Examen critique de la situation juridique
de 1enfant naturel
Jean-Louis Baudouin *
L’augmentation sensible des naissances hors mariage dans la
province de Qu6becl et les bouleversements que semble connaitre
actuellement la cellule familiale qu6becoise dans sa structure tradi-
tionnelle amine le juriste A reconsiddrer avec attention le probl~me
de la situation juridique de l’enfant naturel. Le droit civil ne recon-
nat A tort ou A raison que la famille 16gitime en tant qu’entit6 juri-
dique, parce qu’elle seule offre une certaine garantie de stabilitM
sociale. Or, dans une perspective sociologique, on pourrait taxer
notre droit de manquer de r~alisme social, car la famille naturelle
existe et constitue un ph6nomnne sociologique rdel et actuel. I1 sem-
blerait donc que sans aller jusqu’A en reconnaitre l’existence sur le
mgme plan que la fanille ldgitime, le l6gislateur ait le devoir au
moins de s’occuper des membres qui la composent et d’organiser
leurs relations juridiques les uns par rapport aux autres.
Les raisons juridiques qui ont
t6 invoqudes pour justifier rigno-
rance du groupe de la famille naturelle transparaissent clairement A
la lecture de notre Code et ont souvent m~me
t 6nergiquement
dfendues par des juristes chevronn~s :2 d6sir de prot6ger les droits
* Professeur A la Facult6 de droit de TUniversit6 de Montr~ai.
13,650 (3.0%) en 1951
3,913 (3.1%) en 1952
4,163 (3.2%) en 1953
4,420 (3.3%) en 1954
4,285 (3.2%) en 1955
4,454 (3.3%) en 1956
4,506 (3.2%) en 1957
4,625 (3.3%) en 1958
4,888 (3.4%) en 1959
4,902 (3.6%) en 1960
4,931 (3.6%) en 1961
5,159 (3.8%) en 1962 – Ces taux sont par 100 naissances –
Rapport du Service de la d6mographie, annie 1962.
En 1951, la province de Quebec comptait 120,930 naissances par rapport
4 135,000 en 1962.
2 Par exemple: R. Savatier, Le droit, l’amour et la libert6, Paris, Librairie
g6ngrale de droit et de jurisprudence, lbre 6d., 1937, p. 101 et suivantes;
E. Billette, Donations et testaments, Montreal, 1933, No 234 et suivants, p. 171
et suivantes; G. Trudel, Trait6 de droit civil, Montreal, Wilson et Lafleur,
1942, V. 2, p. 124 et suivantes; L. Baudouin, Le droit civil de la province de
Qu6bec, Montr~al, Wilson et Lafleur, 1953, p. 235 et suivantes.
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de la famille 16gitime, refus de sanctionner une conduite contraire
aux bonnes moeurs, refus d’encourager la proliferation des unions
libres, etc….
II est frappant cependant de constater que toute ces
raisons se situent au niveau de l’int6r~t de groupe et ne prennent
aucunement en consideration les intarcts particuliers des individus
qui forment ce groupe et dont les droits sont affect~s par leur
appartenance A une famille << para-juridique >.
C’est peut-6tre la raison fondamentale de la situation inique qui
est faite A 1enfant ill6gitime dans le droit de notre province.
II ne
semble par a priori que rapprocher les droits de renfant naturel de
ceux de 1’enfant lgitime 6quivaille A la reconnaissance de la famille
naturelle. Cet enfant, qui n’a pas demand6 A naltre, se trouve en
effet A supporter sa vie durant les cons6quences juridiques de la
faute de ses parents. Que ce mgme enfant d’apr~s les textes ne puisse
exiger de ses parents que le droit aux aliments, c’est-A-dire le droit
de survivre et rien d’autre, apparait pour le moins surprenant en
plein XXe sikcle. De prime abord en effet, les parents naturels ont
une responsabilit6 morale et sociale envers leur enfant et il paralt
6trange que cette responsabilit6 ne soit limitee qu’aux aliments.
Le droit actuel ne permet pas en effet d’exiger que ceux-ci assument
vis-&-vis de leur prog~niture les devoirs normaux que les parents
ont envers l’enfant 16gitime.
En voulant d6lib6r6ment ignorer et fermer les yeux sur le phd-
nombne social de la famille naturelle, le l6gislateur a M amen6 A
r~duire au strict minimum les droits de l’enfant naturel, contribuant
ainsi A en faire une sorte de d6class6 juridique. Il convient de se
demander s’il n’est pas mauvais pour une 1dgislation, sous pr6texte
de ne pas donner de sanction A un ph6nom~ne de comportement
antisocial, d’ignorer compl~tement les cons6quences que peut produire
ce ph6nom~ne sur la vie juridique des individus. Le l6gislateur
n’aurait-il pas dfi s’attaquer au problhme de l’ill~gitimit en ayant
comme objectif premier la sauvegarde des droits de l’enfant naturel ?
Avant de pouvoir r6pondre A cette double question, il apparalt
n6cessaire de faire le point sur la situation juridique actuelle de
l’enfant naturel dans le droit de notre province.
I – La situation juridique actuelle de I’enfant naturel
Celui qui veut examiner avec un oeil critique l’6tat actuel du droit
qu6becois sur la question se doit d’effectuer un bref retour en arri~re
pour retracer les origines exactes des dispositions du Code civil sur
le sujet. Ces dispositions sont fort peu nombreuses. Le Code traite
No. 2] SITUATION JURIDIQUE DE L’ENFANT NATUREL 159
uniquement dans le titre de la filiation des conditions de l6gitimit6
de l’enfant 3 et ne consacre que cinq articles 4 aux enfants naturels,
dans lesquels il r6fTre A sa legitimation et aux droits qui peuvent lui
comp6ter A la suite d’une reconnaissance volontaire ou force. A ces
dispositions il convient d’ajouter certaines r~ges particuli~res telles
par exemple celles relatives A sa capacit6 de recevoir par donation
entre vifs. 5
A – Evolution historique:
Dans
‘ancien droit frangais, la condition d’enfant l6gitime ou de
baqtard avait une importance considerable, B surtout parmi la classe
noble de la soci~t6 de l’6poque. Les bitards ne succ6daient pas aux
titres de noblesse, ne poss~daient aucun droit d’ainesse, ne pouvaient
pr6tendre A aucun droit sur l’hritage de leurs parents ni exercer
le droit au retrait lignager. 7 Ils 6taient consid6r~s comme ne faisant
pas partie de la famille, ce qui explique qu’A une certaine 4poque
du droit mddi~val, le seigneur succdait aux biens des bqtards d~c6d6s
sur son fief.
Au temps de Pothier, les parents naturels avaient toutefois le
devoir de nourrir l’enfant, de l’lever dans la religion catholique et
de <<... lui faire apprendre un metier, lorsqu'il sera en 6tat d'en
apprendre un, pour le mettre en 6tat de gagner sa vie. >> 8
Le droit napoldonien devait rompre assez nettement avec
la
tradition de l’ancien r6gime. Pendant la p~riode r6volutionnaire
pr6c6dant la promulgation du Code civil, une loi du 12 Brumaire
An II compl~t~e par celles du 15 Thermidor An IV, du 2 Vent~se
An VI et par le d6cret du 2 Germinal An XI, accordait A l’enfant
naturel un droit de succession sur le patrimoine de ses parents
naturels, A l’exception toutefois des enfants adultirins. S’il faut en
croire Boileux, 9 l’art. 338 du Code Napol6on qui precise que <
p. 46 et suivantes.
H. Desrivi~res-Beaubien, TraitM sur les lois civiles du Bas-Canada, Montreal,
Duvernay, 1832, Tome I, p. 13 et 14.
8 Pothier, op. cit., vol. 6, No 394, p. 179, A la p. 180.
9J.-M. Boileux, Commentaire Qur le Code Napoleon, 6e 6d., Paris, Maresq,
1866, vol. 10, p. 165.
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naturel reconnu ne pourra rdclamer les droits d’enfant l~gitime >,
avait pour but de rassurer l’esprit du public inqui6t6 par les boule-
versements du droit r6volutionnaire. Le Code Napol6on brisait la
tradition avec l’ancien droit et semblait se montrer plus avant-
gardiste en accordant une part successorale A l’enfant illgitime. 10
Ce progr~s 6tait cependant compens6 par une double restriction,
puisque d’une part ce droit successoral n’6tait accord6
l’enfant
qu’A la condition qu’il ait 6t6 reconnu et que d’autre part le Code
Napol6on limitait l’6tablissement de la filiation naturelle en inter-
disant Faction en recherche de paternit6 sauf dans le cas de rapt. 11
Le rapport des codificateurs 12 n’apporte A vrai dire aucune
lumire particuli~re sur leur politique l6gislative. Sur la plan nor-
matif il est hors de doute cependant que ces derniers, apr6s avoir
compar6 le droit frangais de l’6poque A l’ancien droit, ont pr6f6r6
le second au premier. Au point de vue successoral, les codificateurs
n’ont pas jug6 utile de permettre A l’enfant naturel de succ6der A
ses parents morts ab-intestat, sanctionnant ainsi la formule de
l’ancien droit frangais. Dans leur rapport, les r6dacteurs du Code
civil avouent qu’ils auraient 6t port6s A r6tablir les anciennes res-
trictions quant aux dispositions testamentaires s’ils n’avaient pas
d6sir6 faire passer au premier plan le principe de la libert6 illimit~e
de tester. 13 La fid6lit6 des commissaires A l’ancien droit frangais
a d’ailleurs 6t
telle qu’ils ont refus6 d’endosser les dispositions du
Code Napoleon qui font de la reconnaissance pr~alable une condition
de la 16gitimation en cas de mariage subsequent des concubins. Ils
ont consid6r6 l’exigence du Code Napol6on comme <<... 6tranggre
6, notre droit, 14 et ont fait retour A l'ancien syst~me coutumier. De
plus, fiddles encore A lancien droit frangais, ils ont admis Faction
10 Articles 756 h 766 C.N. anciens, modifies par la Loi du 25 mars 1896;
Voir 6galement: J. Bonnecase, La philosophic du Code Napoljon appliqude au
droit de famille, 2e 6d., Paris, Boccard, 1928, p. 296 et suivantes.
