison de
son appartenance au groupe des b6n6ficiaires, soit 6tre de v~ritables droits col-
lectifs, en ce sens que leur mise en oeuvre s’effectue simultan6ment
i l’6gard
de tous les b6n6ficiaires (ou d’un sous-ensemble de ceux-ci). On peut donner
comme exemple de droits v6ritablement collectifs la mise en place d’un r6gime
d’examen des impacts environnementaux89 ou la cr6ation de l’Administration
r6gionale crie 9 . Seront donc exclus de la protection de l’article 3(2) uniquement
les droits qui profitent A l’Etat, c’est-A-dire les obligations des autochtones, qui,
A l’exception de la cession du titre ancestral, sont de faible importance91.
La seule limite pos6e A l’incorporation l6gislative des droits conf6r6s aux
autochtones par la Convention est celle de l’interdiction des promesses de l6gi-
f6rer. En effet, si le Parlement ne peut pas s’interdire de 16gif6rer sur un sujet
8 8Supra, note 85.
8 9Convention, c. 22 et 23.
9″Convention, c. llA.
91Mentionnons, a titre d’exemples,
‘art. 2.4 (engagement des signataires Cris et Inuit A ne pas
intenter d’autres poursuites judiciaires relatives au projet de la Baie James) ; l’art. 2.9.5 (interdic-
tion d’engager de nouvelles poursuites au sujet du complexe La Grande pendant la p6riode de tran-
sition) ; ‘art. 5.1.6(b) (consultation du Quebec ou du Canada en cas d’occupation de terres de catd-
gorie 1 ou 1A par des tiers) ; ‘art. 7.1.12 (obligation de ceder au Qu6bec des terres n6cessaires
pour les services publics) ; l’art. 8.1.2 (obligation de ne pas empdcher la r6alisation du projet La
Grande conform6ment aux conditions 6tablies dans la Convention).
1992]
CONVENTION DE LA BAIE JAMES
le faire. II sera donc toujours loisible
donn6, il ne peut pas non plus s’obliger
au Parlement d’adopter une loi contraire, sous r6serve, bien entendu, de la cons-
titutionnalisation ult6rieure de ces promesses.
A cette seule exception pros, rien ne permet de douter que toutes les dis-
positions de la Convention qui profitent aux autochtones constituent des
<< droits, privileges et avantages > au sens de l’article 3(2). Le mot < avantage >
a en effet un sens plus large que le mot < droit >>, et l’utilisation de ces trois
termes vise A g6n6raliser la protection accord6e par l’article 3(2). La port6e de
cet article ne devrait donc pas 6tre limit6e aux seuls droits (au sens strict du
terme) qui auraient pu faire l’objet d’un recours fond6 sur la nature contractuelle
de la Convention. En effet, la mise en oeuvre l6gislative semble avoir pr6cis6-
ment eu pour but de rem6dier aux contraintes que l’emploi de l’instrument con-
tractuel imposait aux parties.
Deux dispositions de la Convention font de plus l’objet d’une mise en
oeuvre sp6cifique en vertu des alin6as 3 et 4 de l’article 3 de la loi f6d6rale:
il s’agit de l’extinction du titre ancestral et de l’immunit6 fiscale.
Le fait que l’extinction du titre ancestral fasse l’objet d’un paragraphe
s6par6 dans la loi d6montre bien l’importance cruciale de cette question aux
yeux des gouvernements. On ne se surprendra alors pas de la port6e tr~s large
de ces clauses. Dans le cas de la Convention de la Baie James, la loi a 6teint
le titre de tous les autochtones, m~me non-signataires, sur le territoire vis6 par
la Convention, alors que la Convention ddfinitive avec les Inuvialuit, conclue en
1984 avec des autochtones des Territoires du Nord-Ouest, n’a 6teint que le titre
des Inuvialuit, laissant subsister un 6ventuel titre des nations autochtones voi-
sines. Cela reflte peut-atre l’adoption de l’article 35 de la Loi constitutionnelle
de 1982, qui rend sans doute impossible l’extinction unilat6rale d’un droit
ancestral. Le l6gislateur f6d6ral de 1984 a donc pris soin de n’6teindre que les
droits des signataires de la Convention dfinitive avec les Inuvialuit, allant ainsi
moins loin qu’en 1977, alors qu’il avait aussi 6teint le titre des tiers’.
la lumi~re de la jurisprudence sur la rati-
De l’examen du texte de la loi
la conclusion suivante : le premier para-
fication 16gislative, on arrive donc
graphe de l’article 3 de la loi f6d6rale (on de l’article 2 de la loi provinciale)
rend la Convention valide; le deuxi~me paragraphe en exige la mise en oeuvre
par l’ttat, sans rien dire des obligations des autochtones. Enfin, les alin6as 3 et
4 op~rent la mise en oeuvre de l’extinction du titre ancestral et de l’immunit6
fiscale. L’effet global des lois de ratification se rangerait donc dans la cat6gorie
d’<< incorporation partielle > 6voqu6e au d6but de cette section.
Doit-on aller plus loin, et admettre que les lois de ratification incorporent
la Convention dans sa totalit6, en raison de l’effet cumulatif des diverses dispo-
92Cependant,
‘art. 2.14 de Ta Convention contenait un engagement du Quebec n6gocier avec
ces tiers touch6s par la Convention. C’est ce qui a men6 a la signature de la Convention du Nord-
Est quibcois, 12 janvier 1978 [publication restreinte, disponible aupr~s du Minist~re d~ldgu6 aux
affaires autochtones, Qu6bec] ; les parties A cette Convention sont les membres de la bande des
Naskapis de Schefferville de meme que ladite bande, le gouvemement du Qu6bec, Ta SEBJ, Ia
SDBJ, Hydro-Qudbec, le Grand Council of the Crees (of Quebec), la NQIA et le gouvernement
du Canada.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 37
sitions de mise en oeuvre sp6cifique et en vertu d’une analyse finaliste de ces
lois ? La question a W soumise a la Cour d’appel f6d6rale dans l’affaire PG.
Quibec c. Administration rigionale crie, oia on se demandait si l’administrateur
environnemental f6d6ral nomm6 en vertu de la Convention exergait des pou-
voirs conf6r6s par une loi f6d6rale93, ce qui d6terminait la juridiction de la Cour
fdd6rale pour 6mettre un mandamus94. Plut6t que d’examiner le texte de la loi
afin d’y d6celer l’intention d’y incorporer le contrat auquel elle fait r6f6rence,
le juge MacGuigan a adopt6 l’approche inverse et 6tudie d’abord la Convention
aux fins de d6celer l’intention du l6gislateur.
