LA MALADIE PHYSIQUE,
fLtMENT DE L’kTAT DES PERSONNESP
par G6rard Cornu*
C’est un sujet d’6tonnement de pouvoir encore retenir comme objet de
recherche 1’6tat des personnes, qui passerait volontiers pour avoir atteint, dans
le raflinement oil nous voyons nos lois civiles, son plein achavement. Ce quid-
tisme pourtant est un mauvais tour du confort intellectuel. La querellc encore
ouverte autour de l’autorit6 des jugements d’6tat l’atteste, et, nouvel exemple,
]a classification traditionnelle de l’6tat dans la cit6, de 1’6tat dans la famille
et de l’tat individuel, cZderait utilement la place pour notre satisfaction intel-
lectuelle, ai une classification plus rationnelle des 6l6ments de 1’6tat d’une
personne. Ces 6lments, les multiples qualit~s que le l6gislateur prend en consi-
deration pour y attacher des effets de droit civil, m~riteraient sans doute d’6tre
reclass~s apr~s une nouvelle analyse de leur nature. Car certains, tires de
‘iap-
partenance familiale, religicuse, on professionnelle, font apparaltre entre les
individus, des discriminations civiles a fondement purement social, tandis quc
d’autres, tires de la nature meme de la personne, fondent de v&itables discri-
minations biologiques, comme le sexe, l’Age, la race et la sante.
Encore cette remise en ordre n’est-elle pas l’essentiel. Le plus etonnant est
qu’il existe, parmi les 6lments de I’6tat, des notions favorikes ct, si j’ose dire,
des notions sous-d~veloppes.
Entre toutes les discriminations sociales, celles qui d&ivent de la qualit6
lgitime ou naturelle de la filiation, ou de la nationalit6, retiennent depuis
longtemps l’attention des juristes, mais c’est tout r~cemment que de bons
esprits ont 6tudi6 la religion d’une personne comme 61’ment de son ‘tat 2. Et
il reste a 6tudier l’influence de la condition sociale d’un individu sur sa condition
civile, qui affleure parfois, en jurisprudence frangaise dans la notion d’injure
grave, cause de divorce. Telle gifle conjugale, gravement injurieuse sur la
joue d’une dame de haut-quartier, pourra n’6tre plus qu’offense lgere, en
milieu moins polic6, si, comme il a 6t6 jug6, elle est revue par un concierge de
la main de sa femme. Et la distorsion s’aggrave encore pour les discriminations
naturelles. L’imbecilitas sexus ou ce qu’il en reste, est bien connue, meme si
1’6galit6 des sexes est pour demain, ainsi que l’incapacit’ fonde sur l’Age,
*Professeur a ]a Facult6 de Droir cc des Sciences Economiques de Poitiers.
1Confrence prononc&c le 15 d~cembrc 1960 1 l’Universit6 McGill, Montreal.
2P. Coulombel, Le droit privifrangais devant le fait religieuxdepuir la sdparation des Egli e: et de l’Etat;
Revue trimestrielle de droit civil, 1956, p. 1 ct s.
No. 4]
LA MALADIE PHYSIQUE
propter axtatem, la minoritE. Mais dejA les discriminations raciales, lorsqu’elles
existent en droit civil (les Indiens), sont pea ftndikes. Et surtout, l’Etat de
sant6, comme 616ent de 1’tat civil, recle en lui-mtme tn singulier paradoxe.
Autant la sant6 mentale a retenu, apr~s celle du l~gislateur, 1’attention des
tribunaux et des auteurs, dans la mesure otl Palt&ation des facult~s mentales
est une cause d’interdiction sous les formes principales d’imb~cilit6, de d~mence
on de fureur habituelles (a. 325 C. civ. Prov. Qu.) ou sous les formes associes
d’ivrognerie inv6Cre ou de narcomanie (a. 336 a., C. civ. Prov. Qn.), autant
la sant6 physique, ou la maladie physique, est rest~e jusqu’A nos jours I peu
pras inaper~ue, du moins en tant qu’61ement de 1’6tat des personnes. C’est cc
dernier problame que nous voudrions aujourd’hui 6voquer.
De quoi s’agit-il?
De la maladie physique, de celle qui atteint, dans son corps, un homme
sain d’esprit: mens sana sed non in corpore sano. Curable on incurable, conta-
gieuse ou non, la maladie ne nous int&esse que dans” la mesure oa elle touche
d’abord et principalement l’homme dars son integrit6 physique, en quoi on
peut y ajouter les infirmit~s corporelles comme la.cfcit6, la surdit6, etc…
Est-il besoin de dire que cette separation de l’Ame et du corps ne saurait 6tre
prise ici comme tne negation de leurs influences mutuelles? Les hypothases
marginales oi- l’alt&ation des facultes physiques.’engendre ou laisse presumer
l’alt&ation des facult~s mentales ne sont pas exclues, mais il n’est pas artificiel,
pour l’essentiel, de raisonner sur 1homme qui, diminu6 dans son corps, garde
toute sa connaissance, m~me si, dans l’ordre affectif, par exemple, son moral
est atteint. Notons enfin que setles les maladies graves, tuberculose, affection
siphylitiques, polyomi~lite et les infirmites poseront, en fait, tn problme.
