Article Volume 3:2

Essai critique sur la substitution fidéicommissaire en droit Québécois

Table of Contents

THE McGILL
LAW JOURNAL

VOLUME 3

SPRING 1957

NUMBER 2

ESSAI CRITIQUE SUR LA SUBSTITUTION
FIDEICOMMISSAIRE EN DROIT QUEBECOIS

Louis Baudouin*

INTRODUCTION

Le caract~re apparement conservateur que

‘on attribue gin6ralerpent au
code de Quebec est sans doute assez vrai en g~nral, mais il ne doit pas ce-
pendant faire perdre de vue que ce code, par certains aspects, est plut6t r6-
volutionnaire par rapport aux traditions dont par ailleurs il se targue; ainsi
en est-il de ]a suppression en droit qu~becois de l’institution de la R~serve
que le code francais, pourtant taxi de r~volutionnaire, a su si intelligemment
conserver. La libert6 illimitie de tester inscrite A l’article 831 du code civil de
Qu~bec a sans doute servi de monnaie d’6change A l’acquisition de certains
autres droits lors de la passation de l’Acte de Quebec, mais il est hors de
doute que l’absence de reserve dans une province aussi conservatrice choque
quelque peu, m~me si les abus de la libert4 de tester ne sont gu~re friquents
dans ]a pratique, ce qui est tout A l’honneur du sens familial de 1’habitant de
cette province.

Par contre, parmi les institutions traditionnelles jalousement conserv~es
dans ce code, il en est une, ]a substitution fid~icommissaire, dont la lgitimit6
au point de vue juridique 6conomique et sociale apparait des plus contestable.
Le maintien de cette institution qui permet A toute personne capable de trans-
mettre son patrimoine, en tout ou en partie, par donation entre vifs ord naire,
par contrat de mariage ou testament, ou encore sous le d~guisement d’une
prohibition d’ali6ner A une autre personne appelie grev~e, A charge par elle
de rendre les biens, g~nralement i son d~c~s ou A une autre priode privue
dans l’acte constitutif, A une troisi~me personne I’appel~e, a 6t6 fortement et
vigoureusement at-taqu6 par d’6minents juristes de cette province.

En 1935, Me. Venne avocat au Barreau de Montreal1 s’attaquait de front
au maintien de cette institution. En 1942 l’hon. Juge Thibeaudeau Rinfret,

*Professeur A la Facult6 de Droit A l’Universit6 McGill.
1P. C. Venne, Les substitutions en France et dans la Province de Quebec, dans le

Livre du Souvenir des Journies de droit frangais, (1936) p. 227.

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de son c6t6, demandait Ia suppression de la substitution du code de Qu~bec.2
L’un et l’autre, par des arguments d’ordre historique, estimaient A juste
titre que ce droit des substitutions 6tait, par son mncanisme mme, contraire
au principe de la libert6 de disposer de son droit de propri6t6, anti&onomique,
puisqu’il immobilise des biens pendant au moins trois g6n&ations, qu’il porte
ainsi atteinte au credit et aux affaires, qu’enfin il n’exprime qu’un sentiment
de vanit6 chez un peuple chez qui il n’existe pas de noblesse A maintenir.
Me. Venne crivait: “il n’y a pas de plus grand obstacle pour un jeune, que
d’&re n6, comme disent les Anglais, avec une cuiller d’argent dans la bouche
… est-ce que l’air que nous respirons fouette le sang des pauvres et endort
les riches ?

‘qNous formulons le vcu qu’A l’instar de tous les autres pays, la Legislature
de Qu6bec fasse enfin disparaitre de notre code civil cette institution com-
pliqu~e, aux avantages probl~matiques et discutables, dont les inconv~nients
sont pr~pond6rants et constituent une entrave de tous les instants.”3

A ‘heure oif une Commission de Riforme du code civil pr~sid6e par l’hon.
Thibeaudeau Rinfret se propose de proc~der A une refonte de ce code, n’est-
il pas utile de pr&iser, en en faisant une analyse aussi compl~te que possible,
ce que ce haut magistrat avait 6nonc6 et esquiss6 dans ce discours prononc6
il y a maintenant quinze ans. Le probltme n’a rien perdu de son actualit6,
bien au contraire. Toute la jurisprudence qui s’est greff~e autour des textes
de la substitution montre, avec 6clat, combien les obscurit~s de cette notion
juridique n’ont fait que s’accentuer. Loin d’6tre une institution d’apaisement
au sein des families, ]a substitution s’est r~vdl~e, avec le temps, une source
de disco’rde familiale.

On peut se demander si le rapport des Codificateurs est susceptible de
jeter quelque lumi~re en faveur des conclusions 6mises par ces deux juristes.
‘Les Codificateurs ont, A maintes reprises, soulign6 que s’ils prenaient le

Code Napolon comme mod~le, ils n’entendaient pas le copier servilement. Ils
ont en g~n6ral, A vrai dire, su faire leur profit des critiques adresses en
France m~me au Code Napol6on. Par contre, en ce qui concerne les substitu-
tions, il n’en a rien 6t6. Les Codificateurs ont sans doute pour excuse le fait
qu’ils avaient pour mission de codifier le droit en vigueur au Bas Canada A la
veille de ]a Codification. Les substitutions &aient du nombre des institutions
encore pratiquees.

Le rapport fait allusion directement A la situation franqaise et souligne que
. “les substitutions dont le Code 6vite le
dans le nouveau droit franqais . .
nom par 6gard pour les id~es du temps, y sont cependant admises, mais avec
de grandes restrictions quant A. l’6tendue des biens, aux personnes ainsi
gratifi6es, et A la dur&e.”

2Contre la substitution fidiicommissairr, (1942) R. du B. p. 273.
3Hon. Thibeaudeau Rinfret, op. cit., p. 284.

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Que l’aspect politique du probl~me en France n’ait pas incit6 les Codi-
ficateurs qu~becois i suivre le sillage franqais, on le conqoit. Les Canadiens-
franqais ont toujours reproch6 A la France sa Revolution et aux Franais
de les avoir abandonn&s sans laisser au pays de vraie noblesse. Or on sait que
les substitutions dans l’ancienne France et avant la R6volution franqaise ser-
vaient A perpltuer une noblesse dejA en d&adence. Le Code ‘Napoleon n’a
admis ]a substitution que dans des cas extr~mement limits.

Sentant pourtant que le principe de la libert6 illimit&e de tester, 6tait
un danger qui mettait hors du commerce la propri~t6 fonci~re, les Codifica-
teurs auraient pu pour ce seul motif rejeter la substitution qui heurte de front
la libert6 de disposer de son droit de propri&t6. Ils n’ont pas voulu aller jus-
que ]A, et se sont content~s d’interdire les substitutions au-delU de deux degr~s,
non compris le substituant (art. 932 C. civ.). Ils se sont content6 de souligner
que, s’il y a une sorte d’assimilation A faire d’apr&s leur finalit6 respective
entre les biens de main morte et les substitutions faites dans les families, il
leur semblait juste alors de proposer “que l’on applique les revenus.i l’achat
de propri&t4s fonci~res ou pour un tr&s long terme pour les fins du testament.”
C’est IA v6ritablement une solution insuffisante.

Ce flottement manifeste des Wides des Codificateurs autour de la substitu-
tion et de la libert6 testamentaire, prouve indirectement que m~me dans leur
esprit, le maintien de la substitution 6tait au moins douteux.

Les obscurit~s propres A la substitution qui fait &hec au droit de disposer
librement de sa propri&t6, impose un ordre de succession, dont chaque cas
constitue une esplce particuli&e telle qu’il est difficile d’en d~gager un
principe, qui laisse planer les plus grandes incertitudes sur l’interpr&ation
de la volont6 de l’auteur de la substitution, sont loin de plaider en faveur
du maintien de cette institution.

C’est cet ensemble de points douteux ou de solutions n~fastes juridique-
ment, &onomiquement et socialement, que nous voudrions mettre en vedette
ici m~me.

II s’agit d’examiner dans une premiere partie le r61e et le domaine de la
volont6 du constituant. Libre de cr~er cette substitution, encouragi A le faire
par de nombreux textes, il n’en demeure pas moins que l’&losion et les
manifestations de la volont6 du constituant sont le plus souvent difficiles A
d~celer et A fixer. I1 existe bien des lignes fuyantes d’interpr&ation qui ne
sont pas des atouts favorables au maintien de la substitution. Par ailleurs, et
en vertu des textes du Code civil, le grev6 et l’appel6 peuvent se trouver en
concours sur les biens frapp&s de substitution, avant m~me que celle-d ne
soit ouverte au profit du seul appel&

En effet, l’art. 944 donne au grev6 avant l’ouverture de la substitution le
droit, comme propri~taire, d’ali~ner ou d’hypoth~quer par exemple; l’art.
956 de son c6t6 donne pendant cette m&ne priode A l’appel& lui-m~me des
droits identiques. Cette dislocation du droit de proprit6 vritable situation en

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porte .faux est 6minemment pr~judiciable aux int~r&s des tiers. Elle fera
l’objet de notre deuxi~me partie.

La conclusion g~n&ale se propose de mettre en lumi~re les inconv/nients

d’ordre 6conomique, juridique et social qui s’attachent au maintien de la
substitution. Les probl~mes de droit en effet, ne sont pas que de pures donnes
de l’esprit, ils ont des affinit~s consid6rables avec ]a vie 6conomique et sociale
dans laquelle ils puisent, ou devraient puiser parfois des 6l6ments de r~g6-
n~ration ou tout au moins un sens d’adaptation aux n&essit6s du monde
moderne.

lre Partie.

ROLE ET DOMAINE DE LA VOLONTE DU SUBSTITUANT.
LIGNES FUYANTES D’INTERPRETATION DE VOLONTE.

“La substitution s’est introduite en flattant l’homme de ]a perptuit6 de sam6
rnm6ire, en lui donnant une espce d’empire sur plusieurs ginrations successives;
par lM, il s’est form6 comme un nouveau genre de succession, oii la volont6 de I’hona-
me a pris la place de ]a disposition de ]a loi, volonti souvent plus politique que
judicieuse, plus nuisible que salutaire, et presque toujours incertaine dans sa fin
et dans son objet qui a rgpandu beaucoup d’obscurit6 sur cette mati&re.”

Bourjon “Des substitutions” Vol. 2, p. 154.

10) Les formes prbconstituges.

Le droit de disposer de sa propri&t par voie de substitution vulgaire ou
fid~icommissaire est 6nonc6 en termes expr~s aux art. 925 A 927. Le Code
donne m~me des d6finitions des deux substitutions.

La substitution vulgaire est celle par laquelle “une personne est appel

.
la disposition pour le cas oii elle est sans effet quant a la personne avantag~e
en premier lieu.” I1 n’y a dans cette esp~ce qu’une seule lib~ralit6.

La substitution fidicommissaire au contraire, comporte deux lib~ralits.
Celui qui reqoit (le grev) est charg de rendre A son d&cs, ou & tout autre
temps, i un tiers nomm6 l’appel. Le grev6 peut &re un donataire ou un
l’appeI6
lIgataire. L’obligation qui lui est impos~e de rendre ult6rieurement
reqoit une seconde
les biens objets de ]a substitution, indique que cet appel
lib6ralit6, non pas du grev6 lui-m~me qui n’a servi que d’interm6diaire, mais
du premier donateur ou testateur.

La substitution fidicommissaire se caractrise donc par l’existence de deux
lib6ralit&s, d’un ordre de succession et d’un trait de temps qui 6chelonne le
transport des deux lib6ralit8s. Un p~re fait une lib&alit6 A son fils A charge
ses propres
par ce dernier de rendre apr~s sa mort les biens substituis
enfants.

Ainsi donc l’auteur de la substitution 6tablit vritablement A 1’6gard de la

masse substitute un ordre de succession dans ]a propre succession du grev.
Celui-ci n’est donc pas libre de disposer des biens frappes de substitution au
profit de qui il voudra, A moins que ce choix ne lui ait 6t6 express6nent r6-
serv6 dans l’acte constitutif mme. Le grev6 a donc charge de rendre (art.
927 C. Civ.). S’il y a plusieurs degr~s dans ]a substitution, laquelle ne peut

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en tout exc~der deux degr~s, non compris le substituant, 1’appel6 qui recueille
a charge de rendre se trouve Etre en droit un vritable grev&

La loi a permis la creation de la substitution fid~icommissaire soit par
donation entre vifs ordinaire ou par contrat de mariage, soit par donation A
cause de mort, soit par testament, soit par une clause de prohibition d’ali~ner,
forme indirecte de creation de substitution. Cette vari&t6 d’616ments formels
contraste avec l’Ancien Droit qui ne permettait de substitution que par des
actes de derniire volont6. Le Code pr~munit actuellement le substituant de
toutes armes possibles pour lui permettre de r~aliser son dessin. Ins~r~e
dans un contrat de mariage, la substitution b~n~ficie des garanties qui s’atta-
chent aux donations faites par contrat de mariage, elle devient notamment
irrevocable suivant l’art. 930.

Les substitutions cres par voie de donations entre vifs ordinaires ob6issent
aux r~gles de fond sur la capacit6 en matire de donation. Comme l’Hcrit
Mignault: 4 “I1 n’y a qu’ . suivre les principes qui r~glent la capacit6 pour
l’acte particulier par lequel la substitution se fait.” S’il s’agit d’un testament
crrant la substitution on applique les r~gles de validit6 et de cap~cit6 en
mati~re testamentaire. I faut signaler cependant cette difference que, si en
mati~re de donation il faut 1’acceptation du vivant du donataire (sauf pour
]a donation par contrat de mariage), le consentement de l’appelM n’est pas
n~cessaire; l’appel6 en effet peut n’Etre ni n6 ni m6me concu lors de la consti-
tution de la substitution. Sa capacit6 s’apprciera lors de l’ouverture de la
substitution.

‘La nature m~me de l’acte qui renferme la substitution soultve des probli-

mes d~licats.

S’il est admis en effet que toute substitution faite par testament demeure
rvocable par le testateur parce que ]a nature m~me de tout testament y in-
vite, par contre, le probl~me de l’irr6vocabilit6 des substitutions cr6es par
donation, a soulev6, malgr6 le texte de l’art. 930, bien des difficult~s au sein
de la jurisprudence. Celle-ci, bien que n’ayant plus qu’un intr~t historique,
ne doit pas Etre n~glig~e.

L’art. 930 constitue pour partie un droit nouveau. I1 a mis fin apparem-
ment A une controverse qui existait dans
‘Ancien Droit. A cette 6poque en
effet les auteurs sp~cialistes de ]a substitution tels que Thvenot d’Essaules,”
Ricard,6 Pothier,7 ne professaient pas au point de vue doctrinal une unit6 de
vue complte touchant ]a r~vocabilit6 ou l’irr6vocabilit6 des substitutions
cr6es par donations entre-vifs ordinaires. Les Codificateurs y ont fait directe-
ment allusion dans leur rapport: “L’art. 181 (930) concerne ]a r~vocabilitE et
l’acceptation entre vifs; mais comme les auteurs paraissaient faire quelque

4Mignault, Droit civil canadien, Vol. 5, p. 16.
SNo. 1132 i 1141.
6Substitution, Partie lire: .No. 110 et suivants.
7Substitutions, No. 10.

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diff6rence quant i l’acceptation entre vifs post6rieurs A l’acte, entre la dona-
tion ordinaire et les substitutions, l’art. 181a (art. 930 C. civ. par. 3) est
propos6 en amendement pour soumettre A une m~me rtgle des sujets qui ne
doivent pas diffrer.”

