Article Volume 39:4

Essai sur le rapport entre la société par actions et ses dirigeants dans le cadre du Code civil du Québec

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McGILL LAW JOURNAL

REVUE DE DROIT DE McGILL

Montrdal 1994
Volume 39 No 1
Essai sur le rapport entre la soci&t par actions et ses dirigeants

dans le cadre du Code civil du Quibec

Caroline Pratte

The joint stock company (sociNd par actions) is an important
institution in Quebec law. However, an analysis of this institution
often proves to be difficult because the applicable principles are not
clearly defined either in legislation or in the Civil Code of Lover
Canada. In fact, since the codification of 1866, Quebec company
law has developed with little reference to civil law concepts. In the
author’s opinion, this is due most notably to the use of English law
as suppletive law by Quebec courts. This practice is not without
consequence, since the concepts governing the operation of the cor-
poration under English law are not well-suited to the civil law
appoach to company law, which can lead to difficulties, particu-
larly with respect to the nature of the relationship between the com-
pany and its directors and officers. However, the Civil Code of Que-
bec seems to remedy this situation.

In this article, the author attempts, first, to set Out the concep-
tual framework within which the legal analysis of the company
should take place. To do this, she begins by examining the history
of company law to understand why the English common law was
used as suppletive law in Quebec. She examines how the Civil
Code of Quebec clarifies the situation by introducing amendments
which establish clearly that the civil law is the law applicable to
comanios. These changes am manifested as much by the declara-
tion of the suppletive role of the Civil Code of Quebec in all matters
of private law, as by the provisions relating to moral persons and
the administration of the property of another.

Once the company is situated within a civil law conceptual
framework, it is possible to analyze the relationship between the
company and its directors and officers. In the second part of the
text, the author explains how this relationship underwent an impor-
tant transformation in French law, passing from the classic concep-
tion of representation to the recognition of the autonomy of the
power of the organes of the company. Drawing inspiration from
French law and invoking the notions of organe and of representa-
tion found in the Civil Code of Quebec, the author submits that it
is possible to redefine the relationship between the company and its
directors and officers within the framework of the civil law tbrorie
do pouvoir.

The author goes on to analyze the limits imposed on the exer-
cise of the power of the organes and of the directors and officers of
a company. She notes that, while the Civil Code of Quebec imposes
certain fundamental obligations on these actors, it provides several
mechanisms of control in order to protect the interests of the com-
pany. These mechanisms am necessary because the patrimony of
the company is affected directly by the actions of its organes and
its directors and officers.

La soci&6 par actions est une institution importante do droit
qudhdcois. Cependant, son dtde saest parfois avdr6e ardue, car ls
principes qil s’y appliquent no soot pas clairement ddfinis ni das
ls lois paticulihres ni dans le Code civil du Bas-Canada. En effet,
depuis la codification de 1866, le droit des socidtls par actions au
Qudbec s’est d6velopp6 en marge des concepts du droit civil. Selon
l’ateuro, cela est da notanment a I’utilisation, par les tribunaux
qudb6cois, du droit anglais commo droit suppl6tif. Cat emprunt
n’est pas sans consdquence, car le concepts rehatifs au fonctionne-
ment de Ia corporation do dit anglais no soot ps bien adaptds aux
approches civilists du droit des sociltds par actions, ce qui peut
engendrer des difficultds, particuniirement quant a la d6finition du
rapport entre la socit6 par actions et ses dirigeants. Le Code civil
di Quibec semble toutofois permettro de rem6dier h cette situation.
L’auteuro tente, dans one premibre patie, d’itablir le cadre con-
ceptoel de I’tude de la socidt6 par actions. Ello se ponche d’abord
sur I’historiqu du droit de Ia socit6 par actions aim de com-
prendre pourquoi on en est veau i utiliser le droit anglais comme
soorce de droit suppldfif au Quebec. Pois, elle examine comment lo
Code civil du Quibec clarifie ]a situation en introduisant des chan-
gements qi permettent dd’tablir claitnment quo le droit applicable
x ocilts par actions est lo droit civil. Ces changements so mani-
festent tam par I.nonciatin du rbi suppldtif do Code civil do
Qutbec poor tote matibr do drit privd, qu par diversos disposi-
tions relativos aus porsonnos morals at is l’admioistration do bien
d’atrui.

A partir do moment ohs Ia soci&6 par actions pout Eire replac6e
dans un cadre conceptul civiliste, il est possible d’6tudier le rap-
port qu’elle entretient avec sea dirigeants. Dans one deoxibme par-
tie, I’auteore explique qu’en droit frangais, cc rapport a subi one
importanto mutation, conqu d’abord selon Ia conception classique
de reprdsentation pour I’Etr ensoite solon I’autonomie do pouvoir
des organes de ]a socidt6. En s’inspirant do droit franais et en uti-
lisant les notions d’organe et de reprlsentation quo I’on retrouve
dans Ic Code civil d Quibec, l’auture soutient qu’il est possible
de reddfinir lo rapport entre la soci&6 par actions et ses dirigeants
dans le cadre de la thdorie civiliste do pouvoir.

L’ateure analyse ensuite los limits imposaes aux organs et
asx didgeants des socidt6s par actions dans I’exercice des pouvoirs.
Elie constate, d’une par, qu
le Code civil du Qubec lear impose
certains obligations fondamontales, et que, d’autre part, plsiaurs
mdcanisms de contr6le sont pr6vus afm de prot6ger los intdrits de
la socidtd par actions. Ces mdcanismes s’avhrent ndcessaires
puisque le patrimoine de la socidt6 par actions est directement
affect6 par ls actes posds par ses organs et dirigeants.

L’autenre conclt quo I’tude de la socidt6 par actions pourra

dlsormais Etre faite dans le cadre do droit civil grlce, entre autres,
aux modifications introduits par le Code civil du Qudbec. Cette
impor tante rdforme permettra de piser 4 m~me les sources do droit
civil plut6t quo d’emprunter systdmatiquement des techniques et
qualifications propres au droit anglais.

In conclusion, the author suggests that analysis of the joint
stock company can henceforth be conducted within a civil law
framework due, in part, to the modifications brought to this area by
the Civil Code of Quebec. This important reform will permit the use
of civil law principles in this area, eliminating the need to system-
atically borrow techniques and terminology unique to English law.

* LL.B. (droit civil), Universit6 Laval; LL.B. (common law), Universit6 McGill; LL.M., Univer-

site McGill.
Revue de droit de McGill,
McGill Law Journal 1994
Mode de rdf6rence: (1994) 39 R.D. McGill 1
To be cited as: (1994) 39 McGill L.J. 1

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 39

Sommaire

Introduction
I.

Le cadre conceptuel de l’6tude de la soci~t6 par actions
A. L’tat actuel du droit de la socit6 par actions

1. Les sources du droit de la soci~t6 par actions

a. La codification de 1866
b. L’ volution lMgislative
Le module conceptuel du droit anglais
a. Le contenu du modele conceptuel du droit anglais

2.

i. L’obligation fiduciaire
ii. Le devoir de gestion

b. L’application du modile conceptuel du droit anglais en

droit qubicois

B. La redefinition du cadre conceptuel dans le Code civil du Quebec

1. Le caract~re suppl~tif du droit civil
2.

Le nouveau cadre de r~f6rence du droit de la soci6t6 par actions
et de son rapport avec ses dirigeants
a. La personnalitg morale

i. L’application du titre, <>, h la

soci6t6 par actions

ii. Les attributs de la personnalit6 morale

(1) La capacit6 de jouissance de droits subjectifs
(2) L’ existence d’ un patrimoine autonome

b. L”administration du bien d’autrui

i. L’application du titre, <>, aux dirigeants de la soci6t6 par actions

ii. La th~orie du pouvoir en droit priv6

II. Les pouvoirs des organes et des dirigeants de la soci~t6 par actions

A. L’attribution de pouvoirs
1. De la representation
2.

l’autonomie du pouvoir

Les pouvoirs du conseil d’administration et des dirigeants de la
socidt6 par actions au Quebec
a. Le pouvoir propre du conseil d’administration
b. Le pouvoir de reprisentation des dirigeants

B. Les consiquences de l’attribution de pouvoirs

1. L’exercice de pouvoirs

a. L”obligation de respecter les limites des pouvoirs
b. L’obligation de diligence et de prudence
c. L’obligation de loyaiut6
Le contr6le de l’exercice de pouvoirs
a. La reddition de compte
b. La responsabilitg civile de l’administrateur dii bien

2.

d’autrui

c. La thiorie de l’abus de pouvoir

Conclusion g~n~rale

1994]

LA SOCIJTt PAR ACTIONS ET SES DIRIGEANTS

3

Introduction

L’tude du droit de la soci&t6 par actions1 au Quebec est complexe, vu la
dualit6 du droit commun2 et la coexistence des rdgimes provincial et f~d~ral de
constitution de soci~t~s par actions. Ces deux rdgimes laissent une grande place
au droit suppl6tif, notamment quant au rapport entre la soci~t6 par actions et ses
dirigeants3.

En droit anglais4, le rapport entre la corporation5 et ses dirigeants est tr~s
d6velopp6. Ii est fond6 sur le concept de la fiduciary relationship, ou relation
fiduciaire, 6tranger au droit civil. Cette relation soumet chaque dirigeant t une
obligation de loyaut6 envers la coiporation. Nous avons cherch6 en vain l’exis-
tence d’une obligation 6quivalente dans le droit civil qub6cois.

Notre recherche nous a permis de constater l’absence, dans l’6tat actuel du
droit qu~b6cois, d’une qualification du rapport entre la soci6t6 par actions et ses
dirigeants qui satisfasse aux exigences de fonctionnement de celle-ci.

En effet, le droit qu6b6cois envisage simultan6ment deux qualifications du
rapport entre la soci6t6 par actions et ses dirigeants : celle de fiduciaire selon le
droit anglais et celle de mandataire, telle qu’elle est connue dans le Code civil
du Bas-Canada. Parfois m~me, on cumule ces deux qualifications6 . Or, on con-
nalt l’importance de la qualification en droit civil : elle d6termine le r6gime juri-
dique et renvoie au droit suppl6tif.

‘Nous employons 1’expression > dans son sens g6n6rique, telle qu’elle est
connue en droit civil. Voir l’art. 1864, al. 4 C.c.B.-C. et l’art. 2188 C.c.Q. Elle inclut la compagnie
constitu6e en vertu de la Loi sur les compagnies, L.R.Q. c. C-38 [ci-apr6s L.C.Q.] et la soci6t6 par
actions constitu6e en vertu de la Loi sur les socijtjs par actions, L.R.C. 1985, c. C-44 [ci-apr~s
L.S.A.].
2Sur la dualit6 du droit commun au Qu6bec, voir J.E.C. Brierley, > dans Milanges Louis-Philippe Pigeon, Montr6al, Wil-
son et Lafleur, 1989, 109.
3Nous employons l’expression > pour d6signer uniquement les personnes qui assu-
ment une fonction 6lective au sein de la soci6td par actions. Nous excluons de cette d6finition les
employ6s en position d’autorit6 ou employ6s cadres qui sont li6s A la soci6t6 par actions par un
contrat de travail bien qu’ils assument souvent, en plus, une fonction elective. Nous n’envisageons
pas non plus le cas du dirigeant de facto qui exerce une fonction 61ective sans avoir 6t6 r6guli6-
rement dlu.
4Nous employons l’expression > pour reprdsenter la famille du droit de tradition
anglaise comprenant le droit d’Angleterre et les droits qui se sont d6velopp6s A partir de ce module,
par exemple aux ttats-Unis ou dans les provinces canadiennes autres que le Qu6bec. Le droit
anglais se distingue conceptuellement du droit civil appliqu6 dans la famille de droit romano-
germanique. Voir, quant A la distinction entre ces deux familles juridiques, R. David, Les grands
syst~mes de droit contemporain, 10′ dd. par C. Jauffret-Spinosi, Paris, Dalloz, 1992 au n 16 et s.
5Nous employons l’expression ocorporation>> dans son sens g6n6rique, telle qu’elle est connue
6Selon M. Martel et P. Martel:

en droit anglais pour l’opposer A la soci&6t par actions du droit civil.

L’administrateur occupe un poste de quasi-fiduciaire vis-4-vis de la compagnie, en ce
sens qu’il est charg6 de Ta conservation et de la pr6servation de son patrimoine et de
ses int6r~ts. I1 doit s’efforcer d’accroitre et de faire fructifier ce patrimoine et d’agir
dans l’int6r& de la compagnie ; en ce sens, on peut dire qu’il est mandataire de la corn-
pagnie (La compagnie du Quibec : Les aspects juridiques, Montr6al, Wilson et Lafleur,
1993 aux pp. 493-94).

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 39

L’absence d’une qualification ad6quate du rapport entre la soci6t6 par
actions et ses dirigeants nous a amen6e t consid6rer, dans un premier temps, les
sources du droit qu6b6cois de la soci6t6 par actions. Or, l’interpr6tation de ces
sources et du r6le de l’ttat dans la formation de la socidt6 par actions semble
avoir conduit A envisager le droit applicable A cette soci6t6 dans le cadre con-
ceptuel du droit anglais.

Cette pratique entraine notamment la difficult6 de qualifier de fagon satis-
faisante, en droit civil, le fonctionnement de la socidt6 par actions ainsi que son
rapport avec ses dirigeants. Nous croyons n6anmoins qu’il est possible d’effec-
tuer cette qualification. Pour ce faire, il faut mettre fin A tout emprunt au droit
anglais dans ce domaine et red6fimir le cadre conceptuel de la soci6t6 par actions
A partir de notions signifiantes pour le droit civil. Nous nous sommes inspir6e
du Code civil du Quebec7, adopt6 le 18 d6cembre 1991, et dont l’entr6e en
vigueur 6tait fix6e au 1″ janvier 19 9 4 ‘. I1 r6tablit le cadre conceptuel de la
soci6t6 par actions en droit civil et semble pr6venir tout emprunt aux concepts
de droit anglais. I1 tend 6tablir la th6orie de la personnalit6 morale propre aux
juridictions civilistes. De plus, il codifie et organise la notion de pouvoir de
nature priv6e au sein d’un nouveau titre intitul6 De l’administration du bien
d’autrui>.

Les effets de la personnalit6 morale et de l’attribution de pouvoirs nous ont
permis, dans un deuxi~me temps, de tirer les 616ments th~oriques n~cessaires a
la qualification du rapport entre la soci6t6 par actions et ses dirigeants de fagon
A satisfaire les exigences de son fonctionnement.

Les sources frangaises de notre droit priv6 sont connues, mais elles ont eu
peu d’influence sur le d6veloppement qu~b6cois de la soci&t6 par actions. I1
s’av~re utile de s’inspirer de la th~orie frangaise de la personnalit6 morale et du
pouvoir en droit priv6 afin d’approfondir les notions n~cessaires A la qualifica-
tion du rapport entre la soci6t6 par actions et ses dirigeants, notions qui sont
d’ailleurs codifi6es dans le Code civil du Qubec.

La pr6sentation de cette nouvelle approche d6nonce une politique d’em-
prunt 6tablie et semble embrouiller les assises juridiques actuelles. On nous
reprochera d’avoir expos6 des difficult6s sans parvenir h les rdsoudre, mais lA
n’6tait pas notre but. L’objectif de cet article est plut6t de d6finir le cadre con-
ceptuel du droit de la soci6t6 par actions afin d’envisager une qualification satis-
faisante du rapport entre la soci6t6 par actions et ses dirigeants qui ne n6cessi-
tera plus le recours aux concepts de droit anglais.

I. Le cadre conceptuel de l’6tude de ]a socidt6 par actions

Au Qu6bec, la personnalit6 morale fait partie de la branche du droit corpo-
ratif et est life, plus particulitrement, A l’6tude de la soci6t6 par actions. Cette
derni~re 6tant assimil6e h la corporation du droit anglais, il en r6sulte un r6flexe
de recourir au cadre conceptuel de ce droit. Cet automatisme a permis l’impor-

7L.Q. 1991, c. 64.
8D. 712-93, G.O.Q. 1993.11.3589.

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LA SOCISTP PAR ACTIONS ET SES DIRIGEANTS

tation de principes 6trangers au droit civil, notamment quant au rapport entre la
soci6t6 par actions et ses dirigeants (A).

I est souhaitable de red6finir le cadre conceptuel du droit de la soci~t6 par
actions selon des notions civilistes. Le Code civil du Quebec nous invite t le
faire. Sa disposition pr6liminaire 6nonce que le droit civil est l’unique droit sup-
pl6tif pour toute matiere de droit priv6 et permet d’6tablir la th6orie de la per-
sonnalit6 morale en droit qu6b~cois sans recourir au droit anglais. L’6tude des
principaux attributs de la personnalit6 morale permet d’envisager le rapport
entre la soci6t6 par actions et ses dirigeants (B).

A. L’itat actuel du droit de la socigt6 par actions

Au Qu6bec, l’analyse traditionnelle des sources du droit de la soci6t6 par
actions a port6 A consid6rer le droit anglais comme 6tant le droit commun appli-
cable A cette soci~t6 et t appliquer des r~gles similaires a celles des juridictions
avoisinantes (1).

La conception de la soci6t6 par actions A partir du droit anglais emp~che
le droit qu6b6cois de recourir aux qualifications propres au droit civil. Elle
introduit A leur place des notions et des m6canismes difficilement compatibles
avec ceux du droit civil, voire peu compr6hensibles, dans une juridiction de
droit priv6 civiliste (2).

1.

Les sources du droit de la soci6t6 par actions

En se basant sur l’intelpr&ation des codificateurs du Code civil du Bas-
Canada quant au r6le de lEtat dans la formation de la soci6t6 par actions (a)
et sur l’origine anglaise des lois constitutives de soci6t~s par actions (b), on a
soutenu que 1’6tude de la soci6t6 par actions relevait du droit anglais plut6t que
du droit civil9.

a. La codification de 1866

Notre droit priv6 est fond6 sur le droit civil frangais, plus parficuli~rement
sur la Coutume de Paris dont l’application fut d6cr6t6e en 1663″. A la suite de
la conquate de la Nouvelle-France par l’Angleterre, l’unit6 de notre droit devait
8tre boulevers6e. L’Acte de Quebec de 1774″ d6cr6ta que le droit commun dans

9 Voir a ce sujet le rcent article de M. Cantin Cumyn, (1990) 31 C. de D. 1021. Le texte de la prsente sous-section est inspir6 de cet article
et des sources qui y sont cities. Voir 6galement Y. Caron, < dans J.S. Ziegel, dir.,
Studies in Canadian Company Law – Etudes sur le droit canadien des compagnies, vol. 1, Toronto,
Butterworths, 1967, 102; L. Lilkoff, < (1966)
44 R. du B. can. 443 a la p. 461.

10> dans Edits et Ordonnances royaux,
Declarations et Arr~ts du Conseil d’Etat du Roi concernant le Canada, vol. 1, Qu6bec, 1854
la
p. 37, cit6 par Cantin Cumyn, ibid. a la p. 1025. La Coutume de Paris ou l’ancien droit frangais,
telle que cette expression est comprise au Qu6bec, s’oppose au nouveau droit civil frangais intro-
duit par le Code Napolgon.

“An Act for Making More Effectual Provision for the Government of the Province of Quebec

in North America (R.-U.), 14 Geo. 3, c. 83.

McGILL LAW JOURNAL

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le domaine du droit public serait d6sormais le droit anglais tandis qu’en droit
pr’v6, le droit commun r6sultant de l’interpr6tation de 1’expression oproperty
and civil rights>> demeurerait le droit civil. C’est donc A juste titre que les codi-
ficateurs s’inspir~rent des sources frangaises, notamment de la Coutume de
Paris”, lors de la r6daction du Code civil du Bas-Canada.

Cependant, le d6veloppement du droit de la soci6t6 par actions s’est effec-
tu6 par le biais du droit anglais plut6t que du droit frangais. En effet, le titre VI
du livre premier du Code civil du Bas-Canada intitul6 Des corporations> 13 ne
connaissait pas de contrepartie dans le Code Napolgon. Toutefois, cette absence
ne forgait pas n6cessairement les codificateurs A ignorer l’existence de la th6orie
de la personnalit6 morale. De cette absence d’6quivalent dans le Code Napolgon
et du nombre important de r6f6rences aux auteurs de tradition anglaise par les
codificateurs”4 , Yves Caron a d6jA observ6 qu’il s’est d6velopp6 une opinion
selon laquelle ce titre codifiait le droit d’Angleterre concemant la corporation5.
Pourtant, les codificateurs ont 6voqu6 leur souci de 16gif6rer uniquement
quant A des entit6s r6gies par le droit civil : L’on sent qu’il a fallu se contenter
uniquement des corporations qui tombent sous le contr6le du droit civil; celles
r6gies par le droit public et administratif n’6tant pas du ressort des Commis-
saires>>6 . Les articles 355 et 356 du Code civil du Bas-Canada le refl~tent expli-
citement, le titre, Des corporations>, se voulant le r6gime suppl6tif des per-
sonnes morales de droit priv6 7.

Concurremment au titre, Des corporations>, les codificateurs ont r6dig6 le
titre onzi~me, De la socit6, embrassant ainsi toute la mati6re des soci6t6s
tant civiles que commerciales”8. La soci6t6 par actions se retrouve parmi les
soci6t6s commerciales.

Lors de cette r6daction, les codificateurs se sont fond6s sur le Code de
commerce franqais de 1808″9. Ce code permet la cr6ation de deux sortes de
soci6t6s par actions : la soci6t6 en commandite par actions et la soci6t6 ano-

12Contrairement au Code Napolion, le C.c.B.-C. maintient l’ancien droit frangais, t moins d’une

disposition expresse contraire ou incompatible. Voir

‘art. 2712 C.c.B.-C.

3 Code civil d Bas-Canada : Premier, second et troisime rapport, Qu6bec, Desbarats, 1865 a

la p. 228 [ci-apr6s Rapport des codificateurs].

14Notamment Blackstone, Warton, Grant, Arnold et Wickstead.
‘5 , supra note 9. Voir Senez c. Chambre d’immeuble de Montrial, [1980] 2
R.C.S. 555 A la p. 561 et s., 35 N.R. 545 [ci-apr~s Senez avec renvois aux R.C.S.].

A titre d’illustration r6cente, voir le commentaire de A. Laverdi~re : L’origine anglaise de notre
droit corporatif n’est pas mise en doute ; le terme ‘corporation’ utilis6 a’ Qu6bec comporte une
signification 6quivalente tant en Angleterre qu’en Amdrique du Nord, y compris dans les autres
provinces du Canadaw> (Disparition du mot ‘corporation’ dans le droit civil du Quebec – Rd-
flexions et commentaires

(1989) 49 R. du B. 851 A la p. 861).

‘ 6Rapport des codificateurs, supra note 13 t ]a p. 230.
‘7Ibid.
18Code civil du Bas-Canada : Cinquiame, sixidme et septidme rapport, Qu6bec, Desbarats, 1865

a lap. 25 et s.

‘9J.G. Locr6, La lMgislation civile, commerciale et criminelle de la France : Code de commerce
frangais, t. 1, livre 1 – Du commerce en giniral, t. 17, Paris, Treuttel et Wiirtz, 1829 [ci-aprs Code
de commerce frangais].

1994]

LA SOCIIT] PAR ACTIONS ET SES DIRIGEANTS

7

nyme. La creation de la socidt6 en commandite par actions est permise sans
intervention 6tatique, car il y a dans celle-ci un commandit6 personnellement
responsable de ses dettes. La creation de la socitt6 anonyme, quant . elle, est
soumise t l’autorisation de l’ttat, car aucun associ6 n’est personnellement res-
ponsable au-delh de son appor .

L’expression <'socitt6 anonyme>> rompt avec l’ancien droit frangais oii elle
dtsignait une association en participation. Les codificateurs du Code civil du
Bas-Canada ont substitu6 l’expression <> h <> afin d’6viter la confusion avec la notion de l’ancien droit frangais, qu’ils
ont prtservte dans le Code civil du Bas-Canada22 . Cependant, les codificateurs
n’ont pas exclu le concept juridique que reprtsente la soci6t6 anonyme fran-
9aise. En effet, la soci6t6 par actions du Code civil du Bas-Canada est une per-
sonne morale t responsabilit6 limitte comparable h la socitt6 anonyme du Code
de commerce fi-angais.

Selon l’article 1864, deuxi~me alin6a du Code civil du Bas-Canada, le
titre, , constitue le droit supplttif applicable h toutes les socitt6s,
y compris la socidt6 par actions. On peut en conclure que le droit supplttif est
le droit civil. On peut douter que les codificateurs aient voulu faire la distinction
entre deux entit6s 16gales d’utilit6 similaire, l’une rdgie par le droit anglais, l’au-
tre par le droit civil. Si ce n’6tait que de l’interprttation du Code civil du Bas-
Canada, il y aurait lieu de conclure que les codificateurs ont l6gift6 en mati~re
de droit priv6 et que le titre, <>, 6nonce les principes du droit
civil concemant la personnalit6 morale”. Ainsi, le droit suppl6tif applicable h
la socitt6 par actions serait le droit civil. Seulement, la n~cessit6 de l’interven-
tion 6tatique pour la creation de la soci6t6 par actions a renforc6 l’opinion vou-
lant qu’elle soit une crdation du droit public, son 6tude relevant alors du droit
anglais 4.