Mais quel probl~me?
Tras prcis~ment celui de l’influence de l’tat physique d’une personne sur
son 6tat civil. La loi civile prend-elle en consid&ation la sant6 ou la maladie
physique d’un individu pour y attacher une consequence civile, c’est-A-dire tn
droit, une obligation dans l’ordre civil? L’6tude, on le voit, A notre insistance,
relave du pur droit civil, et non du droit midical ou du droit social. I1 ne s’agit
ni de contrat medical, ni de responsabilit6 mdicale ni de statut des h6pitaux,
ni d’hygi~ne publique. 11 n’est pas question de maladie en tant que risque
maladie garanti par la scurit’ sociale, ou comme accident du travail.
Le malade, physiquement atteint a-t-il, en droit civil, tn statut special,
qui ferait, i certains 6gards, de la maladie corporelle un 6lment de sa condition
civile? Voill tout le problame.
Cette perspective, reconnaissons-le, a de quoi laisser perplexe. Car de
statur, il n’en existe, sous une forme mbnc sonimairement Elabore, ni dans la
loi, ni dans la jurisprudence, tant au Canada qu’en France. Quelques articles
des Codes qu~becois ou frangais, raglent le testament des sourds-mucts, quelques
dcisions, en France abordent la question par fragments, sans vue d’ensemble.
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Aucune synth~se doctrinale enfin ne nous a encore &6 propos6e. M. Savatier,
dans ses Mitamorphoses3, s’attache bien A la sant6 humaine, comme attribut
essentiel de l’6tat des personnes, mais, faute d’avoir distingu6 sante mentalc ct
sant6 physique, et surtout droit civil et droits spciaux, il fait surtout, sous
cette &iquette, du droit social ou du droit medical. Le probl~me reste entier.4
TAchons donc, pour l’heure, de l’ordonner dans ses lignes maitresses.
Or, d’un c6t6, la maladie physique paraic n’etre d’aucune influence en droit
civil. Un principe de non-discrimination l’emporce. Le malade est juridique-
ment assimil6 A un homme bien portant. I1 est, dans une vue abstraite, un
individu comme les autres. Mais plus concretement, d’un autre c6t6, nous
voyons la maladie physique prise en consideration par la loi ou la jurisprudence,
et g~nratrice d’effets de droit fort varies. Tels sont les deux objets de notre
examen.
Le domaine d’assimilation du malade physique A l’homme sain de corps ct
d’esprit parat A premiare vue le plus vasre et le plus clair. I1 se developpe
dans l’ordre des principes, ceux de la personnalit& et de la famille, entour6 A
cc plan 6lev6, du silence des choses qui vont sans dire.
A-Ainsi intresse-t-il, d’abord, le principe de la personnalit6 juridique
et de la capacit6 civile.
Que le malade, physiquement atteint, soit une personne, voilA une affirma-
tion indiscutable. Diminu6 physiquement, infirme, ampute d’un ou plusieurs
membres, Pindividu conserve sa pleine personnalit6 juridique, &chappant a
toute capitis deminutio.
Impotent, cul de jatte, goutteux, manchot, pourvu qu’en
somme je vive, c’est assezI
Plus prcis~ment, le malade physique 6chappe A toute incapacit6 de jouis-
sance ou d’exercice. Non seulement il est apte, comme l’alin6 mental A acquerir
des droits et des obligations, mais, A la diffrence de l’ali~n6 interdit, il est apte
A les exercer lui-m~me, sans repr6sentation ni assistance. La maladie corporelle
n’est pas, i la diff&ence de l’ali~nation mentale et de ses diminutifs, une cause
d’interdiction, une source p&emptoire ou facultative d’incapacit6 d’exercice.
Les articles 985 et 986 du Code civil de la Province de Quebec (cf. a. 1123
ec 1124 C. Nap.) le d~montrent suffisamment: toute personne est capable de
3’Un atrribut cssentiel de 1’6tat des personnes: la sanr humainc”, dans Lei Metamorphoics Icono-
miques et sociales du Drait prive d’aujourd’hai, Troisi-me s&ic et D. 1958, Chron. p. 95 ct s.
4L’cspoir vient de deux thEses, sur Ic mme sujet, actuelkemcnr cn preparation a Poitiers, ccllc de
M. Pradel, er celle de M. Lombois. Aux derni~rcs nouvelles, la prerai-re a &6 soutenue le 20 d&embrc
1960 sous le titre La condition civil du malade (dactyl. 369 pages). Adde deux theses, plus sp~cialcs
et d6ja anciennes: G. Bonnefoy, La surdimutiti an point de vue civil et criminel, thase Paris 1899;
L. Boisson, L’aveugle au point do rue social et juridique, Toulouse 1926. V. aussi Mcrlin, Rep. V*
Sourd-Muet.
sLa mor et le maiheurtux, La Fontaine.
No. 4]
LA MALADIE PHYSIQUE
contracter si elle n’en est pas expressement dclar& incapable par la loi et l’on
cherche en vain dans les tcextes de telles dclarations. Si on veut m~me d~passer
l’analyse litt&ale dans une matirc oil, pourtant, tout est de droit 6troit, le
principe de l’6galitE civile fournit surabondamment son soutien a cette solution.
