Article Volume 45:4

Histoire de l'acte volontaire en droit pénal anglais et canadien

Table of Contents

Histoire de I’acte volontaire

en droit pe.nal anglais et canadien

Hugues Parent*

L’auteur propose une analyse de l’6volution de ]a
responsabilit6 prnale, et en particulier l’616ment moral,
en droit pnal anglais et canadien sous l’angle de ]a
discontinuit6 historique. II souligne les diffdrentes ap-
proches qu’apportent A la notion de l’infraction pnale
les historiens du droit, les philosophes et les juristes de
l’6poque mrdirvale, de la Renaissance et de l’6poque
classique. I1 soutient que la signification actuelle de
mens rea en droit criminel n’est pas le rsultat d’une
6volution linaire, mais bien le produit d’une rupture,
d’une volont6 visant A affranchir la responsabilit6 p6-
nale de ses assises philosophiques.

Aprbs avoir dress6 un tableau des fondements de
la responsabilit6 pAnale au cours des diff~rentes prrio-
des historiques, l’auteur s’en sert pour motiver sa criti-
que du droit plnal canadien et anglais A l’6poque con-
temporaine. Dans cette optique, il fragmente l’616ment
moral de l’infraction en deux parties disinctes: l’616ment
l’individu et l’e1ment moral se
moral se rattachant
rattachant A ]a drfinition de l’infraction. Enfin, il estime
que l’6volution r&ente de ]a jurisprudence en droit
criminel va A l’encontre de ]a constitutionnalisation de
la mens rea, mais milite en faveur de ]a reconnaissance
institutionnelle de l’616ment moral se rattachant a
l’individu.

The author analyzes the evolution of criminal re-
sponsibility and in particular its moral component, in
English and Canadian criminal law, from the viewpoint
of historical discontinuity. He discusses the various ap-
proaches of legal historians, philosophers, and jurists to
the notion of criminal offence throughout the Middle
Ages, the Renaissance, and the Classical period. He
suggests that the present meaning of mens rea in crimi-
nal law is not the result of a linear evolution, but rather
the product of a rupture, of a desire to free criminal re-
sponsibility from its philosophical foundations.

The author then uses his historical discussion of
the foundations of criminal responsibility in his analy-
sis of contemporary Canadian and English criminal
law. He divides the moral component of the offence
into two distinct parts: the moral element linked to the
individual and the moral element linked to the defini-
tion of the offence. Finally, the author concludes that
recent developments in criminal case law run counter to
the constitutionalization of mens rea, while favouring
the institutional recognition of the moral component
linked to the individual.

“Professeur, Facult6 de droit, Universit6 de Montrral.
Revue de droit de McGill 2000

McGill Law Journal 2000
Mode de rdfdrence: (2000) 45 R.D. McGill 975
To be cited as: (2000) 45 McGill L.J. 975

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE McGIL

[Vol. 45

Introduction

1. La responsabilit6 p6nale au Moyen Age

A. Les origines du droit criminel
B. La naissance de I’exigence quant i la volontO criminelle

I. La responsabilit6 p6nale & la Renaissance

A. L’analyse de la notion d’infraction p6nale au temps de Sir Edward

Coke
1. Uinfraction en tant qu’action humaine imputable

a. L’intelligence

i. La minorit6
ii. La ddmence

b. La volont6

i. Uignorance
ii. La crainte ou la n~cessit6

2.

[infraction en tant qu’action humaine coupable
a. La n6gligence
b. L’intention g6n6rale
c. L’intention sp6cifique

B. La notion d’infraction p6nale au temps de Sir Matthew Hale

1. Linfraction en tant qu’action humaine imputable

a. La nature de I’homme

intelligence

i.
ii. La volont6

b. L’application de I’acte volontaire en matibre de responsabilit6

p6nale

2. L’infraction en tant qu’action humaine coupable

a. La ndgligence
b. L’intention g6n6rale
c. L’intention sp6cifique

III. La responsabilit6 p6nale A I’6poque classique

A. L’analyse de la conception mat6rialiste de I’acte volontaire en droit

p6nal anglais
1. L’approche philosophique
2. Lapproche juridique

B. L’analyse de la responsabilit6 p6nale telle que formulae par Sir

James Fitzjames Stephen
1. La relativit6 juridique du concept de mens rea
2. Lanalyse de I’6l6ment mental sur lequel repose

d’infraction p6nale

la notion

2000]

H. PARENT – HISTOIRE DE L’ACTE VOLONTAIRE

977

a. L’l6ment mental particulier A chaque infraction
b. Les conditions g6n6rales r6gissant la responsabilit6 p6nale

IV. La responsabilitd p6nale A I’6poque contemporaine

A. L’approche physique de I’acte volontaire en droit p6nal anglais et

canadien

B. Eapproche intellectualiste de I’acte volontaire en droitpdnal anglais et

canadien
1. ULlment moral se rattachant & i’individu (conditions g6n~rales de

la responsabilitd p6nale)

2. I 61ment moral se rattachant & la socidt6 (mens rea)

a. La conception contemporaine de la mens rea
b. Le rattachement juridique des moyens de d6fense A la th6orie
de la mens rea ou 6 I’approche intellectualiste de I’acte
volontaire
i. La defense d’alidnation mentale
ii. La minorit6
iii. La n~cessit6
iv. La cbntrainte morale
v. Lerreur de fait

Conclusion

978

MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGIL

[Vol. 45

Introduction

En droit p6nal canadien, la notion de mens rea ou d’6tat d’esprit coupable est la
c16 de vofite de ]a responsabilit6 morale et de la responsabilit6 juridique. Malgr6 ses
origines lointaines, –
son apparition
l’horizon du droit criminel en Angleterre re-
monte au XIIC si~cle –
il est difficile encore aujourd’hui de saisir la valeur exacte de
ce concept. Au point de vue juridique, la notion de mens rea est consid6r~e par la plu-
part des historiens du droit comme le prolongement imm6diat de la faute morale en
droit criminel, comme le symbole de l’individualisation de la responsabilit6 p6nale en
droit anglo-saxon.

Tout en reconnaissant l’importance accordfe A ]a notion de mens rea en droit p6-
nal canadien, certains faits doivent etre rappel6s. Historiquement, la mens rea n’est
pas 4 rorigine de I’introduction de ]a responsabilit6 subjective en Angleterre ; de plus,
son ascension dans le paysage juridique anglo-saxon n’est pas le produit d’une 6volu-
tion lin6aire, mais bien le fruit d’une rupture, d’une mutation de l’616ment de faute au
cours des XIXC et XX si~cles. Concr~tement, la mens rea s’inscrit
l’int6rieur d’un
concept philosophique beaucoup plus large et beaucoup plus fondamental : il s’agit de
l’acte volontaire. Au plan psychologique, l’acte volontaire d6signe le rattachement
6thique et spirituel de l’infraction t son auteur. <,Rattach6e t 'homme, l'infraction ne peut 8tre saisie dans sa substance profonde, sans que soit analys6 ce qui chez l'homme le diffdrencie des autres sources possibles du dommage social ', A savoir son intelligence et sa volont6. L'objet de cet article est de remettre en question certains postulats sur lesquels re- pose ]a notion de mens rea. I1 ne s'agit pas ici de r6cuser d6finitivement la mens rea, mais bien de secouer la qui6tude avec laquelle on accepte d'embl6e ce concept. Notre projet est de montrer essentiellement que la mens rea n'est pas le seul 616ment moral en droit p6nal canadien, mais que sa pr6dominance A l'heure actuelle r6sulte d'une volont6 visant h r6duire l'infraction A ce qu'elle est dans son objectivit6, dans sa structure superficielle, sans se pr6occuper de sa fonction et de'sa transcendance par rapport t l'univers philosophique dans lequel elle prend place. Les hypotheses que nous avons retenues dans le cadre de cette 6tude peuvent etre r6sum6es bri~vement. 1f existe deux approches distinctes de l'acte volontaire en droit p6nal canadien. La premiere, qui est g6n6rale et qui s'applique l'ensemble des causes de non- responsabilit6 p6nale, associe la commission d'un acte volontaire h la r6alisation d'un acte libre et r6fl6chi ; c'est ]a vision intellectualiste ou classique de 'acte volontaire. La seconde, qui est sp6cifique et beaucoup plus 6troite, envisage racte volontaire dans une perspective purement physique ; c'est la vision mat6rialiste de l'acte volontaire. ' A.-C. Dana, Essai sur la notion d'infraction penale, Paris, Librairie g6n6rale de droit et de juris- prudence, 1982 A lap. 18. 2000] H. PARENT - HISTOIRE DE L'ACTE VOLONTAIRE La mens rea, en tant qu'616ment de faute se rattachant l'infraction, est un 616- ment essentiel mais fragmentaire d'une approche volontariste de la responsabilit6 p6- nale. Bien que la vision intellectualiste de la volont6 ne soit plus 6nonc6e express6- ment dans les livres de doctrine, elle continue courir obstin6ment au-dessous de l'interpr6tation contemporaine de la mens rea. A notre avis, son application devrait etre g6n6ralis6e prochainement avec l'6mergence de plus en plus visible de l'acte vo- lontaire en jurisprudence, et de la constitutionnalisation de l'616ment moral se ratta- chant h l'individu en droit p6nal canadien. Cette recherche h caract6re historique est divis6e en quatre parties distinctes. Alors que les deux premi~res parties seront consacr6es h la p6riode du Moyen Age et de la Renaissance, les troisi~me et quatrime parties am~neront une 6tude de la res- ponsabilit6 p6nale dans le cadre des limites temporelles fix6es par les 6poques classi- que et contemporaine. I. La responsabilit6 p6nale au Moyen Age La formation et la succession des premiers modules de justice p6nale au cours du Moyen Age est un ph6nom~ne reconnu par 1'ensemble des historiens du droit. Mais, longtemps, il a 6t6 pris d'une mani~re globale comme un ph6nom~ne progressif, comme une 6volution normale des formes g6nfrales de ]a peine : moins de cruaut6, moins d'injustice et accroissement de l'importance accordfe au sentiment de l'accus6. En fait, la d6rive d'une justice privfe marquee par le sang une justice p6nale fond6e sur la responsabilit6 individuelle est un processus beaucoup plus profond qui traduit un changement important dans l'objet m~me de la fonction de punir et dans les senti- ments reli6s it l'ex6cution de la peine. L'objet de cette premiere partie est de d6crire tout d'abord les changements qui ont affect6 les grands paradigmes de la responsabi- lit6 p6nale l'6poque m6di6vale et de r6pondre par la suite aux questions suivantes : Comment ont-ils pu naltre? A quels besoins r6pondaient-ils? Quel 6tait leur mode de fonctionnement et surtout h quels sentiments 6taient-ils rattach6s? A. Les origines du droit criminel Le plus ancien de tous les grands modsles de justice punitive, celui que I'on re- trouve i l'origine du droit criminel contemporain, est celui de la vengeance priv6e. D'apr~s cette conception archa'que et rudimentaire de la peine, il appartient <>-. En dfpit de son
caract~re purement priv6 –
l’id6e de l’ttat n’existait pas cette 6poque, et la famille
constituait le seul v6ritable lien social –
l’exercice de la vengeance individuelle en
tant que r6action instinctive contre les actes de violence manifeste une certaine colo-
ration sociale du fait que chaque famille exprime naturellement une solidarit6 face aux
agissements de ses membres. Ainsi, le dommage que subit un membre du clan ou de

2R. Saleilles, L’individualisation de la peine, 3′ 6d., Paris, Librairie F61ix Alcan, 1927 a lap. 23.

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la famille appelle en retour une vengeance, une obligation de r6ciprocit6 visant A
compenser la perte ou la blessure inflig6e. Dans une soci6td oil la subsistance est h la
fois pr6caire et difficile, oil l’interd6pendance et le nombre des individus condition-
nent la survie du clan, la vengeance privde est une r6action naturelle qui refl~te la na-
ture particuli~re des moeurs de l’6poque barbare.

Malgr6 son caractre spontan6 et instinctif, l’exercice de la vengeance priv6e n’est
pas sans limites. En effet, certains aspects de la vendetta sont r6gis par les codes an-
glo-saxons. Ainsi, par exemple, les lois d’Alfred pr6voient les conditions r6gissant la
poursuite de la vengeance priv6e. Quant aux lois d’Edmund et de Cnute, elles tracent
tour A tour les limites A l’int6rieur desquelles doit s’exercer le recours A la force.

Au plan id6ologique, ]a vengeance priv6e repose sur la notion de ressentiment,
sur le besoin spontan6 et quasi inconscient de r6parer le mal qui a 6t6 fait en punissant
l’auteur mat6riel du dommage. R6action purement instinctive, la vengeance priv6e r6-
suite donc d’un d6s6quilibre, d’un sentiment d’injustice face Al la souffrance
qu’occasionnent la perte ou les blessures que subit un membre du clan. Dans sa forme
absolue, la vengeance priv6e ignore donc la distinction entre un fait accidentel et un
dommage intentionnel pour ne retenir ultimement que le dommage mat6riel, le lien
‘action de celui qui en est A l’origine. Aussi c’est
qui unit ]a souffrance 6prouv6e et
avec raison que l’on qualifie ]a vengeance priv6e de responsabilit6 objective. Mais
cette objectivit6 de la fonction r6pressive, 6crit Raymond Saleilles,

a un tout autre sens que ce que nous entendons par IA aujourd’hui. Ce n’est pas
l’individualisation qui fait d6faut, c’est la culpabilit6 elle-m~me, prise du point
de vue moral. Non seulement, on ne tient pas compte de ce que nous appelle-
rions aujourd’hui les circonstances att6nuantes, mais on n’exige m~me pas que
la volont6 soit coupable, c’est-A-dire qu’il y ait une faute au sens moral du mot6.

Avec l’drosion de I’organisation sociale fond6e sur l’appartenance familiale et le
d6veloppement progressif de la vie communautaire, l’exercice de la peine quitte gra-
duellement le domaine de la vengeance privde pour entrer dans celui de la compensa-
tion mon~taire. A l’origine, ce syst6me est purement volontaire. En effet, si la victime
refuse le d6dommagement (bot), ou si les parents refusent la r6paration offerte pour la
perte de l’un de leurs membres (wer), la vengeance priv6e demeure une solution in-
contoumable’. Ce n’est que plus tard, avec
‘affermissement et la consolidation des
liens sociaux que le systime de compensation mon6taire acquiert un caract~re obli-
gatoirei. On connait peu de chose au sujet des m6thodes visant A fixer le tarif des

‘Alfred, c. 42, dans W. Holdsworth, A History of English Law, vol. 2, Londres, Methuen & Co.,

Sweet & Maxwell, 1966 A la p. 44.

4 Edmund (Secular), c. 7, dans Holdsworth, ibid.
“Cnut (Ecclesiastical), c. 5, dans Holdswoth, ibid.
Saleilles, supra note 2 aux pp. 31-32.
7iEthelbert, c. 65, dans Holdsworth, supra note 3

la p. 44. Nous avons recens6 dans la littdrature

trois mani~res diffdrentes d’dcrire A thelbert (kthelbert, kthelred, Ethelbirht).

‘Ibid. aux pp. 44-45.
‘Ibid. A lap. 45.

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H. PARENT – HISTOIRE DE L’ACTE VOLONTAIRE

compensations, si ce n’est que le montant de l’indemnit6 fluctuait en fonction du sta-
tut de la victime. Sur ce point, nous sommes d’accord avec Raymond Saleilles pour
dire que s’il y a eu A cette 6poque un premier essai d’individualisation :

[C]’est une individualisation faite au point de vue de la victime et nullement an
regard du d6linquant. Ce dont on tient compte, c’est de la personne de
l’offens6. Suivant la place qu’il occupe, le rang dont il est, ou, plus tard, ]a
fonction qu’il remplit, le prix payer varie. On ne dent pas compte de la per-
sonne de l’offenseur. C’est que le mal subi peut bien varier d’apri-s !a position
sociale de la victime, le dommage ne change pas avec la personnalit6 de
l’auteur du fait”o.

L’une des premieres innovations introduites par le syst~me de compensation mo-
n6taire en droit criminel est l’id6e voulant que le tort caus6 un membre de la com-
munaut6 puisse se refl6ter sur l’ensemble du groupe social et, en particulier, sur la
personne en charge de l’ordre et du maintien de la communaut6. Autrement dit, le
moindre crime rejoint toute la soci6t6, et toute la socid6t est pr6sente dans le moindre
crime. La compensation mon6taire, qui fait figure cette 6poque de punition, acquiert
de plus en plus un caractbee particulier, une fonction g6n6ralis6e identifi6e au corps
social et k son repr6sentant. L’individu qui cause un dommage A un membre de la
collectivit6 doit alors non seulement proposer k la victime un d6dommagement mo-
n6taire (bot), mais aussi offrir au roi on A toute personne en charge de la communaut6
une compensation suppl6mentaire (wite)”.

