Article Volume 10:1

Indicateur, Agent Provocateur Et Complice

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“INDICATEUR, AGENT PROVOCATEUR ET COMPLICE”‘

Irine Lagarde *

1 – Emploi g~n~ralis6 des “espions de police”; divisions de cette dtude:
Dans A Woman at Scotland Yard,2 m6moires d’une femme poli-

cire, Lilian Wyles 6crit:

“Les policiers ne sont pas des surhommes. Du moins, la plupart d’entre eux
ne se r~clament pas du don de ]a clairvoyance. Nous retrouvons le d6lateur
derriere la solution de la plupart des crimes qui ont passionn6
‘opinion pu-
blique et dont on a lou6 le d~nouement comme des exemples remarquables du
flair des limiers… “3.
Ces lignes r~v~lent l’emploi g6n6ralis6 des “espions de police”.
Pour mener A bien leur tiche, pour pr6venir les crimes ou arr6ter les
criminels, les policiers recrutent ou acceptent les collaborateurs les
plus aptes A les renseigner. Quel que soit le milieu dont il provienne,
le “faux frre” est presque toujours d’une moralit6 douteuse:
il
devient d6lateur par int6r~t, vengeance ou jalousie. On peut le
m6priser mais, dans la soci6t6 complexe du vingtihme sicle, on ne
peut n6gliger son aide sans se condamner, dans bien des cas, A l’im-
puissance. Tout corps policier bien organis6 a ses indicateurs attitr~s
et ses cafards occasionnels. R6put6s pour. leurs ddcouvertes specta-
culaires, les “grands” d6tectives sont ordinairement ceux qui se sont
entour6s des d6lateurs les plus nombreux… Le syst~me des “espions
de police” est utile et m~me n6cessaire; il n’est pas sans danger puis-
qu’il peut donner lieu A de graves abus. Parce qu’il est habile, l’indica-
teur fraie avec facilit6 dans les milieux du crime, de ]a fraude et de
la contrebande et en rapporte des informations pr6cieuses. A cause de
son aisance A se faire admettre dans le monde interlope, de sa
promiscuit6 avec les apaches, les faussaires, les gens de sac et de
corde mais surtout parce qu’il vient A s’estimer rauxiliaire indispen-

Juge A la Cour des sessions de la paix.
1Bibliographie: Phipson on Evidence (9e 6dit., 1952) p. 510; Wignore on
Evidence: Vol. III, no. 2060, p. 339-341; Roscoe’s Criminal Evidence (16e 6dit.,
1952) p. 145; Glanville Williams: “Criminal Law; The General Part” (2e 6dit.,
1961) no. 253-256, 263; Archold’s Criminal Pleading, Evidence and Practice (32c
idit., 1949) p. 397 et 1458; G.L.W. 64. L.Q.R. 190.

2 Londres, 1952, p. 76.
3 Traduction par l’auteur de cette 6tude.

No. 1 INDICATEUR, AGENT PROVOCATEUR, COMPLICE

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il n’est d6jA un malfaiteur –

est
sable du policier, le mouchard –
portd A commettre des crimes et des dMlits parce qu’il se pense assur6
’emploie est
de l’impunit6… Bien souvent d’ailleurs, le policier qui
enclin A le prot~ger, A minimiser ses fautes ou A les qualifier de
fredaines. fleureux encore si, par d~formation professionnelle, il ne
juge pas ses d6lits comme un mal n6cessaire destin6 A 6viter de plus
grands maux …

Parall~lement au d~lateur A gages, l’agent de la paix est quelquefois,
sur ordre de ses sup6rieurs, appel6 A jouer le r~le d’agent secret. Ca-
moufl6 sous une fausse identit6, il s’introduit dans le cercle ferm6
des trafiquants de stup~fiants, il d~c~le les debits clandestins de bois-
sons alcooliques, il traque les contrebandiers et les fraudeurs de toutes
sortes et d6masque les tenanciers des maisons de d6sordre. Une place
A part lui revient. R~gle gfn~rale, il assume alors une corv~e d6plai-
sante, dangereuse A l’occasion et presque toujours m6ritoire. Mais ici
encore 1’emploi A temps continu ou presque d’un policier comme agent
secret peut engendrer des exc~s. Favoris6 de la confiance des tribu-
naux, sachant que le juge va, de pr~f~rence A celle de l’accus6, ajouter
foi A sa deposition, ce policier peut 6tre tent6 d’amplifier la preuve
recueillie, sinon de l’inventer, sous prftexte qu’il est convaincu de la
culpabilit4 du pr~venu… Afin d’6viter ce p6ril, les autorit6s polici6res
ne devraient-elles pas d6signer un nouvel agent pour chaque investi-
gation? Jouer A l’infini au contrevenant ou au criminel pour d6busquer
les v~ritables dlinquants peut si facilement faire acqu6rir des habitu-
des reprdhensibles et obnubiler la conscience…

Dans cette 6tude, apr~s avoir d4fini rindicateur et r’agent provo-
cateur, nous allons chercher les principes sur lesquels s’appuie leur
immunit6, consid~rer les cas oit leurs actes deviennent fautifs et A
queles conditions.

2-Indicateur et agent provocateur; l’article 21 du code criminel:

Qu’il s’agisse de policiers ou de simples citoyens qui jouent
le r~le de dlateurs, la jurisprudence et les auteurs les d6signent sous
le titre g~n6rique d’indicateurs ou d’agents provocateurs. En pratique,
on confond les deux termes parce qu’en fait la m~me personne peut,
A ]a fois, Atre indicateur et agent provocateur. Pourtant il y a entre ces
deux personnages une nette distinction. L’indicateur est celui qui
SIMULE sa participation A un complot ou A la perpetration d’un
crime ou d’une infraction dans le but d’obtenir, de bonne foi, la preuve
de la culpabilit6 du v6ritable d6linquant. Par contre, l’agent provoca-
teur est celui qui INCITE une personne A commettre un crime ou un
d~lit dans le but de la faire condamner. Dans le premier cas, l’indica-

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teur accepte, en thdorie, l’invitation qui lui est faite tandis que, dans
1’autre, l’agent provocateur engage une personne A violer la loi. L’acte
de l’agent provocateur est justifiable s’il est pos6 de bonne foi
pour d6couvrir un d6linquant potentiel mais demeure condamnable
s’il a pour but d’entrainer dans le crime ou le d6lit l’Atre faible qui ne
peut rdsister aux sollicitations pressantes. Ces d6finitions explica-
tives ne laissent -entrevoir que quelques facettes de l’activit6 des
d6lateurs. Ne pouvant circonscrire en quelques mots l’activit6 l~gale
ou ill~gale de ces personnes, nous devons donc rechercher par une
analyse plus 6tendue les principes qui les r6gissent.

En Angleterre, on reconnait le principal au premier degre, le
principal au second degr4 et le complice avant le fait. On peut d’une
fagon gn6rale quoiqu’incomp]6te d6crire
le principal au premier
degr6 comme la personne qui a elle-mgme perp~tr6 l’infraction ou qui
l’a commise au moyen d’un agent innocent; le principal au second
degr6 est celui qui est pr6sent lors de la perp6tration de l’infraction
et qui y aide ou la conseille; enfin, le complice avant le fait est celui
qui, bien qu’absent, a commando ou conseill6 la perp6tration de l’infrac-
tion ou a incit6 quelqu’un A la commettre. Notons qu’en vertu de cette
doctrine il ne peut y avoir de principal au second degr6 s’il n’y a pas
de principal au premier degr6. D~s le d6but de la Confederation, le
Canada a rejet6 ces distinctions. Chez nous, l’acte criminel remplace
la f6lonie et le “misdemeanour” et l’article 21 du code criminel recon-
nait comme parties A r’infraction celui qui la commet v~ritablement,
celui qui accomplit ou omet d’accomplir quelque chose en vue d’aider
quelqu’un A la commettre et celui qui encourage quelqu’un A ]a com-
mettre. Il s’ensuit que les solutions des tribunaux anglais ne peuvent
pas toujours s’appliquer A notre pays, du moins dans ]a forme oti elles
sont expos6es.

Malgr6 la phras~ologie de l’article 21 du code criminel, notre juris-
prudence – A I’instar de celle de l’Angleterre –
affirme que, dans
les circonstances ordinaires, rindicateur et l’agent provocateur, qui
agissent d’une fagon “convenable” ou dquitable, ne sont pas parties
Sl’infraction et qu’aucune r~gle de pratique ou de droit ne recom-
mande, contrairement A celui du complice, la corroboration de leur
t6moignage. Quelques d6cisions suffisent h 6tablir l’universalitd de
cette r~gle. Bien que dissident dans le jugement prononc6 par ]a cour
d’appel de Colombie-Britannique et confirm6 par la Cour Supreme du
Canada, le juge Robertson 6mettait ]a proposition suivante que ni
ses collgues ni les juges de ]a Cour Supreme ne discut~rent:

R. v. O’Brien :4

4108 C.C.C. 113 A 117-118, (1954) 11 W.W.R. 657, 18 C.R. 228, (C.-A., C.-B.);
confirm6 par [1954] S.C.R. 666, 19 C.R. 371, 110 C.C.C. 1. Traduction par l’auteur.