I1 importe peu que la Dclaration canadienne des droits de l’homme ait refus6
de faire acception de race, d’origitie nationale, de couleur, de religion, de sexe,
sans ajouter la sant6; le droit de l’individu a l’6galit6 devant la loi y est nette-
ment pos6.
D’ailleurs, la conscience populaire rfprouverait comme odieuses les discri-
minations a l’encontre des malades, au moins celles qui, par eug~nisme, et dans
un esprit comparable 1 certaines discriminations raciales, tendraient I maintenir
le malade dans une condition civile inf&ieure. II en est ainsi: on tolare l’inca-
pacit6 pour aliEnation mentale, que Pon condamnerait pour une diminution
physique, parce que P’homme qui a perdu 1’esprit n’est plus parfaitement un
homme. Si, au contraire, il vit, sain d’esprit, les imperfections de son corps
n’altarent point sa dignit6, pas plus que ses beaut6s ne la rehaussent.
Tout cela est tellcment 6vident qu’il est A peine besoin de relever mmc des
objections de detail.
Ainsi, l’alt&ation des facult~s mentales sera parfois la suite d’une perte
grave des forces physiques, car lesprit et le corps sont, bien stir, lis. Et Pa. 986
(C. civ. Prov. Qu.) qui, parmi les causes d’incapacite, fait &at d’aberration
temporaire caus6 par la maladie, n’exclut pas la maladie physique. Mais il est
certain que la maladie physique, cause occasionnelle d’aberration., n’est pas
cause juridique d’incapacit6: elle n’est pas prise en consid&ation pour elle-m~me
et clle seule mais, m~diatement, a cause de l’aberration consecutive. Et c’est
toujours la faiblesse de l’esprit qui compte, quelle qu’en soit l’origine (ou autre
cause pr&ise le texte de l’a. 986 C. civ. Prov. Qu.).
De mame, on ne saurait objecter les incapacits de succader frappant l’enfant
qui n’est pas n6 viable (a. 608 et 838 C. civ. Prov. Qu., cf. a. 725 C. Nap.).
Le problame d~borde largement celui de la maladie physique, problame d’exis-
tence, de vie ou de mort, non de sant6. L’enfant qui n’est pas n6 viable est bien
plus que malade, il est madicalement condamn6, 6tant, par dafinition, dapourvu
des organes nacessaires A la vie. Avec l’aptitude i la vie, c’est l’aptitude a la
personnalit6 civile qui lui est refuse. L’enfant non viable, bien au-deli d’une
incapacit6 spaciale, seule inoncac parce que seule pratique, n’acquiert pas la
personnalit6 juridique.
Enfin, dans un ordre tout diffrent, le certificat pr6-nuptial qui, en France, est
exig6 des futurs 6poux, ne saurait drouter l’interprte. 11 est vrai que le mariage
ne peut atre calabr6 qu’apras la remise, par chacun des fiancas, a l’officier d’Etat
civil, d’un certificat madical attestant que l’int&ess6 a 6t6 examin6 en vue du
mariage (a. 63 C. Nap.). Il est vrai que chacun de son c6t6, le fianc6 devant le
madecin de son choix, la fianc&e devant le madecin de son choix, doit subir un
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examen medical. Mais cette r~gle ne frappe les malades d’aucune incapacit6
de se marier. Le fiancE reconnu malade reste libre de se marier. Le secret de la
visite m~dicale est parfait, tant A l’6gard de l’officier de l’6tat civil que du futur
conjoint, ou de toute autre personne. Le certificat mentionne, A l’exclusion de
toute autre indication (souligne P’art. 63 C. Nap.) que le futur a et6 examin6 ca
vue du mariage. Mais le rsultat de l’examen n’est d~voil6 qu’A celui qui en a
fait l’objet et la loi ne fait mnme pas express~ment au malade l’obligation de
r~v~ler son mal A son fiance. C’est un devoir de conscience dont la violation
pourra, nous le verrons, n’6tre pas sans consequence, mais enfin, la maladie
physique n’esrta aucun titre, une cause d’incapacit6 g~n~rale ou spciale matri-
moniale ou autre.
B-PrEcisment, c’est dans le cadre des relations de famille, et pas seulemecnt
en mati~re de capacit6, que va se d6velopper le principe de non-discrimination.
En effet, i apparait que, la maladie corporelle qui frappe tel ou tel membre
d’une famille n’a aucune influence sur les liens de famille et plus pr~cismrent
sur le lien conjugal.
En droit positif qu6becois ou frangais, la maladie physique d’un 6poux n’est
ni une cause d’annulation du mariage, ni une cause de s~paration de corps. Et it
faut ajouter qu’en France elle n’est pas davantage une cause de divorce. Un
6poux ne peut all~guer la maladie de son conjoint pour obtenir la rupture du
lien conjugal ou m~me son relAchement. Entre autres raisons, dont le devoir
d’assistance entre 6poux, la conception des causes de nullit6 ou de s6paration de
corps, ou, chez nous, de divorce, suffirait I 1’6tablir: pas de nullit6 sans tcexte;
pas de separation de corps sans cause d’termin~e (a. 186 C. civ. Prov. Qu.,
cf. a. 232 C. Nap.). Or, parmi les textes et les causes ne figure point la maladie
et l’on reconnait qu’en elle-m~me, (nous verrons plus tard les templraments), la
maladie physique n’est ni un exc~s, ni un s~vice ni une injure grave, dans les
termes de
‘a. 189 du Code civil de la Province de Quebec. I1 n’y a d’aillcurs
pas lieu d’insister ici sur son caract&re physique. Car si la maladie mentale
peut, lorsque la d~mence existe au moment de
‘6change des consentcments,
fonder une annulation du mariage pour cause d’absence du consentement, elle
n’est pas non plus une cause de separation de corps (ni de divorce), lorsqu’elle
survient pendant le mariage.
