La premiere d6cennie des travaux consacr~s ‘a la
revision du Code civil
Sylvio Normand*
L’auteur s’intiresse A la premiere dicennie des tra-
vaux consacris i la rivision du Code civil, soit du dibut
des annmies cinquante jusqu’au milieu des anndes
soixante. I1 note que les travaux de r6vision commen-
cirent viritablement en 1955, peu de temps apr.s I’adop-
tion de la Loi concernant la rdvision du Code civil. Thi-
baudeau Rinfret, personnalit6 de premier plan dans ]a
t titre de
communauti juridique quibdcoise, fut nomm
riviseur du Code. I1 invita tout d’abord les membres de
la communauti juridique a lui faire des suggestions pour
son travail. I prisenta ensuite une srie de rapports sur
des tranches du Code. L’autcur remarque que ces rapports
rdvilent qu’il ne se prita pas t des travaux de recherche
d’envergure, ne cherchant pas a, documenter ses proposi-
tions par des 6tudes approfondies. Selon l’auteur, Rinfret
suggra nianmoins certaines modifications importantes
dont t’abolition du conseil de famille et celle de Ia sub-
stitution fid6icommissaire. L’auteur mentionne en outre
la prisence du sdnateur Pouliot, officier spicial, aux c6tds
de Rinfret. Ce demier adopta une m6thode de travail dif-
firente de celle de Rinfret, en dressant un inventaire
d6tailli de toutes les modifications apport6es au Code
depuis 1866. L’auteur note que les travaux sur la rivision
soulev~rent de nombreuses questions constitutionnelles
particuli~rement quant A la possibilit6 pour l’Assemblde
ligislative qu6b6coise de modifier les articles du Code
sur les conditions requises pour contracter le mariage.
Au dibut des ann6es soixante, Thibaudeau Rinfret dut
cider sa place, pour des raisons de sant6, A Andri
Nadeau, civiliste chevronni. Une nouvelle 6quipe fut for-
mie. Cette fois-ci, on recourut A l’expertise de spicia-
listes exteres, leasquels possidaient une vaste expiriene
de Ia pratique du droit dans des domaines particuliers.
Chacun devait 6tudier la portion du Code qui leur avait
6t6 attribu6e et soumettre leurs recommandations au rivi-
seur. La remise des rapports des spicialistes itait suivie
par des riunions d’itude en compagnie des officiers spi-
ciaux. Un rapport sur I’ensemble des travaux fut remis au
gouvernement avant le dipart de Nadeau pour Ia Cour
supirieure en 1964. L’auteur s’interroge sur l’influence
qu’ont eu ces rapports sur la r6vision du Code, mais note
qu’une partie des travaux conduits sous Nadeau, ceux sur
la capacit6 juridique de ]a femme mari6e, a exerci une
influence imm.diate sur des changements apportis au
Code civil.
L’arriv6e de Paul-Andr6 Cripeau comme president de
I’Office de rivision du Code civil, marqua une transfor-
mation du processus de rivision du Code. Les universi-
taires se substitu~rent alors aux praticiens comme maitres
d’oeuvre de ]a rdvision et les m6thodes de travail, tout en
s’inspirant de celles qu’avaient introduites Nadeau,
devinrent plus rigoureuses. Bien que les travaux de
Nadeau connurent un risultat tangible limit6, l’auteur
insiste sur leur influence dans le virage qu’allait prendre
la rivision du Code peu de temps apr~s son d6part.
The author deals with the first decade of the project
dedicated to the revision of the Civil Code, that is, from
the beginning of the 1950s to the mid-1960s. He notes
that the revision work began in 1955, soon after the Act
respecting the Revision of the Civil Code was enacted,
Thibaudeau Rinfret, a highly respected individual in the
Quebec legal community, was given the title of reviser of
the Code. He immediately invited the members of the
legal community to provide him with suggestions for his
work. He then presented a series of reports on sections of
the Code. The author notes that these reports reveal that
he was not in favour of large-scale research work, as he
did not seek to document his propositions with in-depth
studies. According to the author, Rinfret nevertheless
suggested certain important modifications including abo-
lition of the family council and the fiduciary substitution.
The author mentions, moreover, the presence, alongside
Rinfret, of Senator Pouliot, special officer, who adopted
a method of working that differed from that of Rinfret,
preparing a detailed inventory of all modifications to the
Code since 1866. The author notes that the revision pro-
ject raised a number of important constitutional questions
concerning, in particular, whether it was possible for the
Quebec Legislative Assembly to modify the articles of
the Code dealing with the requisite conditions for enter-
ing into marriage.