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“Pour des motifs d’interft public, est excusable et ne peut 6tre consid6r6
comme un complice celui qui se joint A d’autres sous le pr~texte de les aider
i commettre un crime s’il agit alors sur les instructions ou au nom des
autorit~s polici~res ou d’une autre autorit6 publique et s’il pose ses actes
dans le but de d~couvrir leurs desseins criminels afin de les d~voiler au
b~n~fice et pour la protection de la soci6t6 pour que les coupables re~oivent
leur chftiment”.
R. V. Bouchard ;5 R. v. Clay :6
Les officiers de police qui agissent comme agents provocateurs afin d’ob-
tenir la preuve qu’une personne exploite une maison de ddbauche ne peuvent
6tre consid4r~s comme des complices.
R. v. Acker;7 R. ex rel. Lesley v. Morel:8
Un indicateur de police n’est pas un complice. Son temoignage ne requiert
pas de corroboration.
R. V. Kinney, R. V. Tommy. R. v. McKinley :9
Les indicateurs de police ou les agents provocateurs qui participent A un
crime ou qui le provoquent dans le but d’aider la justice en d~nongant les
coupables ne sont pas des complices. Cependant, il est manifeste que l’agent
provocateur doit avoir agi en cette qualit6 d~s le debut.
Si la r~gle est A ‘effet qu’indicateurs et agents provocateurs ne
sont pas des complices, elle impose cependant des conditions. Ils ne
ils
doivent pas avoir d6but6 comme contrevenants ou criminels;
doivent agir de bonne foi dans le but de d6couvrir les coupables et
les livrer A la justice et ils doivent agir d’une fagon 6quitable ou “con-
‘agent provocateur
venable” (“properly”). Lorsque rindicateur ou
a commenc6 A 8tre partie au complot ou A l’infraction puis se ravise
et cherche A donner ses compagnons, il doit 6tre consid~r6 comme un
complice. Et lors d’un proc6s par jury, le president du tribunal doit
expliquer aux jur6s ce qu’est en droit un complice, attirer leur atten-
tion sur les faits en preuve afin qu’ils puissent decider si le t~moin est
ou non un complice et leur rappeler, s’ils en viennent A une conclu-
sion affirmative, qu’il est imprudent de condamner l’accus6 sur ce
t~moignage non corrobor6. C’est le sens de l’arr~t de Vigeant v. R.: 10
Le pr~venu est d~clar6 coupable sur le tdmoignage non corrobor6 d’un indi-
cateur qui a ddbut6 comme complice. La Cour Supreme du Canada ordonne
un nouveau procs parce qu’il y a preuve que le t6moin a R6 A un certain

5 (1951) 12 C.R. 305, 101 C.C.C. 413, (C.-A., Quebec). Editor’s note. Where a
statement is set apart from the general text without quotation marks, as is the
case here, it is a holding of the case in the opinion of the author.

6 (1946) 1 C.R. 327, 88 C.C.C. 36 (C.A., Qudbec).
7 (1934) 62 C.C.C. 269, 18 Can. Abr. 1306 (N.-E.).
8 (1931) 1 W.W.R. 209, 25 Sask. L.R. 268, 18 Can. Abr. 1304 (Sask.).
9 (1931) 3 D.L.R. 668, 2 M.P.R. 242, 55 C.C.C. 350, 13 Can. Abr. 1466, 18 Can.

Abr. 1303 (C.-A., N.-B.).

10 [1930] S.C.R. 396, (1931) 3 D.L R. 512, 54 C.C.C. 301, 18 Can. Abr. 1303.

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moment un complice, que le juge a omis d’instruire les jurds sur ce qui cons-
titue en droit un complice et de les mettre en garde contre le danger de con-
damner l’accus6 sur la foi d’un t6moignage non corrobor6 d’un complice, si
de fait ils en venaient A la conclusion que le tdmoin avait W A un moment
donn6 un complice.

Ainsi donc la premiere condition pour que l’indicateur ou l’agent
provocateur ne soit pas considdr6 comme un complice exige qu’il n’ait
eu, A aucun moment, l’intention de r6ellement prendre part A la
conspiration ou de perp6trer l’infraction. Mais, comme nous l’avons
vu, ses mobiles peuvent 6tre int~ress6s ou m6prisables. I1 est pouss6
par l’appit d’une recompense ou d’un salaire, il d6sire se venger ou il
est mfi par la jalousie. A eux seuls, ces faits ne suffisent pas A trans-
former le d6lateur en complice. Comme pour t6moin cependant, les
raisons cach6es de ses actes affectent sa cr6dibilit6 et, selon les cir-
constances de l’affaire, il devient plus ou moins digne de confiance.
Dans ce cas, le juge sera probablement tenu de mettre les jur6s en
garde contre un tel ddposant. La cause de R. V. Podluzny 11 semble
bien r~sumer la jurisprudence A ce sujet, alors que le juge Adamson,
parlant pour ]a majorit6 de la cour, affirmait:

“La Ioi r~clame la corroboration dans nombre de cas autres que celui du
t~moignage d’un complice. Pour faire la preuve de certaines infractions, Ia
loi exige In corroboration. Dans d’autres cas, c’est seulement une r~gle do
pratique. I1 y a de nombreux cas oii le pr6sident du tribunal doit avertir les
jur~s du danger de condamner l’accus6 sur In foi d’un t~moignage non cor-
robor4. Mais, ind6pendemment de toute r gle de droit ou de pratique, le juge
devrait, comme r~gle g~n6rale, avertir les jur~s du danger d’agir sur Ia fol
de Ia deposition d’un tgmoin indigne de croyance”. 12

Et, dans R. V. Kinney, R. v. Tommy and R. v. McKinley, le juge

White s’exprimait ainsi:

“Pour en arriver A une decision, le magistrat –
il est peut-atre inutile de
l’ajouter –
doit appliquer tous les crit~res reconnus, applicables dans les
circonstances, qui vont F’aider 6 d6terminer Ia crddibilit6 du t6moin. I1 lui
incombe de scruter avec soin jusqu’A quel point le preuve faite par les t”moins
et particulihrement par des officiers de police pout 6tre affectde par lour
int6r~t A obtenir la condamnation de I’accus6. Ainsi, il doit rechercher ce qui
dans la preuve entache la r~putation du tmoin et r6v~le jusqu’I quol point
on peut mettre en doute son t6moignage ou ne pas le croire; il doit consid6ror
In conduite du t~moin pendant sa d6position et se demander, s’il y a lieu, si
sa d~position r6vle sa volontd de ne pas ddvoiler des faits qui peuvent tendre

11 (1951) 1 W.W.R. 85, 11 C.R. 180, 98 C.C.C. 354, Can. Abr. 341, 346 (C.A.,

Man.).

12 98 C.C.C. 354 A 362. Traduction par I’auteur. Voir 11 C.R. 180 h 187; Phipson
on Evidence (9e 6dit., 1952) p. 511; R. v. Brown (1911) 6 Cr. App. R, 24 (C.C.A.,
Ang.); R. v. Ellsom (1941) 7 Cr. App. R. 4 (C.C.A., Ang.), R. v. Greenway (1914)
10 Cr. App. A. 241 (C.C.A., Ang.); R. V. King (1915) 10 Cr. App. R. 117 (C.C.A.,
Ang.).

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& affaiblir la cause de la partie qui l’a produit; enfin, mime s’il s’agit d’un
t~moin honn~te, il doit se demander jusqu’A quel point ce timoin est suscep-
tible de se tromper sur les faits que sa deposition a d~voil~s”.13

Comme nous le voyons, si l’indicateur et l’agent provocateur, agis-
sant de bonne foi et d’une fagon “convenable” (“properly”), ne sont
pas, comme tels, consid6r~s comme des complices dont on devait
recommander la corroboration du t6moignage, il n’en reste pas moins
vrai qu’A l’instar de tout autre t6moin leur cr~dibilit6 repose sur les
faits particuliers de la cause et de son ambiance.