Positive, la solution paralt s’accorder, de plus, aux conceptions g6nrales
du mariage et du divorce. Elle est conformae au vceu de l’institution du mariage,
union pour le meilleur et pour le pire. Elle est dans l’ordre d’un divorce
-sanction” et non “remade”, puisque le divorce et la s~paration de corps sont
census sanctionner la faute d’un conjoint coupable contre lequel la sentence
sera prononce, lors toutefois qu’il n’y aura pas de torts rciproques, et non
apporter un remnde A une vie conjugale devenue intol~rable.
Solution juste, dira-t-on.
mais pour tine pleine connaissance de cause, en sentir toute
It faut tout de m~me, non pour P’abandonner,
‘austrit6. Car
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LA MALADIE PHYSIQUE
elle va loin: la maladie ftit-elle incurable, contagieuse,.la vie commune fait-elle
difficilement supportable, rien, au’maoins th~oriquement, n’y fait.
Aussi bien, d’autres l6gislations, il faut le savoir, se font moins rigoristes.6
Pour I’ali~nation mentale, c’est bien connu, la plupart des l6gislations qui
admecttcent le divorce, la comptent au nombre de ses causes. Position de la
theologic protestante depuis he XVIe Sicle, il ne faut pas s”tonner detrouver
la ragle dans tous les pays impr~gn~s par la R~forme:-Anglecterre, Allemagne,
Suede, Norvage, Danemark, Suisse; mais aussi, et suivant des vues et des voies
diff&entes, dans le droit de famille des R~publiques populaires de 1’Est: Hongrie,
Yougoslavie, ou encore en d’autres pays: Portugal, Grace, Turquie, Monaco,
par 1’effet d’influences post&ricures. A peu pras partout, d’ailleurs, le lgislateur
s’entoure de precautions. 11 exige presque toujours de la part de 1’6poux deman-
deur un dklai d’attente qui est g~n~ralement de trois ans, compts pendant le
mariage, et de 5 ans en Angleterre: 3 ou 5 ans de folie constate i l’expiration
desqucls Ic conjoint du d6ment pourra obtenir le divorce. La, plupart des
1gislations exigent meme, cc d6lai passe, que ‘alkination mentale soit reconnue
incurable. Et d’autres (Suisse, Turquie) r~dament encore que’la vie commune
soit devenue, par he fait, intolrable. Hors srie, la legislation allemande,
abandonnant i regret.la conception du divomce-sanction, n’admet que l’aliknation
qui abolit toute communaut6 spirituelle entre 6poux. I1 reste que toutes les
legislations ne peuvent 6liminer les irritantes questions de preuve: preuve de
l’aliknation mentale, et surtout de son caract~re incurable.
Moins connues et plus proches de notre propos, c’autrcs 16gislations poussent
plus loin l’audacc: la maladie physique devient elle-m8me cause de divorce, A
certaines conditions.
Ainsi la loi allemande sur le divorce retien’t-elle comme cause de divorce,
une maladie contagieuse ou repugnante ct grave, horsque la suppression de cc
danger ne pent 6tre envisag6 dans un temps dtermin6. Le Code Bulgare fait
de meme lorsque la maladie d’un 6poux pr~sente un danger srieux, pour la
sant de l’autre poux ou des descendants. Dans le m~me esprit,.a loi portugaise
vise une maladie contagiese incurable ou une maladie entralnant une aberration
sexuelle (cc sont toujours A peu prs les m~mes conditions).
On pourrait m~me ajouter les legislations de I”U.R.S.S., de la Pologne ct de
la Tch6coslovaquie, au regard desquelles, la maladie physique, entre tout
naturellementc dans le cadre de la cause unique de divorce, laiss&e A I’appreciation
du juge. -Mais l’inspiratton toute diff6rentce de ces trois 16gislations souligne
les difficult~s que soulave la maladie physique (ou mentale d’ailleurs) en tant
clue cause de divorce:
Ou bien le l~gislateur 6labore lui-m~me des restrictions qui s’imposent an
juge cc aux parties; mais il recule hes difficult~s de preuve et enlise he juge ou
IT. dans Divorce et Sipriaiin dv colrps dau l monde contemporain, sous la direction de G. Le Bras.
I. Europe. Sirey 1952, lcs r~f6rcoces aux diverscs l6gislations.
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[Vol. 7
1’expert dans la recherche de l’incurable, – ou bien, comme dans le syst~me
sovitique et ses 6pigones, le juge est libre: porte ouverte A I’arbitraire, fragilit6
du lien conjugal. On mesure quelle distance s~pare ces syst~mes du Droit civil
du Quebec.
