La bonne foi et I’indemnisation
des personnes assurdes
Denis W. Boivin’
La jurisprudence rC’cente reconnait que la bonne foi est une
obligation rdciproquc en droit des assurances, clle rdgit non sculc-
ment lc comportcmcnt des personnes assurdes lois de [a ngociation
du contrat, mais aussi celui des assureurs lots de I’cxdcution do
contrat. Quoique la doctrine supportc la reconnaissance do cette
obligation depuis plusieurs anndes, le autcurs canadiens accordent
pcu d’attcntion aux questions fondamcntales qui sont souicvdcs par
la reconnaissance d’un devoir de bonne fot lots de l’indemnisation
des personnes assur&s. Quellc cat [a fonction du devoir de bonne foi
lots de l’indemnisation des sinistr6s ? Quele est la source do ce de-
voir ? Quelle cst la porie de l’obligation, cect-,-dirc la distinction
entre la bonne el la mauvaise foi ? Enfin, quelle rparation la per-
sonne assur& peut-cllc obtenir s son assureur manque A son obliga-
tion do bonne foi ?
Cot article offre des 6idments de rdponso A la lumiWer do Ia ju-
risprudence canadienne 0t do l’expdrience am6ricaino en Ia mati:re.
Ainsi, la bonne foi sort ai rdglemcntcr la position straidgique des as-
surcurs lois do I’cx6cution do contrat d’assurance do mani6rc A re-
duire la vulndrabilitiS des personnes assurdes. Cette obligation so
justific en fonction do l’intcntion prdsumde des parties contractantec
ct do leur relation spiciale. Si son assureur est do mauvaise fol, la
partie assurdc est done libre do choisir nn recours contraduel ou un
recours ddlictucl, sous rdserve d’une intention contraire prdvue au
contrat. Par contre, lobligation de bonne foi n’imposc pas une res-
ponsabilitd stricte aux assurcurs ; ils peuvcnt rejetcr uno rrclamation,
mame 5 tort. Lo comportement prohib, cst le non-respect des atten-
tes raisonnables d’uno personne assurde, soit un rcfus d’indemniscr
sans motif Idgitime et en connaissance do cause. Si [a position do
I’assureur et simplement errondc, Ia partic dcmanderesse aura un
recours convcntionnel pour bris do contrat. Etle pourra obtcnir
l’indcmnit6 due, plus intdrdts et ddpcns le cas 6chdant. Si Ia position
do I’assureur tdmoigne do mauvaisc foi, ccpendant, la partic deman-
dcresse pourra dgalcment obtenir, dans nn cas appropri6, des dorn-
magca-intdrdts majords, des dommages-intdrts punitifs ct des dd-
pens calculds sur uno base procureur-clicnt.
Recently, jurisprudence in the area of insurance law has ac-
knowledged that there exists a reciprocal obligation of goxd faith
between the insurer and the insured. This obligation governs not
only pre-contractual negotiations but also the behaviour of insurers
in the execution of the insurance contract. Even though Canadian
authors have consistently expressed support for the recognition of a
reciprocal obligation of good faith in the insurance contract over a
number of years, they have devoted scant attention to the funda-
mental questions that are raised by recognizing an obligation of
good faith with regard to the indemnification of insured parties.
What purpose is served by the obligation of good faith in the process
of compensating insured parties who safter misfortune? What is the
source of this obligation? What is the scope of the obligation in
terms of drawing a distinction between good and bad faith? Finally,
what remedy is available to the insured party in the event that the in-
surer has failed to fulfill the obligation ofgood faith?
This article offers elements of a response to these questions in
view of Canadian jurisprudence and American experience in this
area of the law. In essence, the notion of good faith is employed to
alter the insurer’s strategic position at the moment of the execution
of the contract, in favour of the more vulnerable insured party. The
obligation of good faith in the performance of the contract can be
justified in light of the implied intention of the contracting parties
and the existence of a special relationship arising from a contract of
insurance. Accordingly, in the event of bad faith on the part of the
insurer, the insured party is free to seek redress either under the in-
surance contract or in tort unless the agreed terms of the contract
state otherwise. Nonetheless, the insurer’s obligation of good faith is
not one of strict liability. Indeed, insurers may reject a claim for in-
demnification, even where this decision has been taken in error. The
behaviour proscribed by the rule is that in which the reasonable ex-
pectations of the insured party are not satisfied. This may occur
when the insurer knows that he has no legitimate grounds to refuse
compensation, but however does so. If the decision taken by the in-
surer is merely misguided, the insured party may take suit against
the insurer for breach of contract and recover his or her identity,
along with interests and costs. If, however, the insurer’s decision
evidences bad faith, the plaintiff may seek to obtain aggravated
damages, punitive damages or costs on a solicitor-client basis.
SProfesseur agr6gd A la Facult6 de droit de l’Universit6 d’Ottawa, Section de common law. Sinc~res
remerciements Richard Casanova, 6tudiant en droit, pour ses importantes contributions en mati~re
de recherche. Nous tenons aussi a remercier Marc P. Racine de l’Ntude Tunney, Emond, Racine pour
ses commentaires pr6cieux ainsi que la Fondation pour la recherche juridique du Canada pour son
appui financier.
Revue de droit de McGill
McGill Law Journal 1998
Mode de r6f6rence: (1998) 43 R.D. McGill 221
To be cited as: (1998) 43 McGill LJ. 221
222
MCGILL LAWJOURNAL/REVUEDEDROITDEMCGILL
[Vol. 43
Introduction
I. Fonction de I’obligation de bonne foi
II. Source de l’obligation de bonne fol
II1. Port6e de l’obligation de bonne foi
IV. Reparations disponibles en cas de mauvaise foi
Conclusion
1998]
D. W BOlVIN – L’INDEMNISATION DES PERSONNES ASSURE-ES
223
Introduction
Un contrat d’assurance porte le sceau r~serv6 aux ententes qui exigent la plus en-
ti~re bonne foi de la part des parties contractantes’. La nature et l’6tendue de
l’obligation associ6e aux contrats uberrimefidee, n’ont toutefois rien d’un truisme ju-
ridique. Au chapitre de la formation du contrat d’assurance, la port6e du devoir de
bonne foi est relativement bien 6tablie par la common law. La personne qui souhaite
souscrire i une police d’assurance doit faire une divulgation complete des circonstan-
ces constitutives du risque que celle-ci a l’intention de faire assumer
son assureur,
faute de quoi la police 6mise sera annulable
la demande de ce dernier. R6ciproque-
ment, l’assureur doit lui-m~me divulguer
son vis-A-vis les faits importants que celui-
ci ignore3 et il doit faire preuve de diligence en 6tudiant la proposition afin de prendre
connaissance des faits qui lui sont raisonnablement accessibles’.
Cependant, en dehors des n6gociations contractuelles, l’impact du qualificatif
uberrima fides est moins d6termin6. La bonne foi est-elle pertinente suite A la mat6-
rialisation du risque assur6, c’est–dire lors de l’ex6cution du contrat d’assurance ?
Certes la personne assur6e doit 8tre honnte en remplissant sa d6claration de sinistre
et en pr6sentant sa preuve. A cette 6tape, une fausse repr6sentation ou une omission,
cela va de soi, pourra entrainer la nullit6 de sa demande de r~glement’. Supposons
toutefois que le comportement de la personne assur6e ne laisse rien 4 d6sirer. La na-
ture particuli~re de l’assurance impose-t-elle
l’assureur une obligation r6ciproque de
bonne foi lors de l’ex6cution du contrat ?
Deux tendances se d~gagent de Ia jurisprudence canadienne en reponse A cette
question. Lorsque le contrat est une assurance de responsabilit6 civile, la common law
reconnait que l’assureur doit exercer son devoir de d6fendre la personne assur6e de
bonne foi, c’est-h-dire qu’il doit n6gocier avec la partie demanderesse en ayant A
l’esprit les int6r~ts dconomiques de l’assure6 . En l’absence de cette obligation,
‘Voir C. Brown et J. Menezes, Insurance Law in Canada, 2 6d., Scarborough, Carswell, 1991 A la
p. 88.
– Voir Carter c. Boehm (1766), 97 E.R. 1162, [1588-1774] All E.R. Rep. 183 (K.B.) [renvois aux
All E.R. Rep.] ; Coronation Insurance Co. c. Taku Air Transport Ltd., [199113 R.C.S. 622, 85 D.L.R
(4″) 609.
Voir Carter c. Boehm, ibid ; Burns c. Kelley Peters & Associates Ltd, [1987] I.L.R. 1-2246, 41
D.L.R. (4) 577 (B.C. C.A.) ; Banque Keyser Ullmann SA. c. Skandia (U.K) Insurance Co.(1990),
[1991] 2 A.C. 249, [1990] 3 W.L.R. 364 (H.L.).
‘Voir Carter c. Boehm, ibid. ; Canadian Indemnity Co. c. Canadian Johns-Manville Co., [1990] 2
R.C.S. 549, [1990] I.LR. 1-2650; Coronation Insurance Co. c. Taku Air Transport Ltd, supra note 2.
“Voir Brown et Menezes, supra note 1 aux pp. 221-26. Voir toutefois Tumbers Video Ltd. c. INA Insu-
rance of Canada (1991), 62 B.C.L.R. (2′) 58, [1991] I.L.R. 1-2822 (C.A.), puisque la Cour souligne
que le principe de uberrimafides s’applique lors de la formation du contrat, mais non lorsqu’une a116-
gation de fraude est faite A l’dtape de la d6claration du sinistre.
6 Voir Dillon c. Guardian Insurance Co. (1983), 2 C.C.L.I. 227, [1983] I.LR. 1-1706 (H.CJ. Ont.)
[ci-apr s Dillon] ; Overload Tractor Services Ltd. c. Insurance Corporation of British Columbia
(1989), 39 C.C.LI. 18, 38 B.C.L.R. (2′) 259 (C.A.) ; Fredrikson c. Insurance Corporation of British
Columbia, [1990] 4 W.W.R. 637, 69 D.L.R. (4) 399 (B.C. S.C.) [renvois aux W.W.R.] ; Hotte c.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
l’assureur pourrait rejeter une offre de r~glement 6gale ? la limite de la responsabilit6
pr6vue au contrat, sans jamais 6valuer le risque que ]a partie demanderesse obtienne
un jugement sup6rieur de Ia cour. Cet article ne portera pas sur ce d6veloppement’,
mais sur une tendance jurisprudentielle plus r6cente.
Un nombre croissant de tribunaux font r6f6rence ? la bonne foi lors de l’ex6cution
de contrats de type indemnit6 tels que l’assurance-incendie, l’assurance-automobile’,
l’assurance contre les dommages mat6riels” et I’assurance contre les accidents et la
maladie”. Ces contrats ont un 616ment en commun : contrairement
I’assurance de
responsabilit6 civile, la participation d’une tierce partie n’est pas requise lors de
l’ex6cution de l’entente. Le sinistre se r~gle entre deux parties contractantes qui de-
meurent, en tout temps, responsables de leurs propres int6r8ts. Malgr6 cette distinc-
tion, la jurisprudence reconnait d6sormais qu’un assureur doit remplir son devoir
d’indemniser la personne assur6e de bonne foi, faute de quoi celle-ci pourra obtenir
une reparation p6cuniaire compl~mentaire
l’indemnit6 due. Uarr8t Whiten c. Pilot
Insurance Co.” est souvent cit6e en exemple. Dans cette affaire, un assureur fut con-
damn6
somme assur6e, pour avoir accus6 le denandeur d’avoir volontairement caus6 un si-
nistre et ce, en d6pit de l’opinion contraire de son propre expert.
verser un million de dollars en dommages-int6rts punitifs, en plus de la
Cette derni~re expansion du principe uberrima fides soul6ve quatre questions
fondamentales en common law. Premi~rement, quelle est la fonction du devoir de
bonne foi lors de l’indemnisation des sinistr6s ? Deuxi~mement, quelle est ]a source
de cette obligation ? Troisi~mement, quelle est la port6e du devoir, c’est-h-dire, ia dis-
tinction juridique entre la bonne et la mauvaise foi ? Enfin, quelle reparation la per-
sonne sinistr6e peut-elle obtenir si son assureur manque A son obligation de bonne
Royal Insurance Co. of Canada (1991), 122 A.R. 1, 5 C.C.L.I. (2′) 290 (Q.B.), inf. par (1992), 5
C.C.L.I. (2) 307, [1992] I.L.R. 1-2826 (C.A.) ; Shea c. Manitoba Public Insurance Corp. (1991), 55
B.C.L.R. (2) 15, [1991] I.L.R. 1-2721 (S.C.) [renvois aux B.C.L.R.] ; Yewdale c. Insurance Corpora-
tion of British Columbia (1994), 1 B.C.L.R. (3′) 278 (S.C.) ; Snair c. Halifax Insurance (1995), 142
N.S.R. (2) 229,407 A.P.R. 229 (C.A.).
7 Pour une analyse de cette tendance, voir M.I Mladen, <
to Settle Within Policy Limits: Learning from the American Experience, (1989) 1 Can. Ins. L Rev.
233 ; H. Oghigian, <
sequences of an Insurance Company’s Wrongful Refusal to Defend, (1996) 44 Drake L. Rev. 743.
“Voir Whiten c. Pilot Insurance Co. (1996), 132 D.L.R. (4′) 568,47 C.P.C. (3′) 229 (Div. gdn. Ont.)
[d6cision rendue par un jury], pourvoi de plein droit i la Cour d’appel.
‘Voir Bullock c. Trafalgar Insurance Co. of Canada, [1996] O.J. n” 2566, en ligne: QL (OJ) (Div.
g6n. Ont.) [ci-aprs Bullock c. Trafalgar Insurance Co.].
” Voir Kusalic c. Zurich Cie d’assurances, [1995] R.R.A. 1030 (C.S.), en ligne: QL (AQ) (domma-
ges-intd6ts punitifs pour mauvaise foi).
” Voir Adams c. Confederation Life Insurance Co. (1994), 152 A.R. 121, 6 W.W.R. 662 (Alta.
Q.B.) [renvois aux A.R.].
‘2 Voir Whiten c. Pilot Insurance Co., supra note 8. Pour un commentaire de cette affaire, voir G.
Will, ((Punitive Damages for Bad Faith > (1997) 15 Can. J. Ins. L. 19.
1998]
D. W BOlViN – L’INDEMNISATION DES PERSONNES ASSUREES
225
foi ? Cet article offre des 6lments de r~ponse
la lumi~re de la jurisprudence cana-
dienne et de l’exp6rience am6ricaine qui, pour sa part, date du debut des ann6es
soixante-dix.
I. Fonction de ‘obligation de bonne foi
Dans Kosmopoulos c. Constitution Insurance Co. of Canada”, la juge Wilson
nous rappelle que le fondement d’une r~gle de droit n’est pas statique. Lorsque ce
fondement se m6tamorphose ou disparalt, la r~gle doit 8tre modifi6e afin de corres-
pondre i la nouvelle r6alit6. De fagon corollaire, avant de supporter un nouveau prin-
cipe de droit il faut questionner le pourquoi de la r~gle proposde. Notre point de d6-
part est donc une analyse t616ologique”. Quelle est la pertinence de la bonne foi dans
le contexte de 1’ex6cution d’un contrat d’assurance de type indemnit6 ? La bonne foi
ajoute-t-elle quelque chose de tangible t l’analyse de la responsabilit6 civile d’un as-
sureur qui refuse de r6gler un sinistre ou qui se montre peu coop6ratif A cet 6gard ? Le
devoir premier d’un assureur, il faut le souligner, est de respecter son engagement
contractuel. I1 doit indemniser son vis-4-vis pour les pertes caus6es par un p6ril assu-
r6, jusqu’A concurrence de la garantie offerte et sous r6serve des conditions et exclu-
sions pr6vues au contrat. Si un assureur enfreint cette promesse, la partie assurde peut
obtenir son dfi dans le cadre d’une action pour bris de contrat. Pareillement, si les
parties contractantes ont un d6saccord 16gitime concernant le bien-fond6 d’une r6cla-
mation, elles peuvent demander A une instance d6cisionnelle de trancher le conflit par
voie de d6claration”. A premiere vue, la bonne ou la mauvaise foi de l’assureur peu-
vent ainsi paraitre superflues. Le contrat d’assurance est un code qui pr6voit
l’ensemble des droits et obligations des parties et, ce faisant, il est suffisant pour r6gler
les conflits qui surviennent lors de son execution.
Le droit des contrats classique’7 pr6sente toutefois deux limites importantes A
l’indemnisation des personnes assur~es ; l’une d6coule de son approche conservatrice
aux dommages-int6r~ts et l’autre se situe dans la d6finition m~me du bris de contrat.
“UL’historique amdricain du rapport entre la bonne foi et l’indemnisation des sinistrds est d6crit de
fagon concise dans R.C. Henderson, <(The Tort of Bad Faith in First-Party Insurance Transactions
After Two Decades,> (1995) 37 Ariz. L. Rev. 1153. Pour une analyse plus dtoff6e, voir le Symposium
on the Law of Bad Faith in Contract and hIsurance dont les textes sont publi6s dans: (1994) 72 Tex.
L. Rev. 1203-1702.
[1987] 1 R.C.S. 2,34 D.L.R. (4) 208 [ci-apr~s Kosmopoulos].
, L’importance de l’analyse t6lologique, en droit des assurances, est soulignfe par le professeur
Marvin Baer lors d’une conf6rence offerte quelques mois apr s la d6cision de la Cour supreme dans
Kosmopoulos, voir <
Special Lectures of the Law Society of Upper Canada 1987: Insurance Law, Don Mills, De Boo,
1987, 199
lap. 199.
6 Voir par ex. Rutherford c. Crown Life Insurance Co. (1996), 191 A.R. 10, 43 Alta. L.R. (3′) 303
(Q.B.).