Etrangement, le juge MacGuigan en arrive a la conclusion que la Conven-
tion 6tait destin6e a n’avoir qu’une force l6gislative, et non contractuelle. Selon
lui, tout effet proprement contractuel se limitait a la p6riode de transition d’une
dur6e maximale de deux ans95. Mais on s’explique mal que son raisonnement se
soit fond6 sur l’article 2.9.8, qui pr6voyait la cessation d’effet des dispositions
transitoires au cas oa la Convention ne recevrait pas confirmation l6gislative
dans les deux ans suivant sa signature96. Un tel 6v6nement ne s’6tant pas pro-
duit, il n’y a donc aucun fondement pour exclure compl~tement l’effet contrac-
tuel. II se peut, bien entendu, que cette cat6gorie d’effets soit marginalis6e par
l’importance de la mise en oeuvre l6gislative et constitutionnelle. Elle ne cesse
pas d’exister pour autant.
Quoi qu’il en soit, le juge MacGuigan d6duit de cette force uniquement
l6gislative que les parties entendaient donner a la Convention l’intention du
l6gislateur d’incorporer la totalit6 de la Convention dans la loi ou, plus pr6cis6-
ment, non pas d’englober la Convention comme partie de la loi au sens 6troit,
mais de faqon plus 6tendue de lui donner son caract~re, son effet et sa validit6
en tant que loi >>9. Mais les indices sur lesquels il se fonde pour d6celer cette
intention de voir la Convention totalement incorpor6e dans la loi sont relative-
ment peu convaincants : les dispositions g6n6rales98 du chapitre 2 utilisent les
m~mes termes que la loi ( approuver, mettre en vigueur et d6clarer valide >).
II est donc difficile d’y trouver un surplus d’information99. Les seules mentions
d’une 6ventuelle incorporation se trouvent a l’article 2.14, qui precise que < le
pr6sent article ne sera pas int6gr6 dans la loi >, donnant ainsi prise h un raison-
nement a contrario voulant que le reste de la Convention (ou seulement une par-
C.F.], autorisation d’en appeler
la C.S.C. refus6e, [1991] 3 R.C.S. x.
93[1991] 3 C.F. 533, 81 D.L.R. (4th) 659 (C.A.) [ci-apr6s Administration rdgionale crie cit6 aux
94Voir la Loi sur la Cour f~ddrale, S.R.C. 1985, c. F-7, art. 2, 18.
95Supra, note 93 A la p. 551.
961Ibid. aux pp. 550-51.
97Ibid
“8Art. 2.5, 2.6, 2.7.
99D’ailleurs, dans l’affaire Sankey c. Whitlam, supra, note 84, la Haute cour d’Australie devait
d6terminer ]a nature juridique d’un contrat comprenant la clause suivante : This agreement shall
have no force or effect and shall not be binding on any party unless and until it is approved by
the Parliaments of the Commonwealth and of the States. > Le fait que cette entente pr6voyait que
]a ratification l6gislative 6tait une condition de sa prise d’effet n’a pas empach6 la Cour de conclure
qu’elle n’avait qu’une force contractuelle, et n’6tait pas incorporde dans la loi. Voir aussi Placer
Development Ltd c. Commonwealth (1969), 121 Commonwealth L.R. 353 a lap. 357 (H.C.), pour
un cas oi l’approbation 16gislative 6tait une condition suspensive de l’effet du contrat.
1992]
CONVENTION DE LA BAIE JAMES
l’article
tie, indrterminre, de la Convention) soit int6grre dans la loi; et
25.3.1, ofi l’on parle de la loi qui << englobera et confirmera les dispositions de
la Convention >.
Cette d6cision de la Cour d’appel frdrrale prate donc
critique t deux
niveaux. D’abord, le vocabulaire de la loi de ratification n’op6re pas, premiere
vue, une incorporation l6gislative totale de la Convention, et les indices permet-
tant de drcouvrir l’objet de la loi sont peu concluants. Ensuite, meme si la quasi-
totalit6 des obligations contractuelles font l’objet d’une incorporation 16gisla-
tive, il demeure inexact, mon avis, de prrtendre que la Convention n’a plus
aucune force contractuelle.
En garantissant l6gislativement les droits des b6n6ficiaires autochtones, la
loi se trouve t affecter les droits des tiers, dans la mesure oil leur action est
nrcessaire au respect des droits des autochtones. Par exemple, les chapitres 22
et 23 de la Convention soumettent certains projets h un processus d’6valuation
environnementale, y compris les projets entrepris par des personnes qui ne sont
pas parties h la Convention. Normalement, un contrat n’impose pas d’obliga-
tions A ceux qui n’y ont pas donn6 leur consentement. Ceux-ci devront nran-
moins s’y soumettre, si l’on veut donner un sens utile aux termes de la loi de
mise en oeuvre. D’ailleurs, la jurisprudence anglaise a reconnu qu’une loi qui
exige l’exrcution d’un contrat rend celui-ci obligatoire pour les tiers” . Il serait
m~me logique qu’une loi qui ne fait que valider un contrat ait le mame effet.
Puisque le Parlement connaissait le texte de la Convention au moment oil il l’a
approuvfe, il devait bien savoir que drclarer valide un contrat qui vise des tiers
suffisait h lui donner cet effet exorbitant du droit commun.
Une autre question qui pourrait surgir quant
l’effet des articles 3(1) et
3(2) de la loi frd6rale est la possibilit6 de demander la resolution de la Conven-
tion pour cause d’inex~cution. Comme je l’ai mentionn6 plus haut, l’article 3(1)
ne vise que la validit6 de la Convention, et non pas son execution. I1 n’empeche
done pas d’en demander la resolution en tant que sanction de l’inexrcution par
un cocontractant (par opposition h la sanction d’un non-respect des conditions
de formation). Cependant, l’article 3(2) vient compliquer les choses. I1 exige
que les obligations de l’Etat envers les autochtones soient exrcutres. I1 ajoute
done aux sanctions classiques du droit civil (execution en nature et dommages-
int6r~ts) les sanctions du droit public A l’inexfcution d’une prescription 16gisla-
tive (par exemple, le mandamus). Ecarte-t-il pour autant la troisi~me sanction
du droit civil, la resolution ? En effet, si l’on rrsout la Convention, il n’est appa-
remment plus possible de se conformer Particle 3(2). Mais, selon moi, la dif-
ficult6 n’est qu’apparente : cet article presuppose que la Convention existe. Or
si elle cesse d’exister, h la suite d’une d6cision judiciaire fondre sur son inex6-
cution, l’article 3(2) devient simplement sans objet.
En terminant, il faut signaler que les gouvemements ont le pouvoir de
mettre en vigueur des modifications h la convention originale 1. Ces modifica-
tions sont alors soumises au m~me r6gime l6gislatif que la Convention. Une pro-
10Re Wilton’s Settled Estates, supra, note 84 A la p. 56.