Au point de vue des fondements de la responsabilit6 p6nale, le syst~me de com-
pensation mon6taire ignore la distinction entre les dommages commis avec ou sans
intention. Le but de la compensation 6tant de r6tablir l’6quilibre rompu entre la per-
sonne bless6e, ses repr6sentants et l’auteur de la conduite r6prouv6e, la responsabilit6
individuelle I cette 6poque d6coule en grande partie de la r6alisation purement mat6-
rielle de l’acte h l’origine du dommage. En d’autres termes, le syst6me de compensa-
tion repose sur une vision objective de la responsabilit6 p6nale. >’. En effet, d’aprbs les lois d’Henri r, qui inscienter peccat scienter emendet”.
Un homme agit I son risque et pdril. Ainsi, toujours selon les memes lois :
There are also various kinds of misfortunes taking place by accident rather than
by design, and to be treated with mercy rather than strict justice; for the law is
qui inscienter peccat scienter emendet […] And wherever a man cannot truly
swear that he had done nothing whereby another was further from life or nearer
to death, he ought properly to pay for whatever was done. Of such cases are: if
someone on a journey for another should meet death while engaged in the mis-
sion […]; if a man should send for someone and the latter should be killed

Saleilles, supra note 2 A la p. 24.
“Holdsworth, supra note 3 lap. 47.
‘2 Saleilles, supra note 2
‘>Leges Henrici Primi, cit6 dans F.B. Sayre, (1932) 45 Harv. L. Rev. 974 A lap. 978.

lap. 32.

982

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while on the way; if someone should meet death when summoned by another,
if someone’s weapons placed there by their owner should kill another, if one,
whether the deceased or another, should throw them down and they do injury;
if one who is summoned should be pierced by anyone’s weapons, placed any-
where; if someone should terrify or push another so that falling from his horse
or from any other place, he should come to evil; if someone should be brought
to see the show of a wild beast or a lunatic, and should suffer any harm from
them; if someone should lend a horse or anything to another from which evil
should befall him; if someone’s horse, goaded or struck in the rear by someone,
injures a person; in these and similar cases, where a man intends one thing and
another thing happens, where the act is blameworthy and not the intent, the
judges should rather decree a less severe punishment by way of honorarium in
proportion to the injury (venialem pocius emendacionem et honorificenciam
judices statuant, sicut accideit) “.

Un 616ment nouveau, 6tranger au syst~me r6gulier de la compensation mon6taire,
apparalt ici ; c’est l’absence de d6dommagement accord6 habituellement au repre-
sentant de la communaut6 lorsque le tort caus6 A la victime est le r6sultat d’un acte
accidentel. Dans ces conditions, l’auteur de l’infraction doit s’acquitter de l’obligation
qu’il a contract6e envers la victime ou ses repr6sentants (wer), mais n’est pas tenu de
rembourser le suppl6ment offert au roi (wite). Ainsi, selon les Lois d’Alfred : obissent A peu
prbs aux memes principes que ceux de la compensation mon6taire : c’est-A-dire res-
ponsabilit6 objective et absence d’intr&t port6 I l’intention de l’auteur de ‘acte. La

” Ibid. aux pp. 978-79. Voir aussi L. Downer, dir., Leges Henrici Primi, Oxford, Clarendon Press,

1972 aux pp. 283, 285.

” Alfred, c. 36, dans Holdsworth, supra note 3 h lap. 51. Voir au m~me effet Sayre, supra note 13 A

la p. 982.

2000]

H. PARENT – HISTOIRE DE L’ACTE VOLONTAIRE

prise en compte de l’intention du criminel dans l’6valuation et la d6termination de
l’6tendue de la peine est une autre ressemblance avec le syst~me de r6paration p6cu-
niaire. En effet, devant la rigueur et l’absence d’altematives qu’offraient les peines en
mati~re de crimes non-rachetables >, les autorit6s s6culi~res, sous l’influence de plus
en plus importante du pouvoir eccl6siastique, commencrent A att6nuer la peine en
fonction de l’intention coupable du criminel. Ainsi, d’apr~s les Lois d’/Ethelred

And if it happens that a man commits a misdeed involuntarily, or unintention-
ally, the case is different from that of one who offends of his own free will, vol-
untarily and intentionally; and likewise he who is an involuntary agent of his
misdeeds should always be entitled to clemency and better terms owing to the
fact that he acted as an involuntary agent.
Careful discrimination shall be made in judging every deed, and the judgment
shall be ordered with justice, according to the nature of the deed … in affairs
both religious and secular, and, through the fear of God, mercy and leniency
and some measure of forbearance shall be shown towards those who have need
of them. For all of us have need that our Lord grant us his mercy frequently and
often. Amen.

6

Bien qu’il soit impossible dans l’6tat actuel des choses de certifier que cet extrait
constituait une pratique judiciaire reconnue au temps d’thelred, il demeure que
l’intention criminelle commence A acqu6rir un statut particulier, une reconnaissance
institutionnelle qui s’organise au niveau de 1’6valuation de la peine, dans un ph6no-
m~ne d’individualisation et de raffinement de la fonction punitive 7. En effet, selon les
Lois de Cnut, successeur d’Ilithelred :

[W]e must make due allowance and carefully distinguish between age and
youth, wealth and poverty, freemen and slaves, the sound and the sick. […]
And discrimation with regard to these circumstances must be shown both in
ecclesiastical amends and in secular judgment.
Likewise, in many cases of evildoing, when a man is an involuntary agent, he is
more entitled to clemency because he acted as he did from compulsion.
And if anyone does anything unintentionally, the case is entirely different from
that of one who acts deliberately ” .

La fonction de la peine initie une v6ritable transformation de la justice criminelle.
Elle quadrille un espace que les lois p6nales laissent vide et elle cherche ht 6tablir et h
contrebalancer la rigueur des principes r6gissant la responsabilit6 individuelle en op6-
rant un certain 6quilibre entre la culpabilit6 morale et la sanction p6nale. Certes, le
crime non intentionnel est encore sanctionn6. L’absence de la volont6 n’est pas une
cause d’irresponsabilit6, mais elle commence
la surface du processus
judiciaire, comme une strat6gie visant A att6nuer la rigidit6 de la peine. Ce qui se des-

apparaitre,

6 VI kthelred, c. 52, n 1, dans N. Walker, Crime and Insanity in England: The Historical Pers-

pective, vol. 1, ]dimbourg, Edinburgh University Press, 1968 a lap. 16.

‘7 Sayre, supra note 13
“Cnut, c. 68, n 3, dans Walker, supra note 16 aux pp. 16-17.

lap. 980.

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGIL

[Vol. 45

sine derriere cette pratique, c’est sans doute moins la naissance d’une nouvelle ma-
ni~re d’apprdhender le droit, qu’une tendance vers une justice criminelle plus 6quili-
br6e et plus soucieuse de l’int&& personnel de l’accus6. Le processus est classique ;
les notions d’intention et de volont6 apparaissent dans l’inconscience collective, dans
le sentiment d’injustice qui r6sulte de 1’absence de distinction entre les crimes commis
avec ou sans intention, pour ensuite gagner les r6gions de la peine, 1M oim il est possible
d’exercer une certaine s6gr6gation en faveur des accus6s moralement innocents.
Quant A la responsabilit6 p6nale, elle demeure en g6n6ral objective, c’est-A-dire insen-
sible A l’intention de l’auteur de l’acte.

De cette analyse portant sur les premiers modules de justice punitive au cours du
Moyen Age, nous pouvons tirer les conclusions suivantes. Tout d’abord, en ce qui
conceme les fondements de la responsabilit6 individuelle, les textes auxquels nous
avons accs d6montrent le caract&e relativement objectif de la faute p6nale. Faut-il
conclure pour autant, comme le font certains auteurs, 1’absence de toute consid6ra-
tion se rapportant A l’intention de ‘accus6? Nous ne le croyons pas. En effet, sans re-
chercher directement A isoler le caract6re volontaire de l’infraction commise, certains
crimes pr6voient implicitement A travers les composantes de leur d6finition, un mini-
mum d’intention et de mauvaise foi. Dans cette cat6gorie d’infraction, nous trouvons
en premier lieu le vol (action qui consiste A prendre le bien d’autrui par la force ou par
la ruse sans son consentement) et le viol (action de saisir une femme sans son con-
sentement dans le but d’obtenir des faveurs sexuelles). Quant aux crimes d’entr6e
avec effraction, d’incendie volontaire et de guet-apens, la r6alisation matrielle des
faits h la source de l’incrimination t6moigne directement de la pr6sence chez l’auteur
du fait d’un certain degr6 de malice”.

Par ailleurs, en ce qui conceme l’ex6cution de la peine, nous avons vu que
l’intention et le caracthre volontaire de l’acte sont des facteurs relativement importants
en droit anglo-saxon. En effet, comme l’indique Francis B. Sayre dans son c6l bre ar-
ticle portant sur la mens rea, il semble manifestement injuste, meme A cette 6poque
relativement lointaine, > ‘ .

B. La naissance de I’exigence quant A la volontW criminelle
A la fin du XI1 sicle, le droit criminel anglais entre dans une voie de develop-
pement et de transformation. Les profonds changements qui affectent alors les princi-
pes de ]a responsabilit6 p6nale d6coulent en grande partie de la pr6sence de deux 6v6-
nements juridiques extremement importants en Europe : premi~rement, la red6cou-
verte du droit romain dans les universit6s anglaises et continentales et deuxi~mement,
l’emergence de plus en plus marqu6e du droit canonique en Angleterre.

‘9Sayre, supra note 13 A lap. 981.
:”Ibid. aux pp. 981-82.

2000]

H. PARENT – HISTOIRE DE L’ACTE VOLONTAIRE

En ce qui touche le premier point, A savoir le retour A l’enseignement du droit ro-
main dans les universit6s europ6ennes, l’influence semble avoir 6t6 immediate. En ef-
fet, la communaut6 juridique red6couvre avec enthousiasme les anciens textes ro-
mains’. A l’image de Glanvil, certains tentent, par exemple, de distinguer les causes
civiles des causes criminelles. D’autres encore, essaient de comprendre et d’analyser
les notions de dolus et de culpa. Beaucoup enfin, cherchent l introduire certains de
ces concepts A l’int6rieur de la pratique judiciaire anglaise. Au plan des fondements
de la responsabiiit6 p6nale, rapport du droit criminel romain est considirable dans la
mesure ott il fait reposer la culpabilit6 p6nale sur l’exigence d’un acte volontaire.
Dans leur analyse de la responsabilit6 morale, les auteurs anglais s’inspirent abon-
damment des rescrits contenus dans le Digeste. Parmi les plus importants, mention-
nons notamment le rescrit de l’empereur Hadrien.

k l’influence du droit romain, l’apport considdrable du droit canonique doit etre
l’origine de la transformation des principes gouver-
ajout6 comme second facteur
si~cle. En raison de l’interaction cons-
nant la responsabilit6 p6nale a la fin ,du XiL
tante entre le clerg6 et l’ttat, l’influence qu’exerce la doctrine de ‘Itglise sur le droit
p6nal est tr~s importante voire m~me pr6pond6rante. En ce qui concerne les fonde-
ments id6ologiques de la responsabilit6 p6nale, les canonistes du d6but de la p6riode
classique sont cat6goriques : > . Autre-
ment dit, il n’y a pas de responsabilit6 sans l’existence d’une faute. En effet, d’apr~s
un texte d’Augustin reproduit par Gratien, 4l n’y a d’acte peccamineux […] que s’il a
td volontaire ; 1′ absence de volont6 exclut la faute -4. En latin, cela se traduit comme
suit : Usque adeo peccatum voluntarium malum est, ut nullo modo peccatum sit, si
non sit voluntarium- . Citons des textes analogues rapport6s par l’abb6 Metz dans son
article consacr6 t la responsabilit6 p6nale dans le droit canonique mddi6val. Selon
Ambroise, 26.
Aux dires du Pseudo-Chrysostome, < (Les
actes criminels different selon qu’ils ont 6t6 commis volontairement (avec dessein), sous 1’effet de la
colre (emportement) ou accidentellement), et enfin D. 47, 2, 54: (La volont6 criminelle et l’intention (dessein, but) d61ictueuse distinguent).

“‘ R. Metz, dans J. LUaut6, dir., La res-

ponsabilitgpinale. Travaux du Colloque dephilosophiepifnale, Paris, Dalloz, 1961, 83 A lap. 91.

24 Le passage, tir6 des Retractationes, I, Cause (C.) 15, question (qu.) 1, chapitre (c.) 12, princip., est

cit6 dans Metz, ibid. b lap. 92.

25 Voir Metz, ibid.
26 C. 15, qu. 1, c. 10 (Personne n’est tenue responsable (coupable) moins que la volont6 s’6carte
du droit chemin) ; ce passage, qui est tir6 du trait6 De Jacob et vita beata, I, c. 3, n. 10 (ddit. C.
Schenkel, dans Corpus script. eccl. lat. t. 32,2, 1897

lap. 10.), est cit6 dans Metz, ibid. lap. 93.

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGIL

[Vol. 45

htntate perficitur> ‘ . Enfin, mentionnons, en demier lieu, la pr6sence dans le Dicret
d’un texte emprunt6 au Code justinien : .

L’influence du droit romain et du droit canonique sur le d6veloppement de lajus-
tice criminelle en Angleterre est un ph6nom~ne bien connu par les historiens du droit.
Malgr6 cette situation, il est difficile encore aujourd’hui d’6valuer avec exactitude
l’incidence qu’ont exerc6e ces deux influences sur les nombreux changements affec-
tant ]a responsabilit6 p6nale A l’6poque f6odale. Sur ce point, Bracton est, de tous les
auteurs m6di6vaux, celui qui a marqu6 le plus l’6volution du droit criminel. Son ou-
vrage, De legibus et consuetudinibus angliae, est un m6lange A la fois de principes
emprunt6s au droit romain, au droit canonique et A la pratique judiciaire anglo-
saxonne. A l’image des canonistes du XIf sidcle, Bracton insiste sur le caract6re vo-
lontaire de l’acte criminel. En effet, selon l’6minentjuriste :

[W]e must consider with what mind (animo) or with what intent (voluntate) a
thing is done, in fact or in judgment, in order that it may be determined ac-
cordingly what action should follow and what punishment. For take away the
will and every act will be indifferent, because your state of mind gives meaning
to your act, and a crime is not committed unless the intent to injure (nocendi
voluntas) intervene, nor is a theft committed except with intent to steal”.

Comme l’indique ce passage emprunt6 au canoniste Azo, Bracton estime que ]a

volont6 est un 616ment essentiel A toute forme de responsabilit6 p6nale. D’ailleurs,
c’est sur ce principe qu’est fond6e toute son analyse consacr6e aux diffdrentes fonnes
d’honicide. D’apr~s Bracton, il existe deux types d’hornicide : l’un spirituel et ‘autre
corporel. Au sujet de cette derni~re cat6gorie d’honicide Bracton 6crit :

Corporal homicide is where a man is slain bodily, and this is committed in two
ways: by word or by deed. By word in three ways, that is, by precept, by coun-
sel, and by denial or restraint. By deed in four ways, that is, in the administra-
tion of justice, of necessity, by chance and by intention. (Facto quatuor modis,
scilicet iustitia, necessitate, casu et voluntate.) In the administration of justice,
as when a judge or officer kills one lawfully found guilty. […] Of necessity, and
here we must distinguish whether the necessity was avoidable or not; if avoid-
able and he could escape without slaying, he will then be guilty of homicide; if
unavoidable, since he kills without premeditated hatred but with sorrow of
heart, in order to save himself and his family, since he could not otherwise es-
cape [danger], he is not liable to the penalty for homicide. By chance, as by
misadventure, when one throws a stone at a bird or elsewhere and another
passing by unexpectedly is struck and dies, or fells a tree and another is acci-
dently crushed beneath its fall and the like. But here we must distinguish

27C. 32, qu. 5, c, 10, cit6 dans Metz, ibid. (Pas de crime, pas d’intervention de lajustice sans volont6

perfide).

