Article Volume 40:2

Inexistence, nullité et annulabilité du contrat : essai de synthèse

Table of Contents

1995]

S. GAUDET – NULLITP

Inexistence, nullit et annulabilitW du contrat:

essai de synthe’se

Serge Gaudef

La sanction normale de l’invalidit du contrat
est son inefficacitd. Toutefois, il y a plusieurs sortes
d’inefficacit6 (inexistence, nullitg annulabilite) qui
ont chacune un domaine et un rdgime juridique pro-
pre. H1 est done important de determiner, d’une part,
les types d’inefficacit6 qui sanctionnent l’invalidit6 du
contrat et, d’autre part, leur domaine d’application
respectif. C’est le but que s’est fix6 l’auteur.

Dans la premiere partie de ce texte, l’auteur fait
un examen ddtaill6 de l’6volution historique de la
thorie des nullit~s. Cette analyse fait ressortir les
deux conceptions fondamentales qui ont tour A tour
fond6
Ia thorie des nullitds : l’tat de l’acte
(inexistence c. vexistence>>) et l’idde de sanction
(inefficacitg de protection c. inefficacitd de direction).
L’auteur dtmontre que tant la thorie classique des
nullitds, essentiellement fondde sur l’dtat de l’acte,
que la thdorie contemporaine, plut6t axde sur l’idde de
sanction, comportent des difficultds que l’on ne peut
n6gliger.

L’auteur propose done, en seconde partie, une
nouvelle grille d’analyse qui combine l’tat de l’acte
et l’id~e de sanction et qui tient compte des apparen-
ces. I1 en arrive ainsi a distinguer quatre types
d’inefficacitds regroupds en deux paires : les ineffi-
cacitms radicales (inexistence mat.

The usual sanction for the invalidity of a con-
tract is its ineffectiveness. There are, however, various
sorts of ineffectiveness (non-existence, nullity, annu-
lability), each with its own legal domain and regime.
It is important, therefore, to determine which forms of
ineffectiveness apply to a given situation of invalidity
as well as their respective domains of application.
This is the main objective of this article.

the (juridical) act

The author begins by examining the historical
evolution of the doctrine of nullities. Two fundamen-
tal concepts emerge from this discussion, each provid-
ing alternate bases for the doctrine of nullities: the
status of
(non-existence v.
existence>>) and the notion of nullity as a <
(ineffectiveness of protection v. ineffectiveness of di-
rection). The author demonstrates
the difficulties
evoked by both the classical doctrine of nullities, es-
sentially based on the status of the juridical act, and
the more contemporary doctrine which is centered
around the notion of nullity as a <.

The author then suggests a new analytical
framework which combines both the state of the ju-
ridical act and the notion of nullity as a <>
while taking into account the act’s apparent validity or
invalidity. He is thus able to distinguish four forms of
ineffectiveness, grouped into two pairs: radical inef-
fectiveness (material non-existence, juridical non-
existence) and in pendenti ineffectiveness (absolute
annulability, relative annulability).

Finally, the author applies the proposed frame-
work to each of the conditions governing the validity
of a contract. This enables him to elaborate on certain
accepted concepts, notably that of the sanction of
<>’. Pour 8tre
pleinement reconnu par le droit, cet accord de volont6 doit en outre respecter
certaines conditions pos6es par la loi. Le contrat qui satisfait A l’int~gralit6 des
conditions que la loi pr6voit A son sujet est valide ; dans le cas contraire, il est
invalide. Quelle est la sanction de cette invalidit6 ?

La sanction qui surgit imm~diatement A l’esprit du juriste est l’inefficacit6
radicale. Le contrat, entit6 juridique et abstraite, ne produit des effets que par la
volont6 de la loi. Si celle-ci n’est pas respectde, elle refusera toute efficacit6 h
l’acte qui sera ainsi parfaitement st6rile. Une telle inefficacit6 sera ab initio et
ipso jure, la loi s’opposant dos le d6part h ce que l’acte produise quelqu’effet
que ce soit. Toute personne y ayant intr&& pourra donc faire constater cette in-
efficacit6 radicale par le tribunal, et celle-ci ne pourra 8tre couverte, que ce soit
par la confirmation ou la prescription. L’inefficacit6 radicale peut se traduire
soit par l’inexistence (l’acte ne s’est jamais form6), soit par la nullitg du contrat
(l’acte s’est form6 mais il est inefficace ab initio).

Mais, A la r6flexion, on peut concevoir un autre type d’inefficacit6 dont les
effets sont plus att6nu6s : plutOt que d’an6antir ab initio le contrat invalide, la
loi peut le laisser subsister tout en conf~rant A certaines personnes, dont le cer-
cle sera plus ou moins 6tendu, la facultg de provoquer son angantissement.
Dans ce cas, la loi n’empeche pas le contrat de produire des effets juridiques,
mais, en raison de cette possibilit6 d’an6antissement, ceux-ci sont pr9caires.
C’est la prrcarit6 de l’acte, plutrt que sa totale inefficacit6, qui constitue alors
la sanction de son invalidit6. L’acte existe mais il n’est ni valide, ni nul ab
initio ; il est plut6t annulable.

Dans quels cas l’invalidit6 de l’acte doit-elle 6tre sanctionn6e par son in-
existence, sa nullit6 ou son annulabilit6 ? Cette question, fondamentale dans le
cadre de la th6orie des nullitrs, est le sujet du present article2.

‘Art. 1378 C.c.Q.
2 C’est le domaine respectif de l’inexistence, de la nullit6 et de l’annulabilit6 dans le cadre de la
thdorie des nullits qui est notre sujet. Nous n’6tudierons donc pas la question pralable des
conditions de validitd du contrat, posant l’hypoth~se de l’invalidit6 du contrat. Rappelons qu’il
peut y avoir, dans un contexte contractuel, violation de certaines normes 16gislatives et r6glemen-
taires sans qu’il y ait n6cessairement invaliditd du contrat. Ces > sont alors sanction-
ndes autrement que par l’inefficacit6 de l’acte : recours en dommages, amendes, rdvocations de
pernis, etc. (voir Laverdure c. Entreprises N. Dubois Ltde, [1977] C.S. 1004, conf. par (14 d6-
cembre 1981), Montr6al 500-09-001468-776 (C.A.) ; Girard c. Vronneau, [1980] C.A. 534,

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S. GAUDET – NULLITt

La tAche se r6v~le 6tonnamment complexe. La th~orie des nullit~s est dou-
blement obscurcie par une 6volution historique tortueuse et un vocabulaire qui
ne s’est jamais fix6. Ainsi l’Ancien droit connait deux formes diff~rentes
d’annulabilit6 : les nullit6s respectives>> et les >, les pre-
mieres s’opposant aux > et les secondes aux . La doctrine du XIX si~cle distingue plut6t les actes >
des actes >, ces demiers 6tant par ailleurs qualifi6s de > ou
d’ annulables>> selon les auteurs. Enfin, les > du droit contemporain,
tant absolues que relatives, ne sont en fait que des annulabilit6s! Pareille con-
fusion conceptuelle et terminologique a pu faire dire L Planiol que la th6orie
des nullit~s est l’une des >3. Cette observation est
toujours d’actualit6, m~me si la th~orie modeme des nullitds, dont la sanction
de principe est 1’annulabilit6, a d6sormais remplac6 la th6orie classique qui
privil6giait plut6t l’inexistence et la nullit6.

Paradoxalement, c’est 1’6tude de cette 6volution historique complexe qui
nous foumit les 16ments d’une synth~se relative au domaine 16gitime de
l’inexistence, de la nullit6 et de l’annulabilit6. En effet, elle nous apprend que
deux conceptions distinctes de l’inefficacit6 sont envisageables : l’une est fon-
dde sur l’tat de l’acte, l’autre sur l’ide de sanction. Or, comme nous le ver-
rons, il ne semble pas possible d’ difier une th6orie des nullit6s qui soit A la fois
satisfaisante et complete, sans tenir compte de ces deux 616ments. Des efforts
en ce sens ont d6jA 6t6 accomplis4, mais d’une part, ils n’ont eu que tr~s peu
d’6chos en droit frangais et qu6b6cois, et, d’autre part, certains aspects m6ritent
une 6tude encore plus approfondie.

Apr~s un examen d6taill6 de l’6volution de la th6orie des nullitds (1′ partie)
qui nous servira A en d6gager les 616ments fondamentaux, nous proposerons
une synth~se quant au domaine l6gitime de l’inexistence, de la nullit6 et de
l’annulabilit
(2 partie), synth~se que nous appliquerons ensuite aux diverses
conditions de validit6 du contrat (3′ partie).

comment6 par T. Rousseau-Houle, Contrats sp6ciaux>> (1981) 41 R. du B. 134 ; Service
d’optique scientifique de Quebec Ltde c. Pomerleau, [1983] C.S. 734 ; Elge Financialease Inc. c.
March Montcalm enr., [1993] RJ.Q. 1233 (C.Q.)). Cette question a fait 1’objet d’une 6tude ap-
profondie du professeur P.-G. Jobin, <].

3M. Planiol, Traitj flimentaire de droit civil, t. 1, 11* d., Paris, Librairie g~nrale de droit et de

jurisprudence, 1928 au nd 328.

‘Voir par ex.

‘excellent ouvrage de D. Guggenheim, L’invaliditj de l’acte juridique en droit

suisse et compare, Paris, Librairie g6nrale de droit et de jurisprudence, 1970.

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MCGiLL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

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I. L’6volution historique de la thorie des nullites

A. Droit romain5

Le formalisme du droit romain engendre une conception radicale de
l’inefficacit6 (I.A.1). Cependant, certains 616ments du droit romain 6voquent
assez clairement l’id e d’une inefficacit6 att6nu6e (IA.2). L’opposition entre la
< ne sera toutefois nettement 6tablie que par les ro-
manistes (IA.3).

1.

Invalidit6 et formalisme

I semble raisonnable de supposer que l’ancien droit romain6 n’avait qu’une
conception tr~s simple de l’inefficacit6 et que celle-ci 6tait tr~s radicale : elle
op6rait de plein droit7, pouvait 8tre invoque par toute personne y ayant int6ret
et ne pouvait se couvrir par le passage du temps8. La plupart des diverses ex-
pressions utilis6es par les jurisconsultes pour exprimer l’inefficacit6 de l’acte
invalide confirment ce caract~re radical9.

5 Voir g6nralement E. Cuq, Manuel des institutions juridiques des romains, 2″ 6d., Paris, Plon,

1928 ; G. Lepointe et R. Monier, Les obligations en droit romain et dans l’ancien droitfrangais,
Paris, Sirey, 1954 ; P. Ourliac et J. De Malafosse, Droit romain et ancien droit, t. 1, Paris, Presses
universitaires de France, 1957 ; A.E. Giffard, Droit romain et ancien droitfrangais, 3′ 6d. par R.
Villiers, Paris, Dalloz, 1970. Voir aussi les theses de R. Japiot, Des nullits en matire d’actesju-
ridiques: essai d’une thoorie nouvelle, Paris, Arthur Rousseau, 1909 aux pp. 50-81 et de G. Lut-
zesco, Essai sur les nullit~s des actes juridiques 6 caractire patrimonial, Paris, Sirey, 1938 aux
pp. 43-89.
6 Le droit romain s’6tend sur plus de treize sibcles. On distingue g6n~ralement trois p6riodes:
‘ancien droit (les six premiers si~cles) ; le droit classique (environ quatre sikcles et demi, de la fin
de la R~publique A la fin du rfgne de Diocltien) ; le droit du Bas-Empire (environ deux si~cles et
demi, de Constantin A la mort de Justinien) (Cuq, ibid. aux pp. 2-3).

7 Ainsi, le d6biteur ayant execut6 une prestation en vertu d’un acte nul pouvait g6n6alement
r6p6ter son paiement directement, c’est-A-dire sans avoir besoin de faire d6elarer ]a nullit6 de
‘acte (Lutzesco, supra note 5 aux pp. 77-80).
8 Ibid. aux pp. 73-80 ; Cuq, supra note 5 A lap. 125. Le caract~re irrdmdiable de l’inefficacit6
est exprimee par la r~gle de Paul: <>, Digeste, Corpus Juris Civilis au livre 50, titre 17, ad 29.

9 Voir la liste cite A la note 1 de 1’6tude de G. Renard, > (1903) 27 Nouvelle Rev. historique de dr. frangais 214, 327 h
la note 1 de la p. 215. On y retrouve notammnent : nullitatis, ut puta nullum, inane, inutile, vel
nullius roboris aut momenti existere, non valere, non tenere, aut male vel perperam et inefficaci-
terfactum, infirmum esse,firmitatem non habere.

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S. GAUDET – NULLITt

Cela n’est gure surprenant. Dans un syst~me juridique empreint de forma-
lisme, les conditions pos6es par la loi sont, au sens litt6ral de cette expression,
autant de conditions deformation : tout acte qui ne satisfait pas aux conditions
la vie juridique>>I’. Un droit formaliste rend donc
fix6es par la loi ne nait pas
difficile la reconnaissance de situations interm~diaires entre une pleine efficaci-
t6 juridique (lorsque toutes les formalit6s sont remplies) et une inefficacit6 to-
tale (lorsqu’elles ne le sont pas). La conception formaliste du contrat est essen-
tiellement binaire : l’acte est on il n’est pas.

En droit romain, on retrouve notamment cette conception en mati~re de
consentement. Les jurisconsultes romains distinguent selon que le consente-
ment existe ou non, sans attacher d’importance aux vices du consentement, ce
qui a pour effet d’6viter toute situation interm6diaire entre la pleine validit6 et
l’inefficacit6 radicale. Ainsi, s’il y a absence de consentement –
l’un des con-
tractants est inapte A consentir ; la volont6 a 6t6 exprim6e par plaisanterie ; il y a
erreur sur la nature du contrat, sur l’identit6 de l’objet ou sur la personne -,
>. Mais, A l’inverse,
les autres types d’erreurs (le dol, la crainte ou la 16sion) ne font qu’affaiblir la
valeur du consentement sans 1’empecher d’exister ; aussi le contrat est-il, en re-
gard du ius civile, pleinement valable’2.

Ainsi, le caractre formaliste du droit romain a tendance h imposer une in-
efficacit6 radicale, sans distinguer entre l’inexistence et la nullit6, comme sanc-
tion de principe des d6fauts de formation du contrat.

2.

Certaines institutions romaines 6voquent le concept
d’annulabilit6

Si l’inefficacit6 absolue et radicale est la sanction traditionnele et g6n6rali-
s6e de l’invalidit6 en droit romain, il n’en reste pas moins que certaines institu-
tions romaines 6voquent le concept d’annulabilit6.

“Renard, ibid. h la p. 216. L’objet impossible ou illcite, de mme que la cause illicite, entrai-
nent tous la m~me inefficacit6 radicale (Giffard, supra note 5 aux pp. 192-93 ; Cuq, supra note 5
aux pp. 389-90).

“Cuq, ibid. lap. 388.
‘Ibid. aux pp. 388-89, 581 ; Giffard, supra note 5 aux pp. 184-85. Uargumentation d’Ulpien,
qui estime que l’erreur sur la substance (les chandeliers en cuivre qu’on croit en or) devrait 8tre
sanctionnde par la nullit6, est significative L cet 6gard : selon lui, ce type d’erreur exclut le con-
sentement tout autant que l’erreur in negotio, in corpore ou in persona (Cuq, ibid. A la p. 389).
M~me chose en ce qui conceme la capacit: de deux choses l’une, ou bien la partie 6tait incapa-
ble de contracter, auquel cas le contrat est radicalement nul, ou bien elle 6tait capable, et alors le
contrat est inattaquable au regard du ius civile (Lepointe et Monier, supra note 5 aux pp. 332-35).

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MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

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Tout d’abord, le ius civile admet exceptionnellement que certains vices de
formation ne puissent 6tre invoqu6s que par certaines personnes et A l’intrieur
d’un d6lai dtermin6 a, ce qui cadre mal avec une inefficacit6 absolue et radi-
cale. A cet 6gard, il faut souligner la querela inofficiosi testamenti par laquelle
l’exh&r~d6 sans cause obtient d’abord la rescision du testament pour ensuite
8tre en mesure d’intenter la p6tition d’hdr6dit. Cette procedure en deux 6tapes
6voque tr~s clairement l’id6e d’annulabilit614.

Ensuite, et surtout, une forme d’inefficacit6 nuanc6e surgit des rapports qui
existent entre le ius civile et le droit pr6torien”5. A Rome, le Pr~teur est un ma-
gistrat charge, tout comme nos juges contemporains, de dire le droit. A ce titre
et comme ceux-ci, il est le < qu’il doit donc appliquer’ 6.
Toutefois, le Pr6teur, 6tant 61u, jouit de l’imperium, pouvoir qui lui permet, i
l’intdrieur de ses attributions, de prendre >7 . , son entree en fonction, le Pr~teur publie l’dit, par lequel il
6nonce les r~gles qu’il compte suivre en vertu de son pouvoir d’imperium.
L’usage s’6tant 6tabli de conserver les r~gles pr6toriennes les plus judicieuses,
celles-ci acqui~rent une certaine stabilit6. II se cr6e ainsi, parall6lement au ills
civile, un autre syst~me de droit qui a essentiellement pour but de combler les
lacunes de celui-ci’ 8.

Ce droit parall~le entretient des rapports assez paradoxaux avec le droit
<>. D’un c6t6, le Pr6teur ne peut modifier la loi, ni l’abroger ; de l’autre,
en vertu de son imperium, il peut, pour 6viter une injustice, en paralyser les ef-
fets’ 9. Le Pr6teur se servira de ce pouvoir pour sanctionner le dol, la violence et,
en certains cas, la l6sion’, lesquels, on ‘a vu, n’empechent pas l’acte juridique
d’etre pleinement efficace selon le ius civile. Ainsi, le Pr6teur institue l’exceptio

” Cuq mentionne

‘affranchissement fait en fraude des crdanciers ; une donation entre dpoux
subs&tuemment au s6natus-consulte de Caracalla ; l’inobservation de ]a loi Cicereia (Cuq, ibid.
aux pp. 125-26).

‘ Voir, pour les details, Lutzesco, supra note 5 aux pp. 69-73. Lutzesco est d’avis que c’est

surtout cette procedure qui est A ‘origine de ]a notion d’annulabilit6 (ibid. A lap. 81).

‘5 Le droit prdtorien ou >, dont la formation s’est surtout effectuee sous ]a R~pu-
blique, subsiste pendant toute ]a priode classique et ne disparait que progressivement au Bas-
Empire (Cuq, supra note 5 aux pp. 24-25).

61bid. aux pp. 19-20.
1
17 ibid.
” Ds 1’6poque de Cicdron, on consid~re qu’il y a un < aussi appel6 <>. Hadrien uniformisa et stabilisa le droit prtorien en fixant le texte de l’dit et en invitant
les Prdteurs A s’y conformer. C’est l’dit perpetuel (ibid. aux pp. 20-25).

‘9 Ibid. a lap. 24.

Ibid. aux pp. 581-89.

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S. GAUDET – NuLLT

doli et l’exceptio metus qui permettent respectivement de repousser l’action en
ex6cution du contrat dont la conclusion est entachde de fraude ou de violence.
Si le contrat a d6ji 06 ex6cut6, et puisque l’exception est alors inutile, le Pr6-
teur accorde plut6t la restitutio in integrum, r6tablissant ainsi le statu quo ante
entre les parties2’.

Ces deux voies de recours du droit pr~torien –

exceptio et restitutio –

viennent modifier la situation de l’acte juridique qui y est sujet. Celui-ci est va-
lide et pleinement efficace au regard du ius civile, mais le Pr6teur ayant le pou-
voir d’en paralyser les effets, il se retrouve dans une situation intenndiaire en-
tre la pleine efficacit6 et l’inefficacit6 radicale. En outre, l’exceptio et la restitu-
tio 6voquent assez clairement l’idle d’une annulabilit6 car, d’une part, elles
n’ont d’effet que si le Pr6teur l’ordonne22 et, d’autre part, seule la victime du
dol, de la violence ou de la 16sion peut en requ~rir l’application. Enfin, la resti-
tutio ne peut 6tre demand6e que pendant un certain d6lai?. Ces caract6ristiques
cadrent mal avec l’inexistence ou la nullit6, qui <> au jugement, peut
6tre invoqu~e par tout int6ress6 et ne peut se couvrir par le passage du temps.

Malgr6 la presence de ces 616ments dans leur droit, les jurisconsultes ro-
mains n’ont ni 6labor6 ni meme esquiss6 une <>24, proba-
blement parce qu’ils n’ont pas su clairement d6gager le concept d’annulabilit6.
Pourquoi ?

On a d6jh vu comment l’empreinte du formalisme, en forgant une concep-

tion binaire des 6tats possibles de 1’acte, ne peut gu~re donner prise
l’61aboration conceptuelle d’6tats interm6diaires entre la pleine efficacit6 et la

2 Ibid. ; Giffard, supra note 5 aux pp. 265-70 ; Lepointe et Monier, supra note 5 A lap. 334. Le
Pr6teur accorde aussi une action h la victime de dol ou de violence (actio metus et actio de dolo).
Par cette action, de nature p~nale, la victime cherche h obtenir la condanation 4 une amende de
l’auteur du dol ou de ]a violence. Cette action p~nale n’a toutefois aucun effet sur le contrat qui
demeure pleinement efficace. L’ordre d’apparition de ces divers recours est difficile A 6tablir. II
semble que l’exception soit apparue la premire, suivie de l’action et, enfin, de la restitutio in in-
tegrun (Lutzesco, supra note 5 aux pp. 63-69 ; Renard, supra note 9 A la note 2 de lap. 228).

” Cuq, ibid. aux pp. 582, 584, 834. Pour des d6tails quant aux conditions et effets de ces voies

de recours, on peut consulter Lutzesco, ibid. aux pp. 63-69.

Ainsi, le d~lai pour la restitutio in integrum ob dolem est d’une annie apris ]a d~couverte du

dol (Cuq, ibid. lap. 833).

Cuq remarque que, malgr6 le fait que certaines rfgles romaines supposaient clairement des
rdgimes diff~rents d’inefficacit6, (ibid. A lap. 125 ; Renard, supra note 9 A lap. 214).

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nulit6 la plus radicale . En outre, le cloisonnement entre le droit civil et le
droit pr6torien devait rendre cette 61aboration encore plus difficile 26. En effet,
l’acte annulable est un acte entach6 d’un vice de formation. Or l’acte dont les
effets sont paralys6s par la d&cision du Pr~teur n’est pas, h strictement parler,
entach6 d’un tel vice puisque toutes les conditions de formation du its civile
ont 6t6 respect~es. Cet acte n’est donc pas, ab initio, dans un 6tat
d’annulabilite 7.

Moins soumis que leurs pr6d6cesseurs au formalisme et h la distinction du
ius civile et du droit pr6torien, les romanistes du Moyen Age percevront plus
facilement
radi-
cale/annulabilit6>, contenue en germe dans le droit romain.

l’id~e d’annulabilit6, et donc l’opposition <> et d’<> pour expliquer les r~gles et institutions du
droit romain ci-dessus mentionn~ese. Ainsi, pour eux, l’exceptio et la restitutio
in integrum correspondent h une viritable annulation judiciaire3 . Certains,
dont Bartole, tirent la cons6quence logique de cette constatation : l’acte qui est
sujet h l’exceptio ou A la restitutio in integrum n’est ni nul, ni valable, mais oc-
cupe plut6t une position interm6diaire. I1 est annulable et se distingue donc
nettement de l’acte radicalement nu 3 .

2′ D’ailleurs, le droit barbare, lui aussi empreint de formalisme, loin de d6velopper les 6l6ments
romains qui 6voquent l’annulabilit6, a plut6t tendance A en effacer les traces. Renard indique que,
d’une part, <<1'acte autrefois susceptible de restitutio est d~sormais frapp6 de nullit6 ipsojure ; ]a nullit6 et ]a restitutio s'&tuivalent> (Renard, ibid. A lap. 216) et que, d’autre part, les termes qui
exprimaient A Rome l’originalit6 de l’inofficiosit6 testamentaire (querela et inofficiosm)
<> (ibid. A ]a p. 217). Cette tendance
simplificatrice se fait sentir jusqu’au X1 si~cle : le Brachylogus iuris civilis ne laisse > (ibid. a ]a p.
219).

26 De fagon significative, Ia disparition graduelle du dualisme < au
Bas-Empire entraine un certain regroupement des inefficacit6s en <>
et en > (Lutzesco, supra note 5 aux pp. 82-89).
27 Pour cette raison, comme le fait remarquer Renard, le contrat entach6 de dol ou de violence
n’est pas, en droit romain, < an sens modeme de cette expression (Renard, su-
pra note 9

la note 2 de lap. 228).

‘ Les d6veloppements de cette section sont inspirds de 1’6tude de Renard, ibid.
29Ibid. aux pp. 221-49.
>0Ibid. A lap. 228.
31 Ibid. ]a p. 229.

