Article Volume 27:4

Intervention de la responsabilité délictuelle dans le domaine de la responsabilité contractuelle en droit français à la lumière des expériences étrangères

Table of Contents

L’intervention de la responsabilit& d~lictuelle

dans le domaine de la responsabilite contractuelle

en droit frangais

A la lumiere des experiences etrangeres

Christian Larroumet*

Introduction
1.- C’est en g6n~ral sous le nom de probl~me du cumul des responsa-
bilit6s d~lictuelle et contractuelle que la doctrine envisage la question de
savoir si la responsabilit6 d~lictuelle peut intervenir dans le domaine de
la responsabilit6 contractuelle. Et pourtant, i juste raison, la plupart des
auteurs, en France comme au Quebec, considrent que la terminologie
est mauvaise, ce qui nous conduit h l’6carter, non seulement parce que
le cumul lato sensu suppose une superposition d’actions, ce qui-n’est pas
toujours le cas, mais encore parce que le cumul stricto sensu supposerait
que le demandeur puise a son gr6 certaines r~gles relatives h la
reparation de son dommage dans le regime contractuel et d’autres r~gles
dans le regime d6lictuel.2 Si le cumul lato sensu est concevable, il est
6vident que la notion de cause de l’action en justice s’oppose au cumul
stricto sensu dans la mesure ofi, m~me si le demandeur peut 6ventuelle-
ment disposer de plusieurs actions pour obtenir la reparation t laquelle
il pr6tend, encore convient-il qu’il precise le terrain sur lequel il fonde sa
pr~tention, puisqu’on ne saurait confondre dans une m~me voie de droit
des actions qui relvent de causes diffrentes. 3 En effet, m~me si le

* Professeur A la Facult6 de droit de l’Universitb Ren6 Descartes (Paris).

‘Voir notamment, en droit frangais, H. & L. Mazeaud, TraitM thdorique etpratique de la
responsabilit6 civile ddlictuelle et contractuelle, 6e dd. par Tunc (1965), t. I, no 174, aux
pp. 226-9 [ci-apr~s: Mazeaud et Tunc]; B. Starck, Droit Civil [;] Obligations (1972), no
2254, aux pp. 665-6; G. Cornu, “Le problme du cumul de la responsabilit contractuelle
et de Ia responsabilit d6lictuelle” in Travaux de l’Institut de droit compar6 de la Facultg
de droit de Paris (1981), t. XXIII, pp. 239 et seq. En droit qudb6cois, voir Cr~peau,
Des regimes contractuel et d6lictuel de responsabilitg civile en droit civil canadien
(1962) 22 R. du B. 501.

2Voir par exemple, Comu, supra, note 1, A la p. 240, ofi l’auteur envisage un
panachage; voir 6galement Rodi~re, La combinaison des responsabilitds, J.C.P.
1950.1.868, qui oppose le cumul, lequel suppose une application concurrente des r~gles
des deux responsabilit6s, et le concours, lequel suppose une application subsidiaire des
r~gles de Ia responsabilit6 d~lictuelIe Iorsque le d6biteur en vertu d’un contrat n’est pas
contractuellement tenu de Ia r6paration; mais voir infra, note 6.
3Voir J. Vincent & S. Guinchard, Procedure civile, 20e 6d. (1981), no 372, aux
pp.396-400, A propos de la notion de cause de la demande qui, au demeurant, est
controversde.

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demandeur n’a pas fond6 sa demande sur une r~gle de droit, il appartient
au juge de proc6der h la qualification qui s’impose A la lumi~re des faits
et des pr6tentions qui lui sont soumis. Or, s’il apparait au juge que la
pr6tention doit 6tre qualifi6e d’action en responsabilit6 contractuelle, il
tre fait application b cette action des r~gles de la responsa-
ne saurait
bilit6 d6lictuelle, 4 ce qui, de toutes fagons, ne pr6juge pas de la question
de savoir s’il peut aussi y avoir place pour une autre action, cette fois-ci
fond6e sur la responsabilit& d6lictuelle.5
2.- En r6alit&, une fois 61imin6e la question du cumul stricto sensu, le
problme de savoir si la responsabilit6 d6lictuelle peut intervenir dans le
domaine de la responsabilit6 contractuelle est ramen6 h deux questions.
La premiere est de savoir s’il est possible pour le demandeur A la
r6paration d’intenter deux actions ind6pendantes, l’une fond6e sur la
responsabilit6 contractuelle du d6fendeur et l’autre sur sa responsabilit6
d6lictuelle. C’est le cumul lato sensu. Plus pr6cis6ment, il s’agit de
savoir si une action en responsabilit6 d6lictuelle peut constituer le
compl6ment d’une action en responsabilit6 contractuelle, 6 ce qui peut

4Toutefois, iI peut arriver que la cause de ]a demande ne soit pas pr6cis6e, ni par le
demandeur ni par le juge, dans les cas ofi
le r6suItat de l’action aurait 6t6 le mame que
celle-ci soit fond6e sur la responsabilit& contractuelle ou bien sur la responsabilit6
d61ictuelle. Dans ces cas, la qualification ne prdsente pas d’int6r6t. Telle est la raison pour
laquelle iI y a un certain nombre de d6ecisions judiciaires dont on ne peut a priori savoir si
elles ont W rendues sur le terrain de la responsabilit6 contractuelle ou bien sur celui de Ia
responsabilit6 d6lictuelle.

Dans certaines 16gislations, l’application simultan6e des r~gles de la responsabilit6
d61ictuelle et de celles de la responsabilit6 contractuelle pourrait 6tre admise. Ainsi, voir
R. Rodi~re, “Definition et domaine de la responsabilit6 contractuelle”
il P6done,
Harmonisation du droit des affaires dans les pays du Marchg commun (198 1), et plus
sp6cialement A propos des droits allemand et danois. Mais la solution contraire est
consacr~e, outre le droit frangais, par les droits grec, italien et anglais.
6Voir Rodi~re, supra, note 2, ofi l’auteur envisage ]a s-,bsidiarit6 de la responsabilit6
d6lictuelle par rapport A Ta responsabilit6 contractuelle, dans la mesure o6i il consid~re que
c’est dans le cas ofi
le d6biteur contractuel ne serait point tenu en vertu de Ia
responsabilit6 contractuelle que la responsabilit6 d6lictuelle pourrait 6ventuellement
intervenir pour permettre d’assurer la r6paration du dommage. Dans le meme sens, voir
Cornu, supra, note 1, A lap. 240. Mais l’opinion de ces auteurs est trop restrictive, car on
peut envisager l’intervention de la responsabilit6 d6lictuelle non pas seulement d’une
faron subsidiaire, mais aussi en compl6ment de la responsabilit6 contractuelle, laquelle
n’aurait permis qu’une r6paration jug6e insuffisante par le demandeur. C’est la raison
pour laquelle nous pr6f6rons dire qu’il y a compl6mentarit6 6ventuelle de la responsabilit6
dM1ictuelle plut6t que subsidiarit6, ce qui, au demeurant, parait mieux correspondre aux
donn6es du probl~me en droit compard. Mais il est vrai que MM. Rodi~re et Cornu ont
une perception plus extensive du cumul stricto sensu que celle que nous soutenons dans ce
texte. En effet, pour ces auteurs, le cumul stricto sensu suppose des pr6tentions
concurrentes et simultandes quant A l’application des r~gles des deux responsabilit6s,
mime si ces pr6tentions trouvent eur fondement dans deux demandes distinctes. Pour
nous, le cumul stricto sensu suppose un appel aux r~gles des deux responsabilit6s dans le
cadre d’une m6me demande en justice.

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pr6senter un int6r6t non n6gligeable dans tous les cas ofi la premiere
peut 8tre paralys6e par la prescription ou,quant au fond, parce que le fait
dommageable est appr6ci6 plus lib6ralement dans l’int6r~t de la victime
en mati~re de responsabilit6 d~lictuelle qu’en matire de responsabilit&
contractuelle ou bien parce que la reparation est plus 6tendue sur le
terrain de la premiere que sur celui de la seconde, ou encore parce qu’il
s’agit d’6chapper h une limitation conventionnelle de responsabilit6
contractuelle. En fait, il y a autant d’int6r~ts 4 se pr6valoir de la
responsabilit6 d6lictuelle en compl6ment de la responsabilit6 contrac-
tuelle qu’il y a de diff6rences dans les r6gimes juridiques des deux
responsabilit6s, diff6rences favorables au demandeur sur le terrain
d6lictuel.

Quant a la seconde question il s’agit de savoir si le demandeur L la
r6paration peut choisir purement et simplement entre le r6gime d6lictuel
et le r6gime contractuel, 6tant admis que tout panachage est exclu, la
logique du choix imposant, si l’action pour laquelle il a opt6 est de
nature d61ictuelle, que celle-ci ne sera soumise qu’au r6gime de la
responsabilit& d61ictuelle, et si Faction est contractuelle, qu’elle ne sera
soumise qu’hi celui de la responsabilit6 contractuelle. C’est ce que l’on
qualifie d’option entre les deux r6gimes de responsabilit6. L’option peut
pr6senter des avantages quant an fond, comme l’action compl6mentaire
en responsabilit6 d6lictuelle, mais aussi quant it la proc6dure et notam-
ment, ici encore, en mati&e de prescription, mais 6galement en mati~re
de comp6tence. Au demeurant, le probl~me pos6 dans l’affaire Wabasso
Ltd v. The National Drying Machinery Co., 7 jug6e par la Cour supreme
du Canada le 22 juin 1981, concernait l’option entre les deux r6gimes a
propos de la competence judiciaire.
3. –
Le double probl~me pos6 par l’intervention de la responsabilit6
d6lictuelle dans le champ contractuel regoit, en principe, en droit
frangais, une solution tr~s claire, plusieurs fois affirm6e par la Cour de
cassation depuis longtemps, laquelle est approuv6e par la majorit& des
auteurs, ce qui diff6rencie tr~s nettement le droit fran(ais de la plupart
des autres syst~mes juridiques de tradition civiliste dans lesquels les
positions des jurisprudences nationales et d’une grande partie de la
doctrine sont ambigu~s. En effet, dans presque tous les syst~mes
juridiques, si quelquefois on affirme le principe qu’il n’y a pas d’obstacle
h l’intervention de la responsabilit6 d6lictuelle dans
le domaine
contractuel et tel est bien le sens de l’arrt de la Cour supreme du
Canada dans l’affaire Wabasso, d’autre fois on temp~re le principe in-
verse de la non-intervention par des exceptions qui, sans m~me qu’il soit
n6cessaire de faire allusion h leur caract~re vague, ruinent totalement la

“[1981] 1 R.C.S. 578.

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port6e du principe. Or, le droit frangais se d6marque des autres syst6-
mesiuridiques par l’affirmation du principe de non-intervention. Comme
on a pu le dire “le seul droit rigoureux est le droit frangais. II est en
m6me temps le seul logique”, encore que, sans qu’il soit pourtant
question de v6ritables exceptions au principe, lajurisprudence frangaise,
dans certaines hypotheses, A vrai dire peu justifiables, n’aille pas
jusqu’au bout de la logique de la non-intervention.

Cependant, en droit frangais, comme dans d’autres syst~mes
juridiques, le problme a
t6 quelquefois obscurci par la prise en
consid6ration d’616ments qui ne lui 6taient pas propres, ce qui fait qu’il
n’a pas toujourst6 pos6 sur le terrain qui devait 6tre le sien. II convient
donc d’envisager les donn6es du probl~me avant d’en examiner la
solution.

I. Les donn6es du probleme
4.- Le probl’me de savoir si
la responsabilit6 d61ictuelle peut
intervenir dans le domaine de la responsabilit& contractuelle, soit en
vertu d’une option, soit . titre compl6mentaire, ne peut se poser que si le
demandeur h la r6paration dispose d’une action contractuelle, encore
qu’en ce qui concerne l’option, on puisse se demander si elle ne peut
appartenir qu’au demandeur. En effet, h supposer que le demandeur ait
invoqu6 la responsabilit contractuelle du d6fendeur, celui-ci ne
pourrait-il pas se pr6valoir de l’option pour 8tre jug6 sur le terrain de la
responsabilit6 d6lictuelle? Cette question n’est jamais envisag6e car on
suppose que l’option ne peut appartenir qu’au demandeur. Evidemment,
c’est au demandeur de choisir le terrain sur lequel il entend porter son
action. Mais le d6fendeur n’est pas oblig6 de le suivre. En droit frangais,
qui admet le principe de la non-intervention de la responsabilit6
d6lictuelle dans le domaine contractuel, la question ne saurait se poser.
En effet, de deux chose l’une: ou bien les conditions de la responsabilit6
contractuelle sont remplies, ou bien elles ne le sont pas. Dans le premier
cas, en raison de l’impossibilit6 de l’option, la responsabilit6 ne peut 6tre
que contractuelle. Dans le second cas, la responsabilit6 ne peut 6tre que
d6lictuelle et il n’y a pas non plus d’option. Par cons6quent, ce n’est que
si le d6fendeur pr6tend que les conditions de la responsabilit6 contrac-
tuelle ne sont pas remplies qu’il pourra demander l’application des
r~gles de la.responsabilit& d6lictuelle. 9 Mais il est 6vident que dans ce
cas, ce n’est pas en vertu d’une option qui lui serait attribu6e.

8Voir Rodire, supra, note 5, A la p. 143.
9Sauf A se demander si, apr~s avoir entendu les observations des parties, le juge ne
pourrait pas prendre l’initiative de requalifier la demande. Sur cette question, voir G.
Viney, TraitM de droit civil [;] Les obligations [;] La responsabilite: conditions (1982),
nos 226 et seq., aux pp. 268 et seq.