En outre, I’indicateur et l’agent provocateur doivent, de bonne foi,
avoir pour but de d6couvrir les coupables afin que ]a justice suive son
cours. Dans R. v. O’Brien,3″a le juge Robertson r6sumait bien la loi
lorsque, traitant de leur immunit6, il ajoutait “pourvu qu’ils posent
leurs actes dans le but de d6couvrir les desseins des criminels et de
les d6voiler au b6n~fice et pour la protection de la socitY, afin que
les coupables regoivent leur chatiment”. Quant A l’agent provocateur,
son incitation doit tendre A ce que le ddlinquant potentiel qui n’attend
que l’occasion propice se r~v~le lui-m~me. En d’autres termes, il ne
tente pas par ses sollicitations et ses pressions A faire commettre
un d~lit A celui qui n’en a pas m~me la pens~e mais bien & faire se
d6voiler le contrevenant qui recherche les conditions favorables pour
commettre son infraction. A titre d’exemple, l’agent provocateur
qui s’introduit dans le domicile d’une personne soupgonn~e de faire la
contrebande de boissons alcooliques a pour dessein de d~masquer le
vendeur illicite. Sa ruse ne sert qu’A faire incriminer le d6bitant ill-
gal, devient l’occasion et non la causa causans de la vente prohib6e.
Bien autre pourrait 6tre la conduite de ragent de la paix qui, en pos-
session de faux billets de banque, inciterait,
la- suite d’un harc61e-
ment continu, un jeune homme, sans ant6c6dent judiciaire et sans in-
clination A commettre cet acte, A les mettre en circulation. L’indica-
teur qui simula sa participation peut –
6tre
tenu de poser des actes apparemment ill6gaux: il ne devra le faire
qu’en tant qu’ils sont n6cessaires au but qu’il poursuit. I1 y a donc
une mani~re r6guli6re et convenable d’8tre indicateur ou agent pro-
vocateur; il y a aussi une fagon ill6gale. C’est ce que nous verrons en
6tudiant dans quelles circonstances ils deviennent des complices. Nous
trouvons, dans ]a jurisprudence, plusieurs exemples oti la conduite
du d~lateur a 6t6 approuv~e:

pour jouer son r6le –

Amsden v. Rogers :1’

13 55 C.C.C. 350 h 356.
13a Supra –
14 (1916) 10 W.W.R. 1337, 34 W.L.R. 1174, 9 Sask. L.R. 323, (1916) 30 D.L.R.

note 4.

534, 26 C.C.C. 389, 18 Can. Abr. 1305.

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La pratique de refuser de condamner l’accus6 sur la foi du t~moignage non
la d6position d’un constable
corrobor6 d’un complice ne s’applique pas i
special, employ6 par le gouvernement dans le but de d~couvrir et de pour-
suivre les auteurs de ventes ill6gales de boissons alcooliques.
R. V. McCranor:15
Un indicateur de police ou un agent provocateur n’est pas un complice. On
ne peut lui appliquer la r~gle de pratique qui recommande ]a corroboration
du t~moignage di complice. Dans la pr~sente affaire, les policiers admettent
leur participation dans la vente et l’achat ill~gaux de boissons alcooliques.
C’est pourquoi on soutient qu’ils sont des complices et qu’en consequence on
ne devrait pas d6clarer l’accus6 coupable sur la foi de leur seule deposition
non corroborfe. Cette r~gle ne s’applique pas aux espions de police mamo s’ils
ont incit6 l’accus6 i commettre l’infraction, mme s’ils ont provoqu6 cette
infraction ou mme s’ils y ont eux-mmes particip6.
R. V. Bickley:16
Une femme, agissant comme indicatrice de police, ahte d’un pharmacien
une drogue nocive aux fins, prdtend-elle, de procurer son avortement. Con-
naissant le but que se propose sa cliente, l’accus6 la lui vend quand mme. II
est reconnu coupable. 17. La cour rdaffirme que l’agent provocateur n’est pas
un complice et aucune r~gle ne recommande ]a corroboration de son t6moi-
gnage.
R. V. Mullins:18
Un “espion de police” simule sa participation bL une conspiration pour en
connaltre et en d~noncer los membres. Le tribunal affirme que cot indicateur
n’est pas un complice et son t6moignage n’a pas besoin d’6tre corrobor.
En vertu de quels principes l’indicateur et l’agent provocateur
jouissent-ils de l’immunit? On a 6mis plusieurs theories. Faisons
bri~vement le recensement de chacune d’elles:

a) Etant les serviteurs de la Couronne, les officiers de police jouissent de

l’immunit6 qui s’applique a celle-ci.
Nul doute que les repr~sentants de ]a Couronne n’encourent pas
plus de responsabilit6 p6nale que ]a Souveraine elle-m~me. Reportons-
nous A ]a d6cision de la Cour Supreme du Canada dans Canadian
Broadcasting Corporation v. Att.-Gen. for Ontario :19

La socifth Radio-Canada, que sa loi constituante 6rige A toutes fins en agent
de la Couronne, ne peut 6tre poursuivie pour violation do la loi sur le di-
manche. Bien que la ddfinition du mot “personne” comprenne Sa Majest6,
c’est seulement dans le but de lui permettre de poursuivre si elle est victime
d’une infraction mais non d’autoriser une autre personne de ]a poursuivre
pour violation de la loi.

15 (1918) 44 O.L.R. 482, 47 D.L.R. 237, 31 C.C.C. 130, 18 Can. Abr. 1305

(C.A., Ont.).

16 (1909) 73 J.P. 239, 2 Cr. App. R. 53 (C.C.A., Ang.).
17Voir art. 238 du code criminel.
Is (1848) 3 Cox C.C. 527, 7 St.Tr. (n.s.) 110 (Ang.).
19 [1959] S.C.R. 188, 16 D.L.R. (2e) 609, 122 C.C.C. 305.

No. 1 INDICATEUR, AGENT PROVOCATEUR, COMPLICE

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En vertu de cette doctrine, d’aucuns pr~tendent que les agents de
la paix sont eux aussi des repr~sentants de la Couronne et ne peuvent,
en cette qualit6, 6tre poursuivis pour leurs actes pos6s dans l’ex6-
cution de leurs fonctions alors qu’ils agissaient comme indicateurs
ou agents provocateurs. Les partisans de cette th~orie, citent A l’appui
de leur opinion la cause de Receiver for the Metropolitan Police Dis-
trict V. Tatum. 20 Un policier est bless6 A cause de la n~gligence de
Tatum. Ayant acquitt6 les comptes de l’h6pital et pay6 au policier les
allocations d’incapacit~s, le “receveur” poursuit en remboursement
et le tribunal maintient Ia r6clamation. En Australie, par contre,
dans l’affaire de Att.-Gen. for New South Wales v. Perpetual Trustee
Co.,21 ]a “High Court” rejette la reclamation de la Couronne faite h
la suite des blessures subies par un policier et de son licenciement en
consequence de son incapacit6. Nous sommes donc en presence de deux
jugements, en mati~re civile, d~cid6s, chaque fois, par un seul juge
de deux pays membres du Commonwealth britannique et A conclusions
contradictoires. Quoiqu’il en soit, dans notre province ce cas rel~ve-
rait de la subrogation l6gale ou conventionnelle et n’aurait aucune
port~e sur la question de savoir si les policiers sont des repr~sentants
de la Couronne. Notons d’ailleurs que, mgme en Angleterre, il est
loin d’etre 6tabli que l’agent de la paix est un repr~sentant de la
Couronne. Rff6rons-nous A ce sujet A Coomber v. Justice of Berks.
oti le tribunal approuvait les remarques dmises par Lord Watson
dans Mersey Docks Case:

“I1 est difficile de soutenir que ceux qui utilisent les postes de police soient,
strictement parlant, des serviteurs du souverain de fagon telle que leur
possession devienne celle de Sa Majest6”. 22
Beaucoup plus pros de nous, il y a l’opinion que Lord Goddard a

6mise dans Brannan V. Peek:

“A moins qu’une loi du parlement n’autorise une telle conduite… il est tout
& fait mal d’envoyer un officier de police ou toute personne commettre une
infraction sous prdtexte de ddvoiler ainsi le d~lit d’une autre lersonne…
Si ces officiers de police commettent des infractions, ils devraient Atre d6-
clar~s coupables et sentenc6s car les ordres de leurs sup6rieurs ne peuvent
leur offrir aucun moyen de ddfense”.23
Dans notre pays oa les policiers rel~vent de diverses autorit~s,
f6d~rale, provinciale et municipale et mgme d’entreprises privies com-
me les chemins de fer Canadien Pacifique, il serait difficile de conce-

20 (1948) 2 K.B. 68 (Ang.).
21 (1952) 85 C.L.R. 237, 16 M.L.R. 97 (Australie).
22 (1883) 9 A.C. 61 A 73; Mersey Docks case (1865) 11 H.L.C. 464. Traduction

par I’auteur.

23 (1947) 2 All. C. R. 572 h 573-4, [1947] W.N. 281, 63 T.L.R. 592 (C.C.A.,

Ang.). Traduction par l’auteur.