101Loi frdrrale, supra, note 87, art. 4-6 ; loi provinciale, supra, note 87, art. 3-4.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 37
c6dure d’examen parlementaire est pr6vue, ce qui d6montre l’importance accor-
d6e ces modifications. Cette proc6dure s’accorde aussi avec la conclusion que
la Convention est incorpor6e dans la loi de mise en oeuvre : il n’est que normal
que le Parlement soit inform6 des modifications apport~es
cette loi >.
Cependant, cette proc6dure de modification ne cherche pas A limiter le principe
de la supr6matie du Parlement: elle n’interdit pas une modification de la Con-
vention par une loi subs6quente. D’ailleurs, si le l6gislateur avait tent6 de s’in-
terdire de modifier la Convention sans le consentement des autochtones b6n6-
ficiaires, ce procdd6 aurait 6t6 d’une validit6 fort douteuse1 . I1 est probable que
seule la Constitution puisse validement imposer de telles restrictions aux pou-
voirs du Parlement.
2.
Clauses de priorit6 en cas de conflit
Les lois mettant en oeuvre la Convention comprennent 6galement des
clauses qui pr6voient l’issue de tout conflit entre ces lois et d’autres lois. Par
exemple, l’article 8 de la loi f6d6rale se lit ainsi :
8. En cas de conflit ou d’incompatibilit6, la pr6sente loi l’emporte sur toute autre
loi qui s’applique au Territoire dans la mesure n6cessaire pour r6soudre le con-
flit ou l’incompatibilit6 10 3.
Par ailleurs, l’article 4 de la Loi sur le r~glement des revendications des Inuvia-
luit de la rigion ouest de l’Arctique14 6nonce :
4. Les dispositions de la pr~sente loi ou de la Convention l’emportent sur les dis-
positions incompatibles de toute autre loi qui s’applique au Territoire.
Cette deuxi~me disposition est claire : elle accorde h la Convention difinitive
avec les Inuvialuit une priorit6 sur toute loi incompatible. Cette protection est
donc semblable A celle accord~e par l’article 88 de la Loi stir les Indiens A
l’6gard de la l6gislation provinciale.
Peut-on en dire autant de la premiere, qui, en apparence, n’accorde priorit6
qu’h la loi de mise en oeuvre et non pas
la Convention de la Baie James elle-
m~me ? A prime abord, la rdponse semble d~pendre de l’inclusion de la Con-
vention dans la loi. Puisque la Cour d’appel f6d6rale a r6pondu par l’affirmative
A cette question010 , on doit conclure que le mot < loi >> comprend aussi la Con-
10211 n’est pas certain que le l6gislateur puisse s’imposer une condition de forme a l’adoption de
lois ou A la modification de lois existantes selon laquelle le consentement d’un organe ext~rieur
A Ia l6gislature serait n~cessaire : voir Commonwealth Aluminitm Corporation c. A.G. Queensland,
[1976] Queensland R. 231 (S.C. Queensland), ainsi que l’article de Wamick, supra, note 84.
Cependant, dansA.G. New South Wales c. Trethowan, [1932] A.C. 526 A la p. 540, le Conseil priv6
a conclu a la validit6 d’une limite de forme consistant en un r6fdrendum. Dans ce cas, l’ensemble
de Ia population que ]a Iegislature repr~sentait 6tait impliqu~e; au contraire, dans Commonwealth
Aluminium Corporation c.A.G. Queensland, ibid., c’6tait le consentement d’une compagnie privde
qui 6tait requis pour apporter des modifications a Ia loi. On peut croire qu’exiger le consentement
des autochtones visas par un trait6 se rapproche plus d’un r~f6rendum que du consentement d’une
compagnie priv~e.
103La loi provinciale, supra, note 87, comporte une disposition identique A l’art. 6.
1 4S.C. 1984, c. 24.
105Administration rigionale crie, supra, note 93.
1992]
CONVENTION DE LA BAIE JAMES
vention. Mais, meme t supposer que la conclusion de la Cour d’appel soit fina-
lement infirm6e, le r6sultat serait substantiellement le meme puisque l’article 3
des lois de mise en oeuvre incorpore la quasi-totalit6 des droits ddcoulant de la
Convention pour en faire des droits statutaires. Un texte i6gislatif qui limiterait
les droits prot6g6s par l’article 3 serait manifestement incompatible avec cet
article, ce qui fait que ces droits issus de la Convention doivent avoir pr6s6ance.
On peut d’ailleurs se demander A quoi servirait cette clause de priorit6 si elle ne
visait pas l’ensemble des clauses pr6vues dans la Convention, alors que la loi
de mise en oeuvre elle-m~me ne contient que peu de dispositions susceptibles
d’entrer en conflit avec une autre loi.
Il est toutefois permis de douter de l’efficacit6 des clauses de priorit6 face
aux lois postdrieures. En effet, le principe de la supr6matie du Parlement fait
g6n6ralement pr6sumer que les lois post6rieures l’emportent sur les lois ant6-
rieures. Pierre-Andr6 C6t6 enseigne qu’< il n'est pas douteux que les disposi-
tions qui ont en vue la hidrarchisation des lois entre elles r6fbrent aux lois ant6-
rieures >106. Une telle proposition pourrait se justifier dans le cas oil la loi
postdrieure serait totalement priv6e d’effet si l’on devait appliquer une clause de
priorit6 dans la loi ant6rieure” 7. Mais l’argument tombe dans le cas oil la loi
postdrieure serait rendue inapplicable uniquement dans certaines circonstances
bien ddlimitdes, c’est-A-dire, dans notre cas, sur un territoire prdcis. Or une loi
qui, comme les lois de mise en oeuvre de la Convention, ne s’applique qu’ un
territoire prdcis devient, au fond, une loi spdciale. Et en tant que loi spdciale,
elle b6n6ficie de la prdsomption voulant que les lois g6n6rales ne ddrogent pas
aux lois spdciales. La prdsdance de la Convention serait donc assurde, tout au
moins A l’dgard des lois gdn6rales.
Mais l’argument le plus convaincant est celui de la nature et de l’objet des
lois de mise en oeuvre. Ces lois, et la Convention qu’elles incorporent, visent
A d6finir le cadre g6n6ral des relations entre deux peuples. Elles reprdsentent
une entente au terme de laquelle les parties consentaient h mettre fin A un impor-
tant contentieux. De plus, la cession des droits territoriaux a donn6 lieu A une
obligation de fiduciaire, par laquelle l’Ittat doit veiller h respecter 1′<< honneur
de la Couronne > . II ne faut donc pas conclure trop rapidement que le Parlement
ses obligations”‘8 . On devrait donc recon-
ou une l6gislature a voulu d6roger
naitre que les lois de mise en oeuvre de la Convention ont un statut quasi cons-
l’instar des chartes des droits provinciales, on devrait leur
titutionnel et qu’
accorder la prioritd en cas de conflit avec toute autre loi qui ne manifeste pas
une intention trbs claire d’y ddroger”‘9.