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Au contraire, dans les syst~mes juridiques qui sont favorables h
l’option, on envisage toujours une option L la discr6tion du seul
demandeur, sans l’autoriser au profit du d6fendeur, de la m~me fagon
que c’est au demandeur seul de faire appel, t titre complkmentaire de la
responsabilit6 contractuelle, b la responsabilit6 d61ictuelle. S’il est vrai
qie le d6fendeur n’est pas oblig6 de suivre le demandeur sur le terrain
choisi par celui-ci et peut, d~s lors, provoquer une requalification de la
demande, il faut bien voir que, dans tous les cas ofi le demandeur
dispose de plusieurs actions, c’est A lui et non pas au d6fendeur de
choisir celle qui fondera la demande en justice. Par cons6quent, il est
concevable que l’option ne puisse appartenir qu’au demandeur.

Lorsque le demandeur a fond6 son action sur la responsabilitg
d~lictuelle et non pas sur la responsabilit6 contractuelle du d6fendeur,
celui-ci ne pourrait pas critiquer le choix du demandeur si ce choix a W
supposer qu’elle soit admise,
fait dans le cadre d’une option,
valablement exerc6e. Mais, dans les syst~mesjuridiques qui n’admettent
pas l’option, comme le droit fran9ais, il est certain que si la demande
6tait mal qualifi6e, le d~fendeur pourrait demander au juge de la
requalifier sur le terrain de la responsabilit6 contractuelle. Mais il ne
s’agit pas d’une option, puisque par hypoth~se, le d6fendeur pr6tend que
seul le r6gime de la responsabilit6 contractuelle est applicable au litige.
S.- On comprend mieux, d~s lors, ce que peut 6tre l’intervention de la
le domaine contractuel. II s’agit
responsabilit& dM1ictuelle dans
uniquement de permettre ou, au contraire, d’interdire au demandeur
contractuel de se pr~valoir de la responsabilitM d~lictuelle en
complkment ou d la place de la responsabilitg contractuelle. Par
cons6quent, le probl~me de l’6ventuelle intervention de la responsabilit6
d61ictuelle dans le domaine de la responsabilit6 contractuelle suppose
que les conditions de la responsabilit6 contractuelle soient remplies. En
d’autres termes, il faut, d’abord, qu’un contrat ait W conclu entre le
demandeur A la r6paration et le d6fendeur. I1 faut, ensuite, que le contrat
n’ait pas W ex6cut6 ou ait &t& mal ex6cut6 par le d6fendeur. I1 faut,
enfin, que le dommage soit subi par le cr6ancier et provienne de
l’inex6cution de son obligation contractuelle par le d6biteur. Si l’une ou
l’autre de ces conditions n’est pas remplie, il ne saurait 8tre question
le
d’envisager
domaine contractuel. II n’y a alors place que pour la responsabilit6
d6lictuelle h titre exclusif et non pas en compl6ment ou A la place de la
responsabilit6 contractuelle.

l’intervention de la responsabilit& d6lictuelle dans

Toutefois, chacune des conditions qui viennent d’6tre 6nonc6es
peuvent faire l’objet de difficult6s dans de nombreuses hypotheses. Sans
doute, ces difficult6s n’ont rien it voir avec la question de l’intervention
de la responsabilit6 d6lictuelle dans le domaine contractuel, puisque, par

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hypoth~se, si la responsabilit6 dMlictuelle peut intervenir, c’est que la
responsabilit6 contractuelle est exclue. Cependant, elles m6ritent d’atre
signal~es dans la mesure oii elles permettent de mieux saisir le domaine
de la responsabilit6 contractuelle qui, en France, est normalement
exclusif de celui de la responsabilit6 d~lictuelle. Quant aux syst~mes
juridiques qui admettent l’intervention de la seconde dans le domaine de
la premiere, ils ne sauraient davantage admettre que lh ofi les conditions
de la responsabilit6 contractuelle ne sont pas remplies il y a place pour
l’exercice d’une option en faveur de la responsabilit6 d6lictuelle ou de
son intervention complmentaire. Ici encore, par contraste avec I’option
ou le r6le complmentaire de la responsabilit& d6lictuelle, il n’y a que
l’intervention exclusive de la responsabilit6 contractuelle. Toutefois, le
domaine de la responsabilit& contractuelle n’est pas toujours le m~me
dans tous les syst~mes juridiques.

Partie A
6.- Toute relation entre deux personnes pr~existant A la survenance
d’un dommage subi par l’une d’elles et dont l’autre peut 6ventuellement
6tre tenu responsable ne trouve pas obligatoirement sa source dans un
contrat, m~me innom&. En l’absence de contrat, seule la responsabilit6
d~lictuelle a vocation h intervenir pour la reparation du dommage, ce qui
exclut toute option au profit du demandeur h la r6paration, m~me s’il
s’agit de ce que l’on a pu qualifier d’une vari~t6 de relations dites
paracontractuelles. 10 II y a plusieurs exemples, dans Ia jurisprudence
frangaise r~cente, de ce type de relations exclusives de l’existence d’un
contrat et ne permettant de retenir qu’une responsabilit6 d6lictuelle du
d~biteur envers le cr~ancier. Ainsi, la responsabilit6 de l’exploitant d’un
buffet de gare envers une personne ayant fait une chute dans l’escalier
conduisant aux toilettes est-elle d~lictuelle A d~faut de preuve de
l’existence d’un contrat de restauration.11 Ainsi, encore, si le contrat de
louage d’ouvrage est dans son essence A titre on~reux, la responsabilit6
d’un entrepreneur qui a gratuitement 6tabli les plans d’une construction
ne peut 8tre que d6lictuelle.12 De m~me est d6lictuelle l’6ventuelle
responsabilit6 d’un mandataire envers la personne avec laquelle il

10Ibid., nos 192 et seq., aux pp. 226 et seq., et notamment no 193, aux pp. 226-7.
“Voir Cass.Civ.16re, 22 mars 1977, D.1977.II.R.437, et nos observations. Encore
convient-il de remarquer qu’A supposer prouv~e l’existence d’un contrat de restauration,
l’exploitant du buffet pourrait n’6tre tenu d’aucune obligation contractuelle de sdcurit6
envers son client, ce qui autoriserait celui-ci A invoquer la responsabilit6 d6lictuelle de
l’exploitant pour la reparation de dommages r6sultant d’une chute dans les loeaux du
‘exploitant du
buffet, et A condition que le contrat n’ait point exclu la responsabilit6 de
buffet pour les dommages r6sultant de tels accidents.

2Voir Cass.Civ.3e, 3 octobre 1980, D.1981.I.R.107.
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contracte pour le compte et au nom de son mandat,13 ainsi que celle du
m~decin qui, sur 1intervention d’un confrere, a soign6 un malade sans
avoir obtenu l’accord de celui-ci. 14 II est vrai que cette jurisprudence
n’est pas toujours h l’abri de la critique. Dans la mesure ofi aucun accord
expr~s ou tacite ne peut 8tre admis entre les parties h la relation
paracontractuelle, la reparation du dommage ne peut relever que de la
responsabilit& d~lictuelle. Mais, 1’existence d’un accord’ 5 pourrait
autoriser l’intervention de la responsabilit6 contractuelle pour inex~cu-
tion d’une obligation cr6e par un contrat innom6, ce qui, en droit
frangais, serait exclusif du recours a la responsabilit6 dMlictuelle, encore
qu’il ne soit point ais& de determiner le contenu et l’&tendue de
l’obligation assum~e par le d~biteur en vertu d’un tel contrat, ce qui est
pourtant essentiel quant h l’appr6ciation du regime de la responsabilit6
contractuelle, puisqu’il n’y a pas un r6gime unique mais des regimes
diff6rents selon que l’obligation est de moyens ou de r~sultat, sans
compter que les obligations de moyens ne sont pas toutes soumises au
la
m~me r6gime. Evidemment, dans ces situations
responsabilit6 d6lictuelle a l’avantage de la simplicit6 et de la clart6,
mais il n’est pas certain que la solution soit toujours dict~e par la
logique. Les anciennes querelles sur le transport b~n~vole ou gratuit en
droit frangais, A propos duquel la jurisprudence a d6finitivement opt6
pour la responsabilit6 dMlictuelle en raison du caract~re a titre on~reux
du contrat de transport, le d~montrent suffisamment. 16
7.- Dans certains syst6mes juridiques, il est admis que la responsa-
bilit6 contractuelle a vocation h intervenir non pas seulement lorsqu’un
contrat a mis une obligation A la charge du d6biteur de la reparation et
que celle-ci n’est pas ex~cut6e au profit du cr~ancier, mais encore
lorsqu’une personne en dehors de tout contrat est tenue d’une
“obligation spgciale” envers une autre.’ 7 Toutefois, lorsqu’est admise

le recours a

O3Voir Cass.Com., 9 mars 1977, D.1977.II.R.284.
14voir Cass.Civ.lre, 20 fdvrier 1979, D.1979.II.R.250, J.C.P.1979.IV.145; ainsi
que Nancy, 11 janvier 1977, J.C.P.1978.IV.71, A propos de la responsabilit& de
l’exploitant d’un terrain de camping envers une personrie qui 6tait venue rendre visite A un
campeur et qui n’avait pas acquitt6 de droit d’entrde. Voir aussi Lyon, 10 mars 1976,
D.1977.II.R.44 admettant la responsabilit6 d~lictuelle d’un transporteur envers le
te transportde par
propri~taire d’une marchandise qui avait W endommagee pour avoir
erreur au lieu de la marchandise d’une autre personne.

“Ce qui est le cas dans l’affaire ayant donn6 lieu A l’arr~t cit6 supra, note 12.
‘6Sur le transport b~n~vole, voir notamment R. Rodi~re, Droit des transports
terrestres et adriens, 2e dd. (1977), nos 693 et seq., aux pp. 797 et seq. En droit libanais,
la question de savoir si le transport ben~vole est un contrat est controvers~e, quoique
l’unification des responsabilit~s contractuelle et d6lictuelle r~alis~e par l’art. 131, al. 3, du
Code libanais des obligations et des contrats, lorsqu’une chose est intervenue sans Ta
r~alisation d’un dommage, enl~ve une grande partie de son intr~t A la querelle.

17Voir Rodi~re, supra, note 5, a la p. 109, A propos du droit allemand.

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la

r6paration des dommages

l’intervention de la responsabilit6 d6lictuelle dans le champ contractuel,
l’extension du domaine contractuel perd de son int6r~t, en raison de la
concurrence possible entre les deux responsabilit~s. Mais il n’en
demeure pas moins vrai que la responsabilit& contractuelle aura
vocation it intervenir pour la reparation de dommages qui, dans d’autres
syst~mes juridiques, comme le droit frangais, ne pourraient 6tre r~par~s
que par la responsabilit6 d~lictuelle.
8.- De la mme fagon et pour la m~me raison que dans l’hypoth~se de
l’absence de relation contractuelle entre le d6biteur de la reparation et la
victime du dommage, le droit frangais refuse d’6tendre la responsabilit6
contractuelle pour
r6sultant d’un
comportement fautif lors de la conclusion d’un contrat,”8 de l’inex~cu-
tion ou de la mauvaise execution d’une obligation cr6e par un contrat
nul.19 Dans de telles hypotheses, h d6faut d’existence d’un contrat liant
valablement les parties au procs en responsabilit6, il ne saurait etre
question de faire appel au regime de la responsabilite contractuelle.
Toutefois, la solution n’est pas unanimement admise dans tous les
syst~mes juridiques. En effet, certains systmes juridiques ont consacr6
la th~orie de Thering sur la culpa in contrahendo ou s’en inspirent pour
soumettre la responsabilit6 pr~contractuelle i un regime qui lui est
propre et qui n’est pas, en tous points, celui de la responsabilit6
d~lictuelle. Le plus souvent, une telle responsabilit6 pr6contractuelle
autonome s’appuie sur des textes. 20 En droit frangais, l’absence de
textes 6quivalents du Code civil oblige h faire entrer ces hypotheses de
responsabilit6 pr~contractuelle ou pour un dommage r6sultant d’un con-
trat nul dans le cadre d~lictuel, comme cela est le cas dans d’autres sys-
t~mes juridiques. 2 1 Au demeurant, la solution n’est pas justifi6e par le
caract~re special de la responsabilit& contractuelle par rapport h la
responsabilit6 d~lictuelle qui serait g~n6rale. On retrouvera plus loin la
soi-disant g~n~ralit6 de la responsabilit6 d~lictuelle,22 g~n6ralit6 qui a
W 6voqu~e justement pour la faire intervenir dans le domaine de la
responsabilit6 contractuelle, sans compter que cette g~n~ralit6, h

IgVoir Viney, supra, note 9, nos 196 et seq., aux pp. 229 et seq. On consultera aussi

Cass.Civ.lere, 14 novembre 1979, D.1980.I.R.264, et obs. Ghestin.

19Voir Viney, supra, note 9, no 194, A la p. 227.
2″Voir Rodi~re, supra, note 5, A propos des droits allemand, grec et italien, encore
qu’en droit italien la nature de la responsabilit& pr6contractuelle soit controvers6e,
certains y voyant une hypothse de responsabilitd d~lictuelle pour faits illicites en dehors
des contrats, et d’autres une vari~t6 de responsabilit6 contractuelle. Cela d6montre que le
simple fait de consacrer une responsabilit6 pr6contractuelle dans une disposition l6gale
n’est pas suffisant si le regime n’en est pas prdvu par la loi.