11 Art. 340 C.N. ancien. L'abolition de l'action en recherche de paternit6 6tait
due principalement aux abus qu'avait entramn~s dans l'ancien droit, l'exercice
de cette action.
Demolombe, Cours de Code Napolgon, 4e 6d., Paris, Hachette, 1870, vol. 5,
p. 313 et suivantes; Baudry-Lacantinerie, Trait6 de droit civil, 3e 6d., Paris,
Sirey, 1907, Tome 4, No 673 et suivants, p. 658 et suivantes.
12 Rapport des Codificateurs, Qu6bec, Desbarats, 1865, 2e rapport, p. 200 et
suivantes.
13 Op. cit., 5e rapport, p. 154:
t6 port6s plut6t
A r6tablir du moins en partie les anciennes restrictions quant aux testaments,
s'ils n'eussent pr~f~r6 laisser dans toute sa g6n6ralit6 la loi qui avec la libert6
absolue de tester a introduit un changement qui sert de base A tout le sujet
des dons gratuits. :
t Les Commissaires auraient
14 Op. cit., 3e rapport, p. 200.
No. 2] SITUATION JURIDIQUE DE L'ENFANT NATUREL 161
en recherche de paternit. En reproduisant done l'ancien droit
frangais, le droit qu6becois s'est montr6 aussi s~v~re que lui pour
l'enfant naturel en limitant ses droits aux aliments, comme si la
chose 6tait parfaitement normale et sans se poser la question de
t6 opportun d'6tendre les droits de l'enfant
savoir s'il n'aurait pas
naturel.
Depuis la promulgation du Code Napoldon, nombre d'amende-
ments sont venus am6liorer la condition de l'enfant ill6gitime frangais.
Une loi du 16 novembre 1918, compl6t6e par la loi du 15 juillet
1955 15 et amendant l'art. 340 C.N., a 6largi le champ de l'action en
recherche de paternit6 naturelle. De plus, les lois du 25 avril 1924,
du 5 juillet 1956, notamment, ont permis la l6gitimation de l'enfant
adult6rin. 16 La nouvelle l6gislation sur la legitimation adoptive a
6galement favoris6 l'assimilation sociale et juridique de l'enfant
naturel. 17
Si par contre on cherche A retracer l'6volution du droit qu6becois
en la mati~re, c'est malheureusement un procis-verbal de carence
qu'il faut dresser. Depuis cent ans en effet, aucune modification
'enfant naturel n'a vu le jour dans notre droit
de la situation de
civil. I1 faut signaler cependant que sur le plan social la << Loi de
I'adoption >> a consid~rablement am~lior6 le sort des enfants naturels
abandonnds et a permi 6galement aux enfants adultdrins d’6tre
adopt~s par leurs v~ritables parents et de tourner ainsi les prohibi-
tions des art. 606 et 768 du Code civil. Ce n’est IA cependant qu’un
moyen accessoire puisqu’il soumet en fait la situation de l’enfant
au bon vouloir de ses parents, ce dernier n’ayant 6videmment aucun
droit en l’adoption elle-m~me. La < Loi des accidents du travail >
par contre 18 nous fournit un exemple int~ressant sur le plan juri-
dique. Dans son art. 2n, elle d6finit les termes << membres de la
famille >> d’une fagon tr~s large incluant les personnes in loco parentis
vis-A-vis de l’ouvrier et celles A l’gard desquelles l’ouvrier se trouve
in loco porentis. La pr6sente loi qui date de 1931 19 a remplac6 une
loi ant~rieure de 1909. 20 Cette derni6re, dans son art. 3, pr~voyait
tre pay6e << aux enfants l6gitimes ou
qu'une indemnit6 pourrait
1G Voir commentaires de G. Ripert, La condition des enfants adultirins apr~s
les lois du 15 juillet 1955 et 5 juillet 1956, D-1956, Chronique -
133.
10 G. Ripert, pr4cit., p. 135.
1 7 Voir P. Raynauld, Le nouveau rigime de L'adoption et de la l6gitimation
147; L'adoption et la lgitimation adoptive dans
adoptive, D-1959, Chronique -
la loi du ler mars 1968, D-1963, Chronique -
133.
Is c Loi des accidents du Travail de Quebec >, S.R.Q. 1964, ch. 159.
10 21 Geo. V, ch. 100.
20 9 Ed. VII, ch. 66. Voir: Canada Cement V. Hanchuck (1917) 26 B.R. 434;
Asbestos Mines Ltd. V. Charest (1926) 32 R.L. n.s. 416 et 441.
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nraturels reconnus >>. Le texte actuel semble cependant 6tre aussi large
que l’ancien texte et donne le droit A l’enfant naturel de rdclamer
A raison du d~c~s de son p~re ouvrier.
Devant cette totale absence de progr~s l6gislatif du Code civil,
on aurait pu penser, tout en restant dans le cadre de la loi, que ]a
jurisprudence aurait cherch6 A adoucir quelque peu
le sort des
enfants naturels en donnant aux dispositions les concernant une
interpr6tation lib6rale. Or le ph~nom~ne inverse s’est produit et la
jurisprudence s’est montr~e aussi r~ticente que le lgislateur. La
raison v6ritable de cet 6tat de choses transparalt A la lecture de
certains arr~ts. 21 La jurisprudence a craint de reconnaltre un statut
juridique A la famille naturelle en se montrant lib~rale vis-A-vis de
‘enfant. Ainsi, force nous est de constater qu’en ]a mati~re notre
droit civil est demeur6 dans une r~serve prudente et n’a pratiquement
pas 6volu6 depuis le XIXe si6cle.
B – Les droits de l’enfant naturel:
I1 convient ici de distinguer pour plus de clart6 entre les droits
que l’enfant naturel poss~de relativement A sa filiation m~me et
qui ont donc un caract~re extra-patrimonial et ceux qui, au contraire,
revetent un caract~re purement p6cuniaire. Le droit A ]a l6gitima-
tion et celui d’6tablir sa filiation relvent du premier groupe, le droit
aux aliments et A la reception par donation et testament du second.
1 – Droits relatifs A la filiation
L’6tablissement de la filiation naturelle est pour l’enfant la condi-
tion pr~alable A la dMtention de toute cr~ance alimentaire. Cependant
avant de nous int6resser A cette question, il est n6cessaire d’examiner
rapidement la possibilit6 qu’a l’enfant naturel d’acc6der A la famille
I6gitime au moyen de la lgitimation.
a) La legitimation :
Le droit qu~becois permet la 16gitimation de l’enfant naturel
simple par le mariage subs6quent de ses parents naturels et veut
21 Voir notamment: Town of Montreal West v. Hough (1931) S.C.R. 113. Anglin,
j.c., p. 120-121:
“It would be a libel on that province to suggest that.., illegitimacy is
there less disfavoured by law than it is in England, or in any province
of Canada whose legal system is based on English common law.”
No. 2] SITUATION JURIDIQUE DE L’ENFANT NATUREL 163
ainsi favoriser l’union l~gitime des concubins et faire b6n~ficier
l’enfant de la r6gularisation de la situation de ses parents. La l6gi-
timation est un droit fondamental de l’enfant en ce sens qu’il ne
d6pend en aucune fagon d’un acte volontaire de ses parents. Le
mariage seul suffit A transf6rer la qualit6 d’enfant l6gitim. sans qu’il
soit n~cessaire, comme en droit frangais, de proc~der auparavant A
une reconnaissance. 22 Le Code suit en cela les r~gles de l’ancien
droit frangais dont le Code Napol6on a cru bon de se d6barrasser.
I1 faut n~anmoins pour que cette l6gitimation soit valable que l’enfant
soit bien celui du mar de sa mare et le mariage d’une fille-m~re
avec une personne autre que le p~re de l’enfant n’aurait 6videmment
pas pour effet d’emporter lgitimation. 23 De plus, la lgitimation
ne peut s’appliquer qu’aux enfants congus et n6s hors mariage. Si en
effet l’enfant conqu en dehors du mariage nait dans le mariage, mame
ant~rieurement aux 180 jours qui suivent la c~r~monie, il est r6put6
l6gitime sauf d6saveu du mar. 24 Cette constatation n’a pas un
intfrct purement acad~mique puisqu’il faut se rappeler que la lfgiti-
mation ne confbre les droits et obligations de la l6gitinit6 qu’au
jour du mariage des parents et sans effet r6troactif. I1 faut enfin
qu’il n’existe A 1’6poque de la conception aucun empachement au ma-
riage de ses parents, resultant soit d’un mariage d6jA existant (rela-
tions adult~rines), soit d’un lien du sang (relations incestueuses),
car le Code prohibe d’une mani~re expresse et non 6quivoque la l6gi-
timation des enfants adult~rins et incestueux. Certains auteurs se
sont plu A signaler l’exc~s de juridicit6 de la loi en la mati~re. 25
Les motifs de cette prohibition tiennent A la fois A la politique sociale
sous-jacente et A une argumentation purement juridique.