Pourtant, dira-t-on, la rigueur du Code qu~becois semblc flechir sur un point
particulier en mati~re de nullit6 de mariage, pour une espace un pcu A part
d’infirmit6 corporelle,
l’impuissance maritale. Naturelle ou accidentelle,
P’art. 117 du Code civil en fait une cause de nullit6 de mariage, A la condition
qu’elle existAt lors du mariage, et, ajoute maladroitement le texte, dans le cas
seulement oi, lors du mariage, elle aura 6t6 apparente et manifeste. Realiste,
concret, le Code civil qu~becois reprend par la la tradition canonique que le
Code Napolkon a abandonn6. On objectera sans doute qu’il s’cst departi de cc
r~alisme au sujet des causes de d~saveu de paternit6 puisquc le marine peut
d~savouer l’enfant de sa femme en opposant son impuissance naturelle ou acci-
dentelle survenue avant le mariage (a. 220 C. civ. Prov. Qu.).
Il reste quc
l’impuissance n’est pas sans consequences civiles: ant~rieure au mariage, A
certaines conditions, elle est cause de nullit du mariage; postrieure, cause dc
d~saveu de paternit6.
Cela suffit pour d~montrer dejA, sur un point particulier, que l’tat physique
d’un individu n’est pas civilement indifferent, cc qu’il faut plus amplement
d~montrer.
-II
–
Ffit-ce en ordre disperse, la loi et la jurisprudence attachent A la maladie
corporelle maints effets de droit civil. Seulement, cc n’est pas toujours aux
m~mes fins. Parfois la maladie physique attire sur celui qa’elle frappe la pro-
tection sp&iale du l6gislateur ou du juge. D’autres fois la maladic oblige celui
qu’elle atteint, source non plus de protection mais de sanctions et d’obligation.
A-A certains 6gards, le droit civil prodigue au malade, dans sa faiblesse,
une attention toute particulikre.
a)-Naturellement, les malades b~nfficient d’abord au scin de 1cur famillc,
d’une protection privil~gie, manifestation de la solidarit6 familiale. Celle-ci
se traduit, on le sait, par l’obligation d’assistance entre 6poux, par l’obligation
pour les pre et r&re de soigner leurs enfants, et m~me par l’obli gation alimen-
taire, puisque le besoin dont doit justifier le cr~ancier d’aliment resulte souvent,
en fait, de la maladie qui l’affecte. Tout cela est bien connu. II y a, dans Ics
termes de la loi, un droit d’etre soign6 par sa famille sinon en famille, qui n’est,
vu du c6t6 actif, que l’envers du devoir de famille, et qui entoure le malade
d’une scurit6 primordiale et naturelle.
No. 4]
oLA MALADIE PHYSIQUE
A la v~rit6, il ne faut pas s’6tonner de la discr&ion observee en doctrine et
en jurisprudence, sur l’objet de cc devoir et ses modalit~s d’ex~cution. On sait
que
‘obligation alimentaire s’ex~cute en argent et non en nature, reserve faite
de l’article 171 du Code civil de la Province de Quebec (cf. a. 210 C. Nap.).
Pour les autres devoirs, en revanche, c’est le genre de problme domestique que
chaquc famille r6solvait hier encore avec les moyens du bord, peu ou beaucoup
d’argent, pen on beaucoup d’amour. Mais l’evolution des moturs familiales
avec celle des m6thodes m6dicales, et l’incidence des lois sociales, ont sensi-
blement modifi~es les donn~es du probl~me. Hier encore, on aurait afflirm6 que
‘obligation d’assistance entre 6poux, ct le devoir pour les parents de soigner
leurs enfants devaient normalement, dans la mesure du possible, s’excuter en
nature, c’est-i-dire en personne. 11 semblait possible d’afflrmer un droit pour
Ic conjoint ou pour 1’enfant d’atre respectivement soignfs par son 6poux ou
ses parents personnellement, sauf A reconnaltre que cc droit, an cas de difficult6,
n’a css6 de courir apras sa sanction.
Aujourd’hui,
‘hospitalisation rapide du malade pourrait bien transformer
le sens de la solidarit6 familiale, sinon mtme l’6liminer en dispensant la famille
de toute participation, personnelle on financikre aux soins. De plus haut, il
faudrait avoir le temps d’6tudier la repercussion exacte des lois sociales sur ces
devoirs de famille.
En France par exemple, les prestations sociales verses I l’assur6 social pour
cause de maladie, de vicillesse ou d’infirmit6 dtchargent financi&rement la
famille, dans outce cette mesure. Mais, an cas d’insuffisance, la famille reste
tenue pour le surplus, ct rin, jusqu’ l’hospitalisation, ne decharge le conjoint
ct les parents de leur devoir d’assistance personnelle. On voit la direction des
recherches: l’harmonisation de la protection familiale et de la protection
sociale du malade.
3)-En dehors meme de la famille et jusque dans les relations contractuelles,
le malade jouit encore d’une certaine protection: non plus dans sa sant6 per-
sonnelle, mais dans son activit6 juridique. Et les secours peuvent, le cas 6ch~ant,
s’organiser I un double plan.