A l’6poque de la codification, la cr6ation de la personnalit6 juridique de la
socidt6 par actions ddpendait de la volont6 de l’Itat. La technique utilisde dans
le Code civil du Bas-Canada correspondait h celle utiliste en Angleterreu. I1 en
6tait de meme en France, bien que, d~s le 24 juillet 1867, le 16gislateur reconnut
la libert6 totale de creation de la soci6t6 anonyme sans intervention 6tatique2 6.

20Code de commerce frangais, art. 19, 29 et s.
21G. Ripert, Traitg de droit commercial, t. 1, 14! 6d. par R. Roblot, Paris, Librairie gtntrale de

droit et de jurisprudence, 1991 au n 1002.

22Voir I’art. 1864, al. 2 C.c.B.-C.; Rapport des codificateurs, supra note 13 A la p. 31.
23Une certaine jurisprudence s’est dtveloppte en ce sens. Voir Lamontagne Lte. c. Girard
(1911), 39 C.S. 179 ; Windsor Hotel c. Date (1881), 27 L.C. Jur. 7 (C.S.) cit6 dans J. Smith, <> (1973) 75 R. du N. 530 a la p. 536.
24Voir notamment l’opinion de P.-B. Mignault, Le droit civil canadien, t. 2, Montreal, Whiteford
et Thdor&, 1896 a lap. 327 ; F. Langelier, Cours de droit civil, t. 2, Montreal, Wilson et Lafleur,
1906 a lap. 59 ; G. Trudel, Traiti de droit civil du Quebec, t. 2, Montral, Wilson et Lafleur, 1942
A la p. 453.

25Cantin Cumyn, <, supra note 9
la p.
1029.26Loi du 24 juillet 1867 sur les socigtis, D.P. 1867.4.98, art. 21 [ci-apr~s Loi du 24 juillet 1867];
Ripert, supra note 21 au n 1005.

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Pourtant, les codificateurs ont conc6d6 que bien que les soci6t6s par
actions soient cr66es par l’ttat, [u]ne fois cr66es, elles deviennent des per-
sonnes morales etfictives, capables de certains droits et privileges et tenues A
certains devoirs et obligations>>27. Le Rapport des codificateurs sur le titre,
Des corporations>>, semble avoir laiss6 planer un doute quant au droit r6gis-
sant le rapport interne de la soci~t6 par actions avec ses dirigeants. Les codi-
ficateurs ont expliqu6 qu'[u]ne fois cr66es et organis6es>>2 , les soci6t6s par
actions deviennent des 8tres fictifs dont les r~gles visant leur rapport avec les
autres membres de la socit6>29 trouvent leurs fondements en droit civil. Cer-
tains en ont conclu que la cr6ation de la soci6t6 par actions et son rapport
interne avec ses dirigeants relevaient du droit public alors que ses rapports
extemes avec des personnes ou des biens 6taient r6gis par le droit civil3″.

R6cemment, la doctrine qu6b6coise a expliqu6, selon la th6orie de la fic-
tion, l’intervention de l’Etat dans la creation de la soci6t6 par actions comme
6tant un ph6nom~ne
i6 au d6veloppement de la personnalit6 morale en droit
civil”. La n6cessit6 d’une intervention 6tatique pour la cr6ation d’une per-
sonne morale est invoque, depuis la R6publique de Rome, afin de contr6ler
l’existence et les activit6s des groupements d’individus32 . Pour ce faire, 1 Etat
les dote de la personnalit6 juridique et leur donne des droits reconnus
la per-
sonne physique. C’est ainsi que la personnalit6 morale est qualifi6e de fiction.
A l’6poque de la codification, la th6orie de la fiction pr6valait tant dans les
juridictions de droit civil que dans celles de droit anglais. Qu’elle ait t6 pr6-
vue au titre, Des corporations>>, n’est donc pas incompatible avec le cadre
conceptuel civiliste.

Par ailleurs, t la m~me p6riode, se d6veloppait en France une l6gislation
sp6cifique A la soci6t6 anonyme, soit la Loi d 24 juillet 1867. Cette loi a 6t6
modernis6e par une s6rie de lois particuli~res jusqu’h la legislation actuelle, la
Loi du 24 juillet 1966″. Cette l6gislation r6git la creation, le fonctionnement
et la dissolution de la soci6t6 anonyme. Elle repose sur des notions de droit
civil, mais elle a eu peu d’influence sur l’analyse de la socit6 par actions au
Qu6bec.

21Rapport des codificateurs, supra note 13 A la p. 228.
28Ibid.
291bid.
30Voir R.L. Beaulieu qui est de cet avis (La capacit6, les objets et les pouvoirs des corporations
dans le Quebec>> dans J.S. Ziegel, dir., supra note 9, 207 A lap. 208). Voir 6galement R. Gaudreau,
qui fait 6tat de cette ambigult6 dans > (1982) 42 R. du B. 485 aux pp. 508-509.
31Cantin Cumyn, Les personnes morales dans le droit priv6 du Qu6bec>>, supra note 9 aux pp.
1027-30; M. Liz6e, Deux fictions de droit corporatif> (1983) 43 R. du B. 649. Voir dgalement
en droit frangais Ripert, supra note 21 au n 682.

32Cantin Cumyn, ibid.
33Loi n- 66-537 du 24 juillet 1966, J.O., 26 juillet 1966, 6402, Gaz.Pal. 1966. 2 sem. Ldg.59
[ci-apr~s Loi du 24 juillet 1966] pr6voit deux types facultatifs de soci6t6 anonyme qui se dis-
tinguent par leur fonctionnement. Au type traditionnel de ]a soci6t6 A conseil d’administration
s’ajoute la soci6t6 A directoire inspir6e du droit allemand. tEtant donn6 ]a similarit6 de fonctionne-
ment entre la soci6t6 A conseil d’administration et la soci6t6 par actions connue en droit qu~b6cois,
seule cette derni~re est 6tudi6e dans le present essai. Voir Ripert, supra note 21 au n 1258.

1994]

LA SOCETt PAR ACTIONS ET SES DIRIGEANTS

9

b. L’ evolution lggislative

Au Qudbec, il existe une loi gdn6rale, la Loi sur les compagnies 4, qui
pourvoit h la cr6ation, au fonctionnement et a la dissolution de la socit6 par
actions. De plus, une multitude de lois particuli~res r6gissent les soci6t6s par
actions et en prevoient 6galement la cr6ation, telle la Loi sur les compagnies
deflottage35. Depuis leurs origines, toutes ces lois se sont inspir6es de modules
appartenant h la famille du droit anglais. Elles ont d’abord suivi le module
lgislatif anglais pour etre ensuite influenc6es par la 16gislation amdricaine,
celle des autres provinces canadiennes ainsi que par la 16gislation f6d6rale36.
En outre, l’acte de conf6d6ration de 1867″7 a ajout6 une difficult6 a
l’6tude du droit qu6b6cois de la soci6t6 par actions en permettant 6galement a
l’autorit6 l6gislative f6d6rale de constituer des soci6t6s par actions ayant pour
objet l’exercice d’une activit6 dans un champ de comp6tence f6d6ral ou pro-
vincial pourvu, dans ce dernier cas, qu’elles n’aient pas l’intention d’agir dans
une seule province
. Puisque la l6gislation f6d6rale relive du cadre conceptuel
du droit anglais, les r~gles d’interpr6tation ainsi que les r~gles suppl6tives sont
puis6es a meme ce syst~me juridique.

Le Parlemeni f6d6ral a adopt6, en 1970, la Loi sur les corporations cana-
diennes39. I1 a par la suite effectu6 une refonte consid6rable de cette l6gislation
en 1975 et a adopt6 la Loi sur les corporations commerciales canadiennes40 .
En 1978, on a chang6 le nom de cette loi pour la Loi sur les socitis commer-
ciales canadiennes4″. Cette loi f6d6rale, plusieurs fois modifi6e, est maintenant
connue sous le titre Loi sur les socitis par actions. L’objet de cette loi est de
promouvoir l’uniformisation du droit de la soci6t6 par actions au Canada42 et
ses r~gles semblent appliqu6es uniform6ment au Qu6bec, tout comme ailleurs
au Canada.

Bref, l’emprunt au droit anglais semble 16gitim6 par l’origine anglaise de
la 16gislation concernant la soci6t6 par actions tant sous le r6gime f6d6ral .que

3La loi pr6voit quatre r6gimes diff~rents. La Partie I s’applique A la socidt6 par actions cons-
titu6e suivant l’6mission de lettres patentes, la Partie IA A celle constitude suivant le d6pbt de ses
statuts constitutifs, la Partie HE 4 celle cr6e par loi sp6ciale et la Partie 11I
la soci6t6 sans but lucra-
tif. Les art. 31 in fine (Partie 1) et 123.16 (Partie IA) L.C.Q. renvoient aux r6gles du Code civil
du Bas-Canada sur les corporations.

35L.R.Q. c. C-42.
36Cantin Cumyn, <>, supra note 9 aux pp.
1036-38. Voir l’historique de la 16gislation par Y. Renaud et J. Smith, Droit qudbdcois des corpo-
rations commerciales : Les corporations commerciales, vol. 1, Montr6al, Judico, 1974 au c. 1. Voir
dgalement Caron, <>, supra note 9 A la p. 103 et s.
37Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., c. 3, reproduit dans L.R.C. 1985, app.
II, n 5 [ci-apr~s Loi constitutionnelle].
3sLoi constitutionnelle, ibid., art. 91(2).
39L.R.C. 1970, c. C-32.
40L.C. 1974-75, c. 33. [ci-apr~s L.C.C.C.]. Cette loi a 6t6 adopt6e

la suite des recommandations
du groupe de travail pr6sid6 par R.W.V. Dickerson (Canada, Propositions pour un nouveau droit
des corporations commerciales canadiennes, Ottawa, Information Canada, 1971).

41L.C. 1978-79, c. 9.
42Art. 4 L.S.A.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 39

sous le r6gime provincial43. De plus, la pratique commerciale a accentu6 le
r6flexe de puiser a m~me les sources du droit anglais, voire de copier ses pr6-
c6dents. Enclav6 dans un monde de tradition anglaise, on a ainsi cru qu’il n’6tait
pas dans l’int6r& commercial du Qu6bec d’appliquer des r~gles de droit diff6-
rentes de celles des juridictions avoisinantes 4.

2.

Le mod~le conceptuel du droit anglais

Un regard sur l’61aboration du mod~le conceptuel de la corporation
anglaise qui a servi de fondement aux lois r6gissant la soci6t6 par actions au
Qu6bec permet de constater que celle-ci est fond6e sur des notions propres au
droit anglais (a). Cet emprunt conceptuel n’est pas sans cons6quence quant A
l’organisation du droit qu~b6cois concernant la soci6t6 par actions (b).

a. Le contenu du moddle conceptuel du droit anglais

La personnalit6 morale est conque par le droit anglais comme une excep-
tion qui ne r6sulte que de l’incorporation45 et qui s’oppose
la soci6t6 de per-
sonnes (ou partnership), laquelle, en droit anglais, n’est pas consid6r6e comme
une personne morale46.

Outre sa conception, le mod~le de fonctionnement de la personne morale
est le produit d’une 6volution historique propre au droit de l’Angleterre. II fait
appel t des notions dont on ne retrouve pas l’6quivalent en droit civil. Contrai-
rement A l’unit6 syst6mique qui caract6rise le droit civil, le droit anglais se dis-
tingue par la dualit6 de son syst~me juridique, la common law et l’equity. Bien
qu’en 1873 les deux syst~mes juridiques aient 6t6 r6unis par le Supreme Court
of Judicature Act, 1873″7, le droit anglais conserve aujourd’hui la distinction
historique entre les deux corps de r~gles de fond.

Le droit anglais a 6galement une conception de la propri6t6 marqu6e
par un d6doublement, soit le legal ownership, r6gi par la common law, et le
beneficial ownership, r6gi par l’equity. Ce d6doublement est n6 de l’61aboration
du trust, m6canisme auquel la l6gislation modeme relative a la corporation a
recours48 .

43C. Fortin, De la nature juildique de la fonction d’administrateur et d’officier en droit qudb6-
cois des compagnies>> (1970) 1 R.D.U.S. 129 aux pp. 143, 144, 147. Seules les parties I et IA de
la L.C.Q., ]a Loi sur les compagnies deflottage, supra note 35 et ]a L.S.A. sont 6tudi6es dans le
pr6sent essai A titre d’illustration de l6gislation constitutive de soci~tds par actions.

44M. Gigu~re d6nonce ce ph6nom~ne (Les devoirs des dirigeants de socit&s par actions, Qu6-
bec, Presses de l’Universit6 Laval, 1967 A la p. 14 et s.). Voir 6galement D.H. Sohmer, Protecting
the Minority Shareholder in Letters Patent Jurisdictions>> (1971) 31 R. du B. 388 a ]a p. 393.

45Voir Ripert:
(supra note 21 au n 683).

A lap. 19 et s.

4 6L.C.B. Gower, Principles of Modern Company Law, 5′ 6d., Londres, Sweet & Maxwell, 1992
47(R.-U.), 36 & 37 Vict., c. 66.
4 8D.W.N. Waters, Law of Trusts in Canada, 2′ 6d., Toronto, Carswell, 1984 aux pp. 3-16. Nous
trush> et selon leur sens courant au Qu6bec, sens qui se rapporte

employons les mots
&t l’institution du droit anglais.

1994]

LA SOCI]2T, PAR ACTIONS ET SES DIRIGEANTS

11

En 1720, un scandale relatif h la sp6culation sur des valeurs mobili~res
6elata en Angleterre. Cette affaire conduisit le Parlement britannique
r~agir
par l’adoption du Bubble Act”9, permettant l’incorporation uniquement par pr6-
rogative royale.

Le partnership fut toutefois exempt6 de l’application du Bubble Act. Afm
de profiter de cette exemption, les juristes anglais se sont pr6valus de la libert6
contractuelle du partnership pour cr6er une entit6 offrant des avantages simi-
laires t ceux de la corporation”. f1 s’agissait de l’unincorporated joint stock
company, dont 1’existence d6pendait de la conclusion d’un contrat de soci6t6, le
deed of settlement. Selon ce contrat, les investisseurs consentaient A devenir
associ6s et, en contrepartie de leur apport, chacun recevait un nombre fixe d’ac-
tions du capital-actions de l’unincorporated joint stock company”1 . Le deed of
settlement comprenait 6galement la cr6ation d’un trust expr~s. Or, 1’6tude du
droit anglais nous enseigne que le trust expr~s est l’institution par laquelle le
constituant dispose de certains biens en faveur d’un trustee et exprime son
intention que ceux-ci soient d~tenus par le trustee dans l’int6ret d’un b~n6fi-
ciaire. Le trustee d6tient un titre sur les biens faisant 1’objet du trust, le legal
title. I1 en est le v6ritable propritaire aux yeux de la common law. Seulement,
aux yeux de l’equity, le trustee d6tient ces biens pour le compte du bMn6ficiaire
a qui elle reconnalt l’equitable title.

Selon le m~canisme du trust expr~s, le deed of settlement prdvoyait le
transfert de la propri6t6 des biens de l’unincorporated joint stock company A un
ou plusieurs trustees. La personnalit6 juridique de la soci6t6 n’6tant pas recon-
nue en droit anglais, l’unincorporated joint stock company ne pouvait d6tenir un
titre de propri6t6. Les trustees d6tenaient le titre de propri&t6 des biens de
l’unincorporated joint stock company, le legal title, pour le compte des associ~s
qui, quant A eux, d~tenaient l’equitable title.

Le deed of settlement pr6voyait 6galement la d l6gation de certains pou-
voirs des associ~s A un conseil d’administration pour assurer la gestion des biens
de l’unincorporated joint stock company. Enfm, le deed of settlement pouvait
pr6voir le cumul des fonctions de trustee et de membre du conseil d’adminis-
tration, et les membres de ce conseil 6taient alors qualifi6s de mandataires
(agents) des associ6s.

Peu apr~s l’abolition du Bubble Act en 182552, 1ttat permit l’incorporation
de la joint stock company par l’enregistrement du deed of settlement 3 sans exi-

49An Act for Better Securing Certain Powers and Privileges Intended to Be Granted by His
Majesty by Two Charters for the Assurance of Ships and Merchandizes at Sea, and for Lending
Money upon Bottomry; and for Restraining Several Extravagant and Unwarrantable Practices
Therein Mentioned (R.-U.), 6 Geo. 1, c. 18 [ci-apr~s Bubble Act].

50Gower, supra note 46 A la p. 30.
5’Le deed of settlement pr6voit une restriction au transfert des actions puisque le Bubble Act

interdit le libre transfert de ces demnires. Voir Gower, ibid. A la p. 26.

52An Act to Repeal So Much of an Act Passed in the Sixth Year of His Late Majesty King George
the First, as Relates to the Restraining Several Extravagant and Unwarrantable Practices in the
Said Act Mentioned; and for Conferring Additional Powers upon His Majesty, with Respect to the
Granting of Charters of Incorporation to Trading and Other Companies (R.-U.), 6 Geo. 4, c. 91.
Voir 6galement Gower, ibid.

53An Act for the Registration, Incorporation and Regulation of Joint Stock Companies (R.-U.),

la p. 34..

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 39

ger 1’6mission d’une charte royale ou l’adoption d’une loi sp6ciale. En 1855, le
droit anglais reconnaissait la responsabilit6 limit6e des membres de la joint
stock companys . En 1856, 1’enregistrement d’un memorandum of association et
des articles fit substitu6 au deed of settlement5.

Puis, en 1896, le droit anglais commenga A s’61oigner de la conception con-
tractuelle de la joint stock company en reconnaissant sa personnalit6 autonome
et distincte de celle de ses membres56. Les membres du conseil d’administration
ont alors 6t6 qualifi6s de mandataires (agents) de la joint stock company 7.

En droit anglais, la doctrine de l’ultra vires contrrle la capacit6 de toute
corporation. Dans le cas de la corporation constiture par l’6mission d’une
charte royale ou de lettres patentes, sa capacit6 tend A 6tre aussi large que celle
d’une personne physique. Au contraire, dans le cas de la joint stock compa-
ny, incorporre suivant l’enregistrement de ses documents constitutifs, sa capa-
cit6 fiat limit6e A 1’6tendue des pouvoirs qui y 6taient pr6vus. Les actes excrdant
ces pouvoirs 6taient donc sans effet”. De plus, les documents constitutifs de la
joint stock company prrvoyaient la drlrgation de certains pouvoirs des action-
naires au conseil d’administration. Leur exercice 6tait contr6l6 par la doctrine
de l’ultra vires A laquelle se greffaient les r~gles du constructive notice et de
l’indoor management qui constituaient des exceptions aux principes g6n6raux
d’agency59.

En ce qui concerne le rapport interne entre toute corporation et les
membres de son conseil d’administration, il s’explique par la notion de devoir
(directors’ duties)’. Ce rapport comporte un double aspect, vu la dualit6 qui
caractrrise le droit anglais. En effet, chaque membre du conseil d’administration
a un devoir grnrral de loyaut6 envers la corporation (fiduciary duty) qui relive
de l’equity; on emploie 6galement l’expression <> pour
d6signer ce devoir (i). Par ailleurs, il a un devoir de gestion des biens de la cor-
poration qui relive de la common law (ii). L’analyse de ces devoirs doit prendre
en compte leurs sources distinctes.

7 & 8 Vict., c. 110.

19 Vict., c. 133.

54An Act for Limiting the Liability of Members of Certain Joint Stock Companies (R.-U.), 18 &
55The Joint Stock Companies Act, 1856 (R.-U.), 19 & 20 Vict., c. 47.
56Salomon c. Salomon & Co. (1896), [1897] A.C. 22 (H.L.).
57Gramophone & Typewriter Ltd. c. Stanley, [1908] 2 K.B. 89. Suivant quelques r6formes 16gis-
latives, 1’expression <> devient company>. Voir M. Lizde, oLe principe du
meilleur intrat de la soci6t6 commerciale en droits anglais et compar6> (1989) 34 R.D. McGill
653 A la p. 657.

55Ashbury Railway Carriage and Iron Co. c. Riche (1875), [1874-75] 7 A.C. 653 (14.L.).
59Gower, supra note 46 A la p. 165 et s.
6Commne le remarque J. Calais-Auloy:

La difference est surtout doctrinale: les auteurs de culture anglo-amrricaine mettent
I’accent sur les devoirs des administrateurs, ceux de culture frangaise traitent principa-
lement de la responsabilit6 des administrateurs. Dans ]a pratique, les deux attitudes se
rejoignent, tout devoir 6tant sanctionn6 par une responsabilit6, et toute responsabilit6
supposant la violation d’un devoir prrexistant (<> (1983) 71 Calif. L. Rev. 795. Voir aussi Gower, supra note

46 A la p. 550.

64Gower, ibid. A la p. 551 et s.
65 Ibid.

la p. 553 et s.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 39

En 1974, la Cour supreme du Canada, dans l’affaire Canadian Aero Ser-
vice Ltd. c. O’Malley66, r6it~re que 1’obligation fiduciaire commande la bonne
foi, la loyaut6 et l’absence de conflit d’int6r~ts et d’obligations. De plus, la Cour
6tend l’application de cette obligation aux dirigeants tels que d6finis dans la
L.C.C.C. et aux fonctionnaires sup6rieurs >, c’est-h-dire aux employ6s en posi-
tion d’autorit6 qui peuvent agir au nor de la corporation67 .

Aujourd’hui, la relation fiduciaire est reconnue comme une notion g6n6rale
qui s’applique par analogie au trust quant h l’objet de la relation lorsqu’une per-
sonne est dans l’obligation d’agir pour le compte d’une autre personne. Elle
constitue le fondement du r6gime d’administration du bien d’autrui du droit
anglais6″.

ii. Le devoir de gestion

Chaque membre du conseil d’administration est traditionnellement soumis
A un devoir de gestion des biens de la corporation, c’est- -dire un devoir d’agir
avec soin et habilet6 (duty of care and skill)69. Ce devoir ne d~coule pas de
1’equity, mais plut6t de la common law. Ainsi, l’analogie avec le trust n’est plus
pertinente. Le devoir de gestion peut etre pr6sent lors d’une relation fiduciaire,
mais il ne semble pas d6couler de celle-ci 6tant donn6 la dualit6 syst6mique du
droit anglais70 . Le civiliste ne doit pas oublier cette distinction lorsqu’il
emprunte A la tradition anglaise puisque le devoir de gestion et l’obligation fidu-
ciaire n’ont pas la m~me source et n’offrent pas les m~mes recours. Tradition-
nellement, la norme de conduite du membre du conseil d’administration est peu

66[1974] R.C.S. 592, 40 D.L.R. (3′) 371 [ci-apr~s Canaero avec renvois aux R.C.S.] (jugement
unanime de la Cour supreme du Canada rendu sous ]a plume de M. le juge Laskin). Voir dgalement
le jugement r6cent de M. le juge La Forest dans LAC Minerals Ltd. c. International Corona
Resources Ltd. :

La nature particuli~re de cette obligation [fiduciaire] peut varier seion les rapports con-
cem6s, bien que, sommairement, on puisse dire qu’il s’agit de l’obligation de loyaut6,
qui comprendra le plus souvent l’obligation d’6viter les conflits de devoir ou d’intdrts
et de celle de ne pas faire de profits aux d6pens du b~n6ficiaire ([1989] 2 R.C.S. 574
aux pp. 646-47).

Voir P.D. Maddaugh, Definition of Fiduciary Duty dans Law Society of Upper Canada, Fidu-
ciary Duties, Toronto, De Boo, 1991, 15.

67Canaero, ibid. A la p. 606 et s.
6SVoir Frankel, supra note 63 ; L.S. Sealy, > [1962] Camb. L.J. 69 ; E.J.
Weinrib, The Fiduciary Obligation>> (1975) 25 U.T.L.L 1; J.C. Shepherd, The Law of Fiduciaries,
Toronto, Carswell, 1981 aux c. 5-6; J.R.M. Gautreau, Demystifying the Fiduciary Mystique>
(1989) 68 R. du B. can. 1 ; le jugement de M. le juge Dickson dans Guerin c. R., [1984] 2 R.C.S.
335 aux pp. 383-84, 13 D.L.R. (4) 321 et celui de Mine le juge Wilson dans Frame c. Smith,
[19871 2 R.C.S. 99 A la p. 136, 42 D.L.R. (4′) 81.

