La nature du droit d’auteur: droit de
propribt6 ou monopole ?
Pierre-Emmanuel Moyse”
Pour un avocat spdcialisE en propridtd intellec-
tuelle, c’est une
tdche laborieuse que de suivre
l’inrluctable dvolution de Ia technologie. C’est ainsi
que nous en venons t passer outre les plus fondamen-
tales des lignes directrices : les leqons du pass6. Les r-
gles de base du droit d’auteur sont inspirdes de ce que
nous appelons la (propridt6 ordinaire >, ayant ses origi-
nes dans les droits romain et civil. Avec une comprd-
hension complete de ces sources directes, nous pou-
vons anticiper de futures daveloppements des droits
d’auteurs. La loi canadienne sur le droit d’auteur a h6-
rit du syst~me anglais –
et cons&juemment am~ri-
cain –
de copyright et du syst~me franais de droit
d’auteur. Le premier a eu une grande influence sur
l’interprdtation du droit canadien. La question large-
ment dabattue au course de la demi~re drcennie est
celle de la reconceptualisation des droits d’auteurs, bt
partir de droits subjectifs et grndralement coercitifs, de
mani~re it permettre l’expansion de l’autoroute de
l’information. L’histoire nos dim que les choses ne
changent pas mdicalement et que le modale de pro-
pridtd ordinaire demeure l’exemple par excellence
d’une construction logique. Cet article met l’accent sur
les premieres mtamorphoses du droit de propri~t6 qui
ont graduellement ouvert la voie A l’inclusion des cho-
ses intangibles dans ce concept.
and consequently American –
For an intellectual property lawyer it is a labori-
ous task to conscientiously follow the inevitable evolu-
tion of technology. However in doing so, lawyers are
bypassing the most fundamental guidelines: the lessons
of the past. The basic principles of copyright are in-
spired from “ordinary property”, with its origin in Ro-
man and Civil Law. It is only through a comprehensive
understanding of this primary source that further devel-
opments in intellectual property rights can be antici-
pated. The Canadian Copyright Act inherits from both
the English –
copy-
right system and the French droit d’auteur system. The
latter has had a great influence on legal interpretation in
Canada. An issue largely disputed over the last decade
has been the expansion of the information highway and
the requisite rethinking of copyright rules, based on
subjective and generally coercive rights. History illus-
trates that things do not radically change and copyright
is an example where the ordinary property model re-
mains a perfect example of a logical construction. This
article examines the early metamorphosis of the prop-
erty right, and the gradual encompassing of incorporeal
objects within it.
‘ 12tudiant au doctorat sous la direction du professeur Ysolde Gendreau ; LL.M en proprid6t
intel-
lectuelle, Facult6 de droit, Universit6 de Montrdal ; DESS droit des affaires, Facult6 de droit, Univer-
site de Besangon, France ; Dipl6me intdgr6 de droit franco-allemand des affaires, Facult6 de droit,
Universit6 de Mayence, Allemagne. L’auteur tient . remercier les professeurs Ysolde Gendreau et
Ejan Mackaay pour leurs commentaires et suggestions sur les versions ant~rieures de ce texte.
Revue de droit de McGill
McGill Law Journal 1998
Mode de rrfrence: (1998) 43 R.D. McGill 507
To be cited as: (1998) 43 McGill L.J. 507
508
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
Introduction
I. Uassimilation du droit d’auteur A un droit de propri6t6
A. La controverse
1. Les theories du droit de propri~t6 ordinaire
2. La critique de Renouard
3. Les th6ories personnalistes
B. La distinction entre la propri6t6 matdrielle et la proprit6 incorporelle
1. Le concept de propri~t6 en droit romain
2. Le recours & une classe distincte de droits patrimoniaux
a. Le droit d’invention
b. Die Immaterielleg~terrechte
c. Le droit de c/ientle
I1. La r6ception de ces th6ories par la jurisprudence et le droit positif:
une premibre approche de droit compar6
A. La jurisprudence et le droit positif frangais
B. La jurisprudence et le droit positif anglais
1. Le particularisme de la notion de propri~t6 en droit anglais
2. Droit de propri6t6 ou monopole : ‘enjeu de la distinction
a. Le common law copyright : les affaires Millar et Donaldson
b. L’affaire Wheaton : la Cour supreme des Etats-Unis sur les
traces de la d6cision Donaldson
c. Les nuances du droit canadien
i. Quelques 616ments d’historique lgislatif
ii. La nature du droit d’auteur canadien
Conclusion : monopole ou propri6t6
1998]
RE. MOYSE – LA NATURE DU DROIT D’AUTEUR
Introduction
A une 6poque oh l’on s’essouffle A rester au fait des demi~res innovations tech-
nologiques, une halte s’impose. En retournant sur les chemins de l’histoire du droit
d’auteur, il nous vient un sentiment d’apaisement, d’accalmie. Celui-lM meme qui
vous prend lorsque, exacerb6 par le tumulte de la rue, vous fermez votre fentre. Le
progr~s, cet adolescent de la science humaine, se tient devant nous, gageur, turbulent.
II nous fait souvent oublier l’origine des choses et, pour ce qui nous concerne, la ge-
n~se du droit d’auteur. II suffit alors de se retoumer, de lever les yeux vers les sicles
pass6s et il nous prend l’envie irr6sistible de s’isoler, pour un temps au moins, de la
cacophonie technologique. L’histoire, c’est le devenir au pr6sent. En comprenant no-
tre pass6 nous sommes capables d’appr6hender l’avenir. La r~gle de droit acquiert
ainsi sa permanence et sajustesse. L’histoire du droit c’est d6couvrir le pourquoi de la
r~gle, c’est retrouver un instant les valeurs et le mode de vie de nos anctres ainsi que
l’interpr6tation qui en 6tait faite par les juristes d’alors. L’histoire du droit d’auteur
c’est comprendre comment la science juridique s’est form6e autour d’un objet incor-
porel –
l’oeuvre. Le modile sacro-saint de la propri6t6 ordinaire joue ici un r~le fon-
l’61aboration des r~gles de ce que l’on nomme
damental puisqu’il a servi de tuteur
aujourd’hui la propri6t6 intellectuelle.
Jusqu’au d6but du XIC’ siicle, l’id6e d’une propri6t6 incorporelle 6tait difficile-
l’id6e de propri6t6 traditionnelle, deux
ment soutenable. Les pr6jug6s qui collrent
fois s6culaires, furent difficilement contoumables. Les travaux de GaTus et de Justi-
une meme conclu-
nien, et les ex6g~ses que leurs successeurs en firent, menbrent
sion : les choses incorporelles, parce qu’elles se prPtent mal 1’appropriation, ne peu-
vent pas faire l’objet d’un droit de proprid6t ordinaire. Ces principes forg~rent le socle
rigide des droits subjectifs de nature patrimoniale’.
Avec l’imprimerie, l’industrie du livre se mit progressivement en place. Les oeu-
vres allaient d6sormais pouvoir 6tre reproduites avec une facilit6 croissante, ce qui
permettait aux 6diteurs et aux imprimeurs d’esp6rer une augmentation proportionnelle
de leurs gains. De leur c6t6, les auteurs s’inqui6trent. L’imprimante rythmait les
perspectives de profit des seuls 6diteurs2. L’auteur qui se sentit alors spoli6, d6possd6,
se r6clama de son droit sur le fruit de son esprit. C’est 1’6volution des rapports entre
l’auteur et l’entrepreneur qui fait la complexit6 de cette 6tude. Le l6gislateur a dQ
‘ En th6orie civiliste, un droit subjectif est
nes les biens, 6 dd., Paris, Montchrestien, 1993 1 lap. 26.
211 faut ajouter toutefois que les premiers livres imprim~s dtaient pour la plupart des livres d’auteurs
inconnus ou des oeuvres collectives r&lig6es le plus souvent par des religieux. On citera ]a Bible
comme exemple ainsi que de nombreux ouvrages d’enseignement. Voir L.R. Patterson, Copyright in
Historical Perspective, Nashville, Vanderbilt University Press, 1968 , la p. 5. Ainsi la notion meme
d’auteur dtait fort diff~rente. Au XVr sicle, la transmission de l’information se faisait principalement
oralement. I1 n’6tait donc pas toujours dvident d’attribuer h un seul auteur la patemit6 de telle ou telle
pensde. Ce n’est qu’A partir du XVIII sidcle que la notion d’auteur se personnalisa pour ensuite se
cristalliser dans rindividualisme des Lumi~res.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 43
encourager le premier sans entrainer le second dans la ddconfiture. Uhistoire du droit
d’auteur et du copyright est oeuvre de compromis.
Nous verrons dans un premier temps les disconvenances conceptuelles engen-
drdes par l’adaptation du concept de propridt6 aux produits intellectuels. L’histoire du
droit d’auteur frangais vue
travers la notion de propridt6 est tr~s reprdsentative. Nous
en suivrons donc principalement son 6volution tout en soulignant les 6ventuelles con-
vergences qui peuvent apparaltre avec l’histoire du copyright (Partie I). Cela nous
permettra de drgager la notion de monopole nde des th6ories utilitaristes anglaises
(Partie I).
I. L’assimilation du droit d’auteur & un droit de proprit6
Le problme de savoir si le droit d’auteur est un droit de propridt6 s’est pr6sent6 4
plusieurs reprises dans l’histoire du droit d’auteur et du copyright. Les avatars du mot
m~me de propridt6>, A travers 1’6volution du droit positif, r6v~lent assez bien
d’ailleurs 1’enjeu que prdsente le choix terminologique. En mati~re de 16gislation,
deux 6vdnements principaux retiendront notre attention. Le premier nous transporte
au temps de la R6volution frangaise ; il s’agit des deux d6crets-lois de 1791 et 1793′.
Le second est l’adoption, le 10 avril 1709, de la loi d’Anne qui –
et c’est ici son titre
honorifique –
doit etre considdre comme I’an un du droit positif en mati~re de droit
d’auteur’. Le titre de la loi est tr~s explicite: An Act for the Encouragement of Lear-
ning, by Vesting the Copies of Printed Books in the Authors or Purchasers of such
Copies, During the Times therein Mentioned ‘. I1 n’est donc pas fait allusion h une
quelconque propridt6. Le choix des mots n’est jamais arbitraire quand il 6mane de la
plume d’un juriste.
Le d6cret-loi de 1791 traite du droit de representation, celui de 1793 du droit de
reproduction. Ainsi, dans un Paris 1ch par les flammes, au milieu de luttes fratrici-
des que ponctue l’incessant mouvement de la guillotine, le droit d’auteur est consa-
3 Nous omettons volontairement, pour l’instant, 1’6tape fondamentale que rdalis~rent les r&lacteurs
de la Constitution amrricaine de 1787 en y insrrant une importante disposition sur le droit d’auteur.
Nous y reviendrons plus loin dans notre 6tude.
” Pour une lecture historique du contenu de ces deux d~crets-lois, voir 0. Laligant,
‘ Sur l’histoire du droit d’auteur en France, voir A.-C. Renouard, Traitg des droits d’auteurs, t. 1,
Paris, Renouard, 1838. Voir 6galement M.-C. Dock, !tude sur le droit d’auteur Paris, Librairie g6n6-
intellectuelle, t. I, Paris, Mar-
rale de droit et de jurisprudence, 1963 ; H. Huard, Traiti de la ppritj
cha et Billard, 1903. Voir plus g6n6ralement, E. Pouillet, Trait thiorique et pratique de la proprid
littiraire et artistique et du droit de representation, 2 6d., Paris, Marchal et Billard, 1894 ; R.L. Daw-
son, The French booktrade and the <
ford, Voltaire Foundation, 1992 ; H. Falk, Les privileges de librairie sous l’ancien rigime : 6tude his-
torique du conflit des droits sur l’wuvre litt’raire, Gen~ve, Slatkine Reprints, 1970. Ds les premiers
jours de la Rdvolution frangaise, la libert6 des thitres fut tr s vivement proclam6e. Une deputation
d’auteurs dramatiques vint A la barre de l’Assemble constituante pour presenter une p6tition deman-
dant la reconnaissance corr6lative de leurs droits h autoriser la repr6sentation de leurs oeuvres.
L’article 4 de cette petition proposait l’adoption de la disposition suivante :
teurs demand&ent la reconnaissance des droits d’auteurs. De leur c6t6, les com6diens franqais te-
naient A conserver leur rdpertoire souvent acquis par contrats a titre onreux avec les auteurs eux-
‘appui de eurs revendications, ils diffus~rent un extrait des registres de la Com~die dans
memes. A
lequel 6tait signifi6 ‘achat des oeuvres. On pouvait y lire par exemple : <28 juin 1778. Cession par
madame Denis : 'Je soussign6e 16gataire et h~ritire de tous les biens et manuscrits de M. de Voltaire,
mon oncle, je c~le et abandonne en toute propri6t6 A MM. les Comddiens frangais tous les honoraires
que je suis en droit de prtendre, soit pour le present, soit pour l'avenir, des repr6sentations de feu
mon oncle"> (Renouard, ibid a lap. 307). Le 13 janvier 1791, le texte de loi fut vot6 et sanctionn6 par
le roi le 19 janvier en reproduisant presque h la lettre 1’article 4 de la petition. Le droit d’auteur dtait
n6, mais seulement au profit des auteurs dramatiques. En r6ponse a cette adoption, les com~diens fai-
saient des conditions plus dures aux auteurs, ce qui constituait une sorte de veto de representation et
une pratique se d~veloppa de reproduire sur du papier une piece dont la representation 6tait autoris6e
dans un th6ktre. Beaumarchais 6crivit alors a l’Assemblde 16gislative un texte A l’appui d’une seconde
p6tition : fOle voulus profiter du succbs d’un de mes ouvrages (Le Mariage de Figaro) qu’on d6sirait
jouer en province pour travailler b la r6forme du plus grand de tous les abus, celui de representer les
ouvrages sans rien payer h leurs auteurs> (Renouard, ibid a la p. 320). Le 24 juillet 1793 une
deuxi~me loi fit vot6e posant les bases du syst~me frangais actuel. Son article premier stipule : <[I]es
auteurs d'dcfits en tous genre[s], les compositeurs de musique, les peintres et les dessinateurs qui fe-
ront graver des tableaux ou dessins jouiront durant leur vie enti~re du droit exclusif de vendre, faire
vendre, distribuer leurs ouvrages dans le territoire de Ta R~publique et d'en c~der ]a propri6t6 en tout
ou partie., En posant ces principes g6ndraux, la loi ne disait pas en quoi pouvait consister la contrefa-
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MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL
[Vol. 43
La controverse fut alors de savoir, au-delM de l'emprunt terminologique de la no-
tion de proprirt6, si le droit d'auteur pouvait 8tre rdgi par la th6orie grn6rale de la
propridt6. Les syst~mes continentaux furent en effet tr~s marques par les conceptions
fig~es du code napolronien, conceptions elles-memes reprises du droit romain. Il suf-
fit de lire le Code civilfrangais pour se rendre compte qu'il est avant tout un recueil
de lois pour le petit proprirtaire foncier". Le droit romain a 6galement inspir6 les sys-
t~mes de common law, mais le copyright s'est d6tach6 bien plus de la notion de pro-
prirt6 pour trouver sa 16gitimit6 dans la notion plus 6conomique de monopole. Est-ce
4 dire que l'influence du droit romain s'estompe avec la distance qui s6pare le bassin
m6diterranren du Royaume-Uni ?
Au debut du XVIW sibcle, la France fut le berceau d'une riche 6mulation. De
nombreux juristes et penseurs se donn~rent comme mission de d6gager, de 16gitimer
ce droit naissant. L'histoire des ides juridiques frangaises nous servira donc de trame
principale. L'assimilation du droit d'auteur un droit de proprirt6 fut d'abord l'objet
d'une passionnante controverse (chapitre A). Nous montrerons ensuite que toutes les
recherches sur la nature de droit d'auteur ont servi
la fois la jurisprudence et le 16-
gislateur. Les juristes ont ainsi r6ussi drgager plus nettement, mais au fil d'un long
processus, la cat6gorie des droits sur un bien incorporel (chapitre B).
A. La controverse
La n6cessit6 de reconnaitre un droit aux auteurs sur leurs oeuvres est apparue tr~s
trt. Seulement, jusqu'au XVJI
sibcle, rares 6taient les textes qui pouvaient r6pondre
A cette attente. Le seul mod~le de droit subjectif connu A l'6poque 6tait celui de la
propri6t6 ordinaire. Son rdgime 6tait bien 6tabli et il semblait possible de l'6tendre aux
cr6ations intellectuelles. On parla alors de <
par lh l’identit6 de nature et de r6gime des propri6trs corporelles et incorporelles (1).
Renouard, le premier, critiqua cette analogie (2). I1 fut rejoint par les personnalistes
dont les th6ories ont permis de d6gager la nature particuli~re du droit d’auteur (3).
gon en dehors de la reproduction enti~re d’une oeuvre. Pour une excellente et exhaustive 6tude histo-
rique, voir Renouard, ibid. aux pp. 299-338.
‘0 Commentant le Code Napoleon, J.-M. Boileux 6crit <<[1]e droit de propri6td, cette base fonda-
mentale des ttats civilisrs, est donc au-dessus de toute constitution : mconnaitre un tel principe, ce
serait nier ]a socidt6 elle-meme : le 16gislateur peut rrglementer la propridt6, mais il ne peut la d6-
truire : son autorit6 ne va pas jusque-lM> (Commentaire sur le Code Napoldon, t. 2, 6′ &., Paris, Ma-
rescq Ain6, 1866 A ]a p. 653). Le Code civil fran~ais avait d’ailleurs introduit, dans son livre
deuxi~me, traitant <[d]es biens et des diff6rentes modifications de ]a propri6t>o, ]a loi du 11 mars
1957 relative A ]a proprirt6 litt~raire et artistique. A titre de comparaison, le Code civil diu Qudbec ne
ralise pas ce rattachement, mais certains articles concemant expressrment ]a proprit6 intellectuelle y
ont 6t6 ins&ds. L’article 458, qui r~gle le sort des biens incorporels dans ]a soci6t6 d’acquets entre
dpoux, 6nonce que <[l]es droits de proprirt6 intellectuelle et industrielle>> sont des biens propres.
Seuls les fruits et les revenus qui en proviennent sont acquits. L’article 909 conceme, quant a lui, les
biens dans leurs rapports avec ce qu’ils produisent. Aprbts avoir 6nonc6 que les biens se divisent en
capitaux et en fruits et revenus, le 16gislateur prdcise ]a place des droits de propiirt6 intellectuelle:
[i]e capital comprend aussi les droits de propri&6 intellectuelle et industrielle>.
1998]
RE. MOYSE – LA NATURE DU DROIT D’AUTEUR
513
1. Les theories du droit de proprit6 ordinaire
Faut-il parler de propritg intellectuelle ? Au XLX sicle, l’ensemble de la doc-
trine frangaise, encore tr~s enflamm6e par les id6aux des r6volutionnaires”, estimait
que la propri6t6 litt6raire et artistique 6tait, somme toute, une application particuli~re
de la proprit6’2. Pourtant, on ne parla pas encore de propri&t6 incorporelle. Le milieu
artistique de l’6poque se mobilisa pour soutenir cette doctrine et des auteurs de re-
nomm6e plaid~rent d’une plume 6loquente leur droit A une v6ritable proprid6t. Les
6crivains de cette 6poque se content~rent pour la plupart de paraphraser l’opinion de
Diderot :
son oeuvre, brandirent l’dtendard de la propri6t6, module et mere de tous les droits
subjectifs. En ces temps boulevers6s, les mots semblaient alors d6passer les ides. La
doctrine anglaise ne dissertera pas avec autant de v6h6mence sur la notion de pro-
pri6t6.
On soutiendra que l’ closion prcoce de la soci6t6 pr6-industrielle en Angleterre
donna cette inclination proprement 6conomique au copyright. L’histoire du copyright
aurait en effet ceci de particulier que ce fut les libraires et non les auteurs qui se
” Lors de la discussion du projet de loi devant l’Assembl e nationale, le rapporteur Le Chapelier fit
cette d~sormais cdl~bre remarque: <<[1]a plus sacre, la plus 16gitime, ]a plus inattaquable, et sije puis
parler ainsi, la plus personnelle des propri~t~s, est l'ouvrage fruit de la pens.e d'un 6crivain ; cepen-
dant c'est une propri~t6 d'un genre tout diff&ent des autres propridt6s (Renouard, supra note 9 A la
p. 309). Cette phrase nous 6claire-t-elle sur la nature du droit d'auteur franais ? Le professeur Jane
Ginsburg rapporte que cette citation est trop souvent sortie de son contexte : pour elle, l'id e princi-
pale exprim e par Le Chapelier dans son discours est celle du domaine public et non pas celle du
droit naturel de 'auteur. Commentant la c~l~bre formule de Le Chapelier, Mine Ginsburg 6crit :
<<[b]ut he said it respecting unpublished works. Once disseminated, Le Chapelier went to assert, the
manuscript is "give[n] over [to] the public [...] by the nature of things, everything is finished for the
author and the publisher when the public has in this way [through publication] acquired the work" >
(J. Ginsburg, A Tale of Two Copyrights: Literary Property in Revolutionary France and America>
(1990) 64 ThI. L. Rev. 991 aux pp. 1006-07). On rapprochera cette distinction entre l’oeuvre publi e
et l’oeuvre non publie avec l’analyse qui sera faite un peu plus loin des d&cisions Millar c. Taylor
(1774), 4 Burr. 2408, 98 E.R. 251 [ci-apr s Millar] et Donaldson c. Becket (1769), 4 Burr. 2303, 98
E.R. 201 [ci-apr~s Donaldson].
“2 Sur ce point, voir C. Colombet, Propriitj littdraire et artistique et droits voisins, 7′ 6d., Paris,
Dalloz, 1994 aux pp. 12-15.