At the beginning of the 1960s, Thibaudeau Rinfret
had to hand over his position, for health reasons, to
Andr6 Nadeau, an experienced civilian. A new team was
formed. This time, recourse was had to the expertise of
external specialists who had vast experience in particu-
lar fields of the practice of law. Each had to study an
assigned section of the Code and submit recommenda-
tions to the reviser. The submission of reports by the spe-
cialists was followed by meetings attended by the special
officers. A report of all of the work was submitted to the
government before Nadeau left for the Superior Court in
1964. The author examines the influence that these
reports had on the revision of the Code, but remarks that
part of the work undertaken under Nadeau, on the legal
capacity of married women, had an immediate influence
on changes brought to the Civil Code.
The arrival of Paul-Andri Cripeau as president of the
Civil Code Revision Office marked a transformation in
the process of revising the Code. Academics replaced
practitioners as those responsible for the revision, and the
work methods, while inspired by those introduced by
Nadeau, became more rigorous. Although the work of
Nadeau achieved few tangible results, the author empha-
sizes its effect on the change in direction that codal
reform took soon after Nadeau’s departure.
* Professeur A ]a Facult6 de droit de l’Universit6 Laval. L’auteur remercie Jean-Luc Bilodeau et
Alain Hudon qui, en tant qu’auxiliaires de recherche, ont effectui une partie de la recherche docu-
mentaire A ]a base de cet article. La pr6sente 6tude a pu 8tre r6alis6e grfice au soutien financier du
Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.
Revue de droit de McGill
McGill Law Journal 1994
Mode de r~f6rence: (1994) 39 R.D. McGill 828
To be cited as: (1994) 39 McGill L.J. 828 –
1994]
LA REfVISION DU CODE CIVIL
Sommaire
Introduction
I.
Des d6buts modestes sous Thibaudeau Rinfret (1955-1961)
A. Un mandat restreint et une petite 6quipe
B. Un travail individuel
II. Un tournant sous Andr6 Nadeau (1961-1964)
A. Un personnel renouvel6
B. L’dlaboration d’une mthode
C. Un changement de cap s’annonce
Conclusion
Introduction
L’id~e de rdformer le Code civil, loin d’&re apparue spontan6ment, a fait
son chemin petit h petit. Les premiers h traiter de la question voyaient la r6vi-
sion comme un moyen d’6purer le Code. II fut notamment sugg6r6 de retrancher
du Code les dispositions d6su~tes qu’il contenait’ ainsi que les articles de pro-
c6dure qui voisinaient ceux de droit substantiel2. Harmoniser l’ensemble du
Code constituait le but ultime des premiers promoteurs de la r6vision. La
d6marche souhait6e par ces juristes s’inscrivait en droite ligne dans le courant
protectionniste qui s’6tait manifest6 avec vigueur dans la communaut6 juridique
durant l’entre-deux-guerres 3.
La modernisation du droit civil figura, un peu plus tard, au nombre des
motifs justifiant une r6vision en profondeur du Code. A l’occasion, des auteurs
signalaient certaines institutions qui leur apparaissaient ne plus r6pondre aux
besoins de la soci6t6, et m~me nuire A son progr~s. M. le juge Thibaudeau Rin-
fret s’en prit ainsi A la substitution fiddicommissaire qu’il voyait comme <
Pigeon, lors d’une conf6rence prononc6e devant la Soci6t6 Saint-Jean-Baptiste
de Qu6bec, insistait sur le d6veloppement ndcessaire du droit social dans une
1J.-A. Gagn6, <(Notre Code civil, ses qualit6s, ses d6fauts, ses lacunes > dans Deuxi~me congrs
de la languefrangaise au Canada : Mimoires, t. 2, Qu6bec, Imprimerie du Soleil, 1938, 201 A la
p. 210.
(1942) 2 R. du B. 273 A la p. 284.
Mnzoires, ibid., 140 aux pp. 160-62.
2A. Rivard, cNotre 16gislation dans Dezaieme congr~s de la langue frangaise au Canada:
3Sur cette question, voir S. Normand, Un theme dominant de la pens6e juridique traditionnelle
4
REVUE DE DROIT DE McGILL
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soci6t6 en changemen. I soulignait notamment les drsagr6ments pos6s par
certaines dispositions du Code qui ne tenaient pas compte de l’6volution des
besoins sociaux6.