‘” Cette terminologie est emprunt6e de J. Beatson et D. Friedman,
Introduction: From ‘Classical’ to
Modem Contract Lawo> dans J. Beatson et D. Friedmann, dir., Good Faith and Fault in Contract Law,
Oxford, Clarendon Press, 1995,3.
226
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 43
Premi~rement, un courant jurisprudentiel adopte une approche relativement con-
servatrice au chapitre de la r6paration appropri6e pour bris de contrat. Rgle g6n6rale,
en accordant des dommages-int6rts pour rupture de contrat, le droit vise h mettre la
partie demanderesse, dans la mesure oi cela peut se faire par l’allocation d’une
somme d’argent, dans l’tat o6 elle se serait trouv~e si le contrat avait 6t6 ex6cutV”. En
outre, les pertes compensables lors d’une violation sont les pertes raisonnablement
envisag6es par les parties au moment de la conclusion du contrat, c’est-h-dire, les
dommages que les parties sont r~put6es connaitre en raison de leur caract~re ordinaire
et les dommages que les parties connaissent r6ellement en raison de circonstances
particuli~res”‘. Dans le domaine des assurances, ces principes signifient que si
l’assureur refuse de reconnaitre une r6clamation valide, la personne assur~e pourra
obtenir en dommages-int6r~ts, au minimum, une somme correspondant h l’indemnit6
due en vertu de la police. En thorie, ces principes devraient aussi permettre 4 l’assur6
de recevoir, dans un cas appropri6, des dommages-int6r~ts pour les pertes caus6es non
pas par le sinistre lui-meme, mais par le refus de l’assureur de donner effet
sa pro-
messe contractuelle en temps opportun ‘ . De fait, lorsque l’assureur refuse de recon-
naitre sa responsabilit6, sa position peut causer un pr6judice moral (une perte intangi-
ble) 4 la partie assur~e, de m~me que des pertes 6conomiques accessoires et des
sa r6putation. A titre d’exemple, nous pensons 4 un sinistr6 dont la de-
dommages
mande de r~glement est refusde au motif qu’il est incendiaire, comme dans l’affaire
Bullock c. Trafalgar Insurance Co.2’. Si ]a position de l’assureur s’av~re bien fond6e,
cette personne est bien entendu responsable de son propre tort. Cependant, si la posi-
tion de l’assureur s’av~re erron6e, la cat6gorie des <
dommages additionnels causes directement par la rupture du contrat.
La common law n’est pourtant pas si simpler. Prenons rindemnisation des pertes
intangibles 4 titre d’exemple, quoique l’esprit des propos qui suivent s’applique aussi
aux dommages-int6r~ts punitifs. I1 existe une confusion au Canada 4 ce chapitre et ce,
m~me suite
la d6cision de ]a Cour supreme dans Vorvis c. Insurance Corporation of
British Columbia’. Bri~vement, il existe deux courants de jurisprudence pr6sente-
ment. Plusieurs d6cisions- interpr~tent les propos du juge McIntyre dans cette affaire
” Voir Wertheim c. Chicoutimi Pulp Co., [19111 A.C. 301 (P.C.) ; British Columbia Hydro and Po-
werAuthority c. BG Checo International Ltd., [1993] 1 R.C.S. 12, 99 D.L.R. (4′) 577 [ci-apr~s B.C.
Hydro c. BG Checo avec renvois aux R.C.S.].
“Voir Hadley c. Baxendale (1854), 156 E.R. 145, [1843-60] All E.R. Rep. 461 (Ex. Div.).
Voir par exemple les r6clamations pr6sentes dans Bullock c. Trafalgar Insurance Co., supra note
la p. 150 ( C. dist.
9; Clarke c. National Life Assurance Co. of Canada (1990), 48 C.C.LI. 129
Ont).
21 Ibid.
2 Voir g6n6ralement M. Baer, oLabelle v. Guardian Insurance Co. of Canada et aLt
(1990) 38
C.C.LI. 274 A lap. 275.
[1989] 1 R.C.S. 1085,58 D.L.R. (4′) 193 [ci-aprs Vorvis avec renvois aux R.C.S.].
“4 Voir par ex. Warrington c. Great-West Life (1995), 7 B.C.L.R. (3′) 43, 7 W.W.R. 428 (S.C.) [ci-
aprs Warrington (S.C.) avec renvois aux B.C.L.R.], inf. en partie par (1996), 24 B.C.L.R. (3′) 1, 139
D.L.R. (4′) 18 (C.A.) [ci-aprs Warrington (C.A.) avec renvois aux B.C.L.R.] ; Adams c. Confedera-
1998]
D. W. BOlviN – LINDEMNISATION DES PERSONNES ASSUREES
227
comme reconnaissant un crit~re universel pour juger le bien-fond6 d’une demande en
dommages-int6rts major6s” dans un cas de violation de contrat. Ce crit6re est celui
du mffait donnant ouverture A un droit d’action>>’ qui est satisfait (
assurances, puisque la raison d’8tre du contrat est de fournir non seulement une s6cu-
rit6 financi~re ii la partie assur6e, mais aussi un sentiment de quietude1 . Par cons6-
quent, la bonne ou la mauvaise foi de l’assureur n’ajoute rien h.l’analyse suivant ce
courant. Si l’assureur manque h ses obligations contractuelles, la partie assur6e peut
8tre indemnis6e pour ses pertes intangibles le cas 6ch6ant.
Dans la partie IV de cet article, nous expliquons pourquoi le second courant juris-
prudentiel est A rejeter. Pour les fins de la pr6sente partie, il suffit de noter que la
tion Life Insurance Co., supra note 11 ; Netzel c.Zurich Indemnity Co. of Canada (1994), 26 C.C.L.I.
(2′) 210, [1994] 9 W.W.R. 268 (B.R. Man.).
25Voir Vorvis, supra note 23 a la p. 1097 et s., ob la Cour identifle la compensation pour souffrances
morales par l’dtiquette ,,dommages-int~r~ts majords>. Cette d6nomination ne plait pas A tous : voir
par ex. les propos de Mine la juge Southin dans Warrington (C.A.), ibid. aux pp. 19-20.
‘ Vorvis, ibid. a lap. 1118, Mine la juge Wilson, en dissidence, d~crit ainsi le critre reconnu par la
majorit6.
‘ Ibid. A lap. 1103, juge McIntyre.
, Voir par ex. Warrington (C.A.), supra note 24 aux pp. 13-17.
Une approche similaire fut proposde cinq ans avant Vorvis, dans Thompson c. Zurich Insurance
Co. (1984), 45 O.R. (2′) 744,7 D.L.R. (4’) 664 (H.CJ. Ont.) [renvois aux D.L.R.].
” Ce test est propos6 par les juges Staughton et Purchas dans Hayes c. James & Charles Dodd,
[19901 2 All E.R. 815 aux pp. 824,826 (Eng. C.A.), afin d’identifier les situations exceptionnelles oi
une compensation pour souffrance morale caus6e par un bris de contrat peut 8tre accord6e. Ce test
s’inspire de d6cisions britanniques qui adoucissent la r~gle absolue de Addis c. Gramaphone Co.,
[1909] A.C. 488, [1908-10] All E.R. Rep. 1 (H.L.), notamment les affaires Bliss c. South East Thames
Regional Authority, [1987] I.C.R. 700 (Eng. C.A.) et Jarvis c. Swans Tours Ltd., [1973] Q.B. 233,
[1973] All E.R. 71 (Eng. C.A.).
31 Voir par ex. Warrington (C.A.), supra note 24 aux pp. 15-17 (assurance invalidit6) ; Thompson c.
Zurich Insurance Co., supra note 29 aux pp. 679-80 (assurance invaliditd).
228
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
common law demeure g6nfralement r6ticente, dans une action pour violation d’un
contrat d’assurance, A accorder des dommages-intfr~ts qui exc~dent l’indemnit6 con-
venue par les parties en l’absence d’un comportement autre que la simple rupture
d’une promesse. Dans ce sens, conclure A la mauvaise foi dquivaut a ouvrir la porte h
une gamme de r6parations qui sont, pour le meilleur ou pour le pire, vues d’un ceil
sceptique dans une dispute essentiellement contractuelle. L’obligation de bonne foi
occupe donc une fonction compl6mentaire au chapitre des obligations secondaires”-,
c’est-A-dire, au chapitre des obligations de reparation. Elle permet au tribunal de pui-
ser A m~me son arsenal pour choisir le redressement qui lui parait 6tre le plus appro-
pri6 eu 6gard aux circonstances.
En plus d’une approche conservatrice A la r6paration pour bris de contrats, le droit
des contrats classique pose une deuxi6me limite
l’indemnisation des personnes assu-
r6es par sa d6finition m~me de la rupture contractuelle. Mme en donnant raison au
courant jurisprudentiel qui rejette le crit~re de <
pour bris de contrat est une question qui repose sur la violation d’une obligation pri-
maire quelconque3, c’est- -dire, une obligation de comportement. Dans certains cas,
les devoirs des parties
la suite d’un sinistre sont tr~s bien d6finis par le contrat
d’assurance et il est relativement simple de d6terminer si une partie manque A ses
obligations, notamment en ce qui a trait a l’obligation de l’assur6 de soumettre une
d6claration du sinistre et l’obligation de l’assureur de lui fournir des formulaires t cet
effet. Dans la plupart des cas, par contre, le langage employ6 dans la police permet
aux parties d’interprter, avec bonne foi, leurs obligations contractuelles en fonction
de leurs int6r~ts r~ciproques. En d’autres mots, en raison du caract~re gfnfral de ses
dispositions, le contrat d’assurance est source de nombreux conflits l6gitimes en ma-
ti~re d’interpr6tation. <(In fact, the most frequently litigated insurance problem in-
volves the interpretation or construction of insurance contracts)>“. Ces conflits sont
d’autant plus nombreux en assurances, comparativement aux autres domaines con-
tractuels, du fait que les polices doivent 6tre explicitement interpr6t6es contra pro-
ferentem et en fonction des attentes raisonnables des parties, soit par des r~gles
d’interpr6tation dont l’impact est mesur6 cas par cas 5. La partie assur6e doit soumet-
tre une preuve de ses dommages, mais comment d6terminer si cette preuve est com-
plte dans une situation particuli~re ? L’assureur doit parfois indemniser I’assur6 en
‘2 Les obligations contractuelles secondaires ont commc fonction de r6parer ex post ies dommages
caus6s A autrui par un bris de contrat, tandis que les obligations contractuelles primaires ont comme
fonction de r6glementer la conduite des parties contractantes ex ante. Voir g6nfralement P. Legrand
jr., <606ments d'une taxinomie des obligations juridiqueso (1989) 68 R. du B. can. 259.
33Voir ibid.
M.G. Baer et J.A. Rendall, Cases on the Canadian Law of Insurance, 5' dd., Scarborough,
Carswell, 1995 a la p. 579.
' La certitude du droit et ]a cohdrence jurisprudentielle sont par ailleurs difficiles "i raliser en raison
des m6thodes d'interpr6tation propres au droit des assurances :voir g6ndralemcnt M.-C. Thouin,
ry of Insurance Policy Interpretation> (1996) 95 Mich. L Rev. 531 A lap. 532 ; J.A. Fisher, <(Why Are
Insurance Contracts Subject to Special Rules of Interpretation?: Text Versus Context
(1992) 24 Ariz.
St. LJ. 995 aux pp. 1001-08.
1998]
D. W BOIVIN - L'INDEMNISATION DES PERSONNES ASSUREES
229
fonction de la valeur A neuf du bien endommag6, mais comment 6tablir si les condi-
cette base de r~glement sont satisfaites dans un cas donn6 ? La po-
tions pr6alables
lice d'assurance offre rarement une r6ponse incontestable h ces questions. De plus,
m~me en supposant que les parties s'entendent sur le sens et la port6e des dispositions
contractuelles, elles peuvent aussi avoir des disputes l6gitimes concernant les faits ou
le droit. Dans quelles circonstances une personne qui regoit des prestations
d'invalidit6 est-elle apte 4 retourner au travail ? Quel est l'impact v6ritable du principe
uberritna fides lors de l'ex6cution d'un contrat d'assurance sp6cifique ? La preuve, la
common law et la l6gislation servent A r6soudre ces conflits, apr~s qu'ils soient surve-
nus, mais le caract~re parfois ind6termin6 de ces sources est, en soi, la cause de nom-
breux diff6rends.
Bref, l'ex6cution d'un contrat d'assurance est source de nombreux conflits fon-
des. Dans ces cas, l'expression <
comportement de la partie dont l’interpr6tation du droit, de la police ou des faits
s’avfre erronde i la suite d’un arbitrage ou d’un proc~s. Si l’assureur perd, il devra
habituellement payer imm6diatement l’indemnit6 avec int6rts ainsi que les d6pens de
la partie gagnante . Un jugement d6claratoire A cet effet sera sans doute prononc6. De
plus, lorsque la dispute porte sur des prestations d’invalidit6 p6riodiques, l’instance
d6cisionnelle pourra obliger l’assureur h faire des paiements futurs par voie de d6cla-
ration”7 . En thdorie, l’assureur a manqud
son obligation contractuelle m~me si sa po-
sition 6tait erron6e, sans plus “. De fail, la responsabilit6 contractuelle n’est g6n6rale-
ment pas basde sur la faute; il s’agit d’une responsabilit6 essentiellement stricte’ . Ce-
pendant, nous verrons que la jurisprudence r6cente sugg~re que meme si l’absence de
Voir par ex. Wood c. Commercial Union Assurance Co. of Canada, [1996] I.L.R. 1-3254 (Div.
g6n. Ont.), en ligne: QL (0.1); George c. Great-West Life Assurance Co., [1993] I.L.R. 1-2957 (Div.
g6n. Ont.), en ligne: QL (01); John Ziner Lumber LL c. New Hampshire Insurance Co. (1986), 23
C.C.L.I. 269, [1987] I.L.R. 1-2139 (H.CJ. Ont.). I1 est toutefois noter que certaines decisions accor-
dent des int6rdts avant jugement jusqu’ concurrence de la limite pr6vue au contrat d’assurance : voir
Baer, supra note 22 t la p. 276; B.A. Foster, <
ques].
“‘ Voir Paradine c. Jane (1647), 82 E.R. 897, [1558-1774] All E.R. Rep. 172 (K.B.) ; Raineri c.
Miles, [1981] A.C. 1050 .la p. 1086, juge Edmund-Davies : <[i]t is axiomatic that, in relation to a
claim for damages for breach of contract, it is, in general, immaterial why the defendant failed to fulfil
his obligation, and certainly no defence to plead that he had done his best>>. Voir gdn6ralement B. Ni-
cholas, <
337.
230
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 43
faute n’est pas une d6fense ii une action pour bris de contrat, les motifs qui expliquent
la rupture contractuelle peuvent aggraver la responsabilit6 civile de la partie d6fende-
resse”. En d’autres mots, on reconnait qu’il existe deux fagons distinctes de manquer
une obligation d’indemniser une personne sinistr~e: avec et sans motif raisonnable.
Dans les deux cas, if y a bris de contrat et la partie assur6e recevra la prestation due,
plus int6rt et d6pens le cas 6ch6ant. Dans le deuxi~me cas, cependant, il y a mauvaise
foi de la part du cr6ancier de l’obligation et la partie assur6ejouira d’une panoplie des
r6parations disponibles, y compris des dommages-int6rts major6s et des dommages-
int6rts punitifs. Dans l’arr~t Kosmopoulos”, le demandeur a sans doute 6t6 grande-
ment perturb6 par la position prise par son assureur et ce, jusqu’au jugement de la
Cour supreme dix ann6es apr~s le sinistre qui a dftruit son commerce 2. Peut-on pr6-
tendre que M. Kosmopoulos aurait dfi recevoir, en plus de son indemnit6 avec int6rets
et ses d6pens, des dommages-int6r~ts additionnels pour prejudice moral ? Si oui, le
m~me argument peut 6tre soulev6 chaque fois qu’un assureur refuse, A tort, de verser
une indemnit6, peu importe si sa position 6tait raisonnable eu 6gard aux faits, it la po-
lice et A l’6tat du droit. Le second courant jurisprudentiel, not6 ci-dessus, sugg~re
pourtant une telle r6ponse, car il refuse de tenir compte des motifs de ]a rupture con-
tractuelle en 6valuant la r6paration A laquelle a droit l’assur6 pour le pr6judice moral
subi. L’obligation de bonne foi permet aux tribunaux canadiens de contourner ce di-
lemme. En plus de son r6le en mati6re de reparation, elle occupe une fonction com-
pl6mentaire au chapitre des obligations primaires de comportement. Cette obligation
permet aux tribunaux de sanctionner non seulement un bris de contrat, mais le fon-
dement m~me de cette violation.
Pour r6sumer, les expressions <,bonne foi>> et
avec prudence dans le contexte de l’exfcution du contrat d’assurance. Ces qualificatifs
sont souvent superflus, eu 6gard aux recours traditionnels ii la disposition de la per-
sonne assur6e. Une obligation de bonne foi poss~de alors une fonction essentielle-
ment r6siduelle. Sa fonction est de combler les lacunes soulev6es par les obligations
contractuelles primaires et secondaires, c’est-A-dire les obligations qui r6glementent
d’embl6e la relation entre assureur et assur6.
Pour quels motifs la common law est-elle dispos6e it compl6ter de la sorte les
droits des personnes assur6es ? Si les parties estiment que le droit classique des con-
trats est inad6quat, elles sont libres de pr6voir des r~gles diff6rentes en mati~re de r6-
paration et en mati~re de comportement. La common law se montre pourtant prate a
” Voir Bullock c. Trafalgar Insurance Co., supra note 9 ; Kusalic c. Zurich Cie d’assurances, supra
note 10 ; Warrington (S.C.), supra note 24 ; Adams c. Confederation Life Insurance Co., supra note
11.
4,Supra note 14.