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S. GAUDET- NULLITt

La distinction ainsi pos6e n’est pas que th6orique ; elle a notanment un
impact au niveau de la proc6dure. It est inutile de faire annuler l’acte nul, aussi
tous peuvent 1’ignorer sans plus de formalit6s 32. Au contraire, si l’acte est annu-
lable, il faut proc6der
son annulation avant de pouvoir l’ignorer. Par exemple,
en cas de testament nul, l’h6ritier ab intestat peut proc6der directement par voie
de p6tition d’hd6rdit6, alors que si le testament n’est qu’annulable, on doit,
avant d’intenter la p6tition d’hr6dit6, en obtenir l’annulation (par la querela ou
autrement)33.

Ayant ainsi pos6 la distinction de l’inefficacit6 radicale et de l’annulabilit6,
la fonder rationnellement. Parmi les
les juristes de cette 6poque cherchent
explications qu’ils proposent, trois sont h retenir en raison de leur influence
subs6quente.

a.

Substantia et effectus

La distinction entre la substantia et l’effectus est la plus populaire A
l’6poque, probablement parce qu’elle 6voque les concepts scolastiques de la
puissance et de l’acte. Cette distinction repose sur l’id6e qu’un acte doit
d’abord naltre h la vie juridique pour ensuite produire certains effets. Dbs lors,
il est possible de distinguer deux types d’inefficacit6 sanctionnant deux genres
d’invalidit6: d’une part, il se peut que l’acte ne naisse tout simplement pas t la
vie juridique ; d’autre part, il se peut qu’6tant n6, il soit d6pourvu d’efficacit6.
Comme l’explique Renard:

[U]n acte, ou une sentence, peut done 6tre vici6 de deux mani~res, soit
qu’il manque h la fois de validit6 et d’efficacit6, soit qu’il manque de ce se-
cond attribut seulement : la premiere hypoth~se correspond
la nullit6, la
seconde A l’annulabilit&’.

Cette conception, appliqu6e a 1’acte juridique, a pour consdquence logique
d’entralner une distinction (qui n’existait pas en droit romain) parmi 1’ensemble
des conditions requises pour la perfection d’un acte juridique :

peine de nullit6, parce qu’eles lui donnent
[Les unes sont exig6es
l’existence (substantia), les autres sont exigdes A peine d’annulation, parce
qu’eUes lui attribuent 1’efficacit6 (effectus)3 .

32 Si des proc&lures de nullit existent, car il y en a, leur objet n’est pas d’obtenir l’annulation

de l’acte nul, mais de rendre la nullit6 6vidente aux yeux de tous (ibid. h la p. 227).

33 Ibid. aux pp. 225-30,235-42.

Ibid. h lap. 331.
” Ibid. h lap. 332.

302

McGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 40

b.

L’apparence

Une deuxi~me justification de la distinction repose sur l’id6e d’apparence.
Selon certains glossateurs, un acte, qui devrait en principe etre radicalement
nul, mais qui est apparemment valide, peut, du fait de cette apparente validit6,
acqu6rir une certaine efficacit6 juridique : Idem est esse et apparere>>36.

Dans certains cas, on consid~re qu’un acte invalide mais apparemment va-
ide acquiert une efficacit6 aussi complhte que s’il 6tait pleinement valide (par
exemple, la sentence d’un juge excommuni6). Plus souvent, on estime qu’un tel
acte acquiert une efficacit6 juridique imparfaite : soit que son execution ne
pourra 6tre arret&e que si l’invalidit6 est rendue manifeste, soit qu’il aura plein
effet tant et aussi longtemps qu’on n’en aura pas obtenu l’annulation en justice.

c.

L’ int~ret protege

On a vu qu’en droit romain, certains vices de formation, drogeant aux
principes, ne pouvaient etre invoques que par certaines personnes et A
l’intdrieur d’un certain d6lai. Bartole et ses disciples remarquent qu’il y a donc
deux types diff~rents d’inefficacit6 et proposent un crit~re pour les distinguer :
l’int6r& protg6 par la r~gle de formation viol~e. Pour eux, les inefficacit~s r6-
sultant de la violation d’une condition de validit6 6dict6e dans un but de pro-
tection de l’intdr& g6n~ral sont de vrritables <> : elles op~rent de plein
droit et ab initio. Elles peuvent etre invoqu6es par tout int6ress6 et en tout
temps. Par contre, si la rigle viol~e ne vise qu’A protrger certains int& ts parti-
culiers, il y a <> furent ensuite re-
prises en droit frangais.

B. Droitfranqais

Les h6sitations de l’ancien droit frangais entre le crit~re de l’int6r&t protrg6
et la distinction substantia/effectus>> (I.B.1) pr6figurent l’opposition entre la
th6orie classique et la throrie du droit de critique apr~s la codification (.B.2).

6 bid. aux pp. 329-3 1.
‘7 Sur les 616ments contenus A ce paragraphe, voir Lutzesco, supra note 5 aux pp. 119-24.

1995]

S. GAUDET – NULLTt

1.

L’Ancien droit

L’Ancien droit franqais aurait eu une conception assez simple en mati~re de
nullit6s (I.B.l.a) si la formalit6 des lettres de rescision n’6tait pas venue com-
pliquer les choses (I.B. 1.b).

a.

Nullitis absolues et respectives

Le droit de la p6riode f6odale, influenc6 a la fois par les travaux des roma-
nistes et des canonistes38, consolide la distinction entre l’inefficacit6 radicale et
l’annulabilite 9 et adopte g6n6ralement le crit~re de l’int6rt prot6g6 comme
fondement de cette distinction. Meme si les conditions de validit6 des actes ju-
ridiques et les domaines respectifs de ces deux types d’inefficacit6 varient
d’une coutume a l’autre, en g6n6ral, lorsque l’acte est contraire h la loi, a la
coutume ou aux bonnes mceurs , l’inefficacit6 op~re de plein droit et est im-
prescriptible ; par contre, en cas de dol (tricherie), de violence (force) ou de
minorit6, il n’y a qu’un contrat annulable 1 .

Cette conception pr6vaut aussi a la p6riode monarchique, mais le vocabu-
laire se pr6cise. Bouhier, dans ses Observations sur la Coutume du Duchg de
Bourgogne, se fondant sur l’autorit6 de D’Argentr6 et de Coquille, oppose les
< aux <
et ceux simplement annulables, iR se fonde notamment sur un long extrait oti cette distinction a dt6
appliqu6e par les canonistes (M.P.-A. Merlin, Rpertoire de droit, vol. 12 (Nullite), Paris, Guyot,
1784 aux pp. 256-57).

” Beaumanoir oppose les contrats <. Ces derniers, au contraire des contrats nuls, sont
susceptibles d’8tre confirm~s et sujets h une courte prescription (Brissaud, ibid. A lap. 465).

, Ce qui inclut les conditions impossibles ou immorales, le pacte sur succession future, les do-

nations entre 6poux et la > (ibid.).
41 Ibid.
42

Nos Auteurs distinguent deux sortes de nullit6s. Les unes ont pour principe
l’intr& public […], de telles nullit6s sont appel6es absolues en ce qu’elles peuvent
etre oppos6es par toutes sortes de personnes, et qu’elles an6antissent l’Acte essen-
tiellement et radicalement, en sorte qu’on le regarde comme non fait, et non avenu
I[…].

Les autres nullit6s sont celles, qui ont dt6 introduites en faveur de certaines per-
sonnes […] Comme ces nullit6s ne regardent, que l’int6rt des particuliers, elles
sont appel~es respectives, ou selon d’autres, causatives, parce qu’elles ne peuvent

304

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 40

sant l’acte ab initio. La qualification d’une nullit6 comme > ou
<> d6pend du fondement de la r~gle viol6e : <>43.

A la mme 6poque, Dunod de Chamage, dans son Traiti de la prescription,
precisait davantage la distinction entre la <> et la <>. Dans le premier cas

la loi r~siste continuellement et par elle-m~me A Facte qu’elle d6fend, elle
le rduit A un pur fait qui ne peut
tre ni confirm6 ni autoris6 et qui ne pro-
duit aucun droit, aucune action, aucune exception: cette nullit6 peut 6tre
object~e, non seulement par la partie publique, mais par toutes sortes de
personnes […] et lejuge peut y prendre 6gard d’office4′.

Au contraire, les nullit6s respectives

n’annulent pas pleinement et absolument les actes qui sont faits au con-
traire: ces actes subsistent A l’6gard des tiers et ne sont d~clar6s nuls que
quand les personnes que ]a loi a voulu favoriser le demandent; ils peuvent
8tre conflrm6s et ratifi6s 4 .

Dunod de Chamage ajoute que la demande en nullit6 absolue est imprescripti-
ble47, alors que la demande en nullit6 respective se prescrit par trente ans.
L’exception de nullit6 est toutefois perp6tuelle et ce, que la nullit6 soit absolue
ou respective48 . On retrouve les memes id6es dans les r6pertoires de l’6poque49.

8tre oppos~es que par ceux, au profit de qui elles ont 6t6 6tablies (J. Bouhier, Ob-
servations sur la Coutume du Duchi de Bourgogne, Dijon, Jean-Baptiste Aug6,
1757 aux n 12-13).

13 Ibid. au n 15.
” M.EL Dunod de Chamage, TraitJ des prescriptions, de ‘alidnation des biens de l’Eglise et
des dixnes, 4’ 6d., Paris, Briasson, 1786. Selon lui, la distinction a une grande importance en ma-
tiire de prescription :

Le titre nul d’une nullit6 absolue, n’a jamais transf&6 le domaine, ni pu mettre le
possesseur on ses h6itiers en bonne foi […] [mais les actes dont ]a nullit6 n’est que
respective] sont translatifs du domaine, lorsqu’ils sont accompagn6s de ]a tradition,
et ils forment du moins un titre putatif et color6, a ‘ombre duquel l’acqu6reur peut
se croire le maitre et poss6der de bonne fbi (ibid. aux pp. 51-52).

*5Ibid. t lap. 51.
” Ibid.
7 Dunod de Chamage pr~fere cette solution, qu’il estime etre celle de ]a doctrine majoritaire, t

celle voulant que la nullit6 absolue se prescrive par cent ans (ibid.).

41 Ibid. i lap. 52.
, Voir Merlin, supra note 38 et J.-B. Denisart, Collection de ddcisions nouvelles et de notions

relatives d Iajurisprudence actuelle, 76 d., Paris, Dessaint, 1771 t la p. 247.

1995]

S. GAUDET – NULLITt

b.

Lettres de rescision

compter du XV’ si~cle, tant en pays de droit coutumier qu’en ceux de
droit 6crit, les causes de nulit6 romaines, contrairement celles d6coulant de la
coutume ou des ordonnances royales, ne peuvent plus 8tre invoqu~es sans que
l’on ait pr~alablement obtenu des lettres de rescisi
. Selon les commenta-
teurs de l’6poque, la n6cessit6 des lettres de rescision pour invoquer les causes
de nullit6 romaines r6sulte du fait que >51. Malgr6 ce fondement –
qui
pourrait laisser croire que l’octroi de ces lettres est un privilfge accord6 selon le
bon vouloir du roi –
celles-ci sont d6livr6es sur demande par les chancelleries
des parlements52. Par la d6livrance de ces lettres, le roi demande au juge
d’enquater sur la cause de nulit6 invoquee et, le cas 6ch6ant, d’ent6riner les

” Brissaud, supra note 38

la p. 465. C’est ce qu’exprime l’adage :

Les voies de nullit6 sont ici les exceptions de nullit6, lesquelles ne peuvent point
8tre opposdes contre tout ce qui est nul suivant le Droit Romain. De sorte qu’il faut
se pourvoir contre ces nullits […] en obtenant des lettres du prince, pour faire cas-
ser et rescinder les actes. […] Mais quand il est question de nullits qui sont d6cla-
res par les ordonnances et les coutumes, les voies ou exceptions de nullit6 ont lieu
sans lettres du prince (A. Loysel, Institutes coutumieres, t. 2, Paris, Videcoq, 1758
au livre V, titre II, ad V).

5, C’est 1’explication qu’en donnent Coquille, Imbert et Charondas (Brissaud, ibid. aux pp. 465-
66). Brissaud indique que cette justification a 6t6 contest~e par la suite : certains ont pr~tendu que
ces lettres avaient dt6 rendues n~cessaires essentiellement pour des raisons fiscales, d’autres parce
qu’elles constituaient un bon moyen d’accroitre la juridiction des juges royaux au detriment des
juges seigneuriaux. Brissaud est cependant d’avis que l’explication avanc~e par les anciens au-
teurs est probablement la meilleure (si la raison est fiscale ou politique, pourquoi se limiter aux
seules nullitds romaines ?), mais qu’elle doit 6tre compl~t~e :

A la prendre en effet […] il aurait fallu exiger des lettres pour l’application de tou-
tes les r~gles romaines, ce qui n’arriva point. On ne le fit que pour les nullitds in-
connues du droit coutumier ancien, oppos6es
ses principes, d’un caractre assez
exceptionnel pour que leur introduction efit besoin de s’appuyer sur l’autorit6
royale. La n~cessit6 des lettres de rescision fit 6tendue (6videmment pour des rai-
sons fiscales) aux pays de droit 6crit (ibid. la p. 466).

52 <([Le] recours au b~n6fice du Prince [...] n'est point refus6 ceux qui l'implorent dans le temps et avec juste cause>> (C.-J. Ferri~re, Dictionnaire de droit et de pratique, Paris, Knapen,
1771, v : nullit6).
53 <[L]e roi mande au juge de restituer l'imp6trant contre de certains actes, et de le remettre au mame 6tat que s'ils n'eussent point t6 pass~s, au cas qu'il se trouve fond6 dans de justes causes pour cette restitution>> (M. Bugnet, (Euvres de Pothier, t. 10,2′ &., Paris, Cosse et Marchal, 1861
au d’ 728).

306

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 40

lettres de rescision, ce qui a pour effet d’an6antir l’acte54.

On aura 6videmment not6 la grande ressemblance A l’inefficacit6 pr6to-
rienne du droit romain. Dans les deux cas, un acte juridique, valide et efficace
suivant le droit (le ius civile, les coutumes et ordonnances) est rendu
inefficace par l’effet d’un droit > (e droit pr6torien, le droit romain)
qui s’applique de fagon d6rogatoire de par la volont6 d’une personne en autori-
t6 (le Pr6teur, le roi de France)55. De mme, dans les deux cas, l’acte n’est pas,
en th6orie du moins, invalide ab initio, mais le devient par l’effet de la d6cision
judiciaire.

La survenance de la formalit6 des lettres de rescision vient compliquer la
question du domaine de l’inefficacit6 radicale et de l’annulabilit6. A la distinc-
tion traditionnelle de la > et de la <>, fond6e
sur l’id6e de l’int6r&t prot6g6, il faut d6sormais ajouter celle opposant l’acte
celui dont la cause de nullit6 provient de la coutume ou
> –
des ordonnances –
celui qui est susceptible de voir
ses effets paralys6s par l’ent6rinement des lettres de rescision. On se retrouve
donc avec deux formes distinctes d’inefficacit6 radicale et d’annulabilit6, les-
quelles se recoupent partiellement, ce qui est loin de simplifier les choses : les
actes rescindables>> semblent tous 8tre >56, mais l’inverse
n’est pas vrai.

et l’acte > –

Tentant de mettre un peu d’ordre dans ce syst~me confus, les auteurs de

l’6poque cherchent A faire pr6dominer l’une ou l’autre de ces distinctions.

Pour Dunod de Chamage et Merlin, la distinction fondamentale demeure
celle opposant les nullit6s absolues> aux >. Pour eux,
l’opposition entre les > et les actes rescindables>>
n’est qu’une sous-distinction, marginale et d’un caract6re essentiellement pro-
c6dural, des nullit6s respectives”.

Par l’ent~finement des lettres de rescision. racte est rescind6, et les parties sont mises au
m~me 6tat qu’elles 6taient auparavant; d’oai il suit qu’elles sont libres des engagements qu’elles
ont contract6s par cet acte, et m8me elles sont cens6es ne les avoir jamais contract6es: elles ren-
trent dans la propri6t6 des choses qu’elles ont ali~n6es par cet acte, et meme elles sont cens6es ne
les avoir point ali&6nes (ibid. au n 748).

” Pothier 6tablit clairement ce parallle : (Par le droit romain, le magistrat pouvait, pour justes
causes, de sa seule autorit6, restituer les parties contre les actes qu’elles avaient pass6s; parmi
nous, iI faut avoir recours h l’autorit6 du prince>> (ibid. au n 728).

Ibid. au n 728 et s. ; Dunod de Charnage, supra note 44 A lap. 52.
>7Ainsi, c’est uniquement A propos des nullitds respectives, et sans y attacher d’importance, que
Dunod de Charnage traite de la question des lettres de rescision : [lIes actes […] ne sont pas
m~me toujours nuls de plein droit, A I’dgard de la partie int6ress~e; car il faut souvent qu’elle les

1995]

S. GAUDET – NULLIT_

Domat et Pothier feront toutefois dominer 1’opposition entre les actes nuls
de plein droit* et les . Si la doctrine du premier, 6trange et
restera sans grande influence59, il en sera autrement de celle du se-
confuse,
cond qui annonce la thorie des actes inexistants, laquelle dominera tout le
XIX sikle.

Au premier abord, la distinction adopt~e par Pothiere ne se distingue gu~re
de l’opposition traditionnelle. L’acte nub> est affect6 d’une inefficacit6 radi-

fasse rescinder, comme il arrive dans les contrats faits par crainte>> (Dunod de Chamage, ibid.).
C’est aussi l’opposition traditionnelle qui domine l’6tude de Merlin, celle fond6e sur la formalit6
des lettres de rescision n’ayant qu’un int6r& proc~dural dans la mesure ohi elle ne sert qu’4 d6-
terminer > on doit se pourvoir en nullit6 (Merlin, supra note 38 aux pp. 262-66).
Selon Merlin, la seule utilit6 substantielle de cette demiare distinction provient de l’Ordonnance
de 1510 qui restreint le d6lai de prescription des actions en rescision A dix ann~es utiles, d6o-
geant ainsi au d~lai de trente anndes du droit commun (ibid. ‘ lap. 267).

” Dans J. Domat, Lois civiles dans leur ordre naturel, Paris, Nyon, 1777, l’auteur distingue les
conventions qui sont nulles dans leur origine>> de celles qui, n’6tant pas ainsi nulles, sont ndan-
moins sujettes a la rdsolution> (ibid., t. 1 A la s. 5, pp. 42-45). <41 y a cette diffdrence entre la nullit6 et la resolution des conventions, que la nullit6 fait qu'il n'y a eu que l'apparence d'une convention, et que la rdsolution an~antit une convention qui avait subsist& (ibid. ' la s. 6(1), p. 46). Domat inclut dans la premi~re categorie toutes les conventions qui sont >, qu’elles soient entach~es de nullit6 absolue ou de nullit6 respective et que la cause de
nullit6 soit ou non apparente (ibid. aux s. 5(2), 5(5)-5(10), pp. 43-44). It inclut dans les causes de
resolution toutes celles qui n’an~antissent ‘acte que post~rieurement ‘ sa formation : rdvocation,
pacte r~solutoire, clause ou condition rdsolutoire. Puisque, dans ]a logique de la formalit6 des let-
tres de rescision, l’acte sujet A rescision est valide>> tant et aussi longtemps que les lettres n’ont
pas 6t6 entdrin6es, Domat consid~re que l’acte sujet A rescision est sujet A r~solution> plut& que
nul dans son origine>. Cette construction peut 8tre critiqu6e : d’une part, lorsque l’acte est enta-
cb6 d’une cause de nullit6 respective, l’inefficacit6 n’est mise en oeuvre que par la decision de la
personne protdgee d’invoquer la cause de nullit6 ; il est done inexact de dire que cet acte n’existe
qu’en apparence ; d’autre part, la rescision a beau survenir post~rieuremenb> ‘ la formation du
contrat, elle sanctionne nanmoins un vice de formation. L’acte sujet A rescision –
tout comme
l’acte entach6 de nullit6 respective –
est done a la fois vicid en son origine>> et il existe juridi-
quement tant qu’il n’est pas > ; aussi doit-il occuper en m~me temps les deux cat6gories
que Domat cherche ‘ opposer. D’ailleurs, i semble bien que Domat mette l’acte entach6 de vio-
lence ‘A la fois dans l’une et l’autre de ces categories. Comparer (ibid. ‘ la s. 5(10), p. 44) ‘ [l]es conventions otL l’un
des contractants est surpris et trompd par le dol de l’autre, ou par quelque mauvaise voie, sont r6-
solues et annuldes lorsqu’il s’en plaint>> [nos italiques] (ibid. ‘ la s. 6(8), p. 47).

“I1 n’y a gu~re que Perrin et de Maleville qui s’inspireront des ides de Domat (voir infra notes

67,69).

0 Dans son Traitj des obligations, Pothier oppose constamment le contrat nul> au contrat
>, ce demier pouvant etre annulI (rescind6) en obtenant des lettres de rescision (Bugnet,
supra note 53, t. 2 aux n7 16-95). Dans son Traitj de procidure, Pothier insiste longuement sur
les distinctions et les rfgles gouvernant respectivement les des actes
rescindables>> (ibid., t. 10 au n 725 et s.).

308

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE McGILL

[Vol. 40

cale alors que l’acte > n’est qu’annulable, ce dernier 6tant seul su-
jet A la confirmation et L la prescription. L’acte nul> de Pothier correspond
donc
l’acte entach6 de nullit6 absolue de la conception traditionnelle alors que
son acte > est 1’6quivalent de l’acte entach6 d’une cause de nullit6
respective.

Mais, malgr6 cette similarit6 quant h leurs effets juridiques, l’opposition
traditionnelle et celle propos6e par Pothier ont des fondements diff6rents. La
distinction traditionnelle repose, on l’a vu, sur le critre de l’int6r& prot6g6,
tandis que celle de Pothier repose plut6t sur l’id6e que certaines conditions de
l’acte sont essentielles h sa formation alors que d’autres ne sont n6cessaires que
pour son efficacit6.

Ainsi, revenant aux solutions romaines et h la distinction de la substantia et
de l’effectus des romanistes, Pothier distingue selon que le consentement fait
absolument d6faut ou est simplement vici6 : l’erreur-obstacle rend la conven-
tion nulle car elle < le consentement, alors que la violence et le dol ne
sont que des causes de rescision car ils n’empechent pas l’existence du consen-
tement62. De meme, si la vente sans objet ou sans prix63 et le contrat sans cause
ou dont la cause est illicite sont sanctionn6s de >64, c’est qu’il leur man-
que quelque chose d’essentieL Cette conception, qui met l’accent sur l’6tat ob-
jectif de ‘acte plut6t que sur l’id6e de sanction, aura une tr~s grande influence
apr~s la codification.

2.

Le droit frangais depuis la codification

Au toumant du MY si~cle, deux 6v6nements d’une importance capitale se
produisent. Tout d’abord, cons6quence directe de la R6volution, la formalit6
des lettres de rescision est 6iiminfe 5 ; ensuite, et surtout, on unifie et codifie le
droit civil. En principe, chacun de ces 6v6nements aurait dfi contribuer h sim-
plifier la mati~re des nullit6s. C’est toutefois le contraire qui s’est produit. Cela
est notamment attribuable au fait que le Code Napolon, tout en admettant clai-
rement la distinction entre deux types diff6rents d’inefficacit6, adopte h cet
6gard une terminologie qui 6voque l’ancienne formalit6 des lettres de rescision,

61 Ibid. au no 744.
62 Ibid., t. 2 aux n 21, 29.
6’ 4 est de l’essence du contrat de vente qu’il y ait une chose qui soit vendue, et qu’il y ait un

prix pour lequel elle soit vendue: c’est pourquoi, si je vous ai vendu une chose que nous igno-
rions avoir cess6 d’exister, il n’y aura pas de contrat>> [nos italiques] (ibid. au n 6).

‘ Ibid. au 0 42 et s.

Les lettres de rescision, privil~ge royal, ne pouvaient 6videmment pas survivre ht ]a R6volu-

tion ; elles furent abrog~es en 1790 (Giffard, supra note 5 au nd 312, p. 218).

1995]

S. GAUDET – NULLITF

pourtant abrog6e .

Aussi, loin de se simplifier, les questions du fondement et du domaine de
l’inefficacit6 radicale et de l’annulabilit6 s’enlisent dans la controverse. Toutes
les conceptions propos6es en la mati6re depuis les romanistes trouvent leur d6-
fenseur dans l’un ou l’autre des tous premiers ouvrages entibrement consacrds ii
la <>67 ou encore dans les longs d6veloppements des pre-
miers commentateurs du Code Napolon68.

Perrin reprend le systbme de Domat, cherchant

opposer d’une part les
<> (absolues ou <>, nouvelle appellation des nullit6s respecti-
yes) aux <>69, tandis que Biret, Delvincourt et Solon optent plut6t
pour la conception traditionnelle. En se fondant sur le critbre de l’int6r& prot6-
g6, ces derniers voient comme fondamentale l’opposition de la <>, qui est une inefficacit6 radicale,
relative>> qui n’est qu’une
annulabilit670. Enfin, prdfigurant les deux grands courants qui opposeront le
XXC au XX” sidcle en la matibre, on retrouve les conceptions diamdtralement
oppos6es de Duranton et de Toullier.

la <>
[nos italiques].