‘” Cit6 dans Colombet, ibid A ]a p. 12. Cette phrase et tant d’autres que l’on trouve dans les ma-
nuels, ont contribu6 i v6hiculer une image erron e de l’histoire du droit d’auteur en France. Nous
rappellerons seulement ici que Diderot 6tait grand d~fenseur des libraires parisiens. Dans ce sens,
Mine Dock note, apr~s d’extensives et objectives remarques: <[i]l est curieux de voir ce champion de
Ia libert6 se faire l'interpr6te des libraires parisiens, c'est-A-dire du monopole et de l'usurpation, dans
Ia lutte qui les opposait aux partisans de Ia libert6 et du droib> (Dock, supra note 9
la p. 123). Le
professeur Strowel ajoute que ce sont les libraires parisiens qui avaient charg6 Diderot de r~diger un
texte afin de presenter leurs dol~ances au directeur de Ia Librairie. Un autre grand acteur dans cette af-
faire de la fin du XVIII fut Condorcet, qui estimait que les privilfges sont nuisibles au progr~s des
Lumi~res. Voir A. Strowel, Droit d’auteur et copyright : divergences et convergences, Bruxelles, Li-
brairie g6nrale de droit et dejurisprudence, 1993 A lap. 88.
514
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
r~clamrent du droit de proprit6″. Si l’on s’arratait ici dans l’analyse des deux sys-
t~mes, on pourrait ais6ment conclure une 6vidence trompeuse : c’est certain, le co-
pyright est assur6ment d6toum6 de l’acte de cr6ation et ce, au profit de l’agent 6co-
nomique, l’6diteur. Tout nous porte alors vers des conclusions hatives. On pourrait
dire, en effet, que la nature 6conomique du copyright tient tout simplement h
l’influence des libraires dang l’61aboration de ce droit. Ainsi, par comparaison, le droit
d’auteur de conception frangaise porterait en lui l’aura d’un respect quasi m6taphysi-
que de la protection de l’art, enfant ch6ri et sacr6 du g6nie. Point s’en faut ! L’histoire
du droit d’auteur et celle du copyright vue A travers la notion de propri6t6 sont fort
similaires. De chaque cot6 de la Manche, ce sont les libraires qui ont avanc6 h l’appui
de leurs pr6tentions l’id6e de la propri6t6, l’id6e d’un droit naturel de l’auteur sur son
oeuvre, afin de recueillir apr~s cession de l’oeuvre par contrat les pr6rogatives princi-
pales: celles de perp6tuit6 et d’exclusivit6. M. K6rver, poursuivant 1’analyse, 6crit:
[a]insi done, le droit d’auteur n6 de la Rdvolution frangaise, loin d’etre
d’essence personnaliste, est surtout inspir6 par des considdrations juridico-
6conomiques. C’est le XIXi~me sicle qui, par ]a jurisprudence consacr6e par
la loi du 11 mars 1957, va tirer le droit d’auteur vers son aspect personnaliste
[…] C’est dire que le droit d’auteur dessin6 par la R6volution frangaise ne se
distingue guere du droit d’auteur anglais ou am6ricain”.
Pourquoi alors utiliser le vocable opropri6t& si lourd de signification ? A suppo-
ser que l’emploi de l’expression
que 1’argument de la propridt6 16gitime de l’auteur
sur sa creation fut drfendu avec ferveur. Parall~lement, le XVII
si~cle vit apparaitre
la tendance des gens de lettre, et ce de mani~re de plus en plus pressante, de rclamer
ce qui leur 6tait 16gitimement dfM2. Les auteurs ne tard~rent pas h faire leurs les argu-
ments des avocats des 6diteurs.
L’avocat Louis d’H&icourt, dont les mrmoires furent publires en 1720,
s’appliqua ‘a drfendre les libraires parisiens, et ce faisant, avanga cette nouvelle thro-
ie qui reposait sur la propridt6 de l’oeuvre intellectuelle. Tout son raisonnement 6tait
fond6 sur la dialectique suivante : l’&crivain est proprirtaire de son oeuvre et c’est
cette proprirt6 toute enti~re que l’auteur transmet, avec tous ses attributs, ‘A l’diteur,
le principal attribut 6tant la perprtuit6. II crit :
[s]i les productions littraires tiennent le premier rang entre toutes celles dont
les hommes sont capables par rapport aux avantages qu’ils en tirent, elles doi-
vent se communiquer pour l’int6r&t commun. Si elles doivent se communiquer,
il faut que les auteurs les puissent faire passer d’autres par le canal de la vente
ou de l’6change; donc, les productions littraires sont au nombre des choses qui
tombent dans le commerce comme les autres productions de l’industrie; et par
une consequence ncessaire, les lois du royaume auxquelles le commerce et
l’industrie ont donn6 lieu pour assurer l’6tat des conventions, des citoyens, doi-
vent 8tre singuli~rement appliqures
celles qui se font entre les auteurs et les
libraires. Or, il n’est pas douteux que le proprirtaire d’une chose, en la faisant
passer un autre par le canal de la vente et de l’6change, transmet au nouveau
C’est William Caxton qui introduit l’imprimerie en Angleterre en 1476. Caxton avait L 1’6poque
l’appui de la dynastie des York. I1 est intressant de noter que ses affaires ont prosp&6r sans l’aide de
la Couronne. Le premier privilege accord6 en Angleterre date du 15 mai 1518. II fut accord6 pour une
durae de sept annres, par le doyen de l’Universit6 d’Oxford, alors chancelier d’Angleterre,
l’imprimeur. Le privil~ge dtait limit6 gdographiquement au domaine de l’Universit6 d’Oxford et .ses
alentours. I1 s’agissait d’un commentaire de L’ithique d’Aristote. Voir E. Armstrong, Before Copy-
right, Cambridge, Cambridge University Press, 1990 bt lap. 10. Pour les premiers dfveloppements du
copyright, voir E.S. Drone, A Treatise on the Law of Property in Intellectual Productions in Great
Britain and the United States, South Hackensack (New Jersey), Rothman Reprints, 1972.
,’ Mme Davies 6crit : <<[a]s in England, it was the booksellers who first invoked the rights of the authors in a dispute which pitted the booksellers of Paris against those of the provinces, who argued that prolongations of privileges were contrary to the public interest> (supra note 16 A lap. 75).
20 On remarque encore jusqu’au XVIIr sice l’absence de 1gislation specifique. Les int6rits p~cu-
niaires de l’auteur restaient dans la sphre des conventions particuli~res entre ‘auteur et l’&liteur. Le
droit tel que nous le pensons aujourd’hui n’avait pas encore sa place. Mme Dock 6crit: <<[s]uivant les
termes de Ihering, le droit est un intdni juridiquement protg6. Or, cet int6r&t n'existait pas toujours. >
Voir Dock, supra note 9 aux pp. 41-48, 83-85. Voir dgalement l’int6ressante analyse de E. Earle, <
Earle note qu’A partir du XVIII sidle le rrle de l’artiste devint de plus en plus important: <
516
McGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
possesseur les memes droits qu’il avait sur ]a chose dont il se d~pouille […]
Donc, un libraire qui a acquis un manuscrit […] et obtenu un privilege pour
l’imprimer doit demeurer perp6tuellement propri6taire du texte de cet ouvrage
[…]21″
Les auteurs s’empar~rent tr~s vite du raisonnement de l’avocat : il n’6tait pas
question de confdrer ad vitam aeternam i un
le monopole
d’exploitation d’une oeuvre. En 1750, Lamoignon de Malesherbes, nomm6 directeur
grn6ral de la Librairie, prit i coeur les revendications de ces derniers, et r6digea un
m6moire dans lequel il d6fendit la proprirt6 littdraire des auteurs. Il reprit la th6se de
Louis d’Hricourt pour drfendre cette fois les auteurs. Les oeuvres 6tant le fruit de
leurs genies, il n’est pas convenable de les en d6possrder. L’auteur doit disposer de
son oeuvre comme il l’entend.
libraire unique
Un sch6ma parfaitement identique peut etre retrouv6 dans l’6volution des ides en
Angleterre et notamment dans les arguments avanc6s par les avocats des stationers de
Londres. Les travaux des 6conomistes et des philosophes anglais de cette p6riode
donnbrent nombre d’idres nouvelles, qui servirent ?i soutenir des theses souvent oppo-
sees. La throrie de la proprirt6 sur la production intellectuelle fut notamment inspir6e
par les travaux de Locke. Le travail intellectuel, pareillement au travail manuel, fort de
son caract~re hautement personnel, justifie la place d’un droit de propri6t6 au profit de
l’auteur’. Les throriciens de la propri6t6 traditionnelle ne manqu6rent pas de repren-
dre la throrie pour drfendre leur cause. Acollas exposa que <[t]oute valeur est la pro-
pri6t6 de celui qui l'a produite par son travail intellectuel ou manuel>>2 . Ainsi donc, au
XVI
sicle un large courant doctrinal faisait sienne la thorie de la propri6t6 sur les
oeuvres de l’esprit.
Cependant, on s’est aper~u trbs trt en France que cette propridt6 6tait plus com-
plexe et bien diff6rente de la proprirt6 classique telle qu’elle est expos6e dans l’article
544 du code civil ‘ . La jurisprudence frangaise du debut du XIX
sidcle sanctionnait
21 Citd dans Dock, ibid aux pp. 116-17.
22Voir ibid. A lap. 124.
2 Sur l’influence de Locke en France, voir Strowel, supra note 13 aux pp. 185-87. Le professeur
Strowel rappelle que Siey~s, qui d~posa le premier projet postrieur A la Rdvolution en mati~re de
propri&6t
littrraire, s’inspira des ides de Locke. Sieys dcrit : <[l]a propri~t6 de sa personne est le
premier des droits. De ce droit primitif drcoule ]a proprirt6 des actions et celle du travail [..]k (ibid. "1
lap. 186).
2 Citd dans P Recht, Le Droit d'Auteur, une nouvellefonne de proprieti, Gembloux, J. Duculot,
1969
lap. 49. Acollas est l'auteur d'un ouvrage important au XIX si~cle intitul6 La propritd littd-
raire et artistique. Cet ouvrage fut publi6 en 1886. I ne fait aucun doute que les travaux de Locke
aient 6t6
l'origine des conceptions d'Acollas.
S' Uarticle 544 du Code civilfrangais 6nonce que <<[l]e droit de propritd est le droit dejouir et dis-
poser des choses de Ia mani&e la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohib6 par les
lois ou par les r~glements>>. Ripert faisait remarquer que le droit de propridt6 tel que le code civil le
d~finit ne s’applique qu’aux choses corporelles. Parce qu’il ne faut pas <
tait que l’on parle de propritd intellectuelle pour rappeler qu’il existe des biens incorporels suscepti-
bles d’appropriation. Voir M. Planiol et G. Ripert, Traiti pratique de droit civil franfais, t. 3,
2! &l., Paris, Librairie g6nrale de droit et de jurisprudence, 1952
lap. 566. Ripert notait 6galement
1998]
RE. MOYSE – LA NATURE DU DROIT D’AUTEUR
les atteintes diverses au droit d’auteur sur le visa de l’article 1382 du meme code. Cet
article pose le principe de la responsabilit6 d6lictuelle : <<4t]out fait quelconque de
l'homme, qui cause t autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arriv6
t le rdparer.> On imagine alors la difficult6 de caractdriser la faute et le dommage et,
en particulier, d’estimer le prjudice subi. Le recours ha la thforie gdn6rale de la res-
ponsabilit6 d6lictuelle ne rendait pas compte de la particularit6 de la mati6re et, sur-
tout, il ne fixait pas le droit dans un droit positif. I1 s’agissait M souvent de construc-
tions prdtoriennes qui trouv~rent leur accomplissement dans la thdorie de la concur-
rence ddloyal&’ . On comprendra donc qu’t ddfaut de r~gles sp~cifiques, la premiere
tendance des juges fut d’appliquer les r~gles du regime de la propridt6 rdelle27.
Le mouvement ne tarda pas t s’inverser. Les fondements des thdories en faveur de
1’assimilation h la propridt6 ordinaire furent contest~s par une partie importante de la
doctrine. On se souvient que le l6gislateur rdvolutionnaire ne s’dtait gu~re souci6 de la
terminologie, et employa le mot proprift6 dans le corps des textes 16gislatifs de 1791
l’auteur
27 Un arr~t de la Cour de cassation de 1842 jugea que la vente d’un tableau devait 8tre assimile A
celle de tout autre objet. Un peu plus tard elle proposa une dffinition du droit d’auteur qui tdmoigne
de l’influence des tenants de la propri&t6 ordinaire sur lajurisprudence : <[1]a propri6t6 litt6aire et ar-
tistique, essentiellement mobili~re, a le m~me caract re et doit avoir le meme sort que tout autre genre
de proprift6, moins Ia limitation que l'intdalt public a fait apporter h sa dur6e. Une telle propri6t6 est
meuble dans sa valeur principale comme dans ses produits et doit comme tel accroitre l'actif de la
communautd.>> Cass., 16 aofit 1880, D.P. 1881.1.25 [ci-apris Masson]. Dans cette affaire, il s’agissait
de savoir si une composition littdraim devait tomber dans la communaut6 l6gale et faire partie de
‘actif de la communautd, A la suite de la mort de son auteur ou du conjoint. Nous ne rsistons pas h la
tentation de citer un extrait d’un commentateur rapportant l’expos6 du conseiller Latour devant la
Cour : [pluisque la propri6t6 littdraire et artistique est mobilire, et que les 6poux sont communs en
biens, il est clair que l’oeuvre du mad tombe dans la communaut ; sans doute, cette oeuvre de la
pens~e est ]a plus personnelle de toutes ; mais tandis que le man 6tait occup6 A ses compositions, la
femme se dfvouait, de son c~t6, aux soins du manage, h ‘&lucation des enfants […]. Le mari a re u
ses soins, il en ajoui, il en a profit6. La femme doit aussi avoir son lot dans l’honneur et l’dmolument
des oeuvres de son man. C’est le digne prix de sa prifdrence pour lui>> (ibid. A lap. 28). Les cours in-
f~rieures avaient 6galementjug6 en ce sens. La cour d’appel de Bourges dans un jugement du 14juin
1844 parle d’un <
1853, D.P. 1854.11.25).
McGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
et 1793″. Dans ce feu d’artifice d’id6es, il fallait bien accrocher la loi A une cocarde
quelconque ! Le mot <
suffisamment et le retour au droit naturel romain qui portait l’aura d’un Age d’or r6-
volu et 1’id6ologie lib6rale d6gag6e par la philosophie des Lumires. Sans propri~t6,
point de salut donc. Le 16gislateur r6volutionnaire voulut mettre au-dessus de toute
discussion les droits nouveaux qu’il venait d’adopter. Pour casser le moule des privi-
leges, il fallut non seulement vivre la nuit du 4 aoQt qui marque symboliquement la fin
de l’Ancien Rgime, mais encore poser les fondements d’un droit 6galitaire et univer-
sel. C’est dans ces exc6s de mots que le droit d’auteur a 6t6 acclam6 et salu6 comme
un droit de propri6t6, aussi incontestable que le droit naturel ‘ . Se r6f6rant A cette p6-
riode, Desbois notait : <<[c]'est par un abus de langage que, sous l'influence des cou-
rants oa le sentiment tenait plus de place que la pens6e, l'expression "litt6raire et ar-
tistique" 6taitjadis d'un usage courant>>”.
En revanche, d~s le milieu du XIC’ si~cle, le sort du vocable de <
prit > des auteurs d’&rits en tout genre, des compositeurs de musique, des peintres et des dessina-
teurs.
M. Daniel Bcourt commentant cette p6riode de ‘histoire, 6crit : <[c]'en est fmi du privilege qui
n'est pas un droit, mais "une grace fond6e en justice". Certes, selon 'expression du temps, demeurant
n~anmoins L la discr6tion du prince, voici en effet que Ia souverainetj sans partage d'un monarque de
droit divin se voit transmise A la nation, et en meme temps, substitute par celle du cr~ateur-d6miurge,
investi
son tour d'un droit inviolable et sacr&> (D. Bdcourt,
H. Desbois, Le droitd’auteur, 1″ &., Paris, Dalloz, 1950 au n 232.
‘ Voir Recht, supra note 24 aux pp. 54-56. L’auteur releve trois causes principales: le terme dtait
devenu impopulaire A un moment oa le prol6tariat r~clamait des mesures sociales ; de nombreux
commentateurs soulignaient qu’il ne fallait pas perdre de vue le caract~re sacr6 de la production in-
tellectuelle, production qui est par essence diffdrente de la production industrielle pour laquelle ]a no-
tion de propri6t6 6tait fort utile ; enfin, certains craignaient qu’en qualifiant le droit d’auteur de droit
de propri6t6, on n6gligeait 1’ensemble des pr&ogatives morales.
32 Voir Cass., 25 juillet 1887, D.P. 1888.1.1 [ci-apr~s Cass., 25 juillet 1887]. Voir Colombet, supra
la p. 12. Cet arr& a 6t6 rendu un an apr~s ]a signature de la Convention de Berne pour la
note 12
protection des oeuvres littiraires et artistiques, 9 septembre 1886, R.T. Can. 1948 n 22, 828 R.T.N.U.
221 [ci-apr~s Convention de Berne]. Et c’est certainement dans cet esprit que les juges ont prdcis6 que
droits d’auteurs et le monopole qu’ils contrent, d~signs d’ordinaire sous la d6nomination de
<<[lies
propri6t6 littraire, ne constituent pas, L proprement parler, une propri~t6 ; ils conftrent seulement aux
personnes qui en sont investies le privilge exclusif d'une exploitation commerciale temporaire .
" Loi nd 57-298 du 11 mars 1957 sur la propriftj littiraire et artistique, J.O., 14 mars 1957, 99,
Gaz. Pal. 1957.1 'sem.L6g.199. Cette Toi renoue avec ]a terminologie traditionnelle. Le mot
C.P.I.) et aux art. 10, 12 et 13 (art. L. 113-3 L. 113-5 C.P.I.).
1998]
RE. MOYSE – LA NATURE DU DROIT D’AUTEUR
519
alors peu certaine de la terminologie de <
artistiques>. Cette expression rrsulte d’un compromis entre les conceptions frangaise
et al-
–
lemande – Urheberrecht, qui signifie droit d’auteur. La notion de propri6t6
n’apparaItra que plus tard, en 1967, h l’occasion de la creation de I’O.M.P.I’ et no-
tamment dans le corps du texte fixant ses fonctions. II 6tait express6ment rappel6 que
I’O.M.P.I. se devait d’
Ce fut Renouard, 6minent juriste du XIC sikcle, qui fit l’6tude la plus complte
sur la nature du droit d’auteur. C’est h l’occasion de ces d6veloppements drtaillrs
qu’il critiqua l’emploi du mot
for the Protection of Literary and Artistic Works: 1886-1986, Londres, Centre for Commercial Law
Studies, Queen Mary College, 1987.
3 En fait, le texte du 9 septembre 1886 porte le nom de Convention de Berne concernant la criation
d’une Union internationale pour la protection internationale des oeuvres littgraires et artistiques.
Voir sur ce point H. Desbois, A. Frangon et A. K&r6ver, Les conventions internationales du droit
d’auteur et des droits voisins, Paris, Dalloz, 1976 aux pp. 10-12.
” Organisation mondiale de la proprirt6 intellectuelle.
3’ Desbois, Frangon et Kdr6ver, supra note 35 h lap. 58.
” Nous pouvons ici faire un parallNle avec les r~flexions de Ripert, qui soulignera plus tard la fonc-
tion sociale de la propri&t6, sans pour autant drnier au droit de proprit6 son caract~re subjectif. Citant
notamment d’6minents scientifiques comme Duguit et Josserand, il s’accorde h dire avec eux que
‘6volution du droit de proprirt6 va dans le sens de l’amoindrissement de sa valeur, soit en limitant
son exercice, soit en soustrayant
son emprise des biens 6conomiquement importants. Voir Planiol et
Ripert, supra note 25 L la p. 15. La notion de fonction sociale est selon nous reprise en droit d’auteur
sous l’idOe de l’int&& du public.
39Renouard, supra note 9 A la p. 460.
Renouard 6crit encore que <<[1]e respect pour la propri6t6 est l'une des bases de l'ordre social; mais ce n'est pas ]a base unique sur laquelle l'ordre social repose> (ibid A ]a p. 457).
520
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
lui, et en s’appuyant sur les prrceptes kantiens”, les productions de l’esprit sont des
choses insusceptibles d’appropriation. Bien au contraire, la transmission des ides au
public est une des conditions essentielles du progr~s de l’humanit6 toute enti~re. On
ne saurait soutenir que le droit d’auteur puisse avoir le caract~re de perp6tuit6, condi-
tion et corollaire de la proprirt6 ordinaire. Malgr6 tout, et c’est 1i un point tr~s r6v6-
lateur de la formation des ides de 1’6poque, il admettait que la vente d’un livre
n’avait pas les memes effets que celle d’une propri6t6 ordinaire. Bien plus encore, il
mettait en garde de ne point confondre le livre mat6riel et le contenu intellectuel du li-
vre”. Renouard refusait seulement de voir en une production intellectuelle l’objet d’un
droit de proprirt6. Pour en arriver A cette position, il commenga ii ddmontrer que la
pensde de l’homme n’est pas susceptible d’appropriation. La pensde est tout simple-
ment propre
t chaque homme. On ne peut l’en drpossdder. Il en drduisit que
l’acceptation 16gale de proprirt6, si elle ne pouvait s’appliquer ? la pens6e elle-mame,
ne pourrait pas s’appliquer A une portion de celle-ci. En parlant de portion, il d6signa
les oeuvres de l’esprit. Ainsi seule la mati~re dans laquelle <
Renouard combattait l’idre de propri&6t d’une chose, selon lui <
avec d’autant plus de conviction qu’il y voyait ‘appauvrissement de l’humanit6 toute
enti~re. Cela lui semblait pure utopie. Les productions de l’intelligence sont comme le
feu ou l’eau : elles sont universelles, nul n’est cens6 en 8tre propri6taire”. Pierre Recht
dira que Renouard confondait le fondement du droit avec sa nature” . Quoi qu’il en
soit, toutes les rrflexions de cette 6poque m~neront 4 cette conclusion que le droit de
proprirt6 classique 6tait insuffisant pour rendre compte de l’ensemble des pr6rogati-
yes dont on cherchait garantir les auteurs. Dans la seconde moiti6 du XIX si~cle
apparut un courant de pens6es qui tenta de faire d6river toutes ces prerogatives d’un
droit de la personnalit6: il s’agit des th6ories dites personnalistes.