Le plaidoyer le plus convaincant en faveur d’une modemisation du Code
vint de l’avocat Jean Turgeon qui, au drbut des ann6es cinquante, avait fait
paraitre un article sur le sujet dans la Revue du Barreau canadien. I1 y soulignait
la drsu6tude de certaines r~gles du droit civil et faisait ressortir l’inadaptation
du Code A de nouvelles rralitrs : <[L]'experience acquise, les progr~s de ]a
science et les conditions 6conomiques et sociales nouvelles exigent une revision
complete tenant compte de la recherche scientifique>>7. Turgeon ne se contentait
pas, comme ses devanciers l’avaient souvent fait, de traiter g6n6ralement de ]a
question: il donnait plusieurs exemples de modifications qu’il souhaitait voir
apporter h des dispositions du Code. 11 est vraisemblable que cet article, 6crit par
un des avocats les plus en vue au Barreau de Quebec A cette 6poque, ait pu exer-
cer une certaine influence sur le gouvemement.
L’Assemblde l6gislative se rendit aux dol6ances des tenants d’une r6forme
du droit civil et vota, en fdvrier 1955, la Loi concernant la revision du Code
civil’. Peu de temps aprbs, les travaux commenc~rent.
La premiere drcennie de travaux portant sur la rdvision du Code civil fut
souvent jugre avec sdv6rit69 . I1 faut reconnaltre en effet qu’elle produisit bien
peu de rrsultats concrets. Loin de m’efforcer de nier ce constat, je chercherai
plut6t
expliquer pourquoi les travaux de rdvision du Code connurent des
debuts difficiles malgr6 les efforts que plusieurs y d6ploy6rent.
I. Des d6buts modestes sous Thibaudeau Rinfret (1955-1961)
A. Un mandat restreint et une petite 6quipe
Le processus de revision du Code civil poursuivait deux objectifs dis-
tinctsl soit, d’une part, d’61iminer les imperfections du Code en procrdant A des
corrections de style et d’agencement qui s’imposaient et, d’autre part, de propo-
ser au gonvemement des modifications de substance A apporter au Code. La
rdvision devait en outre respecter le style l6gislatif propre A un code de tradition
civiliste. La perception qu’ont pu avoir de la revision du Code les personnes qui
y prirent part a consid6rablement vari6 au cours des ann~es. I1 semble qu’au
5 <
que jusqu’au debut des annres soixante les mots <
sans accent aigu.
8 S.Q. 1954-55, c. 47 [ci-apr~s Lot]. La Loi fut sanctionnre le 10 fdvrier 1955.
9M. Rivet, <
Facult6 d’6ducation permanente, Universit6 de Montrdal, 1979, 11 h ]a n. 2.
10Loi, supra note 8, art. 1.
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LA R-tVISION DU CODE CIVIL
ddbut des travaux, la tache ait 6t6 perque, tant par le gouvemement que par les
juristes charg6s de la r6vision, comme ne n6cessitant pas une r6forme substan-
tielle du droit priv6. Ce ne fit qu’au milieu des ann6es soixante que l’on entre-
prit de r6former le Code en profondeur.
La Loi pr6cisait que la tache de r6viser le Code civil devait etre confi6e h
un juriste, plut6t qu’aux parlementaires ou i l’Administration publique. Ce fai-
sant, on recourait h la m6thode employ6e lors de la codification du droit civil
en 1866 qui, comme on le sait, avait relev6 de trois juges”. D’ailleurs, les
juristes qui, dans des 6crits, s’6taient montr6s favorables t une r6vision du Code
estimaient que des spdcialistes devaient en 6tre charg6s’2. Le gouvernement
nomma Thibaudeau Rinfret h titre de r6viseur du Code’3 . Personnalit6 de pre-
mier plan dans la communaut6 juridique qu6b6coise, Rinfret venait alors de
quitter ses fonctions de juge en chef de la Cour supreme du Canada. Avocat ii
Saint-Jr6me de Terrebonne, puis h Montr6al, Rinfret avait enseign6 le droit
compar6 et le droit commercial h la Facult6 de droit de l’Universit6 McGill pen-
dant dix ans. Nomm6 juge h la Cour sup6rieure en 1922, il acc6dait, deux ans
plus tard, A la Cour supreme du Canada dont il devint juge en chef en 1944.
