Existe-t-il un titre indien originaire dans les
territoires cids par la France en 1763 ?
Andre 1mond”
Les anciens alliis autochtones de la France du
temps de la colonisation d~tiennent-ils aujourd’hui
un titre indien originaire sur leurs territoires de
chasse et de p che ? L’auteur aborde cette question
en supposant, comme ‘ont fait les Britanniques, que
la France rgnait en souveraine sur les territoires
qu’elle c&3a lors du Traitg de Paris. Les droits des
autochtones, s’ils existent, doivent donc 8tre des
droits da j reconnus par l’ancien rgime frangais, ou
encore de nouveaux droits confdrts par l’actuel sou-
verain britannique ou canadien. L’auteur adopte une
damarche positiviste. Dans le premier cas, il tente
d’exposer le droit coutumier frangais par une analyse
des difftrentes sources possibles des droits aborigi-
nes. L’auteur soutient que, ind4pendamment du
comportement des autorits franaises A leur 6gard,
les autochtones pourraient prtendre avoir prescrit
certains droits en raison de leur longue occupation
‘auteur synthtise
du territoire. Dans le second cas,
l’ensemble des actions britanniques depuis les der-
niers mois du conflit militaire jusqu’i l’adoption
d’une constitution civile. I1 6tablit un lien entre ]a
strattgie adopt e par les militaires anglais et la
constitution de 1763 pour conclure h la volont6 de la
couronne d’6tendre Ta common law du titre indien
aux territoires ceds par Ta France.
Do the native allies of the French during the
colonial period have aboriginal rights on their hunt-
ing and fishing grounds? The author tackles this
question by assuming, as did the British, that France
ruled as a sovereign over the territories it ceded in
the Treaty of Paris. These native rights, if they in
fact exist, must be rights recognized by the former
sovereign, France, or new rights granted by the ac-
tual sovereign, Great Britain or Canada. The author
adopts a positivist view. In the first case, he attempts
to expound French “droit coutumier” by studying
possible sources of aboriginal rights. The author be-
lieves that, regardless of the conduct of French offi-
cials toward them, natives could claim to have ac-
quired certain rights by reason of their prolonged oc-
cupation of the land. In the second case, the author
summarizes British conduct from the end of the
Seven Years war to the adoption of a civil constitu-
tion. He establishes a link between the strategy
adopted by the British military and the constitution
of 1763, and concludes that the Crown has extended
common law aboriginal title to territories ceded by
France.
. Avocat et candidat au doctorat . l’Universit6 Laval. Uauteur remercie le professeur Ghislain Otis
de l’Universit6 Laval qui a fait une prlecture du texte.
Revue de droit de McGill
McGill Law Journal 1995
Mode de rdfdrence: (1995) 41 R.D. McGill 59
To be cited as: (1995) 41 McGill L.J. 59
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 41
Introduction
Sommaire
L Reconnaissance d’un titre indien originaire par la continuit6 du droit colonial
franqais
A. Absence d’une coutumeparticulibre garantissant l’occupation autochtone
B. Non-usage du droit des gens comme une source autonome en droitfranfais
C. Acquisition de certains droits d’occupation par l’application des coutumes
notoires de droitprivi
H. Reconnaissance d’un titre indien originaire par l’introduction de la common
law
A. Reconnaissance des droits des autochtones sous le rgime militaire
B. Confirmation des droits des autochtones sous le r~gime civil
1.
2.
La Proclamation de 1763
La commission de Murray et les instructions qui
‘accompagnent
C. Premiere interprtation des droits des autochtones aprs l’adoption de la
constitution qugbicoise de 1763
1.
‘autochtone immigrant et celui vivant sur le terri-
Distinction entre
toire ancestral
Exemples d’application de la politique britannique envers les autoch-
tones
2.
Conclusion
1995]
A. EMOND – TITRE INDIEN ORIGINAIRE
Introduction
Par le trait6 de paix sign6 A Paris le 10 f6vrier 1763′, le roi de France, apres avoir
renonc6 A ses pr6tentions sur l’Acadie, ddclarait cder au roi de Grande-Bretagne la
son ancien ennemi
souverainet6 sur le Canada et le Cap Breton, tout en garantissant
la pleine propri6t6 de ces pays. Ind6pendamment de ce que l’on pouvait penser de la
valeur des droits des Fran9ais, et done des effets de la cession, George III s’est compor-
t6 comme si le Traitj de Paris traduisait fid~lement la r6alit6 juridique. Son premier
acte d’importance, apr s la conclusion des pourparlers de paix, fut en effet d’adopter
une proclamation organisant politiquement les nouveaux territoires : la Proclamation
royale du 7 octobre 1763’. C’est dans ce contexte particulier que nous posons la ques-
tion de l’existence d’un titre indien originaire dans les anciennes possessions frangai-
ses, un titre dont l’existence ne ddpend
Jusqu’A l’adoption de la Proclamation.de 1763, le roi de Grande-Bretagne avait les
pleins pouvoirs dans les territoires cdds. I1 pouvait reconnaitre on abroger les droits de
ses nouveaux sujets, dont les autochtones, inddpendamment des articles de capitulation
ou du lrait6 de paix. En effet, les accords intemationaux ne s’appliquent jamais ex pro-
prio vigore en droit interne anglais’. Pour savoir quels 6taient les droits des autochtones
au lendemain de la conqu~te et s’ils ddtenaient on non un itre indien originaire, il faut
done s’en remettre au comportement de la couronne britannique et de ses reprdsentants.
En Amdrique, George III a clairement exprim6 son intention de respecter tous les
titres concdts sous l’autorit des rois de France’. Ceci 6tant, des titres d6coulant du
‘ Reproduit dans A. Shortt et A.G. Doughty, Documents relatifs t l’histoire constitutionnelle du
Canada, 1759-1791, vol. 1, 2 &l., Ottawa, T. Mulvey, 1921 A lap. 83 et s. [ci-apr~s Traitj de Paris].
‘Ibid., art. 4.
L.R.C. 1985, app. II, no. 1 aux pp. 1-7 [ci-apr s Proclamation de 1763]. La Proclamation, de por-
t~e legislative, ne peut 8tre contest~e pour le motif que son auteur a agi en s’appuyant sur des faits er-
ron~s (voir: Hoani Te Heuheu Tukino c. Aotea District Maori Land Board, [1941] 2 All E.R. 93 A la
p. 97, [1941] A.C. 308 (C.P.), M. lejuge Simon [ci-apres Hoani avec renvois aux All E.R.] ; Labra-
dor Co. c. R., [1893] A.C. 104 t lap. 123, 16 L.N. 67 (C.P.), M. lejuge Hannen).
4 Calder c. Colombie-Britannique (PG.), [1973] R.C.S. 313 aux pp. 328, 385, 390, [1973] 4
W.W.R. 1, MM. les juges Judson et Hall [ci-apr s Calder avec renvois aux R.C.S.]. Voir aussi Guerin
c. R., [1984] 2 R.C.S. 335 aux pp. 377-78, [1984] 6 W.W.R. 481, M. lejuge Dickson. Le titre origi-
naire ou ancestral, qui est la reconnaissance de l’occupation ancienne d’un territoire par une commu-
naut6 autochtone, se distingue du titre conc6d, dont ‘existence d6pend d’un acte expr~s des autori-
t~s.
‘ Voir: Oyekan c. Adele, [1957] 2 All E.R. 785 A lap. 788, [1957] 1 W.L.R. 876 (C.P.), M. le juge
Denning [ci-apr~s Oyekan avec renvois aux All E.R.] ; Vajesingii Joravarsingii c. Secretary of State
for India (1924), L.R. 51 I.A. 357 A lap. 360, M. lejuge Dunedin, cit6 dans Hoani, supra note 3 aux
pp. 324-25 ; Hoani, ibiL A la p. 98, M. le juge Simon. Voir aussi l’ouvrage de K. Roberts-Wray,
Commonwealth and Colonial Law, New York, Frederick A. Praeger, 1966 aux pp. 214-16. Contra
Campbell c. Hall (1774), 98 E.R. 1045 A lap. 1047, 1 Cowp. 204, M. lejuge Mansfield, cit6 par M. le
juge Hall dans Calder, ibid aux pp. 387-89.
‘ l.article 42 des cInstructions au gouverneur James Murray>, du 7 d6cembre 1763, exigeait le res-
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 41
droit commun pouvaient aussi exister sans qu’on en trouve la trace dans les registres
des terres de la Nouvelle-France. Nul ne sait si le roi de Grande-Bretagne a seulement
envisag6 cette 6ventualit6. Pour les tribunaux de common law, cependant, son silence,
peut-6tre simplement un oubli, ne doit pas atre interprt6 comme une abrogation des
droits en cause. Au contraire, on prsume que tous les droits de propri~t6 existants ont
survrcu h 1’av nement de la souverainet6 britannique 7. I1 faut alors se demander com-
ment et dans quelle mesure l’ancien droit frangais aurait pu tenir compte de
l’occupation autochtone. Nous constaterons que, malgr6 l’absence d’une reconnais-
sance l~gale de leur occupation originale par les autorit~s frangaises, les autochtones
peuvent peut-6tre invoquer A leur profit les rfgles de la prescription jadis en vigueur
dans la colonie, soit pour acqurrir une propri&t6 complte, ou encore pour prescrire
certains usages d~finis par les coutumes locales.
Par ailleurs, le rgime franqais eut-il ni6 tout droit aux autochtones, rien
n’empechait le roi George III de reconnaitre de nouveaux droits A certains d’entre eux,
ou meme A tous. Dans ses autres colonies am~ricaines, la couronne avait l’habitude de
reconnaitre un titre indien originaire sur les terres libres des autochtones, autrement dit
sur ces terres oia aucune autre puissance europ6enne n’avait encore d’emprise et que la
Grande-Bretagne a 6t6 la premiere a coloniser. La common law de droit public a in-
corpor6 cette politique de la couronne?. I1 n’6tait pas dit, toutefois, que le droit public
anglais s’appliquerait de la m~me mani~re sur les terres acquises d’une autre puissance
europ~enne, en l’occurrence celles c~d~es par la France”0 . On ne peut se faire une opi-
nion sans auparavant proc6der h un examen de la conduite de Sa Majest6 britannique et
de ses reprdsentants.
pect des droits des habitants de la Province de Quebec. Dans une 6tude portant sur l’<
aussi drtenir des droits au-del du territoire de la colonie, ce qui a justifid, en 1774, l’extension de ses
fronti~res (voir Shortt et Doughty, supra note I aux pp. 180, 526-28).
‘Voir: Oyekan, supra note 5 ; Amodu Tijani c. Southern Provinces, Nigeria (Secretary), (1921] 2
A.C. 399, 90 L.J. 236 (C.P.) ; Re Southern Rhodesia (1918), [1919] A.C. 211 (C.P.) ; Calder, supra
note 4.
‘ Voir C6tj c. R., [1993] RJ.Q. 1350 A la p. 1363, M. lejuge Baudouin [ci-apr~s Crtej, autorisation
de pourvoi t la Cour supreme du Canada accord~e, le 3 mars 1994, 23707. L’exception notable est
peut-Ptre l’lle de Terre-Neuve oi l’on a extermin6 tous les Beotuks (voir R.-U., H.C., <(Report From
the Select Committee on Aborigines (British Settlements) with Minutes of Evidence, Appendix and
Index dans British Parliamentary Papers, Antropology Aborigines (1837) vol. 2 t la p. 6).
Voir: St. Catharine's Milling & Lumber Co. c. R. (1887), 13 S.C.R. 577 aux pp. 615-16, M. le
juge Strong [ci-aprbs St. Catharine's Milling] ; R. c. White (1964), 50 D.L.R. (2') 613 A ]a p. 647, 52
W.W.R. 193, M. le juge Norris, conf. par (1965), 52 D.L.R. (2') 481 (C.S.C.) ; Calder, supra note 4
aux pp. 328, 385, 390, MM. les juges Judson et Hall.