Ant6rieurement aux Ordonnances de 1731 et de 1747, on admettait, sous
l’influence du droit romain, que les substitutions cres par donations entre
vifs 6taient r~vocables par la volont6 “nue” du substituant, pourvu que Yin-
tention de r6voquer fut “constante”. 8 C’6tait affirmer le principe d’unit6 dans
le domaine de ]a r~vocabilit6 en matire de donations comme en matitre testa-
mentaire. Toutefois cette revocation n’6tait permise qu’autant que le substitu6
n’avait pas encore un droit form6 et acquis par l’ouverture de ]a substitution.
Cette r6serve est inscrite en toutes lettres dans l’art. 930 par. 2.

Th&venot d’Essaules note alors que le droit avait chang6 par l’Ordonnance
de 17319 aux termes de laquelle ]a substitution appos6e
une donation entre-
vifs “vaudrait en faveur du substitu6 par la seule acceptation du donataire.”
Cet auteur ajoutait “en cela, nos fid~icommis par donations entre vifs tien-
nent de ]a nature du contrat par lequel ils sont faits …
il n’y a donc plus que
les fid~icommis par testament qui soient rivocables A la volont6 du substi-
tuant.”

Ricard 10 introduisait une note plus subtile dans ce domaine. Tout en ad-
mettant le principe de r6vocabilit6 de la substitution faite par donation il
ajoutait: “Ce que je viens de dire, que la substitution 6tait r&vocable par le
donateur, doit s’entendre en cas que le donataire avec lequel la substitution
a
tA faite n’y soit pas int~ress6, et qu’elle soit faite au profit d’une personne
qui lui sbit indiff6rente; car, s’il y prenait quelque sorte d’int6r&t, comme si
le substitu6 6tait l’un de ses enfants, pour lors, comme ce serait I’effet d’une
stipulation r~ciproque, et que le donataire n’aurait accept6 que sous cette
condition qui lui est avantageuse, il n’y a pas de difficult~s que le donateur
n’y pourrait d6roger sans sa participation, et que ]a substitution ne pourrait
pas Etre d~truite sans le concours de volont~s de Fun et de l’autre.”

Pour Pothier, l’art. 11 de l’Ordonnance sur les substitutions s’explique”l
par une idie de quasi-contrat. Il s’agit d’un quasi-contrat “que la loi forme
entre le donataire et le substitu6 qui produit l’engagement qui oblige le
. l’engagement du donataire non envers le
donataire envers ce dernier .
donateur, mais envers le substitu6 quoiqu’il n’ait pas encore acquis un droit
form6 au substitu6, ]a condition sous laquelle il a 6t6 contract6 n’6tant pas
encore 6chue, ne peut &re d~truite que par la volont6 du substitu6, et non

.

SNTuda voluntatis fideiconzmissa infirmarentur. L. 18 ff. de legat. 36ment.
9No. 1136.
lONo. 1138.
“Art. 11 de

‘Ordonnance, “les substitutions faites par donations bien et dament ac-
cept6es ne pourront
tre r6voqu~es ni les clauses d’icelles chang&s, augment~es ou dimi-
nudes par aucune convention ou disposition postrieures m~me du consentement du
donataire.”

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par celle du donateur qui n’est pas celui envers qui 1’engagement est con-
tract6.”

Cette notion “d’intrt” ou de “non indifference” que le grev6 peut avoir
i l’6gard d’une substitution cr6e au profit de ses propres enfants, s’est trans-
form~e dans l’art. 930 C. civ., en une pr6somption d’acceptation des appel6s
par le grev6, toutes les fois pr6cis6ment que ce dernier est le plre ou la mere
des appel~s en question. C’est marquer tr~s nettement le d6sir de favoriser
l’existence et le maintien d’une substitution dans l’int~rt des membres de la
‘On rehausse indirectement ]a substitution cr6e par dona-
famille du grev.
tion ordinaire au r~gime d’irr~vocabilit6 propre aux substitutions cr6es dans
un contrat de mariage. La faveur qui s’attache A l’6tablissement de la famille
reprend ainsi son empire.

Les difficult~s d’interprtation de l’article 930 auraient &6 en quelque sorte
. ce
facilement surmontes en jurisprudence si l’on n’avait pas soulev6
propos la question prdjudicielle de la validit6 des ordonnances frantaises dans
le Bas-Canada par suite de leur non-enregistrement au greffe du Conseil
]a decision Meloche v. Simpson port~e en
Sup6rieur de Quebec. Jusqu’.
Cour Supreme, ]a jurisprudence se prononqait en faveur de la rgvocabilith
des substitutions crg6es par donation entre vifs ordinaires. Depuis cette dgci-
sion le principe est que m~me i l’6gard d’une substitution cr66e avant le code
(en l’esp~ce en 1832) il faut appliquer l’ordonnance frantaise sur les substitu-
tions qui declare irrevocable toute substitution acceptge par les p&re et mere
des appelgs. 2 La Cour Supreme dgclara par ]a voix de
‘hon. Juge Tasche-
reau qu’avant l’6poque de la codification qugbecoise une telle donation dfiment
acceptge par le grev6 n’6tait pas r6vocable; que les dispositions de
‘article
930 n’avaient fait qu’entgriner la doctrine de l’ancien droit. A l’appui de cette
dgmonstration l’hon. Juge faisait valoir tout d’abord que la donation en jeu
. permettre la creation d’un
au proc~s 6tait, par sa finalit6 m8me, destinge
la merci du donateur.’ 3
patrimoine familial qui ne peut rester, une fois cr66e,

12(1898-1899) 29 S.C.R. 375. En 1832 Meloche et sa femme avaient fait donation a
leur fils de certains biens. Le fits 6tait alors cilibataire. II accepte la donation pour lui-
.
mime et ses hgritiers, 6tant stipul& que le donataire aurait un droit d’usufruit viager
charge de rendre la proprit6 & ses enfants males ou a t’un d’entre eux a son choix, les
donateurs se d~pouillant de leur droit de proprigt6 en faveur de leurs petits-enfants. Le
fils se marie. En 1850 lui et son pre, d’un commun accord, rgvoquent la donation
avec substitution et y substituent une donation en pleine proprit6 au fils. Celui-ci vend
. Sir G. Simpson. A la mort de leur pre les enfants du fils
ultrieurement les biens
Meloche attaquent cette vente et en demandent la nullitE, car il y avait eu substitution en
leur
leur faveur, dfiment acceptge par leurs tOres. La Cour supreme a fait droit
demande.

.

13 Au sujet de I’article 930

‘hon. Juge soulevait ]a question de savoir si tes codifica-
teurs avalent eu t’intention de ridiger cet article suivant les donnies de t’ancien droit:
“But I do not see that there can be the least room for doubt about it. They were specially
required by Vict. 29. Ch. 41 to carefully distinguish in the code, as it was to be printed
for promulgation, the new law from the old law. In conformity with that enactment they

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“Would the law be reasonable if on one hand it allowed (art. 783 cc) as it
unmistakably does, donation by way of substitution to children not yet born,
yet on the other hand it left them, as contended for by the respondent, at the
mercy of the grantor. It is for the protection of unborn children and of future
generations and to protect and allow of the creation of family estates that
such substitutions, by deed inter vivos, are authorized and favoured by the
law; it is for that purpose, and because of their nature, that they must be
deemed to be irrevocable by the donor”.1 4

L’autre argument consistait a dire qu’il serait draisonnable d’admettre
qu’une substitution cr6e par contrat de mariage au profit des petits-enfants
n~s ou naitre soit irrevocable alors que, cr6e par donation ordinaire, bien
qu’au profit des m~mes categories de personnes elle pourrait 6tre r6vocable,

cause de cette seule difference de forme.15
Malgr6 cette d~cision,

la jurisprudence ne pr~sente pas cependant un
caract~re d’unit& On peut citer A l’encontre de l’arr~t de la Cour Supreme, la
d~cision de la Cour du Banc du Roi dans l’affaire Proulx et al. v. Le Blanc.”
Cette d6cision estime que, sous l’empire de ]a legislation ant6rieure au code
civil, une substitution cr6e par donation entre-vifs en faveur des enfants
du grev6 est r6vocable du consentement mutuel des donateur et donataire
nonobstant l’acceptation ant~rieure de ce dernier. La disposition contraire du
paragraphe 4 de l’article 930 en est une de droit nouveau bien qu’elle n’ait
pas
6t insir&e entre crochets. L’argument principal repose dans cette dci-
sion sur la difference de r6daction entre ]a version fran~aise et la version an-
glaise de cet article. En effet dans la version frantaise on vise express6ment
l’acceptation “des pare et there”, alors que dans la version anglaise on vise
simplement l’acceptation du “grev”
sans pr~ciser s’il s’agit du pre ou de la

reported that in the edition so officially printed they had inserted the new law between
brackets, and the irrevocability of substitution in favour of the children of the in-
stitute is not between brackets.” (p. 385).

14 1bid. p. 389.
‘5 “It is undoubted law that a substitution made in a contract of marriage is irrevoc-
able (art. 772, 930, 1257 C. civ.). That is so upon the principle that marriage and pro-
creation should be favoured and encouraged .
. . now here, the substitution though not
contained in a contract of marriage was nevertheless evidently stipulated in view of the
donee’s marriage …
is it not reasonable to apply the rule ubi eadem ratio ibi idcm jus,
and give the benefit of the doubt if any doubt remained, to a substitution evidently created
in favour of marriage” (p. 391.).

26(1917) 27 B.R. 103. Nous ne partageons pas entiirement l’avis de l’hon. Juge Archam-
bault en ce qui concerne l’apprciation de l’arrft Mloche v. Simpson lorsqu’il 6crit,
“En lisant le rapport de la Cour Supreme on constate qu’on s’est beaucoup plus pr6-
occup6 de l’itude de la question au point de vue de
‘Ancien Droit que de l’interprita-
tion A donner i l’article 930 lui-m~me; il semble qu’elle a pris pour acquit sans discus-
sion que cet article dclarait irrevocable une substitution comme celle qui nous occupe”.
Tout d’abord on peut faire remarquer que pr~eis~ment ]a question primordiale 6tait
celle de l’Ancien Droit, et ensuite que l’hon. Juge Tarchereau fait une excellente d6-
monstration qui est loin d’exclure toute discussion du probl~me.

No. 21

LA SUBSTITUTION FIDEICOMMISSAIRE

141

mere. Comme devait le diclarer un des juges, “Si l’on doit s’en rapporter i la
version franqaise on peut dire avec beaucoup d’autorit6 que la donation dont
il s’agit n’a pas 6t6 faite par le ptre et la m6re en faveur de leurs enfants n~s
le donataire dans l’espice n’6tait pas encore pre puisque ]a
et A naitre . ..
donation a &6 faite avant son manage. ‘Les appel~s n’6taient pas non plus
n~s et ;i naltre puisque aucun d’eux n’6tait encore n6. La substitution serait
donc r6vocable en vertu de la r~gle gnfrale… au contraire d’apris la version
anglaise, tout plaide en faveur de l’irr6vocabilit6”. C’est sans doute 1h. une
demonstration extr~mement logique mais qui semble perdre de vue que l’es-
sentiel est surtout la finalit6 de la substitution elle-m~me.

C’est dans le sens de l’arrt Meloche v. Simpson que s’est prononc6 la cour
suprieure dans l’affaire Dame Goyer v. Lenzaire oii ii s’agissait de l’accepta-
tion de la mre grev6 de substitution pour ses enfants. 1

Les lignes fuyantes de l’interpritation de la volontj du substituant quant 1:

la criation de la substitution, a la disignation des appelis et a

l’6tendue de la zasse, objet de la substitution.

En dehors de cette question des formes pr&constitu~es nieessaires A la
cr6ation de la substitution, la loi a laiss6 libre cours A la volont6 du substitu-
ant pour poser les conditions auxquelles la substitution 6tait soumise, nom-
mer directement ou indirectement les appels et d~limiter le contenu mEme de
la masse frapp~e de substitution. II suffit pour s’en convaincre d’6numirer
les articles du code civil qui, dans chacun de ces domaines, illustrent cette
constatation.

L’article 937 C. civ. pose le principe de la non-representation dans les
substitutions, “. moins que le testateur n’ait ordonn6 que les biens seraient
d~fr~s suivant l’ordre des successions lgitimes ou que son intention au
m~me effet ne soit autrement manifest~e”. L’article 931 permet au substitu-
ant de soustraire dans les limites de sa volont6 les meubles corporels 6. la
n~cessit6 de la vente publique; l’article 935 lui laisse le droit de se r6server
de determiner les proportions entre les appel6s; ii peut fixer toute autre 6poque
d’ouverture que le d~c~s du grev6 (art. 961 et 963 C. civ.). It peut aussi faire
une substitution apr~s coup (art. 935 C. civ.). Enfin, en d6cidant qu’une per-
sonne peut stipuler une prohibition d’ali~ner confirmative ou cr~atrice d’une
substitution, l’article 975 laisse A la volont6 du disposant le soin de modifier,
s’il le veut, l’6tendue de cette prohibition.

Ainsi donc, au point de d6part m~me, c’est tout le probI~me de l’interpr6-
tation de la volont6 du substituant qui est en jeu. Dans quelle mesure celui-ci,
aux termes de l’acte litigieux a-t-il entendu cr6er une substitution? S’il em-
ploie le terme “usufruit”, doit-on consid6rer que, malgr6 cette expression,
c’est d’une substitution qu’il s’agit? Est-il ncessaire pour qu’il y ait substitu-
tion, que celle-ci soit faite en termes sacramentels? S’il n’en est pas ainsi

17[1944] S. C. 101.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 3

peut-on tirer des circonstances de l’acte constitutif ou de ]’ensemble des
dispositions de cet acte des prfsomptions ou certitudes influctables quant aux
b~n~ficiaires appeIks? Si le substituant parle de descendants, de sa famille,
ses expressions A forme collectives ont-elles un sens large ou 6troit?

‘Nous entrons sur tous ces points dans le brouillard de l’interpr6tation que
]a jurisprudence s’est efforc~e d’6claircir, sans cependant y rfussir complete-
ment, tant est grande ]a mobilit6 de la volont6 humaine surtout dans ce
domaine.
a) CrEation d’une Substitution

‘Le premier probl6me qui se pose est celui de savoir si la qualification
donn~e par l’acte A la volont6 du disposant constitue ou non une substitu-
tion. L’6tude de ]a jurisprudence qui s’appuie tant6t sur un raisonnement par
analogie, tant6t sur les circonstances suivant lesquelles l’acte litigieux a 6t6
dress6, est parvenue semble-t-il A op~rer une gradation dans la loi d’inter-
pr6tation de volont6. Elle s’6chelonne du principe de la non-exigence de
l’emploi de termes sacramentels, i l’etablissement de tout un r6seau de pr6-
somptions favorables A l’admission d’une substitution.

I1 importe de rechercher, au moins dans ses grandes lignes, comment
cette jurisprudence a pu se faqonner au contact de la vie pratique et spcia-
lement dans le domaine du droit notarial.