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voir que l’agent de la paix, A l’instar du gouvernement et des soci~t~s de
]a Couronne, jouisse de l’immunit6 du Souverain. Je crois done qu’au
‘agent
Canada on ne peut expliquer l’impunit6 de l’indicateur ou de
provocateur par cette th6orie. D’ailleurs, cette doctrine n’apporterait
aucun moyen de defense aux nombreux espions et agents provocateurs
que les autorit6s polici6res embauchent car celles-ci n’auraient pas le
pouvoir de d6lIguer A d’autres ce privilege…

b) Absence de “mens rea”:

En plus de “‘actus reus”, la plupart des actes criminels et des
‘agent
infractions exigent la “mens rea”. Comme l’indicateur ou
provocateur –
n’a pas d’intention coupable,
il ne peut encourir de responsabilit6. Ainsi, i1 ne peut y avoir cons-
piration entre une personne qui simule son acquiescement et une
autre qui d6sire l’accomplissement du dessein criminel.

agissant de bonne foi –

R. V. Kotyszyn :24
I1 ne peut y avoir conspiration criminelle contre deux personnes pour procurer
Favortement de P’une d’elles qui est une femme polici6re lorsque celle-ci n’a
jamais eu P’intention de se faire avorter mais simule ]a grossesse et prie
l’accus6 de l’avorter uniquement dana le but de faire une cause contre lui.
Si le prdvenu d~sirait, moyennant r6mun6ration, procurer l’avortement, ]a
femme polici~re n’en avait nullement l’intention. En consequence, il n’y avait
pas d’entente entre eux.
R. V. O’Brien :24a
Pour qu’il y ait conspiration, il faut que les participants, au moment de
l’acquiescement au but propos6, aient eu l’intention v~ritable de r~aliser
l’acte. De simples mots, paraissant 6tre un accord de volont6 mais sans
intention vritable de r~aliser l’acte, ne sont pas suffisants pour constituer
une conspiration.
Pour qu’un inculp6 soit coupable de vol, il doit avoir pris ou
dtourn6 un bien, frauduleusement et sans apparence de droit, dans
l’intention d’en priver le propri~taire d’une fagon absolue ou tem-
poraire. Quand r’indicateur simule sa participation dans le vol dans
le but de faire condamner les v6ritables coupables et de restituer
le bien A celui qui y a droit, il n’y a pas d’intention coupable puisque
ses faits et gestes avaient pour but de conserver robjet ou la valeur
au profit de I’ayant droit.

R. v. Dannelly et Vaughanz.:23
Officier de police, Dannelly convainct Vaugham, qui fait partie d’une
bande de malfaiteurs, de trahir ses compagnons. Sur lea renseignements que
lui fournit son indicateur, Dannelly avertit ]a victime d~sign~e et se poste

24 ou Kotszyn ou Kotish, (1949), 8 C.R. 246, 95 C.C.C. 261.
24a Supra, note 4.
2 5 [18163 R.

t R. 310, 168 E.R. 818.

No. 1 INDICATEUR, AGENT PROVOCATEUR, COMPLICE

47

td mft par un mobile intdress6, il

en attente. Vaugham d~clare A ses compagnons qu’il va faire le guet pendant
qu’ils effectueront le vol. La bande est arrte mais on accuse Dannelly et
Vaugham de complicit6 avant le fait. Ils sont tous deux acquitt~s. Bien que
les juges soient d’avis que Vaugham a
devait partager avec Dannelly la rdcompense promise pour l’arrestation des
malfaiteurs, ils affirment qu’il n’avait pas d’intention coupable puisqu’il
6tait prdsent lors du vol non pour aider ses compagnons mais bien pour les
livrer A la justice.
R. V. Chandler:26
L’accus6 est d6clar6 coupable d’effraction dans un magasin dans l’intention
d’y commettre un vol. II s’6tait entendu avec l’employ6 pour obtenir la
clef du magasin aux fins d’en faire un double. Mais remploy6 avait mis son
patron au courant du projet de Chandler et c’est du consentement de celui-ci
qu’il avait remis la clef du magasin. Au jour fix6 pour l’effraction, l’accus6
est arrt6 par les policiers qui surveillaient. Le tribunal juge que remploy6
n’est aucunement complice de l’accus6.
Mais 1’excuse d’absence de “mens rea” ne saurait exister que
dans les cas oit elle est 1’6l6ment essentiel de rinfraction imput6e.
Elle n’a pas d’application s’il s’agit d’une infraction de stricte res-
ponsabilit6. II s’ensuit que cette r~gle d’impunit6 ne peut couvrir tous
les cas. C’est pourquoi les auteurs et la jurisprudence parlent de la
d6fense bas6e sur l’autorisation accorde par un pouvoir l6gitime.

c) Autorisation accord~e par un pouvoir l6gitime:

Dans R. V. O’Brien,26a le juge Robertson, de la cour d’appel de Co-
lombie-Britannique, affirme que rindicateur ou ragent provocateur,
agissant sur les instructions des autorit.s polici~res ou d’une autre
autorit6 l6gitime, ne peut 6tre consid~r6 comme un complice. II basait
probablement son opinion sur l’autorit6 de R. v. Johnson et Jones :27
En l’absence du maitre, qui est hors de la ville, un individu aborde son
serviteur et lui propose de participer au cambriolage de la maison. Faisant
semblant d’acquiescer A ]a proposition, le serviteur en informe la police qui lui
intime ordre d’agir d’apris ses instructions. Au jour dit, le serviteur ouvre
la porte h celui qui lui a propos6 le cambriolage et qui est accompagn6 d’une
autre personne. Ils sont surpris sur le fait. Le juge Maule affirme que le
serviteur, agissant sur les instructions des policiers, doit 6tre considdr6
comme ayant agi sur les ordres de son maitre.
II semble bien que, dans ce cas-ci, le serviteur ne pouvait 6tre
coupable puisqu’il n’avait pas animus furandi, c’est-A-dire l’inten-
tion de priver le propridtaire de son bien. D’ailleurs, si au lieu d’un
vol, l’accus6 avait eu rintention de commettre un m6fait en d6trui-
sant le bien, pourrait-on dire que les policiers auraient pu accorder au

26 (1913) 1 K.B. 125, 82 L.J.K.B. 106, 23 Cox C.C. 330, 108 L.T. 352, 77 J.P. 80

(C.C.A., Ang.).

26a Supra, note 4.
27 [1841] C. et Mar. 218, 174 E.R. 479.

McGILL LAW JOURNAL

(Vol. 10

serviteur rautorisation d’aider A cette destruction? Je ne le crois pas.
Mais le serviteur aurait 6t6 excus6 parce qu’iI avait agi avec une
apparence de droit.2 –

Lorsqu’il s’agit de crimes contre un individu, et non contre l’Etat,
quelle est l’autorit6 autre que celle du propri6taire qui peut autoriser
la participation h rinfraction dans le but de faire apprehender le
coupable? N’est-c’e pas accorder au policier un pouvoir exorbitant que
de lui permettre de dcider – A la place du propri~taire –
de faire
semblant de coop~rer dans ]a perp6tration d’un crime? Quoi qu’il en
soit, je crois que tous les cas peuvent 6tre explicit~s par la d6fense de
n6cessit6.

d) Defense de ncessit6:

“Quod necessitas non habet legem”. La d6fense de n6cessit6 est
reconnue par le “common law”. D~s 1609, le juge Hobart 6nongait
dans Moore V. Hussey :29 “Toute loi admet des cas d’excuse l6gitime.
Bien qu’il ait viol6 la lettre de loi, le contrevenant est excus6 s’il a
agi par n6cessitP”. Et, dans Manby V. Scott,30 la cour soutenait que
“la loi de la ncessit6 permet des actes qui autrement seraient ill-
gaux” (The law for necessity dispenses with things which otherwise
are not lawful to be done). Sir William Scott 6crivait dans “The
Gratitudine”:31 “On ne peut vraisemblablement pas formuler des
r~gles pr~cises pour ddterminer ]a loi qui r~git les cas de ndcessit6.
C’est ]a n6cessit6 qui cr~e ]a loi et cette n6cessit6 supprime les rfgles.
Tout ce qui est juste et raisonnable dans de telles circonstances est
legal…” I1 peut arriver qu’on d6truise une grange, une maison ou un
6difice pour empcher un incendie de se propager, 32 qu’un prisonnier
s’6vade, sans commettre d’infraction, de sa prison qui est ]a proie des
flammes, 33 qu’on jette A ]a mer ]a cargaison d’un navire pris dans ]a
tempgte,34 que le policier A ]a poursuite d’un criminel fasse une vitesse
illdgale et que malgrd la prohibition absolue une personne tue un
orignal qui fonce sur elle: 3
5 tous ces cas se justifient par la defense
de n6cessit6. Notons que notre code criminel 31 a reconnu expressdment
cette r~gle du “common law” lorsqu’il dit: “Chaque r~gle et chaque

2 voir art. 371 (2) du code criminel.
29 [1609) Hob. 94 A 96; 80 E.R. 243 A 246. Traduction par l’auteur.
30 [1672] 1 Levinz 4; 83 E.R. 268. Traduction par Vauteur.
31 [1801] 3 C. Rob. p. 240 A 266; 165 E.R. p. 450 A 459. Traduction par V’auteur.
32 Y.B. 1469, M. 9 E. 4, juge Littleton; Cope V. Sharpe (1912) 1 K.B. 496.
33 Y.B.T. 14 H. 7.
34 R. v. Mouse ou Mouse’s Case (1608) 12 Co. Rep. 63, 77 E.R. 1341.
35 R. v. Breau (1959) 125 C.C.C. 84, j. West, Cour Supreme, N.-B.
:6 art. 7 (2).