69Gower, supra note 46 A la p. 585 et s.
7OVoir Shepherd:

The duty of care is basically a management duty. It requires that the person under this
duty, in performing certain actions, meets a specified minimum of skill, judgment,
competence, etc. The duty of care arises not only in fiduciary situations, but also in
contractual and tortious situations. In addition, we suggest that not all fiduciary rela-
tionships (consider the parent receiving a gift from his child) have related duties of
care. Our hypothesis […] is that the duty of care has absolutely no necessary connection
with fiduciary relationships (supra note 68 aux pp. 48-49).

1994]

LA SOCIET] PAR ACTIONS ET SES DIRIGEANTS

15

contraignante. I1 doit faire preuve d’un degr6 de soin et d’habilet6 auquel on
pourrait raisonnablement s’attendre de lui compte tenu de ses connaissances et
de son exp6rience7 ‘, sous peine de recours en dommages en vertu de la common
law.

Lors de la r6forme de la 16gislation f6d6rale en 1975, la L.C.C.C. a reconnu
les deux types de devoirs des dirigeants72 . Le 16gislateur consacra partiellement
les r~gles de droit concemant l’obligation fiduciaire et le devoir de gestion, lais-
sant les tribunaux puiser dans le droit suppl6tif anglais afm de d6terminer les
r~gles applicables73 .

Bref, le droit anglais a subi de nombreuses modifications74 . Cependant, il
demeure fond6 sur 1’6volution de l’unincorporated joint stock company et sur
le principe d’une d6l6gation de pouvoirs des actionnaires au conseil d’adminis-
tration en vertu des documents constitutifs. En droit anglais, les pouvoirs du
conseil d’administration rel~vent de l’organisation inteme de la corporation.
Toutefois, ni la 16gislation f6d6rale ni la 16gislation provinciale ne suivent cette
tendance. En effet, au Canada, la personnalit6 juridique est attribu6e par Ill tat
et les pouvoirs du conseil d’administration, par la loi 5 . N6ahmoins, on continue,
concevoir la soci6t6 par actions A partir du module 16gislatif
au Qu6bec,
anglais76.

b. L’application du modele conceptuel du droit anglais en droit quibdcois

Au Qu6bec, les personnes, les droits civils et la proprid6t6 sont r6gis par un
syst~me juridique unique, le droit civil, dont 1’dquit6 fait partie int6grante77 . Le
droit civil n’admet pas le d6doublement du droit de propridtd
. Ainsi, un cadre
conceptuel fond6 sur une dualit6 syst6mique 6trang~re au droit civil ne peut
manquer d’8tre difficile manier pour le juriste civiliste.

mer A la p. 424 et s.

7 1Re Equitable Fire Insurance Co. (1924), [1925] 1 Ch. 407. VoirlejugementdeM. lejuge Rob-
72Art. 117(1) L.C.C.C., maintenant l’art. 122 L.S.A.
73Propositions pour un nouveau droit des corporations commerciales canadiennes, supra note
40 au n* 19. Quant A l’obligation fiduciaire, cette loi rompt avec le droit ant6rieur. Elle abolit le
contr8le de la finalit6 de 1’exercice des pouvoirs. L’appr6ciation des meilleurs intdrets de la soci6t6
par actions est laiss6e A la discr6tion de celui qui agit pour elle. Le tribunal veille A appr6cier le
respect des meilleurs intdrets, tels que d6fimis par la personne qui agit pour la socidt6 par actions
(voir ibid. au n 239 et s.). Par ailleurs, le devoir de gestion est hauss6 h un standard minimum,
soit celui de l’administrateur raisonnablement prudent (voir ibid. au no 242). Contra B. Welling,
Corporate Law in Canada : The Governing Principles, 2! 6d., Toronto, Butterworths, 1991 h la p.
332 et s., qui affirme que seule l’intensit6 du devoir de diligence est augment6e.

74Voir Ripert, supra note 21 au n 1016.
75Welling, supra note 73 a la p. 318.
76Volr par ex. Martel et Martel: > (supra note 6 A la p. 593).
77Voir David, supra note 4 au n 113 et s. Voir 6galement R.A. Newman, Equity and Law: A
Comparative Study, New York, Oceana, 1961 ; B. Jeanneau, <> dans R.A. Newman, dir., Equity in the World’s Legal Systems: A Com-
parative Study, Bruxelles, tmile Bruylant, 1973, 223.

7SRoyal Trust Co. c. Tucker, [1982] 1 R.C.S. 250, 40 N.R. 361.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 39

La doctrine qu6b6coise situe la soci6t6 par actions dans la th~orie civiliste
de la personnalit6 morale. Cependant, on ne semble pas tirer de cette qualifica-
tion les 616ments th6oriques utiles h l’6tude de la socit6 par actions. On r6fnre
aux lois constitutives des soci6t6s par actions et on cultive le r6flexe de puiser
concurremment dans le cadre conceptuel anglais79 .

La capacit6 de la soci6t6 par actions d6pend, comme en droit anglais, de
son mode d’incorporation. La capacit6 de la soci6t6 par actions constitu6e par
l’6mission de lettres patentes tend A 6tre aussi vaste que celle de la personne
physique”. Cependant, en ce qui conceme la soci6t6 par actions cr 6e suivant
le d6p6t de documents constitutifs, sa capacit6 doit 8tre limit~e aux pouvoirs qui
y sont sp6cifi6s, telle la joint stock company du droit anglais. La doctrine
anglaise de l’ultra vires a 6t6 reque en droit qu6b6cois pour contr6ler l’exercice
des pouvoirs de la soci6t6 par actions” .

D’ailleurs, lors de l’adoption de la Partie IA de la L.C.Q., qui pr~voit un
r6gime d’incorporation par le d6p6t des statuts constitutifs, le 16gislateur qu6b6-
cois a dQ conf6rer de fagon ponctuelle une personnalit6 juridique quasi illimit~e
h la soci6t6 par actions pour tenter d’6viter l’application de la doctrine de l’ultra
vires82. A l’application de cette doctrine, le droit qu6b6cois ajoute la doctrine de
la lgalit6 des pouvoirs qui suppose la capacit6 de la soci6t6 par actions et qui
contr6le l’exercice par ses dirigeants de ses pouvoirs83 . Finalement, on y
retrouve l’application des r~gles de la constructive notice et de l’indoor mana-
gement qui sont import~es en droit qu6b6cois sous le couvert du mandat”.

De m~me, remprunt an droit anglais de la relation fiduciaire quant t l’ana-
lyse du rapport entre la soci6t6 par actions et ses dirigeants constitue une illus-
tration frappante de l’impasse dans laquelle se trouve le droit qu6b~cois. Vu cet
emprunt, le rapport entre la soci6t6 par actions et ses dirigeants ne semble pas
avoir pu 8tre expliqu6 de fagon satisfaisante par la doctrine qu6b6coise 5 .

79A. Boh6mier et P.-P. C6td, Droit commercial g~niral, t. 2, 3′ 6d., Montrdal, Th6mis, 1985 aux
pp. 5 et s., 37 et s. ; Martel et Martel, supra note 6 aux pp. 3 et s., 177 et s. ; A. Perrault, Traitg
de droit commercial, vol. 2, Montr6al, Albert Lvesque, 1936 aux n- 1036 et s., 1228 et s.; J.
Smith, Cours de droit commercial ggniral, vol. 2, Montreal, Centre d’ddition juridique, 1979 h ]a
p. 416 et s. ; Y.E. Lauzon et LL. Perron, Droit des compagnies et des socits, vol. 1, Montreal,
Th6mis, 1978 a la p. 15 et s.

8 Bonanza Creek Gold Mining Co. c. R., [1916] 1 A.C. 566 (P.C.).
81Voir Caron, De l’action r6ciproque du droit civil et du common law dans le droit des com-
pagnies de la Province de Qufbec> : I1 semble que cette doctrine [ultra vires] ait dt6 revue dans
le droit de la province de Qu6bec parce que les tribunaux sentaient le besoin d’assimiler le droit
des compagnies de Qu6bec h celui des juridictions de Common Law>) (supra note 9 a la p. 109).
82Art 1’23.29 L.C.Q. Voir aussi J. Smith, La Partie IA de la Loi sur les compagnies : Les com-
83Renaud et Smith, supra note 36 au c. 12, p. 237, n I et s.
84Voir Gaudreau:

mentaires, vol. 3, 2′ 6d., Montr6al, Centre d’ dition juridique, 1981 A Ia p. 63 et s.

C’est cette dualit6 de droit au Qu6bec qui explique que l’on puisse d’une part r~fdrer
A des theories originant de ]a common law telles ]a constructive notice>> et l’indoor
management> et d’autre part aux r~gles de droit civil comme le mandat. Une cons6-
quence de cette dualit6 est ]a confusion qui peut parfois survenir lorsque les theories
de common law c6toient les r~gles de droit civil (supra note 30 A la p. 509).

85Voir L.-H. Richard: <(L]es relations entre l'administrateur et la compagnie sont inclassables, elles n'adh~rent parfaitement A aucune des institutions juridiques existantes en droit civib 1994] LA SOCIITE PAR ACTIONS ET SES DIRIGEANTS 17 Initialement, la 1gislation qu6b6coise permettant la constitution de soci6- t6s par actions s'est peu int6ress6e au statut juridique des membres du conseil d'administration. La doctrine, quant h elle, a toujours 6t6 divis6e sur ce sujet. Alors que plusieurs soutiennent l'application de l'obligation fiduciaire du droit anglais aux membres du conseil d'administration86, d'autres pr6nent l'applica- tion des r~gles du mandat A titre suppl6tif5 7. En 1980, lors de l'adoption de la Partie IA de la L.C.Q., le lgislateur qu6- b6cois a cru mettre fm A ce d6bat en favorisant l'application de la th6orie du mandat 88. I1 6nonga, a l'article 123.83, que <<[les administrateurs, officiers et autres repr6sentants de la compagnie sont consid6r6s comme des mandataires de la compagnie>>. L’expression est malheureuse. Si le 16gislateur avait voulu con-
f6rer A ces derniers le statut de mandataire, pourquoi ne pas l’avoir fait expres-
s~ment au lieu d’utiliser la conjonction comme> . L’article laisse ainsi place a
l’interpr6tation. Malgr6 la r6f6rence au mandat, le raisonnement des tribunaux
qu6b6cois s’est 6labor6 comme si le droit suppl6tif n’6tait toujours pas le droit
civil. Les tribunaux ont endoss6 l’application de l’obligation fiduciaire du droit
anglais telle que formul6e dans l’affaire Canaero. On ne compte plus les juge-
ments qui y font r6f6rence 9.

(>
dans Relations avec les employs possidant des informations confidentielles, Toronto, Canadian
Institute, 1987, Bi aux pp. B88-B89.

87Perrault, supra note 79 A lap. 493 ; Caron, , supra note 23 h la p. 531 et,
du m~me auteur, Corporate Executives in Qudbec, Montr6al, Centre d’6dition juridique, 1978 a la
p. 118 et s. ; Lauzon et Perron, vol. 2, supra note 79 A la p. 773.

88Richard, L’obligation de loyaut6 des administrateurs de compagnies qu6b6coises: Une ap-
, supra note 85 & la p. 935 et, do meme auteur, , supra
note 85 ; F. Guay, (1989) 49 R. du B. 739 ; P. Martel,
dans
Formation permanente du Barrean du Qu6bec, Ddveloppements rdcents en droit commercial,
Cowansville (Qu6.), Yvon Blais, 1989, 49 ; M. Bourgeois, (, bien
qu’aucun contrat de travail ne lie les dirigeants h la soci6t6 par actions puisqu’ils
assument une fonction 6lective92. La source de l’obligation implicite de loyaut6
ne peut donc pas se trouver dans ce contrat.

Puis, suite h un effort pour emp~cher l’application de l’affaire Canaero93,
effort qui s’est av6r6 &re un 6chec, les tribunaux qu6b~cois se sont r6sign~s h
situer l’obligation fiduciaire dans un contexte civiliste. Or, il semble conceptuel-
lement impossible de concevoir cette obligation en vertu du droit civil. Ainsi,
au lieu de chercher l’6quivalent de l’obligation fiduciaire en droit civil, les tri-
bunaux n’ont fait que s’interroger sur la possibilit6 d’appliquer les principes de
l’affaire Canaero au Qu6bec94.

Les tribunaux ont appliqu6 sans discemement les principes d’equity qu’ils
int~grent aux obligations du dirigeant envers la soci6t6 par actions en vertu des
r~gles du mandat. Ils font l’analogie avec les obligations du mandataire envers
le mandant: >9 . Les crit~res d’appr6ciation de la relation fiduciaire, tels
que discut6s dans l’affaire Canaero, ont 6t6 import~s pour mesurer la conduite

tion confidentielle 6conomique: ttude de droits qudb~cois et frangais>> [1988] R.I.D.C. 113;
Charlton, supra note 86 ; t . Groffier, L’importance croissante du mandat en droit qu6bdcois : Les
d~veloppements r6cents>> (1985) 15 R.D.U.S. 445 ; B. Landy, > (1989) 49 R. du B.
433 A lap. 444 et, du m~me auteur, L’achalandage en droit qu6b6cois et les obligations implicites
le prot~geant> dans Formation permanente du Barreau du Quebec, Diveloppements recents en
droit commercial, Cowansville (Qua.), Yvon Blais, 1991, 155.

90Art. 1665a, 1024 C.c.B.-C. Voir A.E. Aust et L. Charette, Le contrat d’emploi, 2* 6d.,

Cowansville (Qu6.), Yvon Blais, 1993 a la p. 121 et s.

91Voir aussi le jugement unanime de ]a Cour d’appel du Qu6bec, sous la plume de M. le juge

Chevalier, dans l’affaire N.F.B.C., supra note 89 A la p. 170 et s.

92Supra note 3.-
93Voir Compagnie des attractions de Montral c. Van Godbotd, [1977] C.S. 365 ; Depanago Inc.
c. Houde (23 janvier 1986), Qu6bec 200-05-002367-857, I.E. 86-317 (C.S.); Agfor Inc. c. Lali-
bertg, [1986] R.J.Q. 581 (C.S.).

94Re EntreprisesRockLtie, [1986] R.J.Q. 2671 (C.S.) ; MontourLtje c. Jolicoeur, [1988] R.J.Q.
1323, 19 C.I.P.R. 25 (C.S.); Scandia Shipping Agencies Ltd. c. Ashraf (18 avril 1988), Montrdal
500-05-003769-880, J.E. 88-867, D.T.E. 88T-590 (C.S.); Positron Inc., supra note 89. L.-H.
Richard partage cette opinion (eL’obligation de loyaut6 des administrateurs de compagnies qu~b6-
coises : Une approche extra-contractuelle>>, supra note 85 aux pp. 940-41).

95Re Entreprises Rock Lte, ibid. A la p. 2673.

1994]

LA SOCItTP5 PAR ACTIONS ET SES DIRIGEANTS

19

du bon p~re de famille en vertu de l’article 1710 du Code civil du Bas-Canada
au chapitre du mandat: <>96.

Nous remarquons qu’en droit qu6b6cois, on n’a pas recherch6 les principes
devant gouvemer la soci~t6 par actions et son rapport avec ses dirigeants dans
la thdorie gdn6rale du droit civil. Au contraire, sous le couvert d’institutions
civilistes, tel le mandat, on a emprunt6 des principes du droit anglais –
que ce
soit l’ultra vires, la constructive notice, l’indoor management ou le fiduciary
qu’on a tent6 d’int6grer tant bien que mal dans les notions du
relationship –
droit civil. D’ailleurs, cette pratique avait d~jt 6t not6e par Robert Demers
l’6gard d’autres sujets, notamment les actes pr6constitutifs, l’utilisation du
recours extraordinaire, la responsabilit6 en cas de divulgation d’informations
fausses ou trompeuses dans un prospectus et la liquidation judiciaire de la
soci6t6 par actions pour motifs justes et 6quitables97.

Une des raisons de la difficult6 de qualification du rapport entre la soci6t6
par actions et ses dirigeants provient de l’application des r~gles du mandat
comme r6gime suppl6tif. D’ores et d6jt, certains auteurs qu6b6cois conviennent
que le mandat ne saurait suffire 8. En effet, le mandant exprime sa volont6 par
le biais du mandataire. Mais, h l’inverse du mandataire, le dirigeant exprime et
traduit la volont6 de la soci6t6 par actions de fagon contraignante pour celle-ci.
La restriction de la libert6 d’action d’un mandataire ne peut 6tre concili6e avec
la complexit6 des transactions commerciales men6es par les dirigeants de la
soci6t6 par actions” . De plus, la notion de mandat ne couvre pas la situation
juridique du dirigeant qui g~re les affaires de la socidt6 par actions sans repr6-
sentation.

On doit donc red6finir la soci6t6 par actions et son rapport avec ses diri-
geants selon des principes permettant de satisfaire les particularit6s de son fonc-
tionnement. Un regard neuf sur les sources du droit de la soci6t6 par actions per-
met de prdtendre que ce fonctionnement relive du droit priv6 et se trouve dans
le champ du droit civil. Les difficult6s que pose l’organisation du droit qu6b6-
cois dans le cadre conceptuel du droit anglais nous convainquent de la n6cessit6
de red6fmir le droit de la soci6t6 par actions dans une conception civiiste. Cette
d6marche suit d’ailleurs une nouvelle tendance jurisprudentielle voulant que les
tribunaux puisent dans les notions du droit civil plut6t que de s’inspirer syst6-
matiquement du droit anglais1″. De m~me, la doctrine qu6b6coise r6cente
semble vouloir replacer le droit de la soci6t6 par actions dans le cadre du droit
civil. C’est ainsi, notanment, que le professeur Louise-H6lne Richard d6plore

96Ibid.
97R. Cr~te et S. Normand, > (1990) 31 C. de D. 989 t la p. 992.
98Voir Richard, <>, supra note 88 aux pp. 792-93 ; M. Cantin Cumyn, < (1988) 3 C.P. du N. 293 an n 7 ; Groffier, supra note 89 A la
p. 486.

99Voir Fart. 1703 C.c.B.-C.
1Voir Nadeau c. Nadeau, [1988] R.J.Q. 2058 (C.A.) [ci-apr~s Nadeau] ; Banque de Montreal
c. Kuet Leong Ng, [1989] 2 R.C.S. 429, 62 D.L.R. (4′) 1 [ci-apr~s Leong avec renvois aux R.C.S.];
Caisse populaire de Charlesbourg c. Michaud, [1990] R.R.A. 531, 30 Q.A.C. 23.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 39

l’application au Qu6bec de l’obligation fiduciaire du droit anglais et recherche
le fondement de l’obligation de loyaut6 des membres du conseil d’administra-
tion en droit civil’0 1.

Afo d’en assurer la coh6rence et l’efficacit6, il y a lieu de situer le droit
de la socidt6 par actions dans le cadre d’un seul droit suppl6tif. Comme le droit
civil est un syst~me complet, autosuffisant, il convient d’y rechercher les prin-
cipes directeurs, notamment pour 6laborer le rapport entre la soci6t6 par actions
et ses dirigeants. L’adoption r6cenfe du Code civil du Qubec nous invite Ai
entreprendre cette d6marche, car il semble red6finir le cadre conceptuel de
l’6tude du droit de la soci6t6 par actions.

B. La redifinition du cadre conceptuel dans le Code civil du Qu6bec

Le Code civil du Quibec nous permet d’expliquer de fagon nouvelle le rap-
port juridique entre la soci6t6 par actions et ses dirigeants. I1 a recours A des
notions et h une terminologie civilistes. La disposition pr6liminaire du Code
civil du Quebec 6tablit express6ment que le droit suppl6tif pour toute mati~re
de droit priv6 est le droit civil (1).

Par ailleurs, le Code civil du Quebec contient des dispositions g6n6rales sur
la personne morale qui s’appliquent h la soci6t6 par actions ; l’actuel titre, >, est ainsi remplac6 par le nouveau titre, >.
I1 introduit un nouveau titre, >, qui nous
6claire sur le rapport entre la soci6t6 par actions et ses dirigeants. C’est en oppo-
sant le droit h la notion de pouvoir que la red6finition du cadre conceptuel peut
etre 61abor6e (2).

1.

Le caract~re suppl6tif du droit civil

Fiddle

la m6thode civiliste de codification, le Code civil d Qui1bec con-
tient des dispositions qui forment un ensemble complet et qui ont une port6e
g6n6rale. Son interpr6tation se veut large par opposition h l’interpr6tation res-
trictive appliqu6e aux lois particuli~res. De plus, il 6tablit un lien substantiel
avec toutes les lois particuli6res relatives au droit priv6″. Sa disposition pr6li-
minaire 6nonce qu’il constitue le droit commun. I1 y est donc express6ment
6nonc6 que le droit civil foumit le droit suppl6tif en mati~re de droit priv6.

Ainsi, le Code civil du Qubec est appel.6 h compl6ter la L.C.Q. et toute
autre loi qu6b6coise constitutive de soci6t6 par actions. En cons6quence, h titre

101Le professeur Richard affirne A ce sujet:

Partant du principe qu’il est impensable que le droit qu6b6cois tol~re que des actes
d6loyaux de telle nature soient commis par des administrateurs de compagnies, il nous
semble pressant que soit cem6 le fondement de leur obligation de loyaut6 afin d’dviter
que le droit anglo-canadien, largement d6velopp6 sur le sujet, ne soit insidieusement
import6 sans que I’on se soit souci6 d’attribuer t cette obligation une base juridique qui
soit propre A notre syst~me de droit (eL’obligation de loyaut6 des administrateurs de
compagnies qu6b6coises: Une approche extra-contractuelle>>, supra note 85 A la p.
928).

1O2Par contre, pour que le Code civil du Quebec s’applique A l’ttat, il faut qu’une disposition

16gislative le pr6voie, tel l’art. 1376 C.c.Q.

1994]

LA SOCIiTIt PAR ACTIONS ET SES DIRIGEANTS

21

d’illustration, la relation fiduciaire du droit anglais ne peut plus qualifier de
mani~re suppl6tive le rble du dirigeant en faveur de la soci6t6 par actions cons-
titu6e en vertu de la L.C.Q. I1 faudra maintenant chercher la qualification du
dirigeant A mme le Code civil du Quebec.

I1 y a aussi lieu de consid6rer l’application de la L.S.A. h la soci6t6 par
actions constitu6e en vertu de cette loi, dont le si~ge social se trouve au Quebec
et qui exerce ses activit6s dans cette juridiction. Doit-elle etre compldt6e par les
r~gles suppl6tives du Code civil du Qudbec ? Cette question illustre le pr6sent
conflit entre l’application d’une loi f6d6rale de droit priv6 et le droit provincial
d’application g6n~rale0 3. Elle met en doute l’application au Qu6bec d’un droit
commun relevant de la tradition anglaise en mati~re de soci6t~s par actions.

A la suite de l’entr~e en vigueur de la L.C.C.C., Yves Caron a 6mis l’opi-
nion que le droit provincial suppl~e au droit f6d6ral lorsque celui-ci empi~te, de
faqon accessoire, sur le droit privd et que toute loi f6d6rale valide en vertu du
droit constitutionnel doit 8tre interpr6t6e selon le droit provincial” . Ces deux
propositions ont 6t6 confirm6es ii maintes reprises par les tribunaux dans des
domaines autres que celui de la socidt6 par actions 5 .

Or, dans le cas de la L.S.A., doit-on suivre i’opinion traditionnelle voulant
que son interpr6tation relive n6cessairement du droit anglais, puisque la 16gis-
lation se veut une codification partielle du droit commun de tradition anglaise ?
Suivant la disposition prdliminaire du Code civil du Quebec qui n’envisage pas
l’application d’un droit commun autre que le droit civil en mati~re de droit
priv6, il est possible de pr6tendre que toutes les lois de droit priv6, tant f6d6rales

103Dans une optique g6n6rale, voir J.-M. Brisson, L’impact du Code civil du Qu6bec sur le droit

f~d6ral: Une problmatique>> (1992) 52 R. du B. 345.

104> dans Mere-
dith Memorial Lectures: Loi sur les corporations commerciales canadiennes, Toronto, De Boo,
1975, 54 h la p. 65. Voir aussi J. Smith, La lgislation r~gissant les nouvelles soci~t~s commer-
ciales canadiennes>> [1980] C.P. du N. 337 au n 29 et s. D~s 1937, Perrault avait dmis une opinion
en ce sens quant au rapport entre la soci~t6 par actions et ses dirigeants (supra note 79 au n’ 1050).
105Voir notamment Quebec North Shore Paper Company c. Canadien Pacifique Limitie (1976),
[1977] 2 R.C.S. 1054,71 D.L.R. (3′) 111 ofi il fut d6cid6 qu’il n’existe pas de droit commun f6d~ral
en mati~re contractuelle. Cependant, sous le couvert de l’uniformisation 4 travers le Canada du
droit f6d6ral en mati~re de navigation et de marine marchande (Loi constitutionnelle, supra note
37, art. 91(10)), et devant l’absence de legislation f~d6rale applicable A certaines situations juri-
diques, la Cour supreme du Canada a cr66 un droit commun f6d~ral issu du droit anglais au d6tri-
ment du droit suppldtif des provinces et plus particuli~rement du droit civil. Voir Sivaco Wire &
Nail Co. c. Atlantic Lines & Navigation Company, [1979] 2 R.C.S. 157, 99 D.L.R. (3) 235 ; ITO
– International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752, 28 D.L.R.
(4!) 641 ; Q.N.S. Paper Company c. Chartwell Shipping Ltd., [1989] 2 R.C.S. 683, 62 D.L.R. (4)
36; Monk Corporation c. Island Fertilizers Limited, [1991] 1 R.C.S. 779, 80 D.L.R. (4′) 58.