106Supra, note 72 a la p. 337.
107C’est prdcis6ment cet argument qui a amend le juge Wilson A conclure
l’applicabilit6 de la
loi postdrieure malgr6 une clause de priorit6 dans la loi antdrieure dans l’arr~t Mitchell c. Manitoba
la p. 637, [1977]
(Department of Labour, Employment Standards Division), 78 D.L.R. (3d) 631
6 W.W.R. 84 (Man. Q.B.), conf. par 82 D.L.R. (3d) 339 (C.A.) pour d’autres motifs.
103D’ailleurs, lorsque le Parlement a adopt6 la Loi sur les Cris et les Naskapis, il a prdvu, A l’ar-
tiele 3(2), que la loi de mise en oeuvre de la Convention aurait priorit6 sur cette loi. Ainsi, la loi
de 1984 devenait subordonnde a la loi de 1977.
l9Winnipeg School Division No. 1 c. Craton, [1985] 2 R.C.S. 150 A la p. 156, 21 D.L.R. (4th)
1 ; voir aussi Insurance Corporation of British Columbia c. Heerspink, [1982] 2 R.C.S. 145 A la
p. 158, 137 D.L.R. (3d) 219, M. le juge Lamer.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 37
3.
La Loi sur les Cris et les Naskapis du Quebec et les lois qu6b6coises
particuli~res
Un nombre important de dispositions de la Convention a fait l’objet d’une
mise en oeuvre par des lois distinctes des lois de ratification. Du c6t6 f6d6ral,
la seule loi qui entre dans cette cat6gorie est la Loi sur les Cris et les Naskapis.
Elle est n6anmoins tr~s importante, puisqu’elle accorde aux b6n6ficiaires de la
Convention un syst~me de gouvernement autonome sur les terres de la cat6gorie
IA. L’application de la Loi sur les Indiens A ce territoire est donc exclue n. Le
16gislateur qu6b6cois a 6t6 plus actif : il a adopt6, en 1978, plusieurs lois qui
reproduisent et d6taillent certains chapitres de la Convention’.
S’il survient une incompatibilit6 entre ces lois particuli~res et le texte
m~me de la Convention, il faudra g6n6ralement accorder priorit6 A cette der-
nitre”‘. Si l’on suit l’opinion de la Cour d’appel f6d6rale voulant que la Con-
vention soit incorpor6e dans les lois de ratification, on donne simplement effet
aux clauses de priorit6 que contiennent ces lois. Dans l’hypoth~se contraire,
seuls les droits incorpor6s par l’article 3 obtiendront cette priorit6. Comme nous
le verrons maintenant, une telle priorit6 d~coule 6galement de la protection
constitutionnelle de ces droits.
C. Par la Constitution
1.
Article 25 de la Charte canadienne des droits et libertds
L’article 25 de la Charte se lit ainsi :
25. Le fait que la pr6sente charte garantit certains droits et libert6s ne porte pas
des
atteinte aux droits ou libert6s –
peuples autochtones du Canada, notanment :
a) aux droits ou libert6s reconnus par la Proclamation royale du 7 octobre
ancestraux, issus de trait6s ou autres –
b) aux droits ou libert6s existants issus d’accords sur des revendications ter-
1763 ;
ritoriales ou ceux susceptibles d’8tre ainsi acquis1 3.
Comme nous l’avons vu plus haut, la Convention de la Baie James doit
tre qualifi6e d’accord sur des revendications territoriales. L’article 25 pourra
donc s’appliquer aux droits accord6s par la Convention aux autochtones.
“Loi sur les Cris et les Naskapis, supra, note 22, art. 5.
“‘Loi sur les villages nordiques et l’Administration rigionale Kativik, L.R.Q. c. V-6.1 ; Loi sur
les villages cris et le village naskapi, L.R.Q. c. V-5.1 ; Loi sur l’Administration rdgionale crie,
L.R.Q. c. A-6.1 ; Loi sur le Conseil rigional de zone de la Baie James, L.R.Q. c. C-59.1 ; Loi sur
la Socit6 Makivik, L.R.Q. c. S-18.1 ; Loi sur les droits de chasse et de peche dans les territoires
de la Baie James et du Nouveau-Quibec, L.R.Q. c. D-13.1 ; Loi sur le rigime des terres dans les
territoires de la Bale James et du Nouveau-Quebec, L.R.Q. c. R-13.1 ; Loi stir la Socidtd des Ira-
vaux de correction du Complexe La Grande, L.R.Q. c. S-13.2 ; Loi str la Socidtd de ddveloppement
autochtone de la Bale James, L.R.Q. c. S-9.1 ; Loi stir les autochtones cris, initit et naskapis,
L.R.Q. c. A-33.1 ; Loi sur la sicuritg du revenu des chasseurs et pidgeurs cris bdnificiaires de la
Convention de la Baie James et du Nord qugbjcois, L.R.Q. c. S-3.2.
” 2C’est la position de principe qui ressort de la decision R. c. Otter, [1992] R.J.Q. 802 A la p.
” 3L’alin~a (b) a 6t6 modifiM en 1984 par la Proclamation de 1983 modifiant la Constitution,
813 (C.Q.).
S.R.C. 1985, app. II, n’ 46.
1992]
CONVENTION DE LA BAlE JAMES
Cet article se retrouve dans une section de la Charte qui contient des dis-
positions g6n6ralement d6crites comme interpr6tatives. Un tel qualificatif peut
toutefois entraner une certaine confusion. Par exemple, une v6ritable disposi-
tion interpr6tative serait l’article 27, qui pr6voit que << [t]oute interpr6tation de
la pr6sente charte doit concorder avec l'objectif de promouvoir le maintien et
la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens >>. Elle fournit au juge
un crit~re pour pr6f6rer une interpr6tation h une autre. L’article 25, quant a lui,
dolt 6tre rapproch6 de l’article 29114 :.i s’agit de deux dispositions destin6es
enpicher l’application de la Charte certains objets clairement d6finis, soit les
droits des peuples autochtones ou les droits relatifs aux 6coles confessionnelles.
En 6nongant que la Charte << ne porte pas atteinte >> ces droits, ces articles pr6-
voient une r~gle de priorit6 en cas de conflit qui est diff6rente de la r~gle g6n6-
rale de primaut6 de la Constitution. C’est d’ailleurs ce que la juge Wilson a
affirm6, au nom de quatre juges de la Cour supreme, au sujet de l’article 29:
En d’autres termes, l’art. 29 est la pour prot6ger contre tout examen en vertu de
la Charte les droits ou privileges qui autrement, n’6tait-ce de cet article, pourraient
faire l’objet d’un tel examen 1i .