Dans son ensemble, ]a jurisprudence a eu l’occasion de fixer le premier
point, A savoir que ]a substitution n’a pas besoin d’8tre 6tablie en termes
sacramentels. 18 Rien en effet dans les textes du code civil n’impose, directe-
ment ou indirectement, pareille exigence. S’il a plu aux codificateurs de donner
des d~finitions de la substitution et des 6l6ments qui la composent, ce n’tait
que pour fixer une terminologie 16gale destin~e A 6viter des impr~cisions
ficheuses. MIais on ne saurait inf6rer de li que seuls les actes comportant le
terme substitution ou les termes grev~s ou appel~s soient susceptibles de
permettre de dceler l’existence d’une substitution. Quelles que soient les
termes employ6s ; l’acte, ce sont au fond des dispositons de
‘acte qui decide-
ront de l’existence ou de ]a non-existence de cette substitution.

Lors donc qu’un acte contient dans ses stipulations deux lib6ralit6s, un
ordre successif et un trait de temps, if y aura substitution. C’est IA ce que
certaines dcisions soulignent avec force. Ce sont par exemple deux 6poux
qui, par contrat de mariage, se font donation r~ciproque au profit du survi-
vant d’entre eux. Le survivant jouira sa vie durant de l’usufruit seulement
son d~c~s, faire retour de ces biens A ses h6ritiers
des dits biens. et devra,
16gitimes-19

Dans ]a pratique que le code reflte A l’article 928, c’est surtout A propos
de I’emploi du terme “usufruit” que les difficult~s se sont 6lev6es pour savoir
14 R.L. 270;
Henri Joseph v. F. Castonguay, [1859] L.C.J. 141; Houde v. Marchand, (1912) 18
R-L.N.S. 256.

lsPapineau v. H. B. David, (1920) 57 S.C. 51; Roy v. Gauvin, (1873)

29Defoy v. Pepin, [1942] B.R. 21.

No. 2]

LA SUBSTITUTION FIDEOMMISSAIRE

143

si, malgr6 1’emploi de ce terme il y a criation d’une substitution. L’article
928 dispose qu’une substitution peut exister quoique le terme usufruit ait &6
employ6 pour exprimer le droit du grev6. En g~n~ral c’est d’apr~s 1’ensemble
de l’acte et rintention qui s’y trouve suffisamment manifestie, plut6t que
d’apris l’acception ordinaire de certaines expressions qu’il est dicid6 s’il y a
ou non substitution.

Ainsi donc l’emploi par le disposant du terme usufruit ne fait pas toujours
obstacle i la creation d’une substitution. C’est placer l’interpr~tation de 1’acte
donation ou testament ou la prohibition d’aliner sous ]a coupe des principes
g~n~raux d’interpr~tation des contrats (art 1013
. 1021 C. civ.) qui ont d’ail-
leurs &6 formellement 6tendus A toute la matiire des testaments, compte
tenu de ]a nature particuli~re de cet acte, par l’arrt de la Cour Supreme
Mgtivier v. Parent.20

Il s’agit donc dans chaque cas particulier d’une interpretation d’espce. La
r~elle intention dfiment prouv6e peut faire 6carter l’id~e de la constitution
d’un simple usufruit au profit d’une substitution fideicommissaire. 21 Dans un
arr~t recent de ]a Cour Suprime,22 on a pu d6clarer qu’il y avait substitution
bien que le donateur ait spcifiquement &rit qu’il n’entendait pas crier “une
vraie substitution”.
(3) Par contre, en presence de termes identiques, quelques d6cisions se sont
prononc~es en faveur de la creation d’un usufruit pour rejeter le concept
d’une substitution. Ces decisions se sont appuy~es parfois sur le fait que l’on
ne pouvait trouver dans le contexte de l’acte un ordre successif.23 Certaines
ont estim& que l’emploi d’une expression telle que “i ]a mort ou au second
. .” ne comportait pas Ia creation d’une
mariage de ma femme l’usufruiti~re .
substitution lorsque, de l’ensemble de l’acte, 1intention de ne pas faire une
substitution mais de constituer seulement un legs d’usufruit &tait suffisamment
motiv~e.24 D’autres d6cident que le fait qu’il y ait deux dispositions, deux

20[1933] S.C.R. 495.
2-En faveur d’une substitution: Castonguay v. Castonguay, (1846) 13 R.J.Q. 431; Roy
v. Gauvin, (1874) 14 R.L. 270; Morasse v. Baby, (1874) 7 Q.L.R. 162; Pepin v. Cour.
chesne, (1879) 10 R.L. 77 (Cour d’Appel); McDonald v. Ross, (1882) 2. M.L.R. Q.B.
249; Joubert v. Walsh, (1883) 12 R.L. 334 confirmi en appel sous 28 L.C.J. 39; Philipp
v. Bain, (1885) 2 M.L.R. C.S. 300; Coutre v. Dorion, (1886) 2 M.L.R. C.S. 132; Pla-
mondon v. De Chantal, (1889) 17 R.L. 514; Hingston v. Franklin (1890) 19 R.L. 124;
Cabana v. Latour, (1903) 24 C.S. 83; Remillard v. Chabot, (1903) 33 S.C.R. 328; Cre-
vier v. Cloutier, (1904) 10 R.L. 475; Dural v. Fortin, (1904) 11 R. de J. 124; Fraser v.
Fraser, (1907) 16 B.R. 304; et les pric&ients mentionn~s, Thornton v. Thornton, (1907)
31 S.C. 233; Whelan v. Whelan, (1908) 35 S.C. 78; Shearer v. Forman, (1911) 40 C.S.
139; Tassj v. Dame Goyer, (1915) 47 C.S. 424; Defoy v. Pepin [1942] B.R. 21; De-
guire v. Depatie et Marsolais et autres [1944] C.S. 1.; Lussier and Dame Tremblay,
[1952] 1 S.C.R. 389.

22Lussier and Dame Tremblay [1952] 1 S.C.R. 389.
23Gareau v. Desrosiers, [1952] C.S. 420.
24Douglas et al. et Fraser (1910) 20 B.R. 144; Masson et Masson, (1914) 23 B.R.

550: (infirm& en Cour Suprime: 47 S.C.R. 42).

McGILL LAII, JOURNAL

[Vol. 3

lib6ralit6s successives mais que toutes deux sont “contemporaines et co-
existantes, prenant toutes deux effet au mnme instant et non l’une apr~s
‘autre”, constitue un legs d’usufruit. 25

Parfois enfin, les lignes d’interpr~tation sont plus fuyantes encore lorsque
lacte met en jeu le problme d’un usufruit ou d’un legs de residuo. Ainsi
‘affaire Ricard v. St. Jean2 G le testateur avait institu6 son 6pouse I6ga-
dans
taire universelle. II d~larait que, sans crier une substitution ni un usufruit,
le r6sidu de ses biens serait transmis au d&c s de son 6pouse A tous ses en-
fants par parts 6gales. Cette clause constitue un fid6icommis de residuo sans
constitution de substitution. C’est dans ]a mnae veine d’interpr~tation que
se situe ]a d&ision Dame Deguire v. Dcpatie et Charsolais et autres ainsi que
]a decision Brais v. Dame Fortin and others et Leroax.2 7

LA ne s’arr&ent pas les difficult~s d’interpr6tation relatives A l’intention
du donateur ou du testateur. En effet, s’il y a parmi les donateurs ou testa-
teurs des individus qui peuvent le plus souvent prendre les conseils aupr~s
de notaires avis6s avant de r6diger l’acte, d’autres ne se fient qu’A eux mmes,
et sans exprimer une volont6 de crer une substitution remplacent celle-ci
par un “vceu”, un “d~sir”. D~j A, dans l’ancien Droit, les juristes avaient
cherch A determiner les contours de ces voeux ou d~sirs dans un acte conte-
nant une prohibition d’aliiner.

Pothier 28 6crivait A ce propos: “Les termes qui n’expriment qu’une simple
esprance que l’hritier restituera, peuvent, selon les circonstances, passer pour
une substitution qui oblige surtout lorsqu’ils lui sont adress6s. Cela se pr&.
sume ai m~me, lorsqu’ils sont adress~s A ]a personne a qui le testateur espre
. . Mais les termes qui n’expriment qu’une reconiniandation
qu’on restituera .
vague ne renferment point de substitution.”

LA encore l’interpr~tation de la forme en laquelle s’est exprime le d~sir
ou le vceu du donateur ou testateur peut Etre fonction de l’intr& de celui
auquel il “veut faire arriver les biens dont il dfend l’ali~nation”.2
) Le d~sir
exprim6 par le testateur que les biens restent dans ]a fanille par exemple petit
ne pas constituer une substitution. si rien dans le contexte du testament ne
vient 6pauler les 616ments constitutifs d’une substitution. ”

Dans cette ganime si vari&e de l’interpr~tation de la volont6 et de l’inten-
tion du disposant, ]a jurisprudence va m~me, en cas de doute sur le point de
25loseph Olympe Jerome Duguay ct dame Claire Celina Robin. (1896) 5 B.R, 277:
Bond v. McFarlane et Potter et al., (1906) 29 C.S. 220; CitW de Montr,’al v. . lubertin H
antres et Caisse ei Hurteau, [19561 B.R. 817.

26(1939) 77 C.S. 302.
27Danze Deguire v. Dtpatie et Charsolais et autres. [19441 C.S. 1: Brais v. Danto
Fortin and others et Leroux, [1955] C.S. 222, et les pr&c dents cites, notamment Chauss
v. Boucher, (1941) 71. B.R. 67; et Champagne v. Bacon, (1936) 61 B.R. 363.

28Subst. Sec. 2. No. 40.
2 Letang v. Latour (1899) 24 C.S. 15.
30Duval v. Fortier et al, (1904) 11 R. de J. 124.

No. 2]

LA SUBSTITUTION FIDEICOMMISSAIRE

145

savoir s’il y a ou non substitution, jusqu’, favoriser ouvertement l’existence
d’une substitution aux dpens de toute autre classe de transfert de biens.
D’ailleurs elle semble encourag~e A le faire par l’opinion des notaires qui vont
parfois jusqu’. 6crire qu’on “doit toujours en cas de doute interpreter la
disposition en faveur d’une substitution.”‘3 On fait valoir semble-t-il qu’il
existe en matire de substitution, un criterium infaillible de v&-it6 c’est que le
droit de propri~t6 ne peut rester en suspens entre deux totes, mais qu’il doit
&re bien assis sur la tate de quelqu’un et, s’il est impossible, en interpr~tant
une clause, de trouver un propritaire distinct de l’usufruitier, nous serons
forces de conclure que ce pseudo-usufruitier est en r6alit6 un grev6 de substitu-
tion”. 2 A cet 6gard l’affaire Ryan v. Ryan3 3 est particuliirement significative.
Le testateur n’ayant aucunement pr~cis6 si le bien l~gu6 par lui l’itait en
pleine propri6t6 ou en usufruit, la Cour du Banc du Roi affirmait que “dans
le doute de savoir si une disposition renferme une substitution ou un legs
d’usufruit et de nue propri&t6, on doit d~cider en faveur de la substitution.”
S’appuyant sur ce principe que la volont6 du testateur est ]a “loi sup6-
rieure”, la Cour 6non~ait que c’est d’apr~s l’ensemble de l’acte et l’ihtention
de s’y trouver suffisamment manifest~e, plut6t que d’apr~s l’acception ordi-
naire des mots exprim6s. qu’il est d~cid6 s’il y a ou non substitution. Dan’s le
cas de doute, on doit d6cider “d’apr~s le droit de ce pays” qu’il y a eu substi-
tution. Si le testateur ne s’est pas exprim6, et sans dire si c’est en pleine pro-
prit6 ou autrement, “il est cens6 les avoir lgus en pleine propri&&”

Nous sommes ainsi bien loin de la simple r~gle qu’il n’y a pas besoin
d’employer des termes sacramentels. Nous sommes arrives maintenant
. voir
la cr6ation judiciaire d’une substitution sans qu’il y ait toujours de preuve
tangible d’une intention d’en crier une de la part de l’auteur de l’acte.
b) Le labvrinthe de la d~signation des appels.

Les incertitudes qui planent et subsistent dans le domaine de l’interpr~ta-
tion de ]a volont6 du constituant subsistent et mme s’amplifient parfois
lorsqu’il s’agit d’interp~ter la designation faite par le donateur ou le testateur
du grev ou des appel~s.

Sans doute les d~finitions du code peuvent-elles 8tre de quelque utilit6,
parce qu’elles fixent la terminologie en pr~eisant ]a situation de chacun d’eux
dans la substitution, mais l’emploi de termes non juridiques ou peu prcis par
le donateur ou testateur engendre des difficult~s consid~rables. I1 existe au
surplus des situations assez complexes, fruits de l’exp~rience notariale et
judiciaire, que. dans un d~sir d’Etre complets, les codificateurs ont concentrE
dans les articles succints tels l’article 273. Ce texte pr~voit que la prohibition
d’aliner, dans la mesure oii elle est cr~arice d’une substitution, peut 6tre
faite en faveur de personnes d~sign~es, ou que “I’on puisse connaitre”. La

3 1Me. Lucien Morin dans 22 Revue du Notariat, 305.
32Me Lucien Morin, ibid., p. 308.
-“(1901) 22 C.S. 174 (C.R.), confirr

par la Cour du Banc du Roi (1902) 15 B.R. 289.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 3

substitution existera en faveur de ces personnes quoiqu’elles ne se trouvent
pas 6nonc~es en termes expr~s. On voit par IM, que non seulement la d~signa-
tion des int6ress~s en fonction des termes employ~s par le constituant peut
prter , des difficult~s d’interpr~tation, mais encore qu’on en arrive A 6ta-
blir par pr~somption la designation soit-disant voulue ou recherch~e.

.Une srie d’articles vont m~me, reprenant dans une large mesure les don-
nes restes permanentes de l’Ancien Droit, 6tablir des r~gles d’interprta-
tion sur ce que le substituant doit ou aurait du ou pu comprendre sous les
expressions ali~ner “hors de ]a famille” ou sous les termes “parents, enfants,
descendants” suivant que ces termes sont mis dans ]a disposition ou dans
la condition et qu’ils sont employ~s “seuls” ou au contraire “qualifies”.
L’article 977 va m~me jusqu’A poser le principe d’une pr6somption attach~e
au fait que si la prohibition d’ali~ner n’est adress6e A personne en particulier
au sein de la famille, elle est r~put~e adress~e seulement A celui qui est
gratifi6 en premier. Si, par ailleurs, la loi pose en principe qu’il n’y a pas de
representation en mati~re de substitution, pourtant elle permet au donateur
ou testateur d’en d~cider autrement. Si le testateur ordonne que les biens
seront d~f6r~s suivant ‘Tordre des successions l6gitimes” et que son intention
ne soit “autrement manifest~e”,
le principe de repr6sentation jouera. Ces
principes d’interpr~tation une fois pos6s, ]a volont6 du constituant se trouve
en fait laiss6e A l’arbitraire n~cessaire du juge dans chaque cas particulier
(art. 937 C. civ.). Si l’on ajoute A cela que le testateur ou donateur a le droit
de laisser au grev
le choix dans ]a d~signation des appel~s, on peut mesurer
alors ]a srie de complications qui peuvent surgir.

Il ne aurait 6tre question dans une 6tude aussi succinte de donner tous
les dtails des difficult~s propres A ]a designation des appel~s car le but de
cet article est avant tout de tenter de souligner simplement l’6tat d’incertitude
qui plane sur tout l’ensemble de la substitution plut6t que de livrer une 6tude
technique.