D’une part, dit-on, accorder le b6n6fice de la legitimation aux
enfants incestueux ou adult6rins serait encourager l’inceste et l’adul-
t~re. Reconnaltre les fruits de telles unions et permettre qu’ils devien-
nent un jour l~gitimes serait favoriser socialement la creation ou
la continuation de ce genre d’unions tenues pour immorales. Le
l~gislateur suppose que la perspective de l’impossibilit6 de lgitimer
l’enfant constitue un frein A l’6tablissement de ces relations ou un
emp~chement A leur prolongation. La r~gle est donc congue en d6fi-
nitive comme une r~gle r6pressive A l’6gard des parents. Cependant
22 Art. 331 C.N. Encyclop~die Dalloz – R6pertoire de droit civil, Paris, 1953,
Tome III, No 25, p. 26 et suivantes.
23 Lahay v. Lahay (1894) 5 C.S. 261; (1894) 6 C.S. 366. Voir: V. Bergeron,
La 16gitimation et l’adoption de l’enfant hors mariage, (1960) 4 Cahiers de
Droit 14.
24 Art. 221 et 222 C.C. – Trudel, op. cit., v. 2,p. 114.
25 Trudel, op. cit., v. 2, p. 114 et suivantes; L. Baudouin, op. cit., p. 247.
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cette r6pression n’atteint en r6alit6 que l’enfant et non les parents
eux-m~mes. Le l6gislateur qui veut sanctionner la conduite des
parents se trouve A nuire aux intfrcts de l’enfant lui-mgme sans
atteindre v~ritablement ceux qu’il considre comme les vrais cou-
pables.
Le second motif A la prohibition de l’art. 237 C.C. est d’ordre
purement juridique. La loi se place en principe au moment de la
conception pour d6terminer le caract6re de la filiation de l’enfant.
L’poque de la naissance a 6galement son importance, mais unique-
ment pour permettre une plus grande accession A la 16gitimit6. Or,
dit-on, dans le cas present, tout mariage 6tait par hypoth6se juridi-
quement impossible entre les parents de l’enfant au moment de sa
conception, soit en raison d’un autre mariage d6jA existant, soit en
raison d’un lien de parent6 rendant l’union ill6gale. Ds lors, on
pretend que la conception de l’enfant est entach~e d’un vice r6dhibi-
toire, qui ne saurait 6tre r6par6 par mariage subs6quent. Ce second
motif ne nous semble gu~re plus convaincant que le premier.
Quant A l’enfant incestueux, il est possible que ses parents apres
avoir obtenu une dispense gagnent le libre acc~s au mariage puisque
l’inceste ne r6sulte pas seulement des relations entre p6re et fille
ou m~re et fils mais aussi de celles entre cousins A un degr6 prohib6.
Si ceux-ci peuvent done l6galiser leur union de fait, pourquoi n’en
pas faire b6n6ficier le fruit de cette union au mgme titre et en la
mgme mani~re que l’enfant naturel simple ? Le droit qu6becois qui
pourtant admet largement les interdits religieux se montre plus
s6v~re A cet 6gard que le droit canon qui permet, lui, la legitimation
en cas de dispense canonique subs~quente accord~e aux parents
incestueux. 26
Quant A l’enfant adult6rin d’autre part, cette prise de position
serait logique si elle s’accompagnait d’une prohibition des concubins
adult~rins de se marier mgme apr~s divorce ou mont du conjoint
qui fait obstacle au mariage. Or la loi n’interdit pas A l’6poux veuf
de se remarier avec son complice et la jurisprudence reconnait pour
valable le mariage qui suit un divorce prononc6 valablement. L&
encore, si l’on permet aux concubins adult~rins d’acc~der au marage,
pourquoi emp~cher la l6gitimation de leur enfant ? II semble que
dans son d6sir de stigmatiser et de sanctionner I’adult&re, le l6gis-
lateur ait malencontreusement fait porter les cons6quences facheuses
de cette sanction sur l’enfant et non sur les parents. Le mariage va
se trouver A effacer les effets de leur faute mais prolongera ces
mgmes effets A l’gard des enfants qui de toute fagon demeureront
26 Trudel, op. cit. v. 2, p. 115.
No. 2] SITUATION JURIDIQUE DE L’ENFANT NATUREL 165
ill6gitimes sauf mariage putatif. Ce mariage putatif ne peut exister,
dans le cas de relations incestueuses, que si au moins l’un des 6poux
ignorait la cause d’emp~chement au mariage. Dans le cas de rela-
tions adult6rines, il faudrait qu’un des 6poux soit bigame et que
l’autre ignore au moment du pr6tendu mariage l’existence de l’union
ant6rieure de son conjoint. I1 apparait que de toute fagon il y a 1A
un 6tat de droit non seulement illogique mais encore souverainement
injuste qui oblige les parents A passer par la voie de l’adoption pour
donner A leur enfant ce caract~re apparent de 16gitimit6. 27
La 16gitimation de l’enfant incestueux et surtout de l’enfant adul-
t6rin n’est cependant pas sans soulever certains probl~mes complexes,
notamment quant A la position exacte qu’il doit occuper au sein de
la famille l6gitime, c’est-h-dire des autres enfants et surtout quant
A la preuve de la filiation, laquelle peut engendrer des conflits avec
la filiation 16gitime. Ce probl~me n’a cependant rien de particulier
A la relation adult6rine mais existe dans tous les cas de 16gitimation
par mariage subs6quent des parents. I1 suffit pour s’en convaincre
d’observer le cheminement de la pens6e 16gislative frangaise sur le
sujet. D~s 1907, 28 le l6gislateur frangais permettait la l6gitimation
de l’enfant adult6rin. Des lois subs6quentes 29 sont venues pr6ciser
les conditions d’accession A la l6gitimation. S’il est 6vident que le
l6gislateur qu6becois se devrait de permettre et m~me de favoriser
la 16gitimation des enfants adult6rins et incestueux, il semble non
moins 6vident qu’il devrait au pr6alable tenir compte des nombreux
probl~mes et des cons6quences juridiques qu’une telle d6cision ne
manquerait pas de provoquer.
b) La recherche de la filiation naturelle:
Le Code du Quebec, A l’encontre du code frangais, admet tr~s
largement l’action en recherche de filiation naturelle. Si l’on veut
bien consid6rer avec r6alisme, pour ne pas dire avec un certain
cynisme, ce lib6ralisme de nos codificateurs, il faut avouer qu’il ne
pouvait en 6tre qu’ainsi puisque les risques que comporte 1’6tablisse-
ment de la filiation naturelle ill6gitime sont peu consid6rables pour
les parents. La reconnaissance forc6e fait uniquement naitre un
droit de cr6ance alimentaire et n’a aucune influence sur le droit
de successibilit6 de l’enfant A ses parents naturels. D&s lors, l’enjeu
27 , Loi de i’adoption >>, S.R.Q., 1964, ch. 218, art. 6.
28Loi du 7 novembre 1907.
29 Loi du 30 ddcembre 1915 – Loi du 25 avril 1924 – Loi du 14 septembre
1941 – Ordonnance du 3 mai 1945 – Loi du 5 juillet 1956.
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6tant relativement peu important, rien n’emp~chait d’admettre large-
ment ces actions. Qu’il soit permis de soupgonner que si les codifica-
teurs avaient octroy6 une vocation successorale A l’enfant naturel, ils
se seraient montr6s peut-8tre un peu moins g~n6reux.
Les actions en recherche de filiation naturelle sont de deux sortes
suivant que le but poursuivi est l’6tablissement de la paternit6 ou de
la maternitd. Ces deux actions pr~sentent des differences notables
mais ont en commun un caract~re extra-patrimonial qui les rend
personnelles A l’enfant.
Par l’action en recherche de maternit6 naturelle, le demandeur
cherche A d6montrer qu’il est bien le fils naturel de sa m~re. I1 doit
donc prouver d’une part le fait mat6riel de l’accouchement de sa
m~re A l’6poque de sa propre naissance et d’autre part son identit6
avec l’enfant dont elle a accouch6. Cette preuve est relativement
facile au contraire de celle que doit fournir l’enfant dans Faction en
recherche de paternit6 naturelle. La preuve de paternit6, malgr6 les
examens du sang et les progr~s scientifiques faits en la mati~re, ne
peut jamais aboutir A une absolue certitude. La justice doit se con-
tenter d’accr~diter la force probante d’une s6rie de pr6somptions
de fait qui rendent probable la paternit4 du d6fendeur. 3 0 Ainsi, la
seule preuve de l’existence de relations sexuelles entre le d6fendeur
et la m~re de l’enfant au moment de la p6riode pr6sum6e de sa con-
ception ne suffit pas A 6tablir cette filiation. 31 La proposition inverse
est 6galement vraie. Le fait que ]a m~re de l’enfant ait eu A l’6poque
de la conception des relations sexuelles avec d’autres hommes ne
permet pas A lui seul d’6carter la paternit6 du d6fendeur 32 sauf s’il
est clairement d6montr6 qu’au moment de la conception la m~re 6tait
une vritable prostitude. 33 Par contre, la preuve d’une impossibilit6
matdrielle de cohabitation pendant la p~riode pr6sum6e de la con-
ception constituerait sans nul doute une d6fense complete A Faction.
Cette difficult6 de preuve de la paternite qui tient A la nature des
choses est 6videmment d’autant plus regrettable pour l’enfant si l’on
en consid~re
II est ‘a
presumer en effet que dans la majorit6 des cas, l’homme, c’est-A-dire
le p~re, sera dans une meilleure situation 6conomique et financi~re
pour satisfaire A l’obligation alimentaire.
II reste A esp6rer que
les cons6quences sur le plan 6conomique.
3 0 Voir par exemple: Corbett v. Lovett (1929) 35 R.L. n.s. 347; Lafrance v.
Dickie [1958] C.S. 521.