, Dans cette cause c6l6bre, les assureurs prdtendaient que M. Kosmopoulos n’avait aucun int6rdt
assurable dans les biens endommag~s par le sinistre puisque ces biens appartenaient, en rdalit6, h ia
soci6t6 commerciale dont ii dtait I’administrateur et I’actionnaire unique. Voir Kosmopoulos, ibid.
Uargument fut rejet6 en Cour supfrieure, en Cour d’appel et en Cour supreme et les assureurs furent
condamn~s A indemniser l’assur6 pour ses pertes, jusqu’ concurrence des garanties offertes.
‘- Voir supra notes 28-31, supra et le texte correspondant.
1998]
D. W BOIVN – L’INDEMNISATION DES PERSONNES ASSUREES
231
intervenir, m~me lorsque le contrat est muet. Pourquoi ? De toute 6vidence, les parties
ne n6gocient pas sur un pied d’6galit6. La position relative des parties lors de la for-
mation du contrat d’assurance fait l’objet de plusieurs discussions’. Nous le savons, la
police est un contrat d’adh6sion et la personne qui souhaite souscrire h une assurance
poss~de peu de pouvoir de n6gociation, sauf en mati~re de garantie et de prime. De
plus, l’information juridique pertinente n’est pas toujours accessible aux deux parties.
Le professeur Fisher est d’avis que the true disparity between insurer and insured
concerns knowledge, not raw bargaining power 45. En d’autres mots, mame si un pro-
posant avait le pouvoir de faire inclure une clause expresse de bonne foi dans son
contrat, il devrait au pr6alable en saisir la n6cessit6. Les assureurs ont des juristes au
sein de leurs 6quipes de rddaction afin de prot6ger leurs int6rts. La clientele assurde,
pour sa part, est rarement repr6sentde A l’6tape de la formation du contrat. Par cons6-
quent, puisque les limites d6crites dans les paragraphes pr6c6dents avantagent les as-
sureurs, un silence dans le contrat en mati~re de bonne foi ne peut atre le r6sultat d’un
consensus ad idem. C’est plut6t le r6sultat du d6s6quilibre dans le pouvoir relatif des
parties et.dans leurs connaissances. A l’instar de la r~gle contra proferentem et de la
th6orie des attentes raisonnables, l’expansion du principe uberrima fides au r~glement
du sinistre vient pallier A cette in6galit6.
L’obligation de bonne foi att6nue une autre disparit6 entre les parties contractan-
tes, une disparit6 qui se manifeste cette fois apr~s la mat6rialisation du risque assur6.
M~me en supposant que le contrat d’assurance refl~te parfaitement l’intention com-
mune des parties, c’est-A-dire, m~me en prfsence d’une 6galit6 parfaite lors des n6go-
ciations, l’assureur jouit n6anmoins d’un avantage strat6gique suivant le sinistre “. De
fait, si sa responsabilit6 civile se limitait au montant de la prestation due plus int6rts
et d6pens, celui-ci aurait peu A perdre, mise A part sa r6putation commerciale, en
adoptant une position stricte lors de l’examen des demandes de r~glement faites con-
tre lui. I1 pourrait rejeter une r6clamation ou adopter une position adversative rigide et,
si son interpr6tation s’avdrait erron6e, il ferait face A des sanctions relativement mi-
neures. En effet, les int6rts sur la somme due et les d6pens offrent peu en mati~re de
dissuasion7 lorsque nous tenons compte des avantages que l’assureur peut obtenir en
adoptant syst~matiquement une pareille position. A la lumi~re du nombre 6lev6 de r6-
clamations qu’il regoit et du fait que sa clientele soit par d6finition particuli~rement
la suite d’un sinistre, les b6n6fices h long terme d’une position rigide
vuln6rable
” Pour deux analyses r6centes, voir Fisher, supra note 35 ; Abraham, supra note 35.
Fisher, ibid. la p. 1018. Voir aussi I’analyse que propose Fisher de ce d 6squilibre d’information
aux pp. 1046-64.
46 Voir KS. Abraham, Distributing Risk: Insurance Legal Theory, and Public Policy, New Haven,
Yale University Press, 1986 aux pp. 173-74 [ci-apr~s Distributing Risk].
47Et ce, surtout lorsque le tribunal tient compte de la garantie pr6vue au contrat en calculant les intd-
la p. 276 ; Di Domenicantonio c. Finnigan (1986), 75
rats avant jugement. Voir Baer, supra note 22
N.B.R. (2′) 301, 33 D.L.R. (4′) 71 (B.R.), inf. par (1987), 81 N.B.R. (2′) 213, 40 D.L.R. (4′) 175
(C.A.), parce que le juge de premiere instance avait outrepass6 sa juridiction en accordant lesdits int6-
rits avant jugement.
232
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
peuvent 6tre sup6rieurs au dommage que risque de subir son achalandage “.
L’obligation de bonne foi sert
influencer ce calcul des cofits et des b6n6fices. Certes
l’assureur et l’assur6 sont des adversaires 16gitimes suivant la mat6rialisation du ris-
que, dans le sens que chaque partie a le droit de revendiquer ses propres int6rets con-
tractuels. Ainsi, la bonne foi ne signifie pas que l’assureur doive accepter toutes les
r6clamations pr6sent6es contre lui. Cependant, ]a bonne foi implicite ,i tout contrat
d’assurance oblige l’assureur A fonder son refus sur des motifs raisonnables. II ne peut
utiliser, de fagon consciente, sa position strat6gique afin d’usurper un b6n6fice con-
tractuel qui fut allou6 A la partie assur6e’. Conclure A la mauvaise foi permet
d’imposer une sanction plus s6v~re que la valeur marchande de ce b6n6fice. Par con-
s6quent, reconnaitre que le r~glement du sinistre exige la plus enti~re bonne foi des
deux parties contractantes, c’est r6duire les chances d’exploitation des personnes as-
sur6es. Bref, les rfgles d’interpr6tation veillent A ce que le contrat d’assurance refl~te
les attentes raisonnables des parties ; l’obligation de bonne foi, pour sa part, veille A ce
que l’assureur respecte ces attentes.
Enfin, il existe d’autres motifs pour assujettir le r~glement du sinistre au principe
le souligne
le professeur Abraham,
uberrima fides. Suivant une perspective 6conomique, une telle obligation am6liore la
fiabilit6 du contrat d’assurance et donc sa popularit6 comme mesure de gestion du
risque. Comme
le caract~re efficient de
l’assurance ne d6pend pas seulement de son cofit, mais aussi du caract~re fiable des
assureurs’. Si une personne assur6e ne peut faire confiance A son assureur, ii sera
peut-8tre plus rentable pour elle d’investir sa prime en mesure de pr6vention, de mi-
nimiser le risque pour lequel elle est assur6e ou de choisir un assureur plus fiable.
Heureusement, ]a common law pr6voit une alternative plus simple et plus 6conomi-
que. L’obligation de bonne foi est une garantie juridique du caract~re fiable de
l’assurance; c’est une garantie que rallocation des risques suivant le sinistre sera la
m~me que l’allocation des risques lors de la formation du contrat. Par cons6quent,
cette obligation n’influence pas seulement l’ex6cution des contrats d’assurance, mais
elle peut aussi influencer la quantit6 de services rendus”. Toutefois si le devoir de
bonne foi est appliqu6 de fagon trop rigide par les tribunaux, les cons6quences 6co-
nomiques seront alors renvers6es. Par exemple, supposez qu’un tribunal conclut i la
mauvaise foi en pr6sence d’une dispute factuelle l6gitime entre assureur et assur6 ou
en pr6sence d’un conflit d’interpr6tation qui est fond6. Dans un tel cas, au lieu de dis-
” Les propos du juge Chapnick dans Rodriguez c. Allstate Insurance Co. (1994), 24 C.C.L.I. (2)
la p. 164, [1995] I.L.R. 1-3126 (Div. g6n. Ont.), conf. par, [1997] OJ. n” 4808 (C.A.), en ligne:
146
QL (OJ) sont r6v6lateurs:
[a]ccording to testimony adduced on behalf of Allstate, over 90 per cent of insured per-
sons accept its estimates for renovations made necessary by reason of perils such as
fire, without question. That may be so. At the same time, this situation may reflect gen-
eral frustration, malaise, or a lack of understanding and knowledge on the part of many
insured persons as to their rights. Property owners may feel that they have little choice
but to accept the estimates presented to them by the insurer.
49 Voir Abraham, Distributing Risk, supra note 46 i lap. 181.
Voir ibid. aux pp. 176-77.
“‘ Voir ibid. A la p. 177.
1998]
D. W BOIVIN – L’INDEMNISATION DES PERSONNES ASSUREES
233
suader l’opportunisme, le devoir de bonne foi ne fera que gonfler de fagon inefficace
les primes d’assurance que tous doivent payer”-. I1 importe alors de distinguer
l’assureur qui revendique un int6r~t personnel de l’assureur qui essaie d’accaparer un
b6n6fice contractuel qui appartient ii son assur6. Le succ~s de l’objectif 6conomique
not6 ci-dessus d6pend, en partie, de la mise en application d’une pareille distinction.
II. Source de I’obligation de bonne foi
Nous venons de voir que la bonne foi sert, entre autres, h r6glementer la position
strat6gique des assureurs lors de l’ex6cution du contrat d’assurance afin de r6duire la
vuln6rabilit6 de la personne assur6e suite i un sinistre. Comment traduire les objectifs
soulign6s dans la partie pr6c6dente en recours juridique ? En d’autres mots, quel est le
fondement du devoir de bonne foi que la common law impose aux assureurs, en de-
hors du domaine de l’assurance de responsabilit6 civile ? L’obligation est-elle de na-
ture contractuelle, d6lictuelle ou fiduciaire ? Malgr6 l’6rosion des fronti~res concep-
tuelles qui s6parent historiquement ces trois familles de droit, les responsabilit6s con-
tractuelle, d6lictuelle et fiduciaire ne seront jamais parfaitement concomitantes. De
plus, m~me dans une instance de concomitance, des distinctions persistent entre ces
r6gimes de responsabilit6 au chapitre du droit substantiel comme au chapitre du droit
titre d’exemple, l’6valuation des dommages-int6rts 3 et les
de la proc6dure. Citons,
r~gles en mati~re de prescription ‘ . Ainsi, la source de l’obligation de bonne foi qui
incombe aux assureurs est plus qu’une question acad6mique.
Nous d6buterons avec l’argument fiduciaire, celui qui poss~de le moins de poten-
tiel pour ad6quatement d6finir l’obligation de bonne foi dans l’indemnisation des per-
savoir si un assureur a une obligation fiduciaire envers
sonnes assur6es. La question
sa clientele, soit de fagon g6n6rale ou dans des circonstances particulires, n’est pas
encore r6gl6e au Canada. La jurisprudence se dirige n6anmoins vers un rejet de cette
conception malgr6 le caractre distinct de l’assurance et la popularit6 r6cente de
“2 Pour une analyse exhaustive des cons6quences 6conomiques du devoir de bonne foi, tant positives
que n6gatives, h l’tape de l’exdcution du contrat, voir A.O. Sykes, <'Bad Faith' Breach of Contract
by First-Party Insurers>> (1996) 25 J. Leg. Stud. 405 ; A.O. Sykes,
suit en analysant les trois critfres reconnus par la Cour supreme pour la reconnais-
sance d’une relation fiduciaire’!, et conclut qu’un assureur de responsabilit6 compl6-
mentaire n’a pas le devoir fiduciaire d’aviser son assur6 que son assureur de respon-
sabilit6 primaire est insolvable”.
Puisque la jurisprudence canadienne h6site i d6clarer fiduciaire un assureur qui
repr6sente i ]a fois ses int6r~ts et ceux de son assur6 au cours de n6gociations avec
une tierce partie, les tribunaux devraient a fortiori 8tre r6ticents h caract6riser
l’indemnisation simple comme ayant un caract~re fiduciaire!. En effet, en dehors de
l’assurance de responsabilit6, chaque partie au contrat revendique ses propres int6rats
suivant un sinistre : la partie assurde tente de se faire indemniser et l’assureur tente de
minimiser sa responsabilit6 dans la mesure oa les faits, la police et le droit le leur
permettent. Un sinistr6 est sans doute vuln6rable comparativement i son assureur car
son besoin d’un d6dommagement exp6ditif peut compromettre son int6r~t pour un
d6dommagement int6gral. Ce point est not6, par exemple, dans deux d6cisions r6cen-
tes qui portent sur l’interruption de prestations d’invalidit6, soit Adams c. Confedera-
tion Life Assurance Co.’ et Warrington (C.A.) ‘ . Toutefois, la position de l’assurd est
analogue t celle de plusieurs cr6anciers, y compris le propri6taire d’immeuble qui r6-
clame des loyers arri6r6s. Pour emprunter les crit~res de la Cour suprame!7, la vuln6-
rabilit6 de la personne assur6e ne s’explique pas du fait que son vis-a-vis possfde la
discr6tion de retarder un paiement. Si le contrat pr6voit le versement d’une somme,
l’assureur comme le locataire doit la verser. Au contraire, la vuln6rabilit6 de l’assur6
s’explique par le processus adversatif lui-m~me, processus qui conseille h chaque
Ibid. a lap. 166.
Voir les motifs de la juge Wilson en dissidence dans Frame c. Smith, [19871 2 R.C.S. 99 aux pp.
135-36, 42 D.L.R. (4’) 81 [renvois aux R.C.S.] : (i) le fiduciaire possde un pouvoir discrdtionnaire ;
(ii) le fiduciaire peut unilatdralement exercer ce pouvoir de mani~re i avoir un impact sur les int6rats
du b6n6ficiaire ; et (iii) le b6ndficiaire est particuli~rement vuln6rable eu dgard au pouvoir du fidu-
ciaire. Ces crit~res furent adoptds par la Cour supreme a plusieurs reprises, y compris dans les affaires
M.(K) c. M.(H.), supra note 54 et LAC Minerals, supra note 55.
” Voir Plaza Fibre Glass Manufacturing Ltd. c. Cardinal Insurance Co., supra note 60 aux pp. 167-
68 : ,,[tjhere is no scope in this relationship for any unilateral exercise of a power or discretion with
respect to the primary insurance and no question of trust or confidence being reposed in the excess in-
surer in this regard.>
‘, 11 existe pourtant des obiter dicta i I’effet contraire. Voir par exemple Labelle c. Guardian Insu-
rance Co. of Canada (1989), 38 C.C.L.I. 274 i la p. 296, [19891 I.L.R. 1-2465 (H.CJ. Ont.) [renvois
aux C.C.L.I.] : 4[i]n summary, therefore, the defendant Guardian breached its fiduciary duty to act
promptly and fairly., Voir aussi Wigmore c. Canadian Surety Co. (1994), 27 C.C.L.I. (2′) 96, [19951
I.L.R. 1-3139 (Sask. Q.B.), conf. par (1996), 139 D.L.R. (4’) 164, 144 Sask. R. 285 (C.A.), sauf pour
le quantum (dans le jugement de la Cour d’appel, aucune remarque n’est faite i proposde d’une rela-
tion de fiduciaire).
6″ Supra note 11
i la p. 685 : 4[h]owever defined at this time, it is clear from these authorities that an
insurer owes a yet undefined duty of good faith to its insured. It is a duty which in some circum-
stances, resembles a fiduciary duty but is always governed by fair play in every dealing.,,
Supra note 24 aux pp. 9-11.
‘7 Voir Frame c. Smith, supra note 62.
236
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 43
partie contractuelle, que ce soit en assurances ou ailleurs, de revendiquer ses int6rats
personnels en autant que le droit le lui permette dans les circonstances. Cela dit, h
moins de conclure que peu importe le contexte, un d6biteur doit une obligation fidu-
ciaire de mettre en ex6cution son engagement, il est difficile de pr6tendre que
l’assureur est fiduciaire en matifre d’indemnisation. Les personnes assur6es ont be-
soin d’une protection accrue comparativement A d’autres cr~anciers en raison de
l’avantage strat6gique que poss~dent les assureurs. Cependant, cela ne peut en soi
justifier ce
Trafalgar Insurance Co., supra note 9 au para. 92 et s. Voir aussi Shewdiuk c. London Life hsurance
Co. (1996), 38 C.C.L.I. (2′) 282, en ligne : QL (BCJ) [renvois aux C.C.L.I.].
” La decision originaire est Gruenberg c. Aetna insurance Co., 510 P.2d 1032 (Cal. 1973). Suite h
cette affaire, au moins vingt-quatre juridictions amdricaines ont reconnu un d6lit civil de mauvaise foi
lors de l’ex6cution du contrat d’assurance, tandis que cinq juridictions ont adopt6 une approche con-
tractuelle et deux ont cr66 un recours par voie 16gislative. Voir Henderson, supra note 13 aux pp.
1153-56.
1998]
D. W BOIVlN –
‘INDEMNISATION DES PERSONNES ASSURE-ES
237
tractuelle. A l’instar du professeur Jerry7 , celles-ci se basent sur la capacit6 inh6rente
du droit des contrats de s’adapter aux besoins particuliers des personnes assur6es-.
La situation au Canada n’exige pas cette dichotomie contrat/d61it puisque les int6-
r~ts” et les d6pens ‘ peuvent 6tre octroy6s, peu importe le fondement de l’action. De
plus, les dommages-int6rts major6s et punitifs peuvent atre accord6s pour bris de
contrat’. La jurisprudence canadienne se montre particuli~rement flexible cet 6gard
dans le domaine des assurances “. Par cons6quent, la n6cessit6 de faire un choix entre
une approche contractuelle et une approche d6lictuelle est moins pressante dans les
juridictions canadiennes. Les distinctions qui persistent au chapitre de la reparation
la fonction des dommages-int6rts pour rupture de contrat et pour
renvoient plut6t
d6lit civil’ et t l’application du crit~re de proximit6 causale aux deux instances?>. La
Cour supreme recommande par ailleurs une harmonisation de ces deux regimes de
responsabilit6 civile’, ce qui r6duirait davantage le besoin de choisir entre eux.