No. 1 INDICATEUR, AGENT PROVOCATEUR, COMPLICE

49

principe du “common law” qui font d’une circonstance une justifi-
cation ou une excuse d’un acte ou un moyen de d6fense contre une
accusation demeurent en vigueur…”

Souvent la d6fense de n6cessit6 se confond avec celle de l’impossi-
hilte d’agir autrement: c’est un de ses aspects. Mais il y a d’autres
cas qu’un auteur am6ricain 3- a ainsi d~crits: “On est en presence de
la ddfense de n6cessit6 chaque fois qu’on peut r~pondre affirmative-
ment A l’une des questions suivantes: (a) La violation de la loi est-elle
si fr~quente qu’il est n~cessaire de faire un effort sp6cial pour enrayer
les infractions?; (b) Le crime offense-t-il si gravement la d6cence ou
a-t-il des cons6quences si graves que le gouvernement devient justifiM
d’6prouver le respect de la loi par les citoyens? et (c) Le genre de
crimes et de d~lits sont-ils perp6tr6s dans un tel secret qu’il devient
difficile d’appr~hender leurs auteurs?”

D6jA, dans R. V. Berdino,3s la cour d’appel de la Colombie-Britan-

nique tenait un langage similaire:

l’Etat,3sa le trafic des stup~fiants,39

Sans tenter d’dnumfrer les diff6rentes categories de cas oii il est nicessaire
de recourir A ces moyens (i.e. ceux employ~s par les indicateurs et les agents
Zt titre d’exemples – mentionner les crimes contre
provocateurs), on peut –
la sfiret6 de
la vente ill~gale des
boissons alcooliques, la fraude en mati~re de prix de passage,4 0 les vols per-
p~tr~s aux postes, 41 les crimes sexuels contre
les enfants ou d’autres
personnes. 42
L’Etat a non seulement le droit mais le devoir strict de se prot~ger
contre ceux qui menacent directement son deonomie. II y a alors une
n6cessit6 facile h saisir. C’est pourquoi l’Etat peut – par un de ses
accorder des autorisations ou donner des ins-
organes autoris6s –
tructions A premiere vue ill~gales, s’il s’agit alors de faire appr6-
hender et punir les coupables. Nous en avons un exemple frappant

37 28 Col. L.R. 1072. Traduction par l’auteur.
38 (1924) 3 W.W.R. 198 at 201, 34 B.C.R. 142, (i924), 3 D.L.R. 794, 42 C.C.C.

308, C.A., C-B.

38a Supra, note 18.
39 R. v. Brown (1953) 17 C.R. 257, C.A., C.-B.; Beaver v. R. [1957] S.C.R. 531,

26 C.R. 193, 118 C.C.C. 129.

40 voir article 336 du code criminel.
41 R. v. Bennett (1958) 119 C.C.C. 215, Can. Ann. Digest 283, C.A., Ont.;
R. v. Tr~panier (1901) 10 B.R. 222, 4 C.C.C. 259, C.A., Qu6bec; R. V. Cumming
(1962) 37 C.R. 219, Cour supreme du Canada.

2 R. v. Houser” (1910) 6 Cr. App. R. 76, C.C.A., Ang.: il s’agit d’une trappe
4
pour faire condamner l’accusd pour grossi~re inddcence. La police s’entend avec
un nomm6 Proctor, apparemment un homosexuel, pour qu’il consente A lacte. Le
tribunal dicide que Proctor n’est pas un complice bien que les constables ne soient
intervenus que 15 minutes apr~s le ddbut des relations. La cour refuse l’autorisa-
tion d’appel.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 10

par la cause R. v. Bannen 43 off l’accus6 commande A un graveur une
matrice de ]a forme d’un “shilling”. Pris de soupgon, l’homme de
‘art se met en communication avec les autorit~s de l’hbtel de la mon-
naie. Celles-ci lui demandent de parfaire son travail. Apprdhend6,
lorsqu’il vient prendre livraison de ]a matrice, le pr6venu est d4clar6
coupable alors que ]a cour juge que le graveur est un “agent innocent”.
Bien que les autorit6s de l’h6tel de la monnaie n’aient pas eu I’auto-
rit6 de violer la loi et bien que le graveur lui-m~me ne pfit, strictement
parlant, fabriquer une matrice destin6e A la contrefagon de ]a monnaie,
l’autorisation accord~e et le travail accompli 6taient justifi6s par la
n6cessit6 d’obtenir la preuve contre le fraudeur. Toutefois, sous pre-
texte de n6cessitd, l’autorisation accord~e ou l’incitation peuvent em-
p~cher la perp6tration de l’infraction. Ce fait ressort de ]a cause de
R. V. Martin.4 4 A l’instar de l’article 128 du code criminel, ]a loi
anglaise de 1812 “Prisoners of Wars” crde une infraction 45 du fait
d’aider sciemment et volontairement un prisonnier de guerre A s’eva-
der de l’endroit o-4 il est d6tenu ou de I’endroit oit il est d tenu sur
parole. Parce que les autorit6s militaires soupgonnent I’accus6 de se
livrer A cette activit6, elles d6cident de lui tendre un pifge. Elles
soudoient A cet effet un prisonnier de guerre qui entre en contact
avec
‘accus6 et celui-ci consent A le transporter hors des limites qui
lui 6taient assign6es. D6clar6 coupable, en premiere instance, d’avoir
aid6 un prisonnier de guerre a s’evader, Martin est lib~r6 lors de
l’appel. La cour decide que le prisonnier de guerre s’est transport6
hors des limites assign6es du consentement des autorit4s militaires et
qu’en cons6quence il ne peut 6tre question que Martin l’a aid6 A
s’6vader; puisqu’il n’y a pas d’6vasion, il n’y a pas d’assistance A
l’6vasion. Aurait-on pu le condamner pour “tentative”? 46 Je ne le
crois pas. L’absence en droit de toute infraction emp6che ]a condam-
nation pour un d~lit moindre et inclus.

Pour d6couvrir les vendeurs illicites de boissons alcooliques, les
policiers recourent souvent aux services d’agents provocateurs. M6-
thode fructueuse, elle est ]a plupart du temps ]a seule qui permette
de ddtecter les violateurs de la loi. Nombre de lois provinciales pr6-
voient l’emploi de ce moyen. Parce que ces infractions sont fr6quentes
et s’entourent de secret, il y a n~cessit6 que le gouvernement et les
le respect que les citoyens apportent A
corps policiers 6prouvent
l’ex6cution de Ia loi. On n’a que l’embarras du choix pour citer des
exemples ofi le r6le de l’agent provocateur a 6t6 reconnu.

[1811] R. et R. 196, 168 E.R. 757.

43 (1844) 1 C. et K. 295, 2 Mood. 309, 169 E.R. 123.
4
45 art. 156, ch. 156: “Prisoners of War (Escape) Act”.
46 voir article 24 du code criminel.

No. 1 INDICATEUR, AGENT PROVOCATEUR, COMPLICE

51

R. v. Rice :4
Lorsque le prdvenu est accus6 de vente ill~gale de boissons alcooliques, le
magistrat ne peut rejeter la d~position d’un tinoin sbus pr6texte qu’il
s’agit d’un agent provocateur qui a incit6 le pr6venu -h faire cette vente
illgale.
R. V. Hills :4S
Si le statut autorise l’arrestation sans mandat.du pr4venu pris en flagrant
d~lit, les officiers de police qui ont provoqu6 ]a vente illgale sont justifi6s
d’arr~ter l’accus6 qui a commis l’infraction en leur presence.
R. V. White :49
I1 n’y a aucune r~gle de droit ou de pratique h l’effet qu’on doive consid~rer
avec circonspection le t’moignage d’un agent provocateur lors d’une accu-
sation de vente ill6gale de boissons alcooliques.

R. V. McKay :5
Bien que n’6tant pas h l’emploi de la police mais agissant dans le but de
repousser les soupgons de vendeur clandestin qui p~sent sur lui, une personne
achte de la bi~re de l’accus6 et le d~nonce imm~diatenent. Cette personne
n’est pas un complice et il n’est pas recommand6 que son t~moignage soit
corrobor4 a ux fins d’6tablir une preuve prima facie contre le prdvenu.

Les lois d’accise et de douanes restreignent l’activit6 des citoyens
et les gr~vent de lourdes taxes. Rien d’6tonnant qu’un grand nombre
d’entre eux tentent de d6jouer les prescriptions l1gislatives. Pour
ddtecter toutes les ruses employdes, les fonctionnaires du gouverne-
ment peuvent faire preuve d’un flair remarquable, ils ne suffisent
pas A la tfche. C’est. pourquoi la jurisprudence et quelquefois des
dispositions de ]a loi reconnaissent, par ndcessit6, le r6le de l’indica-
teur et de l’agent provocateur. Dans Sifton V. Brunet,51 un inspec-
teur du gouvernement ach~te une bouteille de parfum sur laquelle, en
violation de la loi, le vendeur n’a pas appos6 de timbre d’accise; bien
qu’iI ait ainsi agi dans le but de faire commander le vendeur, la cour d6-
cide que cet inspecteur n’est pas un complice. Au Canada, la gendar-
merie royale a organis6 un vaste r6seau d’indicateurs ou d’agents
provocateurs et fait jouer h plusieurs de ses membres le r6le d’agents
secrets pour d6pister et poursuivre les trafiquants de narcotiques.
Presque tous les vendeurs sont appr~hend6s A la suite des rdv~la-
tions des indicateurs et les tribunaux sanctionnent les moyens em-
ploy~s car l’int6r~t public les exige et les justifie. Reportons-nous

47 (1930) 1 D.L.R. 511, 1 M.P.R. 89, 52 C.C.C. 380, 18 Can. Abr. 1304, C.A., N.-E.
48 (1924) 1 W.W.R. 651, 20 Alb. L.R. 156, 44 C.C.C. 329, C.A., Alb.
49 (No. 1)

(1945) 3 D.L.R. 553, [1945] O.R. 378, [1945] O.W.N. 383, 84 C.C.C.