31 Denault v. Banville (1894) 7 L.N. 149; Valiquette v. Savage (1897) 12 C.S.
421; McAuley v. MeLennan (1901) 20 C.S. 205; Rattigan v. Robillard (1904)
26 C.S. 222; Miller v. Lepitre (1889) 33 L.C.J. 280.
32 Lizotte v. Desecheneau (1883) 6 L.N. 170.
33 Walker v. Worthen (1947) R.L. 166.
No. 2] SITUATION JURIDIQUE DE L’ENFANT NATUREL 167
dans l’avenir la g6n~tique nous apporte un proc6d6 scientifique per-
mettant de d~terminer avec un certain degr6 de certitude la preuve
positive de la paternit6.
Notre droit permet toutefois A l’enfant d’utiliser dans la recher-
che de sa filiation naturelle les m6mes modes de preuve (6crits,
t~moins, commencement de preuve par 6crit) que ceux qui peuvent
6tre employ6s pour rechercher la maternit6 et la paternit6 l6gitimes. 34
I1 ne semble pas qu’il faille tenir pour valable l’opinion 6mise par
Mignault 35 selon laquelle l’acte de naissance ne peut faire preuve
que s’il est sign6 par le p6re ou la m~re de l’enfant. L’acte d’6tat
civil 6tant un dcrit authentique et prouvant la filiation lgitime,
dans l’6tat actuel de notre droit, sans que la signature soit indispen-
sable, il ne semble pas, vu le texte de l’art. 241 C.C., que l’on puisse
faire exception A ce principe dans le cas de la filiation naturelle.
Dans son ensemble, on peut estimer comme tr~s satisfaisant l’6tat
actuel de notre droit sur l’6tablissement de la filiation naturelle qui,
d’une part, ne pose en principe aucune entrave A l’exercice du recours
et d’autre part, facilite la preuve que doit rapporter l’enfant en le
faisant b6n~ficier du mgme r6gime de preuve que l’enfant lgitime.
2 – Droits i caract~re patrimonial
L’organisation legislative des droits de l’enfant naturel se fait
sur un plan tr~s diff6rent de celle de l’enfant lgitime, car en d~pit
du lien de sang qui relie le bWtard A ses p~re et m~re, la relation juri-
dique de p~re ou m~re A enfant ne s’insbre pas dans le cadre de la
famille. Le refus du l~gislateur de reconnaitre sous quelque aspect
que ce soit la famille naturelle l’a in4vitablement conduit A r~duire
cette relation au strict minimum. Ne pouvant pas malgr6 tout aban-
donner totalement l’enfant A son sort, le l6gislateur a pr6vu que ses
parents naturels ne lui devront qu’une aide mat6rielle minimum.
Les textes octroient ainsi i l’enfant naturel le droit aux aliments,
mais nulle part dans le Code civil, sinon dans la jurisprudence,
n’oblige-t-on ses parents h l’6duquer convenablement, h l’6lever eux-
m~mes et A l’entretenir.
a) Droits aux aliments
La jurisprudence s’est montr~e A la fois prudente et ferme dans
l’interpr~tation de l’art. 240 C.C. Ce dernier pr~voit que la recon-
35 Art. 241 C.C.
35 M~ignault, op. cit., p . 132.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 12
naissance volontaire ou forc6e par un des parents donne droit A
l’enfant de r6clamer des aliments. Aucun texte correspondant n’existe
dans le Code Napol6on et la jurisprudence frangaise s’est donc r6f~r6e
aux r~gles g6n~rales relatives A l’obligation alimentaire de la famille
l6gitime. 36 La jurisprudence qu6becoise a au contraire constamment
refus6 d’assimiler les deux genres d’obligation alimentaire et d’uti-
liser pour la famille naturelle les r~gles pr~vues pour la famille
lgitime. De l’ensemble des decisions jurisprudentielles sur le sujet,
on peut indiscutablement relever deux caract6ristiques particulikres ‘
l’obligation alimentaire des parents naturels, soit d’une part le
caract~re de personnalit6 et d’autre part le caract6re de non-reci-
procit6 du lien.
Le lien de droit cr66 par la reconnaissance volontaire ou forc6e
est purement personnel. L’enfant, en effet, ne se trouve pas A p6n6-
trer dans la famille de son p~re ou de sa m~re naturels et reste aux
yeux de la loi un parfait 6tranger A l’6gard de ses ascendants au
second degr6. Seuls le mariage et la 16gitimation qu’il emporte ou,
sous certaines r6serves, l’adoption, cr6ent un vritable lien familial.
La jurisprudence, s’appuyant d’ailleurs sur la phras6ologie mgme du
texte de l’art. 240 C.C., a toujours maintenu le principe de la per-
sonnalit6 de la cr6ance alimentaire de l’enfant naturel. 37 Permettre
en effet A cet enfant de r6clamer par exemple A ses grands-parents
naturels 6quivaudrait A une reconnaissance du lien existant entre
lui et ses ascendants et donc A une sanction directe de l’existence
d’une famille naturelle au sens large, parall~le A la famille 16gitime.
Ainsi donc, advenant le d6c~s ou ]a disparition des parents naturels
de I’enfant, celui-ci ne peut compter sur absolument personne pour
obtenir une aide p6cuniaire quelconque. On peut se demander A
30 H. Tallon, L’aetion alimentaire de l’enfant adultirin, Paris, 1962, Librairles
techniques.
3T Miller v. Lepitre et al (1889) 33 L.C.J. 280; MeAuley v. McLennan et
’77 C.S. 349; Houde
Lawrence (1903) 23 C.S. 419; Sabino v. Beauchesne (1939)
v. Vigeant (1940) 43 R.P. 204;
Voir P. Ferland, L’obligation alimentaire en droit qugbecois, [1964] Revue
de l’association qu6becoise pour l’6tude comparative du droit 61, p. 62.
I1 est int~ressant de noter les raisons donn~es par les tribunaux pour refuser
le droit A l’enfant de recourir contre ses grands-parents. Certaines d’entre elles
manifestent clairement ce certain climat social qui consiste b consid~rer la
naissance hors mariage comme une tache sur l’honneur familial, comme une
honte qu’il convient de cacher.
c La loi a bien voulu (sic) soumettre le pare de l’enfant
l’obligation de
le nourrir et de l’6lever, mais elle n’a pas voulu infliger un chatiment (sic)
h toute une famille qui n’est pas responsable de Ia faute du p6re.2. (Lemieux,
J. – McAulay v. MeLennan et Lawrence (1903) 23 C.S. 419, p. 422).
No. 2] SITUATION JURIDIQUE DE L’ENFANT NATUREL 169
cet 6gard si l’ordre de priorit6 6tabli par la loi est r6aliste. Est-il
vraiment pr~f6rable de sacrifier les int6r~ts de l’enfant A ceux de la
famille des parents ? La question est fort complexe car il semble au
premier abord peu juridique d’imposer aux grands-parents la charge
d’une personne qui leur est au fond totalement 6trang~re.
D’autre part, la jurisprudence a sanctionn6 le principe de la
non-r6ciprocit6 de l’obligation alimentaire. Dans la famille 16gitime,
l’obligation alimentaire des pare et m~re A l’6gard de leurs enfants
est r~ciproque. 38 Cette r6ciprocit6 provient encore une fois de ce
que le l6gislateur consid&re la famille l6gitime comme une entit6
distincte de la personnalit6 de chacun de ses membres. En tant que
partie de cette entit6, chaque individu est tenu de donner aux autres
dans le besoin de la m~me mani~re qu’il a le droit d’attendre des
autres qu’ils lui donnent. Dans la famille naturelle au contraire,
cette entit6 est ignor6e et l’6tablissement de la filiation ne fait que
transformer en obligation juridique l’obligation morale, au niveau
individuel, du parent naturel de ne point laisser mourir de faim son
enfant. Il semble d’ailleurs curieux que le l6gislateur n’ait pas cru
A propos d’obliger les parents naturels aux m~mes obligations que
les parents 16gitimes. La comparaison des seuls textes des art. 165
et 240 C.C. r6v~le que le pare ou la mare naturels n’a qu’un devoir:
celui de nourrir l’enfant, mais apparemment non celui de l’entretenir
ou de l’6duquer. N’est-ce pas 1A favoriser encore une fois de plus le
d~classement social de l’enfant et son abandon ?
Dans l’6tat actuel de la jurisprudence, le caract~re de non-r6ci-
procit6 de l’obligation alimentaire des parents naturels semble ferme-
ment 6tabli. Seulement deux d6cisions 39 ont tent6 de maintenir le
contraire. L’une d’elles a d’ailleurs 6t6 renvers6e par la Cour suprame
du Canada dont l’arr~t en la mati~re constitue, vu la force du pr~c6-
dent, la decision majeure sur ce point. 40 Les arguments invoqu6s A
l’appui du caract~re de non-r6ciprocit6 sont nombreux. Ceux de la
Cour supreme semblent s’appuyer avant tout sur une interpr6tation
restrictive des textes, tel que l’avait d’ailleurs fait l’honorable juge
Hall en Cour d’appel. 41 L’art. 240 C.C., dit-on, est d’interpr6tation
restrictive et d’autre part, chaque fois que le Code utilise les mots
<< enfant >>, << parents >>, il ne d6signe que les enfants ou parents 16gi-
38 Art. 165, 166 et 168 C.C.
39 Tow of Montreal West v. Hough (1929) 67 C.S. 322; (1930) 48 B.R. 456;
Langelier V. Langelier (1940) 78 C.S. 421.
40 Town of Montreal West v. Hough [1931] S.C.R. 113, suivie par Disilets v.
Vary [1958] C.S. 497; Bougie v. Tremblay (1961) 65 R.P. 84.
