McGill Law Journal ~ Revue de droit de McGill
RECENSION SIMPLE
Karounga Diawara, Le contrle de la puissance de march : contri-
bution une approche juridique du march, Cowansville (Qc), Yvon
Blais, 2011, pp 512. ISBN 978-2-89635-516-7.
Louvrage recens, tir de la thse de doctorat de lauteur, prsente un
trs grand intrt, mme pour les non spcialistes du droit de la concur-
rence. Il propose une analyse compare du droit canadien et du droit eu-
ropen en matire de contrle des pratiques anticoncurrentielles : en-
tentes, abus de position dominante et fusions. Les deux droits sont clai-
rement prsents, sans simplification excessive, et sans tomber dans les
numrations fastidieuses qui encombrent si souvent les tudes de droit
compar. La confrontation des solutions retenues par le droit canadien et
le droit europen facilite leur analyse critique et conduit lauteur sugg-
rer certaines rorientations, tantt en droit canadien, tantt en droit eu-
ropen. Louvrage prsente un panorama fort intressant des principales
doctrines juridiques et conomiques qui animent le droit de la concur-
rence ; en revanche, la dimension politique de ce droit nest presque pas
aborde.
Louvrage intressera les tenants de lanalyse conomique du droit
ainsi que ceux qui ont critiqu cette approche. Lauteur insiste en effet sur
la complmentarit essentielle du droit et de la science conomique dans
le domaine de la concurrence, et il cherche prciser le rle qui revient
chacun. Il prne une approche juridique du march, qui place lconomie
dans un rle complmentaire par rapport la rgle de droit, lorsquil
sagit de mettre en uvre celle-ci. Le droit doit donc dfinir ses propres
critres partir des enseignements de la science conomique. Ainsi,
lauteur rejette lanalyse conomique normative qui, selon lui, entrane
linstrumentalisation du droit vers un objectif exclusivement conomique :
la maximisation de lefficience conomique. Il montre galement que le
modle hypothco-dductif employ par la science conomique est inap-
propri en droit, ce dernier devant intervenir sur le fondement de critres
fermes et prvisibles pour les justiciables1.
Dun point de vue conomique, la puissance de march dsigne la ca-
pacit pour une entreprise daugmenter le prix de ses produits au-dessus
1 Karounga Diawara, Le contrle de la puissance de march : contribution une approche
juridique du march, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2011 aux pp 19-25.
642 (2012) 57:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
de leur niveau concurrentiel pendant une certaine priode, et de tirer pro-
fit de cette augmentation. Dun point de vue juridique, la puissance de
march est associe laptitude qua lentreprise de porter atteinte la
concurrence. Les rgles du droit canadien ou europen de la concurrence
qui servent contrler les ententes, les abus de position dominante et les
fusions, lorsque ceux-ci portent atteinte la concurrence, se fondent sur
une dmarche en trois tapes, dont chacune fait lobjet dune partie de
louvrage.
Dans une premire tape, il convient pour lautorit de surveillance ou
le juge de dfinir le march pertinent, cest–dire le lieu o sexerce la
puissance de march de lentreprise. Mme si la science conomique con-
tourne la ncessit de dfinir le march pertinent en employant des outils
permettant de mesurer directement la puissance de march, et mme si la
dfinition du march pertinent nest pas toujours clairement articule par
la loi ou la jurisprudence, il sagit dune tape essentielle de lanalyse juri-
dique de la puissance de march2. En effet, plus le march est dfini de
manire large par le juge ou lautorit de surveillance, moins la position
de lentreprise sur ce march apparat comme dominante. Le droit dfinit
le march en tenant compte la fois de son tendue gographique et des
produits quil regroupe et qui sont substituables aux produits de
lentreprise sous examen. Divers indices conomiques viennent en aide au
droit pour dfinir le march pertinent, mais cest de manire essentielle-
ment autonome quil a su dgager ces critres. Lapport essentiel de cette
partie de louvrage se trouve dans deux principes dgags par lauteur :
dune part, le principe de liaison, en vertu duquel la dlimitation du mar-
ch pertinent a pour rle essentiel de circonscrire le pouvoir de march ;
dautre part, le principe de concrtisation, selon lequel la dfinition du
march pertinent, bien quunitaire, tient compte de lorigine de la puis-
sance de march et sadapte ainsi aux exigences formelles et matrielles
diffrentes des rgles relatives lentente, labus de position dominante
et la fusion.