Ayant atteint l’age de la retraite, il quitta ses fonctions de juge en 1954 et
accepta, l’ann6e suivante, ?t l’invitation du premier ministre Maurice Duplessis,
d’exercer les fonctions ‘de r6viseur du Code civil, poste qu’il occupa jusqu’en
1961.
Outre le choix du juriste responsable de la r6vision, le gouvemement pos-
s6dait le pouvoir de nommer d’autres personnes pour l’assister. La premiere
nomination fut celle de Louis-Philippe Gagnon ii titre de secr6taire et d’adjoint
du rdviseur”4. Avocat t Montr6al, dans le meme cabinet que le ministre Paul
Sauv6, il avait d6jA assum6 la fonction de secrdtaire de la Revue du Barreau.
Plus tard, deux officiers spdciaux se joignirent h l’6quipe de base. Le choix de
ceux-ci revint au premier ministre qui ne semble pas avoir,.au pr6alable, con-
sult6 Rinfret.
Le s6nateur Jean-Frangois Pouliot, nomm6 le 1- d6cembre 1956, fit de loin
le plus actif de ces deux officiers sp6ciaux’5 . Avocat h Rivi~re-du-Loup, il repr6-
senta durant plus de vingt ans sa circonscription h la Chambre des communes
avant sa nomination au S6nat en 1955. F6ru de droit municipal et de droit
paroissial, il signa un certain nombre d’ouvrages”6. Le notaire Emile Delage, qui
“Acte pour pourvoir d la codification des lois d Bas-Canada qui se rapportent aux matijres
civiles et 6 la procedure, S.C. 1857, c. 43, art. 1.
12Gagn6, supra note 1 A ]a p. 210 ; M. Caron, Conseils juridiques de nos parlements > dans
Deuxi~me congrs de la languefrangaise au Canada : Mmoires, supra note 1, 240 b la p. 248.
3j.-J. Lefebvre, [Gustave-Henri-] Thibaudeau Rinfret (1962) 22 R. du B. 563.
1
141.-J. Deslauriers, Les cours de justice et la magistrature du Qudbec, vol. 2, Qu6bec, Biblioth6-
que nationale du Quebec, 1992 h la p. 144.
‘5J.-J. Lefebvre, eJean-Franois Pouliot> (1969) 29 R. du B. 552.
16La jurisprudence du droit municipal, Fraserville (Qu6.), Imprimerie Le Saint-Laurent>,
1916; Le droit paroissial de la province de Quibec, Fraserville (Qu6.), Imprimerie
Montreal, Wilson et Lafleur, 1936. 1 publia aussi une brochure a teneur politique : Le barrage de
Thmiscouata, Rivi~re-du-Loup (Qud.), Imprimerie
McGILL LAW JOURNAL
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avait pr6sid6 la Chambre des notaires, devint A son tour officier sp6cial h la suite
de pressions exerc6es par la Chambre. Entr6 en fonction en septembre 1958″,
il joua un r6le plut6t effac6. I1 fut remplac6 en 1961 par le notaire Benoit Bou-
langer de Qu6bec.
B. Un travail individuel
La Loi 6tait particuli~rement laconique sur les m6thodes de travail. De
toute 6vidence, le personnel charg6 de la r6vision avait la libert6 d’6tablir lui-
meme ses fagons de faire. Peu de temps apr~s sa nomination, Rinfret sentit le
besoin de consulter la communaut6 juridique et incita ses membres A participer
au processus de r6vision.
i le fit d’abord dans un article portant sur la codifi-
cation et le processus de r6vision qui parut dans la Revue diu Barreau5 . De plus,
il 6crivit t tous les avocats et notaires du Qu6bec, de m8me qu’A certaines asso-
ciations, les invitant h faire parvenir au si~ge de la Commission des suggestions
relativement h la r6vision du Code 9 .
Le d6lai de r6ponse 6tait d’un mois. Ce mode de consultation ne semble
pas avoir 6t6 bien accueilli par tous. Un avocat de Qu6bec 6crivit au commis-
saire pour lui faire part de son 6tonnement devant un d6lai aussi court pour pro-
poser des suggestions sur la r6forme. I1 ajoutait d’ailleurs qu’il lui semblait
inappropri6 de compter sur les praticiens du droit pour contribuer t une entre-
prise de cette importance:
voir supra note 17 aux pp. 3-4.