I1 y a lieu de se demander si cette tendance pourra s’6tendre d’autres champs de competence
f~drale suite A l’entr~e en vigueur du Code civil du Quibec. Voir notanment A. Brain, L’arr&
ITO – International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., ou comment 6carter l’ap-
plication du droit civil dans un litige maritime au Qu6bec>> (1987) 32 R.D. McGill 386; G.
Lefebvre, >, du livre premier, <>, qui d6finit les attributs de la per-
sonnalit6 morale (a) et le titre septi~me, <,
du livre quatri~me, <>, qui constitue le droit commun applicable i
toute personne qui administre le patrimoine d’autrui (b).

a. La personnalit6 morale

En droit civil, la personnalit6 morale correspond h une cat6gorie de droit
susceptible d’application sous diverses formes” . Elle constitue un m6canisme
de regroupement de personnes ayant pour objet la poursuite d’int6rts collectifs
dont la reconnaissance ne d6pend pas n6cessairement de l’intervention de
l’ttat s. La doctrine civiliste moderne pr6conise l’assimilation des personnes
morales aux personnes physiques capables de droits et d’obligations ‘

9.

Le Code civil du Quebec suit la th~orie g6n~rale du droit civil a cet 6gard.
I1 reconnait la personnalit6 juridique A la personne physique comme a la per-

1rNadeau, supra note 100. Voir A lap. 2065 l’opinion de M. le juge Chevalier At laquelle sous-

crivent MM. les juges Jacques et Rothman.

107G. Goubeaux, <(Personnalit6 morale, droit des personnes et droit des biens > dans Aspects
actuels du droit commercial frangais : Etudes didiges d Ren6 Roblot, Paris, Librairie g~ndrale de
droit et de jurisprudence, 1984, 199.

10 Ripert, supra note 21 au n* 680 et s.
09J. Carbonnier, Droit civil: Les personnes, t. 1, 18′ 6d., Paris, Presses Universitaires de France,
1992 au n 207 et s. ; A. Weill et F. Terr6, Droit civil: Les personnes, lafamille, les incapacitds,
5′ 6d., Paris, Dalloz, 1983 au n, 173 et s. ; M. de Juglart et B. Ippolito, Cours de droit commercial
avec travaux dirigds et sujets d’examen, vol. 2, 8′ 6d., Paris, Montchrestien, 1988 au n* 390;
Ripert, ibid. au n* 683.

1994]

LA SOCItTE PAR ACTIONS ET SES DIRIGEANTS

23

la fiction
sonne morale”. Le 16gislateur semble toutefois conserver le recours
quant
la reconnaissance de la personne morale”‘. En France, on reconnalt la
personnalit6 morale tant i la socidt6 de capitaux, c’est- -dire la soci6t6 ano-
nyme, qu’ la soci6t6 de personnes” 2 . Au Qu6bec, on ressent le besoin de garder
le droit dans le cadre conceptuel anglais puisque’la soci6t6 par actions est la
seule soci6t6 h laquelle le Code civil du Quibec reconnalt express6ment la per-
sonnalit6 juridique”3 .

Meme si le Code civil du Quibec distingue entre la personne morale de
droit public et celle de droit priv6, il rend le droit civil applicable tant h l’une
qu’t l’autre”4 . L’intervention de l’Etat dans la cr6ation de la soci6t6 par actions
ne peut donc pas justifier l’application du droit public de source anglaise (i).

Le titre, <>, renvoie h la th6orie civiliste de la per-
sonnalit6 morale qui differe de la conception de la corporation du droit anglais
(ii).

i.

L’application du titre, <>, t la soci6t6 par actions

La soci6t6 par actions est d’abord soumise aux lois applicables A son
esp~ce. L’article 300 du Code civil du Quibec 6nonce qu’elle est aussi soumise
au titre, <>, de fagon suppl6tive. Le chapitre premier du
titre cinqui~me, qui codifie les grands traits de la thdorie de la personnalit6
morale, s’applique h toutes les personnes morales. Le chapitre deuxi~me, quant
A lui, pr6voit un r6gime de fonctionnement et de dissolution ou liquidation des
personnes morales cr66es en vertu du Code civil du Qudbec, de m~me que celles
dont la loi constitutive le pr6voit ou lorsque cette loi n’indique aucun autre

0Art. 1, 298 C.c.Q. Voir Qu6bec, Ministare de la Justice, Commentaires du ministre de la Jus-

tice, t. 1, Qu6bec, Publications du Qu6bec, 1993 h la p. 200 et s. [ci-apr~s Commentaires d
ministre] ; P Martel, <> dans Barreau du Qu6bec et Chambre des notaires
du Qu6bec, La riforme diu Code civil, t. 1, Sainte-Foy (Qu6.), Presses de l’Universit6 Laval, 1993,
187 a la p. 189 et s.

I”Art. 299, al. 1 C.c.Q. Voir aussi Qu6bec, Minist6re de la Justice, Projet de loi 125 (Document
de travail) (septembre 1991) ; J.C. Thivierge, > dans Formation permanente du Barreau du Qu6bec, Ddveloppements ricents en droit
commercial, Cowansville (Qu6.), Yvon Blais, 1993, 105 h la p. 110.

” 2y. Caron, <> (1980) 25 R.D. McGill 421 h la p. 437.
113Art. 2188, al. 2 C.c.Q. Voir les Commentaires du ministre:

L’attribution de la personnalit6 juridique aux soci6t6s ne comptait pas d’avantages r6els
particuliers, mais risquait, par contre, de cr6er une disparit6 de traitement par rapport
aux soci6t6s constitu6es ailleurs en Am6rique du Nord, qui ne sont pas dot6es de la per-
sonnalit6 juridique, sans compter les incidences fiscales possibles d’une telle attribu-
tion (t. 2, supra note 110

la p. 1379).

Voir aussi Y. Lauzon, < dans La rdforme d Code civil, t.
2, supra note 110, 955 A la p. 959 et s.
“4Art. 298, al. 2, 300 C.c.Q. Voir aussi Commentaires du ministre, t. 1, ibid. h la p. 203. Le
l6gislateur n’a eu d’autre intention que de suivre l’art. 356 C.c.B.-C. Voir Qu6bec, Ministare de
la Justice, Projet de loi 20, Code civil du Quebec, Livre I, Titre cinquijme (Document de travail)
(mars 1985)
l’art. 322, cit6 dans R. Demers: < (<> (1988) 1 C.P du N. 203
au n 35).

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 39

r6gime applicable”‘. L’article 334, deuxi~me alin6a 6tablit que les personnes
morales peuvent d6roger par r~glement aux r~gles 6tablies dans le Code civil d
Quebec, A condition que les droits des membres soient pr6serv6s lorsque leur
fonctionnement le commande. Le chapitre deuxi~me vient combler les lacunes
et proposer des solutions applicables si le r6gime pr6vu par r~glement s’av~re
incomplet.

Ilustrons par des exemples l’application du nouveau titre, > :

La soci6t6 par actions constitu6e en vertu de la Partie IA de la L.C.Q. est
d’abord r~gie par cette loi. Le chapitre premier lui est applicable puisqu’elle est
reconnue comme une personne morale constitu6e suivant les formes juridiques
pr6vues par la loi. Or, dans la mesure oh la L.C.Q. est silencieuse, par exemple
quant h l’obligation de loyaut6 du dirigeant, il y a lieu de puiser au chapitre pre-
mier les solutions applicables. On peut envisager que le chapitre deuxi~me s’ap-
plique dans la mesure oh la L.C.Q. n’offre pas de r~gles satisfaisantes”6 .

La soci6t6 par actions constitu6e en vertu d’une loi particuli~re, telle la Loi
sur les compagnies deflottage, est d’abord r6gie par cette loi. Le chapitre pre-
mier lui est applicable puisque cette soci6t6 par actions est une personne morale
constitute suivant les formes juridiques pr6vues par la loi. Le chapitre deuxi~me
lui est 6galement applicable pour combler les lacunes de la Loi sur les compa-
gnies de flottage qui ne pr6voit que tr~s peu de r~gles quant A son fonctionne-
ment”7 et dans les cas de dissolution ou de liquidation puisque cette loi ne pr6-
voit aucune r~gle A cet 6gard.

ii. Les attributs de la personnalit6 morale

La section II du chapitre premier, >,
codifie les principaux attributs de la personne morale, attributs qui sont sem-
blables A ceux de la personne physique”‘. Les effets de la personnalit6 morale
peuvent varier d’un groupement a l’autre. Ndanmoins, certains attributs sont
communs A toutes les personnes morales” 9 et peuvent 8tre regroup~s en deux
cat6gories : la capacit6 de jouissance de droits subjectifs (1) et l’existence d’un
patrimoine autonome (2).

(1) La capacit de jouissance de droits subjectifs

La loi attribue A la personne la capacit6 de jouissance de droits. Cette capa-
cit6 est conf6r6e tant i la personne morale qu’A la personne physique par le
Code civil du Qubec”‘. Elles sont toutes deux capables de jouir des droits rat-

“5Art. 334 C.c.Q.
” 6Voir Martel, >, supra note 110 A la p. 196.
“7Voir l’art. 16 de ]a Loi sur les compagnies deflottage, supra note 35, quant

l’6lection des
administrateurs et A l’6tendue de leurs fonctions et ‘art. 25 quant A l’6lection des officiers et des
serviteurs.

“‘Voir les art. 1-9 C.c.Q.
” 9Ripert, supra note 21 au n 680.
‘ 20Art. 1, 301 C.c.Q. L’art. 329 du P.L. 20, Loiportant riforme all Code civil dii Quibec du drolt
des personnes, des successions et des biens, 1′ sess., 33’ 16g., Qu6bec, 1987, excluant la soci6t6

1994]

LA SOCIETt PAR ACTIONS ET SES DIRIGEANTS

25

tach6s i la personne pour leur propre compte. En droit civil, ces pr6rogatives
sont qualifi~es de droits subjectifs. Toute personne titulaire de droits subjectifs
est un sujet de droit. Selon
‘6tat du droit qub~cois avant l’entr6e en viguetir
du Code civil du Quebec, le l~gislateur devait conf~rer de fagon ponctuelle la
capacit6 de jouissance de droits 4 la soci~t6 par actions. C’est d’ailleurs ce qu’il
a fait pour la soci~t6 par actions cr6e en vertu de la Partie IA de la L.C.Q.
.
Dor~navant, quelle que soit son mode de constitution, la soci~t6 par actions
d6tiendra la capacit6 de jouissance de droits subjectifs.

Selon la th~orie de la personnalit6 morale, la capacit6 d’exercice des droits
de la personne morale est 6valu~e selon sa nature et selon la loi1 “. Cette capacit6
de la personne morale est limit~e en raison de sa nature abstraite. Ainsi, il y a
des droits qu’elle ne peut exercer, faute d’attributs physiques ou intellectuels.
L’article 303, premier alin~a du Code civil du Quebec 6nonce d’ailleurs que les
dispositions relatives 1’exercice des droits civils par les personnes physiques
lui sont applicables mutatis mutandis 3.

Le Code civil du Quebec 6nonce que les activit6s de la personne morale
sont limit6es par la’loi, son acte constitutif et ses r6glements 24 . Au Quebec, la
doctrine de i’ultra vires et la th~orie de la d61 gation des pouvoirs tir~es du droit
anglais ont traditionnellement servi
d6fmir les limites de ‘la capacit6 de la
soci~t6 par actions. En ayant recours i la notion civiliste de capacit6 de jouis-
sance, le Code civil du Quebec devrait mettre fin h cette pratique. Toute per-
sonne morale a la capacit6 de jouissance h l’int6rieur des param6tres d6fmis par
la loi, son acte constitutif et ses r~glements. Elle peut donc 6tre titulaire de droits
subjectifs qui tombent dans le patrimoine autonome qui lui appartient.

(2) L’ existence d’ un patrimoine autonome

Dans la tradition civiliste, les biens d’une personne sont le gage commun
de ses cr~anciers : tous les droits ii valeur 6conomique'” d’une personne servent
a garantir l’exdcution de ses obligations. Cette r~gle est d6finie par la th~orie du
patrimoine 6 .

La constitution d’une personne morale permet au citoyen de diviser la
masse de ses biens et d’en affecter une partie A une activit6 sp~cifique pour 6vi-

par actions constitu6e en vertu de la L.S.A., a 6t6 modifi6. Cet article allait comme suit: <(Les per- sonnes morales constitutes suivant les lois du Quebec ont la pleine jouissance des droits civils du Qu6bec et hors du Quebec . Cependant, voir l'art. 3083, al. 2 C.c.Q. : L'tat et la capacit6 d'une personne morale sont r6gis par la loi de l'ttat en vertu de laquelle elle est constitute, sous reserve, quant t son activit6, de la loi du lieu oii elle s'exerce> .
121Art. 123.29 L.C.Q. Voir ci-dessus, la partie IA.2.b.
22Art. 303, al. 2 C.c.Q.
t23Voir l’art. 304 C.c.Q. concemant la tutelle et la curatelle, qui remplace l’art. 365 C.c.B.-C.
24Art. 310 C.c.Q.
125Le Code civil du Quibec reconnalt aussi explicitement des droits extra-patrimoniaux, notam-

ment le nom et le domicile (art. 302, 305-308 C.c.Q.).

126Carbonnier, supra note 109 au n* 223 et s. La thdorie du patrimoine fait 6galement partie int6-
grante du droit civil qu6bcois. Voir ‘art. 1980 C.c.B.-C. repris au titre premier, , du livre sixi~me, < ; art. 2644 et s. C.c.Q. Voir
6galement ‘art. 2 C.c.Q. ; Commentaires du ministre, t. 1, supra note 110 la p. 5 ; Cantin Cumyn,
, supra note 9 A la p. 1033.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 39

ter l’application de la th6orie du patrimoine
la totalit6 de ses biens. Cette th6o-
tie est 6trang~re au droit anglais. En effet, le trust offre au droit anglais ]a flexi-
bilit6 que la division du patrimoine, par la cr6ation d’une personne morale, offre
au droit civil’.

Le Code civil du Quibec 6nonce que les personnes morales sont titulaires
d’un patrimoine qui peut, dans la seule mesure pr6vue par la loi, faire l’objet
d’une division ou d’une affectation 2′. En principe, la personne morale a un
patrimoine autonome distinct du patrimoine personnel de chacun de ses
membres. II en r6sulte pour ces demiers une responsabilit6 limit6e h leur apport
au patrimoine de la personne morale’. La soci6t6 par actions dispose d’un
patrimoine autonome dont font partie les capitaux foumis par les actionnaires.
Le Code civil du Quibec 6nonce que l’administration du patrimoine de ]a
personne morale est r6gie par la loi, son acte constitutif et ses r~glements ou par
convention unanime des membres, dans la mesure oti la loi le permet” . La per-
sonne morale 6tant une fiction juridique, l’administration de son patrimoine est
n6cessairement confi6e h des personnes physiques.

Quelle que soit la forme de la personne morale, on retrouvera, normale-
ment”‘, d’une part, une assembl6e des membres qui exprime la volont6 de la
personne morale dans les d6cisions les plus graves et, d’autre part, des diri-
geants, personnes physiques consid6rdes isol6ment ou en conseil d’administra-
tion, qui administrent quotidiennement le bien d’autrui, soit le patrimoine de la
personne morale’ 2.

b. L’administration du bien d’autrui

Le titre, , constitue un nouveau
r6gime d’application g6n6rale h toute personne qui administre un bien, une
masse de biens ou un patrimoine qui n’est pas le sien 33 . II y a lieu d’envisager

127Cantin Cumyn, ibid. A la p. 1035.
128Art. 302 C.c.Q.
129Art. 309, 315 C.c.Q. Voir cependant l’exception quant A ]a responsabilit6 limit~e des membres

de la personne morale pr6vue A l’art. 317 C.c.Q.

209.,

13Art. 310 C.c.Q.
131Voir les exceptions envisag6es par Martel, Les personnes morales>, supra note 110 A ]a p.
132Art. 311, 312, 335 C.c.Q. Voir Carbonnier, supra note 109 an n 224.
133Voir Qu6bec, Office de r6vision du Code civil, Rapport snr le Code civil d Qutbec : Coin-
mentaires, t. 1, vol. 2, Qu6bec, Iditeur officiel, 1978 au livre 4, art. 487 et s. ; Cantin Cumyn, dans Travaux de l’Association Henri Capitant des amis
de la culture juridique frangaise, L’abns de pouvoirs ou de fonctions (Journies grecqutes), t. 28,
Paris, Economica, 1977, 193 ; L.I. Beaudoin, La gestion de portefeuille pour autrui et les dispo-
sitions nouvelles du Code civil du Qudbec> (1989) 68 R. du B. can. 480 ; R. Crete, Les inves-
tisseurs institutionnels et leurs conflits d’int6r~ts dans le contexte des mesures d6fensivesa dans R.
Crete, dir., Les mesures ddfensives en matieres d’offrespubliques d’achat an Canada, Cowansville
(Qu6.), Yvon Blais, 1991, 193 A la p. 217 et s. ; F. Rainville,
dans La riforme du Code civil, t. 1, supra note 110 t la p. 785; Commentaires dit ministre, t. 1,
supra note 110 A la p. 774 et s. ; G. Lauzon, L’administration du bien d’autrui dans le contexte
du nouveau Code civil du Qu6bec> (1993) 24 R.G.D. 107.

1994]

LA SOCI]Tt PAR ACTIONS ET SES DIRIGEANTS

27

son application aux dirigeants de la soci6t6 par actions (i). L’administration du
l’6gard d’un bien'”, par opposition A
bien d’autrui confere le pouvoir d’agir
l’exercice de droits subjectifs qui rel~vent de l’tude des effets de la personna-
lit juridique (ii).

i.

L’application du titre, <>, aux
dirigeants de la soci6t6 par actions

Suivant la disposition pr6liminaire du Code civil du Qudbec 6nonqant le
caract~re suppl~tif de ces dispositions en droit qu6b6cois, l’interpr6tation de tout
r6gime d’administration du bien d’autrui relive n6cessairement du titre, <. A fortiori, l’article 1299 du Code civil du
Quibec 6nonce express6ment que ce titre constitue le droit suppl6tif de l’admi-
nistration du bien d’autrui. I1 remplace le renvoi traditionnel au mandat”35
comme r6gime d’administration du bien d’autrui.

Lei r~gles applicables sont d’abord celles pr6vues par le r6gime d’adminis-
tration sp6cifique ” l’entit6 16gale concem6e. Cependant, d~s lors que le r6gime
sp6cifique souffre d’une lacune, ou en l’absence d’un tel r6gime, on trouvera les
solutions h m~me ce titre.

Une version ant6rieure de l’article 1299 du Code civil du Quebec excluait
le dirigeant de la soci~t6 par actions de l’application de ce titre. Le 16gislateur
aurait pr~f6r6 le renvoi au mandat’36 . Pourtant, l’Office de r6vision du Code
civil, h qui l’on attribue l’origine de ce titre, soumettait le dirigeant de la soci6t6
par actions h son application 37.

Le texte de l’article 1299 C.c.Q. a 6t6 modifi6 afm d’6viter qu’il ne soit
trop restrictif et qu’il ne fasse ainsi 6chec au caract~re suppl6tif du titre. Mal-
heureusement, les Commentaires du ministre de la Justice signalent que les
r~gles du titre, <>, ne s’appliquent pas aux
administrateurs d’une personne morale; ceux-ci 6tant r6gis par les r~gles du
titre >”‘ 8. Or, l’article 321 du Code civil du Qudbec h la
section III du chapitre premier, <>, r6fere
la notion de
mandat.

Malgr6 ce renvoi au mandat, nous croyons que l’on peut quand m~me assi-
miler le dirigeant d’une soci6t6 par actions A un administrateur du bien d’autrui

’34Art. 911, al. 2 C.c.Q.
135Voir Cantin Cumyn, < dans La riforme du Code civil, t. 2, supra note 110 A lap. 883 et
S.

13 6Voir P.L. 20, supra note 120, art. 1338, repris par P.L. 125, Code civil dA Qubec, 1′ sess.,

34 16g., Qu6bec, 1990, art. 1296 (maintenant d6sign6 comme 6tant l’art. 1299 C.c.Q.) :

Toute personne qui est charg6e d’administrer un bien ou un patrimoine qui n’est pas
le sien assume la charge d’administrateur du bien d’autrui, si la loi ou l’acte constitutif
de son administration le pr~voit, ou si la loi ou
‘acte n’indique aucun autre r6gime
d’administration.

Pour les raisons qui seraient A 1’origine de cette exclusion, voir Cantin Cumyn, ibid. au n 13.

137Cantin Cumyn, ibid. au n 14.
138T. 1, supra note 110 aux pp. 775-76.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 39

puisque le mandat n’est qu’une manifestation particuli~re du m6canisme de
l’administration du bien d’autrui’39. D’ailleurs, les principes g6n6raux de ce
m6canisme codifi6s au titre, >, se
retrouvent 6galement dans les dispositions concemant l’administrateur de la
personne morale et dans celles concernant le mandataire”4′.

Le but du titre, >, est de foumir le
droit suppl6tif A tout r6gime d’administration du bien d’autrui. A cet 6gard, les
Commentaires du ministre de la Justice pr6cisent que ce titre regroupe un
ensemble de r~gles qui peuvent servir h l’interpr6tation d’autres regimes, tel le
mandat”4 ‘.

I1 est malheureux que le Code civil du Qubec n’ait pas pr6vu au titre,
>, un renvoi au titre, >. I1 y a lieu de croire que ce demier titre permette de qualifier le dirigeant
de la soci6t6 par actions d’administrateur du bien d’autrui. Selon nous, le r6gime
applicable au dirigeant devrait 8tre d’abord celui de la loi constitutive de la
soci6t6 par actions. Dans la mesure ox il y a une lacune, la solution devrait etre
recherch~e dans le chapitre premier du titre cinqui~me, >, et ensuite dans le titre, , ne fait pas
6chec aux particularit6s du rapport entre la soci6t6 par actions et ses dirigeants.
Au contraire, elle permet de qualifier celui-ci selon des notions du droit civil.
Les dirigeants de la socidt6 par actions administrent le patrimoine de la soci6t6
par actions. Ce faisant, ils n’exercent pas les droits subjectifs individuels dont
ils peuvent 6tre titulaires ; ils exercent plut6t des pouvoirs d’agir pour le compte
de la soci6t6 par actions’43. Quelles que soient les particularit6s de l’administra-
tion 6tudi6e, en droit civil, toute administration du bien d’autrui relive de l’ap-
plication de la m~me notion, soit le pouvoir en droit privY.

ii. La th6orie du pouvoir en droit priv6

La doctrine frangaise modeme, tout comme la legislation qu6b6coise, 6vo-
lue vers la reconnaissance de l’autonomie du pouvoir. Les juristes frangais
Emmanuel Gaillard’ et Michel Storck 45 reconnaissent l’autonomie du pouvoir

2135 C.c.Q.

139Cantin Cumyn, De l’administration du bien d’autrui> , supra note 98 au n, 15. Voir aussi Fart.
‘ 40Voir ci-dessous, la partie H.B.I.
141T. I, supra note 110 a la p. 776.
’42 Voir ci-dessous, Ia partie ll.A.2.b.
3M. Cantin Cumyn et R. Crate semblent partager cet avis. Voir Cantin Cumyn, De I’adminis-
14

tration du bien d’autrui>>, supra note 98 au n 15 ; Crate, supra note 133 A la p. 223.

’44Le pouvoir en droit privg, Paris, Economica, 1985.
14 5Essai sur le mdcanisme de la reprisentation dans les actes juridiques, Paris, Librairie g6n6-

rale de droit et de jurisprudence, 1982.

1994]

LA SOCI]TE PAR ACTIONS ET SES DIRIGEANTS

29

dans leurs theses respectives. Celles-ci permettent une meilleure compr6hension
du droit et du pouvoir comme cat6gories juridiques distinctes’46 .