1-Ce peut etre au plan psychologique d’abord que le malade physique
aura besoin d’une protection lorsqu’il passe un acte juridique. Et sans doute
la loi ne le dit-elle pas express&ment. Pas plus que les rtgles de capacitE, les
r~gls de consentement aux acres juridiques n’ont express~ment &gard aux
maladies physiques. Mais prtcistment, a la diffrence de la capacit6 qui est
de droit &roit, la liber6 et la lucidit6 du consentement posent une question
de fait, dans l’apprciation de laquelle les juges jouissent du plus large pouvoir.
Et c’est par ce biais que la consideration de la maladie physique de l’auteur
tre prise. S’il est patent que la faiblesse corporelle
d’un acre juridique pent
a en une influence sur le consentement, Ic juge pourra plus facilement conclure
au vice du consentement. Plus faible, plus craintive, une personne malade,
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 7
fiat-ce physiquement, sera davantage sujette A rerreur; ile risistera moins au
vol et a la fraude, A la captation du cocontractant; moins encore A sa violence
et sur ce chef, l’article 995 du Code civil de la Province de Qu6bec (cf. a. 1112
C. Nap.) en invitant le juge A considrer IAge, le sexe, le caractre et la condi-
tion de la personne pour appr~cier les ravages psychologiques de la crainte
produite par la violence, le conduit aussi A ne pas n~gliger, chez la victime de
la violence, son &at de sante. La jurisprudence est nette J-dessus autant que
naturelle. 7 Seulement, la protection n’intervient qu’A posteriori, par sentence
d’annulation.
2—11 arrive qu’clle soit n~cessaire lors de la conclusion meme de l’actc
juridique. En effer, cc ne soar pas toujours les facultes d’intelligence, de com-
prehension qui sont affect~s par la maladie physique, mais parfois la facultc
m~me d’expression, la possibilit6 mat6rielle de s’exprimer. Lorsque cela est,
le problme n’est plus psychologique, mais, si l’on peut dire, m~canique, instru-
mentaire. Bien str, les deux problames ne se distingueront pas toujours, car
il arrivera qu’un malade, et surtout un infirme, priv6 de tout moyen d’expres-
sion, nous mette en presence d’une impossibilit6 de savoir s’il a sa connaissance,
ou encore, qu’il soit priv6 de ses sens au point de n’6tre pas suffisamment instruit,
comme beaucoup de sourds-muets (les art. 847, 850, 852 C. civ. Prov. Qu.
r~servent sagement cc cas). Mais il suffira qu’un malade priv6 d’un ou plusieurs
moyens d’expression ne le soit pas de tous, et soit d’ailleurs suflisamment instruit
pour que le problme se pose”.
II se r~soudra tr~s naturellement, pour les actes non-formalistes, car Ic
consensualisme se contente, par defiition, d’une manifestation quelconque de
volont6. Mais les actes formalistes, et cc sont les plus importants, posent de
v&itables 6nigmes. Comment exiger la signature d’un paralytique absolu? La
dict&e de la part d’un muet? La lecture de la part d’un aveuglc? Et que signi-
fierait la lecture faite A un sourd? Heureusement, la loi, secourable aux infirmes,
apporte au formalisme les attenuations ncessaires, au moins en certains cas.
La forme du testament des infirmes est r~gl~e par les articles 850 ct s. du Code
civil de la Province de Quebec, qui distinguent les aptitudes psychologiqucs a
la connaissance, ct 1’aptitude physique, matrielle, A la mainifestation de la
volont6. Force est bien de renvoyer, pour le derail, A leur lecture.
I ne paralt pas excessif d’en d~gager un Principe, applicable dans tous les
cas oA la loi n’a rien d~cid6.9 II faut se contenter du mode d’expression qui
7V. entre beaucoup d’autrcs dicisions, en matiare d’errcur, Req. 10 f~v. 1926, S. 1926. 1. 59; Paris,
20 nov. 1934, S. 1935.2.190; en matiare de captation, Req. 15 mars 1935, D.H. 1935.329; Nlmes,
11 juin 1945, Gaz. Pal., 1945.2.51; en matiare de violence, Req. 19 juin 1877, D. 1878.1.160; Rcq.
27 janv. 1919, S 1920.1.198.
‘A propos d’un sourd-muet, un arrat de la Chambre des Requtaes (23 mai 1887, D.P. 88.1.469)
distingue bien ‘aptitude I consentir et Iaptitude a manaifester sa volont6. L’article 852 C. civ. Prov.
Qu. pose tris bien la distinction.
9V. pour la validit6 du testament olographe ridig6 par un aveugle, Req. 23 mai 1887, D.P. 88.1.469.