2 D. 50, c. 47, cit6 dans Metz, ibid. (Le crime, il va de soi, n’est engag6 que si la volont6 coupable
survient). Voir aussi Code de Justinien, 9, 16, 1, Ad legem corneliam de sicariis, cit6 dans Metz, ibid
” Sayre, supra note 13 i lap. 985. H. de Bracton, On the Laws and Customs of England, trad. par

S.E. Thome, vol. 2, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1968 A lap. 290.

2000]

H. PARENT – HISTOIRE DE L’ACTE VOLONTAIRE

987

whether he has been engaged in a proper or an improper act Improper, as
where one has thrown a stone toward a place where men are accustomed to
pass […I here liability is imputed to him. But if he was engaged in a lawful act,
as where a master has flogged a pupil as a disciplinary measure […] liability is
not imputed to him. But if he was engaged in a lawful act and did not employ
due care, liability will be attributed to him. By intention (voluntate), as where
one in anger or hatred or for the sake of gain, deliberately and in premeditated
assault, has killed another wickedly and feloniously and in breach of the king’s
peace. Homicide of this kind is sometimes done in the sight of many bystand-
ers, sometimes in secret, out of the sight of all, so that who the slayer is cannot
be ascertained; homicide of that kind may be termed murder […]
[notes
omises].

Bien que certains principes 6nonc6s dans cet extrait refl~tent en g6n6ral la prati-
que judiciaire admise A 1’6poque de Bracton, il est 6vident que plusieurs dispositions
reproduites ici comme faisant partie de la common law anglaise ne sont, en fait, admi-
ses uniquement qu’en droit canonique. En d6pit de sa grande sagesse et des efforts
qu’il a d6ploy6s afin de faire reconnaltre la primaut6 de la volont6 en droit p6nal,
l’instar de ses pr6dcesseurs, est li6 par les exigences de la proc~dure cri-
Bracton,
minelle et, plus prdcis6ment, par la n6cessit6 d’implorer le pardon royal dans les cas
d’homicid&’ : <<[l]t appertains to the lord the king and his crown to take cognizance of [...] the crime of homicide, whether by misadventure or by design, although these do not entail the same punishment, because in the one case rigor obtains and in the other mercy 32. La dualit6 de 'infraction criminelle au temps de Bracton apparait done ici claire- ment. D'un c6t6, nous avons, an plan de la d6termination de la responsabilit6 pdnale, une approche trbs objective du crime, un espace oii la culpabilit6 est coextensive de '6tablissement des faits mat6riels pr6vus aux termes de l'infraction. De 'autre c6t6, nous avons, au stade de 1'6valuation de la peine, une approche plus subjective du crime, un lieu oii s'exprime la substance 6thique de l'infraction ainsi que la responsa- bilit6 morale de l'auteur de 'acte. De ce qui pr6c6de, nous pouvons done conclure que malgrd l'influence qu'a exercde Bracton sur le ddveloppement ult6rieur du droit criminel, 1'infraction en tant qu'action humaine coupable et action humaine imputable demeure sdparde tout au long du Moyen Age : le premier 6tant concern6 pres- qu'uniquement par la rdalisation mat6rielle de 1 acte et le second par le caract~re juste et humain de la peine. II. La responsabilit6 p6nale & la Renaissance Tout au long des XIV et XVC si~cles, A l'intdrieur et 'extdrieur de l'appareil ju- diciaire, dans la pratique quotidienne de la justice p6nale comme dans les commentai- Bracton, ibid aux pp. 340-41. "'F Pollock et F.W. Maitland, The History of English Law: Before the 7ime of Edward 1, vol. 2, Wa- shington, Lawyers' Literary Club, 1959 h lap. 479. -'2 Sayre, supra note 13 A lap. 986. Bracton, supra note 29 aux pp. 297-98. 988 MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE McGIL [Vol. 45 res des juristes de '6poque, un nouveau partage s'dtablit entre les principes r6gissant ]a responsabilit6 p6nale et l'exercice de la fonction punitive. Les fondements qui sous- tendent alors la proc6dure visant A d6terminer la responsabilit6 individuelle commen- cent A se doubler d'une relation d'objet dans laquelle sont pris non seulement le crime en tant que fait mat6riel, mais aussi le criminel en tant qu'individu h punir. Dans cette transformation, deux processus se sont m6lds. D'un c6t6, nous assistons t l'individualisation d6finitive de la responsabilit6 p6nale en Angleterre ; la faute objec- tive quitte graduellement le droit criminel pour entrer dans le domaine de la responsa- bilit6 civile ' . De l'autre c6t6, nous sommes t6moins de I'affranchissement d6finitif de la pr&ogative royale ; la constatation de l'innocence morale du criminel ne rel~ve plus des privilges de la souverainet6, mais de la competence r6guli~re des cours de justice et de l'application coh6rente des principes gouvemant ]a responsabilit6 p6nale. A quoi doit-on attribuer cette nouvelle mani~re d'appr6hender ]a proc6dure p6- nale et la fonction r6pressive en Angleterre ? Peut-etre h une transformation g6n6rale d'attitude, A la naissance d'une nouvelle sensibilit6, mais aussi et surtout A un raffine- ment de la procedure p6nale et A l'apparition d'une justice plus fine et plus nquilibrde. En un mot, la r6forme du droit criminel et l'individualisation des principes r6gissant ]a re perques comme un changement de responsabilit6 p6nale en Angleterre doivent mentalit6, comme une tactique visant A organiser le droit criminel en fonction d'une approche plus r6guli&e et plus efficace de ]a justice p6nale. C'est dans cette perspective historique que nous entendons 6tudier, dans le cadre la responsabilit6 p6nale en Angleterre, les diff~rentes com- de cette partie consacr6e posantes de l'infraction criminelle aux XV, XVIIC et XVIW si6cles. A l'6tude de la notion d'infraction p6nale au temps de Sir Edward Coke, succ~dera un examen des fondements de ]a responsabilit6 individuelle A l'6poque de Sir Matthew Hale. A. L'analyse de la notion d'infraction p6nale au temps de Sir Edward Coke Edward Coke est n6 le 1" fWrier 1552 A Mileham, dans le comt6 de Norfolk en Angleterre. Juriste et homme politique d'une tris grande influence, Sir Edward Coke la supr6matie de la est reconnu principalernent pour son attachement ind6fectible common law, et pour son opposition farouche aux pr6rogatives de ]a Couronne bri- tannique en mati~re judiciaire. Nomm6 juge en chef de la Cour des plaidoyers en 1606, puis de la Cour du Banc du Roi en 1613, sa carrire fit marqu6e notamment par de nombreux affrontements avec l'T6minent juriste, et rival de l'6poque, Francis Ba- con. Au point de vue juridique, la contribution de Sir Edward Coke est sans contredit rune des plus importantes en Angleterre. Dans son c6lEbre trait6, Institutes of the Laws of England, l'auteur consacre une partie complete de son analyse A l'dtude de la responsabilit6 p6nale. L'objet de cette rubrique est d'examiner, en d6tail, les com- " Voir par ex. YB. Mich. 6 Edw. IV, f. 7, pl. 17 (1466) ; YB. Pasch. 13 Edw. IV, f. 9, pl. 5 (1473); Y B. Trin. 21 Hen. VII, f. 28, pl. 5 (1506). 20001 H. PARENT - HISTOIRE DE L'ACTE VOLONTAIRE 989 mentaires de Coke sur la notion d'infraction p6nale. Apr6s avoir d6crit les diff&entes composantes de l'imputabilit6, nous allons nous interroger sur le contenu de la culpa- bilit6. 1. Linfraction en tant qu'action humaine imputable l'image des th6ologiens de la seconde partie du XI= si~cle, les juristes anglais du XVW sicle 6chafaudent les fondements spirituels et 6thiques de la responsabilit6 p6nale sur la pr6sence d'un acte volontaire. Au plan psychologique, est volontaire 1'action qui proc~de des deux facult6s propres A la personne que sont l'intelligence et la volont6. En droit, nous trouvons un tel rapport entre l'intelligence et la volont6 dans le libre arbitre. Ainsi, l'individu poss6de h l'int6rieur de sa propre identit6, les deux facult~s qui lui permettent de choisir intelligemment et librement sa conduite. Etant la cause efficiente de ses actes, il peut donc en assumer la responsabilit6 morale et p6- nale. Parfois, il arrive cependant que le fonctionnement de 'intelligence ou de la vo- lont6 de l'individu soit contrari6 par des causes qui lui sont internes ou externes. Dans ces cas, le droit pr~voit certaines exemptions visant A exclure l'individu de 'application normale de la responsabilit6 p6nale. En Angleterre, les facteurs qui 6cartent la pr6sence d'un acte volontaire en droit criminel peuvent 8tre class6s en deux cat6gories distinctes selon qu'ils agissent au niveau de l'intelligence (a) ou de la volont6 (b). a. L'intelligence Dans ses commentaires sur l'6tat du droit criminel en Angleterre, Sir Edward Coke divise les facteurs qui empechent l'usage normal de la raison et de 1'intelligence en deux grandes classes, soit la minorit6 et la d6mence. i. La minorit6 A 1'image de '6volution physiologique et biologique du corps humain, 1'intelligence est une puissance qui se d6veloppe petit petit selon un ordre chronolo- gique naturel qui va de l'enfance h la vieilesse. La raison n'apparait pas subitement chez l'homme ; en fait, l'6closion de la conscience et du sens moral de l'individu est un processus lent et progressif qui s'dchelonne sur plusieurs ann6es et qui ne s'accomplit qu'apr~s un certain ige. ii. La d6mence Contrairement A la minorit6, la d6mence est une incapacit6 qui affecte l'intelligence et la raison de l'individu sans 6gard h I'age de ce dernier. Au plan con- ceptuel, Coke divise la d6mence en deux cat6gories distinctes ; soit l'idiotie et la folie MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGIL [Vol. 45 proprement dite'. L'idiotie est un arr& cong6nital du d6veloppement mental ou un d6veloppement mental incomplet, caract6ris6 par une insuffisance des facult6s intel- lectuelles. Quant h la folie proprement dite, il s'agit d'une perturbation des facult6s intellectuelles arriv6es A leur plein d6veloppement. Sur le statut juridique de l'enfant et de l'alin6, Sir Edward Coke est explicite: I'enfant et le fou sont incapables en raison de leur condition particulire de commettre des infractions de nature criminelle. En effet, d'aprbs l'6minentjuriste: Murder is when a man of sound memory, and of the age of discretion, unlaw- fully killeth within any County of the Realm any reasonnable creature in rerum natura under the King's peace, with malice forethought, either expressed by the party, or implied by law [... " [nos italiques]. Felonious implieth, that though the taking be actuall, yet must it be done by such persons as may commit felony. A mad man that is non compos mentis, or an infant that is under the age of discretion, cannot commit Larceny, as in an- other place we have said"6 [nos italiques]. Comme l'indiquent ces quelques extraits tir6s de la troisi~me partie de Institutes of the Laws of England, Coke fonde la notion de capacit6 criminelle sur la pr6sence d'un minimum d'intelligence et de discemement. La minorit6 et la d6mence, en raison des limites qu'elles entrainent au point de vue de la connaissance et de la compr6hen- sion, soustraient l'enfant et I'ali6n6 de l'application normale des principes r6gissant la responsabilit6 p6nale. b. La volont6 En plus d'exiger la prdsence d'un minimum d'intelligence, l'acte volontaire doit 8tre le r6sultat d'une volont6 libre et sans contrainte. Bien que ce principe 616mentaire ne soit pas dnonc6 express6ment par Sir Edward Coke, les nombreux exemples qu'il cite 4t ce sujet d6montrent clairement que le d6faut de volont6 chez l'auteur de l'acte entraine un effacement de la responsabilit6 morale et subsdquemment de la responsa- bilt6 p6nale. Les causes d'involontaire sont respectivement l'ignorance, la crainte et la n6cessit6. I. Lignorance L'ignorance est cause d'involontaire dans la mesure oti elle prive l'accusd de la connaissance requise pour diriger sa conduite. D'aprs Coke, l'ignorance peut affecter ]a connaissance et la responsabilit6 de l'individu de deux mani~res, selon qu'elle est consdquente ou concomitante. L'ignorance cons6quente est l'aveuglement de celui "'E. Coke, The First Part of the Institutes of the Laws of England, vol. 2, New York, Garland Pu- blishing, 1979 A lap. 247.a (L. 3, c. 6, s. 405). "" E. Coke, The Third Part of the Institutes of the Laws of England, New York, Garland Publishing, 1979 4 la p. 47 [ci-apris Part Three of the Institutes]. '6Ibid. A la p. 108. 2000] H. PARENT - HISTOIRE DE L'ACTE VOLONTAIRE qui peut et doit savoir. En raison de son caractre particulier, l'ignorance cons6quente entraine une faute morale et subs6quemment une sanction p6nale. L'ignorance concomitante, pour sa part, est l'ignorance irr6prochable des cir- constances et des conditions entourant l'acte. Tel est le cas, lorsqu'une personne ignore une circonstance A laquelle elle ne pouvait raisonnablement pas s'attendre et qui, A cause de cela, pose un acte qu'elle n'aurait jamais commis en temps normal. Cette cat6gorie d'ignorance constitue d'apr~s Coke une cause certaine d'involontaire et d'irresponsabilit6 p6nale. ii. La crainte ou la n6cessit6 Pour Coke, l'acte commis par n6cessit6 ou sous l'effet d'une crainte particuli~re est plus volontaire qu'involontaire37 . En effet, consid6r6 en dehors des circonstances entourant la commission du crime, c'est-h-dire pour lui-meme, l'acte est involontaire (en temps normal, je ne d6sire pas tuer quelqu'un). Mais consid6r6 absolument, c'est- -dire en rapport avec les circonstances en l'esp~ce, l'acte est volontaire (afin de pro- t6ger ma vie ou celle de ma famille, je ddsire tuer mon agresseur). Malgr6 cette dis- tinction conceptuelle, l'acte commis par n6cessit6 ou par crainte, lorsqu'il est absolu- ment n6cessaire, est d6pourvu selon Coke d'intention malicieuse et de coloration p6- nale. Si une personne intelligente et dot6e d'une volont6 libre et sans contrainte peut commettre une infraction, encore faut-il que cette volont6 se soit extrioris~e dans la commission d'un acte interdit auquel est rattach6e une faute morale. 2. 'infraction en tant qu'action humaine coupable Alors que l'imputabilit6 est 1'616ment moral qui se rattache A l'homme, la culpa- bflit6 est '616ment moral qui se rattache au crime. En inscrivant express6ment ou im- plicitement 4 l'int6rieur de l'infraction l'6tat d'esprit n6cessaire h la constitution du crime, la communaut6 indique aux individus l'616ment de faute que doit avoir l'auteur d'une action imputable au moment de la commission du crime. En droit p6nal anglais, cet 616ment de faute 6mane soit de la negligence (a), soit de l'intention g6n6rale (b) ou soit de l'intention sp6cifique (c). a. La n6gligence La negligence constitue, sans aucun doute, un 6lment de faute pouvant justifier l'application de la sanction p6nale. En effet, dans son 6num6ration des diff6rentes ca- t6gories d'homicide, Sir Edward Coke associe l'assassinat accidentel A un meurtre en raison de la n6gligence et du manque de prudence que manifeste l'accus6 au temps de Sur 1'aspect volontaire mais irr~pr~hensible de l'acte voir Aristote, ,thique de Nicomaque, Paris, Flammarion, 1992 aux pp. 73-74. 992 MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGIL [Vol. 45 l'action (quia voluntas in delictis, non exitus spectatur). 11 existe donc, d'apr~s l'auteur, une certaine norme de diligence h laquelle doit se soumettre l'ensemble de ]a population. Cette norme de diligence, une fois transgress6e, attribue A l'acte mat6driel sa coloration p6nale. b. L'intention g6n6rale L'infraction d'intention gdndrale est celle pour laquelle la volont6 se rapporte uni- quement t l'accomplissement mat6riel de l'acte en question, sans qu'il y ait d'autre but vis6 par l'auteur de l'acte. D'apr~s Sir Edward Coke, l'intention g6n6rale est un 616ment de faute suffisant en droit p6nal. Pour s'en convaincre, citons un extrait de ses commentaires consacr6s au viol: Rape is felony by the Common law, declared by Parliament for the unlawfull and camall knowledge and abuse of any woman above the age of ten years against her will, or of a woman child under the age of ten years with her will, or against her will, and the offender shall not have the benefit of Clergy 9. c. L'intention sp6cifique Contrairement A l'intention g6n6rale qui se rapporte uniquement A la commission de 'acte criminel, l'intention sp6cifique exige un but, un dessein qui d6passe la r6ali- sation purement mat6drielle de l'actus reus. Autrement dit, c'est une volont6 dirig6e vers un but d6termin6, vers un objet sp6cifique, tel que tuer, voler ou infliger des 16- sions corporelles. Parmi les nombreux exemples que nous fournit t ce sujet Sir Ed- ward Coke, nous avons retenu, pour les fins de notre propos, l'infraction de Burgla- ie : A Burglar [...] is by the Commom law a felon, that in the night breaketh and entreth into a mansion house of another, of intent to kill some reasonable crea- ture, or to commit some other felony [...], whether his felonious intent be exe- cuted or not. We call it in Latin Burglari 4 [nos italiques]. D'apr~s les commentaires de Sir Edward Coke, nous constatons que le droit cri- minel tel que nous le connaissons aujourd'hui est bel et bien en voie de s'accomplir. Autrefois fond6e sur la r6alisation purement mat6rielle du dommage, la responsabilit6 p6nale est d6sormais solidement ancr6e dans la notion de faute morale. A travers ce mouvement de transformation, il se dessine un portrait de plus en plus clair du crimi- nel et de l'infraction. Tout d'abord, en ce qui conceme le criminel, nous avons vu que ]a responsabilit6 p6nale telle que d6crite par Coke est une responsabilit6 A base de faute morale. Cet 616ment de faute, cette spiritualisation de l'infraction, repose non plus sur le dommage mat6riel mais sur le caract~re libre et intelligent du criminel, c'est-a-dire sur la pr6sence d'un acte volontaire. Quant h l'infraction, elle conditionne, "Part Three of the Institutes, supra note 35 h lap. 57. "Ibid. 4 lap. 60. ,Ibid. lap. 63. 2000] H. PARENT - HISToIRE DE L'ACTE VOLONTAIRE travers l'6num6ration des faits mat6riels et de la description de l'616ment de faute, l'intervention de la proc6dure judiciaire et le reproche qu'adresse la soci6t6 vis-h-vis du criminel. B. La notion d'infraction p6nale au temps de Sir Matthew Hale Matthew Hale est n6 le I' novembre 1609 h Alderley, dans le comt6 de Glouces- tershire en Angleterre. Hale, dont le destin personnel fut marqu6 profond6ment par la guerre civile et la revolution anglaise, est un homme d'une int6grit6 remarquable et d'un sens critique hors du commun. Consid6r6 par la plupart des historiens du droit comme l'un des plus grands juristes en Angleterre, Hale fut nomm6 juge en chef de la Cour du Banc du Roi en 1671 apr~s une fulgurante carrire comme avocat et magis- trat. Au point de vue juridique, Matthew Hale est reconnu principalement pour son ouvrage The History of the Pleas of the Crown4 '. L'int6r& de son travail r6side essen- tiellement dans son habilet6 h rendre compte de l'ensemble des r~gles r~gissant le droit criminel, et dans son aptitude h retracer les fondements gouvemant la responsa- bilit6 p6nale. En bref, Hale, c'est Bracton plus Coke. Du premier, il poss~de l'intuition et la perspicacit6. Du second, il retient la rigueur et la logique juridique. Devant de telles qualit~s, il n'est donc pas 6tonnant de constater l'6norme contribution de Sir Matthew Hale au droit criminel et, plus sp6cifiquement, h la notion d'infraction p6- nale. En raison de l'importance que rev& sa pens6e pour la suite de notre recherche, nous allons consacrer cette rubrique aux commentaires qu'il a fonnul6s h l'6gard de la responsabilit6 p6nale. Apr~s avoir analys6 l'infraction en tant qu'action humaine im- putable, nous allons proc6der a une analyse de l'infraction en tant qu'action humaine coupable. 1. Iinfraction en tant qu'action humaine imputable L'6tude g6n6rale de linfraction en tant qu'action humaine imputable comprend deux consid6rations ; d'abord, celle de la nature de l'homme (a) et de ses deux gran- des facult6s que sont l'intelligence et la volont6 puis, celle de la responsabilit6 p6nale (b) et de ses fondements 6thiques. a. La nature de l'homme Au d6part de son analyse th6ologique consacr6e h la bienveillance du ccur et h sa corruptibilit6, Matthew Hale affirme que la raison distingue l'homme de l'animal". La distinction est classique mais n6anmoins int6ressante. Elle est fond6e sur l'intelligence, sur le rapport qui oppose traditionnellement le raisonnable et 4, M. Hale, The History of the Pleas of the Crown, Historia Placitorum Coronae, vol. 1, Londres, 42T. Thirlwall, dir., The Works, Moral and Religious, of Sir Matthew Hale, Knt., vol. 1, Londres, R. Professional Books Limited, 1971. Wilks Printer Chancery-Lane, 1805 aux pp. 337-38. MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGIL [Vol. 45 l'instinctif. Pour Matthew Hale, l'homme est une cr6ature raisonnable, un 8tre dou6 d'un minimum d'intelligence et de libert6. Compte tenu de ses attributs particuliers, 'homme est conscient de son unicit6, de l'environnement qui 1'entoure et des actes qu'il pose ; en somme, il est en mesure de diriger pleinement et librement sa conduite. Quant l'animal, il est de toute 6vidence d6pourvu d'intelligence et de raison. Son comportement est purement instinctif, c'est- -dire domin6 par l'impulsion et la spon- tan6it6, et d6termin6 par les moyens que la nature lui a enseign6s. i. Uintelligence L'intelligence est une puissance de l'a-e". En effet, d'apr~s Matthew Hale, la rai- son constitue la partie sup6rieure de l'Ame (the Intelligence and Reason are the impe- l'infini. Dans ses nom- rial part of the soul)". Les fonctions de l'intelligence varient breux commentaires sur la religion et la philosophie, Matthew Hale d6finit les caract6- ristiques de l'intelligence A travers la description des trois propri6t6s que sont la con- naissance, la d6lib6ration et le jugement. La connaissance est le m~canisme qui per- met A l'individu de concevoir les motifs et les mobiles qui entourent la commission de l'acte. Autrement dit, la connaissance permet h l'homme de cemer les facteurs qui fa- elle, est le processus psy- vorisent ou contrarient l'action. La d6lib6ration, quant chologique qui permet A l'individu de comparer et de peser les raisons qui le poussent t agir dans un sens ou dans un autre. En somme, la d6lib6ration est l'opposition des motifs et des mobiles pergus par la connaissance. Enfin, le jugement est la conclusion du processus de d6lib6ration. En principe, il s'agit de l'op6ration mentale qui d6ter- mine le choix et l'ex6cution mat6rielle qui en r6sulte. ii. La volont6 A l'instar d'Aristote et de Saint Jean Damasc~ne, Matthew Hale consid~re la vo- lont6 comme une facult6 rationnelle. D'apr~s l'auteur du Placitorum Coronae, la vo- lont6 est le compl6ment de l'activit6 intellectuelle et le point de d6part du processus menant 4 la d6termination finale de l'acte. Son rapport avec l'intelligence est extr6- mement 6troit. En fait, il est si 6troit que Matthew Hale, I plusieurs occasions, affirme l'inutilit6 de distinguer clairement entre les deux facult&'. Malgr6 cette proxinit6 conceptuelle, l'6minent juriste admet que l'intelligence est ant6rieure I la volont6, "' Pour l'origine philosophique de cette affirmation voir St Thomas D'Aquin, La Somme Thdologi- que, Paris, tditions du Cerf, 1984, t. 1, a la p. 694. "Thirlwall, supra note 42 A la p. 335 et s. 4 M. Hale, Hargrave 485, 6v: <. Lambeth 3505, 211: <[The will was] distinguished from [the intellect] rather notionally than really>. Ouvrages cit6s dans A. Cromartie, Sir
Matthew Hale 1609-1676, Law, Religion and Natural Philosophy, Cambridge (R.-U.), Cambridge
University Press, 1995 A lap. 171.