'o Ce que certains auteurs semblent supposer a priori (voir : P.A. Cumming et N.H. Mickenberg,
Native Rights in Canada, 2 6d., Toronto, General Publishing, 1972 A la p. 88 ; B. Slattery,
<
postulats de la Commission Dorion et le titre aborigine au Quebec : vingt ans apr~s> (1991) 51 R. du
B. 127 A lap. 166).
19951
A. tMOND – TITRE INDIEN ORIGINA IRE
Nous verrons que les conqurants britanniques, malgr6 une lecture du droit fran-
ais d~favorable aux autochtones, ont n~anmoins reconnu des titres indiens sur les an-
ciennes terres de la couronne de France, a condition qu’elles n’aient pas 6t6 conctd~es
en fiefs ou en seigneuries. Ils ont alors fond6 leur action sur la politique traditionnelle
britannique t l’gard des premieres nations, sans tenir compte du droit ant6ieur, puis-
que seul le caract~re effectif de l’occupation autochtone leur importait.
I. Reconnaissance d’un titre indien originaire par la continuit6 du droit colonial
fran ais
La doctrine” et la jurisprudence’2 entretiennent depuis fort longtemps un dtbat sur
l’existence 16gale d’un titre indien originaire en Nouvelle-France, de meme qu’en
Acadie”. La question est importante puisque la source du titre indien dans les ancien-
“Voir: Dionne, ibid. ; J. Woodward, Native Law, Toronto, Carswell, 1989 ; Ministate de ‘tnergie
et des Ressources, !tude sur la prsence des Mohawks au Quebec nmridional de 1534 a1 nosjours par
M. Ratelle, Qubec, fdvrier 1991 [ci-aprs !tude sur la prisence des Mohawks] ; R. Boivin, <
B.G. Trigger, Les Indiens, lafourrure et les Blancs, Montrtal/Paris, Bor6al/Seuil, 1990 ; L.C. Green,
<
tions and the New World, Edmonton, University of Alberta Press, 1989, 1 ; O.P Dickason, <
Jaenen, <
Reinhartz, dir., Essays on the History of North American Discovery and Exploration, Arlington,
Texas A & M University Press, 1988, 79 ; R.J. Surtees,
North American Indians, vol. 4, Washington, Smithsonian Institution, 1988, 202 ; Cumming et Mick-
enberg, ibid, ; W.J. Eccles,
Slatterty, The Land Rights of Indigenous Canadian Peoples, th~se de doctorat, Universit6 Oxford,
1979 [non publide] ; H. Bran, <
Le territoire du Quebec : Six itudes juridiques, Qubec, Presses de l’Universit6 Laval, 1974, 35 ;
G.F.G. Stanley, <
178 ; C.C. Royce et C. Thomas, <(Indian Land Cessions in the United States>> dans J.W. Powell, dir.,
Eighteenth Annual Report of the Bureau of American Ethnology to the Secretary of the Smithsonian
Institution, 1896-’97, vol. 2, Washington, Government Printing Office, 1899, 527.
” Dans R. c. Isaac (1975), 13 N.S.R. (2) 460, M. lejuge en chef MacKeigan de la Cour d’appel de
la Nouvelle-Fcosse opina que les Frangais n’avaient pas cherch6 A 6teindre les droits des autochtones,
laissant sous-entendre qu’ils les avaient d’abord reconnus. Un de ses successeurs, M. le juge en chef
Clarke, s’est exprim6 au m~me effet dans R. c. Denny (1990), 94 N.S.R. (2′) 253, 55 C.C.C. (3′) 322,
en citant l’ouvrage du professeur P.W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 2′ &l., Toronto,
Carswell, 1985
lap. 563. Plus rtcemment, M. lejuge Baudouin de Ia Cour d’appel du Quebec, dans
Ct9, supra note 8, a soulign6 le srieux de la thse selon laquelle l’av~nement de ]a souverainet6
frangaise a emport6 le transfert en pleine proprit6 des droits fonciers et territoriaux, et du coup pro-
voqu6 l’extinction des droits aborigines. C’est un avis que partageaient MM. les juges Taschereau et
Gwynne, de Ia Cour suprme du Canada, dans l’affaire St. Catharine’s Milling, supra note 9 aux pp.
644,651.
” Nous ne traitons pas la question de 1’existence d’un titre indien originaire en Acadie. Cette rdgion,
c&lde par la France lors du tiaitd d’Utrecht de 1713, a souffert d’une gurilla de tous les instants entre
autochtones et Britanniques qui n’a pris fin qu’en 1760, apr~s la chute de ]a Nouvelle-France. Le
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 41
nes possessions franqaises pourrait 6tre ce titre indien originaire, reconnu par les Fran-
qais, dont la common law pr6sume qu’il aurait surv6cu h l’av~nement de la souveraine-
t6 britannique. La nature et la port~e du titre seraient alors tributaires de l’ancien droit
frangais”. Le d6bat est cependant mal engag6. On semble vouloir tenir une liste comp-
table d’6v6nements, d’anecdotes meme,.pour ou contre chacune des theses en pr6-
sence, en oubliant les exigences de la procedure judiciaire. I1 revient t celui qui pr6tend
posseder un bien d’6tablir son titre. Faute d’acte de concession ou ordonnance l6gisla-
tive constatant leur titre, les autochtones doivent pouvoir all~guer une r~gle du droit
commun et les faits permettant de l’appliquer.
A. Absence d’une coutumeparticulire garantissant l’occupation autochtone
En Nouvelle-France, pays de la Coutume de Paris”, il fallait 6tablir la pr6sence
d’une coutume garantissant l’occupation autochtone. Toute coutume devait pr6senter
certaines caract6ristiques. Elle devait etre publique, observ~e par la plus grande partie
des habitants, et suivie de fagon constante pendant une tr~s longue p6riode (de quarante
A cent ans)”. Elle pouvait 8tre notoire ou priv~e. Reconnue par tous, la coutume notoire
6tait applique d’office par le juge ; la coutume priv6e, dont la constance 6tait moins
6vidente, n~cessitait l’administration d’une preuve’7. Une coutume 6tait plus qu’une
simple pratique ou un usage. k ce facteur materiel s’ajoutait un 16ment psychologi-
que: ceux qui y 6taient soumis devaient 6tre convaincus d’ob~ir A une r~gle obliga-
toire. La conviction que l’application d’une r~gle 6tait juste ou opportune pouvait etre
un facteur de mise en oeuvre d’une r6glementation pressentie, mais ne suffisait pas A
crier la coutume. Seule la croyance juridique des membres du corps social 6tait d6-
terminante”. Cependant, le poids de leur opinion variait. On observait en particulier
l’opinion des tribunaux, des autorits administratives et autres organes chargds
d’appliquer le droit, car on reconnait une r~gle du droit positif quand sa force obliga-
toire est assur6e par un appareil de contrainte”. Toutefois, il n’y avait aucune coutume
notoire traitant express6ment des droits fonciers des autochtones, ce qui explique
l’actuel d6bat. I1 reste done la possibilit6 de prouver 1’existence d’une coutume priv6e’.
contexte ne permettait donc ni la colonisation anglaise ni l’6tablissement de relations stables entre ces
deux communauts (voir: S.E. Patterson, <
commerce A Egremont, 8juin 1763, reproduit dans Shortt et Doughty, supra note I aux pp. 106-107).
14 Voir K. McNeil, Common Law Aboriginal Title, Oxford, Clarendon Press, 1989 aux pp. 269-70.
15 On trouve un texte comment6 de la Coutume de Paris dans Cugnet, infra note 70.
16 Voir R. Filhol,
Jean Bodin pour l’histoire comparative des institutions, vol. 17, Bruxelles, Librairie Encyclop6dique,
1965, 357 aux pp. 358-59.
” lbid. a ]ap. 359.
‘g Voir W. Henrich,
ibid ; (Mmoire de M. de Vaudreuil au duc d’Orl6ans, Ragent du royaume>>, frvrier 1716 reproduit
dans Qubec, Secrrtariat de la province, Rapport de l’archiviste de la Province de Quibec, R. Paradis
Imprimeur du Roi, 1947-48 aux pp. 291,295.
3″ On fait rrf~rence A ces instructions dans un rdsum6 des drp0ches adress~es h Messieurs de Lon-
gueil et Brgon, r&lig6 le 7 mai 1726, dans J.R. Brodhead, Documents Relative to the Colonial History
of the State of New York, vol. 9, Albany (New-York), Weed Parsons, 1855 A lap. 956.
“‘ Le gouvemeur, mis au fait que les Anglais construisaient des magasins, demanda aux Micmacs ce
qu’ils en pensaient. Les Micmacs lui ont rpondu qu’ils 6taient persuades qu’il s’agissait de forts pour
les emp&her de chasser et de chercher du secours. I1 les confirma dans cette ide et leur sugg6ra de
s’y opposer (voir
lap. 40. Jaenen croit que l’on a aussi tenu ce discours devant les Ab~nakis de ]a Gasp6sie (ibid.). I1 se
trompe, car la prntention des Frangais dtait plutrt que ce territoire ne faisait pas partie de la cession
pr6vue au trait6 d’Utrecht (voir
pp. 49-51).
” Voir G.F.G. Stanley, New France: The Last Phase, 1744-1760, Toronto, McClelland and Stewart,
1968 t lap. 81.
1995]
A. EMOND – TITRE INDIEN ORIGINAIRE
ficiers frangais ont alors fait valoir aux Anglais que les Iroquois n’ob~issaient qu’A eux-
seuls. Accepter la souverainet6 de l’Indien 6tait bien str une fagon de nier celle de
l’Anglais, tout en semant la discorde entre les deux alli6s. Cette consid6ration tactique
mise A part, le fait peut 6tre invoqu6 h l’appui de la souverainet6 iroquoise, mais il ne
nous apprend rien sur l’6tat du droit interne de la colonie, IA ott la France, tout en se di-
sant souveraine, pouvait exercer quelque contr6le sur les populations indig~nes6.
Selon une directive du Ministate de la guerre”, il semble que 1’administration fran-
gaise ait 6t6 dispos~e, au d6but de la guerre de Sept Ans, A reconnaitre le droit
<
une injustice, disait-on 38 . I1 faut alors se demander s’il s’agissait d’une attitude ferme-
ment arr&de, ou plus simplement d’une pause, le temps que la guerre passe. Cela
n’aurait pas 6t6 une premiere ; Louis XIV, lors d’une guerre pr6c6dente l’opposant A
son rival anglais, avait d6j& demand6 & ses gens d’avoir des 6gards pour les autochto-
nes en raison de la conjoncture militair&’. Sans qu’il soit n~cessaire de mettre en doute
la bonne foi du Minist~re, nous ne pensons pas que sa directive, seule, suffise pour
6tablir en droit un titre indien. On peut lui opposer toute l’histoire 16gislative de la
Nouvelle-France ot l’on a ignor6 ce suppos6 droit ‘ , sans oublier que toutes les terres
mises de c6t6 pour l’usage des autochtones leur ont 6t6 conc&des comme une faveur
du roi plut6t que comme un droit autochtone’.
L’ensemble des faits, an mieux contradictoires quand ils sont interpr&t s hors de
leur contexte, ne suffirait donc pas t prouver l’existence d’une coutume, reconnue par
le droit commun de la Nouvelle-France et qui prot6gerait les territoires de chasse et de
peche des autochtones. On ne peut d~montrer ni une pratique constante et publique
suivie pendant une longue p6riode ni la croyance des autorit6s en une r~gle obligatoire
durant toute cette p6riode.
36 Une distinction que des auteurs, traitant des droits autochtones sous le r6gime frangais, omettent
de faire (voir : Cumming et Mickenberg, supra note 10 A la p. 82 ; The French Relationship, supra
note 24 t la p. 91 ; Dionne, supra note 10 A lap. 167).
lap. 38.
3 La directive de 1755 a 6t6 traduite par Jaenen dans The French Relationship, ibid.
38Ibid
39Voir <(M6moire du Roy au gouvemeur de Frontenac et
l'intendant Bochart Champigny>>, 14juin
1695 reproduit dans Qu6bec, Secrdtariat de la province, Rapport de l’archiviste de la province de
Qudbec, R. Paradis Imprimeur du Roi, 1928-29 h lap. 254.
40 Voir: E. Lareau, Histoire du droit canadien depuis les origines de la colonie jusqu’a nos jours,
vol. 1, Domination franaise, Montrdal, Pdriard, 1888 ; J. Bouffard, TraitJ du domaine, reproduction
de 1’&lition originale de 1921, Quebec, Presses de l’Universit6 Laval, 1977 ; Brun, supra note 11 aux
pp. 62-63.
