Faut-il rformer le systme de larbitrage
de griefs au Qubec ?
Grard Notebaert*
Le prsent
article vise
Au cours des dernires annes, le rle des arbitres
de griefs sest profondment transform en raison de
lvolution de la jurisprudence de la Cour suprme du
Canada, qui a eu pour effet daccrotre considrablement
leur champ de comptence et de consacrer le caractre
quasi exclusif de leur juridiction. Or, si le mode de
fonctionnement de ces tribunaux arbitraux pouvait
convenir la rsolution de litiges de nature purement
prive, certains prtendent que tel ne serait plus le cas
face aux nouvelles responsabilits juridictionnelles que
doivent dsormais assumer les arbitres de griefs.
tudier cette
problmatique. Lauteur dresse dabord un bref
historique du systme darbitrage qubcois, avant de
procder lexamen de certains aspects du rgime
darbitrage actuel qui se rvlent problmatiques.
Lauteur note que le rgime darbitrage, tel quil existe
soulve dimportants
actuellement
problmes
lindpendance institutionnelle des arbitres de griefs,
quant lexpertise des arbitres dans les nouveaux
champs de comptence qui leurs sont attribus et quant
laccessibilit au systme en raison des cots
quimplique son utilisation pour les associations de
salaris. Finalement, lauteur value la pertinence de
crer une commission nationale darbitrage, qui aurait
comptence sur lensemble des arbitres de griefs, afin
dadapter le rgime actuel au contexte juridique
contemporain. Limplantation dune telle commission
garantirait lindpendance institutionnelle du tribunal
darbitrage en assurant linamovibilit, la scurit
financire et lindpendance administrative des arbitres
de griefs. Elle permettrait en outre de corriger certains
travers du systme actuel en rduisant les dlais et les
cots du rgime par une meilleure gestion des dossiers.
au Qubec,
systmiques,
notamment
quant
In recent years,
the role of arbitrators of
grievances has changed profoundly due to the Supreme
Court of Canadas evolving jurisprudence, which has
considerably broadened the scope of competence of
such arbitrators while upholding the quasi-exclusive
nature of their jurisdiction. Though arbitral tribunals
may have been appropriate in the past for resolving
disputes of
a purely private nature, certain
commentators now claim that the recent expansion of
their jurisdictional responsibilities no longer makes that
the case.
This article aims to examine the above claim. The
author initially provides a brief historical account of
Quebecs arbitration regime before identifying some of
its problematic aspects. The author notes that the
regime currently suffers from a number of systemic
the
problems
institutional
the
expertise of those arbitrators within their new areas of
jurisdiction, and
for employee
associations given the high costs associated with its use.
Finally, the author evaluates the usefulness of creating a
that would have
national arbitration commission
competence over all arbitrators
in the province,
enabling it to adapt the present regime in accordance
with Quebecs contemporary juridical context. Such a
commission would
institutional
independence of arbitral tribunals by ensuring the
permanence, financial security, and administrative
independence of its arbitrators. It would also help
remedy certain inadequacies of the present system by
reducing delays and costs
the better
management of cases.
to
its arbitrators,
relating, among other
independence of
its accessibility
guarantee
things,
the
through
* Avocat, Pepin et Roy, avocat-e-s (Service juridique de la CSN), candidat la matrise en droit du
travail, Facult de science politique et de droit, Universit du Qubec Montral. Lauteur tient
remercier Me Jacques Desmarais pour la richesse et la qualit de son enseignement.
Grard Notebaert 2008
Mode de rfrence : (2008) 53 R.D. McGill 103
To be cited as: (2008) 53 McGill L.J. 103
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
104
Introduction
I. Lhistoire des tribunaux darbitrage au Qubec
A. Quelques repres lgislatifs
B. Laccroissement du champ de comptence
C. Laffirmation dune exclusivit juridictionnelle
D. Un tribunal priv au service de lintrt public
II. Trois aspects problmatiques du systme darbitrage
actuel
A. Lindpendance institutionnelle
B. Le champ dexpertise
C. Laccs la justice
Conclusion
[Vol. 53
105
107
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2008] G. NOTEBAERT SYSTME DE LARBITRAGE DE GRIEFS AU QUBEC 105
Introduction
Les 1er et 2 fvrier 2007 se tenait St-Hyacinthe le Colloque Grard Picard
intitul Vers un arbitrage public de qualit et accessible. Organis par la
Confdration des syndicats nationaux suite aux rsolutions adoptes lors de son
soixante-unime congrs, ce colloque, qui a runit prs de sept cents personnes
agissant titre de reprsentants syndicaux, professeurs, chercheurs, arbitres de griefs,
membres de tribunaux administratifs, conseillers en relations industrielles, mdiateurs
et conciliateurs, avait pour but dacqurir une vision globale et diversifie de
lensemble du processus de rglement des litiges au Qubec et de dgager des
propositions de rforme soumettre aux syndicats affilis. Cette rencontre a ainsi
donn loccasion plusieurs intervenants avertis du milieu du travail de faire le point,
une fois de plus1, sur ltat du rgime darbitrage qubcois. Au cours de ce colloque,
plusieurs orateurs ont dplor le fait que le rgime darbitrage actuellement en
vigueur ne permet pas aux arbitres de griefs de remplir adquatement le mandat que
leur a confi le lgislateur, ni aux salaris dobtenir une justice rapide et de qualit. Le
but du prsent article est de rflchir cette problmatique.
Si le thme abord au cours de ce colloque ntait pas nouveau en soi, le contexte
dans lequel sinscrit aujourdhui son analyse est indit, parce que le rle des arbitres
de griefs sest profondment transform au cours des dernires annes en raison de
lvolution de la jurisprudence de la Cour suprme du Canada, qui a eu pour effet
daccrotre considrablement le champ de comptence des arbitres et de consacrer le
caractre quasi exclusif de leur juridiction. Or, si le mode de fonctionnement de ces
tribunaux pouvait convenir la rsolution de litiges de nature purement prive,
certains prtendent que tel ne serait plus le cas face aux nouvelles responsabilits
juridictionnelles que doivent dsormais assumer les arbitres de griefs. Gilles Trudeau
considre en effet que les nouvelles attributions que la Cour suprme a
graduellement confies la comptence des tribunaux darbitrage remettent en cause
les fondements mmes de son fonctionnement2.
1 Cette rflexion a dj t faite lors de colloques prcdents. Voir notamment Grard Dion, dir., Les
tribunaux du travail. Seizime Congrs des relations industrielles de lUniversit Laval tenu du 10 au
11 avril 1961 Qubec, Sainte-Foy (Qc), Presses de lUniversit Laval, 1961 ; La mdiation pr-
arbitrale en matire de conflits de droits (griefs) : Textes des exposs prsents la journe dtude de
lcole de relations industrielles de lUniversit de Montral tenue Montral le 11 mars 1983,
Montral, cole de relations industrielles de lUniversit de Montral, 1983 [Mdiation] ; Michel
Brossard, dir., Le point sur larbitrage des griefs : Vingt et unime colloque relations industrielles
1990, Montral, cole de relations industrielles de lUniversit de Montral, 1991.
2 Gilles Trudeau, Larbitrage des griefs au Canada : Plaidoyer pour une rforme devenue
ncessaire, Colloque Grard Picard : Vers un arbitrage public de qualit et accessible, Saint-
Hyacinthe, 1er fvrier 2007 la p. 3 [non publi] [Trudeau, Arbitrage]. Ce texte constitue une mise
jour dune premire version publie. Voir Gilles Trudeau, Larbitrage de griefs au Canada : Plaidoyer
pour une rforme devenue ncessaire, (2005) 84 R. du B. can. 249 [Trudeau, Plaidoyer].
linamovibilit,
la scurit
[Vol. 53
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
106
Pour corriger cette situation et adapter le rgime actuel au contexte juridique
contemporain, certains proposent la cration dune commission nationale darbitrage.
Cet organisme, qui aurait comptence sur lensemble des arbitres de griefs, serait
notamment responsable de veiller la mise sur pied de ladministration des tribunaux
darbitrage, dlaborer des moyens pour amliorer leur fonctionnement, dtablir des
moyens de consultation afin de favoriser une plus grande cohsion des sentences
arbitrales, de faire des reprsentations en ce qui concerne la nomination et le
renouvellement des arbitres et de sassurer que ces derniers excutent leur fonction en
conformit avec les politiques et directives tablies par la commission. Les membres
du tribunal darbitrage seraient nomms pour des mandats renouvelables de cinq ans
et leur rmunration proviendrait en partie des utilisateurs et en partie de ltat.
Limplantation dune telle commission garantirait lindpendance institutionnelle du
tribunal darbitrage en assurant
financire et
lindpendance administrative des arbitres de griefs. Elle permettrait en outre de
corriger certains travers du systme actuel en rduisant les dlais et les cots du
rgime par une meilleure gestion des dossiers.
Dautres, comme Franois Hamelin, considrent au contraire que lexprience
des trente dernires annes sest rvle plus que concluante : les tribunaux
darbitrage ont fonctionn sans arrt avec une clrit suprieure et ingale, des
cots moindres et une judiciarisation minimale. Les arbitres ont en outre acquis une
expertise prouve et confirme par lacceptabilit des parties3. Ainsi, la situation
contemporaine ne justifierait aucunement la remise en question du systme actuel.
Le prsent article vise donc tudier cette problmatique. Nous partons de
lhypothse selon laquelle le rgime darbitrage, tel quil existe actuellement au
Qubec, doit effectivement tre rform, parce que son mode de fonctionnement
soulve dimportants problmes systmiques. Ces problmes ont trait notamment
lindpendance institutionnelle des arbitres de griefs, leur expertise dans les
nouveaux champs de comptences qui leur sont attribus et leur accessibilit en
raison des cots quimplique son utilisation pour les associations de salaris.
Pour mener terme notre rflexion, nous dresserons, dans un premier temps, un
bref historique du systme darbitrage qubcois en soulignant lvolution qua subie
cette institution au cours des dernires dcennies. Dans un deuxime temps, nous
examinerons certains aspects du rgime darbitrage actuel qui nous semblent
problmatiques dans la mesure o ils sont susceptibles de compromettre la capacit
mme des arbitres de griefs de remplir convenablement leur mission premire, qui
consiste encore, faut-il le rappeler, assurer un rglement rapide, dfinitif et
excutoire des diffrends rsultant de linterprtation et de lapplication dune
3 Franois Hamelin, Une commission nationale darbitrage : vraiment pas une bonne ide !,
Colloque Grard Picard : Vers un arbitrage public de qualit et accessible, Saint-Hyacinthe, 2 fvrier
2007 la p. 36 [non publi].
2008] G. NOTEBAERT SYSTME DE LARBITRAGE DE GRIEFS AU QUBEC 107
convention collective4. Nous tcherons en outre dvaluer la pertinence de crer une
commission nationale darbitrage.
En guise de conclusion, nous apprcierons le bien-fond de notre hypothse de
dpart en tchant de rpondre la question titre de notre texte : faut-il rformer le
systme de larbitrage de griefs au Qubec ?
I. Les tribunaux darbitrage au Qubec
A. Quelques repres lgislatifs
En 1901, avec ladoption de la Loi des diffrends ouvriers5, le gouvernement met
la disposition des patrons et des employs un mcanisme darbitrage volontaire
permettant aux parties de rgler lamiable les diffrends qui naissent de leurs
liens contractuels. La notion de diffrend est alors dfinie de faon trs large
puisquelle englobe tout litige relatif la ngociation, lapplication ou au
renouvellement de la convention collective6. La sentence arbitrale nest pas
excutoire, mais les parties peuvent, en tout temps avant la reddition de la
dcision7, convenir den accepter les conclusions8. Le lgislateur reconnat ainsi
pour la premire fois quune convention collective peut devenir source de droit pour
les salaris, la sentence arbitrale crant un titre de droit permettant chaque
travailleur de saisir les tribunaux judiciaires civils pour en faire sanctionner le non-
respect par lemployeur9.
Un greffe des conseils de conciliation et darbitrage est cr10. Le tribunal
darbitrage est compos de trois membres nomms par le gouvernement : un premier
sur la recommandation des employs, un second sur la recommandation des patrons
et un troisime nomm par le lieutenant-gouverneur en conseil11. Les membres du
conseil de conciliation et darbitrage sont nomms pour un mandat de deux ans12 et
rmunrs mme le Fonds consolid du revenu de la province13. Dans le cadre de
lexercice de sa comptence, le conseil doit dcider du diffrend suivant lquit et la
4 Heutis c. Commission dnergie lectrique du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 768 la p.
781, 98 D.L.R. (3e) 622.
5 S.Q. 1901, c. 31.
6 Ibid., art. 3(1). Un diffrend ne peut nanmoins tre soumis au conseil darbitrage sil y a moins de
dix employs intresss dans le litige.
7 Ibid., art. 23.
8 Voir Rodrigue Blouin, La juridiciarisation de larbitrage de grief, Cowansville (Qc), Yvon Blais,
1996 la p. 11 [Blouin, Juridiciarisation].