67 J.-B. Perrin, Traitg des nullitis de droit en matire civile, Paris, Gauthier Neveu, 1816 ; M.
Biret, Traitj des nullitis, Paris, Athus Bertrand, 1821 ; V.-H. Solon, Thgorie sur la nullitJ des
conventions et des actes de tout genre en mati~re civile, Paris, Videcoq, 1835.

Voir C.B.M. Toullier, Droit civil frangais, t. 7, Paris, Warde, 1824 aux pp. 556-726 ; A. Du-
ranton, Cours de droit frangais suivant le Code civil, t. 12, Paris, Alex-Gobelet, 1834 ; R.T. Tro-
plong, Le droit civil expliqu&: De la vente, t. 2, Paris, Hingray, 1835. Pour sa part, C.E. Del-
vincourt, Cours de Code civil, t. 2, Paris, Videcoq, 1834 a la p. 588 et s., se contente de quelques
pages sur le sujet.

69 Perrin propose de distinguer les cas de des cas de > : que la nullit6 soit
relative ou absolue, elle a un effet radical car le contrat est cens6 n’avoirjamais eu d’existence ;
au contraire, la rescision suppose un acte existant et valable en son principe (Perrin, supra note 67
aux pp. 92-93, 98-99). Perrin n’utilise le crit~re de l’int&t protg6 que pour subdiviser les nulli-
t6s : les unes sont de droit public, les autres sont de droit privd, ce qui se rdpercute sur les person-
nes qui peuvent les invoquer et sur la possibilit6 de confirmation. On peut 6galement retrouver un
6cho de cette doctrine chez J. de Maleville, Analyse raisonnge de la discussion d Code civil al
Conseil d’Etat, t. 3, Paris, Gamery, 1822 aux pp. 115-16. Voir notre critique de cette analyse, su-
pra note 58.

70 Biret, supra note 67 an c. 2 ; Delvincourt, supra note 68 aux pp. 181-82. Solon dnumre, il
est vrai, toute une sdrie de distinctions et d’oppositions, mais pour lui, la distinction la plus impor-
tante demeure celle opposant la nullit6 absolue h la nullit6 relative, laquelle est fond6e sur l’id~e
de l’intr& prot~g6 (Solon, supra note 67, t. 1 an c. 1).

310

MCGILLLAWJOURNAL / REVUEDE DROITDEMCGILL

[Vol. 40

Pour ce dernier, c’est l’apparence, et elle seule, qui fonde la distinction de
l’inefficacit6 radicale et de l’annulabilit6. It y aurait <
lorsque le vice est < ; au contraire, si le vice est
> car il est rare
que le vice apparaisse

la >73.

Mais Duranton rejette totalement le crit~re de l’apparence et en propose un
autre qui, au contraire, restreint au minimum le domaine de l’annulabilit6. En
se basant sur les travaux pr6paratoires74, il reprend le syst~me expos6 par Po-

” Toullier, supra note 68 au n’ 521, p. 616.
7 Ibid. au n 529, pp. 627-28.
73 Ibid. au n 526. Quoique sa doctrine soit pour le moins difficile hi cemer, Troplong semble lui
aussi attacher de l’importance aux apparences (Troplong, supra note 68 h ]a p. 182 et s. ; voir
notamment aux pp. 206-207 sur la question de l’apparence comme crit~re de distinction entre
l’acte nul et l’acte rescindable). Solon n’est pas non plus insensible au crit~re de l’apparence :
quant h la distinction entre les nullit~s de plein droit et des nullit~s par voie d’action (Solon, supra
note 67, vol. 1 at c. 1, n 4). Quant aux effets du vice non apparent quant aux tiers de bonne foi,
voir ibid., vol. 2 at c. 12, n 4. Mais, il ne semble pas que, comme chez Toullier, le crit&e de
l’apparence supplante celui de l’int&rt prot6g6: Ia nullit6 absolue r~duit l’acte At un pur fait selon
Solon, et h ce qu’il semble, le caract~re cach6 ou apparent du vice ne joue aucun role h ce niveau
(ibid., vol. 1 au c. 1, n’ 3).

” A propos de l’article 1117 C.N., supra note 66, M. Jaubert, dans son Rapport aut Tribunat, a
d~clar6 qu’>. Les <> sont, selon Jaubert, ceux qui sont contract~s sans objet, sans

19951

S. GAUDET – NULLITt

thier : s’il manque au contrat un 616ment essentiel, le contrat est radicalement
nul ; si tous les 616ments essentiels y sont mais que l’un d’eux est vici6, le con-
trat est annulable75.

C’est Duranton qui allait ’emporter au XIX si~cle avec la th6orie des actes
inexistants (I.B.2.a), mais Toulier allait avoir sa revanche avec la th6orie du
droit de critique (I.B.2.b) adopt6e par le droit frangais contemporain (LB.2.c).

a.

Thiorie de 1′ inexistence (thiorie classique)

En 1808, Karl Zachariae publie son Handbuch des fianzosischen Zivil-
recht 6 oi, approfondissant le concept d’inefficacit6 radicale, il distingue clai-
rement l’inexistence de la >79 . Ce faisant, Zachariae ne fait alors qu’exprimer en termes plus pr6cis
la distinction romaniste de la et de l’effectus>. Cependant, Za-
chariae pr6cise le critre devant &re utilis6 pour appliquer cette distinction :
pour lui, il n’y a inexistence que lorsque racte ne peut absolument pas se con-
cevoir .

lap. 399 et s.).

cause ou pour une cause illicite (P.A. Fenet, Recueil complet des travaux prparatoihes du Code
civil, t. 13, Paris, (&liteur inconnu), 1827

“Par exemple, traitant de la nullit6 de la vente d’un objet ayant prdalablement dt6 totalement
d~truit, Duranton 6crit : [ce] contrat n’existe pas […] car il est impossible de supposer une vente
sans une chose qui en soit la matire […]. Cette convention n’a pu op6rer un vdritable contrat,
parce qu’il lui a manqu6 une des conditions essentielles 4 tout contrat>. Mais s’il y a erreur, dol,
violence ou encore si une obligation est contract6e en minorit6, < (ibid., t. 1 au 11 35, p. 45).

78 <[L]'ide de nullitd presuppose un acte qui serait valable d'apr~s sa nature ou principe juridi- que, si l'on faisait abstraction de telle ou telle disposition particulire des lois positives>> ; ce
principe ddcoule de la d~fmnition m~me de la nullit6 qui est une qui doit le
faire consid~rer comme non avenu, quoiqu’il ait eu lieu de fait> (ibid.).

9 Ibid.
” Pour Zachariae, ds lors que l’acte se congoit en faisant abstraction de telle ou telle disposi-
tion particui~e des lois positives , il existe meme s’il est vici6 (ibid., t. 1 au d 35). Ainsi, le do-
maine de rinexistence se limite aux cas ot il y a absence totale d’un fait gdn6rateur essentiel 4 la
naissance du contrat: d6faut absolu de consentement (incapacit6 naturelle>>, erreur in negotio ou

312

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 40

On a vu que Pothier 6galement avait repris 1’ide que l’absence de certaines
conditions essentielles rendait le contrat <>. Mais, pour Po-
thier, il y a absence d’un 616ment essentiel non seulement lorsque cet 616ment
manque > mais aussi lorsqu’il manque en droit>> : ainsi, le contrat qui a
une cause illicite a bien une cause en fait, mais cette cause n’6tant pas reconnue
par le droit, Pothier consid~re qu’il y a absence de cause”. On peut dire de la
thorie classique des nullitrs qu’elle est une combinaison du concept
d’inexistence de Zachariae avec cette ide de Pothier82. Les auteurs classiques
aboutissent ainsi t l’inexistence du contrat dans les cas oii il y a absence juridi-

in coi ore) ou absence d’objet (contrat sans objet, prestation impossible ou ind~termin~e) (ibid.,
t. 3 aux n 580, 612 et s.) .Ainsi, en cas d’objet ou cause illicite, l’acte n’est pas inexistant.

“, Bugnet, supra note 53.

2 L’id~e d’inexistence fut fort utile pour le maiage, 6tant donn6 le principe <> qu’avait pos6 ]a Cour de cassation en cette mati~re. Le Code Napoldon n’interdisant pas
expressrment le mariage entre personnes du m~me sexe ou celui du d~ment, l’inexistence a per-
mis de parer A ]a difficult6 : de tels > ie sont pas nuls, mais inexistants. On en a parfois
conclu que le principe pas de nullit6 sans texte>> en mati~re de mariage 6tait A l’origine de ]a
th~orie des actes inexistants (F. Drogoul, Essai d’une thiorie gin6rale des nullit6s, Paris, Arthur
Rousseau, 1902 A lap. 137 et s. ; A. Tissier, note sous Req., 30 d~cembre 1902, S.1903.1,257 ; G.
Cohendy, <> (1914) 13
Rev. trim. dr. civ. 33 A lap. 36 ; X. Barr6, > (1992) 26 R.J.T. 21 a lap. 25 ; Juris-classeur civil, art. 1304-1314, fasc.
1, par D. Veaux, n 93 ; A. Weill et F Terr6, Les obligations, 46 ed., Paris, Dalloz, 1986 au n 291 ;
J. Ghestin, Traiti de droit civil-Les obligations-Le contrat: Formation, 2′ 6d., Paris, Librairie
g ndrale de droit et de jurisprudence, 1988 au n 735 et avec plus de nuances, P Malaurie et L.
Ayn~s, Cours de droit civil-Les obligations, 3′ d., Paris, Cujas, 1992 au n 544), ce qui ne nous
paralt pas exact. En effet, cette analyse fait fi du fait que Zachariae avait ddgag6 l’id~e
d’inexistence bien avant que la Cour de cassation ne pose le principe < et le contrat n’est
donc qu’annulable. On retrouve essentiellement Ia m~me doctrine chez Marca-
d6, Demolombe s5, Laurent86, Aubry et RauS7, Beudante”, Baudry-Lacantinerie
et Barde89.

La cons6quence logique de cette doctrine est la disparition de la (ibid., t. 1 an d’ 37, p. 230) –
ils conferent A l’inexistence un do-
maine d’application similaire b celui que conferent des autres auteurs classiques. Ainsi, ils consi-
d~rent que ‘obligation fond~e sur une cause illicite est inexistante et il en est de meme du contrat
dont l’objet est une chose hors-commerce (ibid., t. 4 aux ne 344-45). Ces solutions tranchent avec
celles, expresses on implicites, de Zachariae.

C. Beudant, Cours de droit civil fran~ais: Les contrats et les obligations, Paris, Arthur Rous-
seau, 1906 an n 280 et s. Voir aussi C. Beudant et P. Lerebours-Pigeonni~re, Cours de droit civil
frangais, t. 8, 2! 6d., Paris, Arthur Rousseau, 1936 au n 262 et s.

G. Baudry-Lacantinerie et L. Barde, Traitj thgorique etpratique du droit civil, t. 13, Paris, Si-
rey, 1905 an n 1929-30. Voir aussi G. Baudry-Lacantinerie, Pr6cis de droit civil, t. 1, 8’ &l., Pa-
ris, Sirey, 1926 au n 131 et s. ; T. Huc, Commentaire thgorique et pratique du Code civil, t. 7,
Paris, F. Pichon, 1894 au n 10 et s.

o La distinction traditionnelle entre les nullits absolues et relatives tend disparaitre au fur et
mesure que la th~orie des actes inexistants accroit son influence (Japiot, supra note 5 A lap. 125).
Chez ceux qui la conservent, cette distinction n’est plus qu’une subdivision des annulabilit~s et ne
joue qu’un r81e marginal. Ainsi, Laurent consid~re-t-il que ‘acte nul existe et produit tous les ef-

314

MCGILL LAWJOURNAL / REVUE DE DROITDE McGILL

[Vol. 40

tion, les classiques 6chafaudent toute leur <.

L’acte inexistant est <. De 1h d6coulent plusieurs cons6quences

10 l’inefficacit6 de cet acte op6re ipsojure, sans qu’il soit necessaire de la faire
prononcer, le juge ne faisant, en cas de litige, que <> A ce qui n’est pas. Au con-
traire, l’acte annulable n’est que <> ; il existe et produit les memes effets
juridiques que s’il 6tait valable,
tant qu’il n’est pas annul6. Donc
10 l’inefficacit6 ne survient que par suite de l’annulation que prononce le juge ;
20 cette annulation ne peut etre provoqude que par les personnes en faveur de
qui l’annulabilit6 est 6dictde ; 3′ l’extinction du droit de provoquer I’annulation
ayant pour seul rsultat de consolider un acte <, tant la confirmation de
l’acte que la prescription de Faction en annulation sont possibles1 .

Au niveau des effets juridiques, it n’y a pas de v6ritable cesure entre la

traditionnelle et la th6orie des actes

inexistants. En effet,
conception
l’inexistence ressemble fort A la <> de l’ancien droit et le r6gime
juridique de l’acte > est identique A celui de l’acte entach6 de nullit6
<. Toutefois, lefondement de ces solutions n’est plus le meme : cel-
les-ci ne sont plus dict6es par le critre de l’int6r& prot6g6, mais plutrt par
l’6tat objectif de l’acte. I1 y a inexistence de l’acte lorsqu’il y manque un 6l6-
ment essentiel et cette inexistence empeche de concevoir sa confirmation ou la
prescription du droit de l’attaquer. Au contraire, l’acte qui n’est que <>
existe et, du fait m~me de cette existence, sont possibles sa confirmation et la
prescription du droit de l’an6antir.

Or, ce nouveau fondement a un impact au niveau du domaine respectif de
l’inefficacit6 radicale et de l’annulabilit6: si on adopte le crit~re des conditions
essentielles, le d6faut absolu de consentement et l’inaptitude a consentir doivent
logiquement 6tre sanctionn6s par l’inexistence plut6t que par l’annulabilit6.
Aussi, avec le crit~re des conditions essentielles tel qu’appliqu6 par les classi-
ques, le domaine de l’annulabilit6 atteint son minimum historique”. Mais, pa-

fets d’un contrat qui serait pleinement valable et ce alors m~me que la nullit6 est absolue et
d’ordre public>> (Laurent, supra note 82, t. 18 au n0 533).

” Voir Laurent, ibid., t. 15 aux n”451, 464 et t. 18 aux n 531-33, 564-66 ; Aubry et Rau, supra
note 87, t. 1 au n’ 37 et t. 4 aux n’ 337-39 ; Demolombe, supra note 85, t. 29 aux n’ 22, 49-53 ;
Demante et Colmet de Santerre, supra note 83, t. 5 aux n” 262, 262bis ; Beudant, supra note 88
aux ne 289-304 ; Baudry-Lacantinerie et Barde, supra note 89 au n’ 1932 et s.

En effet, dans les cas d’inaptitude A consentir et de drfaut absolu de consentement,
‘application du critre de l’int~r& proteg6 m~ne A la >, donc h l’annulabilit6, alors

1995]

S. GAUDET – NULLITE

radoxalement, la th6orie de l’inexistence pr6pare la voie L un retour en force de
l’annulabilit6.

En effet, en assimilant 1′

l’absence mat6rielle >, les
classiques n’attachent aucune importance aux apparences. Une telle approche
est n6faste du point de vue de la s6curit6 juridique car un acte qui a toutes les
apparences de validit6 peut, en r6alit6, 8tre ‘> avait un effet tout aussi
imm6diat et radical que l’inexistence, mais elle est exacerb~e avec la concep-
tion classique. Premi~rement, comme on vient de le voir, la th6orie classique
impose l’inexistence dans des cas (d6faut de consentement, inaptitude
con-
sentir) o , justement, l’annulabilit6 semblerait plus appropri6e que l’inefficacit6
radicale. Ensuite, l’expression m~me d’acte inexistant > est paradoxale : s’il y
a un acte, il n’y a pas que le n6ant. Ce paradoxe fait ressortir que l’inexistence
juridique>> de 1’acte est le plus souvent en flagrante contradiction avec son
existence mat6rielle>. Enfin, la th6orie classique, en d6duisant toutes les solu-
tions de l’6tat objectif de l’acte, est tr~s rigide : si on peut toujours penser
faire produire des effets A un acte nul>, il est plus difficile de le faire pour un
acte que l’on qualifie d’> : ex nihilo nihil ! Comme l’a not6 Cohen-
dy, l’inexistence, en raison m~me de son caract~re radical, n’est pas une notion
mall6able93.

Parce qu’elle doit rejeter toute notion d’apparence et aussi en raison de son
manque de flexibilit6, la th6orie classique aboutit finalement
t une prise de
conscience : l’acte juridique, malgr6 qu’il soit une cr6ature du droit, s’inscrit
n6anmoins dans une r6alit6 factuelle dont il faut tenir compte si on vent 6viter
des solutions inopportunes du point de vue de la s6curit6 juridique. Par ses ex-
c~s de dogique juridique>>, la th6orie des actes inexistants ouvre donc la porte A
une nouvelle conception,
l’annulabilit6, plut6t que
l’inefficacit6 radicale, comme sanction de l’invalidit6.

laquelle privil6giera

que les tenants de la th6orie classique devaient consid&er qu’en l’absence de consentement,
l’acte est inexistant. Mais cette question est toujours rest6e controvers~e, la loi pr6voyant ici cer-
taines solutions difficilement contoumables pour les partisans de la th6orie classique. Voir Aubry
et Rau, ibid., t. 3 au n 342 et Solon, supra note 67, vol. 1 au c. 2, A propos du contrat conclu par
un d~ment ou une personne en 6tat d’ivresse.

9 Cohendy, supra note 82 h lap. 67.

316

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 40

b.

Thgorie du droit de critique

Au d6but du XX sidcle, au moment meme oii la Cour de cassation semble
prete A reconnaitre le concept d’inexistence, Drogoul consacre sa th~se h criti-
quer la th6orie classique. Pour lui, la nullit6 n’est pas un <<6tat de l'acte>> mais
plut6t une <> qui doit en tant que telle 8tre adapt6e A chaque condition
de validit6 du contrat. Reprochant surtout aux classiques la rigidit6 de leur sys-
t~me, Drogoul rejette toute syst6matisation en mati~re de nullit6s 95.

Quelques ann6es plus tard, Japiot, dans une these c6lbre, reprend l’id6e de
‘approche <> de son pr6curseur, propose

Drogoul, mais rejetant
plut6t de remplacer le systme des classiques par un autre.

Japiot consid~re que l’erreur des classiques est de concevoir l’acte juridique
comme un organisme vivant : s’il lui manque certains <> essentiels, il
; au contraire, si tous ces 616ments sont
ne peut pas naitre, c’est un <> ou
<>96. C’est cette conception <> qui entraine le manque de
souplesse qu’a justement d6nonc6 Drogoul, car toutes les r~gles de la th6orie
sont logiquement d~duites de l’6tat de l’acte, ce qui est incompatible avec
l’id~e que la nullit6 est une sanction qui doit 6tre adapt6e aux objectifs de ]a loi
et aux besoins du milieu. Proc6dant h Ia reconstruction d’une th~orie des nulli-
t6s autour de l’id6e de sanction, Japiot 6nonce le principe que la nullit6 se tra-
duit par l’ouverture d’un droit de critique dirigJ contre les effets de l’acte”.

Voir Req., 30 dcembre 1902, S.1903.I.257 (note A. Tissier).

‘5 Selon Drogoul, supra note 82 aux pp. 69-112, ]a th6orie des actes inexistants ne s’appuie ni
sur les textes du Code civil, –
lesquels ne commandent aucun syst6me tant ils manquent
d’uniformit – ni sur ]a logique. En effet, si le crit~re de l’inexistence est l’impossibilit6 absolue
de concevoir I’acte, il n’y a gu~re d’actes qui soient inexistants : il est logiquement possible de
concevoir le mariage entre personnes du m~me sexe tout comme il est rationnellement possible
d’envisager une obligation contractuelle sans consentement : le formalisme romain et la thdorie
allemande de la d&claration de volont6 sont l pour le prouver (ibid. A la p. 144 et s.). Le concept
d’inexistence doit donc 6tre rejet6 et on ne doit conserver que la nullit6>>, qui n’est pas un 6tat
objectif de l’acte, mais une sanction qu’impose la loi (ibid. h la p. 209 et s.). Consid&rie comme
une sanction, ]a nullit6 peut 8tre adapt6e au but vis6 par ]a r~gle de formation viol~e, ce qui per-
met une < des idWes : alors que l’6tat de l’acte imposait toutes les solutions dans
la th~orie classique, la conception de la nullit6 comme sanction n’impose aucun regime a priori et
les questions pratiques qui se posent peuvent se r~soudre de fagon autonome, en respectant le but
de ]a loi pour chaque r~gle (ibid. A la p. 130). Drogoul rejette donc toute catgorisation, toute ide
de syst~me. La nullit6, concept unique, est ainsi multiple dans ses applications : <> (ibid. h la p. 179).

Japiot, supra note 5 A la p. 124 et s.

9Ibid. A la p. 284.

1995]

S. GAUDET – NuLLTt

Pour bien saisir cette notion passablement complexe98, il faut partir de la
distinction fondamentale que pose Japiot entre le monde du fait et le monde du
droit. Dans le monde du droit, l’inefficacit6, meme la plus radicale, ne pose au-
la loi est toute puissante pour declarer en droit la nullit> 9 9.
cun probl~me :
Mais dans les faits, <'acte peut avoir 6t6 conclu l'apparence, et m~me avoir produit certaines cons6quences qui ne traduisent pas un effet juridique, mais, si l'on peut dire, qui le simulent> 1 . La loi est impuissante h empacher que ces
faits se produisent, mais elle peut <>1 Autrement dit, puisque la nulit6 op~re de plein
droit dans le monde du droit mais que la loi est impuissante L agir dans le
monde du fait, il s’6tabit, de par la conclusion de l’acte invalide, une diver-
gence entre le monde du droit et celui du fait : il y a < et
<‘ 3. Le droit de critique n’est done que le moyen par lequel
une personne pourra rendre la <> conforme
la <.

En consequence, la nature et l’objet du droit de critique sont assez particu-

iers. Premi~rement, contrairement aux autres droits subjectifs,

le droit de critique ne tend pas en soi
la r6alisation d’un intdrat positif; par
essence et comme son nom l’indique, son but direct est purement
destructif, on ne ‘exerce qu’afin d’exercer un autre droit, celui que l’acte
aurait supprim6 s’il efit 6t6 valable, et qui subsiste en vertu de la nullit6; le
droit de critique n’a pour utilit6 que de permettre l’exercice d’un autre droit
et par ce cbt6 il se pr~sente sous 1’aspect d’un simple moyen.”‘

Deuxi~mement, l’objet du droit de critique n’est pas, comme on pourrait le

Pour cette raison, et par souci de ne pas ddformer sa pense, nous nous permettons de citer de

nombreux extraits de son ouvrage.

Ibid. aux pp. 42,286.
” Ibid. aux pp. 42-43.
,”,Ibid. a lap. 43.
102 Ibid.
,’ (ibid. L lap. 282).

” Ibid. lap. 289.

318

MCGILLLAWJOURNAL /REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 40

croire, d’an6antir l’acte juridique invalide, mais plutrt d’an6antir les cons6-
quences factuelles simulres>> qui en rrsultent :

Le but du droit de critique ne ser donc pas une modification on une
constatation relative A cette abstraction que constitue l’actejuridique consi-
d~r6 en lui-m~me. On ne critique pas uniquement pour critiquer, pour ob-
tenir de ]a justice une reconnaissance thorique de la nullit6; ce que l’on
veut c’est un r6sultat pratique, c’est la suppression de tel fait objectif qui
est la consequence de l’acte; c’est donc contre cette consequence pratique
que l’attaque est dirig~e: le vendeur invoque la nullit6 de ]a vente afin de
faire cesser la detention de l’acheteur et de recouvrer les avantages de ]a
possession de la chose.”7

Dans la conception de Japiot, le droit de critique est done un
dirig6 contre les effets > de l’acte et non pas contre l’acte juridique lui-
meme, qui n’est qu’une abstraction.

Parce que le droit de critique n’est que le moyen d’exercer le droit subjectif
qui a continu6 d’exister en drpit de la conclusion de l’acte nul, Japiot en con-
clut qu’il n’y a pas, du moins en principe, d’action en nullit6. En effet, puisque
ce droit subjectif existe toujours malgr6 la conclusion de l’acte invalide, on peut
l’exercer directement par l’action qui lui est propre sans qu’il soit nrcessaire de
faire prononcer la nullit6, celle-ci se produisant ipso jure dans la sphere du
droit’06. Prenons l’exemple d’une vente qui est invalide. Puisque la nullit6 opere
de plein droit, le vendeur>> est demeur6 titulaire du droit de propriet6 sur ]a
chose faisant l’objet du contrat. I1 peut done intenter directement une action en
revendication de la chose, sans avoir besoin de demander l’annulation de la
>, laquelle n’existe qu’en apparence 7.