4 1 M. lejuge Gwynne, de la Cour supreme du Canada, a 6crit: It may be admitted that the Kings of
France recognized no title in the Indians in any part of the territory in the possession of the Kings of
France, whose mode of dealing with the Indians was to make, ex gratia, crown grants of land for their
conversion, instruction, and subsistence […]>> (St. Catharine’s Milling, supra note 9 A la p. 651). Voir
aussi : O.P. Dickason, <
(1977) 8:3, 8:4 Plural Societies 97
lap. 103 ; Stanley, supra note 11 A lap. 209 ; Brun, ibid
MCGiLL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 41
B. Non-usage du droit des gens comme une source autonome en droitfranpais
Les autochtones pourraient peut-&re 6galement invoquer les r~gles du droit des
gens, le droit international du seizi~me au dix-huiti~me sicle ‘2, A condition qu’il ait 6t6
incorpor6 dans l’ordre juridique interne de la France. Des juristes de cette 6poque ont
effectivernent soutenu que les puissances europdennes ne pouvaient s’approprier les
terres des indig~nes sous le pr6texte de les avoir d6couvertes. Nous ne dresserons pas
un inventaire de la doctrine sur l’6tat de ce droit ; d’autres l’ont d6jA fait avec comp6-
tence’. Nous pr6f6rons nous interroger sur 1’attitude du juge frangais face au droit in-
ternational, en particulier lorsque
la r~gle invoqu6e, dernandant le respect de
l’occupation autochtone, contredisait la pratique de son gouvernement.
A l’6poque de la France des rois, les Europ6ens assimilaient le droit des gens au
droit naturel. C’6tait du moins la th~orie dominante”. Le droit naturel est un droit idal,
immuable, identifiM h l’id~e de justice, que l’on distingue du droit r~el, le droit positif
de tous les jours, cr 6 par les hommes et par cons6quent variable’. Inspir6 de Dieu, le
droit naturel tr6nait au sommet de la hi&archie des normes dans une conception mo-
niste du droit’. M~me les rois devaient th6oriquement y ob6ir, eux qui invoquaient
Dieu comme la source de leur autorite7 . L’ceuvre l6gislative du souverain et de ses
cours se rsurnait donc A d6couvrir ce droit sup6rieur et A le faire reconnaitre dans
l’ordre juridique positif interne”. Un 6dit de Louis XIV illustre notre propos :
4
42 Un faitjuridique doit etre appr~ci6 t la lumi~re du droit qui lui est contemporain […] (Extrait de
‘arbitrage de Palmas, cit6 par l’agent du gouvemement frangais devant ]a Cour Intemationale de Jus-
tice, seance publique du 7 octobre 1953, reproduit dans l’ouvrage de A.-C. Kiss, Ripertoire de la
pratiquefran~aise en natibre de droit international public, t. 1, Paris, Centre national de la recherche
scientifique, 1962 A lap. 10).
1 Voir Green, Dickason, Slattery, et Brmn, supra note 11. Voir aussi infra note 54.
“4Voir H. Kelsen, Annales de la philosophie politique, t. 3, Paris, Presses universitaires de France,
1959 Iap. 70.
4Ibid. A lap. 67.
46 <<[A]insi que les contrats et testaments des particuliers ne peuvent droger aux ordonnances des
magistrats, ni les edicts des magistrats aux coustumes, ni les cousturnes aux loix gdn6rales d'un
Prince souverain : aussi les loix des Princes souverains ne peuvent alterer, ni changer les loix de Dieu
et de la nature>> (J. Bodin, Les six livres de la ripublique, vol. 1, Lyon, Gabriel Cartier, 1593, r6im-
pression par Fayard, Paris, 1986 t lap. 193).
” Ibid. A la p. 217. Voir aussi P. Sueur, Histoi’e du droit public franfais, XY-XVII” siacle, vol. 1,
Paris, Presses universitaires de France, 1989 A lap. 152.
” Voir J. Declareuil, Histoire gdnirale du droitfranpais des origines ai 1789, Paris, Sirey, 1925 aux
pp. 799-800. La meme th6orie a pr6valu en Grande-Bretagne (voir A. Truyol y Serra,
Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1992, 9 aux pp. 293-94).
“‘dit de 1667 de Louis XIV, cit6 par Declareuil, ibid. A la note 24 de lap. 800.
19951
A. EMOND – TITRE INDIEN ORIGINAIRE
On aurait alors pu croire que la pratique des Etats pouvait 8tre censur~e en
s’appuyant sur le droit naturel. Kelsen a plut6t d6montr6 la proposition contraire : le
droit naturel a 6t6 essentiellement une th6orie conservatrice visant ? justifier l’ordre ju-
ridique 6tabli . T. Hobbes, par exemple, a postul6 la conformit6 du droit positif au droit
naturel”. Grotius en a fait autant en d~finissant le droit des gens A partir des coutumes’.
Le jurisconsulte n~erlandais C. Van Bynkershoek, tout en critiquant l’approche de ses
pr~dcesseurs, s’est n6anmoins r6f6r6 aux usages des nations lorsque la raison ne per-
mettait pas de trancher une question litigieuse. Or, justement, h lire les opinions con-
tradictoires des auteurs contemporains de la colonisation, il semble que la raison n’6tait
pas le meilleur moyen pour d6cider de l’existence d’un titre, reconnu par le droit des
gens, qui gr~verait les territoires de chasse et de peche des autochtones ‘ .
En plus d’annoncer, par ses m6thodes, le triomphe A venir du positivisme juridique,
la doctrine du droit naturel a aussi min6 le fondement du droit des gens. En effet, les au-
teurs qui posaient un principe, en apparence g6n~reux, ne manquaient pas de le compl-
ter par des exceptions de fagon d6fendre la politique de leur pays, contredisant ainsi
l’id~e meme de 1’existence d’un droit universel”. On sent dans leurs 6crits tout le poids
de la raison d’ttat. Les ttats ont d’ailleurs particip6
cette imposture. Ils 6taient tous
pr~ts ? admettre le principe de la supr6matie des droits naturel et des gens dans la me-
sure oti chacun se rservait le monopole de son interpr6tation”6. Ce n’6tait donc pas tant
la th6orie juridique mais plut6t la pratique du droit, la mani~re dont il a 6t6 interprt6 et
applique, qui oblige i 6carter le droit international comme une source autonome de
droits pour les autochtones. Par consequent, ces demiers ne peuvent l’invoquer de ma-
ni~re utile pour se faire reconnaitre des droits qu’autrement on leur aurait ni~s.
Notre conclusion s’impose d’autant plus lorsqu’on consid~re la situation particu-
lire de la France des seizi~me et dix-septi~me sicles. Non seulement y a-t-on 6rig6 le
dogme de l’absolutisme royal, mais les rois de France, qui se croyaient les h6ritiers de
1’empire de Charlemagne et done sup&ieurs aux autres monarques, n’ontjamais accep-
50Voir Kelsen, supra note 44 aux pp. 110-19.
Voir T. Hobbes, De Cive, Paris, Sirey, 1981, au c. 14, n 10.
12 Voir C. van Bynkershoek interpr~te ainsi l’oeuvre de Grotius dans son ouvrage Quaestionumjuris
publici libri duo, trad. par T. Frank, New York, Oceana Publications, 1930 A lap. 20.
5 Voir C. van Bynkershoek, <
Oceana Publications, 1964 11 lap. 18.
, Qu’il suffise de citer deux auteurs frangais de la fin du dix-huiti~me si~cle : Jean-Jacques Rous-
seau et Joseph-Robert Pothier. D’un c6t6, Rousseau, probablement inspir6 par les idWes de Gentili,
Pufendorf et Vattel, prdtendait que le travail et la culture dtaient les seuls signes d’une propri&t6 digne
d’8tre respecte d’autrui. De l’autre, Pothier, reprenant la thse de Vittoria mais sans la citer,
n’admettait pas que l’on s’approprie une terre d6jk habitde sous le pr6texte de l’avoir d6couverte, quel
que soit le caract~re sauvage des habitants (voir : JJ. Rousseau, Du contrat social, livre 1″, Paris,
Seuil, 1977, c. 9 h lap. 189 ; J.-R. Pothier, Oeuvres de Pothier, vol. 9, 2! 6d., Paris, Cosse et Marshal,
1861, au n 83).
” Ce fit, entre autres, le cas de Vittoria (voir: Green, supra note 11 aux pp. 39-47 ; Dickason, supra
note 11 aux pp. 192-93).
‘6 Voir Dickason, ibid
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 41
t6 en pratique d’ob~ir h d’autre volont6 que la leur. Le professeur Ernest Nys explique
ainsi la part minime que prit la France dans le d6veloppement du droit des gens 5. La
doctrine de l’6poque, celle des d6couvertes et des premiers temps de la colonisation,
tend d’ailleurs
d6montrer que la France niait alors I’existence d’un ordre juridique
international.
Ii faudra la d6faite et l’humiliante paix d’Utrecht de 1713, pour mettre
un frein aux pr6tentions de la France h l’h6g~monie, tout en la sensibilisant
la n~cessi-
t6 d’unjuste 6quilibre entre les nations, autrement dit au droit des gens.
C. Acquisition de certains droits d’occupation par l’application des coutumes
notoires de droitprivi
Mme en l’absence d’une coutume frangaise reconnaissant sp6cifiquement des
droits d’occupation autochtones, les autorit~s auraient pu ignorer ou ral interpr6ter
d’autres couturnes d6j reconnues par le droit positif, c’est–dire des couturnes notoi-
res. Cette question a 6t6 n6glig6e sinon compl~tement occult6e par les autorit6s colo-
niales. Un tribunal qu6b6cois pourrait aujourd’hui pallier A cette carence. I1 ne s’agit
pas, pour ce tribunal, de changer ces coutumes et d’accorder des droits lM ot il n’y en
avait pas, en 1760, mais seulement de les appliquer sans discrimination en tenant
compte des faits. Les autochtones sont ainsi consid6rs comme des sujets de droit
comme toute autre personne.
Supposons que le roi de France ait effectivement acquis la propri6t6 du sol en
meme temps que la souverainet6 sur toutes les terres d~couvertes en son norn. Les au-
tochtones ont n6anmoins continu6 d’occuper certaines terres. Puisque cet 6tat de fait a
dur6 un certain temps, il a pu crier des droits en vertu des r~gles de la prescription ac-
quisitive (l’usucapion), d’autant plus qu’il semble que les autochtones avaient la ca-
pacit6 de prescrire&. Es pouvaient alors le faire contre les concessionnaires de la cou-
ronne, compagnies ou seigneurs ; et s’il faut croire des auteurs tels Pothier et Loisel, ils
auraient meme pu prescrire contre le souverain, par cent ans, pour tous les droits qui
sa souverainete2 . Nous 6voquerons deux hypothses qu’il fau-
n’6taient pas attach6s
drait approfondir.
5, La pr~tention imp6riale des Rois de France 6tait
Bruxelles, Albert Fontemoing, 1899 aux pp. 111-12).
58/bid Alap. 111.
59 b A la p. 128.
6 Ibid,
6′ On sait, d’une part, que les autochtones convertis a la foi chr~tienne devenaient des citoyens fran-
gais (voir L. Rolland et P. Lampu6, Droit d’Outre-Mer, 3′ d., Paris, Dalloz, 1959 aux nd 57, 212).
D’autre part, m~me les 6trangers pouvaient invoquer la prescription de trente ans, cette prescription
n’6tant pas une grace de la loi civile accordde aux citoyens>> (voir Pothier, supra note 54,
imm6moriale, dite aussi centenaire.
6′ Voir Pothier, ibid., Trait6 de la prescription> au n 288. A l’appui de son opinion, tr s controver-
s6e, Pothier cite les auteurs Chopin, Bacquet, Salvains et Loisel. l mentionne aussi Lebret. Ce der-
1995]
A. EMOND – TITRE INDIEN ORGINAIRE
71
La prenire hypoth~se conceme 1’acquisition d’un droit de propri6t6 complet. Les
autochtones ont en effet conserv6 un contr6le exclusif de larges portions du territoire,
leur possession s’opposant ii celle du propri6taire 16gaF3. L’occupation collective de la
terre par les autochtones n’6tait pas un obstacle, car l’ancien droit frangais reconnaissait
que plusieurs individus pouvaient la d6tenir en commun
. II s’ensuit que les membres
d’une communaut6 autochtone pouvaient possder une terre les uns pour les autres’>.