9 Voir ibid. la p. 12.
10 Supra note 5, art. 4.
11 Ibid., art.15(3)-(4).
12 Ibid., art.15(8).
13 Ibid., art.15(14).
Si
[Vol. 53
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
108
bonne conscience14, ntant daucune faon li par les rgles de la procdure civile15.
Jusquen 1922, la Loi sur les diffrends ouvriers interdit formellement aux parties
dtre reprsentes par des avocats ou par des agents rtribus16.
linstauration de ces conseils darbitrage constituait une alternative
prometteuse pour rgler les conflits de travail autrement que par la grve, cette
initiative na pas connu le succs escompt, notamment parce que les procs civils
savraient trop longs et coteux pour les ressources financires limites des salaris.
Les associations ouvrires ne pouvaient en effet agir en justice que pour la dfense de
leurs propres affaires, nayant pas encore la capacit dester au nom de leurs
membres. Ce ne fut quen 1932 que la loi fut modifie dans le but de permettre aux
syndicats dexercer au nom de leurs membres les droits et recours qui naissent de la
convention collective, avec droit dintervention du salari qui a des intrts opposs
ceux du syndicat17. La Loi des diffrends ouvriers est toutefois dune importance
remarquable parce quelle a introduit linstitution arbitrale comme mode privilgi de
rglement des conflits de travail au Qubec.
Proccup par lexplosion des conflits de travail suivant la Premire Guerre
mondiale18, ltat qubcois ne veut plus rester passif face aux grves qui perturbent
lordre social et le bon fonctionnement des entreprises de services publics. Aussi,
avec ladoption, en 1921, de la Loi des grves et contre-grves municipales19, le
lgislateur impose larbitrage obligatoire avant que ne puissent tre dclars une
grve ou un lock-out dans les services publics municipaux20. En plus de prvoir de
svres amendes en cas de contravention ses dispositions, la loi autorise [l]es
arbitres, dans leur discrtion, [ dterminer], en rendant leur dcision, quelle est la
partie qui doit supporter les frais de larbitrage21. Comme le note Rodrigue Blouin,
[c]ette premire brche qubcoise au non-interventionnisme tatique est amplement
utilise par la suite par ceux qui veulent soustraire les conflits de droit du contentieux
de lexercice des moyens de pression conomique22. En 1932, le gouvernement
14 Ibid., art. 21.
15 Voir Blouin, Juridiciarisation, supra note 8 la p. 11.
16 Supra note 5, art. 25.
17 Blouin, Juridiciarisation, supra note 8 la p. 15. Les auteurs se rfrent la Loi modifiant la Loi
des syndicats professionnels, S.Q. 1930-31, c. 98, art. 4.
18 Au cours de lanne 1919, on compte quatre-vingt-un dbrayages au Qubec. Le mouvement
dbute en 1918 par la grve des cols bleus, des policiers et des pompiers de Montral et se poursuit en
1919 par la grve des employs de lAqueduc de Montral, laquelle perturbe lapprovisionnement en
eau potable de la ville (Confdration des syndicats nationaux et Centrale de lenseignement du
Qubec, Histoire du mouvement ouvrier au Qubec : 150 ans de luttes, Montral, CSN-CSQ, 1984
aux pp. 96-97).
19 S.Q. 1921, c. 46.
20 Ibid., art. 2520(o)(d).
21 Ibid., art. 2520(o)(o).
22 Blouin, Juridiciarisation, supra note 8 la p. 13.
2008] G. NOTEBAERT SYSTME DE LARBITRAGE DE GRIEFS AU QUBEC 109
imposera larbitrage obligatoire aux entreprises dutilit publique23, puis, en 1939,
aux institutions dassistance publique reconnues24.
En 1924, avec la Loi des syndicats professionnels25, les associations syndicales
obtiennent la reconnaissance de leur personnalit juridique. Elles peuvent ds lors
ester en justice26. La convention collective, de simple gentlemens agreement, devient
un contrat synallagmatique en bonne et due forme, liant ses signataires et dont la
transgression donne ouverture tous les droits et recours tablis par la loi pour la
sanction des obligations27.
En 1944, avec ladoption de la Loi instituant une Commission de relations
ouvrires28, le lgislateur pose les bases du rgime de reprsentation collective tel
quon le connat encore aujourdhui au Qubec29. Pour la premire fois, le lgislateur
distingue clairement le grief, conflit de droit, du diffrend, conflit dintrts. Ces deux
types de litiges sont cependant encore soumis au mme mode de rglement puisque,
dans les deux cas, une grve ou un lock-out demeure interdit tant que le syndicat na
pas fait les procdures voulues pour la conclusion dune convention collective et quil
ne sest pas coul quatorze jours depuis la rception, par le ministre du travail, dun
rapport du conseil darbitrage sur le diffrend30 ou encore, tant que le grief na pas
t soumis larbitrage en la manire prvue dans ladite convention, […], et que
quatorze jours ne se sont couls depuis que la sentence a t rendue sans quelle ait
t mise effet31.
Suite ladoption de cette loi, samorce un dbat juridique qui durera plusieurs
dcennies quant lopportunit de maintenir une procdure darbitrage de griefs
fonde sur les principes de lquit et de la bonne conscience comme en matire
de diffrend ou plutt de lui substituer une fonction juridictionnelle proprement
juridique, axe sur linterprtation et lapplication strictes du contrat de travail. Pour
certains, considrant que la sentence arbitrale ntait pas (encore) excutoire entre les
parties, il semblait plus opportun que larbitre continue juger en quit, de faon
inciter les parties accepter sa recommandation plutt que de dclencher une grve
23 Loi concernant les enqutes en matire de diffrends industriels, S.Q. 1932, c. 46.
24 Loi relative larbitrage des diffrends entre certaines institutions de charit et leurs employs,
S.Q. 1939, c. 60. En vertu de lart. 7, le rapport du conseil darbitrage ne lie cependant pas le ministre.
25 S.Q. 1923-24, c. 112.
26 Ibid., art. 5.
27 Ibid., art. 18. Voir aussi ibid., art. 15-16 ; Jean-Paul Lalancette et Richard Auclair, Larbitrage des
griefs conserve-t-il toujours un intrt ? dans Rodrigue Blouin, dir., Vingt-cinq ans de pratique en
relations industrielles au Qubec, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 1990, 541 la p. 543.
28 S.Q. 1944, c. 30 [LCRO].
29 Voir Rodrigue Blouin, Lapport de lquit en contexte darbitrage de grief dans Gilles Trudeau,
Guylaine Valle et Diane Veilleux, dirs., tudes en droit du travail la mmoire de Claude DAoust,
Cowansville (Qc), Yvon Blais, 1995, 25 la p. 29 [Blouin, quit].
30 LCRO, supra note 28, art. 24(1).
31 Ibid., art. 24(2).
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
110
au terme du dlai de grce de quatorze jours32. Dans le cadre dun dbat relatif
lopportunit de crer des tribunaux du travail, Benoit Yaccarini crivait, en 1949 :
[Vol. 53
[D]evant les tribunaux ordinaires, o la procdure est coteuse, touffue et
formaliste, il est loisible tout plaideur de faire traner toute instance en
longueur et quand une des parties est de mauvaise foi, de faire jouer en sa
faveur toutes les exceptions de la procdure avant le prononc du jugement. Il
est vident que louvrier qui rclame la reconnaissance et lexcution dun droit
contre son employeur, par exemple le payement dun salaire auquel il prtend
avoir droit, ne peut saccommoder de pareilles procdures et, trs souvent, les
frais levs quil doit dfrayer pour linstance linciteront y renoncer
davance.
Dailleurs, en supposant mme que malgr toutes ces difficults, il se
dcide introduire linstance, il court souvent le risque, vu la mentalit
professionnelle des magistrats des Cours ordinaires, de ne pas voir sa cause
instruite et juge selon le caractre particulier propre la lgislation ouvrire.
La seule justice que reconnat le juge ordinaire nest pas la justice morale, mais
celle quon dnomme la justice lgale, cest–dire celle qui dcoule de
linterprtation stricte de la loi. Or, une des principales fonctions du juge du
travail est, […] de tenir compte de la morale, de juger en quit, et ce, en
prsence ou en absence de textes formels de lois33.
Dautres considraient au contraire que si la procdure approprie pour disposer
dun diffrend doit incontestablement se fonder sur lquit et la bonne conscience, il
en va tout autrement lorsquun arbitre doit disposer dun grief. Selon les tenants de
cette approche, le tribunal doit alors sen tenir une application stricte et rigoureuse
de la rgle de droit. Louis-Philippe Pigeon, partisan de cette seconde ligne de pense,
justifiait ainsi sa position en 1954 :
mon avis, il faudra en venir adopter pour larbitrage des griefs, une
procdure diffrente de celle qui est tablie pour larbitrage des conflits
dintrts. Les problmes rsoudre ne sont pas du tout les mmes dans les
deux cas. Quand un employeur et un syndicat ouvrier ne russissent pas
sentendre sur les conditions dune convention collective de travail conclure,
le conflit est essentiellement dordre conomique. Il sagit de porter un
jugement sur des chelles de valeur. Dans un rgime de libert, il sagit bien
plus dun travail de conciliation que dun vritable arbitrage. Au contraire,
lorsquil sagit de statuer sur linterprtation ou lapplication dune convention
collective, le litige, tout en ayant des aspects conomiques, est essentiellement
32 Voir Blouin, quit, supra note 29 la p. 30. Lauteur cite notamment Marie-Louis Beaulieu,
Lgislation du travail (1948) 8 R. du B. 53 aux pp. 61-62 ; Roger Chartier, Lgislation du travail,
libert, peur et conflit (1958) 13 R.I. 254 la p. 264.
33 Benoit Yaccarini, Les tribunaux du travail en gnral et dans la Province de Qubec (1949) 9 R.
du B. 379 aux pp. 383-384.
2008] G. NOTEBAERT SYSTME DE LARBITRAGE DE GRIEFS AU QUBEC 111
juridique. Une norme a t dfinie par un contrat qui fait la loi des parties, il
sagit tout simplement den fixer le sens et den faire lapplication aux faits34.
Lapproche prconise par le juge Pigeon simposera graduellement comme
mode unique de rglement des griefs au Qubec, le recours lquit et la bonne
conscience tant peu peu rserv aux seules procdures darbitrage de diffrends35.
En 1961, avec ladoption de la Loi modifiant la Loi des relations ouvrires36, non
seulement le recours larbitrage obligatoire de tout grief simpose-t-il dsormais,
mais la sentence arbitrale qui en rsulte devient excutoire entre les parties, le recours
la grve tant depuis cette poque formellement interdit pendant la dure de la
convention collective.
En 1964, le lgislateur adopte le Code du travail37. Ce dernier ne contient
cependant que cinq dispositions relatives larbitrage de griefs, lesquelles se
contentent de raffirmer les principes du caractre obligatoire de la procdure de
griefs et du caractre excutoire de la sentence arbitrale. Dans le cadre des
discussions pralables ladoption de cette loi, le gouvernement manifeste nanmoins
sa ferme intention de mettre sur pied un mode original de justice arbitrale, organis
par et pour les intervenants du milieu. Il renonce ainsi son projet initial de confier
une division de la Cour provinciale la juridiction sur le grief et dimposer une
procdure fonde sur les dispositions du Code de procdure civile38. Dans le cadre du
rgime envisag, larbitre devrait limiter son intervention laire juridictionnelle qui
lui rsulte du texte tel que ngoci39 ; il devrait disposer du grief selon un mode de
fonctionnement accessible, rapide et raliste et selon un processus caractris par la
visibilit, la simplicit et la clrit40. La sentence arbitrale devrait enfin tre
dapplication facile, ce qui prsume quelle doit tre prononce dans des dlais
acceptables […] De plus ce rgime de justice prive ne pourra qutre efficace, cest-
-dire accessible, diligent et raliste41.
Malgr laffirmation de ces principes, la pratique de larbitrage continue de se
judiciariser. Aussi, en 1969, fortement critiqu en raison de lattachement trop
troit de la justice arbitrale la justice traditionnelle, le lgislateur tente de rsorber
34 Les rles futurs de larbitrage statutaire et de larbitrage conventionnel dans Le rglement des
conflits de droit. Neuvime congrs des relations industrielles de Laval, Qubec, Presses de
lUniversit Laval, 1954, 59 la p. 64.
35 Sauf en matire disciplinaire, o le lgislateur intervient en 1977 afin de maintenir la norme
dquit (Loi modifiant le Code du travail et la Loi du ministre du Travail et de la Main-duvre,
L.Q. 1977, c. 41, art. 48 [Loi modifiant le Code du travail, 1977]).