211 en est ainsi en Belgique, aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne. Voir Rodi~re,
22Voir infra, no 23.

supra, note 5.

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supposer qu’elle soit admise en droit fran9ais et dans d’autres 16gisla-
tions, ne fait pas l’unanimit6 de tous les syt6mes juridiques. Ainsi, en
droit anglais, il n’y a pas de principe g6n~ral de responsabilit& d6lictuelle
analogue aux articles 1382 et 1383 du Code civil frangais ou A l’article
1053 du Code civil au Qu6bec. Il n’y a que la possibilit6 d’agir en
r6paration dans le cadre d’un tort admis par le common law. En droit
anglais, ce serait plut6t la responsabilit6 contractuelle pour breach of
contract qui constituerait un principe g6n6ral. De mame, en droit
allemand, dont le Code civil proc~de plus par 6num6ration que par
affirmation de principes aL vocation g6n6rale, il n’y a pas davantage de
principe g6n6ral de responsabilit6 d6lictuelle, en vertu des articles 823
et seq. du Code civil relatifs aux actes illicites, qu’il n’y a de principe
g6n6ral de responsabilit6 contractuelle. Toutefois, par l’extension
remarquable du tort of negligence notamment, la jurisprudence anglaise
est tout pros d’6noncer un principe g6n6ral de responsabilit6 d6lictuelle.
De m~me, en Allemagne f6d6rale, l’article 823 du Code civil peut
recevoir une application g6n6rale et la jurisprudence, en ce qui concerne
la responsabilit6 contractuelle, a conqu celle-ci d’une fagon g6n6rale h
travers le principe de la “violation positive du contrat”.23
9.- Quoiqu’il en soit, si la responsabilit6 d6lictuelle a vocation a
intervenir dans tous les cas oii il n’y a pas (ou pas encore) ou plus de
contrat, c’est parce que l’existence d’un contrat est une condition
n6cessaire de la responsabilit6 contractuelle. Cela n’a rien ia voir avec la
pr6tendue g6n6ralit6 de la responsabilit6 d6lictuelle. Ce n’est pas parce
que l’intervention de la responsabilit contractuelle n’est pas possible
que la responsabilit6 d6lictuelle peut intervenir. C’est tout simplement
parce que ses conditions peuvent en Utre remplies et que parmi ces
conditions figure, du moins en droit frangais, l’exigence d’une absence
de relation contractuelle entre le responsable 6ventuel et la victime du
dommage. Chacune des deux responsabilit6s ob6it h des conditions qui
lui sont propres et, lorsque les conditions de l’une ne sont pas remplies,
celles de l’autre peuvent l’6tre mais elles doivent l’6tre pour qu’elle
puisse permettre la r6paration du dommage. En r6alit6, la g6n6ralit6 de
la responsabilit6 d6lictuelle est le fruit d’une illusion en raison de ce
qu’elle ne suppose pas une relation pr66xistante entre le responsable et
la victime. Mais, il n’y a pas pour autant g6n6ralit6. On peut trbs bien
d6ecider que ce qui relive du domaine de l’une ne doit pas relever du
domaine de l’autre. La g6n6ralit6 de la responsabilit6 d6lictuelle est une
p6tition de principe pour la faire intervenir dans le domaine de la
responsabilit6 contractuelle. Elle n’est m6me pas subsidiaire par rapport
h celle-ci, en ce sens qu’elle pourrait toujours
intervenir dans

2’Voir Rodi~re, supra, note 5, A la p. 110, et les r6f6rences y cit6es.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 27

l’hypoth~se ofi la responsabilit6 contractuelle serait exclue, car non
seulement il faut que ses conditions soient v~rifi~es mais encore et
surtout, lorsque les parties au contrat ont exclu la responsabilit6
contractuelle, notamment en 6cartant telle obligation A la charge du
d~biteur, il n’y a pas de place pour la responsabilit6 ddlictuelle.

Partie B
10.- En effet, sous r6serve des dispositions imperatives concernant les
obligations des parties, lesquelles peuvent r6sulter non seulement de la
loi mais encore de lajurisprudence, 24 il est loisible aux parties au contrat
d’inclure ou d’exclure telle obligation h la charge du d6biteur ou encore
d’en limiter le contenu ou l’6tendue ou, au contraire, de l’aggraver et
cela, soit express~ment soit tacitement. Lorsque l’accord A cette fin n’est
que tacite, il est, certes, d~licat de determiner pr~cis~ment ce que les
parties ont voulu en fonction de ce qui leur 6tait permis de faire. Mais,
c’est par interpretation des volont~s des parties et h la lumi~re de
1’&conomie du contrat, laquelle peut 6tre appr~ci6e non seulement
subjectivement, c’est-A-dire par r~f~rence A la volont6 probable des
parties, mais encore objectivement, c’est–dire sans qu’il soit besoin de
se r~f6rer h cette volont6, 25 que le juge d6terminera l’existence des
obligations contractuelles ainsi que leur contenu et leur 6tendue. En
d’autres termes, il s’agit de savoir si telle obligation qui pouvait atre
mise A la charge du d~biteur par le contrat a W effectivement mise A sa
charge. Est-elle ou non entree dans le champ contractuel?
11.-
Si, aussi bien en fonction de l’interpr6tation de la volont6
probable et commune des parties qu’en fonction des dispositions
imp6ratives de la loi et de la jurisprudence quant au contenu du contrat,
la r6ponse est affirmative, il n’y a pas, dans un syst~me qui refuse
l’option du cr~ancier contractuel entre les deux responsabilit~s, de place
pour l’intervention de la responsabilit6 d6lictuelle. Tout dommage subi
par le cr~ancier et qui provient de l’inex~cution ou de la mauvaise
execution par le d~biteur d’une obligation i laquelle on doit reconnaitre
le caract~re contractuel ne peut relever, quant A sa reparation, que de la
responsabilit& contractuelle. L’obligation tr~s g~n~rale et imprecise de
ne pas nuire h autrui, qui justifie la responsabilit6 dMlictuelle, est
absorb~e par le contrat en raison du contenu impos6 ou voulu de celui-
ci. Plusieurs decisions r~centes de lajurisprudence frangaise t~moignent

240n se rappellera par exemple en droit frangais de l’obligation du transporteur de
personnes quant A Ia sdcurit6 du passager et de l’obligation imperative et de r~sultat
impos~e au vendeur professionnel quant A la garantie des vices caches de la chose vendue,
ainsi que de I’obligation, elle aussi imperative de renseignement ou de conseil mise A la
charge notamment des vendeurs professionnels.

25Voir art. 1135 C.civ.

19821

WABASSO

d’une telle absorption contractuelle d’un devoir dont la violation n’aurait
donn6 lieu qu’h une responsabilit6 d~lictuelle si le dommage avait
t6
subi par un tiers au contrat ou avait W caus6 par une personne autre
que le d6biteur contractuel. Ainsi, il a W admis par la Cour de
cassation que la responsabilit& du vendeur
raison de l’inex6cution de
son obligation de conseil, inex6cution pr6judiciable h l’acheteur, est
contractuelle et non pas d~lictuelle. 26 Dans la mesure off le cr~ancier en
vertu du contrat n’a pas, en droit frangais, le droit de choisir entre la
responsabilit6 d~lictuelle et la responsabilit6 contractuelle, seule la
seconde peut 6tre envisag~e. Si, toujours bL propos de la m6connaissance
par le vendeur professionnel de son obligation de conseil, qui est la
cause du prejudice subi par l’acheteur, l’arrt de la Cour supreme du
Canada dans l’affaire Wabasso, 27 admet une action d6lictuelle au profit
de l’acheteur, ce n’est pas tant parce que l’obligation de conseil n’a pas
W absorb~e par le contrat mais parce qu’il consid~re que
la
responsabilit6 d~lictuelle peut intervenir dans le domaine contractuel.
D~s lors, il ne sert h rien d’6tendre le contenu du contrat, sauf bien stir
que, dans d’autres hypotheses, la responsabilit6 contractuelle pourrait
8tre plus avantageuse pour le cr~ancier, ce dont il r~sulte qu’il se gardera
alors d’opter pour la responsabilit6 d~lictuelle.

Ainsi encore, une obligation de s~curit6 qui n’est que de moyens a
W admise
t la charge d’une laverie automatique au profit de ses
clients, 28 l’int6r~t de l’absorption de l’obligation par le contrat 6tant
6videmment d’exclure la responsabilit6 d6lictuelle objective du fait des
choses, qui est admise en droit frangais. 29
12.- Lorsqu’il n’est pas possible de consid~rer qu’il y a absorption par
le contrat d’une obligation, non seulement parce qu’une disposition
imperative de la loi ou de la jurisprudence ne le pr~voit pas, mais encore
parce que ce serait forcer les volont~s des parties que d’admettre cette
absorption, il ne s’ensuit pas n6cessairement que la responsabilit6
d~lictuelle pourra intervenir dans les rapports entre contractants pour la
reparation d’un dommage subi par l’un et caus6 par l’autre. Sans doute,
dans une telle hypoth~se, s’il doit y avoir responsabilit6, celle-ci ne peut
6tre que dMlictuelle puisqu’il n’y a pas violation d’une obligation int~gr~e
au contrat. Mais, il n’est pas certain qu’il puisse y avoir responsabilit6.

26Voir Cass.Com., 25 juin 1980, Bull.civ., IV, no 276, p. 223, et obs. Durry in (1981)

80 Rev.trim.dr.civ. 157.
27Voir supra, note 7.
2
8Voir Cass.Civ.lIre, 16 novembre 1976, Bull.civ., I, no 350, p. 277, et obs. Durry in
29Sur

‘extension du domaine de la responsabilit6 contractuelle en raison de la
multiplication des obligations contractuelles, voir Viney, supra, note 9, nos 185 et seq.,
aux pp. 215 et seq.

(1977) 75 Rev.trim.dr.civ. 323.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 2.7

En effet, de Ia m6me fagon que les parties peuvent inclure des
obligations au contrat, elles peuvent aussi, sous r6serve de l’ordre
public, en exclure. Dans le cas ofi il r6sulterait de l’acte de volont6 qu’il
y a exclusion de telle ou telle obligation que le d6biteur n’entend point
assumer, en accord avec le cr6ancier, il n’y a pas davantage de place
pour la responsabilit& d6lictuelle qu’il n’y en a pour la responsabilit6
contractuelle.30 Ce serait forcer lI encore les volont~s des parties que de
retenir la responsabilit& d~lictuelle du d6biteur, alors que, d’accord avec
le cr~ancier, en refusant d’assumer telle obligation, il a entendu exclure
sa responsabilit6 dans le cas ofi le cr6ancier subirait un dommage. II
convient de remarquer qu’il ne s’agit pas l d’une clause 6lisive de
responsabilit&. La responsabilit6 n’est pas exclue directement dans
l’hypoth~se ofi
le d~biteur n’ex~cuterait pas son obligation, mais
indirectement tout simplement parce qu’il n’y a pas d’obligation.
13.- Cependant, le silence adopt6 par les parties au contrat ne saurait
6quivaloir A leur refus de faire peser sur le d6biteur une obligation qui
aurait pu entrer dans le champ contractuel et qui excluera aussi la
responsabilit6 d6lictuelle, laquelle n’est pas d’ordre public. 3 1 En r~alit6,
I1 le sera non
ici comme ailleurs, le silence doit 6tre interpret.
seulement en fonction des volont6s des parties mais encore et surtout en
fonction de I’6conomie objective du contrat. En effet, le silence ne peut
valoir exclusion d’une obligation que s’iI est circonstanci6. Dans tous les
cas ofi les circonstances ne militent pas en faveur de l’exclusion de
l’obligation,
il y a place pour la responsabilit6 d~lictuelle entre
contractants, parce que celle-ci intervient alors dans le cadre de la
m6connaissance par le d6biteur d’un devoir ind6pendant du contrat.
S’agissant de la responsabilit6 fond6e sur la faute, on est en pr6sence de
ce que lajurisprudence frangaise qualifie defaute ext~rieure au contrat.
II n’est pas facile de cerner avec pr6cision la faute ext6rieure au contrat
ou, plus g~n~ralement, car le probl~me ne concerne pas seulement la
responsabilit6 subjective,
ind~pendante du
contrat. Toutefois, il y a des indices de solution. Ainsi, si une obligation
n’a de sens qu’entre contractants (par exemple, une obligation de conseil
ou de renseignements), on doit admettre que, lorsqu’elle est exclue du
contrat, sa m~connaissance 6ventuelle par un contractant, pr6judiciable
pour l’autre, ne peut donner lieu A aucune responsabilit6 tant d6lictuelle
que contractuelle. Par contre, lorsqu’un dommage peut tre caus6 par un
contractant h un autre, comme il pourrait 6tre caus6 A un tiers, et que ce
dommage ne peut pas provenir de la m6connaissance d’une obligation
contractuelle, parce qu’il ne serait pas conforme i l’6conomie du contrat
d’y inclure une telle obligation, il ne doit pas y avoir d’obstacle i

la notion d’obligation

‘0 Voir Mazeaud et Tune, supra, note 1, no 177, aux pp. 231-2.
3’Voir infra, nos 21-2.