Cependant, l’occupation ne suffisait pas a acqu6rir ou ii se faire reconnaitre un
droit de propriet6. La Coutume de Paris exigeait aussi d’avoir l’animus domini, soit la
volont6 de poss6der en tant que propri6taire”. I1 n’y a pas de formule incantatoire
l’6tablissant ; l’existence de l’animus domini est une question de fait. On l’observe
lorsque l’occupant pose des actes qui sont ‘expression du droit de proprid6t, plein,
entier et complet> ‘. D’aucuns objecteront que les autochtones, dont la culture 6tait
hostile au concept de la proprid6t
auraient raison s’il 6tait question de prouver le droit d’un seul autochtone, mais nous
nous interrogeons sur 1’existence du droit de sa communaut6. Notre attention doit donc
porter sur le comportement de celle-ci. D~s lors qu’une communaut6 autochtone a ef-
fectivement exerc6 les pr&ogatives d’un propri~taire, par exemple en exigeant un
p6age, ou plus g6n~ralement en contr6lant l’acc~s i un territoire , il est difficile de lui
individuelle”, ne remplissaient pas cette condition. Ils
nier, mme s’il croyait n6cessaire de suivre la r~gle de l’inali~nabilit6 en raison de son utilit6 publi-
que, admettait qu’elle n’avait pas 6t6 observde, nec in consulendo, nec in judicando. Parmi les con-
tradicteurs contemporains de Pothier, mentionnons C. De Ferrire, Corps et compilation de tous les
commentateurs anciens et modernes sur la Coutume de Paris, t. 2, 2 &., Paris, Gosselin, 1714 aux
pp. 300-301; P.J. Brillon, Dictionnaire des arrts ou jurisprudence universelle des parlemens de
France, et autres tribunaux, t. 2, 2 6d., Paris, Cavelier pare et flls, Brunet, Gosselin, 1727 A lap. 714.
63 Pothier a d~fini la possession comme dtant la <
4<[C]hacun pour une certaine part [...] des parts intellectuelles
(Pothier, ibid., <
” Voir : E Olivier-Martin, Histoire du droit franfais des origines a la Rivolution, Paris, Domat
Montchrestien, 1951 A la p. 150 ; Ourliac et Gazzaniga, supra note 64 aux pp. 212-13 ; Antonetti,
supra note 64 A lap. 239.
“Voir Antonetti, ibid aux pp. 282-86.
“Voir Pothier, supra note 54, <
6 L’tarr de la Cour de Cassation du 24 avril 1810 confirmait une d6cision de la Cour d’appel de
Bourges rendue le 12 aofit 1807. Ces arr~ts ont dt6 reproduits par M. P-A. Merlin dans Ripertoire
1995]
A. EMOND – TITRE INDIEN ORIGINAIRE
II. Reconnaissance d’un titre indien originaire par l’introduction .de Ia
common law
De ce qu’en savaient les autorit6s britanniques, un point de vue du reste confirm6
par des autochtones, jamais les Frangais n’auraient achet6 un acre de terre indienne”. A
ce propos, le gdndral Gage, gouvemeur militaire de Montrdal puis commandant en chef
des forces arm~es en Am6rique, a 6crit au surintendant William Johnson:
[T]he difference betwixt the French conduct and ours in respect of Lands is
worthy Observation ; In these provinces [es anciennes colonies britanniques]
The people hold from Indian Grants. In Canada the only Titles the Indians
pretend to have to their Lands are by Holdings from the French Kings78.
Malgr6 leur interprdtation du droit frangais, selon laquelle les autochtones ne
ddtenaient aucun titre originaire sur leurs territoires de chasse et de peche, les Bri-
tanniques ont choisi d’agir selon une autre politique, pour re-
prendre
l’expression du g6ndral Gage”. La d6cision de respecter les droits
d’occupation des anciens alli6s autochtones de la France ne s’imposait pas de prime
abord. Motiv6e par des considdrations de natures dconomique et militaire, elle 6tait
aussi ‘aboutissement d’une strat6gie adopt6e par les militaires anglais lors de la
guerre de Sept Ans.
Dans le pr6sent chapitre, nous tenterons de d6montrer 1’existence d’une politi-
que sous-jacente A 1’ensemble des actions de la couronne et de ses mandataires des
arm6es, une politique visant t reconnaitre l’occupation effective des autochtones
qui aurait 6t6 incorpor6e A la common law. A cette fit, nous 6voquerons tout au
long de notre d6monstration plusieurs documents historiques, certains pouvant 8tre
consid6r6s comme des trait6s, d’autres comme des actes de port6e 16gislative. Trai-
t6s et lois, tout en 6tant des sources autonomes de droits pour les autochtones, sont
aussi la manifestation la plus visible et la plus certaine de la volont6 de leur auteur:
le gouvemement britannique. C’est A ce titre que nous nous y int6ressons.
A. Reconnaissance des droits des autochtones sous le rngime militaire
Les militaires ont effectivement commenc6 A esquisser une politique autoch-
tone pour le Canada dans les demiers mois du conflit avec la France. Le plan, tr~s
universel et raisonng de jurisprudence, t. 18, 4! d., Paris, Gamery, 1813, au mot usage>. Merlin en a
fait par la suite une critique dans Recueil alphabdtique de questions de droit qui se prdsentent le plus
frquemment dans les tribunaux, t. 8, 4! &., Paris, Remoissenet, 1830, encore ici au mot
“Paroles des Indiens de ]a r6gion de l’Ohio rapport6es dans lejournal de Croghan, adjoint du surin-
tendant des affaires indiennes, le 30 aofit 1765, reproduit dans C.W. Alvord et C.E. Carter, dir., The
New Rdgime, 1765-1767, Springfield (Illinois), Ill. St. Hist. L., 1916 A lap. 47.
” Voir Lettre de Gage A William Johnson, le 12janvier 1763, dans W. Johnson, The Papers of Sir
William Johnson, vol. 4, Albany, The University of the State of New York, 1925 t lap. 291 [ci-aprbs
Johnson (vol. 4)].
“‘ Voir Lettre de Gage t William Johnson, 7 avril 1766 reproduit dans Alvord et Carter, supra note
77 A lap. 212.
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 41
leur cause en offrant la protection de la
simple, 6tait de gagner les autochtones
couronne, pour eux et pour leurs terres . On n’exigeait pas des autochtones qu’ils
se battent aux c6t6s des soldats anglais, seulement qu’ils n’aident pas l’ennemi
frangais”. Plus grand sera le nombre de conversions et meilleure sera notre situation
militaire, projeta le commandant en chef des forces arm6es britanniques durant la
guerre, le gdn6ral Jeffery Amherst7. Son offre est devenue irresistible pour les au-
tochtones d~s qu’ils se rendirent compte du caract~re indluctable de la d6faite fran-
gaise.
Plusieurs documents t6moignent des avances britanniques. En juin 1760, le g6-
n&al Amherst demanda A William Johnson de s’allier le plus grand nombre
d’Indiens possible 3. Le surintendant Johnson se conforma aux ordres regus. Au-
cune communaut6 autochtone n’a 6t6 exclue. Johnson entama des n6gociations
avec la Conf6d6ration des Sept-Nations du Canada, pros de Swegatchy, et d6clara
aux autochtones que la couronne entendait leur garantir la possession paisible des
terres sur lesquelles ils vivaient, ainsi que le libre exercice de leur religion!’. Plus t
l’est, le g6n&al Murray a promis aux Hurons de Lorette la libert6 de poursuivre
Voici un extrait d’un message du gdn~ral Amherst a l’intention des autochtones, r&lig6 le 27 avril
1760:
As I have nothing more at Heart than the good and welfare of the Community, I do as-
sure all the Indian Nations, That his Majesty has not sent me to deprive any of you of
your Lands and Property ; on the contrary, so long as you adhere to his Interest, and by
your behaviour give proofs of the Sincerity of your attachment to his Royal Person and
cause, I will defend and maitain you in your just rights […] ((Message du gdn~ral Am-
herst aux Indiens,>, Pennsylvania Archives, Sdries 1, 448-49, compil6 par F. Jennings
dans Iroquois Indians: A Documentary History of the Diplomacy of the Six Nations
and Their League, 1761, Woodbridge (CI), Research Publication, 1985).
Voir aussi la lettre du g6n6ral Amherst au colonel Haldimand, 29 mai 1760, Archives natio-
8Ibid
nales du Canada, Haldimand Papers, B-1
lap. 64.
Voir
Johnson, vol. 10, Albany, University of the State of New York, 1951 A ]a p. 177 [ci-apr s Johnson
(vol. 10)].
‘ La Conf16dration regroupait les communaut~s villageoises d’Oka/Kanesatake (Mohawks, Al-
gonkins et Nipissings), du Sault-St-Louis/Kahnawake (Mohawks), d’Oswegatchie (Onondagas et
Cayugas), de Saint-Francis (Ab6nakis), et de Lorette (Hurons) (voir Guide to the microfilm collection
a lap. 651 par Jennings, supra note 80).
” Procs verbal d’une rencontre, tenue le 21 aofit 1769 a Sault-St-Louis, au cours de laquelle on fit
r6fdrence A la rencontre d’ao0t 1760 (voir W. Johnson, The Papers of Sir William Johnson, vol. 7, Al-
bany, University of the State of New York, 1931 aux pp. 109-10).
1995]
A. tMOND – TITRE INDIEN ORIGINAIRE
leurs coutumes contre leur engagement de rester neutre lors du conflit ‘ . Le grnrral
ordonna aussi Thomas Ainslie de se rendre du c6t6 nord du fleuve Saint-Laurent,
dans le domaine que s’6tait rrserv6 le roi de France, et de prendre tous les Indiens
de ce Domaine sous la protection du rob’. Les militaires continueront d’appliquer
la m~me politique au lendemain de la guerre pour consolider leur emprise. William
Johnson s’occupa personnellement des autochtones des Grand Lacs’, et il drlrgua
son adjoint de Montreal, Daniel Claus, pour rrp6ter les memes assurances aux au-
tres communaut~s autochtones du Canada qu’il visiterait7. Claus a ainsi promis aux
Ab6nakis du nord du lac Champlain qu’ils conserveraient leurs terrese. La politique
du grnral Amherst a 6t6 menre A bonne fin si l’on en croft 1’agent des affaires in-
diennes, le colonel Guy Johnson, qui affirma que les Indiens du Canada, essentiel-
lement le sud du Qu6bec et de l’Ontario d’aujourd’hui, <
9 <<[A]ssure them [ies Indiens du Canada] His Majesty intends them nor no Nations of Indians any
Harm, as long as they behave properly, on the contrary, gives the greatest assurances of his protecting
all such Nations, as have any right to expect it, which they of Canada, as well as others [ ...] have>>
(voir Lettre de William Johnson a Daniel Claus, 20 mai 1761, reproduit dans Johnson (vol. 10), supra
note 83
lap. 269).
” Voir Lettre de Daniel Claus au lieutenant-gouvemeur Cramah6, 3 juillet 1773, Archives nationa-
les du Canada, Claus Papers, M.G. 19, Fl, vol. 1
la p. 159 ; aussi reproduit dans W. Johnson, The
Papers of Sir William Johnson, vol. 12, Albany, University of the State of New York, 1957 A la p.
1027 [ci-aprbs Johnson (vol. 12)].
9′ Voir <
Brodhead, Documents Relative to the Colonial History of the State of New York, vol. 8, Albany (New
York), Weed Parsons, 1857 aux pp. 654-55.
Voir Sioui, supra note 82.
” Voir Cotg, supra note 8.
MCGILL LAw JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 41
D’aucuns ont cherch6 minimiser l’importance de l’offre des militaires en
prdtendant que la protection envisag6e ne visait que les villages indiens, sans affec-
ter les territoires de chasse et de pache. La Cour d’appel du Qu6bec, dans COtM, a
jug6 cette interpr6tation <
seraient content6s de n6gocier une protection restreinte qui ne tiendrait pas compte
d’un attribut essentiel de leur mode de vie traditionnel : la pratique de la chasse et
de la pache. Or, dans l’affaire COtM, la Cour a interpr6t6 un trait6 sign6 avec la Con-
f6d6ration des Sept-Nations, des autochtones partiellement s6dentaris6s vivant sur
les terres de mission9 . Son argument est d’autant plus probant lorsqu’on s’interroge
sur la protection offerte aux communaut6s nomades, par d6finition sans 6tablisse-
ment permanent, dont la survie d6pendait uniquement de la continuation de leurs
activit6s de chasse et de peche sur les terres tribales. Une interpr6tation large et li-
b6rale, comme il est de r~gle pour tous les anciens documents concernant les au-
tochtones”‘, ne permet pas d’autre conclusion : les militaires britanniques ont voulu
reconnaitre 1’existence d’un titre indien sur les territoires ancestraux des autochto-
nes.