36 S.Q. 1960-61, c. 73.
37 S.Q. 1964, c. 45, rvise dans L.R.Q. c. C-27.
38 Voir Blouin, Juridiciarisation, supra note 8 la p. 35.
39 Voir ibid. la p. 36.
40 Voir ibid. la p. 37.
41 Voir ibid.
[Vol. 53
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
112
le problme en excluant les juges de la Cour provinciale du champ de la pratique
arbitrale42.
En 1977, dans le cadre dune importante rforme du Code du travail43, le
lgislateur introduit plus de vingt-cinq dispositions visant encadrer lensemble du
processus arbitral. Cette rforme raffirme les objectifs de diligence et daccessibilit
du rgime, prcise le champ juridictionnel de larbitre de griefs, nonce ses
obligations et renforce ses pouvoirs. Les nouvelles dispositions consacrent en outre le
statut dorganisme quasi judiciaire de ce tribunal administratif en confrant une
valeur judiciaire accrue la sentence arbitrale44.
Dans la version originale de son projet de loi, le gouvernement proposait
dintroduire une disposition prvoyant que larbitre de griefs devait rendre sa dcision
selon la rgle de droit. Au cours des dbats tenus en Commission parlementaire, les
centrales syndicales sopposrent farouchement cette initiative. Messieurs Norbert
Rodrigue et Yvon Charbonneau dclaraient :
Nous demandons […] la suppression de lexpression selon la rgle de droit
dans tout le mcanisme darbitrage pour la remplacer par lexpression selon
lquit et la bonne conscience. Nous croyons que les mcanismes darbitrage
dans les conventions collectives doivent tre dpouill[s] au maximum du
formalisme juridique, et nous ne nous expliquons pas […] lexpression selon la
rgle de droit dont nous nous sommes passs fort bien jusqu maintenant45.
Face lopposition des chefs syndicaux, la disposition fut finalement retire du
projet de loi. En 1985, la Commission consultative sur le travail et la rvision du
Code du travail reviendra la charge en proposant que le Code du travail soit
amend afin que soit tabli clairement que la procdure darbitrage ne doit pas tre
formaliste […]46. Aucune suite ne fut donne cette recommandation.
Enfin, en 198347, 199148, 199449, 199950 et 200151, des modifications ponctuelles
et de nature technique seront apportes aux dispositions du Code du travail relatives
42 Voir ibid. la p. 38. Voir aussi Loi modifiant de nouveau la Loi des tribunaux judiciaires, L.Q.
1969, c. 19, art. 5.
43 Loi modifiant le Code du travail, 1977, supra note 35.
44 Voir Blouin, Juridiciarisation, supra note 8 la p. 41.
45 Qubec, Assemble nationale, Commission permanente du travail, de la main-duvre et de
limmigration, tude du projet de loi no 45 Loi modifiant le Code du travail et la Loi du ministre
du Travail et de la Main d-uvre (2) dans Journal des dbats. Commissions parlementaires, vol. 19,
no 234 (10 novembre 1977) la p. B-7422, tel que cit dans Blouin, quit, supra note 29 la p.
34.
46 Qubec, Le travail : une responsabilit collective. Rapport final de la Commission consultative
sur le travail et la rvision du Code du travail, Qubec, Publications du Qubec, 1985 la p. 255
(Prsident : Ren Beaudry).
47 Loi modifiant le Code du travail et diverses dispositions lgislatives, L.Q. 1983, c. 22, art. 61-86
[Loi modifiant le Code du travail, 1983].
48 Loi modifiant la Loi sur le Conseil consultatif du travail et de la main-duvre et dautres
dispositions lgislatives, L.Q. 1991, c. 76, art. 4.
2008] G. NOTEBAERT SYSTME DE LARBITRAGE DE GRIEFS AU QUBEC 113
larbitrage de griefs, lesquelles nauront cependant pas pour effet de transformer de
faon importante le rgime darbitrage en vigueur, si ce nest labolition, en 1983, de
lobligation de recourir au tribunal darbitrage trois membres52.
Larbitre de griefs exerce donc aujourdhui une fonction rellement quasi
judiciaire et il prside un vritable tribunal spcialis. Ainsi, en vertu des articles 100
102 du Code du travail, tout grief doit tre soumis larbitrage. Larbitre doit alors
procder linstruction du grief selon la procdure et le mode de preuve quil juge
appropris, sauf disposition contraire de la convention collective. Il doit respecter les
rgles fondamentales de la justice en assurant aux parties leur droit dtre entendues
et de faire valoir leurs arguments. Il doit rendre une sentence crite, motive et fonde
sur la preuve recueillie lors de larbitrage. La convention collective lui refuse
gnralement le droit de modifier le texte de la convention collective, si bien quil
doit limiter son intervention lapplication stricte de la norme conventionnelle
convenue entre les parties, sauf en matire disciplinaire o il peut substituer la
dcision patronale la solution qui lui parat juste et raisonnable compte tenu des
circonstances de laffaire dont il est saisi. Les rgles dadministration de la preuve
applicables devant larbitre sont essentiellement les mmes quen matire civile.
Suivant la demande dune partie, ou de sa propre initiative, larbitre peut aussi
assigner des tmoins ou encore contraindre une personne qui refuse de comparatre
tmoigner ou produire un document. Il peut interprter ou appliquer une loi ou un
rglement, dans la mesure o il est ncessaire de le faire pour disposer dun grief,
fixer les modalits de remboursement dune somme quun employeur a verse en trop
un salari, ordonner le paiement dun intrt sur les sommes dues en vertu de sa
sentence et rendre toute dcision, y compris une ordonnance provisoire, de nature
sauvegarder les droits des parties. La sentence arbitrale est finale et sans appel et elle
est protge par une clause privative tanche.
De ce bref historique lgislatif, il faut retenir que la justice arbitrale a
originairement t mise sur pied pour permettre aux parties de rgler les griefs qui
naissent de la convention collective selon un mode de fonctionnement accessible,
rapide et raliste, prenant en considration le contexte particulier dans lequel sinscrit
un litige. Afin dassurer une justice adapte aux particularits du monde du travail, les
avocats furent lorigine exclus du processus et les arbitres devaient disposer des
litiges dont ils taient saisis selon lquit et la bonne conscience. Au fil des ans, le
rgime darbitrage de griefs sest toutefois peu peu transform pour devenir une
institution monopolise par les professionnels du droit. Le tribunal darbitrage est
devenu un forum de plus en plus loign des salaris et qui procde plus souvent
quautrement selon une procdure empreinte dun formalisme propre aux tribunaux
49 Loi modifiant le Code du travail, L.Q. 1994, c. 6, art. 25-26.
50 Loi concernant lharmonisation au Code civil des lois publiques, L.Q. 1999, c. 40, art. 59.
51 Loi modifiant le Code du travail, instituant la Commission des relations du travail et modifiant
dautres dispositions lgislatives, L.Q. 2001, c. 26, art. 49-53.
52 Loi modifiant le Code du travail, 1983, supra note 47, art. 62.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
114
de droit commun. Aussi, comme le note Rodrigue Blouin, lvolution a dnatur la
fonction arbitrale53.
[Vol. 53
B. Laccroissement du champ de comptence
Un des traits dominants de lvolution laquelle fait rfrence Rodrigue Blouin
est sans aucun doute laccroissement considrable du champ de comptence de
larbitre de griefs. En effet, il y a quelques annes seulement, la comptence de ce
dernier se limitait linterprtation et lapplication des seules dispositions de la
convention collective. Pour quun arbitre puisse trancher un litige soumis son
attention, encore fallait-il que le sujet sur lequel portait la msentente fasse lobjet de
stipulations expresses et que les signataires de la convention collective acceptent
dattribuer comptence au forum arbitral54. Peu peu, au gr des jugements manant
de la Cour suprme du Canada, le champ de comptence de larbitre de griefs sest
toutefois considrablement largi.
En effet, en 1969, la Cour crit quun arbitre de griefs ne dispose, en matire
disciplinaire, que des seuls pouvoirs qui lui sont expressment confrs par la
convention collective55. En 1975, dans laffaire McLeod c. Egan56, la Cour franchit un
pas important en reconnaissant que le droit dun employeur de grer son entreprise et
de diriger son personnel est subordonn non seulement aux dispositions explicites de
la convention collective, mais galement aux droits gnraux reconnus aux employs
par la loi. Peu importe les normes conventionnelles, aucun employeur ne peut droger
aux dispositions dordre public de la lgislation sur le travail. En rponse ce
jugement, le lgislateur qubcois adopte le paragraphe (a) de larticle 110.12 du
Code du travail qui prvoit explicitement que larbitre de griefs est investi du pouvoir
dinterprter et dappliquer une loi dans la mesure o il est ncessaire de le faire pour
disposer dun grief57.
En 1986, dans laffaire St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. Ltd. c. Section
locale 219 du Syndicat canadien des travailleurs du papier58, la Cour estime que
larbitre de griefs dtient la comptence requise pour trancher un litige impliquant
lapplication des rgles de la responsabilit civile et pour disposer dune demande de
53 Blouin, quit, supra note 29 la p. 34.
54 Voir Jean-Denis Gagnon, La comptence de larbitre de griefs en droit du travail : Accroissement
dun domaine rserv (1997) 57 R. du B. 173.
55 Voir Port Arthur Shipbuilding Company c. Arthurs, [1969] S.C.R. 85, 70 D.L.R. (2e) 693 [Port
Arthur].
56 [1975] 1 R.C.S. 517 la p. 523, 46 D.L.R. (3e) 150 [McLeod]. La Cour suprme ritra ce
principe en 1986 dans le cadre dun litige relatif au rgime lgislatif rgissant lindustrie de la
construction au Qubec. Voir Qubec (Commission de lindustrie de la construction) c. Commission
de transport de la Communaut urbaine de Montral, [1986] 2 R.C.S. 327, 31 D.L.R. (4e) 641.
57 Voir Claude H. Foisy, Juridiction de larbitre de griefs interprter et appliquer les lois dans
Dveloppements rcents en droit du travail, 1992, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 1992, 69 la p. 70.
58 [1986] 1 R.C.S. 704, 28 D.L.R. (4e) 1 [St. Anne Nackawic avec renvoi aux R.C.S.].
2008] G. NOTEBAERT SYSTME DE LARBITRAGE DE GRIEFS AU QUBEC 115
dommages-intrts loge par un employeur contre un syndicat suite un dbrayage
illgal. Le rle de larbitre ne se limite donc plus linterprtation et lapplication
des seules dispositions de la convention collective.
En 1995, dans les affaires Weber c. Ontario Hydro59 et Nouveau-Brunswick c.
OLeary60, la Cour se penche nouveau sur ltendue de la juridiction arbitrale et
largit sa porte aux litiges qui ne dcoulent que de faon implicite du contrat
collectif de travail. La Cour considre en effet que les litiges qui rsultent
expressment ou implicitement de la convention collective doivent tre tranchs par
larbitre de griefs dans la mesure o le litige, considr dans son essence, se rapporte
lune de ses dispositions. Dans ces affaires, le plus haut tribunal au pays confirme
que larbitre de griefs est habilit trancher non seulement des litiges impliquant
lapplication des rgles de la responsabilit civile dlictuelle, mais galement ceux
qui se fondent sur des dispositions de la Charte canadienne des droits et liberts61.
Afin de dterminer dans quel cas un litige rsulte ou non de la convention
collective, la Cour nous invite, dans laffaire Regina Police Association Inc. c. Regina
(Ville) Board of Police Commissioners62, tenir compte de deux lments, savoir la
nature du litige et le champ dapplication du contrat collectif de travail. Au terme de
cette analyse, si lon peut affirmer quun litige dcoule expressment ou
implicitement de linterprtation, de lapplication, de ladministration ou de
linexcution de la convention collective, larbitre aura comptence pour en
disposer63.
Quelques annes plus tard, dans laffaire Conseil dadministration des services
sociaux du district de Parry Sound c. Syndicat des employs et employes de la
fonction publique de lOntario, section locale 32464, la Cour affirme que lensemble
des droits et obligations substantiels prvus par les lois sur les droits de la personne et
les autres lois sur lemploi sont incorpors implicitement dans toute convention
collective. Dans cette affaire, une salarie syndique ayant le statut demploye
lessai avait pris un cong de maternit avant la fin de sa priode de probation.
Quelques jours aprs son retour au travail, elle avait t congdie. En rponse au
grief contestant la rupture arbitraire et discriminatoire de son lien demploi,
lemployeur faisait valoir que le Conseil darbitrage navait pas comptence sur la
question faisant lobjet du grief parce que la convention collective prvoyait que le
congdiement dun employ lessai ntait pas matire arbitrage. Se rfrant
larrt McLeod, la Cour crit que le droit dun employeur de grer son entreprise est
subordonn non seulement aux dispositions expresses de la convention collective,
59 [1995] 2 R.C.S. 929, 125 D.L.R. (4e) 583 [Weber avec renvoi aux R.C.S.].
60 [1995] 2 R.C.S. 967, 125 D.L.R. (4e) 609.
61 Partie I de la Loi constitutionnelle de1982, constituant lannexe B de la Loi de 1982 sur le
Canada (R.-U.), 1982, c. 11.