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LA R1VISION DU CODE CIVIL
time et spatial de l’Association du Barreau canadien pr6senta des suggestions
sur le droit maritime, tandis que les avocates Whilhelmina M. Holmes et Joan
Gilchrist de Montr6al achemin~rent des propositions sur les droits des femmes
qui avaient d’abord 6t6 adopt6es par trente-six associations f6minines.
Outre l’appel g6n6ral A la collaboration des avocats et des notaires, Rinfret
sollicita aussi l’appui des juges. En effet, lors d’une rencontre avec Albert S6vi-
gny, juge en chef de la Cour sup~rieure, il discuta avec celui-ci de la possibilit6
de constituer un comit6 de juges qui pourrait acheminer des suggestions sur la
r6vision du Code22. Derechef, le juge r6pondit que la chose s’av6rait impossible
6tant donn6 la lourde tache de ses coll~gues.
A l’occasion, Rinfret sollicita des consultations aupr~s de personnes jouis-
sant d’une expertise particuli~re. Ainsi, lorsqu’il se pencha sur le fameux article
129 portant sur les personnes habilit~es h c~l~brer le mariage,
il chercha con-
seil aupr~s de Mgr Val6rien B1anger, de I’Archevch de Montr6al et du P~re
Barab6, du Monast~re des Oblats du Cap-de-la-Madeleine, avant d’arr&er la
nouvelle formulation de l’article24. De meme, h propos du titre portant sur les
actes de l’6tat civil, il consulta Jean-Jacques Lefebvre, des Archives du Palais
de Justice de Montr6al, Lon Roy, des Archives de la Province, et le docteur
Paul Parrot, de la division de d6mographie de la sant6 h Quebec.
Conscient de l’impact susceptible de d6couler du travail qui lui avait 6t6
confi6, Rinfret n’h6sita pas A accorder des entrevues et a prononcer des discours
oii il s’exprimait sur la tAche qui lui avait 6t6 d6volue et sur les r6formes sou-
haitables au Code civil. Henri Turgeon, alors professeur de droit civil A la
Facult6 de droit de l’Universit6 Laval, r6agit vivement
certaines d6clarations
publiques au cours desquelles le r6viseur avait trait6 de l’histoire de la codifi-
cation et s’6tait prononc6 sur des modifications qu’il souhaitait voir apporter au
Code, notamment quant h la situation juridique de la femme maride26 . L’auteur
terminait son article en proposant de confier d6sormais au nouvel adjoint de
Rinfret, en l’occurrence Jean-Franqois Pouliot,
la responsabilit6 des d~clara-
tions publiques !
Rinfret commenga par la suite h soumettre au procureur g6n6ral des propo-
sitions sur la r6vision du Code. II pr6senta une s6rie de rapports qui portaient
sur des tranches du Code. Rinfret suivit l’ordre du Code, s’arr~tant sur les arti-
cles qui lui paraissaient devoir etre revus. Apr~s un expos6 succinct des motifs
2 2Copie d’une lettre de Thibaudeau Rinfret Albert S6vigny, 15 septembre 1955 (A.N.Q.-Q.,
Fonds du Conseil ex6cutif, cote E5-112).
2311 faut se rappeler que la d&ermination des fonctionnaires compdtents a c~l6brer le mariage
avait donna lieu A de vives discussions hi ]a suite de l’arrat du Conseil priv6 dans l’affaire Despatie
c. Tremblay, [1921] 1 A.C. 702. Sur les reactions suscitdes par l’arr6t, voir Normand, supra note
3 aux pp. 587-88.
24 Copies de lettres 6changdes entre Thibaudeau Rinfret et Mgr Val~rien BMlanger, 7 septembre
1955, 27 novembre 1956 et 1′ d6cembre 1956, et lettre de Thibaudeau Rinfret au P~re Barab6, 28
novembre 1956 (<
2T. Rinfret,
2 6
2711 6tait entr6 en fonction en d6cembre 1956.