41 Town of Montreal West v. Hough, precit, honorable juge Hall dissident,
p. 466 et suivantes.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 12
times A l’exclusion de tout autre. De son c~t6, Trudel 42 soumet une
s6rie d’arguments qui ont beaucoup plus de poids. Tout d’abord
dit-il, 4 l’tablissement de la filiation illgitime peut r~sulter d’un
aveu lorsqu’il se fait par reconnaissance volontaire. Permettre donc
aux parents naturels de r~clamer les aliments A leurs enfants naturels
serait donner & leur aveu le pouvoir de cr6er un droit en leur faveur
alors que l’aveu est toujours source d’obligation mais jamais cr6ateur
de droit. En d~cider autrement serait permettre au parent naturel
de reconnaitre son enfant uniquement dans le but de se faire entre-
tenir par lui, et comme le dit Trudel: 44
c Le maitre chanteur le plus naif se comblerait de rentes perp6tuelles
en s’attribuant la paternit6 de que]ques parvenus de choix.
L’objection est tr~s s6rieuse. I1 semble cependant qu’un amen-
dement & la loi actuelle pourrait facilement permettre de vaincre
cette difficult6. Le parent naturel, pre ou m~re, ne pourrait r6cla-
mer les aliments & l’enfant qu’& ]a condition de s’6tre occup6 de cet
enfant et d’avoir contribu6 & son entretien, eu 6gard aux moyens
dont ils disposaient et aux circonstances.
Il n’y a en effet plus
d’objection s6rieuse & ce que l’enfant soit tenu aux aliments A l’6gard
de ses parents dans la mesure ott ceux-ci ont rempli leurs devoirs
A son 6gard.
En second lieu, dit Trudel,45 <<... [on ne peut] invoquer les lois
du utriage et de la famille au secours d'une situation qui viole le
principe fondcmental de ces lois. > Le droit aux aliments cr66 par
l’art. 240 C.C. est exceptionnel et existe en dehors et en marge des
principes de l’obligation alimentaire de la famille l6gitime. Ce raison-
nement apparait fort convaincant sur le plan juridique et il est A
pr6sumer que si les codificateurs avaient jug6 A propos de fonder
l’obligation alimentaire des enfants naturels sur les mgmes principes
que ceux des enfants l6gitimes, ils auraient exprim6 clairement cette
intention ou du moins n’auraient pas utilis6 un langage aussi pr6cis
dans l’art. 240 C.C.
Sur le plan de la politique sociale, cette situation est cependant
profond6ment injuste. Il est difficile de concevoir que le l6gislateur
puisse 6carter compl6tement et d6lib6r6ment le lien de sang unissant
l’enfant A ses parents pour la seule raison que ce lien n’a pas 6t6
sanctionn6 par le mariage. L’injustice de cet 6tat de choses trans-
paralit h la lecture des notes de l’honorable juge Brossard dans
42 Trudel, op. cit., v. 2, p. 126 et suivantes.
43 Trudel, op. cit., v. 2, p. 127.
44 Trudel, op. cit., v. 2, p. 127.
45 Trudel, op. cit., v. 2, p. 127 et suivantes.
No. 2] SITUATION JURIDIQUE DE L’ENFANT NATUREL 171
l’affaire Desilets v. Vary 46 et sous r6serve de certains am6nagements
lgislatifs indispensables, il serait souhaitable que le l6gislateur
sanctionne le caractbre de r~ciprocit6 de l’obligation alimentaire. Sur
le plan pratique enfin, il ne s’agit en definitive que de r~partir 6cono-
miquement une charge d’entretien et mis A part l’Etat, qui d’autre
mieux que celui qui est reli6 & l’indigent par un lien de sang est le
plus susceptible de le faire ?
II faut voir A travers ces deux caracteres sp~ciaux de l’obligation
alimentaire entre parents et enfants naturels une manifstation claire
de l’intention du l6gislateur et de la jurisprudence de ne rien faire
qui pourrait donner A penser que la famille naturelle repr6sente une
entit6 juridique. Ce n’est d’ailleurs IA qu’une manifestation parmi
le refus de permettre l’action en
tant d’autres, tel par exemple:
dommages A la suite de la mort de l’enfant ou du parent naturel, 47
le refus de permettre A la m~re naturelle de r~clamer des aliments
t6 nomm6e tutrice,48 etc…
pour son enfant A moins qu’elle n’ait
L’enfant naturel, pourrait-on dire, sans vouloir manier le paradoxe,
a dans l’optique pr~sente de notre Code le droit de survivre mais
non de vivre une vie normale. La limitation du recours alimentaire
lui fait de plus assumer un risque 6conomique suppl6mentaire. En
effet, l’6tendue familiale de la cr~ance alimentaire de l’enfant lgi-
time lui permet d’6viter jusqu’& un certain degr6 les risques d’insol-
vabilit6 de ses parents en lui offrant la possibilit6 de porter son
recours contre d’autres, droit dont est priv6 l’enfant ill6gitime.
b) La facult6 de recevoir A titre gratuit
L’enfant naturel conserve le droit de recevoir A titre gratuit par
donation testamentaire et sous certaines restrictions par donation
entre vifs de ses parents naturels. 4 En ce qui concerne tout d’abord
la donation testamentaire, il ne faudrait pas penser qu’il s’agit I&
d’une faveur sp6ciale faite A l’enfant naturel. Ii apparalit au contraire
du rapport des codificateurs que ceux-ci avaient song6 A r6tablir
les restrictions de l’ancien droit. C’est uniquement pour maintenir
absolu le principe de la libert6 illimit6e de tester qu’ils n’ont pas
voulu priver l’enfant de ce droit. 50 I1 ne faut pas oublier en effet
46 Disilets v. Vary [1958] C.S. 497.
47S V. P [1960] R.L. 12; Windsor Hotel v. Stadnicka (1938) 64 B.R. 298;
Town of Montreal West v. Hough, pr~cit6; Tkachena V. Orrell (1940) 79 C.S. 340
contra Goyer v. Provincial Transport Co. (1932) 35 R.P. 237.
4 8 Dexter V. Burino (1927) 43 B.R. 394; Lupien v. Hgbert [1960] C.S. 542.
49 Art. 831 et 768 C.C.
5o Voir note 13 supra.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 12
que ce principe fut reconnu dans le droit qu6becois bien avant la
codification. 51
I1 est donc loisible au testateur de laisser la totalit6 ou une partie
de sa fortune A son enfant naturel sans que la famille l~gitime ne
puisse s’y objecter A raison du simple caract~re d’ill~gitimit6 du
16gataire. Cette disposition de notre droit est d’autant plus heureuse
qu’aucune distinction n’est faite entre enfant naturel simple, enfant
adult~rin et enfant incestueux. La loi cependant ne fait que lever
une prohibition sans toutefois accorder un droit v6ritable A la succes-
sion des parents naturels d6c6d~s ab-intestat. 52 L’enfant naturel
n’apparait nulle part dans la liste des personnes aptes A recevoir
par droit successoral. Sans vouloir aller jusqu’a pr~coniser la creation
d’une r6serve ou d’une 16gitime, tout comme en droit frangais, et
tout en maintenant le principe de la libert6 illimit6e de tester, il nous
semblerait utile et juste d’octroyer A l’enfant naturel une vocation
A la succession de ses parents. I est difficilement concevable que
ce dernier soit compl~tement ignord aux d6pens par exemple de
parents 6loign6s ou encore plus de l’Etat. Si l’on presume en effet
que l’ordre successoral est bas6 sur la gradation de l’affection du
d~funt, 1’enfant naturel devrait y figurer en bonne place.
En ce qui concerne les donations entre vifs, la situation 6tait un
peu plus d6licate. Le lMgislateur a restreint la capacit6 des concubins
de donner A leurs enfants adult6rins ou incestueux d’une double fagon.
Dans un tel cas, seules en effet les donations par contrat de mariage
et celles restreintes aux aliments sont permises. 53 LA 6galement les
raisons qui ont pu pr6sider A 1’6tablissement de ces restrictions
semblent 6tre d’une part le d6sir de prot6ger la famille l6gitime et
d’autre part la volont6 de ne pas encourager une conduite tenue
pour immorale. 54 Nous doutons fortement de la sagesse de ces
raisons. La cause d’une donation A un enfant adult6rin ou incestueux
qui d~passerait les aliments ne peut en aucun cas 6tre tenue immo-
rale en soi, au contraire de celle existant dans une donation entre
concubins, laquelle peut passer pour le remerciement de services
rendus ou le d6sir d’encourager la continuation des relations pour
51 41 Geo. III, ch. 4. Voir A. Morel, Les limites de la libert
testamentaire
dans le droit civil de la province de Qugbec, Paris, 1960, Librairie g6n6rale de
droit et de jurisprudence, p. 35 et suivantes.
52 Bariteau V. Bariteau (1939) 77 C.S. 496. Voir G. Levasseur, Les divergences
entre les droits positifs frangais et qu6becois on wzati~re de filiation l6gitime,
(1963) 23 R. du B. 85, p. 110 et suivantes.
53 Art. 768 C.C.
54 Rapports des codificateurs, pricit, 5e rapport, p. 154.
No. 2] SITUATION JURIDIQUE DE L’ENFANT NATUREL 173
l’avenir. I1 faut voir dans cette distinction, comme le disait si juste-
ment Me Joan Clark, 55 <... . un effet plut6t vexatoire, car de son
vivant l'auteur d'un tel enfant n'est pas admis , l'indemniser, en
quelque sorte, du tort qu'il lui a occasionng. >
II – Appr6ciation critique
Apr~s avoir analys6 la situation juridique de l’enfant naturel, il
faut maintenant reprendre le probl~me dans son ensemble. Avant
il est indispensable de se
de proposer toute r6forme quelconque,
demander d’une part quels sont les fondements sociaux de notre droit
actuel sur le sujet et d’autre part, 6tant donn6 que celui-ci n’a
aucunement 6volu6 en la mati~re depuis 1866, si les postulats de
base de nos r~gles juridiques sont encore d’actualit6.