19821

WABASSO

la responsabilit6 d~lictuelle a vocation

l’intervention de
la responsabilit6 d~lictuelle entre contractants.
L’existence d’un contrat entre deux personnes ne saurait avoir pour effet
d’6tendre d~mesur~ment le domaine de la responsabilit6 contractuelle
pour tous les dommages causes par un cocontractant h un autre. Mais,
ici encore, il n’y a pas de place pour une 6ventuelle option entre les deux
responsabilites. Seule
f
intervenir.
14.- Ainsi, si le client d’une infirmi6re ou d’un medecin fait une chute
dans le cabinet medical sur un tapis, l’6ventuelle responsabilit6 de
l’infirmi~re ou du m6decin ne peut 8tre que d~lictuelle, car l’usage ou la
presence du tapis est sans lien avec l’ex~cution du contrat de soins ou le
contrat m6dical. 32 De la m~me fa9on, il serait absurde de mettre L la
charge de l’exploitant d’un magasin une obligation contractuelle de
s~curit6. Celle-ci n’a rien L voir, du moins lorsqu’il ne s’agit pas de
dommage caus6 par la chose vendue, avec l’6conomie du contrat de
vente ou de prestations de services. La responsabilit6 de l’exploitant ne
tre que d6lictuelle.3 3 Toutefois, dans d’autres situations, c’est i
peut
tort que la jurisprudence frangaise a refus6 de mettre une obligation
contractuelle de s6curit6 bt la charge d’un contractant. Ainsi, encore que
‘assujettissement
it la s~curit6 sociale et la reparation par elle des
accidents du travail enl~ve une grande partie de son int~r~t A la question,
bien qu’il ne soit point nul, 34 il n’est pas conforme h l’6conomie du
contrat de travail de consid~rer que l’employeur n’est tenu d’aucune
obligation contractuelle de s~curit6 envers son employ6, ce dont il
r~sulte que la responsabilit6 6ventuelle du premier envers le second ne
peut 6tre que dilictuelle .3 C’est aussi i tort que la Cour de cassation a
admis que la responsabilit6 d’un constructeur envers le maitre de
l’ouvrage 6tait d~lictuelle pour la reparation du dommage subi par le
second et resultant de l’effondrement de bdtiments attenants h

“2Voir Cass.Civ.1re, 28 avril 1981, J.C.P.1981.IV.251.
33Voir Cass.Civ.2e, 24 mai 1978, J.C.P.1979.II.19237, et note Dejean de la Batie.
Une solution contraire a W admise en ce qui concerne 1’exploitant d’une laverie
automatique, l’obligation de s~curit6 ayant W absorbde par le contrat, ce qui n’est pas A
‘abri de toute contestation. Voir les arr&ts cit6s, supra, notes 12 et 28. Mais, s’agissant de
chutes dans des locaux recevant le public, tels que les magasins, les gares etc., le moins
qu’on puisse dire est que Ia jurisprudence frangaise est confuse, certains arr&ts int~grant
l’obligation de s~curit6 au contrat et d’autres statuant sur le terrain de la responsabilit6
d6lictuelle, ce qui est plus logique. Voir nos observations sous Cass.Civ. I re, 22 mars
1977, D.1977.II.R.437,
ainsi que sous Trib.gr.inst.Laon, 29 novembre 1977,
D.1978.II.R.208. Voir aussi sous Aix-en-Provence, 25 mai 1977, et Bordeaux, 4janvier
1978, D.1979.II.R.61. De plus, voir Viney, supra, note 9, no 239, aux pp. 284-6.

34Voir par exemple, Cass.soc., 25 novembre 1981, J.I.P.1982.IV.63.
3’Ibid., ainsi que Mazeaud et Tunc, supra, note 1, no 176, h la p. 231.

Mc GILL LAW JOURNAL

[Vol. 27

l’ouvrage.3 6 La Cour de cassation s’est fond6e pour cela sur la
m~connaissance des r6gles de ‘art par le constructeur, laquelle ne serait
pas une violation de ses obligations contractuelles. Mais les r~gles de
l’art sont int~gr6es au contrat de louage d’ouvrage et leur non-respect
constitue une violation de ses obligations par le constructeur. 7 I est
aussi contestable de dire que la responsabilit6 d’un m~decin est
d~lictuelle envers le malade auquel il a remis un m~dicament d6t6rior6.38
En effet, il est conforme
l’6conomie du contrat m6dical d’y int~grer
l’obligation de remettre au malade un produit non avari6 lorsque le
m~decin, m~me s’il
le
lui-m~me un
m6dicament A son client.

fait b~n~volement,

remet

Partie C
15.- Lorsque le dommage r6sultant de l’inex6cution d’une obligation
contractuelle est subi par un tiers au contrat, qu’il s’agisse d’un
dommage principal ou d’un dommage par ricochet, la responsabilit6 du
d~biteur contractuel doit normalement 6tre dMlictuelle.3 9 Pour la m~me

sujet.

36Voir Cass.Civ.lure, 2 novembre 1978, D.1979.II.R.343, et nos observations A cc
3Par contre, Ia responsabilit6 du bailleur, occupant d’une maison, envers le prencur,
occupant de la maison voisine, ne peut 8tre que d~lictuelle pour le dommage subi par le
second en raison de la chute d’un bloc de neige provenant de la maison du premier,
1’6conomie du bail ne permettant pas de mettre A Ia charge du bailleur l’obligation
contractuelle d’6viter ce type de dommage. Ainsi, voir Cass.Civ.3e, 19 novembre 1975,
J.C.P. 1977.II.18544, note Mourgeon.

janvier 1978, J.C.P.1978.IV.78; Cass.Com.,

38Voir Cass.Civ.2e, 30 juin 1976, J.C.P.1979.II.19038.
39Voir Viney, supra, note 9, nos 209 et seq., aux pp. 248 et seq. En cc qui concerne les
applications r~centes en jurisprudence, voir Cass.Civ.3e, 31 janvier 1978, J.C.P. 1 978.IV. I 11,
ainsi que Cass.Civ.3e, 10 d6cembre 1980, J.C.P.1981.IV.80, A propos de la responsabilit6 de
constructeurs et d’architectes envers un locataire. Voir aussi Cass.Com., 26 juin 1978,
J.C.P.1978.IV.279, et Cass.Civ.3e, 6 mai 1981, J.C.P.1981.IV.258, A propos de la
responsabilit6 d6lictuelle du fournisseur de mat~riaux envers le maitre de l’ouvrage en
l’absence de lien de droit entre ceux-ci. Voir 6galement Cass.Civ.3e, 11 juin 1976,
Bull.civ., III, no 260, p. 200, et obs. Durry in (1977) 75 Rev.trim.dr.civ. 136;
Cass.Civ.3e, 5
f6vrier 1981,
J.C.P.1981.IV.157, A propos de la responsabilit& d’un sous-traitant de l’entrepreneur
principal envers le maitre de l’ouvrage; Cass.Civ.2e, 8juin 1979, D.1980.I.R.33, etnos
observations A propos de Ia responsabilit6 de l’installateur de la chose vendue, lequel
n’avait pas contract6 avec l’acheteur; Cass.Civ.1re, 21 novembre 1978, D.1979.
II.R.117, et note Savatier sous J.C.P.1979.II.19033, A propos de la responsabilit6 d’un
m~decin envers les proches parents de la patiente d~cd~e, victimes par ricochet;
Cass.Com., 12 juin 1978, J.C.P.1978.IV.256, au sujet de la responsabilit6 quasi-
dM1ictuelle d’un g6rant de soci6t6 envers un tiers. Voir 6galement Bordeaux, 21 janvier
1980, J.C.P.1980.IV.232, en ce qui concerne la responsabilit& d’une association h qui les
parents d’une enfant avaient confi6 Ia garde, envers les membres de Ia famille de l’enfant,
autres que les parents qui avaient seuls contract6 avec I’association. Voir aussi Amiens, 2
novembre 1976, J.C.P.1979.II.19069, et note Galle, sur la responsabilit6 d’un notaire

17

19821

WABASSO

raison, qui tient a l’inexistence d’une obligation contractuelle dans les
rapports entre responsable et victime, la rigueur des principes doit faire
admettre que le tiers, qui est complice ou m~me seul coupable de
l’inex~cution d’une obligation contractuelle qu’il n’assume pas lui-mame
mais qu’il doit respecter en raison du principe de l’opposabilit6 du
contrat aux tiers, ne peut 6tre que drlictuelle.40

Toutefois, une doctrine r~cente en France critique de plus en plus
l’intervention des r~gles de la responsabilit6 dMlictuelle au profit des
tiers au contrat ainsi que l’application du regime drlictuel ht l’encontre
de certains tiers qui se rendent coupables de l’inex6cution de ses
obligations par une partie au contrat.41 Ces critiques concernent aussi
bien la reparation d’un dommage principal que celle d’un dommage par
ricochet. S’agissant d’un dommage par ricochet, lequel n’est possible
que parce qu’il y a un dommage principal, il est certain qu’il n’est ni
logique ni 6quitable que la reparation du dommage par ricochet ne soit
pas assur~e dans les m~mes conditions que celle du dommage principal,
sans compter que, souvent, le premier pourra 6tre mieux r~par6 que le
second. Ainsi, en droit frangais, la victime par ricochet pourrait
invoquer la responsabilit6 objective du fait des choses alors que la
victime principale ne serait crranci~re que d’une obligation de moyens.
En ce qui concerne les dommages principaux, ceux-ci peuvent
tre subis
tant par des tiers que par des contractants. Ainsi, le d~faut de fabrication
d’une chose peut 6tre source de dommages tant pour les tiers (par
exemple, le piston 6cras6 par une automobile d~fectueuse) que pour
celui qui l’a achet~e, qu’il soit l’acqu6reur initial ou un sous-acqu6reur.
Or,
le sous-
acqu~reur 42 sont cr~anciers d’une obligation de r~sultat qui p~se sur le
fabricant, alors que le tiers ne peut normalement se pr6valoir que de la
responsabilit6 d~lictuelle, pour faute du fabricant. La difference de

l’acqurreur et, dans certains syst~mes

juridiques,

envers un crrancier du vendeur, lequel cr~ancier n’6tait pas titulaire d’un droit de cr~ance
envers le notaire.
40Voir Viney, supra, note 9, nos 202 et seq., aux pp. 236 et seq. Voir 6galement
Cass.Com., 30 octobre 1979, D.1980.I.R.109, et Cass.Com., 20 f~vrier 1979, D.1979.
II.R.317, A propos de la violation d’une obligation de non-concurrence, ofl le tribunal
dans chaque instance n’estime pas n6cessaire de qualifier la responsabilit6. Mais voir
Cass.Com., 7 novembre 1978, D.1979.II.R.69, ainsi que Cass.Com., 13 mars 1979;
D.1980.II.R.1, et note Serra, qui affirment le principe que la responsabilit du tiers est
d~lietuelle.

4 Sur la synth~se de ces critiques, voir Viney, supra, note 9, et les auteurs y cites. En

droit compare, voir A. Tunc, La responsabilit6 civile (1981), nos 32 et seq.

4 2En droit frangais, le sous-acqureur dispose d’une action directe contractuelle contre
le fabricant. Ainsi, voir Cass.Civ.16re, 9 octobre 1979, D.1980.I.R.222. Le mame
principe est maintenant reconnu en droit qudb~cois depuis la decision r6cente de la Cour
supr~me du Canada dans I’affaire General Motors Products of Canada Ltd v. Kravitz
119791 1 R.C.S. 790.

REVUE DE DR OIT DE Mc GILL

[Vol. 27

traitement n’est pas 16gitime. De m~me, lorsqu’un contractant sous-
traite avec un tiers pour mettre A la charge de celui-ci une obligation
dont il est d6biteur en vertu du contrat principal, le lien 6conomique
entre le contrat principal et le contrat de sous-traitance plaide en faveur
d’un lien d’ordre juridique entre les deux contrats, permettant au
cr~ancier en vertu du contrat principal de mettre en jeu la responsabilit6
contractuelle du sous-traitant. Ainsi encore, un membre de la famille du
cr~ancier contractuel par exemple peut subir un dommage en raison
d’une chose d~fectueuse qui ne devait pas
tre utilis~e seulement par le
cr6ancier.
16.-
I1 est certain que les solutions souvent admises sont criticables
dans les situations envisag~es. Mais, il est essentiel de reconnaitre que
la critique he saurait avoir pour effet de remettre en cause l’6ventuel
principe de la non-intervention de la responsabilit6 d6lictuelle dans le
domaine contractuel. Bien sfir, lorsqu’on autorise un contractant A
invoquer la responsabilit6 d6lictuelle dans le domaine contractuel et si
celle-ci est effectivement invoqu~e, la reparation du dommage sera as-
surge de la m~me fagon envers un cr~ancier contractuel et envers un
tiers. Mais, l’intervention n’est possible qu’en vertu d’une option que le
cr~ancier contractuel est libre d’exercer ou non. S’il n’opte pas en faveur
de la responsabilit6 d6lictuelle, la dualit& des solutions ne pourra qu’&tre
constat~e. Le plus souvent, ce que l’on critique, c’est l’impossibilit6
pour un tiers de se pr~valoir du regime de la responsabilit& contractuelle.
Or, on sait que l’option ne peut intervenir qu’au profit du cr6ancier
contractuel et en faveur de la responsabilit6 d61ictuelle. I n’y a pas
d’option au profit des tiers en faveur de la responsabilit6 contractuelle.

En r6alit6, la critique ne saurait concerner le principe de la non-
intervention de la responsabilit6 d6lictuelle dans le domaine contractuel.
Elle est beaucoup plus g~n~rale et a essentiellement pour objet de
remettre en cause non pas la dualit6 des responsabilit~s dans leur
essence mais uniquement dans leurs regimes, c’est-h-dire que dans toute
la mesure du possible, il convient d’unifier ces r6gimes pour faire
disparaitre, dans l’int~r~t des tiers et des contractants des solutions qui,
selon qu’il s’agit de l’une ou de l’autre responsabilit6, ne sont pas les
m~mes.