Alors que le droit subjectif a 6t6 d6fini comme la pr6rogative juridique rat-
tach~e A la personne et qui peut 6tre exerc~e dans l’int6rt de cette derni~re, le
pouvoir est une prdrogative juridique exerc6e par son titulaire dans un int6ret
distinct du sien. C’est cet int6rt distinct de celui de son titulaire qui transforme
le droit en pouvoir. Le pouvoir est une pr6rogative attribu6e par une norme pr6-
d6termin~e, qu’elle soit conventionnelle, 16gale ou judiciaire. La norme attribu-
tive du pouvoir confere h son titulaire une fonction lui permettant de d6cider
pour le b6n6ficiaire et de g6rer ses biens dans l’int6rt de celui-ci. Le pouvoir
peut 8tre exerc6 pour le compte d’un sujet de droit ou d’un patrimoine d’affec-
tation147. Ii donne la comp6tence pour agir pour le compte du b6n6ficiaire”4 s.

Le pouvoir s’exprime par la manifestation unilat6rale de la volont6 de son
titulaire et il a une valeur contraignante pour le b6n6ficiaire’49 . Son exercice per-
met de modifier l’ordre juridique par la cr6ation d’obligations h la charge du
b6n6ficiaire ou de droits
son profit. Suivant la terminologie du Code civil du
Quebec, nous qualifions d’administrateur du bien d’autrui tout titulaire d’un
pouvoir d’agir

l’6gard du bien d’autrui”‘5 .

Selon Yves Caron, l’Office de r6vision du Code civil aurait conqu le
r6gime g6n6ral, <>, pour tenir le r6le jou6

1460n diffrencie le terme <

A titre de prerogatives. Voir Storck:

[Lie est une notion qui sert Y designer l’aptitude qu’a une personne d’agir
pour le compte et dans l’int6r& d’autrui ; [ …] les < dans un sens g~n6ral, sans tenir compte de la distinction entre >, est fond6 sur la notion de
pouvoir, notion qui appartient a la th6orie g6n6rale du droit civil et qui fait partie
int6grante du droit civil qu6b~cois. Le Code civil du Bas-Canada ne ddfinit pas
le pouvoir par des dispositions g6n6rales, mais consacre cette notion par diff6-
rents moyens, tel qu’en font foi de multiples illustrations’. Ce titre, <>, constitue une codification des r~gles de l’admi-
nistration du bien d’autrui qui sont pr6sentement 6parses ,clans le Code civil diu
Bas-Canada, la 16gislation qu6b6coise, la jurisprudence’53 et la doctrine’54.
Certes, le Rapport de l’Office de revision du Code civil mentionne certaines
r~gles particuli~res inspir~es du droit anglo-am6ricain’. Ndanmoins, l’esprit du
nouveau titre et la majorit6 des sources cit6es proviennent du droit civil.

Les juristes qu6b6cois qui ont 6tudi6 le mandat pour en tirer des r~gles
utiles a la qualification du rapport entre la soci6t6 par actions et ses dirigeants
se sont concentr6s sur l’6tude de la volont6 contractuelle du mandant constat6e
par les termes du mandat au lieu d’y reconnaitre la manifestation du pouvoir 6.
Le cadre restrictif du mandat pouvait les amener h consid6rer la port6e g6n6rale
de l’obligation fiduciaire du droit anglais5 T. Mais, m~me en l’absence du titre,
<>, le civiliste aurait tout aussi bien pu affir-

’51>, supra note 133 4 lap.
202. Voir 6galement, du m~me auteur, <> (1978)
19 C. de D. 7 A la p. 19.
152Art. 91 (curatelle aux absents), 269 (subrog6 tuteur), 290a (tuteur), 360 (corporation), 913
(ex6cuteur testamentaire), 981e (fiduciaire), 1705, 1711, 1717 (mandat), 1849 (societ6) C.c.B.-C.
15 3Voir surtout l’opinion dissidente de M. le juge Pratte de la Cour d’appel dans l’affaire Ber-

geron c. Ringuet quant a la qualification du membre du conseil d’administration:

Le directeur est d6sign6 par les actionnaires, mais il n’est pas A proprement parler leur
mandataire; il est un administrateur charg6 par la loi de g6rer un patrimoine qui n’est
pas le sien, ni celui de ses codirecteurs, ni celui des actionnaires, mais celui de ]a com-
pagnie, une personne juridique absolument distincte A ]a fois de ceux qui la dirigent et
de ceux qui en possdent le capital-actions ((1957), [1958] B.R. 222 t la p. 236
[ci-apr~s Bergeron]).

L’obligation du mandataire d’agir en bon pare de famille s’applique t l’exdcution du
mandat comme contrat, et ne comprend pas l’obligation de poser ou de s’abstenir de
poser tous les actes qui pourraient 6tre r~prhensibles suivant les normes de l’Equity,
mais qui ne ddrogent pas au contrat. Le droit civil s’en tient le plus souvent A la lettre
des contrats, au contraire de l’Equity (ibid. A ]a p. 128).

1MM. Gigu~re n’avait-il pas savamment avanc6, dis 1967, que l’on devait cesser de se r6fdrer
au concept de mandat ou agency pour qualifier le dirigeant et utiliser plut6t la notion de pouvoir
(supra note 44 i la p. 8) ?

155 Qffice de r6vision du Code civil, supra note 133 it la p. 523 et s. Aux notes 250 et 253 du
livre portant sur les biens, ce texte nous renvoie A ]a L.C.C.C., au Restatement, Trusts, 2′ au n, 241,
et au Uniform Principal and Income Act, American Law Institute, 1962 Revision, art. 8(a).
16Voir Caron, <>, supra note 9 i la p. 128; Fortin, supra note 43 A la p. 144
et s. ; Richard, L’obligation de loyaut6 des administrateurs de compagnies qudb6coises: Une
approche extra-contractuelle>>, supra note 85 t la p. 938.

’57Voir Caron:

1994]

LA SOCITt PAR ACTIONS ET SES PIIRIGEANTS

31

mer l’existence de la notion de pouvoir h partir du mandat qui est une illustra-
tion particulibre de cette notion du droit priv6.

L’articulation des pouvoirs de la corporation de droit anglais est propre A
ce systbme juridique. Ces pouvoirs correspondent, en droit civil, aux droits et
obligations de la personne morale, et sont des concepts inconnus en droit
anglais. La personnalit6 morale ne constitue pas une cat~gorie du droit anglais 58
et les notions de droits et obligations lui sont 6trangbres. L’attrfbution de pou-
voirs A la corporation n’a d’int6rt que pour le droit anglais qui ne fait pas la
distinction entre le droit privd et le droit public’59. En droit qu6b6cois, il n’y a
pas de lien conceptuel entre les pouvoirs de la corporation de droit anglais, qui,
par le biais de notre droit public, correspondent h une notion <> du pou-
voir, et l’exercice des droits subjectifs par la personne morale ou l’exercice de
pouvoirs par ses dirigeants, ceux-ci relevant du droit privd et 6tant r6gis par le
droit civil. Le Code civil du Quibec met f’m

ce genre de confusion.

Depuis la codification du Code civil du Bas-Canada, le droit qudb6cois de
la socit6 par actions s’est d6velopp6 en marge du .droit civil. Plut6t que puiser
A meme les sources civilistes de notre droit privd, les tribunaux qudbdcois ont
emprunt6 au droit anglais des concepts fondds sur sa dualit6 systdmique qui sont
inconnus en droit civil. Le fonctionnement de la socidt6 par actions et la qua-
lification de son rapport avec ses dirigeants sont calqu6s sur le droit anglais.
Celui-ci propose un r6gime trbs ddvelopp6 concemant les obligations des diri-
geants et des employds supdrieurs envers la corporation en ayant recours au
concept de la relation fiduciaire qui ddcoule du trust.

Traditionnellement, en droit civil, la division et l’administration du patri-
moine d’une personne ne relevaient pas d’un concept analogue au trust. Vu
l’emprunt frdquent de ce concept au droit anglais par les juristes qu6b6cois, il
n’a donc pas 6t6 possible de qualifier le rapport entre la socidt6 par actions et
ses dirigeants de fagon satisfaisante en droit civil. Cependant, d’ores et d6jA, une
certaine doctrine qu6bdcoise signale ce phdnombne et tend h replacer le droit de
la soci6t6 par actions dans un cadre conceptuel civiliste. I1 est possible de red6-
fmir le droit de la socidt6 par actions et de qualifier son rapport avec ses diri-
geants selon des principes civilistes sans faire 6chec aux particularitds de son
fonctionnement. Le Code civil du Qudbec nous invite h le faire puisqu’il 6tablit
expressdment que le droit suppldtif, pour toute matibre de droit priv6, est le droit
civil. Au lieu de recourir au cadre conceptuel anglais, il tend h dtablir une thdo-
ne de la personnalit6 morale fondde sur des notions civilistes.

La socidt6 par actions y est reconnue comme une personne morale de droit
priv6, capable de jouir de ses droits subjectlfs. Son fonctionnement est assur6
par l’assembl6e de ses membres et par ses dirigeants qui administrent son patri-
moine. Ces personnes physiques exercent des pouvoirs d’agir
l’dgard du patri-
moine de la socidt6 par actions qui s’opposent h l’exercice de leurs droits sub-

158Cantin Cumyn, ((Les personnes morales dans le droit prMv du Quebec>>, supra note 9 A la p.

1023.

159David, supra note 4 au n 290.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 39

jectifs individuels. On peut utiliser la notion de pouvoir en droit priv6 pour qua-
lifier le rapport entre la soci~t6 par actions et ses dirigeants et puiser dans la
th6orie civiliste du pouvoir les principes g6n6raux applicables A son 6tude.

II. Les pouvoirs des organes et des dirigeants de la soci~t6 par actions

Le Code civil du Quebec 6nonce que la personne moiale agit par ses
organes et est repr6sent6e par ses dirigeants’ . La notion d’organe est connue
en droit qu6b~cois”6 ‘, mais elle est peu d6velopp6e par la doctrine 62 . La repr6-
sentation fait 6galement partie int6grante du droit qu6bcois. Ces notions d’or-
gane et de repr6sentation permettent d’expliquer le fonctionnement de la soci6t6
par actions suivant l’attribution des pouvoirs aux organes et aux dirigeants
sociaux (A).

Dans son 6tat actuel, le droit qu6b6cois suppose que le dirigeant de la
soci6t6 par actions assume les obligations d’un mandataire envers son mandant.
La red6finition conceptuelle du rapport entre la soci~t6 par actions et ses diri-
geants dans le cadre de la th6orie du pouvoir permet d’analyser 1’exercice des
pouvoirs par les organes et les dirigeants sociaux ainsi que d’envisager leur con-
tr6le par la soci~t6 par actions en dehors du m~canisme du mandat (B).

A. L’attribution de pouvoirs

Le droit civil frangais a longtemps fait face h la m~me difficult6 que le
droit qu6b6cois dans l’articulation du rapport entre la soci6t6 par actions et ses
dirigeants dans le cadre du mandat. Cependant, la doctrine franqaise est pass~e
de la conception classique de la repr6sentation, telle qu’illustr6e par le mandat,
h la reconnaissance de l’autonomie du pouvoir sans repr6sentation. I1 convient
de s’int6resser h cette 6volution qui situe le rapport entre la soci6t6 anonyme et
ses organes d’une part et ses dirigeants d’autre part dans la th6orie du pouvoir
en droit priv6 (1).

Le droit qu6b~cois peut utilement tirer de cette doctrine les 616ments th6o-
riques pernettant de faire la distinction entre le rapport de la soci6t6 par actions

’60Art. 311-12 C.c.Q.
161Voir inter alia l’opinion de M. le juge Pratte dans l’affaire Cloutier c. Dion: vLes directeurs
sont le cerveau de la compagnie ; ils constituent le seul organe par lequel la compagnie puisse agira
([1954] B.R. 595 aux pp. 605-606) et dans l’affaire Bergeron:

La compagnie A fonds social est une creature de ]a loi, une personne morale qui ne peut
manifester de vie que par les organes dont la loi pr6voit la constitution et auxquels elle
attribue des fonctions d~termin6es : le bureau de direction, dont les membres sont dtsi-
gn6s par les actionnaires, et l’assembl6e des actionnaires (supra note 153 h ]a p. 235).

‘ 62 Voir M.-L. Beaulieu, > (1964) 24 R. du B. 74 ; A. Nadeau et R. Nadeau, Trait6 pra-
tique de la responsabilit6 civile ddlictuelle, Montreal, Wilson et Lafleur, 1971 a la p. 58 et s. ;
Caron, <>, supra note 9 A ]a p. 114 ; Y. Lauzon, “Un aspect particulier de ]a th6orie
organique de la personnalit6 corporative: Une corporation peut-elle 6tre atteinte de folie ?o (1973)
8 R.LT. 535 ; Renaud et Smith, vol. 4, supra note 36 au c. 29, p. 1359 et s.

Cependant, voir l’ouvrage r6cent de M. Liz~e, La responsabilit6 sociale de la socit& conner-
diale, th~se de doctorat en droit, Universit6 de Montrdal, 1991 [non publide], qui explique la capa-
cit6 d’exercice des droits de la soci6t6 par actions par ]a th6orie organique.

1994]

LA SOCItTt PAR ACTIONS ET SES DIRIGEANTS

33

et ses organes, qui agissent sans repr6sentation – notamment le conseil d’ad-
ministration qui 6tablit les politiques de la soci~t6 par actions et qui 6labore la
volont6 sociale de cette derni~re –
et ses dirigeants, qui la repr6sentent h
l’6gard des tiers dans l’accomplissement d’actes juridiques (2).

1.

De la reprdsentation h l’autonomie du pouvoir

Dans la France du XIXC si~cle, l’origine contractuelle de la soci6t6 ano-
nyme a entram6 le recours au principe de l’autonomie de la volont6 comme
source premiere de toute obligation juridique issue du contrat”63 .

L’expression de la volont6 sociale s’est d’abord manifest6e par le m6ca-
nisme de la repr6sentation16 . Cette repr6sentation caract6rise une relation tripar-
tite en vertu de laquelle le repr~sentant agit au nom du repr6sent6 et pour le
compte de ce demier dans l’accomplissement d’un acte juridique avec un tiers.
Elle s’explique par une scission temporaire du droit subjectif entre son titulaire
et son contenu ; de lM d~coule l’exercice du droit subjectif par le repr6sentant au
nom du repr6sent6″‘. L’action accomplie pour le compte du repr6sent6 relive de
l’exercice du pouvoir 66 .

Le mandat a traditionnellement illustr6 ce m6canisme. Toute personne phy-
sique g6rant le patrimoine de la socidt6 anonyme fut d’abord considdr&e comme
6tant mandataire des associ6s suivant une d~l~gation de leurs pouvoirs67. L’ar-
ticle 22 de la Loi du 24 juillet 1867 d6clarait que la soci6t6 anonyme 6tait admi-
nistr6e par un ou plusieurs mandataires faisant aussi partie des associ6s. Cette
loi pr6voyait la d6signation d’administrateurs sans pour autant d6finir leurs pou-
voirs ‘6 . Or, cette conception allait A l’encontre du principe de la responsabilit6
limit6e des associ~s puisque l’ex6cution du mandat engage n6cessairement la
responsabilit6 du mandant 16 9. Plus tard, la situation fit corrig6e par la doctrine,
et les dirigeants 6taient alors consid6r6s comme les mandataires de la soci6t6
anonyme et non les mandataires des associ6s.

Puis, la doctrine mit fm

l’application du mandat conventionnel puisque,
par la Loi du 24 juillet 1867, le l6gislateur semblait pr6ciser la structure juri-

163Voir Ripert, supra note 21 au n’ 670 et s.
16411 s’agit de la repr6sentation dans 1’6tablissement d’un lien de droit, ou repr6sentation dans
l’action, qui est applicable t cette 6tude. Voir Storck, supra note 145 au n’ Ill. A l’origine, en droit
romain, le titulaire du droit subjectif devait agir pour son propre compte et en son, nom propre. Seul
le titulaire du droit pouvait s’engager personnellement puisque la modification de l’ordre juridique
allait affecter son patrimoine ; la repr6sentation 6tait un m6canisme exceptionnel. Les juristes de
l’ancien droit frangais ont lgitim6 l’application de ce m6canisme qui depuis a acquis une place
importante au cceur du droit civil. La repr6sentation fait obstacle a l’autonomie de la volont6 sui-
vant laquelle une personne peut 8tre li6e uniquement par les effets d’un acte auquel elle a consenti.
Voir Storck, ibid. au n 91 et s.

165Ibid. au n* 135 et s.
161Ibid. au n 161 et s.
167Ripert, supra note 21 au n 695 ; P. Coulombel, Le particularisme de la condition juridique
des personnes morales de droit prive, Langres (Fr.), Imprimerie moderne, 1950 h la p. 308 et s.
16’Ripert, ibid. au n 1257.
169Liz6e, La responsabilitM sociale de la socitg commerciale, supra note 162

la p. 120.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 39

dique de la soci6t6 anonyme 170 . Le dirigeant fut alors consid6r6 comme le repr6-
sentant 16gal de la soci6t6 anonyme.

Or, la repr6sentation, qu’elle soit conventionnelle ou 16gale, suppose tou-
jours au moins deux personnes : le repr6sentant, auteur de l’acte, et le repr6-
sent6, titulaire du droit exerc6 et sujet d’imputation de l’acte ex~cut6. La repr6-
sentation suppose que la soci6t6 anonyme exprime sa volont6 de fagon
ind6pendante et ant6rieure h l’intervention du dirigeant. II en r6sulte une impos-
sibilit6 conceptuelle pour la socit6 anonyme d’exprimer sa volont6 puisque
cette fonction relive de ses dirigeants.

C’est ainsi que les notions de mandat et de repr6sentation l6gale furent
rejet6es. Les membres du conseil d’administration ne devaient plus etre consi-
d~r6s individuellement mais envisag6s en coll6gialit6, t titre d’organe de la
soci6t6 anonyme, permettant
celle-ci d’exprimer elle-m~me sa volont6′. Cet
organe incarne donc la soci6t6 anonyme dans la vie juridique.

La th~orie de l’orgarie fiat introduite en France par L6on Michoud”, mais
ses origines sont plus anciennes puisqu’on la retrouvait en droit romain”‘. Cette
thorie 6tablit un rapport 6troit entre la soci6t6 anonyme et ses principaux int6-
ress6s. I1 y a repr6sentation pleine et imm6diate de la soci~t6 anonyme par ses
organes 74.

La th6orie de l’organe entralne une conception nouvelle de la soci~t6 ano-
nyme : la soci6t6 institution 75. Cette conception est l’ceuvre de deux juristes
frangais, Maurice Hauriou’76 et Georges Renard 77. L’institution marque la fin de

170Ripert, supra note 21 au n 1257.
171Voir Storck:

la personne pour le compte de qui iI agit:

L’organe s’identifie
Quand il y a organe, c’est ]a personne juridique qui agit elle-meme; son organe n’est
pas quelque chose de distinct d’elle; il est une partie d’elle-m~me, dont elle se sert
comme la personne physique se sert de ]a bouche ou de la main. >, il nait en
mbme temps que celle-ci (supra note 145 au n* 282 et s.).

Voir aussi Coulombel, supra note 167.

‘7 2La thiorie de la personnalit6 morale et son application au droitfrangais, t. 1-2, 2’ dd. par
L. Trotabas, Paris, Librairie g6nrale de droit et de jurisprudence, 1924. Voir aussi Carbonnier,
supra note 109 au n 59.

173Liz~e discutant du droit romain : > (La responsabiliti sociale de la socigtj commerciale, supra note 162
A lap. 105). Voir 6galement B. Eliachevitch, Lapersonnalit~juridique en droitprive romain, Paris,
Sirey, 1942 aux pp. 131, 148 (cit6 6galement dans Liz6e, ibid. A la p. 105, n. 351).

174Les auteurs classiques ont r~solu que le pouvoir de l’organe 6tait inclu dans le pouvoir plus
g6n~ral de la repr6sentation, soit la repr6sentation organique, pleine et immediate. Selon eux, ]a
repr6sentation est une n6cessit6 organique, le seul moyen par lequel la soci~t6 anonyme puisse
poser des actes. Voir Coulombel qui discute de ce phdnom~ne, supra note 167 aux pp. 312-15. Voir
6galement les auteurs Mestre, Rouast et Gierke, cit6s dans Coulombel, ibid. aux pp. 311-12.

175Ibid. A la p. 313.
‘7 6 > [1906] Rec. ac. leg. Toulouse 134, cit6 dans Gamache,

infra note 178.

177La thgorie de l’institution : Essai d’ontologie juridique, vol. 1-2, Paris, Sirey, 1930 ; La phi-

losophie de l’institution, Paris, Sirey, 1939.

1994]

LA SOCfITI PAR ACTIONS ET SES DIRIGEANTS

35

la conception contractuelle de la soci6t6 anonyme puisque c’est la loi qui 6ta-
bliera dor6navant sa structure et son mode de fonctionnement 17

1.

Quels que soient son mode de constitution et sa structure, une fois form6e,
la soci6t6 institution doit atre envisag6e selon l’ensemble de ses organes hi6rar-
chis6s et ind6pendants, entre lesquels sont r6partis ses pouvoirs d’administration
et de d6cision sociale, de contr6le de l’administration et de v6rification des
comptes sociaux.

La socit6 institution a une fmalit6 autonome79 . Les int6rats des divers
organes sont subordonn6s t la fm poursuivie par l’institution qui en constitue
l’int6r&t social. Contrairement au module de l’unincorporated joint stock com-
pany du droit anglais ou du contrat de soci6t6 du droit civil, qui expliquent leur
fonctionnement par la d616gation de pouvoirs, la th6orie de l’institution conduit

un partage de pouvoirs plut6t qu’A une d6ldgation.

Lors des modifications A la 16gislation frangaise sur la socidt6 anonyme, les
16 novembre 194080 et 4 mars 1943′, le 16gislateur a pr6vu que la soci6t6 ano-
nyme serait administr6e par un conseil d’administration et que la direction, qui
comprend l’exdcution des ddcisions du conseil d’administration, serait attribu6e
t un pr~sident-directeur g6ndral’ 82. De m~me, la th6orie de l’organe a 6t6 con-
fsrm6e par un jugement de la Cour de cassation rendu le 4 juin 194683.

La th6orie de l’organe permet d’affirmer la capacit6 volitive'” de la soci6t6
anonyme ainsi que sa responsabilit6 tant sur le plan civil que sur le plan pdnal85.
Quant
la question de la faute contractuelle, la reprdsentation la solutionnait

17 8La th6orie de 1institution est discut6e en droit qu6bdcois de Ia soci6t6 par actions. Voir Smith,
Le statut juridique de l’administrateur et de l’officier au Quebec>>, supra note 23 h la p. 621 et
s. R6cemment, M. Gamache a d6montr6 que la structure de la soci~t6 par actions relevait de l’ins-
titution (Les mncanismes structuraux et la conception institutionnelle de la compagnie, Montreal,
Th~mis, 1985). Voir 6galement Liz~e qui affirme :

II est ind6niable que ce concept d’institution d~crit tr~s bien la r6alit6 corporative et
rend 6vident l’insuffisance de P’explication contractuelle. I1 corrobore la th~orie des
syst~mes et fait mieux comprendre ce qui provoque le ph6nom~ne d’entit6 et de finalit6
distinctes du >, par rapport aux membres qui le composent. Ce ph6nom~ne r6sulte
de la conjonction de l’int~rt social et de l’organisation du groupement qui polarisent
les 6nergies vers un but commun, suscitant ainsi un tout sup6rieur A la somme des 616-
ments qui le composent (La responsabiliti sociale de la soci~tj commerciale, supra
note 162 aux pp. 84-85).

179Ripert, supra note 21 au n 671 ; de Juglart et Ippolito, supra note 109 au ne 419 et s.
18 0Loi diu 16 novembre 1940 relative aux socigtis anonymes, J.O., 26 novembre 1940, 5828, Gaz.

I 1Loi n” 145 du 4 mars 1943 relative aux socigtis par actions, J.O., 6 mars 1943, 642, Gaz.Pal.

Pal. 1940. 2′ sem. L6g.548.

1943. 1′ sem. L6g.349.

2Voir Ripert, supra note 21 au n* 1257 ; de Juglart et Ippolito, supra note 109 au n 708.
18
18 3Cass. civ, 4juin 1946, J.C.P. 1947.11.3518 (note D. Bastian), cit6 dans Liz6e, La responsabiliti

sociale de la socigtg commerciale:

La soci~t6 anonyme est une socit6 dont les organes sont hi~rarchis6s et dans laquelle
l’administration est exerc~e par un conseil, 61u par l’assembl6e gdn6rale. II n’appartient
donc pas h l’assemblde g6n6rale d’empi6ter sur les pr6rogatives du conseil en mati~re
d’administration (supra note 162 A la p. 122, n. 427).