” Ibid. aux pp. 295-96.
IC6

On ne pent pas parler d’une action vraiment distincte A faire valoir le droit de
critique, comme on parle d’une action en revendication tendant A faire valoir le
droit de proprit&6: car le droit de critique est d’une nature toute diffrente de celle
des droits ordinaires […] Le caract~re particulier du droit de critique explique et
impose la solution que nous soutenons ici. Son but 6tant essentiellement n6gaif,
[…] [on ne congoit pas] une action qui lui soit exclusivement propre. Ce droit ne
porte pas en lui-m~me la satisfaction d’un inter& pratique; si ‘on s’en prvaut en
justice, c’est en l’invoquant comme simple moyen et non pas pour lui-m~me, A
rappui d’un autre droit, droit de propridt6 ou droit de crdance, dont ]a satisfaction
seule a son importance (ibid. A lap. 403).

107 Japiot est cependant d’avis que, dans les situations exceptionnelles oii il n’y a pas d’autre
droit subjectif A exercer, le droit de critique peut 8tre exerc6 pour lui-m~me dans le cadre, cette
fois, d’une v~itable action en nullit6. Ainsi, I’action en nullit6 est possible dans le cas ofi il n’y a
encore eu aucune execution de l’acte et que l’on cherche agir de fagon prventive :

1995]

S. GAUDET – NULLIT_

C’est autour de ce droit de critique que Japiot 61abore une nouvelle th~orie
la fois la rigidit6 des classiques et la casuistique

des nullit~s, tentant d’6viter
de Drogoul.

Sur la question des titulaires du droit de critique (les sujets > de ce
droit), Japiot distingue pr s d’une dizaine de cat6gories qu’il regroupe autour
de deux prles : les nullitds sanctionnant les r~gles inspir~es par un motif
d’ordre particulier et celles inspir~es par un motif d’ordre g6n~ral o . Japiot pose
ensuite la question des < du droit de critique : le titulaire du droit
de critique peut-il l’invoquer erga omnes on seulement h 1’encontre de certaines
personnes ? I considre qu’en principe le droit de critique peut etre invoqu6
contre tous’O . Enfin, Japiot analyse la confirmation et la prescription extinctive
comme 6tant 1’extinction du droit de critique>. La premiere, qui est pour lui la
renonciation au droit de critique”, est en principe possible h l’encontre de toute
nullit6, mais elle est parfois exclue parce que l’ordre public s’oppose h ce que
l’on puisse se ddpouiller de son droit de critique”‘. La seconde produit son effet
extinctif pour toutes les cat6gories de nullit6s, mais les drlais varient en fonc-
tion des circonstances et du type d’action enjeun2.

Au chapitre prc~dent, nous avons vu le droit de critique rel6gu6 au second plan
[…] parce que le demandeur ne visait qu’une restitution particul~re, faisait valoir
principalement un autre droit […] Imci, il n’en est plus de m~me […] [L]e droit qui
s’exerce, celui que le demandeur veut faire consacrer c’est maintenant le droit de
critique lui-m~me (ibid. aux pp. 440-42).

10 Les premieres se subdivisent en 10 nullits purement personnelles (ouvertes a une seule per-
sonne h l’exclusion de ses ayants droits et cranciers) ; 2 nullit6s ouvertes A une seule personne
sans 8tre purement personnelles (ce serait le droit commun de la nullit6 relative) ; 3* nullits rela-
tives ouvertes A plusieurs personnes des titres diffdrents (par exemple, l’incapable ou son repr6-
sentant) ou au meme titre (un pr& l~sionnaire est contract6 par plusieurs personnes) ; et
40 les nullits relatives gdn~ralisdes (ouvertes A tous mais dans un but de protection d’intiats pu-
rement privs). Les nullits 6tablies dans l’intr&t g6nrral sont 10 les nullits d’intdr& social (ordre
public : ouvertes a tous, au juge et au minist~re public) ; 2 les nullits naturelles (drfaut absolu de
consentement, d’objet, de cause ; la nullit peut atre invoque par tous, sauf par le minist~re pu-
blic et le rrle du juge est fort limiti) ; 3’ les nullits d’intr& priv6 g6n~ral (ouvertes A tous sauf le
minist~re public et le juge) ; et 40 les nullits absolues A caract~re penal (ouvertes A tous sauf la
partie de mauvaise foi) (ibid. aux pp. 530-634.)

” Ibid. a lap. 635 et s.
“0 Ibid. la p. 711.
. Ibid. Alap. 748 ets.
… Ibid. la p. 814 et s. La question de la prescription est compliqude, dans la construction de
Japiot, par le fait qu’il nie g~n~ralement le caract~re autonome de l’action en nullit6 (voir ci-
dessus le texte correspondant
la note 106), aussi doit-il 6tudier la prescription pour diffdrents ty-
pes d’actions.

320

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 40

Le syst~me de Japiot est, comme il le souhaitait, d’une grande souplesse.
Mais il l’est au prix d’une certaine complexit6. Notamment, la distinction qu’il
pose entre le monde du droit et celui du fait complique grandement ]a question
de 1’6tat de l’acte”‘ et celle du mrcanisme de l’inefficacit6. Certes, Japiot tient
compte des apparences et cela est un progr~s inddniable par rapport a ]a th6orie
classique. Toutefois, en posant le principe que la nullit6 op~re ipso jure dans le
monde du droit –
Japiot demeure, paradoxalement, assez pros des classiques sur un point fonda-
mental : pour lui, tout comme pour ces demiers, l’apparence ne crre pas de
vdritables effets juridiques, d’oii le caract~re obscur et complexe de son sys-
t~me. C’estjustement a ce niveau qu’intervient Gaudemet.

ce qui le pousse h nier l’autonomie de l’action en nullit6 –

En 1937, dans sa Thgorie gendrale des obligations”4, Gaudemet reprend
l’idte essentielle de Japiot : la throrie des nullitrs doit d6laisser la conception
<> et se tourner vers le <. Mais Gaudemet simplifie
la construction de Japiot. 5 en r6introduisant l’idre de l’6tat de l’acte.

Tout d’abord, pour Gaudemet, le droit de critique n’est pas dirige ,t

l’encontre des <> de l’acte, mais plutrt a l’encontre de l’acte lui-
meme : <> [nos italiques]” 6. Deuxi~mement, Gaudemet,
contrairement A Japiot, affirme l’autonomie de ‘action en nullit6 en toute hypo-
th~se”7. Selon Gaudemet, cette action en nullit6 est n6cessaire d6s qu’il y a ap-
parence :

[Non seulement cette action] est ndcessaire au cas de vice de consentement
et d’incapacit6, mais aussi dans tous les cas de nullit6 absolue au sens
classique, oii il y a au moins une apparence d’acte a andantir”‘.

Ces changements, qui peuvent paraitre anodins, sont au contraire tr6s im-
portants. Dans la conception de Japiot, le droit de critique vise a rendre la si-
tuation factuelle <> conforme h ]a situation juridique <>,

.Ainsi, puisque la nullit6 op6re de plein droit dans le monde du droit, tout contrat entach6 de
nullit6 n’est qu’une pure apparence. Si ce syst~me peut A ]a rigueur 8tre acceptable en matire de
nullit6 absolue, iI nous semble incompatible avec ]a nature m~me de la nullit6 relative : on ne peut
pas dire que l’acte vici6 par la crainte ou la 16sion n’existe qu’en apparence !
“4 E. Gaudemet, Thorie ginirale des obligations, 2! 6d., Paris, Sirey, 1965.
” <> (ibid. A lap. 147).

116 Ibid.
17Ibid. a lap. 150.
“‘Ibid.

19951

S. GAUDET- NULLITt

laquelle survient en principe de plein droit. Dans la th6orie de Gaudemet, le
l’an~antissement
droit de critique fonde l’action en nullit6, laquelle <> [nos italiques]’19. Autrement dit, pour
Gaudemet, dhs lors qu’il y a apparence de validit6, l’acte existe et ilproduit des
effetsjuridiques tant et aussi longtemps qu’il n’a pas &9 annulg :

Si l’action en nullit6 est n~cessaire, –
jorit6 des cas, –
fete20.

c’est A dire dans la tr~s grande ma-
l’acte a une existence an moins apparente. II a produit ef-

Dans cette conception, il n’y a plus, comme chez Japiot, un acte inefficace
en droit qui <> des effets juridiques ; il y a plus simplement un acte ef-fi-
cace en droit parce qu’apparemment valide. Cette efficacit6 est certes prrcaire,
mais elle subsiste tant que le contrat n’est pas annulM. Avec Gaudemet,
l’apparence crre de vrritables effets juridiques. On en revient ainsi A l’idem
est esse et apparere>> des romanistes

121

Le m~canisme de la nullit6 est d~s lors simplifi6: d~s qu’il y a apparence
de validit6, il est n6cessaire d’exercer l’action en nullit6 et le juge, en ac-
cueillant celle-ci, prononcera la nullit6 ce qui entrainera l’an6antissement r6tro-
actif d’un acte qui jusque IA existait’2. Par voie de consequence, la nature du
droit de critique se simplifie. Celui-ci se rapproche d’un droit subjectif ordi-
naire, d’un simple droit d’option : le contrat existe, mais le titulaire du droit de
critique peut choisir d’en demander l’anrantissement en justice. Alors que l’6tat
du contrat invalide 6tait plut6t n6buleux chez Japiot” 3, cet 6tat en est tout sim-
plement un d’annulabilitg dans la conception de Gaudemet : le contrat invalide
mais apparemment valide existe juridiquement, mais cette existence est pr6-
caire.

Cette analyse est le fondement de la conception frangaise contemporaine en

mati~re de nulit~s.

19 Ibid.
20 Ibid. Map. 161.
121 Voir ci-dessus la partie IA.3.b.
‘ Gaudemet, supra note 114 h lap. 161.
” Voir supra note 113. Voir aussi les commentaires de P. Kayser, <>

(1933) 32 Rev. trim. dr. civ. 1115

lap. 1122.

322

McGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

(Vol. 40

c.

E adoption de la theorie du droit de critique en droit
contemporainfrangais

Les auteurs frangais contemporains sont tout d’abord unanimes

rejeter
l’inexistence des classiques, et ce rejet est, tout comme dans la doctrine de
Gaudemet, essentiellement fond6 sur le respect da aux apparences : quelle que
soit l’importance de l’616ment du contrat qui fait d6faut, les d6clarations de
volont6 ont fait naitre une apparence qui dolt &re d6truite>> 4. Ensuite, les au-
teurs sont g6n&alement d’accord pour dire avec Gaudemet que, d’une part, le
droit de critique s’exerce A 1’encontre de
‘acte et que, d’autre part, cet acte
produit des effets juridiques tant et aussi longtemps qu’il n’est pas annul& ‘ .
Autrement dit, l’acte invalide n’est toujours qu’annulable (du moins d~s qu’il y
a apparence de validit6) et ce, peu importe la gravit6 du vice qui I’affecte.
L’annulabilit6 devient ainsi la sanction privil6gi~e de l’invalidit6 dans le droit
frangais modeme.

Si 1’expression <>, cela ne doit pas
tromper. Tout d’abord, en un sens, la nullitg est 1’6tat de I’acte annulable>>
aprs son annulation. Puisque cet 6tat est l’aboutissement normal (quoique non
n6cessaire) de l’annulabilit6, il ne faut pas se surprendre que
‘on continue h
parler de onullit6& malgr6 l’adoption du concept de l’annulabilit6. En outre, le
rejet de la conception <> a eu pour cons6quence que la doctrine
contemporaine a n6glig6 la question de I’6tat de 1’acte 26, ce qui a rendu difficile
la perception de l’annulabilit6, qui est justement un 6tat de l’acte. I1 n’y a gu~re
que Dupeyron qui ait fait remarquer que <> dans C. Dupeyron, La rigularisation des actes nils, Paris, Li-

brairie g6n~rale de droit et de jurisprudence, 1973.

1995]

S. GAUDET- NULLITE

323

‘6tat de l’acte n’existe pas.>’ 27 Autrement
n’est pas un 6tat d’inexistence que
dit, on doit tenir compte de l’6tat objectif de l’acte, m~me si cet 6tat n’est pas
un 6tat d’inexistence, et, dans la conception contemporaine, l’acte est ab initio
dans un 6tat d’annulabilit6, meme si on n’uilise que rarement cette expression.

Ainsi, par exemple, pour Guelfucci-Thibierge, auteure d’une th~se r6cente
en mati~re de nullit6s, la nullit6, n’est pas <1’2 . En d’autres termes, la nullit6 de
Guelfucci-Thibierge est une oannulabilit6 :

Want que la nullit6 n’en est pas prononc~e, l’acte demeure valable. I1 est
seulement entach6 d’une cause de nullit6. Celle-ci ne s’apparente pas A un
6tat de l’acte mais simplement A un vice qui permettrait d’en obtenir
I’annulation. Cela explique que le contrat entach6 d’une cause de nu1it6
mais non annul6 soit susceptible, dans certains cas, de produire tous les ef-
fets attaches L un acte valable’ 29.

En ce qui a trait au r6gime juridique du droit de critique, la doctrine fran-
gaise contemporaine a rejet6 les nombreuses sous-cat6gories que proposait Ja-
piot130, ne conservant que la distinction relative L la protection de l’intr t g6n6-
ral et des int6r&ts particuliers, r6tablissant d’ailleurs pour ce faire la terminolo-
gie traditionnelle. Ainsi, lorsque le contrat viole une r~gle 6dict6e qui s’impose
pour la protection de l’int&t g6n6ral, il y a <>, mais lorsqu’il est
contraire h une norme 6tablie dans le but de prot6ger des int6r&ts priv~s, il y a
<>33. En cas de < dans Travaux de l’association Henri
Capitant des amis de la culture juridiquefrangaise, Paris, Dalloz, 1965, 521 ; F Durry, Rapport
sur l’inexistence, Ia nullit6 et l’annulabilit6 des actes juridiques en droit civil franqais > dans Tra-
vaux de l’association Henri Capitant des amis de la culture juridique frangaise, Paris, Dalloz,
1965,611.

324

MCGILL LAW JOURNAL I REVUE DE DRO1TDE MCGILL

[Vol. 40

confirm6, du moins en principe12. Au contraire, si la r~gle de formation viol~e
ne vise qu’h prot6ger un int6r& particulier, seule la personne ainsi prot6g6e sera
investie du droit de critique et la confirmation de l’acte sera possible’. La
prescription du droit de critique est toutefois possible dans l’un et l’autre cas,
mais le d6lai variera, 6tant en principe plus long en matire de nullit6 absolue’34.

Cependant, il importe de souligner que l’opposition nullit6 absolue/nullit6
relative>> n’a aucun impact au niveau du m6canisme de l’inefficacit6 qui de-
meure toujours celui de
‘annulabilit6 : l’acte, meme nul de nullit6 absolue
n’est toujours qu’annulable. Cette constatation fondamentale est confi’m6e par
‘analyse du rdgime juridique de la nulit6 absolue >. Si tout int6ress6 peut in-
voquer la nullit6 et si la confirmation est exclue, ce n’est pas, comme disait
Dunod de Chamage, parce que la loi s’oppose ab initio h ce que l’acte produise
des effets juridiques, mais plut6t parce qu’il faut multiplier les chances
d’annuler cet acte qui produit ses effets en violation d’ une regle d’intdrt ggng-
ral35. En droit frangais contemporain, et contrairement A ce qui 6tait le cas sous
l’Ancien droit, la nullit6 absolue n’est pas une inefficacit6 radicale mais plut6t,
Sl’instar de la nullit6 relative, une simple annulabilit6.

La distinction de l’Ancien droit entre la nullit6 absolue et la nullit6 re-
lative est donc reprise en droit contemporain mais non sans 8tre profond6ment
transform6e : alors qu’elle opposait auparavant l’inefficacit6 radicale A
l’annulabilit6, elle ne sert plus d6sormais qu’A distinguer deux cat6gories
d’annulabiliti. L’annulabilit6, de sanction exceptionnelle qu’elle 6tait dans la
conception traditionnelle et dans la th6orie classique, devient ainsi, en droit
frangais contemporain, la sanction de principe de l’invalidit6.

C. Droit quibicois

Le droit qu6b6cois connaitra une 6volution semblable A celle du droit fran-
gais, mais l’intervention du l6gislateur aura toutefois 6t6 n6cessaire pour 6carter
la th6orie classique, celle-ci 6tant bien implantfe en jurisprudence.

Au moment de la codification des lois civiles du Bas-Canada, en 1866, la

“2 Voir G. Couturier, De la confirmation des actes nuls, Paris, Librairie g6n6ale de droit et de

jurisprudence, 1972 ; Ghestin, ibid. aund 840 et s.
’33Voir supra les autorits cit6es A ]a note 124.
‘uVoir supra les autorits cities
la note 124.
‘a’ Flour et Aubert, supra note 124 au n’ 328 ; Ghestin, supra note 82 au n’ 745 ; Couturier, sit-

pra note 132 au n 302 et s.

1995]

S. GAUDET – NULLTt

th6orie classique est h son z6nith en France. Celle-ci sera rapidement adoptde
par la doctrine et la jurisprudence qu6b~coises (I.C.1). Cet accueil favorable au-
ra pour cons6quence d’amortir l’impact de la th6orie du droit de critique au
Qu6bec : celle-ci, depuis le milieu du XXV si~cle, accroft de plus en plus son
influence, mais elle ne pourra 6vincer totalement la th6orie classique (I.C.2). La
confusion qui d6coulera de cette coexistence ne prendra fin qu’avec l’adoption
du Code civil du Quebec, qui 6carte la th~orie classique (I.C.3).

1.

Adoption de la th6orie classique

D6jA dans le droit qu6b6cois d’avant la codification, Des Rivi~res Beau-
bien 36 s’alignait sur Pothier : l’acte rescindable existe juridiquement tant qu’il
n’est pas annul6, ce qui ne semble pas etre le cas de l’acte nul, auquel il man-
que un 616ment essentiel’37. La codification du droit civil qu6b6cois ne changera
pas cette conception. A l’instar du Code civil des Frangais, le Code civil du
Bas-Canada maintient la distinction entre les actes <> et les actes annula-
bles (ou rescindables)”‘ et malgr6 les r6serves qu’ont exprim6es les codifica-
teurs a l’endroit de certains aspects de la th6orie classique”3 9, le droit qu6b6cois
adopte rapidement, pour distinguer la <>, Des Rivi~res Beaubien in-
dique que dans les premiers cas, il y a lieu
la rescision de la convention (ibid. aux pp. 181-82),
alors que dans les autres situations le contrat est > (ibid. aux pp. 180, 182-83). II reprend
aussi l’id6e de Pothier selon laquelle tout contrat doit contenir certains 6l6ments essentiels en
l’absence desquels <> (ibid. t
lap. 178).

‘ Voir art. 1000 C.c.B.-C.
3

Les Commissaires ont vitM comme des subtilit~s inutiles les questions tant con-
troverses par les glossateurs, si un consentement surpris par le dol ou obtenu par
la contrainte 6tait rellement un consentement, et si ‘erreur, la fraude et la violence
vicient le contrat directement parce qu’ils d~truisent le consentement, ou indirec-
tement parce qu’il serait contre les bonnes moeurs de soutenir un contrat fait sous
leur influence. Ces questions, de meme que la question analogue, si 1’effet de ces
vices est d’empcher que le contrat n’ait lieu, ou seulement de le rendre mauvais,
n’ont aucune cons&tuence pratique (Code civil du Bas-Canada: Premier rapport,
Qu6bec, Desbarats, 1865 h lap. 11).

326

McGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE McGILL

[Vol. 40

sa terminologie” . Distinguant nullit6 et
classique, sans toutefois souscrire
annulabilit6 41 , ce dernier consid6re que les contrats sont nuls 10 >4
1 ; 20 > ; et 30 > ; mais ils ne sont qu’annulables en cas de vices de consentement ou
d’incapacit643. A sa suite'”, Langelier 4s, Routhier146, Trudel 47, Faribault’48 et L.
Baudouin 49 reprennent l’analyse classique ; ils seront d’autant plus justifi6s de
le faire que la jurisprudence qu6b6coise l’adopte 6galement.

’40 P.-B. Mignault, Droit civil canadien, t. 5, Montr6al, Thorat, 1901 a la p. 232 et s. Tout en
notant l’usage en France de 1’expression <>, Mignault pr6fre conserver la termino-
logie consacr~e par la jurisprudence qu6b6coise et il oppose le < au <> (ibid. A la note 1 de lap. 235). I1 est, selon nous, inexact de conclure de son choix de vocabu-
laire que Mignault rejette le concept de l’inexistence (P.-G. Jobin, (1974) 15 C. de D. 173
la p. 174) [ci-apr~s <>]. Mignault
adopte clairement les concepts de la th~orie classique m~me s’il conserve ]a terminologie tradi-
tionnelle (voir infra note 141).

1′

Nullit6 est le mot dont on se sert pour exprimer l’inexistence d’un contrat qui a
par se former, mais qui, en r~alit6, n’existe point […].
Les contrats annulables sont
ceux qui, bien qu’ils r~unissent tous les 6l6ments essentiels A leur formation, sont
entach~s d’une imperfection assez grave pour en autoriser ‘annulation lorsqu’elle
est demand~e, mais qui, provisoirement, ne les empOche pas de valoir (Mignault,
ibid. aux pp. 235-36).

Mignault reprend les solutions classiques : le contrat nul n’ayant aucune existence, 10 toute per-
sonne int~ress~e peut soulever la nullit6 ; 2’ point n’est besoin d’en demander l’annulation ; et
30 ni personne ni le temps ne peut couvrir la nullit6. Les solutions inverses pr6valent en cas d’acte
annulable, lequel existe tant qu’il n’est pas annulM (ibid. aux pp. 237-38).

“42 C’est le cas s’il y a d~faut absolu de consentement (erreur-obstacle, inaptitude A consentir);
d~faut d’objet, d~faut de cause (ibid. aux pp. 235-36). Mignault souligne que les codificateurs ont
manqu6 d’exactitude en disant a rarticle 1000 C.c.B.-C que 1’erreur n’est pas une cause de
nullit6 : 1’erreur-obstacle est, selon lui, une cause de nullit6 car le consentement fait alors absolu-
ment d6faut (ibid. aux pp. 212,236-37).

, Ibid. aux pp. 2 36-37 .
“‘Mentionnons toutefois qu’avant Mignault, un avocat de Qu6bec avait publi6 un ouvrage
dans lequel il reprenait la th~orie classique (N.N. Olivier, De la nullit6 des contrats, Qu6bec, J.
Dussault, 1889 aux n7 1-47).

4

‘ R Langelier, Cours de droit civil, t. 3, Montr6aIl, Wilson et Lafleur, 1905 aux pp. 369-95 et t.
lap. 72.
146 A. Routhier, Des causes de nullitg des contrats, Quebec, Charrier et Dugal, 1942.
14 F. Trudel, Traitg de droit civil du Quebec, t. 7, Montr6al, Wilson et Lafleur, 1946 aux pp. 48-

49, 64,66-67,70-77, 96-101, 142, 152, 162-63,210-26.

14′ L. Faribault, Traitg de droit civil du Quibec, t. 8bis, Montr6al, Wilson et Lafleur, 1959 au d

420.

14’ L. Baudouin, Le droit civil de la Province de Quebec, Montrdal, Wilson et Lafleur, 1953 aux

pp. 673-74.

1995]

S. GAUDET – NULLTt

En effet, d’une part, celle-ci distingue nettement la < (aussi appel6e
>) de l’annulabilit6 (g6nralement appel6e <>) 0 .
R6sumant les principes d’une jurisprudence d6jA bien 6tablie, le juge Tasche-
reau, dans l’affaire Rosconi c. Dubois’, 6crit :

Les caract res de la nullit6 absolue sont bien connus. Cette nullit6 est
imm&liate, c’est- -dire qu’elle frappe l’acte aussit6t qu’il est fait. […] Au
contraire, […] les vices de consentement comme la violence, l’erreur, le dol
et l’incapacit6 de l’un des auteurs de ‘acte, sont les principales causes qui
rendent un acte annulable. Dans ce cas, la nullit6 n’est pas imm&liate,
c’est-A-dire qu’elle produit ses effets tant que n’est pas rendue la sentence
du juge 52.

D’autre part, lajurisprudence qu6b~coise utilise le crit~re des conditions es-
sentielles pour fixer les domaines de la nullit6 et de l’annulabilit6. Ainsi, on
consid~re qu’en cas de d~faut absolu de consentement, il y a nullit6 plut6t
qu’annulabilit6 53. En cas d’erreur sur la nature du contrat, malgr6 la lettre du
Code civil du Bas-Canada’54, la jurisprudence opte pour la nullit& car, le con-
sentement faisant absolument d~faut, on consid~re qu’il manque un 16ment es-
sentiel au contrat 55. II en est de meme en cas d’erreur sur l’identit6 de l’objet 56.
En outre, on consid~re g6n6ralement que l’<> (c’est-4-dire,
l’inaptitude h consentir) doit etre sanctionn6e par la nullit6 plut6t que

‘acte > n’a pas

absolue>> &quivaut A l’inexistence des classiques frangais : notamment,
‘5’ La >.