A – Les fondements sociaux
I1 est manifestement tr~s difficile de d6couvrir avec un degr6 de
pr6cision suffisant la pens6e sociologique d’un peuple A un moment
donn6 de son histoire. Pour la bien connaitre, il serait n~cessaire de
mener une recherche sociologique, d’examiner les statistiques (qui
malheureusement Rtaient A peu pros inexistantes A l’6poque de la
codification), de rechercher dans les ouvrages historiques et litt6-
raires les moeurs v~cues de l’6poque et de tenter ensuite de trans-
poser ces donn~es A un niveau juridique. Alors mgme cependant
qu’une telle recherche s’av~rerait satisfaisante, cette syst6matisa-
tion de la r6alit6 sociologique de 1866 ne voudrait pas forc6ment dire
que nos codificateurs ont traduit fid~lement et impartialement en
langage juridique l’attitude de leur 6poque vis-A-vis du probl~me de
l’enfant naturel. Le l6gislateur est en effet avant tout un technicien
et ne peut au fond que trahir dans une certaine mesure cette r6alit6
d~s qu’il tente de la normaliser, puisque cette normalisation prd-
suppose un jugement de valeur. La r~gle de droit, quelle qu’elle soit,
repr6sente jusqu’A un certain point, surtout en droit priv6, la traduc-
tion de la conscience collective mais sans toutefois jamais repr6-
senter la conscience collective globale.
On peut cependant indirectement pr6sumer que les r gles pr6vues
par les codificateurs correspondent dans leur ensemble aux r~gles
sociales g6n~ralement accept~es de l’6poque, car autrement il est
55 Joan Clark, De la situation juridique des enfants naturels, (1952-53) 3 Th6mis
14, p. 21.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 12
permis de supposer que ces r~gles eussent 6t modifi6es ou rejet~es
par la suite ou du moins que leurs effets eussent 6t progressivement
6mouss~s par la pratique judiciaire. ‘l Or, tel n’est pas le cas, dans
le probl~me qui nous occupe, puisque d’une part aucun amendement
lgislatif subs6quent n’est venu am6liorer la condition de 1’enfant
naturel et que d’autre part, les textes du Code ont t6 restrictivement
interpr6t~s par la jurisprudence.
L’examen de la l6gislation et de la jurisprudence laisse trans-
paraitre deux raisons principales A l’attitude n6gative de notre droit
envers l’enfant naturel. L’une prend en consid6ration la defense de
l’int~r~t social g6n6ral, l’autre l’int6r~t social du groupe plus restreint
que compose la famille 16gitime. Jusqu’A un certain point, ces deux
raisons se rejoignent et se confondent dans ce sens que la protection
de la famille lgitime est traditionnellement consid6r6e comme un
facteur de promotion de l’intr6t social g6n6ral.
Dans la d6fense des int6r~ts de la soci6t6 en g6n~ral, la famille
l6gitime doit occuper une place de choix. La cellule de groupement
familial, fond6e sur l’institution du mariage, repr~sente un 616ment
de s6curit6 et de stabilit6 au contraire de la famille naturelle. Cette
dernire en effet se contrble difficilement, elle peut se former, se
dissoudre et se reformer A nouveau ais6ment, sans aucune formalit6
et sans aucune intervention juridique. Elle ne peut 6tre institution-
nalis6e, elle repr6sente l’instabilit6 et done dans une certaine mesure
un comportement contraire A l’ordre social. Au contraire, la forma-
tion, la dissolution et les effets juridiques qu’entraine la fondation
de la famille 16gitime sont pr~vus, surveills et r6glement6s. Ainsi,
si le mariage peut 6tre dissous par le divorce, il laisse subsister malgr6
tout des traces de l’ancienne communaut6 familiale. Les enfants par
exemple, en raison de leur ancienne appartenance A cette commu-
naut6, garderont le droit au nom, le caract~re de 1gitimit6, une
Il est done
cr6ance alimentaire, une vocation successorale, etc.
d’excellente politique sociale d’une part d’encourager la fondation
56 Voir Anglin, C.J. dans Town of Montreal West V. Hough, pr6cit., p. 128:
“It was strongly urged at bar that a construction of art. 1056 C.C. excluding
natural parents and illegitimate children savours of barbarism and would
shock the sensibilities of persons holding enlightened views, and that
accordingly the courts should give to it a construction more consistent with
humane and liberal ideas. The short answer to this contention is that
the courts must await the action of the legislature, whose exclusive province
it is to determine what should be the law.”
Voir aussi: Brossard, J. dans Disilets v. Vary [1958] C.S. 497, p. 501 et
suivantes.
No. 2] SITUATION JURIDIQUE DE L’ENFANT NATUREL 175
d’une famille 1gitime comme le fait d’ailleurs notre droit 57 et
d’autre part de prot~ger son caract~re de stabilit6 en rendant diffi-
cile la rupture du lien familial. 58 Or, l’une des formes de cette pro-
tection de la famille l6gitime peut consister prdcis6ment A n’accorder
aucun droit A la famille naturelle soit pour 6viter les conflits d’int6-
rats possibles entre ces deux groupes, soit simplement pour crier
un vide qui encouragera indirectement les individus A suivre la voie
de la famille l6gitime. Pour beaucoup, la promotion des int6rcts de
l’enfant naturel est en quelque sorte 6quivalente A une d6ch6ance
de la famille l~gitime parce qu’elle a pour effet d’accorder un certain
statut A la famille naturelle. Savatier, 59 en examinant l’opinion
de ceux qui voudraient une meilleure protection de ]a famille natu-
relle, 6crit:
z A cette ancienne mystique s’en oppose d6sormais une autre s6duisante
par sa g~n6rosit6, redoutable par sa candeur. D’avance et sans distinction,
elle s’ lance au secours de tous les membres de la famille naturelle comme
d’autant de victimes de prdjug~s sociaux. Pleins d’excellentes intentions,
les ap~tres de la sentimentalit6 nouvelle nourrissent l’id6e prdcongue qu’il
faut corriger la loi pour identifier autant que possible le statut de ]a
famille naturelle avec celui de la famille 1dgitime.:
I1 semble, surtout A la lumi~re de l’exp6rience frangaise, qu’il ne
faut pas confondre deux probl~mes enti~rement distincts. Accorder
plus de droits A l’enfant naturel n’6quivaut pas n6cessairement A
reconnaitre un statut juridique A la famille naturelle, surtout si l’on
entend ce terme au sens strict, c’est-A-dire le groupement compos6
du p~re, de la m~re et des enfants. Cependant ces deux probl~mes
t6 confondus et la perspective de conflit entre
ont invariablement
la famille naturelle et la famille l6gitime s’est traduite au niveau
juridique par une absence de progression des droits de l’enfant. On
retrouve deux arguments principaux A la base de ce choix. D’une
part, laisse-t-on entendre, sanctionner l’existence de la famille natu-
relle de quelque manibre que ce soit serait sanctionner une conduite
contraire aux bonnes moeurs et d’autre part indirectement encourager
l’union libre aux d~pens du mariage. Pour les raisons que nous
avons donn6es plus haut, 60 nous ne pensons pas qu’aller jusqu’A
57 Ainsi par exemple:
ige pour le mariage relativement bas (art. 115 C.C.),
conditions de forme restreinte au minimum (art. 128 et suivants C.C.), possi-
bilit6 de 1gitimation des enfants (art. 237 et 238 C.C.), octroi d’une vocation
les
successorale aux 6poux
stipulations par contrat de mariage (art. 817 et suivants C.C.), etc.
(624a et suivants C.C.), grande latitude dans
5s C’est ainsi que le droit qudbecois n’admet pas le divorce et qu’il restreint
le champ des nullit6s de mariage (art. 148 A 164 C.C.).
59 Savatier, op. cit., p. 138, No 74.
6 0 Voir supra.
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[Vol. 12
reconnaltre une certaine parit6 entre les droits de l’enfant naturel
et ceux de l’enfant l6gitime 6quivaille en soi A encourager la prolif6ra-
tion des unions libres, le but de l’union libre n’6tant pas ordinaire-
ment la procr6ation des enfants. Le centre d’int~r~t l6gislatif doit
en effet 6tre d6plac6. II n’est pas et n’a jamais t6 la famille naturelle
en tant que telle mais bien l’enfant par rapport A ses parents naturels.
Nous ne pensons pas qu’il soit possible sous pr~texte de prot6ger
la famille l6gitime d’ignorer totalement les droits 6l6mentaires de
l’enfant. Peut-on en effet s6rieusement pr6tendre qu’octroyer un
droit de succession A l’enfant naturel dquivaudrait A reconnaltre
l’existence de la famille naturelle et A encourager l’union libre ? Bien
plus, n’est-il pas plus juste de supposer que si les parents naturels
se trouvaient oblig6s envers leurs enfants par des obligations simi-
laires A celles des parents l6gitimes, une telle politique deviendrait
plus un frein qu’un encouragement A la multiplication des unions
libres ? I1 nous apparait que la meilleure fagon d’encourager le con-
cubinage est pr6cis6ment de continuer A agir comme le fait actuelle-
ment notre droit qui r6duit au strict minimum les responsabilit~s
des parents naturels envers leur enfant.
En second lieu, dit-on, la promotion des droits de l’enfant naturel
reviendrait A sanctionner une conduite contraire aux bonnes moeurs.