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LA MALADIE PHYSIQUE
est A la porte de l’infirme, dans la mesure oA ii permet A celui-ci d’exprimer
fidlement sa pens~e puis d’en contr6ler l’expression regue. Le sourd-muet ne
peut tester de vive voix? Qu’il le fasse, s’il le peut, par instructions 6crites de
sa main, remises an notaire (c’est, au fond, le testament mystique, a. 847 C.
civ. Prov. Qu.). Et celui qui ne peut entendre la lectdre du testament par le
notaire, doit, s’il le peut, le lire lui-mtme. Le droit sur ce point ne commande
pas A la nature, il lui obeit: ncessit6 fait loi. La loi s’aligne tr~s exactement
sur les possibilit~s naturelles d’expression de 1’infirme. Encore la nature est-
elle une mattresse exigeante car il ne suffit pas que l’infirme puisse 6mettre,
communiquer, un consentement, il faut encore qu’il puisse contr61er la confor-
mit6 de I’acte dress6 avec sa d~claration de volont6. 10
I1 arrivera qu’il n’ait aucun moyen de faire l’un on l’autre et donc aucune
position de repli. Alors devant l’impossibilitE de fait, l’acte deviendra impos-
sible, comme le montre, pour le testament authentique, l’article 847, in fine
du Code civil de la Province-de Quebec.
Mais la loi ne sacrifie nullement l’infirme a une incapacit6 de droit, elle se
rksigne, tout au plus, A une incapacit6 de fait. Elle plie devant la nature des
choses. En dehors de cette impossibilit6 naturelle, le principe de l’6quivalence
et de l’adaptation des formes doit toujours 1’emporter. II devrait m’me con-
duire a reconnaitre la validit6 d’un testament olographe qu’un manchot double,
6duqu I cette fin, aurait trac6 avec son pied (a. 850 C. civ. Prov. Qu.).
On voit combien, sur ce point, l’intcrvention de la loi se r~soud en protec-
tion l6gitime.
B-Mais il arrive aussi que la loi sanctionne.
I se peut que la maladie
physique soit, pour celui qu’elle affecte, 1A source d’obligations diverses.
a)-A la vrit6, la premiere de ces obligations n’int~resse qu’une espce
particulire de maladies, les maladies contagieuses, mais clle est d’importance:
c’est l’obligation de ne pas contaminer autrui, an moins lorsque le malade,
agent de contamination, connalt son mal. Car il semble difficile de nous rendre
responsables des microbes que nous portons sans le savoir, on d’une conta-
giosit6 que nous ignorons.
Cependant, cette obligation n~gative, de non-contamination, sous ses mul-
tiples applications, est assortie de sanctions variables selon les milieux.
Dans les relations sociales, la responsabilit6 drlictuelle du malade envers
ses victimes par contamination, apporte une sanction adrquate. Suivant le
droit commun de l’article 1053 (C. civ. Prov. Qn., Cf. a. 1382 C. Nap.), le
contagieux r~pondra du dommage caus6 aux tiers par sa negligence, par son
imprudence, faute d’avoir pris les precautions ncessaires pour Eviter la conta-
1OV. la note de J. Ch. Laurent, J.C.P. 1956.11.9226.
McGILL LAW JOURNAL
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gion. En vrft, si la pratique judiciaire offre peu d’exemples de cette respon-
sabilit6, cc n’cst pas que les principes soient douteux. C’est que l’agent dc
contagion n’est presque jamais identifiable. II court! II court!
Le probl~me se posera plut6t au sein d’un groupe d~termin6 dc personnes
oA les difficultes de preuve sont circonscrites. Ainsi existe-t-il toute une juris-
prudence sur les contaminations du nourrisson par la nourrice et vice-versa.
Simplement, la responsabilit6 de la nourrice ou des parents passera du plan
dlictuel au plan contractuel, avec les diffrences ordinaires de r6gime.
Enfin, entre les membres d’une m~me famille, l’obligation de non-conta-
mination pose des probkmes specifiques, qui sont tras rarement, A notre con-
naissance, des problames de responsabilit6 civile, car les actions de cettc nature
entre conjoints, et plus encore entre pare ou mare ct enfants ne sont pas cou-
rantes. Mais n’y-a-t-il pas une sanction plus grave et plus adequate, la s~pa-
ration de fait ou de droit?
Entre le parent malade, et les enfants, il semble que la separation soit, assez
souvent, la bonne solution, volontairement choisie dans la plupart des cas. A
l’occasion pourtant, Ia s~paration forc~e, judiciairement ordonnce n’est pas A
exclure, s~rement en droit frangais, vraisemblablement aussi en droit quebecois.
D’abord, au cas de divorce ou de separation de corps, le juge, pour le plus
grand avantage de I’enfant, devra tenir compte, le cas Ech~ant, avant d’attribuer
]a garde au pre ou a la mre, de leur 6tat de sant6 respectif. Chez nous, Ic jugc
ose meme r~glementer le droit de visite accord6 a celui des parents qui n’cst
pas gardien, lorsque la visite pourrait 8tre une occasion de contagion.”‘
Mais la maladie des parents n’agit pas seulement sur les’mesures cons~cutives
a une s~paration ou a un divorce., Elle peut 6tre A elle seule cause de s~paration.
Au moins en droit frangais (a. 375 C. Nap.), le mineur dont la sante est com-
promise (serait-ce par la maladie des parents) peut faire l’objet d’une mesure
d’assistance Educative, Ic s6parant, au besoin, de ses parents.