On peut classer les difficult~s relatives a ]a designation des appel~s en deux
groupes. Tout d’abord celles qui r~sultent de ]a designation de quelques per-
sonnes (art. 973 C. civ.) ou qui se d6duisent de ]a creation d’une substitution
graduelle (art. 974 C. civ.); puis celles aff6rentes aux expressions employees
par le substituant, telles que prohibition d’ali~ner “hors de ]a famille que ce soit
la famille du disposant ou celle du grev
(art. 977 C. civ), celles faites aux
descendants, parents avec ou sans gradualit6” (art. 980 C. civ.).

Lorsque ]a personne du grev est nomm6ment d6sign~e et celle des appe-
lMs se trouve clairement d6sign6e A l’acte constitutif, il n’y a point de difficult6s
quant A ]a qualification des uns et des autres. II suffit, lors de l’ouverture
de la substitution, d’appliquer strictement ]a volont6 du constituant quant
ces personnes ainsi d6sign~es.

La defense d’ali~ner peut 6tre faite dans l’intrt de l’hritier ou du l6ga-
taire, afln de l’avertir de ne pas dissiper et de le mettre ainsi en garde contre

No. 2]

LA SUBSTITUTION FIDEICOMMISSAIRE

147

ses propres tendances
. la dissipation. Cette prohibition peut ainsi s’analyser
en une sorte de cr6ation de droit alimentaire a son profit. I1 faut sur ce point
revenir a la distinction fondamentale faite i ce sujet dans l’ancien droit entre
la defense d’ali~ner et ]a defense de tester impos~e par le substituant au grev.
La premiere peut 6tre prise, comme nous le disions, dans l’int~r~t du grev6 lui-
m~me; tandis qu’il est manifeste que la prohibition de tester ne peut viser
l’intrt de celui
. qui elle est impos~e; elle passe par-dessus lui et est faite
pour un temps oL le grev6 ne sera plus; elle s’adresse en faveur des appelks,
parents appel~s A succ~der au grev6 bien qu’ils ne soient pas directement ou
nomm~ment d~sign~s. 34 La fonction familiale de la substitution reprend tout
son empire au profit des membres ayant vocation successorale. Ce sont les
hritiers naturels du donataire, de l’hritier ou du lgataire grev6 qui recueil-
leront la substitution en qualit6 d’appel~s. II y a donc ici, quant . la d6signa-
tion des appel~s, une sorte de pr~somption l~gale constitutive de droits. C’est
ce qu’exprime la doctrine de l’article 976 C. civ.

Etant donn6 qu’il est loisible A tout substituant de crier une substitution
graduelle, la question se pose de savoir qui, en definitive sera l’appeli.-L’exem-
ple classique de ce type de substitution est le suivant. :On suppose un legs
fait A deux lgataires avec charge impos~e au survivant d’entre eux de ren’dre
un tiers . son propre d~c~s les biens ainsi lgu~s. Ces deux lgataires jouent
l’un vis-a-vis de l’autre le r6le de substitu~s. Le survivant d’entre eux succ~dera

la part du pr~d~c6d6 dans la substitution et Ia transmettra

son tour

son propre d&c~s A l’appelk. On se trouve en presence d’une substitution
fideicommissaire tacite dont Ricard35 expliquait le m~canisme de la fa~on
suivante: “It faut remarquer, ce qui a k6 expliqu6 par les interprites, que la
loi comprend trois circonstances essentielles qui produisent la n&essit6 sur
laquelle le fideicommis tacite et r~ciproque qui l’introduit est fond6: la pre-
miire, que ceux qui sont presumes r~ciproquement substituer sont honor~s
par le testateur et compris en sa disposition en qualit6 de 1gataires; la se-
conde, que le fideicommis expr~s est laiss6 i prendre de la main du dernier
mourant, et ]a troisiime qu’il est charg6 de restituer le legs entier fait aux
deux I6gataires.”

On pourrait concevoir que cette situation soit encore plus compliqu~e si le
testateur d~signe un plus grand nombre de personnes
charge de rendre.
Toutefois il faut se souvenir que ]a substitution ne peut aller au-de!i de deux
degr~s non compris le substituant.

34Pothier: Subst. Nos. 89 et 90. “Il y a mime lieu de soutenir que, en ginral la simple
defense de tester faite par le testateur A son h&ritier ou ligataire renferme une substitu-
tion en faveur des plus proches parents de cet britier ou l6gataire, de ce qui se trouvera
rester des biens du testateur i cet hritier ou lgataire lors de sa mort et qu en cela la
d~fense de tester diffire de la simple defense d’aliiner”. Voir en ce qui concerne la pro-
hibition d’alifner “faite dans l’int~rit de quelqu’un auquel le substituant veut faire arriver
le bien dont ii defend l’ali~nation”: Letang v. Latotr, (1899) 24 C.S. 15.

35Subst., Part. I no. 396.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 3

Infiniment plus d6licate est la question de l’interpr6tation de ]a volont6 du
forme collective tels que
constituant lorsque celui-ci emploie des termes
“famille, parents, descendants, enfants”. Les articles 977 i 980 ont pos6 les
bases d’interpr~tation.

L’ordonnance sur les substitutions avait modifi6 consid~rablement

les
principes du droit romain sur ]a gradualit6. Le droit romain admettait assez
facilement ]a substitution fideicommissaire par conjecture. Depuis l’ordon-
nance des substitutions, la preuve de ]a gradualit6 doit 6tre positive et
absolue.36

‘existence possible d’une gradualitE tacite “toutes

L’ordonnance avait impos6 l’obligation de proc6der par gradualit6 expresse;
les fois
elle admettait
qu’il parait Evident, par ]a disposition, que tel a 6t6 le vceu du substituant,
quoiqu’il ne soit pas formellement d~clar6”. Ainsi si je lgue A Pierre et a
Jacques et que je charge le survivant d’entre eux de rendre Antoine le bien
lgu6, si Pierre meurt par exemple le premier, sa part sera remise A Jacques
qui, A sa mort, ]a remettra A Antoine. La gradualit6 existe de fait que la part
du premier mourant est remise a deux per-sonnes successives.

II semble que l’on puisse d~gager de ces textes deux principes g6n6raux

malgr6 leur obscurit6 r~elle.

Le premier est que dans l’examen de cette gradualit6, il semble que les
‘Ancien Droit aient cherch6 A faire trans-
codificateurs fid~les A l’esprit de
mettre les biens substitu~s A ceux qui normalement hriteraient par voie suc-
cessorale, en y appliquant le double principe qu’on ne peut passer d’un ordre
i un autre avant d’avoir 6puis6 le premier, ni d’un degr6 A un autre avant
d’avoir 6-alement 6puis6 le premier. II y a donc ainsi une volont6 16gale de
r~gIes destin~e A assurer ]a pre6minence des principes de d6volution succes-
sorale ordinaire. Mais cette volont6 lgale n’est que suppltive de la volont6
du substituant.

Pour savoir quel sens attacher au mot “famille” employ6 par le substituant,
et d~celer par consequent ceux qui doivent 6tre appels, il faut d’abord suivre
l’ordre indiqu6 par le substituant puisqu’il est de son essence que ]a substitu-
tion 6tablisse un ordre de succession en fonction de ]a libre volont6 du cons-
tituant. A d6faut d’indication pr6cise, il faut suivre l’ordre legal en mati~re
successoral, exception 6tant faite dans ce cas du droit possible de representa-
tion qui peut Etre spcifi6 par le substituant ou 6cart6 sp~cialement par lui.
Le terme “famille” vis6 a l’article 979 C. civ. lorsqu’il n’est pas “limit6”
s’applique A tous les parents en ligne directe ou collat~rale appartenant A ]a
famille au sens successoral du mot et qui ont ainsi vocation suivant l’ordre
et le degr6 a recueillir les biens. La question parait simple. Dans ]a pratique
elle fait entrer dans un d~dale labyrinthique qu’il est difficile de ramener A
des lignes droites.

3GThevenot d’Essaules, Ch. 18, No. 356.

No. 2]

LA SUBSTITUTION FIDEICOMMISSAIRE

149

Tout d’abord les difficult~s peuvent se poser sur le point de savoir quelle a
6 l’intention du disposant lorsqu’il substitue au lgataire “sa famille”. Cette

disposition vise-t-elle la famille du grev6 ou celle du disposant?

Les imponderables sentimentaux et les considerations d’ordre familial en-
trent en ligne de compte ici, car, si l’on decide en faveur de ]a famille du
grev, comme celui-ci peut n’Etre pas du tout parent du disposant, les biens
sortiront de la famille du disposant; si au contraire il s’agit de la famille du
disposant les biens substitu~s sortiront du patrimoine du grev6. Une tr~s
grosse divergence de vue sur ce principe mime mettait aux prises les anciens
auteurs, et notamment Ricard et Pothier.3 7 Pour Ricard si le grevi est un
parent du testateur, on doit prsumer que la substitution est faite en faveur des
parents du testateur et non du grev6, “la raison en itant qu’on doit presumer
de l’affection naturelle que chacun a pour sa famille.” Pothier r~torque avec
finesse, “que le testateur a pu pr~firer la personne de son lgataire 6tranger
i sa propre famille par des motifs puissants et personnels A ce lgataire,
sans qu’on en puisse conclure qu’il a pareillement pr~f~r6 la famille de ce
lgataire A la sienne”.

Ainsi donc, d~s le depart, on se trouve dans la plus complite incertitude.
Sans doute doit-on interpreter selon les circonstances le contexte entier de
l’acte constitutif de substitution. Dans ces conditions tout est encore une fois
de plus laiss .l’arbitraire des tribunaux. ‘Les decisions judiciaires r~vilent
d’ailleurs que l’unanimit6 est loin de se faire au sein d’une m~ne juridiction
entre les juges qui la composent; les dissidences sont parfois tr s marqu~es,
et ne constituent pas seulement de simples nuances.

Le terme “famille” avait dejA, avec Pothier, pris un sens large. Ii com-
prenait non seulement les parents par le sang mais aussi tous les “parents
du nom, ceux qui le sont par les femmes, A moins que l’auteur de la substitu-
tion ne s’en soit expliqu”. 3 s

En dehors de ]a parent6 de nom qui pouvait servir A maintenir les biens
dans la noblesse, c’est donc, suivant l’expression de Ricard, “la famille en
g~n&al qui se trouve substitue. Cette substitution a de soi autant d’effet
et de dur6e qu’il se rencontre de personnes habiles pour la recueillir de degr6
en degr6”.39
‘expression famille, l’auteur de la
substitution avait d~sign6 ses “parents”. Comme l’indique Ricard, 40 “I1
s’agit 1. d’un terme moins ample que celui de famille; il faut n&essairement
&re du sang pour &re de la parent6”.

Tel ne serait pas le cas si, au lieu de

C’est en fonction de cette ide qu’il a pu

tre jug6 sans doute que la substi-
tution au profit du grev6 donataire recevant pour lui et les siens “de son

37Pothier Subst. No. 75 rapporte l’opinion de Ricard.
38Pothier Subst., No. 75.
39Ricard Subst., Part I No. 503, “On presume que l’intention du testateur a Eti de
40No. 504.

les appeler les uns apr~s les autres, et de degri en degr”.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 3

C6t6 estoc et ligne” ouvrait la substitution seulement aux enfants du dona-
taire, excluant du m~me coup les parents du donataire autres que ses enfants.41
La jurisprudence a du essayer de diterminer 6galement ce qu’il fallait en-
tendre par 1’expression “repr~sentants lgaux”. Cette expression vise-t-elle
les h~ritiers lgaux, c’est-a-dire ceux qui ont droit a ]a succession ab intestat
jug642 que le terme “repr~sentants lgaux”
du grev, ou les lgataires? I1 a 6t
doivent s’entendre dans le sens d’h6ritiers l6gitimes, mais que la double ex-
pression employee par le disposant “hritiers et repr~sentants lgaux” semblait
plut6t designer les hritiers lgaux au sens de l’article 864 C. cir.’ 43

Les complications relatives A l’interpr~tation de ]a volont6 de ‘auteur de la
substitution sont loin de cesser ou de se dissiper lorsque l’auteur a employ6
les expressions “enfants”, ou “nos” enfants, ou “petits-enfants survivants”
etc. ..

LA encore on se trouve en presence de decisions dont il est impossible de
d6gager un v6ritable principe g~nral. Les sentiments qui peuvent avoir
guid6
‘auteur de la substitution peuvent entrer en conflit avec les r~gles
interpr~tatives du code.

L’article 980 C. civ. dispose que le terme enfants ou petits-enfants em-
ploys “seul”, soit dans la disposition soit dans ]a condition, s’applique A tous
les descendants avec ou sans gradualit6 suivant ]a nature de
‘acte. Norma-
lement le terme fils ne doit s’entendre que du descendant au premier degr6.
Ne peut-il jamais &re interpr6t comme signifiant 6galement les petits-enfants?
Ricard faisait remarquer que lui donner ce dernier sens, ce serait “forcer ]a
signification de ce mot de faqon extraordinaire” ;44 il admettait toutefois qu.’il
peut arriver que ce terme enfant employ6 dans la condition comprenne tous
les descendants”. Alors que employ6 dans ]a disposition il n’emporte pas cette
interpr~tation. Quelle en est ]a raison d’6tre? Pothier s’en expliquait ainsi:
“C’est que les termes de la disposition doivent 6tre entendus dans le sens
&roit qui 6tend le moins qu’il est possible la substitution dont l’h6ritier est
chargg, au lieu que, par la m~me raison, les termes de ]a condition qui tendent
a restreindre ]a substitution doivent 6tre entendus dans le sens large pour
&endre ]a condition et restreindre la substitution”. 45 La condition “S’il meurt
sans enfants” a pour but essentiel de conserver au grev6 la facult6 de pouvoir

41Crevier v. Cloutier, (1904) 26 C.S. 373 (C.R.).
42Frenette v. Cimon, (1922) 32 B.R. 110.
43L’hon. Juge Rivard notait ce qui suit: “L’expression repr~sentants 1gaux a un sens
tr&s 6tendu qui peut aussi bien comprendre les hiritiers lgaux que les hritiers testa-
mentaires ou institu6s; mais le mot “hritier” employ6 dans la m~me disposition a une
signification plus restreinte. II est vrai que, pris absolument, il peut prater – quclque
ambiguit6. Pour lui donner une acception conforme i la volont6 du testateur, il faut
avoir recours au contexte, c’est-A-dire aux autres parties du testament qui peuvent in-
diquer quelle itait cette volont6″ (p. 118). cf L.P. Sirois (1906-1907) 9 Revue du Nota-
riat, p. 24.

4 4 Ricard Subst., Part. I, No. 511; Pothier Subst., No. 72.
45Pothier, op. cit., No. 66.

No. 2]

LA SUBSTITUTION FIDEICOMMISSAIRE

151

transmettre A ses enfants dans sa propre succession les biens qu’on lui a
laissi.

Dan la pratique le problme est loin d’&re facile ;! r~soudre malgri ces

directives g~nrales.

Certaines decisions se basant sur le contexte de 1’acte cr~ant la substitution
ont pu juger que le terme “enfants” comprend par sa “propre 6nergie” non
seulement les enfants de l’instituant ou de l’institu6 suivant le cas, mais en-
core leurs descendants dans tous les degr6s sans d6faillance du degr6 dans
]a disposition.46

D’autres s’appuyant sur ce que le terme enfant employi seul ne pouvait
comprendre les “petits-enfants” par representation de leur pre et mire, pri-
d6c~d~s avant l’ouverture de la substitution qu’en autant qu’il n’y a point eu
d’enfant au premier degr6. 47 Mais la question pr~judicielle consiste
savoir
ce qu’il faut entendre par le mot “seul” qui servirait 5. restreindre la port~e de
l’acte constitutif.