3. Les th6ories personnalistes
Ces theories semblent avoir 6t invent~es uniquement pour contredire le syst~me
de proprirt6 traditionnelle, et notamment, comme le relive le professeur Andr6 Lucas,
((Kant, in formulating a general theory of authorship norms, relied on a somewhat less expansive
view of self-expression. He observed that authors expressed their own thoughts, though not necessa-
rily their personalities, in their “discourse”. For Kant, authors had no property right in such self-
expression, that is, no right such as might be claimed in tangible things or land, but they did have
some right to control the communication of resulting texts>> (PE. Geller,
d’auteur 6tait ainsi assimil6 it un droit de la famille ou de nationalit6.
En Allemagne, et suite aux travaux de Kante, on vit apparaitre de semblables
th6ories. En particulier, Otto Gierke d6veloppa la thorie de 1′ Urheberpersdnlichkeitrecht.
Gierke ne s6parait pas nettement les droits de la personnalit6 des droits patrimoniaux.
Ce qui est certain, c’est que les int6rets mat6riels et les intr&ts moraux –
compo-
santes essentielles du droit d’auteur –
rentraient dans les droits de la personnalit6.
Voici comment Gierke caract6risait ces droits :
[il]es droits de Ta personnalit6 sont de leur nature intransmissibles. II est toute-
fois possible de c&ler A un tiers l’exercice, voire Ta substance, de certains
d’entre eux, totalement ou partiellement. […] Quand un transfert a lieu, le droit
, Voir A. et H.-J. Lucas, supra note 16 . la p. 29, n. 185. tgalement, b titre d’illustration, voir
l’affaire Masson, supra note 27.
Morillot va plus loin que Berthaud : il passe m~me pour 6tre l’inventeur du terme de droit moral.
Pour lui, le droit de publication n’est que 1’exercice de sa libert6 personnelle. Le droit de l’auteur a un
fondement purement moral.
,9Cit par P. Roubier,
“Selon le professeur Troller, Kant 6tait partisan d’un droit de Ia personnalit6 de l’auteur. Pour Kant,
en effet, l’&liteur s’adresse au public au nom de l’auteur, au moyen de chaque exemplaire de son ou-
vrage. Troller ajoute que c’est le prestige de Kant et non sa connaissance en droit qui servit A r6pandre
cette th~orie. Voir A. Troller, ((R6fldxions sur l’Urheberpers6nlichkeitrecht,
la p.
305. I1 serait malhonnte de lire dans les textes de Kant une r6elle thdorie des droits de propri6t6 in-
tellectuelle. Chacun trouve dans la philosophie ce qu’il veut bien y voir. Certains parrall~es peuvent
effectivement 8tre faits entre la th~orie de Renouard et la pens6e de Kant mais il faut se garder d’aller
plus loin. Renouard, bt ]a suite de Locke, parle de travail et d’utilit6 sociale. Kant au contraire justifie
la propridt6 priv6e par l’idfe d’une possession empirique des choses. L’homme s’inscrit dans ce rap-
port personne-chose comme juridiquement maitre (Herr) du monde ext~rieur. Pour lui, la propridt6
priv~e n’est d’aucune mani~re fond6e sur le travail.
ris, Presses universitaires de France, 1988 aux pp. 55-56).
(1960) D.A. 304
522
MCGILL LAW JOURNAL / REvuE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
personnel passe avec lui A un autre titulaire et devient pour celui-ci un droit in-
h&ent A sa personne. En cas de transfert constitutif, un nouveau droit personnel
nait de celui qui reste k l’ali6nateur; ce nouveau droit accroit le pouvoir person-
nel de l’acqu6reur et se trouve A 1’6gard du droit de l’alihnateur dans un rapport
analogue A celui qui existe entre un droit reel restreint et le droit de propri6te.
l’dditeur –
L’analogie avec la propri6t6 pleine et ses d6membrements est int6ressante. Dans
l’esprit de Gierke, le droit principal sur la chose immat6rielle restait une pr6rogative
de 1 auteur, mais il pouvait en c6der des attributs. Le droit exclusif du cr6ateur 6tait de
disposer de sa publication et de sa reproduction. Par disposer, on entend assur6ment la
libert6 de cder un tiers –
et selon des conditions pr6d6termin6es le ou
les droits d’exploitation de rouvrage. Dans cette conception, le droit d’auteur a pour
objet l’oeuvre intellectuelle, prolongement de la personne de l’auteur. Si pour lui le
droit d’auteur est un droit de la personnalit6, il n’en est pas moins vrai qu’il a pour ul-
time fonction de rendre
son titulaire la maitrise sur un objet incorporel. Le profes-
seur Troller souligne que la terminologie retenue par Gierke – Urheberpersdn-
lichkeitrecht – m6ne des malentendus. I1 aurait 6t6 plus juste d’employer, en lieu et
place, 1’expression de <(propri6t6 intellectuelle >“. Les droits de la personnalit6, tels
que compris par Gierke, 6taient d’acception tr~s large, ce qui lui permettait d’y enve-
lopper les pr6rogatives r6sultant des droits patrimoniaux”.
En cette fin du XD
si&cle donc, aussi bien en France, en Belgique ou en Alle-
magne, on constate un bouillonnement sans prdc6dent d’id6es A travers lesquelles il
est bien difficile de s’y retrouver A moins d’etre historien du droit. Ce n’est pas notre
prtention. Nous nous sommes attard6s
relever les id6es qui fondaient les applica-
tions possibles de la notion de propri&t6 au droit d’auteur. Les th6ories personnalistes
ont permis de souligner l’impropri6t6 du concept de propri6t6 classique en mati~re
d’oeuvres de l’esprit. Elles ont propos6 une solution et ont particip6 activement au d6-
veloppement de la propri6t6 intellectuelle qui, on ne peut le nier, reste la plus
personnelle de toutes les propri6t6s. On notera 6galement que les th6ories personna-
listes sont d’origine continentale, les juristes anglais s’dtant peu intdressds t la question.
Toute cette effervescence intellectuelle n’a eu pour objectif que de mieux cemer
le d6veloppement des industries n6es de l’exploitation des produits incorporels. Or,
cet effort s’est heurt6 it l’immobilisme des id6es qui sont figes dans de stricts con-
cepts. Celui de la propri6t6 6tait l’un d’entre eux. Ainsi, les juristes les plus brillants,
habitu6s i ne voir la propri6t6 que sous forne palpable, tangible, se sont difficilement
0. Gierke, Deutsches Privatrecht, Leipzig, 1895 A ]a p. 708. Traduction du professeur Troller,
ibid. A lap. 305.
” Voir ibid. Alap. 310.
52La conception de Gierke entre dans la conception dite moniste du droit d’auteur. Dans celle-ci
aux antipodes de la conception dualiste –
l’oeuvre apr s sa publication n’est pas une valeur 6cono-
mique; elle est l’dmanation de ]a personnalit6 de son auteur. Les profits n~s de l’exploitation entreront
dans un patrimoine –
comme les dividendes d’une action – mais le droit restera inseparable de ]a
personnalit6 de l’auteur. Dans la conception dualiste, d~s la publication, un droit de nature patrimo-
niale apparalt. Les pr&ogatives pcuniaires et morales se d6veloppent plus ou moins distinctement.
Voir Desbois, supra note 30 au n 222.
1998]
RE MOYSE – LA NATURE DU DROIT D’AUTEUR
accoutumr6s
la reconnaitre sous une forme immatrielle. Encore aujourd’hui, de
nombreux arrets illustrent la confusion, trop frdquente, entre la proprirt6 du support
de l’oeuvre et celle de l’oeuvr’.
B. La distinction entre la propridt6 mat6rielle et la proprit6
incorporelle
La distinction entre la propridt6 matrielle et la propridt6 incorporelle est relati-
vement moderne dans l’61aboration des normes juridiques. Si, t juste titre, elle rrv~le
un corps de r~gles sp6cifiques, et indrpendant du rdgime de proprirt6 traditionnelle, il
ne faut pas croire qu’elle soit le fruit d’un phrnomne stochastique ! Apr~s la d~cou-
verte de l’imprimerie au XV’ sicle, il fallut organiser la commercialisation des livres.
Partout en Europe, des privileges accordds par les princes fond~rent le droit de
l’auteur ou de l’&diteur. Plut6t que de droit d’auteur, il faut parler de privileges de li-
brairies” . Ces concessions accordres par le prince permettaient a un imprimeur de re-
vendiquer un droit exclusif de reproduction. I1 fallut attendre cependant la fin du
XVI
sicle pour que la guerre entre les libraires fasse 6clater au grand jour les int6-
rts que la mati~re mettait en jeu. Le manuscrit 6tait le seul et unique objet de droit, si
bien qu’une fois crd6 h l’6diteur, il lui appartenait de plein droit. Cette proprirt6,
pleine et absolue, n’a jamais 6t6 contestde. La tradition suivait simplement les r~gles
classiques de la vente mobilire. Cependant, aussi parfaite qu’elle eut t6, cette pro-
pri6 ne suffisait pas pour contrOler le march6 du livre car les exemplaires tirds du
manuscrit original pouvaient atre rrgulirement achetrs et ensuite recopids puis rrim-
primes par un concurrent. Les livres ainsi r~alisds n’6tant ni le manuscrit lui-mame, ni
un bien sur lequel l’6diteur pouvait rdclamer son droit de propridt6. L’tditeur brndfi-
ciait tout au plus d’un avantage de premiere publication, 6tant le seul a poss6der
3 Voir Aliments Krispy Kernels Inc. c. Morasse (28 janvier 1993), Arthabaska 415-05-000185-909,
415-05-000130-905, J.E. 93-736 (C.S.) o4 la Cour sup&ieure du Quebec fit ricemment saisie d’une
affaire concemant Ia titularit6 du droit d’auteur sur un programme d’ordinateur. Le conflit opposait un
employeur et son employ6. Pour rgler cette question de droit d’auteur, Ta Cour drcida que l’original
devait revenir au crateur (l’employ6) et les copies k 1’employeur, 6vitant de statuer sur la question de
savoir h qui appartenait l’oeuvre reproduite dans chacune des disquettes.
, D’ailleurs, selon Roubier, ce privilege permettait It celui qui l’invoquait de b~n~ficier d’un avan-
tage 6conomique, mais toujours rvocable par le prince. I1 s’agissait donc d’une vdritable faveur qui
drrogeait au droit commun. Les droits intellectuels furent ainsi limitrs par le pouvoir r~galien. <(H
nen est pas moins vrai, cependant, que c'est de ces privileges que devaient naitre un jour les droits
intellectuels [...]> (Roubier, supra note 48 b, la p. 252).
” Voir en droit frangais,
‘historique de M.-C. Dock dans <
R.I.D.A. 91. Voir 6galement la reproduction d’un privilege de 1523 accord6 pour dix ann6es par le
Roi Frangois I’ h Geoffroy Tory pour l’&ition du Champ Fleury, (1964) 43 R.I.D.A. 153. Si effecti-
vement les privifeges de librairie apparaissent en Europe t la mame 6poque, cette uniformit6 de faits
n’efface pas les particularismes. Ainsi, en Angleterre, par exemple, il 6tait possible d’obtenir du roi le
droit d’imprimer tous les livres d’une meme catrgorie. Richard Tottel brnrficia en 1553 d’un tel pri-
vilege pour les livres de Common Law. Voir I. Feather, From Rights in Copies to Copyright: The
Recognition of Authors’ Rights in English Law and Practice in the Sixteenth and Seventeenth Centu-
ries)> (1992) 10 Cardozo Arts & Ent. 455 aux pp. 456-57.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
l’original. Le concurrent pouvait reproduire l’oeuvre ne faisant l’objet d’aucun droit
exclusif de reproduction par ses propres moyens. C’est pour cela que les 6diteurs –
les libraires –
allaient tr~s vite rrclamer un monopole d’exploitation sur ce qui fait ]a
valeur du livre cette fois : son contenu. On mettait ainsi en relief la n6cessit6 de de’-
terminer le regime juridique de l’objet incorporel. Ce fut lIA une 6tape importante dans
la grn6ration d’un droit sp6cifique distinct du droit sur le support. Pour comprendre le
lent processus de cr6ation du droit d’auteur, il faut revenir au temps des anciennes ci-
vilisations. Nous croyons, en effet, que le concept romain de propri6t6 ou de doini-
nium, fortement ancr6 dans la possession physique d’une chose, est une des causes
principales de la consecration tardive d’un droit d’auteur, d’un droit sur une chose in-
corporelle, et ce, aussi bien dans les syst6mes de copyright que dans les syst~mes
continentaux (1). L’h6ritage du droit romain est effectivement pr6sent dans l’ensemble
des socirt6s modernes”. Pour asseoir la place des droits de propri6t6s intellectuelles h
c6t6 des autres droits plus classiques, certains juristes ont propos6 de cr6er une cat6-
gorie distincte de droits patrimoniaux (2).
1. Le concept de propri6t6 en droit romain
Certains historiens rapportent qu’A l’6poque du r~gne des Ptolrm6es (323 A 30 av.
J.-C.), dans la Rome Antique, celui qui copiait une oeuvre d’un auteur c6l~bre 6tait
immrdiatement jug6 au m~me titre qu’un vulgaire voleur et expuls6 de la cit”. Y
avait-il un quelconque germe de proprirt6 intellectuelle ? Sans rentrer dans les d6bats
autour de la date de l’origine du droit d’auteur, nous soulignerons qu’en ces temps re-
cul6s, l’auteur ne crrait pas pour la simple reconnaissance populaire. Un syst~me em-
bryonnaire de droits et de privileges lui permettait d’etre r6mun6r,
sinon de b6n6fi-
56 Concemant l’influence du droit romain sur les civilisations modemes, voir R. David, Introduction
a I’dtude du droit privd de l’Angleterre, Paris, Sirey, 1948. L’auteur &drit notamment: [lie droit ro-
main, par exemple, a 6t6 plus ou moins ouvertement utilis6 A diverses 6poques pour combler les lacu-
nes de la common law, et aujourd’hui encore il n’est pas rare de voir invoquer le Digeste et citer Papi-
nien A la barre d’un tribunal anglais […]>> (ibid. ]a p. 159). Les auteurs s’accordent A reconnaltre ce
trait de nos syst~mes modernes. La civilisation grco-romaine n’a pas seulement produit un corps de
pens~e sur le monde, mais 6galement un art du droit, c’est-t-dire la crdation de normes en vue de
l’organisation d’un certain type de socit6. 1 ne faut pas oublier ]a part importante que prit l’tglise
dans ]a diffusion du droit romain. Le christianisme fut, dans ce sens, l’outil de sa propagation, de
l’Allemagne A l’Italie, de la France A l’Angleterre et plus tard, au-delA de l’Atlantique. Pour un aperqu
trbs intfressant sur ce point, voir M. Villey, Le droit romain, Paris, Presses universitaires de France,
1964.
” Voir les propos de H.C. Streibich, cites par M. Vukmir, dans
1998]
RE MOYSE – LA NATURE DU DROIT D’AUTEUR
525
cier d’un statut de faveur aupr~s du prince. Mme Marie-Claude Dock infere cette pro-
position de quelques t6moignages, que l’histoire apporte jusqu’ nous :
[s]’agissant des honoraires d’auteur, Cic&on, dont la correspondance est une
source de renseignements les plus pr6cis et les plus sfirs sur ]a soci6t6 romaine,
nous. laisse presumer que des conventions relatives
I’cdition de ses oeuvres
6taient conclues entre lui et son cditeur Atticus8 .
On relive durant cette p6riode une r6elle volont6 de prot6ger le d6veloppement
des arts dans la cit6, mais l’id6e m~me de proprift6 intellectuelle ne semble pas avoir
sa place dans 1′ ordre juridique inteme. L’ide de propri6t6 en droit romain est celle de
la fois le droit et la chose ‘ . Dans l’6tat primitif de ce
dominiume, terme qui d6signe
droit, les choses 6taient au premier occupant. Ce n’est que par la suite que la proprit6
est devenue non plus un fait naturel mais un droit, consacrant ainsi, inddpendamment
de la d6tention, un rapport juridique 16gitimant le pouvoir d’une personne sur une
la pro-
chose. II n’est alors pas surprenant qu’entre les multiples formes d’accession
print6, la premiere soit l’acquisition par l’occupatio : elle constitue un droit naturel
sur une chose mat~rielle 2. A l’image de Cicron, la majorit6 des philosophes romains
“B Dock, <
terworths, 1989 A ]a p. 4). En effet, l’utilisation de ce terme romain mrne directement bL une amphi-
bologie. A aucun moment les glossateurs n’ont rapport6 la possibilitd d’un dominium sur une chose
incorporelle.
6 Sur ]a propri&6t et le droit romain, voir g6ndralement A.-E. Giffard, Pricis de droit romain, t. 1, 4!
6d., Paris, Dalloz, 1953 aux pp. 324-426 ; Villey, supra note 56 aux pp. 79-84 ; C. Accarias, Pr6cis de
droit romain, t. 1, 4! 6d., Paris, Pichon, 1886 aux n7 199-209.
6′ Accarias en compte sept: la mancipation, l’injure cessio, la tradition, 1’usucapion, 1’adjudication,
]a loi et l’occupation. Selon Ga’us, seules l’occupation et la tradition appartiennent au droit des gens,
c’est- -dire au droit naturel. Voir Accarias, ibid. au n 219. Justinien 6crit : <<[1]es
choses peuvent ap-
partenir aux particuliers de diff&entes mani~res. Il y en a dont on acquiert ]a propri&6t par le droit
naturel, [...]
; d'autres dont on acquiert la propri&t6 par le droit civil. I1 est 6vident que le droit naturel
est le plus ancien, puisqu'il est n6 avec l'humanit6 : au lien que les lois civiles n'ont commenc6
d'exister que lorsqu'on a commenc A former des villes [...]
(Justinien, Institutes, t. 2, trad. par M.
Hulot, Paris, Behmer et Lamont, 1806 au titre I, para. 11).
6 L'occupation est particuli~re car elle porte sur des choses qui n'appartiennent A personne. Ce
postulat pos6 par le droit romain est accept6 par les th~oriciens du droit comme par ceux des sciences
politiques. Pour Rousseau, par exemple, il s'agit de Ia premiere des conditions n~cessaires pour
l'acquisition d'un droit de propri6t6. I 6crit dans son Contrat social:
[e]n g6n6ral, pour autoriser sur un terrain quelconque le droit de premier occupant, il
faut les conditions suivantes. Premi~rement que ce terrain ne soit encore habit6 par per-
sonne; secondement qu'on n'en occupe que la quantit6 dont on a besoin pour subsister,
en troisi~me lieu qu'on en prenne possession, non par une vaine cdr6monie, mais par le
travail et la culture, seul signe de propri~t6 qui .difaut de titres juridiques doive 8tre
respect6 d'autrui (J-J. Rousseau, Du contrat social, Paris, Hachette, 1972 au c. 9
526
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
estimait que seules les choses mat6rielles ont une existence v6ritable3 . Pour cela,
quoique la distinction entre les choses corporelles et les choses incorporelles fut d6jh
connue, elle n’avait que peu d’incidence”. Ga’us, puis Justinien, reprirent cette classi-
fication sans pour autant determiner pr~cis6ment ses consequence. On rel~vera seu-
lement que, pour ces penseurs, le domaine des choses incorporelles 6tait de l’esprit
humain. Si cette fagon large de les comprendre peut convenir h un philosophe, elle ne
peut satisfaire lejurisconsulte.
L’id~e de possession physique, de possession rgelle, est si fortement imprim6e
dans l’esprit du lgislateur romain qu’elle empeche toute ex6g~se hasardeuse quant A
l’existence d’un droit de proprit6 immat6rielle>. Cette id6e fera son chemin jusqu’h
nous. On aurait pu croire cependant que l’effervescence et la richesse de ]a vie cultu-
relle gr&co-romaine aient fait la part meilleure aux artistes de l’6poque. L’6minent
historien Ladas relive l’apparent paradoxe d’une soci6t6 de droit, qui prone le d6ve-
loppement des sciences sans apporter h leur g6niteurs les moyens d’une protection
sp6cifique : <<[i]t
seems strange that the idea of property in literary work, as distin-
guished from that in manuscript, had not been developped at the time>>” .
Les actions pr6vues par les lois romaines ne concemaient pas la revendication
d’un droit sur une chose incorporelle, loin s’en faut. Seule l’action rei vindictio per-
63 Voir Dock, supra note 9 L la p. 15 ; A.C. Yen, <
6 Le professeur Troller note que <
Lichtenhahn, 1992
lap. 19).
, Cette remarque doit 6tre nuancde. Les philosophes grecs, et notamment sous l’dgide des pens6es
aristot61iciennes, avaient d6ja fait la distinction entre les choses corporelles et les choses incorporelles.
Cette distinction fut reprise plus tard en droit romain. Ga’us, notamment, dcrit dans son titre rdservl
au droit des choses que
Voir 6galement Villey, supra note 56 A lap. 72. L’laboration inggnieuse d’une classification bipartite
entre les choses corporelles et les choses incorporelles appelle tout de meme une r6flexion : comment
se fait-il que ces savants juristes n’ont plat6 dans cette seconde categorie que des droits et non la
creation intellectuelle elle-m~me ?
“Les exemples sont nombreux, en droit anglais, voir W. Blackstone, Commentaries on the Laws of
England, vol. 2, Londres, Apollo Press, 1813, c. 26 aux pp. 375-82. Voir 6galement chez les 6cono-
mistes anglais, J. Bentham, Lectures on Jurisprudence, Oxford, Oxford University Press, 1978 aux
pp. 81-83.