Le meme raisonnement s’applique, selon moi,
l’article 25.
Apr~s avoir ainsi analys6 l’effet de l’article 25, on est m~me de faire deux
constatations. Premi~rement, cet article ne garantit pas les droits ancestraux,
issus de trait6s ou autres. II ne fait que les immuniser de l’effet de la Charte.
II ne trouvera done application que dans un litige fond6 sur celle-ci. L’exemple
l’esprit est celui d’un non-autochtone qui contes-
qui vient le plus facilement
terait des privilfges accord6s aux autochtones par la Convention comme 6tant
‘article 15 de la Charte. Une telle con-
contraires au droit
testation 6chouerait d~s le d6part.
l’dgalit6 garanti
Deuxi~mement, cet article ne peut pas servir
61argir la port6e de certains
droits garantis par la Charte, comme le propose William Pentney 116. L’article 25
accorde une immunit6; le texte de l’article ne permet pas de conclure qu’il
impose un choix favorable aux autochtones lorsqu’un autre article de la Charte
est susceptible d’8tre interpret6 de deux fagons diff6rentes T. Cette mdprise
d6coule, selon moi, de la croyance erron6e au caract~re interpr6tatif de l’article
25.
De IA, aussi, l’inutilit6 de se demander si l’on doit tenir compte de l’article
25 lors de la premiere 6tape d’un examen en vertu de la Charte (la d6finition
de l’6tendue du droit) ou lors de la deuxi~me 6tape (le test de l’article 1) pour
114 L’art. 29 de Ta Charte se lit ainsi:
29. Les dispositions de la pr6sente charte ne portent pas atteinte aux droits ou privi-
lfges garantis en vertu de la Constitution du Canada concemant les 6coles s6par6es
et autres dcoles confessionnelles.
115Renvoi relatif auprojet de loi 30, An Act to Amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S.
1148 A la p. 1198, 40 D.L.R. (4th) 18.
116 The Rights of the Aboriginal Peoples of Canada and the Constitution Act, 1982 – Part 1
– The Interpretive Prism of Section 25 > (1988) 22 U.B.C. L. Rev. 21
1 17Voir aussi P. Hogg, Constitutional Law of Canada, 2e 6d., Toronto, Carswell, 1985 aux pp.
la p. 29.
566-67.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 37
savoir si des limites a ce droit sont justifi6es. L’article 25 entre en jeu avant
m~me ces deux 6tapes : on pourrait presque le comparer A un motif d’irreceva-
bilit6 de la demande.
Notons enfin que, comme le souligne Brian Slattery11 , l’article 28 de la
Charte a pr6s6ance sur l’article 25. Ii devient donc impossible d’opposer
celui-ci a une contestation fond6e sur la garantie d’6galit6 des sexes prevue A
l’article 15.
2.
Article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982
Voici le texte de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982:
35.(1) Les droits existants –
ancestraux ou issus de trait6s – des peuples autoch-
tones du Canada sont reconnus et confirm~s.
(2) Dans la pr6sente loi, peuples autochtones du Canada s’entend notamment
des Indiens, des Inuit et des M~tis du Canada.
(3) I1 est entendu que sont compris parmi les droits issus de trait~s, dont il est
fait mention au paragraphe (1), les droits existants issus d’accords sur des
revendications territoriales ou ceux susceptibles d’6tre ainsi acquis.
(4) Ind6pendamment de toute autre disposition de la pr~sente loi, les droits –
ancestraux ou issus de trait~s –
lement aux personnes des deux sexes.
vis6s au paragraphe (1) sont garantis 6ga-
L’article 35 reconnait et confirme deux types de droits : les droits ances-
traux et les droits issus de trait~s. La premiere cat6gorie de droits a 6t6 examin~e
par la Cour supreme dans l’arrt Sparrow. Essentiellement, elle y a d6cid6 que
l’article 35 accordait aux droits ancestraux une protection 6quivalente h celle
accord6e aux droits garantis par la Charte: toute loi qui y porte atteinte doit 6tre
soumise A un test de justification ; si elle 6choue h ce test, elle est d~clar6e ino-
p6rante en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982″1’.
Rien ne nous permet de croire que les droits issus de trait6s ne seront pas
soumis h un m6canisme identique. En effet, le libell6 de l’article 35 accorde la
m~me protection aux deux cat6gories de droits : ils sont << reconnus et confir-
m6s >>. Seule la source des droits prot6g6s diff~re.
Mon analyse de l’effet de l’article 35 sur la Convention de la Bale James
se d6roulera donc en deux temps. Je d6terminerai d’abord l’6tendue des droits
prot6g6s, pour ensuite 6tudier le m6canisme et la force de cette protection.
a. Objet de la protection
Une remarque pr6liminaire : l’article 35 protege des droits existants issus
de trait6s o. I1 s’int6resse au droit et non au texte qui le cr6e; autrement dit, il
118 The Constitutional Guarantee of Aboriginal and Treaty Rights > (1982-83) 8 Queen’s L.J.
232 aux pp. 240-42. Cependant, D. Sanders soutient le contraire, en argumentant que l’art. 25 est
une disposition sp~ciale qui doit l’emporter sur l’art. 28, disposition g6n6rale (< The Rights of the
Aboriginal Peoples of Canada >> (1983) 61 R. du B. can. 314 A la p. 327). Mais c’est lh oublier que
la r~gle generalibus specialia derogant ne s’applique qu’en l’absence de r6gle de hi~rarchisation
expresse dans le texte examine. Ici, une telle r6gle existe et accorde ind6niablement la priorit6 A
l’art. 28.
1′ 9Sparrow, supra, note 22 aux pp. 1091-93.
1992]
CONVENTION DE LA BAIE JAMES
protege la substance du droit et non pas sa source formelle. I1 n’incorpore donc
pas le texte des trait6s dans la Constitution et il est inexact d’affirmer que les
trait6s ont 6t6 << constitutionnalis6s >>. Ce n’est pas, comme certains Font pre-
tendu, une formule d’amendement constitutionnel d6guis6e, qui permettrait au
gouvernement de modifier la Constitution par la conclusion d’un trait612.
La premiere condition que pose l’article 35(1) A la reconnaissance et
la
confirmation des droits ancestraux est leur < existence >>. En excluant ainsi les
droits qui n’existaient plus lors de l’entr6e en vigueur de l’article 35, le cons-
tituant s’est assur6 de ne pas faire revivre des droits qui avaient 6t6 16galement
6teints avant 1982121. De plus, l’article 35(3) fait entrer dans la cat6gorie des
droits prot6g6s ceux qui ont commenc6 A exister apr~s 1982122. Ainsi, le seul cri-
t~re est l’existence du droit an moment des faits qui donnent lieu au litige, pour
autant que ces faits soient post6rieurs an 17 avril 19821″.