En signant les articles de capitulation de Montr6al et cons6quent avec la politi-
que qu’il avait lui-m~me initi6e, le g6n6ral Amherst a stipul6 1’article 40 que les
Indiens alli6s du roi Louis XV seraient <(maintenus dans les terres qu'ils habitent,
s'ils veulent y rester>>’. D6tail important, l’article 40 ne distinguait pas les autoch-
tones domicili6s, habitant les terres des missions religieuses, des autochtones occu-
pant toujours leurs terres ancestrales. II est vrai qu’une capitulation, un trait6 de
paix, on tout autre acte en vertu duquel la couronne acquiert la souverainet6 sur un
territoire, ne peut limiter son pouvoir absolu de 16gif&er, et partant d’abroger des
droits ou d’en reconnaitre d’autres”. On peut toutefois soutenir que ces documents,
sans lier formellement la couronne, faisaient pr6sumer son intention.
94Ibid A lap. 1369.
” L’interpr6tation de la Cour paralt contredire celle du gdn6ral Gage, du ieutenant-gouvemeur Col-
den et de l’agent des affaires indiennes Daniel Claus, lorsqu’ils 6voquent la question des droits des
Indiens des missions (les Indiens qui ont quitt6 leurs terres ancestrales pour venir s’dtablir aupr s des
Frangais). II est vrai que ces personnes ne mentionnent pas le trait6 de Swegatchy, sauf peut-8tre
Claus, mais ils ne pouvaient tous ignorer son existence (voir infra notes 133-36 et le texte correspon-
dant). La contradiction pourrait cependant n’8tre qu’apparente si l’on interpr~te le trait6 de Swegatchy
comme la Cour suprme a interprt6 le trait6 Sioui, c’est-A-dire comme une garantie permettant aux
autochtones la continuation de leurs activit6s sur les terres de Ia couronne tant que cette demi&e ne
les occupe pas de mani~re incompatible (voir Sioui, supra note 82 A lap. 1071, M. le juge Lamer).
” Voir: Sioui, supra note 82 aux pp..1035-36, M. lejuge Lamer ; Nowegiick c. R., [1983] 1 R.C.S.
29 A lap. 36, M. lejuge Dickson ; Simon c. R., [1985] 2 R.C.S. 387 a lap. 402, 71 N.S.R. (2′) 15, M.
lejuge Dickson ; Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85 A la p. 142, 71 D.L.R. (4′)
193, M. lejuge La Forest; R. c. Horseman, [1990] 1 R.C.S. 901 A lap. 906,55 C.C.C. (3′) 353, Mine
lejuge Wilson.
9, Voir l’article 40 de la capitulation de Montrdal, reproduit dans Shortt et Doughty, supra note 1 A la
p. 18. Le professeur Brun propose une autre interpr6tation mais en se fondant principalement sur
l’intention des Frangais (voir Brun, supra note 11 aux pp. 62-63).
” Voir supra note 5.
19951
A. EMOND – TITRE INDIEN ORIGINAIRE
Nous ne nous int~ressons pas h une promesse plus qu’A une autre. Leur intdr&
vient de leur effet cumul6. Elles traduisaient ensemble une politique visant
recon-
naitre syst6matiquement le droit d’occupation des autochtones anciennement sous
juridiction frangaise. Plut6t que de la d6noncer, Whitehall a implicitement approuv6
la politique de ses militaires. Le 5 aofit 1763, deux mois avant l’adoption de la
Proclamation de 1763, les lords du commerce ont exig6 du surintendant William
Johnson et de ses adjoints des informations sur ces nations autochtones, encore in-
connues, qui 6taient d~j& <
blait donc consid~rer que la common law concernant le titre indien avait 6t6 intro-
duite dans 1’ancien territoire frangais, avec pour cons6quence que toutes les com-
munaut~s autochtones du Qu6bec pouvaient l’invoquer, quoiqu’elles n’aient pu
faire la preuve d’une entente particuli~re sign6e par leurs ancetres. La Proclamation
de 1763 devait simplement confirmer l6gislativement leurs droits.
B. Confirmation des droits des autochtones sous le rigime civil
Quelques ann6es apr~s la fin des hostilit~s, il fallait organiser politiquement les
nouvelles possessions pour mettre fin au r6gime militaire. Dans ce but, le gouver-
nement britannique usa de trois instruments : la Proclamation de 1763 ; les com-
missions des diff~rents gouverneurs ; et les instructions accompagnant ces com-
missions. Leur
lecture est difficile et soul~ve de nombreux probl~mes
d’interprdtation. Nous proposons de les aborder comme un tout indissociable.
Les r~gles habituelles d’interprdtation permettent le recours au contexte histori-
que afin de determiner l’intention des auteurs d’un document constitutionnel'”. Le
poids de l’histoire devient m~me pr6pond~rant quand il s’agit de textes aussi an-
ciens que la Proclamation de 1763 on la commission du gouvemeur Murray. Parce
que le sens des mots ou les techniques de r6daction ont pu dvoluer, il faut aller au-
delA d’une interpretation litt~rale et ex~gdtique afin d’6viter les anachronismes”‘.
Nous ferons done r’historique de ces documents.
1.
La Proclamation de 1763
L’id6e d’adopter une proclamation royale concernant la politique de Sa Majest6
h l’6gard de ses nouvelles possessions date du jour ohi les lords du commerce en fi-
rent la proposition au roi, le 5 aofit 1763. De ‘avis de ces conseillers, inquiets des
” Voir
tive to the Colonial History of the State of New York, vol. 7, Albany (New York), Weed Parsons, 1856
]a p. 535 [ci-apris Brodhead (vol. 7)].
oo Voir, par exemple, la d&cision portant sur le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba,
[1985] 1 R.C.S. 721.
oVoir C6t, supra note 8 a lap. 1361, M. lejuge Baudouin. Voir aussi Dionne, supra note 10 4 la
p. 131.
MCGILLLAWJOURNAL/REVUEDE DROIT DE MCGILL
[Vol. 41
d6sordres menagant la frontiire ouest des colonies, une proclamation royale sous le
grand sceau de la Grande-Bretagne semblait le moyen appropri6 pour d6limiter les
bomes d’un territoire r~serv6 aux Indiens, oti aucun 6tablissement europ~en ne se-
rait permis” .
On ressassait depuis quelque temps d6jt le projet d’une immense r6serve au-
tochtone situ6e le long de la frontire”. Le roi George III a d’abord pens6 qu’il 6tait
pr6fdrable de soumettre cette contr6e A la juridiction du gouvernement d’une colo-
nie. Les lords du commerce, dans leur rapport du 5 aofit 1763, cherchkrent Ai Fen
dissuader et propos~rent plut6t l’installation d’un commandement militaire. A partir
du moment oi leur opinion pr6valut dans les cercles minist6riels, l’adoption d’une
proclamation royale devint incontournable. En effet, la commission qui nommait le
gouverneur d’une colonie royale 6tait A cette 6poque consid6r~e comme la consti-
tution de cette colonie’04 . Elle d6crivait comment, sur un territoire donn6, une as-
semblde repr6sentative pouvait 8tre convoqu6e, la manikre d’y 6tablir des tribu-
naux, et les droits devant 8tre reconnus aux citoyens. Si le territoire indien avait 6t6
plac6 sous la juridiction d’une colonie, la commission de son gouverneur aurait
suffit aux desseins du roi. C’6tait d’ailleurs ce qui avait 6t6 pr6vu ‘ . En sugg~rant de
n’en rien faire, les lords du commerce devaient par la m~me occasion suggrer un
autre instrument juridique pour organiser politiquement la r6serve indienne de la
frontikre. Ce fut la Proclamation de 1763.
Dans sa r6ponse du 19 septembre aux lords du commerce, le roi, sous la plume
de lord Halifax, approuva non seulement la suggestion d’une proclamation, mais
affirma vouloir en 6tendre l’ampleur pour couvrir d’autres objets : faire connaitre la
cr6ation et les limites des quatre nouvelles colonies ; d6clarer la constitution des
nouveaux gouvernements et les pouvoirs g6n6raux de leur gouverneur d’octroyer
des terres dans leur juridiction ; interdire les achats priv6s de terres indiennes ; d6-
clarer la libert6 de commerce avec les Indiens, sujette A une r~glementation a venir ;
et conf6rer aux militaires et agents des affaires indiennes le pouvoir d’appr6hender
les criminels qui se seraient r6fugi6s dans la grande r6serve indienne de la fron-
tiere’
.
Dans le passage de la Proclamation de 1763 traitant de ce pays indien, George
III d6clara son plaisir et sa volont6
” La lettre est reproduite dans Shortt et Doughty, supra note 1 aux pp. 123-26. Les lords du com-
merce firent rf6rence Ak cette proposition dans leur lettre, elle aussi du 5 aofit 1763, ak William
Johnson (voir Brodhead (vol. 7), supra note 99).
,3 Voir C.W. Alvord, Genesis of the Proclamation of 1763, Michigan Pioneer and Historical Society
Collections, Lansing, 1908 aux pp. 13-19.
304 Voir L.W. Labaree, Royal Government in America : A Study of the British Colonial System Be-
fore 1783, New Haven, Yale University Press, 1930 aux pp. 1-10.
J03 Voir Lettre des lords du commerce At Egremont, 5 aofit 1763, reproduit dans Shortt et Doughty,
supra note 1 A la p. 124.
’06Voir Shortt et Doughty, supra note 1 aux pp. 127-28.
19951
A. _MOND – TITRE INDIEN ORIGINAIRE
[…] de rserver pour le present […] pour l’usage desdits sauvages, toutes les ter-
res et tous les territoires non compris dans les limites de Nos trois gouverne-
ments ni dans les limites du territoire conc&16
la Compagnie de la baie
d’Hudson, ainsi que toutes les terres et tous les territoires situ6s A l’ouest des
sources des rvires qui de l’ouest et du nord-ouest vont se jeter dans lamer’ 7.
En s’appuyant sur ce passage, le Comit6 judiciaire du Conseil priv6 a reconnu
la pr6sence d’un titre indien sur la bande de terre encerclant, au nord et
l’ouest,
‘ancienne colonie de Qu6bec’ 8 . II est vrai que la terre en litige 6tait situ6e pros du
lac Sup6rieur. Toutefois, d’apr~s le rapport de M. John Pownall, secr6taire perma-
nent du Board of Trade, rien ne devait distinguer la r6serve indienne au nord de la
colonie de Qu6bec de 1763 de celle situ6e autour des Grands Lacs'”.
L’impact de la Proclamation de 1763 sur les droits aborigines t l’int6rieur de la
colonie de Qu6bec est moins certain. On a certes interdit les achats priv6s de terres
indiennes, mais dans la mesure oii l’on peut se fier aux documents pr6paratoires
cit6s plus haut, il n’6tait pas dans les objectifs de ses r6dacteurs de d6finir la port6e
territoriale des droits aborigines dans le gouvernement de Qu6bec, quoiqu’ils aient
pu y voir l’occasion d’ajouter une mesure de protection. Les d6sordres auxquels les
lords du commerce voulaient rem6dier ne venait pas de 1W”‘. On trouve une r6f6-
rence, peut-8tre deux, se rapportant au titre indien dans la colonie de Qu6bec. II y a
d’abord le paragraphe introductif de cette partie de la Proclamation de 1763 traitant
des autochtones :
Attendu qu’il est juste, raisonnable et essentiel pour Notre int&et et la s6curit6
de Nos colonies de prendre des mesures pour assurer aux nations ou tribus
sauvages qui sont en relation avec Nous et qui vivent sous Notre protection, ]a
possession entire et paisible des parties de Nos possessions et territoires qui
ont 6t6 ni concddes ni achet:es et ont 6t6 r6serv6es pour ces tribus ou quel-
ques-unes d’entre elles comme territoires de chasse [“…].