Les jugements qui accordent des dommages-int6r~ts pour mauvaise foi sont g6n6-
ralement silencieux quant au fondement de l’obligation de bonne foFi. Deux d6cisions
7′ Voir R.H. Jerry II, <(The Wrong Side of the Mountain : A Comment on Bad Faith's Unnatural
History) (1994) 72 Tex. L. Rev. 1317. Dans cet article, A la p. 1317, le professeur Jerry pr6sente sa
th~se scion laquelle
manifested in the battle over the tort of bad faith performance in insurance contracts should be re-
solved under contract law’s own terms. > Voir aussi M. Gergen, (A Cautionary Tale About Contrac-
tual Good Faith in Texas (1994) 72 Texas L Rev. 1235.
” Voir Lawton c. Great Southwest Fire Insurance Co., 392 A.2d 576 (N.H. 1978) ; Beck c. Farmers
Isurance Exchange, 701 P.2d 795 (Utah 1985) ; Hayseeds Inc. c. State Farm Fire & Casualty, 352
S.E.2d 73 (W. Va. 1986); Marquis c. Farm Familiy Mutual Insurance Co., 628 A.2d 644 (Me. 1993);
Tackett c. State Farm Fire & Casualty Insurance Co., 653 A.2d 254 (Del. 1995).
7″ Voir par ex. la Loi sur les tribunauxjudiciaires, L.R.O. 1990, c. C.43, art. 127-30. Voir toutefois
Baer, supra note 22
lap. 276.
7′ Voir par ex. la Loi sur les tribunauxjudiciaires, ibid., art. 131.
“> Voir Vorvis, supra note 23.
16 Voir la partie IV, ci-dessous.
” Voir B.C. Hydro c. BG Checo, supra note 18; L.L. Fuller et W.R. Purdue jr., ((The Reliance Inte-
rest in Contract Damages (1936-37) 46 Yale L.J. 52,373.
“, Voir par ex. J. Cartwright, <(Remoteness of Damage in Contract and Tort: A Reconsideration >
(1996) 55 Camb. L.J. 488 ; J. Blom, <(Remedies in Tort and Contract: Where Is the Difference? dans
J. Berryman, dir., Remedies: Issues and Perspectives, Scarborough, Carswell, 1991, 373 i lap. 395.
7' Voir B.C. Hydro c. BG Checo, supra note 18 aux pp. 21-22:
la responsabilit6 ddlictuelle dans
[a]u lieu de tenter d'6tablir de nouveaux obstacles
des contextes contractuels, le droit devrait tendre a l'61imination des diff6rences injusti-
fi6es entre les r~gles relatives aux redressements applicables aux deux actions, ce qui
r6duirait l'importance de l'existence des deux formes d'action difffrentes et permettrait
tous les redressements judiciai-
'a une personne qui a subi un pr6judice d'avoir acchs
res pertinents.
Par exemple, dans Adams c. Confederation Life Insurance Co., supra note 11, le juge Mason af-
(a la p. 685) et conclut que la mauvaise foi de
firme que l'obligation ((resembles a fiduciary duty
l'assureur, en l'esp.ce, constitue un ((actionable wrong apart from the breach of contract ( la p. 686)
238
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 43
ontariennes abordent cette question en obiter dicta. Dans Bullock c. Trafalgar Insu-
rance Co.", le juge Cumming conclut t la mauvaise foi de l'assureur mais partage
l'avis que le calcul des dommages-int6r~ts, en l'espce, sera le m~me suivant une ap-
proche contractuelle ou d6lictuelle puisque les dommages r6clam6s par l'assur6 pour
son manque i gagner ne sont pas raisonnablement pr6visibles"'. N6anmoins, il ac-
corde des dommages-int6r~ts major~s i la partie demanderesse pour ses souffrances
morales, et pr6fere qualifier le manque de bonne foi chez l'assureur comme 6tant un
manquement i ses obligations contractuelles " . Son raisonnement a de l'attrait : en re-
jetant la r6clamation de I'assur6 sans motifs raisonnables, l'assureur a port6 atteinte
d'abord et avant tout aux attentes raisonnables de son cr6ancier'. Son comportement
ressemble done i un bris contractuel plut6t qu'A un d6lit civil, puisque la fonction de
la responsabilit6 d6lictuelle est de prot6ger ]a confiance raisonnable qu'ont les ci-
toyens et citoyennes en leurs prochese. Dans Burdan c. Progressive Casualty Insu-
rance Co.', la cour arrive A une conclusion contraire. Quoique la d6fense de l'assureur
fut accept6e, soit la fraude par l'assur6, le juge Mandel poursuit en discutant de fagon
g6n6rale le devoir de bonne foi qui incombe aux deux parties i un contrat
d'assurance. Selon lui, une demande en dommages-int6r~ts pour mauvaise foi lors de
l'ex~cution du contrat doit 6tre formul6e comme une action en responsabilit6 d6lic-
tuelle. De fagon succincte, il d6clare que <,[s]uch duty, absent statutory enactment, is
imposed by law as an incident of the relationship and contract of insurance. It is not
an implied contractual term. The breach of such duty would give rise to an action in
tort>‘. Une approche similaire est adopt6e dans Gibson c. Parkes District Hospital,
une decision australienne de la Cour sup6rieure du New South Wales. Dans ce juge-
ment interlocutoire, le juge Badgery-Parker refuse de radier une d6claration dans
laquelle un assur6 demande des dommages-int6r~ts pour la mauvaise foi de son assu-
reur dans l’6valuation de sa demande de prestations. La Cour s’inspire A la fois de
l’approche amricaine en matiire de bonne foi et de
‘approche des tribunaux du
Commonwealth en matiire du devoir de prudence. Le juge Badgery-Parker conclut
essentiellement que la relation entre un assureur et un assur6 est suffisamment 6troite
qui rencontre le critre supposdment adopt6 dans Vorvis, supra note 23, pour l’octroi de dommages-
intdr&ts punitifs. Au m~me effet, voir Warrington (S.C.), supra note 24 (dommages-int6rts major6s
pour mauvaise foi) ; Kusalic c. Zurich Cie. d’assurances, supra note 10.
“Supra note 9.
Voir ibid au para. 141 et s. Puisque la r6clamation ne satisfait pas au critsre de proximit6 causale
du droit des ddlits civils, afortiori elle ne rencontre pas le critire plus exigeant du droit des contrats.
Voir ibid au para. 147, oii M. lejuge Cumming d6clare sa pr6f6rence comme suit: A characterize
the duty of good faith and duty to act fairly as implicit to the contractual obligations of the insurer to-
ward the insured. In failing to comply with the implicit obligation, the insurer is in breach of its con-
tractual obligations. The insurer has not fulfilled its promise in the bargained-for exchange and is li-
able to compensate the insured for his expectation interest. > Au m~me effet, voir M.D. Lerner, (Bad
Faith -The
Insurer’s and the Lawyer’s Obligations>> dans Yachetti et al., dir., supra note 15, 167 aux
pp. 168, 173 ; Maschke c. Gleeson, supra note 38 aux pp. 132-33.
MVoir Bullock c. Trafalgar Insurance Co., supra note 9 au para. 135.
Voir Fuller et Purdue, supra note 77.
(1993), 20 C.C.L.I. (2’) 126, [1994] I.L.R. 1-3013 (Div. g6n. Ont.).
Ibid aux pp. 147-48.
‘(1991), 26 N.S.W.L.R. 9 (Aus. S.C.).
1998]
D. W BoIViN – L’INDEMNISATION DES PERSONNES ASSUR-ES
239
pour donner lieu h un devoir de bonne foi. En particulier, les motifs suivants justifient
l’obligation: il existe une in6galit6 de pouvoirs entre les deux parties lors de
l’exdcution du contrat, la partie assur6e est particuli~rement d6pendante, if est raison-
nablement pr6visible que celle-ci subisse des pertes dconomiques accessoires et un
pr6judice moral en cas de mauvaise foi de la part de son assureur et, enfin, il est juste
et raisonnable dans toutes les circonstances de reconnaitre un devoir de bonne foi’. II
ajoute que le devoir ne peut 6tre de nature contractuelle puisque it existed prior to the
formation of the contract, being attached by law to the relationship between parties
negotiating a contract of insurance, though perhaps no breach of the duty would ac-
quire legal significance unless a contract of insurance purportedly resulted from such
negotiations>>’. Le professeur Fleming, auteur renomm6 en responsabilit6 civile d6-
lictuelle, accueille l’esprit de ce jugement quoiqu’il refuse de se prononcer sur le bien-
fond6 de l’approche du juge Badgery-Parker”.
Selon nous, la jurisprudence de la Cour supreme du Canada portant sur la respon-
sabilit6 concomitante en mati~res d6lictuelle et contractuelle est le point de d6part
pour analyser le fondement de l’obligation de bonne foi de I’assureur -. La responsa-
bilit6 concomitante fait d6sormais partie de la common law. Une avocate, par exem-
pie, doit faire preuve de diligence raisonnable en fournissant ses services profession-
nels. I1 s’agit d’une obligation fond6e
la fois sur l’entente contractuelle entre la pro-
fessionnelle et son client (une condition implicite du contrat visant prot6ger les at-
tentes raisonnables du cocontractant) et sur la relation 6troite entre les deux parties
(un devoir de prudence visant A prot6ger la confiance raisonnable du prochain). Un
manquement A ce devoir donne ouverture A la fois A une action pour bris de contrat et
pour n6gligence, sous r6serve seulement de la libert6 des parties de modifier cette
obligation par contrat ou de limiter leurs droits en cas de manquemenf ‘ . Par cons6-
quent, rien n’emp~che une obligation de comportement d’avoir deux fondements dis-
tincts. Peu importe le recours choisi par la partie demanderesse, il s’agit d’un devoir
de prudence qui r6glemente la fagon dont la partie d6fenderesse a fourni ses services
et non la description de ces services. Nous faisons r6f6rence par cette distinction
la
deuxi~me conclusion tirde par le juge Le Dain dans Central Trust c. Rafuse ‘ oa il
souligne que la responsabilit6 concomitante est parfois impossible. En effet, une obli-
gation de r6sultat, c’est-h-dire la description de ce qu’il faut faire en vertu d’un con-
trat, peut difficilement avoir un fondement d6lictuel parall~le puisque ce droit r6gle-
mente,
l’exclusion de tout autre, la fagon dont les parties doivent se comporter.
Adoptant un raisonnement par analogie, il est possible de reconnaitre un devoir de
bonne foi en mati~re d’indemnisation –
une obligation de comportement – A ]a fois
” Voir ibid. ” la p. 34.
q’ Ibid.
91 Voir J.G. Fleming,
24 Vic. U. of Wellington L. Rev. 189.
92 Voir Central Trust c. Raftuse, supra note 54; B.C. Hydro c. BG Checo, supra note 18.
9’Voir B.C. Hydro c. BG Checo, ibid. A la p. 37.
Supra note 54 i la p. 205.
240
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 43
pour des motifs traditionnellement associ6s au droit des contrats et pour des motifs
traditionnellement associ6s au droit des d6lits, pourvu que le principe de la primaut6
de la libert6 de contracter soit respect6e 5. A notre avis, la question pressante n’est
donc pas le classement de l’obligation, mais l’identification des circonstances qui ap-
puient la reconnaissance d’un devoir de bonne foi lors de l’ex6cution du contrat
d’assurance.
A cette fin, voici, de fagon sommaire, les sept consid6rations que nous retenons.
Premi~rement, il est raisonnable pour une personne assur6e de s’attendre a recevoir,
en cas de sinistre, la contrepartie pour laquelle elle a pay6 ses primes. Cela va de soi.
Son attente ne devient d6raisonnable que lorsque l’assureur poss~de un motif accep-
table pour refuser sa r6eclamation. I1 est donc raisonnable pour une personne assur6e
de s’attendre a conserver les b6n6fices contractuels qu’elle a acquis, soit les droits qui
ne peuvent 6tre ni6s, et a obtenir la coop6ration de son vis-a-vis a cet 6gard. Le prin-
cipe uberrima fides confirme simplement cette attente.
Deuxi~mement, il est raisonnable pour une personne assur6e de se fier enti6re-
ment a la bonne foi de son assureur suivant ia conclusion du contrat. Une personne ne
devrait pas 8tre oblig6e de se procurer une assurance suppl6mentaire contre le risque
de mauvaise foi. Elle peut faire confiance a son assureur pour obtenir une indemnit6
qui correspond parfaitement a ses dommages, sous r6serve seulement des conditions
et exclusions pr6vues au contrat. La confiance en autrui est, par ailleurs, un trait dis-
tinctif du concept d’assurance employ6 dans son sens litt6ral. La confiance est aussi
un 616ment clef dans le d6veloppement du principe uberrima fides. Dans le domaine
de l’assurance-maritime par exemple, les souscripteurs a forfait devaient historique-
ment faire confiance aux repr6sentations de leurs proposants car l’inspection person-
nelle des navires dtait une solution impraticable. Le souscripteur a forfait 6tait vuln6-
rable lors de la formation du contrat et la common law a cru n6cessaire de garantir sa
confiance par un devoir de bonne foi ‘ . De fagon r6ciproque, la personne assur6e est
vuln6rable suivant la conclusion du contrat et elle doit avoir confiance en la bonne foi
de son vis-a-vis. Encore ici, le principe uberrimafides ne fait que confirmer la r6alit6.
Troisi~mement, n’efit W de l’effet combin6 de ces attente et confiance raisonna-
bles, une personne assur6e aurait pu se pr6valoir d’un autre m6canisme pour gerer les
risques auxquels elle fait face. L’assurance n’est pas seule a occuper le champ de la
gestion des risques. I1 existe d’autres moyens de minimiser le risque pour l’assur6, de
” La libert6 contractuelle, en assurances, doit bien entendu 8tre analysde la lumiire des consid6ra-
tions qui ont donn6 lieu aux rfgles d’interpr6tation propres a ce domaine. Voir g6n6ralcment les ou-
vrages cites supra note 35.
Voir Brown et Menezes, supra note 1 A la p. 88.
Lord Mansfield explique le fondement du devoir de bonne foi dans Carter c. Boehm, supra note 2
A la p. 184, une decision qui 6tend le principe au-del, du domaine de l’assurance-maritime :
insurance is a contract of speculation. The special facts, upon which the contingent
chance is to be computed lie most commonly in the knowledge of the insured only.
The under-writer trusts to his representation, and proceeds upon confidence that he
does not keep back any circumstance in his knowledge to mislcad the underwriter
into a belief that the circumstance does not exist [nos italiques].
1998]
D. W BoIViN – L’INDEMNIsATION DES PERSONNES ASSURtES
241
m~me que des sources alternatives de compensation, y compris les 6pargnes, qui peu-
vent att6nuer les cons6quences 6conomiques d’un sinistre. De plus, l’assurance
s’ach~te dans le cadre d’un march6 relativement comp6titif. Si un assureur poss~de
une mauvaise r6putation en mati~re de fiabilit6, un proposant peut souscrire t une as-
surance chez un concurrent. Cependant, la formation m~me d’un contrat d’assurance
r6duit l’attrait de la diminution du risque ou de la constitution d’un moyen alternatif
la fois des attentes
de compensation pour la simple raison que cette entente suscite
et de la confiance. De plus, ces autres m6thodes de gestion ne sont pas toujours utiles
ou disponibles apr~s la mat6rialisation du risque assur6. Le recours principal de la
personne assur6e est alors son contrat d’assurance. La prdvention, la minimisation du
risque, ainsi que l’assurance suppl6mentaire sont bien entendu impossibles tandis que
les 6pargnes et autres sources de compensation ne sont pas n6cessairement accessi-
bles. Si I’assureur fait preuve de bonne foi, la personne assurfe ne perd rien. En cas de
mauvaise foi, par contre, cette derni~re vient de perdre une opportunit6 de g6rer au-
l’6tape de l’ex6cution
trement le risque assur6. L’expansion du devoir de bonne foi
du contrat confirme que la confiance investie A l’6tape de la formation est parfois
pr6judiciable.
Quatri~mement, comme nous avons not6 dans Ia partie pr6c6dente, il existe un
d6s6quilibre marqu6 quant aux connaissances et au pouvoir de n6gociation des parties
contractantesg. Par cons6quent, le silence dans un contrat d’assurance en mati~re de
bonne foi ne signifie rien, A part le fait que c’est I’assureur qui a r6dig6 les modalit6s
de l’entente. Par ailleurs, il existe un dfsfquilibre dans le rapport de force apr~s le si-
nistre”. L’assur6 vient de subir une perte et, en l’absence d’une source alternative de
compensation, il requiert un d6dommagement A la fois complet et rapide. Un assureur
peut tirer profit de cette vulnfrabilit6 en adoptant une attitude intransigeante en 6va-
luant la r6clamation. Bref, il peut amener la personne assur6e h compromettre ses int6-
rats en lui offrant une indemnit6 hAtive, mais non int6grale. Le devoir de bonne foi
protege les assur6s lors de l’ex6cution du contrat de la m~me fagon que ce devoir
protege les assureurs lors de la formation du contrat; cette obligation empeche une
partie contractante d’exploiter la vuln6rabilit6 de l’autre en lui allouant unilatfrale-
ment un risque.
Cinqui~mement, la mise en march6 des polices d’assurances dans la soci6t6 cana-
dienne, comme ailleurs, a recours fr6quemment au theme de la fiabilit6. Dans leur pu-
blicit6, les sociftds d’assurance mettent A profit le caract~re fiable de leurs produits et
des personnes qui les administrent””. Dans ce sens le devoir de bonne foi est la suite
logique des representations pr6-contractuelles de l’assureur.
Voir le texte correspondant aux notes 44-45.
Voir le texte correspondant aux notes 46-49.