126, C.A., Ont.

50 (1935) 2 D.L.R. 754, 8 M.P.R. 563, 63 C.C.C. 335, C.A., N.-B.
-1 (1919) 31 C.C.C. 1, 18 Can. Abr. 1306.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 10

aux causes de R. v. Brown 52 et de Beaver v. R. 53 ofi la cour d’appel
de la Colombie-Britannique et ]a Cour Supreme du Canada ont, sans
sourciller, bas6 leur arr6t de culpabilit6 sur les pi6ges tendus par
des policiers d6sign6s en agents provocateurs.

3

L’indicateur ou l’agent provocateur devient complice
de l’infraction:
Dans Brannan v. Peek, Lord Goddard affirmait avec force:
“On ne peut trop y insister. A moins qu’une loi du parlement n’autorise une
telle conduite… il est tout A fait irr6gulier (“wrong”) d’envoyer un officier
de police ou toute autre personne commettre une infraction sous prdtexte de
ddvoiler ainsi le d~lit commis par l’accus6. J’esp~re que le jour est encore
6loign6 oi la pratique courante consistera A donner instructions A des agents
de la paix de commettre une infraction dans le but d’obtenir la preuve de ]a
culpabilit6 d’un individu. Si ces officiers de police commettent des infractions,
ils devraient 6tre dclards coupables et punis puisque les instructions de leurs
sup6rieurs ne peuvent leur fournir aucun moyen de ddfense”.r 3a
Par contre, dans R. v. Berdino, ]a cour d’appel de la Colombie-

Britannique s’exprime ainsi:

“Prdtendre que des agents sp~ciaux n’ont pas W employ6s de tout temps
depuis la formation du droit, c’est certes 6tonner ceux qui connaissent l’his-
toire de la jurisprudence p6nale. Le contraire est notoirement vrai. Quand
certaines categories d’infractions sont commises, on ne pourrait faire respec-
ter la loi, qui deviendrait lettre morte et malheureusement un sujet de
derision, si on n’employait pas des moyens sp6ciaux pour obtenir la con-
damnation des coupables. Sans tenter d’dnumfrer des diff~rentes classes
d’infractions et de crimes oi il est n~cessaire de recourir h ces moyens, on
peut – A titre d’exemple – mentionner les crimes contre la sfret6 de l’Etat,
le trafic des stup~fiants, ]a vente ill6gale de boissons alcooliques, la fraude
en mati~re de prix de passage, les vols commis aux postes et les crimes
sexuels contre des enfants et d’autres personnes. On n’a qu’A cueillir au
hasard un volume des rapports judiciaires en droit penal tant du Canada que
de l’Angleterre pour retrouver des exemples de ces traquenards qui tout
naturellement ont suffi A faire condamner les accuss.
II est difficile d’6tre en pr6sence d’opinions en apparence si
contradictoires! Si l’opinion de lord Goddard exprime une v6rit6 A
1’effet qu’il n’est pas permis de commettre une infraction sous le
pr~texte qu’on va ainsi r6v~ler et prouver ]a perp6tration d’un d61it
par une autre personne, cette assertion a le d~faut de ne pas distin-
guer entre l’acte pos6 par ]’indicateur ou l’agent provocateur et ]a
perp6tration de l’infraction. “Si ces officiers de police commettent
une infraction”, dit le distingu6 juge; or, justement, il y a lieu A se
demander si l’indicateur ou l’agent provocateur qui agit d’une fa~on

53 b

52 (1953) 17 C.R. 257, C.A., CB.
53 [1957] S.C.R. 531, 26 C.R. 193, 118 C.C.C. 129.
5a (1947) 2 all E.R. 572 i 573-4. Traduction par l’auteur.
.3b (1924) 3 W.W.R. 198 A 201. Traduction par l’auteur.

No. 1 INDICATEUR, AGENT PROVOCATEUR, COMPLICE

53

sauf erreur –

convenable (“properly”) commet une infraction. A-t-il la mens rea,
agit-il en vertu d’une autorisation 16gitime, dans l’int6rft public
ou par n6cessitV? Nul ne peut nier que l’absence de mens rea lors
d’une infraction qui l’exige, que l’autorisation accord~e par l’autorit
l6gitime et sans fraude des droits de qui que ce soit, ou que l’int6r~t
public ou ]a n~cessit6 ne soient une d6fense concluante. Vouloir appli-
quer trop strictement la lettre de la loi – et non son esprit –
serait g6-
ner si consid~rablement le travail des policiers que par voie de cons6-
quence directe la protection de la soci6t6 ou de l’Etat en souffrirait.
Nous avons d6jA vu qu’aucun tribunal ne s’aviserait de poursuivre le
policier qui en donnant la chasse A un malfaiteur ferait une vitesse
ill~gale. Et pourtant –
nous ne trouvons aucun juge-
ment A ce sujet dans notre jurisprudence p~nale. Faut-il en conclure
que ]a n~cessit6 dans ce cas est trop palpable pour qu’on songe A
poursuivre celui qui a rempli son devoir envers ]a communautV?
Mais nos voisins du Sud ont eux reconnu sp~cifiquement l’immu-
nit6 de ce policier dans Libly V. West Virginia.54 Quoiqu’il s’agisse
d’une action civile en dommages-int6r~ts, la Cour Supreme du Canada
n’a-t-elle pas reconnu implicitement le m~me principe dans Priestman
V. Colangelo and Smythson? 55 On connait les faits de cette affaire.
Des officiers de police, sans uniforme, poursuivent un nomm6 Smyth-
son, conducteur d’une automobile vol6e. Apr6s plusieurs tentatives
infructueuse pour arr~ter Smythson, le policier Priestman tire un
coup de revolver sur le pneu arri~re de la voiture. Mais la balle
frappe le chassis arri~re, ricoche et atteint au cou le chauffeur.
Celui-ci perd la maitrise de la voiture qui monte sur le trottoir et
heurte mortellement deux jeunes filles. Infirmant la d~cision du
tribunal de premiere instance, la cour d’appel d’Ontario 56 d~cide que
le policier Priestman a fait preuve de n6gligence et le condamne en
dommages-int~r~ts.

Bien que Priestman efit le droit d’op6rer l’arrestation sans mandat du
‘article 25 (4) du code criminel justifiat
chauffeur Smythson et bien que
l’usage par un agent de la paix de la force n~cessaire pour emp6cher sa fuite,
on doit aussi consid6rer si Priestman a, dans l’usage de son droit de recourir
A ]a force, fait preuve de n6gligence non seulement en regard de la fuite du
conducteur de I’auto voI6 mais aussi en regard des personnes innocentes qui
se trouvaient dans le voisinage. En homme raisonnable, Priestman a mani-
festement dfi prdvoir que des personnes dans le voisinage seraient bless6es
s’il atteignait d’une balle le pneu de ]a voiture et qu’ainsi le chauffeur per-
drait ]a maltrise du volant…
RMutant cette d6cision, ]a Cour Supreme affirme:

54 (1928) 29 F. (2e) 61.
55 [1959] S.C.R. 615, 19 D.L.R. (2e) 1, 30 C.R. 209, 124 C.C.C. 1.
U, [1958] O.R. 7, 119 C.C.C. 241, C.A., Ont.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 10

La preuve ne rdv~le aucune cause d’action contre Priestman. La cause imm6-
diate des blessures fatales subies par les ‘victimes est ]a conduite n6gligente
et criminelle de Smythson qui avait vol4 la voiture automobile et tentait
d’6viter d’6tre arrt par les policiers. En tentant d’op~rer l’arrestation de
Smythson, l’officier de police Priestman exerqait les pouvoirs qui lui confhre
le code criminel… L’ex~cution du devoir impos6 aux agents do la paix
d’arr~ter ceux qui ont commis des actes criminels et qui fuient pour ne pas
@tre arrgtds peut quelquefois et par n6cessit6 comporter un risque pour les
autres membrs de la communaut.’ h’tel risque, si le policier n’a pas fait
preuve d’un exercice n~gligent ou d6raisonnable de son devoir, est impos6
par le statut et si un dommage en r~sulte c’est damnicn sine injuria.
Toutefois, admettre sans restriction, comme semble le faire ]a
cour d’appel dans R. V. Berdino5 a, tous les genres de traquenards,
toutes les sollicitations et toutes les ..pressions, “n’est-ce pas favo-
riser la.propagation artificielle des crimes et des infractions, politi-
que qu’aucun 6tat d6mocratique ne peut adopter sans danger”! ”
Force nous est donc de rechercher quand l’indicateur ou
‘agent
provocateur a agi d’une fagon convenable (“properly”) et quand il
a mal agi -(“improperly”). De cette distinction depend si on doit
ou non le consid6rer comme complice.