Ensuite, dans le meme paragraphe se trouve une interdiction aux gouvemeurs des
nouvelles colonies de conc6der quelque terre au delM de leur gouvemement respectif,
soit dans la grande r6serve indienne. La m~me exigence a 6t6 formul6e h l’intention des
gouvemeurs des anciennes colonies, t la diffrence pros qu’on leur a interdit, en plus,
de faire des concessions sur toute terre qui, n’ayant pas jt6 cjdde ni achetie par la
couronne, a jtj riservie aux autochtones. Cet ajout a pu faire croire, a contrario, que
les r~dacteurs n’avaient pas en vue les terres des nouvelles colonies”2 . On oublierait
‘7Supra note 3 A la p. 5.
“‘”Voir St. Catharine’s Milling and Lumber Co. c. R. (1888), 14 A.C. 46,58 L.L RC. 54 (C.P.).
‘”Voir
(1934) 49 Eng. Hist. Rev. 241 A lap. 258.
“‘ La r6volte de 1763 a surtout impliqu6 les autochtones de la r6gion des Grands Lacs (voir B. As-
siniwi, L’Odaiva Pontiac: L’amour et la guerre, Montral, XYZ, 1994 aux pp. 79-80).
“‘. Supra note 3 aux pp. 4-5.
112 Voir I. Beaulieu, C. Cantin et M. Ratelle, <
et les r6serves des anciennes colonies, les autres terres, vis6es par la Proclamation de
1763, englobaient n6cessairement l’ancien territoire du Qu6bec”‘ . Mais alors, quelles
6taient ces autres terres qui, avant une cession des autochtones ou leur achat par la cou-
ronne, 6taient des terres r6serv~es ? Deux interpretations ont eu cours. Premirement,
certains ont soutenu qu’uniquement les terres de missions et les villages indiens cr6s
ou autoris~s par les autorit~s frangaises 6taient inclus” ‘ . Deuxi~mement, d’autres ont
ajout6 A ces terres celles que les Indiens d6tenaient en vertu d’une occupation effective,
et qui n’ont pas 6t6 conc~des par les Frangais A leurs ressortissants”. Une interpreta-
tion textuelle de la Proclamation de 1763 ne permet pas de choisir. ttant donn6 qu’elle
1’histoire>> (1989) 49 R. du B. 317 A lap. 330.
.Supra note 3 aux pp. 5-6.
11 Les auteurs Beaulieu, Cantin et Ratelle, croient plutdt que l’expression ccontr~es d6crites
ci-dessus>> r~fre au seul pays indien, ce qui leur permet d’affirmer que les r6dacteurs, en utilisant les
mots
l’applicabilit6 du d6cret royal au territoire du Qudbec (voir Shortt et Doughty, supra note 1 aux pp.
174-75). Dans sa these de doctorat, Brian Slattery cite une traduction frangaise de ]a Proclamation de
1763, faite par le gouvemement de Trois-Rivires le 28 janvier 1764, qui tend aussi A d6montrer son
application au territoire du Qu6bec (voir Slattery, supra note 11 t la p. 266).
“‘ Voir: Cjtd, ibid ; Brun, supra note 11 aux pp. 35-95 ; R. Dussault et L. Borgeat, Traitj de droit
administratifcanadien et quibecois, vol. 2, 2! &l., Qu6bec, Presses de l’Universit6 Laval, 1986 aux
pp. 97-98 ; R.L Surtees, Indian Land Cessions in Ontario, 1763-1862 : The Evolution of a System,
thse de doctorat en philosophie, Universit6 Carleton, 1982 [non-publie] aux pp. 8-9 ; Etude sur la
prdsence des Mohavks, supra note 11 aux pp. 18-24.
‘6 Voir Adams, supra note 114 A lap. 1022, M. lejuge Beauregard ; Minist&e des affaires indien-
nes et du Nord Canada, Anglo-Indian Relations In North America To 1763 And An Analysis Of The
Royal Proclamation Of 7 October 1763, par J. Stagg, Ottawa, 1981 aux pp. 358-59 ; Dionne, supra
note 10 A lap. 138 ; Cumming et Mickenberg, supra note 10 A la p. 88 ; Slattery, supra note 11
lap.
219 ; R. Boivin, Pour en finir avec la Proclamation royale : ]a d6cision Ctg>> (1994) 25 R.G.D. 131
aux pp. 136-42.
1995]
A. EMOND – TITRE INDIEN ORIGINAIRE
n’a pas 6t6 rddig6e dans le but de d6finir 1’6tendue des droits des autochtones dans les
colonies, il peut etre utile d’aller chercher ailleurs, soit dans la commission du gouver-
neur Murray et les instructions 1’accompagnant’,
l’interpr6tation qui convient.
2.
La commission du gouvemeur Murray et
l’accompagnant
les
instructions
La commission du gouvemeur, rdig~e en mme temps que la Proclamation de
1763″‘, a elle aussi 6t6 adoptde sous le grand sceau de la Grande-Bretagne””, ce qui en
a fait un document juridique d’6gale importance’. Cette commission et la Proclama-
tion de 1763 ont 6t6 les instruments de la premire constitution qudb6coise. Malgr6 un
certain chevauchement, les deux documents se complgtaient l’un l’autre et doivent
done etre interpr6tds de pair.
La r&laction de la commission de Murray a 6t6 faite en des termes g6n6raux. Le
son comman-
quatrime paragraphe lui ordonnait d’ex6cuter tout ce qui se rattachait
dement conform6ment aux instructions, sous le sceau royal ou par d6cret du Conseil
priv6, qui lui seraient en meme temps transmises. Ceci restreignait ce qui autrement au-
raient 6t6 de tr~s vastes pouvoirs discr~tionnaires. La commission avait aussi pr~vu la
possibilit6 d’instructions ult6rieures’21. Pour ce qui est des terres, elle accorda au gou-
vemeur Murray le pouvoir, conjointement avec le Conseil de la Province, de les distri-
buer, h condition que cela se fasse dans le respect des instructions royales'”. La com-
mission contenait aussi plusieurs autres renvois aux instructions. Whitehall pouvait de
la sorte infldchir la politique future de la colonie sans pour autant avoir changer son
gouverneur. On parlerait aujourd’hui de l’adoption de ces instructions comme 6tant
l’exercice d’un pouvoir d6ldgu6. Elles contenaient des r~gles aussi importantes que la
composition du Conseil et les modalit~s de convocation de l’Assemblde g6nrale des
francs-tenanciers, les organes qui, de concert avee le gouvemeur, exergaient les pou-
voirs lgislatif et rdglementaire dans la colonie'”. Ne pas reconnaitre aux instructions
royales valeur de droit serait dans les circonstances du plus grand paradoxe'”.
Les instructions de Murray requerraient d’assurer la sauvegarde des droits acquis
des Frangais et des Canadiens. Ces demiers pouvaient inscrire dans un registre tous les
” Le texte de la commission et des instructions est reproduit dans Shortt et Doughty, supra note 1
aux pp. 146-80.
,RS Le compte-rendu des d6libr~s du Conseil priv6 du 5 octobre 1763 fait dtat de projets de com-
missions pour les gouvemeurs Murray (Qubec), Grant (Floride est), Johnstone (Floride ouest), et
Melvill (Grenade, Dominique, St-Vincent et Tobbago) (ibid 4 lap. 130).
119 Ibid. aux pp. 136, 143.
1, 0Voir Labaree, supra note 104 A la p. 6.
“2 Voir Shortt et Doughty, supra note 1 A lap. 147.
t Ibid.
la p. 173. Si l’on veut connaltre l’interpr6tation donne aux directives de Sa Majest6,
1’6tude des decisions du Conseil parait donc indiqude (voir infra notes 139-43).
‘2Ibid. aux pp. 156-60.
124 Voir: Roberts-Wray, supra note 5 aux pp. 146-47; I.R. Christie, Crisis of Empire : Great Britain
and the Ameican Colonies, 1754-1783, London, Edward Arnold, 1966 aux pp. 16-17.
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDEMCGILL
[Vol. 41
octrois ou concessions faites par l’ancien r6gime avant le 3 novembre 1762′”. On a
aussi consacr6 trois articles’ 6 aux autochtones oii sont d~crits les droits leur 6tant re-
connus et le comportement adopter h leur 6gard. Le premier, l’article 60, sugg6rait au
gouvemeur de nommer aussitOt que possible une personne charg6e de transiger avec
les Indiens. Ce mandataire devait leur promettre la protection et l’amiti6 de la cou-
ronne. L’article 61 pr6voyait une demande d’information sur les Indiens et un ordre de
ne pas les molester ou les d6ranger dans les terres qu’ils occupaient ou poss~daient.
Enfin, l’article 62 exigeait du gouvemeur le respect des dispositions de la Proclama-
tion de 1763. I interdisait donc aux sujets du roi d’acheter ou de prendre possession
des terres rserv6es aux tribus d’Indiens vivant sous la protection royale. Rien n’6tait
pr6vu pour ‘enregistrement du titre indien. Whitehall a probablement pens6 que, con-
trairement aux droits de propri6t6 des colons frangais, ce titre 6tait inalienable et se
confondait avec l’int6r& de la couronne, d’oi l’inutilit6 apparente de l’enregistrement.
On pourrait dissocier l’article 61 de 1’article 62 et prtendre que les terres r6serv6es
aux Indiens ne correspondaient pas h celles qu’ils occupaient ou poss6daient, le corol-
lake 6tant que l’interdiction de les molester sur ces terres ne constituait pas la recon-
naissance d’un droit quelconque. Toutefois, il ne faut pas oublier l’article 60 qui pr6-
voit qu’il faut : <[R]assembler lesdits sauvages [...] traiter avec eux, leur promettre
protection et amiti6 de Notre part>‘ 27. Le roi a voulu offrir sa protection h tous les au-
tochtones, sdentaires ou nomades, un geste qui aurait 6t6 vide de sens s’il n’avait vis6
la sauvegarde de leur unique bien d’importance : la terre. Or, eu 6gard A la situation des
peuples nomades, on ne doit pas pr6sumer que les instructions de la couronne n’avaient
aucun effet utile ou, pis encore, que leur but 6tait de tromper les autochtones : son hon-
neur et sa dignit6 l’interdisaient”.
Le roi, par ses instructions au gouvemeur Murray, entendait simplement poursui-
vre la politique entreprise par ses g6n6raux, soit d’offrir aux autochtones la protection
de leur droit d’occupation contre l’acceptation de sa souverainet6 : <[V]ous devrez
plut6t employer les meilleurs moyens possibles pour gagner leur affection et les atta-
cher A Notre gouvemement [...]>>”‘.
D’application prospective, les instructions visaient
les autochtones qui restaient convaincre. Les autres, ceux auxquels on avait d~jht fait
cette promesse sous le rgime des militaires, b6n6ficiaient d~jA du manteau protecteur
de la Proclamation de 1763. Ces documents refl6taient l’unit6 de pens~e et d’action
des autorit6s an lendemain de l’6puisant conflit avec la France.
L’objectif de la Proclamation de 1763, en somme, 6tait de confirmer les droits an-
cestraux des autochtones ainsi que les titres qui leurs avaient 6t6 conc6d~s par les Fran-
gais. Elle n’a pas eu pour effet de les abroger en se substituant A eux. La Cour supreme
du Canada a 6t6 claire sur ce point. Selon elle, la Proclamation de 1763 reconnait des
‘ Art. 42 des instructions reproduit dans Short et Doughty, supra note 1 A la p. 168.
126 Arts. 60,61, ibid aux pp. 174-75.
‘ Art. 60, ibid aux pp. 174-75.
‘ Voir Sparrow, supra note 68 A lap. 1107, M. lejuge Dickson.
‘” Voir Shortt et Doughty, supra note I A lap. 174.
1995]
A. EMOND – TITRE INDIEN ORIGINAIRE
droits aux autochtones <
Brennan, de la Haute cour d’Australie, a de son c6t6 ajout6: <<[A] law which reserves
[...] land [...] for the purpose of permitting indigenous inhabitants and their descendants
to enjoy their native title works no extinguishment>>’3 l.
C. Preniere interpretation des droits des autochtones aprbs l’adoption de la
constitution quibicoise de 1763
Notre interpr6tation du droit est en accord avec celle des officiers militaires et ci-
vils les plus hauts grad6s d’Am6rique dans la p6riode qui a suivi l’adoption de la Pro-
clamation de 1763. Paradoxalement, c’est lorsqu’elles ont refus6 de reconnaitre
l’occupation de certains groupes d’autochtones que les autorit6s, amen6es
se justifier,
ont le mieux conceptualis6 la politique de leur gouvemement.
1.