L& encore cet argument p~che de deux fagons. En premier lieu on ne
peut dire que la naissance ill~gitime est en soi contraire aux bonnes
moeurs. Ce qui peut 6tre contraire aux bonnes moeurs dans notre
6tat social actuel, c’est la conduite ant6rieure des parents. De plus,
sur le plan de la politique legislative, il est injuste de faire porter
les cons6quences juridiques de cette conduite non sur les parents qui,
dans l’6tat actuel de notre droit, ne subissent aucune sanction, mais
sur un tiers 6tranger A cette conduite qui est l’enfant. Le l~gislateur,
au lieu de se laisser guider par une fausse pudeur, ferait mieux de
prendre l’enfant comme centre d’int6r~t puisque de toute fagon, ]a
naissance hors mariage est une r6alit6 sociale dont il a le devoir de
tenir compte et A l’6gard de laquelle il ne devrait pas pratiquer la
politique de l’autruche.
B – Les remides possibles
I1 est difficile de proposer ici une r~forme globale de la situation
de l’enfant naturel et cela pour deux raisons principales. D’une part,
il ne fait aucun doute dans notre esprit qu’une r6forme lgislative
se doit d’aller vers une lib6ralisation des droits de l’enfant. Or, il
est pratiquement impossible de mesurer avec pr6cision le degr6 de
resistance qui pourrait 6tre offert par notre soci~t6 A une nouvelle
No. 2] SITUATION JURIDIQUE DE L’ENFANT NATUREL 177
l6gislation en ce sens. D’autre part, et c’est IA sans nul doute la
difficult6 majeure, la r6forme des droits de l’enfant naturel ne peut
s’inscrire exclusivement dans les cadres traditionnels du droit civil.
Les probl~mes soulev6s par la naissance en dehors du mariage d6pas-
sent largement les fronti~res du Code civil de telle sorte qu’une
r6forme, aussi progressive soit-elle, ne peut se concevoir en dehors
des lois sociales. Le Code civil ne peut qu’organiser les rapports entre
l’enfant et ses parents mais est impuissant A r6gler la situation
sociale de l’enfant, laquelle repr6sente la zone oil une attention toute
particuli~re est peut-&tre la plus urgente. L’Etat a, en la mati~re,
un double r6le. Si d’une part il est impossible au 16gislateur, par le
seul moyen de Ia loi, d’abolir compl~tement les pr6jug6s sociaux r6sul-
tant des naissances ill6gitimes, il conviendrait que les services de
l’Etat ambnent et pr6parent une 6ventuelle r6forme du droit civil par
une information et une dducation du public en g6n6ral. D’autre part,
l’Etat doit se pr6occuper de red~finir le r6le actif qu’il assume envers
l’enfant naturel et de veiller A, son int6gration sociale.
1) Dans le cadre du droit civil
Le droit compar6 permet d’envisager plus concr~tement un certain
nombre de r6formes l6gislatives. D’apr6s les diff6rentes sources
consult6es, 6I il semble que dans toutes les legislations, le statut juri-
‘enfant naturel soit intimement li6 A son statut
dique et familial de
social. Les pays qui se montrent le plus favorables A l’enfant naturel
sont ceux oi la socialisation du droit est la plus pouss6e, A l’exception
toutefois des pays musulmans oit seules des raisons religieuses ont
motiv6 la non-distinction entre enfant l6gitime et enfant naturel. 62
Si tant est qu’on puisse regrouper les divers syst6mes de droit 6tran-
ger, il semble que malgr6 la tr~s grande vari6t6 d’am6nagements et
de details 16gislatifs, on puisse distinguer trois groupes juridiques
principaux en tenant compte du degr6 d’6galit6 octroy6 A l’enfant
naturel par rapport A 1enfant l6gitime.
G1 Voir: Jurisclasseur de droit compar6, Paris, Editions techniques, vol. 1 et
2; Arminjon, Nolde et Wolfe, Traitg de droit comparg, Paris, Librairie G~n6rale
de droit et de jurisprudence, 1950; J. Garciente Benceraff, De ia condition
juridique de V’enfant naturel simple en droit compar6, 3e 6d., Paris, Pidone,
1951; Joan Clark, op. cit., p. 67 et suivantes; R. David et J. Hajard, Le droit
sovi6tique, Paris, Librairie G6n6rale de droit et de jurisprudence, 1954, Tome II;
Danish and Norwegian Law, G.E.Q., Gad, Copenhague, 1963; Halsbury’s Laws
of England, 3e 6d., verbo Infants, vol. 21; G. Lushington, The law of affiliation
and bastardy, 7e 6d., Londres, Shaw and Sons, 1951.
62 Jurisclasseur de droit compar6, verbo Egypte, Tunisie.
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[Vol. 12
Le premier groupe pose nettement A la base de ]a l6gislation le
postulat de non-diff6rentiation entre enfant l6gitime et enfant natu-
rel. Ce dernier se trouve quant A ses droits et obligations presque
compl~tement assimil6 6 l’enfant n6 dans le mariage. Tels sont les
syst~mes des pays socialistes (U.R.S.S., Hongrie, Pologne, Tch6cos-
lovaquie, 63 des pays musulmans, de la Turquie, 14 du Danemark et
de la Norv~ge. 15 I1 faut signaler tout particuli~rement la 16gislation
scandinave oil la recherche de paternit6 est obligatoire. Si une recon-
naissance volontaire de la part du p~re n’est pas faite, c’est le tribunal
qui se charge de voir A l’6tablissement de la paternit6. On presuppose
donc que le lien de filiation paternelle est une question qui touche
l’ordre public et que les tribunaux doivent eux-mgmes veiller de
.
leur propre chef A 6tablir la filiation complete de l’enfant. 60
Dans un second groupe, reprdsent6 par les pays de droit germa-
nique ou ceux qui ont 6t6 influenc6s par le droit allemand, l’enfant
a, dans ses rapports avec sa m~re, les mgmes droits et obligations
que s’il 6tait l6gitime, tout en conservant une relation particulire
et diff6rente vis-h-vis de son p~re. Tel est le cas de l’Allemagne, de
la Suisse, de la Suede, de l’Autriche et de la R6publique sud-africaine.
Dans ces syst~mes, l’dgalit6 de l’enfant naturel par rapport A l’enfant
l6gitime est reconnue quant A la filiation maternelle seule. 07 L’enfant
porte le nom de sa m6re, lui succ~de et est g6n6ralement oblig6 A
son 6gard de la m6me mani~re qu’un enfant l6gitime. L’intensit6 de
ses droits vis-A-vis de son p~re varie suivant les lgislations.
Enfin, dans un dernier groupe, on retrouve comme postulat de
base l’in~galit6 entre l’enfant naturel et l’enfant l6gitime. Cette
in6galit6 connalt malgr6 tout certains degr6s. Alors qu’elle est totale
et absolue dans notre droit, elle est grandement mitig6e en France
par l’octroi d’un droit successoral. D’autres pays, tels l’Espagne, le
63 U.R.S.S.: Ddcret au 18 ddcembre 1917, Code de la famille de 1926; Hongrie:
Loi IV de 1952 remplagant la Loi XXIX de 1949; Pologne: Code de la famille
du 27 juin 1950; Tchdcoslovaquie: art. 526 C.C.
64 Jurisclasseur de droit compar6, verbo Turquie.
65 Danish and Norwegian Law, op. cit., p. 55 et suivantes.
06 Danish and Norwegian Law, op. cit., p. 55:
The difference between the status of a legitimate child and that of a child
born out of wedlock is, however, very little. The main purpose of the
distinction is to decide in which case the paternity of a child must be
established by the courts.”
6 7Allemagne: art. 1705 B.G.B.; Suisse: art. 302 C.C.; Suede: voir juris-
classeur de droit compar6 verbo Suede; Autriche: art. 166 Code civil g~n6ral
autrichien; Union sud-africaine: voir jurisclasseur de droit compare, verbo
Union sud-africaine.
No. 2] SITUATION JURIDIQUE DE L’ENFANT NATUREL 179
Portugal et l’Italie, 68 offrent des syst~mes interm6diaires entre les
deux extremes du droit qu~becois et du droit frangais.
Le droit qu6becois fait donc preuve A notre avis d’un retard
considerable puisque sans aller jusqu’A prononcer la parfaite 6galit6
des droits entre l’enfant l6gitime et l’enfant ill6gitime, il n’a m~me
pas tent6 de rem6dier aux injustices flagrantes qu’entraine le syst~me
actuel. La s6v6rit6 de notre droit A l’6gard de la naissance hors
mariage le rapproche du droit anglais. 69 I1 est indispensable, A notre
avis, que notre droit se d6fasse de ce puritanisme juridique A travers
lequel il envisage les droits de l’enfant naturel et reconsid~re tr~s
s6rieusement les postulats de base qui ont servi A l’6laboration des
r~gles du Code civil A ce sujet. Comme le faisait remarquer si
justement un sociologue am6ricain dans une 6tude sur le mgme
probl~me aux Etats-Unis: 70
“…All social problems (abortion,
judgments. Without the value
illegitimacy, etc…) are formally
judgments that these
caused by value
If we
phenomenons are bad, they would not be regarded as problems.
did not have some value judgments about the goodness of legitimate
parenthood, illicit parenthood would not be a problem. In fact, by definition,
it would not exist. The implication of the second point is that we need
increased awareness of whose value judgments define which phenomena
as bad or undesirable.”