2000]

H. PARENT- HISTOIRE DE LACTE VOLONTAIRE

dans la mesure otL la connaissance met en mouvement la volont6e. Devant
l’importance des commentaires de Matthew Hale sur la volont6, et leur absence quasi
totale dans les livres consacr6s au droit criminel, il convient de citer le passage sui-
vant:

It is a rule commensurate to the whole reasonable nature; every person that
hath the common use of the reason, may exercise it without difficulty. Every
reasonable man hath a reasonable will; and every reasonable man may know
what it is he wills, and what it is he would or would another should do to him:
for the will is a rational power in man; and indeed, it is the complement of the
rational procedure in the soul, and that which doth, or should, immediately
follow the last act of the understanding; willing it the full ripe fruit of the ra-
tional soul in things to be done.

D’apr~s les commentaires qui pr6c&Ient, on peut affirmer que 1’analyse de Matthew
Hale sur l’intelligence et la volont6 s’inscrit parfaitement A l’int6rieur de la vision classi-
que de l’acte volontaire. Au plan psychologique, il est possible de d6composer le sch6-
ma de l’acte volontaire en cinq 6tapes : h savoir la connaissance, la d6libdration, le ju-
gement, le choix et l’ex6cution. Bien que chaque 6tape soit pr6sent6e dans un ordre
prdcis, Hale envisage les diffdrentes composantes de l’acte volontaire h l’intdrieur
d’une structure uniforme et dynamique. L’exdcution mat6rielle de l’acte n’est donc
pas ind6pendante des autres op6rations mentales. Au contraire, le choix implique la
ddcision de faire ou de ne pas faire. Or, on ne choisit de faire qu’au moment oti l’on se
met effectivement A agir. L’ex6cution physique d’un acte matdriel est donc une partie
int6grante de l’acte volontaire au sens classique du terme. Son absence contrare, au
meme titre que les autres op6rations mentales, l’accomplissement de l’acte volontaire.

b. L’application de I’acte volontaire en matibre de responsabilit6

p6nale

Contrairement h Sir Edward Coke qui n’6tait pas tr~s explicite sur la question,
Matthew Hale consacre un chapitre entier au problkme de l’imputabilit6 p6nale (per-
sons capable of committing crimes). Dans un style d’une clart6 et d’une prcision re-
marquables, l’auteur livre sa pens6e sur les fondements de la responsabilit6 crimi-
nelle. D’apr s Hale, la coloration p6nale d’un fait mat6riel d6coule de la r6alisation
d’un acte volontaire, c’est-h-dire de l’accomplissement d’un acte libre et rdfl6chi?.

‘ Pour l’origine philosophique de cette affirmation voir St Thomas D’Aquin, supra note 43,

qu. 82, art. 3 hla p. 718.

47Thirlwall, supra note 42 k la p. 385.
4 Voir aussi W. Hawkins, A Treatise of the Pleas of the Crown, vol. 1, New York, Garland Pu-
blishing, 1978 A lap. 1 : The guilt of offending against any Law whatsoever, necessarily supposing a
wilful disobedience thereof, can never justly be imputed to those who are either uncapable of under-
standing it, or of conforming themselves to it. Therefore, before I come to the several kinds of Offen-
ses, I shall show what degrees of discretion and freedom are necessarily required in the Commission
of them>. Voir aussi W. Blackstone, Commentaries on the Laws of England, vol. 4, New York, Gar-
land Publishing, 1978 aux pp. 20-21. D’apri-s l’minentjuriste,

996

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGIL

[Vol. 45

Sur ce point, il convient de citer le paragraphe introductif du chapitre consacr6 A
l’imputabilit6 :

[1] Man is naturally endowed with these two great faculties, understanding and
liberty of will, and therefore is a subject properly capable of a law properly so
called, and consequently obnoxious to guilt and punishment for the violation of
that law, which in respect of these two great faculties he hath a capacity to
obey: [2] The consent of the will is that, which renders human actions either
commendable or culpable; as where there is no law, there is no transgression,
so regularly, where there is no will to commit an offense, there can be no trans-
gression, or just reason to incur the penalty or sanction of that law instituted for
the punishment of crimes or offenses. [3] And because the liberty or choice of
the will presupposeth an act of the understanding to know the thing or action
chosen by the will, it follows that, where there is a total defect of the under-
standing, there is no free act of the will in the choice of things or actions49.

Au plan conceptuel, la prenire partie du texte constitue la fondation sur laquelle
repose l’ddifice de l’infraction et de l’imputabilit6 p6nale. D’apr~s Matthew Hale, la
capacit6 criminelle est directement lie aux deux grandes facult6s propres A la per-
sonne que sont l’intelligence et la volont6. C’est done en raison des attributs person-
nels que nous avons d6finis un peu plus haut, que l’homme est le seul capable de
commettre une infraction, l’unique sujet de la responsabilit6 p6nale ‘.

La seconde partie du texte est classique. C’est dans la mesure oti l’acte est volon-
taire que le criminel est moralement et p6nalement responsable de sa conduite.
L’origine philosophique et th6ologique de la maxime est reconnue. On la retrouve
autant chez Aristote ()”‘ que chez Saint Augustin (c’est par la volont6 que l’on pbche, et que l’on
vit honnetement)”-, autant chez Saint Jean Damascene (les actes volontaires entrainent

the general rule is, that no person shall be excused from punishment for disobedience
to the laws of his country, excepting such as are expressly defined and exempted by the
laws themselves. All the several pleas and excuses, which protect the committer of a
forbidden act from the punishment which is otherwise annexed thereto, may be re-
duced to this single consideration, the want or defect of will. An involuntary act, as it
has no claim to merit, so neither can it induce any guilt: the concurence of the will,
when it has its choice either to do or to avoid the fact in question, being the only thing
that renders human actions either praiseworthy or culpable.

6, art. 2 Ala p. 68.

t. 2, qu. 20, art. 1 A la p. 158.

49Hale, supra note 41 aux pp. 14-15.
‘ Pour l’origine philosophique de cette affirmation voir St Thomas D’Aquin, supra note 43, t. 2, qu.

s’ Aristote, supra note 37 A lap. 73.
‘2 St Augustin, Retract. I, 9. PL 32, 596. BA 12, 319, cit6 dans St Thomas D’Aquin, supra note 43,

2000]

H. PARENT – HISTOIRE DE L’ACTE VOLONTAIRE

la louange on le blfme)3 que chez Saint Thomas D’Aquin (tout acte bon ou mauvais
est louable ou blmable selon qu’il est au pouvoir de la volont6)’.

La troisi~me et dernibre partie du texte 6tablit un parall~le int6ressant entre le li-
bre arbitre et la volont6. Mais une fois de plus, l’idre n’est pas originale. En effet,
nous trouvons A cette 6poque en droit canonique plusieurs 6tudes consacrres A la vo-
lont6 et au libre arbitre. Ainsi, selon Saint Jean Damascbne, 3 . Pouvoir de choisir, c’est exactement de cela qu’il s’agit. Matthew Hale
envisage la volont6 et le libre arbitre en fonction du choix7. La libre d6cision, comme
nous l’avons 6nonc6 prrcrdemment, suppose l’exercice combin6 de la connaissance,
de la ddlibdration et du jugement. En d’autres termes, l’intelligence est la cause mo-
trice de la volont6, du libre arbitre et de la responsabilit6 morale. Sans elle, le dom-
mage materiel n’a aucune valeur 6thique, aucune incidence morale.

2.

‘infraction en tant qu’action humaine coupable

.A l’image de ses pr6d~cesseurs, Matthew Hale classe l’6l6ment de faute en trois
catdgories distinctes : soit la n6gligence (a), l’intention g6n6rale (b) et l’intention sp-
cifique (c).

a. La n~gligence

La negligence est une faute non intentionnelle qui consiste ne pas faire ce qu’on
aurait dfi faire. Au plan conceptuel, la negligence se traduit par un manque de precau-
tion, de soin on de vigilance de la part de l’accus6 A l’6gard de l’acte dommageable ” .
Cela 6tant dit, deux questions se posent. Sur quel fondement peut-on attribuer une
un individu qui n’a pas, au moment de la commission du dommage,
faute morale

53 St Jean Damascine, De Fide Orth. II, 24. PG 94, 956, cit6 dans St Thomas D’Aquin, ibid., t. 2,
qu. 6, art. 2 lap. 67.

St Thomas D’Aquin, ibid., t. 2, qu. 21, art. 3 A la p. 166.

5 St Jean Damascine, De Fide Orth. 111, 14. PG 94, 1037, cit6 dans St Thomas D’Aquin, ibid., t. 1,

qu. 83, art. 4

lap. 724.