Dans une seconde tape, lapplication des rgles relatives aux pra-
tiques anticoncurrentielles suppose une valuation juridique de la puis-
sance de march de lentreprise sous examen, cest–dire de ltendue de
la domination quelle exerce sur son march. De nouveau, la science co-
nomique claire le droit qui dtermine, laide des indices conomiques
pertinents, quel est le degr de domination exerc par lentreprise3. Le
droit europen accorde une plus grande importance que le droit canadien
la part de march de lentreprise. Lapproche canadienne est juge pr-
2 Ibid aux pp 37-42.
3 Ibid aux pp 159-80.
RECENSION SIMPLE ~ BOOK NOTE 643
frable par lauteur, parce que lanalyse conomique dmontre que la part
de march est un rvlateur imparfait de la puissance de march. Il con-
vient de tenir compte, outre la part de march, des barrires lentre,
dont lauteur dresse la typologie et pour lesquelles il propose un cadre
danalyse juridique appropri. Lauteur aborde par ailleurs la domination
collective du march, qui sopre lorsque plusieurs entreprises coordon-
nent de manire implicite ou explicite leurs actions de manire mainte-
nir des prix levs ou freiner linnovation ou le dveloppement de nou-
veaux produits sur ce march.
Dans une troisime tape, lorsquil sagit dvaluer la validit des actes
entrepris ou projets par lentreprise au regard des rgles du droit de la
concurrence, le droit examine leurs effets anticoncurrentiels. Or, ces effets
anticoncurrentiels sont lgitims par le droit lorsque les actes projets
comportent par ailleurs certains effets bnfiques, par exemple, quand ils
permettent la ralisation dconomies dchelle, le dveloppement de nou-
veaux produits ou une amlioration de leur qualit : ce sont les gains en
efficience . Lauteur argue que lintrt des consommateurs constitue en
dfinitive le guide le plus sr, sagissant de dterminer sil y a lieu de va-
lider les actes entrepris ou projets en raison de leurs effets globalement
bnfiques. Lanalyse doit donc avoir pour but de dterminer quel est
leffet prvisible pour les consommateurs des actes sous examen. La no-
tion de consommateur revt ici un sens gnrique qui englobe tout indi-
vidu qui rpond une offre sur le march indiffremment de son statut
socioconomique 4. Si les effets globaux de lexercice de la puissance de
march sont positifs, lentreprise devrait pouvoir aller de lavant. Dans le
cas contraire, il faut la contrler.
Peut-tre en raison du partage des comptences lgislatives dcoulant
du cadre constitutionnel canadien, peu de chercheurs au Qubec et au
Canada mettent en relation le droit de la consommation et le droit de la
concurrence, alors que ces matires entretiennent en Europe des liens
beaucoup plus troits. La perspective ouverte par lauteur, voulant que la
protection des consommateurs constitue lun des piliers du droit de la con-
currence, est certes intressante et mrite rflexion. Lauteur na toutefois
pas dmontr mon entire satisfaction quil faut carter dautres objec-
tifs qui sont admis par le droit de la concurrence et qui paraissent, eux
aussi, importants, surtout celui de favoriser le dveloppement des PME et
de prvenir la trop grande concentration du pouvoir conomique. Comme
le mentionne lauteur dans lintroduction de son ouvrage5, le contrle des
pratiques anticoncurrentielles relve, en quelque sorte, dune prrogative
4 Ibid la p 267, n 783.
5 Ibid aux pp 2-3.
644 (2012) 57:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
rgalienne de ltat ; or les tats ne devraient-ils pas se proccuper de la
concentration du pouvoir conomique qui reprsente une menace leur
souverainet ? Si le droit de la concurrence soriente vers la satisfaction
des consommateurs, la dimension politique de ce droit ne risque-t-elle pas
dtre occulte ?
Michelle Cumyn