Distinction entre l’autochtone immigrant et celui vivant toujours sur
le territoire ancestral
Alors qu’il s’interrogeait sur 1’avalanche de r6clamations territoriales faites par les
autochtones, un probl~me que les Frangais ne connaissaient pas, le g6n6ral Gage sug-
g6ra lui-m~me la r6ponse : <<[...] I believe they [les autochtones] make Difficulty with
us because we have gone on a different Plan>‘ 32. Le g6n6ral s’6tait d6j expliqu6 plus
longuement sur le sens de cette politique britannique. II ressort de sa correspondance
avec le lieutenant-gouverneur Colden que les autochtones des territoires c6d6s par la
France devaient etre trait6s sur le m~me pied que ceux des anciennes colonies britanni-
ques. On reconnaitrait un titre originaire si les occupants vivaient toujours sur leurs ter-
res tribales traditionnelles. Les autres, qui ont quitt6 leur 6tablissement d’origine pour
venir s’6tablir dans la colonie t l’invitation des Frangais, n’auraient de titres que ceux
reconnus par leur soci6t6 d’accueil. Les droits fonciers de communaut6s telles Kana-
whake et Lorette d6pendaient donc uniquement du droit de la Nouvelle-France’3 . C’est
“0 Voir Sioui, supra note 82 aux pp. 1064-65, M. lejuge Lamer. La Cour supreme du Canada, dans
Sioui, a ni6 que la Proclamation de 1763 ait eu quelqu’effet sur les droits issus de trait~s.
. Voir Mabo c. Queensland (1991), 66 A.LJ.R. 408
lap. 432. On pourrait aussi citer l’arr& du
Comit6 judiciaire du Conseil priv6 dans l’affaire Star Chrome oji l’on a jugd que la creation d’une r6-
serve ne changeait pas la nature des droits des autochtones (Quebec (PG.) c. Canada (PG.) (1920),
[1921] 1 A.C. 401 aux pp. 410-11, M. lejuge Duff).
‘ Voir Alvord et Carter, supra note 77 h lap. 212.
. Gage voulait d6montrer A son interlocuteur l’utilit6 de la Proclamation de 1763 pour prot6ger les
terres des anciens alli6s autochtones de la France. Le lieutenant-gouvemeur Colden r6pliqua que l’on
devait distinguer les Indiens du sud, qui sont des propridtaires originaux pour lesquels une politique
de cession des terres avait
t6 6tablie par la couronne, et les Indiens Caghnawagas (Kanawhake),
Ab6naquis et autres, qui vinrent s’6tablir au Canada h l’invitation des Frangais pour servir de barri&e
entre eux et les Anglais ; une observation juste selon Gage (voir Lettres des 27 janvier et 6 f6vrier
1764, reproduit dans Johnson (vol. 4), supra note 78 aux pp. 307, 308, 318). Cette interpr6tation con-
corde avec Ia promesse faite aux Indiens des missions de Kanawhake et de Kanesatake voulant qu’ils
jouissent des memes droits que sous le r6gime frangais : <<[Ces Indiens] were promised by Sr. Win.
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 41
pour cette raison que Daniel Claus, 'agent des affaires indiennes pour le Canada, a re-
fus6 d'accepter la demande des Hurons de Lorette qui exigeaient de plus grands terni-
toires :
All I have to observe upon the subject is that whenever a nation or people quit
their native country in order to settle & abide in any other nation or govern-
ment [...] it is reasonably supposed & expected that they are to submit & con-
form themselves to the laws forms & customs of that nation or government,
which I dare say you have experienced while this country was governed by the
French".
Le g6n6ral Gage n'aurait pas dit autrement. I1 s'est effectivement montr6 exas-
p6r6 des demandes des Indiens de Kanawhake qui voulaient se faire reconnaitre un
titre sur les terres adjacentes A leur r6serve. <<[I] believe they have no more Right
than I have>>, a-t-il 6crit William Johnson’3 . Dix jours apr~s, il communiquait avec
l’adjoint de Johnson dans la vall6e de l’Ohio, Daniel Croghan, le pr6venant de se
m~fier des rclamations non fond~es que pourraient faire les autochtones de Fort
Chartres ou des rivi~res Kaskaskias et Ohio. Ces terres, croyait-il, ne leur ont ja-
mais appartenu. Ils y sont venus aprbs avoir fui leurs ennemis en esp~rant que les
Frangais les prot6geraient, et ces demiers ne leur ont conc~d6 aucun titre’.
2.
Exemples d’application de la politique britannique envers les au-
tochtones
La m6fiance des Britanniques ne les empechait pas de rendre justice lorsque les
requ&es des autochtones leur paraissaient fond~es. t
l’ouest de la colonie, par
exemple, dans la r6gion de l’Outaouais, le gouverneur Carleton a d~dommag6 les
Algonquins et les Nipissings pour des terres dont ils avaient 6t6 d6poss~d6s’ 7.
Johnson in behalf of His Majesty to enjoy the same privileges they did under the french government
and perhaps greater> (voir Journal de Daniel Claus, 15 juillet 1773, dans W. Johnson, The Papers of
Sir William Johnson, vol. 13, Albany, University of the State of New York, 1962
la p. 622).
D’ailleurs, en 1784, le gouvemeur Haldimand refusa de reconnaltre les droits des Mohawks sur la
rive sud du Saint-Laurent parce qu’ils ne pouvaient prsenter aucun titre (voir la Lettre de John
Johnson au g6n6ral Haldimand, 11 mars 1784, reproduit dans E.A. Cruikshank, The Settlement of the
United Empire Loyalists on the Upper St. Lawrence and Bay of Quinte in 1784 : A Documentary Re-
cord, Toronto, Ontario Historical Society, 1934 aux pp. 58-59).
‘m R6ponse de Daniel Claus aux Hurons de Lorette dans
juillet 1773, Archives nationales du Canada, Claus papers, M.G. 19, Fl, vol. 1 A lap. 105.
” Voir Lettre du g~n6ral Gage A William Johnson, 7 avril 1766, reproduit dans Alvord et Carter,
supra note 77 bL lap. 212.
‘ 6 Lettre de Gage Croghan, 16 avril 1766, reproduit dans Alvord et Carter, ibid. 4 ]a p. 216. De
l’opinion des 6diteurs, le g6n6raI commettait alors une erreur de fait car ces autochtones auraient oc-
cups le territoire bien avant l’arrive des Frangais (ibid). I1 va de soi que l’erreur de fait n’invalide
pas l’interprdtation du droit du g6n6ral Gage.
“‘ Voir Report of a Committee of the Executive Council, present the Honourable Mr. Smith, Mr.
De Lacy, Mr. Stewart, and Mr. Cochran, on your Excellency’s Reference of the 7th October 1836,
respecting the Indian Department>> dans British North American Provinces, Copies or Extracts of
1995]
A. tMOND – TITRE INDIEN ORIGINAIRE
Ceux-ci avaient exhib6 t l’appui de leur prtention une copie authentique de la
Proclamation de 1763, contresignre par l’agent des affaires indiennes John Johnson
t la demande des Algonquins’38. Au sud de la colonie se trouve la reserve iroquoise
de Saint-Regis, un territoire qui chevauche les fronti~res du Quebec, de New-York
et du territoire indien. On y aurait confmn6 le titre des Iroquois parce que, selon le
surintendant Johnson, <[t]he Indians of St. Regis are descended from the Original
Proprietors, of course [they] have a Right there [... ],139.
La protection de la couronne se manifestait aussi A travers les actes du Conseil
de la Province. L'organisme, charg6 de la gestion du patrimoine de la couronne, de-
vait examiner les requ&es des colons drsirant obtenir des concessions de terres. Il
6tait donc investi du pouvoir d'interprrter les instructions royales relatives aux ter-
res occup6es par les autochtones'". Une copie de tous les journaux du Conseil 6tait
adress~e i Whitehall qui en 6tudiait le contenu"'. Le fait que la m~tropole ne soit
pas intervenue dans ses affaires ne fait que donner plus de poids aux decisions du
Conseil.
Le Conseil de la Province de Quebec s'occupa plus particuli6rement de la p6-
ninsule de Gasp6, une r6gion facile d'acc s, encore peu habitde malgr6 la presence
des Micmacs, et qui suscitait la convoitise des Europrens. Joseph Philibot a 6t6 l'un
d'eux. Avec en poche un arr~t6 en Conseil du roi lui allouant 20 000 acres de terre,
le lieu precis restant A d6terminer' 2, Philibot se rendit en 1766 aupr~s du Conseil de
la Province pour demander son dfi. Il drsigna des terres baignres par la rivi~re Res-
tigouche, dans la Baie des Chaleurs. Le Conseil refusa parce que ces terres 6taient
la proprirt6 des Micmacs, ou revendiqu6es par eux comme telle, et que,
reprises, en 1767 et 1768′”, avant qu’on accede enfin A sa demande, mais cette fois
Correspondence Since 1st April 1835, Between the Secretary of State for the Colonies and the Gover-
nors of the British North American Provinces Respecting the Indians in those Provinces, impression
ordonn~e par la Chambre des communes, 17 juin 1839, r~impression par Canadiana House, Toronto,
1973 aux pp. 27, 32.
1.B Ibid. Voir aussi Johnson (vol. 10), supra note 83 A lap. 985.
m Voir Compte-rendu de la rencontre entre Sir William Johnson et les Indiens du Canada, 6 aofit
1770, reproduit dans Johnson (vol. 12), supra note 90 A lap. 843. I1 semble que Johnson se soit trom-
p6 sur le fondement du droit des Iroquois car la reserve de Saint-Regis leur a 6t6 conc&le par le roi
de France au debut de Ia guerre de Sept Ans (voir Stanley, supra note 11 aux pp. 204-205). Johnson
donne n anmoins une indication du droit applicable.
‘”Voir Shortt et Doughty, supra note 1 lap. 173.
Le secrdtaire du Roi, lord Hillsborough, en faisait lui-m~me ]a lecture (voir Lettre de lord
Hillsborough au ieutenant-gouvemeur Cramah6, 18 avril 1772, R.-U., Public Record Office, docu-
ment C.O. 42/31
lap. 101).
“‘ L’arr&t6 en Conseil porte la date du 18 juin 1766, Archives nationales du Canada, Lower Canada
Land Papers, R.G. 1, L 3 L, vol. 157 A lap. 76977 et s.
“‘ Voir <(Joumal du Conseil de Sa Majest6 pour Ia Province de Qurbec>>, le 23 d~cembre 1766,
R.-U., Public Record Office, C.O. 42/27 A lap. 48.
‘” Voir
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE McGILL
[Vol. 41
pour une terre A Petit-Pasbebiac qui ne souleva pas d’objection des autochtones”‘ .
Le 16 mai 1767, le Conseil refusa une requate semblable pr6sent~e par Hugh Fin-
ley, au nom de quelques Acadiens, pour une autre terre situde dans le bassin de la
Restigouche”<.
Infatigables, les Micmacs poursuivirent entre-temps leurs repr6sentations au-
pr~s de Qu6bec pour qu'on reconnaisse enfin leurs droits, ce qui amena le gouver-
neur Haldimand
transmettre au lieutenant-gouverneur Cox cette instruction les
concemant: <
macs se querellaient continuellement autour de la rivi~re Restigouche. On essaya,
en 1785, de tracer une fronti~re d6partageant les deux camps, mais sans succ~s .
Le gouvemement cr6a alors une commission charg6e d’enqueter sur les griefs des
autochtones. Cox, qui faisait partie de la commission, a estim6 que les Micmacs
n’6taient pas propri~taires des terres qu’ils occupaient, car celles-ci avaient 6t6 con-
c6d6es en seigneurie sous le r6gime frangais. Elles devaient done revenir A la cou-
ronne apr~s le d6part des propri6taires 16gaux en vertu du droit de retrait. II a par
contre jug6 que le droit de peche des Micmacs dans la Restigouche n’avait pas
t6
6teint et ferait done <<[...] l'objet d'un rapport favorable au gouvemeur lord Dor-
chester (Carleton)>>”‘.
De l’autre c6t6 du fleuve Saint-Laurent habitaient les Montagnais. Le regime
6conomique particulier r6gissant leur territoire les a mis A ‘abri de la colonisation
pendant plus d’un demi-si~cle ; suffisamment longtemps pour oublier les promesses
pass6es. Quand le g6ndral Murray demanda A Thomas Ainslie de se rendre aupr~s
des Montagnais des postes de traite de Tadoussac et Chicoutimi, l’un de ses buts
6tait de faire obstacle aux Frangais afin qu’ils n’utilisent pas la voie maritime du
Saguenay pour y faire transiter des vivres et des munitions en direction du Haut-
Canada’ . Les consid6rations de nature commerciale n’6taient toutefois pas absen-
aofit 1768, R.-U., Public Record Office, C.O. 42/27 t lap. 157 et C.O. 42/28 A lap. 554.