Ibid.
37Hale, supra note 41 aux pp. 16-29. Voir aussi Blackstone, supra note 48.
” Dans la mesure oii l’individu est dou6 d’une intelligence normale et dot6 d’une volont6 libre,
l’absence de prdoccupation qu’il manifeste h l’6gard de certaines situations dangereuses est suffisante
h elle seule pour engager la responsabilit6 morale et p~nale de l’accus6. En effet, d’aprts Blackstone,
lap. 183 : (<[If someone] whip[s] another's horse, whereby he runs over a child and kills him, is ibid held to be accidental in the rider, for he has done nothing unlawful; but manslaughter in the person who whipped him, for the act was a trespass, and at best a piece of idlenesss, of inevitably dangerous consequence>.

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGIL

[Vol. 45

une intention de nuire? Autrement dit, le volontaire peut-il exister sans la prdsence
d’un acte d6lib6r6? Sur ce point, il ne fait aucun doute que la ndgligence peut justifier
l’intervention de la responsabilit6 morale et pdnale, et cela dans deux situations :
d’abord, lorsque la volont6 est dirigde vers 1’ignorance elle-meme, c’est-t-dire lorsque
l’individu veut ignorer pour avoir une excuse A prdsenter et, ensuite, lorsque 1’616ment
de faute provient de la ndgligence de celui qui peut et doit savoir. En effet, d’aprbs
Matthew Hale:

A drives his cart carelesly, and it runs over a child in the street, if A have seen
the child, and yet drives on upon him, it is murder, but if he saw not the child,
yet it is manslaughter; but if the child had run cross the way, and the cart run
over the child before it was possible for the carter to make a stop, it is per in-
fortuniunt [… ].

b. L’intention g6n6rale

L’intention g6n6rale, comme nous le savons, est la volont6 qui se rapporte h la
comnmission de l’acte matdriel. Bien que l’intention gdndrale soit un concept qui trou-
ble encore aujourd’hui l’esprit et la conscience des juristes, Matthew Hale, dans ses
cormnentaires consacrds au droit pdnal, rdduit l’intention gdndrale
la simple com-
mission volontaire de l’actus reus. En effet, d’aprbs celui-ci, la commission d’une in-
fraction d’intention gdndrale repose sur la prdsence de deux conditions essentielles.
Tout d’abord, il faut une personne doude d’une intelligence minimale et d’une volontd
libre et consciente. Ensuite, il faut que cette personne ait commis les dldments matd-
riels prdvus A l’intrieur de la description de l’infraction criminelle. En pratique,
l’intention gdndrale se prdsente avec un dclat particulier dans le crime de <> ou d’homicide involontaire coupable. Au sujet de cette infraction, Matthew
Hale affirme que <[m]anslaughter, or simple homicide, is the voluntary killing of another without malice express or implied [...]>>’.

c. L’intention sp~cifique

Alors que l’intention gdndrale est la volontd qui se rapporte A la commission de
l’actus reus, I’intention spdcifique est la volont6 dirigde vers un but prdcis, vers un
dessein particulier. Contrairement A l’infraction de simple intention qui repose uni-
quement sur l’extdriorisation d’une volontd libre et rdfldchie, le crime d’intention spd-
cifique suppose un certain degrd d’hostilitd de la part de l’accusd h l’dgard des valeurs
sociales que vise i protdger le contenu de l’infraction criminelle. Cet didment
d’hostilit6, cette intention de nuire, se retrouve en gdndral dans les crimes comme le
vol, la fraude et le meurtre.

“Hale, supra note 41 h lap. 476.

Ibid. a lap. 466.
Ibid. a lap. 450.

2000]

H. PARENT – HISTOIRE DE L’ACTE VOLONTAIRE

999

En raison des nombreux changements qui ont affect6 le d6veloppement des prin-
cipes r6gissant la responsabilit6 p6nale en Angleterre, la Renaissance est considr6e
par la plupart des historiens du droit comme une p6riode fort importante. En effet,
tout au long des XVIC, XVIe et XVIW si~cles, les contours de l’infraction p6nale se
travers le d6roulement quotidien de la pratique judiciaire
sont fix6s progressivement
et les 6crits de Coke, Hale et Blackstone. Le r~sultat fut remarquable. L’1:6ment moral
s’organisa lentement mais d6finitivement autour des deux principales constituantes de
l’infraction que sont le criminel et le d6lit. En ce qui conceme le criminel, c’est A cette
p6riode qu’il acquiert un nouveau statut et une nouvelle figure. Consid6r6 A l’origine
uniquement dans son rapport avec l’acte dommageable, le criminel apparait d6sor-
mais, en raison de la possibilit6 qu’il a de projeter sur ses actions l’ombre de sa r6-
flexion, comme l’unique titulaire de la sanction p6nale. Quant au d6lit proprement dit,
son caract~re subjectif se confirme de plus en plus, assurant ainsi un affinement des
pratiques punitives et un quadrillage plus serr6 du corps social.

Un coup d’ceil sur l’616ment moral qui se rattache

la d6finition des crimes mon-
tre effectivement qu’il n’est plus question A cette 6poque de responsabilit6 objective
puisque djb, aux XlV et XV si~cles, l’aspect purement mat6riel du d6lit se double
d’un 616ment moral qui le caract~rise. Bien que la dualit6 de l’infraction ne soit pas
toujours exprim6e aussi clairement par les tribunaux et les grands th6oriciens du droit
penal, il ne fait aucun doute qu’A partir de la Renaissance, 1’616ment moral de
l’infraction fiat fragment6 en deux parties distinctes. Ainsi, pour 8tre coupable d’une
infraction, l’individu doit 6tre en premier lieu dou6 d’une intelligence minimale et
d’une volont6 libre et sans contrainte ; en un mot, il doit 8tre capable de se conformer
aux prescriptions de la loi p6nale. Ensuite, il faut que la volont6 de l’accus6 se soit
ext6rioris6e dans la commission d’un acte auquel se rattache un 616ment moral sp~ci-
fique tel que la n6gligence (manque de precaution dans l’ex~cution d’une action),
l’intention g~n6rale (volont6 qui se rapporte A la simple commission de 1’acte mat6-
riel, ou, pour s’exprimer autrement, une action commise en dehors de toute violence,
ignorance, ncessit6, folie ou malchance) ou, enfin, rintention sp6cifique (but ult6-
rieur , la simple commission volontaire d’un acte criminel).

III. La responsabilit p6nale & I’poque classique

Contrairement

la Renaissance qui est reconnue pour l’ampleur et la richesse de
ses grandes constructions th6oriques, l’6poque classique est marqu6e par un d6tache-
ment de plus en plus visible de la part des auteurs de doctrine et des magistrats A
l’6gard des fondements philosophiques de la responsabilit6 p6nale. Certes, la culpabi-
lit6 criminelle repose tonjours sur la notion de libre arbitre, mais l’acte volontaire, en-
visag6 dans son acception large d’acte libre et r6fl6chi, tend A entrer progressivement

1000

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE McGIL

[Vol. 45

dans l’ombre au profit de la mise en place d’une vision positiviste de la mens rea et
des diff6rentes causes d’exon6ration-.

C’est dans cette perspective que nous entendons examiner, h l’int6rieur de cette
partie, les principes r6gissant la responsabilit6 p6nale entre les XVII et XIX si~cles.
Apr~s avoir explor6 le contenu de l’approche mat6rialiste de racte volontaire en droit
p6nal, nous allons analyser les commentaires de Sir James Fitzjames Stephen sur les
principes g6n6raux r6gissant la responsabilit6 p6nale.

A. L’analyse de la conception matdrialiste de I’acte volontaire en

droit pdnal anglais

1. L’approche philosophique

Bien que l’approche intellectualiste de l’acte volontaire soit profond~ment enraci-
n6e dans la tradition classique, i demeure qu’elle n’est pas admise par tous les auteurs
de l’poque. En effet, plusieurs philosophes, tout en admettant la rigueur et la logique
de cette conception, s’opposent au caract~re < de la th6orie classique. ls re-
prochent notamment A cette derni~re de n6gliger le r6le d6terminant que jouent les
tendances ou les d6sirs dans la gen~se de
‘acte volontaire. Cette opposition, voire
cette rivalit6, se cristallise au cours des XVII et XVIii sidcles en Europe, ouvrant
ainsi dans l’unit6 traditionnelle de l’acte volontaire une brbche qui ne cessera plus d~s
lors de s’d1argir.

En droit criminel, l’approche mat6ialiste de ‘acte volontaire adopt6e par certains
auteurs au XVII
si~cle repose sur une vision <> pos-
sde en droit criminel deux significations bien pr6cises. Une premiere approche envi-
sage l’acte volontaire du point de vue de 1’intelligence et de la volont6 ; c’est la vision
intellectualiste de l’acte volontaire soutenue notanment par Coke, Hale, Hawkins et
Blackstone. Consid6r6 dans son acception large d’acte libre et r6fldchi,
‘acte volon-
taire exige non seulement rabsence de contrainte physique, mais de toute autre cir-
constance pouvant porter atteinte i la volont6, soit en ‘annihilant (folie, minorit6),
soit en l’opprimant (contrainte, n6cessit6), soit encore en 1’emp8chant de se rdvdler
(erreur, ignorance, accident). Une seconde approche envisage l’acte volontaire uni-

‘ J. Austin, Lectures on Jurispndence or the Philosophy of Positive Law, vol. 1, 5’ &., Londres,

John Murray, 1885 aux pp. 411-12.

“‘Ibid. h la p. 414.
7,. Ibid.

2000]

H. PARENT – HISTOIRE DE L’ACTE VOLONTAIRE

1003

quement du point de vue des tendances et des d6sirs ; c’est la conception matdrialiste
de ‘acte volontaire d6velopp6e notamment par John Austin. Consid6r6 dans son sens
strict d’acte purement physique, l’acte volontaire peut etre contrari6 uniquement de
deux mani~res : premi~rement, lorsque les membres du corps ne peuvent, en raison
d’une contrainte d’ordre physique, excuter le commandement de la volition, et
deuxi~mement, lorsque l’individu est incapable, compte tenu d’une maladie physique,
d’ex6cuter correctement le commandement de la volont6, ou incapable en raison de sa
condition psychique de contr6ler consciemment sa propre conduite.

Une fois le contenu des approches intellectualiste et mat~rialiste de l’acte volon-
taire 6tabli, une question demeure. Existe-t-il un rapport entre ces deux conceptions?
I1 est 6vident que les deux approches partagent entre elles certains points en commun.
En effet, l’ex6cution de chacune est contrari6e par la violence physique et par la pr6-
sence de troubles mentaux dont la nature est susceptible d’entrainer une perte de con-
tr6le ou de conscience chez l’individu. De plus, en raison de sa signification relative-
ment 6tendue, la conception intellectualiste de l’acte volontaire recouvre, dans sa d6-
‘approche mat6rialiste. Mais le con-
finition, le sens plus 6troit et plus restreint de
traire n’est pas vrai. L’approche mat~rialiste de l’acte volontaire ne porte aucune at-
l’6tat d’ignorance, de folie, de n6cessit6, ou de tout autre facteur subjectif
tention
pouvant affecter le comportement de l’individu lors de la commission du crime. Tout
ce qui compte, d’aprs cette conception, c’est 1’absence de contrainte physique ou de
troubles mentaux pouvant entraver le fonctionnement normal de la conscience ou des
membres du corps.

B. L’analyse de la responsabilitd p6nale telle que formulfe par Sir

James Fitzjames Stephen

Sir James Fitzjames Stephen est n6 en mars 1829 Londres. Historien du droit,
grand r6formateur judiciaire et juge de la Cour du Bane de la Reine, Stephen est re-
connu historiquement pour la profondeur de ses connaissances en droit criminel et
pour ses positions innovatrices en mati~re de responsabilit6 p~nale. Parmi les nom-
breux ouvrages qu’il a r6dig6s tout au long de sa prolifique carri~re, le trait6 intitul6 A
History of the Criminal Law of England’est sans contredit le plus important et le plus
ambitieux de tous. Ce qui fait surtout l’int6r& de son ouvrage, et en rend si utile la
consultation, est la volont6 qu’il a de presenter une vue A la fois syst6matique et int6-
gr~e de la responsabilit6 p6nale et des principaux moyens de d6fense. Compte tenu de
ses qualit6s en tant qu’historien du droit et de juge, nous allons consacrer cette section
A l’6tude des principaux 6crits de Stephen sur l’616ment mental de l’infraction et sur la
notion de mens rea.

“‘ Stephen, supra note 62.

1004

MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE McGL

[Vol. 45
[

1. La relativit6 juridique du concept de mens rea

Contrairement h plusieurs de ses contemporains, Stephen conteste l’utilisation en
droit criminel de la maxime latine actus nonfacit reum nisi mens sit rea. D’apr~s le
juriste, l’emploi abusif de cet 6nonc6 a donn6 lieu
l’apparition de fausses ides en
droit criminel. Parmi ces contre-vdritds, ]a plus importante est sans aucun doute la
prdtention voulant qu’il existe en droit criminel un 616ment mental qui serait h la fois
uniforme et identique pour l’ensemble des crimes en vigueur en Angleterre. Cette
ide est A l’dvidence fausse. En effet, une simple lecture de la ddfinition des diffdrents
crimes d6montre l’absence d’un 616ment mental gdndral applicable
toutes les infrac-
tions p6nales. Ainsi, selon Stephen:

A pointsman falls asleep, and thereby causes a railway accident and the death
of a passenger: he is guilty of manslaughter. He deliberately and by elaborate
devices produces the same result: he is guilty of murder. If in each case there is
a “mens rea”, as the maxim seems to imply, “mens rea” must be the name for
two states of mind, not merely differing from but opposed to each other, for
what two states of mind can resemble each other less than indolence and an ac-
tive desire to kill F’2

Ce qui existe par contre, et cela on ne saurait le nier, c’est une multitude d’6tats
psychologiques dont le contenu varie selon la d6finition du crime concem6. La v6rit6
au sujet de la mens rea, 6crit Stephen, est que la maxime signifie uniquement que la
drfinition de la majorit6 des crimes, en droit anglais, contient non settlement un 616-
ment matdriel, mais aussi un 616ment mental dont la signification vane au regard des
diff6rentes infractions. Afin de bien illustrer son raisonnement, l’auteur a recours
quelques exemples. D’apr~s Stephen:

[I]n reference to murder, the “mens rea” is any state of mind which comes
within the description of malice aforethought. In reference to theft the “mens
rea” is an intention to deprive the owner of his property permanently, fraudu-
lently, and without claim of right. In reference to forgery the “mens rea” is
anything which can be described as an intent to defraud. Hence the only means
of arriving at a full comprehension of the expression “mens rea” is by a de-
tailed examination of the definitions of particular crimes, and therefore the ex-
pression itself is unmeaning7″.

2. Lanalyse de 1’Milment mental sur lequel repose la notion

d’infraction p6nale

a. L’ 6ment mental particulier 6 chaque infraction

Comme nous venons de l’expliquer, la ddfinition de la majorit6 des crimes selon
Stephen contient expressdment ou implicitement un 616ment mental dont le contenu
varie selon la nature de l’infraction criminelle concemde. En consdquence, si

Ibid. h lap. 95.

7
“Ibid.

2000]

H. PARENT – HISTOIRE DE L’ACTE VOLONTAIRE

1005

l’616ment mental exig6 aux termes de l’infraction est absent, le crime ne peut 6tre r6a-
lis6. Les crimes en g6n6ral et l’61ment mental en particulier sont dfinis de plus en
plus clairement. L’616ment mental peut etre retrac6 habituellement par l’utilisation de
certains mots-cl6s tels que >, fraudulently>>, negligently>>, ou know-
ingly>>. En g6ndral, l’616ment mental qui se rattache directement au crime est expres-
sdment 6nonc6 A l’intdrieur de la d6finition de l’infraction criminelle. Cet 616ment
mental, il va de soi, fait partie int6grante de la notion de mens rea que nous trouvons
au coeur de la pratiquejudiciaire et dans les principaux ecrits de Stephen.

b. Les conditions g6ndrales r6gissant la responsabilitM p6nale

Contrairement A l’616ment mental sp6cifique

chaque infraction, les conditions

gdn6rales r6gissant la responsabilit6 p6nale ne sont pas 6nonc6es express6ment Ai
l’int6rieur de la d6flnition des crimes. Malgr6 cette situation, il est 6vident, 6crit
Stephen, que ‘6closion des facult6s intellectuelles reli~es A un certain age, que la
normalit6 psychique, qu’un degr6 minimum de libert6 et qu’un certain niveau de con-
naissance sont ndcessaires
‘6tablissement de toute responsabilit6 criminelle. Bien
qu’elles ne soient pas inscrites comme telles dans la d6finition de l’infraction, ces
conditions sont en r~gle gdn6rale pr6sumdes comme 6tant des 616ments essentiels en
matihre de sanction p6nale. En effet, dans l’arr& Tolson, lejuge Stephen indique que:

The mental element of most crimes is marked by one of the words “mali-
ciously,” “fraudulently,” “negligently,” or “knowingly,” but it is the general –
I
might, I think, say, the invariable –
practice of the legislature to leave unex-
pressed some of the mental elements of crime. In all cases whatever, competent
age, sanity, and some degree of freedom from some kinds of coercion are as-
sumed to be essential to criminality, but I do not believe they are ever intro-
duced in any statute by which any particular crime is defined […]. With regard
to knowledge of fact, the law, perhaps, is not quite so clear, but it may, I think,
be maintained that in every case knowledge of fact is to some extent an element
of criminality as much as competent age and sanity74.