“‘ Voir C6tg c. Stadacona Insurance Co. (1881), 6 R.C.S. 193, 6 Q.L.R. 147, M. le juge Four-

nier.

‘” Voir art. 992, 1000 C.c.B.-C et les commentaires des codificateurs, supra note 139.
. Voir Lecavalier c. Lecavalier (1923), 29 R.L. (N.S.) 378 (B.R.) ; Rawleigh Co. c. Latra-
verse (1924), 36 B.R. 334; WT. Rawleigh Co. c. Dumoulin, [1926] R.C.S. 551 A lap. 557, [1926]
4 D.L.R. 141.

“‘ Montreal Investment & Realty Co. c. Sarault (1918), 57 R.C.S. 464, 44 D.L.R. 530, M. le
juge Fitzpatrick ; FortJ c. Security Trust Ltd. (1914), 46 C.S. 201. Par contre, dans l’affaire Rose
c. Pinsonneault (1927), 65 C.S. 287, le juge De Lorimier, se disant tenu par le texte de l’article
1000 C.c.B.-C, consid~re qu’une erreur in negotio doit atre sanctionn6e par ‘annulabilit6.

328

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 40

1’annulabilit6’57, mais cette question demeure controvers6e, probablement Ai
cause des h6sitations de Mignault ce sujet”‘.

Jusqu’A un pass6, somme toute, r6cent, jurisprudence et doctrine qu6b6coi-
ses appliquaient la th6orie classique des nullit6s telle qu’elle avait 6t6 6labor6e
par la doctrine frangaise du XIX si~cle et on ne trouvait gu~re, en droit qu6b6-
cois, de traces de la th6orie du droit de critique.

2.

La coexistence de la th6orie classique et de la thorie du droit
de critique

Cependant, A compter du milieu du XX sicle, l’on commence A sentir une
certaine pr6sence de la th6orie du droit de critique’59. Celle-ci accroit peu A peu
son influence et la doctrine qu6b6coise r6cente professe, depuis une vingtaine
d’annes, les principes fondamentaux de cette th6orie.

Premi~rement, on rejette la notion d’inexistence ou de nullit6 ab initio : la
nullit6, qu’elle soit absolue ou relative, doit atre prononc6e en justice 6tant
donn6 le respect dfi aux apparences IW. Deuxi~mement, les auteurs qu6b6cois
enseignent, du moins en principe, que le crit~re de distinction entre la < (1957) R.J.T. 230.

“‘ Mignault, supra note 140, t. 5 A lap. 195. opte pour l’annulabilit6, mais, ibid. A Ia page 235,
il cite, sans les d6sapprouver, des passages oil Mourlon indique qu’il s’agit li d’un cas de nullit6.
Quoiqu’il en soit, certaines d6cisions, se fondant sur le premier passage, clairement 6crit par Mi-
gnault lui-meme, privil6gient l’annulabilit6 sur la nullit6 (voir Nonnandin c. Nadon, [1945] R.L.
361 (C.S.) ; Rosconi c. Dubois, supra note 150 h lap. 578, M. le juge Taschereau). Dans l’arr&
Martel c. Martel, [1967] B.R. 805 [ci-apr~s Martel], la Cour du Banc de la Reine, appliquant le
crit~re de l’int&rt prot6g6, se prononce en faveur de ]a .

‘9 En 1950, est publi6 A Montreal un ouvrage sur les nullits (F.C. Cancino, La nullitg des actes
juridiques, Montr6al, Wilson et Lafleur, 1950) qui s’inspire de la conception qui se d6veloppe en
France depuis le d6but du sikcle. Selon l’auteur, toute nullit6 doit 8tre d~cIar6e par jugement ; tant
que cette declaration n’est pas faite, l’acte doit 8tre consid6r6 comme valable (ibid. aux n’ 55-59)
et le crit~re de distinction de ]a nullit6 absolue et de la nullit6 relative n’est pas l’absence versus le
vice des conditions de formation du contrat mais plut6t celui de l’int&rt prot6g6 (ibid. au n’ 77).
En outre, dans un texte publi6 aux Cahiers de Droit, le crit&e de l’int~r& prot6g6 est mis en va-
leur (M. C6t6, < (1956) 2 C. de D. 104).

,60 J.-L. Baudouin, Les obligations, 3′ 6d., Cowansville (Quebec), Yvon Blais, 1989 au n’ 306;
J. Pineau et D. Burman, Thiforie des obligations, 2′ 6d., Montr6al, Thmis, 1988 au n’ 136 ; M.
Tancelin, Des obligations: Contrat et responsabiliti, 4′ 6d., Montreal, Wilson et Lafleur, 1988 au
n 191 ; A. Larouche, Les obligations: Thgorie g~n~rale des contrats; Quasi-contrats, Ottawa,
elditions de ‘Universit6 d’Ottawa, 1982 au n 169.

19951

S. GAUDET – NULLITT

absolue>> et la <> est celui de l’int6r& proteg 6 1 . Cependant, la
th6orie classique n’est pas pour autant totalement 6cart6e.

En effet, notamment en raison de la place pr6pond6rante occup6e par les
pr6c6dents jurisprudentiels dans la hi6rarchie des sources du droit qu6b6cois 62,
les d6cisions des tribunaux adoptant la th6orie classique ne peuvent 6tre facile-
ment 6cart~es. Coinc6 entre la conception frangaise contemporaine fond6e sur
la th6orie du droit de critique, et la jurisprudence qu6b6coise encore centr6e sur
la th~orie classique 63, le droit qu6b6cois des nullit6s devient confus’ 6 .

Ainsi J.-L. Baudouin consid~re que l’absence totale de consentement de-
vrait 8tre sanctionn6e par la <> car il manque alors un 616ment
essentiel A l’acte juridique et ce, que ce d6faut de consentement dcoule d’une
m6sentente (erreur-obstacle) 65 ou de l’inaptitude t consentir’6. De meme, son
analyse de la sanction des vices affectant l’objet ou la cause objective est for-
tement teint~e par la th6orie classique 6 . Par contre, c’est le crit~re de l’int6r&
prot6g6 qu’il utilise pour d6terminer les dornaines respectifs de la nullit6 abso-
lue et de la nullit6 relative en mati~re de capacit6, de vices de consentement et

6′ Baudouin, ibid. au n 305 ; Larouche, ibid. au n 168 ; Tancelin, ibid. au n 193.
“2 Les influences r~ciproques de la jurisprudence et de la doctrine sont fort diffrentes au Qu6-

bec de ce qu’elles peuvent 8tre en France, ott la doctrine est nettement moins asservie aux solu-
tions jurisprudentielles. Cela tient a de nombreux facteurs, dont, notamment, l’organisation de
notre syst~me judiciaire. On peut consulter t ce propos S. Gaudet, > dans PA. C6t, dir., Journdes Maximilien-Caron: Le nouveau code civil: Inteprdta-
tion et application, 1992, MontrSa, Th6mis, 1992,223).

” Les d6cisions suivantes, toutes post&ieures a 1960, appliquent la conception classique : For-
tin c. Studio E.B. C6td Inc., [1960] C.S. 86 ; Lussier c. Courvoisier Chimney Contractors Inc.
(1961), [1962] C.S. 561 ; H~tel commercial de Bagotville Inc. c. Boily (1965), (1970) 11 C. de D.
815 (C.S.) ; Agricultural Chemicals Ltd c. Boisjoli (1971), [1972] R.C.S. 278 [ci-aprtts Boisjoli] ;
JJ. Joubert Ltife c. Lapierre (1971), [1972] C.S. 476 ; Rdnovations de l’Est Inc. c. Messier,
[1972] R.L. 582 (C.P.) [ci-apr s Messier] ; Hibert c. Borduas, [1975] C.S. 439 ; Ga-gnon c.
Faifay Corp. Ltd. (1977), [19781 C.P. 158 ; Service de musique Trans-Canada Inc. c. Davis,
[1979] C.S. 211 ; Bellerive c. Deblois, [1981] C.P. 312 ; Banque f~drale de diveloppement c.
Courtiers Louis Tardif Inc. (1988), 6 R.D.J. 654, 21 Q.A.C. 211 (C.A.) ; Clermont c. Parent,
[1986] R.J.Q. 513 (C.P.) ; 1861-7266 Qudbec Inc. c. Banque Nationale du Canada (24 octobre
1984), Saint-Frangois 480-05-000021-835, J.E. 84-1005 (C.S.) ; J.A. Thibault Inc. c. Maritime,
cie d’assurance-vie (18 janvier 1990), Saint-Frangois 450-05-000167-870, 450-05-000042-883,
J.E. 90-544 (C.S.), port6 en appel Montrdal 500-09-000348-904, 500-09-000349-902 (C.A.) ;
Constructions D. Tardif et Fils Inc. c. Luvicom Inc. (18 mars 1991), Quebec 200-05-001896-880,
J.E. 91-717 (C.S.).

64 Comparer Martel, supra note 158 h Boisjoli, ibid.
,6
5 Baudouin, supra note 160 aux n 129-31, 328.
6 Ibid. aux n7 261 et 328. Voir aussi P.-G. Jobin, < (1966-67) 8 C.
‘6
6 Baudouin, ibid. aux n 331-32.

de D. 225.

330

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 40

de cause subjective6 ‘. Pineau et Burman, se sentant li6s par la jurisprudence,
adoptent g6n6ralement les m~mes solutions meme s’il ressort de leurs commen-
taires qu’ils n’endossent pas le raisonnement de la th6orie classique’69. Tancelin
et Perret condamnent encore plus ouvertement 1’analyse classique, mais recon-
naissent que celle-ci est bien vivante en droit qub6cois70 , ce que confirme Jo-
bin dans ses commentaires 7
1 sur l’affaire Boisjoli72 . Signe encore plus r6v6la-
teur, la coexistence des th6ories classique et contemporaine des nullit6s se re-
trouve dans certains projets de loi. L’Avant-Projet de loi portant re-forme ait
droit des obligations de 1987173et le Projet de Loi 125 de 1991174 utilisent 4t la
fois le crit~re de l’int6r& prot6g6 et celui des conditions essentielles pour d6-
terminer les domaines respectifs de la nullit6 absolue et de la nullit6 relative.

Cette coexistence des th6ories classique et contemporaine des nullit6s n’est
pas sans inconv6nients. Il devient notamment difficile de cemer la nature
exacte de la > et, par voie de cons6quence, le domaine pr6cis de
l’annulabilit6 par rapport A celui de l’inefficacit6 radicale. En effet, selon la
th~orie classique, il y a > lorsqu’il manque un 6l6ment essentiel
A la formation de l’acte. En toute logique cette inefficacit6 est radicale puisque
l’acte n’a pas pu se former. Par contre, comme on ‘a vu, si on adopte la th~orie
contemporaine du droit de critique, la > n’est qu’une simple
annulabilit6. Ainsi, selon la conception que l’on adopte, la >
participe, soit de l’inefficacit6 radicale, soit de l’annulabilit6. Si on h~site entre
ces deux conceptions ou encore si on les fait coexister, la notion de > devient 6quivoque.

” Ibid. aux n 329-32.
’69 Pineau et Burman, supra note 160 aux n’ 131-34.
“7′ Tancelin, supra note 160 au n 187.1 et s. ; L. Perret, Une philosophie nouvelle des con-
trats>> (1980) 11 R.G.D. 537 aux pp. 574-75. Voir aussi ci-dessus ]a jurisprudence citde A ]a
note 163.

. >, supra note 140.

‘ Supra note 163.
‘”Avant-projet de loi, Loi portant rdforme all Code civil du Quibec d droit des obligations, 1′
sess., 33’ 16g., Qu6bec, 1987. Les articles 1460 et 1462 de cet avant-projet reprennent le crit~re de
l’int6r& prot6g6, mais le paragraphe 1442(2) maintient l’analyse classique : .

,EL. 125, Code civil du Quibec, 1′ sess., 34! 16g., Qudbec, 1990, art. 1413 : [nos italiques].

19951

S. GAUDET – NuLLnTA

Le coup de barre donn6 par le 16gislateur qudb6cois dans le Code civil du
Quebec en faveur de la th~orie du droit de critique a permis de clarifier la si-
tuation” .

3.

Code civil du Quebec

Le Code civil du Qudbec codifie, pour l’essentiel, la th6orie conternporaine

des nullits 176.

Rejetant en principe l’inefficacit6 radicale (la nullit& selon la terminolo-
gie de Mignault), le nouveau Code civil adopte plut6t l’annulabilit6 comme
sanction de principe de l’invalidit6 du contrat. Cela ressort clairement des arti-
cles 1416 et 1422 C.c.Q. :

1416. Tout contrat qui n’est pas conforme aux conditions n6cessaires h sa
formation peut etrefrappg de nullitg.

1422. Le contrat frapp6 de nulit6 est r6puti n’avoirjamais existM [nos ita-
liques].

Ces articles ggn6raux, qui s’appliquent que la <> dans la version anglaise) signifie, selon
nous, que 1’acte invalide tout en 6tant susceptible d’etre ainsi frapp6 ne le sera
pas ndcessairement : il faudra que quelqu’un (un citoyen, ou m~me en cas
d’annulabilit6 absolue, le tribunal) en provoque l’annulation 77. En outre, lors-
qu’il sera ainsi >, elle ne survient que si

“‘ Le lgislateur est ainsi revenu

la conception que proposait l’O.R.C.C. (Quebec, Office de

revision du Code civil, Rapport sur le Code civil da Quebec: Projet de Code civil, vol. 1, Qu6bec,
Editeur officiel, 1978, livre 5, art. 47 et s.).

176 j. Pineau, <> dans Barreau du Qubec et Chambre des notaires du

Quebec, dir., La Riforme du Code civil, t. 2, Sainte-Foy (Quebec), Presses de l’Universit6 Laval,
1993, 9 au n 64 et s. ; M. Tancelin, Uactejuridique ldgitime, vol. 2, Montral, Wilson et Lafleur,
1993 au n 193 ; J.-L. Baudouin, Les obligations, 4! 6d., Cowansville (Quebec), Yvon Blais, 1993
au n 367 et s.

” Tancelin, ibid., semble croire que les termes < donnent une lati-
tude au juge d’accorder ou non la nullit6 selon son appreciation. A notre avis, cette interprtation
doit 6tre rejet e : si les conditions n~cessaires pour ouvrir le droit de critique existent et que ce
droit est exerc6, le juge doit prononcer la nullit6, sauf dans les cas exceptionnels oii la loi lui con-
fere une marge d’apprciation. Le fait que le contrat n’est pas n6cessairement frapp6 de nullit6
s’explique donc, selon nous, non pas par une discretion laiss e au magistrat, mais plut6t par le fait
qu’il peut arriver que personne ne critique un contrat donn6.

332

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 40

1’annulation est prononce 178. Ainsi, quelle que soit la cause de nullit6 qui
l’affecte, le contrat existe et produit des effets juridiques tant et aussi longtemps
qu’il n’est pas frapp6 de nullit& , ce qui ne surviendra pas n6cessairement.

Un autre signe de l’adoption de la conception moderne : c’est le respect dG
aux apparences qui est invoqu6 pour justifier ‘annulabilit6 comme sanction de
principe de l’invalidit6. Comme l’6crit Pineau :

On retrouve dans le Code civil du Quibec la division bipartite qui consiste
distinguer la nullit6 absolue et la nullit6 relative, mais une 6tude plus ap-
profondie qu’on ne peut le faire ici d6montrerait probablement que l’on
s’61oigne quelque peu de la throrie de l’inexistence ou, en d’autres mots,
qu’un acte nul de nullit6 absolue n’est plus cet acte inexistant qui rendrait
l’action en justice inutile. D’ailleurs, […] Ile r01e du juge est inevitable
quele que soit ]a gravit6 du dtfaut dont le contrat est affect6, puisque, en
presence d’une apparence d’acte, le juge doit drtruire ce contrat appa-
rent’79.

La sanction du principe de l’invalidit6 est donc d’assujettir l’acte i un droit
de critique dont l’exercice entrainera son annulation. Si le r6gime juridique de
ce droit de critique variera selon que
‘on est en pr6sence d’une > ou d’une nullit6 relative>> (titulaires du droit de critique, possibilit6 de
confirmation), cette distinction n’a cependant aucun impact au niveau du m6-
canisme de l’inefficacit6.

Enfin, c’est le crit6re de l’int~r& protrg6 qui est utilis6 pour distinguer

l’annulabilit6 absolue de l’annulabilit6 relative 0 :

171 Cette analyse nous semble d’ailleurs confirmde par l’article 7 de ]a Loi sur l’application de
la reforme du Code civil, L.Q. 1992, c. 57, oix le 16gislateur mentionne que les actes entachrs de
nullit6 pour un motif que ]a loi nouvelle ne reconnalt plus ne pourront plus 8tre annulds apr~s
I’entrl en vigueur de la loi nouvelle. Or, il nous semble que si on analyse la *nullit&> comme
n’6tant que la consequence de l’annulation et non pas un 6tat objectif de l’acte pr~existant i celle-
ci, emp.cher l’annulation d’un contrat lorsque le vice l’affectant n’est plus reconnu par la loi
nouvelle respecte A Ia fois le principe de l’effet imm~diat de la loi nouvelle et celui de Ia non-
r~troactivit6 de celle-ci (ibid., art. 2). L’effet immdiat de Ia loi nouvelle emp~che d6sormais
l’annulation et i n’y a pas 14 de rdtroactivit6 6tant donn6 que cette annulation est un fait postrieur
A l’entr~e en vigueur de la loi nouvelle. Voir cependant l’analyse diffirente de P A. C6t6 et D. Ju-
tras, > dans Barreau du Qubec et Chambre des notaires du Quebec, dir., La
Rfforme du Code civil, t. 3, Sainte-Foy (Quebec), Presses de l’Universit6 Laval, 1993, 935 au n’
127 et s.

‘” Pineau, supra note 176 au n’ 67.
… Le Code parle de onullit

relative et de nullit6 absolue,>, mais on devrait plutOt parler
d’annulabilit6 absolue>> et d’annulabilit6 relative>> : la nullit6, qui est Ia consequence de
‘annulation, produit toujours les m~mes effets. Ce qui est relatif& on “absolu>>, c’est le droit de
critique, pas Ia nullit6, laquelle est le r6sultat de son exercice.

1995]

S. GAUDET – NULLITA

1417. La nullit6 d’un contrat est absolue lorsque la condition de formation
qu’elle sanctionne s’impose pour la protection de l’intdr& g6n6ral.

1419. La nullit6 d’un contrat est relative lorsque la condition de formation
qu’elle sanctionne s’impose pour la protection d’intr ts particuliers; il en
est ainsi lorsque le consentement des parties ou de l’une d’elles est vici6.

Cette codification du crit~re de Pint&& prot6g6 nous incite

faire deux

brefs commentaires.

Tout d’abord, les ne se confondent pas avec les rgles qui intdressent
l’ordre public>>. Ces derni~res sont les r~gles imp6ratives, c’est-h-dire celles
auxquelles on ne peut ddroger conventionnellement’ 81 . Pour d6terminer si une
r~gle est imp6rative, i faut donc determiner si la loi interdit, express~ment, taci-
tement ou par implication n6cessaire, d’y d6roger. Si cette d6rogation est pos-
sible, la r~gle est suppl6tive ; si, au contraire, ele est interdite, la r~gle est imp6-
rative”2. Aussi, la distinction des r~gles suppl6tives et des r6gles imp6ratives se
pose-t-elle uniquement pour d6terminer s’il y a eu ou non violation de la loi.
Or, ce n’est 6videmment qu’en cas de violation de la loi que la question de sa-
voir si l’annulabilit6 est absolue ou relative se pose. Par vole de consequence, la
cat6gorie des r~gles imp6ratives est n~cessairement plus large que celle des r6-
‘ 3.I
gles dont la sanction s’impose […] pour la protection de l’int6r& g6n6ral
y a, en effet, de nombreuses r~gles qui sont imperatives mais dont la sanction
ne s’impose pas pour la protection de l’int~r& g6n6ral. Cette constatation est
l’origine de la distinction entre l’ordre public de direction et l’ordre public de
protection : parmi les r~gles imp6ratives, certaines visent la protection de
l’int&& g6n6ral, alors que d’autres ne visent que la protection de certains int6-
rts particuliers. Les premi~res
sanctionn~es par
l’annulabilit6 absolue, les secondes par l’annulabilit6 relative'”. I1 y a donc des
r~gles imp6ratives qui sont sanctionn~es par l’annulabilit6 absolue et d’autres

seront en principe

” Art. 9 C.c.Q.
‘ Pineau et Burman, supra note 160 au n 119.
‘ Pineau, supra note 176 au n 69.
‘ La Cour supreme a r6cemment adopt6 cette distinction dans l’arrt Garcia Transport Lte c.
Cie Trust Royal, [1992] 2 R.C.S. 499 t la p. 520 et s., 139 N.R. 81 [ci-apr s Garcia] confirmant
ainsi la jurisprudence ant~rieure : Belgo-Fischer (Canada) Inc. c. Lindsay, [1988] R.J.Q. 1223
(C.A.) ; Garneau c. H~bert, [1979] C.P. 187 ; Letellier c. Century 21 Citadelle LtDe (1989),
[1990] R.D.I. 42 (C.S.), port6 en appel Qudbec 200-09-000007-903 (C.A.). Voir aussi Toyota
Centre-ville c. Bouchard (12 mars 1993), Montr~al 500-02-034837-919, J.E. 93-1248 (C.Q.) ;
Zigby c. Turgeon (5 mars 1993), Longueuil 505-05-001679-908, J.E. 93-646 (C.S.), port6 en ap-
pel Montreal 500-09-00676-932 (C.A.).

334

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 40

qui sont sanctionnes par l’annulabilit6 relative. Aussi, ne peut-on pas infrer
du fait qu’une r~gle soit sanctionn6e par l’annulabilit6 relative que celle-ci n’est
pas d’ordre public, bien au contraire’ .

Ensuite, le l6gislateur qu6becois a cru bon de completer les articles 1417 et

1419 C.c.Q. par une presomption :

1421. A moins que ]a loi n’indique clairement le caract6re de ]a nuilit6, le
contrat qui n’est pas conforme aux conditions necessaires A sa formation
est presum6 n’8tre frapp6 que de nullit6 relative.

Cette pr6somption ne remplace 6videmment pas le crit6re de l’int6r& pro-
teg6 par un crit~re purement formel (la loi prevoit-elle ou non express6ment
l’annulabilit6 absolue ?86), ce qui serait la n6gation mme du critre substantif
prevu aux articles 1417 et 1419 C.c.Q. L’article 1421 C.c.Q. n’a aucunement
pour effet d’61iminer les annulabilit6s absolues virtuelles, mais vise plut6t h
preciser que c’est A celui qui invoque que la protection de l’int6r& g6neral est
en jeu A le demontrer. Comme le souligne le ninistre de la Justice, cette pr&
somption c>”’87.

En conclusion, tant le micanisme de l’inefficacit6, en grande partie justifi6
par le respect dfi aux apparences, que l’adoption du crit~re de l’int6r& proteg6
confirment que la th6orie des nullit6s contenue au Code civil du Qudbec est,
pour l’essentiel, une codification de la doctrine frangaise contemporaine des

.. Certains semblent d’avis que les r~gles de preuve sont suppletives et non pas imperatives, au
motif qu’elles ne peuvent 8tre sanctionnees d’office par le tribunal (L. Ducharme, Precis de la
preuve, 2! 6d., Ottawa, elitions de l’Universit6 d’Ottawa, 1982 au n 503 et s. ; C. Fabien, La
communicatique et le droit civil de la preuve>> dans J. Bouchard, dir., Le droit de la conininicati-
que, Montral, Themis, 1992 aux pp. 159, 182-83). Mais le fait que le tribunal ne puisse sanc-
tionner d’office la violation des rfgles de preuve indique seulement que ]a sanction des r~gles de
preuve ne s’impose pas pour la protection de l’int&t g6neral ; cela ne permet absolument pas de
dire que les r~gles de preuve sont suppletives plut6t qu’impratives. En fait, quand on y songe, on
se rend compte qu’au moins certaines r~gles de preuve sont imperatives et qu’il n’est donc pas
possible d’y deroger conventionnellement (Nadeau et Ducharme, Traite de droit civil dit Quebec,
t. 9, Montreal, Wilson et Lafleur, 1965 au n 241 ; Juris-classeur civil, art. 1315-16, fasc. 1, par D.
Veaux au n 30).

6 D’ailleurs, l’article ne dit pas < moins que ]a loi n'indique expressement le caract~re de ]a nullit& mais bien << moins que la loi n'indique clairement>> ce caract~re.

Quebec, Minist~re de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice, t. 1, Quebec, Pu-
blications du Quebec, 1993, art. 1421. D’ailleurs, le principe selon lequel odes lois prohibitives
emportent nullit6 quoiqu’elle n’y soit pas prononce>>, que l’on retrouvait i l’ancien article 14
C.c.B.-C. a 6t6 conserv6 (voir l’article 41.3 de la Loi d’interprdtation, L.R.Q. c. 1-16). Ce principe
n’a toutefois pas une port~e absolue (voir <>, supra note 2).