A titre d’exemple, un d6pliant de La Citadelle annonce ce qui suit : <(Le r6gime d'assurance-
hospitalisation Option Sant6 vous offre : LA LIBERTE DE CHOIX ... LA TRANQUILITE
D'ESPRIT ... PRIVILEGES SPtCIAUX ... ADHESION FACILE ... Prenez votre sdcurit6 financi~re
bien en main. Adh6rez ds aujourd'hui au r6gime Option SantI>>
242
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 43
Sixiemement, l’assurance se distingue de plusieurs autres contrats commerciaux
par son caractere essentiellement personnel””. Certes, il s’agit d’un 6change de res-
sources au meme titre qu’un contrat de vente ou de location. La personne assuree
s’engage verser une prime periodique et l’assureur s’engage A verser une indemnit6
si le risque assur6 se materialise. Cependant, la personne assuree obtient beaucoup
plus qu’une promesse en souscrivant h une assurance. Elle obtient immediatement la
certitude qu’elle pourra surmonter un moment difficile. En d’autres mots, meme si
l’assurance accorde une securit6 financiere seulement en cas de sinistre, elle suscite
un sentiment de quietude partir du moment oii l’entente est signe”‘. Ainsi la per-
sonne assuree perd plus que la valeur marchande d’une promesse d’indemnisation
lorsque son assureur refuse sa reclamation sans motif raisonnable. Elle perd la tran-
quillit6 d’esprit qu’elle s’6tait procur6e diligemment. Un devoir de bonne foi A l’6tape
de l’execution est donc compatible non seulement avec les repr6sentations pr6-
contractuelles de l’assureur, mais aussi avec la dimension non commerciale du con-
trat.
Enfin, l’assurance possede un caractere public notable”‘. Les assurances sont om-
nipr6sentes dans la societ6 canadienne contemporaine. Elles sont parfois obliga-
toires'” et plusieurs de leurs aspects sont reglementes, y compris la stabilit6 financiere
des assureurs, le comportement des intermediaires et le contenu des polices”‘. Cepen-
dant, la popularit6 et la dimension publique des assurances ne d6pendent pas autant de
l’intervention du l6gislateur que de leur mode de fonctionnement particulier. En bref,
une assurance fait plus que transf6rer un risque d’une partie contractante A une autre.
Une assurance est un m~canisme qui permet de distribuer le fardeau financier d’une
perte quelconque parmi un groupe de personnes susceptibles de subir une perte simi-
laire. Les membres de ce groupe sont des personnes assurees. Leurs primes sont cal-
culees en fonction du risque que chaque membre presente individuellement, mais aus-
si en fonction du risque global associ6 au groupe cible. Par exemple, la prime de base
pour garantir la voiture d’une personne mari6e de 35 ans est generalement inf6rieure A
la prime de base que devra payer une personne celibataire de 18 ans. I1 s’agit essen-
tiellement du principe de la mutualit6, selon lequel plus il y a de r6clamations 6ma-
nant d’un groupe cible, plus les primes seront
levees pour les membres de ce
“‘ Voir par ex. S.B. Fillman, <(Policy Rationales of the Bad Faith Cause of Action and Implications
to Non-Insurance Commercial Contracts>> (1993) 72 Neb. L. Rev. 608 aux pp. 616-18 ; J.C. Parker,
oThe Development of First-Party Extracontractual Insurance Litigation in Oklahoma: An Analytical
Examination>> (1995) 31 Tulsa LJ. 57 i la p. 62; Fisher, supra note 35 aux pp. 1034-37.
((2 Voir les decisions cites, supra note 31.
‘3Voir par ex. Fillman, supra note 101 aux pp. 618-20; Parker, supra note 101 aux pp. 59, 62; Fis-
her, supra note 35 aux pp. 1044-46. Certaines dcisions invoquent l’intervention du 1dgislateur, en
matiere d’assurance-automobile, afin de justifier la reconnaissance d’une obligation de bonne foi ii
I’6tape de I’excution. VoirJennett c. Federal Insurance Co. (1976), 13 O.R. (2′) 617, 72 D.L.R. (3’)
20 (H.CJ. Ont.) ; Thompson c. Zurich Insurance Co., supra note 29. Voir 6galemcnt Gibson c. Parkes
District Hospital, supra note 88.
“‘3Voir par ex. la Loi sur l’assurance-automobile obligatoire, L.R.O. 1990, c. C.25, de l’Ontario.
‘ Voir par ex. C. Brown, Insurance Law in Canada, 3’ dd., Scarborough, Carswell, 1997 aux pp.
27-87.
1998]
D. W BOIViN – L’INDEMNISATION DES PERSONNES ASSURE-ES
243
groupe”. Cela dtant dit, la bonne foi lors de l’ex6cution du contrat participe
cette
distribution des pertes. Cette obligation implique que les r6clamations seront hono-
rfes, en l’absence de motifs raisonnables ; le corollaire 6tant que les r6clamations fri-
voles seront rejet6es. Le principe uberrima fides promet donc un calcul plus fid~le du
risque que pr6sente un assur6 et les membres de son groupe, voire un calcul plus fi-
d~le des primes que l’assureur doit exiger afin de rfaliser des profits acceptables. En
d’autres mots, l’ex6cution du contrat d’assurance affecte les int6rets de plusieurs par-
ties contractantes et, par consequent, la reconnaissance d’une obligation de bonne foi
touche des int6r~ts A la fois individuels et collectifs'”. II est A noter par ailleurs que la
responsabilit6 civile pour mauvaise foi est un risque qui pourra, lui aussi, etre distri-
bu6 parmi l’ensemble des personnes assur~es”‘. Par cons6quent, si le recours pour
mauvaise foi est invoqu6 de fagon abusive, c’est-A-dire meme en presence de motifs
qui justifient la position de l’assureur, Ia clientele assur6e risque de subventionner
elle-m~me une nouvelle forme de couverture paradoxale: l’assurance contre le risque
de ne pas 8tre indemnis6″‘.
Pour ces motifs, il est raisonnable de conclure que l’intention implicite des parties
contractantes est de faire preuve de bonne foi non seulement lors de la formation du
contrat, mais aussi
l’6tape de son ex6cution. D’une part, la partie assur6e doit 6viter
les fausses declarations et omissions importantes en d6crivant le risque. D’autre part,
l’assureur doit lui-m~me 6viter de profiter de la vuln6rabilit6 de l’assur6 en lui usur-
pant des droits contractuels acquis. Le contrat d’assurance contient, selon nous, une
clause implicite
cet effet. De fagon alternative, ces sept facteurs soulignent 6gale-
ment que la relation entre un assureur et son assur6 est unique en droit. Le lien de
proximit6 entre les parties est tr~s 6troit et il est pr6visible que l’absence de bonne foi
puisse causer des pertes qui excdent le montant de l’indemnit6 due. Cette relation est
fond6e sur la confiance et elle suscite une expectative raisonnable de bonne foi. Bref,
la relation sp~ciale entre l’assureur et l’assur6 justifie 6galement la reconnaissance
d’une obligation 16gale de comportement, ind6pendamment de la volont6 des parties.
Suivant cette analyse, la partie assurfe est libre de choisir un recours contractuel ou un
recours d~lictuel en cas de mauvaise foi. La seule restriction
cette s6lection est le
principe de la primaut6 du choix personnel selon lequel le tribunal doit donner effet
aux dispositions contractuelles qui modifient une obligation (contractuelle ou dflic-
tuelle) ou qui limitent un recours (contractuel ou dflictuel)”‘. La libert6 contractuelle
en assurances doit bien entendu 8tre analysde
la lumi~re des consid6rations de prin-
cipe qui ont donn6 lieu aux r~gles d’interpr6tation propres
ce domaine du droit”‘.
“‘ Voir C. Dubreuil,
,L’assurance : un contrat de bonne foi h l’tape de la formation et de
l’exdcution> (1992) 37 R.D. McGill 1087 4 lap. 1089.
“, Voir ibid A ia p. 1090, citant L. Baudouin, (Rdflexions sur l’article 2487 C.c. (1960) 20 R. du
B. 325 a la p. 329.
Voir Abraham, Distributing Risk, supra note 46 aux pp. 181-82.
‘” Voir ibid. aux pp. 187-88.
“‘Voir B.C. Hydro c. BG Checo, supra note 18 i lap. 37.
“. Pour une analyse de ces considfrations, voir les ouvrages cites supra note 35.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 43
III. Porte de l’obligation de bonne foi
<
tement, il n’existe aucune d6finition universelle de ]a bonne foi requise lots de
1’ex6cution d’un contrat d’assurance. I1 existe, par contre, des instances particuli6res
de mauvaise foi ainsi que quelques lignes directrices g6n6rales. De toute 6vidence, un
assureur a le droit de rejeter une r6clamation lorsqu’il poss~de un motif valable pour
croire que celle-ci n’est pas fond6e. Par exemple, lorsque les faits et la police le per-
mettent, un assureur peut adopter la position que le sinistre est exclu par le contrat,
que la partie assur6e n’a pas respect6 une condition pr6alable au recouvrement,
qu’elle a commis une fausse d6eclaration ou une omission importante dans sa d6clara-
tion de sinistre ou lors de la conclusion du contrat, ou encore qu’elle ne possde au-
cun int6r~t assurable relativement A l’objet endommag6″‘. De surcrolt, un assureur a le
droit de commettre une erreur dans son interpr6tation des faits ou de la police
d’assurance, voire m~me une erreur de droit'”. Nonobstant le caract~re sp6cial du
contrat d’assurance, les parties doivent parfois adopter des positions antagonistes afin
de revendiquer leurs int6rts personnels”‘. La common law ne peut qualifier de <
question l’ensemble du processus adversatif sur lequel elle est fond6e. Cela dit,
l’obligation de bonne foi n’impose pas une responsabilit6 stricte aux assureurs, c’est-
A-dire qu’elle n’est pas une garantie du bien-fond6 de ia position adopt6e par
l’assureur. Au contraire, la norme de responsabilit6 pour mauvaise foi se fonde A la
fois sur le caract~re raisonnable de cette position et sur le degr6 de connaissance de
l’assureur en la mati~re.
La jurisprudence canadienne” adopte une approche semblable A celle qui domine
aux Etats-Unis, soit celle articul6e par la Cour supreme du Wisconsin dans Anderson
c. Continental Insurance Co.”‘. Dans cette affaire, la Cour propose un test A deux vo-
112 Dubreuil, supra note 106 “i lap. 1089.
“3 Voir g6ndralement Brown, supra note 105 au c. 8 (aucune couverture), c. 9 (manquement i une
condition pr6alable au recouvrement), c. 5 (fausse representation), c. 4 (absence d’un intdr~t assura-
ble).
“‘ Voir par ex. Wright c. National Life Assurance Co. of Canada (1987), 25 C.C.L.I. 1 A la p. 12
(H.CJ. Ont.) ; Glassman c. Constellation Assurance Co., supra note 37 ; George c. Great-West Life
Assurance Co., supra note 36 ; Wood c. Commercial Union Assurance Co. of Canada, supra note 36.
Voir g~n6ralement D.G. Houser, <(The Insurance Company's Right to Be Wrong, (1993) 60 Assuran-
ces 225.
" Voir Shewchuk c. London Life insurance Co., supra note 69 " ia p. 301 : 4([tlo suggest that a de-
nial of continuing total disability benefits for want of satisfactory proof of continuing disability is on
its face an act of bad faith is to require the insurer to subordinate its legitimate economic and contrac-
tual interests to those of the insured.) Voir aussi Donnelly c. Gore Mutual Insurance Co., [1989]
I.L.R. 1-2448 (H.CJ. Ont.).
" Voir par ex. Bullock c. Trafalgar Insurance Co., supra note 9 au para. 137; Palner c. Royal Insu-
rance Co. of Canada (1995), 27 C.C.L.I. (2') 249 (Div. g6n. Ont.), en ligne: QL (OJ).
,'7 271 N.W2d 368 (Wis. 1978) [ci-apr~s Anderson]. Voir aussi Henderson, supra note 13 aux pp.
1157-59. La Cour sup6rieure du New South Wales adopte le m~me crit~re dans Gibson c. Parkes
1998]
D. W BOIVIN - L'INDEMNISATION DES PERSONNES ASSUREES
245
lets pour d6terminer si un assureur agit de mauvaise foi en rejetant une demande de
r~glement"'. Premi~rement, la partie demanderesse doit d6montrer que son assureur
ne poss6dait aucun motif raisonnable pour refuser de verser les indemnit6s pr6vues i
la police. I1 s'agit d'un crit~re objectif qui compare la position prise par la partie d6-
fenderesse ?i celle que prendrait un assureur raisonnable dans des circonstances simi-
laires. Deuxi~mement, la partie demanderesse doit prouver que l'assureur savait qu'il
ne poss~dait aucun motif raisonnable pour refuser la r6clamation ou que l'assureur
cet 6gard. I1 s'agit d'un crit~re subjectif qui questionne
agissait de fagon insouciante
non seulement les motivations r6elles de l'assureur, mais aussi son niveau de connais-
sance du bien-fond6 de la r6clamation. Le test dans Anderson propose un dosage de
crit~res objectifs et subjectifs. Le deuxi~me volet empache de qualifier de mauvaise
foi un comportement qui est seulement d6raisonnable dans les circonstances, soit une
la t~mfrit6 dans le
simple n~gligence"'. En revanche, le premier volet et la r~fdrence
second volet font en sorte que l'intention r6elle de l'assureur ne sera pas toujours d6-
terminante. Bref, ce compromis vise a rfaliser un 6quilibre sain entre le droit de
l'assureur de rejeter une r6clamation frivole et son obligation de faire enquate et
d'approuver une reclamation valide. Notons que puisque le test n'est pas enti~rement
subjectif, certains auteurs observent que l'expression mauvaise foi souligne mal-
adroitement le comportement prohib6 par l'obligation'". La r~gle vise a prohiber plus
que la malveillance'", elle vise t emp~cher les assureurs de priver consciemment leur
clientele de leurs droits sans motifs raisonnables"'. Sur ce point, les propos du profes-
seur Abraham sont rgv6lateurs : [r]egardless of the terminology used, the important
issue is not whether the insurer has acted with subjective bad faith; it is whether the
District Hospital, supra note 88. Pour une analyse critique de la norme adopt6e dans Anderson, voir
R.C. Henderson, ((The Tort of Bad Faith in First-Party Insurance Transactions: Refining the Standard
of Culpability and Reformulating the Remedies by Statute)) (1992) 26 U. Mich. J. L Ref. 1 aux pp.
33-49.
I, Voir Anderson, ibid.
la p. 376 : <[to show a claim for bad faith, a plaintiff must show the ab-
sence of a reasonable basis for denying benefits of the policy and the defendant's knowledge or reck-
less disregard of the lack of a reasonable basis for denying the claim.>>
‘ Quelques juridictions am6ricaines adoucissent la norme de sorte h couvrir non seulement la
mauvaise foi intentionnelle ou la tdmdritd, mais aussi la negligence grave, la negligence simple et
l’erreur d’interprtation. Voir Henderson, supra note 13 aux pp. 1156-59.
‘ “Voir Abraham, Distributing Risk, supra note 46 aux pp. 185-87.
1″1 En ce sens, un parall~le existe entre la th6orie de la mauvaise foi et la th6orie de l’abus de droits
contractuels en droit civil. Voir Houle c. Banque Canadienne Nationale, [1990] 3 R.C.S. 122 aux pp.
146-55,74 D.L.R. (4′) 577.
” Une approche quelque peu similaire est proposde dans Gateway Realty Ltd c. Arton Holdings
la p. 197 (S.C.), conf. par (1992), 112 N.S.R. (2) 180 (C.A.), une
Ltd. (1991), 106 N.S.R. (2’) 180
affaire qui n’implique pas le droit des assurances : [i]n most cases, bad faith can be said to occur
when one party, without reasonable justification, acts in relation to the contracts in a manner where
the result would be to substantially nullify the bargained objective or benefit contracted for by the
other, or to cause significant harm to the other, contrary to the original purpose and expectation of the
parties.) Pour une analyse de la bonne foi A l’6tape de i’ex&cution, mais en dehors du domaine des as-
surances, voir S.K. O’Byme,
(1995) 74 Can. Bar Rev. 70 ; E.A. Farnsworth,
et Friedmann, dir., supra note 17, 153.
246
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
insurer has abused its contractual discretion by taking improper advantage of its stra-
tegic position>>”‘.
Regardons bri~vement quatre illustrations canadiennes de la mise en application
de cette norme'”. Dans Bullock c. Trafalgar Insurance Co.’, une affaire d’assurance-
automobile, un assureur rejette une r6clamation pr~tendant que l’assur6 avait lui-
m~me intentionnellement caus6 le sinistre. L’assureur a un motif raisonnable A
l’origine, soit l’opinion de son expert en assurances. Cependant, ce motif se dissipe au
cours des ndgociations entre les parties puisque l’assur6 pr6sente une preuve tr~s pro-
bante A l’effet que l’incendie 6tait de nature accidentelle. L’assureur craint 6videm-
ment cette preuve, car ses offres de r~glement augmentent de cinquante mille i cent
mille dollars. N6anmoins, l’assureur refuse de retirer son accusation de fraude contre
l’assur6. Au proc~s, la Cour juge ]a demande de r~glement valide et d6clare que
l’assureur avait fait preuve de mauvaise foi lors de l’ex6cution du contrat car il savait
ne poss~der aucun motif pour maintenir l’accusation de fraude”‘. Dans Kusalic c. Zu-
rich Cie. d’assurances'”, le voilier de la partie assur6e est s6rieusement endommag6
par l’ouragan Gloria. La seule question en litige est celle de l’6valuation des domma-
ges. Son assureur pr6sente des offres de r~glement inf6rieures A la preuve offerte par
l’assur6 et m~me inf6rieures A une sentence arbitrale. De plus, il fait preuve d’une
lors des n6gociations avec son assure. Selon la Cour, la
position prise par l’assureur 6tait purement adversative et n’avait aucun fondement
raisonnable ; il agissait de mauvaise foi i l’endroit des droits contractuels de son vis-
i-vis”. Dans Warrington (S.C.)”, un assureur annule des indemnit6s d’invalidit6 en
d6pit de la preuve m~dicale incontestable fournie par l’assur6 indiquant qu’il demeure
dans l’impossibilit6 de travailler. Ce comportement t6moigne de mauvaise foi, selon le
juge de premiere instance, puisque l’assureur
l’allocation des risques que les deux parties avaient accept6e lors de
et apr~s le fait –
la formation du contrat. La m~me description s’applique au comportement de
l’assureur dans Adams c. Confederation Life Insurance Co.'”-. Sur la foi d’une sur-
veillance 6lectronique sporadique, l’assureur estime que son assur6e est apte a retour-
ner au travail en d6pit de trois opinions m6dicales qui sugg~rent toutes le contraire.