Avant d’6tudier les circonstances qui, dans notre droit, rendent
I’indicateur ou I’agent provocateur complice des parties A l’infraction
ou A ]a conspiration, notons ]a doctrine particulire 6laborde par les tri-
bunaux am6ricains. On peut y d6celer deux cas distincts: celui oa il
s’agit d’une infraction de stricte responsabilit6 et celui oil rinfrac-
tion exige la wzens rea de l’auteur. Dans le premier cas, s’il s’agit
d’une infraction de stricte responsabilit6 en regard d’une certaine
cat~gorie de personnes et que les policiers ou fonctionnaires charges
de l’exdcution de la loi emploient comme agent provocateur une per-
sonne qui, bien que n’en ayant pas du tout l’apparence, appartient
en fait A cette cat6gorie, les triburiux estiment que racte pos6 par
l’accus6 n’est pas volontaire puisqu’il provient de I’incitation ill~gale
et qu’en consequence il ne peut 6tre d~clar coupable. Par contre cette
defense de pi~ge illicite n’est pas ouverte aux officiers des douanes ou
d’accise qu’on aurait tent6 par l’applt d’un pot-de-vin. Le deuxime
cas oii cette d6fense peut 6tre soulev6e existe lorsque les fonction-
naires charg6s de l’application de la 1oi ont eux-m~mes congu le projet
illdgal, l’ont insinu6 dans resprit d’une personne jusque 1 innocente
et ont induit cette personne A perp6trer cette infraction dans
‘uni-
que but de la faire condamner. Cette dfense n’est cependant pas
recevable s’il s’agit d’artifices ou de ruses employ~s pour d~couvrir

56a Supra, note 38.
5- Woo Wai v. U.S.,

l’auteur.

(1917) 137 C.C.A. 603, 223 Fed. 412. Traduction par

No. I INDICATEUR, AGENT PROVOCATEUR, COMPLICE

55

et faire punir un dlinquant potentiel qui n’attend que l’occasion
propice pour commettre l’infraction.

Quelques jugements nous ferons mieux comprendre la port6e de

cette doctrine :

United States v. Healy :5
11 est permis de se servir d’indicateurs ou d’agents provocateurs pour prendre
au pi~ge les criminels ou pour offrir une occasion propice ?L ceux qui ont
l’intention ou d~sirent commettre une infraction. Mais on ne peut s’en servir
pour crier des criminels ou pour induire des citoyens respectueux des lois
A commettre une infraction A laquelle ils ne pensaient m~me pas. Lorsqu’un
statut cr~e une infraction sans 6gard h Pintention ou A la connaissance de
l’auteur, le d6lit existe d&s que l’auteur a volontairement pos6 son acte. Mais
s’il a pose son acte A la suite des sollicitations de celui qui, dans les cir-
canstances, devient l’instrument du gouvernement, son ignorance d’un fait
dfmontre que son acte est involontaire et emp6che le gouvernement d’obtenir
sa condamnation. Dans ]a pr~sente cause, les fonctionnaires charg6s de
‘ap-
plication de la loi se servent d’un Indien, qui n’a pas du tout l’apparence d’6tre
de cette race, aux fins d’induire l’accus6 en erreur et de lui faire vendre des
boissons alcooliques. Il s’ensuit que l’accus6 ne peut 6tre dfclar6 coupable
puisqu’il a R6 victime d’un pi~ge ill~gal.
Sorrells v. United States:59
Lorsque l’interpr6tation litt6rale d’un statut p6nal produit un effet con-
traire h son but manifeste et contredit l’6conomie de ses dispositions au point
de crier une injustice flagrante, on doit –
adopter
une autre interpretation. Le seul fait de vendre des boissons alcooliques aux
fins de consommation constitue en g~n~ral une infraction au “National
Prohibition Act”. Mais si la vente a lieu sur l’incitation de l’officier charg6
de veiller A l’excution de Ia loi et si cet officier a agi dans le seul but de faire
tomber dans le pi6ge une personne innocente afin de l’arrfter et de la faire
condamner, nous devons conclure que le statut ne s’applique pas A un tel cas.
Woo Wai V. United States :59a
Lorsque des fonctionnaires gouvernementaux incitent les d6fendeurs b com-
mettre un acte criminel auquel ceux-ci n’avaient m~me pas song6, si le but
poursuivi par ces fonctionnaires n’est pas de les faire punir mais de placer
Pun d’entre eux dans une position telle qu’il soit oblig6 de d6voiler des faits
qu’il a appris sans aucun acte illegal de sa part, il est contre l’int6rat public
de condamner ces inculp~s.
Dans cette affaire, des fonctionnaires de l’immigration croient que Woo Wai,
un marchand, qui pendant plusieurs annues a demeur6 h San Francisco,
poss~de des renseignements au sujet de certaines immigrations ill6gales. Aux
fins d’avoir prise sur lui et de l’obliger A dire ce qu’il sait, ils imaginent de
lui faire commettre une infraction contre les lois de l’immigration et de le
faire condamner aux seules fins de faire pression sur lui pour obtenir des
r6v6lations. Apr~s des sollicitations r~p~t~es par les fonctionnaires qui lui
promettent de fermer les yeux, Woo Wai commet l’infraction. La cour dcide
que l’accus6 avait droit A la dfense de pi~ge illgal.

si ]a chose est possible –

5- (1913) 202 Fed. 349.
.-9 (1932) 287 U.S. 435, 53 Sr.C. 210.
:,!I Supra, note 57.

McGILL LAW JOURNAL

(Vol. 10

Commoniwealth V. Kutler:
L’accus6 est d~clard coupable d’avoir agi comme “bookmaker” et comme to-
nancier de maison de jeu. II soul~ve en appel ]a defense basse sur le pibge
tendu par des officiers de police. Son pourvoi est rejet6. On peut employer
des ruses et des artifices pour apprehender ceux qui sont engages dans la
perpetration d’infractions. I1 n’en est ‘Pas de meme cependant si les officiers
de police ont congu seuls le plan criminel qu’ils oant implant6 dans l’esprit
d’une personne innocente qui n’avait aucume disposition ou vellWit h le
perp~trer.
Scriber v. United States :”1
Tn officier de douanes, poursuivi pour avoi accept6 un pot-de-vin afin de
permettre l’importation ill~gale de “whisky”, ne peut soulever la defense
de pi~ge qu’on lui a tendu.
U.S. ex rel. Hassel V. Mathues :62
Deux fr~res dirigent une brasserie. Aux fins de surveillance, les autorit6s
y d~pfchent deux agents charg6s de faire respecter la loi sur la prohibition.
Un des fr~res, A, offre un pot-de-vin aux deux officiers qui font semblant
d’acquiescer h ]a proposition mais exigent la pr6sence de l’autre fr~re, B.
En presence de celui-ci, A remet le pot-de-vin. B est accus6 d’avoir parti-
cip6 4 l’infraction. I1 n’y a pas de preuve qu’il se soit entendu avec son
fr~re mais il a W victime d’un pi~ge illegal.
U.S. V. Washington :63
Le fait que des agents de police ont incit6 la vente ill6gale de boissons al-
cooliques ne permet pas la defense de pi~ge ill~gal. Seule une vente faite
en faisant appel h la sympathie, h ]a pitig ou i l’amiti6 peut permettre do
soutenir une telle d&fense.
Cette doctrine du pi~ge ill6gal reconnue par les tribunaux am6ri-
cains humanise la loi et emp~che, comme on le dit dans Woo Wai,,:Ia “]a
propagation artificielle des crimes et des infractions, politique qu’au-
cun 6tat d~mocratique ne saurait adopter sans danger.” Elle n’est
malheureusement pas encore admise dans le Commonwealth britan-
nique. Si une personne commet une infraction, m~me si des officiers
de police ou des fonctionnaires gouvernementaux Pont harcel6e et
l’ont sollicit~e pour Iy induire, elle demeure coupable et ne peut sou-
lever la d6fense du pi6ge ill]gal. S’agit-il d’une infraction de stricte
responsabilit6, le traquenard si repr6hensible soit-il ne peut ftre pris
en consid6ration qu’en regard de ]a sentence. C’est ce qu’a d6cid6
d’une fagon definitive Browning v. J.W.H. Watson (Rochester) Ltd.4
Enfin, nous savons que ]a provenance ill6gale ou irr~gulire de ]a
preuve n’emp~che pas sa production si elle est pertinente au litige.

60 (1953) 173 Pa. Super. 153, 96 Atl. (2e) 160.
61 (1925) 4 F. (2e) 97.
62 (1927) 22 Fed. (2e) 979.
63 (1927) 21 F. (2e) 160.
63a Supra, note 57. Traduction par l’auteur.
G4 (1953) 1 W.L.R. 1172, (1953) 2 All E.R. 775.