Un peu plus loin dans l’arr~t, le juge Stephen souligne de nouveau le caract&e
g6ndral de ces 616ments mentaux. En effet, celui-ci affirme que la ldgislation en litige

[…] appears to me to resemble most of the enactments contained in the Con-
solidation Acts of 1861, in passing over the general mental elements of crime
which are presupposed in every case. Age, sanity, and more or less freedom
from compulsion, are always presumed, and I think it would be impossible to
quote any statute which in any case specifies these elements of criminality in
the definition of any crime ‘ .

Contrairement aux anciens criminalistes de la Renaissance et de l’6poque des
Lumibres, les juristes, A la fin du XIX sibcle, envisagent la responsabilit6 p6nale dans
une optique purement 16gale. Les grands expos6s sur la nature particuliee des actes

74R. c. Tolson (1889), 23 Q.B.D. 168 h lap. 187,60 L.T. 899 [renvois aux Q.B.D.].
‘ ]bid

lap. 189.

1006

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE McGIL

[Vol. 45

humains, que nous trouvions jadis en tte des ouvrages de droit, disparaissent gra-
duellement au profit de l’tablissement d’une vision <> de la
responsabilit6 p6nale. Stephen, par exemple, dans son c6lbre ouvrage A History of
the Criminal Law of England, 6nonce, une par une, les conditions n6cessaires A la
responsabilit6 p6nale. Ainsi, pour 6tre criminel, selon la loi anglaise, un acte doit 8tre
volontaire et intentionnel, pos6 par une personne d’un certain Age, dou6e d’une intel-
ligence minimale, avec la connaissance requise par la nature de l’infraction, et parfois
avec malice, fraude ou n6gligence. En d6pit de sa volont6 de lib6rer le droit criminel
de la responsabilit6 morale, Stephen est incapable d’affranchir compl~tement
l’infraction de ses fondements 6thiques, car en 6nongant les caractdristiques essen-
tielles sur lesquelles repose la responsabilit6 criminelle, Stephen 6chafaude le seuil
d’intervention du droit p6nal sur les deux facultds propres A la personne que sont
l’intelligence et ]a volont6.

L’observation historique des principes r6gissant la responsabilit6 p~nale A la fin
du XIXe si6cle, r6v~le une autre similitude entre la vision positiviste de Stephen et
l’approche philosophique soutenue par les anciens criminalistes ; il s’agit des fonc-
tions impliqu6es dans la gen~se de l’acte volontaire. L’acte volontaire d’aprbs Stephen
d6signe Faction commise A travers la rdalisation successive des 61ments suivants : ]a
connaissance, les motifs, la d6lib6ration, le choix, l’intention, la volition et l’ex6cution
physique. Au point de vue conceptuel, la ressemblance entre cette division de ‘acte
volontaire et le sch6ma classique propos6 par Hale, dans ses ouvrages consacrds au
droit, A la philosophic et A la th6ologie, est frappante. L’analyse de Hale, comme nous
le savons, tenait compte des 616ments suivants : la connaissance, la d6lib6ration, le
choix, le consentement et l’ex6cution physique. Bien que la conception intellectualiste
de l’acte volontaire que nous trouvons chez Stephen soit pratiquement identique h
celle de Hale, il est int~ressant de constater que Stephen ne pousse pas son analyse
aussi loin que son pr6d6cesseur.

En effet, contrairement h Hale qui fondait la capacit6 criminelle et les causes
d’irresponsabilit6 p6nale sur la pr6sence d’un acte volontaire, Stephen envisage l’acte
volontaire comme une condition parmi tant d’autres. Sur ce point, on peut 16gitime-
ment se demander pourquoi Stephen n’a pas int6gr6, h la suite des juristes classiques,
toutes les causes d’incapacit6 p6nale sous la rubrique de ‘acte volontaire. En effet, si
l’acte volontaire exige les op6rations intellectuelles que sont la connaissance, la d6li-
b6ration, le choix, l’intention et la volition, et que la minorit6, la d6mence, l’ignorance
et rerreur entravent ]a r6alisation de ces processus, alors comment peut-on expliquer
que ces moyens de d6fense ne se trouvent pas sous la banni~re de l’acte volontaire, si
ce n’est que Stephen n’a pas saisi correctement le rattachement naturel qui relie les
causes d’exon6ration au concept de la volont?

A la lumi~re de cet expos6 consacr6 A l’616ment mental sur lequel repose
l’infraction p6nale, nous pouvons affirmer sans se tromper que la notion de mens rea
chez Stephen contient A la fois l’616ment moral se rattachant A l’individu, et l’616ment
moral se rattachant A la socidt6. En int6grant sous un meme concept les attributs de la
personne et l’616ment mental pr6vu aux termes de la d6finition de l’acte interdit,
Stephen restaure pleinement le paradigme de l’infraction lide A l’individu et A la so-
ci6t6. En d6pit de l’influence majeure qu’exercera 6ventuellement l’oeuvre de Stephen

2000]

H. PARENT- HIsTOIRE DE L’ACTE VOLONTAIRE

1007

sur la pratique judiciaire, il est int6ressant de constater que sa vision bipartite de l’acte
criminel ne sera pas reque int6gralement par la communaut6 juridique dans la mesure
oii l’616ment moral se rattachant A l’individu disparaitra graduellement au profit de
1’envahissement progressif de l’616ment de faute se rattachant
la soci6t6 et plus lar-
gement au profit d’une conception quasi liturgique de l’intention en droit criminel.

IV. La responsabilit6 p6nale & 1’6poque contemporaine

En Angleterre, l’6poque classique est une p6riode historique fort importante dans
la mesure oii elle marque une coupure, une rupture avec l’approche traditionnelle de
la responsabilit6 p6nale soutenue par les juristes au XVIlv sibcle. A la voie <> et <> de la responsabilit6 p6nale privil6gi6e notamment par Coke,
Hale et Blackstone, les auteurs et les tribunaux pr6ferent d6sormais la voie du <>, plus certaine et plus technique. On sait 1’effort de Stephen pour d6-
barrasser le droit criminel de toutes considdrations qui pourraient parasiter l’6tude de
la responsabilit6 p6nale. En effet, Stephen, dans ses commentaires sur la loi anglaise,
est cat6gorique :

[…] I understand by responsibility nothing more than actual liability to legal
punishment. It is common to discuss this subject as if the law itself depended
upon the result of discussions as to the freedom of the will, the origin of moral
distinctions, and the nature of conscience. Such discussions cannot be alto-
gether avoided, but in legal inquiries they ought to be noticed principally in or-
der to show that the law does not really depend upon them76.

C’est dans ce contexte positiviste qu’apparait l’6tude de la responsabilit6 p6nale

1’6poque contemporaine, un contexte qui vise non seulement A d6limiter l’objet du
droit criminel, mais aussi A r6duire l’infraction
ce qu’elle est dans son objectivit6,
dans sa structure superficielle, sans se pr6occuper de sa fonction et de sa transcen-
dance par rapport i l’univers philosophique dans lequel elle prend place. Mais il ne
faut pas se tromper car derriere la vision normative de la mens rea, derriere le rejet de
la morale traditionnelle, se cache une r6alit6 commune aux anciens criminalistes ; il
s’agit du criminel et de ses attributs personnels que sont l’intelligence et la volont6.

L’objet de cette section est d’6tudier le d6veloppement des principes r6gissant la
responsabilit6 p6nale au XXC sibcle. A l’examen de l’approche physique de l’acte vo-
lontaire en droit p6nal anglais et canadien, succ6dera une 6tude de
‘approche intel-
lectualiste ou morale de l’acte volontaire.

76 Stephen, supra note 62

lap. 96.

1008

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGIL

[Vol. 45

A. Lapproche physique de I’acte volontaire en droitp6nal anglais et

canadien

A ]a suite de John Austin, le droit p6nal anglais et canadien envisage l’acte vo-
lontaire 4 l’int6rieur des limites r6ductrices de l’approche mat6rialiste”. La volont6
6tant d6sormais affranchie de toute r6f6rence h ‘intelligence, l’acte volontaire d6signe
donc uniquement le processus psychophysiologique A 1’origine duquel r6sulte la con-
traction des membres du corps. Ainsi, dans le fait de tirer A 1’aide d’une arme h feu,
l’expression oacte volontaire>> r6fere aux mouvements musculaires par lesquels
l’agent soulve l’arme, la pointe sur la victime et actionne le m~canisme d’ignition7.
Au point de vue psychologique, 1’exigence du caract~re volontaire de l’acte mat6riel
en droit criminel signifie essentiellement que l’acte interdit par la loi doit etre d6sir6 et
accompli sous le contr6le conscient de son auteur.

La classification juridique de ‘acte volontaire en droit p6nal est une question en-
core chaudement disput6e en doctrine et en jurisprudence. En effet, l’exigence d’un
comportement conscient et volontaire appartient-il au concept de l’actus reus, ou i
celui de la inens rea? Sur ce point, les opinions divergent. Certains juristes classent
l’acte volontaire au sein de l’actus reus9. Ainsi, d’apr~s Madame le juge McLachlin
dans I’arret R. c. Thirouxe, <<[le terme mens rea, interpr6t6 correctement, n'inclut pas tous les 616ments moraux d'un crime. L'actus reus comporte son propre 616ment mo- ral ; pour qu'il y ait actus reus, l'acte de 'accus6 doit etre volontaire>>”.

Bien que ce passage renvoie h un jugement rendu par la Cour supreme du Cana-
da, il convient de souligner que le rapport entre l’acte volontaire et l’actus reus existe
aussi en Angleterre. En effet, d’apr~s Glanville Williams, l’exigence d’un comporte-
ment conscient et volontaire appartient h l’616ment physique ou mat6riel de
l’infraction”‘. De meme, selon les auteurs Smith et Hogan, le caract~re volontaire d’un
acte fait partie de l’actus reus car sa nature particuli6re est plus fondamentale que
1intention et 1insouciance ou, pour s’exprimer autrement; que la mens rea.

7′ G. C6t-Harper, A. Manganas et J. Turgeon, Droit pinal canadien, 3′ &l., Cowansville (Qc.),
Yvon Blais, 1989 aux pp. 205-207 ; D. Stuart, Canadian Criminal Law, A Treatise, 2 &l., Toronto,
Carswell, 1987 A lap. 83 ; J. Fortin et L. Viau, TraitJ de droitpnal giniral, Montral, ThI6mis, 1982
aux pp. 88-89 ; H.A. Palmer et H. Palmer, Harris’s Criminal Law, 20’ d., Londres, Sweet & Max-
well, 1960 a lap. 22 ; G. Williams, Criminal Law, The General Part, Londres, Stevens & Sons, 1953
aux pp. 10-15 ; J.C. Smith et B. Hogan, Criminal Law, 6 &l., Londres, Butterworths, 1988 aux pp. 39-
40 ; A.W. Mewett et M. Manning, Mewett & Manning on Criminal Law, 3 &l., Toronto, Butterworths,
1994 Ala p. 129.
7,Fortin et Viau, ibid. A lap. 88.

Smith et Hogan, supra note 77 aux pp. 41-42. ; A.C.E. Lynch, < (1982) 98 L.Q. Rev. 109 ; Mewett et Manning, supra note 77 h la p. 131.
” [1993] 2 R.C.S. 5, 100 D.L.R. (4′) 624 [renvois aux R.C.S.].
“1 Ibid. A la p. 17 ; voir aussi R. c. King, [1962] R.C.S. 746, 35 D.L.R. (2′) 386 ; K c. Daviault,
[1994] 3 R.C.S. 63 a la p. 71, 118 D.L.R. (4) 469,juge en chef Lamer.

,2 Williams, supra note 77.
“Smith et Hogan, supra note 77 A lap. 41.

2000]

H. PARENT – HISTOIRE DE L’ACTE VOLONTAIRE

1009

Certains juristes, contrairement aux auteurs et aux juges appartenant t la premiere
cat6gorie, rangent l’acte volontaire A l’int~fieur de la mens rea. A la lecture de la doc-
trine et de la jurisprudence, nous avons r6pertori6 deux mani~res diff&entes de classer
l’acte volontaire au sein de la mens rea. La premire, qui est h notre avis la plus an-
cienne et la moins utilis6e A l’heure actuelle, place 1’acte volontaire aux c6t6s des
deux composantes traditionnelles de la mens rea que sont l’intention et l’insouciance.
Ainsi, d’aprbs Palmer et Palmer, [i]n determining whether an act or omission was
accompanied by any mens rea the questions to be considered are –
(1) Whether it
was voluntary. (2) Whether it was committed or omitted intentionally or negligently.
(3) In some cases, by what motive it was induced’.

La seconde approche r6unissant l’acte volontaire et la mens rea en droit p6nal as-
socie la pr6sence d’un comportement conscient et volontaire de la part de l’accus6 A
l’intention minimale requise en mati~re d’infraction d’intention g6n6rale. En effet,
1’exigence d’une intention g~n6rale en droit, qui se r6duit par exemple dans les cas de
voies de faits A la simple volont6 d’utiliser la force, ne peut etre accomplie lorsque
l’individu 6tait incapable an moment de la commission du crime de contr6ler con-
sciemment on volontairement ses mouvements physiques. On retrouve cette conjonc-
tion entre l’acte volontaire et l’intention g~n6rale dans plusieurs d6cisions et notam-
ment dans l’arret R. c. Berjard. A ce sujet, Madame le juge Wilson arrive A la con-
clusion suivante:

Je crois done que la r~gle 6nonc~e dans l’arr& Leary est tout
fait compatible
avec la charge impos~e au ministate public de prouver ‘intention minimale qui
doit accompagner l’ex~cution de l’acte prohib6 dans les infractions d’intention
g~n6ale. Je consid&re qu’il est pr~frable de preserver la rfgle 6nonc~e dans
l’arrat Leary dans la forme plus souple appliqude par le juge Pigeon, c.h-d. de
permettre que la preuve de l’intoxication soit soumise au juge des faits pour les
infractions d’intention g6ndrale
seulement s’il s’agit d’une preuve
d’intoxication extreme entranant
l’absence de conscience voisine de
l’alidnation ou de l’automatisme. C’est seulement dans ce cas que la preuve
peut soulever un doute raisonnable sur 1’existence de
‘intention minimale re-
quise par l’infraction.

En conclusion, Paspect moral que comporte une conduite volontaire en droit p6-
nal canadien et anglais peut relever dans une certaine mesure autant du domaine de
l’actus reus que du domaine de la mens rea. En d6pit de la controverse qui entoure la
classification de l’acte volontaire en droit criminel, tous les auteurs s’accordent g6n6-
ralement pour dire que l’acte volontaire est une composante essentielle et utile de
l’infraction p6nale.

‘ Palmer et Palmer, supra note 77 aux pp. 21-22.

Voir h ce sujet les dacisions suivantes : R. c. Minor (1955), 112 C.C.C. 29 aux pp. 33-34, 15
W.W.R. 433 (C.A. Sask.) ; R. c. Kemp, [1956] 3 All E.R. 249 h la p. 251, [1957] 1 Q.B. 399 ; R. c.
O’Brien, [1966] 3 C.C.C. 288 h lap. 306,56 D.L.R. (2′) 65 (C.A. N.-B.).

[1988] 2 R.C.S. 833,45 C.C.C. (3′) 1 [renvois aux R.C.S.].

“IbiL

lap. 887.

1010

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGIL

[Vol. 45

B. Lapproche intellectualiste de Iacte volontaire en droit p6nal an-

glais et canadien

1.