62 2000 CSC 14, [2000] 1 R.C.S. 360, 183 D.L.R. (4e) 14.
63 Ibid. au para. 25.
64 2003 CSC 42, [2003] 2 R.C.S. 157, 230 D.L.R. (4e) 257 [Parry Sound].
[Vol. 53
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
116
mais aussi aux droits reconnus aux employs par la loi. Le juge Iacobucci considre
que les droits et obligations substantiels prvus par les lois sur lemploi sont
contenus implicitement dans chaque convention collective lgard de laquelle
larbitre a comptence. […] [Ces droits fixent] un minimum auquel lemployeur et le
syndicat ne peuvent pas se soustraire par contrat65. Labsence dune disposition
interdisant la violation de tels droits dans un contrat de travail ne permet donc pas de
conclure que la transgression de ces droits ne constitue pas galement une violation
de la convention collective. Les juges majoritaires estiment en consquence que les
arbitres de griefs ont la responsabilit de mettre en uvre et de faire respecter les
droits et obligations substantiels prvus par les lois sur les droits de la personne et les
autres lois sur lemploi comme sils faisaient partie de la convention collective66.
En 2006, dans laffaire Isidore Garon lte c. Tremblay ; Fillion et Frres (1976)
inc. c. Syndicat national des employs de garage du Qubec inc.67, la Cour apporte
certaines nuances au principe de lintgration des dispositions de droit commun au
rgime collectif de travail. Dans cette affaire, la Cour tait saisie de deux dossiers o
des salaris syndiqus contestaient par voie de griefs la suffisance des pravis de
cessation demploi reus de leurs employeurs suite la fermeture des entreprises o
ils travaillaient. Dans ces deux affaires, les employeurs avaient donn des pravis
conformes la Loi sur les normes du travail68. Les syndicats prtendaient toutefois
que ces pravis taient insuffisants parce quils ne respectaient pas les dispositions de
larticle 2091 C.c.Q., qui prvoient que chacune des parties un contrat dure
indtermine peut y mettre fin en donnant lautre partie un dlai-cong qui doit
tre raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de lemploi, des
circonstances particulires dans lesquelles il sexerce et de la dure de la prestation de
travail. La question qui se posait consistait donc savoir si les dispositions du Code
civil du Qubec relatives au pravis de cessation demploi taient intgres la
convention collective.
Dans un jugement partag, quatre juges sur sept accueillant les pourvois
lencontre des jugements rendus par la Cour dappel du Qubec et concluant que les
dispositions de larticle 2091 C.c.Q. ne sappliquaient pas au rgime collectif de
travail. Les arbitres de griefs ne pouvaient donc sappuyer sur les principes labors
dans laffaire Parry Sound pour considrer que cette norme lgislative tait
implicitement incorpore dans chaque convention collective. crivant pour la
majorit, la juge Deschamps prcise que ce nest pas lensemble du Code civil du
Qubec qui est incorpor dans la convention collective, mais seulement ce qui est
compatible avec le rgime collectif de travail. La juge Deschamps explique quen
lespce, la nature du dlai-cong est incompatible avec le rgime collectif de travail
parce que le droit au pravis de cessation demploi constitue la contrepartie du droit
65 Ibid. au para. 28.
66 Ibid. au para. 40.
67 2006 CSC 2, [2006] 1 R.C.S. 27, 262 D.L.R. (4e) 385 [Isidore Garon].
68 L.R.Q. c. N-1.1.
2008] G. NOTEBAERT SYSTME DE LARBITRAGE DE GRIEFS AU QUBEC 117
dun employeur de mettre fin au contrat de travail dun employ. Or, dans le contexte
des rapports collectifs de travail, cette prrogative patronale est gnralement limite
par la convention collective et la rintgration constitue habituellement la mesure de
rparation approprie. Se rfrant lhistorique lgislatif, la juge Deschamps rappelle
en outre le rejet de la proposition formule dans le cadre des consultations menes
avant ladoption du Code civil du Qubec et en vertu de laquelle le nouveau code
servirait de cadre gnral aux relations de travail au Qubec. Enfin, elle note que si le
lgislateur avait voulu donner une telle porte aux dispositions de larticle 2091
C.c.Q., il aurait pu lindiquer de faon claire et explicite en utilisant une formulation
similaire ou analogue celle utilise larticle 93 de la Loi sur les normes du travail.
En conclusion, il faut retenir de ce qui prcde que seules les dispositions du droit
commun qui ne sont pas incompatibles avec le rgime collectif de travail doivent tre
considres comme implicitement incluses dans la convention collective, si bien que
larbitre aura le devoir de trancher les diffrends sy rapportant uniquement en de
telles situations69. Si les principes labors dans larrt Parry Sound risquent
dengendrer des difficults au niveau de leur application en raison de limprcision du
test de la compatibilit dvelopp dans laffaire Isidore Garon, nous estimons pour
notre part que ce test, qui a t conu en fonction dune norme manant du Code civil
du Qubec, na pas tre appliqu lgard des normes dordre public contenues
dans les lois relatives aux droits et liberts de la personne, ni lgard des autres lois
sur lemploi qui fixent un minimum auquel lemployeur et le syndicat ne peuvent se
soustraire par contrat.
De Port Arthur Isidore Garon, quelle volution ! Aprs trois dcennies de
jurisprudence, force est de constater que la Cour suprme du Canada a grandement
contribu laccroissement phnomnal du champ de comptence des arbitres de
griefs. Dsormais, la juridiction confre par le Code du travail larbitre de griefs
englobe non seulement lensemble du contenu normatif de la convention collective,
mais galement la totalit des normes dordre public contenues dans les lois relatives
aux droits et liberts de la personne et des autres lois sur lemploi, de mme que les
normes juridiques encadrant la relation de travail, sous rserve de leur compatibilit
avec le rgime collectif de travail. Aussi, comme le note Gilles Trudeau, larbitre de
griefs a dsormais le devoir dappliquer le droit du pays70.
Mais la Cour nest pas la seule avoir assur un formidable avenir aux arbitres de
griefs. Le lgislateur qubcois a lui aussi contribu, de temps autre et sa faon,
laccroissement du champ juridictionnel des tribunaux darbitrage. Il suffit de
mentionner la Charte de la langue franaise71, qui autorise larbitre de griefs
annuler le congdiement, la rtrogradation ou le dplacement dun salari au motif
que ce dernier ne parle pas le franais, la Loi sur la fte nationale72, qui fait de
69 Voir Isidore Garon, supra note 67 au para. 61.
70 Trudeau, Arbitrage, supra note 2 la p. 19.
71 L.R.Q. c. C-11, art. 50.
72 L.R.Q. c. F-1.1.
[Vol. 53
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
118
larbitre de griefs le gardien du cong fri du 24 juin73, et la Loi sur les accidents du
travail et les maladies professionnelles74, qui donne larbitre la comptence pour
disposer de la plainte dun travailleur qui allgue avoir t lobjet dune sanction en
raison de lexercice dun droit que lui confre cette loi75. Plus important encore,
depuis le 1er juin 2004, la Loi sur les normes du travail attribue une comptence
exclusive larbitre de griefs pour disposer dune plainte de harclement
psychologique au travail en contexte de rapport collectif de travail76.
Que retenir de tout cela ? Laccroissement du champ de comptence des arbitres
de griefs nest pas une chose nfaste en soi puisque lattribution de pouvoirs accrus
aux tribunaux darbitrage permet dassurer le rglement complet et dfinitif, devant
une seule et mme instance juridictionnelle, de tous les litiges ns des rapports
collectifs de travail. Cette situation sert donc les fins dune saine administration de la
justice en vitant la multiplication de procs fonds sur les mmes faits devant
diffrents tribunaux.
Par ailleurs, lintroduction, dans le champ arbitral, de lensemble des droits et
obligations substantiels prvus par les lois sur les droits de la personne et autres lois
sur lemploi implique une profonde remise en question des rgles de base du droit
rgissant les relations de travail et le droit de lemploi au Qubec77. Cette nouvelle
conjoncture, caractrise par la prsence dun nouveau salari titulaire dune kyrielle
de nouveaux droits, soulve aussi la dlicate question de savoir si les arbitres de
griefs dtiennent effectivement les connaissances requises pour disposer de litiges de
plus en plus complexes et dont la rsolution est susceptible de ne faire appel que de
faon incidente ou accessoire leur expertise premire en droit du travail. Or, cette
proccupation savre dautant plus pertinente en raison de laffirmation du caractre
quasi exclusif de la juridiction arbitrale sur lensemble des litiges qui manent de la
relation demploi.
73 Ibid., art. 17.1.
74 L.R.Q. c. A-3.001.
75 Ibid., art. 32.
76 Supra note 68, art. 81.20. Larbitre de griefs jouit dune comptence exclusive pour disposer des
plaintes dposes par des salaris couverts par une convention collective de travail. Dans les autres
cas, les plaintes doivent tre dposes la Commission des normes du travail qui les dfrera
ventuellement la Commission des relations de travail pour adjudication.
77 Denis Nadeau, La Charte des droits et liberts de la personne et le droit du travail au Qubec :
naissance dun nouveau salari dans un droit en mutation (2006) numro thmatique hors srie R.
du B. 399 la p. 402.
2008] G. NOTEBAERT SYSTME DE LARBITRAGE DE GRIEFS AU QUBEC 119
C. Laffirmation dune exclusivit juridictionnelle
Malgr le fait que diffrents tribunaux administratifs puissent tre appels
intervenir pour rsoudre les litiges ns des rapports collectifs de travail78, le caractre
quasi exclusif de la juridiction arbitrale na cess de saffirmer au cours des dernires
dcennies. Eu gard aux tribunaux de droit commun, et sous rserve de certaines
procdures spciales79 ou extraordinaires80, larbitre de griefs dispose sans contredit
dune comptence matrielle exclusive pour trancher les diffrends impliquant les
parties soumises sa comptence, dans la mesure o le litige se rattache, ne serait-ce
quimplicitement, la convention collective. Laffirmation de ce principe est bien
tablie au Canada et ce, depuis plus de vingt ans.
En effet, ds 1986, la Cour suprme du Canada affirme que les tribunaux [de
droit commun] ne sont pas comptents pour entendre des rclamations qui dcoulent
des droits crs par une convention collective81. Ce faisant, la Cour invite les
tribunaux ordinaires faire preuve de dfrence envers la procdure darbitrage afin
de ne pas porter atteinte un rgime lgislatif complet destin rgir tous les
aspects du rapport entre les parties dans le cadre dune relation de travail82.
En 1995, la Cour ritre ce principe en manifestant sa prfrence pour le modle
de la comptence exclusive du forum arbitral, plutt que celui de la concomitance ou
du chevauchement de juridiction. La Cour reconnat ainsi aux tribunaux darbitrage
une comptence exclusive pour entendre tous les litiges qui rsultent de la
convention collective en autant que la loi habilite l’arbitre […] accorder les
rparations demandes83. Selon la Cour, lattribution dune telle comptence aux
arbitres de griefs en est une dintrt public parce quelle concerne latteinte des
objectifs du lgislateur, qui a voulu mettre sur pied des instances spcialises
charges de rsoudre rapidement et de faon dfinitive lensemble des litiges relatifs
aux conflits de travail84.
En 2006, dans larrt Bisaillon c. Universit Concordia85, le juge LeBel pousse
cette logique son extrme en ritrant que la Cour a clairement adopt une position
librale, favorable la reconnaissance larbitre de griefs dune comptence
exclusive tendue sur les questions relatives aux conditions de travail, pour autant
que celles-ci puissent se rattacher expressment ou implicitement la convention
78 En plus des tribunaux de droit commun mentionnons titre dexemples : la Commission des
relations du travail, le Conseil des services essentiels, la Commission des lsions professionnelles, la
Commission daccs linformation et le Tribunal des droits de la personne.
79 Voir par ex. art. 751 C.p.c. (injonction).
80 Voir par ex. art. 846 C.p.c. (requte en rvision judiciaire).
81 St. Anne Nackawic, supra note 58 la p. 720.
82 Ibid. la p. 721.
83 Weber, supra note 59 au para. 67.
84 Parry Sound, supra note 64 aux para. 50-54.
85 2006 CSC 19, [2006] 1 R.C.S. 666, 266 D.L.R. (4e) 542.
[Vol. 53
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
120
collective86 et ce, peu importe que des tiers soient ventuellement affects, quoique
non juridiquement lis, par la sentence arbitrale.