1995]

S. GAUDET – NULLTt

nullit6s. Cette conception donne, on l’a vu, un maximum d’extension au do-
maine de l’annulabilit6, laquelle supplante ainsi l’inefficacit6 radicale (nullit
proprement dite ou inexistence) comme sanction de principe de l’invalidit6.

D. Caractare incomplet de la thiorie contemporaine

Mais la thorie contemporaine ne nous semble pas tout t fait satisfaisante,

car elle est, i certains 6gards, incompl~te.

Premirement, comme on 1’a vu, la thdorie contemporaine semble fonder
l’annulabilit6 sur le respect dfi aux apparences. Or, on ne peut certes pas dire
que l’acte affect6 d’une cause de nullit6 relative est annulable en raison de sa
validit6 apparente. En effet, mme en supposant que le vice qui l’entache soit
manifeste, il n’en demeure pas moins que l’acte <> con-
serve son efficacit6 provisoire. Le fondement de l’annulabilit6, dans le cas de la
<> se trouve donc ailleurs que dans le respect dfi aux apparences,
mais la th6orie contemporaine ne nous 6claire guere a ce propos. Par contre, si
le fondement de 1′<> est bel et bien l’apparence, alors ne
devrait-on pas distinguer tr~s clairement les situations oi le vice est manifeste
de celles ott il ne l’est pas, et dire que dans le premier cas l’acte n’est pas
<> mais v6ritablement < ? Or, curieusement, la doctrine modeme
n’accorde t peu pros pas d’importance au caract~re manifeste du vice.

Deuxi~mement, la doctrine contemporaine, en fondant enti~rement la
thorie des nullit6s sur la distinction entre
l’annulabilit6 absolue et
l’annulabilit6 relative, rejette, du moins en principe, toute forme d’inefficacit6
ab initio : elle assimile la nullitj
l’inexistence et elle rejette cette derni~re au
nom de l’apparence. Or, il nous semble, d’une part, que bien que traduisant
toutes deux une inefficacit6 radicale, l’ et la <> ne
sont pas des concepts identiques. D’autre part, chacun de ces 616ments nous pa-
rait avoir sa place dans une th6orie vraiment gin~rale des nullit6s. On ne peut
nier que certaines > ne sont qu’un profond malentendu ou qu’elles ne
sauraient produire des effets juridiques, meme pr6caires. On hdsitera A dire, par
exemple, que la convention par laquelle on loue les services d’un tueur ‘ gages
n’est qu’annulable ! Ii ne faut done pas se surprendre qu’il y ait actuellement
une rsurgence de la notion d’inexistence”‘ : celle-ci correspond t une r~alit6
juridique que ne parvient pas cemer avec precision la th6orie contemporaine.

“‘ Ce qui est not6 par plusieurs, par ex. Veaux, supra note 82, fasc. 2, n 98 ; M. Cumyn, Essai
la p. 2 [non

sur les nullitis et l’inexistence, m6moire de D.E.A., Universit6 de Paris I, 1993
publil6] ; Barr6, supra note 82 A lap. 24.

336

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 40

II y a donc lieu d’approfondir davantage les concepts d’inexistence, de
nullit6 et d’annulabilit6. A partir des 616ments qui se d6gagent de notre 6tude
historique, nous sommes maintenant en mesure de proposer une synth~se des
diff6rents degr6s d’inefficacit6 qui sanctionnent l’invalidit6 de l’acte juridique
et de cerner leur domaine 16gitime respectif.

II. Essai de synthse quant au domaine l6gitime de I’inexistence, de la

nullite et de r’annulabilit

Notre examen historique nous a pennis de voir que l’61aboration d’une
th6orie complte des nullit6s doit se faire autour de deux axes : l’6tat de l’acte
et l’id6e de sanction. Nous analyserons tout d’abord chacun de ces 616ments s6-
par6ment (HA), pour ensuite en proposer une synth6se (HlB).

A. Les Mmentsfondamentaux: ltat de l’acte et l’idie de sanction

L’6tat de l’acte soul~ve la distinction opposant les actes inexistants aux ac-
tes vicieux (I.A.1). L’id6e de sanction, qui suppose un acte existant, permet
d’opposer les actes nuls aux actes annulables (I.A.2).

1.

L’6tat de ‘acte : inexistence et acte vicieux

Nous avons d6jh constat6 l’importance historique de la distinction entre les
actes > et les actes <. Cette distinction 6tait la plus popu-
laire, non seulement au Moyen Age, mais 6galement au XIX
si~cle chez les
auteurs classiques. L’importance qu’ont attach6e A cette distinction de nom-
breux juristes –
et pas les moindres : Pothier, Aubry et Rau, Planiol – h des
6poques diff~rentes, devrait suffire h ce qu’on ne l’6carte pas sommairement de
la th6orie des nullit6s. D’ailleurs, A 1’analyse, la notion d’inexistence se r6v~le
rationnelle et utile (HA. 1.a) ; il faut toutefois 6tre circonspect quant au crit~re
permettant de distinguer les actes > des actes <>
(HIA.1.b).

a.

La justification de la distinction des actes inexistants
et des actes vicieux

Reprenons ici l’analyse qui est A la fois celle des romanistes qui opposaient
la substantia et 1’effectus et celle de Zachariae. Tout acte juridique doit son
<> A la survenance de certains faits g6n6rateurs>. Si ces faits g6nra-
teurs ne se produisent pas, il y a alors absence totale d’acte. Si, par contre, ces

1995]

S. GAUDET- NULLITt

faits g6n6rateurs se produisent, l’acte existe. Cette existence ne doit pas etre
confondue avec la validit6 de l’acte puisqu’un acte peut fort bien exister sans
6tre valide. Par voie de consdquence, il y a donc deux sortes de conditions de
validit6 de ‘acte juridique. Les premieres, que l’on pourrait qualifier de condi-
tions de formation, au sens litt6ral du mot, sont n6cessaires pour que l’acte
existe>>. Les autres, qui n’entrent en jeu que lorsque les premieres sont satisfai-
tes, conferent
l’acte son efficacit6 juridique ; on pourrait les appeler les con-
ditions d’efficaciti. It y a done inexistence lorsque les faits g6ndrateurs ne sont
pas r6unis et un acte vicieux lorsque les faits g6ndrateurs sont pr6sents, mais
que les conditions d’efficacit6 ne sont pas remplies.

Cette distinction que l’on a parfois contestde”‘ correspond pourtant

la
r6alit6. I1 y a bel et bien des situations oti, faute de r6pondre h certaines
conditions minimales>>, on se doit de dire qu’un acte juridique est inexistant.

On peut songer, tout d’abord, au d6faut absolu de convergence des manifes-
tations de volont6: A offre un immeuble t B pour 100 000 $ amiricains et ce
demier r6pond qu’il accepte de payer 100 000 $ canadiens. Mame si les parties
ne r6alisent pas imm6diatement leur m6prise, il est impossible de considrer ce
<> soit parfaitement d6terminable, on doit quand meme consid6rer qu’il y
a inexistence. On peut songer ici A 1’exemple du contrat>> conclu par des ac-
teurs lors d’une representation th6atrale 91 . Malgr6, cette fois, que le contenu du
contrat soit parfaitement d~termin6, il est absurde de considdrer que ce contrat
<>, tout en 6tant sujet L l’annulation.

“9 Guggenheim, supra note 4 h lap. 69 et s.
” Couturier, supra note 132 aux pp. 178-79. Couturier, ibid. L lap. 51, note que Japiot consid6-
rait comme excluant toute possibilit6 de confirmation le contrat conclu par un d~ment et qui est
incohrent au point qu’il est impossible d’en determiner le contenu.

‘9’ Cet exemple provient du professeur italien Trimarchi, dont la th~orie des nullit~s, p~n~trante,

est rsum~e par Guggenheim, supra note 4 A lap. 44 et s.

338

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

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On peut m~me envisager certaines situations oti le contenu contractuel est
d6termin6 et oii l’intention des > n’est pas simul6e, mais qui entrainent
n6anmoins une v6ritable inexistence. Pensons, par exemple, au par
lequel un enfant de trois ans 6change un de ses jouets A un petit compagnon du
meme age. Pr6tendra-t-on que ces enfants ont v6ritablement conclu un contrat
et que ce dernier existe tant et aussi longtemps qu’il n’aura pas 6t6 annul6 ?

La distinction entre l’acte inexistant et l’acte vicieux est donc non seule-
ment acceptable d’un point de vue rationnel, mais elle correspond A une cer-
taine ralit6 juridique. A-t-elle un impact pratique cependant ? Bien stir. En
toute logique, il n’est pas n6cessaire de faire constater par un tribunal
l’inexistence d’un acte qui ne s’est pas form6 pour 6tre en mesure de l’ignorer.
Au contraire, lorsque
‘acte existe, mais est vicieux, il faut, du moins en prin-
cipe, en obtenir l’annulation avant de pouvoir l’ignorer. En effet, dans ce der-
nier cas, comme nous le verrons, l’existence de l’acte cr6e une pr6somption de
validit6 qui doit 6tre 6cartde pour que l’on puisse valablement l’ignorer.

Certains r6futent cette analyse, faisant valoir que le recours au tribunal est
in6vitable des lors que l’une des parties cherche A se pr6valoir de la convention,
quel que soit l’6tat objectif de celle-ci’ 92. Mais cette objection nous semble de-
voir etre 6cart6e car elle revient A nier qu’un effet (ou une absence d’effet) ju-
ridique puisse survenir de plein droit. Si on adopte une telle objection, en effet,
il faut 6galement dire que la r6solution ou la d6chdance de plein droit sont des
notions inutiles car, en cas de contestation, il faut s’en remettre au tribunal. Or,
de meme qu’il faille distinguer la r6solution de plein droit de celle intervenant
judiciairement, de mtme il faut distinguer l’inefficacit6 de plein droit de celle
r6sultant du prononc6 en justice. En effet, le fait qu’il soit possible de se retrou-
ver devant le juge n’a aucune pertinence pour d6terminer s’il est n~cessaire d’y
recourir. Bien sir lors d’une contestation quant A l’inefficacit6 de l’acte, le tri-
bunal devra trancher, mais en cas d’inexistence, le jugement sera declaratif de
droit, car l’inefficacit6 de l’acte > au jugement, alors que dans le
cas d’un acte vicieux, il sera constitutif de droit, car l’inefficacit6 dtcoulera du
jugement’ 93. En d’autres termes, le fait qu’une personne puisse invoquer un
> en justice ne modifie aucunement l’<6tat objectif de cet acte : ind6pen- damment de toute contestation A son propos, l'acte existe ou il n'existe pas, et 19 Baudouin, supra note 176 au n 368. ,' Voir L. Mazeaud, (1929) 28 Rev. trim. dr. civ. 17 ; P. Raynaud, > dans Etudes de droit contemporain – Contributions frangaises aux
I11 et IV congres internationaux de droit comparg, t. 2, Paris, Sirey, 1959, 377.

1995]

S. GAUDET – NULLITE

ce n’est certainement pas en allkguant qu’il existe qu’on le rendra existant94 .

Ayant ddtermin6 que l’inexistence est un concept rationnel et utile, il nous
reste A pr~ciser le crit~re permettant de distinguer les actes inexistants des actes
simplement vicieux.

b.

Critere de distinction

Rechercher le critre permettant de distinguer les <> des
actes <> revient A d6terminer quels sont les > du contrat par opposition h ses conditions d’efficacit6. Rejetant le crit~re
des classiques, nous adopterons celui de Zachariae, mais en le modifiant de fa-
gon h tenir compte des apparences.

Si les classiques ont donn6 une si grande extension A l’inexistence, c’est
qu’ils avaient une conception trs lib6rale des
faits g6n6rateurs > du contrat.
Pour eux, comme nous
‘avons vu, il y a absence d’un 61ment (par hypoth~se
jug6 essentiel) non seulement lorsque cet 616ment manque en fait (absence
mat6rielle), mais 6galement lorsque cet 16ment, 6tant present, est contraire au
droit (absence juridique). Ainsi, pour les classiques, il y a inexistence non seu-
lement lorsqu’il y a absence d’objet mais aussi lorsque l’objet est illicite 95.

I1 est facile de montrer pourquoi cette analyse doit etre rejet6e. C’est que, si
on l’adopte, il n’y a plus de conditions d’efficacit6 qui se distinguent des con-
ditions de formation. En effet, si un objet illicite est assimil6 h une absence
d’objet au motif qu’un objet illicite n’est pas reconnu par le droit, alors le
m~me raisonnement nous oblige dire qu’un vice de consentement 6quivaut h
une absence de consentement puisqu’un consentement vici6 n’est pas non plus
reconnu par le droit196 . Le raisonnement s’applique 6galement pour le consen-
tement donn6 par un incapable. On voit ainsi que, pousse ‘a la limite, le crit~re
de 1’absence <> mbne logiquement h la conclusion que toutes les

q Dans certaines affaires, plus nombreuses qu’on ne pourrait le croire, l’une des parties se
fonde sur un qui ne s’est aucunement fonn selon le tribunal. Voir par ex. Hamelin c.
Poirier, [1972] R.L. 427 (C.P.) ; Taillibert c. Montrial (Ville de), [1985] R.L. 399, 10 C.L.R. 54
(C.S.) ; Terrasses Holdings c. Saunders, [1989] R.L. 265 (C.A.) [ci-apr~s Saunders] ; Toprani c.
McBrearty (2 octobre 1990), Montrial 500-09-001089-887, J.E. 91-1702 (C.A.) ; Aminagement
St-Gelais inc. c. Lajeunesse (17 avril 1991), Quebec 200-05-002606-890, J.E. 91-937 (C.S.).

t’ Voir ci-dessus le texte correspondant A la note 81.
“6Drogoul, supra note 82 h la p. 161, a not6 que >. De fagon significative, dans certaines decisions, le tribu-
nal assimile le vice de consentement h l’absence de consentement (Huot c. Ouellette, [1981] C.S.
872 ; Harnois c. Anglehart, [1989] R.L. 510 (C.A.)).

340

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conditions de validit6 sont de v6ritables conditions deformation de l’acte.

Les classiques n’ont 6vit6 cette conclusion inacceptable qu’au prix d’une
incoh6rence: ils ont appliqu6 le critre de l’absence juridique en mati&e
d’objet et de cause, mais ils ne l’ont pas appliqu6 en mati~re de consentement
et d’incapacit6, exigeant alors une absence mat6rielle. Ainsi, s’ils distinguent
nettement l’absence du vice de consentement, ils assimilent par contre le vice
de l’objet (son caract~re illicite) h son absence v6ritable. Mais il n’y a aucune
raison logique de faire une telle distinction en matire de consentement et de
capacit6, et de ne pas la faire en mati~re de cause ou d’objet.

L’approche de Zachariae 6tait plus int6ressante. Pour lui, comme on ‘a vu,
les conditions d’existence d6coulent de la nature meme de l’acte : ce sont ses
conditions essentielles au sens propre du mot. D~s lors, il s’agit de trouver
quels sont les 616ments en 1’absence desquels l’acte est inconcevable eu 9gard 6t
sa nature intrins~que. Les faits g6n6rateurs doivent done uniquement etre d6-
termin6s en fonction de la < de l’acte, ht
l’exclusion de toute autre condition de validit6. En d’autres termes, si un acte
contrevient
la loi, mais respecte sa nature ou son principe juridique, il pourra
t&re < ou <> mais il ne sera pas inexistant : >’ 7. I faut donc, pour determiner les conditions d’existence du contrat, en
cerner la nature juridique essentielle’98.

Qu’est-ce qu’un contrat ? <<[U]n accord de volont6, par lequel une ou plu- sieurs personnes s'obligent envers une ou plusieurs autres A executer une pres- tation>>’99. I1 y a done trois 616ments essentiels A tout contrat : des parties, un ac-
cord de volont6 et un contenu sur lequel porte cet accord.

Selon Zachariae, il y aura done absence de contrat, c’est-A-dire inexistence,

197 Zachariae, supra note 76, t. 1 au n 35, p. 45. Voir aussi G. Baudry-Lacantinerie et Barde,
Traitg thdorique et pratique de droit civil, 3′ supp. par J. Bonnecase, Paris, Sirey, 1926 a ]a p. I
et s.

‘9 En raison du fait qu’un type d’acte juridique donn6 peut avoir une < (un accord de volont6 apparent) ne seront pas les
m~mes que les faits g6n~rateurs du (un accord de volont6 apparent d’un homme et
d’une femme, survenant devant un officier public apparemment comp6tent). C’est pourquoi il
faut 6viter, comme on l’a pourtant fait souvent, de transposer ]a <>, mais cela ne l’empechera nullement
d’exister>>.

En cons6quence, nous proposons le crit~re suivant : s’il n’y a mgme pas
apparence d’accord de volonti, l’acte est inexistant ; mais dos lors qu’il y a
une telle apparence, l’acte ne peut etre que vicieux. Quand y a-t-il done
?

A notre avis, pour qu’il y ait apparence d’accord de volont6, deux 616ments
doivent coexister. II doit y avoir 10 des manifestations apparentes de volont6 et
2′ convergence apparente de ces manifestations de volont6. Examinons chacun
de ces 616ments.

II n’y a pas de manifestation apparente de volontg lorsque les circonstances
entourant 1’expression de cette manifestation rendent 6vident le fait que celle-ci
ne proc~de pas d’une v6ritable volont6 de s’engager. C’est le cas des
manifestations de volont6 prononc~es par les acteurs pendant une repr6sen-
tation th69trale et de celles 6nonc6es par des enfants en bas age. C’est encore le
cas lorsque le contenu meme de la manifestation de volont6 d6montre claire-
ment ‘inaptitude consentir.

I1 n’y a pas de convergence apparente des manifestations de volontg lors-
que 1’examen objectif de ces manifestations ne permet absolument pas
d’assigner un contenu au contrat>. Ce sera le cas lorsque l’acceptation ne cor-
respondra pas h l’offre, comme dans l’exemple donn6 pr6c6demment, ou en-
core lorsqu’une offre 6quivoque aura

t6 accept6e purement et simplement.

Dans toutes les autres situations, c’est-h-dire la tr~s grande majorit6 des cas,
il y aura apparence d’accord de volont6 et donc, existence>> d’un contrat. Ce
dernier pourra etre valide ou vicieux, mais il existera. Cette constatation a un
impact sur le domaine de la nullit6 et de ‘annulabilit6, car celles-ci, rappelons-
le, supposent un contrat qui existe.

Ceci termine notre analyse de ‘6tat de ‘acte. Passons maintenant t l’id6e

Dans l’affaire Saunders, supra note 194, les parties avaient parlM d’une commission de
$60 000 A $70 000o, mais sans s’entendre sur un montant precis. La Cour d’appel a jug6 que le
contrat ne s’6taitjamais form6.

19951

de sanction.

S. GAUDET – NULLITE

2.

L’id e de sanction: nullit6 et annulabilit6

Comme nous l’a appris notre partie historique, l’id6e que l’inefficacit6 est
une r6action de l’ordre juridique dirig6e
l’encontre d’un acte qui ne respecte
pas les prescriptions 16gales, bref une sanction, pose la distinction entre les ac-
tes nuls et les actes annulables. Nous commencerons par analyser cette distinc-
tion d’un point de vue purement th6orique (IA.2.a), pour ensuite examiner
l’impact de l’apparence (LIA.2.b). Cette approche permet une meilleure corn-
pr6hension de la question2 3.

a.

La distinction des actes nuls et annulables d’ un point
de vue thiorique

D~s le d6part, il importe de bien cemer les concepts de nullit6 et
d’annulabilit6. A, cet 6gard, l’analyse de Dunod de Charnage nous semble tou-
jours valable. Rappelons-en l’essentiel. La loi rend totalement inefficace l’acte
nul parce qu’elle s’oppose, dans l’int6r& g6n6ral, 4 ce qu’il produise des effets
juridiques ; par contre, elle ne s’oppose pas 4 ce que l’acte annulable produise
des effets, mais elle rend ceux-ci pr6caires afin d’assurer la protection de cer-
tains int6r&s particuliers.

Cette distinction d6coule donc du fait que les conditions gouvemant
l’efficacit6 des actes juridiques n’ont pas toutes le m~me objectif. Certaines
existent pour assurer la protection de l’int6rt g6n6ral alors que d’autres ont
pour but de prot~ger certains int6r~ts particuliers, la violation de ces derni~res
ne mettant aucunement en cause l’int6r& g6n6ral. Puisque les objectifs sont dif-
f6rents, on admettra donc une modulation de la sanction.

Dans le premier cas, l’acte devrait 6tre en principe frapp6 d’une inefficacit6
totale, la loi s’opposant
ce que l’acte produise effet. En outre, cette inefficaci-
t6 devrait etre radicale (ab initio), ipso jure et permanente. En effet, si, comme
le souligne Dunod de Charnage, 204, cet acte ne devrait jamais pouvoir produire d’effets juridiques, me-
mes pr~caires, et tant sa confirmation que la prescription du droit de l’attaquer
ne devraient pas etre admises. Tout int6ress6, ainsi que le tribunal, pourra donc
invoquer en tout temps cette inefficacit6. II y a alors nulliti25 .

“‘Voir Guggenheim, supra note 4 h la p. 81 et s.
2 4 Voir ci-dessus la section I.B. 1.a.

20’ Sur le rdgime juridique de ‘acte nul, voir Guggenheim, supra note 4 a la p. 99 et s.

344

McGiLL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

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Par contre, lorsque la violation de la loi ne porte atteinte qu’A des int&r ts
particuliers et que l’inttret g6n6ral n’est nullement en cause, il n’y a aucune rai-
son de frapper le contrat d’inefficacit6 radicale. Dans ce cas, en effet, il n’est
pas ntcessaire que l’acte soit inefficace, il suffit qu’il puisse le devenir h la de-
mande de la personne dont la loi veut prot6ger les int6r~ts particuliers.
L’invalidit6 d’un tel acte sera done sanctionn6e non pas par l’inefficacit6 de
l’acte mais plut6t par la menace de cette inefficacit6, cons6quence de l’octroi
d’un droit d’attaquer le contrat – un droit de critique –
t la personne prot6-
ge 2 6. Puisque la loi ne s’oppose pas alors A ce que l’acte produise effet, celui-
ci sera efficace tant que l’annulation n’en sera pas prononcte. La confirmation
et la prescription du droit de critique seront done possibles et le tribunal ne
pourra invoquer d’office le vice entachant l’acte, ce droit 6tant r6serv6 h la per-
sonne prot6g6e. f y a alors annulabiliti”‘.

les deux

I semble done y avoir, quoiqu’on ait pu dire O’, une difference de nature
entre
et
l’annulabilit6>>. La premiere exige en principe une inefficacit6 radicale et ind6-
l6bile de l’acte, la seconde n’emp~che pas l’acte d’8tre efficace, mais rend cette
efficacit6 prtcaire.

types d’inefficacit6 que

repr6sentent

la nullit&>

Encore ici, cette analyse purement th~orique doit 8tre modifite pour tenir

compte des apparences.

Ace propos Guggenheim 6crit:

[I existe pour l’ordre juridique deux situations fondamentalement distinctes qui
sont celles de la pleine validit6 de l’acte et celle de son invalidit6 radicale. Dans le
premier cas, l’ordre juridique impute A l’acte l’effet juridique d6sign6 comme
voulu par les parties A l’acte; dans le second cas, l’ordrejuridique ne lui impute pas
un tel effet. Par contre, lorsque l’acte West ni nul ni valable, mais annulable, l’on se
trouve dans une situation interm&liaire. L’acte est valable parce que l’ordre juridi-
que lui impute l’effet juridique d~sign6 comme voulu, mais il est invalide parce
que cet effet peut 8tre d~truit par les personnes en faveur desquelles l’ordre juridi-
que statue un tel droit (ibid. A lap. 82).

Sur le regime juridique de l’acte annulable, voir Guggenheim, ibid. A lap. 105 et s.

208 Pour Guelfucci-Thibierge, supra note 125 au n* 376 et s., dIl n’existe pas de diff&ence de
nature entre les nullits absolues et relatives>) car toutes deux tendent a la restauration de la 1gali-
t6 viol~e lors de la conclusion du contrat en supprimant les effets juridiques de celui-ci. Le fait
que seule la partie protdg&e puisse invoquer ]a nullit relative dtcoule non pas d’une diffdrence de
nature, mais plutOt de ce que la protection instaure en faveur des plus faibles ne dolt pas se re-
tourner contre eux. Cette analyse ne nous convainc pas : si l’intr& gdn~ral n’est aucunement af-
fect6 par la conclusion d’un contrat, pourquoi devrait-on tendre h restaurer la ligalitj violie ? II
n’y a pas n~cessairement perturbation de l’ordre juridique lorsqu’il y a conclusion d’un contrat
qui ne respecte pas toutes les conditions fixtes par ]a loi car celle-ci impose certaines de ces
conditions dans l’unique but de prot6ger certains int&rts particuliers.

1995]

S. GAUDET – NULL1T

b.