Malgr6 cette preuve, il r6voque de faqon unilat6rale les indemnit6s p6riodiques de son
assur6e. Encore une fois, le rejet de la r6clamation n’est pas simplement erron6; au su
de l’assureur, ce rejet n’est fond6 sur aucun motif raisonnable'”.
IV. Reparations disponibles en cas de mauvaise foi
Selon la norme d~finie dans la section pr6c~dente, la mauvaise foi implique un re-
fus d6raisonnable de donner effet aux attentes de la personne assur6e en connaissance
de cause. Supposons que la partie assur6e pr6sente une r6clamation ii la suite d’un si-
nistre et que sa demande soit bien fond6e eu 6gard aux faits, au droit et A la police
d’assurance. Cette personne aura droit i une r6paration typique pour bris de contrat si
son assureur refuse de l’indemniser en temps opportun, c’est-i-dire une r6paration
p6cuniaire qui correspondra h l’indemnit6 due, aux int6r~ts sur cette somme et possi-
blement A ses d6pens'” . Si cette personne peut d6montrer, en plus, que la position
adoptde par son assureur t6moigne de mauvaise foi, la jurisprudence r6cente lui per-
met de r6clamer une r6paration compl6mentaire sous forme de dommages-int6r~ts
major6s, de dommages-int6rts punitifs et de d6pens procureur-client. Dans quelles
circonstances le tribunal acquiescera-t-il i une telle demande ?
En guise d’introduction, notons que Banque Keyser Ullman S.A. c. Skandia
(U.K.) Insurance Co.’-‘ n’a pas limit6 la tendance des tribunaux canadiens i accorder
une r6paration p6cuniaire pour mauvaise foi. Dans ce jugement, deux membres de la
House of Lords commentent, en obiter dicta, que le seul redressement disponible pour
manquement au devoir de bonne foi chez un assureur est l’annulation du contrat et le
remboursement des primes'”. Cette position est peut-6tre appropri6e A l’6tape de la
.’ Ibid A la p. 57. Uassur6 obtient une d6claration r6tablissant ses indemnitds p6riodiques de meme
que 10 000 $ en dommages-int6rbts majords pour pr6judice moral. La Cour d’appel confirme ce dis-
positif, mais elle prdfere qualifier le comportement de l’assureur de simple bris de contrat, voir War-
rington (C.A.), supra note 24 aux pp. 11-17.
“2 Supra note 11.
‘3 Voir ibid. aux pp. 139-40. L’assureur est condamn. A verser 7 500 $ en dommages-intdrdts puni-
tifs A l’assur6. Un jugement identique est rendu dans Ferguson c. The National Life Assurance Co. of
Canada, supra note 37, une d6cision dans laquelle un assureur annule des prestations d’invalidit6
apr~s quatre anndes sans aucun motif.
‘. Voir les rdfdrences, supra note 36.
“‘ Supra note 3.
lap. 280, Lord Templeman, et i lap. 281, Lord Jauncey of Tullichettle. Voir aussi le
jugement de la Cour d’appel, dans cette affaire, qui se fonde directement sur ce motif pour rejeter
Voir ibid
248
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
formation, si un assureur ne divulgue pas un fait important t son vis- -vis au sujet du
risque assur6 ou de la police. Telle 6tait ]a situation dans cette affaire. Cependant, cette
limite en mati~re de r6paration ne peut se justifier lorsque le manquement se mani-
feste lors de l’ex6cution de I’entente. Dans le premier cas, le recours de la personne
assur6e repose sur la th6orie qu’elle aurait fait un choix different, n’eat 6t6 la mau-
vaise foi de son assureur; c’est-A-dire qu’elle n’aurait pas consenti au contrat dans sa
forme actuelle. Dans le deuxi~me cas, par contre, la personne assur6e ne r6pudie au-
cunement l’allocation des risques convenue par les parties ; elle demande simplement
le respect de cette allocation. II serait donc illogique de rem6dier A ]a mauvaise foi,
telle que d6finie en deuxi~me lieu, par un redressement qui irait lui-m~me Z l’encontre
des attentes raisonnables de la partie assur6e. La jurisprudence canadienne a sagement
6vit6 de reproduire un tel paradoxe.
Les dommages-int6rts major6s soul~vent une question plus difficile. Peut-on les
accorder pour manquement A une obligation contractuelle et, si oui, dans quelles cir-
constances ? La d6cision Vorvis r6pond par l’affirmative au premier volet de cette
question, mais ce jugement est quelque peu 6quivoque quant aux conditions qui justi-
fient un octroi de dommages-int6rdts major6s”. Malheureusement, ]a m~me observa-
tion s’applique aux d6cisions qui accordent cette r6paration en droit des assurances”- .
Une ligne directrice sugg6r6e par la Cour supreme concerne la fonction de ce moyen
de redressement: les dommages-int6r~ts major6s sont de nature indemnitaire, c’est-,i-
dire qu’ils visent A compenser la partie demanderesse pour une perte A la fois aggra-
v6e et non p6cuniaire”‘. Toutefois, ce principe peut lui-meme porter A confusion.
D’une part, l’objectif compensatoire camoufle le fait que le comportement de la partie
d6fenderesse est un facteur qui motive g6n6ralement l’attribution de dommages-
int6rts major6s. D’autre part, cet objectif rassemble sous la rubrique odommages-
int6r~ts major6s>> une gamme de pr6judices non p6cuniaires, y compris les souffrances
morales, l’anxi6t6, l’humiliation et l’atteinte A ia dignit6. En d’autres mots, l’objectif
compensatoire tel que formul6 dans Vorvis ne distingue pas les nombreux facteurs qui
peuvent aggraver un pr6judice, ni les nombreuses pertes intangibles qui peuvent atre
aggrav6es. Nous analyserons tour A tour chacun de ces th~mes.
l’action en dommages-int6rdts contre l’assureur: [19901 1 Q.B. 665 (Eng. CA.). Pour un commen-
taire, voir Fleming, supra note 91.
131 Voir Vorvis, supra note 23. M. le juge McIntyre affirme qu'(il est possible d’accorder des dom-
mages-int6rts majords dans une action pour violation de contrat lorsque cela est indiqut> [nos itali-
ques] (ibid ” lap. 1103). Lajuge Wilson, pour sa part, affirme que 4orsque les circonstances lejus-
tifient, des dommages-int6rdts major6s pour pr6judice moral peuvent 8tre accord6s dans un cas de
violation de contrat,, [nos italiques] (ibiL “i la p. 1113).
‘ Voir par exemple Bullock c. Trafalgar Insurance Co., supra note 9 (25 000 $ en dommages-
intdr&ts major s pour mauvaise foi A l’6gard d’une accusation de fraude) ; Warrington (S.C.), supra
note 24 (10 000 $ en dommages-intdr~ts major6s pour mauvaise foi i l’6gard d’un arr~t de prcstations
d’invalidit6).
“” Voir Vorvis, supra note 23 aux pp. 1098-99, juge McIntyre, et t la p. 1113, juge Wilson. Par
ailleurs, la Cour supreme a aussi soulign6 l’objectif indemnitaire des dommages-int6r~ts major6s dans
le contexte de la responsabilit6 civile ddlictuelle. Voir Norberg c. 1 ynrib, supra note 55.
1998]
D. W BOIViN – L’INDEMNISATION DES PERSONNES ASSUREES
249
Le juge McIntyre souligne,
juste titre, que <[l]es dommages-intdr~ts majords
sont accord6s pour indemniser d'un pr6judice aggrav6&' '. Plusieurs circonstances
peuvent n6anmoins aggraver une perte. La constitution physique et psychologique de
la partie demanderesse peuvent rendre ses dommages plus s6v~res que ceux que subi-
rait une autre personne dans des circonstances similaires. La vuln6rabilit6 financi~re
varie tout aussi bien d'une personne A l'autre. Une perte non assur6e, comme un man-
que gagner, peut affliger un individu mais en laisser un autre quelque peu indiff6-
rent. Enfin, le comportement de la partie d6fenderesse peut lui-m~me 8tre un facteur
aggravant. Par exemple, des voies de fait commises en public peuvent infliger un mal
sup6rieur
celui produit par un geste identique
pos6 sans t6moin. De m~me, un assureur qui rejette une demande de r~glement au
motif d6raisonnable que son vis-A-vis est incendiaire risque de lui causer un tort plus
grave, compar6 A l'assureur qui fonde son refus d6raisonnable sur une clause
d'exclusion"'. Bien entendu, ces circonstances aggravantes peuvent se manifester soit
conjointement, soit individuellement.
la dignit6 de la victime par rapport
Cela dit, un seul de ces facteurs aggravants est indispensable h l'attribution de
dommages-int6r~ts major6s, du moins en responsabilit6 d6lictuelle. A ce chapitre,
l'6tat du droit est nettement exprim6 par le professeur Waddams, dans le passage in-
corpor6 par le juge McIntyre dans Vorvis: oaggravated damages describes an award
that aims at compensation, but takes full account of the intangible injuries, such as
distress and humiliation, that may have been caused by the defendant's insulting be-
haviour>> [nos italiques]”2. La Cour supreme adopte un discours similaire dans les
contextes de diffamation” et de voies de fait'”. Le principe est donc clair : en mati~re
de dommages-int6r~ts major6s, la perte du demandeur ne peut atre dissoci6e du com-
portement du d6fendeur. Cette perte est aggrav6e au sens de la common law, pr6cis6-
ment parce que le comportement de la partie d6fenderesse est particuli~rement bles-
sant. Notez qu’il ne s’agit pas d’une simple question de causalit6 factuelle. Les dom-
mages-intr6ts major6s reconnaissent une corr6lation entre deux composantes nor-
malement distinctes en responsabilit6 civile d6lictuelle. En droit des d6lits civils, la
responsabilit6 et la compensation sont g6n6ralement deux questions ind6pendantes.
La premi~re d6pend du manquement A une obligation de comportement, tandis que la
deuxi~me d6pend des dommages subis en raison de ce manquement. Contrairement
l’approche qui pr6vaut en mati~re de dommages-int6r~ts punitifs, le calcul des dom-
mages-intr~ts compensatoires se fait g~n6ralement sans aucune r6f6rence au carac-
tare ignominieux de la faute attribu6e
la partie d6fenderesse. De fait, un comporte-
ment fautif de faible envergure peut entrainer le versement d’une somme 6lev6e h titre
“” Vorvis, ibiL a lap. 1099.
14′ Voir par exemple Bullock c. Trafalgar Insurance Co., supra note 9.
“2 S.M. Waddams, The Law of Damages, Toronto, Canada Law Book, 1983
la p. 563 repris dans
Vorvis, supra note 23 a lap. 1099.
, Voir Hill c. Eglise de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130 aux para. 188-91, 24 O.R.
(3′) 865. Voir aussi Walker c. CFTO Ltd. (1987), 59 O.R. (2′) 104 t la p. 111, 37 D.L.R. (4′) 224
(C.A.) [renvois aux O.R.].
‘” Voir Norberg c. Hnrib, supra note 55.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
indemnitaire, et vice versa”. Cette situation est diff6rente de celle oi les dommages-
int&r&ts major6s sont accord6es. En effet, les dommages-int6rts major6s sont une r6-
paration hybride. Ils visent t compenser la partie demanderesse pour un pr6judice,
mais ils ne peuvent 6tre octroy6s sans tenir compte de la gravit6 de la faute commise
par la partie d6fenderesse. Bref, le dommage a r6parer repose fermement sur la nature
du manquement.
Par souci de coh6rence, nous croyons que l’approche devrait atre comparable
dans un contexte contractuel. Afin de rendre une ordonnance de dommages-int6rats
major6s, un tribunal ne peut simplement 6valuer, dans un vacuum, les pertes intangi-
bles de la partie demanderesse, comme le propose la Cour d’appel de la Colombie-
Britannique'”. Une telle analyse n6glige le fait que cette r6paration d6pend premi~re-
ment du comportement de la partie d6fenderesse. La jurisprudence devrait plut6t sui-
vre l’exemple du droit des d6lits civils et identifier, cas par cas, le genre de comporte-
ment qui aggrave vraisemblablement les souffrances morales, l’anxit6, l’humiliation
et la perte de dignit6 d’une partie contractante’. Nous sugg6rons, par ailleurs, que les
motifs du juge McIntyre dans Vorvis vont dans le m8me sens. Dans cette affaire, la
majorit6 rejette la demande en dommages-intrts major6s d’un employ6 renvoy6
sans justification et ce, pour trois motifs. Premi~rement, les dommages-int6r~ts com-
pensatoires auxquels un employ6 a droit ne peuvent se fonder normalement sur la fa-
gon dont le renvoi a 6t6 effectu6 puisque, dans un contrat d’emploi, les parties ont
droit de r6silier le contrat moyennant un pr~avis raisonnable”‘. Deuxi~mement, les
actes reproch~s par le demandeur ne donnent pas eux-m~mes ouverture t un droit
d’action, c’est-t-dire, ils ne manquent a aucune obligation de comportement fond6e
en contrats ou en d6lits civils”‘. Troisi~mement, ces actions precedent le renvoi injusti-
fi6 et ne peuvent donc, en th~orie, aggraver le prejudice subi en raison du renvoi”.
Soulignons que la Cour ne se prononce aucunement sur la recevabilit6 de la perte en
soi. Elle limite plut6t son analyse au caract~re recevable de la circonstance aggra-
vante. En d’autres mots, c’est l’absence de corr6lation entre le pr6judice all6gu6 et le
comportement reproch6 qui est fatal : la demande est rejet6e parce que le facteur ag-
gravant n’est pas fautif et parce ce que, de toute fagon, ce comportement n’est pas
celui qui aggrave le pr6judice.
En droit des assurances, nous croyons que la mauvaise foi lors de l’ex6cution du
contrat est un facteur qui peut, dans certaines circonstances, aggraver les pertes intan-
gibles de la partie assur6e. Nous pouvons citer l’exemple du sinistr6 dont la demande
de r~glement est rejet~e au motif qu’il est incendiaire’5 . I1 est vraisemblable que la di-
gnit6 et la tranquillit6 d’esprit de cette personne seront bless6es par cette all6gation, au
“‘ Voir P. Legrand jr., cLe droit des d61its civils : pour quoi faire ? dans P. Legrand jr., dir., Com-
mon law d’un sicle l’autre, Cowansville, Yvon Blais, 1992,449 A lap. 459.
’46 Voir Warrington (C.A.), supra note 24.
“‘ C’est ce qui ressort, selon nous, de I’affaire Bullock c. Trafalgar Insurance Co., supra note 9.
“‘Voir Vorvis, supra note 23
” Voir ibid
‘sVoir ibid A lap. 1104.
‘ Voir Bullock c. TrafalgarInsurance Co., supra note 9.
lap. 1103.
1998]
D. W BOltIN – L’INDEMNISATION DES PERSONNES ASSUREES
251
m~me titre qu’une personne faisant l’objet de propos diffamatoires. De plus, le com-
portement d’un assureur qui t6moigne de mauvaise foi n’est jamais fond6 en droit. A
vrai dire ce comportement est doublement fautif, suivant la d6finition adopt6e pour les
fins de cet article. Premirement, la mauvaise foi implique un refus de verser une in-
le non-respect d’une condition expresse du contrat
demnit6 due, c’est-i.-dire
d’assurance. Deuxi~mement, la mauvaise foi implique une absence consciente de
motifs raisonnables pour ce refus, c’est-A-dire le non-respect d’une condition impli-
cite du contrat ou d’une obligation en responsabilit6 d6lictuelle compl6mentaire. Par
cons6quent, les trois motifs qui proviennent de Vorvis sont inapplicables en l’esp~ce.
D’une part, la mauvaise foi est une circonstance qui donne elle-meme ouverture h un
droit d’action; il s’agit d’une circonstance fautive en soi. I1 importe peu que
l’obligation soit de nature contractuelle ou d6lictuelle, puisque la mauvaise foi repr6-
sente un manquement i une obligation 16gale. D’autre part, la mauvaise foi est un
facteur qui peut augmenter les souffrances morales, l’anxit6, l’humiliation et
l’atteinte A la dignit6 d’une personne assur6e; il s’agit d’une circonstance potentiel-
lement aggravante.
Quelles pertes peuvent faire l’objet d’une demande en dommages-int&rats majo-
r6s ? Dans Vorvis, la Cour supreme qualifie les dommages-int6r~ts pour souffrances
morales recherch6es par le demandeur de dommages-int&r ts major6s”-. Certains
croient que cette assimilation n’est pas toujours justifi~e’3. Selon eux, il existe une
distinction juridique entre une souffrance morale subie par une partie contractante
(mental distress) et une atteinte ? la dignit6 et t la fiert d’une partie contractante (in-
jury to pride and dignity). Le premier pr6judice peut faire l’objet de compensation
sans aucune r~f&ence au comportement de la partie d6fenderesse pourvu que cette
perte soit caus6e par la rupture d’un contrat ayant comme objet la tranquillit6
d’esprit”T , tandis que le deuxi~me prejudice implique par d6finition une analyse du ca-
ract~re aggravant de ]a faute commise par la partie d6fenderesse’. Par cons6quent, ils
recommandent de r6server l’6tiquette dommages-int&rts major6s pour d6crire la
r6paration A laquelle a droit la personne dont la dignit6 ou la fiert6 est bless6e en rai-
son de la conduite de son vis-4-vis. Autrement dit, lorsqu’une partie contractante r6-
clame seulement une compensation pour ses souffrances morales, les dommages-
int6r~ts major6s de m~me que le raisonnement de Vorvis sont inapplicables.