6” S.P. Ladas, cit6 par Vukmir, in Roman Law)>, supra note 57
lap. 134. Ladas illustre ses propos
avec des exemples explicites : <<[i]fITitius has written a poem, a history or an oration, on your paper or
parchment, you, and not Titius, are the owner of the written paper .
1998]
RE MOYsE - LA NATURE DU DROIT D'AUTEUR
527
mettait t celui qui se trouvait d~poss&16 de sa chose de revendiquer son droit exclusif.
Par celle-ci, on rdclamait non pas le droit en lui-mme, mais directement et corporel-
lement la chose!. Le droit de propri6t6 se fond en quelque sorte dans la chose elle-
mfime ' . On comprendra alors, peut-etre, que les choses incorporelles, loin de toute
perception physique, furent exclues de telles actions. Ce n'est plus la chose elle-mflme
que l'on r6clame, ni mfme un droit d'utilit6 comme il a 6t6 reconnu avec les servitu-
des et l'usufruit notamment, mais un droit exclusif sur une abstraction7,.sur une chose
hors du sensible. En d'autres termes, pour le droit romain, la chose matdrielle, sou-
mise totalement au droit r&clam6, repr6sente le droit. Par extension, on dit ma maison,
mon stylo... A contrario, il ne peut y avoir de droit sur une chose incorporelle puis-
qu'elle ne permet pas d'en donner une repr6sentation concr~te. L'empreinte de la pos-
session mat&ielle empeche toute construction juridique ndcessaire t la justification
des r~gles du droit d'auteur. Le niveau d'abstraction n'est pas encore suffisant. En t6-
moignent ces r6flexions de GaYus, qui, dans un des rares passages de son oeuvre,
63 Voir GaYus, supra note 65, t. IV, 16.
' Un ensemble de rites et de coutumes accompagnait Ia revendication d'une propridt6 devant un tri-
bunal. Notamment, le demandeur qui revendiquait sa proprin6t apportait la chose, objet du litige, ou
un morceau de Ia chose (par exemple quelques pierres ou une motte de terre) devant le jury et devait
dlamer Ia formule c6l6bre : <
parlera par la suite du droit quirataire. Ce droit, tr~s fort, faisait obstacle A toute intervention de l’ltat.
Ainsi que le note M. Villey, <<[1]'tat n'ose pas m~me lever d'imp6ts sur les biens des particuliers, ni
gu~re recourir A ce que nous appelons l'expropriation pour cause d'utilit6 publique>> (Villey, supra
note 56
la p. 81).
7 La production d’exemplaires fut longtemps le fait de copistes. Chaque exemplaire reprsentait
donc une masse considerable de travail. Le livre, fait d’encre et de papier ou de papyrus, 6tait donc
une valeur concurrente A l’oeuvre elle-meme. Chaque &Iition pouvait etre diffdrente selon la com-
mande du client. I1 est donc certain que, dans ce contexte, poss&ler un livre ne signifiait pas la m~me
chose qu’aujourd’hui. Meme dans les premiers temps de l’imprimerie, la plupart des ouvrages ne se
prtaient pas A une large &lition. Elizabeth Armstrong, dans son 6tude sur les privilbges d’imprimerie,
relive que de 1505 A 1526 les presses parisiennes imprim~rent 7 719 ditions, dont A peine six pour-
cent 6taient couvertes par un privilege. Le reste appartenait done au domaine public. Voir Armstrong,
supra note 18 A la p. 78. Notons 4 titre d’exemple le cas du premier ouvrage de droit anglais, Little-
ton’s Tenures, qui fut imprimd pour la premi&e fois en 1481 ou 1482, en quelques exemplaires seu-
lement. Comme le remarque Martin, <
actes du colloque Le droit d’auteur de la couonne a l’heure de l’autoroute de I’infonmation, Mont-
rdal, Centre de recherche en droit public, 12 mai 1995, 1 aux-pp. 5-6). La proprit6t d’un tel exem-
plaire, devant la raret6 des productions, devait avoir un tout autre sens que la possession d’un ouvrage
publi6 4 cent mille exemplaires. II fallut attendre la science et la magie de l’imprimerie pour que
vienne A 1’esprit la dichotomie oeuvresupport, le clonage de l’oeuvre 6tant rendu mdcaniquement
plus ais& On s’est alors tourm vers la distinction entre l’original et les copies, puis vers celle, ultime,
entre Ia chose incorporelle et le support. Bien que Stephen Ladas dcrivait que <
quelconque analogie avec l’industrie de l’dition telle qu’elle est apparue au XVIIr sidcle.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
s’attarde A fixer les r~gles de la possession mobili~re lorsque le meuble est une oeu-
vre :
[piour mame raison, il faut approuver ]a solution suivante: si on trace, fat-ce en
lettres dor6es, des caract~res sur un rouleau de papyrus ou une feuille de par-
chemin t’appartenant, ils t’appartiennent 6galement, car les caractres suivent
le rouleau ou ]a feuille. […] Mais si sur une planche t’appartenant, on peint par
exemple un tableau, ii faut adopter la solution inverse: it faut mieux dire, en ef-
fet, que le panneau suit ]a peinture’.
Ga’us r~gle la question de la propri6t6 en faisant appel A 1’adage accessorium se-
quiturprincipali : le propri6taire de la chose principale devient le propridtaire du tout.
Ga’us consid~re que l’6criture a une valeur moindre que son support. La solution est
inverse s’il s’agit du tableau du peintre. Ainsi, les conflits de propri6t6 sont r6gles sur
un plan strictement mat6riel. Reste n6anmoins que le raisonnement qui sous-tend la
distinction entre le parchemin et le tableau n’est pas expos6. Cette 6tape laiss6e pour
compte par Ga’us aurait certainement conduit A d6partir la cr6ation de son empreinte
mat6riell&, mais c’est une hypoth~se purement acad6mique.
Le droit romain ne distinguait donc pas le droit sur la cr6ation et le droit sur la
chosen. L’esprit romain ne concevait que trois types de droits : lejus personarun, le
jus rerum, et lejus actionum. Aucun d’eux ne permettait de faire place,
l’6poque de
leur dlaboration, A un droit sur une cr6ation intellectuelle. Nous reprendrons donc les
mots de Pouillet qui, s’interrogeant sur la place des auteurs dans ]a Rome Antique,
conclut que [l]e droit des auteurs a exist6 de tout temps mais n’est pas rentr6 d~s
l’origine dans la 16gislation positive>7 . Nous pr~ciserons que c’est plus particuli~re-
ment la n~cessit6 de prot6ger les cr6ateurs qui a toujours exist6. L’apparition progres-
71 GaYus, supra note 65, II, 77-78.
72 Justinien n’apporte pas de r6flexions suppl6mentaires sur ce point. II remarque seulement que le
tableau doit rester propri&t6 du peintre car il seroit laide chose que Ia pointure a [achet6] tr s bon
pointeur suist le seigneur d’une povre table (Justinien, Institutes, II, 34, traduction dans F. Olivier-
Martin, Les Institutes de Justinien enfranfais, Paris, Sirey, 1935 A lap. 67).
A A d6faut de rfgles sp6cifiques, le droit romain apportait d’autres remrdes aux maux dont pouvait
souffrir l’exploitation d’une oeuvre. I1 serait illusoire de ne faire remonter l’origine du droit d’auteur
qu’aux prenires lois du XVIII si cle. Ce serait bien m6connaltre les profondeurs des civilisations
romaines dont les enseignements arriventjusqu'”h nous. Ce t6moignage de Sen~que ne manquera pas
d’dtonner: <[n]ous disons que les livres appartiennent a Cic~ron ; le libraire Dorus appelle les memes
livres siens, et la v6rit6 est des deux c6t~s. L'un les revendique comme auteur, l'autre comme ache-
teur; et c'est i bon droit qu'ils appartiennent A tous les deux, mais non de la mame manireo (Extrait
de De Beneficiis, VII.6. cit6 par Dock, Gen~se et 6volution de la notion de propri6t6 intellectuelle ,
supra note 58 a lap. 135).
7' GaYus 6crit: <4[o]mne autem ius quo utimur uel ad personas pertinet, uel ad res, uel ad actiones ,
supra note 65, I, 8. L'expression est traduite par Julien Reinach : [l]es droits dont nous faisons usage
se rapportent tous, soit aux personnes, soit aux choses, soit aux actions (ibid. A la p. 2). Sur l'dtude
de ces trois categories de droit, voir R. Foignet, Manuel elimentaire de droit romain, t. 1, 13' &l.,
Paris, Rousseau, 1947 A la p. 43 et s.
7
5 E. Pouillet, Trai th orique et pratique de la propritg littiraire et artistique et du droit de reprd-
sentation, 2 &I., Paris, Marchal et Billard, 1894 au n I, cit6 par Dock,
1998]
RE MOYSE – LA NATURE DU DROIT D’AUTEUR
sive d’un droit positif reconnaissant le droit d’auteur est, quant k elle, concomitante A
la cr6ation intellectuelle, in-
l’inadaptation des r~gles r6gissant la propri6t6 ordinaire
adaptation qui s’est accentu6e avec le perfectionnement des techniques de reproduc-
tion. L’oeuvre du l6gislateur romain n’a pas facilit6 le d6veloppement du droit
d’auteur mais on ne peut 6videmment pas lui reprocher. II n’y avait, comme nous ve-
nons de le voir, gu~re de place pour un droit sur une chose incorporelle. Afin
d’6chapper a la cat6gorisation trop rigide du droit romain ainsi qu’Ai l’analogie deli-
cate entre la propri6t6 corporelle et la propri6t6 incorporelle, certains juristes ont eu
l’audace de cr6er une classe distincte de droits patrimoniaux.
2. Le recours A une classe distincte de droits patrimoniaux
Nous 6tudierons bri~vement la th6orie du droit d’invention de Picard qui nous
semble la plus originale (a). Nous pr6senterons ensuite succinctement la th6orie de
l’linmateriellegiiterrecht (droits sur les biens immat6riels) de Kohler (b) puis celle du
droit de clientele de Roubier (c).
a. Le droit d’invention
Nous ne reviendrons pas sur le concept de propri&t6 tel qu’il 6tait compris k
l’6poque de l’Empire Romain. Un saut de quelques centaines d’ann6es en avant nous
amine aux controverses sur 1’assimilation d’un droit de propri6t6 intellectuel A la pro-
pri6t6 ordinaire. Picard r6solut de faire du droit d’auteur un droit nouveau, un droit
d’invention. Son analyse se r6f6rait aux classifications juridiques romaines pour criti-
quer l’opiniatret6 avec laquelle les jurisconsultes de son 6poque voulurent faire rentrer
le droit d’auteur dans une quelconque cat6gorie pr6existante. I proposa donc une
quatri~me cat6gorie : celle des droits intellectuels. Puisque le droit d’auteur est le pa-
rent pauvre des gloses dont nos juristes ont h6rit6, pourquoi ne pas lui donner une
existence propre” ?
En cherchant la nature du droit d’ auteur, et surtout sa place dans l’ordre juridique,
on trouva naturel, d~s le XVII-I sicle, de placer ce droit parmi les droits r6els, A d6-
faut de pouvoir trouver une analogie avec le droit des obligations ou avec le droit des
personnes. Le conservatisme des juristes d’alors emporta les cons6quences que l’on a
d6crites plus haut : une multitude d’id6es et de th6ories reposant sur des pr6ceptes va-
, Pour icard, les droits intellectuels viennent s’ajouter A la classification romaine tripartite : droits
de Ia personnalit6, rels, et obligationnels. Voir E. Picard, Le droitpur, Paris, Flammarion, 1910 au d
53.
Picard
fcrivit:
[les romains n’avaient d6gag6 que les trois premiers groupes et leur terminologie pr6-
sentait queIques nuances avec celle que je propose. Dans les Institutes, on trouve Per-
[L]es Ro-
sonae, Res, Actiones comme en-tte des parties principales de l’oeuvre. […]
mains ne se rendirent pas compte qu’une chose purement intellectuelle pouvait 8tre
l’objet d’un droit. Cela r6pugnait A leurjudiciaire dminemment positive et mat6ialiste.
Et durant des sidles, l’,cole, influenc6e par l’autorit6 du Droit de Justinien, ne put se
librer de la conviction que la Division ne pouvait 8tre que tripartite (ibid au n 54).
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
cillants. L’analyse de Picard a ceci d’int~ressant qu’elle contourne la controverse pour
placer l’6tude du droit d’auteur hors des cadres classiques et rigides, h6rit6s des gloses
puis de la codification. I1 ne se contenta pas d’61aborer une simple th6orie juridique, il
l’affina au point de faire des propositions de modifications l6gislatives 7′ .
Picard proposa de traiter les droits selon leur vraie nature, c’est-t-dire s6par6ment
des autres droits. I fallait, selon lui, renoncer it faire entrer, << coups de marteau)>, les
droits intellectuels dans les droits reels. C’6tait lM une solution ing6nieuse pour mettre
fin aux controverses et ii toutes les joutes doctrinales. Plus avant dans le d6veloppe-
ment de sa th~orie, Picard 6crit :
[a]ussi s’accoutuma-t-on A dire Proprid artistique, Propri~t6 litt&aire, Pro-
pridt6 industrielle, comme on disait propri6t6 d’un immeuble ou d’un meuble
mat6riel. […] Les r~sultats irrationnels de cette assimilation ne se firent pas at-
tendre. De chose matdrielle A chose intellectuelle, les diffdrences de nature et
d’origine sont trop grandes pour que le meme regime juridique puisse conve-
nir”.
En fondant son tude sur les rapports entre le sujet et l’objet du droit, Picard con-
clut qu’en prdsence d’objets de natures diff6rentes, le r6gime de droit alors applicable
devait 6galement
tre different. La pens6e de Picard brisait, du tranchant de son rai-
sonnement, les liens qui emprisonnaient l’oeuvre dans la mati~re’. Les choses
immat~rielles prenaient ainsi d6finitivement place A c6t6 des choses mat6rielles”. Le
produit intellectuel, imprim6, incorpor6 dans les diff6rents mat6driaux qui le supportent
a d6sormais son exis-
–
tence propre2. Dans sa proposition d’un nouveau sch6ma de classification des droits,
qu’il s’agisse de plans, de livres, d’enseignes ou autres –
“‘ Picard proposa meme pour le centenaire du code civil d’introduire un <
L’intitul6 en 6tait
droits intellectuels, ou jura in inventione. Voir ibid.
” Ibid Picard notera 6galement dans un autre de ses ouvrages : <([o]n s'efforqait d'appliquer aux
droits intellectuels les rigles des droits reels ordinaires, de la proprigtj sur les choses mat6rielles ; de
1, des malentendus constants, des bdvues : les droits intellectuels exigent, en effet, un regime dis-
tinct>> (E. Picard, Les constantes du droit, Paris, Flammarion, 1921 h la p. 67). Voir 6galement Recht
qui critique le bien-fond6 de la thforie de Picard : supra note 24 A lap. 72 et s.
” La d&Iicace du livre de Picard, Les constantes du droit, ibid., se lit comme suit: < [a]u Dr Gustave
Le Bon, au Penseur illustre qui d6couvrit ]a D~mat6rialisation de Ia Matire et r'Universalit6 de la Ra-
dio-activit&. A l'heure ot
'on parle de d~mat&ialisation du support et des tentatives de repenser le
droit d'auteur, il est bon de rappeler ]a sagesse d'un prdcurseur comme Picard, que les ans et le pro-
gressisme nous font malheureusement oublier. Qu'au d6but de notre sicle un homme ait pu se repr-
senter clairement un droit sur les productions de I'esprit nous rend enclin A une profonde admiration.
" cAinsi s'est affirm6e une fois de plus cette vdrit6 que c'est une erreur d'imaginer le Droit compo-
s6 exclusivement d'61ments dou~s de mat6rialisations visibles et tangibles en eux-m~mes, mais
qu'au contraire ]a part de l'invisible rel y est consid6rable. Nous ne sommes pas encore au bout de
semblables constatations, vraiment n~cessaires et salutaires pour mettre au point la Science Juridique)
(Picard, Le droitpur, supra note 76 au n 45).
2 Certains commentateurs attribuent A Kohler ]a distinction entre la propri6t6 mat&-ielle ou ordinaire
et un droit immat6riel. Kohler 6nonce que le droit de propri6t6 et le droit d'auteur sont de meme na-
1998]
RE. MOYSE - LA NATURE DU DROIT D'AUTEUR
Picard plaga done t cot6 desjura rei materiali qui relevaient du r6gime classique de la
propri6t6, les jura in inventione, qui relevaient de ce qu'il appela les monopoles. La
percevoir. Picard lui-m~me ne
distinction entre monopole et propri6t6 est difficile
justifia pas l'emploi du terme de
cessit6 de sortir du carcan de la terminologie classique qui renvoit une structuration
la base de la th6orie de
non ad6quate du droit. Cette pr6occupation sera
l’Imrnateriellegiiterrechte expos6e par Kohler.
b. Die Immateriellegterrechte
Kohler substitue la notion de droits sur les biens immat6riels t celle de propri&t6
travers lui
incorporelle. I1 reconnait l’utilit6 historique du concept de propri6t6. C’est
notamment que le droit nouveau a pu trouver une 16gitimit6 suffisante face aux regi-
mes des corporations et aux privil~ges. La notion de propri6t6 est une notion tuteur
qui perd sa signification en meme temps que sa fonction. Nous disons fonction car,
dans la th6orie de Kohler, la qualification de propri6t6 est inexacte sur le plan juridi-
que : son r6le se r6duit t accompagner les d6buts de 1’6volution des droits sur des
biens incorporels. Une fois cette mission accomplie, il faut d6finir une nouvelle cat6-
gorie de droits.
Pour Kohler, le droit de l’auteur, qu’il soit artiste ou inventeur, repose sur l’utilit6
sociale. Sa justification r6side dans l’int6rt que repr6sente le monde des id6es pour le
d6veloppement de la civilisation. Le droit de l’artiste est alors conqu comme une r6-
compense qui, en m~me temps, stimule la cr6ation. L’ambition de l’artiste est 6vi-
demment d’exposer, de communiquer son oeuvre au public, de le s6duire. Le droit lui
en donne les moyens puisqu’il lui permet de vivre de son art et, au bout du compte, de
continuer ses efforts de cr6ation.
Ainsi, Kohler note que c’est seulement lorsque l’id6e est exprim6e qu’apparait
d6finir. En d’autres termes, une fois cr66e,
l’utilit6 des droits que nous cherchons
l’oeuvre devient un bien juridique. La seule finalit6 des droits sur ces biens immat6-
riels est d’assurer une utilisation 6conomique de la cr6ation. Et, tant que l’oeuvre n’est
pas rendue public, il n’y a pas lieu de mettre ces droits en vigueur. La cr6ation ne doit
pas 6tre produite pour le particulier : elle a une fonction sociale importante. La r~gle
juridique, parce qu’elle est garante de cette fonction sociale, prend tout son sens
la
publication de l’oeuvre. Les droits apparaissent uniquement lorsque l’oeuvre rencon-
tre, par l’interm6diaire de l’6diteur, le march6. Les Immateriellegiiterrechte tendent
donc essentiellement h une utilisation 6conomique de la cr6ation. On comprend 6ga-
ture mais que leur objet est diff&ent. Voir A. Le Tarnec, Manuel de la proprit9 littdraire et artistique,
2′ 6d., Paris, Dalloz, 1966 A la p. 11. Le Tarnec rapporte les propos d’6minents juristes qui ont repris
apr~s lui la thorie des droits intellectuels de Picard : <[i]l existe une troisi~me varidt6 de droits aux-
quels on peut donner l'appellation g6n6rale de "droits intellectuels" susceptible d'appropriation et
6quivoque>. Le Tamec d6nonce
non de propri6t6 intellectuelle, le terme de propri6td prtant
l’inutilit6 d’une telle cat6gorisation des droits. I1 crit : <[d]ire que les droits intellectuels sont "sus-
ceptibles" d'appropriation et non de propri6t6 intellectuelle [...]> c’est 6carter d’une fagon A la fois
imprecise et h~sitante la notion de propditd.> Ibid.
532
McGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
lement 1’effet temporaire de ces droits. L’expression d’une id6e, une invention ne sont
pas susceptibles d’appropriation durable : le but ultime de la cr6ation est de renouve-
ler le patrimoine commun de l’humanit6, de faire progresser le savoir et la connais-
sance des civilisations.
A la diffdrence de la propri6t6 corporelle, les droits qui permettent l’exploitation
de l’oeuvre ne portent pas sur l’objet corporel qui enveloppe la cr6ation, mais bien sur
une forme d’expression particuli~re!,
ce qui explique que Kohler emploie
1’expression de
Kohler est de ces penseurs du XIX sicle qui, aujourd’hui, le droit d’auteur dolt
beaucoup. D’abord, il a soutenu la distinction, desormais acquise, entre la propri6t6 de
l’objet qui contient l’oeuvre et le droit sur la cr6ation. Ainsi pr&cise-t-il que
l’inventeur a, contre le tiers qui produit l’invention, non une action en revendication
mais une action en contrefagon. Ensuite, et bien qu’il ait peu d6fini le contenu des
nouveaux droits qu’il d6crit, il a mis en lumi~re l’aspect 6conomique de ces droits, qui
sont des droits d’exploitation. Cette conception fonde alors le caract~re temporaire du
droit, puisque l’on ne saurait envisager un droit durable sur les cr6ations humaines
destin6es h enrichir le fond commun de l’humanit6.
La th6orie de Kohler a 6t6 une 6tape doctrinale importante pour la reconnaissance
du droit d’auteur. La grande majorit6 des ouvrages traitant de la nature du droit
d’auteur s’y r6ferent d6sormais syst6matiquement. Elle est devenue incontoumable.