Dans l’affaire Bernard et autres v. Dame Amyot-Forget48 ce point a 6t6
discut6
fond. II s’agissait en l’esp ce d’une substitution dans laquelle le
testateur avait lgu6 l’usufruit de ses biens a son 6pouse et la propri6t6 “aux
enfants i naitre en lgitime mariage de mes enfants c’est-A-dire, mes petits-
enfants.” Cette clause rentrait-elle ou non dans l’article 980 ? Les mots “petits-
enfants” 6taient-ils employ~s seuls ou 6taient-ils qualifi6s?

La cour du Banc de la Reine avait estim6 que les mots “petits-enfants”
n’avaient pas 6t6 employ6s seuls mais au contraire doublement qualifi~s.
D’une part en effet le disposant avait vis6 les enfants issus de “notre” mariage,
ou encore de “mon mariage avec ma dite 6pouse”; d’autre part il avait pr~cis6
qu’iI devait s’agir des enfants naitre en “16gitime mariage” de “mes enfants”,
“c’est-i-dire, mes petits-enfants.”. Comme 1’6crivait l’hon. Juge Marchand 9
“II n’y a pas de doute que, dans ces clauses troisi~me, quatri~me et cinquiime,
le testateur a d~sign6 comme ses enfants avantag~s les personnes engendr~es
par lui imm~diatement dans son mariage et non tous ses descendants possi-
bles.”. Comme le faisait remarquer ce m~me magistrat, le besoin qui pouvait
se faire sentir autrefois de cr6er des substitutions perp~tuelles est moins
evident aujourd’hui oil les substitutions sont limit~es A deux degr6s et oi
nos meurs ne reprochent certainement pas A. un aieul qui veut pourvoir i
ses petits-enfants, de ne pas continuer sa lib6ralit6 au-dea et jusquI ses
arri~re-petits-enfants”.

Les Hon. Juges Barclay et Pratte dissidents, ont fait valoir qu’on ne
pouvait consid6rer le terme “petits-enfants”, venant apr~s les enfants . . .
4nTrahan v. Cardizal, (1912) 43 C.S. 145 (C.R.); Dame Plouffe et vir v. Lapierre et
47Laferrire v. Lavallie, (1902) 10 R. de J. 128.
48[1952] B.R. 89. et Cour Supreme: [1953]. 1 S.C.R. 82. Voir igalement Prifontaine

al., (1917) 52 C.S. 151 (C.R.).

v. Dillon, (1922) 33 B.R. 314.

49Page 93.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 3

de mes enfants . . .comme une manifestation claire de l’intention de res-
treindre la port6e de cette derni6re expression: ‘!On ne limite pas le sens
d’un terme en le pr6cisant par un autre auquel ]a loi donne express~ment
le sens le plus 6tendu .. .ce qu’il me parait plus raisonnable de dire, c’est
que le testateur aurait ajout6 le terme g~nrique de “petits-enfants”, dont
il est cens6 avoir connu le sens, pour dissiper toute 6quivoque sur ]a port~e
des termes qu’il avait d’abord employ~s.50 La Cour SuprEme devait infirmer
]a decision d’appel aux motifs que: “the words children and grand children
as used in the will applied to all the descendants of the testator and there-
fore to the great-grand-children, as well to the grand children.” Cette solution
nous parait 6minemment critiquable. Ainsi que l’ont fait remarquer les deux
Honorables Juges de langue et de formation juridique canadienne-frangaise
(l’Hon. Juge en Chef Th. Rinfret et l’Hon. Juge Taschereau): “the words
cannot be a meaningless repetition and must be given a meaning. The words
determine the intention of the testator.”

On peut ajouter avec le Notaire Turgeon5 ‘ que l’interprtation de la Cour
Supreme n’aboutit A rien moins qu’a admettre 1’existence d’une substitution
au dela de deux degr~s ce qui est contraire a 1’art. 932 C. civ. ‘tOn ne peut
faire sauter le degr6 des petits-enfants et faire jouer une sorte de substitution
vulgaire en faveur des arri~re-petits-enfants . . . On dit il s’agit d’enfants
i
naitre du l~gitime mariage de mes enfants. Les descendants subs6quents ne
sont pas des enfants a naltre de ce mariage, mais d’un autre mariage …il
ne s’agit pas IA d’une tautologie. Le sens du mot enfant qui 6tait d6ja res-
treint puisqu’il s’agissait d’enfants i naitre d’un lgitime mariage d~termin6,
et non d’un autre mariage, reqoit une limitation confirmie par l’addition de
l’incidente (c’est-A-dire) qui vient la renforcer”. 52 On peut remarquer avec
le Notaire Turgeon que l’art. 932 du Code civil “n’exige pas que le degr6
soit occup6 pour qu’il soit compt6 . . . c’est dans ]a disposition m6me du
constituant que ]’on doit rechercher les degr6s”. 53

L’arrt de ]a Cour Supreme aboutit presque A notre avis

favoriser indi-
rectement une fraude A ]a loi par interpretation d’une volont6 du constituant
non clairement prouv~e dans ce sens. 54

5OHon. Juge Pratte p. 100. Hon. Juge Barclay p. 99: I cannot construe that simple
phrase as a qualification depriving the great grand children whose parents had pre-
deceased them of their right to take their share of the property as being within the
definition of grand children.”

51Revue du Notariat 111; et 56 Revue du Notariat 489.
5255 Revue du Notariat p. 119. Voir la critique de l’arrft de ]a Cour SuprEme par Me.
Turgeon sous 56 Revue du Notariat p. 489’ “L’art. 980 C. civ. qui est en quelque sorte
une exception A l’art. 937 qui exclut ]a representation, a un sens restrictif. Pour qu’il
puisse s’appliquer, il importe que le terme enfants ou petits-enfants soit employ6 seul”
p. 491.

, Ibid., p. 494.
54Sur le point de savoir si la substitution faite an profit de: “nos” enfants dolt obliga-
[19521

toirement comprendre “tous” les enfants voir Alph. St. Aubin v. St. Aubin,

No. 2]

LA SUBSTITUTION FIDEICOMMISSAIRE

153

Les difficult~s ne s’arr~tent pas U .Lorsque l’acte constitutif de substitution
renferme une clause aux termes de laquelle le grev6 peut “disposer en fa-
veur de ses enfants ou de l’un quelconque d’entre eux”, quel sens donner i
cette facult d’6lection? Apparemment cette clause pose le principe d’une
sorte de d~lgation de pouvoirs conf~r~s par le constituant au grev, en vertu
des principes g~n~raux de la libert6 de disposer.

Cette question avait &6 examinee avec soin par les anciens auteurs,
Pothier,5s notamment, s’6tait attach6 i. montrer la difference entre la facult6
de choix et la substitution de la famille. S’il y a facult6 de chox, la substitu-
tion ne peut s’ouvrir qu’au profit de celui ou de ceux qui ont &t6 expr~s-
s~ment choisis ou d~sign~s; tandis que s’il s’agit de substituer la famille sans
accorder au grev6 un choix quelconque, la substitution s’ouvre au profit de
tous ceux de la famille qui sont les plus proches parents du grev. Ta juris-
prudence ici encore, doit s’attacher aux termes de l’acte original constitutif
de la substitution pour rechercher s’il y a eu choix ou option laiss6 an fibre
arbitre du grev.5 6 Comme le d~cidait r6cemment la Cour Suprne dans
l’affaire Lussier and Dame Tremblay57 la facult6 de choix conf6re au grev6:
“une autorisation absolue d’oprer parmi la classe et l’ordre des h6ritiers en
faveur de qui la substitution est constitu6e le choix qu’il d6sire.” Ce poiuvoir
ainsi laiss6 au grev6 lui est sans doute donn6 en raison de la confiance que
met en lui l’auteur de la substitution. Mais ce pouvoir ne confire pas au grev6
celui d’ajouter des conditions dont on ne peut trouver la cause dans l’acte
constitutif originaire.
c) Les imp&atifs de la volont6 du substituant relativement a l’assiette de la

masse substituge.

La solution des difficult~s relatives au contenu de la masse frappe de
donner aux ex-

substitution depend en grande partie de l’interprtation
pressions plus ou moins pr~cises employees par l’auteur de la substitution.

L’art. 935 permet au substituant de se r~server le droit de determiner les
proportions entre les appels. S’il ne l’a pas fait par son testament il y aura
caducit6 de ]a substitution. S’il ‘a fait, il faut s’attacher .une interpretation
stricte des clauses qui fixent cette proportion.

‘Hon.
B.R. 354. II s’est produit dans cette affaire une dissidence tr~s nette de la part de
Juge Bertrand. Ce magistrat s’appuyait sur la dcision Perreault v. Perreault, (1930)
‘Hon. Juge Bissonnette qul notait que l’expression
48 B.R. 356. Voir l’opinion de
“rendre a nos enfants” et “n’en disposer qu’en faveur de nos enfants” comportait plus
qu’une simple nuance. II y a la la distinction essentielle entre la substitution pure et
simple et la prohibition d’ali~ner comportant une substitution conditionnelle. Pour la
sens i donner .l’expression “my surviving grand children”: Drouin v. Hinault, (1939)
67 B.R. 101.

55Pothier Subst. No. 81.
5 6Labelle v. Labelle, (1914) 21 R. de J. 1 (C.R.) L. P. Sirois, (1906-07) 9 Rev.

du Notariat, 24.

57[1952] S.C.R. 389.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 3

On sait que la prohibition d’ali~ner peut 6tre limit~e aux actes entre vifs
ou , ceux .cause de mort ou s’itendre
. tous les actes. Mais U encore, la
prohibition peut 6tre modifi6e suivant “]a volont6 du disposant” (art. 975
C. civ.) A dffaut de quoi elle est cens~e s’6tendre
toute sorte d’actes (art.
975 C. civ.). Quel principe d’interprtation suivre?

La pratique qui s’est greffe autour de l’art. 979 donne-t-elle au grev,

re-
lativement au patrimoine frapp6 de substitution, et non plus seulement aux
personnes appel6es le pouvoir d’imposer aux appel6s des conditions d’insai-
sissabilit6 ou d’incessibilit6?

Tels sont en gros les probl~mes A examiner.
L’art. 935 pose le principe qu’on ne saurait autoriser le constituant qui a
dispos6 par donation de certains biens,
. les substituer apr~s coup m~me en
faveur des enfants du donateur qu’il a d~sign6s. Mais il peut, par un testa-
ment, et s’il fait une nouvelle libralit6 au l6gataire, substituer les biens qu’il
avait donn6s purement et simplement dans la premire donation. II faut
bien entendu que cette nouvelle substitution soit accept~e. Si le Code n’a pas
permis de frapper les biens objets de la premi~re donation d’une substitution,
le motif en est avant tout d’ordre strictement juridique. Le donataire ayant
un droit acquis d~s son acceptation, il ne saurait dpendre du donateur de
grever ultrieurement sa donation d’une substitution. En effet, la proprit6
des biens donn~s a &6 irr~vocablement transf6rie d~s l’acceptation au dona-
taire. 58

Sans doute donateur et donataire pourraient-ils, d’un commun’accord,
r~voquer la donation pour constituer une substitution, mais, selon Mignault,
un tel acte pourrait 6tre annuM si le donhtaire 6tait insolvable.59

Par ailleurs, le donateur ne peut dans

‘acte constitutif frapper les biens
grev~s de substitution d’insaisissabiliti ou d’incessibilit6, car cette clause serait
directement contraire au pouvoir de disposer, propre au droit de propri&t6,
m&me conditionnel, que la loi conf~re au grev. 60

L’tendue de la prohibition est d~termin&e d’apr~s “le but” que le disposant
avait en vue et d’apr~s les circonstances. Le disposant est donc maitre de r6-
gler et de d6terminer l’assiette du patrimoine objet de ]a substitution comme
il l’entend. 61 Toutefois, il ne saurait interdire ce que Pothier appelait d6ji les
5sPothier 6crivait sur ce point: “la propriti de la chose donn~e ayant par la donation
irr~vocablement W transfre au donataire, le donateur ne peut plus disposer par des
substitutions des choses qui ne lui appartiennent plus.” (No. 112).

59Migneault op. cit., Vol. 5, p. 32.
6051 Revue du Notariat, p. 473; 1 Revue du Notariat, p. 33. Faribault v. Guay, (1893)
4 CS. 143; Turcot v. Charters et Charters, (1900) 18 C.S. 24. “La defense faite au d6-
fendeur et opposant de vendre, hypothquer ou autrement alikner ne sert qu’I confirmer
Ia volont6 de crer une substitution et rien de plus, sans enlever au d~fendeur son droit
de vendre sujet toujours .la dite substitution.”

B1Lemaire v. Dame Beique et at., [1956] C.S. 88.

No. 2]

LA SUBSTITUTION FIDEICOMMISSAIRE

155

alienations “n~cessaires” qui sont actuellement vis~es aux art. 953 et 953a du
C. civ.12

Enfin en ce qui concerne le droit donn6 au grev6 de rdgler “comme bon
lui semble, soit 6galement soit autrement” les biens objets de la substitution,
quelques difflicultds se sont 6levdes. Le grev6 qui, i son tour dispose des biens
la personne qu’il choisit?
substituds peut-il imposer des conditions ou charges
II faut se rappeler qu’ici encore, lorsque le grev6 op~re le choix de l’appel6
et transmet le bien substitu6, il ne fait pas par lui-m~me une liberalit6. La
‘acte constitutif originaire.
masse objet de la substitution a son origine dans
Comme l’6crivait Pothier le choix que le grev6 fait “n’est point une disposi-
tion qu’il fasse de ses biens envers la personne qu’il choisit”. 63 On peut
ajouter que peut-8tre, i lire l’art. 944, on ne peut pas dire que le grev6 est
absolument propridtaire au sens strict du mot, puisque, selon ce texte, “il
poss~de a titre de propridtaire”. Si le substitu6 est le l6gataire universel on
ne peut soutenir qu’il adhere en cette seule qualit6 aux conditions et charges
insrds par le grev6 dans son propre testament puisque juridiquement l’appel6
reqoit directement du substituant et non du grev6. On peut dire en d’autres
termes que la masse substitute constitue une sorte de reserve dont le grev6 ne
peut ni diminuer l’assiette, ni l’affecter de conditions dont on ne trouverait pas
]a preuve de leur existence dans l’acte originaire constitutif de ]a substitu-
tion. C’est ce qu’a ddcid6 notamment la Cour Supreme dans l’affaire Lussier
and Dame Tremblay dans les termes suivants: “The power to elect does
not by itself own virtue to give the right to impose charge and since the
donation does not show any intention to derogate from that principle”.4
Le patrimoine substitu6 d6limiti dans sa consistance par l’acte originaire est un
patrimoine d’affectation au bdndfice de l’appel6. On doit rechercher non pas
dans le testament du grev6, mais dans l’analyse de l’acte originaire, si ces
charges et conditions s’y trouvent en puissance.8 5

LA SITUATION EN PORTE A FAUX DU DROIT DE

IIme Partie

PROPRIETE SUR LA MASSE SUBSTITUEE

a) Le contenu des deux droits de proprifti conditionnelle.