A notre avis, la distinction propos6e entre les souffrances morales et les atteintes A
la fiert6 est trop subtile pour justifier la reconnaissance de deux appro-
la dignit6 et
ches diff6rentes en mati~re de compensation. Ces prejudices sont tous intangibles, au
m~me titre que l’anxit6 et l’humiliation. Une perte intangible n’est pas forc6ment
suspecte, mais son caract~re incalculable souligne l’importance de fixer certaines Ii-
,32 Voir Vorvis, supra note 23 i lap. 1092, juge McIntyre, et A lap. 1113, juge Wilson.
” Voir par exemple Warrington (C.A.), supra note 24 aux pp. 11-17, 19-20; Ontario Law Reform
Commission, Report on Exemplary Damages, Toronto, Ministire du Procureur g6n6ral, 1991 aux pp.
90-91 ; N. Enonchong, <
Leg. Stud. 617 i lap. 618.
‘Voir notammentJarvis c. Swan Tours Ltd., supra note 30.
‘ 5 Voir notamment Vorvis, supra note 23.
252
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
mites i la responsabilit6 quasiment illimit6e, qui peut d~couler, en th6orie, d’un bris
de contrat. La question fondamentale est donc la suivante: la suggestion selon
laquelle une souffrance morale peut faire l’objet de compensation sans aucune r6f6-
rence au comportement de la partie fautive offre-t-elle un m~canisme de limitation
suffisamment clair pour permettre aux assureurs d’appr6cier, avant le fait, les cons6-
quences potentielles de leurs actions sur le plan juridique ? Nous avons de s6rieuses
reserves cet 6gard. Le but d’un contrat d’assurance est de fournir une s6curit6 finan-
ci~re ii la personne assurge, mais aussi une tranquillit6 d’esprit peu importe ]a classifi-
cation juridique du contrat. I1 n’existe donc aucune raison logique de distinguer entre
une assurance-invalidit6 et une assurance-incendie, ni entre une assurance-invalidit6 et
une assurance de responsabilit6 civile’. Par cons6quent, si cette suggestion est suivie
dans le domaine des assurances, comme le propose la Cour d’appel de ]a Colombie-
Britannique’, il sera possible de demander une compensation pour souffrances mo-
rales chaque fois qu’un assureur refuse, h tort, de verser une indemnit6, peu importe si
l’assureur avait des motifs raisonnables d’agir ainsi. De fait, une erreur de bonne foi
constitue n6anmoins un bris de contrat”‘
. Ainsi, m~me si l’assureur de Monsieur
Kosmopoulos a agit de bonne foi”‘, ce dernier aurait pu pr6senter une preuve d6mon-
trant les souffrances morales qu’il a subies entre le rejet de sa r6clamation et le juge-
ment final de la Cour supreme du Canada lui donnant gain de cause. Le bien-fond6 de
cette demande serait une question de preuve du pr6judice, sans plus.
Nous suggrons que l’approche du juge McIntyre dans Vorvis offre un m6ca-
nisme de limitation sup6rieure en terme de fiabilit6. Dans une affaire de nature con-
tractuelle, la compensation des pertes intangibles devrait se faire par l’entremise de
dommages-int6rts major~s. C’est-h-dire qu’il y a lieu d’6tablir une corr6lation entre
le comportement de la partie d6fenderesse et les dommages de la partie demande-
resse. Bien entendu, la partie demanderesse doit d6montrer avec des 616ments de
preuve ses souffrances morales, son anxi6t6, son humiliation ou l’atteinte h sa dignit6.
Cependant, elle devrait aussi 6tablir un lien entre ce dommage et une circonstance ag-
gravante, c’est-h-dire, un facteur qui rend son dommage plus grave que celui qui ferait
l’objet de compensation n’efit 6t6 de ce facteur. Un bris de contrat ne peut, en soi, atre
un facteur qui aggrave les dommages de la partie demanderesse puisque, n’efit 6t6 de
la rupture, il n’y aurait aucune perte reconnue en droit. La mauvaise foi A l’6tape de
l’exdcution, par contre, peut 8tre une circonstance aggravante. Dans des circonstances
appropri6es, la mauvaise foi ajoute des pertes intangibles –
souffrances morales, an-
aux pertes p6cuniaires qui font d6jh l’objet
xiet6, humiliation et atteinte
d’une compensation. La jurisprudence devrait continuer A identifier, comme elle le
fait pr6sentement, les situations dans lesquelles la mauvaise foi aggrave les dommages
la dignit6 –
,s, Un contrat d’assurance-invalidit est caractlrisd comme 6tant un contrat particulier, ayant comme
objet la tranquillit d’esprit dans les arr~ts Warrington (C.A.), supra note 24 aux pp. 15-17 et TItomp-
son c. Zurich Insurance Co., supra note 29 aux pp. 679-80.
“7 Voir Warrington (C.A.), ibid
” Voir le texte correspondant aux notes 38-39.
“‘Voir Kosmopoulos, supra note 14.
1998]
D. W. BOIVIN – L’INDEMNISATION DES PERSONNES ASSURE-ES
253
de la personne assur~e”. Entre temps, les assureurs ont l’avantage d’une mesure de
limitation des dommages claire: lorsqu’ils agissent de bonne foi, leur responsabilit6
civile sera limit6e aux pertes p6cuniaires de la personne assur6e.
Quant aux dommages-int6r~ts punitifs, un manquement
l’obligation de bonne
foi peut-il justifier une mesure de redressement qui a pour objectifs de punir la partie
d6fenderesse pour un comportement m6prisant et d’en dissuader la r6p6tition ? A
premiere vue, il existe un conflit dans la jurisprudence. Selon quelques decisions, la
mauvaise foi telle que d6finie dans cet article n’est pas suffisante en soi pour motiver
des dommages-int6r~ts punitifs; l’assureur doit faire preuve de malveillance
l’endroit des int6r~ts de la partie assur6e, c’est–dire agir avec une intention de nuire
A ses int6r~ts’.
I1 existe pourtant un autre courant jurisprudentiel qui accorde cette r6-
paration explicitement pour punir un manquement au devoir de bonne foi, sans n6ces-
sairement se prononcer sur les motivations de la partie d6fenderesse”. En r~alit6, il
s’agit d’un conflit superficiel. La mauvaise foi ne d6signe pas un comportement parti-
culier en assurances. A 1’6tape de l’ex~cution du contrat, ce terme s’applique
une
vari6t6 de circonstances dans lesquelles un assureur refuse de donner effet aux atten-
tes raisonnables de la personne assur6e sans motifs raisonnables et en toute connais-
sance de cause. Par exemple, on peut qualifier de manquement au devoir de bonne foi
le fait de retarder indfiment le paiement d’une indemnit6 d’assurance-automobile va-
lant cinq cents dollars, ou encore le fait de retarder indfiment le paiement d’une in-
demnit6 d’assurance-vie valant cinq cents mille dollars. Ainsi, on ne peut comparer
deux courants de jurisprudence, voire m~me deux d6cisions, strictement sur la base
d’une 6tiquette g6n6rique. Dans certaines circonstances, la mauvaise foi va justifier
des dommages-int6rts punitifs, tandis que dans une situation diff6rente, un meilleur
‘0 Voir par exemple Bullock c. Trafalgar Insurance Co., supra note 9 (25 000 $ en dommages-
l’gard d’une accusation de fraude) ; Warrington (S.C.), supra
int6r~ts major s pour mauvaise foi
note 24 (10 000 $ en dommages-int~r~ts major~s pour mauvaise foi
l’gard d’un arr~t de prestations
d’invalidit6), conf. par Warrington (C.A.), supra note 24 ; Thompson c. Zurich Insurance Company,
supra note 29 (750 $ en dommages-intr&ts major~s pour mauvaise foi en retardant le versement
d’une indemnit6 16gale d’assurance automobile) ; Goodman c. Royal Insurance Co. of Canada
(1996), 109 Man. R. (2′) 308 (B.R.), en ligne: OL (MJ), inf. par (1997), 118 Man. R. (2) 20 (C.A.),
en ligne: QL (MJ) (7 500 $ en dommages-int&rats major~s pour mauvaise foi pour avoir exclu un si-
nistre de la police (tout risque> des demandeurs –
une position qui a eu comme effet de priver les
demandeurs de 40 % de leur residence pendant quatre ann6es, soit jusqu’
la fin des travaux de rdpa-
ration. La Cour d’appel a renvers6 le jugement car elle a jug6 que le dommage n’avait pas 6t6 caus6
par l’occurrence d’un risque faisant l’objet du contrat). Evans c. Crown Life Insurance Co. (1996), 37
C.C.L.I. (2) 61, 25 B.C.L.R. (3′) 234 (B.C. S.C.) (20 000 $ en dommages-intdrdts major6s pour mau-
vaise foi a l’6gard d’un arrdt de prestations d’invalidit6).
16 Voir par ex. Thompson c. Zurich Insurance Co., ibid. ; John Ziner Lumber Ltd. c. New Hamp-
shire Insurance Co., supra note 36 ; Netzel c. Zurich Indemnity Co. of Canada, supra note 24 ;
Berwick c. PrudentialAssurance Co. (1988), 35 C.C.LI. 95 (H.C.J. Ont.), en ligne: QL (01) ; War-
rington (S.C.), ibid
“2 Voir par ex. Labelle c. Guardian Insurance Co. of Canada, supra note 64 ; Kusalic c. Zurich Cie
d’assurances, supra note 10 ; Adams c. Confederation Life Insurance Co, supra note 11 ; Ferguson c.
National Life Assurance Co. of Canada, supra note 37 ; Whiten c. Pilot Insurance Co., supra note 8.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
redressement sera des dommages-int6r~ts major6s, des d6pens procureur-client ou
simplement une d6claration.
La mauvaise foi demeure n6anmoins une description juridique utile –
sinon in-
au chapitre des dommages-int6r~ts punitifs consid6rant les motifs de la
dispensable –
majorit6 dans Vorvis'”. Dans cette affaire, la Cour supreme conclut qu’il est possible
d’accorder ce moyen de redressement pour violation de contrat, du moins dans des
circonstances exceptionnelles'”. Le juge McIntyre 6nonce deux conditions g6n6rales Ai
cet effet. Premi~rement, le comportement de la partie d6fenderesse qui a caus6 le
pr6judice de son vis-h-vis doit 8tre fautif, et ce comportement doit donner ouverture A
un droit d’action’. Dans l’analyse qui suit cet 6nonc6 de principe, le juge McIntyre
pr6cise que la faute en question doit normalement 6tre de nature non contractuelle,
c’est-it-dire la faute doit 8tre distincte de celle qui fonde l’action pour bris de contrat'”.
Son raisonnement sur ce point est classique, sinon persuasif. Un contrat donne lieu h
des attentes et, par cons6quent, la seule fagon de rem~dier I un bris de contrat est de
donner I la partie demanderesse ce que l’entente pr6voyait, ou encore d’indemniser sa
perte. Elle n’a habituellement pas le droit d’8tre ramen6e I ]a situation ant6rieure
comme la r~gle en responsabilit6 d6lictuelle le prescrit. Nous acceptons la distinction
qui existe entre la responsabilit6 contractuelle et ]a responsabilit6 d6lictuelle au cha-
pitre du calcul des dommages-int6r~ts compensatoires. Cependant, la pertinence de
cette distinction est douteuse lorsque les objectifs avou~s de la r6paration sont de pu-
nir la partie d6fenderesse pour un comportement fautif et de dissuader les autres
membres de la collectivit6. Dans le cas de dissuasion et de la punition, nous croyons
que les circonstances entourant la faute, y compris la nature du comportement all6gu6
et la gravit6 du pr6judice caus6, sont des facteurs plus importants que ]a description
juridique de la faute commise. En rejetant cette premiere exigence, la juge Wilson
souligne en dissidence le caract~re ironique du raisonnement de la majorit6 : oil serait
6trange si le droit exigeait davantage dans le cas d’un inconnu qu’il ne le fait dans
celui des parties I un contra>'”.
Peu importe cette critique, la premiere condition 6nonc~e dans Vorvis, soit le
manquement I une obligation, est satisfaite lorsqu’un assureur rejette une reclamation
sans motif raisonnable et en connaissance de cause”. Premi~rement, il s’agit d’une
‘ Supra note 23.
‘,, Certains juges disent archi-exceptionnelles. Voir Green c. Dixon, [1995] OJ. n” 834 au para. 61
(Div. g6n.), en ligne: QL (OJ) : <([a] true reading of the majority opinion in this decision, I respect-
fully submit, reveals that in substance the Supreme Court of Canada has confined punitive damages
almost exclusively to the realm of tort>>.
“‘Voir Vorvis, supra note 23 A lap. 1106.
” Voir Vorvis, ibid. aux pp. 1106-07.
67 Ibid. h lap. 1130.
” Voir Adams c. Confederation Life Insurance Co., supra note 11. Cette position regoit un appui
implicite dans les jugements suivants: Willis c. Hope (1990), 48 C.C.L.I. 126 (C. dist. Ont.), en ligne:
QL (OJ) ; Taylor c. Pilot Insurance Co. (1990), [1991] I.L.R. 1-2677, 75 D.L.R. (4′) 370 (Div. gn.
Ont.) ; St-Laurent c. Sun Life Assurance Co. of Canada (1989), 101 N.B.R. (2’) 354, 40 C.C.L.I. 41
(C.A.); Glassman c. Constellation Assurance Co., supra note 37. L’auteur Will partage ie m~me avis,
1998]
D. W BOIVlN – L’INDEMNISATION DES PERSONNES ASSUREES
255
faute, soit un manquement au devoir de bonne foi dfi par chaque partie au contrat
d’assurance. Deuxi~mement cette faute est pr6judiciable parce qu’elle compromet
non seulement les attentes financi~res de la partie assur6e, mais aussi la tranquillit6
d’esprit vis~e par cette entente. Finalement, cette faute est ind6pendante de celle qui
fonde l’action pour bris de contrat. Que l’obligation de bonne foi soit une clause im-
plicite du contrat ou une obligation de nature d6lictuelle importe peu, bien que la
deuxi~me caract6risation soit plus compatible avec les motifs du juge McIntyre. II
importe que la bonne foi soit une obligation de comportement distincte de l’obligation
de r6sultat rompue lorsque l’assureur refuse, i tort, de payer une somme due. En effet,
la mauvaise foi implique que la position adopt6e par l’assureur est plus qu’erron6e.
Nonobstant les circonstances qui entourent la faute commise, la mauvaise foi franchit
le premier obstacle i l’obtention de dommages-intdrets punitifs dans un contexte
contractuel.
II existe plusieurs fagons de rem6dier a la mauvaise foi
La deuxi~me condition 6nonc6e par le juge McIntyre est de nature pragmatique.
Pour justifier l’octroi de dommages-int6r~ts punitifs, <4l faut [aussi] que le comporte-
ment soit de nature extreme et m6rite, selon toute norme raisonnable, d'etre condam-
n6 et puni>‘.
l’6tape de
l’ex6cution du contrat d’assurance. Parmi les moyens de reparation conventionnels,
on retrouve la d6claration, les dommages-int6r~ts major6s et les d6pens procureur-
client. Ainsi la presence d’une faute donnant ouverture i un droit d’action ne peut suf-
fire, en soi, pour justifier une r6paration ayant un caract~re punitif. Le juge des faits
doit analyser toutes les circonstances qui accompagnent cette faute et d6terminer si le
comportement de la partie d6fenderesse, dans son ensemble, m6rite le chatiment de
l’appareil judiciaire. Dans ses motifs dissidents, la juge Wilson sugg~re que cette
question n’est pas la deuxi~me
r6soudre, mais bien la seule”. Heureusement ]a Cour
supreme est unanime dans son choix de qualificatifs. En effet, les juges McIntyre et
Wilson adoptent chacun les termes
pour d6crire quelques comportements susceptibles de justifier des dommages-int6r~ts
punitifs”‘. Bien entendu, cette liste n’est pas exhaustive et ces adjectifs ne doivent pas
n6cessairement tous pouvoir qualifier le comportement de la partie d6fenderesse’ -.
Soulignons aussi que cette 6valuation des circonstances rel~ve en d6finitive de la dis-
cr6tion de l’arbitre des faits, un pouvoir qui doit 8tre exerc6 avec une trfs grande
prudence>> selon le juge McIntyre’ 3 . Le r6sultat final dans Vorvis offre la meilleure il-
supra note 12 4 la p. 26 :
‘ Vorvis, supra note 23
lap. 1108.
Voir ibid. a lap. 1130. La position de la dissidence a quelques partisans. Parfois le tribunal r~gle
ia question des dommages-intdr~ts punitifs strictement en 6valuant le comportement de la partie d6-
fenderesse, sans jamais ddterminer si ce comportement constitue un m6fait donnant ouverture 4 un
droit d’action ind6pendant. Voir par exemple Craik c. Aetna Life Insurance Co. of Canada, [1995]
OJ. n 3286 (Div. g6n.), en ligne: QL (OJ) (d6cision interlocutoire) ; Andryechen c. Transit Insu-
rance Co., [1992] I.L.R. 1-2830 (Div. g6n. Ont.), en ligne: QL (OJ) ; Netzel c. Zurich Indemnity Co.
of Canada, supra note 24.
‘ ‘ Voir ibiL aux pp. 1108,juge McIntyre, et 1130,juge Wilson.
‘ Ibid A la p. 1108 ; Wood c. Commercial Union Assurance Co. of Canada, supra note 36.
t”Vorvis, ibia A lap. 1105.