Ind~pendamment de l’unification souhaitable des regimes des deux
responsabilit~s, l’extension de la responsabilit6 contractuelle au profit
de certains tiers a permis un nivellement de leur situation sur celle des
contractants. Plusieurs proc~d~s ont pu 6tre utilis6s. Tous ne sont pas
valables. La stipulation pour autrui tacite est artificielle. L’action
directe et notamment celle qui est reconnue au sous-acqu6reur contre le
fabricant est beaucoup plus justifi~e. Le droit allemand recourt i la
th~orie du contrat avec un effet protecteur au profit d’un tiers, dont

19821

WABASSO

l’effet est proche de la stipulation pour autrui, ce qui permet h certains
membres de la famille du cr~ancier contractuel non pas d’exiger
l’accomplissement de la prestation de la part du d~biteur mais de se
pr6valoir de sa responsabilit6 contractuelle dans le cas ofi il ne l’aurait
point ex~cut~e.43

Mais ces proc6d6s n’ont qu’un domaine d’application limit6. II
convient donc d’unifier les regimes des deux responsabilit~s. Cela a W
parfois fait.44 En droit libanais, 1’extension de la responsabilit6 objective
du fait des choses inanim&es aux rapports entre contractants va dans le
m~me sens, surtout si on consid~re que le texte qui la pr6voit n’a rien a
voir avec une option entre les deux responsabilits. 44a Dans certains
syst~mes juridiques, des projets pr~voient une unification de
la
responsabilit& des fabricants dont le r6gime juridique serait en principe
le m~me en mati~re contractuelle et en mati~re d~lictuelle. 4s C’est ainsi
encore qu’en France notamment on a propos6 de construire certaines
obligations professionnelles dont la sanction serait, lorsqu’elles ont 6t6
m6connues, la m~me envers un contractant ou un tiers.4

1

II est certain que, dans la mesure de l’unification possible des deux
regimes de responsabilit6, aussi bien quant au fond que quant a la
procedure et notamment h la competence, l’6ventuelle intervention de la
responsabilit6 dMlictuelle dans le domaine contractuel ne pr~senterait
plus d’int~rt. Cependant, on n’en est pas encore lhi et, de toutes fagons,
l’unification ne pourrait pas
tre g6n~ralis6e. Elle n’est possible que
dans certaines situations. Ds lors, la question de l’intervention de la
responsabilit& dM1ictuelle dans le champ contractuel restera posse,
m~me si son domaine est plus limit6.

43Voir Rodi~re, supra, note 5, aux pp. 120-1.
44Ainsi, en ce qui concerne le transport de personnes et notamment le transport a6rien
international, la situation des tiers et en particulier celle des victimes par ricochet, est
identique A celle du passager. Ainsi, voir l’article 24 de la Convention de Varsovie, 12
octobre 1929, 137 L.N.T.S. 12, et notamment la redaction du texte tel que modifi par le
Protocole de GuatEmala, 8 mars 1971, ICAO Doe. 8932/2, et le Protocole de
Montr~al no 4, 25 septembre 1975, ICAO Doc. 9148. Pour une application r~cente en
France, voir Cass.Civ.l6re, 2 juillet 1981, J.C.P.1981.IV.343.

44aVoir infra, no 18.
4sVoir la Convention europ~enne sur la responsabilitM du fait des produits en cas de
lesions corporelles ou de ddcs, 27 janvier 1977, 91 Conseil de l’Europe – Strasbourg 1.
Voir 6galement Office de r6vision du Code civil, Rapport sur le Code civil du QuEbec
(1977), vol. I: Projet de Code civil, Livre cinqui me: Des Obligations, art. 102, h la
p. 349, relatif A la responsabilit6 des fabricants. Le dernier texte met A la charge des
fabricants, en matire dM1ictuelle, une obligation 1dgale dont le contenu est le m~me que
celui de la garantie contractuelle.

46Voir P. Serlooten, “Vers une responsabilit6 professionnelle?” in Mlanges offerts ii
Pierre H~braud (1981); voir aussi Viney, supra, note 9, nos 243 et seq., aux pp. 291 et seq.

Mc GILL LAW JOURNAL

[Vol. 27

II. La solution du probleme
17.- Ds lors que l’on a 61imin6 les 616ments qui ne concernent pas le
d~bat et que l’on a enferm& celui-ci dans les limites qui sont les siennes,
la question posse est tr~s precise: le crgancier contractuel qui, en tant
que tel, est en mesure de rechercher la responsabilit6 contractuelle de
son d~biteur peut-il invoquer la responsabilit6 d~lictuelle de celui-ci,
soit en complkment de la premiere, soit en vertu d’une option qui
l’autoriserait & 6carter la responsabilit, contractuelle?

Ainsi que cela a dejA W signal,

la position de principe du droit
frangais est parfaitement nette: le cr6ancier contractuel ne peut se
pr6valoir de la responsabilit6 d~lictuelle dans les limites du domaine de
la responsabilit6 contractuelle de son d6biteur. L’originalit6 du droit
frangais est ainsi affirm~e non seulement par rapport aux syst~mes de
common law, mais encore et surtout par rapport i plusieurs syst~mes de
droit civil dans lesquels la jurisprudence est soit h6sitante soit favorable
A une intervention de la responsabilit6 d~lictuelle dans le domaine de la
responsabilit6 contractuelle, sans que pour autant, dans le second cas, le
principe d’intervention soit toujours clairement affirm6 et cela sans
compter que, dans de nombreuses situations,
il est admis que la
responsabilit6 contractuelle doit 6carter la responsabilit6 d~lictuelle. En
r~alit6, mis A part l’arr~t de la Cour supreme du Canada dans l’affaire
Wabasso Ltd v. The National Drying Machinery Co. ,7 qui parait
bien opter franchement pour le principe de l’intervention de la
responsabilit6 d~lictuelle dans le champ contractuel, m~me si ce
principe comporte des limites en vertu de la ratio decidendi de ‘arr~t,
les jurisprudences de la plupart des autres pays sont vagues et
incertaines. 4 Cependant, il est essentiel de remarquer qu’il n’y a pas
toujours une hostilit6 de principe h 1’encontre de I’intervention de la
responsabilit6 d~lictuelle dans le domaine contractuel, alors que le
contraire est affirm& en France.
18.-
I1 convient aussi de remarquer que dans les pays de tradition
civiliste autres que la France, la loi n’affirme pas le principe de
l’intervention. De m~me en France, il n’y a, ni dans le Code civil ni dans
une loi non int~gr~e au Code, de disposition prohibant l’intervention. Le
seul code, it notre connaissance qui pourrait envisager express~ment
une intervention des r~gles de la responsabilit6 d~lictuelle dans le

4 7Voir supra, note 7.
48Sur le droit compare, voir notamment l’ouvrage de Rodi~re, supra, note 5, ainsi que
Czachorski, “Le probl~me du cumul de la responsabilit6 contractuelle et d~lictuelle” in
Rapports g~n~raux au VIe Congr6s international de droit compar6 (1962). Voir aussi les
diffdrents rapports nationaux A ce VIe congr~s. On consultera aussi Haanappel, La
relation entre les responsabilit~s civiles contractuelle et d6lictuelle: l’arrdt Wabasso en
droit qu b~cois et en droit compar6 [1982] Rev.int.dr.comp. 103.

19821

WABASSO

domaine contractuel est le Code libanais des obligations et des contrats,
lequel est pourtant nettement d’inspiration frangaise, ce qui peut
paraitre tout h fait paradoxal, encore que les querelles doctrinales en
France sur l’intervention ou la non-intervention puissent permettre de
penser que
les auteurs favorables L l’intervention aient pu faire
triompher leurs opinions dans les dispositions du Code libanais, dans la
redaction duquel la part prise par Josserand a souvent W pr~pond~rante
(mais Josserand, contrairement A d’autres, n’6tait pas un partisan
acharn6 de l’intervention). En effet, l’article 131 du Code libanais, apr~s
avoir 6nonc un principe g6n~ral de responsabilit6 objective du fait des
choges pesant sur le gardien de la chose, precise que “la preexistence
d’un rapport contractuel entre le gardien et la victime ne fait pas
obstacle au fonctionnement de la responsabilit6 du fait des choses sauf
disposition contraire dans la loi. ‘ ‘4 9 On pourrait interpreter ce texte corn-
me admettant au profit d’un cr~ancier contractuel, lorsqu’il a subi un
dommage caus& par une chose soumise L la garde de son d~biteur (par
exemple: contrat de transport, contrat de bail hi condition que le preneur
ne soit pas gardien de la chose louse),
le droit d’opter pour la
responsabilit6 d~lictuelle ou de l’invoquer A titre compl~mentaire.

En ce cas,

le Code libanais serait le seul Code bt admettre
explicitement l’intervention de la responsabilit6 dM1ictuelle dans le
domaine contractuel. Mais, conform6ment A la logique de l’option, il
faudrait permettre au cr6ancier contractuel de ne point l’exercer et de se
pr~valoir de la seule responsabilit6 contractuelle de son d~biteur. De
toutes fagons, h supposer que ce texte consacre effectivement une
option, celle-ci serait limit~e aux hypoth~ses pr6vues par le l6gislateur,
c’est-h-dire uniquement en faveur des r6gimes de responsabilit6 du fait
des animaux, du fait des choses et du fait de la ruine des bAtiments.
Dans tous les autres cas, et notamment en ce qui concerne
les
responsabilit~s d~lictuelles du fait personnel et du fait d’autrui, l’option
ne parait pas possible. En effet, si le lgislateur avait envisag6 l’option
entre les deux regimes de responsabilit6 d’une fagon g~n6rale,
le
principe en aurait W affirm6 dans un texte recouvrant l’ensemble des
responsabilit6s dM1ictuelles pr6vues par le Code. Au contraire, il n’a
admis l’intervention de la responsabilit6 d~lictuelle dans le domaine
contractuel qu’en ce qui concerne trois regimes de responsabilit&, ce qui
autorise h exclure cette intervention dans les hypotheses non envisag~es
par la loi.

490n retrouve la mime idde dans

‘article 129 relatif A la responsabilit6 objective du
gardien d’un animal pour la reparation des dommages causes par l’animal, et dans l’article
133 relatif A la responsabilit6 du propridtaire d’un bftiment pour la reparation des
dommages resultant de sa ruine.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 27

D~s lors, on peut se demander si l’intervention de certaines
responsabilit~s d6lictuelles seulement dans le domaine contractuel en
droit libanais est la manifestation d’une option au profit du demandeur A
la reparation ou encore celle d’un r6le complmentaire de
la
responsabilit& d6lictuelle. Cette intervention parait beaucoup plus
justifi~e par l’unification des r6gimes de responsabilit~s contractuelle et
d~lictuelle lorsqu’une chose est i l’origine du dommage subi par le
cr~ancier en vertu du contrat, chose dont le d~biteur contractuel est le
gardien. En r~alit6, il n’y aurait aucune option ni aucune intervention
complmentaire de la responsabilit6 d~lictuelle. Lorsque les conditions
de la responsabilit6 du fait des choses de
‘article 131 du Code libanais
sont remplies,
la reparation du dommage subi par le cr6ancier
contractuel sera assur~e exclusivement par le r6gime pr6vu par l’article
13 1, sans qu’il y ait lieu de se poser la question de savoir si le cr6ancier
dispose d’une option. II n’y a pas d’option. II y a simplement extension
d’un regime d~lictuel au regime contractuel, ce qui realise une
unification des deux responsabilit~s dans l’intr t de la victime du
dommage caus6 par une chose, qu’elle soit ou non cr~anci~re en vertu
d’un contrat. En d’autres termes, le Code libanais aurait consacr6 tr~s
t6t ce qui est pr~conis6, A l’heure actuelle, notamment pour la
responsabilit6 des fabricants A raison des dommages r6sultant des vices
de leurs produits, encore que, pour les fabricants, la responsabilit6 ne
soit point fond6e sur la notion de garde.

19.- Ainsi s’6croule une piece de l’ difice que l’on construirait pour
l~gitimer l’intervention de la responsabilit6 d6lictuelle dans le domaine
contractuel h titre d’option ou de compl6ment, c’est-A-dire sans interdire en
m~me temps le recours du demandeur au regime propre de la responsabilit6
contractuelle. II est vrai qu’il reste d’autres pieces qui peuvent militer en
faveur du principe d’intervention. Mais, elles ne tiennent pas et tombent sous
le coup de la refutation. C’est au contraire, le principe inverse de la non-
intervention qui parait
la
jurisprudence frangaise. II convient donc de voir pourquoi le principe de
non-intervention est pr6f~rable. Toutefois, la jurisprudence frangaise
n’est pas toujours logique avec elle-m~me, dans la mesure oi, tout en
affirmant le principe de non-intervention, elle y d6roge quelquefois, sans
toujours avoir conscience d’y d~roger.

justifi6, ce qui permet d’approuver

Partie A
20.- Depuis longtemps d6ji, de nombreux arrts de la Cour de
cassation affirment, en France, qu’iI n’y a pas de place pour la
responsabilit6 d6lictuelle d’un contractant envers un autre, s’agissant de
la reparation d’un dommage subi par le cr6ancier et resultant de

19821

WABASSO

l’inex6cution ou de la mauvaise ex6cution par le d6biteur d’une
obligation mise a sa charge par le contrat.50

La querelle doctrinale entre les partisans du cumul des deux respon-
sabilit6s et les partisans du non-cumul a quelque peu vieilli et, dans la
doctrine la plus r6cente, il n’y a plus gu~re de v6ritables partisans du
principe d’intervention de la responsabilit& d6lictuelle dans le domaine
contractuel, ce qui n’emp~che 6videmment pas, mais ceci est une toute
autre chose, les auteurs contemporains de condamner la dualit6 des
r6gimes des deux responsabilit6s.5
21.- Deux arguments en faveur de l’intervention ont beaucoup vieilli
et, de toutes fagons, n’ont plus de valeur en raison de la force de la
r6futation qui leur a 6 oppos~e.