En France, c’est Roubier qui lui donna la r6plique, au d6but du XXC si~cle, en propo-
sant sa th6orie du droit de clientele.
c. Le droit de clientle
Roubier adresse une critique intransigeante envers la thdorie de Kohler. II lui re-
proche notamment de concevoir le droit sur ces biens immat6riels avant tout comme
un droit de propri6t6, quand bien meme il emploie l’idiome de droit sur les biens
immat6riels>>”. Pour Roubier, ceci est inacceptable. Si, en mati~re de propri6t6 ordi-
naire, le droit se confond avec son objet, cela tient h la nature des choses. Un meme
raisonnement ne peut 8tre transpos6 per se aux choses incorporelles. Roubier 6crit:
[o]n comprend sans peine que, vis-A-vis d’une chose mat~rielle, le droit de pro-
pridt6, qui est le droit le plus plein sur une chose, se confonde avec cette chose;
on ne dit pas: mon droit de propri6t6 sur cette maison, sur ce cheval; on dit
simplement: ma maison, mon cheval. Kohler raisonne comme si Pon pouvait
s’exprimer de m~me pour les biens immatdiiels; mais c’est un non-sens, parce
“Kohler a examin6 le processus cr6ateur pour ddlimiter l’objet du droit d’auteur. La notion de
forme est trbs importante dans sa thorie. II distingue la forme interne qui est l’ossature de ‘oeuvre de
son dtape seconde, la forme exteme qui est l’achvement de l’oeuvre. Kohler 6tend tr~s loin ]a pro-
tection du droit d’auteur puisque ds l’aboutissement A la forme inteme,
‘oeuvre est susceptible
d’Etre prot6gde. Voir I. Cherpillod, L’objet du droit d’auteur, Lausanne, Centre du droit de ‘entreprise
de l’Universit6 de Lausanne, 1985 aux pp. 24-32.
” Voir P. Roubier, Le droit de la proprfie
industrielle, vol. 1, Paris, Sirey, 1952 h lap. 102.
1998]
RE. MOYSE – LA NATURE DU DROIT DAUTEUR
533
que les droits patrimoniaux ne se tiennent pas dans les nuages, et que leur con-
tenu est toujours un contenu materielr.
Selon Roubier, l’objet du droit est bien la cr6ation ; mais sa v6ritable nature est
la
celle d’un monopole d’exploitation. Plus pr6cis6ment, Roubier dira qu’il sert
conqu~te de la clientele, d’oii l’invention de l’expression <
travers la n6cessit6 de
ainsi entendu est alors tendu vers la r6gularisation du march6
cr6er des monopoles. Lorsque Roubier emploie le terme de clientele, c’est dans une
acception tr~s large. I1 donne cette d6finition du droit de clientele : <<[n]ous appelons
droit de clientele un droit qui assure a son titulaire, vis a vis de tous, l'exclusivit6 de la
reproduction soit d'une cr6ation nouvelle, soit d'un signe distinctif '6 .
L'approche de Roubier est toutefois originale en ce qu'il outrepasse l'analyse du
rapport de droit objet/sujet, pour en d~couvrir son utilit6, sa raison d'6tre. I1 justifie
ainsi I'existence d'un droit sur les cr6ations de l'esprit par le seul fait de sa fonction
6conomique. Cela suffit pour justifier la nature particuli~re de ces droits. La recherche
du profit maximum finalise l'61aboration de ces droits. Leur objet est de fixer,
d'assurer la clientele afin que le processus 6conomique puisse se d6velopper d'une fa-
on non anarchique. Les titulaires de tels droits pourront rentabiliser leurs investisse-
ments. Cette analyse, selon nous, est plus pertinente concemant ce que l'on appelle
aujourd'hui le droit des marques et le droit des brevets. Elle perd de sa rectitude
scientifique lorsque l'on cherche a la transposer dans le domaine du droit d'auteur,
notamment parce que ce droit prend en compte des intdrets extra-patrimoniaux. tga-
lement, la notion m~me de clientele n'est pas synonyme de celle de public. Lorsque
Roubier parle d'un droit de clientele, il semble sous-entendre qu'il existe une relation
d6termin6e ou d6terminable entre une partie du public et celui qui cherche a la fid6li-
ser (on pensera A la clientele d'un mdlecin par exemple). Or, cette relation est plus
al6atoire entre l'auteur ou l'6diteur et le public. D'autres param~tres plus complexes
entrent en jeu, d'autant que l'oeuvre elle-meme peut faire l'objet d'utilisations tr~s
diff6rentes. Le rapport avec le public est ainsi beaucoup plus flou, plus volatile.
Selon Roubier, si <
c’est que la propri6t6 et la cr6ance se classent dans la statique juridique, alors que les
droits intellectuels se meuvent dans le dynamisme juridique. L’ aspect patrimonial de
ces droit fluctue au gr6 d’une valeur, fonction de la quantit6 de clientele. Et Roubier
conclut :
[I]es droits privatifs […] ont pour but de fixer certaines positions au profit de
leurs titulaires, que les maisons concurrentes devront respecter. C’est pour cela
que nous proposons d’appeler ces droits : droit de clientele, ce qui correspond
“Ibid.
” p. Roubier, <
Roubier. Selon Desbois les droits de clientele ne permettent pas de rendre compte de 1’aspect person-
nel du droit d’auteur, et notamment, ne pouvaient pas inclure les droits moraux : voir Desbois, supra
note 30 au n 259.
534
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
leur contenu. […] [C]es droits forment une troisi~me classe de droits patrimo-
niaux”.
Comme nous venons de le retracer, les th6ories de Picard, Kohler et Roubier, pour
ne citer qu’eux, aussi diff&entes fussent-elles, avaient ceci en commun qu’elles mani-
festaient toutes la volont6 de voir consacrer le droit d’auteur. L’id6e d’une classe dis-
tincte de droit fit donc fortune. Elle fut tr6s largement accueillie dans les doctrines
beige, allemande et frangaise. La construction du droit d’auteur r6sulte ainsi de
l’apparition d’un nouvel objet juridique qui est de nature immatrrielle. Mais les droits
qui portent sur de tels objets ne sont ni des droits reels ni des droits de cr6ances, ni
encore des droits extra-patrimoniaux”. Ce sont <
frangais au milieu de notre sidcle. Le 16gislateur et la jurisprudence furent plus lents h
r6pondre que la doctrine. De ce fait, il n’y a pas eu au XIX sicle, sur le continent
comme en Angleterre, de grandes r6formes l6gislatives .
II. La r6ception de ces th6ories par la jurisprudence et le droit
positif : une premibre approche de droit compar6
La jurisprudence va tr~s vite emboiter le pas
la doctrine. Un travail important
d’interprftation restait h faire puisqu’en regardant la proprirt6 intellectuelle comme un
droit autonome, le juge ne pouvait plus faire appel aux r6gles bien 6tablies gouvemant
la propri6t6 ordinaire. Puisque nous avons ax6 la premiere partie de notre 6tude sur ]a
France, nous analyserons d’abord les d6veloppements de la jurisprudence de ce pays
(A). Nous 6tudierons ensuite la jurisprudence anglaise et ses effets sur les syst~mes
qui s’en sont inspires (B). Nous voudrions prdciser que, s’il est juste d’affirmer que
87Ibid. Alap. 107.
88 Recht dcrit : <4[i]l faut faire un effort pour comprendre un aspect du droit de propri6t6 que le droit
civil ordinaire ne connait pas et qui est propre A notre secteur (le droit d'auteur, nous pr~eisons) :
1'existence de deux propridt&s parallbles et leur collision permanente>> (P. Recht, <
Mais plut6t que de la pr6ciser, elle en compliqua davantage les syllogismes juridiques.
Sur quel visa, en effet, fallait-il r6soudre les probl~mes relatifs au droit d’auteure’ ?
Les lois de 1791 et de 1793 ne comportaient chacune pas plus de sept articles et
n’6taient pas assez pr6cises pour appr6hender les d6veloppements de l’industrie du li-
vre . A l’6poque de leur adoption en effet, le droit de l’auteur s’arr~tait au choix de
l’6diteur et h la vente du manuscrit. En particulier, aucune disposition ne pr6voyait
comment se ferait la cession partielle ou totale des droits ou s’il pouvait disposer seu-
lement de l’un d’entre eux. Le r6gime des droits patrimoniaux 6tait r6g16 de manire
tr~s sommaire par 1’article premier du d6cret-loi de 1791 qui conf6rait h ‘auteur
Depuis les lois r6volutionnaires, de nombreux projets d’amendement furent pro-
pos6s pour r6former le droit d’auteur. La plupart ayant 6t6 avort6e, les premires lois
“, Note de Saleifles, supra note 92. I1 6crit que
1998]
RE MOYSE – LA NATURE DU DROIT D’AUTEUR
537
sont rest6es quasiment inchang6es pendant plus d’un sicle . D~s 1825, une commis-
sion extra-parlementaire, pr6sid6e par La Rochefoucault, avait 6t6 charge par Charles X
d’61aborer un texte nouveau. Ce projet n’aboutit pas. La question fut reprise par la
la Chambre des pairs. Ce
suite sous Louis-Philippe, et en 1839 un projet fut pr6sent6
projet comportait un article qui fit grand bruit dans le milieu artistique de 1’6poque.
la spoliation. L’ article qui par la suite fut amend6 puis, en fin
On criait de toute part
de proc6dure 16gislative, repouss6, se pr6sentait sous cette forme :
[l]es auteurs d’ouvrages d’art […] pourront c&ler le droit exclusif de les repro-
duire ou d’en autoriser ]a reproduction, en conservant n6anmoins eux-meme la
propri6t6 de l’ouvrage original. Mais en cas de vente dudit ouvrage, le droit ex-
clusif de le reproduire ou d’en autoriser ]a reproduction par rimpression, Ia
gravure, le moulage ou toute autre mani~re est transmis h l’acqu6reur, moins
d’une stipulation contraire’ ‘.
Cet article formulait une pr6somption d6favorable : d~s la vente de l’ouvrage,
l’acheteur aurait pu d6tenir le droit d’auteur sur l’oeuvre si ce demier ne stipulait pas
une r6serve sur son droit de reproduction. I1 est particuli~rement int6ressant de voir
que les r6dacteurs de ce projet avaient tent6 d’articuler les pr6rogatives de 1’auteur
autour de l’original de l’oeuvre. En laissant t l’auteur cet original, il semble que les
r6dacteurs de ce texte aient voulu r6aliser un compromis. Ce faisant, l’auteur n’6tait
pas compl~tement d6possd6 : l’essence de sa production, l’6talon-copie, restait entre
ses mains. C’6tait M un signe de la difficult6, encore existante, de disjoindre la cr6a-
tion de l’encre et du papier qui la composaient.
La Cour de cassation rendit le 27 mai 1842 2 une ddcision hautement critiqu6e par
la doctrine”3. S’agissant d’une affaire de cession de tableau, elle d6cida que le droit de
” Les textes adopt6s en 1791 et 1793 ont 6 par la suite prdcis6s par l’intervention 6pisodique du
l~gislateur frangais sans toutefois que l’on puisse parler de r6formes majeures du droit d’auteur. Pour
un aperqu historique de ces diff6rentes modifications l6gislatives, voir A. et H.-J. Lucas, supra note 16
aux pp. 16-21. Les textes de loi correspondants sont en annexe de la premire 6dition du traits de
Desbois, supra note 30 a lap. 736 et s.
0 D. 191 L.IV.32, voir en commentaire le rapport de T. Reinach.
” Cette affaire c61 bre concemait un tableau de Gros qui repr~sentait Bonaparte au moment de la
bataille des Pyramides. Le droit de gravure sur ce tableau fut c&ld h un d6nomm6 Vallot. Par la suite
le tableau avait dt6 acquis par le mus6e de Versailles. Un graveur le publia dans sa collection de ta-
bleaux historiques. La veuve de Gros ainsi que Vallot intentrent une action en contrefagon. Le tribu-
nal de la Seine, puis Ia Cour de Paris donnrent raison au d~fendeur. La Cour de cassation cassa
l’arr& de Ia cour d’appel en se fondant sur la loi de 1793 qui, dit-elle,
1843, t. I, n0 40, 215. Dans une autre affaLire, Ia Cour de Paris a d6cid6, en 1843, qu’un &diteur qui
avait obtenu le droit de publier deux &litions d’un ouvrage, chaque &lition comprenant 10 000 exem-
plaires, mais qui avait fabriqu6 clandestinement 15 000 copies de ]a seconde 6dition, ne pouvait 6tre
consid&6 comme contrefacteur puisque, vayant trait6 avec rauteur de la propri6t6 de son oeuvre [il]
538
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
reproduction 6tait ali6n6 par le fait meme de la vente de l’oeuvre d’art. Ce fut un toll6
au sein du milieu artistique. Par la suite, les tribunaux frangais eurent h intervenir,
cette fois dans le cadre du r6gime de communaut6 en mati~re matrimoniale, pour d6-
cider si les droits d’auteur, en tant que monopole –
on ne parlait plus alors de pro-
pri6t6 -, de nature mobili~re, s’incorporaient h la masse commune des biens”‘. I1
fallut, pour r6soudre les conflits, se plonger dans l’6tude de la nature du droit d’auteur.
Un arret de la Chambre des requites du 16 aoflt 1880 reprit l’argumentation des juges
du fond et statua qu’<
attendus suivants :
[a]ttendu que, d’apr s les principes g~nraux du droit, ]a proprit6 litt6aire ou
artistique, essentiellement mobili~re, a les m8mes caract~res et doit avoir le
meme sort que tout autre genre de propri~t6, moins la limitation que l’int~rat
public a fait apporter A sa dur6e ; – Attendu qu’une composition litt~raire,
mat&ialis6e par la publication, constitue un bien susceptible de propridt6 ; que
ce bien est meuble dans sa valeur principale comme dans ses produits, et doit,
comme tel, accrotre l’actif de ]a communaut6 ‘ 5.
Dans ses arrats postdrieurs, la Cour de cassation resta fid~le h cette analyse. Elle utili-
sa seulement les termes de <
propri6t& .
Durant la meme p6riode, les artistes ne cess rent de r6clamer de nouvelles dispo-
sitions l6gislatives. Les revendications fond6es sur des considdrations de droit pur,
d’6quit6, ainsi que des questions d’int6rt social 6taient expos6es et d6fendues aux
congr~s intemationaux sur le droit d’auteur de Bruxelles en 1858, d’Anvers en 1861
puis en 1877. Ces r6clamations furent r6it6r6es avec fracas au congr~s de Paris durant
l’exposition universelle en 1878. Cette croisade incessante aboutit h la cr6ation, sous
les auspices de Victor Hugo, de ‘Association Litt6raire et Artistique Intemationale
(ci-apr~s
lettres, ainsi que par une horde d’amis, aboutit
la dite loi du 9 avril 1910 qui, en fait,
est une r6plique exacte d’une proposition d6pos6e par I’A.L.A.I. au Parlement. Cette
loi, qui comporte un article unique, mit fin aux h6sitations de la jurisprudence. Elle
6nongait que d’ali6nation d’une oeuvre d’art n’entraine pas, moins de convention
contraire, l’ali6nation du droit de reproduction>>”. Cela signiflait qu’h d6faut
en est devenu lui-m~me propri6taire> (Paris, 18 octobre 1843). Dans le m8me sens, voir dgalement
Trib. civ. Lyon, 26 juin 1901, D.P. 1904.11.198. Dans le sens contraire, voir Trib. mixte Caire, 16 mai
1896, D.P. 1904.11.198.
,03 Voir le commentaire sous ]a loi de 1911, D. 1911 .IV.33.
“4 Voir Desbois, supra note 30 aux n 228-31.
‘ D. 1881.1.25 a lap. 27.
“6 D. 1911.IV.32. Voir 6galement les explications de Roubier,
incorporelle d~finie A 1’article L. 111-2 est ind6pendante de ]a propri6t6 de l’objet mat&iel , Loi
pri&6t
1998]
RE. MOYsE – LA NATURE DU DROIT D’AUTEUR
d’accord, le droit sur la production intellectuelle 6tait r6serv6 t son auteur et 6tait in-
d6pendant du transfert du support de l’oeuvre.
Malgr6 l’apport incontestable de la loi du 9 avril 1910, le d6bat sur la nature du
droit d’auteur continua. Roubier, qui commente la loi, 6crit:
[1]a notion moderne du droit de propriet6, (en reprenant les propos de M. Josse-
rand) est suffisamment comprhensive et nuanc e pour abriter des formes de
tenures tr~s diffdrentes; en r6alit6 e monopole d’exploitation de l’auteur offre
une analogiefrappante avec le droit du pmpritaire d’une chose ; il reprdsente
seulement une forme nouvelle d’appropriation ‘ .
Cette r6flexion de l’6minent civiliste nous permet de d6gager, h c6t6 du droit de
propri&6, une notion plus 6conomique, celle de monopole. La question se r6sume
savoir si le droit d’auteur est un monopole ou un droit de propri6t6 ? Alors que le droit
de propridt6 repose classiquement sur l’idde d’un droit naturel ’09 , ce qui, par lk-meme,
lui confere son caract~re absolu et perp6tuel, le monopole fait r6frence . des consid6-
rations de politique 16gislative. En common law on parle alors d’un statutory right. La
notion de monopole semble plus synthdtique : du fait de son orientation 6conomique
elle parait neutre, prdcise, et plus teint6e d’un pragmatisme moderne. C’est, en
d’autres termes, la version d6sacralisde de la propri&6’t. Nous ne voyons en fait entre
ces deux termes qu’une diffdrence de degr6s. Cette notion de monopole a 6t6 taillde
par l’6volution des technologies, h la mesure des soci6t6s capitalistes. Ce n’est donc
nd 92-597 du rjuillet 1992, J.O., 3 juillet 1992, 8801, Gaz. Pal. 1992.I.Lg.479 modifi6e par la Loi n
92-1336 du 16 dicenbre 1992, J.O., 23 d6cembre 1992, 17568.
’07Roubier,
L’id6e du droit naturel rend le droit d6pendant de principes supdrieurs auxquels il est subordonn6.
Le droit naturel s’oppose classiquement au droit positif qui est cr6ation d’une norme par le peuple et
les institutions. Grotius (1583-1645) a, pour la premiere fois, d6velopp6 l’id~e du droit naturel comme
6tant l’616ment moteur de la science juridique : le droit positif applique le droit qui est ndcessaire b la
la loi positive.
vie sociale. Par cons&luent, il faut, selon lui, admettre un droit ant~rieur et sup6rieur
Ce droit est grav6 dans la nature humaine. Voir au sujet du ddveloppement du droit naturel, J. Le-
clercq, Lefons de droit naturel, t. 1, 3 &l., Namur, Wesmael-Charlier, 1947 aux pp. 15-72. Leclercq
6crit : <<[ij est naturel b i'honme de s'annexer des choses et de prdtendre en disposer d'une manire
exclusive>> [italiques dans ‘original] (J. Leclercq, Legons de droit naturel, t. 4, vol. 2, 3’ &., Namur,
Wesmael-Charlier, 1955 A la p. 85). I1 ajoute : <<[p]ar le fait de l'annexion, ces choses lui deviennent
"propres">> (ibid.). L’homme, en fait, a un sentiment tr~s fort de droit absolu. Cette conception, consa-
cre par les Romains, servira A asseoir les conceptions individualistes et capitalistes alors naissantes
au XVIII sicle (voir ibicL aux pp. 82-124). I1 est int&essant de noter que Leclercq voit le droit
d’auteur comme le droit naturel de l’homme au fruit de son travail (ibid. L lap. 121). Voir 6galement,
Yen, Restoring the Natural Law: Copyright as Labor and Possession>>, supra note 63.
0 Le professeur Alain Strowel fait remarquer que les juristes de Ia R6volution dtaient profond6ment
impr6gn6s d’abstractions philosophiques. I1 faut, comme le laisse percevoir l’id~e d’une propridt6
d6mystifi6e, d6gager deux acceptions du mot de propri6t6. La premiere est large, et correspond au
domaine philosophique : est propri6t6 ce que ron d6tient en propre, ce dont on peut user exclusive-
ment comme maitre. Selon les mots de Borghgrave, c’est le cdominium des latins>. La seconde est la
notion civiliste que nous ont laiss6e les Romains. Celle-ci est d6nu~e de toute ide extra-patrimoniale.
Voir Strowel, supra note 13 aux pp. 94-95.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
pas un hasard si c’est en Angleterre, premiere de toutes les nations industrialis6es, que
la notion de monopole fit ses premieres armes.
B. La jurisprudence et le droit positif anglais
Avant d’entreprendre l’dtude de la jurisprudence anglaise (2), il est n6cessaire de
replacer l’6tude du droit d’auteur dans le contexte philosophique du XVIIIc si~cle
(1)”‘. La R6volution industrielle alors naissante a, selon nous, fait passer la notion de
propri6t6 d’une n6cessit6 structurelle –
un droit naturel pour justifier la mise en place
d’un ordre nouveau dans lequel la propri6t6 allait jouer un r6le fondamental – h une
contingence –
selon laquelle l’6tendue des attributs attach6s A ce droits s’ajuste h des
consid6rations de politique 6conomique.
1. Le particularisme de [a notion de propri~t6 en droit anglais
L’Angleterre du XVII
si~cle pouvait s’enorgueillir d’une avance industrielle
consid6rable sur le reste des pays europ6ens”‘. Quelque temps avant l’adoption de la
loi d’Anne, le Statute of Monopolies'” fut arrach6 au roi Jacques f d’Angleterre en
1623. II s’agit lh de ]a premiere r6glementation relative aux brevets d’invention”‘ .
L’adoption de ces normes est tr~s r6v6latrice de l’6tat de la soci6t6 anglaise, t l’aube
de la r6volution industrielle. II est incontestable qu’h un ordre 6conomique naissant,
de style capitaliste, doit r6pondre une r6gularisation juridique addquate. L’histoire des
ides politiques et &conomiques nous peint le climatjuridique dans lequel les droits, et
notamment les droits intellectuels, vont prendre naissance. Les diff6rentes phases de
l’6volution du copyright stigmatisent bien, A notre avis, les p6riodes charni~res du ca-
pitalisme et de son influence sur l’orientation du droit.