84L’expression est emprunt6e h M. Liz6e, ibid. h la p. 102.
185Ripert, supra note 21 au n, 700.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 39

d6j . La faute s’assimile h l’acte exrcut6 par le repr6sentant pour et au nom du
reprrsent6 qui en devient alors responsable. L’organe engage ainsi le patri-
moine de la socirt6 anonyme. Quant h l’imputation A la soci~t6 anonyme d’un
fait juridique, source de responsabilit6 civile, la question 6tait probl6matique.
En effet, comme la representation ne permettait pas de l6gitimer 1’imputation
de la faute h une personne fictive et d’en exondrer l’auteur, il fallait considrer
le dirigeant comme un commettant pour pouvoir imputer la faute A la soci6td
anonyme, alors qu’il n’existait pas de lien de subordination entre la soci6t6
anonyme et ses dirigeants”‘8 . Toutefois, par la throrie de l’organe, il est facile
pour le droit positif, en vertu de l’article 1382 du Code civil frangais, d’impu-
ter directement A la soci6t6 anonyme la faute des membres de l’organe com-
mise dans l’exercice de leurs fonctions puisque l’organe fait partie int6grante
de la soci6t6 anonyme5 7.

La throrie de l’organe pennet d’assurer la protection des tiers par l’impu-
tabilit6 h la soci~t6 anonyme des actes et des fautes de l’organe. Cependant, elle
ne permet pas de clarifier le rapport interne entre la socirt6 anonyme et ses diri-
geants.

Af’m d’analyser ce rapport inteme, il faut distinguer ]a soci6t6 anonyme de
ses dirigeants, ce qui est impossible dans le cadre de la conception de la repr6-
sentation organique. L’institution implique le respect des comp6tences respec-
tives de chaque organe et suppose que les organes agissent dans l’int~rt social.
Elle 6labore les devoirs des dirigeants envers la socirt6 anonyme, mais n’offre
aucune r~gle juridique permettant de contr6ler la prise de decision par chaque
membre des organes 1’5 .

Heureusement, la doctrine frangaise r6cente5 9 reconnait que le pouvoir
puisse comporter une rralit6 indrpendante du m6canisme de la repr6sentation ;
il s’agit de la notion de pouvoir propre. Le pouvoir propre caract6rise une rela-
tion bipartite : il est directement attribu6 par la norme au titulaire, qui l’exerce
en son nom propre, pour le compte du brnrficiaire et non au nora d’un repr6-
sent6.

L’application de la notion de pouvoir propre est plus juste que celle de la
reprdsentation organique pleine et immediate de la socirt6 anonyme. L’organe
fait partie int6grante de la socirt6 anonyme, ce qui exclut la pr6sence des deux

186L’imputation de la faute drlictuelle des membres de l’organe a la socirtd anonyme se faisait,
en droit frangais, par l’application de l’art. 1384, al. 5 C. civ. : <. Cet article trouve son 6quivalent a l’art. 1054, al. 7 C.c.B.-C.
‘art. 1053 C.c.B.-C. Voir

87La doctrine qurbrcoise adopte le meme raisonnement fond6 sur
1

Nadeau et Nadeau, supra note 162 aux pp. 58-59.

188En droit qurbrcois, M. Gigu~re a fait 6tat des devoirs des dirigeants envers ]a socidt6 par
actions en vertu de la th~orie de l’institution (supra note 44). Par ailleurs, Renaud et Smith sont
incapables d’appliquer les r~gles de l’institution pour 6tablir un rdgime applicable au rapport
interne entre la soci6t6 par actions et ses dirigeants qui soit indrpendant du mandat : (vol. 4, supra note
36 au c. 33, p. 1531, n* 30).

189Voir ci-dessus, la partie I.B.2.b.ii.

1994]

LA SOCI]Tt PAR ACTIONS ET SES DIRIGEANTS

37

acteurs n6cessaires pour qu’il y ait reprdsentation. De ‘plus, l’administration
quotidienne du patrimoine de la socidt6 anonyme par ses organes ne relive pas
du m~canisme de la reprdsentation ; elle ne se limite pas h l’exercice des droits
de la soci~t6 anonyme
l’6gard des tiers. On doit opposer le pouvoir propre au
pouvoir de reprdsentation 90 . Ainsi, le fonctionnement de la soci~t6 anonyme
relve de deux pouvoirs diff~rents qui sont parfois cumul6s par les m8mes per-
sonnes.

Premi~rement, la Loi du 24 juillet 1966 attribue des pouvoirs propres t
divers organes de la soci6t6 anonyme, notamment A l’assembl6e des actionnai-
res et au conseil d’administration.

Deuxi~mement, elle attribue au prdsident du conseil d’administration un
pouvoir de repr6sentation qui a pour objet l’ex~cution t l’6gard des tiers des
decisions autoris6es par les organes comp~tents. I1 ne peut renoncer
l’exercice
de ce pouvoir en le d616guant totalement. I peut, par contre, attribuer h des per-
sonnes d~ldgu6es sp~cifiquement, des pouvoirs de repr6sentation ou mandats
sp~ciaux, pour un objet d6termin6 191. –

La th~orie de l’organe impute A la soci6t6 anonyme la d6cision de l’organe.
L’identit6 de chaque membre de l’organe s’efface devant sa fonction. La notion
d’organe met en lumi~re les droits et les obligations de la soci6t6 anonyme et
s’av~re utile pour prot6ger les droits des tiers vis-A-vis la soci6t6 anonyme grace
Sl’imputation des actes et des fautes de l’organe A cette derni~re. Par contre,
l’6tude du pouvoir comme r6alit6 ind6pendante de la th6orie de l’organe est plus
appropri6e h la discussion du rapport entre la soci6t6 anonyme et les membres
de ses organes’ 92.

19Voir Storck:

Les pouvoirs des organes d’une soci&t6 ont 6galement une double nature, de pouvoirs
propres et de pouvoirs de representation : les auteurs qui ont tent6 d’&ablir que l’or-
gane de Ia soci6t6 a la qualit6 uniquement de repr6sentant de la soci6t6 ou des soci6t6s,
ont conclu A l’inadaptation du m6canisme en l’esp~ce. J. H6mard, F. Terr6 et P. Mabilat
rel~vent ainsi dans leur ouvrage sur les soci6t6s commerciales l’6volution 4 propos de
la compdtence du conseil d’administration des soci6t6s anonymes, du mandat conven-
tionnel en un mandat 16gal puis une thdorie de l’organe ayant des pouvoirs dil~guis
et des pouvoirs propres. Les pouvoirs de l’organe se dedoublent en un pouvoir propre
de d6cision relatif
l’61aboration de la volont sociale et un pouvoir de repr6sentation
qui conceme l’ex6cution de l’op6ration dans les rapports avec les tiers (supra note 145
au n 284).

Voir 6galement Ripert, supra note 21 au n’ 695.

19’Loi du 24 juillet 1966, supra note 33, art. 113 et s., mod. par Loi n 67-559 du 12juillet 1967,
J.O., 13 juillet 1967, 7015, Gaz.Pal. 1967. 2 sem. Lg.70, art. 17. Voir Ripert, supra note 21 aux
n’r 1301, 1308 et s. Le directeur g~n6ral assiste le pr6sident du c6nseil d’administration. Face aux
tiers, il dispose des memes pouvoirs que ce dernier (Loi du 24juillet 1966, ibid., art. 117). Le cadre
est-g~ndralement engag6 par le prdsident du conseil d’administration qui d~fmit ses fonctions. HI
est i6 par un lien de subordination envers le pr6sident du conseil d’administration envers qui il
doit faire preuve de loyaut6. Le cadre n’est pas titulaire d’un pouvoir 16gal de repr6sentation pour
et au nom de la soci6t6 par actions sauf que c’est A lui que le pr6sident du conseil d’administration
va g6n6raIement d616guer partiellement son pouvoir de repr6sentation. Voir Y. Picod, Le devoir de
loyaut dans l’exicution du contrat, Paris, Librairie g~n6rale de droit et de jurisprudence, 1989 au
n* 139.

192Voir Gaillard, supra note 144 au n 344.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 39

L’tude du pouvoir et celle du droit subjectif offrent chacune leur int6rt

puisqu’elles peuvent traduire le m~me ph~nom~ne sous des angles oppos6s 93.
Dans l’6tude des effets de la personnalit6 juridique, tout comme dans la th6orie
de l’organe, on consid~re le dirigeant comme repr6sentant (ou organe) exer-
9ant les droits subjectifs de la socirt6 anonyme. La reconnaissance de l’auto-
nomie du pouvoir par le droit civil ajoute une nouvelle dimension A l’6tude de
l’organe ; elle rrv~le une dichotomie entre la soci6t6 anonyme et ses dirigeants
qui agissent en organe, afin de concevoir leur conduite au sein de l’organe dans
l’exercice d’un pouvoir propre ou d’un pouvoir de representation.

2.

Les pouvoirs du conseil d’administration et des dirigeants de la soci6t6
par actions au Quebec

La soci~t6 par actions constitu6e en vertu de la L.C.Q. est soumise A un
r6gime de fonctionnement interne semblable A celui de la soci6t6 par actions
constitute en vertu de la L.S.A. Le fonctionnement de la socirt6 par actions est
assur6 par ses organes sociaux. Individuellement, les actionnaires ont des
droits repr6sent6s par les actions qu’ils poss6dent dans le capital-actions de la
socirt6 par actions ; en assemblre, par contre, ils forment un organe ayant trois
pouvoirs propres : 1 organe 6lectoral qui nomme les membres du conseil d’ad-
ministration et le v6rificateur aux comptes, 20 organe de contr6le de l’adminis-
tration sociale et 3′ organe d’approbation des decisions les plus importantes.
Cependant, dans les affaires quotidiennes, ce sont le conseil d’administration
(a) et quelques dirigeants (b) qui assurent l’administration de la soci6t6 par
actions.

a. Le pouvoir propre du conseil d’administration

La L.C.Q. pr6voit que les affaires de la soci6t6 par actions sont adminis-
trees par un conseil d’administration 94 . La L.S.A. est A peine plus pr6cise ; elle
prrvoit que les administrateurs g~rent les affaires commerciales et internes de
la soci~t6 par actions”95. Les affaires internes y sont d6finies comme 6tant
<[I]es relations, autres que d'entreprise, entre la socirt6, les personnes morales appartenant au meme groupe et leurs actionnaires, administrateurs et 'diri- geants>>96. Ce pouvoir du conseil d’administration peut lui atre retir6 par con-
vention unanime des actionnaires 97 .

’93Voir Gailard:

[L]a reprsentation jette un pont entre les notions de droit subjectif et de pouvoir et per-
met de passer de l’une A rautre par un curieux jeu de traduction. Ainsi, ]a proposition

devient > (ibid. au n’ 252).

’94Art. 83, 91(1) (Partie I), 123.72 (Partie IA) L.C.Q.
195A-t. 102(1) L.S.A.
196Art. 2(1) L.S.A.
197Art 310 C.c.Q. Seuls le fonctionnement de ]a socidt6 par actions constitude en vertu de la Par-
tie IA de la L.C.Q., et celui de la soci~t6 par actions constitute en vertu de ]a L.S.A., peuvent 8tre
regis par une convention unanime des actionnaires. Voir l’art. 123.91 L.C.Q. et les art.
146(2)-146(5) L.S.A.

1994]

LA SOCI TI PAR ACTIONS ET SES DIRIGEANTS

39

Le Code civil du Quibec 6nonce, par ailleurs, que le conseil d’administra-
tion g~re les affaires de la personne morale’98. Les termes <> et
<> illustrent mal la nature des pouvoirs du conseil d’administration ; ils
6voquent trop facilement le carcan du mandat 99 .

Le 16gislateur frangais dprouve la meme difficult6 b ddfmir les pouvoirs du
conseil d’administration. I a s6par6 le pouvoir central de la volont6 sociale et
attribue un pouvoir propre d’administration au conseil d’administration qui est
investi des pouvoirs les plus 6tendus pour agir en toutes circonstances an nom
de la soci6t6 anonyme2 . 1i les exerce dans les limites de l’objet social et sous
r6serve de ceux express~ment attribu6s par la loi t l’assembl6e d’actionnaires.
Les administrateurs n’ont plus aucun pouvoir personnel”‘. Le l6gislateur attri-
bue 6galement un pouvoir g6n6fal de direction de la soci6t6 anonyme au pr6-
sident du conseil d’administration2 2 ; ce demier constitue l’organe de direction
investi d’un pouvoir propre. Les pouvoirs d’administration et de direction ne
sont pas d6fmis dans la Loi du 24 juillet 1966. Mine Frangoise Cherchouly-
Sicdrd observe que <<[d]es recherches ont 6t6 faites en droit pour tenter de dis- tinguer 'l'administration' de la 'direction' ; tous les efforts se sont avdr6s st6- riles>>2 3. On utilise donc les deux termes comrne s’ils 6taient synonymes2″.

Le titre, >, distingue deux niveaux
d’administration: la simple administration2 5 , qui vise la conservation du bien
ou le maintien de l’usage auquel le bien est normalement destin6, et la pleine
administration’2 , qui y ajoute la fructification et l’accroissement du patrimoine
ou la r6alisation de l’affectation du bien. L’objet de la gestion –
ou de l’admi-
nistration –
du conseil d’administration se veut plus large puisque ce dernier
est l’organe central de la soci6t6 par actions20 7. Outre les pouvoirs particuliers
conf6r6s par le 16gislateur, il d6tient les pouvoirs les plus 6tendus pour exercer
les droits de la soci6t6 par actions ; on ne saurait les restreindre h l’application
de la simple, voire de la pleine administration.

Le Code civil du Qudbec 6nonce que la personne morale <> par ses
organes2′. En pratique, toutefois, le conseil d’administration n’agit pas ; il d6fi-

19 Art 335 C.c.Q.
’99Voir l’art. 1703 C.c.B.-C.
20 Loi du 24 juillet 1966, supra note 33, art. 98, al. 1.
2OlRipert, supra note 21 au n 1260; de Juglart et Ippolito, supra note 109 aux n- 709, 714.
202Loi du 24 juillet 1966, supra note 33, art. 113, al. 1. Avant 1’adoption de la Loi du 24 juillet
1966, le president du conseil d’administration 6tait d6sign6 le (voir
ci-dessus, la partie IA4.1.). Voir Ripert, ibid. au n* 1297.

203La responsabilitj civile des dirigeants sociaux pour faute de gestion, thse de doctorat en

droit, Universit6 de Paris II, 1982 [non publi6e] an n’ 113.

24Contra de Juglart et Ippolito :

I1 y a lieu, en effet, de distinguer des fonctions bien diff~rentes: o n’est pas for-
cment ou <. oGgren> c’est choisir une politique de 1’entreprise.
ou <> c’est voir si la politique choisie et d6cid~e est bien ex~cut6e
(supra note 109 au n’ 708).

205Art. 1301 et s. C.c.Q.
206Art. 1306 et s. C.c.Q.
2TSmith, Corporate Executives in Qudbec, supra note 87
201Ar. 311 C.c.Q.

la p. 32.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 39

nit les orientations de la politique de la soci6t6 par actions et exerce un contr6le
sur ses affaires29.

La th6orie du pouvoir en droit civil enseigne que tout pouvoir de nature
priv6e doit 8tre exerc6 par son titulaire et ne peut 6tre d6l6gu6 totalement. Le
conseil d’administration ne peut ni limiter ses pouvoirs ni renoncer ,5 les exercer
enti~rement. I peut les d6l6guer en partie
d’autres organes ou A des diri-
geants10 . La L.C.Q. et la L.S.A. permettent au conseil d’administration de d616-
guer certains de ses pouvoirs. En effet, la L.C.Q. permet au conseil d’adminis-
tration de d6l~guer certains de ses pouvoirs ‘a des officiers parmi lesquels on
retrouve un pr6sident d’assembl~e, un pr6sident de la soci~t6 par actions, un
vice-pr6sident, un tr6sorier, un secr6taire et autres titulaires z” . Par ailleurs, la
L.S.A. permet au conseil d’administration une d6l6gation limit6e de ses pou-
voirs” a un administrateur-g6rant choisi parmi les membres du conseil d’admi-
nistration ou A un comit6 du conseil d’administration2 3 de meme qu’A des diri-
geants qui portent les m~mes titres que les oofficiers> vis~s par la L.C.Q. 2 4.

Tel que mentionn6 pr6c6demment, J’assembl6e des actionnaires constitue
l’organe qui d6signe les membres du conseil d’administration”5. II s’agit d’une
d6signation des titulaires de pouvoirs propres attribu6s par la loi et non d’une
d6l6gation de pouvoirs216 . A la suite de leur 6lection et de l’acceptation de leur
fonction, les membres du conseil d’administration sont investis du pouvoir col-
16gial d’administtation des biens et des affaires de la soci&t6 par actions. Ils ne
sont pas titulaires d’un pouvoir personnel l7 , mais font partie de I’organe d’ad-
ministration de la soci6t6 par actions218 .

Le professeur James Smith a consid6r6 le statut juridique des membres du
conseil d’administration de la soci6t6 par actions qu6b6coise dans le cadre du
droit civil et en distingue le double r6le: Premi~rement, la gestion des affaires
de la soci6t6 par actions constitue l’objet du r~le interne des membres du conseil

2gde Juglart et Ippolito, supra note 109 au n* 720.
2 1 Voir les art. 335 (personnes morales), 1337 (administration du bien d’autrui) C.C.Q. Le Code
civil d Quibec cr6e une exception A ]a thorie du pouvoir en droit privd, puisque l’art. 1337 pr6-
voit, A titre suppl6tif, la d616gation g6n6rale entre coadministrateurs.
211Art. 89(4), 91(2)d), 100 L.C.Q. Voir aussi l’art. 92 L.C.Q. en ce qui a trait au comit6 exdcutif.
212ArtL 115(l), 115(3) L.S.A.
213Art. 115(1) L.S.A.
2 14Art. 121, 189(2) L.S.A. En droit frangais, le conseil d’administration nomme, sur proposition
de son pr6sident, un directeur g6n6ral et d6tennine les pouvoirs qu’il lui d61 gue en vertu des art.
115 A 117 de la Loi d 24 juillet 1966, supra note 33. L’art. 90 du Dicret n’ 67-236 d 23 mars
1967 sur les sociit~s commerciales, J.O., 24 mars 1967, 2843, D.1967.L6g.137 pr6voit que le con-
seil d’administration peut conf6rer A n ou plusieurs de ses membres, ou a des tiers, des mandats
sp6ciaux pour un ou plusieurs objets d6termin6s. Les int6ress6s pourront repr6senter Ia soci~t6 ano-
nyme bien que le conseil d’administration ne possde pas Iui-meme de pouvoir de reprdsentation.
Voir Ripert, supra note 21 au n* 1301.

2 15Art. 88-89 L.C.Q.; art. 106(3) et s. L.S.A.
216Lizde, La responsabiliti sociale de la socigtd commerciale, supra note 162 A ]a p. 122, n. 422.
21711 est regrettable que la Partie IA de la L.C.Q. supporte l’ide que le conseil d’administration
est titulaire de droits, puisque les membres du conseil d’administration n’exercent pas leurs droits
personnels, mais un pouvoir d’administration pour le compte de ]a soci6t6 par actions. Voir les art.
123.82 et 123.92 L.C.Q.

2 1$Art. 311 C.c.Q.

1994]

LA SOCITt PAR ACTIONS ET SES DIRIGEANTS

41

d’administration qui sont alors qualifies de fonctionnaires de la soci~t6 par
actions, puisqu’ils exercent une fonction d’administration pour le compte de
cette demire”9. Deuxi~mement, le membre du conseil d’administration est
qualifi6 de mandataire de la soci~t6 par actions lorsqu’il la repr6sente. La repr6-
sentation constitue le r6le ext6rieur du rapport juridique inteme22.

Cette affirmation d’un double r6le est juste ; n~anmoins sa d6f’mition peut
8tre reformul6e de fagon
tenir c.ompte de la th6orie du pouvoir. Dans sa rela-
tion interne avec la soci6t6 par actions, le membre du conseil d’administration
est un administrateur du bien d’autrui qui fait partie d’un organe dot6 par la loi
d’un pouvoir propre d’administration. Les coadministrateurs agissent en coll6-
gialit6 au nom de l’organe, pour le compte de la soci6t6 par actions. Dans son
rapport externe, le membre du conseil d’administration peut, au m~me titre que
tout autre dirigeant, se voir attribuer un pouvoir de repr6sentation de la soci6t6
par actions, a l’6gard d’un tiers, dans l’accomplissement d’un acte juridique.

b. Le pouvoir de reprisentation des dirigeants

Le Code civil du Quebec dispose que toute personne, physique ou morale,
est apte A exercer ses” droits civils. Ces droits peuvent 6galement 8tre exerc~s
suivant le m6canisme de la reprdsentation221 . Le repr6sentant exerce,
l’6gard
des tiers, les droits subjectifs de la personne repr6sent~e au nom et pour le
compte de cette derni~re. Le repr6sentant doit alors manifester la volont6 de
cr6er un lien de droit- avec le tiers. La repr6sentation ne s’ai3plique qu’h la
volont6 d’accomplir un acte juridique2?. Cette volont6 correspond
l’exercice
du droit subjectif par le biais de l’exercice du pouvoir de repr6sentation, lequel
peut 6tre de source 16gale, judiciaire, voire conventionnelle, tel qu’illustr6 par
le mandat.

Le Code civil du Quebec pr6voit que la personne morale est repr~sent6e
par ses dirigeants2 3. Le terme g~n6rique <> est substitu6 & celui d’<> utilis6 par le Code civil du Bas-Canada24. Le Code civil du Quebec attri-
bue aux dirigeants un pouvoir 16gal de repr6sentation. Les r~gles concemant
l’exercice de ce.pouvoir h l’6gard d’un tiers sont codifi6es par le r6gime, <>
. Elles correspondent aux r~gles applicalles
au mandat2 6 . D’aileurs, la doctrine qu6b6coise explique traditionnellement par

lap. 621.

219>, supra note 23
220lbid. a la p. 534.
221Art. 4 C.c.Q.
22211 semble exister une controverse en droit qu~b6cois A savoir si le mcanisme de la repr6sen-
tation s’applique aux faits matdriels accessoires
l’ex6cution de l’acte juridique. Certains auteurs
excluent les faits materiels du m6canisme de la representation. Voir inter alia C. Fabien, .

m2 Art. 1319 et s. C.c.Q.
26Art. 2157 et s. C.c.Q.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 39

les r~gles du mandat le rapport externe entre la soci6t& par actions et ses diri-
geants A I’6gard des tiers dans l’accomplissement d’un acte juridique227. Ce rap-
port exteme est parfois qualifi6 de mandat l6gal, par opposition au mandat con-
ventionnel.

Les limites des pouvoirs attribu6s aux dirigeants autres que les membres du
conseil d’administration sont g6n6ralement d6finies dans les r~glements de la
soci6t6 par actions ou par une r6solution du conseil d’administration. Par ail-
leurs, la L.C.Q. et la L.S.A. pr6voient que les membres du conseil d’adminis-
tration d6tiennent en coll6gialit6 un pouvoir 16gal de repr6sentation2
. En pra-
tique, pour des raisons d’efficacit6 dans l’accomplissement des transactions
commerciales, il est extr~mement rare que les administrateurs exercent en col-
16gialit6 ce pouvoir de repr6sentation A l’6gard des tiers. Ils constituent cepen-
dant l’organe qui d6cidera d’ex6cuter l’acte et d6l6guera, par la cr6ation d’un
mandat sp6cial en faveur du repr6sentant de leur choix – un membre du conseil
d’administration ou toute autre personne -,
le pouvoir de repr6senter la soci6t6
par actions pour l’ex~cution proprement dite de l’acte juridique. En acceptant
cette charge, le repr6sentant parfait la cr6ation de ce mandat230.

Bref, le fonctionnement de la soci6t6 par actions relive de l’attribution de
deux types de pouvoirs aux organes et aux dirigeants sociaux, soit le pouvoir
propre et le pouvoir de repr6sentation. Par contre, les cons6quences de l’attribu-
tion de pouvoirs sont identiques, qu’il s’agisse de l’un ou l’autre de ces pou-
voirs.

B. Les consequences de l’attribution de pouvoirs

L’attribution de pouvoirs confere une libert6 d’agir pour le compte d’au-
trui. Cette libert6 d’action n’est pas sans contrainte. Au contraire, la qualifica-

2 27Smith, <>, supra note 88 et
voir 6galement, du m~me auteur, XConsid6rations sur l’6tendue des pouvoirs de repr6sentation des
administrateurs et officiers de compagnies qudb6coises>> (1992) 26 R.J.T. 87.

228Voir Perrault, supra note 79 A la p. 493 ; Smith, ibid. a la p. 531 ; Caron, >, supra note 151 A la p. 10. C. Fabien affinme, dans son article,
L’abus de pouvoirs du mandataire en droit civil qu6bcois>>, supra note 222 A la p. 59, que ]a repr6-
sentation de
‘administrateur de ]a socidt6 par actions est conventionnelle. I cite A cet 6gard, inter
alia, l’article prdcit& de J. Smith. Or, ce dernier affirme : > (ibid.). Peuttre C. Fabien voulait-il avancer qu’on applique A l’administrateur de
la soci6t6 par actions les r~gles applicables au mandataire envers son mandant en vertu du mandat
conventionnel.