Le premier a trait au caract~re d’ordre public de la responsabilit6
d61ictuelle, caract~re dont il r6sulterait qu’elle ne pourrait jamais 6tre
6cart6e entre contractants. Planiol 6tait le champion de cette opinion.52
Elle a W r6fut6e sans peine, notamment par Rodire et M. Cornu. 53 En
particulier, on a fait valoir d’une part, que l’ordre public ne s’opposait
pas b l’6viction de la responsabilit6 d6lictuelle par la responsabilit6 con-
tractuelle, car “on ne saurait faire abstraction du contrat pour appr6cier
[les] rapports [entre le responsable et la victime] A la lueur des principes
qui ont W 6crits pour des individus 6trangers l’un b l’autre. ‘ ’54 En
d’autres termes, il n’est pas contraire h l’ordre public que le contrat
absorbe l’obligation de ne pas nuire A autrui pour en faire une obligation
contractuelle au contenu plus pr6cis. D’autre part, il existe un ordre
public contractuel, lequel peut interdire, dans certaines situations, une
exon6ration ou une limitation conventionnelle de responsabilit6. Ds
lors, la responsabilit6 ne peut
tre 6lud6e et point n’est besoin de faire
appel
i la responsabilit& d6lictuelle pour prendre le relais de la
responsabilit6 contractuelle qui serait exclue. En r6alit6, il y a des
situations dans lesquelles la responsabilit6 contractuelle ne peut pas tre
exclue. 55 Ainsi, certains contrats, en vertu des dispositions imperatives

50Voir les arr~ts cit6s par Mazeaud et Tune, supra, note 1, no 190, aux pp. 243 et
seq.; Cornu, supra, note 2, aux pp. 244 et seq.; Viney, supra, note 9, nos 220-1, aux
pp. 262-5; Rodi~re, supra, note 5, no 5. Voir aussi, dans la jurisprudence r6cente, Cass.
Civ.3e, 31 janvier 1978, J.C.P.1978.IV.1 11; Cass.Civ.1re, 6 janvier 1981, J.C.P.1981.
IV. 100 oii le tribunal casse une d6ecision d’une cour d’appel qui avait expressdment ad-
mise la possibilit6 pour un cr6ancier contractuel de se pr6valoir des r~gles de la responsa-
bilit& d6lictuelle pour la r6paration d’un dommage r6sultant de l’inex6cution d’une
obligation contractuelle.

5tVoir supra, nos 15 et 16.
52Voir note Planiol in D.1907.I.R.97.
“Voir Rodi~re, supra, note 2, no 7; Cornu, supra, note 1, aux pp. 249-50.
54Voir Rodi~re, supra, note 2, no 7.
ssVoir Cornu, supra, note 1, aux pp. 249, 250 et 252.

Mc GILL LAW JOURNAL

[Vol. 27

de la loi ou d6gag6es par la jurisprudence, mettent A la charge du
d~biteur une obligation dont non seulement le contenu et l’6tendue ne
d6pendent pas des volont~s des parties, mais encore dont l’inex~cution
oblige le d~biteur A la reparation int~grale en d~pit d’une clause 6lisive
ou limitative de responsabilit6, qui sera r6put~e non-6crite. Ainsi
encore, la r6paration du dommage resultant d’une faute d’une gravit6
particuli~re, faute dolosive ou faute lourde, ne saurait 8tre 6lud6e. Mais,
il n’en est pas ainsi parce que l’ordre public exige, en ce cas,
l’intervention de la responsabilit6 d~lictuelle au lieu de la responsabilit6
contractuelle. La gravit6 de la faute ne saurait permettre de changer la
nature de la responsabilit6 du d~biteur, dans la mesure ofi
il s’agit
toujours de l’inex6cution d’une obligation contractuelle. La responsabi-
lit6 reste contractuelle mais elle est ineluctable et ne peut 6tre limit6e.
Lajurisprudence fran9aise, apr~s avoir admis le contraire, s’est rang6e A
cette id6e.56 La solution doit 6tre la m~me dans le cas ofi l’inex~cution
du contrat constitue une infraction p~nale et pour la m~me raison, en
d~pit d’une jurisprudence contraire qui est injustifiable. s7 Au demeu-
rant, si l’ordre public devait autoriser l’immixtion de la responsabilit6
d~lictuelle dans le domaine contractuel en pr6sence d’une faute grave ou
p~nale du d6biteur, il ne devrait pas normalement y avoir de place pour
une option. La responsabilit6 d~lictuelle devrait toujours exclure la
responsabilit6 contractuelle dans ces hypotheses, ce que n’admettent
pas les partisans de l’option dont la position ne tient plus. On ne peut A
la fois faire appel h l’ordre public pour 6carter la responsabilit6 contrac-
tuelle et la maintenir dans le cas ofi le demandeur n’aurait pas opt6 pour
la responsabilit6 d~lictuelle.
22.- On ajoutera que, m~me dans le domaine qui est le sien, la respon-
sabilit6 d6lictuelle pourrait bien ne pas 8tre d’ordre public, dans la
mesure ofi l’on admettrait la validit6 des clauses
lisives ou limitatives
de responsabilit6 en matire ddlictuelle. Certes, certaines l6gislations ne
l’admettent pas alors que d’autres l’admettent58 Cela prouve que le

56Voir notamment, Cass.Civ.1 re, 30 mai 1978, D.1978.IIR.441, J.C.P. 1978.
IV.238; Cass.Civ.3e, 9 mai 1979, D.1980.I.R.414, et note Espagnon. Voir aussi Cornu,
supra, note 1, aux pp. 250 et seq.; Viney, supra, note 9, no 222, aux pp. 265-6; Mazeaud
etTune, supra, note 1, nos 203 etseq., aux pp. 254etseq.; Rodi~re, supra, note 2, no 11.
s7Voir Muller, L’inex~cution p~nalement rdpr~hensible du contrat (these Paris,
1977). Voir aussi Mazeaud et Tunc, supra, note 1, no 202, aux pp. 253-4; Viney, supra,
note 9, no 223, aux pp. 266-7; Cornu, supra, note 1, aux pp. 252 et seq.; Rodi~re, supra,
note 2, no 10. En droit beige, voir R. Dalcq, TraitM de la responsabilitM civile, 2e 6d.
(1959), t. I, no 164, A lap. 129, et no 182, i lap. 133; Rodire, supra, note 5, A la p. 48.
58L’article 303 du Projet de Code civil, Livre cinqui6me: Des obligations, supra, note
45, A la p. 381, les prohibe. Par contre, les articles 138 et 139 du Code libanais en pro-
noncent Ia validitd sous certaines r6serves. Sur la question en droit frangais, voir Starck,
Observations sur le r~gimejuridique des clauses de non-responsabilit ou limitatives de
responsabilitg, D.1974.I.157, nos 20 et seq., aux pp. 159 et seq.

19821

WABASSO

caract~re d’ordre public de la responsabilit6 d6lictuelle est tout
fait
relatif et n’a pas la m~me port~e dans tous les syst mes juridiques. En
r6alit6, aussi bien en mati~re contractuelle qu’en mati~re d6lictuelle, le
v6ritable probl~me pos& par l’intervention de l’ordre public n’est pas de
savoir s’il interdit ou non les clauses 6lisives ou limitatives de
responsabilit6, mais bien de d~terminer si seule la responsabilit6
tre 6lud6e ou
objective, qu’elle soit contractuelle ou dM1ictuelle, peut
limit6e et non pas la responsabilit& fond6e sur la faute, quelle que soit la
gravit6 de celle-ci.5 9 Auquel cas, il n’y aurait pas d’obstacle At admettre
la validit6 d’une clause 6lisive d’une responsabilit6 dM1ictuelle de plein
droit, ce qui, au demeurant, est admis lorsqu’il y a acceptation des
risques, notion voisine de la clause de non-responsabilit6. Cependant, il
reste vrai qu’en mati~re d~lictuelle il y a le plus souvent un obstacle de
fait au jeu d’une clause de non-responsabilit6, c’est l’absence de
relations pr~existantes entre le responsable et la victime, ce dont il
r6sulte l’impossibilit6 pour celle-ci d’accepter la clause.

23.- Quant au second argument invoqu6 pour justifier l’intervention
de la responsabilit6 d~lictuelle dans le domaine contractuel, il tient A la
gMnralitM de la responsabilit6 d6lictuelle par opposition au caract~re
special de la responsabilit6 contractuelle. On l’a d~jk rencontr6.60 Mais
il ne porte pas, non seulement parce que, si l’on devait s’y tenir, il
militerait en faveur de la non-intervention en raison de la r~gle specialia
generalibus derogant, mais encore parce que
la responsabilit6
dM1ictuelle n’est pas plus g~n6rale que la responsabilit6 contractuelle.
Tout ce que l’on peut dire, c’est que chacune a son domaine d’applica-
t chaque responsabilit6.
tion, lequel d6pend des conditions propres
Mais l’argument nous entraine sur un autre terrain, lequel pose deux
probl~mes. D’une part, lorsqu’une personne dispose d’un droit special, il
ne lui est pas toujours interdit de se pr6valoir d’un droit plus gdn6ral ou
tout au moins d’un droit diff6rent. D’autre part, le fait g6n6rateur de la
responsabilit6 contractuelle peut constituer un fait dommageable
susceptible de donner lieu A la responsabilit6 d6lictuelle.

24.- En ce qui concerne le premier probl6me, s’il est vrai que, d’une
fagon g6n~rale, lorsqu’un plaideur dispose deplusieurs voles de droit, il
est libre de choisir celle dont il entend se pr~valoir, lorsque les
conditions de chacune sont remplies, le principe est loin d’avoir une
port6e absolue. 61 Dans certains cas,
tre ferm6e.

l’option peut

s9Voir Starck, supra, note 58.
60Voir supra, no 8.
61Voir Cornu, supra, note 1, A Ta p. 249.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 27

la responsabilit6 contractuelle et de

L’exemple le plus remarquable en est celui de l’action de in rem verso
qui sanctionne l’enrichissement sans cause. 62 Elle est impossible lorsque
le d6biteur dispose d’une autre action en remboursement ou en
indemnisation, contractuelle ou non. Dans d’autres cas, l’option est
permise mais, si le demandeur choisit la voie la plus lib6rale, elle sera
soumise aux conditions de la voie la plus s6v~re, ce qui enl6ve tout
int6r~t h l’option.63 Or, dans la mesure de l’incompatibilit6 entre les
r6gimes de
la responsabilit6
d6lictuelle et de l’6ventuelle s6vrit6 plus grande du premier envers le
cr6ancier que celle du second, il serait parfaitement logique d’attraire la
responsabilit6 d6lictuelle entre contractants au r6gime de la responsabi-
lit6 contractuelle. 64 Autant, dans ces conditions, prohiber l’option, ce
qui a l’avantage de la clart6 et de la simplicit6. L’assimilation du r6gime
d6lictuel au r6gime contractuel est parfaitement justifi6e en raison de
1’absorption par le contrat du devoir d6lictuel. En effet, l’inex6cution par
le d6biteur n’a de sens qu’en raison du rapport contractuel en vertu
duquel il 6tait tenu A une obligation, m~me si celle-ci a W prise dans les
devoirs g6n6raux qui incombent A tous ceux qui ne sont pas li6s par un
contrat. Le rapport contractuel absorbe non seulement l’obligation mais
encore son 6ventuelle inex6cution, pour soumettre celle-ci A un r6g;me
particulier de responsabilit6. Ce r6gime ne saurait 6tre m6connu par un
appel i la responsabilit6 d6lictuelle. II ne servirait A rien, si l’option 6tait
permise ainsi que l’intervention compl6mentaire de la responsabilit6
d6lictuelle, de pr6voir dans le contrat ou dans la loi, surtout lorsqu’elle
est imp6rative, un r6gime particulier de responsabilit6 contractuelle.
Rodi~re, MM. Mazeaud et Cornu l’ont rappel& en des termes qu’il est
difficile de r6futer. M~me sur le terrain de la comp6tence judiciaire, la

62Ibid., aux pp. 248-9.
63C’est ainsi qu’en raison de l’ignorance par l’acheteur du vice atteignant la chose
vendue, la jurisprudence frangaise admet qu’il peut se pr6valoir tant de la garantie des
vices que la nullit6 du contrat pour erreur. Mais, cette mme jurisprudence enferme
‘action en nullit6 dans le bref d61ai pr6vu par
‘article 1648 C.civ. pour l’action en
garantie. Ainsi, voir Cass.Civ.16re, 19 juillet 1960, Bull.civ., 1, no 408, p. 334, et
commentaires du professeur Carbonnier in (1961) 59 Rev.trim.dr.civ. 332; Cass.Civ.3e,
11
f6vrier 1981, D.1981.I.R.440, et nos observations; obs. R6my in (1981) 80
Rev.trim.dr.civ. 860, et note Ghestin in J.C.P.1982.II.19758.
64C’est ce que fait le droit allemand, non seulement en ce qui concerne les limitations
de responsabilit6 contractuelle, lesquelles seront 6tendues A la responsabilit d61ictuelle
entre contractants, mais encore quant A l’exigence d’une faute grave. Si la responsabilit6
contractuelle n’est possible qu’en pr6sence d’une telle faute, l’exigence sera 6tendue h la
responsabilit6 ddlictuelle. Voir Rodi~re, supra, note 5, it la p. 115. L’assimilation de la
responsabilit6 d6lictuelle au r6gime contractuel est aussi une tendance du droit grec. Voir
aussi Rodi6re, supra, note 5, aux pp. 72 et 75.