Le contexte 6conomique de l’6poque qui nous
int6resse est empreint
d’individualisme et parfois d’humanisme. L’homme est au centre de toutes les pr6oc-
cupations. Suivant les premiers jalons de la philosophie lock6enne, Adam Smith,
Stuart Mill, Jeremy Bentham, pour ne mentionner qu’eux, batirent les premieres th6o-
ries 6conomiques lib6rales. La voie pavfe par les travaux de Locke 6tait prometteuse
et pouvait supporter les doctrines les plus optimistes. Pour Locke,
‘homme est par
nature apte A la vie sociale. Les lois civiles n’ont qu’un r6le restreint, celui d’assurer
la protection de la vie, de la libert6 et des biens. En d’autres termes, toute intervention
du l6gislateur doit s’inscrire dans la mesure du strict n6cessaire. Transpos6e aux th6o-
,1’ Si nous n’avons pas dfvelopp6 cette partie plus avant, et en parall~le avec l’dtude de la propri6t6
en France, c’est que nous voulons presenter la th6orie du monopole comme 6tant l’antith~se de celle
de la propri6t6. Les choses ne sont naturellement pas aussi triviales et la distinction mono-
pole/propridt6, pas si ais6e A presenter.
. Voir M. Rose, Authors and Owners, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 1993 h la p. 4.
S(R.-U.), 21 James I, c. 3.
” Voir l’historique 6clair6 de Roubier, <
ment J.-J. Rousseau, Du contrat social, Paris, Hachette, 1972 A lap. 213.
542
McGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
have a right to what is once joyned to, at least where there is enough, and as
good left in common for others”-.
La pens6e de Locke influenga jusqu’
l’individualisme philosophique frangais de
la Rrvolution”‘. On retrouve dans 1’opinion des juges anglais, comme dans certaines
d6cisions de la jurisprudence frangaise”7 cette ide de l’appropriation par le travail.
Dans l’affaire Jefferys c. Boosey, par exemple, le juge Erle rappelait que:
[t]he origin of property is in production. As to works of imagination and rea-
sonings, if not of memory, the author may be said to create, and in all depart-
ments of mind, new books are the product of labour, skill and capital of the
author. The subject of property is the order of words in the author’s composi-
tion’
C’6tait bien au droit naturel que le juge Erie faisait r~f6rence. Le droit naturel
permettait, en fait, de consommer la fracture soudaine du syst~me de patronage, dans
lequel l’auteur n’avait qu’un statut d’ouvrier. L’auteur revendiquera d6sormais un
droit et non seulement une contrepartie p6cuniaire sous forme de salaire. Ce lien entre
l’histoire du droit d’auteur et la philosophie scella les fondations du droit d’auteur.
Droit de proprirt6 comme module historico-philosophique de droit subjectif et th6orie
de Locke: voilM le socle sur lequel fut 6rig6, A cette 6poque, le droit d’auteur. Bientrt,
on d6veloppa une autre throrie qui plagait le droit d’auteur dans la n6cessit6, non plus
de consacrer un droit senti, naturel, mais dans celle de rrgulariser le march6 du livre et
de l’imprimerie. C’est dans cette conception que s’est tr~s vite inscrit le copyright.
Fox, citant certaines autoritrs, le pr6sente comme un droit artificiel”‘ . Comment con-
cilier ces deux orientations ? II faut seulement, h notre avis, distinguer deux types de
monopole, soit celui de l’auteur et celui de l’exploitant.
Si effectivement la loi consacrait un droit subjectif au profit de 1’auteur, il fallait
que ce dernier fut assez flexible pour favoriser la croissance de l’6conomie. L’auteur
“- J. Locke, Two Treatises of Government, 2’ 6d., Cambridge, Cambridge University Press, 1967
aux pp. 305-06. Voir dgalement, Seignette, supra note 6 aux pp. 20-24.
116 Dans ce sens, voir Y. Gendreau, <
la p. 47.
A’ A titre de comparaison, voir l’opinion du rapporteur Almeras Latour dans
‘affaire Masson qui
cite Locr6 : <<[p]ar la nature des choses, rien assurment ne nous appartient mieux que notre esprit et
les connaissances dont nous l'avons enrichi, A force de travail et d'6tude [...]. Ce sont nos vdritables,
nos plus solides richesses>> (Note sous Masson, supra note 27 4 lap. 25).
. Jefferys c. Boosey (1855), 24 L.J. Ex. 81 aux pp. 84-85. Nous noterons 6galement les r6f&ences
fr~quentes que Blackstone fait & Locke. II 6crit notamment :
[tihere is still another species of property, which (if it subsists by the common law) be-
ing grounded on labour and invention, is more properly reducible to the head of occu-
pancy than any other, since the right of occupancy itself is supposed by Mr Locke, and
many others, to be founded on the personal labour of occupant. And this is the right,
which an author may be supposed to have in his own original literary compositions: so
that no other person without his leave may publish or make profit of the copies (Black-
stone, supra note 66
lap. 380).
“‘ Voir H.G. Fox, The Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 2’ &l., Scarborough
(Ont.), Carswell, 1967 t la p. 2.
1998]
RE MOYSE – LA NATURE DU DROIT D’AUTEUR
de la loi d’Anne avait donc cr6 une fiction juridique qui empechait 1’auteur de venir
contrarier 1’exercice des droits des 6diteurs. La seule libert6 de fait qui lui 6tait laiss6e
6tait celle de choisir son &diteur. Derriere les mots, c’6tait finalement un droit r6siduel
qui 6tait ainsi consacr6. Une fois la propri6t6 de son manuscrit transf6re, il c6dait tout
pouvoir sur son oeuvre. A ce propos, le professeur Patterson sugg~re que la cons6cra-
tion d’un droit pour ‘auteur ne fut qu’un instrument pour casser le contr6le de la Sta-
tioners’Company:
[tihe monopolies at which the statute was aimed were too long established to
be attacked without some basis for change. The most logical and natural basis
for the changes was the author. Although the author had never held copyright,
his interest was always promoted by the stationers as a means to their end.
Their arguments had been, essentially, that without order in the trade provided
by copyright, publishers would not publish books, and therefore would not pay
authors for their manuscripts. The draftmen of the Statute of Anne put these ar-
guments to use, and the author was used primarily as a weapon against monop-
oly120.
Contrairement t la notion de propri6t6, que l’on pr&e aux rapports entre l’auteur
et son oeuvre, les contours du monopole dont parle le professeur Patterson ne sont pas
dessin6s par des principes de droit naturel, mais uniquement par les contingences du
sicle voit naitre les sciences 6conomi-
march6. I ne faut pas oublier que le XVII
ques, justement parce que c’est cette 6poque qu’apparait la mati~re de cette science.
L’essor de rimprimerie et le commerce du livre sont tr~s repr6sentatifs de cette frac-
ture dans l’histoire qu’est l’arriv6e brutale de ‘expansion mat6rielle. Avant l’adoption
de la loi d’Anne, l’industrie n’6tait pas assez d6velopp6e pour que l’on envisage une
r6gulation autre que celle qui est institute par le r6gime des corporations. Le nombre
des pirates et des actes de contrefagon 6taient minimes’2 .
Les 6conomistes du XVIr sidle jusqu’au d6but du MX pressentirent le devenir
de ce qu’on appelle commun6ment la r6volution industrielle”22 . D6sormais, il devint
’20 Patterson, supra note 2
la p. 147. Voir dans le m~me sens, G. Kauffman,
Journal of Law and the Arts 381 aux pp. 396-97.
2 La plaidoirie du juge Erie dans l’affaire Jefferys c. Boosey est un excellent tdmoignage:
[…] before the time of Anne, the actions were only actions for penalties under the Li-
censing Act. The number of pirates was very small; proprietors of copyright were reg-
istered and came under the regulation of the Stationers’ Company. The opportunities
for piracy were therefore rare. Futhermore, if there were pirates, the remedies in the
Star Chamber and for penalties under statiutes were probably more convenient than ac-
tions for damages. […] Indeed, […] in the time of Anne, the poverty of those who prac-
tised piracy was such as to make an action for damages against them futile […] (supra
note 118 4 lap. 87).
,nAdam Smith notera que:
C’est dans l’tat progressif de la soci6t6, lorsqu’elle est en train d’acqu~rir successive-
ment plus d’opulence, et non pas lorsqu’elle est parvenue A la mesure complete de ri-
chesse dont elle est susceptible, que vdritablement la condition de l’ouvrier pauvre,
celle de la grande masse du peuple, est plus heureuse et plus douce; elle est dure dans
544
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
clair que la notion de profit ne pouvait cadrer que dans la perspective de cette expan-
sion mat6rielle. On brisa alors les structures corporatistes, par exemple la Statio-
ners’Company'”, pour permettre au commerce de drbiter librement ses produits. Le
cri de guerre devint Laissez faire ! Laissez passer b> Dans la logique de ce syst~me,
la libert6 devient une condition essentielle au progrs’24 . Les entraves inutiles au d6-
veloppement du commerce devaient logiquement etre supprim6es. Le copyright, mo-
nopole accord6 par la loi, fut alors justifi6 seulement dans la mesure oa il permettait
aux 6diteurs de compenser et les cofts de production et les investissements n6cessai-
res'”. Plus qu’un objet sacr6 compilant un savoir divin, le livre devient alors un pro-
duit. En tant que produit, il serait soumis aux lois du march6. C’est en traitant de ]a
place des privileges et des monopoles dans une 6conomie capitaliste que Smith, pre
de l’6conomie lib6rale, parlera de la propridt6 intellectuelle, et notamment de la loi
d’Anne:
[s]ome [exclusive privileges] indeed are harmless enough. Thus the inventor of
a new machine or any other invention has the exclusive priviledge of making
and vending that invention for the space of 14 years by the law [Statute of Mo-
nopolies, 21 James I, c.3, 1623] of this country, as a reward for his ingenuity,
and it is probable that this is as equall an one as could be fallen upon. […] For
here, if the invention be good and such as is profitable to mankind, he will
probably make a fortune by it; but if it be of no value he also will reap no bene-
fit. In the same manner the author of a new book has an exclusive priviledge of
publishing and selling his book for 14 years [8 Anne, c.19, 1709]. […] These
two priviledges therefore, as they can do not harm and may do some good, are
not to be altogether condemned. But there are few so harmless. All monopolies
in particular are extremely detrimental’26.
l’6tat stationnaire; elle est mis6rable dans l’6tat de drclin. L’tat progressif est, pour
tous les diffdrents ordres de la socidtd, l’6tat de vigueur et de la sant6 parfaite (A.
Smith, The Wealth of Nations, Oxford, Clarendon, 1976 au liv. 1, c. 8 [publi6 initiale-
ment: Londres, W. Straham, T. Cadell, 1776]).
Mill complrtera la pens~e de Smith en posant deux conditions essentielles au progr~s 6conomique:
1’accumulation du capital et Ia libert6. Voir F Trevoux, Stuart Mill, Paris, Dalloz, 1953 aux pp. 43-45.
2′ Mark Rose 6crit trbs justement:
[wlhat I want to suggest is that in the seventeenth century a gap was beginning to de-
velop between the institution of Stationers’ copyright, which was based upon a tradi-
tional conception of society as a community bound by ties of fidelity and service, and
the emergent ideology of possessive individualism The regime in which stationers’
copyright was born was what we might call a regime of regulation rather than a regime
of property (Rose, supra note 14).
2 Stuart Mill 6crira : <[1]'unique source infaillible et permanente du progr6s est la libern puisque,
grace A elle, il peut y avoir autant de centres ind6pendants de progr s qu'il y a d'individus> (S. Mill,
La Libertd, cit6 dans Trevoux, ibid. t lap. 45, n. 1).
38 A.S.C.A.P. Copyright Law Symposium 1.
‘ Voir l’6tude de G.K. Hadfield, <
,26 A. Smith, Lectures on Jurisprudence, Oxford, Clarendon Press, 1978
la p. 83. C’est du bout de
la plume qu’il accepte, pour son utilitd particuli~re et sa justesse, le monopole relatif aux crtations
intellectuelles : <<[a] temporary monopoly of this kind may be vindicated upon the same principles
1998]
RE. MOYSE - LA NATURE DU DROIT D'AUTEUR
545
T6moin des mutations que vcut la soci6t6 anglaise d~s la fin de ce si.cle, l'ann6e
1641 voit 'abolition de la Star Chamber par le Parlement. Le pouvoir de la Couronne
cesse d~s lors d'exercer son autorit6 sur l'industrie de l'6dition. Ainsi que le note Ar-
ber, 4[t]his [...] was the utter shattering and breaking up of the old order of things and
the commencement of an increasing liberty of printing which has ever since augmen-
ted '". La thdorie de Locke, que nous avons succinctement pr6sent~e, influencera ses
successeurs 6conomistes qui y apporteront une nuance essentielle, celle de la valeur.
Le travail est la mesure rdelle de la valeur en 6change de toute marchandise'". Le prix
reel de chaque chose, ce que chaque chose coflte r6ellement 4 qui veut se la procurer,
est fonction du travail et de la peine qui ont 6t6 n~cessaires pour sa confection'".
Eventuellement, dans ces th6ories,
les 6conomistes distingueront la valeur
d'6change de la valeur d'usage. La valeur d'usage se confond A peu pros avec
l'utilit6; elle est subjective et exprime le rapport qui existe entre les objets et nos d6-
sirs. La valeur d'6change tend
s'incamer dans le prix qui l'objective socialement.
Or, c'est propos de ces notions que Salleron note les disparit6s fondamentales entre
les visions 6conomiques anglaise et frangaise:
[l]'dcole franaise, toujours m~taphysicienne et rationaliste, inclinera, de ma-
rduire les deux valeur A l'unit6. Si on 6change
nitre d'ailleurs tr~s vari~e,
c'est 6videmment pour l'usage. [...] I'6cole anglaise, moins hante de philoso-
phie, abandonnera pratiquement la valeur d'usage comme ext&ieure au do-
maine de l'6conomie politique. Elle 6tudiera pour elle-m6me la valeur
d'6change, dans l'id~e, plus ou moins consciente, de savoir ce qui d6termine le
prix [...] L'6cole anglaise, orient e par le produit industriel naissant, trouvera
dans le travail et le coOt de production le fondement de la valeur d'6change'0.
Toutes ces pr6cisions dconomiques tendent h montrer que tr~s t6t les penseurs an-
glais se sont rendus sans detours t l'6vidence que le talent de l'artiste fait toumer les
rouages de l'imprimerie. Le syst~me du copyright permet la r6mun6ration des artistes
dans le respect du principe sup6rieur de l'amortissement des cofits de production des
copies de son oeuvre. En d6finitive, l'histoire du copyright nous r6v~1e deux choses
qui pouvaient sembler contradictoires a priori. D'abord, l'auteur a un droit de pro-
pri6t6, mais seulement en ce qu'il est inf&6 des principes philosophiques de l'6poque.
Le rattachement au droit naturel est moins pressant qu'en droit frangais. II justifie
seulement, et dans un premier temps, l'existence du droit d'auteur ; il n'influence que
tr~s peu le r6gime du droit. C'est d'ailleurs pour cela que l'on parle de copyright. II
aurait 6t6 de toute mani~re d6licat de concdder ce droit
l'diteur, qui n'est pas le g6-
upon which a like monopoly of a new machine is granted to its inventor, and that of a new book to its
author (Smith, The Wealth ofNations, cit6 dans Hadfield, ibid- A la p. 21).
'27Cit6 dans Fox, supra note 119 A lap. 15.
'2 Voir Smith, supra note 122 au liv. 5, c. 1, 3' partie. Ces theories &onomistes porteront le flanc
aux critiques des theories sociaes. Plus que le travail cette fois, c'est la division du travail dans un
syst~me capitaliste qui sera remise en cause.
Voir Smith, ibid. au liv. 1, c. 5.
'oL. Salleron, L'icononie libirale, Paris, Artheme Fayard, 1949 b lap. 119.
546
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
niteur de l'oeuvre'". Ensuite, la seconde nature de ce droit r6sulte, selon les propos
Gary Kauffman, d'un accident historique. C'est pour mettre fin au monopole sur le
commerce du livre que, d6jit en 1694, la Chambre des communes refusa de renouveler
le Licensing Ace 2. La loi de 1709 apparait donc comme un instrument de d6mant~le-
ment qui confond les deux types de monopole dont nous avons parl6, celui incontest6
de l'auteur sur son oeuvre et celui des 6diteurs sur le commerce. Gary Kauffman 6crit
[t]his confusion between copyright and entreprise monopolies caused the acci-
dent. To be sure, the primary purpose of antitrust laws is to benefit the public.
Since Parliamant viewed the copyright as a sanctioned monopoly, it was crucial
to characterizise it as serving some vital public interest. Thus when Parliamant
declared the Statute of Anne to be "An Act for the Encouragement of Learn-
ing" it was emphasizing the public benefit over the private one. In avoiding the
alternative emphasis,
the Station-
ers'Company'33.
they avoided an endorsement of
Cet accident -
qui n'est en fait que l'expression de la complexit6 inh6rente A la
mati~re du droit d'auteur en g6nrral - cre une distorsion qui suivra l'histoire du co-
pyright. L'objet des d6bats du XVI
porte sur un plan strictement 6conomique, alors
que les arguments employrs A ces fins sont empruntrs it la justification de l'existence
m~me du droit d'auteur. Le droit de l'auteur sur son oeuvre n'a jamais 6t6
srrieusement contest6, mais, en jouant sur la nature de ce droit et en confondant les
deux plans, cration et exploitation, on arrive A des solutions fortement contrast6es. Si
l'on justifie le droit de l'auteur par le droit naturel, on peut justifier la perp6tuit6 de ce
droit. Si, au lieu de cela, on le rattache au droit positif, le 16gislateur, A l'instar des au-
tres droits, peut l'assortir d'un certain nombre de restrictions et, notamment, lui fixer
un terme. Voil ce qui fut, A l'6poque, l'enjeu principal. Force est de constater que les
rouages de l'6conomie l'emport~rent sur l'orientation de la loi qu'on aurait voulu plus
respectueuse de la noblesse de cette mati~re.
En France, la Revolution frangaise a donn6 aux artistes l'opportunit6 d'exprimer
leur voix h travers des personnages politiques crl~bres, souvent membres de cercles
littraires ou de salons connus. Pour cette raison, peut-8tre, il n'y a pas dans les textes
de 1791 et 1793 l'6cho d'une moindre tentative de r6gulation 6conomique. Elles sont
avant tout le rsultat de drbats passionnrs, anim6s par des idalistes, non des analys-
tes. Le copyright n'a pas connu cette fracture historique si soudaine. Son d6veloppe-
ment est plus pragmatique. Sa coloration 6conomique se cristallise par exemple dans
13 A. Birrell 6crit tr~s justement : <(there would be resentment were there now living [...]
a capitalist
who could say, "Hamlet is mine", "Sancho Panza is mine", "The Inferno belongs to me:' Who would
not feel that this disreputable bourgeois was the ennemy, not the friend, of the world-wide genius of
Shakespeare, of Cervantes, of Dante ?>> (A. Birrell, cit6 dans G. Kauffman, supra note 120 t lap. 391.
On rapprochera 6galement de ces propos la crlbre phrase de Flaubert :
,32 (R.-U.), 13 & 14 C. 2, c. 33. Fox fait remarquer que c’est h cause des arguments de Locke en fa-
veur de la libert6 de la presse que le parlement refusa de reconduire ]a loi. Voir Fox, supra note 119 “t
lap. 17.
33 Kauffman, supra note 120 A la p. 395.
1998]
1E. 9MOYSE – LA NATURE DU DROIT D’AUTEUR
547
des notions telle que sweat of the brow”, works made for hire” ou meme l’ambigu’t6
comprise dans le mot work, qui signifie ii la fois travail et oeuvre. Cette conception
orientre vers l’utilit6 du droit se retrouvera en France un peu plus tard, au XIXe sicle.
En tdmoigne la throrie tr~s utilitariste de Roubier que nous avons expos~e plus haut’36 .
Alain Strowel, qui souligne les divergences entre le syst~me de droit d’auteur et
celui de copyright, note que la d6marche anglo-saxonne est
Les juristes anglais ne se sont donc rdellement intrress6s ii la distinction entre la pro-
pridt6 de l’auteur et le monopole de l’6diteur que lorsque d’importants enjeux 6cono-
miques apparurent.
‘3 Cette notion a rrcemment dt6 l’objet d’une littrature abondante apr~s une d&cision de la Cour
supreme des ttats-Unis concemant la protection des bases de donnmes factuelles. La question 6tait de
savoir si A drfaut d’une originalit6 suffisante –
la robotisation et ‘automatisation remplagant de plus
en plus la main humaine –
l’oeuvre cr66e t la sueur du front> peut b~nrficier de ]a protection de ]a
loi sur le droit d’auteur. Voir Feist Publications, Inc. c. Rural Telephone Service Co, 499 U.S. 340
(1991). Parmi l’abondante littdrature commentant cet arr&, voir notamment A.C. Yen, The Legacy
of Feist: Consequences of the Weak Connection Between Copyright and the Economics of Public
Goods> (1991) 52 Ohio St. L.J. 1343 ; W.S. Strong, Database Protection after Feist v. Rural Te-
lephone Co.> (1994) 42 Journal of the Copyright Society of the USA 39 ; N. Siebrasse, Copyright in
Facts and Information: Feist Publication Is Not, and Should Not Be the Law in Canada> (1994) 11
C.I.P.R. 191.
‘ Voir Seignette, supra note 6 aux pp. 36-45.
3’En d6veloppant sa throrie sur le droit de clientele, Roubier s’inspirait directement des doctrines
utilitaristes anglaises:
[ils [les droits intellectuels] n’ont pu trouver leur reconnaissance qu’avec l’apparition
d’une forme de soci6td comme la n6tre, A base d’6conomie commerciale et industrielle.