Rappelons que dans cette affaire, un salari syndiqu de lUniversit Concordia
avait intent un recours collectif contre son employeur en allguant que ce dernier
avait pos des gestes contraires ses obligations fiduciaires dans le cadre de la
gestion du rgime de retraite, rgime qui sappliquait des personnes salaries
assujetties neuf conventions collectives distinctes, de mme qu du personnel non
syndiqu. Or, un des neuf syndicats, et ventuellement lemployeur, sopposa la
comptence de la Cour suprieure du Qubec en allguant quil tait du seul ressort
de larbitre de griefs de trancher le litige, considrant que la dispute concernait une
matire prvue dans la convention collective rgissant les conditions de travail de
monsieur Bisaillon, savoir le rgime de retraite. Dans un jugement partag, quatre
juges sur sept accueillant le pourvoi lencontre du jugement rendu par la Cour
dappel du Qubec et concluent que larbitre de griefs disposait effectivement de la
comptence ncessaire pour se saisir du grief. Les juges majoritaires considrent en
effet que mme si le litige affecte les droits de groupes de personnes non assujetties
la juridiction arbitrale, comme des cadres ou des salaris faisant partie dunits de
ngociation dtenues par dautres associations de salaris, on ne saurait passer outre
au droit de reprsentation collectif du syndicat accrdit, ni lexclusivit de la
juridiction arbitrale87.
Par ailleurs, en ce qui concerne les tribunaux statutaires spcialiss, lexclusivit
de la fonction arbitrale nest toutefois pas encore pleinement acquise, notamment
lgard du Tribunal des droits de la personne88, de la Commission des relations du
travail89 et de la Commission daccs linformation90. Limprcision des rgles de
86 Ibid. au para. 33.
87 Pour le juge Bastarache, qui a rdig les motifs des juges dissidents, il sagit en lespce dune
mauvaise application de la dtermination de lessence du litige au sens de larrt Weber puisque les
questions souleves par le recours existent tout fait indpendamment de la convention collective.
Selon lui, le recours dcoulerait uniquement du Rgime de retraite et le litige ne concernerait que son
financement de telle sorte que les tribunaux de droit commun seraient les seuls comptents en la
matire (ibid. aux paras. 74-95).
88 Sur les liens entre les juridictions de larbitre de griefs et du Tribunal des droits de la personne
voir Denis Nadeau, Le Tribunal des droits de la personne du Qubec et le principe de lexclusivit de
larbitrage de grief ou lhistoire dune usurpation progressive de comptence (2000) 60 R. du B.
387 ; Jean-Denis Gagnon, Le rle de larbitre et du Tribunal des droits de la personne en matire de
discrimination, et plus gnralement dans le domaine des droits et liberts dans Jean-Louis Baudoin
et Patrice Deslauriers, dir., Droit lgalit et discrimination : aspects nouveaux, Cowansville (Qc),
Yvon Blais, 2002, 249 [Gagnon, Le rle de larbitre]. Voir aussi Universit Laval c. Commission des
droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2005 QCCA 27, [2005] R.J.Q. 347 ; Rsidences
Laurendeau, Lgar, Louvain c. Tribunal des droits de la personne, 2005 QCCA 572, [2005] R.J.Q.
1456 ; Universit de Montral c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse,
2006 QCCA 508, J.E. 2006-991, 148 A.C.W.S. (3e) 69.
89 titre dexemple, la Cour dappel est actuellement saisie de plusieurs dossiers opposant la
juridiction de larbitre de griefs celle de la Commission des relations du travail relativement
2008] G. NOTEBAERT SYSTME DE LARBITRAGE DE GRIEFS AU QUBEC 121
droit quant au partage des comptences entre ces diffrents tribunaux donne lieu un
important, coteux et contre-productif, voir mme purement dilatoire, contentieux,
qui se droule sous les yeux dun lgislateur ayant apparemment abdiqu ses
responsabilits en choisissant de laisser aux tribunaux suprieurs le soin de disposer
de ces querelles de frontires.
titre dexemple, dans le cadre dun litige opposant la comptence de larbitre
de griefs celle du Tribunal des droits de la personne, la Cour suprme du Canada
estime, dans laffaire Qubec (Commission des droits de la personne et des droits de
la jeunesse) c. Qubec (P.G.)91, que le tribunal darbitrage pouvait, dans certains cas,
partager une partie de sa comptence avec celles dtenues par dautres instances
juridictionnelles. Aussi, selon la loi applicable et la nature du litige en cause, il pourra
ventuellement y avoir chevauchement, concurrence ou exclusivit de comptence
entre larbitre de griefs et dautres tribunaux spcialiss. On ne peut donc affirmer
quil existe de prsomption lgale dexclusivit [en faveur du forum arbitral
puisquil faut] plutt se demander dans chaque cas si la loi pertinente, applique au
litige considr dans son contexte factuel, tablit que la comptence de larbitre en
droit du travail est exclusive92.
Fortement critiqu par certains auteurs93, ce jugement ne contribue gure
clarifier ltat du droit quant lexclusivit de la juridiction arbitrale. En ralit, cet
lapplication de larticle 124 de la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N-1.1. Voir Commission
scolaire des Sommets c. Rondeau, 2006 QCCS 1352, [2006] R.J.D.T. 543, autorisation de pourvoi la
C.A. autorise, 2006 QCCA 753 ; Syndicat des travailleuses et travailleurs de la Ville de Terrebonne
(CSN) c. Mallette, 2006 QCCS 5391, [2007] R.J.D.T. 23, autorisation de pourvoi la C.A. autorise,
500-09-017292-061 (21 dcembre 2006) ; Ville de Mont-Tremblant c. Commission des relations du
travail, 2006 QCCS 5193, autorisation de pourvoi la C.A. autorise, 2007 QCCA 687 ; Qubec
(P.G.) c. Flynn, 2006 QCCS 5230, [2006] R.J.D.T. 1400, autorisation de pourvoi la C.A. autorise,
500-09-017086-067 (29 octobre 2006) ; Qubec (P.G.) c. Flynn, 2006 QCCS 5230, [2006] R.J.D.T.
1400, autorisation de pourvoi la C.A. autorise, 500-09-017087-065 (24 octobre 2006) ; Syndicat du
personnel enseignant du Centre dtudes collgiales en Charlevoix c. St-Laurent, 2007 QCCS 1005,
[2005] R.J.D.T. 752, autorisation de pourvoi la C.A. autorise, 500-09-017608-076 (16 avril 2007).
90 Voir Hydro-Qubec c. Commission daccs linformation du Qubec, [2003] R.J.Q. 3098,
[2003] C.A.I. 731.
91 2004 CSC 39, [2004] 2 R.C.S. 185, 240 D.L.R. (4e) 577 [Morin]. Dans cette affaire, suite une
entente intervenue en juillet 1997 dans le cadre des ngociations des conventions collectives du
secteur de lducation, des plaintes ont t dposes la Commission des droits de la personne et des
droits de la jeunesse (CDPDJ) par des enseignants qui sestimaient victimes de discrimination en
raison de lge. Le 17 mars 2000, la CDPDJ dposa une requte introductive dinstance au Tribunal
des droits de la personne (TDP). Le 13 septembre 2000, le TDP rejetta deux requtes en irrecevabilit
soumises par les dfendeurs qui invoqurent la comptence exclusive de larbitre de griefs pour
entendre ce litige. Le 28 fvrier 2002, la Cour dappel infirma le jugement du TDP. Le 11 juin 2004,
soit plus de sept ans aprs la signature de lentente conteste, la Cour suprme cassa le jugement de la
Cour dappel et retourna le dossier au TDP pour enqute et audition sur le fond du litige.
92 Ibid. au para. 14.
93 Voir Denis Nadeau, Larrt Morin et le monopole de reprsentation des syndicats : assises dune
fragmentation (2004) 64 R. du B. 161 ; Diane Veilleux, Pour une comptence renouvele de
larbitre de grief confirmant lintgration des lois de la personne et des autres lois de lemploi dans le
totalement
face aux
[Vol. 53
impuissants
interminables
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
122
arrt risque plutt de faire perdurer le contentieux de la comptence matrielle de
larbitre de griefs au dtriment de ladjudication rapide des droits des salaris, qui
restent
tergiversations des
professionnels du droit94.
Le lgislateur devrait donc intervenir afin de clarifier les rgles du partage des
comptences entre les diffrents tribunaux spcialiss95. linstar de Diane L.
Demers, on peut se demander sil ne serait pas finalement plus opportun daborder
toute cette problmatique non pas tant sous langle de la dtermination du forum
comptent, mais plutt dans la perspective de la meilleure voie daccs la justice, en
reconnaissant, par exemple, lexistence de comptences concurrentes et le droit
doption entre certains recours pour les salaris96. Selon Jean-Denis Gagnon, le
concours de plusieurs juridictions, comme celles de larbitre de griefs et du Tribunal
des droits de la personne, peut dailleurs savrer essentiel pour que les principes et
rgles contenus dans la Charte soient mis en uvre dans les milieux de travail
assujettis des conventions collectives97. Il importe cependant que soient clarifis
sans dlai les principes rgissant le partage des comptences entre larbitre de griefs
et le Tribunal des droits de la personne, car il est actuellement difficile pour toute
personne qui soutient que ses droits fondamentaux ont t ignors, ou nis par son
employeur, de dterminer avec certitude le recours quelle devrait exercer98.
D. Un tribunal priv au service de lintrt public
Le rgime darbitrage de griefs a t largement faonn, au fil du temps, par les
parties la convention collective. Aussi, et contrairement aux autres tribunaux
administratifs, son mode de fonctionnement est dtermin, encore aujourdhui, tant
par ses utilisateurs que par le lgislateur. La convention collective rgit les conditions
daccs larbitrage, la procdure interne pralable la saisine du tribunal et les
mcanismes de dsignation de larbitre de griefs. Le Code du travail contient pour sa
part des dispositions, impratives ou suppltives, concernant le droulement du
processus arbitral. La comptence et les pouvoirs de larbitre de griefs relvent de la
loi et non des parties la convention collective99. Le rgime darbitrage qubcois est
rgime des rapports collectifs de travail, Colloque Grard Picard : Vers un arbitrage public de qualit
et accessible, Saint-Hyacinthe, 1er fvrier 2007 la p. 43 [non publi] [Veilleux, Comptence].
94 Voir Morin, supra note 91.
95 Voir notamment Diane Veilleux, Larbitrage de grief face une comptence renouvele…
(2004) 64 R. du B. 217 la p. 302 [Veilleux, Arbitrage].
96 Diane L. Demers, Larbitre de grief et le droit lgalit de la personne, travailleuse, travailleur
syndiqu : Un champ de comptence pas toujours vident, Colloque Grard Picard : Vers un
arbitrage public de qualit et accessible, Saint-Hyacinthe, 1er fvrier 2007 aux pp. 22 et 28 [non
publi].
97 Le rle de larbitre, supra note 88 la p. 263.
98 Voir Jean-Denis Gagnon, Les droits de la personne dans un contexte de rapports collectifs de
travail. Comptence de larbitre et dautres tribunaux. Quand lincertitude devient la rgle (2006) 66
R. du B. 3 la p.45.
99 Voir Veilleux, Comptence, supra note 93 aux pp. 22-23.
2008] G. NOTEBAERT SYSTME DE LARBITRAGE DE GRIEFS AU QUBEC 123
donc dune nature hybride, la fois prive et publique, lexprience dmontrant
quil ny a pas denchevtrement des rles entre ces deux sources juridiques100.
Le lgislateur nhsite cependant pas intervenir, directement ou par le biais
dorganismes interposs, dans la sphre traditionnellement rserve aux parties
ngociantes, en adoptant, de temps autre, des mesures qui ont pour effet de modifier
le rgime darbitrage prvu dans des conventions collectives librement consenties.
titre dexemple, dans les services publics et les secteurs public et parapublic, le Code
du travail autorise le Conseil des services essentiels ordonner que soit acclre ou
modifie la procdure de grief et darbitrage la convention collective dans la
mesure o un conflit de travail est vraisemblablement susceptible de porter prjudice
un service auquel le public a droit101. Le gouvernement peut galement intervenir
directement en utilisant son pouvoir lgislatif pour imposer des dispositions
conventionnelles aux salaris de ltat. Une telle faon de procder fut rcemment
utilise en ce qui concerne linclusion de la rgle du qui perd [larbitrage] paye [la
note de larbitre] (QPP) dans les conventions collectives des secteurs de lducation
et de la Sant102.
Par ailleurs, les profondes transformations qua connu le droit du travail au cours
des dernires dcennies ont eu pour effet de rduire la zone dinfluence des parties
ngociantes en confrant au tribunal darbitrage un caractre bien davantage public
que priv. Pour certains, ce furent les amendements apports au Code du travail en
1977103 qui ont fait irrmdiablement basculer le rgime arbitral dun mode priv
vers un mode public de justice104. Rodrigue Blouin dclarait cet gard lors dun
colloque tenu en 1990 :
En somme, depuis 1977, larbitre peut compter sur une panoplie de pouvoirs
qui lui permettent dimposer un processus de type carrment quasi-judiciaire.
[…] Cette conscration lgislative a par ailleurs eu un effet important. Il nous
apparat clair que le lgislateur a voulu signifier aux parties que larbitre de
grief nest pas un tribunal ou organisme administratif qui pourrait sen tenir, par
exemple, une enqute administrative auprs des parties et sans quil ny ait
dbat contradictoire. En dautres termes, depuis 1977, le processus sest
carrment judiciaris105.