Deuxi~mement, l’article 35 ne protege pas toutes les dispositions d’un
trait6. I1 ne vise que les droits (les cr6ances) des peuples autochtones. Ainsi, les
obligations (les dettes) des peuples autochtones envers l’Etat ne sont pas prot6-
g6es. L’Etat ne peut donc pas invoquer l’article 35 A son avantage pour exiger
l’ex6cution d’une prestation due par les autochtones en vertu d’un trait6. Aussi,
puisque l’article 35 reconnait et confirme les droits des peuples autochtones, il
est bien possible que soient prot6g6s A la fois des droits individuels et des droits
collectifs, ceux-ci 6tant caract6ristiques des trait6s.
De plus, la Cour supr~me, dans Sparrow, a pr6cis6 que la protection des
droits ancestraux n’6tait pas limit6e par l’6tendue de la r6glementation de leur
exercice en 1982124, car une telle interpr6tation aurait emp~ch6 la contestation
de toute disposition en vigueur A cette date. II devrait en 6tre de meme pour les
droits issus de trait6s. II ressort de l’arrt Sparrow une distinction entre le droit
prot6g6, qui serait de la nature d’un droit subjectif, et la r6glementation de
l’exercice de ce droit, qui n’entre pas dans la d6finition du droit. Cette distinc-
tion est appuy6e par le fait que la Cour cite un peu plus loin’15 un passage de
l’arrt A.G. Canada c. A.G. Ontario126, o i le Conseil priv6 a 6tabli la diff6rence
entre la propri6t6 des ressources marines et la r6glementation des pecheries.
L’explication est quelque pen confuse, mais si on la replace dans le contexte de
120n peut faire une analogie avec une 6ventuelle protection constitutionnelle du droit de pro-
pridt6 : cela ne ferait 6videmment pas entrer dans le texte de la Constitution chaque contrat qui cr6e
ou transfere un droit de propri6t6.
12 1Sparrow, supra, note 22 A la p. 1091.
122Ou apr~s 1984 ? En effet, la Proclamation de 1983 modifiant la Constitution, supra, note 113,
‘art. 35(3), est entr6e en vigueur le 21 juin 1984. Cependant, interpr6ter la r6f6rence
qui ajoutait
au futur dans l’art. 35(3) comme d6butant en 1984 laisse un << vide o de plus de deux ans. La ques-
tion n'est d'ailleurs pas th6orique : la Convention difinitive avec les Inuvialuit a 6t sign6e le 5 juin
1984, soit quelques jours avant l'entrde en vigueur de
123En effet, on consid~re g6n6ralement que la Charte n'a pas d'effet r6troactif : R. c. James
la p. 623, 27 C.C.C. (3d) 1 (C.A.), conf. par [1988] 1 R.C.S. 669 ; R.
(1986), 55 O.R. (2d) 609
c. Stevens, [1988] 1 R.C.S. 1153, 51 D.L.R. (4th) 394. I1 n'y a pas de raisons pour ne pas 6tendre
ce raisonnement aux autres parties de la Loi constitutionnelle de 1982.
'art. 35(3).
124Supra, note 22 aux pp. 1091-1101.
125Ibid. a la p. 1098.
126[1898] A.C. 700 aux pp. 712-13.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 37
la discussion sur l'extinction des droits ancestraux, on comprend que la Cour ait
voulu 6tablir que la r6glementation de l'exercice d'un droit n'a rien A voir avec
l'existence de ce m~me droit127, et qu'en consequence, un sch6ma r6glementaire
contraignant n'a pas pour effet d'6teindre un droit ancestral"z .
Mais de l'expression droits existants >, on peut 8tre tent6 de d6duire une
exigence supplfmentaire : il faudrait que le droit vis6 soit exigible ind6pendam-
ment de la protection de l’article 35, c’est-i-dire qu’il ait eu une validit6 juri-
dique antrieure. Autrement dit, l’article 35 ne crferait aucun nouveau droit,
mais il ne ferait qu’accorder un suppl6ment de protection A des droits d6jh
valides ou reconnus. Pour bfn6ficier de la protection de l’article 35, un droit
devrait donc obligatoirement pouvoir 8tre revendiqu6 en vertu de sa simple
force contractuelle ou, peut-6tre, avoir fait l’objet d’une validation l6gislative.
Ce raisonnement aurait pour effet (sinon pour but !) d’exclure des droits qui,
de par leur nature, ne peuvent pas 6tre cr66s par un contrat (ou par une loi, le
cas chfant). De tels < droits > seraient relfgufs au statut de simples promesses
qui n’ont pu accfder h la juridicit6.
Ce point de vue pourrait 6tre soutenu par le fait que l’article 35 n’utilise
que le mot droits >, qui doit n6cessairement avoir un sens plus restreint que
l’expression droits, privil~ges et avantages > qui figure dans les lois de mise
en oeuvre. Les termes privilege > et < avantage peuvent d6noter des int6rets
.Ainsi, un privil~ge qui ne pourrait
qui n'ont pas la force juridique des droits
pas 6tre qualifi6 de droit ne serait pas reconnu et confirm6 par
'article 35.
C'est cependant un raisonnement qu'on ne saurait accepter. Autrement, la
protection de l'article 35 serait bien illusoire, et le Parlement conserverait la dis-
cr6tion de ne pas respecter les traitfs. En effet, les trait6s modernes contiennent
6norm6ment de promesses de 16gif6rer et d'autres dispositions qui ne peuvent
validement faire partie d'un contrat. Il faut donc, h mon avis, conclure que ces
droits sont existants m~me s'ils ne peuvent pas produire d'effets en vertu du
droit commun. Conclure autrement rfduit h bien peu l'effet de l'article 35. Brian
Slattery souligne d'ailleurs l'absurdit6 de cette position :
But if "existing" is taken to denote only rights that are already valid, indefeasible
and enforceable at law, the section would be reduced to an affirmation that legally
valid rights are hereby acknowledged to be legally valid. It seems evident that the
word "existing" must be understood in a less restrictive sense if section 35 is to
be read in a meaningful way
129
1270n peut donner un autre exemple: la rfglementation en mati~re d'urbanisme n'a pas pour
effet d'6teindre le droit de proprift6 foncier, m~me dans l'hypoth~se oh il y aurait interdiction
totale de construire dans un secteur donn6. En outre, le droit administratif consid~re qu'une autorit6
rdglementaire h laquelle est dflfgu6 le pouvoir de rfglementer une activit6 ne peut se servir de cc
pouvoir pour prohiber cette activit6: voir Toronto (City o0) c. Virgo, [1896] A.C. 88 , la p. 93
(H.L.) ; Beach c. Gatineau (MunicipalitM de), [1975] C.S. 85. Un r~glement tr~s contraignant, qui
a pour but camoufl6 de prohiber une activit6, sera 6galement annul6 puisqu'on consid6re, mais a
cette fin seulement, qu'une rfglementation tr~s sdv~re 6quivaut a une prohibition (Madoc (Town-
ship of) c. Quinlan, [1971] 3 O.R. 540, 21 D.L.R. (3d) 136 (H.C.)). Somme toute, ]a distinction
entre Ia rfglementation et l'extinction d'un droit ancestral (ou issu d'un trait6) parait doncjustifiae.