Le code de Qudbec qui, i l’image du code Napol6on rdpugne L organiser
le droit de copropri~t6 ou le regime des indivisions et qui est m~me hostile
i tout ce qui n’est pas droit individuel de propridt6, a cependant conserv6 ]a
substitution qui engendre une dualit6 de droit de propridt6 m~me avant son
ouverture.

En effet, d~s que le grev6 se trouve en possession des biens objets de la
titre de

substitution, l’article 944 dispose qu’il “posstde pour lui-m~me

62Pothier: op. cit., No. 98.
63″Elles seront exposes i l’occasion des pouvoirs du grev&”
64[19521. S.C.R., 389. Voir pour la qualiti de Igataire universel, p. 402.
85Principe d’interpr&ation posi dans Auger v. Beaudry, [1920] A.C. 1014.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 3

propri~taire,
charge de rendre et sans pr6judice aux droits de l’appel6″.
Pour 6viter tout doute sur cette qualit6, l’article 949 pr~voit que, malgr6
l’obligation de rendre, le grev6 peut vendre, hypoth6quer, constituer des
servitudes ou charges sur les biens substitu~s.

Tout ceci serait logique, et ne pr~senterait gu~re de difficult~s si, de son
c6t6, l’article 956 ne donnait A l’appel6, avant mme l’ouverture de la substi-
tution, non seulement le pouvoir de faire sur les m~mes biens des actes con-
servatoires, mais encore celui de vendre, hypoth6quer, etc.

D~s lors il y a concours sinon concurrence entre le grev6 et l’appel]6 sur
les m~mes biens, avant ouverture de la substitution. Au depart ]a loi procide
i une dislocation du droit de propriet6; celui-ci se trouve 6cartelI entre le
grev6 et l’appel6 et leurs cr6anciers respectifs. Sans doute, les operations
juridiques faites par le grev6 avant l’ouverture ne seront-elles pas opposables
‘ouverture, i certaines exceptions prts. Sans doute 6gale-
ment, celles pass~es pendant la m~me p6riode par l’appelM ne seront-elles vala-
bles que si le grev6 survit et recueille la substitution. II n’en demeure pas
moins que ce regime de droits conditionnels et ce concours possible du grev6
et de l’appel6 sont essentiellement n6fastes au point de vue du credit et des
affaires.

l’appel6 apr~s

II faut rechercher quelle est la qualit6 de propri~taire que le code r6-

serve au greve.

Selon le code le grev6 poss6de pour lui-m~me

titre de propri~taire, mais
$. charge de rendre et sans prejudice aux droits de l’appel6. C’est d’embl~e
indiquer que le grev6 est propri~taire sous condition r~solutoire de l’ouver-
ture de’la substitution.

Les auteurs dans l’Ancien Droit discutaient i

fond de cette question.
Pothier notammentG6 6crivait: “Le grev6 est d’abord avant l’ouverture seul
propri~taire des biens substitu6s, mais son droit de propri6t6 n’est pas in-
commutable, 6tant resoluble au profit du substitu6 par l’6ch~ance de la con-
dition qui doit donner ouverture A la substitution. Le substitu6 avant l’ou-
verture n’a aucun droit form6 par rapport au bien substitu6, mais une simple
esp6rance”.0 7

Cette obligation de rendre les biens lors de l’ouverture n’est pas apparem-
ment en conflit avec l’attribution d’un droit de proprit6 au grev, parce
que lIA encore, par interpr6tation de ]a volont6 du constituant on estime que,
en obligeant le grev6 i rendre ces biens, “le substituant est cens6 lni avoir
d~fendu de les aliner au pr6judice du substitu6”.08 Ainsi donc, ce qui est
interdit au grev6 c’est de faire une alienation qui soit pr~judiciable A l’appel6
futur. C’est donc en somme ]a finalit6 de l’acte d’ali~nation qui sert de crit~re
i ]a notion de pr6judice 6ventuel caus6 A l’appel. Or, en toute hypoth~se,

66Pothier, No. 153.
67Voir Egalement Ricard, No. 858.
6SThevenot d’Essaules, No. 788.

No. 2]

LA SUBSTITUTION FIDEICOMMISSAIRE

157

sauf dans les cas oa la loi consid~re l’ali~nation comme finale c’est-A-dire
opposable . l’appel6, les alienations faites par le grev6 tombent A l’ouverture de
la substitution, en sorte que il n’en r~sulte th~oriquement aucun dommage
pour le substitu6.

Le grev6 peut faire tous les actes n~cessaires pour la conservation des
biens, reparations, passation de baux, des alienations, constituer des hypo-
th~ques et servitudes, faire des promesses de vente. 9

Cependant ce sont la des constatations qui n’expliquent pas au fond la

nature de ce droit du grev6.

Mignault70 note que th6oriquement, on peut discuter de la valeur de la
thse qui consiste A qualifier le droit du grev6 de droit de propri&
sous
condition r~solutoire. En effet, si cette qualit6 6tait exacte il faudrait dire
logiquement qu’A l’ouverture de la substitution, le droit du grev6 est r6tro-
activement an~anti, et qu’en consequence, puisque les biens substitu~s pas-
il n’y a eu en fait qu’une seule
sent directement du constituant A l’appel
l’encontre de la nature m~me de la substitution
lib6ralit6. Or ce serait aller
fideicommissaire qui comporte deux lib6ralit6s successives.

Quoiqu’il en soit, on se trouve enferm6 dans ce dilemne dont aucun appel
la pure th~orie ne peut expliquer parfaitement le vrai sens. II nous semble
que l’on peut faire A cette mati~re des substitutions qui s’est d6velopp&e par
la pratique ]a m~me remarque que celle faite parfois i l’6gard du r~gime de la
communaut6 l6gale a savoir que les r gles pos6es au code ne peuvent toujours
6tre expliqu6es en fonction de leur encadrement dans des notions juridiques
pr~constitu~es et immuablement vraies. 7
1 I1 y a une manire de vivre parti-
culire A certaines institutions du droit priv6 que les seules notions juridiques
6tablies sont impuissantes A expliquer en toute satisfaction. Ainsi en est-il
A notre avis de la substitution.

II s’agit d’ailleurs d’un droit de propri6t6 6trange. En effet ce dit pro-
pri~taire (le grev6) se trouve dans l’obligation de dresser un inventaire A ses
propres frais, de la masse substitu&e (art. 946), sinon, qui plus est, il peut se
voir imposer cette formalit6 par les appel6s, le curateur i la substitution ou
les tuteurs et curateurs des appel&s. Cette intervention de tiers, cette im-
mixtion dans l’usage de sa propri&6, donne une physionomie particulire au
69Cela s’entend des reparations n&essaires (art. 958cc) Lemaire v. Arbec, 1894. 5 C.S.
378; Soucisse v. Lowe, 1897 3 R. de J. 527; Desaulniers v. Dipatie, (1910) 16 R.L. ns.
130; Robert et al. v. Martin es-qual., (1915) 48 C.S. 27; Lacroix v. Roy, (1919) 57 C.S.
95; Skelly v. The Canada Thread Co., (1899) 16 C.S. 191 (promesse de vente). Pouliot
v. Fraser, (1877) 3 Q.L.R. 349 (Droit d’aliiner) et les d&isions cities par Mignault
(1877) vol. 5, p. 88; adde: (1937-38) 40 Rev. d. Notariat 214; Lussier and Tremblay,
(19521 1 S.C.R. 389, “Le grev6 de substitution est un propri~taire viritable qui peut en
principe faire tous les actes d’un propri&aire”. Sur l’emprunt: P&odeau v. Dame La-
combe, (1918) 54 C.S. 351 (C.R.).

oop. cit., Vol 5, p. 58.
71L. Baudouin: Le droit civil de la Province de Quibec, (mod~le vivant de droit com-

pari), (1953). Wilson et Lafleur, Montreal, p. 1039. in fine.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 3

droit de propri~t6 du grev6. N’est pas moins 6trange la rigle qui veut que
‘appelI seul
cet inventaire soit fait
qui aura le droit de proprit6 d~finitif sur les dits biens inventories! Enfin
on peut s’6tonner que ce grev6 propri~taire se voit priv6 des fruits de sa
propre proprit6 au cas oii il n’aurait pas fait cet inventaire.

ses frais, alors qu’en definitive, ce sera

Curieuse situation de ce grev propri6taire qui doit 6tre autoris6 en justice
pour pouvoir vendre d~finitivement les biens substitu~s (art. 953.(a)) 1 Non
moins singulier ce grev6 propritaire qui se voit imposer des r~gles sur
1’emploi qu’il doit faire des prix de vente de sa propre propri&tF 2 et qui, ayant
acquis un bien-fonds voit celui-ci frapp6 de substitution par une sorte de
subrogation r~elle.

Curieux droit de proprit6 du grev6 qui, s’il existe des coupes de bois sur
le fonds substituE, se trouve contraint pour les continuer de faire approuver ses
plans d’exploitation par un conseil de famille sur avis d’experts et le tout
soumis

ratification d’un juge de la Cour sup6rieure (art. 949 a)!

Comment ne pas s’6tonner de voir ce grev6 propri~taire tenu d’obtenir
l ]a substitution pour faire les paiements, rece-
le .consentement du curateur
voir les criances, op~rer les remboursements et effectuer le produit des ventes,
disposer de I’argent en banque et exercer en justice les droits n6cessaires. ”
Que dire de ce propri~taire auquel on refuse le droit de transiger sur des
biens dont on affirme qu’ils sont sa propri~t6, si ce n’est en cas de n~cessit6 et
s’il y va de l’intr~t de l’appe1M et de lui-m~me?

Aucune de ces r~gles ne correspond aux principes fondamentaux du droit
privatif de propri6t6 dont ce code s’est fait le champion. I1 serait pr~f~rable
de ne jas chercher i justifier le droit du grev6 comme 6tant celui de pro-
pri~t6. L’obligation de rendre qui pse sur lui, obligation de rendre les biens
dans “leur int~grit”, est suspendue comme une 6p~e de Damoclis sur sa
tte et sur celle des h~ritiers ainsi que de tous ceux qui ont acquis de lui des
droits conditionnels.

Quant au concours de I’appelM qui peut s’exercer sur les mfmes biens
avant l’ouverture, il est essentiellement ficheux pour la stabilit6 du droit de
proprit6 que le code cherche toujours A assurer comme consequence de son
concept le droit privatif exclusif. Sans doute les actes faits par l’appel]
pendant cette plriode seront-ils ceux d’un propri~taire 6ventuel, mais que de
complications!

Ainsi par exemple on se posait dans l’ancien droit la question de savoir
si l’appeM pouvait en cons6quence du droit de transiger, renoncer i son
droit 6ventuel. On interdisait ]a renonciation definitive pure et simple. On
admettait par contre qu’il put renoncer sous forme conventionnelle avec le
72Sur les difficultis que peut s’enlever la question de savoir si une affectation hypothi-
tre considire comrnme un “remploi” voir: De. Serres v. Leclaire et a!, (1902)

caire peutt
23 C.S. 454.

73Art. 947 C. civ.

No. 2]

LA SUBSTITUTION FIDEICOMMISSAIRE

159

cette renonciation s’interpritant comme &ant simplement l’engage-
grev,
ment pris par lui, appel6, de ne pas se privaloir au moment de l’ouverture
de ]a substitution de son droit de propri6t&. L’appeM ne peut donc renoncer
qu’i son droit “6ventuel”.7 4

Ainsi donc ce que l’appel vend avant l’ouverture de la substitution ce
n’est que son droit 6ventuel sur la masse substitute, droit qui ne se trans-
formera en vertu de la loi en un droit dffinitif de propri&k qu’i l’ouverture
de la substitution.

L’existence de cette dualit6 de propri6t6 conditionnelle sur la masse des
biens substitufs se double de l’incertitude jurisprudentielle qtii s’attache a
l’interprtation de certains textes du code relatifs aux alifnations considr~es
th~oriquement comme finales et qui ont &6 pass~es par le grev6 avant
‘ou-
verture de la substitution.

II semble que ce soit dans l’intr~t suprieur du droit de propri6t6 que le
code a pr~vu un certain nombre d’hypothtses dans lesquelles les alienations
sont considrtes comme d~finitives, c’est-i-dire opposables i
‘appel apris
l’ouverture de la substitution. Ce sont les articles 953 et 953a CC: Vente
pour expropriation pour cause d’utilit6 publique, vente force en justice sur
poursuite des cr~anciers du constituant dont la cr~ance est antrieure a la
creation de la substitution, vente faite “i l’avantage” du grev6 et de l’appel6.
Ces textes semblent clairs; en pratique il n’en est rien. ‘La vente force
en justice a lieu en cas de poursuites des cr~anciers chirographaires ou hypo-
thecaires du constituant 6tant donn6 l’antrioriti de leurs titres par rapport
la creation de la substitution. 5 La jurisprudence a d~cid6 que le texte ne
grE, hormi le cas

vise que ]a vente forc~e et n’autorise pas la vente de gr6
oi I’acte constitutif y pourvoirait. 8

Mais la question pr~judicielle est de savoir si l’on se trouve en pr6sence

d’une cr~ance ant~rieure a la constitution de la substitution.

La question a 6t6 soulev~e A propos d’un emprunt fait par le grev dans
l’affaire Chef dit Vadeboncoeztr v. Citi de Montrial.7 Le grev6 avait requ un
immeuble; celui-ci est d~truit par un incendie. Le grev6 emprunte pour
pouvoir faire reconstruire, il obtient l’autorisation de justice. Plus tard il se
74Laurin v. Ncilson, (1912) 7 D.L.R. 403 (B.R.); Germain v. Dame Clavel et at.,
51 C.S. 165 (C.R.): Robert et al. v. Martin et Robert, (1917) 27 B.R. 54;
(1916)
Groulx v. Bricault dit Lamarche et al., (1920) 31 B.R. 287, et 63, S.C.R. 32. “L’acte par
lequel un appe!6 a vendu tous ses droits et pretentions dans un immeuble substitu6 est
sans effet quant au transfert de la proprit6, I’appel6 n’a vendu que les esprauces et
droits iventuels qu’il poss~dait . . .” Germain v. Dame Clavet et dame Bague, (1916)
51 C.S. 165, et (1918) 55 S.C.R. 633.

7 5Guyot, Subst., p. 483; “il ne peut d~pendre d’un dibiteur en substituant des biens

d’empcher le paiement des dettes passives qu’il laisse apris lui”.

7SChoquette v. Masson et al., (1899) 16 C.S. 606.
77(1897) 29 S.C.R. 9.

McGILL LAW JOURNAL

[ o0. 3

trouve dans l’impossibilit6 de faire face aux remboursements. Le terrain est
vendu. ,Devait-on consid~rer l’emprunt comme ayant 6t6 fait dans l’int~r&t
de l’appel ou seulement dans l’int6rt du grev? A premiere vue il semblerait
difficile d’admettre l’ide d’ant~riorit6 de cette cr~ance sur celle de ]a substitu-
tion et encore plus difficile d’admettre qu’il s’agit d’une dette du constituant.
Pourtant ]a jurisprudence en cette esp&ce a admis qu’il s’agissait d’une cr~ance
pr~f~rable A ]a substitution au motif que “the mortgage was judicially author-
ized and was given special preference by the Statute superior to any rights
or interests that might arise under the substitution …
the sale by the sheriff
passed the title to the purchaser for the whole estate including the substitu-
tion as well as that of the grev de substitution, notwithstanding the omis-
sion to make the curator a party to the action or proceedings in execution
against the lands.”7 8

La question de l’ali~nation finale op~r~e avec le consentement des appel~s
parait simple a premi~re vue. Si tous les appelhs sont majeurs et maitres de
leurs droits ou si, mineurs, leurs tuteurs sont autorisfs, il n’y a pas de difficul-
t6, exception faite des nullit~s propres aux vices de forme de l’autorisation.
Mais si “tous” les appel~s ne consentent pas l’article 953 par. 3 decide que
l’ali~nation ne leur sera pas opposable.