Larbitre de griefs, qui est notamment habilit disposer de questions relatives
la constitutionnalit des lois106, exerce donc une fonction de nature rellement
judiciaire et il constitue sans contredit un tribunal au sens des chartes107. Pour Denis
100 Blouin, Juridiciarisation, supra note 8 la p. 48.
101 Code du travail, supra note 37, art. 111.17.
102 Voir Loi concernant les conditions de travail dans le secteur public, L.Q. 2005, c. 43.
103 Loi modifiant le Code du travail, 1977, supra note 35.
104 Blouin, Juridiciarisation, supra note 8 la p. 40.
105 Les nouvelles comptences de larbitre de griefs dans Brossard, supra note 1, 117 la p. 136.
106 Voir Douglas/Kwantlen Faculty Association c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570, 77 D.L.R.
107 Voir Blouin, Juridiciarisation, supra note 8 la p. 52.
(4e) 94.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
124
Nadeau, le tribunal darbitrage est aujourdhui le forum privilgi de ralisation et
daffirmation des droits fondamentaux en milieu de travail syndiqu, ce qui
[…] a pour effet dloigner de plus en plus larbitrage de sa nature originaire qui
tait essentiellement prive pour le rapprocher dun tribunal dadjudication
complet dont les fonctions, dans la mesure de lapplication des droits de la
personne, sont dornavant investies dune finalit publique aussi particulire
que fondamentale108.
[Vol. 53
Laccroissement du champ de comptence de larbitre de griefs et laffirmation de
ses larges pouvoirs juridictionnels nont toutefois jamais t accompagns dune
rforme majeure du mode de fonctionnement de ce tribunal. Si la juridiction de
larbitre de griefs a volu pour inclure des litiges qui relvent de la justice publique,
il nen demeure pas moins que dans son fonctionnement, larbitrage de griefs
sapparente toujours un mode essentiellement priv de rsolution des litiges109.
Cette institution procde encore aujourdhui, certains gards, en fonction de rgles
hrites dune poque jamais rvolue, des rgles qui semblent totalement inadaptes
la conjoncture contemporaine.
Selon Gilles Trudeau, la situation actuelle sapparente un phnomne de
privatisation de la justice, [qui] prsente un problme vident li surtout au dficit
dindpendance institutionnelle de larbitre lgard des parties qui le nomment et le
rmunrent110. La conjoncture soulve en outre de srieux questionnements quant
la capacit des arbitres de griefs de disposer de litiges qui ne font pas appel de faon
principale leur expertise premire en droit du travail et quant laccessibilit des
tribunaux darbitrage eu gard la capacit de payer des syndicats. Examinons donc
maintenant un peu plus en dtail chacune de ces trois problmatiques.
II. Trois aspects problmatiques du systme darbitrage actuel
A. Lindpendance institutionnelle
Lindpendance institutionnelle et l’impartialit des juges sont deux aspects
fondamentaux qui permettent dassurer la confiance de l’individu comme du public
dans l’administration de la justice111. Lindpendance institutionnelle a pour objet de
mettre labri le tribunal contre toute forme de contrle ou dinfluence, en assurant le
108 Larbitrage de griefs : vecteur dintgration des droits de la personne dans les rapports collectifs
de travail dans Tribunal des droits de la personne et Barreau du Qubec, La Charte des droits et
liberts de la personne : pour qui et jusquo ?, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2005, 153 la p. 172.
109 Trudeau, Arbitrage, supra note 2 la p. 20.
110 Ibid. la p. 31.
111 Voir Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673 la p. 689, 24 D.L.R. (4e) 161 [Valente avec
renvoi aux R.C.S.]. Voir aussi Robert P. Gagnon, Lindpendance des arbitres : une exigence fragile
et vitale dans Dveloppements rcents en droit du travail dans le secteur de lducation, vol. 235,
Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2005, 83 la p. 87 [Gagnon, Lindpendance des arbitres].
2008] G. NOTEBAERT SYSTME DE LARBITRAGE DE GRIEFS AU QUBEC 125
respect du principe de la sparation des pouvoirs excutif, lgislatif et judiciaire.
Cette indpendance est gnralement assure par linamovibilit, lindpendance
administrative et la scurit financire des dcideurs. La scurit financire consiste
essentiellement en ce que le droit au traitement et la pension soit prvu par la loi et ne
soit pas sujet aux ingrences arbitraires de l’excutif, d’une manire qui pourrait
affecter l’indpendance judiciaire112. Dans le contexte de larbitrage de griefs, cette
indpendance doit tre prserve, non pas lendroit du gouvernement, mais lgard
des parties assujetties la juridiction arbitrale. Limpartialit, qui se manifeste surtout
par un tat desprit, vise pour sa part garantir que larbitre de griefs nentretienne
aucun prjug lendroit dune partie et quil ne bnficie daucun intrt personnel
relativement aux questions sur lesquelles il doit statuer113. Ce critre doit tre valu
selon la perspective dune personne sense, raisonnable et bien renseigne, qui
tudierait la question en profondeur, de faon raliste et pratique.
Personne ne conteste le fait que [l]arbitre de grief exerce une fonction de justice
pour laquelle le principe de lindpendance judiciaire sapplique114 et quil se doit
dtre impartial, cest–dire libre de toute attache financire, professionnelle, de
longue amiti ou familiale avec lune des parties impliques dans larbitrage115. Or,
lheure actuelle, sous rserve des nominations faites par le ministre du Travail et
contrairement la situation qui prvaut devant la trs grande majorit des tribunaux
administratifs ou de droit commun, larbitre de griefs est encore choisi et rmunr
par les parties la convention collective. Cette conjoncture favorise sans aucun doute
la stabilit, le respect, la dfrence et la confiance des parties envers la justice
arbitrale, puisque les dcideurs sont slectionns en fonction de leur connaissance du
milieu, de leur exprience et, le cas chant, de leur disponibilit. On peut toutefois se
questionner sur linfluence du mode de rmunration des arbitres de griefs sur la
qualit de la justice arbitrale, considrant que la rglementation applicable limite le
nombre dheures qui peut tre factur pour le dlibr et la rdaction de la sentence
arbitrale116. Par ailleurs, on se rappellera que le lgislateur qubcois a d intervenir
en 1990 afin de retirer de la juridiction des arbitres de griefs les plaintes loges par
des salaris non syndiqus contestant les caractres juste et suffisant de leur
congdiement. Cela a t fait en raison des effets pervers, notamment en termes
daccessibilit la justice, de la politique de rmunration qui prvalait lpoque, en
112 Valente, ibid. la p. 704.
113 Voir ibid. aux pp. 685-86.
114 Rodrigue Blouin et Fernand Morin, Droit de larbitrage de grief, 5e d., Cowansville (Qc), Yvon
Blais, 2000 la p. 246.
115 Ibid. la p. 251.
116 Voir Rglement sur la rmunration des arbitres, D. 851-2002, 26 juin 2002, G.O.Q.
2002.II.4860, art. 4 ; Rglement sur la rmunration des arbitres, D. 1303-2002, 6 novembre 2002,
G.O.Q. 2002.II.7735 ; Rglement sur la rmunration des arbitres, D. 505-2004, 26 mai 2004, G.O.Q.
2004.II.2567.
[Vol. 53
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
126
vertu de laquelle la rmunration de larbitre tait assume parts gales par
lemployeur et le salari117.
Aussi, sil est effectivement devenu un vritable tribunal dadjudication complet,
investi dune finalit publique, on peut se demander pourquoi larbitrage de griefs ne
serait pas assujetti aux mmes rgles et principes qui rgissent lindpendance
institutionnelle de tout tribunal judiciaire ou quasi judiciaire. En effet, larbitre de
griefs demeure un professionnel autonome qui ne bnficie daucune scurit
financire, ni daucune scurit demploi. Aussi, il doit viter de trop dplaire ses
clients, puisque sa carrire dpend entirement de lapprciation de ces derniers de
ses qualits personnelles et professionnelles. Ce facteur congnital118 de prcarit et
la fragilit de son indpendance face aux parties qui le choisissent et le rmunrent
peut donc, loccasion, devenir problmatique et mettre en doute sa neutralit. Tel
peut tre le cas, par exemple, lorsquil doit trancher des litiges impliquant la mise en
uvre de normes lgislatives profitables aux salaris, qui ont des intrts opposs
ceux de la partie qui le rmunre, que ce soit le syndicat, lemployeur ou les deux la
fois119. Cette proccupation nous semble dautant plus pertinente dans le secteur
public qubcois depuis limposition de la rgle QPP120. Lintroduction de cette
rgle risque en effet dtre perue comme tant susceptible dinfluencer les arbitres de
griefs, qui deviennent ainsi cranciers des parties la convention collective et qui
doivent donc dcider de lidentit de leurs dbiteurs et […] leur rclamer leur salaire,
en plus de leur avoir rendu une sentence arbitrale dfavorable […]121. Comme le note
Fernand Morin, il nous apparat dangereux pour larbitre et pour linstitution, quil
se place en une situation aussi dlicate en raison des effets collatraux du systme
QPP et qui, au surplus, fragiliserait mme linstitution de larbitrage122.
Certains diront quil ny a pas lieu de sinquiter parce que, prtendent-ils,
lindpendance institutionnelle des arbitres de griefs ne rsulte pas tant de leur
inamovibilit, de leur scurit financire ou de leur autonomie administrative, que de
leur acceptabilit par les parties, de leur formation et de leur exprience123. Pour nous
en convaincre, on nous rfre au jugement rendu par la Cour suprme du Canada
dans laffaire Syndicat canadien de la fonction publique c. Ontario (Ministre du
117 Voir Trudeau, Plaidoyer, supra note 2 la p. 269.
118 Voir Gagnon, Lindpendance des arbitres, supra note 111 la p. 88.
119 Voir Trudeau, Arbitrage, supra note 2 aux pp. 27-29.
120 Voir Loi concernant les conditions de travail dans le secteur public, supra note 100, art. 1, ann. 3
(pour le secteur de lducation) ; ibid., art. 1, ann. 4 (pour le secteur de la Sant et des services
sociaux).
121 Jean-Guy Mnard, La rgle du qui perd paye (QPP) et quelques impacts… possibles, Colloque
Grard Picard : Vers un arbitrage public de qualit et accessible, Saint-Hyacinthe, 1er et 2 fvrier 2007
la p. 128 [non publi].
122 Fernand Morin, Lthique de larbitre : considrations pratiques, Confrence des arbitres du
Qubec Journes de formation 22 avril 2006 la p. 17 [non publi].
123 Voir Hamelin, supra note 3 la p. 28.
les dsignations faites par
2008] G. NOTEBAERT SYSTME DE LARBITRAGE DE GRIEFS AU QUBEC 127
Travail)124. Or, une lecture attentive de cet arrt rvle que ce jugement ne peut
raisonnablement faire autorit sur cette question. En effet, cette affaire impliquait la
modification du processus de dsignation des arbitres de diffrends en Ontario, o les
syndicats bnficiaient depuis longtemps dune procdure de nomination partir
dune liste darbitres mutuellement convenue entre les parties patronale et syndicale.
Le syndicat contestait donc le fait que ce processus ait t dun seul coup
injustement modifi son dtriment, sans pravis ni consultation125. Pour ce faire, il
nattaque pas la constitutionnalit de la lgislation, choisissant plutt de contester, par
voie de requte en rvision judiciaire, la dcision du ministre de procder la
nomination de certains juges retraits pour prsider les tribunaux darbitrage. Aprs
avoir constat que les arbitres du travail ne bnficiaient gnralement pas des
conditions traditionnelles de lindpendance institutionnelle, la Cour a simplement
dcid que
le ministre taient manifestement
draisonnables parce quelles ne tenaient pas compte des critres de lexpertise en
relations de travail des personnes nommes, ni de leur acceptabilit par les parties126.
Dans cette affaire, la Cour ne sest donc pas prononce spcifiquement sur
lindpendance institutionnelle des arbitres de griefs. Elle a par ailleurs rappel que
limpartialit de toute personne agissant en cette qualit pourrait toujours tre remise
en question127. Par consquent, replac dans son contexte factuel et juridique, cet arrt
ne nous semble daucune faon dterminant quant lapprciation de lindpendance
et de limpartialit institutionnelles des arbitres de griefs au Qubec.
Nous estimons pour notre part que les rcents bouleversements qua subi le
monde du travail font en sorte que les conditions actuelles dans lesquelles les
tribunaux darbitrage exercent leur fonction rendent suspect leur mode de
fonctionnement et commandent une rflexion sur leur faon de procder. nos yeux,
cette question en est une dintrt public parce quelle concerne un des fondements
mmes de notre systme de justice, savoir lindpendance judiciaire. La cration
dune commission nationale darbitrage constitue une solution de rechange qui mrite
srieusement dtre envisage parce quelle garantirait lindpendance institutionnelle
des arbitres de griefs. Ces derniers pourraient tre nomms pour des termes fixes
renouvelables, ils bnficieraient dune scurit financire accrue base sur un mode
de rmunration standardis et leur nomination se ferait par un organisme
indpendant, labri de toute influence extrieure128. Cette initiative empcherait, en
outre, lmergence de linquitant phnomne de privatisation de la justice auquel on
assiste actuellement en droit du travail.