128Cette distinction entre l'existence d'un droit et sa r6glementation a 6t6 reprise dans l'affaire
R. c. Potts, 84 Alta L.R. (2d) 326, [1992] 1 C.N.L.R. 142 (Prov. Ct) inf. par (30 juin 1992),
9203/023150, 9103/055054, 9103/057652, 9103/057551 (Alta Q.B.).
129Supra, note 118 aux pp. 252-53.
1992]
CONVENTION DE LA BAIE JAMES
Slattery mentionne d'ailleurs que le verbe < confirmer > peut signifier la valida-
tion d’un instrument auparavant invalide. Selon cette interpr6tation, il faudrait
donc conclure. que tous les droits 6nonc6s dans un trait6, peu importe s’ils
peuvent 8tre mis en oeuvre autrement que par une disposition constitutionnelle,
b6n6ficient de la protection de l’article 35. Ainsi, une promesse de 16gif6rer
serait consid6rfe comme valide puisqu’elle tirerait sa force de la Constitution.
Comme le disait la Cour supreme dans l’arrt Sparrow, le terme < existants > ,
dans l’article 35, ne servirait qu’ exclure les droits 16galement 6teints avant
1982130.
II est 6galement important de savoir si la protection des droits issus de trai-
t6s s’6tend au schema lgislatif d6taill qui est adopt6 afin de donner suite aux
obligations d~coulant d’un traitS. Notamment, la Loi sur les Cris et les Naskapis
est-elle constitutionnalis6e dans ses moindres d6tails ? R~pondre par l’affirma-
tive13 ‘ entrainerait une rigidit6 importante : la loi est volumineuse et d~taill~e et
il peut parfois 6tre souhaitable de la modifier ou d’y d6roger. De plus, i propre-
ment parler, chaque disposition prdcise de cette loi ne constitue pas un droit issu
d’un trait6. Le vdritable droit des autochtones, c’est de voir le Parlement adopter
une loi qui remplisse les exigences du chapitre 9 de la Convention, qui sont le
plus souvent formules en termes tr~s g~n6raux. Par exemple, la loi doit conte-
nir < des dispositions se rapportant aux travaux publics de la bande 132. Ainsi,
le Parlement conserve toujours la possibilit6 de modifier la loi, pour autant que
le r~sultat soit conforme aux objectifs fixes dans le chapitre 9. C'est seulement
dans l'hypoth~se contraire qu'on pourra parler de violation d'un droit issu de la
Convention et, donc, de l'article 35. On peut alors concevoir ces droits impr~cis
comme des balises constitutionnelles h l'exercice des pouvoirs du Parlement.
Prenons un exemple : en vertu de l'article 9.0.1(h) de la Convention, la Loi
sur les Cris et les Naskapis doit pr6voir l'insaisissabilit6 des biens des Cris. A
supposer que le Parlement abolisse purement et simplement la disposition l6gis-
lative pertinente133, un droit des autochtones serait clairement viol6 et un tribu-
nal serait justifi6 de declarer toute saisie invalide en vertu de l'article 35 de la
Loi constitutionnelle de 1982. Mais si le Parlement desire tout simplement r6vi-
ser i la baisse l'6tendue des biens vis6s par cette insaisissabilit6, tout en main-
tenant la r~gle gdn6rale, il faudra se demander si une telle modification est com-
patible avec les objectifs 6nonc6s au chapitre 9 de la Convention et si elle est
en accord avec la philosophie d'autonomie gouvernementale qui sous-tend ce
chapitre.
b. Micanisme de protection
Le principal effet de la reconnaissance et de la confirmation des droits issus
l6gisla-
de traitds par l'article 35 est de soumettre toute atteinte i ces droits -
130Supra, note 22 aux pp. 1091-93.
131Voir T. Isaac, The Constitution Act, 1982 and the Constitutionalization of Aboriginal Self-
la p. 11 et s.
Government in Canada: Cree-Naskapi (of Qudbec) Act > [1991] 1 C.N.L.R. 1
132Convention de la Bale James, supra, note 1, art. 9.0.1(1).
133Loi sur les Cris et les Naskapis, supra, note 22, art. 190.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 37
tive, r6glementaire ou autre –
on doit d6clarer cette atteinte inop6rante ou non.
t un test de justification, afin de determiner si
Essentiellement, le test 61abor6 par la Cour supreme dans l’arrt Sparrow134
se divise en deux volets. On doit d’abord examiner si l’objectif poursuivi par la
loi attaqu~e est suffisamment important pour justifier une restriction aux droits
des autochtones. En g6n6ral, la conservation des ressources naturelles a 6t6 con-
sid6r6e comme un objectif acceptable 35. Deuxi~mement, la loi doit respecter
1’F< honneur de la Couronne >> dans ses rapports avec les autochtones. La Cour
a donn6 peu de pr6cisions sur la port6e r6elle de ce crit~re, mais on peut penser
que les tribunaux inf6rieurs y verront une copie du crit~re de proportionnalit6
du test de l’arr~t Oakes’36. D’ailleurs, la Cour a sugg6r6, A titre de question
secondaire, de se demander si la loi contest6e constitue une atteinte minimale
aux droits des autochtones. Elle a aussi mentionn6 un crit~re in6dit : les autoch-
tones vis6s ont-ils 6t6 consult6s ? Ce crit~re a 6t6 repris dans certaines d6cisions
des tribunaux de premiere instance afin d’invalider des restrictions qui avaient
6t6 impos6es h des groupes autochtones sans qu’on cherchft t connaitre leur
avis
137
On peut supposer que ce test en deux 6tapes sera int6gralement appliqu6
aux droits issus de trait6s. C’est d’ailleurs ce que certains tribunaux de premiere
instance ont fait 3′. Cependant, les modalit~s d’application pourraient diff6rer.