L’ impact de l’apparence

Si on compare le regime juridique de l’acte nul, tel que d6crit ci-dessus,
avec celui de l’acte inexistant, on constate qu’il n’y a aucune diff6rence d’un
point de vue pratique. Dans les deux cas, il y a inefficacit6 radicale et le fait que
cette inefficacit6 radicale d6coule de l’inexistence, dans le premier cas, et d’une
sanction de la loi, dans le deuxi~me, ne change rien quant aux effets de cette in-
efficacit6. Cette constatation contredit notre affirmation selon laquelle il y a un
int6rat pratique h distinguer les actes nuls>> des actes inexistants2 9. Mais cette
contradiction n’est que provisoire. Elle s’6imine en grande partie lorsque nous
tenons compte des apparences.

Nous avons vu qu’un acte juridique qui existe a n6cessairement un con-
tenu d6terminable. II renferme des droits et des obligations, et une personne,
partie ou tiers, peut l6gitimement pr6sumer de la validit6 de ces droits et obli-
gations tant et aussi longtemps qu’ils n’ont pas 6t6 d6clar6s invalides par un tri-
bunal comp6tent. En effet, selon nous, de m~me qu’il y a une pr6somption de
validit6 des normes 16gislatives 2 0 ou r~glementaires”, d~s lors que ces normes
existent>, il y a aussi une pr6somption de validit6 des normes contractuelles
d~s lors que 1’acte satisfait aux exigences minimales qui sont requises pour son
existence 2. Autrement dit, l’existence de ‘acte entraine une pr6somption de
validit6 des normes juridiques qu’il cr6e.

Cette pr6somption de validit6 ne jouera toutefois pas lorsque le contenu de

20o Voir ci-dessus le texte correspondant A la note 189 et s.
2 ot AmaxPotash Ltd. c. Saskatchewan (1976), [1977] 2 R.C.S. 576,71 D.L.R. (3) 1.
“, Municipal Service Corporation c. Ste-Ad~ie (Corporation du Village de) (1931), 69 C.S. 355

Sla p. 357 ; Martin c. Dorval (Ville de) (1945), [1946] R.L. 368 (C.S.) ; Messier, supra note 162.
112 Voir Cumyn, supra note 188
la p. 25 ; Renard et Vieujean, supra note 131 h la p. 535.

Quand on y songe, il y a, pour chaque norme juridique (Ioi, r~glement, obligation contractuelle)
des conditions d’existence et des conditions d’efficacit6. Ainsi, une loi n’existe > pas si elle n’est
pas adopt~e par le corps I6gislatif oU si elle n’est pas sanctionn6e par la personne habilit6e a le
faire. Mais une loi peut fort bien exister et etre , ne respectant pas les nornes consti-
tutionnelles relativement au partage des comp6tences, par exemple. De mame, un r~glement
existe > lorsqu’il est adopt6 par l’autorit6 comp~tente, mais i se peut fort bien qu’il soit
annulable> car en contradiction avec la loi habilitante ou avec les principes fondamentaux du
droit administratif. D~s qu’une loi on un rfglement rencontre certains crit~res minimaux
(adoption, sanction, publication), cette loi ou ce r~glement existe > et il est prnsum valide tant et
aussi longtemps qu’il n’est pas annul6 par une autorit6 comp~tente. L’existence de la loi on du
rfglement fait done naitre une apparence. Pourquoi en serait-il autrement des normes contractuel-
les ? D s lors qu’elles satisfont certains crit~res minimaux (l’apparence d’accord de volont6s),
elles < existenb> et doivent 8tre prnsum6es valides tant qu’elles ne sont pas annul6es par ‘autorit6
comp~tente.

346

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

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1’acte sera manifestement contraire A l’int6r&t g6n6ral. Ainsi, un contrat par le-
quel une partie s’engage A commettre des voies de fait contre r6mun6ration,
une convention de <> ou encore la vente d’h6ro’ne sur le marche noir
ne peuvent b6n6ficier de la pr6somption de validit6 puisque toute personne rai-
sonnable et moyennement inform6e” 3 consid&erait ces contrats comme mani-
festement contraire A l’intr& g6n6ral. Dans tous les cas de cette nature, la pr&
somption de validit6 de I’acte nejoue plus et il n’y a donc pas apparence de va-
lidite

,214

Donc, un acte nul dans son principe (c’est-A-dire contraire A une condition
de validit6 qui s’impose pour ]a protection de l’int&r&t g6n6ral) est n6anmoins
apparemment valide ds lors qu’il n’est pas manifestement contraire 6 l’intgret
g6n~ral2 . Or, lorsqu’un acte viole une r~gle de formation 6dict~e dans le but de
prot6ger l’int6rt g6n6ral mais qu’il est apparemment valide, il y a conflit entre
deux grands principes juridiques : d’une part, le fait que l’acte porte directe-
ment atteinte A l’int6r& g6n6ral milite en faveur de son inefficacit6 radicale,
mais d’autre part, son apparente validit6 s’oppose A ce que cette inefficacite
op~re ab initio.

Jusqu’au XX0 si~cle, ce conflit 6tait r6solu en faveur de l’inefficacit6 radi-
cale: l’int6r& g6n6ral triomphait de l’apparence 2 6. Au contraire, le droit mo-
deme attache une grande importance aux apparences2 1 7 ; aussi, dans la concep-
tion contemporaine, le caract~re apparent de I’acte prend le dessus sur les exi-
gences de la <>, devient simple-
ment <>. En cons6quence, il produira des effets juridiques jusqu’A ce
que son annulation survienne, et pourvu que celle-ci survienne. C’est cette
constatation, fondamentale, qui est l’apport de Gaudemet h la th6orie des nulli-
t6s.

213 Insistons sur le fait que notre crit~re r6fere h la personne <>. II se peut qu’un contrat
soit manifestement contraire A l’intr& g~n&al pour le juriste ou pour un autre sp~cialiste, mais ce
n’est pas l’opinion des spfcialistes qui compte, c’est plut6t celle de ]a personne raisonnable et
moyennement informne puisqu’il s’agit de d~tenniner s’il y a ou non, pour le public, une appa-
rence.

214 Dans l’affaire Lavoie c. Vizina (24 avril 1989), Rimouski 120-32-000013-895, J.E. 89-1233
(C.Q.), le tribunal, en obiter, estime qu’une entente visant A faire assassiner quelqu’un ou par
laquelle on vend de ]a cocaibe est <(non g~nratrice de droits>. Ce langage nous semble significa-
tif.

2’1 Ce crit~re nous semble en accord avec les d~veloppements de ]a thdorie de l’apparence, qui
tendent A un assouplissement des conditions de
‘erreur requise pour qu’il y ait apparence (J.
Ghestin et G. Goubeaux, Traiti de droit civil: introduction ginirale, 3’ 6d., Paris, Librairie g~n&
rale de droit et de jurisprudence, 1982 au 11 782 et s.).

2 16 Voir ci-dessus ]a partie I.
2 1 Ghestin et Goubeaux, supra note 215 au n1770 et s.

1995]

S. GAUDET – NULLITF

On se retrouve alors avec deux formes distinctes d’annulabilit6 : d’une part,
l’annulabilit6 <>, si l’on ose dire, qui sanctionne l’atteinte h des int6-
rats particuliers et d’autre part, l’annulabilit6 <> qui drcoule de
l’apparence. Dans les deux cas l’acte sera dot6 d’une efficacit6 prrcaire. Mais
dans le cas de l’annulabilit6 >, cette efficacit6 pr6caire de l’acte con-
tredit la sanction de principe qui devrait etre la <, alors que dans le cas
de l’annulabilit6 <>, cette efficacit6 pr6caire est la sanction de principe.

Ce sont ces fondements divergents qui expliquent les r6gimes juridiques
diff6rents de ces deux types d’annulabilit6. Si un acte est contraire t l’int~rt
gnrral mais apparemment valide, il produira des effets jusqu’h son annulation,
mais tout sera mis en ceuvre pour que cette annulation survienne : le droit de
critique sera grn6ralis6 (toute personne int~ressre, ainsi que le tribunal, pourra
provoquer 1’annulation) et la confirmation sera exclue. f y a <. Par contre, si l’acte ne fait que violer une r6gle concernant des int~r&s
priv6s, seule la personne protrg6e pourra en requ6rir l’annulation218 et la con-
firmation sera possible. f1 y a <. Comme l’6crit Couturier:

La protection des int&rts priv~s [est] drjk rralisge du seul fait que la per-
sonne protrgre dispos[e] du droit de critique; au contraire, la protection de
l’int~r&t gdnrral suppose [que] la nullit6 [sera] prononcde. [Dans ce dernier
cas], si le droit de critique est grn~ralis6, c’est pr6cis6ment en vue de mul-
tiplier les chances qu’elle le soit21 9.

L’annulabilit6 absolue est done d’une nature fondamentalement diff6rente
de l’annulabilit6 relative. C’est d’ailleurs ce qui explique que le caract~re mani-
feste du vice jouera un r6le fort diff6rent selon que l’annulabilit6 sera absolue
ou relative. Dans le premier cas, le caract~re manifeste du vice fera en sorte que
la pr6somption de validit6 ne jouera plus, il n’y aura done pas d’apparence et
l’acte restera <, c’est-t-dire radicalement inefficace. Par contre, dans le se-
cond cas, puisque la pr6carit6 de l’acte ne drcoule pas de l’apparence mais est
intrins~que 4 la sanction, le vice pourra etre apparent sans que cela n’ait aucun
effet sur le caract~re annulable de la convention.

Ceci complete notre analyse de l’6tat de l’acte et de l’id6e de sanction. I1

nous reste maintenant A en combiner les 616ments en une synth6se.

2 8 I1 y a toutefois une exception 4 cette r~gle, celle de l’article 1420 C.c.Q.
219 Couturier, supra note 132 A lap. 166.

348

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

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B. Synth~se

En th6orie, et d’un point de vue purement rationnel, il y a trois types
d’inefficacit6 sanctionnant l’invalidit6 du contrat : l’inexistence, la nullit6 et
l’annulabilit6m. L’inexistence s’oppose A la fois a la nullit6 et A l’annulabilit6
en ce que ces derni~res sanctions pr6supposent un acte qui existe et la nullit6 se
distingue de l’annulabilit6 au niveau du m6canisme de l’inefficacit6, la pre-
miere operant ab initio, la seconde par l’effet de l’annulation. La notion d’6tat
objectif de ‘acte sert A d6partager les actes inexistants des actes simplement
vicieux, et c’est ensuite l’id6e de sanction qui sert A distinguer les cat6gories
d’actes vicieux. Ces derniers sont soit <4nuls>>, c’est-ii-dire radicalement ineffi-
caces, soit <>, c’est-A-dire dot6s d’une efficacit6 prdcaire.

Mais, d’un point de vue pratique, les choses se pr6sentent diff6remment car

la cat6gorie des actes <> disparait.

En effet, bien qu’en th6orie les actes nuls se distinguent ais6ment des actes
inexistants (les premiers <> au contraire des seconds), d’un point de vue
pratique, l’acte nul qui n’est pas apparemment valide peut 8tre assimil6 A un
acte inexistant puisqu’il est totalement inefficace et que cette inefficacit6 existe
ab initio et ipso jure. On peut done ignorer cet acte sans avoir besoin de recou-
rir aux tribunaux, de la m~me fagon que l’on peut ignorer l’acte v6ritablement
inexistant. La seule distinction entre les actes inexistants et les <> est l’existence juridique de ces demiers, mais
cette diff6rence n’a aucune cons6quence pratique ‘.

Par contre, l’<> devient annulable en
raison m~me de cette apparence. Certes cette annulabilit6 a un fondement et un
r6gimejuridique diff6rents de l’annulabilit6 instaurde dans un but de protection,
mais il s’agit n6anmoins d’une v6ritable annulabilit6 puisque le contrat produit
des effets juridiques tant et aussi longtemps qu’il n’est pas annul6.

Ainsi, selon qu’il sera manifestement invalide ou au contraire, apparem-
ment valide, l’acte nul s’assimilera, pratiquement parlant, soit a l’acte inexis-
tant, soit A ‘acte annulable. On comprend ainsi que les classiques aient pu as-
similer les actes <> aux actes inexistants alors que les contemporains ont
plut6t tendance A les assimiler aux actes annulables. Chacune de ces attitudes se

‘ C’est la conclusion A laquelle en arrivait Planiol, supra note 3 au n’ 333. Voir aussi A. Colin
et H. Capitant, Cours dlmentaire de droit civil, t. 1, 8′ &l., Paris, Dalloz, 1934 au n” 64 et le texte
cite supra A ]a note 206.

“‘ Guggenheim, supra note 4 A ]a p. 69 et s.

1995]

S. GAUDET – NULLITt

justifie, mais en partie seulement.

En r6alit6, il y a done, non pas trois, mais quatre degr6s d’inefficacit6 qui

peuvent cependant 6tre regroup6s par paires.

D’un c6t6, il y a les inefficacitis radicales. Un acte peut atre radicalement
inefficace parce qu’il ne r6unit pas les conditions minimales requises pour
l’existence d’un contrat ou bien parce qu’ll est manifestement contraire
l’int6r&t g6n&al. On pourrait parler d’inexistence matgrielle dans le premier cas
et d’inexistence juridique dans le second. L’inexistence juridique n’est rien
d’autre que la nuflitd proprement dite, mais il faut, dans la mesure du possible,
6viter l’emploi de ce terme galvaud6. L’expression inexistence juridique nous
semble plus pr6cise : l’acte existe en fait, mais parce qu’il est manifestement
contraire A l’int6r& g6n6ral, la loi le prive, d~s sa conclusion, de toute efficacit6
en droit. I1 s’agit done d’une inexistence qui d6coule, non pas de la nature des
choses, mais de la loi.

S’opposant h ces inefficacit6s radicales, on retrouve les annulabilit6s.
L’ annulabilit6 est une inefficacit6 in pendenti car tant que l’annulation de 1’acte
n’a pas 6t6 prononc6e, l’acte produit tous ses effets. Cette annulation sera mise
en cuvre par l’exercice du droit de critiquer l’acte. En th6orie, un acte est annu-
lable lorsqu’il s’agit de sanctionner la violation d’une r~gle 6dictde dans un but
de protection d’int6r8ts particuliers ; mais, un acte nul en principe (car violant
une r~gle s’imposant pour la protection de l’int6r& g6n6ral) peut quand meme
n’8tre qu’annulable d~s lors qu’il y a apparence de validit6. Dans le premier
cas, on parlera d’annulabilitg relative, parce que seules les personnes que la loi
entendait prot6ger par la r~gle viol6e seront titulaires du droit de critique ; dans
le second cas, on parlera d’annulabilitg absolue, car tout int6ress6, de meme
que le tribunal, pourra attaquer 1’acte. 11 y a unit6 du m6canisme de
l’inefficacit6, car dans les deux cas, l’acte produit des effets juridiques pr6cai-
res, mais il y a aussi dualit6 de r6gime en raison du fondement diff6rent de ces
deux types d’annulabilit6.

Les crit~res que nous avons retenus favorisent tr~s largement les annulabili-
tds par rapport aux inexistences. En effet, l’inexistence mat6rielle ne survient
que lorsqu’il n’y a mme pas d’apparence d’accord de volont6 alors que
l’inexistence juridique suppose un acte qui existe en fait mais dont le contenu
est manifestement contraire A l’int6rt g6n6ral pour la personne raisonnable et
raisonnablement inform6e. Bien que ces demiers surviennent assez fr6quem-
ment (pensons A la vente de drogues sur le march6 noir), il est par contre assez
rare, pour des raisons 6videntes, qu’ils donnent lieu des poursuites judiciaires.
Dans
situations, beaucoup plus nombreuses, c’est

les autres

toutes

350

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 40

1’annulabilit6, absolue ou relative, qui est la sanction de l’invalidit6 du contrat.
L’annulabilit6 est donc bel et bien la sanction de principe de l’invalidit6, mais
elle n’est pas la seule.

II ne nous reste plus maintenant qu’A appliquer notre analyse aux diverses
conditions de validit6 des contrats et A montrer ce faisant en quoi elle semble
plus satisfaisante que 1’analyse traditionnelle.

m1. Application de la synth~se aux conditions g6nerales de validit6 des

contrats

L’article 1385 C.c.Q. 6num~re les conditions de validit6 du contrat. I doit y
avoir un accord de volont6 qui intervient entre des personnes capables de con-
tracter, accord qui porte sur un objet licite et qui procde de causes licites. Nous
devons examiner chacun de ces el6ments afin de d6terminer quel type
d’inefficacit6 sanctionne leur violation.

A. Le consentement

E y a deux conditions de validit6 relatives au consentement : d’une part, le
consentement doit 6maner d’une personne qui, au temps oii elle le manifeste
[…] est apte h s’obliger>>2 2 (1MIA. 1) et, d’autre part, il doit y avoir un accord de
volontes libres et 6clairdes (llIIA.2).

1.

L’aptitude A donner un consentement

Celui qui donne son consentement doit 8tre, au moment oii il l’exprime,
apte A s’obliger>223 . Cette aptitude h donner un consentement ne doit pas 8tre
confondue avee la capacit juridique. La capacit6 est une question de droit,
l’aptitude h donner un consentement est une question de faite 4. Une personne
peut donc n’6tre pas incapable en droit mais se trouver dans une situation oii
ses facultds intellectuelles sont perturb6es au point de la rendre incapable, en
fait, de donner un consentement. C’est afin d’6viter toute ambiguYt6 entre la ca-
pacit6 juridique et cette < que le l6gislateur qu6becois prefere,
dans ce demier cas, parler d’inaptitude A donner un consentement.

De fagon g6nerale, est inapte A consentir toute personne dont l’tat d’esprit

2″ Art 1398 C.c.Q.
m lbid.
‘ Pineau, supra note 176 au n 51.

1995]

S. GAUDET – NULLTF

rend toute forme de consentement illusoire2 . Ne sera donc pas apte h
s’obliger , la personne qui, par exemple, sera sous hypnose, dans un 6tat avan-
c6 d’6bri6t6, sous 1’effet d’une drogue perturbant s6rieusement ses facult6s in-
tellectuelles ou encore en pleine crise de d6mence. De meme, un enfant en bas
Age est inapte h donner un consentement.

Quelle est la sanction qui s’applique lorsqu’un consentement est donn6

par une personne inapte ? I1 faut faire des distinctions.

On a vu que l’acte est mat6riellement inexistant lorsqu’il n’y a aucune ap-
parence d’une manifestation de volont6. Cela peut se produire lorsqu’un
> car rien dans la manifes-
tation de volont6 exprim6e ne rend apparente l’inaptitude h consentir. Rappe-
Ions que la question n’est pas de savoir s’il y a ou non volont6 rielle, mais uni-
quement de savoir s’il y a une manifestation de volont6 apparentem . Dans
l’affirmative, le contrat ne sera qu’annulable et cette annulabilit6 sera relative :
seule la partie qui aura manifest6 un consentement alors qu’elle 6tait inapte
consentir pourra attaquer 1’acte.

L’inaptitude A consentir entraine donc l’inexistence mat6rielle si elle est

manifeste, mais l’annulabilit6 relative si elle ne l’est pas.

Voir les crit~res poses par la Cour supreme dans l’affaire Liger c. Poirier, [1944] R.C.S. 152,

[1944] 3 D.L.R. 1. Voir aussi Francoeur c. Ford Motor Co. of Canada, [1979] C.P. 386.

‘ Guggenheim, supra note 4 A lap. 131 et s.

I1 faut se m6fier de

‘ancien droit qu&6cois, oji, sous l’influence de la thorie classique
adoptde en jurisprudence, on se pronongait souvent en faveur de ]a onulit absolue (Baudouin,
supra note 160 aund 328 ; Pineau et Burman, supra note 160 au n 131).

352

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 40

2.

L’accord des volont6s

L’616ment essentiel du contrat est, bien sir, raccord des volont6s. Comme
l’indique l’article 1399 C.c.Q., le consentement donn6 par chacune des parties
doit etre libre et 6clair6. Le consentement peut atre vici6 par ‘erreur (lIIA.2.a),
la crainte (IIA.2.b) et, en certains cas, par la 16sion (lIIA.2.c).

a.

Erreur

Il y aura erreur lorsqu’il y aura m6prise de la part de l’un ou l’autre des
contractants (ou des deux) relativement A un 616ment d6terminant du contrat.
Pour les fins de notre analyse, il n’y a pas de distinction A faire entre l’erreur
spontan6e et l’erreur provoqu6e par le dol. Mais il faut distinguer selon qu’il y
a ou non apparence d’accord de volont6s.

En effet, il est possible que la m6prise soit telle qu’elle empeche toute d6-
termination du contenu contractuel. Cela se produira lorsque I’acceptation ne
correspondra pas h l’offre ou lorsqu’une offre 6quivoque aura 6t6 accept6e pu-
rement et simplement. Ce genre d’erreur rend le contrat mat~riellement inexis-
tant, puisqu’il n’y a mme pas alors d’apparence d’accord de volont6. Comme
nous l’avons vu, cette situation ne se pr6sentera que dans les cas ofi les manifes-
tations de volont6s ne permettent pas d’assigner un contenu au contrat.

Beaucoup plus souvent, le malentendu qui existera au niveau des volonts
rjelles n’empechera cependant pas que les manifestations de volonts concor-
dent : par exemple, une personne adhere un contrat de location A long terme
d’une voiture mais croit qu’elle l’ach~te purement et simplement. Dans ce cas,
il y a bel et bien formation d’un contrat de location, car l’offre comporte tous
les 616ments d’une location et cette offre a fait l’objet d’une acceptation non
6quivoque. Le fait que l’acceptation ait 6t6 donn6e par erreur quant au contenu
de l’offre ne change rien au fait qu’il y a ici convergence des manifestations de
volonti, ce qui suffit A permettre la d6termination du contenu contractuel et, par
voie de cons6quence,

rendre le contrat annulable plut6t qu’inexistant.

H1 ne faut donc pas confondre les cas oia il n’y a pas apparence d’accord des
volont6s avec les hypotheses d’erreurs-obstacles de l’analyse traditionnelle.
Selon cette derni~re, il y a erreur-obstacle > lorsque l’erreur porte sur la nature
de la convention ou sur l’identit6 de l’objet 28. Mais, comme l’exemple du para-
graphe pr6c6dent le fait voir, ce ne sont pas toutes les erreurs-obstacles qui ont

Baudouin, ibid. au n’ 129 et s. Nous faisons ici abstraction de l’erreur sur la cause , notion

obscure s’il en est.

1995]

S. GAUDET – NULLITE

pour effet de rendre impossible la d6termination du contenu contractuel. En ef-
fet, ce contenu est ddterminj non pas par les volontgs r~elles mais bien par les
manifestations de volont exprimes et celles-ci peuvent s’accorder alors meme
que les volontis rdelles ne convergent pas. En fait, c’est ce qui arrive la plupart
du temps. Prenons une erreur in coipore : A fait parvenir h B un document par
lequel il lui offre sa maison de Brossard pour un prix donn6 ; B signe le docu-
tort qu’il s’agit de la maison de Bromont. 11 y a bien, selon
ment, croyant
l’analyse traditionnelle, <>, mais le contrat n’en existe pas moins
mat6riellement puisque les manifestations exprimees montrent une apparence
d’accord de volont6 pour l’achat de la maison de Brossard.

En fait, l’opposition des erreurs-obstacles aux autres types d’erreurs est un
vestige de la th6orie classique des nullit6s, laquelle, on l’a vu, opposait
l’absence de consentement aux vices de consentement. Le droit contemporain a
toutefois rejet6 cette approche et il faudrait, en cons6quence, rejeter aussi la
cat6gorie des erreurs-obstacles. Celle-ci, non seulement n’a plus d’utilit6 en
droit contemporain, mais elle est source de confusion229.

Lorsque l’erreur n’empeche pas qu’il y ait apparence d’accord de volont6,
il y a done un contrat annulable. Quelle type d’annulabilit6 ? I1 y a ici tout
simplement vice de consentement et, puisque l’int6r& g6n6ral n’est ici nulle-
ment en cause, le contrat sera sanctionn6 d’annulabilit6 relative , ce que pr6-
voit express6ment l’article 1419 C.c.Q.

‘9 Ainsi, Baudouin est parfois d’avis que l’erreur-obstacle doit 6tre sanctionn6e par l’annulabi-
lit6 absolue car il y a < (Ibid. au n 155), parfois il opte pour la double
nullit6 relative (ibid. au n 152) solution que Pineau et Burman, supra note 160 au n 73, semblent
adopter en toute hypoth~se. Or, d’une part, sanctionner une erreur d’annulabilit6 absolue est in-
compatible avec le crit~re de l’int~rt prot~g6 adopt6 en droit contemporain et, quant L la <>, de deux choses l’une : ou bien le contenu du contrat ne peut 8tre d6termin6, et
alors ‘acte est mat6riellement inexistant, ou bien il peut l’tre, et alors l’acte n’est qu’annulable.
ce contenu, ii y aura effecti-
Si, dans ce dernier cas, chacune des parties se trompe par rapport
vement (double nullit6 relative>. Mais il faut souligner que cette situation sera extr~mement
rare : il faut supposer, par exemple, que A veuille vendre l’immeuble de Brossard, que B d6sire
acheter celui de Bromont mais que l’examen de leurs manifestations de volont6s indique la vente
de l’immeuble de Laval ! Dans la trbs grande majorit6 des cas, il n’y aura qu’une seule partie qui
se trompera par rapport au contenu du contrat <> et seule cette pattie
pourra en demander l’annulation sur la base de l’erreur. Ainsi, si A contracte une assurance col-
lective, croyant qu’il s’agit d’une assurance individuelle, lui seul pourra demander l’annulation.
La compagnie d’assurance ne pourra 6videmment pas demander l’annulation de ce contrat car
elle n’a commis aucune erreur quant au contenu du contrat.