REVUE DE DROIT DE McGILL
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qui justifiaient une intervention, il concluait par une proposition d’abrogation,
de modification ou de remplacement d’un article. Les <.autorit6s>> 6voqu6es au
soutien des suggestions avanc6es se limitaient A quelques renvois A des arrts
des tribunaux d’appel et A des textes d’auteurs de doctrine, dont Pierre-Basile
Mignault. Le recours au droit frangais, notamment au Code civil et aux rapports
de la Commission frangaise de r6forme du Code’ s, quoique rare, demeurait in6-
vitable. Les rapports soumis par Rinfret r6v~lent qu’il ne se pr~ta pas des tra-
vaux de recherche d’envergure. Dans aucun cas, il ne chercha h documenter, par
des 6tudes approfondies en droit civil qu6b6cois, les propositions de r6forme
qu’il avangait. On ne s’6tonnera donc pas qu’il n’ait pas recherch6 l’clairage
du droit compar6.
I1 est manifeste que Rinfret entendait couvrir de cette fagon l’ensemble du
Code. Avant la nomination des officiers sp6ciaux, il avait r6dig6 cinq rapports.
II en ajouta quatre autres apr~s la nomination de Pouliot et de Delage qui, ni ‘un
ni l’autre, ne prirent part A leur r6daction29. Rinfret consid6rait vraisemblable-
ment sa tAche comme un travail solitaire pour lequel il ne pouvait attendre un
bien grand appui ext6rieur.
Rinfret n’estimait certainement pas que la r6vision constituait un travail de
grande ampleur. Au contraire, ses neuf rapports, dont la longueur varie de six
h quinze pages, laissaient clairement voir qu’il n’entendait pas bouleverser le
droit civil par ses recommandations. Ceci est A ce point vrai qu’il consid6rait
qu’apr~s des modifications assez importantes au d6but du Code n6cessitant une
renum6rotation des articles, il y aurait lieu de conserver la num6rotation exis-
tante h partir du titre
dires, de perturber les habitudes des juristes et de les mettre dans l’embarras”.
L’importance de l’op6ration se trouva d’autant plus limit6e que le r6viseur con-
sid6rait qu’il valait mieux 6viter de toucher a des articles dont l’interpr6tation
6tait arrte depuis longtemps dans la jurisprudence. II justifia ainsi le statu quo
qu’il proposa pour le livre sur les obligations:
2STravaux de la Commission de riforme du Code civil, Paris, Sirey, 1949-57.
29Rinfret produisit les rapports suivants :
1956) (10 pages) ; <
(22 mai 1956) (11 pages) ;
(I” mai 1957) (13 pages) ; <
(6 pages) ; Neuvi~me rapport: Des obligations>> (3 octobre 1960) (6 pages). Jean-Frangois Pouliot
pr6cisa ne pas avoir contribu6 ht la r6daction des rapports sign6s par Rinfret (supra note 17 h la
p. 2).
Une version consolidde des 6 premiers rapports fut rdalisde et sign~e par Rinfret et Pouliot
(<
(A.N.Q.-Q., Fonds de I’O.R.C.C., cote E17-96) (73 pages)). La prdsentation de ce rapport diff~re
quelque peu des rapports originaux, notamment en proposant on commentaire article par article.
30,Quatri~me rapport: Du domicile et des absents>>, ibid. aux pp. 1-2.
3 1oNeuvi~me rapport : Des obligations>>, supra note 29
la p. 1. II tint des propos similaires sur
les servitudes r6elles (<
la p. 3).
19941
LA R]ftVISION DU CODE CIVIL
Malgr6 ses hesitations, Rinfret suggrra des modifications au droit existant
dont quelques-unes n’6taient pas sans importance. I1 proposa ainsi l’abolition de
certaines institutions en se basant sur sa propre connaissance de la pratique et
du droit. Le conseil de famille, mentionnait-il, n’avait plus sa raison d’8tre,
d’autant plus que les prescriptions du Code sur sa composition 6taient rarement
respectres en milieu urbain32. La substitution fiddicommissaire, qu’il avait drjt
pr~sentre dans un article de doctrine comme une institution surann~e33, ne regut
gu~re plus de soutien 4. A son avis, le droit portant sur la situation juridique des
femmes devait etre l’61ment essentiel de la revision : <
Le premier ministre Duplessis apprdciait vraisemblablement le travail
foumi par Rinfret, puisqu’en plus de la revision du Code il lui demanda, au
moins une fois, une opinion sur un sujet qui se situait en marge de ses travaux
sur le Code. I1 s’agissait d’6valuer la possibilit6 pour l’Assembl~e ldgislative
d’6dicter une loi accordant h la province la proprirt6 des biens vacants ou en
desh~rence36.