No. 1 INDICATEUR, AGENT PROVOCATEUR, COMPLICE

57

Une longue jurisprudence l’affirme et, pour s’en convaincre, il suffit
de noter les causes de Paris V. R.,;- R. v. Perryr’ R. v. Kostachuk,67
R. V. Lee Hai et al,0 5 Kuruma v. R. 69 R. v. Kurash.70 Sauf la d6fense
tr~s limit~e de contrainte telle qu’6nonc6e au code criminel,71 il im-
porte peut que
‘accus6 ait commis l’infraction A ]a suite de solli-
citations, de pressions ou de promesses. Pour dcider de sa culpa-
bilit6, la cour doit consid6rer l’act epos6 et, dans le cas oii la mens rea
est requise, si l’accus6 a agi avec une intention ou une negligence
coupable. Mais si la loi canadienne ou anglaise ne permet pas d’inno-
center un accus6 parce qu’il a 6t6 victime des moyens injustes em-
ploy~s par l’agent provocateur, les tribunaux canadiens et anglais
admettent que ‘agent provocateur ou l’indicateur ne peut agir d’une
fagon inconvenante. Mais comme nous le verrons dans un instant,
seule l’opinion de Lord Goddard dans Brannan v. Peek 7a nous indique
que cet agent provocateur ou indicateur peut 6tre accus6 et d6clar6
coupable. La cause am6ricaine de Reigan V. People,7 2 par contre, nous
illustre le cas oit des fonctionnaires gouvernementaux ont W d6-
clar6s coupables d’avoir conspir6 pour faire commettre une infrac-
tion:

Des gardes-chasse dclarent A deux jeunes adolescents qu’ils d6sirent acheter
des peaux de castor et induisent ces jeunes gens A faire la trappe ill6gale de
ces animaux. Les gardes-chasse sont dclards coupables d’avoir complot6
pour faire la trappe ill6gale des castors puisqu’ils ont induit des personnes
a perp~trer cette infraction h laquelle elles n’auraient mme pas pens6 sans
ces sollicitations.
Nous avons d6jA vu que l’indicateur et l’agent provocateur qui, de
bonne foi, agissent dans le but de d~couvrir et de faire punir les
criminels et les contrevenants ne sont pas –
des
complices. Mais pour qu’il y ait immunit6, il faut de plus qu’ils agis-
sent d’une fagon “convenable” (“properly”). Qu’entend-on par cette
expression? C’est ce que nous allons tenter d’expliquer.

r6gle g6n6rale –

L’indicateur, pour donner le change A ses pseudo-complices et
pour mener A bien la tfche qu’iI s’est propos~e, peut poser des actes
apparemment repr6hensibles puisqu’ils sont n~cessaires. Mais, sous

65 (1957) 26 C.R. 138, 118 C.C.C. 405, C.A., Qu6.
60 (1929) 52 C.C.C. 166 (juge de cour de comt6, I.P.E.).
67 (1930) 2 W.W.R. 464, 24 Sask. L.R. 485, 54 C.C.C. 189, C.A., Sask.
0s (1935) 2 W.W.R. 177, 43 Man. R. 134, (1935) 3 D.L.R. 448, 64 C.C.C. 49,

C.A., Man.

69 (1935) A.C. 197, 2 W.L.R. 223, 119 J.P. 157.
70 (1915) 2 K.B. 749, 84 L.J.K.B. 149, 113 L.T. 431, 11 Cr. App. R. 166,

(C.C.A., Ang.).

71 article 17, code criminel.
Tia Supra, note 23.
72 (1949) 120 Colo. 472, 210 P. (2e) 991.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 10

pr~texte de faire condamner les vWritables d6linquants, il ne peut
s’offrir comme volontaire pour ex6cuter seul l’infraction. Aux Etats-
Unis, cette doctrine ne fait plus de doute. Citons A ce propos les causes
de Shouquette v. State,7″ Stanley V. State,74 De Mayo v. State.7
5 En
est-il de mme au Canada, en Angleterre et, d’une manire g6n6rale,
dans les pays du Commonwealth britannique? Admettons imm6dia-
tement qu’il n’y a, A notre connaissance, aucune d~cision formelle
sur ce point. Si les auteurs et certains jugements 6noncent que l’in-
dicateur doit agir d’une “fagon convenable”, ils n’indiquent pas en
quoi cette conduite peut devenir inconvenante et rendre l’indicateur
complice de l’infraction. D’ailleurs, il ne semble pas qu’il y ait eu de
poursuite p6nale contre un indicateur policier. Ne serait-ce pas
violer le sens de ]a justice 6l6mentaire que de laisser impuni l’officier
de police qui, devant l’ind6cision ou ]a crainte de ses compagnons,
deviendrait volontaire pour commettre
le crime qu’il ex~cuterait
seul? A plus forte faison, ne pourrait-on pas alors r~p~ter avec le
tribunal am6ricain dans Woo Wai 75a que c’est l& favoriser ]a propa-
gation artificielle des crimes?

Les cas les plus frequents de conduite inconvenante et injuste
se rencontrent dans les agissements de l’agent provocateur. Pour
jouir de l’immunit6, l’agent provocateur doit, lui aussi, agir de
bonne foi dans l’intention de d~couvrir les vritables d6linquants et,
en outre, ne doit pas 6tre la causa causans mais devenir seulement
l’occasion propice qui permet au contrevenant en puissance de perp6-
trer l’infraction. Un grand nombre de citoyens laiss6s A eux-m~mes
n’auront jamais l’intention d’enfreindre les lois. Mais une sollicitation
pressante et continue, jointe h l’appit du gain ou de r6compenses, peut
vaincre leur r6sistance. Si ces citoyens commettent alors- une infrac-
tion, contrairement A ce qu’on d6cide aux Etats-Unis, ils sont coupa-
bles et doivent 6tre condamn6s; l’article 21 de notre code criminel ne
permet pas d’autre solution. Qu’arrive-t-il alors de l’agent provo-
cateur, espion de police ou agent de la paix? Je suis convaincu que
celui-ci est alors devenu partie A l’infraction puisqu’il l’a conseill~e
et a agi d’une fagon injuste. C’est ici que l’affirmation de Lord Goddard
dans Brannan V. Peek 7 prend toute sa force: “si ces officiers de
police commettent des infractions, ils devraient 8tre d6clar6s cou-
pables et punis puisque les instructions ill6gales de leurs sup6rieurs
ne peuvent leur offrir aucun moyen de d6fense.” II y a quelque temps,

73 (1923) 25 Okla. Cr. App. 169 et 219.
74 (1923) 25 Okla. Cr. App. 195 et 219.
75 (1929) 32 Fed. (2e) 472.
75a Supra, note 57.
76 Supra, note 23. Traduction de

‘auteur.

No. 1 INDICATEUR, AGENT PROVOCATEUR, COMPLICE

59

un tout jeune homme admettait, devant moi, sa culpabilit6 A ‘accusa-
tion d’avoir mis en circulation un faux billet de banque. Lors des
repr6sentations quant A la sentence, le procureur du d6partement
affirma qu’il y avait dans l’automobile, oii l’accus6 avait pris place,
dix-neuf autres faux billets. C’est alors que j’appris que, pendant un
mois, des agents de police ou des espions de police, ayant en leur
possession les faux billets, avaient harcel6 ce gargon pour qu’il les
mette en circulation, lui promettant une recompense de trois dollars
pour chaque billet de dix dollars … L’adolescent fut sentenc6 mais je
ne pus m’emp~cher d’ajouter que les agents provocateurs 6taient les
plus responsables. Exemple manifeste “de propagation artificielle
des crimes”, l’acte de ces policiers ou de ces espions –
la poursuite
s’est prudemment tue quant A l’identit6 de ces personnes –
est r6vol-
tant. Si on avait le malheur d’6tendre ce syst&me, nous n’aurions
plus rien h envier aux r6gimes ex6cr~s situ6s derriere le rideau de
fer. Notre jurisprudence –
ne cite
que l’affaire de Brannan v. Peek. Esp6rons que c’est parce que nos
policiers ont toujours eu le sens de la justice et qu’ils n’ont pas voulu
transformer des honn~tes gens en criminels. L’exemple que je viens
de citer doit 6tre unique. En accord avec les principes de la justice et
de l’6quit6, les tribunaux doivent s6vir contre les agents de la paix qui
verraient A pervertir ceux qui, jusque IA, respectaient la loi. Quand
le citoyen cde A la tentation ou A l’incitation et commet rinfraction,
il est coupable du d6lit qu’il a commis. Ceux qui ont vaincu sa r6sis-
tance, qui Font sollicit6 d’une fagon pressante et continue, qui, pour
faire la preuve du d~lit, Font provoqu6 et qui ont transform. un hon-
nate citoyen en d~linquant sont eux-m~mes parties A l’infraction et
devraient subir les m~mes sanctions.

tant anglaise que canadienne –