19821

WABASSO

loi contractuelle ne serait point respect6e si l’on permettait au cr6ancier
de porter son action devant une juridiction diff6rente de celle devant
laquelle il est tenu d’attraire son d~biteur.65

25.- La m6me ide conduit, en ce qui concerne le second probl~me, i
r~futer l’opinion selon laquelle, lorsque l’inex~cution d’un contrat
constitue en m~me temps un fait dommageable sanctionn6 par la
responsabilit d~lictuelle, le cr~ancier doit 6tre en mesure de faire appel
la place ou en complement de la
a la responsabilit6 dMlictuelle
responsabilit& contractuelle. Cette opinion a W d~fendue en France par
le doyen Savatier” et en Belgique, par M. Van Ryn.67 Elle est dans une
tr~s large mesure admise par le Common law d’Angleterre ainsi que par
plusieurs syst~mes civilistes. 6″ Cette opinion r6pandue et pourtant
erron~e se fonde essentiellement sur l’id~e que le contrat n’efface pas,
entre contractants, des obligations 16gales dont la m~connaissance par le
tre sanctionn~e
d6biteur, source de dommages pour le cr6ancier, doit
par la responsabilit6 d6lictuelle du premier envers le second. On a vu
le contrat ne saurait absorber l’ensemble des
pr6c~demment que
relations entre le cr~ancier et le d~biteur. 69 I1 convient d’enfermer les
obligations pouvant r6sulter du contrat dans des limites raisonnables,
compte tenu des volont~s expresses ou tacites des parties et de
l’6conomie objective du contrat. Mais, alors, de deux choses l’une. Ou
bien une obligation, dont la sanction aurait pu 6tre assur6e sur le terrain
d6lictuel en l’absence de contrat, a 6t6 effectivement absorb6e par le
contrat. En ce cas, il n’y a place que pour la responsabilit6 contractuelle
car ce serait d~former le contrat et violer la loi qui pr6voit la sanction
des obligations contractuelles que de faire intervenir la responsabilit6
d~lictuelle entre contractants. La responsabilit6 d6lictuelle doit 6tre
totalement exclue et il n’y a aucune option ni aucune intervention
possible, m~me h titre compl6mentaire, de la responsabilit6 d~lictuelle.
Ou bien une obligation n’est pas int6gr6e au contrat. En ce cas, il n’y a
pas davantage d’option ou d’intervention compl6mentaire de
la
responsabilit& d6lictuelle. I1 n’y a que l’intervention exclusive et totale
de la responsabilit6 d6lictuelle et le cr6ancier ne pourrait certainement
pas invoquer la responsabilit6 contractuelle. Telle est l’unique fagon de
r6gler le probl~me, si on veut se ranger aux imp6ratifs de la logique et h.
ceux du respect du contrat et de la loi. I1 n’y en a pas d’autre. Tous les

6SEn ce sens, voir Mazeaud et Tune, supra, note 1, nos 192 et seq., aux pp. 247 et seq.
Voir aussi Rodi~re, supra, note 2, nos 9 et 12; Cornu, supra, note 1, aux pp. 246 et seq.
“Voir R. Savatier, TraitM de la responsabilitM civile en droitfrancais, 2e 6d. (1951),
67Voir Dalcq, supra, note 57, nos 120 et seq., aux pp. 119 et seq.
68Voir Rodi~re, supra, note 5.
69Voir supra, nos 13 et 14.

t.1, nos 148 et seq., aux pp. 192 et seq.

Mc GILL LAW JOURNAL

[Vol. 27

syst~mes juridiques qui font intervenir, a des degr6s variables, la
responsabilit6 d6lictuelle dans le domaine contractuel sont dans l’erreur
et le raisonnement utilis6 pour parvenir A la solution repose sur des
pr6misses qui sont fausses, sans compter que la distinction entre la
violation d’une obligation 16gale, autorisant l’option, et la violation
d’une obligation purement contractuelle est arbitraire et d6pourvue de
fondement.7 0

26.- Pr~tendra-t-on, en fin de compte, car c’est finalement l4 que se
trouve peut-6tre la v6ritable raison de l’intervention de la responsabilit6
d6lictuelle dans
le domaine contractuel, raison fond6e sur des
consid6rations d’opportunit6 et non de logique, que le principe inverse
de non-intervention est g~nant? N’est-ce pas cette gene que subirait le
cr6ancier s’il devait porter son action ailleurs que chez lui, qui a amen6
la Cour supreme du Canada h se prononcer pour l’immixtion dans
l’affaire Wabasso?71 Cela n’est pas exclu et la raison est louable encore
que, dans un rapport d’obligation, l’6quit6 ne doit pas Wtre appr6ci6e
seulement du c6t6 du cr6ancier mais aussi du c6t6 du d6biteur. Mais, A
ce compte-lI,
tout ce qui est g~nant devrait 8tre 61imin6. On devrait de
la m~me fagon autoriser un tiers A se pr6valoir de la responsabilit6
contractuelle lorsque cela lui est plus favorable. La r~gle de droit et la
s6curit6 des relations entre les membres du corps social ne r6sisteraient
pas longtemps A l’61imination de tout ce qui est gnant. L’61imination
d’une r~gle en raison de la gene qu’elle peut entrainer ne saurait 6tre
couverte par des artifices qui pr6tendent y trouver de la logique.

Si l’on veut rester sur le terrain de la logique, on a vu qu’il n’6tait
pas possible de consid6rer qu’entre contractants un fait contractuel
d’inex6cution constitue un fait dommageable d6lictuel. Pr6tendra-t-on
alors l’inverse, c’est-h-dire que, notamment, s’agissant de la responsabi-
lit6 fond6e sur la faute, la faute d~lictuelle n’est pas la mgme que la
faute contractuelle, ce qui autoriserait 1’intervention de la responsabilit6
d6lictuelle dans le contrat? Ce serait It encore parfaitement erronn6. En
effet, la faute dans l’ex6cution d’une obligation contractuelle qui donne
lieu h la responsabilit6 contractuelle entre contractants, peut constituer
une faute d6lictuelle envers un tiers au contrat. Or, la solution est
fond6e sur l’identit6 des deux fautes. Cette identit6 ne peut qu’6tre
affirm~e en raison de ce que le crit~re de la faute est toujours le
m~me. I1 consiste en l’appr6ciation d’un comportement par rapport
A celui du bon p~re de famille ou de l’homme raisonnable, et c’est
justement ce qui permet de comprendre que l’erreur de conduite

70Voir Rodi~re, supra, note 2, nos 8 et 12.
7″Voir supra, note 7.

19821

WABASSO

peut constituer h la fois une faute d61ictuelle et une faute contractuelle.
La distinction entre
les deux responsabilit6s n’est possible qu’en
fonction de la dualit6 de leurs r6gimes et non pas en fonction de leurs
faits g6n~rateurs, sauf lorsque la loi en d6cide autrement (par exemple,
l’exigence d’une faute grave dans certains contrats).

Restent, il est vrai, les hypotheses de responsabilit6 objective. Or,
en mati~re d6lictuelle, la fronti~re entre la responsabilit6 objective et la
responsabilit6 subjective ne passe pas au m~me endroit qu’en mati~re
contractuelle. C’est ce qui explique que la responsabilit6 du d6biteur
contractuel pourrait 6tre fond6e sur la faute envers son cr6ancier et tre
objective envers un tiers, ou inversement. Mais alors, faire intervenir la
responsabilit6 d6lictuelle entre contractants se heurte aux objections
pr6c6demment signal6es. 72
27.- On ne pourrait pas davantage tenir compte de la nature du
dommage, comme le font A tort plusieurs syst~mes juridiques, pour
autoriser l’immixtion de la responsabilit6 d61ictuelle dans le domaine
contractuel. Ainsi, on a quelquefois pr6tendu que la r6paration des
dommages corporels rel~verait de la responsabilit6 d6lictuelle et non pas
de la responsabilit6 contractuelle. La personne humaine serait-elle en
dehors du domaine contractuel? I1 serait absurde de l’affirmer. Des
contrats tels que le contrat de transport et le contrat m6dical prouvent le
contraire. En aucun cas, la nature du dommage ne peut permettre
l’intervention de
le domaine
contractuel, sans compter que si la personne humaine 6tait en dehors du
contrat, il n’y aurait place que pour la responsabilit6 d6lictuelle et
certainement pas pour une option. La solution du droit allemand selon
laquelle la r6paration d’un dommage moral caus6 par un contractant A
un autre sera assur6e par la responsabilit6 d6lictuelle du premier envers
le second, n’a pas d’autre justification que la gene caus6e par la prohibi-
tion de la r6paration du dommage moral sur
la
responsabilit6 contractuelle en Allemagne. C’est une conception singu-
li~rement 6troite du contrat que de n’y voir que l’am6nagement de
relations purement 6conomiques.

la responsabilit6 d6lictuelle dans

le terrain de

En fin de compte, il ne parait pas possible de trouver de justification
rationnelle i
l’intervention de la responsabilit6 d6lictuelle dans le
domaine contractuel. On ne peut combattre valablement le principe
inverse.

Partie B
28.- En d6pit de l’attachement de principe de la jurisprudence
frangaise h la non-immixtion de la responsabilit6 d61ictuelle dans le

72Voir supra, no 25.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 27

domaine contractuel, force est de reconnaitre que certaines solutions ne
sont pas en harmonie avec la r~gle. Le plus souvent, il ne s’agit pas de
v6ritables exceptions admises en tant que telles. A vrai dire, en raison
de la justification du principe, il n’y a pas de place pour des exceptions.
II s’agit plut6t de solutions en vertu desquelles soit les juges d6rogent
inconsciemment au principe, soit acceptent purement et simplement de
le violer sans 6videmment pouvoir justifier valablement la d6rogation;
encore que, dans certaines d6ecisions, il ne soit m~me pas question de
justification, les juges se bornant tout simplement
affirmer que la
reparation du dommage relive de la responsabilit6 d 1ictuelle, alors qu’il
s’agit A l’6vidence de la violation d’une obligation contractuelle par le
d6biteur, laquelle est pr~judiciable au cr6ancier.

Ainsi, on peut recenser un certain nombre de d6ecisions r6centes qui
entre contractants statuent sur le terrain de la responsabilit6 d6lictuelle,
alors que l’obligation viol6e avait 6t6 int6gr6e au contrat. L’originalit6
de ces arrts est qu’ils sont intervenus en faveur de la responsabilit6
d6lictuelle du d6biteur contractuel envers son cr6ancier, alors que celle-
ci 6tait assur6e i 1’exclusion de sa responsabilit6 contractuelle. 3 C’est
donc uniquement pour faire prendre en charge la rparation du
dommage par l’assureur de la responsabilitM d~lictuelle de l’assurM que
la disqualification de la responsabilit6 a W admise. Le proc6d6 est
inadmissible. Toutefois, d’autres d6cisions ont refus6, h juste titre, de
disqualifier
la
responsabilit6 contractuelle non assur6e. 74 On ne saurait se fonder sur
des consid6rations d’opportunit6 tenant A l’existence ou A l’absence
d’une assurance de responsabilit6 contractuelle pour d6cider de la
nature de la responsabilit6 entre contractants. Celle-ci doit toujours 6tre
contractuelle.
29.- Dans d’autres situations, la violation du principe de la non-
intervention de la responsabilit6 d61ictuelle dans le domaine contractuel
est tout aussi r6elle, encore que les d6cisions qui l’admettent, sans
toujours avoir conscience de violer le principe, pr6tendent se parer de
justifications d’ordre logique.

la responsabilit6 et ont statu6 sur

le terrain de

73Voir Cass.Civ.2e, 3 mars 1977, D.1977.I.R.501, et notre note, et obs. Durry in
(1977) 75 Rev.trim.dr.civ. 556. Cet arr~t ne donne aucune justification quant ft
l’application de la responsabilit6 d61ictuelle. Voir aussi Cass.Civ. l re, 2 novembre 1978,
D.1977.I.Rt343, et nos observations. Dans ce dernier arrt, la justification est
parfaitement contestable, robligation viol6e par le d6biteur ne pouvant qu’avoir 60
intdgr6e au contrat. De plus, voir Paris, 2 d6cembre 1977, Gaz.Pal.1979.I.493, et obs.
Durry in (1977) 75 Rev.trim.dr.civ. 557.

74Voir Cass.Civ.lre, J.C.P.1981.IV.100. L’arrt condamne

‘option entre les deux
responsabilit6s, laquelle avait W admise par la Cour d’appel. Voir aussi Amiens, 30
octobre 1979, D.1980.I.R1479, et obs. Alaphilippe et Karaquillo.