Le but de cette forme d’6conomie est de chercher A obtenir la satisfaction des besoins
du plus grand nombre, conform6ment aux doctrines utilitaires anglo-saxonnes, par la
multiplication des richesses: la recherche, par les producteurs, de d~bouch6s aupr s de
]a clientele des consommateurs va constituer l’un des buts principaux de ‘activit6 hu-
maine […] (Roubier, supra note 84 A lap. 104).
” Strowel, supra note 13 1 la p. 105. tgaement, Yen 6crit en conclusion de son manifeste pour la
reconnaissance d’un droit naturel A travers la th6orie du copyright : we should use the natural law
because it is already imbedded in our copyrigt concepts and because it is capable of justifying an ini-
tial assignment of rights through copyright law > (Yen, Restoring the Natural Law: Copyright as La-
bor and Possession , supra note 63 A la p. 552). Desbois, commentant la loi franqaise de 1957, men-
tionnait que le Parlement n’avait pas retenu la conception utilitariste de protection du droit d’auteur
pour stimuler les activit~s littraire et artistique. Voir H. Desbois, Le droit d’auteur, 3 &., Paris, Dal-
loz, 1978 A lap. 569 et s. Mine Ginsburg rsume dgalement la difference entre les syst~mes de copy-
right amrricain et le droit d’auteur frangais ainsi :
a leading French copyright scholar states that one of the fundamental ideas of the
revolutionary copyright laws is the principle that an exclusive right is conferred on
authors because their property is the most justified since it flows from their intellectual
creation. By contrast, the U.S Constitution’s copyright clause, echoing the English
Statute of Anne, makes the public’s interest equal, if not superior, to the author’s
(Ginsburg, supra note 11, Tulane L. Rev. 991
lap. 992).
548
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
2. Droit de propri6t6 ou monopole : ‘enjeu de la distinction
La nature du droit d’auteur a fait l’objet d’une attention toute particulire
l’occasion de deux arrts anglais de 1769 et 1774. I1 s’agit respectivement des affaires
Millar c. Taylor et Donaldson c. Becket”‘ (a). Cette demi~re decision donna, au moins
aux ttats-Unis, une orientation definitive au copyright . En effet, soixante ans apr~s
l’affaire Donaldson, la Cour supreme am6ricaine, dans une affaire Wheaton c.
Peters”‘, rfitfra les solutions de la Cour anglaise (b). Pourtant fortement inspir6 de la
l6gislation anglaise en cette mati~re, le droit d’auteur canadien suivit une voie plus
nuancfe (c).
a. Le common law copyright: les affaires Millar et Donaldson
Certains commentateurs mettent en doute l’utilit6 du d6bat thdorique sur la nature
du droit d’auteur. Ils n’y voient que des cas d’6cole”. Nous ne sommes pas de cet
avis. L’enseignement que l’on retire de ces dfbats aide le juge devant des litiges com-
plexes qui lui sont prfsentfs. I1 peut ainsi prendre une ddcision juste parce qu’il con-
nat ‘histoire et l’Fconomie de la r~gle. Ce n’est pas un hasard non plus si ces ques-
tions prennent plus d’ampleur A la veille d’une rfforme 16gislative'”.
.. Supra note 11.
“‘8 Pet. 591 (U.S. 1834) [ci-apr;s Wheaton]
340 Pour Keyes et Brunet, qui se sont pench6s sur la question
la veille de la rfforme de ]a 16gisla-
tion canadienne sur le droit d’auteur de 1988, <<[w]hether or not one considers those rights [copyright]
a property right or another kind of right is of no material consequence, if the results are the same.
Concern with the underlying social philosophy of copyright law is unwarranted unless different theo-
ries lead to different conclusions>> (A.A. Keyes et C. Brunet, Copyright in Canada: Proposals for a
Revision of the Law, Ottawa, Minist~re de la Consommation et des Corporations, 1977 A la p. 5). Le
professeur Andr6 Lucas qui reprend les mots de Monsieur le professeur Malaurie (voir P. Malaurie et
L. Ayn~s, Droit civil: les biens, Paris, Cujas, 1990
la n. 206), 6crit que da querelle peut sembler
passablement acadmique. II est certain que la qualification de proprift6, A la supposer fondde,
n’aurait que de faibles incidences sur le r6gime juridique des droits de proprit6 intellectuelle qui ne
peut de toute fagon 8tre enti~rement calqu6 sur celui de la propridt6 ordinaire>> (A. et H.-J. Lucas, stt-
pra note 16 A lap. 31).
‘ A la veille de 1’adoption du Copyright Act de 1956, Skone James soulignait dfjh la nfcessit6 de
modifier les lois en fonction des mutations technologiques. C’est dans ce contexte qu’il rappelle
l’intfret du dfbat sur la nature du droit d’auteur:
[t]he underlying question of principle involved in every discussion of the term of copy-
right is whether copyright should be regarded as a right of property in an author’s mate-
rial of identical character with the right of property in land or chattels, or whether it
should be regarded as a right conferred by the state to the author not so much for his
benefit as to secure his services to the public by offering a reward for labour (F.E.
Skone James,
De m~me, au cours des ddbats qui prc&trent la r6forme de Ia loi canadienne sur le droit d’auteur de
1988, R.J. Roberts notait : <[t]his question of principle -
arises so often when copyright revision is in the wind because it does affect the conclusions reached
natural property or mere statutory right -
1998]
RE MOYSE - LA NATURE DU DROIT D'AUTEUR
C'est it 1'occasion des deux affaires c6l~bres, Millar c. Taylor ,,2 et Donaldson c.
Becket", que la jurisprudence anglaise a 6chafaud6 les principes fondamentaux du
copyright. Pour bien comprendre 1'articulation de ces ddcisions, il faut distinguer trois
catdgories de copyright : le Stationer's copyright, c'est-ii-dire celui des corporations
d'6diteurs et d'imprimeurs, le common law copyright'", c'est-h-dire les r~gles d~ri-
vdes de la loi des juges, et le statutory copyright, ou, en d'autres mots, celui ddfini par
la loi d'Anne. La question 6tait alors de savoir s'il existait un copyright de droit com-
mun (common law copyright) indrpendamment de celui prdcis6 par la loi d'Anne
(statutory copyright). Dans les deux affaires qui nous intdressent, les parties n'6taient
pas des auteurs, mais des &titeurs. II faut rappeler, en effet, que ce sont les stationers
et non les auteurs qui ont invoqu6 l'existence d'un copyright de droit commun afin de
pouvoir arguer de la perp6tuit6 du droit sur l'oeuvre. Les 6diteurs mettaient ainsi en
avant le droit naturel de 1'auteur sur sa cration pour en rdcuprer ensuite les attributs,
une fois le manuscrit acquis. Ils pensaient ainsi conserver les monopoles que les pri-
vileges d'autrefois (Stationers'copyrights) leur confdraient et qui rdsultaient du trans-
fert de proprirt6 du manuscrit par l'auteur. Ces demiers 6taient r6putgs ceder automa-
tiquement leurs oeuvres A l'6diteur. De la m~me mani~re qu'en France le droit sur la
chose immatdrielle n'6tait pas clairement identifi6, la loi d'Anne ne distinguait pas la
propridt6 du livre du droit sur la creation"'.
Dans l'affaire Millar c. Taylor, Andrew Millar, un libraire, 6tait drtenteur du co-
pyright sur une oeuvre de James Thomson, intitulre The Seasons"'. La durde de pro-
tection de quatorze ans pr6vue par la loi d'Anne 6tait venue h expiration. Taylor dcci-
by the drafters)> (R.J. Roberts, <
C.P.R. (2′) 33 A lap. 34).
“,Supra note 11.
“, Supra note 11.
Le mreanisme de gestion du Stationer’s copyright 6tait fort simple. Une fois le privilege
d’&lition conc&l6 6
l’un des membres de la corporation par la couronne, chaque copie 6tait inscrite
sur un registre. L’inscription, si elle ne conf&ait pas le droit en lui-meme, constituait une prsomption
de proprirt6 sur la copie (copyright). John Feather rapporte un exemple concemant la traduction de
l’oeuvre allemande Faust intitulre The Book of Dr Faustus. La propridt6 d’une copie 6tait disputre
entre deux diteurs qui rclamaient chacun le copyright. Le 18 drcembre 1592, Ia cour, chargde
d’61ucider le litige, d~cida que la copie devait appartenir t celui qui pouvait presenter une inscription
son nom sur le registre. Voir J. Feather, supra note 55 aux pp. 462, 465. Voir 6galement Patterson, su-
pra note 2 aux pp. 4-11.
“, Benjamin Kaplan notait que : [t]he draftsman of the statute was thinking as a printer would –
of a book as a physical entity; of rights in it and offenses against it as related to “printing and reprint-
ing” the thing itself&>, cit6 dans Rose, supra note I 11 A lap. 65. I1 faudra attendre l’arr&t Pope c. Curl
(1741), 26 E.R. 608, et l’opinion 6clairde du Lord Chancellor Hardwicke pour que la distinction entre
l’oeuvre et le droit sur sa manifestation mat~rielle apparaisse. Un conflit s’6tait nou6 entre Pope et un
&liteur A propos de la publication de sa correspondance avec Swift: I am of opinion that it is only a
special property in the receiver, possibly the property of the paper may belong to him; but this does
not give a licence to any person whatsoever to publish them to the world, for at most the receiver has
only a joint property with the writer (Pope c. Curl ibid A lap. 608). Voir 6galement M. Rose, The
Author in Court: Pope v. Curll (1741)>> (1992) 10 Cardozo Arts and Ent. L. Rev. 475. Sur le mame
sujet, voir Strowel, supra note 13 A lap. 114.
” Pour un expos6 plus ddtaill6 de cette jurisprudence, voir Patterson, supra note 2 aux pp. 168-79.
550
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
da alors de publier la meme oeuvre. Millar fit valoir le droit de l’auteur sur le fruit de
son travail, se rangeant ainsi derriere la conception ddgagde par Locke relativement ,t
l’appropriation des choses par le travail. La finalit6 de la rhdtorique 6tait d’obtenir la
consdcration d’un droit d’auteur ius naturaliste afin d’en invoquer la perptuit’. La
seule fagon d’y parvenir 6tait d’invoquer un droit de propri6t6 de common law, c’est h
dire issu de la loi naturelle. Pour que cette construction soit d6fendable la loi de 1709
devait passer h un second plan. Elle 6tait alors vu comme un simple instrument, un
simple accessoire h la loi naturelle facilitant l’application de-sanctions aux actes de pi-
ratages. Ce fut en tout 6tat de cause l’interprdtation qui fut retenue dans raffaire Millar.
Voici l’explication que donna le juge Willis :
[t]his Act was brought in at the solicitation of authors, booksellers and printers,
but principally of the two latter, not from any doubt or distrust of a just and le-
gal property in the works gr copy-right, […] but upon the common-law remedy
being inadequate, and the proof difficult, to ascertain the damage really suf-
fered by the injurious multiplication of the copies of those books which they
had bought and published. […] All the sanction they could obtain, was a pro-
tection of their right, by inflicting penalties on the wrong-doer. The statute ex-
tends to no case where the title to the copy is not entered in the register of the
Stationers Company; which entry is necessary to ascertain the commencement
of the term, during which this protection by penalties is granted. […] For, if a
statute gives remedy in the affirmative, (without a negative, expressed or im-
plied) for a matter which was actionable before by common law; the party may
sue at common law, and wave his remedy by statute, if he pleases.’
Des quatre juges de la Cour, seul le juge Yates s’opposa 1’existence d’un droit de
propridt6 sur l’oeuvre. Certes, il convient que l’auteur puisse etre r6compens6 pour le
travail et le gdnie qu’il a manifestds mais en aucun cas il ne peut l’etre pas l’octroi d’un
droit sans fin”‘. De plus est, si il existe un droit de propridt6, son objet ne peut etre au-
tre chose que le manuscrit unique. En effet, une fois publi6, la pens6e de l’auteur ainsi
que ses sentiments appartiennent h tous et non plus t lui seul. Selon Yates :
when an author prints and publishes his work, he lays it entirely open to the
public, as such as when an owner of a piece of land lays it open into teh high-
,, Gary Kauffman fait, A ce sujet, une r~flexion int~ressante: <<[i]n 1774, since all property was per-
ceived as necessarily perpetual, most jurists concluded that copyright could not be property> (G.
Kauffman, supra note 120 A lap. 402).
“‘ Millar, supra note I I A lap. 227. Le principe de la protection dtait acquis, seul restait a en dtter-
miner le fondement th6orique. <(It is certainly not argreeable to natural justice, that a stranger should
reap the beneficial pecuniary produce of another man work>> (Millar, ibieL A lap. 218). Dans le m~me
sens, lire l’opinion du juge Aston. En conclusion de ]a decision, on peut lire :
[b]ecause it is just, that an author should reap the pecuniary profits of his own ingenuity
and labour. It is just, that another should not use his name, without his consent. […] It is
fit he should not only choose the time, but the manner of publication ; how many ; what
volume; what print. It is fit, he should choose to whose care he will trust the accuracy
and correctness of the impression; in whose honesty he will confide, not to foist in ad-
dition (Millar, ibid. A lap. 252).
149
1998]
RE. MOYSE – LA NATURE DU DROIT D’AUTEUR
way. Neither the book, nor the sentiments it contains, can be afterwards re-
called by the author. Every purchaser of a book is the owner of it: and , as such,
he has the right to make what use of it he pleases’ .
Sa position est intrressante car elle rappelle la difficult6 du raisonnement qui
mne a deux dichotomies essentielles du droit d’auteur : l’oeuvre et son support, l’id6e
et l’oeuvre. Ces distinctions sont absentes du discours de Yates. De ce fait, que l’oeu-
vre soit publi6e ou non n’a finalement gu~re d’importance. De la m~me maniere que
les ides ne peuvent pas faire l’objet d’occupation mentale’31 , la publication volontaire
du livre s’oppose ‘a ce que l’auteur r~clame un droit de propri&6t sur chaque 6dition.
L’auteur n’est donc propridtaire qu’h l’6gard de son manuscrit”. Pour Yates, l’auteur ne
peut avoir de droit ni sur ses ides, ni sur les mots qui les expriment, qu’ils aient fait
l’objet d’une publication ou non. Dans ce syst~me, la distinction cr6ation-support
n’est d’aucune utilit6. D~s la publication, le raisonnement devient plus ddlicat. I1 rap-
pelle que les choses doivent 6tre appropriables, dans le sens d’une possession physi-
que 53.
L’arr& Millar consacra, selon une majorit6 de commentateurs, le droit de pro-
prirt6 de l’auteur sur son oeuvre et insiste sur le fait que la loi d’Anne, en limitant la
durde du copyright, n’a pas eu pour objectif de supprimer ce droit qui est fond6 sur
l’ordre naturel des choses. Cette observation est infdre des liens intimes qui lient
l’auteur it sa crdation. Cinq ann6es plus tard, la Chambre des Lords revint sur sa posi-
tion et enleva toute consistance au droit de common law consacr6 dans 1’arr& Millar.
L’affaire Donaldson'” lui donna cette occasion. Sept des onze juges prdsents ont af-
firm6 que <(the [common law] right is impeached restrained and then taken away by
the Statute of 8th Ann '>. Le common law copyright disparaissait ainsi des la publi-
Millar, ibid. t lap. 234.
((The light, the air, the sun, are of value inestimable: but who can claim a property in them?>
Millar, ibidL h lap. 230, M. lejuge Yates.
2 [Mhe manuscript is, in every sense, his peculiar property; and no man can take it from him, or
make any use of it which he has not authorized, without being guilty of a violation of his property.
And as every author or proprietor of a manuscript has a right to determine whether he will publish it
or not, he has a right to the first publication […] > (Millar, ibid. A lap. 242). Cet objet unique enferme
6galement les pensdes de l’auteur, c’est dans ce sens qu’il 6crit : <([i]dea are free. But while the author
confines them to his study, they are like birds in a cage, which none but he can have a right to let fly
(Millar, ibid. lap. 242). I conclut en soulignant
..8 Supra note 11.
“’59 Comme le dira plus tard Macaulay, [the copyright is] a tax on readers for the purpose of giving
a bounty to writers>> cit6 dans S. Breyer, <
lap. 281. Lejuge Yates
6crivit 6galement :
[i]t is of use, certainly, that learning and science, and valuable improvements should be
encouraged, and every man’s labour properly rewarded. But every reward has its proper
bounds: and an entire monopoly for fourteen, or if the author remains alive, for twenty-
eight years, seems encouragement enough for his labours>> (Millar, ibid. A lap. 249).
1998]
RE. MOYSE – LA NATURE DU DROIT D’AUTEUR
553
pole de certains 6diteurs. Bien plus, le recours systfmatique au droit naturel se limite
reconnaitre le lien qui unit l’auteur k son oeuvre, mais n’a plus aucun effet au-delM de
la publication. Cette solution adoptfe par les juges anglais sera reprise quelques an-
nfes plus tard par les juges amdricains.
b. L’affaire Wheaton : la Cour supr6me des Etats-Unis sur les
traces de la d6cision Donaldson
Dans la decision Wheaton c. Peters”w de 1834, la Cour supreme des ttats-Unis a
repris le raisonnement suivi par les juges anglais, quelque soixante-cinq ans aupara-
vant, dans la decision Donaldson. Le distinguo common law copyright et statutory
copyright y est 6galement consacr6 par la Cour supreme qui decide en substance que:
the Constitution of the United States it is declared by the Congress shall have
the power “to promote the progress of science and the useful arts, by securing,
for a limited time, to authors and inventors the exclusive right to their respec-
tive writings and invention:’ The word “secure” as used in the Constitution,
could not mean the protection of an acknowledged legal right [
… Con-
gress, by the Act of 1790, instead of sanctioning an existing perpetual right in
an author in his works, created the right secured for a limited time by the provi-
sion of that law’.
la fin du XVIr sicle. En effet,
Cette affaire rompt avec la vision ius naturaliste du copyright, tres pr6sente en
la veille de l’adoption de la
Amrique jusqu’
Constitution en 1787, de nombreux ttats fcld6rs avaient dfj leur loi sur le copyright.
AL l’image de la loi d’Anne et des courants philosophiques que nous avons bri~vement
retraces, ces lois reposaient sur deux id6es principales, celle d’encourager le savoir
ainsi que celle de consacrer le droit naturel de 1’auteur sur son travail’ 2. Ce courant
“6 Supra note 139. Peters avait dfcidd de publier des decisions de jurisprudence antdrieurement im-
primdes par Wheaton. Ce demier reprit les arguments avanc6s quelques annes auparavant par
Donaldson. Sur l’historique d6taill6 de cette affaire voir C. Joyce,
aux pp. 1369-75. J. Whicher fait 6galement remarquer que l’aspect monopolistique et positiviste du
droit d’auteur vient des enseignements de la guerre des brevets sur les bateaux .vapeur. En faisant
l’analogie avec les brevets, les juges de l’arr& Wheaton auraient perqu le danger de conffrer un mo-
nopole sur les iddes. C’est & ce titre qu’il refus~rent de consacrer un copyright de droit commun. Whi-
cher ajoute : <4[t]his confusion between patents and copyrights was further encouraged by their "mar-
riage" in the Constitution>> (J. Whicher,
(1962) 9 Bull. of the Copyright Society of U.S.A. 102 A lap. 197).
161 33 U.S. 591 (1834) A lap. 592. Le Copyright Act 1790, 1 Stat. 1790, fut adopt6 en vertu du pou-
voir conf&6 au Congrs dans U.S. Const. art. I, 8, cl. 8, dont la partie pertinente est reproduite dans
]a citation.
16 Voir par exemple les extraits et prambules de ces lois dans R Crawford,
rique des projets qui ont prdc&ti l’adoption de la constitution amfricaine, voir D.W. Banner,
lap. 115.
64 Cit6 dans Whicher, supra note 160
5 Warner Bros. Pictures c. Columbia Broadcasting System, 216 E2d 945 h ]a p. 948 (9th Cir.
1954).
1998]
RE. MOYSE – LA NATURE DU DROIT D’AUTEUR
555
par le droit frangais. Sa nature particuli~re est donc le fruit d’un compromis entre
deux traditions souvent oppos~es. II en r6sulte un droit tout en nuances.
c. Les nuances du droit canadien
Possession frangaise puis Dominion du Commonwealth, le Canada a une lgisla-
tion r6sultant en majeure partie des lois coloniales. Cependant, et il s’agit 1M d’une
convention constitutionnelle, le Parlement de Londres s’est progressivement retir6 du
domaine 16gislatif, laissant au Parlement f6d6ral canadien de plus amples pr6rogati-
yes. Le processus 16gislatif en mati~re de droit d’auteur au XDC et au d6but du XX
si~cle montre d’avantage l’6volution des rapports constitutionnels que la dtermina-
tion d’un r6gime de droit d’auteur de type canadien. On n’en attendrait pas moins
d’un pays encore jeune. D’une certaine fagon cependant, l’histoire du droit (i) r6v~le
l’importance des courants de pensde qui ont permis de flchir un droit purement sta-
tutaire afin de lui donner une coloration proprement canadienne (ii). C’est ainsi que
l’on peut d6couvrir qu’A une soci6t6 donn~e correspond un droit de nature particu-
li~re.
i. Quelques 61lments d’historique I6gislatif
Le Parlement canadien adopte en 1835 une loi intitul6e Acte pour protiger la
proprift littgraire. La version anglaise reprend quant h elle les termes de Copy
Rights'”. Le Canada est alors une jeune colonie anglaise dont la concession par la
France remonte k 1763 lors de la signature du Traitj de Paris”. On est loin des d6bats
juridiques sur la terminologie. En vertu de cette loi le droit de l’auteur est garanti pour
28 ans'” tel que le pr6voyait la loi anglaise de 1777′”. Cependant, l’enregistrement du
livre est un pr6alable obligatoire pour b6n6ficier de cette protection. La loi est A cet ef-
fet tr~s claire : <[ ...] aucune personne n'aura droit au b6n~fice de cette Acte, moins
qu'elle n'ait d6pos6e avant la publication un exemplaire du titre de tel livre ou livres,
carte, plan, oeuvre de musique, estampe, figure en taille douce ou gravure dans le Bu-
reau du Greffier de la Cour Sup~rieure> ‘7 . Les ouvrages vis6s doivent au surplus por-
ter une mention sp~cifiquement pr6vue par loi et certifiant I’accomplissement des
proc6dures. Une fois l’ouvrage enregistr6 le droit de l’auteur ne peut &tre justifi6 par
une quelconque r6f6rence au common law copyright. Bien au contraire, c’est ici
‘” An Act for the protection of Copy Rights, 1832, 2 Guillaume IV, c. 53. Le Parlement de Grande-
Bretagne avait en effet facilit6 l’administration de la Province du Bas-Canada en &lictant une loi don-
nant un pouvoir assez 6tendu au Conseil Lgislatif et L l’Assembl6e de cette province.