229Art. 91(1) (Parties I et IA) L.C.Q.; art. 102(1) L.S.A.
2L’objectif de la pr6sente section se limitait a prdsenter la distinction entre le pouvoir propre
et le pouvoir de repr6sentation. A cet 6gard, il est int6ressant de noter que Ia doctrine qudb6coise
r6cente s’intdresse A I’articulation des pouvoirs de repr6sentation des dirigeants. Quant A l’dtude
de la port6e de ces pouvoirs, nous rdfdrons le lecteur au rdcent article de L.-H. Richard sur l’analyse
des pouvoirs de repr6sentation du dirigeant de Ia socidt6 par actions constitude en vertu de la
L.C.Q. (<>, supra note 227).

1994]

LA SOCITTIt PAR ACTIONS ET SES DIRIGEANTS

43

tion du rapport entre la soci~t6 par actions et ses organes et dirigeants, partir
de la notion du pouvoir en droit priv6, entrame l’application des normes d’exer-
cice du pouvoir (1):

Puisque 1’exercice du pouvoir affecte le patrimoine du b6n6ficiaire, il est
1gitime que ce dernier puisse le contr6ler. L’exercice de pouvoirs entraime la
mise en application d’un m~canisme de contr6le par le b6ndficiaire. La soci6t6
par actions peut ainsi contr6ler l’exercice des pouvoirs par ses organes et diri-
geants (2).

1.

L’exercice de pouvoirs

Le Code civil du Quebec codifie les trois obligations g6n6rales qui
d~coulent de l’exercice de pouvoirs. Elles correspondent aux obligations que
reconnait la doctrine frangaise: l’obligation de respecter les limites des pou-
voirs (a), l’obligation de diligence et de prudence (b) et l’obligation de loyaut6
(c)”I. Ces obligations sont 6nonc~es dans le cadre des r~gles sur le mandat 2,
de celles sur l’administration du bien d’autrui233 ainsi qu’A la section III du cha-
pitre premier, <>, relative aux obligations des administra-
teurse.

I1 convient tout d’abord de pr~ciser la port~e du terme <>
employ6 dans cette section. Vise-t-il uniquement les membres du conseil d’ad-
ministration, A l’exclusion des autres dirigeants, telle que la formulation de l’ar-
ticle 316 du Code civil du Quibec le suggre ? Le terme choisi peut porter t
confusion. I1 nous semble qu’il aurait dfi viser toute personne qui est titulaire de
pouvoirs devant etre exerc~s pour le compte d’une personne morale. Les trois
obligations g~n6rales que doit assumer ledit administrateur se manifestent sous
diverses formes et se trouvent, pour la plupart, mentionn6es parmi les obliga-
tions de l’administrateur du bien d’autrui envers le b~n~ficiaire dans le titre,
<>.

Le conseil d’administration d’une socidt6 par actions exerce ses pouvoirs
propres A travers la prise de decision de ses membres. A l’inverse, d’autres diri-
geants seront appel6s
exercer individuellement des poutvoirs propres ou des
pouvoirs de representation. L’tat actuel du droit qu~b6cois d~montre que ce
sont g~n6ralement les dirigeants autres que les membres du conseil d’adminis-
tration qui ont le plus d’occasions de contrevenir aux obligations d~coulant de
l’exercice de pouvoirs.

Si le 16gislateur entend soumettre aux articles 321 et suivants du Code civil
du Quebec uniquement les administrateurs membres du conseil d’administra-
tion, les autres dirigeants seront soumis h des obligations comparables par l’ap-
plication des dispositions suppl~tives pr~vues au titre, <>. Mais, par une interpretation restrictive du mot <
utilis6 dans cette section, les autres dirigeants pourraient, entre autres, 8tre
malencontreusement exclus de l’application de la r~gle d’exception pr~vue en

23p. Mtel, Les obligations du mandataire, Paris, Litec, 1988 au r 11 et s.
232ArL 2138 et s. C.c.Q.
23Art. 1308 et s. C.c.Q.
234Art. 321 et s. C.c.Q.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 39

faveur des administrateurs des personnes morales quant A l’acquisition de droits
dans les biens g6r6s et la conclusion de contrats avec la personne moraleP5.

Par ailleurs, l’article 321 C.c.Q. 6nonce que l’administrateur>> est consi-
d6r6 comme mandataire de la personne morale>>236. Cette disposition rappelle
l’expressibn consacr6e i l’article 123.83 L.C.Q. 7 . Le professeur Louise-H61ne
Richard, qui a r6cemment 6tudi6 la port~e de l’expression de la L.C.Q., est
d’avis que celle-ci ne confere pas le statut de mandataire aux membres du con-
seil d’administration dans l’exercice des fonctions internes qui n’impliquent pas
de repr6sentationus. Nanmoins, le professeur Richard soutient que l’article
123.83 L.C.Q. entraine l’application des r~gles du mandat dans le rapport
interne entre la soci~t6 par actions et le membre du conseil d’administration.
Cette opinion est corrobor6e par celle du professeur James Smith239 et peut etre
compl6t~e par la reconnaissance de l’autonomie de la notion de pouvoir.

Le dirigeant qui exerce un pouvoir propre, individuellement ou en conseil,
pour le compte de la soci6t6 par actions, ne peut 8tre qualifi6 de mandataire
puisqu’il ne la repr6sente pas. Cependant, les obligations qti’il assume envers la
soci~t6 par actions doivent etre analys6es par analogie aux obligations d’un
mandataire envers son mandant lors de l’exercice d’un pouvoir de repr6senta-
tion. Ils peuvent tous deux 8tre qualifi6s d’administrateurs du bien d’autrui, titu-
laires de pouvoirs qu’ils exercent pour le compte d’un b6n6ficiaire. L’exercice
d’un pouvoir, qu’il s’agisse d’un pouvoir propre ou d’un pouvoir de repr6sen-
tation, les assujettit aux m~mes obligations.

Cette opinion semble confirm6e par le jugement unanime de la Cour
supreme du Canada rendu sous la plume de M. le juge Gonthier, dans I’affaire
Leong o~i il affirme:

Les obligations des administrateurs et des cadres supfrieurs [directors and senior
officers>>] leur sont impos~es non parce qu’ils sont de v6ritables mandataires de
leur soci6t6 ou de leurs actionnaires, mais en raison du contr6le qu’ils exercent sur

235Art. 325 C.c.Q. Voir la r~gle d’interdiction g~n6rale A l’art. 1312 C.c.Q., au titre De l’admi-
nistration du bien d’autrub. La r~gle d’exception est absente de ]a L.C.Q. La procddure d’excep-
tion du C.c.Q. ressemble celle que l’on retrouve a l’art. 120(1) et s. L.S.A., qui s’appliquent tant
A l’administrateur membre du conseil d’administration qu’au dirigeant, suivant ]a d6finition de ces
ternes dans cette loi.

236 Paradoxalement, malgr6 l’effort doctrinal pour s’6carter du mandat, le lgislateur frangais y
r6fere 6galement dans la Loi du 24 juillet 1966, supra note 33. Voir les art. 92, al. 3, 95, al. 3, 115
et 246, al. 2 de ]a Loi du 24 juillet 1966. Ces dispositions portent P. B6zard A qualifier le membre
du conseil d’administration de mandataire social> de la soci6t6 anonyme (La socigtg anonyme,
Paris, Montchrestien, 1986 au n 137).

37 Voir ci-dessus, la partie IA.2.b. I est malheureux que les Commentaires d ministre sugg –
rent que l’administrateur de la personne morale est un mandataire, puisque les codificateurs ne lui
ont pas conf&6r cette qualification expressdment; l’art. 321 C.c.Q. semble pr6voir plutOt que cet
administrateur doit 8tre consid6r6 comme un mandataire. Voir Commentaires d niinistre, t. 1,
supra note 110 A lap. 776. Voir aussi Martel, Les personnes morales>>, supra note 110 a ]a p. 211.
238>, supra note 88 A ]a p. 791 et s. et, du m~me auteur, L’obligation de
loyaut6 des administrateurs de compagnies qu6b6coises : Une approche extra-contractuelle>>, supra
note 85 A la p. 934 et s.

239Le statut juridique de ‘administrateur et de l’officier au Qudbec>>, supra note 23 A la p. 531.

1994]

LA SOCIMTt PAR ACTIONS ET SES DIRIGEANTS

45

les affaires de la socid6. Ce contr6le ressemble, bien des 6gards, au contr6le que
peut exercer le mandataire sur les affaires de son mandant, et ainsi donc les res-
ponsabilit~s et les obligations impos6es aux cadres sup6rieurs correspondent A
celles que le Code civil prescrit dans le cas des nandataires. 24
I1 y a lieu de consid6rer la port6e de ces trois obligations.

0

a. L”obligation de respecter les limites des pouvoirs

La norme attributive du pouvoir fixe les limites de l’exercice de cette pr6-
rogative24 ‘ . Elle confere i 1’administrateur du bien d’autrui une charge ou fonc-
tion lui permettant d’agir pour le compte du b6n6ficiaire,
l’int6rieur des limites
ainsi fix~es et selon les instructions pr6vues A la norme. I en d6coule une obli-
gation d’agir h l’int6rieur de ces limites, laquelle est codifi6e dans le Code civil
du Quebec242. L’exercice de pouvoirs par un organe ou un dirigeant de la soci6t6
par actions suppose que celui-ci, organe ou dirigeant, ait 6t6 r6guli~rement
nomm6 et qu’il agisse A l’int6rieur des limites de ces pouvoirs 4 .

L’6tendue des pouvoirs varie selon leurs limites respectives. Dans le cadre
de la soci6t6 par actions, il faut tenir compte des limites 16gales des pouvoirs des
organes et des dirigeants ainsi que de celles qui d6coulent de l’acte constitutif
de la soci6t6 par actions et de ses r~glements 2
: 1’6tendue du pouvoir propre
d’administration du conseil d’administration est tr~s large. Selon la thdorie de
l’institution245, les limites de ce pouvoir se situent lh oti d6butent les comp6-
tences attribu~es aux autres organes de la soci6t6 par actions. A 1’int6rieur de
ce champ de comp6tence, les administrateurs en conseil ont toute libert6 pour
d6finir les actes qu’ils, peuvent executer dans le cadre de l’exercice de ce pou-
voir. L’interpr~tation t6101ogique de 1’6tendue du pouvoir propre d’administra-
tion est laiss6e h l’appr6ciation du tribunal.

L’6tendue des pouvoirs de repr6sentation des dirigeants est d6termine par

la loi, l’acte constittif et les r~glements de la soci6t6 par actions246 .

L’exercice du pouvoir comporte 6galement une limite temporelle qui
depend de la norme attributive. La limite temporelle de la mission du membre
du conseil d’administration depend, inter alia, de la dur~e fhx6e par la loi cons-
titutive de la soci6t6 par actions247 , de sa destitution par les actionnaires24 , de sa
d6mission249 ou de son inhabilet6 t exercer ses fonctions20 .

C.c.Q.

2 4Supra note 100 aux pp. 442-43.
241Voir, en droit frangais, Mtel, supra note 231 au n 14, qui discute du respect des instructions
du mandant. Voir gfn~ralement, en droit qu6b6cois, Cantin Cumyn, >, les art. 3087, 3116 C.c.Q.
245Voir ci-dessus la partie llA.1.
246Art. 312 C.c.Q. Voir 6galement l’art. 36 (Parties I et IA) L.C.Q. et ‘art. 122(2) L.S.A.
24 7Voir les art. 88, 91(2)c) (Parties I et IA) L.C.Q. et ‘art. 106 L.S.A.
248Art. 123.77-123.79 (Partie IA) L.C.Q.; art. 109 L.S.A.
249Art. 123.76, al. 2 L.C.Q.; art. 108(1)a) L.S.A.
250Art. 86, 123.73, 123.74 L.C.Q. ; art. 105, 108(1)c) L.S.A. ; art. 327, 329 C.c.Q.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 39

b. L’obligation de diligence et de prudence

L’exercice de pouvoirs n6cessite l’expression libre et ind6pendante de la
volont6 de l’administrateur du bien d’autrui qui agit pour le compte du b6n6fi-
ciaire, contrairement au sujet de droit qui d6cide pour son propre compte’.
Quelle que soit la limitation des pouvoirs attribu6s, l’administrateur du bien
d’autrui dolt, lors de la prise de decision, d6finir les int6rts du b6n6ficiaire
selon sa propre appr6ciation. A l’extr~me, si la norme attributive ne laisse aucun
choix quant aux actes h 8tre ex6cut6s par l’administrateur du bien d’autrui, il
n’en demeure pas moins que ce demier exprime sa propre volont6, ne serait-ce
que pour prendre des mesures de conservation ou de sauvegarde des int6r~ts du
b~n6ficiaireZ2.

De cette ind6pendance d’action d6coule 1’obligation de diligence et de
prudence dans l’ex6cution des actes pour le compte du b6n6ficiaire23 . Le Code
civil frangais vise la m~me obligation lorsqu’il traite de la faute de gestion du
mandataire’. Cette obligation correspond A l’obligation d’agir en bon pore de
famille requise de tous les titulaires de pouvoirs dans le Code civil du Bas-
Canada5 . Cette obligation impose une norme minimale de conduite dans
l’exercice du pouvoir et vise ? contr6ler l’opportunit6 et les risques encourus
lors de la mise en oeuvre du pouvoir pour le compte du b6n6ficiaire.

c. L’obligation de loyautj

Le pouvoir est une prdrogative qui a n6cessairement pour objet un acte
orient6 vers un but qui en d6termine la finalitP6 . Dans la tradition civiliste, la
fimalit6 du pouvoir n’est pas fix6e arbitrairement par l’administrateur du bien
d’autrui, mais plut6t par le but pr6d6termin6 par la loi ou par la jurisprudence
d’une fagon g6n6rale et abstraite.

La doctrine frangaise enseigne que l’exercice du pouvoir entralne de fagon
inh6rente l’obligation de respecter la finalit6, c’est-h-dire d’agir dans l’int6rt du
b6n6ficiaire de cet exercice du pouvoir. Ce principe du respect de la finalit6 du
pouvoir fait aussi partie du droit civil qu6b6cois. La Cour supreme du Canada
l’a confirm6 dans l’affaire Leong 7 , d6cision rendue dans le cadre du Code civil

25Gaillard, supra note 144 au n 216 et s.
252Voir PMtel, supra note 231 au n* 144 et s. En droit qu6b6cois, voir Gigu~re, supra note 44 A
la p. 117 et s. Contra Smith, Le statut juridique de l’administrateur et de l’officier au Qudbec>>,
supra note 23 4 la p. 623 et, du m6me auteur, Corporate Executives in Quebec, supra note 87 A
la p. 266 et s.
253P6tel, ibid. au n 120. L’obligation est codifide aux art. 322, al. 1 (personnes morales), 1309,

al. 1 (administration du bien d’autrui), 2138, al. 1 (mandat) C.c.Q.

254Art. 1992, al. 1 C. civ. : <. Voir dgalement la Loi du 24 juillet 1966, supra note 33, art. 52,
244.

255Cantin Cumyn, >, supra note 98 au n 31 ; Fabien,

<>, supra note 222 t la p. 64.

256Storck, supra note 145 au n* 190 et s. ; Gaillard, supra note 144 au n 235 et s. ; PMtel, supra

note 231 au n 172 et s.

257Supra note 100 aux pp. 441-42.

1994]

LA SOCI TE PAR ACTIONS ET SES DIRIGEANTS

47

du Bas-Canada. Elle rappelle que tout administrateur du bien d’autrui doit assu-
mer une conduite responsable envers le b6n6ficiaire et ce, quelle que soit sa
fonction. Cette conduite ne se fonde pas sur les devoirs fiduciaires d’equity 5 ,
mais sur les adages < et >65 . A la lecture des
Commentaires du ministre de la Justice, il semble que les codificateurs se soient
inspires notamnment de la L.C.Q. et de la L.S.A. lors de l’F6laboration de cer-
taines de ses r~gles. NManmoins, l’obligation de loyaut6 constitue une notion
connue en droit civil. On peut puiser i m~me ce syst~me juridique les solutions
applicables A toute situation non pr~vue sp~cifiquement dans le Code civil du
Quebec. Cependant, il y a lieu de croire que l’obligation de loyaut6 soit com-
l’interdiction faite au fiduciaire par le droit anglais de profiter person-
parable

25 Voir ci-dessus, la partie IA.2.a.i.
259Leong, supra note 100 aux pp. 441-42.
26Volt David, supra note 4 au n* 113 et s. ; Jeanneau, supra note 77 A la p. 223 et s.
261Voir ci-dessus, la partie IA.2.a.i.
262Martel, , supra note 110 4 la p. 212.
263Gaillard, supra note 144 au nr 3.
264parmi les seuls int6rats personnels des dirigeants qui sont justifi6s, notons leur r6mun6ration
et le remboursement de certaines d6penses. Voir par analogie Fabien, , supra note 222 h la p. 67.

26’Art. 322 et s. C.c.Q.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 39

nellement de la relation fiduciaire2′. On peut s’attendre A ce que le droit civil
assure le respect des memes valeurs fondamentales que le droit anglais puisque
les pr6ceptes de 1’equity sont fond6s notamment sur l’enseignement canonique
et civiliste.

Lorsque la norme attributive du pouvoir est conventionnelle, l’obligation
de loyaut6 est recherch~e parmi les obligations contractuelles. C’est ce que fait
la Cour supreme dans l’affaire Leong. Dans cette affaire, M. Kuet Leong Ng,
cambiste- en chef de la Banque de Montr6al pour le Qu6bec, jouissait d’une
grande libert6 d’action dans la conclusion de contrats ex6cutoires pour et au
nom de la banque. L’autonomie r6sultant de sa fonction lui a permis de tirer des
profits personnels secrets que la Cour supreme lui a ordonn6 de remettre i son
employeur. La Cour situe l’obligation de loyaut6 dans le cadre du contrat de tra-
vail26.

Cette d6cision permet d’envisager une meilleure appr6ciation du statut
juridique des personnes dont les fonctions ne correspondent pas aux d6finitions
traditionnelles du contrat de travail ou du mandat, c’est le cas, notamment, des
cadres d’entreprise26s. L’employ6 est d6biteur d’une obligation de loyaut6 envers
son employeur 69. La Cour supreme du Canada affirme que >. Selon nous, la loyaut6 est absolue dans
son principe ; cependant, l’objet de cette obligation peut varier selon les tAches
A accomplir. On ne doit pas considrer les diff6rents niveaux d’intensit6 de
l’obligation de loyaut6 comme autant de niveaux dans la force obligatoire de
cette obligation en fonction de la qualification d’employ6 (ou de salari6, selon
l’expression du Code civil du Quebec), de mandataire voire de dirigeant de la
soci6t6 par actions271. A l’instar du dirigeant et du mandataire, dos que l’em-
ployeur attribue un pouvoir A son employ6 en vertu d’un contrat de travail, on
peut envisager que les int&rets de ce dernier s’assimilent a ceux ‘de son
employeur qui est le b6n~ficiaire de l’exercice de ce pouvoir. Ainsi, l’obligation
de loyaut6 contractuelle ne s’oppose pas A la th~orie du pouvoir en droit priv6.
De plus, l’obligation de loyaut6 est distincte de l’obligation de diligence et
de prudence qui suppose le respect de la fmalit6 de la norme attributive du pou-
voir. Le manque de diligence ou de prudence dans l’ex6cution d’un acte pour
le compte du b6n6ficiaire n’6quivaut pas n6cessairement A la poursuite d’un but
6tranger A la f’malit6 du pouvoi 272.

26 6Quant h la controverse au sujet de la port~e de l’obligation de loyaut6 tant en droit civil qu’en
droit anglais, voir, en droit qu6b6cois, Liz6e, , supra note 57 et, en droit anglais, J.G. MacIntosh, <(Cor- porations>> dans Law Society of Upper Canada, Fiduciary Duties, Toronto, De Boo, 1991, 189.
267M. le juge Gonthier applique le raisonnement du droit civil frangais et reconnalt l’obligation
de loyaut6 qui d6coule de la bonne foi dans l’ex6cution du contrat selon l’art. 1134, al. 3 C. civ.
(Leong, supra note 100 h ]a p. 438).
268Voir Fabien, <> dans Ripertoire de droit – Mandat, Doc. 1, Montr6al,

Chambre des notaires du Qu6bec, 1986 au n* 61 et s.

2 6 9Voir Aust et Charette, supra note 90. L’obligation de loyaut6 est codifie A ‘art. 2088 C.c.Q.
27Leong, supra note 100 A ]a p. 438.
27’Voir Martel, <>, supra note 110 A la p. 218.
272Gaillard, supra note 144 au n 150.

1994]

LA SOCITIt PAR ACTIONS ET SES DIRIGEANTS

49

Tel qu’expos6 pr6c6demment, suite au courant jurisprudentiel qui a voulu
importer en droit qu6b6cois les r~gles formul6es dans l’affaire Canaero2″‘, les
tribunaux ont sembl6 pr&s A replacer l’obligation de loyaut6 du dirigeant
envers la soci6t6 par actions dans un contexte civiliste en la fondant sur le
devoir d’agir en bon p6re de famille en vertu de l’article 1710 du Code civil
du Bas-Canada.

Plus r6cemment, les auteurs qui se sont pench6s sur la question de l’exis-
tence de l’obligation de loyaut6 en droit civil ont 6galement opin6 qu’elle est
incluse implicitement dans l’obligation d’agir en bon pore de famille de l’article
1710 du Code civil du Bas-Canada274. Selon cet article, la loyaut6 du dirigeant
est appr6ci6e in abstracto, selon la conduite d’un dirigeant prudent plac6 dans
des circonstances similaires.

La reconnaissance de l’existence de l’obligation de loyaut6 du dirigeant
envers la soci6t6 par actions en droit civil est juste. Vouloir la fonder sur une
disposition de la loi semble une pr6occupation commune aux civilistes qu6b6-
cois. Cependant, fonder l’obligation de loyaut6 sur l’article 1710 du Code civil
du Bas-Canada entraime une certaine confusion puisque l’obligation de dili-
gence et de prudence vise la mise en ceuvre du pouvoir, alors que la loyaut6
garantit le respect de la fmalit6 du pouvoir. I1 est donc heureux que le Code civil
du Quebec ait pris soin de distinguer l’obligation de loyaut6 de l’obligation de
diligence et de prudence en les 6nongant s6par6ment275.

2.

Le contr6le de l’exercice de pouvoirs

Les pouvoirs doivent 8tre exerc6s uniquement dans l’int6rt du b6n6fi-
ciaire. I est n6cessaire que cet exercice fasse l’objet d’un contr6le afro de v6ri-
fier si la finalit6 des pouvoirs a 6t6 respecte 276.

Certes, nous savons, par le biais de notre droit public, que le droit anglais
fait la distinction entre les pouvoirs li6s et les pouvoirs discr6tionnaires. En droit
civil, cependant, on enseigne que tout pouvoir priv6 doit faire l’objet d’un con-
tr61e2 77. Le pouvoir est une pr6rogative qui engage le patrimoine du b6n6fi-
ciaire ; il est essentiel qu’il y ait un contr6le afm d’assurer que l’int6r&t de ce
demier soit respect6.

273Voir ci-dessus, Ia partie I.A.2.b.
274Charlton, supra note 86 t la p. B75 et s. ; Richard, L’obligation de loyaut6 des administra-
teurs de compagnies qu6b6coises : Une approche extra-contractuelle>>, supra note 85 a la p. 948
et s. Voir 6galement Smith, Corporate Executives in Quibec, supra note 87 h la p. 165.

II faut noter que le professeur Claude Fabien a affirm6 l’existence d’une obligation g6n6rale de
loyaut6. Celle-ci serait implicitement incluse aux obligations pr6vues aux art. 1710 et 1713
C.c.B.-C. et aux obligations qui d6coulent de la nature du contrat (art. 1024 C.c.B.-C.) (, supra note 222 aux pp. 64, 67 et s.). De plus,
il estime qu’on peut la d6duire des prohibitions pr6vues aux arts. 1484, 1706 C.c.B.-C. (<>, supra note 268 au n, 125).

(administration du bien d’autrui), 2138, al. 2 (mandat) C.c.Q.