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WABASSO

En premier lieu, il en est ainsi de la jurisprudence frangaise bien
connue sur la stipulation pour autrui tacite qui vient se greffer sur le
contrat de transport de personnes.”1 En vertu de cette stipulation pour
autrui, au demeurant parfaitement artificielle, la responsabilit& du
transporteur envers les proches parents, victimes par ricochet, sera
contractuelle. Mais, lorsqu’en 1951, dans les arr~ts Lamoricire6 et en
7 et Vizioz, 78 la Cour de cassation a
1959, dans les arr~ts Champollion7
admis que les proches parents pouvaient renoncer a la stipulation pour
autrui et se placer, en cons6quence, sur le terrain de la responsabilit6
d6lictuelle, elle a viol6
le principe de la non-intervention de la
responsabilit& d6lictuelle dans le domaine contractuel. Certes, la logique
de la stipulation pour autrui impose le droit de renonciation du
b6n~ficiaire. 79 Mais, peut-on encore autoriser cette renonciation
lorsqu’elle va At rencontre d’un principe aussi essentiel que celui de
l’interdiction de l’option entre les deux responsabilit6s? On peut en
douter. Certes, la responsabilit6 n’est-elle n6cessairement contractuelle
que lorsqu’il y a contrat et la libert6 contractuelle implique que l’on ne
saurait
tre d6biteur ou cr~ancier en vertu de liens contractuels si l’on
n’y consent pas. Par cons6quent, en l’absence de consentement, ici
l’absence d’acceptation de la stipulation pour autrui par les proches
parents du passager, il n’y a place que pour la responsabilit& d6lictuelle.
Doit-on alors consid&rer que puisqu’il n’y a pas de liens contractuels
dans l’hypoth~se d’une renonciation a la stipulation pour autrui, il n’y a
pas v6ritablement d’option entre les deux responsabilit~s, l’option
impliquant qu’un cr6ancier contractuel et lui seul peut d6ecider du r6gime
de responsabilit6 applicable A la r6paration de son dommage?
L’argument, parfaitement logique, n’emporte cependant pas la convic-
tion. En effet, la stipulation pour autrui greff~e par la jurisprudence sur
le contrat de transport n’a pas pour objet de permettre aux proches
parents d’exiger, h leur profit, ‘ex6cution de ses obligations par le trans-
porteur. Elle a uniquement pour objet de leur permettre de se pr~valoir
des r~gles de la responsabilit6 contractuelle et ne pr6sente donc d’intrt
que lorsque le transporteur n’a pas ex6cutf son obligation de transporter
le passager sain et sauf a destination.8 0 D~s lors, la renonciation h cette

7c ee sujet, voir Rodi~re, supra, note 16, no 651, A lap. 746 et les r~f~rences y citdes.
Voir aussi Viney, supra, note 9, no 224, A Ia p. 267; Cornu, supra, note 1, aux pp. 254
et seq.76Voir Cass.Com., le 19 juin 1951, D.1951.717, et note Ripert, ainsi que note
Becqu& in J.C.P.1,951.II.6426.

77Voir Cass.Civ.2e, 23 janvier 1959, D.1959.281, et note Rodi~re.
78Voir Cass.Civ.2e, 23 janvier 1959, D.1959.101, et note Savatier.
79Voir art. 1121 C.civ.
80Elle a donc le m~me objet que la thdorie allemande du “contrat avec un effet
protecteur au profit d’un tiers”, encore que celui-ci concerne essentiellement un dommage
principal et non un dommage par ricochet. Voir Rodire, supra, note 2, A la p. 121.

Mc GILL LAW JOURNAL

[Vol. 27

la responsabilit& contractuelle et

stipulation pour autrui n’est rien d’autre que la mise en oeuvre d’une
option entre
la responsabilit6
d6lictuelle. II y a donc un conflit latent entre la technique de la
stipulation pour autrui et l’interdiction de l’option entre les deux r6gimes
de responsabilit&. Cette interdiction, qui est imp6rative contrairement A
la stipulation pour autrui qui n’est qu’un proc~d6 fond6 sur une volont6
pr~sum~e des parties au contrat de transport, porte A croire qu’il n’y a
pas de place pour la stipulation pour autrui en la mati~re, sous peine,
dans le cas contraire, de violer le principe de la non-intervention de la
responsabilit6 d~lictuelle dans le domaine contractuel. Au demeurant, la
legislation, dans certains transports, a prohib6 le recours A la technique
de la stipulation pour autrui greff~e sur le contrat de transport, en
proc6dant i une unification des responsabilit~s d6lictuelle et contrac-
tuelle du transporteur de personnes.8 ‘

30.- On sait que lajurisprudence, dans certains syst6mes, a accord6 h
un sous-acqu6reur notamment une action directe contractuelle en
responsabilitg contre le fabricant pour la reparation des dommages
resultant des d~fauts caches de la chose.”2 Cette action n’est pas fond6e
sur une stipulation pour autrui mais sur une transmission, h titre
d’accessoire n6cessaire ;k la protection de l’utilisateur de la chose, de la
garantie due par le vendeur ou le fabricant, que celle-ci soit lgale ou
conventionnelle. Dans la mesure ofi
il n’y a pas de stipulation pour
autrui, il ne saurait 6tre question de renonciation de la part du sous-
acqu~reur. Mais, le fait que le sous-acqu6reur dispose d’une action en
garantie contractuelle contre le fabricant s’oppose-t-il hi ce qu’il puisse
intenter une action en responsabilit6 d6lictuelle contre
le m~me
fabricant? Certains auteurs ont pr6tendu qu’il n’y avait pas d’obstacle et
des d6ecisions de la Cour de cassation ont effectivement admis au profit
d’un sous-acqu&reur une action dMlictuelle contre un fabricant,83 alors
qu’6tait d~jh consacr~e par la jurisprudence l’action directe contrac-
tuelle. Manifestement, il s’agit l encore d’une violation, m~me si elle
n’est pas consciente, du principe de
la
responsabilit6 dMlictuelle dans le domaine contractuel 8 4 Or, il se

la non-immixtion de

8’Voir ‘article 24 de la Convention de Varsovie, supra, note 44; voir aussi Particle 12
de la Convention internationale concernant le transport de marchandises par chemin de
fer, 23 octobre 1924, 19 Martens Nouveau Recueil, 3e sdrie, 476; et I’article 42 de laLoi
du 18juin 1966 sur les contrats d’affrktement et de transports maritimes, D. 1966.1.295.
82Voir supra, no 15. De plus, voir Viney, supra, note 9, no 189, aux pp. 223-5.
83Voir Cass.Civ.1&e, 18 juillet 1972, D.1973.I.Somm.39, a propos de I’action
intent~e contre le fabricant d’un 616ment de la chose vendue. Voir aussi Cass.Civ.3e, 5
d6cembre 1972, D.1973.I.R.401, et note Jean Mazeaud.

84En ce sens, voir nos observations

sous Cass.Civ.1re, 9 octobre 1979,
D.1980.I.R.222. Voir aussi les observations du professeur Durry au sujet du mime arr~t
in (1980) 79 Rev.trim.dr.civ. 354.

19821

WABASSO

pourrait bien que la Cour de cassation frangaise ait, plus r~cemment,
condamn6 une telle immixtion. En effet, par un arrat rendu le 9 octobre
1979,5 elle a invoqu6 le principe du non-cumul des deux responsabilit~s
pour interdire h un sous-acqu~reur de se pr~valoir du r6gime d6lictuel h
l’occasion de laction intent~e contre le fabricant, dont l’arr~t affirme
qu’elle est de nature contractuelle. II ne sert a rien d’inclure le sous-
acqu6reur dans le contrat si on l’autorise a s’en 6vader pour se pr~valoir
de la responsabilit6 d~lictuelle. Certes, cette derni~re peut
tre
avantageuse pour lui dans certains cas. Mais alors et une fois encore,
la solution ne serait fond~e que sur des consid6rations d’opportunit6,
mais elle ne serait pas juridiquement justifiable. Pr6tendra-t-on qu’on
introduit
le sous-acqu6reur dans le contrat contre sa volont6 en
l’obligeant b. agir sur le fondement contractuel, ce qui n’est pas conforme
au principe de la libert6 contractuelle, selon lequel chacun est libre
d’&tre li6 ou non en vertu d’un contrat? De fait, il parait bien que l’action
contractuelle est attribute d’office au sous-acqu~reur contre sa volont6.
Certes, il est toujours possible de se fonder sur une volont& pr6sum~e,
mais alors il faut admettre la validit6 d’une clause contraire dans le
contrat d’acquisition conclu par le sous-acqu~reur, en vertu de laquelle
il serait stipul6 que celui-ci n’entend point invoquer le contrat initial sur
lequel repose l’action en garantie contractuelle. Contrairement A l’hypo-
these pr~c6demment envisag6e de la stipulation pour autrui greff~e sur le
contrat de transport, il ne s’agirait pas lfi de l’exercice d’une option
prohib~e entre les deux responsabilit~s. En effet, dans le cas de la
stipulation pour autrui en mati~re de transport, la renonciation des
proches parents A un droit d’origine contractuelle soi-disant stipul6 en
leur faveur n’est que la mise en place d’une option prohib~e, car cette
renonciation intervient toujours au moment oii ils intentent une action en
responsabilit6 contre le transporteur. I1 n’y a jamais d’acceptation ou de
renonciation de leur part avant le moment oii
ils demandent la
r6paration de leur dommage. Au contraire, en ce qui concerne une
6ventuelle clause, au demeurant le plus souvent improbable, par laquelle
un sous-acqu6reur renoncerait au b~n~fice de la garantie assum~e envers
lui par le fabricant, la renonciation serait toujours ant6rieure h l’exercice
de l’action en responsabilit6. On ne pourrait d~s lors l’assimiler A
l’exercice d’une option prohib6e. En tout cas, dans le cas ofl une clause
contraire ne serait pas stipul6e, le sous-acqu~reur ne pourrait se
pr6valoir que de la responsabilit6 contractuelle du fabricant.
31.- La jurisprudence frangaise admet non seulement l’obligation au
tout (obligation in solidum) de chacun des responsables d’un dommage
envers
tenus

importe qu’ils soient

la victime, peu

tous deux

85Voir supra, note 84.

REVUE DE DROIT DE McGILL

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d6lictuellement ou que ‘un soit tenu contractuellement et l’autre d6lic-
tuellement, mais encore que celui qui a pay6 dispose contre l’autre ou
les autres d’une action r6cursoire, fond6e notamment mais non pas
toujours exclusivement sur la subrogation l6gale de l’article 1251, al. 3,
C.civ. Or, le recours entre responsablesfond6 sur la subrogation dans
les droits de la victime peut constituer une violation, ici encore souvent
inconsciente, du principe de la non-intervention de la responsabilit6
d6lictuelle dans le domaine contractuel.16 Ainsi en est-il lorsque le
commettant, responsable sur le fondement de l’article 1384, al. 5,
envers la victime du dommage caus6 par son pr6pos6, intente un recours
contre celui-ci pour r6cup6rer l’indemnit& pay6e A la victime, comme il
en a normalement le droit. Si le pr6pos6 est uni en vertu d’un contrat au
commettant, ce qui est le plus souvent le cas, l’action r6cursoire du
second contre
le premier ne sera rien d’autre qu’une action en
responsabilit6 contractuelle sanctionnant l’inex6cution de ses obliga-
tions par le pr6pos6. Or, la subrogation du commettant dans les droits de
la victime, qui est un tiers pouvant invoquer la responsabilit6 d6lictuelle
du pr6pos6, contre ce dernier lui permet de se placer sur le terrain
d6lictuel plut6t que contractuel,8 7 en violation de l’interdiction de
lPoption entre les deux responsabilit6s. Cela n’est pas admissible. De
m~me, lorsque deux personnes sont unies par un contrat de louage
d’ouvrage et qu’un dommage r6sultant de l’ex6cution de ses obligations
par le constructeur a W subi par un tiers, le maitre de l’ouvrage, qui a
indemnis6 la victime, sera subrog6 dans l’action d61ictuelle de celle-ci
contre le constructeur, alors que son action puise sa cause dans la
m6connaissance de ses obligations contractuelles par le constructeur. 8
Cela nest pas davantage admissible.

En r6alit6, dans certaines situations,

il convient purement et
simplement d’exclure la subrogation, laquelle n’est pas d’ordre public,
dans la mesure ofi elle mdconnait le principe de non-immixtion de la
responsabilit6 d6lictuelle dans le domaine contractuel qui,
lui, est
d’ordre public. 9 Malheureusement, la jurisprudence frangaise ne l’a pas

86Voir notre article, La responsabilitM des organismes de contr6le technique (198 1)
Rev.dr.immob. 311; voir aussi notre note sous Cass.Civ.lre, 20 mars 1979,
D.1980.II.R.29; ainsi que Viney,supra, note 9, no 228, aux pp. 269-71, et les r6f’rences
y cit6es. Dans lajurisprudence r6cente, voir Cass.Civ.16re, 27janvier 1981, J.C.P.1981.
IV.122, et obs. Durry in (1981) 80 Rev.trim.dr.civ. 635; Paris, 12 novembre 1979,
D.1980.I.R.109.

87Voir Cass.Civ.1re, 20 mars 1979, D.1980.II.R.29, et notre note.
“8Voir Viney, supra, note 9.
89Voir notre article, supra, note 86, et notre note sous Cass.Civ. Ire, 20 mars 1979,

D. 1980.II.R.29.

1982]

WABASSO

871

admis ou plut6t ne l’a pas encore admis. I1 y aurait, cependant, un
moyen d’6viter ce genre de contradictions; ce serait d’unifier les regimes
des responsabilit~s d~lictuelle et contractuelle, ce qui, s’agissant de la
responsabilit6 des constructeurs notamment, n’est pas impossible. C’est
IM que se trouve le remade le plus appropri6 qui enl~verait une grande
partie de son int~r~t h l’indispensable principe de la non-intervention de
la responsabilit6 d~lictuelle dans le champ contractuel.

Option et cumul: une mauvaise querelle in this issue The Overlap of Tort and Contract

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