En effet, les trait6s repr6sentent des ententes entre le gouvernement et un peuple
autochtone. Les parties y ont fix6 l’6quilibre auquel elles d6siraient parvenir
entre les droits des autochtones et le d6sir de r6glementation de l’Etat. Ce carac-
tare consensuel milite, selon moi, pour une norme de justification plus exi-
geante. Pourquoi, peut-on se demander, l’ttat limiterait-il des droits qu’il s’6tait
auparavant solennellement engag6
respecter ? L’argument n’est que plus fort
dans le cas des trait6s modemes, qui prennent plus l’allure d’un contrat extra-
mement d6taill6 que d’une d6claration g6n6rale d’intention.
On peut qualifier la protection constitutionnelle de l’article 35 de << n6ga- tive >> : elle interdit les atteintes injustifi6es aux droits issus de trait6s. Est-ce lh
1
34Cet arrat a donn6 lieu a de nombreux commentaires doctrinaux: W.I.C. Binnie, The Spar-
row Doctrine: Beginning of the End or End of the Beginning ? >> (1990) 15 Queen’s L.J. 217; M.
Asch et P. Macklem, < Aboriginal Rights and Canadian Sovereignty : An Essay on R. v. Sparrow
(1991) 29 Alta L. Rev. 498 ; S. Grammond, << La protection constitutionnelle des droits ancestraux
des peuples autochtones et l'arrt Sparrow >> (1991) 36 R.D.,McGill 1382 ; C. Tennant, << Justifi-
cation and Cultural Authority in s. 35(1) of the Constitution Act, 1982: Regina v. Sparrow
(1991) 14 Dalhousie L.J. 372; D.W. Elliott, <
l’int6rieur
qu’est-ce que confirmer des droits, sinon leur conf6rer la validit6
du syst~me juridique ? Ainsi, l’article 35 pourrait avoir pour effet de mettre
automatiquement en oeuvre les dispositions des trait6s, d~s que ceux-ci sont
conclus. La Constitution suppl~erait done aux lacunes des lois de mise en
oeuvre ou m~me une mise en oeuvre tardive, quant aux droits qui ne peuvent
l’aide du droit commun des contrats. Ainsi, dans cer-
pas 6tre mis en oeuvre
tains cas, l’article 35 revtirait un aspect programmatoire. Sa sanction judiciaire
<< positive >> serait d’autant plus facile que les critiques qu’on adresse g6n6rale-
ment A de telles actions des tribunaux ne s’appliquent pas dans un tel cas. En
effet, les tribunaux n’usurperaient pas le pouvoir politique en d6clarant ex6cu-
ratifier et mettre en vigueur. IL ne
toires des traitgs que le Parlement tarde
s’agirait ici que d’un refus du pouvoir politique de remplir les obligations qu’il
a d6jA contract6es. Et puisque ces obligations font d6jA l’objet d’un accord
d6taill6, on ne pourrait pas reprocher aux juges de d6velopper un r6gime en vase
clos, sans tenir compte de nombreuses variables sociales et 6conomiques que
jauger. Cet dquilibre a d6j 6t6
l’organisation des tribunaux rend difficiles
atteint au moyen de n6gociations entre les parties. Le juge ne l’invente pas, il
ne fait que le reconnaitre.
L’effet de l’article 35 sur les trait6s peut done 6tre d6crit comme un r6ta-
blissement relatif de l’6galit6 contractuelle entre les parties. R6tablissement, car
avant 1982, l’Ittat f6d6ral pouvait toujours user de son pouvoir l6gislatif afin de
d6roger aux termes d’un trait6’39. En th6orie, il ne le peut plus, grace an principe
de la primaut6 de la Constitution. La force obligatoire des trait6s devient done
identique pour les deux parties. R6tablissement relatif cependant, car le Parle-
ment peut toujours 16gif6rer de fagon contraire un trait6, s’il d6montre la jus-
tification de sa conduite selon le test de l’arrt Sparrow. Le principe de la pri-
maut6 constitutionnelle des traitgs est done assorti d’une exception dont on ne
connait pas encore l’6tendue r~elle 4 .
Ainsi, jusqu’ ce que l’on sache avec plus de pr6cision quelle sera l’atti-
tude des tribunaux face A la justification d’atteintes aux droits issus de trait6s
<< modemes >>, comme la Convention de la Baie James, on doit souligner l’uti-
lit6 des clauses de priorit6 qui apparaissent dans les lois de mise en oeuvre. En
effet, l’effet de ces clauses n’est pas temp6r6 par un test de justification. Elles
pourront done assurer une plus grande protection aux autochtones dans certains
cas.
D.L.R. (2d) 386.
139Sikyea c. R., [1964] R.C.S. 642, 50 D.L.R. (2d) 80; R. c. George, [1966] R.C.S. 267, 55
1I4 En effet, en date du 1 aofit 1992, seules des decisions –
contradictoires, est-il n6cessaire de
des tribunaux de premiere instance ont appliqu6 le test de justification de l’arrt
le pr~ciser –
Sparrow. On attend encore, deux ans apr~s cette decision majeure, que des d6cisions des cours
d’appel pr6cisent ce test.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 37
Conclusion
Au terme de cette 6tude, le statut juridique de la Convention de la Baie
James est plus clair. Elle est qualifi~e par le droit interne canadien comme un
contrat, r6gi par les r6gles du droit civil qu bMcois. Mais la Convention se dif-
frencie des contrats ordinaires A la fois par ses conditions de formation et par
ses r~gles de mise en oeuvre. En effet, puisqu’elle accorde des droits collectifs
des peuples autochtones, elle peut 6galement 6tre qualifi6e de trait. Quant
sinon la totalit6 –
sa mise en oeuvre, les lois qui Pont ratifi~e ont confr6 une force statutaire i
un grand nombre –
de ses dispositions. Et puisque la Con-
vention peut 6tre qualifi6e de trait6, elle b6n~ficie de la protection accord~e par
les articles 25 et 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. C’est done dire que la
loi et la Constitution fournissent aux autochtones des instruments bien plus
puissants que le droit commun des contrats. La Convention pourrait done etre
compar~e une loi (voire m~me a une partie de la Constitution) dont le contenu
aurait t n~goci6 avec les autochtones.
Etant arriv6 a cette conclusion, on peut se demander pourquoi l’]tat n’a
pas simplement l6gifr6 au lieu d’utiliser le montage juridique complexe que
constitue la Convention et ses lois de mise en oeuvre. C’est oublier les avanta-
ges 6normes que procure h l’ttat la r6gulation contractuelle. La principale
caract~ristique d’un contrat, c’est l’engagement volontaire des parties. Et
puisque les autochtones ont consenti a cette Convention, l’Etat, d’une part, peut
occulter l’imposition de sa volont6 qui d~coule du rapport de forces en place en
1975 et, d’autre part, invoquer le consentement des autochtones comme argu-
ment
l’encontre des nouvelles revendications de ceux-ci. Puisqu’ils ont
accept6 la Convention, dira-t-on, comment peuvent-ils maintenant s’en
plaindre ?