616ment moral se rattachant A l’individu (conditions g6n6rales de
la responsabilit6 p6nale)

Au Canada, comme du reste en Angleterre, la responsabilit6 p6nale repose encore
re
aujourd’hui sur une approche intellectualiste de l’acte volontaire. Ainsi, pour
coupable d’une infraction de nature criminelle, l’accus6 doit 6tre dou6 d’une intelli-
gence minimale et d’une volont6 libre et sans contrainte. Depuis quelques ann6es
toutefois, il est int6ressant de constater que cette conception fondamentale n’apparait
plus express6ment dans les ouvrages consacrds A la responsabilit6 p6nale’. En effet,
contrairement h Hale, Blackstone et Hawkins, les auteurs contemporains d6laissent de
plus en plus les fondements 6thiques et spirituels de la faute au profit de la description
positive et technique des composantes de la mens rea. Cette situation ne signifie pas
pour autant que l’616ment moral se rattachant A l’individu soit 6vacu6 compl6tement
du champ d’application du droit criminel. Au contraire, l’approche intellectualiste de
l’acte volontaire existe toujours, mais apparait d6sormais en filigrane, c’est-, -dire
travers le d6veloppement des causes d’exon6ration”.

En jurisprudence, l’acte volontaire entendu dans son acception large d’acte libre
et r6fl6chi est, comme en doctrine, peu employ6 par les tribunaux. Malgr6 cette situa-
tion, on assiste depuis quelques ann6es un retour en force de l’approche intellectua-
liste de lacte volontaire. Pour s’en convaincre, citons un extrait de la d6cision de la
Cour supreme du Canada dans R. c. Perka’, oti le juge en chef Dickson emprunte au
juriste am6ricain George Fletcher les commentaires suivants :

[C]ette d6finition fait ressortir le lien conceptuel qui existe entre la n~cessit6 en
tant qu’excuse et 1’exigence bien connue en droit criminel que pour qu’il y ait
responsabilit6 criminelle, les actes qui constituent l’actus reus d’une infraction
doivent etre volontaires. Litt6ralement, cette exigence du caract6re volontaire
signifie simplement que les actes matriels interdits doivent avoir 6t6 accomplis
sous le contr6le conscient de leur auteur. Sans ce contr~le, il n’y a pas d’acte
pour les fins du droit criminel. L’excuse de n6cessit6 ne vise pas le caract~re
volontaire dans ce sens. L’alpiniste perdu qui, sur le point de mourir gelM,
s’introduit par effraction dans un chalet de montagne isol6 n’agit pas littrale-
ment de faqon volontaire. II a le contr6le de ses actes au point d’8tre physique-

J. Fortin, Le mens rea en droitpinal canadien, these de doctorat en droit, Universit6 de Montrdal,

1971 aux pp. 33-34 [non publi6e].

” Le seul ouvrage que nous avons trouv6 en droit p6nal canadien qui traite express6ment de cette

question est celui de Fortin et Viau, supra note 77 a la p. 155.

” Fortin, supra note 88 A la p. 65 : ; voir sur ce point l’analyse int6ressante de H.L.A. Hart, Punishment and Responsibi-
lity: Essays in the Philosophy of La, Oxford, Clarendon Press, 1968.

“‘ [19841 2 R.C.S. 232, 14 C.C.C. (3’) 385 [ci-apr~s Perka avec renvois aux R.C.S.].

2000]

H. PARENT – HISTOIRE DE L’ACTE VOLONTAIRE

1011

ment capable de s’abstenir d’agir. En rdalit6 toutefois son acte n’est pas vo-
lontaire>. Le qu’il a d’enfreindre la loi n’est nullement un choix vdri-
table ; il est pouss6 implacablement par les instincts normaux de l’etre humain.
Ce caracthre involontaire est souvent d6crit comme le caractre involontaire
dit moral ou normati&f>.

On entend par acte volontaire dit <> ou >, ni plus ni’moins que
l’acte volontaire envisag6 dans son acception classique d’action libre et r6fl6chie. Au
plan s6mantique, l’ajout des attributs > et o
‘expression -oacte vo-
lontaire>> est rendu n6cessaire compte tenu de la confusion qui r6sulte actuellement de
la coexistence en droit p6nal anglais et canadien des approches mat6rialiste et intel-
lectualiste de l’acte volontaire. En rdsum6, l’exigence d’un acte libre et r6fl6chi est
encore aujourd’hui un axiome fondamental de notre syst~me de droit p6nal. Bien que
l’6ldment moral se rattachant A l’individu ne soit pas, en r~gle g6n6rale, formellement
exprim6 dans les ouvrages de doctrine on les rapports de jurisprudence, sa pr6sence
peut 6tre d6duite de 1’application normale de la responsabifit6 p6nale et des diff6rentes
causes d’exon6ration.

2. U616ment moral se rattachant A la soci6t6 (mens rea)

a. La conception contemporaine de la mens rea

Reconnue sous des expressions diff&entes, –

guilty mind 9 , some blame-
worthy condition of the mind)>, > – mais qui recouvrent le meme
domaine, la mens rea est une notion fondamentale en droit p6nal anglais et canadien.
Historiquement, la mens rea est l’616ment mental exig6 pour la constitution d’une in-
fraction ou, pour s’exprimer autrement, 1’616ment de faute qui se rattache h la d6fini-
tion du crime. En principe, la mens rea doit exister face A tous les 616ments mat6riels

9- Ibid A la p. 249 ; voir aussi R. c. Sault Ste. Marie (Wlle de), [1978] 2 R.C.S. 1299 h lap. 1303, 40
C.C.C. (2′) 353, juge Dickson, plus tard juge en chef ; R. c. Leary, [1978] 1 R.C.S. 29
lap. 34, 33
C.C.C. (2′) 473, juge Dickson, plus tard juge en chef [ci-apr s Leary avec renvois aux R.C.S.] :
; R. c. Pappajohn, [1980] 2 R.C.S. 120 a lap. 138, 52 C.C.C. (2′) 481, juge Dick-
son, plus tard juge en chef [ci-aprbs Pappajohn avec renvois aux R.C.S.] : <> [nos italiques].

“Harding c. Price, [1948] 1 K.B. 695

lap. 700, 1 All E.R. 283, juge Goddard: ZThe court should
not find a man guilty of air offence against the criminal law unless he has a guilty mind>> ; voir 6gale-
ment Brend c. Wood (1946), 62 T.L.R. 462 a la p. 463 ; P, c. Perkins (1987), 59 C.R. (3′) 56, 35
C.R.R. 84 (C.S. T.N.-O.) ; R. c. Kester (1982), 38 O.R. (2′) 294,66 C.C.C. (2′) 384 (C.A.).

9’R. c. Gaunt, [1953] 1 R.C.S. 505

lap. 511, 3 D.L.R. 152 ; voir 6galement Younghusband c. Luf-

tig, [1949] 2 K.B. 354 lap. 371,2 All E.R. 72.

1012

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGIL

[Vol. 45

de l’infractionr’. Sa presence peut 8tre pr6vue expressrment aux termes de la drfini-
tion du crime ou implicitement selon la nature particuli~re de l’infraction.

D’apr~s la conception classique soutenue pendant longtemps en droit criminel
anglais et canadien, la mens rea se divise en deux cat6gories distinctes : ‘intention et
1’insouciance. Dans Leary’, le juge Dickson 6cdt que :

L’dtat mental requis pour qu’il y ait responsabilit6 p~nale consiste dans la plu-
part des cas dans:

a) l’intention d’accomplir l’actus reus du crime, c’est-A-dire
d’accomplir l’acte qui constitue le crime en question, ou dans

l’intention

b) le fait que la personne prvoit ou salt que son comportement entrainera pro-
bablement ou pouna entrainer l’actus reus, tout en acceptant le risque ou en y
dtant indiffdrente alors que, dans les circonstances, le risque est consid&able ou
injustifiable. Cet dtat d’esprit est parfois qualifi6 d’indiffrence A 1’6gard des
consdquences de I’acte .

En 1982, avec l’adoption de la Charte canadienne des droits et liberMs au Cana-
da, plusieurs s’attendaient A ce que la mens rea soit reconnue comme norme constitu-
tionnele’ =”. Cette pr6tention, qui reposait en grande partie sur 1’article 7 de la Charte
et sur l’application des principes de justice fondamentale dans les cas oi la vie, la li-
bert6 ou ]a s6cudt6 d’une personne dtait menacde, fut rejetde en grande partie par les
tribunaux. Certes, la pr6visibilit6 subjective est ddsormais un 616ment n6cessaire dans
les cas oat les stigmates sociaux associ6s i la sanction, ainsi que les peines pouvant
8tre imposres, exigent un 616ment mental positif, comme c’est le cas par exemple en
mati~re de meurtre”‘, mais la negligence constitue, d’aprs la Cour supreme du Cana-
da, l’exigence minimale de faute suffisante au plan constitutionnel”‘”. En d’autres ter-
mes, depuis les arrts Wholesale -Travel Group”, R. c. Nova Scotia Pharmaceutical
Society”” et R. c. Hundal”‘, l’616ment de faute se rattachant t ]a definition de

“” Voir sur ce point la cd1 bre d6cision anglaise Fowler c. Padget (1798), 101 E.R. 1103 A lap. 1106,
7 T.R. 509 (K.B.) : oft is a principle of natural justice and of our laws that “actus non facit reum nisi
mens sit red”. The intent and the act must both concur to constitute the crime>.

Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Cana-

“” Voir par ex. l’excellent article d’A. Jodoin, (1983) 61 R. du B. can. 211 A lap. 225.

Voir R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 633 1 lap. 646,58 C.C.C. (3) 353.

U’2 R. c. Wholesale Travel Group, [1991] 3 R.C.S. 154 A la p. 159, 84 D.L.R. (4 ) 161 [ci-apris

Voir Williams, supra note 77 A lap. 29.

97Supra note 92.
‘Ibid. a la p. 34.

da (R.-U.), 1982, c. 11 [ci-aprbs Charte].

Wholesale Travel Group].

Ibid.

‘” [1992] 2 R.C.S. 606,93 D.L.R. (4’) 36.
“t [1993] 1 R.C.S. 867,79 C.C.C. (3) 97.

2000]

H. PARENT- HISTOIRE DE L’ACTE VOLONTAIRE

1013

l’infraction peut 6tre d6termin6 en droit criminel au regard d’une norme subjective ou
objective le cas 6ch6ant.

b. Le rattachementjuridique des moyens de d6fense i la th6orie
de la mens rea ou c I’approche intellectualiste de I’acte
volontaire

Parall~1ement

l’int6rt grandissant que manifeste la communaut6 juridique

l’6gard de la mens rea, le retrait progressif de la conception intellectualiste de l’acte
volontaire en doctrine et en jurisprudence soulhve de nombreux problhmes quant ? la
nature particuli6re de certains moyens de ddfense. Autrefois rattach~s directement A la
presence d’un acte libre et r6flchi, la plupart des moyens de ddfense quittent gra-
duellement, au cours des XIX et XX si~cles, le domaine de l’acte volontaire, pour
gagner d~sormais les r6gions positives de la mens rea. Cette nouvelle mani~re
d’appr6hender l’616ment moral en droit criminel fait en sorte que la qualification juri-
dique des moyens de d6fense en droit criminel est 6tablie non plus en fonction de la
n6gation d’un acte volontaire mais en raison de 1’absence d’intention criminelle ou de
mens rea.

Depuis quelques ann6es toutefois, on observe en jurisprudence un retour en force
de l’approche intellectualiste de l’acte volontaire. L’effet principal de cette situation
est de transposer les moyens de d6fense qui ont trait h l’6tat d’esprit de l’accus6 au
moment de la commission du crime dans leur contexte naturel, c’est-h-dire h
l’intdrieur de l’approche intellectualiste de l’acte volontaire. L’objet de cette sous-
partie est d’examiner, dans une perspective historique, le rattachement 6thique et spi-
rituel de certains moyens de d6fense
‘approche in-
tellectualiste de l’acte volontaire.

la th6orie de la mens rea puis 4

i. La d6fense d’ali6nation mentale

En droit penal canadien, la nature v6ritable de la d6fense d’ali6nation mentale est
une question qui d6chire les tribunaux depuis de nombreuses ann6es. En effet, il
existe en doctrine comme en jurisprudence une controverse importante entourant la
qualification juridique de ce moyen de d6fense. S’agit-il d’un moyen de d6fense qui a
pour effet de nier une condition pr6alable A la responsabilit6 p6nale on d’un moyen de
d6fense au sens oti elle entrave la mens rea de ‘infraction? Sur ce point, les opinions
divergent. Une premire interpr6tation envisage la d6fense d’ali6nation mentale
comme un moyen de d6fense venant nier l’un des 616ments essentiels de l’infraction,
la mens rea. Discutant de la signification du test pr6vu 4
‘article 16(2) du Code cri-
minel”, le juge Dickson (plus tard juge en chef), dans l’arr& Cooper c. R., affirme
qu’il s’agit simplement d’une r6it6ration, propre h la d6fense d’ali6nation mentale,

” Voir A.-M. Boisvert, > (1990)

69 R. du B. can. 46 A lap. 62.

‘ L.R.C. 1985, c. C-46.

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MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE McGIL

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du principe que la mens rea, ou l’intention relativement aux cons&uences d’un acte,
est un 616ment n6cessaire dans Ia perp6tration d’un crime>> “.

Une seconde approche envisage la d6fense d’ali6nation mentale comme une ex-
cuse qui, tout en reconnaissant la commission d’une infraction, cherche A 6carter ]a
responsabilit6 de son auteur” . En effet, dans Schwartz c. R., le juge Martland d6clare,
au nom de la majorit6, que pour od6terminer le sens du mot mauvais au par. (2) de
‘article 16, il est important de se rappeler que ce paragraphe ne joue que s’iI a
d’abord 6t6 6tabli au-delA de tout doute raisonnable que l’accus6 a commis un crime,
c.-i-d,, qu’il est coupable d’un acte criminel assorti de l’intention criminelle re-
quise>>”. Dans Cooper, le juge Martland r6it~re sa position en dissidence. D’aprks ce
demier, <[1]'article 16 du Code criminel ne porte pas sur l'intention. I ne peut s'appliquer que lorsque la perp6tration d'une infraction est 6tablie>>'”. Au premier re-
gard, cette position est int6ressante dans la mesure oiA elle associe l’ali6nation mentale
A une cause d’irresponsabilit6. Mais, il ne faut pas se tromper. L’accomplissement
d’une infraction p6nale repose toujours sur la pr6sence d’un acte libre et r6fl~chi. En
cons6quence, il est donc impossible de soutenir une position qui conditionne
l’irresponsabilit6 p6nale accord6e dans les cas d’ali6nation mentale A ]a perp6tration
au pr6alable d’une infraction criminelle.

Une troisikme et demikre approche envisage l’ali6nation de l’accus6 comme une
exemption de responsabilit6 p6nale fond6e sur l’incapacit6 de former une intention
criminelle. Cette demikre position, qui est soutenue notamment par la majorit6 dans
l’arr~t R. c. Chaulk”‘, t6moigne avec 6clat de l’int6rt de plus en plus visible que ma-
nifeste la jurisprudence canadienne pour l’approche intellectualiste de l’acte volon-
taire. Ainsi, d’apr~s le juge en chef Lamer, les personnes souffrant d’ali6nation men-
tale ne r6pondent pas t certains postulats fondamentaux de notre modkle de droit cri-
minel, A savoir que l’accus6 est un etre autonome et rationnel, capable de juger la
nature et la qualit6 d’un acte et de distinguer le bien du mal> [nos italiques] ‘”3. En rat-
tachant l’irresponsabilit6 accord6e A l’alin6 aux caract6ristiques personnelles de
l’individu et non A l’intention, la Cour supreme envisage le manque de discernement
comme une cause emp~chant la commission d’un acte libre et r6flchi, c’est-h-dire
d’un acte volontaire au sens classique du terme. Cette mani6re d’envisager la d6fense
d’alidnation mentale a pour principale qualit6 de transcender toute analyse portant sur

” [1980] 1 R.C.S. 1149 A lap. 1163,51 C.C.C. (2’) 129 [ci-aprks Cooper avec renvois aux R.C.S.].
‘” Voir au meme effet la r&laction du verdict d’ali~nation mentale en Angleterre jusqu’en 1964;
Smith ct Hogan, supra note 77 k lap. 197 : >.

“” [1977] 1 R.C.S. 673 k lap. 700,29 C.C.C. (2′) 1.
.. Supra note 108 A lap. 1178.
“1 [1990] 3 R.C.S. 1303,62 C.C.C. (3′) 193 [renvois aux R.C.S.].
“‘Ibid. a lap. 1320.

2000]

H. PARENT – HISTOIRE DE L’ACTE VOLONTAIRE

1015

‘actus reus, la mens rea, 1’excuse ou la justification. En effet, selon le juge en chef
Lamer:

Rl ressort A mon avis de 1’examen qui prc6de que les dispositions relatives A
l’ali~nation mentale agissent, au niveau le plus fondamental, comme une
exemption de responsabilit6 p~nae fond~e sur l’incapacit de former une in-
tention criminelle [nos italiques]”4.