Le probl~me qui se pose est de savoir ce qui est inclus dans ce consente-

ment. S’agit-il d’une sorte de renonciation aux droits de l’appel dans la
substitution ou s’agit-il d’une simple garantie donn~e A l’acqu~reur que l’ap-
pel n’exercera pas plus tard l’action en r6solution? L’obligation de garantie
est incluse dans tout contrat de vente et, semble-t-il, le consentement donn6
dans ces circonstances devrait s’interpr6ter comme une renonciation A tous
les droits sur le bien vendu. Or une telle renonciation serait contraire al
principe fondamental de la substitution A savoir que le droit d~finitif sur ]a
masse ne se fixe que le jour de l’ouverture et non ant~rieurement. I1 ne
s’agit pas d’une alienation finale puisque tout peut 8tre remis en question
lors de l’ouverture de ]a substitution. 79

D~sirant fixer de faqon plus prcise les droits et obligations respectifs de
l’appelM et du grev6 Ia loi du 15 janvier 1878 a ajout6 un article 953a. II ne
s’agit plus d~sormais d’ali~nation faite en cas de n~cessit6 mais simplement
(i supposer que ce soit plus simple), en cas d.”avantage” du grev6 et de
l’appel.
.Or, ce texte destin6 A rem~dier , l’incertitude de l’article precedent
en a cr$6 une plus grande encore. C’est m~me comme le
ignale Mignault,
aller A l’encontre du but de toute substitution qui est, suivant la volont6 du
78Voir sur la question de la rise en cause de l’appel6 ou du curateur Miguault, vol.

5, p. 94.

79En ce qui concerne les grev~s qui doivent consentir, voir sptcialement Drpeltcau v.
Dame M. E. Bernard, [1924] S.C.R. 159. Sur cinq appelis quatre avaient consenti A,
vendre leurs parts. L’un des appels n’avait pas donn& son consentement. Les quatre
autres avaient prtendu distraire de ]a vente les lots dans lesquels ce cinquime appel6
avait des droits. La cour a dicWd qu’il y avait eu vente de la chose d’autrui.

No. 2]

LA SUBSTITUTION FIDEICOMMISSAIRE

161

substituant, d’imposer au grev6 l’obligation de conserver et de restituer les
biens lors de l’ouverture. Qu’est-ce que cet avantage cumulatif du grev6 et
de l’appel6? Qui peut le d6terminer? Sans doute ce seront les tribunaux, ce
qui prouve surabondamment que la loi a manqu6 son but; le fait de 1’existence
de litiges sur ce point met en lumi~re les difficult~s d’appr~ciation de ]a notion
“d’avantage”. Terme impr~cis, terme 6lastique, terme ficheux. On en arrive
mme & reconnaitre que certaines lois statutaires prennent
le pas sur la
volont6 de l’instituant.80 Comme l’6crivait Mignault “on peut regretter que Ia
determination de cet avantage soit laiss~e forc~ment
l’arbitraire puisqu’il
d6pend du juge de ddcider si dans l’esp~ce soumise, l’ali~nation est avantageu-
se et que sur ce point les magistrats peuvent diff~rer d’avis”. 8
b)

Incertitude sur le contr6le de la masse substituge.

Les efforts faits par le code afin d’organiser une sorte de contr6le sur les
biens substitu~s pour en 6viter sans doute la dissipation par le grev6 pro-
pridtaire conditionnel sont mal venus car les codificateurs n’ont m8me pas
pris parti avant, ce qu’il aurait fallu faire, sur la nature juridique, de cette
masse de biens substitu6s.

En dehors de la question de nomination du curateur

la substitution,
]a fonction de ce curateur8 2 est assez mal d~finie. II parait 8tre, a premiere
vue, ‘dapr~s l’ensemble des textes du code dans la situation d’un subrog&.
tuteur par rapport au tuteur, mais il n’en a cependant pas tous les droits.
La formule employee au code (article 945 par. 3) est fAcheuse. D’une part
il y est dit que le curateur “veille aux int~r~ts des appel~s”, et les “reprdsente
dans tous les cas auxquels son intervention est requise ou peut avoir lieu.”
Cette formule est pleine de contradiction. D’une part en effet, elle renferme
un formule tris g~n~rale; d’autre part elle n’accorde au grev6 la possibilit6
d’intervenir que dans des cas sp~cifiquement ddtermin~s par
les textes.
L’article 945 oblige le curateur a faire faire l’inventaire; l’article 942 requiert
qu’il fasse enregistrer la substitution; l’article 947 d~limite son droit d’inter-
vention A l’occasion d’actes que peut faire le grev6 et qui sont strictement
inumr~s; l’article 945 par. 4 lui permet de prendre connaissance de tous
documents, actes, titres, procedures, concernant les biens substitus, leurs
placements, les ddp6ts en banque ou leur retrait.

8OEx parte Prevost v. Prevost et al., (1903) 27 C.S. 490 et 35 S.C.R. 193. Le consti-
tuant avait spicifiquement interdit de vendre en tout ou partie les biens “mame pour le
plus grand avantage” de l’un des petits-enfants. La cour a fait pr6valoir la loi 61 Vic.
Ch. 44 et ainsi rendu la clause lettre morte: “The above prohibition to alienate adds
nothing to the substitution under which, taken alone, the property is intended to pass
to the substitute and the statute is enacted for the purpose of defeating that intention in
the case it contemplates.”

SlVol. 5, p. 106.
82p. Paquete, (1949-50) Revue du Notariat 52, p. 61. Turgeon, “le domicile et ]a
competence judiciaire en matiire contentieuse”, dans (1952-53) 55 Revue du Notariat
p. 450.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 3

Curieux m6lange oii parfois le curateur semble avoir un pouvoir d’intrusion
dans le soi-disant droit de propri6t6 du grev sans avoir en m~me temps celui
de contr6le ou d’administration, contrairement A l’article 347 qui le range
cependant dans la cat~gorie des curateurs aux biens, ce qui est un tort.
Lorsque, par ailleurs, les textes du code le dcrivent comme repr~sentant les
appelks, est-ce bien de cette representation qu’il s’agit au fond? N’est-ce pas
plut6t de la representation de ]a substitution elle-mfme, consid~r~e comme une
sorte de personne morale? Si le curateur repr~sentait vraiment les appel~s
avant l’ouverture, lui refuserait-on le droit de s’opposer A une saisie d’un
immeuble substitu6?3 lui refuserait-on d’exiger le paiement des capitaux ou
des int~rts des capitaux substitu~s? ;84 d’exiger du premier curateur qu’il
remplace le versement des sommes que ce dernier devait aux appel6s?, s5
alors que par ailleurs on lui permet d’intenter une action dans le but de con-
server les biens de la substitution lorsque les appel~s ne sont pas n~s ?sG La
remarque de Thevenot d’Essaules serait-elle encore vraie de nos jours:
“Hors les cas pr~vus par la jurisprudence, nos tuteurs (curateurs) ne sont
gure nomm~s que pour mettre le grev6 en 6tat de faire juger ses pr~tentions
contre les substitus…. aussi ne prend-on pour cette fonction qu’un homme
sans consistance et presque toujours insolvable”.8

Mais, m~me dans le domaine de l’opposabilit6 des jugements aux appel~s,
la diversit6 d’interprtation qui s’attache au texte de l’article 959 est loin
de clarifier la situation. On s’accorde dans la pratique notariale A recon-
naitre que ce texte n’est pas clair. “II semble exiger ]a nomination d’un cura-
teur qui doit 8tre mis en cause avec les appel|s, si l’on veut que le juge-
ment a intervenir ne puisse Etre attaqu6 sur le motif de la substitution.” Or,
cet article n’int6resse pas les appelks et la nomination d’un curateur dans un
pareil car ne saurait 8tre faite A. la demande des appel6s ou du grev, mais
seulement A la demande de la partie poursuivante qui seule en a besoin. 8s

Tout d~pend en fait de ]a partie poursuivante si naturellement elle connait
ce point de droit et veut rendre le jugement opposable aux appelks. Tout est
ce fait que les int6ress6s peuvent connaitre l’existence
subordonn6 en droit
m~me du procs. Singuli6re protection des intr~ts des appels qui depend
essentiellement d’61ments aussi subjectifs. Etrange situation au surplus qui
permet A l’appel d’invoquer les jugements rendus en faveur du grev bien
que les appels ou leurs repr~sentants n’aient pas 6t6 mis en cause,

Ainsi donc pratiquement ce curateur dont les fonctions se superposent A
celles du tuteur d’un mineur appel6, ou A celles d’un curateur de l’appel6,
8 3 Wilson v. Leblanc, 13 L.C.J., 202; Montreal Loan and Mortgage Co. v. Plodcali,

(1892) 2 C.S. 391.

84Moreau v. Dorion, (1884) 12 R.L. 380.
85Dorion v. Dorion, (1897) 13 S.C.R. 194.
86SteIwart et Molson’s Bank, R.I.Q. 4 B.R. 11.
S7Thevenot d’Essaules, No. 1274.
88P. Paquette, (1949-50) 52 Revue du Notariat, p. 71.

No. 2]

LA SUBSTITUTION FIDEICOMMISSAIRE

163

se trouve d~sarm6, et la soi-disant representation des appels se trouve lettre
morte. Elle depend en effet par trop de la n~gligence ou du bon vouloir du
curateur. “I semble 6trange (comme l’6crit Mignault) 8 qu’i c6t6 des repr6-
sentations de droit commun le l~gislateur ait admis une representation extraor-
dinaire qui les suppl~erait toutes.” II faut A notre avis ajouter en rectifiant
cette opinion qu’il est encore plus 6trange que cette soit-disant representation
ne suppl~e pr~cis6ment aucune d’entre elles avec certitude. C’est IA, semble-
t-il, la lemon qui se d~gage de la pratique jurisprudentielle sur tous ces points.
c) L’enregistrement, nouveau pi~ge crig dans la substitution.

A lire les textes du Code civil (art. 938 A 943) sur 1’enregistrement de la
substitution fidicommissaire, il semblerait qu’un certain sentiment de s~cu-
rit6 s’en d6gage, et qu’enfin on puisse 6tre tent6 de conclure que cette forma-
lit6 intrins~que qui domine toute la substitution, balaye comme par une sorte
de raz de mar~e toutes les incertitudes d6nonc6es jusqu’alors.

BourjonO 6crivait au sujet de la publicit6 qu’il fallait assurer A la substitu-
tion: “sans cette publication et cet enregistrement, les substitutions seraient
des pi~ges qui serviraient A d~pouiller des acqureurs de bonne foi et qui
enliveraient la sfiret6 A des crianciers 1gitimes. C’est pour parer A de .tels
inconv~nients que la sagesse des ordonnances a assujetti les substitutions 1 la
publication et A l’enregistrement.”

On sait que le droit qu6becois a remplac6 l’insinuation par

ment.91

‘enregistre-

Les textes semblent precis. La substitution fid6icommissaire dot

tre
enregistr~e “dans l’intrt des appel~s et dans celui des tiers” (art. 938).
Ceux qui doivent enregistrer sont le grev6 acceptant, l’appel6 majeur charg6
de rendre, les tuteur ou curateur du grev6 ou des appel~s, le curateur A la
substitution, le mar pour sa femme (art. 942). L’enregistrement doit se faire
dans les six mois A compter de la date de la donation entre vifs ou du d6c~s
du testateur.

Tout parait clair et simple. II n’en est rien.
Sans doute l’accord est-il fait en doctrine et en jurisprudence sur ce que
la substitution doit &re spcialement enregistr~e comme telle, c’est-i-dire
ind6pendamment de l’enregistrement de
‘acte qui la constitue. Une donation
a-t-efle &6 enregistr~e comme donation, il faut n~anmoins enregistrer Ia
substitution comme 6tant une opration distincte.

Tout irait pour le mieux si, pr~cis~ment, les int~ress~s se conformaient A
]a loi en operant ou en requrant
‘enregistrement de la substitution. Ce
n’est malheureusement pas ce qui se produit dans la pratique. Comme le note
fort judicieusement Mignault, le registrateur “a pu oublier d’enregistrer la
substitution soit intentionnellement ou par m~garde”.9 2 On peut 6galement

S9VOI. 5, p. 80.
9OSubst., par. 778.
9 1Voir pour le rappel historique: Mignault, Vol. 5, p. 33-35.
92Mignault, op. cit., p. 36.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 3

n~gliger ‘enregistrement d’une substitution contenue dans une seconde dona-
tion ou dans un testament. Enfin, il peut arriver que ni ]a donation ni la substi-
tution n’aient 6t6 enregistres. C’est alors que les difficult6s commencent:
on peut se demander dans ce cas si l’on doit refuser aux h6ritiers du dona-
teur le droit d’attaquer la donation contenant une substitution. Doit-on faire
une scission entre la donation et la substitution en permettant aux h6ritiers
du donateur de se pr~valoir de l’art. 806 du Code civil, c’est-A-dire d’attaquer
uniquement la donation? La question est tr~s discutable car elle met en jeu
tout le fondement m~me et la fonction sociale de l’enregistrement tant dans les
donations que dans les substitutions. L’enregistrement des donations est
requis pour r~v~ler aux tiers l’existence mme d’une donation. L’enregistre-
ment de la substitution, comme institution autonome, est destin6 A faire
connaitre de faqon pr6cise aux tiers que le donataire a surtout et avant tout
la qualit6 de grev6 de substitution. Mais par ailleurs, si Pon permet aux
b6ritiers du donateur d’attaquer la donation en tant que telle pour d~faut
d’enregistrement, il ne semble pas qu’il y ait de raisons Iogiques de ne pas
leur permettre d’attaquer 6galement la substitution qui tombe d’elle-m~me
puisqu’elle est incorpor~e A une donation qui n’est pas valable. Or, on se
heurte ici A l’art. 940 qui dispose express~ment que nile substituant (dona-
teur ou testateur) ni ses h&itiers, ne peuvent se pr~valoir du d6faut d’enre-
gistrement. *On en arrive ainsi, par une fiction, que rien ne lgitime en dehors
de la volont6 du lgislateur, A faire pr6valoir ]a substitution sur la donation,
A permettre la survie juridique d’une substitution cr66e par voie de donation,
laquelle par hypoth~se, n’est pas opposable aux britiers du donateur pour
d6faut d.’enregistrement. Ce principe parait tr6s contestable.