Entre conjoints, les choses se compliquent, A cause de l’obligation d’assis-
tance mutuelle, d’autant plus que, nous l’avons vu, Ia maladie n’est pas en
elle-mame une cause de divorce ou de separation de corps. Pourtant un double
temperament apparalt en jurisprudence. D’une part, la communication par
l’un des conjoints A l’autre d’une maladie v~nrienne est d~sormais assimil~e a
une injure grave, chaque Lois au moins que 1’agent de contamination se savait
atteint. 12 D’autre part, la m~me injure grave, cause de divorce, pourra atre
retenue A la charge du fiance qui, s.e sachant atteint d’une maladie grave (mtme
non contagicuse) l’aura dissimulke lors de son mariage A son futur conjoint.13
“Paris, 26Juillet 1950, Gaz. Pal. 1950.11.252.
1W. entre beaucoup d’autres d6cisions, Aix, 30 avril 1951,J.C.P. 1951 6d. Avou~s, IV, n 1665 note
Madray; Cass. Civ. 7 mai 1935, D.P. 1935 1.78, note Appleton).
“Cass. Civ. 2, 5 juillet 1956, D. 1956.609.
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LA MALADIE PHYSIQUE
Cette derniere regle fait indirectement apparaltre, par derriare l’obligation
de non-contamination, le devoir positif implicite de loyautE, de sinceritE, celui
de revler sa maladie A son futur conjoint, que la loi n’Enonce pas explicitement:
Bel exemple de mont6e a la vie juridique d’un devoir de conscience.
b)-LJustement, on pourrait se demander si le malade ne serait pas, plus
genralement, assujetti a une autre obligation positive, celle de se soigner.
Y a-t-il une obligation civile de se soigner? II ne fait pas de doute que le
droit de la santE publique assujettit les citoyens i plus d’une obligation: on ne
peut qu’6voquer, en France au moins, les vaccinations obligatoires et la dcla-
ration obligatoire des maladies veneriennes.
D’ailleurs, puisque dans son pr6ambule, la Constitution frangaise”4 affirme
au profit de tout individu quel que soit son etat physique, non pas comme on
l’a dit, un droit A la sante, mais le droit A la protection de sa sant6, on peut se
demander si, en droit public, ce droit ne se double pas, pour son beneficiaire,
d’une obligation correlative de se soigner.
Mais il faut, semble-t-il, laisser au droit public et A l’Etat d’exception ces
obligations. II convient de proclamer comme une libertE civile le droit de ne
pas se soigner. La loi civile serait mal inspiree de poser directement, brutale-
ment, le principe contraire, cc qui, pour. finir, nous sugg~re de conclure par
une distinction.
Au terme de I’chantillonnage des consequences civiles de la maladie phy-
sique (il en est beaucoup d’autres) une double ligne se dessine en effet.
Beaucoup de ces consequences ont un caractare de discretion qui se marque
par la prise en consideration mdiate, indirecte, de la maladie. Celle-ci apparait
moins comme une cat~gorie autonome et spEcifique que comme element, ou
manifestation, entre beaucoup d’autres, de telle ou telle categoric plus com-
prehensive, generique. La maladie elle-m~me n’est ni une faute, ni une injure,
etc… mais elle entrera, le cas-6cheant, dans 1’appreciation concrete de la faute,
source de responsabilitE, de l’injure, cause de divorce, de la violence ou de
l’erreur, causes de nullite, des besoins qui actualisent l’obligation alimentaire.
Bien d’autres exemples pourraient 8tre donnes: la maladie qui n’est pas, en
elle-meme, une cause d’exonration de responsabilitE, jouera tout de meme un
r6le att~nuant en ces mati~res. Et sur toute la ligne, il est bon qu’il en soit
ainsi. En pratique, cette prise en consideration indirecte, empirique, donne
toute satisfaction. Au point de vue th6orique, elle atteste que ces consequences
civiles de la maladie ne sont point des entorses A l’egalitE civile. La maladie
physique, pur fait, simple accident, se coule dans les categories du droit commun.
Mais il arrive aussa que la maladie corporelle, accdant a un degre superieur
de determination et d’efficacit6 juridiques, devienne elle-m~me l’objet immediat
U4Prambule dc la Constitution du 27 Octobre 1946 auquel renvoic cclui dc la Constitution du
5 octobre 1958.
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d’un droit ou d’une obligation. Par prise en considfration direccte, un droit
spcifique du malade corporel apparaft. La maladie physique s’rige en categorie
juridique distincte. Mais il est clair qu’alors, elle n’engendrera que des cons6-
quences spciales, en des limites d~finies. Au sein du groupe familial se dave-
lopperont des obligations de soins cc des droits corr6latifs. Le l~gislateur s’ef-
forcera aussi de corriger certaines in~galit~s particulieres, r~tablissant, par
appoint, en faveur du malade, une 6galite relle rompue par la nature. Mais, cn
dehors de ces r~gles fragmentaires, toute extension du stdtut du malade se
dvelopperait au d&riment de l’6galit6 civile et ceux qui rveraient d’un plus
vaste statut du malade mconnattraient son caract~re de droit d’exccption.
En vrit6, gLrdons-nous de fixer la maladie corporelle en un statut exhaustif
et rigide de droit civil. E16ment secondaire de 1’6tat, cc n’est pas un 6tat.
Laissons la maladie otA elle est, livre i Pillustration pr~torienne des categorics
du droit commun ct a quelques adaptations spIciales n~cessaires. Le principe
est A la non-discrimination.