Une r~forme du Code civil devrait, A notre avis, s’orienter vers
une recherche de l’dgalit6 entre les enfants nds dans le mariage et
ceux n6s hors mariage, du moins A l’6gard de leurs parents les plus
proches, c’est-h-dire de leur pare et de leur m~re. Une assimilation
totale et non nuanc~e de l’enfant naturel A l’enfant lgitime dans le
cadre de la famille au sens large du terme nous apparait malheureuse-
ment comme irr~alisable dans notre contexte social actuel. Sans
crier une communaut6 familiale naturelle, et sans faire nalitre de
lien entre l’enfant et la famille de ses parents, il nous semble possible
toutefois de reconnaltre au moins l’existence d’une famille naturelle
au sens strict du terme et de traiter l’enfant par rapport A ses
parents naturels comme s’il 6tait l6gitime. Le lien cr6ateur de
droits et d’obligations r~ciproques r~sulterait quant A la m~re du
seul fait de la naissance et quant au p~re de la reconnaissance volon-
taire ou forc~e de son enfant, hormis le cas d’abandon.
6s Espagne: jurisclasseur de droit compar6, verbo Espagne; Portugal: art. 31,
Loi de 1910; Italie: art. 250 et suivants C.C. Voir: J.-M. Goulet, La condition
juridique de F’enfant adultirin en droit italien, Paris, 1964, Librairie g6n~rale
de droit et de jurisprudence.
69 Voir auteurs cit4s note 61.
70 Clark E. Vincent, Illegitimacy in the next decade: trends and implications,
Child Welfare League of America, New York, 1964, p. 519.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 12
Quant aux droits de l’enfant naturel relativement A sa filiation,
nous laisserions subsister le r6gime actuel. La largesse dont notre
Code civil fait preuve dans les actions en recherche de paternit6 et
de maternit6 naturelles nous semble excellente. Nous souhaiterions
cependant voir le l~gislateur permettre la l6gitimation des enfants
adult6rins et incestueux en la mgme mani~re que les enfants naturels
simples, pour les raisons que nous avons d6jA exposdes.
Quant aux droits A caract~re patrimonial de l’enfant naturel, une
r6forme complete s’impose A notre avis. La m~re qui garde l’enfant
et s’occupe de lui devrait se voir accorder par la loi la tutelle de
l’enfant pour permettre un meilleur exercice de ses droits. Nous
souhaiterions qu’un texte formel du Code civil sanctionne l’obliga-
tion de la mere et du pre de nourrir, entretenir et 6duquer l’enfant
non abandonn6 selon leurs moyens. Enfin, nous ne ferions person-
nellement aucune distinction en droit successoral entre l’enfant
l~gitime et l’enfant naturel, ce dernier prenant la part enti~re
d’enfant l6gitime dans la succession de sa m~re d~c~d6e ab-intestat
et dans celle de son p6re en cas de reconnaissance volontaire ou
forc6e par ce dernier. Le mariage subsequent de la m~re, ne l6giti-
mant pas
‘enfant, ne pose A vrai dire qu’un faux probl~me de
conflit avec les droits des enfants l6gitimes subs6quents. En effet,
6tant donn6 l’absence de reserve ou de l6gitime, la mare, tout comme
le pare, pourra, si elle le d6sire, modifier cette r6partition par testa-
ment.
Ces quelques suggestions, qu’il nous est impossible de discuter
plus en detail ici, permettraient de faciliter l’int6gration de l’enfant
A sa famille naturelle, sans pour autant cr6er une communaut6
familiale semblable A la famille l6gitime, vu l’absence de lien entre
l’enfant et ses ascendants par Ie sang au second degr6 et les collat6-
raux de ses parents.
2) Hors du cadre du droit civil
Si le l6gislateur civil peut faire progresser les droits de l’enfant
naturel, il lui est impossible seul de rem6dier compl6tement A Ia
situation sociale et juridique de ]’enfant. I1 ne peut en effet qu’am6-
liorer le sort des enfants naturels qui n’ont pas
t4 totalement aban-
donn6s par leurs parents. Le cas des orphelins, des enfants d6laiss6s
par les parents ou auxquels cetu-ci ont renonc6 doit Atre r~gl6 par
]a l~gislation sociale.
II serait tout d’abord urgent de proc6der A une refonte complete
‘adoption de fagon A favoriser le plus possible l’entr6e
de la Loi de
d’enfants adoptables dans une vritable famille. I1 ne devrait y avoir,
No. 2] SITUATION JURIDIQUE DE L’ENFANT NATUREL 181
A notre avis, aucune distinction entre l’enfant adopt6 et l’enfant
l6gitime. L’adoption devrait faire rentrer l’adopt6 totalement dans
la famille l6gitime et crier le m~me lien h l’6gard de la famille des
parents adoptifs que celui qui existe entre l’enfant lgitime, ses
ascendants et collat6raux. D’autre part, certaines exigences, telle
par exemple l’identit6 de sexe entre l’adopt6 et l’adoptant c~liba-
taire, nous semblent regrettables. 71 Le danger que la loi veut
6carter nous semble peu reel du moment que l’enqufte pr~c~dant
l’adoption est s6rieuse et que certaines limites d’Age sont impos~es.
I1 y aurait peut-&tre 6galement lieu de reconsid6rer la condition
d’identit6 de religion 7 2 et d’en faire non pas une condition sine qua
non mais seulement un 6l6ment important de l’adoptabilit6.
L’Etat, d’autre part, devrait s’efforcer de promouvoir l’6galit6 de
<< chance 6conomique >> entre l’enfant naturel. abandonn6 et l’enfant
lgitime. Les mares n6cessiteuses touchent des allocations pour tout
enfant l~gitime Ag6 de moins de 16 ans. 73 Pourquoi cette limite aux
seuls enfants l6gitimes ? Ne pourrait-on sugg6rer en plus qu’un
montant identique au moins soit d6pos6 au nom de l’enfant abandonn6
pour qu’il en prenne possession A l’Age de 21 ans par exemple ?
L’Etat a, sans nul doute, une vocation A aider l’enfant abandonn6,
de mani~re A essayer de lui donner devant la vie une chance au
moins 6gale (6ducation, moyens financiers, travail) A celle de l’enfant
l6gitime. I1 est d’ailleurs encourageant de constater qu’un nombre
croissant de lois A caractbre social prend ce fait en consid6ration. Les
diverses definitions statutaires du mot << enfant >> 74 montrent bien
que le l~gislateur se pr~occupe de plus en plus de l’enfant en tant que
tel sans restreindre la port~e de ses lois aux seuls enfants l6gitimes.
Le meilleur exemple et le plus r~cent en date n’est-il pas celui donn6
par la Loi sur le Rggime des rentes du Qu6becU qui d~finit ainsi
l’enfant:
71 – Loi de l’adoption 2, S.R.Q. 1964, ch. 218, art. 2 et 3.
72 z Loi de i’adoption 2, Ibid., art. 4.
73 t Loi do l’assistance aux mares ngcessiteuses >>, S.R.Q. 1964, ch. 223, art. 2 c).
74 Voir:
i Loi sur la marine marchande:>, S.R.C. 1952, ch. 29, art. 725; < Loi
sur les allocations familiales >, S.R.C. 1952, ch. 109, art. 2 b) et 2 f).
D’autres lois pr~sentent une d~finition plus stricte: enfant l6gitime ou
adoptif. Elles classent parfois cependant les enfants naturels dans la cat~gorie
des c personnes h charge.:s>
x Loi do 1952 sur les allocations aux anciens combattantts 2, S.R.C. 1952, ch. 340
art. 2 c); z Loi sur i’assurance du service civil >, S.R.C. 1952, ch. 49, art. 3;
,z Loi sur les pensions des services de difense >>, S.R.C. 1952, ch. 63, art. 45 1)
a); ‘z Loi sur la pension du service civil s, S.R.C. 1952, ch. 50, art. 2 1) a) et
2 1) e).
75 z Loi sur le rgime de rentes du Quebec >> (1965) 15 El. II, ch. 24, art. 100.
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Est rdput6 l’enfant d’un cotisant, aux fins de la pr~sente loi, son
enfant 16gitime, naturel ou adoptif ou celui dont il a la, garde, do droit
ou do fait ou dont il l’avait lorsque celui-ci a atteint sa majorit6 ou qu’il
avait alors adopt6 de fait. z
En conclusion, force nous est de constater le retard accumuld
par notre droit civil et l’urgent besoin de rdforme de la situation
juridique de l’enfant naturel. Nous ne pensons pas A vrai dire que
les pr6jug6s sociaux actuels soient le seul et unique facteur qui ait
emp~ch6 la progression de notre droit. La legislation sociale s’est
consid6rablement lib6ralisde dans sa conception de la famille 70 et
elle n’a pourtant jamais rencontr6 une opposition marquee A ses
nouvelles conceptions.
L’absence regrettable de politique ldgislative rdaliste vis-a-vis de
notre Code civil, le monolithisme de ce dernier et cette fausse con-
ception que notre Code civil est valable parce que stable et immuable,
est A notre avis le facteur d6terminant qui, dans le cas de l’enfant
naturel comme dans beaucoup d’autres cas, a emp~ch6 l’6volution
de notre droit priv6 et a contribu6 A creuser un foss6 entre ]a
r~alit6 juridique normative et le contexte sociologique.
76 On trouve par exemple dans la 4: Loi sur le rigime de rentes D prdcite,
la d6finition suivante du < conjoint 2 , l'art. 105: z La R~gie peut ddcider qu'une personne doit 6tre rdputde pour les fins do la prdsente loi, le conjoint survivant d'un cotisant et l'avoir 6pousd h la date oiu elle a commenc6 A 6tre repr~sent~e comme son conjoint, sur preuve, A sa satisfaction que, pendant un certain nombre d'ann~es pr~c~dant imm4- diatement le d~c~s de ce cotisant: a) elle a r6sid6 avec lui, b) il a subvenu A ses besoins c) d) lors du d&c~s du cotisant, ni elle, ni lui n'dtait mariM t une autre personne ou que le nombre d'anndes de cette vie commune 6tait d'au moins sept. 2 'a publiquement reprdsent~e comme conjoint et,