275L’obligation de loyaut6 est codifi6e aux art. 322, al. 2 (personnes morales), 1309, al. 2, 1310
276Storck, supra note 145 au n 194 et s. ; Gaillard, supra note 144 au n 144 et s.
277Storck, ibid. au n* 198 et s. ; Gaillard, ibid. au n 236. I1 est malheureux que le droit qudb6cois

utilise l’expression (. Voir l’art. 1337 C.c.Q. et l’art. 981v C.c.B.-C.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 39

Le contr6le de l’exercice du pouvoir par son b6n6ficiaire se manifeste de
trois fagons : la reddition de compte (a), la responsabilit6 civile de l’administra-
teur du bien d’autrui (b) et l’application de la th6orie de l’abus de pouvoir (c).

a. La reddition de compte

L’administrateur du bien d’autrui est comptable de ses actes envers le
b6n6ficiaire. L’obligation de rendre compte s’applique A tous ceux qui adminis-
trent le bien d’autrui, A moins qu’ils en soient dispens6s par le b6n6ficiaire ou
par la loi. Elle permet de v6rifier la loyaut6 de leur administration.

La doctrine traditionnelle limite la port6e de cette obligation h l’apurement
du compte de gestion h la fim de l’administration ou a tout autre moment dans
le cadre de l’action en reddition de compte278 .

Suivant le m~canisme propre h la socit6 par actions, la reddition de compte
par le conseil d’administration se limite h la pr6sentation des 6tats financiers de
la soci6t6 par actions aux actionnaires lors de leur assembl6e annuelle279 , et au
processus de ratification des d6cisions importantes par l’assembl~e des actionnai-
res.

La doctrine frangaise r6cente confere A l’obligation de rendre compte une
port6e plus large2 “. En plus d’ex6cuter une reddition mat~rielle de son compte,
l’administrateur du bien d’autrui doit aussi verser au b6n6ficiaire tout ce qu’il
a requ en raison de son administration.

L’article 1993 du Code civil frangais et l’article 1713 du Code civil du Bas-
Canada pr6voient l’obligation pour le mandataire de reverser au mandant tout
ce qu’il a requ sous l’autorit6 de son mandat. Bien qu’exprim6e dans le cadre
du mandat, cette disposition 6nonce une obligation d’une port6e plus g6n6rale
impos6e par le m6canisme de

‘administration du bien d’autrui.

La Cour supreme du Canada reconnait, dans l’affaire Leong, la port6e
g~n~rale de l’obligation de reversement devant 6tre respect6e par tout adminis-
trateur du bien d’autrui. L’administrateur du bien d’autrui n’agit pas pour son
propre compte ; il doit promouvoir uniquement les int6rts du b6n6ficiaire et ne
peut tirer un avantage personnel de cette fonction”‘. Le tribunal peut ordonner
A tout administrateur du bien d’autrui de rendre compte et de remettre au b6n6-
ficiaire tout ce qu’il a requ dans l’exercice du pouvoir. L’obligation de reverse-
ment constitue un principe f6cond du droit civil qui est applicable aux organes
et aux dirigeants de la soci&t6 par actions 2 . Elle est codifi6e dans le titre, <>, supra note 98 au n 34. La reddition do compte de 1’administrateur du bien d’autrui so
retrouve aux art. 1351 et s. (compte somnaire), 1363 et s. (compte d6finitif) C.c.Q.

279Art. 98(2), 98(3) (Parties I et IA) L.C.Q. ; art. 155 et s. L.S.A.
28PNtel, supra note 231 au r 367 et s.
28Voir l’affaire Leong < (supra
note 100 A la p. 442).
2 I2lbid. A la p. 444.

1994]

LA SOCIBTt PAR ACTIONS ET SES DIRIGEANTS

51

l’administration du bien d’autrui>> 3, dont nous avons conclu qu’il est applicable
aux organes et aux dirigeants de la soci6t6 par actions.

D’une part, l’article 1713 et, d’autre part, les articles 1706, 1484 et 1485
du Code civil du Bas-Canada ont aussi 6t invoqu6s comme source de l’obliga-
tion de loyaut6 des membres du conseil d’administration envers la soci~t6 par
actions2 . Pourtant, tel que le d~montre l’affaire Leong, l’article 1713 n’est pas
la source 6crite de l’obligation de loyaut6, mais une consequence parmi d’autres
de cette obligation que l’on retrouve 6galement aux articles 1484, 1485 et 1706
dui Code civil du -Bas-Canada.

Outre la reddition de compte, il y a lieu d’envisager la responsabilit6 civile

de l’administrateur du bien d’autrui.

b. La responsabilit civile de l’administrateur du bien d’autrui

La violation des trois obligations principales d6coulant de l’exercice des
pouvoirs entraine, inter alia, la responsabilit6 civile de son auteur fond~e sur la
faute.

Si la norme attributive du pouvoir est contractuelle, comme dans le cas du
mandat, la faute entrame une responsabilit6 contractuelle’ 5 . Si, par contre, le
pouvoir est conf6r6 par une norme extra-contractuelle, l’appr6ciation de la faute
tombe sous le principe g6n6ral de la responsabilit6 civile 6 .

Cependant, alors qu’un dirigeant autre qu’un membre du conseil d’admi-
nistration peut tre appel6 personnellement A exercer un pouvoir, les membres
du conseil d’administration n’exercent pas, i ce titre, de pouvoir personnel. Us
exercent plut6t les pouvoirs propres du conseil d’administration uniquement
lorsqu’ils agissent en colldgialit6 comme organe.

Le conseil d’administration peut commettre des fautes qui seront imput6es
h la soci6t6 par actions puisqu’il est un des organes faisant partie int6grante de
celle-ci. Af’m d’assurer la protection des transactions commerciales effectu6es
avec des tiers de bonne foi, il peut 8tre l6gitime que la responsabilit6, A l’6gard
des tiers, des membres du conseil d’administration soit imput6e A la soci6t6 par
actions si le conseil d’administration exerce un pouvoir de repr6sentation.

Or, cet objectif de s6curit6 des transactions commerciales vient faire 6chec
aux r~gles r6gissant le rapport entre l’administrateur du bien d’autrui et le b6n6-
ficiaire. Le membre du conseil d’administration n’engagera sa responsabilit6
personnelle envers le tiers que sur preuve d’une faute personnelle autre que les
fautes relevant de 1’exercice du pouvoir.

L’exercice d’un pouvoir de repr6sentation par le conseil d’administration
est exceptionnel. Cependant, ce conseil d’administration exerce le tr~s large

283Art. 1366 C.c.Q.
284Voir notamment Martel, , supra note 89 a la p. 131 et s. ; Fabien, <, .supra note 222 aux pp. 67-68.

28Art. 1710, 1024 C.c.B.-C. ; art. 1991, 1992 C. civ. ; art. 1458, 1607 C.c.Q.
286Art. 1053, 1057 C.c.B.C. ; art. 1382 C. ci.

; art. 1457 C.c.Q.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 39

pouvoir propre d’administration pour le compte de la soci6t6 par actions. La
th6orie de l’organe ne permet pas h la soci6t6 par actions de poursuivre en res-
ponsabilit6 civile son conseil d’administration dans l’exercice de ce pouvoir
puisque la personnalit6 de l’organe est absorb6e par la soci6t6 par actions. C’est
ce stade que la reconnaissance de l’autonomie du pouvoir par rapport Ai la
repr6sentation organique devient utile. Elle permet h la soci6t6 par actions de
contr6ler l’exercice du pouvoir propre du conseil d’administration et d’envisa-
ger la responsabilit6 collective de ses membres. Doit-on admettre la responsa-
bilit6 solidaire des membres du conseil d’administration lorsque l’exercice du
pouvoir d’administration cause pr6judice h la soci6t6 par actions ou A un autre
de ses organes ? Le droit suppl6tif pr6vu au Code civil du Quebec le sugg~re287.

Outre la responsabilit6 civile, il y a lieu d’envisager le contr6le par la th6o-

tie de l’abus de pouvoir.

c. La thiorie de l’abus de pouvoir

I1 y a abus lorsque le pouvoir n’est pas exerc6 confonnment h la norme
attributive. Le principe veut que le b~n6ficiaire puisse invoquer le d6faut de
lic6it6 du lien de droit crY6 pour son compte par l’administrateur du bien d’au-
trui. Ce principe fait l’objet d’une r6serve lorsque l’exercice du pouvoir affecte
un tiers, puisqu’il faut balancer deux int6r~ts, soit l’effet de l’acte A l’6gard du
tiers et l’effet relatif de l’acte ex6cut6 pour le compte du b6n6ficiaire. Ce demier
sera li6 envers le tiers de bonne foi dans les circonstances oil il lui a donn6 a
croire que l’administrateur du bien d’autrui 6tait titulaire d’un pouvoir valable.
Le rapport entre le b~n6ficiaire et le tiers sera consid~r6 en vertu des r~gles du
mandat apparent, si le pouvoir apparent est consid6r6 dans le cadre d’un man-
dat288, ou en vertu de la th6orie de l’apparence si le pouvoir est consid6r6 dans
toute autre relation89.

L’abus de pouvoir s’oppose a l’abus de droit290 . Contrairement hi l’adminis-
trateur du bien d’autrui qui ne peut exercer le pouvoir que dans l’int6rt du
b6n6ficiaire, le sujet de droit a la libert6 d’exercer ses droits subjectifs pour ses
propres int6rts, exercice dont il n’a pas, en principe, A rendre compte. Par ail-
leurs, le sujet de droit ne peut pas contester la lic6it6 du droit subjectif qu’il
exerce. Celui-ci n’est pas pour autant exempt de responsabilit6; si l’exercice
qu’il fait du droit nuit ? un tiers, il peut engager sa responsabilit6 pour abus de
droit. L’abus de droit exige la preuve d’un prejudice subi par la victime qui s’en
plaint.

L’existence de l’abus de pouvoir ne n~cessite pas la preuve d’un pr6judice
caus6 au b6n6ficiaire29 ‘. I persiste une certaine confusion entre l’abus de droit
et ‘abus de pouvoir qui r6sulte de I’accent donn6 it l’6tude de la personnalit6

287Art. 337, 1334 C.c.Q.
288Art. 2163 C.c.Q.
U9Art. 1323 C.c.Q.
29L’abus de droit est codifi6

I1’art. 7 C.c.Q. VoirBanque Nationale du Canada c. Houle, [1990]

3 R.C.S. 122, (sub nom. Canadian National Bank c. Houle) 74 D.L.R. (4′) 577.

291GailIard, supra note 144 au n 176.

1994]

LA SOCIITI PAR ACTIONS ET SES DIRIGEANTS

53

juridique et de la capacit6 de jouissance de droits subjectifs. La th6se personni-
ficatrice ne comprend que la notion d’abus de droit292.

Au ddbut du si~cle, on distinguait le droit 6go’ste du droit-fonction. L’abus
de droit s’appliquait au ddtoumement du droit de sa fonction293. Ddsormais, la
doctrine frangaise semble reconnaitre que le droit-fonction est synonyme de
pouvoir. L’abus de droit commis lors de 1’exercice d’un droit-fonction semble
6quivaloir A un abus de pouvoir9 .

La doctrine frangaise moderne, dont MM. Emmanuel Gaillard et Michel
Storck en sont des repr~sentants, distingue le ddfaut de pouvoir, le d6passement
de pouvoir et le d6toumement de pouvoir295.

If y a ddfaut de pouvoir lorsque l’acte est pos6 par l’administrateur du bien
d’autrui qui simule l’attribution d’un pouvoir. L’acte reproch6 doit constituer
6galement une violation d’une disposition imperative du pouvoir, telle l’inter-
diction 1gislative d’accomplir seul l’acte reproch6. L’acte est alors nul et n’a
aucun effet juridique t l’6gard du b6n6ficiaire, h moins de confirmation de la
part de ce demier296 .

Ii y a ddpassement de pouvoir lorsque l’administrateur du bien d’autrui est
titulaire d’un pouvoir valablement attribu6, mais qu’il en exc~de les limites.
L’acte reproch6 n’est pas nul, mais ses effets sont inopposables au bdndficiaire,
h moins que ce demier ne le ratifie. k d6faut de ratification, l’administrateur du
bien d’autrui supporte seul les cons6quences de l’acte297 .

I y a ddtoumement de pouvoir d~s que l’administrateur du bien d’autrui
met au service d’une autre fm que celle qu’il doit servir le pouvoir qui lui est
valablement attribu&. Contrairement au d~passement de pouvoir, le d6toume-
ment suppose le respect des limites objectives du pouvoir. L’acte reproch peut
6tre ddclar6 nul t la demande du b6ndficiaire, moins de confirmation de la part
de ce demier. Les auteurs frangais different d’opinion quant au fondement de ce
recours en nullit6. MM. Philippe Pdtel et Michel Storck estiment que l’on doit
invoquer la sanction sp6cifique d’un texte 16gal pour demander la nullit6 de
1’acte29 s.

L’acte exdcut6 suivant un pouvoir d’origine 1gale peut etre annuld pour
fraude et pour absence de cause, celle-ci 6tant entendue dans son sens subjectif
comme l’esprit de l’administrateur du bien d’autrui animd par une intention
d6loyale. I1 faut ddmontrer que cette intention ddloyale est contraire
l’ordre public ou aux bonnes moaurs. Quant

l’acte ex6cut6 suivant un pouvoir

la loi,

292Smith, Corporate Executives in Quebec: Where directors use their powers for an improper
purpose, common law courts state that the directors have breached their fiduciary duties whereas
the Quebec courts, following civil law principles, say that the directors have committed an abus
de droit> (supra note 87 A la p. 191).
293Gaillard, supra note 144 au n 8.
2941bid. au n7 163 et s.
295Supra notes 144, 145.
296Storck, supra note 145 au n 228. Voir aussi les art. 1321, 2145 C.c.Q.
297Art. 1320, 2158 C.c.Q.
298ptel, supra note 231 ; Storck, supra note 145.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 39

d’origine contractuelle, M. Philippe Ptel estime qu’il ne peut 8tre annul6 pour
absence de ’cause puisque le d6tbumement n’est pas un vice de formation du
contrat. C’est plut6t la notion de fraude qui devrait 8tre utilis~e299 . Quant A M.
Emmanuel Gaillard, il pr6ne l’autonomie du contr6le du d6toumement du pou-
voir malgr6 l’absence de sanctions par le droit 6critf.

L’article 360, alin6a 2, de la Loi du 24 juillet 1966 pr6voit la nullit6 des
actes ou d6lib6rations qui n’entraiment aucune modification dans les statuts
sociaux et qui r6sultent de la violation d’une disposition imp6rative de la loi ou
des dispositions qui r6gissent les contrats. On retrouve, dans la doctrine, l’abus
de pouvoir comme cause de nullit6301.

L’abus de pouvoir peut 6galement engager la responsabilit6 civile de son

auteur. Lorsque l’administrateur du bien d’autrui d6tourne un pouvoir, il
viole son obligation de loyaut6 envers le b6n6ficiaire et lorsqu’il effectue un
d6passement de pouvoir, il viole son obligation de respecter les limites du
pouvoir.

L’abus de pouvoir est connu des juristes qu6b6cois, notamment de ceux
qui s’int6ressent a la soci6t6 par actions 2. Le professeur Claude Fabien a 6tu-
di6 l’abus du pouvoir de representation du mandataire dans le cadre de la
publication des r~gles propos6es par l’Office de r6vision du Code civil. Le rap-
port entre la soci6t6 par actions et ses dirigeants est vis6 par son 6tude puisque,
traditionnellement, les civilistes ont consid6r6 ce rapport dans le cadre du man-
dat. I1 distingue le mauvais exercice de pouvoirs de l’exercice de pouvoirs
inexistants 0 3.

Le mauvais exercice de pouvoirs pr6sume l’attribution d’un pouvoir vala-
ble. Selon le professeur Claude Fabien, le mauvais exercice de pouvoirs com-
prend la faute de d6loyaut6 tout comme la faute d’inhabilet6 pr6vue h l’article
1710 du Code civil du Bas-Canada3′. Le d6toumement de pouvoir est aussi
inclus dans la notion de mauvais exercice de pouvoirs. Les effets de toute forme
d’abus de pouvoir entre le mandataire et son mandant sont envisag6s unique-
ment sous l’angle de la faute contractuelle. I1 n’envisage pas la nullit6 de l’acte
reproch6.

II y a exercice de pouvoirs inexistants lorsque le mandataire d6passe ses
pouvoirs v6ritables ou simule l’existence de pouvoirs0 5. Selon le professeur
Fabien, le mandataire resterait cependant soumis aux memes obligations d’exer-
cice du pouvoir que s’il s’agissait de l’exercice d’un pouvoir valable3 6. I1 enga-
gerait alors sa responsabilit6 d6lictuelle envers le pseudo-mandant.

299p6tel, ibid. au n 203.
3Supra note 144 au n 157 et s.
301Ripert, supra note 21 au n’ 1295.
32Gigu~re, supra note 44 A ]a p. 26 et s. ; Smith, Corporate Executive

in Quebec, supra iote
87 A lap. 166 et s. ; Renaud et Smith, vol. 4, supra note 36 au c. 33, p. 1531, n 32 et s. ; Fabien,
<4L'abus de pouvoirs du mandataire en droit civil qu6b6cois>>, supra note 222.

3031bid. a la p. 62.
3O41bid
3051bid. A la p. 70.
361bid. a la p. 100.

1994]

LA SOCIDTE PAR ACTIONS ET SES DIRIGEANTS

55

La section II du troisi~me chapitre du titre, <>, 6nonce certaines r~gles conformes a la th~orie de l’abus de pouvoir
que l’on retrouve 6galement au chapitre, <>3 7. L’administrateur du
bien d’autrui qui exc~de ses pouvoirs est responsable envers les tiers avec qui
il contracte, t moins que le tiers n’ait eu cormaissance de cet exc~s de pouvoirs
ou que le brn~ficiaire n’ait ratifi6 l’acte ainsi exrcut 305 . L’administrateur du
bien d’autrui qui exerce seul des pouvoirs qu’il est charg6 d’exercer avec d’au-
tres est rdput6 excrder ses pouvoirs. Le Code civil du Qubec pr~voit toutefois
une exception: celui qui exerce ses pouvoirs d’une mani~re plus avantageuse
que celle imposre n’est pas r~put6 exc~der ses pouvoirs39.

Par ailleurs, le Code civil du Qudbec pr6voit que les actes des administra-
teurs ou autres dirigeants de la personne morale ne peuvent atre annules pour
le seul motif que ces derniers 6taient inhabiles ou que leur ddsignation 6tait irr6-
guli~re1 .

Le Code civil du Quibec ne prrvoit pas sprcifiquement la nullit6 de l’acte
ex~cut6 suite a un d6toumement de pouvoir. On peut tout de m6me soutenir que
le b~nrficiaire puisse invoquer cette nullit6 en vertu de la thdorie du pouvoir. On
peut envisager, h titre d’illustration, la survenance du ddtournement de pouvoir
par le conseil d’administration. Les membres du conseil d’administration
doivent agir en collrgialit6 pour que le pouvoir propre d’administration soit
valablement exercd. Les decisions du conseil d’administration sont prises a la
majorit des voix de ses membres. La majorit6 des membres peut ainsi detour-
ner la fim que le conseil d’administration doit servir, notamment dans le cas de
tactiques d6fensives lors d’offres publiques d’achat31t .

La soci6t6 par actions pourra etre responsable du d~toumement de pouvoir
par son conseil d’administration A l’dgard des tiers dans les circonstances oit le
droit positif n’oblige pas le tiers a vdrifier l’existence d’un pouvoir valable.
Cependant, dans toute autre circonstance, on peut soutenir que l’acte ex~cut6
par le conseil d’administration suivant un ddtoumement de pouvoir, puisse etre
remis en cause par la socidt6 par actions par le biais d’un autre de ses organes.
La th~orie de l’abus de pouvoir soul~ve la difficult6 de la mise en application
du recours en nullit6 puisque le conseil d’administration est l’organe qui
exprime normalement la volont6 de la socirt6 par actions.

Quel que soit son mode de constitution et d’organisation, le fonctionne-
ment de la soci6t6 par actions en droit civil est assur6 par une hirrarchie de diri-
geants sociaux qui exercent, soit en organe, soit isolment, deux types de pou-
voir: le pouvoir propre et le pouvoir de repr6sentation.

307Art. 2157 et s. C.c.Q.
35Art. 1320 (administration du bien d’autrui), 2158 (mandat) C.c.Q.
30gArt. 1321, al. 2 (administration du bien d’autrui), 2145 (mandat) C.c.Q.
3MArt. 328 C.c.Q. Voir aussi l’art. 116 L.S.A.
311 ncidemment, les gestes poses par les membres minoritaires du conseil d’administration pour
bloquer le drtoumement de pouvoir par la majorit6 constituent des gestes matriels qui sont exclus
de Ia thdorie du pouvoir de droit priv6. Voir par analogie E. Gaillard qui discute de la minorit6 des
actionnaires de socirtds (supra note 144 au n* 227).

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 39

La loi attribue notamment des pouvoirs propres au conseil d’administration
qui les exerce en son nom pour le compte de la soci6t6 par actions. Par ailleurs,
les dirigeants se voient attribuer individuellement des pouvoirs de repr6senta-
tion par la loi, l’acte constitutif de la soci6t6 par actions et ses r~glements, et par
des organes comp~tents ; ils les exercent pour le compte de la soci6t6 par actions
et en son nom, dans l’accomplissement d’un acte juridique Ai l’6gard d’un tiers.
L’exercice d’un pouvoir de nature priv6e entraime comme cons6quence
‘application de normes d’exercice du pouvoir. Trois obligations d~coulent de
l’exercice du pouvoir: l’obligation d’en respecter les limites, l’obligation de
diligence et de prudence, et l’obligation de loyaut6. Elles constituent des prin-
cipes f6conds susceptibles de s’appliquer h des situations aussi diverses que
celles envisag6es en vertu du concept de la relation fiduciaire du droit anglais.
Le pouvoir est une pr6rogative exerc6e par l’administrateur du bien d’autrui
dans l’int6ret du b6n6ficiaire. Son exercice suppose le contr6le par la soci6t6 par
actions, puisque le patrimoine de cette demi~re est affect6 par l’acte ex6cut6
pour son compte par ses dirigeants.

Finalement, dans un m~me syst~me juridique, on peut transposer les solu-
tions d’une branche de droit A une autre pour en faciliter la compr6hension.
Ainsi, les effets de 1’exercice d’un pouvoir par un type d’administrateur du bien
d’autrui, tel un fiduciaire ou un mandataire, pourront servir i approfondir, en y
faisant les adaptations n6cessaires, la qualification du rapport entre la soci6t6
par actions et ses dirigeants sans 8tre enclav6s dans la qualification du mandat.

Conclusion g~n6rale

Grace au Code civil du Quibec, l’6tude de la soci6t6 par actions est repla-
c6e dans le droit civil au sein de la th6orie de la personnalit6 morale telle qu’elle
est connue dans les autres juridictions civilistes.

Le Code civil du Qubec confere la personnalit6 juridique A toute soci6t6
par actions. Celle-ci est reconnue comme une personne morale capable de jouir
de droits subjectifs pour ses propres int&ts. De plus, la notion de pouvoir de
nature priv~e, codifi6e dans le titre, <>, per-
met de qualifier le rapport entre la soci6t6 par actions et ses dirigeants, et entre
celle-ci et ses organes, lesquels exercent des pouvoirs pour le compte et sous le
contr6le de la soci6t6 par actions.

La notion de pouvoir de nature priv6e ne r6sulte pas d’un emprunt au droit
anglais. La th6orie du pouvoir en droit civil ne peut pas 8tre li~e au d6veloppe-
ment historique de la relation fiduciaire du droit anglais qui caract6rise le rap-
port entre la corporation et ses dirigeants. NManmoins, tant la th6orie du pouvoir
en droit civil que la relation fiduciaire du droit anglais d6coulent d’une relation
de confiance. Elles sont caract6ris6es par la confiance que le b6n6ficiaire place
en la personne de l’administrateur du bien d’autrui ou du fiduciaire de droit
anglais et par la pr6dominance que ceux-ci manifestent sur le b~n6ficiaire312.

312Voir, dans I’affaire Leong, la similarit6 des propos de M. le juge Gonthier: > (supra note 100
la p. 442), avec ceux de M. le juge Laskin
dans l’affaire Canaero : > (supra note 66 4 la p. 610).

313Laverdi~re, supra note 15 A la p. 863.
314Gaudreau, supra note 30 4i Ia p. 508 ; Gower, supra note 46 A la p. 166 et s.
315Gower, ibid. a la p. 193 et s.
316CE, Premiere directive du Conseil du 9 mars 1968 tendant 6i coordonner, pour les rendre 9qui-
valentes, les garanties qui sont exigges, dans les btats membres, des socijtds au sens de rParticle
58 deuxieme alinja du traitg, pour protiger les intjr~ts tant des associgs que des tiers (CEE)
n 151168, J.O. IUgislation (1968) n’ L65

317Art 299 C.c.Q.
318
p . 321 C.c.Q.
3 19Art. 313 C.c.Q. Voir le jugement de M. le juge Beetz dans t’affaire Senez, supra note 15 A

la p. 8.

Ia p. 567.

326Martel et Martel, supra note 6

la p. 56.

in this issue Foetal Rights and the Regulation of Abortion

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