124 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539, 226 D.L.R. (4e) 193.
125 Ibid. au para. 127.
126 Ibid. au para. 184.
127 Ibid. au para. 204.
128 Voir Franois Lamoureux, La cration dune commission darbitrage et de mdiation : Un outil
essentiel pour tenir compte de lvolution du droit et rpondre concrtement aux nouveaux besoins des
usagers, Colloque Grard Picard : Vers un arbitrage public de qualit et accessible, Saint-Hyacinthe,
1er et 2 fvrier 2007 la p. 138 [non publi].
128
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 53
B. Le champ dexpertise
La raison dtre des tribunaux administratifs est de rendre justice selon une
procdure accessible, rapide et moins coteuse que celle des tribunaux ordinaires, par
des dcideurs qui dtiennent une expertise prouve et reconnue dans un champ de
comptence particulier. Le juge Lamer crit que les tribunaux administratifs
rpondent au besoin d’apporter des solutions des conflits qui se prtent mieux
un procd dcisionnel autre que celui qu’offrent les tribunaux judiciaires, le
tout par un juge administratif [qui] est mieux form et mieux renseign sur
le milieu o s’exerce sa comptence […]129. Larbitre de griefs, spcialiste en
relations de travail, fait donc incontestablement partie de ces juges administratifs,
mieux forms et mieux renseigns que les juges des tribunaux de droit commun pour
exercer une comptence spcifique en rapport collectif de travail.
Larbitre de grief est un spcialiste de la rsolution des problmes dcoulant de
la convention collective, particulirement de toutes les conditions de travail qui
peuvent sy retrouver ou sy rattacher. Son champ de comptence est donc trs
vaste et diversifi puisquil touche toutes les facettes de lemploi, de
lembauche dune personne salarie jusqu la fin de son emploi. Sans en
dresser une liste exhaustive, on peut dire quil traite des problmes relatifs la
participation syndicale, lorganisation du travail, aux mouvements de
personnel lis aux promotions, mutations, dplacements et mises–pied, la
rmunration, la sous-traitance, la gestion des changements technologiques, la
discipline ou encore la fin demploi130.
Aussi, certains mcanismes ont t instaurs au fil du temps afin de sassurer que
les arbitres de griefs dtiennent effectivement une comptence avre en relations de
travail. Ds 1969, lorsque les juges de la Cour provinciale furent exclus de la pratique
de larbitrage, les centrales syndicales et le patronat procdrent, au sein du Conseil
consultatif du travail et de la main-duvre (CCTMO)131, la mise en place dun
processus de prslection des arbitres de griefs en identifiant des personnes
susceptibles dagir ce titre, le tout en fonction de certains critres de comptence et
de probit professionnelles132. Les exigences actuelles pour accder cette fonction
sont limpartialit, la dtention dun diplme universitaire en droit, en relations
industrielles ou dans une autre formation quivalente, dix annes dexprience en
relations de travail, la confiance des parties et la russite dun stage probatoire133. Il
revient au CCTMO de faire des recommandations au ministre du Travail quant la
nomination ou la radiation des candidats134. Aprs une prslection de cet organisme,
129 Blanchard c. Control Data Canada Lte, [1984] 2 R.C.S. 476 la p. 499, 14 D.L.R. (4e) 289.
130 Veilleux, Arbitrage, supra note 95 la p. 252.
131 Il sagit dune institution cre par la Loi sur le Conseil consultatif du travail et de la main
duvre, L.R.Q. c. C-55, dont le ministre du Travail est charg de lapplication.
132 Voir Blouin et Morin, supra note 114 la p. 255.
133 Voir Qubec, Conseil consultatif du travail et de la main-duvre, Politique gnrale concernant
la confection et la gestion de la Liste annote darbitres de grief, Qubec, Publications du Qubec,
2004 aux pp. 9-10.
134 Blouin et Morin, supra note 114 la p. 257.
2008] G. NOTEBAERT SYSTME DE LARBITRAGE DE GRIEFS AU QUBEC 129
les parties patronale et syndicale peuvent tenir compte dautres considrations, plus
ou moins subjectives, pour choisir ensemble leur arbitre de griefs.
Cela dit, [la] diversit de ces critres, leur caractre parfois occulte, et le fait
quils ne sont pas toujours appliqus dune faon constante par les parties
empchent de faire un expos valable de lensemble du processus de slection des
arbitres de griefs au Qubec135. Comme le constatent Rodrigue Blouin et Fernand
Morin, considrant quaucune condition formelle de qualifications professionnelles
nest expressment exige,
il suffit quune personne soit physiquement,
mentalement et civilement capable de poser les actes juridiques qui lui incombent et
quelle satisfasse certaines conditions provenant du milieu pour quelle puisse tre
nomme arbitre de griefs136. lheure actuelle, on compte environ une centaine
darbitres de griefs sur la liste du CCTMO. La trs grande majorit dentre eux sont
regroups au sein dune association volontaire, la Confrence des arbitres de griefs du
Qubec (CAQ), qui a notamment pour but de promouvoir la comptence et lintgrit
de ses membres. La CAQ sest dailleurs dote dun Code de dontologie et dune
procdure disciplinaire cet effet137.
De ce qui prcde, il faut comprendre que les arbitres de griefs nont jamais t
slectionns, choisis et nomms en fonction de leur expertise relative lensemble
des droits et obligations substantiels prvus par les lois sur les droits de la personne et
autres lois sur lemploi. Pourtant, dans le cadre de leur fonction, ils sont de plus en
plus rgulirement appels trancher des litiges impliquant la mise en uvre de tels
droits. Certes, on peut prsumer que lhabilitation des arbitres de griefs statuer sur
les droits fondamentaux implique ncessairement la reconnaissance de leur expertise
en cette matire138. On peut galement prtendre que la lecture des dispositions
lgislatives actuellement en vigueur, ainsi que les enseignements de la Cour suprme
du Canada permettent daffirmer que larbitre possde la comptence et aussi
lexpertise pour dcider des questions de droit et de fait relatives aux lois de la
personne139. On peut encore affirmer que lexprience accumule par les arbitres de
griefs dans lapplication des chartes et des lois sur lemploi depuis plus de vingt ans
est le meilleur gage de leur comptence cet gard140. Mais il demeure un fait
absolument incontestable : la raison dtre des tribunaux darbitrage rside dabord
dans leur expertise spcialise en droit du travail141. Or,
135 Ibid. la p. 258.
136 Ibid. la p. 243.
137 Confrence des arbitres du Qubec, Statuts et Code de dontologie, en ligne :
138 Voir Veilleux, Arbitrage, supra note 95 la p. 253.
139 Ibid. la p. 256.
140 Voir Hamelin, supra note 3 la p. 26.
141 Anne Pineau, Llargissement du champ de comptence de larbitre de grief : Des pistes de
solution pour rtablir un vritable accs la justice, Colloque Grard Picard : Vers un arbitrage
public de qualit et accessible, Saint-Hyacinthe, 1er et 2 fvrier 2007 la p. 17 [non publi].
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MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 53
[il] faut convenir quun individu aguerri aux relations de travail et au contexte
dune convention collective na pas ncessairement le mme niveau dexpertise
lorsquil sagit dappliquer des textes lgislatifs complexes, souvent techniques,
qui ne portent pas toujours sur les mmes questions que celles qui sont
habituellement abordes dans les conventions collectives. […] Il faut rappeler
que bien des arbitres de griefs nont aucune formation en droit. […] De plus,
larbitre nappartient gnralement pas un groupe de professionnel constitu
qui prend en charge la formation de ses membres et qui atteste la qualification.
Souvent, larbitre est un professionnel isol, et lactualisation de ses
connaissances juridiques peut lui poser problme142.
Ces constatations ont des consquences importantes en droit. En effet, mme si la
sentence arbitrale est en principe finale et sans appel143, les tribunaux suprieurs
peuvent tre appels se prononcer sur le bien-fond dune telle dcision dans le
cadre dun recours en rvision judiciaire144. Conformment lapproche pragmatique
et fonctionnelle, quatre facteurs seront considrs pour dterminer la norme de
contrle applicable une dcision faisant lobjet dune rvision, savoir la prsence
ou labsence dune clause privative, la nature de la question en litige, lexpertise du
tribunal sur le point en litige et lobjet de la loi et de la disposition particulire en
cause145. Dans le cadre de cette analyse lexpertise est sans contredit le facteur le
plus important quune cour doit examiner pour arrter la norme de contrle
applicable146.
Lorsque les tribunaux de droit commun sont appels rviser des sentences
arbitrales impliquant linterprtation des dispositions dune loi dapplication gnrale
ou des chartes, ils appliquent gnralement la norme de contrle qui commande le
moins de retenue, savoir celle de la dcision correcte, considrant que les arbitres de
griefs ne dtiennent pas une expertise plus grande que celle des tribunaux suprieurs
en de telles matires147. Ainsi, dans un tel cas, peu importe le degr de connaissance
de larbitre de griefs, peu importe que sa dcision soit bonne ou mauvaise, labore
ou succincte, claire ou confuse, les tribunaux de droit commun pourront toujours
intervenir afin de rviser une telle sentence, simplement parce quils la considrent
comme errone.
142 Trudeau, Arbitrage, supra note 2 la p. 21.
143 Voir Code du travail, supra note 37, art. 101, 139-139.1.
144 Voir art. 846 C.p.c.
145 Pour une description dtaille de lapproche, voir Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of
British Columbia, 2003 CSC 19, [2003] 1 R.C.S. 226, 223 D.L.R. (4e) 599 ; Barreau du Nouveau-
Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247, 223 D.L.R. (4e) 577. Trois normes sont
actuellement disponibles : la dcision correcte, la dcision raisonnable simpliciter et la dcision
manifestement draisonnable.
146 Voir Canada (Directeur des enqutes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748 au
para. 50, 144 D.L.R. (4e) 1.
147 Voir par ex. Commission des coles catholiques de Qubec c. Gobeil, [1999] R.J.Q. 1883 la p.
1892, [1999] R.J.D.T. 1044 (C.A.) ; Fraternit unie des charpentiers et menuisiers dAmrique,
section locale 579 c. Bradco Construction Ltd, [1993] 2 R.C.S. 316 la p. 336, 102 D.L.R. (4e) 402.
2008] G. NOTEBAERT SYSTME DE LARBITRAGE DE GRIEFS AU QUBEC 131
Cette situation est problmatique parce quelle soppose la volont avoue du
lgislateur dassurer une justice arbitrale accessible, rapide, finale et moins coteuse
que celle des tribunaux ordinaires. En effet, non seulement cette conjoncture retarde-
t-elle la rsolution des litiges en droit du travail, mais elle implique galement le
dbours de frais juridiques importants lis la contestation de telles procdures. Cela
est dautant plus inacceptable que, moindres frais pour les parties, dautres
tribunaux spcialiss pourraient dtenir une expertise plus approprie que celle de
larbitre de griefs pour disposer de certaines affaires. Il sagit de la Commission
daccs linformation, de la Commission des relations du travail ou encore du
Tribunal des droits de la personne, dont les membres sont justement nomms en
fonction de leur exprience, de leur expertise, de leur sensibilisation et de leur intrt
en matire de droits et liberts de la personne148.
Aussi, on peut se demander si le lgislateur ne devrait pas, dans certains cas et
sous certaines conditions, autoriser les salaris et leurs associations adresser
directement leurs griefs aux instances juridictionnelles existantes, qui dtiennent
lexpertise approprie pour rsoudre certains types de litiges particuliers. En dautres
termes, la comptence de larbitre pour appliquer une loi ne devrait pas vacuer
celle de tout autre tribunal cr justement pour appliquer cette loi149. Cette solution,
qui ne risque gure de remettre en question lattractivit des syndicats, ni
dentraner une rosion du champ de leur reprsentation150, pourrait contribuer
endiguer une partie du problme de la judiciarisation de larbitrage de griefs et
permettre aux syndicats de mieux sacquitter de leur devoir de reprsentation, en
donnant un meilleur accs la justice aux salaris quils reprsentent.
La cration dune commission nationale darbitrage permettrait par ailleurs de
mieux encadrer le processus de nomination des arbitres de griefs, en tablissant des
standards uniformes de slection, bass sur les comptences, lexprience ainsi que
les habilets personnelles et professionnelles des candidats. Cette commission
pourrait jouer un rle de premier plan en ce qui concerne llaboration de
programmes de formation destins aux arbitres de griefs, contribuant ainsi assurer le
maintien dun haut niveau de comptence parmi ses membres. Le dveloppement de
cette expertise pourrait son tour avoir des rpercussions sur la norme de contrle
applicable en matire de rvision judiciaire et sur le degr de retenue des tribunaux
suprieurs, confrant ainsi une plus grande stabilit la justice arbitrale.