’67 (R.-U.), 30 & 31 Vict., c. 3.
,”Voir Acte pourprotoger la propitit littiraire, supra note 166, art. 1.
‘”Voir Prints Copyright Act, 1777,7 Geo. III, c. 38, art. 7. Cette p&iode passera en Angleterre A la
vie de l’auteur et sept ans ou quarante-deux ans aprs la preni~re publication. Voir An Act to Amend
the Law of Copyright, 1842 (R.-U.), 5 & 6 Vict., c. 45, art 3.
‘ Acte pour protiger la propridtj littiraire, supra note 166, art. 4.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
l’Acte qui d6finit strictement les contours du droit. La loi de 1832 fut abrog6e par la
une loi de 1841… qui en reprend presque mot pour mot le contenu.
La Loi constitutionnelle de 18672 va donner au Parlement fdd6ral une comp6-
l’endroit du droit d’auteur’ 3. Un an apr~s cette d6volution
tence 16gislative exclusive
constitutionnelle, le Parlement f6d6ral adopte l’Acte de la proprijt6 littdraire et artis-
tique de 1868 et soumet l’administration du droit d’auteur au Minist~re de
1’Agriculture du Canada”. Outre cette singularit6, la loi de 1868 n’apporte que peu de
changements au rdgime mis en place en 1832. On y r6pte” encore une fois que nul
n’aura droit au privilege accord6 par le pr6sent acte, h moins qu’il ne d6pose au bu-
reau du Ministre de l’Agriculture deux exemplaires du dit livre[…]> ‘7 . Les amende-
ments les plus notables sont ceux qui conf’erent aux auteurs de Grande-Bretagne et
d’Irlande le b6n6fice de la meme protection dontjouissent les nationaux”. Ensuite, ce
fft la loi frd~rale de 1875 qui devint, par sanction royale, la 16gislation du Canada’.
Mais encore A cette 6poque, l’indrpendance l6gislative 6tait tr~s relative de telle sorte
qu’une loi imp6riale de la m~me annde, The Canada Copyright Act 1875”, donne a
Sa Majest6 le droit d’approuver la loi canadienne. II faut attendre 1911 pour que le
Parlement de Londres soumette 1’application de la loi imp6riale sur le droit d’auteur t
“‘Acte pour protdger les Droits d’Auteurs dans cette Province, 1841, 4 & 5 Vict., c. 61. Deux lois
viendront compldter ]a loi de 1841 : An Act to amend the law relating to the protection in the colonies
of works entitled to copyright in the United Kingdom, 22 juillet 1947 (R.-U.), rActe pour 9tendre
l’Acte Provincial des Droits d’Auteur aux personnes rdsidant dans le Royaume Uni, at certaines
conditions du 28 juillet 1847, 10 & 11 Vict., c. 95 et l’Acte pour amender l’acte qui impose des droits
de douanes du 10 aofit 1850,13 & 14 Vict., c. 6.
17 (R.-U.), 30 & 31 Vict., c. 3.
“3 Voir la Loi Constitutionnelle de 1867, ibid, art. 91(23). L’autonomie 16gislative du Parlement fd-
drral dtait toute relative car en autant que ]a Loi constitutionnelle de 1867 6tait une loi impdriale, les
lois adoptres en vertu de celle-ci devaient toujours passer en demier lieu par le Parlement de Londres.
A ce titre les lois sur la proprit6 littraire adoptres par le Parlement du Canada pouvaient toujours
atre modifi~es voir abrogfes par une loi imp&iale. Techniquement les lois britanniques sur le droit
d’auteur 6taient en principe applicables au Canada de la m~me mani&e, et
fortiori, que l’dtaient les
lois adopt es par le Parlement du Canada. Les deux Parlements 6taient assujettis au pouvoir royal.
Voir ce propos la decision Hubert c. Mary (1906), 15 B.R. 381, 29 C.S. 334. The Imperial Parlia-
ment is supreme. The expression “exclusive”, in the British North America Act, in the section refer-
ring to copyright does not deprive the Imperial Parliament of the right of legislating on the same sub-
ject in so far as Canada is concerned>>. Ibid. A lap. 383, juge Lavergne.
‘”22 mai 1868, 31 Vict., c. 54.
Ibid., art. 3.
’76tvidemment cette 6poque ]a preoccupation principale 6tait d’empacher toute contrefagon de i-
vre d’6crivains anglais. De ce fait, une loi impriale de 1842 (An Act to Amend the Law of Copyright,
supra note 171, art. 15-17) avait pr6vu de nombreuses causes d’action afin de permettre au proprid-
taire du copyright (proprietor of copyright) de d6fendre efficacement son droit dans les dominions.
’38 Vict., c. 88.
7An Act to give effect to an Act of the Parliament of the Dominion of Canada respecting Copy-
right, 1875 (R.-U.), 38 & 39 Vict., c. 53, art. 3.
1998]
RE. MOYSE – LA NATURE DU DROIT D’AUTEUR
la volont6 expresse du l6gislateur canadien. Dix ans plus tard, en 1921, le Canada se
dote d’une loi modeme sur le droit d’auteur copi6 sur la loi anglaise de 191 1′”.
II faut retenir de ce bref passage dans l’histoire du XIK sicle que le droit
d’auteur canadien est, au moins jusqu’
l’adoption de la loi de 1921, incontestable-
ment vou6 aux intdrts de Londres et des auteurs anglais. C’est ainsi que l’avocat
qudbrcois Mignault a pu 6crire:
si une personne obtenait en Angleterre Ta proprirt6 d’un ouvrage et faisait enre-
gistrer ses droits au Stationer’Hall, elle pouvait en poursuivre la contrefagon A
Londres comme 5 Calcutta, 5. Quebec comme dans les profondeurs de
l’Australie. Nous avions, il est vrai des statuts particuliers qui permettaient A
nos litt&ateurs de s’assurer la propri6t6 de leurs oeuvres dans les limites de la
Province; mais tandis qu’il 6tait parfaitement pennis aux publicistes de ]a m6-
tropole de nous faire concurrence en Angleterre, le moindre 6crivailleur anglais
dtait protIg dans tous les coins de l’Empire’ .
C’est une plume bien railleuse qui s’insurge contre les consdquences d’une su-
bordination 6tatique ! Mais plus encore, le droit canadien s’est d6velopp6 sans aucune
attache doctrinale particuli~re. L’Angleterre d’alors ne se gargarisait pas de discus-
sions philosophiques sur la nature du droit. L’ aspect pragmatique du droit issu de la
common law et sa flexibilit6 permettent alors une adaptation certainement plus aisde
qu’ailleurs aux progr~s des sciences. I1 en rdsulte que la I6gislation canadienne est une
16gislation rapportde, principalement rdgulatrice et au caract~re autoritaire. Aucune
philosophie particuli~re ne vient asseoir pleinement ces droits si ce n’est que la vo-
lont6 de la couronne de protdger les 6crivains anglais et irlandais. La culture cana-
dienne 6tait alors a l’adolescence. C’est autour de ce tronc sec pourtant que fleurira
pourtant un droit d’auteur original.
ii. La nature du droit d’auteur canadien
statutory copyright –
La distinction entre oeuvres publides –
et oeuvres non
common law copyright – durera quelques ann6es. Seule 1’application du
publides –
droit anglais permet d’arriver h cette conclusion puisqu’aucune jurisprudence cana-
dienne ne peut h notre connaissance faire foi de l’existence de cette dichotomie. Le
common law copyright sur les oeuvres non publides resta donc en vigueur jusqu’
l’adoption du Copyright Act” de 1911 en Angleterre et au Canada jusqu’au premier
janvier 1924” . Nous rapprocherons les conclusions de l’arret Donaldson de l’actuel
‘ Voir la Loi de 1921 concernant le droit d’auteur, 11-12 Geo. V, c. 24, modifi e par 13-14 Geo. V,
c. 10 entrera en vigueur le l’janvier 1924,27 Gaz. C. n 26,2157. Larticle 5 de la loi de 1923 fixe au
1janvier 1924, 1’entre en vigueur du texte de 1921.
Igo RB. Mignault, <
” (R.-U.), 1-2 Geo. V., c. 24.
112 Date de l’entrde en vigueur de ]a loi de 1921 adoptre par le Parlement canadien. Voir Fox, supra
note 119 5 lap. 26.
558
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
article 89 de la Loi canadienne sur le droit d’auteur telle que modifi6e par ]a Loi mo-
difiant la Loi sur le droit d’auteur” qui 6nonce que :
[n]ul ne peut revendiquer un droit d’auteur autrement qu’en application de la
pr~sente loi ou de toute autre loi f~d&ale; […]
Selon cette disposition, il est donc impossible d’invoquer un droit d’auteur hors
des cas oi la loi le pr6voit. M. Tamaro relive, ce propos, que le juriste anglo-saxon
dirait du droit d’auteur canadien que c’est oun droit statutaire ‘”.
Pourtant si l’on regardejusqu’A nous, le droit d’auteur canadien a ceci de particu-
lier qu’il se situe A la crois~e des syst~mes de droit de type continental et ceux de
common law. Tout au long du XX sicle et jusqu’en 1982, date du rapatriement de la
constitution canadienne, le Canada acquiert une autonomie politique de plus en plus
grande. Ce qui signifie 6galement que les ressorts civilistes de ]a province du Qu6bec
vont imprimer aux rdformes l6gislatives un dynamisme nouveau.
Ces remarques seraient incompl~tes si l’on omettait de parler du role du juge dans
le processus de formation du droit. Certes le principe grn6ral d’interpr6tation des
textes l6gislatifs en droit d’auteur est celui de la literal rule ou de l’interprrtation litt6-
rale”. Cela semble logique puisque ce droit est avant tout de nature statutaire. Cette
conception qui soutend la r&laction des textes va 6galement paver le chemin que sui-
vra lejuge. Rl respectera l’intention du 16gislateur que manifestent les termes de la loi.
Le juge n’est pourtant pas enti~rement ligot6. Certains concepts fondamentaux du
droit d’auteur sont en effet contenu variable ou requi~rent une appr6ciation subjec-
tive. La tache lui revient alors de leur donner un sens. Si le l6gislateur s’inspire princi-
palement des textes anglais'”, c’est lejuge qui va d~couvrir, le cas 6ch6ant, les aspects
.3L.C. 1997, c. 24. L’ancienne version de cet article se trouvait A 1’art. 63, Loi sur le droit d’auteur,
L.R.C. 1985, c. C-42. L’art. 63 se lisait ainsi : <[p]ersonne ne peut revendiquer un droit d'auteur ou un
droit similaire quelconque sur une oeuvre littdraire, dramatique, musicale ou artistique, autrement
qu'en conformit6 avec la prrsente loi ou toute autre loi en vigueur h 'poque et en vertu de
celles-ci ; [...]>. On notera toutefois que l’art. 63 de la loi canadienne sur le droit d’auteur avait dttS
6dict6 pour 6viter un 6ventuel recours A la Convention de Berne.
‘” N. Tamaro, (La dissociation de la propri~td du Code civil des droits d’auteur l’exemple de ]a sai-
sie dans Diveloppements rdcents en droit de la propritd intellectuelle, Montr6al, Yvon Blais, 1991
lap. 153. Voir dgaement les affaires Compo Co. c. Blue Crest Inc. (1979), [1980] 1 R.C.S. 357 “A ]a
p. 373, 105 D.L.R. (3’) 249. Dans cette affaire lejuge Estey rappelle que le droit d’auteur a pour soule
source la l6gislation qui <
Information Law of Canada, Scarborough (Ont.), Carswell, 1994, 129. M. Brunet, soulignant la dua-
lit des influences sur le droit d’auteur canadien, pr6cise que :
[j]urists from the common law system will analyze copyright from a traditional com-
mon law (U.K.) point of view. […] Conversely, jurists from the civil law system will
analyze copyright from the continental European civilist concept of “droit d’auteur”,
1998]
RE. MOYSE – LA NATURE DU DROIT D’AUTEUR
559
personnalistes ou matdrialistes de notre droit. , cet 6gard la rdcente affaire TeleDirect
(Publications) Inc. c. American Business Information, Inc.87 est int6ressante. En appel
le juge Decary approuve la ddcision de premiere instance de la cour f~drale’ et re-
fuse d’accorder la protection du droit d’auteur A une compilation au motif que le re-
qudrant n’a pas manifest6 un effort de crdativit6 suffisant’ . L’originalit6 dont il est
question ici n’est donc plus tout it fait celle qui rdsulte du sweat of the brow mais bien
d’un effort crdatif minimal. Le retour a une orientation plus personnaliste de la juris-
prudence canadienne est ici justifi6 par la situation particuli~re des oeuvres factuelles
it forte composante mdcanique et ne vaut it notre avis que pour ces demi~res.
On rappellera 6galement que le Canada est le premier pays de tradition de copy-
right ia avoir adopt6 une disposition consacrant le droit moral dans sa 16gislation” .
Mais, encore une fois, il ne faut pas se mdprendre; il n’y a pas, au Canada, de vdrita-
ble tradition de droit moral’91. L’insertion d’une telle disposition au sein d’un syst~me
one that protects the act of creation itself, including the expression of the personality of
the author, as- that personality is expressed in the work of the mind of the author (ibiL A
lap. 132).
(1998), 76 C.P.R. (3) 296 (C.EA.).
“8 TeleDirect (Publications) Inc. c. American Business Information, Inc. (1997), 74 C.P.R. (3′) 72.
” En premiere instance le juge McGillis avait relev6 que le demandeur exercised only a minimal
degree of skill, judgement or labour in its overall arrangement which is insufficient to support a claim
of originality (A lap. 97).
‘ Le droit d’auteur canadien comprend un droit moral seulement depuis 1931, date de son
adhesion A Ia Convention de Berne, supra note 32. II s’agissait en effet de mettre la loi canadienne en
conformitd avec l’article 6 du traitd. Le droit moral resta inchang6 jusqu’bt la r6vision de la loi de
1988. Le lgislateur a ajout6 A l’occasion de cette rforme de nombreuses r6f&ences au droit moral,
ce qui a permis d’en prdciser sa portde. La loi modifiant la loi sur le droit d’auteur de 1997 reprend
pour l’essentiel les dispositions de 1988. Les articles pertinents sont situ~s sous la partie III de la loi
actuelle. Voir Y Gendreau,
On se souvient que la question du common law copyright se posait notamment h
propos des oeuvres non publi6es, et ce dans les m~mes termes au Canada qu’en An-
gleterre puisque les l6gislations coloniales et imp6riales pr6sentaient d’importantes
similitudes 4 1’6poque. Ds 1875, le l6gislateur canadien met fin ht tout d6bat t cet en-
droit puisque 1’article 3 de la loi de 1875′” 6nonce d6j4 que l’autorisation de l’auteur
est n~cessaire pour l’impression et la publication des oeuvres non encore en circula-
tion. Le caract~re r6gulateur de la loi prend done le pas sur les fictions ou les justifi-
cations th6oriques principalement lies 1’existence d’un droit naturel ou d’un droit
au fruit de son travail. Si la loi devient plus pr6cise, ]a jurisprudence elle s’enlise dans
’92Voir P.B. Mignault, La propridt6 littdraire>> (1880) 2 La Thmis 367 A lap. 370.
PB. Mignault, La propri6t6 litt6raire > (1880) 2 La Th6mis 289 ; (1880) 2 La Th6mis 367 ;
(1881) 3 La Th~mis 12. Voir 6galement, l’dtude de Tamaro, supra note 184 aux pp. 180-90.
,’, Voir A. Perrault,
49 ; (1924) 3 Revue du droit 107.
’93P.B. Mignault, <
196 Ibid. a la p. 295. Mignault reconnalt cependant A l’instar de nombreux auteurs europ~ens que la
propri~t6 littraire est de droit naturel.
… Voir supra note 178.
1998]
RE MOYSE – LA NATURE DU DROIT D’AUTEUR
les difficultrs conceptuelles. En 1874, la cour sup~rieure du Qudbec rend jugement ‘A
propos d’un litige sur la propri6t6 d’un livre de catdchisme. A cette occasion le juge
Stuart ddcide que :
[s]o long as writings and works are within the possession of the author he has
the same right to the exclusive enjoyment of them as of any other species of
property. But when they are circulated abroad and published with the author’s
consent they become common property, subject to free use of the community
–
such is the common law on the subject”‘ .
Bien entendu on rel~vera dans cet extrait la rdfdrence ‘A des termes frdquemment usit6s
par les sprcialistes en droit des biens. L’ide de possession (ide proche de celle
d’occupatio), de jouissance (usus) rrf’erent justement aux <
ture immatrielle 2 ‘.
Ainsi, s’appuyant sur les dcrits et la jurisprudence frangaise les auteurs canadiens,
et parmi eux les civilistes, ont su accommoder leur h6ritage anglais aux analyses car-
t6siennes frangaises. On voit poindre de ces 6tudes une originalit6 propre du syst~me
canadien qui s’emploie ha grnrrer intelligemment ses propres normes ‘ la lumire des
exp6riences 6trang~res.
Joseph A. Langlois c. Elziar Vincent (1874) 18 L.C. Jurist 160
lap. 161.
” A. Perrault, La propri&6 des oeuvres intellectuelles (1) (1924) 3 – 2 Revue du droit 49 L la p.
57.
Ibid ‘lap. 61.
‘ ibid. la p. 62.
MCGILL LAW JOURNAL /REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 43
Conclusion : monopole ou propri6t6
Renouard faisait remarquer que l’expression <
Anglais et les Allemands est bien plus juste que celle de <
Cette demi~re locution, rapporte l’auteur,
ne confond, ni l’6mission premiere de la pensre avec sa reproduction, ni ]a
propridtd mat6rielle de chacun des exemplaires d’un ouvrage avec la posses-
sion intellectuelle de leur contenu. Elle ne fait nul obstacle A l’6tablissement
plus ou moins 6tendu des droits que les lois peuvent garantir
I’auteur.
L’expression propritd littdraire confond toutes ces ides2″.
Ce que r6v~le tr~s certainement le terme de <
du droit d’auteur. I1 s’agit d’un droit exclusif et, pour ce qui est de la partie relative A1
‘exploitation commerciale de l’oeuvre, d’un vdritable monopole de reproduction.
C’est certainement pour mettre en valeur ce trait que le terme de <
la loi d’Anne. Ne doutons pas que la rdaction du l6gislateur anglais en 1710 contre le
monopole des &liteurs, loin de recentrer le copyright sur son objet, a soulign6 son role
6conomique. Le droit canadien h6rit6 de ce trait tout en restant, du fait notamment
de l’influence du Qu6bec, r6ceptif aux doctrines frangaises. C’est ici tout A l’honneur
de notre droit puisque le lgislateur canadien est port6 plus que tout autre A rester at-
tentif aux ddveloppements extdrieurs afin de modeler ses propres rfgles.
,
Si il est vrai que l’histoire du droit d’auteur au Canada n’est pas aussi 6toff6
qu’elle ne l’est sur les vieux continents on peut en revanche gager sur le dynamisme
et la place de plus en plus importante de notre droit dans les consensus intemationaux.
Le Canada se trouve de fait un laboratoire iddal pour l’61aboration de r~gles respectant
les diffdrentes grandes tendances en mati~re de droit d’auteur. Les ddveloppements
thdoriques sont certes souvent plus consdquents 4 l’extdrieur mais nous pouvons nous
enorgueillir d’un pragmatisme intelligent, pragmatisme que l’on ne prendra pas pour
de l’indiffdrence t l’gard de la doctrine mais plut6t comme une savante r6cup6ration
des meilleures thdories. On trouve ainsi dans les lois canadiennes la volont6 de consa-
crer un droit centr6 autour de la personne de l’auteur –
ce qui reste une 6manation
des structures civilistes du droit de proprirt6 –
et un droit d6finitivement dynamique,
orient6 vers sa fonction 6conomique –
ce qui reprend les thories soutenant le con-
cept de monopole.
o Renouard, Traitd des droits d’auteurs, vol. 1, supra note 9 A la p. 456.
203 U.S. Const. art. 1, 8, cl. 8 [traduction de rauteur].
1998]
RE MOYSE – LA NATURE DU DROIT D’AUTEUR
563
On r6p6tera que si l’histoire du droit d’auteur a connu un d6veloppement similaire
de chaque c6t6 de la Manche, le syst~me frangais focalise davantage sur la nature du
l’dpicentre des normes. C’est sans
droit d’auteur, cr6ant le droit en plagant 1’auteur
doute 1′<
Les 6conomistes ont r6cemment port6 une attention toute particulire h la dimen-
intellectuell&4 . Si l’on suit les analyses mi-
sion 6conomique des droits de proprid6t
cro-6conomiques du droit d’auteur notamment, les vocables xmonopole>> et <
the 21st Century, Deventer, Kluwer, 1992, 43.
” Le professeur Strowel pr6cise en effet que le droit de proprit6 renvoie
.la notion anglaise de
ownership, alors que le property <