La r6gle que l’enregistrement doit se faire dans les six mois

compter de
]a date de ]a donation ou du d6cs du testateur, serait tr~s claire 6galement,
si l’art. 941 n’avait cru devoir ajouter que l’enregistrement tardif n’a d’effet
qu’A compter de sa date. N’est-ce par affirmer que le d6lai lui-m8me fix6 de
faqon si imp6rative n’est pas au fond fatal? 9 N’est-ce pas indirectement
saper du m~me coup toute l’institution de l’enregistrement des substitutions?
Comme pour compliquer A plaisir (et bien que dans ]a pens6e du l6gisla-
teur ce fut un d6sir de simplification) l’art. 941 renvoie pour les effets de
l’enregistrement des substitutions aux principes generaux de l’enregistre-
ment os~s notamment dans les art. 2083, 2098 et 2108 du Code civil en ce
qui concerne les conflits possibles entre les tiers dont les droits ont &6 ou
non enregistr~s et le grev6 ou les appel6s. “Alors que ]’art. 2098 ne donne
aucun effet au transport consenti par un propri6taire parce que son titre de
propri6t6 n’est pas enregistr6, ce titre fut-il parfait, l’art. 940 permet au
contraire d’acqu~rir d’un grev6 qui a charge de rendre, pr~cis~ment parce
que son titre n’est pas enregistr6.” 9 –

93Bulmer v. Dufresne: Cassel’s Digest, p. 553.
94Hon. Juge Martineau dans Taillefer v. Langcvin, (1911) 39 C.S. 274 at p. 288.

No. 2]

LA SUBSTITUTION FIDEICOMMISSAIRE

165

On semble vouloir faire 6chapper

. certains des effets
normaux du droit gdndral de l’enregistrement, alors qu’on la soumet dans
son ensemble i. ce m~me droit.

la substitution

Ce manque de precision vient d’un vice plus fondamental et plus profond
5. savoir que, malgr6 ]a nettet6 de certains commentaires, on ne semble pas
avoir r~ussi A d~finir le r6Ie exact ou la fonction propre de l’enregistrement
comme notion juridique autonome.

Le ddsaccord est complet sur le r6le de l’enregistrement non pas tant
comme notion de publicit6 que comme facteur de sdcurit6 dans les transactions
immobilires soit . l’encontre des tiers, soit A l’avantage de ceux-ci. Certains
estiment qu’en vertu de l’axiome g~n6ral que nul n’est cens6 ignorer la Ioi,
l’enregistrement cr~erait ;. l’6gard des tiers une prdsomption irrefragable qui
rendrait par consequent la substitution opposable
. ces tiers ds que l’enre-
gistrement est oper6. Certaines d~cisions judiciaires estiment que la pr6-
somption 6tablie par cette mesure sp~ciale de publicit6 n’est qu’une pr~somp-
tion juris tantum. Elles considrent que l’enregistrement “a pour effet de
rendre ]a substitution publique, mais pas dans le sens que l’on dit. II n’est dit
nulle part dans nos lois d’enregistrement, que celui qui achte un terrairi est
pr~sum6 connaitre toutes les charges enregistr~es dont ce terrain peut &re
‘”9 5 On voit affirmer avec force et raison98 que l’enregistrement “est
grev.
si peu une publication, que les livres n’en sont pas ouverts au public et qu’il
faut payer pour y avoir acc~s . . . Quels sont ceux qui connaissent les lois
d’enregistrement autres que les avocats et les notaires! . . . L’enregistrement
est une formalit6 qui rend possible la connaissance des actes, mais pas nices-
sairement.”‘;

D’autres decisions voient dans le fait de

‘enregistrement une simple pr6-
somption de fait :9 “le fait de l’enregistrement d’une substitution n’est pas de
notori~t6 publique. S’il r~sulte de cet engagement une pr~somption que la
substitution est connue des tiers acqu~reurs, cela constitue une presomption
de fait.” L’art. 2251 dont les termes sont g~nraux ne fait aucune distinction
entre un droit enregistr6, et un droit qui ne l’est pas; la bonne foi se presume
toujours; celui qui invoque la mauvaise foi doit l’6tablir. L’int~r~t pratique
qui s’attache A cette question concerne le droit de prescription acquisitive des
tiers acqu~reurs en conflit avec le grev6 ou l’appelM i ]a substitution.

09Gagnon v. Ross, (1956) C.S. 239: “L’existence d’un enregistremefit de droit rel
cr~e au moins une pr6somption juris tantum que le tiers acqureur n’est pas de bonne
foi; c’est A lui qu’incombe de repousser cette pr6somption.” Darling v. Bricault dit La-
inarche et The C. Northern Montreal Land Cy. et Groulx, (1924) 37 B.R. 388, (p. 392).
Conf. 63 S.C.R. 31.

OfLarue v. Pipin, (1927) 43 B.R. 430.
KAIbd., p. 443-444.
OsBeaudry v. Vandal (1953) C.S. 328.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 3

Ainsi donc, ]a technique m~me de l’enregistrement des substitutions se r6-
vale impuissante A apporter cette s~curit6 que leurs auteurs auraient sans
doute voulu porter au paroxysme de la perfection.

Les incertitudes doctrinales, les contradictions jurisprudentielles sur les
principes et les id6es de base n’ont pu r6ussir i dissiper le brouillard juridique
qui enveloppe une fois de plus toute la mati~re des substitutions.

CONCLUSION GENERALE

Il faut maintenant tenter de tirer des conclusions pr~cises et utiles de cette
vue panoramique des substitutions car, il ne fait aucun doute pour nous que
la substitution fidicommissaire dans sa forme actuelle devrait &re r~form~e.
Peut-6tre m~me devrait-elle Etre complitement supprim~e pour &re rempla-
cee par l’institution d’une r6serve l6gale au profit des descendants directs.

L’examen de la creation de la substitution a d6montr6 (nous le pensons)
combien il 6tait difficile d’arriver A circonscrire en fait, pour la fixer, la v~ri-
table volont6 du substituant, ce malgr6 les efforts remarquables de la juris-
prudence. Sans doute les difficult6s d’interpr~tation de la volont6 cr~atrice du
substituant ne sont-elles pas sp~ciales A ]a substitution; on les retrouve a
propos de tous les contrats ou de tous les actes juridiques qui naissent de la
volont6 humaine; mais on ne peut s’empcher de constater qu’en notre matiire
elles sont particuli~rement compliqu~es par la loi elle-m~me.

Si le constituant est libre de cr6er une substitution directement ou in-
directement par “implication” 99 c’est-i-dire sous la forme d’une d6fense d’ali&-
ner, s’il veut 6galement ne faire b6n6ficier de la substitution que certaines
personnes nettement d~termin6es ou laisse ce soin au grev6 A qui il fait con-
fiance, par contre cette m~me volont6 peut &re mise en ichec de par la
volont6 de la loi. L’amour familial dans l’ordre des substitutions ne peut exc6-
der deux degr6s non compris le substituant. I1 faut ajouter que la substitution
ne verra peut-&tre pas le jour malgr6 ]a volont6 de son cr~ateur puisque la
loi permet indirectement A l’appel de renoncer avant l’ouverture A son droit,
et que de son c6t6 le grev6 peut faire remise anticip~e A l’appel6 de la substitu-
tion. -N’y a-t-il pas IA, ind6pendamment du caract~re conditionnel qui s’at-
tache A l’une et l’autre de ces operations, un principe qui heurte de front le
but m~me de ]a substitution? Dans le premier cas la substitution tombe con-
trairement A la volont6 du substituant; dans le second elle s’ouvre contraire-
ment A cette m~me volont. Sans doute n’y a-t-il IA qu’une ouverture et une
remise provisoires, mais ce n’est pas moins contraire A ]a volont6 exprim6e du
substituant. 0 0 La remise anticip6e peut &re dangereuse car elle met en peril les
droits des tiers cr~anciers s’il y a collusion entre le grev6 et l’appel]. Sans
doute ]a loi vise-t-elle cette hypoth~se, mais au fond c’est elle qui en pr6-
voyant cette possibilit6 fait indirectement naitre le conflit.

99Mignault, vol. 5, p. 131.
10OVoir: (1898-99) 2 Revue du Notariat, 206; et (1915-16) 18 Revue du Notariat,

p. 270.

No. 2]

LA SUBSTITUTION FIDEICOMMISSAIRE

167

Mignault et avec lui certains notaires de la Province de Quebec’ 0 criti-
quent i juste titre les formules obscures conserv~es par les notaires et dont
l’emploi contribue sinon
jeter, tout au moins 5. entretenir la confusion.
“Certains notaires paraissent 6viter l’emploi de termes propres et envelop-
pent ]a disposition comme A plaisir de nuages qu’il n’est pas toujours facile
de percer.” Peut-8tre ceci est-il dfi
ce que ces formules si pieusement con-
serv~es de g~nration en g~nration dans les cabinets de notaires reflitent
au fond l’origine frauduleuse de la substitution. Comme
le notait l’hon.
Thibeaudeau-Rinfret :102 “il est bon d’observer d~s le debut que le fid~icom-
mis est n6 d’une idle de fraude, de l’intention de frauder la loi.”, ce que cet
hon. magistrat fait parfaitement ressortir dans tout son expos6. Lorque le
fidicommis est devenu une institution lMgale les formules n’ont pas
t6 pour
cela chang~es. II serait sans doute de beaucoup pr6frable que toute personne
qui veut crier une substitution le fasse r~ellement au grand jour et mme
soit contrainte d’employer le terme de substitution. C’est d’ailleurs le conseil
donn6 par un notaire.103 Ce proc~d6 6viterait tout doute, .moins que avocats
et notaires ne soient r~ellement d~sireux de faire trancher dans chaque cas
des points de droit particuli~rement d~licats.

Nous avons vu combien sont grandes les difficult~s d’interpr~tation rela-
tives i la designation vritable de l’appel
lorsque les termes employ~s par le
substituant sont des termes collectifs. Le fait pour le substituant d’imposer,
m~me pour deux g~nrations seulement, un ordre de succession pour le
transfert des biens frappes de substitution est fondamentalement contraire au
principe que toute personne capable et maItresse de ses droits a, surtout ici
ofi il n’y a pas de r6serve lgale, le droit de disposer librement de ses biens.
Cet ordre conventionnel de succession ,heurte ce principe fondamental dont
par ailleurs les codificateurs se sont faits hautement les champions. Ainsi
se sont-ils mis eux-m~mes en contradiction.

L’incertitude qui r~gne sur le sort des biens substitu~s avant l’ouverture
de la substitution n’est pas moins regrettable. Les tiers qui ont acquis des
droits sur ces biens soit du grev, ou de l’appelM sont dans une situation incer-
taine 6minemment pr~judiciable a la s~curit6 qui devrait r~gner dans les
relations juridiques. Les uns et les autres ignorent le plus souvent l’existence
m~me de ]a substitution. L’enregistrement destin6 dans la pens~e du lgisla-
teur A assurer la scurit6 par rapport aux tiers ou pour ceux-ci manque son
r6Ie au d~part. En effet, il repose sur une double et fausse pr~somption: il
suppose en effet que les int~ress~s, grev, appelk, curateur s’il est nomm6,

lOlVt. V p. 1, note (a). L. P. Sirois (1901-02) 4 Revue du Notariat, p. 225. Plu-
sieurs juges en rendant leurs jugements n’ont pas 6ti tendres pour les notaires exami-
nant les actes sur lesquels ils avaient i se prononcer; il faut admettre que parfois iis
n’avaient pas tort… nous formulons le voeu que si un testateur veut crier une substi-
tution. disons-le clairement … n’ayons pas peur d’employer le mot” (p. 236).

‘0 2Revue du Barreau, (1942), p. 274.
203Voir note 101.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 3

n’ignorent pas la ncessit6 de faire cet enregistrement; or sur ce premier
point ils peuvent croire que l’enregistrement de la donation ou du testament
est suffisante normalement, ce qui juridiquement est controuv6; il suppose
aussi que les .tiers ont connaissance de 1’existence d’une substitution, ce qui
n’est pas exact non plus en fait.

Tout l’6difice s’6croule donc. Les conflits entre les tiers acqu6reurs, le
l’appel6 ou les h6ritiers et ayant droit, commencent et s’engagent
grev,
dans le d~dale inextricable des complications propres aux dates d’enregistre-
ment et surtout au fait que la substitution bien qu’enregistr~e tardivement
peut cependant faire parfois 6chec aux droits des tiers.

La position incertaine du curateur qui n’est A proprement parler ni un
v~ritable repr~sentant ni un mandataire l6gal, ni une sorte de contr6leur de
ces biens, dont on ne sait m~me pas s’ils constituent une masse autonome,
n’est gu~re encourageante pour le maintien de cette institution. Les efforts
de ]a jurisprudence pour tenter de clarifier sa situation juridique se heurtent
tant6t A des textes impr~cis par leur itendue, tant6t A des textes trop 6troits
et limitatifs, si l’on veut prendre en considration ]a volont6 r~elle du substi-
tuant. II est hors de doute qu’en cr~ant une substitution l’instituant entend
sous le couvert de la loi que les biens ne soient pas ali6n~s puisqu’il veut les
. l’appel& Or, au cours de ]a substitution, et
faire rendre dans leur int~grit
d~s avant son ouverture, ce sont des conflits d’int~rt qui vont surgir entre
le grev et les appel~s. Si donc on desire vritablement assurer le respect
de la volont6 du substituant, il faudrait pr~cis6ment conf6rer pendant cette
p riode des pouvoirs reels au curateur qui serait mis dans ]a situation d’un
trustee. I1 devrait repr~senter les int6r~ts sup6rieurs de la substitution con-
sid~r~e comme une masse autonome qui, dis lors s’apparenterait dans sa
finalit6 A une sorte de reserve. Or, nous avons vu qu’il n’en est rien. En outre
les sanctions qui frappent le grev6 qui viendrait i dissiper et abuser de ses
pouvoirs sont vraiment hors de proportion avec ce que le bon sens ordonne,
et deviennent presque ridicules. En effet, le grev6 sera simplement assujetti
dans ce cas A donner caution, et A souffrir I’envoi en possession provisoire de
l’appel6 a titre de s6questre. Tandis que si le grev6 n6glige de faire dresser
inventaire il est priv6 des fruits de ]a substitution. II est A noter que cet envoi
en possession n’est que provisoire et que ]a loi n’a mnme pas 6t6 jusqu’A
exiger ]a restitution definitive au profit de I’appek. Sans. doute peut-on
soutenir qu’elle ne pouvait le faire puisque jusqu’A rouverture pr~vue le droit
de l’appel6 n’est qu’6ventuel. Ainsi ]a loi se trouve prise A son propre pi~ge
i raison de ]a nature de ces droits conditionnels superpos6s et concurrents.
Si l’on ne peut que s’incliner devant cette rigueur logique, il est permis tou-
tefois d’en regretter l’existence.

Enfin, a l’incertitude que ]a substitution engendre dans le domaine des
affaires, c’est-4-dire du credit, s’ajoute 6galement et par-dessus tout le fait
que, en soi, et en fonction de l’tablissement d’une simple volont6 individuelle,

No. 2]

LA SUBSTITUTrON FIDEICOMMISSAIRE

169

un ordre successoral est 6tabli pour au moins deux g~nrations. La substitu-
tion produit ainsi au point de vue 6conomique le gel de la circulation des
biens, principe anti-6conomique. La situation est tellement grave que dj.
en 1936 Me Venne signalait que plus de deux cent bills priv~s avaient
t6
octroy~s par la l6gislature de la Province de Quebec pour accorder au grev6
des pouvoirs que l’acte constitutif ne lui accorde pas. C’est sans doute IA un
bienfait, mais force est de reconnaitre que c’est une situation plut6t regret-
table qui met en 6vidence les lzardes de l’institution.

Destin~e peut-6tre 5. 6viter des procs dans les families la substitution est

devenue en fait une source de proc~s regrettables.

Supprim6e, cette institution devrait 8tre remplac~e par l’introduction d’une

r6serve canadienne-franqaise.

THE McGILL
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in this issue Seizin in the Quebec Law of Successions

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