‘ Pineau, supra note 176 au n 71.

354

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 40

b.

Crainte

En cas de crainte provoqu~e par la violence, il y a n6cessairement une ma-
nifestation apparente de volont6 car cette manifestation de volont6 est l’objectif
meme de celui qui exerce la violence. On dolt donc 6carter la notion
d’inexistence’. Aussi, la violence entralne l’annulabilit6 du contrat et celle-ci
est relative puisqu’il s’agit d’un vice du consentement,.

c.

Lision

Lorsqu’elle est applicable, la 16sion est bien stir toujours sanctionnee par
.I1 n’y a lh

l’annulabilit6 relative en application du crit~re de l’int6r&t protege
aucune difficult6. Selon nous, il faut rattacher h la 16sion, prise en un sens large,
l’invalidit6 des clauses extemes, illisibles ou incompr6hensibles ou abusives:
l’annulabilit6 sera encore lh relative, favorisant l’adh6rent ou le consommateur.

B. Capacit6

La capacit6 est >25 . On distingue les incapacit6s de jouissance
(privation de la jouissance du droit) des incapacit6s d’exercice (privation de
l’exercice du droit dont on est par ailleurs titulaire). Quelle est la sanction lors-
que le contrat est conclu par une personne qui 6tait juridiquement incapable de
le conclure ?

Le cas des incapacit6s de jouissance n’accepte pas de r6ponse g6nrale : il

faudra voir dans chaque cas la raison qui a pouss6 le l6gislateur h 6dicter
l’interdiction pour d6terminer la nature de l’annulabilit 6 . Le plus souvent, de
telles incapacit6s existent pour la protection de l’int6r& g6n6ral. L’annulabilit6

” Si on obtient le consentement d’une personne en l’hypnotisant ou en ]a droguant de force, ce
n’est pas la crainte qui vicie le consentement mais plut~t ‘inaptitude A donner un consentement.
En effet, la crainte suppose un choix conscient entre deux maux : conclure l’acte ou subir le pr6-
judice dont on est menac6. Cette distinction th~orique n’a toutefois pas d’impact pratique : qu’il y
ait inaptitude A consentir ou consentement donna par crainte, iI y aura une manifestation de volon-
t6 apparente et I’annulabilit6 sera relative.

232 Art. 1399, 1419 C.c.Q.
211 Ibid.
2 Art. 1435-1437 C.c.Q.
2″ Pineau et Burman, supra note 160 au n’ 91.

Notons qu’il n’y a plus dans notre droit d’incapacit6 de jouissance g6n6raleo. Telle 6tait ]a

situation de 1’esclave ou de celui qui 6tait frapp6 de ,>.

1995]

S. GA uDET- NULLITE

355

absolue devrait donc g6n6ralement sanctionner l’incapacit6 de jouissance 7.
Ainsi, l’interdiction faite aux juges, avocats, notaires et autres officiers de jus-
tice de se porter acqu6reurs de droits litigieux est sanctionn6e par l’annulabilit6
absolue”8 , tout comme les incapacit6s de jouissance du mineu? 9. Les incapaci-
t6s de jouissance des personnes morales sont aussi g6nralement sanctionn~es
d’annulabilit6 absolue 24
1. I1 arrive toutefois que des incapacit6s de jouissance
soient 6dict~es dans le but de prot6ger des int6r~ts particuliers. Ainsi,
l’administrateur du bien d’autrui de se porter acqu6reur
l’interdiction faite
d’un bien qu’il administre existe pour prot6ger les int6rets patrimoniaux de
l’administr6, l’annulabilit6 est donc relative24 ‘ .

En ce qui a trait aux incapacit6s d’exercice, puisqu’elles ont pour but de
prot6ger certaines personnes jug6es incapables d’exercer elles-memes certains
droits, la sanction est, en principe, ‘annulabilit

relative242 .

C. Objet et cause

L’objet et la cause, en tant qu’616ments de formation du contrat, sont des
notions ambivalentes. En effet, chacun de ces 616ments a un contenu et un r6le
diff6rent selon que l’on se trouve au niveau obligationnel ou au niveau contrac-
tuel : la cause de l’obligation ne doit pas 8tre confondue avec la cause du con-
trat, tout comme l’objet de l’obligation ne doit pas 8tre confondu avec l’objet
du contrae 43 . Par ailleurs, des liens 6troits unissent l’objet de l’obligation
la

relative que pose ‘article 1421 C.c.Q.

“7 Toutefois, en cas de doute, il faut tenir compte de ]a pr6somption en faveur de l’annulabilit6
23 Art. 1783 C.c.Q.
2” Art. 161 C.c.Q. On peut songer par exemple h l’interdiction faite au mineur de tester (art.
708 C.c.Q.). Dans l’ancien droit, on penchait parfois vers l’annulabilit6 relative relativement aux
incapacits dejouissance du mineur (G. Brire, <> (1978) 19 C. de D. 117 h lap. 126 et s.).

2 Tardifet Pouliot Ltge c. Pouliot (1970), [1971] R.L. 155 (C.P.). Sur la doctrine de l’ultra vi-
res, voir M. Martel et P. Martel, La compagnie au Quebec, t. 1, Montral, Theleme, 1993 h lap.
183 et s.

24 Art. 1312, 1709 C.c.Q.
242 Pour le mineur, voir les articles 162 et 163 C.c.Q. Pour le majeur prot6g6, voir 1’article 256
C.c.Q. L’article 987 C.c.B.-C. avait donn6 lieu A certaines difficult6s d’interpr6tation puisqu’il
indiquait expressdment que l’incapacit6 des mineurs et des interdits pour prodigalit6 6tait 6tablie
en leur faveur, ce qui laissait croire A une r~gle diffdrente pour les autres types d’incapacit6. Voir
Pineau et Burman, supra note 160 au ad 131. Le 1gislateur, dans sa r6forme de 1989, avait tran-
ch6 en faveur de l’annulabilit6 relative (art. 325 C.c.B.-C. modifi6 par la Loi sur le curateur pu-
blic et modifiant le Code civil et d’autres dispositions l6gislatives, L.Q. 1989, c. 54, art. 85).

2 43Contrairement au Code Napol6on ou au Code civil du Bas-Canada, le Code civil du Quibec
distingue soigneusement l’objet et la cause de l’obligation (art. 1371, 1373, 1374 C.c.Q.) de
l’objet et de la cause du contrat (art. 1410-1413 C.c.Q.).

356

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 40

cause de l’obligation et l’objet du contrat (la prestation) A la cause du contrat.
La complexit6 de ces conditions de validit6 se r6percute sur la question de leur
sanction. Aussi, faut-il s’efforcer de soigneusement distinguer les concepts en
cause et de faire les nuances qui s’imposent.

1.

L’objet et la cause de l’obligation

Pour 6tre valide, l’obligation qui d6coule d’un acte juridique doit 1 avoir
pour objet une prestation qui soit possible, d6terminable et licite244 et 20 avoir
une cause qui en justifie l’existence 45. Comment devrait-on sanctionner
l’obligation contractuelle qui ne remplie pas ces conditions246?

En ce qui concerne le caract6re licite de la prestation, on ne peut donner de
r6ponse g6n6rale. En effet, parfois l’ordre public s’oppose A la validit6 d’une
obligation au nom de la protection de l’int6r& g6n6ral, parfois il le fait dans le
but de prot6ger certains int6rts particuliers. Ici encore intervient la distinction
entre l’ordre public de direction et ‘ordre public de protection. Il faut donc
voir, dans chaque cas, si la prohibition s’impose ou non pour prot6ger l’int~r&
g6n6ral. Ainsi,
titre d’exemple, le contrat de mere porteuse est sanctionn6
d’annulabilit6 absolue 247, alors que la renonciation a l’avance au b6n6fice de la
<> lorsque le cr6ancier hypoth6caire acquiert le bien sur
lequel porte sa cr6ance24 est sanctionn6e d’annulabilit6 relative2 49.

Rappelons par ailleurs que, lorsqu’une prestation portera manifestement
atteinte A l’int~r& g6n6ral, elle sera non pas annulable, mais juridiquement in-
existante. Tel est le cas de l’engagement pris par un tueur h gages ou celui o6i
on s’oblige A livrer une drogue que toute personne raisonnablement inform~e
sait 6tre ill6galeo.

En ce qui a trait au caract~re possible et d6terminable de la prestation, il est

244 Par souci de ne pas alourdir le texte, nous employons le terme > pour designer ]a pres-
tation qui n’est <>, selon 1’expression du Code
civil du Quebec.

245 Art. 1371, 1373 C.c.Q.
246 Rappelons que l’obligation n’est pas n6cessairement invalide du seul fait que son objet ne
respecte pas certaines nornes 1gislatives ou r6glementaires ((, supra
note 2).

247 Art. 631 C.c.Q.
2 8 Art 1695 C.c.Q.
249 Voir l’arr& Garcia, supra note 184. Pour un tour d’horizon relativement aux clauses illicites,
voir P. Ciotola, <> (1970) 72 R. du N. 315 A In p.
407 ; Veaux, supra note 82, fasc. 2.

2′ Voir ci-dessus le texte correspondant A la note 213 et s.

1995]

S. GAUDET – NULLITt

permis d’h6siter. Certains sont d’avis que ces conditions de validit6 sont sanc-
tionn6es par ‘annulabilit6 relative5 l. I1 est vrai que certaines clauses sont con-
sid6r6es etre parce qu’elles ont pour effet de soumettre l’une
des parties au pouvoir arbitraire de l’autre et que la protection d’int6r~ts parti-
culiers peut sembler ici 1’emporter sur la protection de l’int6ret g6ndral. A notre
avis toutefois, il faut pr6f6rer, du moins en principe 2, l’annulabilit6 absolue :
tant les parties que les tiers, A qui, rappelons-le, le contrat est opposable, ont
int&t h connaitre avec un minimum de pr6cision l’6tendue des engagements
des parties, ce qui implique que ceux-ci soient objectivement possibles et d6-
terminables ? 3. Ces conditions sont essentielles si on veut que le contrat rem-
plisse sa fonction sociale d’instrument indispensable des pr6visions contrac-
tuelles z2. En outre, comment pourrait-on admettre la confirmation d’une
prestation impossible ou dont on ne connait pas le contenu ?

Par contre, l’obligation sans cause doit 8tre sanctionn6e par l’annulabilit6
relative: en effet, cette condition de validit6 ne vise que les obligations qui d6-
coulent d’un acte juridique, car elle existe justement afin que tout engagement
r6sulte d’un v6ritable consentement et non pas du simple accomplissement de
certaines formalit6s. On doit avoir une raison objective>> de s’engager. Or, ce-
lui qui s’engage sans cause commet une erreur quant h l’existence de cette rai-
son objective’ et on ne voit pas pourquoi ce genre d’erreur serait trait6e diff6-
remment des autres. I1 s’agit 1 de la protection d’int6r~ts particuliers, comme
tout ce qui concerne les vices de consentement

.

Une pr6cision s’impose cependant. Dire que l’obligation qui n’est pas cau-
s6e est sanctionn6e d’annulabilit6 relative ne pose pas de probl~mes lorsque le
contrat est unilateral : si je m’engage h rembourser la dette d’un tiers alors que
cette dette n’existe pas, l’engagement sera tout simplement annulable A ma de-
mande. Mais s’agissant d’un contrat synallagmatique, les choses se pr6sentent
diffdremment. Prenons un exemple : A vend son automobile Ai B, mais au mo-
ment de la vente, fait qu’ignorent les parties, le v6hicule est enti&ement d6truit.

” Larroumet, supra note 124 au n 539 ; Roland et Boyer, supra note 124 au n 833.
22 En effet, dans l’hypoth~se o6i une obligation est manifestement impossible A ex6cuter ou dont
le contenu est absolument inddterminable aux yeux de la personne raisonnable (par exemple,
toucher le ciel du doigb> ; faire quelque chose ), il serait alors plus appropri6 de dire que
l’obligation est mat6riellement inexistante, car il n’y a alors m~me pas apparence d’engagement.

‘3 Ghestin, supra note 82 au n 776-1.
2″ Ibid. au n’ 516.
2″ Voir Taillefer c. Quibec (Sous-Ministre du Revenu) (10 mars 1993), Montr6al 500-05-
007023-904, 500-05-007024-902, J.E. 93-684 (C.S.), port6 en appel Montr6al 500-09-000716-
936,500-09-000717-934 (C.A.).

26 Voir Larroumet, supra note 124 au n 540 ; Roland et Boyer, supra note 124 au n’ 833.

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MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 40

Si A obtient l’annulation de son obligation envers B, 1’obligation de B envers A
(payer le prix) sera nicessairement elle aussi annulee puisque lice de fagon in-
divisible h la prerniere obligatione ‘ . I1 serait done inexact de dire que
l’obligation de payer le prix demeure, tout en 6tant entach6e d’une cause
d’annulabilit6 relative en faveur de B. Cette conclusion d6coule du fait que,
dans les contrats synallagmatiques, ]a cause objective n’est pas, h. strictement
parler, une condition de validit6 de l’obligation ; elle n’est plut6t qu’une fagon
(compliquee) d’expliquer l’interdependance des obligations contractuelles : si
l’une tombe, l’autre tombera aussi nicessairement. En consequence, lorsque
nous disons que l’obligation non causee est entach6e d’annulabilit6 relative,
nous ne visons pas les situations oti une obligation doit ndcessairement 8tre an-
nul6e comme consequence de l’annulation d’une premi~re obligation qui lui est
lie de fagon indivisible.

2.

L’objet et la cause du contrat

L’objet du contrat est l’op6ration juridique envisag6e par les parties”.
Celle-ci doit 8tre liciteP 9. Normalement, il y a illiceit6 de l’op6ration juridique
en raison du fait qu’au moins une des prestations du contrat est illicite. Par
exemple, si la vente de cigarettes de contrebande est une op6ration illicite,
c’est que la prestation du vendeur est en soi ill6gale. Toutefois, cette assimila-
l’objet du contrat ne se produit que si
tion de l’objet de l’obligation
l’obligation illicite est indivisible du reste du contrat. Au cas contraire,
l’obligation illicite ne rendra pas l’ensemble de l’op6ration illicite . Inverse-
ment, il arrive que l’operation juridique soit illicite, alors que chacune de ses
prestations, prise isol6ment, est licite : ainsi, la vente de sang est illicite 6’ , mais
chacune des prestations qui forme ce contrat (donner du sang, payer) est en soi
licite. On voit ainsi que l’objet du contrat, en tant qu’il s’agit du contenu du
contrat dans son ensemble, se distingue de chacune des prestations qu’il ren-
ferme, mais que des liens 6troits unissent l’objet du contrat et l’objet de
l’obligation.

Lorsque l’illic6it6 de l’obligation entraine l’illic6it6 du contrat, les corn-
mentaires de la section precedente quant aux sanctions relatives h l’objet de
l’obligation s’appliquent. Au contraire, lorsque c’est l’op6ration juridique envi-
sag6e par les parties qui est illicite sans que les prestations ne le soient, quelle

.. Art. 1438 C.c.Q.
.. Art 1412 C.c.Q.
.9 Voir supra les autorit~s cities A la note 251.
’60 Art. 1438 C.c.Q.
“6, Art. 25 C.c.Q.

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S. GAUDET – NULLITA

est la sanction de cette illicit6 ? Encore ici, on ne peut donner de r6ponse g6n6-
rale. En effet, le 16gislateur peut prohiber certaines op6rations juridiques dans le
but de prot6ger certains int6rets particuliers et l’annulabilit6 est alors relative ou
il peut plut6t viser h prot6ger 1’ensemble de la soci~t6 et l’annulabilit6 est alors
absolue. Cependant, la plupart du temps, il s’agit d’une annulabilit6 absolue, tel
que pour le cas de la vente des produits du corps humain2 62.

La cause du contrat, ce sont les motifs subjectifs (exprim6s ou non) qui
poussent les parties h le conclure263. Ainsi, je peux acheter une automobile pour
les fins de mon travail, pour mes loisirs ou pour en faire cadeau A un etre cher.
Pour que le contrat soit valide, la loi exige que la cause du contrat soit licite264.
Si la cause du contrat est illicite, l’annulabilit6 sera absolue : la soci6t6 dans son
ensemble a int&r& h ce que les contrats soient conclus h des fins 16gitimes2 5.

Notion purement subjective, la cause du contrat sera donc personnelle h
chacun des cocontractants : elle est, selon les termes m~mes du Code, > [nos italiques] 266. I y aura
done autant de < qu’il y a de parties contractantes. Cette
constatation soul~ve une interrogation : que faire lorsque l’une des parties con-
clut 1’acte h des fins ill6gitimes, mais que son cocontractant ignore ce fait ?

La jurisprudence frangaise, appuyde par une partie de la doctrine, consid~re
que l’acte n’est annulable que s’il y avait cause illicite commune ou du moins
connaissance (r6elle ou pr6sum6e) par le cocontractant des motifs illicites, sauf
lorsque l’acte est h titre gratuit267. Mais, h notre avis, cette solution doit etre reje-
t6e, car, sous pr6texte de prot6ger le cocontractant de bonne foi, elle aboutit A
lui interdire de demander lui-m~me 1’annulation s’il vient A apprendre la moti-
vation illicite de la personne avec qui il a contract626s.

On pourrait penser h rendre la partie de bonne foi > existent pour des motifs qui ont plut6t t voir avec la protection
de l’int6r& g6n6ral : on peut penser, par exemple, h la proc6dure de soumis-
sions publiques et aux autorisations administratives n6cessaires pour la conclu-
sion de certains contrats publics ou parapublics. Si ces formalit6s ne sont pas
respect6es, l’acte sera entach6 d’annulabilit6 absolue276.

La question de la sanction des formalit6s solennelles est plus d6licate. On
peut tout d’abord se demander si, en certains cas, l’absence de formalit6s so-
lennelles n’entrainerait pas l’inexistence de l’acte. En effet, on congoit que dans
certains cas, en mati~re de manage par exemple, les fornalit6s soient intrins6-
quement li6es A l’acte de fagon h ce qu’en l’absence de ces formalit6s, il n’y ait
meme pas apparence d’acte277 . Toutefois, en mati~re contractuelle, les formali-
t6s solennelles n’ont g6n6ralement pas ce caract~re et la sanction est donc
l’annulabilite”. Mais cette annulabilit6 sera-t-elle absolue ou relative ?

On consid~re g6n6ralement que le non-respect des formalit6s est sanctionn6
par l’annulabilit6 absolue279. En effet, la plupart du temps, les solennit6s visent h
prot6ger des int6rts divers et il n’est pas vraiment possible d’identifier des in-

.. Weill et Terr6, supra note 82 au n 298. Dans l’affaire Aub6 c. Forget, [1967] C.S. 412, le tri-
bunal consid~re que le non-respect d’une formalit6 habilitante visant permettre A un curateur de
vendre le bien d’un majeur prot6g6 entrane l’annulabilit6 relative de l’acte. Mais, curieusement,
il accorde ‘annulation demand6e par le cocontractant de la personne prot6g6e!

275 Art. 162 C.c.Q.
276 Havre St-Pierre (Corporation municipale de) c. Brochu, [1973] C.A. 832; Venne c. Grand-

Mere (CitJ de) (1966), [1968] C.S. 118 ; Cie Immobili~re Viger c. Laureat Gigure Inc. (1976),
[1977] 2 R.C.S. 67, 10 N.R. 277 ; Isolation Sept-Iles Inc. c. Bande des Montagnais de Sept-Iles et
de Maliotenan, [1987] RJ.Q. 2063 (C.S.).

277Voir a ce sujet M.-A. Guerriero, Lactejuridique solennel, Paris, Librairie gdn~rale de droit et
de jurisprudence, 1975 t la p. 357 et s. Sur la question de Ta nullit du manage, voir J. Pineau, La
famille: Droit applicable au lendemain de la doi 89>, Montreal, Presses de l’Universit6 de
Montr6al, 1982 au n 84 et s.

” Guerriero, ibid. h lap. 360 et s.
279 Ibid. ; Weill et Terr6, supra note 82 au n 298 ; Flour et Aubert, supra note 124 au n* 334;

Roland et Boyer, supra note 124 au n 834.

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MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

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t6rts priv6s que l’exigence de la formalit6 prot6gerait sp6cialement. Ainsi, par
exemple, l’exigence de la forme notari~e assure une r6daction professionnelle,
une conservation de l’instrumentum et une plus grande pr6cision du contenu
contractuel, ce qui est utile non seulement pour les parties, mais aussi pour les
tiers. Ainsi, le 16gislateur sanctionne de nullit6 absolue tant l’hypothque que la
donation immobili~re qui n’est pas notarize28″.

Mais il ne faut pas voir M une r~gle absolue 8′ : dans certains cas, et ils sont
nombreux, les formalit6s impos6es par la loi visent clairement A prot6ger des
int6rts priv6s sp6cifiques. L’annulabilit6 sera alors relative. Par exemple, la Loi
sur la protection du consommateur82 exige que le contrat qui y est assujetti r6-
ponde t certaines conditions de forme ; or seul le consommateur peut invoquer
la nullit6 qui d6coule de la violation de ces formalit6s2 3. Le Code civil du Que-
bec exige aussi, dans certains cas, que la vente d’un immeuble ,A usage
d’habitation soit pr6c6d6e d’un contrat pr6liminaire contenant de nombreux
616ments d’information. Si cette formalit6 n’est pas respect6e, seul l’acheteur
peut requ6rir l’annulation de ]a vente’.

Conclusion

Les quatre degr6s d’inefficacit6 que nous avons propos6s (inexistence ma-
t6rielle, inexistence juridique, annulabilit6 absolue, annulabilit6 relative) nous
semblent constituer un bon point de d6part pour fonder une th6orie complete et
satisfaisante en mati~re de nullit6s.

Tout d’abord, cette classification fait ressortir que la distinction premiere de
la th6orie des nullit6s est celle opposant l’inexistence A l’annulabilit6. Dans le
premier cas, l’acte est radicalement inefficace, dans le second, il est efficace,
mais cette efficacit6 est pr6caire. Cette distinction nous apparait fondamentale
et il faut r6sister i la tentation de la mettre en veilleuse sous pr~texte qu’il y a
beaucoup plus d’actes annulables que d’actes inexistants.

Mais notre classification n’a pas que deux branches, elle en a quatre : il y a
deux types d’inexistence, et deux types d’annulabilit6s. Pourquoi ? Parce qu’il
faut tenir compte des deux aspects de l’apparence : un acte est souvent appa-

2Art.

1824,2693 C.c.Q.

‘ Voir Ghestin, supra note 82 aux n ‘ 783-89 ; Flour et Aubert, supra note 124 au n 334.
L.R.Q. c. P-40.1.

283 Ibid., art. 271.
2. Art. 1785 et s., 1793 C.c.Q.

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S. GAUDET- NULLITA

remment valide mais il pent parfois etre manifestement invalide. Un acte qui
existe > mais qui est manifestement invalide doit etre consid~r6 comme
inexistantb>, mais il ne s’agit pas alors de l’inexistence>> stricto sensu. Inver-
sement, un acte nul> doit 6tre consid6r6 > lorsqu’il est apparem-
ment valide, mais il ne s’agit pas alors de l’annulabilit6 naturelle>>, c’est-4-dire
cele instaur6e dans un but de protection. S’opposant respectivement
l’inexistence et
l’annulabilit6 naturelles>>, il y a donc une inexistence de
droit >, que nous avons appel6e l’inexistence juridique, tout comme il y a une
, que nous avons nomm6e l’annulabiliti absolue.

Nous sommes maintenant t mme de constater que si les classiques ont fait
l’erreur d’axer leur th6orie des nullit6s sur l’6tat de l’acte aux d6pens de l’ide
de sanction, et sans jamais tenir compte de la validit6 apparente de l’acte, on
peut faire le reproche inverse aux contemporains : ceux-ci,
force de privil6-
gier l’id~e de sanction et d’insister sur la validit6 apparente de l’acte, en sont
venus A oublier que l’6tat de l’acte a son importance et que, dans certains cas,
1’acte est manifestement invalide. Nous esp6rons avoir montr6 pourquoi il faut,
non pas privil6gier un de ces 6ldments au d6triment de l’autre, mais, au con-
traire, les combiner de fagon A obtenir une th6orie des nullit6s complete, tant du
point de vue th6orique que pratique.

Comme nous l’avons not6 en introduction, Planiol a 6crit que la th6orie des
nullitds 6tait l’une des plus obscures du droit civil. II ajoutait cependant que
cette th6orie <