148 Voir Charte des droits et liberts de la personne, L.R.Q. c. C-12, art. 101.
149 Pineau, supra note 141 la p. 17.
150 Voir notamment Denis Nadeau, Laccroissement de la comptence arbitrale et llargissement
de lobligation de reprsentation syndicale : dynamiques complmentaires et indissociables,
Colloque Grard Picard : Vers un arbitrage public de qualit et accessible, Saint-Hyacinthe, 1er fvrier
2007, la p. 5 [non publi].
132
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 53
C. Laccs la justice
Pour favoriser laccs la justice et viter que la norme lgislative ou
conventionnelle ne devienne quun tigre de papier, les salaris doivent disposer des
ressources ncessaires pour sadresser aux tribunaux. Dans le contexte des rapports
collectifs de travail, cela signifie que le syndicat doit disposer des ressources
financires suffisantes pour porter les griefs larbitrage, puisque lui seul dtient
gnralement cette prrogative en vertu de son monopole de reprsentation syndicale.
Or, un des problmes du systme darbitrage actuel concerne justement son
accessibilit pour bon nombre de petits et de moyens syndicats, qui ne disposent pas
toujours des sommes requises pour soumettre leurs griefs larbitrage. En effet, en
plus de devoir assumer les honoraires de leurs procureurs, les syndicats doivent
habituellement contribuer au paiement de la rmunration et des frais de larbitre de
griefs. Le problme nest certes pas nouveau puisque dj, en 1983, Marcel Pepin
rapportait que
beaucoup de petits et moyens syndicats locaux [nont] pas les moyens
financiers de se permettre un grand nombre darbitrages en raison des cots
quils doivent absorber, puisque dans la plupart des cas cest eux qui doivent
payer une partie des frais du prsident et certaines autres dpenses inhrentes
un arbitrage (libration de tmoins, de reprsentants et officiers syndicaux)151.
Ce constat est plus que jamais dactualit considrant lvolution de la
jurisprudence de la Cour suprme du Canada, qui a eu pour effet daccrotre
considrablement le champ de comptence de larbitre de griefs, de telle sorte que la
majorit des griefs ncessite aujourdhui plusieurs journes daudition, la dure totale
des audiences ayant pratiquement doubl au cours des dix dernires annes152. Les
arbitrages durent de plus en plus longtemps, ne portent plus exclusivement sur les
seules dispositions de la convention collective, sont de plus en plus complexes et
cotent de plus en plus cher153. Une sentence arbitrale rendue aprs une seule journe
daudition peut coter plus de cinq mille dollars pour les seuls frais et honoraires de
larbitre de griefs154.
151 Marcel Pepin, La mdiation pr-arbitrale en matire de conflits de droit (griefs) dans
Mdiation, supra note 1, 8 aux pp. 20-21.
152 Voir Hamelin, supra note 3 la p. 7.
153 Voir Marie-Claire Chouinard, Le champ de comptence de larbitre de grief, Colloque Grard
Picard : Vers un arbitrage public de qualit et accessible, Saint-Hyacinthe, 1er et 2 fvrier 2007 la p.
13 [non publi].
154 titre dexemple, dans laffaire Syndicat national de la sylviculture (SNS-CSN) c. Entreprises
agricoles et forestires de la Pninsule inc. la facture a t de 5 679.76$ pour un grief ayant requis une
seule journe daudition. La facture de larbitre se dtaillait ainsi : Indemnit pour annulation dune
journe daudience : 360.00$ ; Temps requis pour laudience : 1 680.00$ ; Dlibr et rdaction de la
sentence : 1 680.00$ ; Transport : 868.00$ ; Htel et repas : 286.14$ ; Location de salle : 110.30$ ;
TPS et TVQ : 695.32$ ([Compte dhonoraires professionnels] (16 fvrier 2007), Grief 2006-01, Me
Huguette Gagnon).
2008] G. NOTEBAERT SYSTME DE LARBITRAGE DE GRIEFS AU QUBEC 133
Cette situation est proccupante et peut reprsenter un certain danger pour les
associations de salaris, parce quelle risque de compromettre leur capacit dassumer
adquatement leur devoir lgal de juste reprsentation en les plaant devant un
impossible dilemme. En effet, les syndicats devront dcider quels griefs ils porteront
larbitrage parmi ceux quils considrent pourtant biens fonds, simplement parce
quils ne pourraient pas assumer le cot de lensemble des procdures qui
mriteraient dtre soumises lattention de larbitre de griefs. Le syndicat devra-t-il
privilgier la contestation dune dcision administrative qui touche lensemble des
salaris de lunit de ngociation, le grief allguant harclement psychologique au
travail ou celui rclamant un accommodement raisonnable au profit dune personne
salarie handicape ? Il rpugne lesprit que la dfense des droits des salaris soit
tributaire de la seule capacit de payer dun syndicat. Cette situation est dautant plus
absurde que, quelle que soit sa dcision, le syndicat risque de faire lobjet dune
plainte allguant dfaut de reprsentation de la part dune personne salarie
insatisfaite, de telle sorte quil devra dbourser des frais supplmentaires pour
assumer sa propre dfense dans le cadre de cette procdure, en plus de devoir payer
les frais relatifs larbitrage du grief et aux honoraires de lavocat du salari concern
dans lventualit o sa plainte serait effectivement accueillie155. Aussi, peu importe
lissue dune telle plainte, il y aura dans une telle ventualit moins de ressources
disponibles pour la protection des intrts des membres de lunit de ngociation,
puisquune partie de celles-ci devra tre consacre la dfense de la rectitude des
choix syndicaux.
Le salari non syndiqu pourra quant lui bnficier gratuitement des services
offerts par la Commission des normes du travail, pour assurer sa dfense dans le cadre
dune plainte de harclement psychologique au travail, et des services de la
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, dans le cadre dune
plainte allguant discrimination fonde sur le handicap. On se demande donc en vertu
de quel principe le salari reprsent par un syndicat ne pourrait pas galement
bnficier des services et de lexpertise offerts par ces organismes gouvernementaux,
considrant que leurs ressources sont rendues disponibles grce aux impts pays par
lensemble des contribuables qubcois, y compris ceux des salaris syndiqus.
Par ailleurs, la cration dune commission nationale darbitrage, o ltat
prendrait en charge les frais et honoraires de larbitre de griefs, permettrait dassurer
un vritable accs au forum arbitral pour lensemble des salaris syndiqus au
Qubec. Considrant que cest le Code du travail qui impose larbitrage de griefs
comme mode exclusif de rsolution des litiges en milieu syndiqu et qui dcrte un
devoir de juste reprsentation lassociation accrdite, on peut se demander
pourquoi il ne reviendrait pas ltat dassumer les moyens de ses ambitions, en
contribuant, avec les partenaires sociaux, la mise en place et au maintien du systme
darbitrage de griefs au Qubec. La proposition nest dailleurs pas nouvelle puisque
dj, en 1979, Jacques Dupont crivait :
155 Voir Code du travail, supra note 37, art. 47.2-5.
134
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 53
Une autre amlioration quil serait possible dapporter au systme darbitrage
serait certainement que ltat prenne sa charge les diffrents cots de
larbitrage en ce qui concerne les frais dhonoraires des arbitres partout au
Qubec. En effet, il sagit dun systme tatique et obligatoire darbitrage et
tous les employeurs, tant du secteur priv que du secteur public, doivent passer
par larbitrage pour le rglement de leur litige durant la convention collective
[…]156.
La cration dune telle commission, dont les modalits de financement restent
dfinir, pourrait tre accompagne de la mise en place de mcanismes de contrle
visant viter lengorgement du systme, tels le filtrage pralable des griefs et la
mdiation prarbitrale. Cette commission pourrait imposer ses membres un Code de
procdure arbitrale qui assurerait la clrit du processus dadjudication en obligeant,
par exemple, la dnonciation des moyens prliminaires, la divulgation de la preuve, la
communication des admissions et la liste des autorits que lon entend invoquer lors
de laudition sur le fond. Larbitre de griefs pourrait enfin exercer une relle autorit
quant au droulement des auditions, compte tenu de lincontestable indpendance
institutionnelle qui caractriserait dsormais lexercice de sa fonction.
Conclusion
En amorant la rdaction de cet article, nous avions un prjug dfavorable
lgard de certains aspects du systme darbitrage actuellement en vigueur au Qubec
en raison des tmoignages entendus au cours du colloque Grard-Picard. Au terme de
notre rflexion, ce prjug est devenu conviction : il faut rformer le systme
darbitrage parce que le rgime actuel ne permet pas toujours aux arbitres de griefs de
remplir adquatement le mandat que leur a confi le lgislateur, ni aux salaris
dobtenir une justice rapide et de qualit. Limportance des problmes lis
lindpendance institutionnelle, au champ dexpertise et laccessibilit des
tribunaux darbitrage nous convainc de la ncessit de rnover cette institution. Aussi
devons-nous rpondre de faon affirmative la question titre de notre article.
Ce constat na finalement rien dtonnant si lon considre que dj, la fin des
annes soixante-dix, certains observateurs estimaient que le rgime darbitrage tait
engag sur une voie qui mne la dsutude, sil ne fait pas lobjet dune
modification profonde de ses structures157, que le systme darbitrage agonise158.
Au dbut des annes quatre-vingt, dautres praticiens spcialiss en droit du travail
considraient encore que le systme darbitrage tait sclros159, malade160, quil
156 Jacques Dupont, Le systme darbitrage de grief est-il devenu dsuet au Qubec ? dans
Rodrigue Blouin et al., dir., Le Code du travail du Qubec 15 ans aprs…, Sainte-Foy (Qc), Presses de
lUniversit Laval, 1979, 171 la p. 196.
157 Ibid. la p. 201.
158 Michel Drolet, Une critique des facteurs de russite et dchec telle que prsente par monsieur
Dupont dans Blouin et al., supra note 156, 202 la p. 212.
159 Jacques A. Laurin, Table ronde : Critique du systme actuel darbitrage, valuation et critique
de la formule propose dans Mdiation, supra note 1, 59 la p. 61.
2008] G. NOTEBAERT SYSTME DE LARBITRAGE DE GRIEFS AU QUBEC 135
tait devenu la salle damusement des procureurs161 et quil savrait incapable
datteindre les objectifs ayant inspir sa mise en place162. Triste prsage, au dbut
des annes quatre-vingt-dix, Fernand Morin crivait enfin que sil fallait, dans tous
les cas, laide dun avocat spcialis pour assurer une conduite convenable du
processus arbitral et disposer dnormes moyens financiers pour acquitter les frais
inhrents, larbitrage ne serait plus un processus judiciaire adapt au milieu du travail
ni accessible163.
Or, notre recherche nous a justement rvl que nous avons atteint ce point de
rupture. En effet, llargissement du champ de comptence de larbitre de griefs
ncessite, dans bien des cas, la prsence de procureurs dtenant une expertise
diffrente de celle qui est habituellement requise pour disposer des questions relatives
la stricte interprtation dune convention collective. Les arbitrages peuvent en outre
ncessiter des ressources financires importantes vu le degr de complexit accru des
dossiers, rendant par le fait mme la justice arbitrale hors de porte pour bon nombre
de petits syndicats.
Si plusieurs voies de rformes peuvent tre envisages pour rsoudre cette
problmatique, nous estimons que la reconnaissance de juridictions concurrentes
entre diffrents tribunaux spcialiss et lautorisation du droit doption pour les
salaris est une solution la fois ncessaire et incontournable. La cration dune
commission nationale darbitrage constitue une autre piste de solution qui mrite
dtre srieusement considre parce quelle a lavantage dapporter une rponse
satisfaisante lensemble des problmes identifis dans le cadre du prsent article. En
dfinitive et pour paraphraser le juge Lesage dans un autre contexte, le temps est
peut-tre venu de reconnatre quil faut se rsigner une chirurgie majeure plutt que
dintervenir par des ordonnances ponctuelles164 visant amliorer une institution qui
priclite.
160 Jean Pomminville, Table ronde : Critique du systme actuel darbitrage, valuation et critique
de la formule propose dans ibid., 66 la p. 67.
161 Clment Godbout, Table ronde : Critique du systme actuel darbitrage, valuation et critique
164 Voir Syndicat des employs du Carrefour des Jeunes de Montral c. Union des employs de
service, local 298, [1990] T.T. 398 la p. 406, D.T.E. 90T-978.
de la formule propose dans ibid., 72 la p. 75.
de la formule propose dans ibid., 78 la p. 79.
162 Raymond Leboeuf, Table ronde : Critique du systme actuel darbitrage, valuation et critique
163 Larbitrage des griefs au Qubec : pratiques et paradoxes dans Brossard, supra note 1, 9 la p.
15.