” Voir <
Public Record Office, C.O. 42/29 a lap. 20.
,6Voir <
Record Office, C.O. 42/27 A lap. 188.
“’47 Le 16 aofit 1780, Archives nationales du Canada, Haldimand Papers, B-202 A lap. 106. Un peu
plus loin, A la rivi~re Nouvelle, Cox avait aussi promis aux Indiens par 6crit qu’aucune activit6 ni
6tablissement ne serait permis sur cette terre sans un dcrit venant de lui. I1 s’est engag6 ht protdger
leurs droits et privileges en attendant la d6cision du gouvemeur concemant leur r6clamation (voir
Lettre de Cox au gouverneur Haldimand, le 16 aofit 1784, Archives nationales du Canada, Haldi-
nand Papers, B-202 A lap. 186).
” Voir Lettre de Felix O’Hara au gouverneur Haldimand, le 12 septembre 1785, Archives nationa-
les du Canada, Haldimand Papers, B-202 A lap. 222.
“9 Voir Dictionnaire Biographique du Canada, vol. 4 (1771-1800), Qu6bec, Presses de l’Universit6
Laval, 1980 aux pp. 165, 194 sous les noms de <
,’ Voir Fchange entre le lord de la tr6sorie et le receveur-ggn6ral, 10 mars 1766, Archives
nationales du Canada, General Murray’s Letters, MG 23, G II, 1, vol. 3 aux pp. 176-77.
We having been informed that the Posts and places of Resort to which the Indians
[and] Savage Nations used at Stated times of the year to come with their Furs and Pel-
tries were formerly kept as part of the Kings Domain and Estate But that a Lease of the
said Posts and places hath been granted by governor Murray to a Company of Mer-
chants […] acquaint us for His Majestys Information whether in your opinion by the
Continuance of the said Lease the Confidence of the Savages may be gained And their
affections to His Majestys government be conciliated and preserved in the most effec-
tual Manner, or whether the said purposes may not be better Answered and obtained
by opening a free Intercourse of Trade between them [and] the Province [nos italiques].
156 Inquiets des rumeurs courant sur la vente de leurs terres des particuliers, les Montagnais ont
rappel6 au gouverneur Murray la promesse faite par son dmissaire et le sens qu’ils lui ont donn6.
Voici leurs propos, tels que les a rapport6s le p~re Coquart dans une lettre au gouverneur Murray, le
12 mars 1765 aux pp. 1-2:
Sont-ce la les promesses que nous que nous [sic] a fait faire notre pare le Roy
d’Angleterre ; toi, mon p~re [le pere Coquart], tu nous a dis que son intention 6tait de
nous faire jouir des avantages de la paix comme ses autres sujets, nous esprons qu’il
voudra bien nous tenir la parole qu’il nous a fait donner […]
MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 41
Tout en acceptant le principe de l’existence d’un titre indien originaire dans les
anciennes possessions frangaises, les autorit6s britanniques ont n6anmoins modul6
l’application de ce principe en fonction du territoire vis6. Elles ont, en effet, beau-
coup plus facilement reconnu le titre indien au nord et
l’ouest de la colonie de
Qu6bec, tel que l’a d6fini la Proclamation de 1763″‘, qu’t l’int6rieur de ses fronti6-
res. Cette attitude, de la part des autorit6s britanniques, refl6tait l’importance politi-
que des limites territoriales. Rappelons les engagements du roi George III aupr~s
des autochtones qu’aucun 6tablissement europ6en ne serait permis sur le territoire
indien ” . Par cons6quent, la couronne ne pouvait unilat&alement ouvrir de nouvel-
les terres
la colonisation, et ainsi remettre en cause le trac6 des fronti~res, sans du
coup irriter les autochtones et faire courir de graves dangers aux immigrants an-
glais. Par ailleurs, dans les colonies oia les Indiens et les Europ6ens cohabitaient de-
puis plus d’un sicle et demi, cette 6ventualit6 semblait moins probable. La colonie
de Qu6bec, par exemple, avait un rapport d6mographique favorisant les Europ6ens
dans une proportion de dix contre un”9. On comprend alors pourquoi Whitehall n’a
6prouv6 aucun scrupule A favoriser sa colonisation”w. Les autochtones devaient
protester avec v6h6mence pour qu’on daigne les 6couter, et l’interlocuteur anglais
Aujourd’hui notre Pare Le Roy d’Angleterre a fait par Les annes la Conquate de Ce
pays, Ce pays luy appartient done : C’dtaient [sic] des terres que le Roy de france
s’dtait r6serv6es elles appartiennent aujourd’huy h notre Pre le Roy d’Angleterre, qu’il
les prenne done, qu’il se les reserve nous voulons 6tre ses enfants, et nous luy serons
toujours fidles : nous demandons seulement qu’il nous fasse chasser tranquillement et
sans Inqui6tude, que nous n’ayions A r6pondre qu’A luy ou au chef qu’il mettra A Qu6-
bee pour nous gouvemer, mais qu’il ne permette pas que l’on donne ou vende nos
terres a plusieurs particuliers (voir ]a R6f~rence au Fonds d’archives du Conseil ex6cu-
tif, 03Q-E5, art. 11, aux Archives nationales du Qu6bec).
Malgr6 cette lettre, le Conseil de la province demanda tout d’abord aux Montagnais de produire un
titre de propri6t6 (voir M. Ratelle, en collaboration avec le Bureau du coordonnateur aux affaires au-
tochtones, Ministre de l’lnergie et des Ressources, Contexte historique et localisation des Attika-
meeks et des Montagnais de 1760 Li nosjours, vol. 1, Gouvemement du Qu6bec, 1987 aux pp. 39-42).
II semble que le Conseil abandonna son exigence et 6pousa le point de vue des autochtones puisque
ce meme Conseil a plus tard consid&6 que leurs terres 6taient prot6g6es par ]a Proclamation de 1763
(voir Slattery, supra note 11 aux pp. 223-24).
25 Supra note 3 aux pp. 1-2.
258 Supra note 3 aux pp. 4-6. Aussi, les trait6s signfs pour pr6ciser les limites du pays indien pr6-
voyaient que toute modification aux frontires se ferait de consentement mutuel (voir Rapport des
lords du commerce sur les affaires indiennes>>, 7 mai 1768, R.-U., Public Record Office, C.O. 5/69 A
lap. 67).
… En 1763, Ia colonie de Qu6bec comptait environ 75 000 habitants alors que le nombre
d’autochtones recens6s dans ce territoire, encore en 1823, ne d6passait pas 7 000 (voir Ia carte
Canada, autochtones 1823> dans Service d’information de l’Aflas national, Division des services de
g~ographie, Centre canadien de cartographie, tnergie, Mines et Ressources Canada, L’Atlas national
du Canada, 5- &., 1990).
,60 I have only to express the satisfaction it gives me to find, by the variety of applications for land
which appear upon the last minutes of Council Re Conseil de la Province de Quebec], that so great a
spirit for cultivation of the vast lands in the colony has spread itself among His Majesty’s natural born
subjects […]>> (voir Lettre de lord Hillsborough au lieutenant-gouvemeur Cramah6, supra note 141).
1995]
A. EMOND – TITRE INDIEN ORIGINAIRE
se montrait parfois tr~s exigeant avant de leur reconnaitre quelque droit’6 . Nous
convenons donc que les droits des autochtones de la colonie sur leurs terres tribales
traditionnelles n’ont pas toujours 6t6 respect6s, loin de IA. Par ailleurs, il parait in-
discutable que les Britanniques aient reconnu le principe de leur existence et promis
de les prot6ger.
Conclusion
La common law, parce qu’elle prdsume la survie des droits existants suite A
l’av~nement de la souverainet6 britannique, renvoie au droit colonial de la France.
Une analyse de l’ancien droit frangais est par consdquent un pr6alable A toute 6tude
s6rieuse des droits des autochtones de l’est du Canada. Cet aspect de la probl6mati-
que des droits aborigines a pourtant 6t6 n6glig6 par la doctrine, une lacune que
nous avons tent6 bien modestement de combler en d6montrant le s6rieux des re-
vendications autochtones sous le r6gime frangais. Ce s6rieux tient au fait que notre
analyse s’appuie sur le droit commun de la Nouvelle-France plut6t que sur un droit
d’exception ; les autochtones 6tant considd6rs comme de simples sujets du droit
frangais, au meme titre que toute autre personne, sans discrimination, ni statut par-
ticulier en raison de leur condition d’autochtone.
Pouvait-on acqu6rir dans la colonie une propri6t6 par la prescription de trente
ans ? Cela aurait grandement facilit6 l’acquisition d’un droit de propri6t6 car la
Nouvelle-France et l’Acadie ont 6t6 entre les mains de propridtaires priv6s pendant
plusieurs dizaines d’ann6es avant de redevenir des colonies de la couronne. Une
fois 6cartde la prescription trentenaire, il ne reste que celle de cent ans, dite aussi
imm6moriale. Elle permettait d’acqu6rir tant une propri6t6 complete que des usa-
ges. Mais alors, A moins qu’ils ne limitent leurs prdtentions aux terres demeurdes en
possession de particuliers, les autochtones doivent prdtendre avoir prescrit contre la
couronne. Nous pensons pourtant que ce fut le cas, non seulement parce que la ju-
risprudence et une partie de la doctrine frangaise l’ont autrefois admis”, mais aussi
parce que la r~gle de l’inali6nabilit6 perdait sa raison d’etre en Am6rique. En effet,
au contraire de la France m6tropolitaine, oii le roi a cherch6 A mettre un ftein A
l’6rosion de son domaine pour un motif d’int6r& public, l’aventure coloniale par
d6finition impliquait 1’ali6nation des terres des colonies h des particuliers, mme si
.6, Comme cette fois oia le lieutenant-gouvemeur Cox de Gaspd a consid&6r que les autochtones ne
devaient bn~ficier d’aucun traitement pr6fdrentiel :
Four or five Indian families are settled on river Cascapija, one family only claims the
sole right of fishing in said river. I think it an unreasonable claim as the said river is
situated between Tracadigaich and Bonaventura, in the heart of our settlement, and
where the next township in this bay, for the loyalists ought to be laid out, on account of
the said river, and the goodness of the land, therefore said river ought to be […] not
monopolisee, by Savage, Accadian, or any other (voir
Toutes les questions dont nous avons trait6 ont un int&rt actuel car la Cour su-
preme du Canada doit bient6t rendre jugement dans les procs C6′ et Adams”,
deux affaires oi l’on a plaid6 l’existence d’un titre indien originaire dans le tern-
toire de l’ancienne colonie de Qu6bec, ainsi que l’application de la Proclamation de
1763 sur ce territoire. L’enjeu de chacun des procs d6passe la mise des plaideurs
gouvernementaux et autochtones. La Cour pourrait effectivement se prononcer sur
les droits des autochtones sous le r6gime frangais, un r6gime dont on sait qu’il a
r6gi pour un temps la Nouvelle-2cosse et le Nouveau-Brunswick, IA oii les autoch-
tones n’ont pas encore sign6 de trait6s de cession. Par ailleurs, si la Cour en venait
la conclusion que la common law concernant le titre indien s’applique aux terres
anciennement sous juridiction frangaise, les deux provinces maritimes seront 6ga-
lement affect6es. L’impact des jugements C6tj et Adams se fera aussi sentir ailleurs
au Qu6bec. Les nations Algonquine, Micmac, Attikamek et Montagnaise sont bien
stir concern6es, elles qui vivent toujours sur leurs anciennes terres tribales. Elles
peuvent invoquer tant la common law que la Coutume de Paris au soutient de leurs
pr6tentions. Quant aux autochtones immigrants, Mohawks, Ab6nakis ou Hurons
vivant sur les vieilles terres de mission, ils peuvent eux aussi pr6tendre avoir des
droits hors de leur r6serve, mais cette fois uniquement en vertu du droit coutumier
frangais.
Voir
lap. 82 ci-dessus.
‘uVoir C6t, supra note 8.
’65Voir Adans, supra note 114.