En r6sum6, la folie est une cause d’irresponsabilit6 p6nale an Canada et en An-
gleterre compte tenu de l’incapacit6 mentale qui affecte la raison de l’accus6 an mo-
ment de la commission du crime”‘ .

ii. La minorit

En Angleterre, les tribunaux ont toujours 6t6 sensibles 4 la condition particuli~re
des enfants. Aussi, il n’est donc pas 6tonnant de constater qu’il existe depuis long-
temps en common law une pr6somption irr6fragable selon laquelle l’enfant Ag6 de
moins de sept ans est aux fins du droit criminel doll incapaces, c’est- -dire incapable
de former une intention criminelle. Cette mani~re d’envisager la question de la mino-
rit6 a travers6 les sicles. Aujourd’hui, au Canada, nous trouvons dans le Code crimi-
nel, une disposition semblable reconnaissant l’incapacit6 p6nale des enfants ag6s de
moins de douze ans. En effet, selon l’article 13 du Code criminel, <[n]ul ne peut etre d6clar6 coupable d'une infraction A l'6gard d'un acte ou d'une omission de sa part lorsqu'il 6tait Ag6 de moins de douze ans>>.

Aux termes de cette disposition, on peut affirmer avec certitude que ‘exemption
accord6e aux enfants en droit p6nal canadien d6coule non seulement de l’absence
d’intention on de mens rea au moment de la commission du crime, mais aussi et sur-
tout de l’incapacit6 de l’individu de se conformer aux prescriptions du droit crimi-
nel’ 6.

“‘ Ibid. A lap. 1321.
,, Smith et Hogan, supra note 77 a la p. 200:

The M’Naghten Rules still have their defenders and the case for them has been most

cogently put by Lord Devlin:

“As it is a matter of theory, I think there is something logical – it may be astringently
logical, but it is logical – in selecting as the test of responsibility to the law, reason
and reason alone. It is reason which makes a man responsible to the law. It is reason
which gives him sovereignty over animate and inanimate things. It is what distin-
guishes him from the animals, which emotional disorder does not; it is what makes
him man; it is what makes him subject to the law. So it is fitting that nothing other
than a defect of reason should give complete absolution”

116 Voir ibid Map. 178.

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MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGIL

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iii. La n6cessit

L’existence d’un moyen de d6fense fond6 sur 1’6tat de n6cessit6 en Angleterre est
une question qui soul~ve encore aujourd’hui certaines difficult6s”‘. Au Canada, la d6-
fense de n6cessit6 fut reconnue pour Ia premiere fois en 1976 dans le cadre de l’arr&
R. c. Morgentaler””. Bien que cette d6cision soit en principe importante, il a fallu at-
laquelle fut rendu l’arr& Perka’9 , pour que soient 6non-
tendre jusqu’en 1984, date
cdes avec clart6 l’6tendue et les limites de la d6fense de n6cessit6. Dans cette d6cision,
le juge en chef Dickson entreprend, au nom de ]a majorit6, un examen pouss6 des
fondements conceptuels de la n6cessit6. Son analyse est remarquable. La n6cessit6,
dcrit le juge en chef, diminue le caract~re volontaire de l’acte en question. En effet,
une personne, soumise A une situation urgente oii le danger est imminent, ne peut agir
d’une mani~re volontaire au sens normatif> ou moral> du terme. Dans ces condi-
tions, le <> qu’elle a d’enfreindre la loi n’est nullement un choix v6ritable ; elle
est pouss6e par les instincts normaux de 1’6tre humain. En rattachant la n6cessit6 h
l’approche > de l’acte volontaire, la Cour supreme du Canada int~gre
les fondements conceptuels de ce moyen de d6fense dans une analyse coh6rente de la
responsabilit6 p6nale. Une telle conceptualisation, 6crit le juge en chef Dickson,
<(concorde avec les points de vue juridiques, moraux et philosophiques traditionnels quant aux types d'actes et de personnes que l'on devrait punir>‘ -‘”.

iv. La contrainte morale

Bien qu’on ne puisse assimiler compl~tement la contrainte morale et la defense de
n6cessit6, il existe aux fins du droit criminel un lien manifestement 6troit entre ces
deux conditions. En effet, la contrainte morale et la n~cessit6 reposent chacune sur la
cruelle alternative de choisir entre deux maux. La seule diffdrence entre la contrainte
morale et la n6cessit6, 6crit Lord Glaisdale dans l’arr6t Director of Public Prosecu-
tions for Northern Ireland c. Lynch, tient au fait que dans le cas de la contrainte mo-
rale, la force coercitive h l’origine de l’acte illicite provient de la menace d’un tiers,
alors que dans le cas de la d6fense de n6cessit6, la pression psychologique d6coule
d’une circonstance factuelle’-“.

Au Canada, la contrainte morale et la d6fense de n6cessit6 rel~vent des memes
fondements 6thiques et spirituels. Comme en mati~re de n6cessit6, l’irresponsabilit6
p6nale accord6e aux personnes victimes de contrainte morale en droit criminel repose
sur l’approche intellectualiste de l’acte volontaire. Cette interpr6tation fut retenue par

” Stuart, supra note 77 t lap. 433.
” [1976] 1 R.C.S. 616,20 C.C.C. (2) 449.
“9Supra note 91.
ibid. i lap. 250.
m Northern Ireland (D.P.) c. Lynch, [1975] A.C. 653

avee renvois aux A.C.].

lap. 692, 1 All E.R. 913 [ci-aprs Lynch

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H. PARENT – HISTOIRE DE L’ACTE VOLONTAIRE

1017

la Cour d’appel du Qu6bec dans l’arrat R. c. Langlois'”. D’apr~s le juge Fish, il im-
porte peu que l’acte illicite en l’espbce rdsulte d’une contrainte morale ou d’un 6tat de
n6cessit6, car ces deux situations ont en commun le fait qu’elles empechent de punir
un individu dans des circonstances oti ce demier ne poss~de aucune alternative rai-
sonnable ou accessible”‘. En d6truisant le choix de l’accus6 au moment de la commis-
sion du crime, la contrainte morale enlbve
l’individu toute libert6 n6cessaire k la
constitution d’un acte volontaire au sens normatif ou moral du terme. II ne peut donc
en assumer la responsabilit6 morale et p6nale.

Contrairement

la plupart des moyens de d6fense que nous avons 6tudi6s jus-
qu’ici en droit p6nal canadien, la n6cessit6 et la contrainte morale reposent non pas
sur l’absence d’intention criminelle mais sur l’absence de volont6 au sens classique
du terme. Cette mani~re d’envisager la contrainte morale et la n6cessit6 en droit p6nal
fut rendue n6cessaire en raison des difficult6s auxquelles se rattachent toutes les pro-
positions visant k exclure l’intention de l’accus6 au moment de la commission du
crime. En effet, les actions commises en 6tat de n6cessit6 on de contrainte morale sont
premibee vue intentionnelles, mais de fagon absolue elles sont involontaires, car nul
ne souhaiterait ex6cuter des actes de cette nature pour eux-memes. Le rapport entre
l’intention criminelle et la d6fense de contrainte morale fut abord6 dans l’arrgt Lynch.
D’apr~s Lord Morris :

Someone who acts under duress may have a moment of time, even one of the
utmost brevity, within which he decides whether he will or he will not submit
to a threat. There may consciously or subconsciously be a hurried process of
balancing the consequences of disobedience against the gravity or the wicked-
ness of the action that is required. The result will be that what is done will be
done most unwillingly but yet intentionally 4.

Des commentaires qui precedent, il s’ensuit que la d6fense de contrainte morale
repose en droit anglo-saxon express6ment sur l’approche intellectualiste de l’acte vo-
lontare”.

v. Uerreur de fait
En droit criminel, <<[...] l'actus reus et la mens rea doivent etre concomitants>‘ 26.
L’erreur de fait, en d6truisant la connaissance ou l’intention vis- -vis d’un 16ment
particulier de l’actus reus, entraine l’effacement de la coloration morale et p6nale de
l’acte interdit. Tel est le cas, par exemple, du chasseur qui, croyant avoir tir sur un

22 [1993] R.J.Q. 675, 80 C.C.C. (3) 28 (C.A.) [ci-apr~s Langlois avec renvois aux RJ.Q.] ; voir
aussi R. c. Ruzic (1998), 41 O.R. (3′) 1, 164 D.L.R. (4′) 358 (C.A.) ; R. c. Hibbert, [1995] 2 R.C.S.
973 hlap. 1018, 99 C.C.C. (3’) 193.
‘ Voir Langlois, ibid. lap. 687.
’24 Supra note 121 A lap. 670 ; voir aussi R. c. Faustin, [1975] C.S.P. 358 ; R. c. Howe, [1987] 1 All

E.R. 771 M lap. 777, A.C. 417.

‘2 Voir Smith et Hogan, supra note 77
’26Voir C6t-Harper, Manganas et Turgeon, supra note 77 A lap. 262.

lap. 230.

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MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE McGIL

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animal, tua un homme. Discutant du lien entre l’erreur de fait et 1existence de la mens
rea, la Cour supreme du Canada d6clara dans R. c. Sansregret’ qu’<[o]n a affirm6 que le moyen de d6fense d'erreur de fait repose sur le principe que la conviction erro- n6e, mais sinckre, enlkve A l'accus6 la mens rea requise pour qu'il y ait infraction>‘”.

A A la lumikre de cet 6nonc6, on peut affirmer que l’irresponsabilit6 p6nale, accor-
d6e A l’accus6 en matikre d’erreur de fait au Canada, d~coule de rabsence de mens
rea n6cessaire aux termes de l’infraction commise -‘. Bien que cette position soit rela-
tivement juste, elle n’est pas t notre avis appropri6e. En effet, l’ignorance des cir-
constances entourant la commission du crime agit, au niveau le plus fondamental,
comme une cause emp~chant rexercice de la volont6 au sens normatif& ou classi-
que du terme. Notre raisonnement est le suivant.

Au Canada, l’erreur de fait peut affecter l’6tat d’esprit de I’accus6 de diffdrentes
mani~res. Premikrement, l’erreur de fait peut annihiler la connaissance exig6e face A
un 616ment essentiel de l’actus reus. L’accus6 pourrait, par exemple, soulever A
l’encontre d’une accusation de possession de stup6fiants son ignorance quant A la na-
ture particuli~re de la substance interdite”‘. Deuxikmement, l’erreur de fait peut servir
A dcarter l’intention exig6e aux termes de l’infraction p6nale. Une personne accus6e
de meurtre pourrait,
titre d’illustration, soulever en d6fense sa croyance que l’arme
du crime n’6tait pas charg6e ou qu’elle 6tait hors d’6tat d’usage. Finalement,
l’ignorance des circonstances A I’origine du crime peut entraver le manque de dili-
gence qui d6coule en g6n6ral de la conduite de l’accus6. Une personne poursuivie
pour n6gligence p6nale pourrait aipsi soutenir, A l’encontre de son inculpation, qu’elle
croyait de bonne foi que le produit mortel qu’elle a fait prendre A la victime 6tait inof-
fensitP”.

Les exemples qui pr6ckdent d6montrent bien que la d6fense d’erreur peut, au re-
gard des circonstances particulikres de l’affaire, rev~tir diffdrents aspects. Malgr6 la
sp6cificit6 de chaque situation, l’irresponsabilit6 accord~e k l’accus6 en matikre
d’erreur de fait repose, A notre avis, sur la prtention voulant que l’accus6 qui agit
sans ]a connaissance des circonstances entourant ]a commission du crime, agit mal
sans le savoir et, par cons&tuent, sans le vouloir. La connaissance 6tant un 616ment es-
sentiel A l’acte volontaire, celui qui commet un crime sous l’emprise d’une erreur de
fait est irresponsable moralement et p6nalement de son geste.

Pappajohn, supra note 92 A lap. 120.

‘, Sansregret, ibid. A lap. 580.
‘”9Voir aussi Smith et Hogan, supra note 77 k lap. 207.
‘R. c. Beaver, [1957] R.C.S. 531 A lap. 536, 118 C.C.C. 129.

[1985] 1 R.C.S. 570, 18 C.C.C. (3) 223 [ci-aprks Sansregret avec renvois aux R.C.S.] ; voir aussi

c c.

ton, [1989] 1 R.C.S. 1392 A lap. 1432,48 C.C.C. (3’) 129.

200

H. PARENT – HISTOIRE DE L’ACTE VOLONTAIRE

1019

Conclusion

Au Canada, dans les milieux universitaires, on a cru que 1’adoption de la Charte,
au d6but des ann6es 1980, conduirait a la constitutionnalisation de la mens rea en
droit criminel. Or, il n’en fut rien. En reconnaissant que la n6gligence p6nale constitue
1’exigence minimale de faute suffisante au plan constitutionnel, dans tous les cas oti
les stigmates sociaux associ6s
la sanction ainsi que les peines pouvant Etre inflig6es
pour certaines infractions n’exigent pas la preuve d’un 616ment mental positif, la Cour
supreme 6carte d6finitivement la reconnaissance de l’intention et de l’insouciance
comme norme constitutionnelle en droit p6nal.

Si 1’adoption de la Charte au Canada n’a pas entrain6 les cons6quences escomp-
t6es t l’6gard de la mens rea, on ne peut en dire autant de la faute morale. En effet,
d’apr~s le juge en chef Lamer dans l’arrt R. c. Finlay, <<[c]'est un des pr6ceptes de base de la justice fondamentale que l'!tat ne puisse pas punir les personnes morale- leur libert " -. En faisant valoir que la faute mo- ment innocentes ni porter atteinte rale en droit p6nal est un pr6cepte de justice fondamentale, la Cour supreme reconnait implicitement le fondement constitutionnel de tous les moyens de d6fense qui ont pour effet de d6truire la volont6 de l'accus6 au moment de la commission du crime. Nous nous expliquons. En droit p6nal, l'616ment moral d'une infraction se divise en deux cat6gories distinctes, l'616ment moral se rattachant A l'individu et l'616ment mo- ral se rapportant A la soci6t6. L'616ment moral se rattachant i l'individu d6signe le rattachement 6thique et spi- rituel qui unit les composantes mat6rielles du crime A la personne qui l'a r6alis6. En int6grant les attributs humains dans la d6finition de l'infraction, l'imputabilit6 exige en droit criminel la commission d'un acte volontaire, c'est- -dire d'un acte libre et r6- fl6chi. En contrariant l'intelligence ou la volont6 de l'accus6 au moment de la com- mission du crime, les moyens de d6fense emp~chent la r6alisation de l'infraction et le fait de punir les personnes moralement innocentes. A la lumi~re de cet 6nonc6, on peut done affirmer que 1'616ment moral se rattachant A l'individu figure aujourd'hui, en droit criminel canadien, comme une exigence reconnue par la Charte. L'616ment moral se rattachant A la soci6t6 est l'616ment de faute express6ment ou implicitement pr6vu A l'int6rieur de la d6finition de l'infraction. Au plan 6thique, < ‘. En droit p6nal canadien,
action
l’adoption de la n6gligence p6nale, comme exigence minimale de faute en mati&e
constitutionnelle, signifie concrtement que l’616ment de faute se rattachant 4 la so-
ci6t6 peut etre 6valu6 d6sormais A l’aide d’un crit~re subjectif (connaissance, intention
et insouciance) ou d’un crit~re objectif (n6gligence p6nale).

“- [1993] 3 R.C.S. 103 lap. 115,83 C.C.C. (3) 513.

Dana, supra note 1 A la p. 19.

1020

MCGLL LAW JOURNAL /REVUE DE DROITDE MCGIL

[Vol. 45

En conclusion, on assiste au Canada, depuis 1’entr6e en vigueur de la Charte, A la
constitutionnalisation de l’616ment moral se rattachant
l’individu, et plus pr6cis6-
ment A la reconnaissance constitutionfielle des moyens de d6fense en droit criminel.
Parall~lement h ce mouvement, l’616ment de faute se rattachant A la soci6t6 a donn6
lieu Ai l’adoption de deux exigences constitutionnelles, h savoir, la n6gligence p6nale
dans les cas o6 ]a libert6, ]a vie ou ]a s6curit6 de ]a personne accus6e est menac6e, et,
]a pr6visibilit6 subjective dans les cas oa les stigmates sociaux et ]a peine pouvant 8tre
inflig6e, dans le cadre de certaines infractions, exigent un 6tat d’esprit positif.