256
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 43
lustration du caractre discr6tionnaire des dommages-int6rts punitifs. Lajuge Wilson
estime que le comportement de la partie d6fenderesse est r6pr6hensible>> eu 6gard
aux circonstances’7″, tandis que le juge McIntyre conclut que ce meme comportement
n’est pas ,,suffisamment outrageant> pour justifier l’attribution de dommages-int6rats
punitifs’7 -.
Cela 6tant dit, contrairement au crit~re du m6fait ind6pendant)>, la deuxi~me
condition 6nonc6e dans Vorvis ne sera pas n6cessairement satisfaite en pr6sence de
mauvaise foi
l’6tape de l’ex6cution du contrat d’assurance. Tout va d6pendre des
circonstances particuli~res entourant le comportement de 1’assureur. Regardons bri6-
vement cinq exemples. Dans Labelle c. Guardian Insurance Co. of Canada'”, la Cour
octroie dix mille dollars en dommages-int6rdts punitifs A une assur6e victime de mau-
vaise foi. L’assureur refuse de suivre, sans motif, l’opinion de son propre expert con-
cernant l’6valuation des dommages de l’assur6e. De plus, l’assureur refuse de verser
une somme provisoire pour permettre le d6but des travaux de reconstruction, pour en-
suite pr6tendre que l’assur6e n’a pas droit A la valeur A neuf puisque ces travaux sont
retard6s pendant sa recherche d’un financement alternatif ! Le juge Trainor qualifie ce
comportement de r6pr6hensible, sinon malicieux: the defendant deliberately em-
barked on a course of action designed to starve the plaintiff into submission>'”. Dans
Kusalic c. Zurich Cie d’assurances”, la Cour octroie quinze mille dollars en domma-
ges-int6r~ts punitifs dans des circonstances quelque peu similaires. De fait, la seule
question contentieuse concerne l’6valuation des dommages et l’assureur fait preuve
d’une
r~glement inf6rieures non seulement A ]a preuve de son assur6, mais A une sentence
arbitrale.
Dans Adams c. Confederation Life Insurance Co.”, la Cour accorde sept mille
cinq cents dollars pour punir un assureur qui entreprend, dans le cadre d’une r66va-
luation g6n6rale de ses dossiers, une surveillance vid6o de la partie demanderesse.
L’assureur utilise les r6sultats A peine probants de cette enquite afin d’interrompre
unilat6ralement les prestations d’invalidit6 de son assur6e malgr6 trois 6valuations ex-
pertes qui la prononcent incapable de travailler A temps plein, et une disposition du
contrat qui pr6voit sp6cifiquement un r6examen advenant une am6lioration de sa con-
dition. Ce dispositif est calqu6 dans Ferguson c. The National Life Assurance Compa-
ny of Canada'”‘. Dans cette affaire, la Cour accorde 6galement un montant de sept
mille cinq cents dollars en dommages-int6rets punitifs lorsque l’assureur arr~te de
verser des indemnit6s d’invalidit6 prolongde sur la foi d’un psychologue jug6 incom-
p6tent et biais6 par la Cour, qui est d’avis que l’assur6 est apte
retourner au travail,
’74 IbiL aux pp. 1130-31.
‘ 7 Voir ibid. aux pp. 1109-10.
‘. Supra note 64.
‘”Ibid. la p. 299.
‘8 Supra note 10.
‘”IbiL a lap. 1032.
‘ Supra note 11.
‘6 Supra note 37.
1998]
D. W BolVIN – L’INDEMNISATION DES PERSONNES ASSUREES
257
malgr6 deux opinions psychiatriques qui affirment le contraire. L’assureur avait con-
traint l’assur6 A se d6placer jusqu’A Montr6al pour se faire examiner par cet experb
alors qu’il existait des professionnels qualifi6s A proximit6 de sa r6sidence h Ottawa.
Cette tactique fut jug6e t6m6raire, sinon malveillante, puisque rassureur savait que
l’assur6 souffrait d’agoraphobie. Le juge Bell emploie les quatre qualificatifs souli-
gn6s dans Vorvis pour d6crire le comportement de la partie d6fenderesse’ -.
Soulignons enfin l’affaire Whiten c. Pilot Insurance Co.”, dans laquelle un jury
octroie un million de dollars en dommages-int6r~ts punitifs h un assur6 faussement
accus6 de fraude. A la suite d’un sinistre, ce dernier perd sa r6sidence et les biens per-
sonnels accumul6s par lui et sa famille pendant plus de cinquante ans. Les pompiers,
les agents de la paix et le chef des pompiers arrivent tous A la conclusion que le feu est
accidentel. Deux entrepreneurs qui travaillent pour l’assureur, soit un expert en assu-
rances et un ing6nieur, arrivent A la m~me conclusion apr~s un examen minutieux des
lieux. L’expert en assurances recommande de r6gler le sinistre sans d6lai. Cependant,
l’assureur est d’avis que l’incendie est de nature criminelle strictement sur la base des
difficult6s financi~res de l’assur6 et de son dpouse. L’assureur demande ainsi A
l’ing6nieur de modifier sa conclusion et il obtient deux autres opinions expertes ap-
puyant sa these. Un expert visite les lieux huit mois apr~s le sinistre, tandis que l’autre
ne s’y rend jamais. L’assur6 doit attendre deux ans avant de recevoir, par le biais des
tribunaux, l’indemnit6 de deux cent quatre-vingt-sept mille trois cents dollars qui lui
est due. La r6paration compl6mentaire accord6e sous la forme de dommages-int6r~ts
punitifs suggre, selon le juge, que le jury est d’avis que l’all6gation de fraude est
contrived and of no real substance'”.
Vorvis clarifie qu’il n’existe aucun principe universel pour d6terminer si un com-
portement quelconque m6rite le chatiment de la Cour. Chaque situation doit atre ap-
prdci6e en fonction de ses propres faits. Les cinq exemples 6voqu6s poss~dent tous un
616ment en commun outre le fait que l’assureur porte consciemment atteinte aux at-
tentes raisonnables de la personne assur6e. Dans chaque situation, I’assureur poss~de
un degr6 de connaissance 6lev6 du bien fond6 de la r6clamation de la personne assu-
r6e et de l’absence de motifs raisonnables
sa propre position. En d’autres mots, Ia
probabilit6 de frustrer des attentes contractuelles l6gitimes est tr~s grande dans chaque
affaire. Ainsi le comportement des assureurs n’est pas simplement t6m6raire. I1 est
juste, notre avis, de leur attribuer une intention arrt6e de saisir pour leur propre b6-
n6fice des droits contractuels acquis par leur vis-a-vis. Le qualificatif usurpatoire
s’impose donc pour d6crire le genre de mauvaise foi pr6sent dans chacune de ces af-
faires.
Le r6sultat final dans Whiten c. Pilot Insurance Co. nous oblige h discuter bri6-
vement de l’6valuation des dommages-int6rts punitifs. L’arbitre des faits poss~de un
pouvoir discr6tionnaire de fixer le montant de la peine que la Cour souhaite infliger A
la partie d6fenderesse. Ce pouvoir doit 6tre exerc6 en tenant compte de toutes les cir-
‘ Voir ibid. la p. 4003.
‘ Supra note 8.
‘ Ibid
la p. 572.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 43
constances pertinentes, y compris les motivations de la partie d6fenderesse, les cons6-
quences de son comportement sur la partie demanderesse et les pr6c6dents dans les-
quels des dommages-int6r~ts punitifs ont dt6 accord6s. L’importance de ce dernier
facteur est h souligner: l’indignation de ]a Cour est un concept moins variable que le
pr6judice subi par la partie demanderesse. En effet, deux fautes identiques peuvent
donner lieu i deux jugements en dommages-int6r~ts compensatoires radicalement dif-
fdrents. Cela va de soi eu 6gard A la fonction r6paratrice de ces dommages. Par contre,
]a jurisprudence est plus cohrente en mati~re de dommages-intrts punitifs puisque
leurs objectifs sont de punir et de dissuader un comportement. Cette r6paration est une
amende imposde par un organisme de l’ttat et elle ne devrait pas varier en fonction
des sentiments du juge ou du jury, mais bien en fonction des faits que celui-ci doit
6valuer. Bref, lorsque les faits de deux affaires sont similaires, l’indignation exprim6e
par l’appareil judiciaire devrait 6tre comparable.
Le lien rationnel est un autre principe qui doit motiver l’6valuation des domma-
ges-int~r~ts punitifs'” . Ce lien doit exister entre le montant accord6 au demandeur ce
titre, et les objectifs de punition et de dissuasion. Si le tribunal octroie des dommages-
intdr~ts major6s ou des d~pens procureur-client i la personne assur6e celui-ci dolt te-
nir compte de ces r6parations en 6valuant la n6cessit6 de punir l’assureur d’avantage
pour sa mauvaise foi. Bref, le m~me dollar peut servir ? accomplir plusieurs fins lors-
qu’il est vers6 par une partie une autre, i la suite d’un jugement. Le jugement oc-
troyant un million de dollars dans Whiten c. Pilot Insurance Co. poss~de un lien ra-
tionnel avec les objectifs des dommages-int6r~ts punitifs puisque la partie d6fende-
resse avait une valeur nette excfdant deux cent millions de dollars'”. Pour efficace-
ment punir cet assureur et le dissuader de reproduire un tel comportement h l’avenir,
lejury a cru n6cessaire de lui infliger une peine tr~s visible, sans pour autant etre 6cra-
sante”‘. Toutefois, il existe une disparit6 importante entre ce jugement et ceux le pr6-
c~dant en mati~re de mauvaise foi”‘
. Les compagnies d’assurances ont toutes des ac-
tifs importants par rapport aux autres justiciables. Par ailleurs, le comportement de
l’assureur dans cette affaire est particuli~rement choquant, mais pas cent trente fois
plus choquant que celui de rassureur dans Adams c. Confederation Life Insurance
Co.! Si le raisonnement adopt6 dans Whiten c. Pilot Insurance Co. est retenu en appel,
il faudra alors se demander si une somme de sept mille cinq cents, dix mille ou quinze
mille dollars en dommages-int6rdts punitifs est elle-m~me irrationnelle, parce que trop
basse pour avoir un impact v6ritable sur une soci6t6 commerciale comme une compa-
gnie d’assurance. La Cour d’appel de l’Ontario doit choisir dans cette affaire entre le
principe de la coherence jurisprudentielle et celui de la rationalit6. Nous esp6rons
1″ Voir Hill c. tglise de scientologie de Toronto, supra note 143 aux par. 196-99 ; Walker c. CFTO
Ltd, supra note 143.
‘”Voir Whiten c. Pilot Insurance Co., supra note 8 a lap. 572.
“‘Voir ibid
“‘Voir par ex. les propos de la juge Wilson, dans Vorvis, supra note 23 a la p. 1131 : <([cc montant
de 5 000 $] est, scion moi, raisonnable et conforme a I'exp~rience canadienne qui consiste A accorder
des dommages-intdrdts punitifs relativement modestes. Lorsque les dommages-int6rdts visent "i refld-
ter la connaissance et la condamnation par la cour d'un mdfait flagrant et d'un mdpris des droits
d'autrui, leur montant n'a pas A 8tre excessif.>
1998]
D. W BOIVIN – L’INDEMNISATION DES PERSONNES ASSUREES
259
qu’elle optera pour le second, quitte marquer le debut d’une nouvelle 6re dans
l’valuation des dommages-int6r~ts punitifs pour mauvaise foi en assurances.
Soulignons en terminant les d6pens procureur-client. Les tribunaux ont le pouvoir
discr6tionnaire de d6cider qui doit payer les d6pens au terme d’une instance civile et
]a part qui leur incombe”‘. Les facteurs qui peuvent influencer l’adjudication des d6-
pens sont, entre autres, le r6sultat final, les offres de r~glement, la disparit6 entre le
montant demand6 et le montant obtenu, le degr6 de responsabilit6 des parties, le degr6
de complexit6 de l’affaire, l’importance des questions en litige et le comportement des
parties durant le litige'”. Dans des circonstances exceptionnelles, le tribunal peut ac-
corder une partie ses d6pens procureur-client, une r6paration qui correspond plus fi-
d~lement aux cofits occasionn6s par un litige que celui des d6pens partie-partie. Cela
dit, il est difficile de pr6ciser les circonstances qui justifient ce redressement puisque
l’adjudication des d6pens rel~ve particuli~rement de la comp6tence du juge de pre-
miere instance. Dans quelques d6cisions, la cour conclut A la mauvaise foi de
l’assureur,.octroie des dommages-int6rts punitifs, de marme que des d6pens procu-
‘. En revanche, il existe des precedents oii la cour conclut A la mauvaise foi
reur-client’
et accorde des dommages-int6r~ts punitifs, mais refuse d’octroyer des d6pens procu-
reur-client” -. Parfois le tribunal accorde ce type de d6pens pour mauvaise foi, mais re-
fuse de condamner l’assureur h verser des dommages-intr~ts punitifs'”. Enfin, il
existe des pr6c6dents ofi la cour ordonne h l’assureur de verser les d6pens procureur-
client de l’assur6 m~me en l’absence de mauvaise foi'”. Le seul principe qui ressort de
l’6tape de l’ex~cution du contrat
la jurisprudence est que la mauvaise foi,
d’assurance, est une circonstance qui peut justifier des d~pens procureur-client. Par
ailleurs, il s’agit d’un facteur fort pertinent lorsque la partie d6fenderesse maintient sa
position au cours du litige et lorsque le comportement de celle-ci n’est pas usurpatoire
au point de justifier des dommages-int6rets punitifs.
Conclusion
La Cour supreme reconnait que les juges ont le pouvoir et le devoir d’adapter la
common law aux changements qui se produisent dans le tissu social, moral et 6cono-
‘ Voir par ex. la Loi sur les tribunauxjudiciaires, supra note 73, art. 131.
‘ 0En Ontario, voir les Ragles deprocddure civile, R.R.O. 1990, art. 194, r. 57.
‘” Voir par ex. Whiten c. Pilot Insurance Co., supra note 8 ; Labelle c. Guardian Insurance Co. of
Canada, supra note 64.
‘ Voir par ex. Adams c. Confederation Life Insurance Co., supra note 11.
Voir par ex. Warrington (S.C.), supra note 24 ; Bullock c. Trafalgar Insurance Co., supra note 9;
Rodriguez c. Allstate Insurance Company, supra note 48 ; Clarke c. National Life Assurance Co. of
Canada, supra note 20 ; Dia c. Gore Mutual Insurance Co. (1993), 12 O.R. (3′) 637 (Div. g~n.), en
ligne: QL (OJ).
” Voir par ex. Wright c. National Life Assurance Co. of Canada, supra note 114 ; Johal c. National
Life Assurance Co. of Canada, [1992] I.L.R. 1-2785 (Div. g~n. Ont.), en ligne: QL (OJ), conf. par
[1995] OJ. n’ 1703 (C.A.), en ligne: QL (OJ).
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 43
t6
mique du pays'”. Au dix-huiti~me si~cle, Lord Mansfield aurait probablement
6tonn6 de voir une soci6t6 d’assurance condamn6e i verser des dommages-int6rats,
soit major6s ou punitifs, au nom du principe uberrima fides. De fait, c’est ]a vuln6ra-
l’6tape de la formation du contrat, qui est A l’origine de ia re-
bilit6 des assureurs,
connaissance du caract~re distinct des assurances”. N6anmoins la jurisprudence ca-
nadienne a su suivre l’6volution et le dynamisme de l’industrie des assurances.
L’histoire d6montre que la personne assur6e est elle-m~me vuln6rable 4 la suite d’un
sinistre. L’histoire r6v~le aussi que le droit des contrats classique offre un recours li-
mit6 lorsque les attentes raisonnables d’un sinistr6 sont frustr6es. Enfin, l’histoire 6ta-
blit que les assureurs jouissent d’un avantage strat6gique significatif A l’6tape de
l’ex6cution du contrat. La common law s’est donc adapt6e i cette r6alit6 en imposant
une obligation de bonne foi A l’assureur suivant la formation du contrat, un devoir qui
compl6ment les obligations de comportement et de r6paration reconnues par le con-
trat.
Le devoir de bonne foi peut se justifier i la fois en fonction de l’intention pr6su-
m6e des parties contractantes et de leur relation sp6ciale. La partie assur6e est donc li-
bre de choisir un recours contractuel ou un recours d6lictuel en cas de mauvaise foi,
sous r6serve d’une intention contraire pr6vue au contrat. Par contre, l’obligation de
bonne foi n’impose pas une responsabilit6 stricte aux assureurs. Ils peuvent rejeter
une r6clamation m~me A tort. Le comportement prohib6 est le non-respect des attentes
raisonnables d’une personne assur6e, soit un refus sans motifs l6gitimes et en toute
connaissance de cause. Si la position de l’assureur est simplement erron6e, la partie
demanderesse aura un recours conventionnel pour bris de contrat. Elle pourra obtenir
l’indemnit6 due, plus int6r~ts et ddpens le cas 6ch6ant. Si la position de l’assureur t6-
moigne de mauvaise foi, cependant, la partie demanderesse pourra 6galement obtenir,
dans un cas appropri6, des dommages-int6rts major6s, des dommages-int6rts puni-
tifs et des d6pens calcul6s sur une base procureur-client. Cette approche r6tablit un
6quilibre entre le pouvoir de l’assureur et celui de son vis-A-vis. Le fardeau incombe
d6sormais aux tribunaux canadiens de surveiller cet 6quilibre, sans pour autant com-
promettre les attentes raisonnables des assureurs.
” Voir Watkins c. Olafson, [1989] 2 R.C.S. 750, 61 D.LR. (4′) 577 ; Salituro c. R., [1991] 3 R.C.S.
654, 68 C.C.C. (3′) 289 ; London Drugs Ltd. c. Kuehne & Nagel International Ltd., [1992] 3 R.C.S.
299,97 D.L.R. (4′) 261.
‘” Voir les motifs du juge Mansfield dans Carter c. Boelm, supra note 2.