Mme si Rinfret, en tant que rrviseur, occupait la fonction la plus impor-
tante dans le processus de rdvision du Code, il ne faut pas minimiser l’ampleur
des travaux que men~rent les officiers sp6ciaux et surtout le s6nateur Jean-
Frangois Pouliot. Les 6tudes qu’il entreprit, si elles exerc~rent peu d’influence,
rdv~lent toutefois une approche plus m6thodique de la revision que chez Rinfret.
Pouliot, lors de son entree en fonction, commenga par 6tudier les rapports
rrdigrs par le r~viseur et les annota37 . Contre toute logique, les deux hommes
ne se partag~rent pas le travail. Il faut dire qu’il n’6tait gu~re facile aux deux
juristes d’6tablir les contacts 6troits sans doute n~cessaires
un travail de la
nature de celui qu’ils avaient entrepris. En plus de ne pas demeurer dans la
m~me ville, l’un r~sidant h Montrdal et l’autre partageant son temps entre
Ottawa et Rivi~re-du-Loup, ils semblent avoir eu des relations peu chaleu-
reuses 38 qui ne les incit~rent certes pas h la collaboration. Ceci explique proba-
blement pourquoi Pouliot n’6paula pas Rinfret dans la prdparation des rapports
que le rdviseur soumit. Des indices montrent 6galement que les deux hommes
ne partageaient pas une mme conception de leur travail. Pouliot pergut rapide-
3 <
A ]a p. 6. Voir aussi
33Supra note 4.
34<
note 29 aux pp. 4-14.
35 Sixi~me rapport: Les droits de la femme>>, supra note 29 h la p. 1.
36Lettre de Thibaudeau Rinfret A Maurice L. Duplessis, 17 mars 1958 (A.N.Q.-Q., Fonds de
I’O.R.C.C., cote E17-95).
la p. 2.
37Pouliot, supra note 17
38Dans’une lettre confidentielle adressde au premier ministre Duplessis, Pouliot se montre caus-
tique en parlant de Rinfret; il le drsigne notamment de <
Frangois Pouliot A Maurice L. Duplessis, 13 aofit 1957 (A.N.Q.-Q., Fonds de l’O.R.C.C., cote
E17-97)).
McGILL LAW JOURNAL
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ment que la revision du Code gagnerait h atre prrc~dre de recherches pr6limi-
naires. Aussi drcida-t-il d’en entreprendre un certain nombre.
I consulta d’abord A cette fin les rapports des civilistes frangais charg6s,
en 1945, de reviser le Code civil franais. Ces travaux 6taient d6jA connus des
juristes qu6brcois pour avoir donn6 lieu A une longue pr6sentation dans la Revue
du Barreau canadien en 1950″9. Pouliot parcourut les rapports, qui lui avaient
6t6 remis par Louis-Philippe Gagnon, l’adjoint de Rinfret, et les jugea peu
utiles :
[Lie secrdtaire de M. le Reviseur m’apporta une dizaine de rapports auxquels des
civilistes>>, ces juristes frangais qui mettent h da r6forme>> du Code Napoleon un
souci 6gal a celui des acad6miciens qui s’6vertuent h vouloir perfectionner chaque
mot du dictionnaire. I1 suffisait de parcourir ces rapports qui fourmillent de sub-
tiles distinctions et d’interminables r4ptitions, pour constater 2 u’ils ne pouvaient
servir de modules A ]a revision du Code civil du Bas-Canada.
Les travaux de la Commission de refonte du droit civil frangais ne furent
pas les seules 6tudes que Pouliot 6carta h cause de leur caract~re 6rudit. I1 tint
des propos similaires h l’6gard des articles parus dans la Revue dil Barreau et
de la Revue du Notariat ; deux p6riodiques dont il avait consult6 des s6ries com-
pl~tes. Apr~s avoir soulign6 la qualit6 remarquable des articles parus dans ces
revues, il les qualifiait de trop 61abor6s et trop savants pour servir A la revision
du Code civil>>4 . Dans les deux cas, Pouliot insistait sur l’absence d’616ments
pratiques>> A tirer de la consultation de ces documents.
La doctrine et la jurisprudence qui, presque un si~cle apr~s l’entr6e en
vigueur du Code, constituaient un corpus impressionnant, exerqaient pourtant
peu d’attrait pour Pouliot. Ii renongait, en effet, a prendre en compte cette masse
documentaire, l’estimant trop volumineuse>> et trop contradictoire>>4 .
Une fois mises de c6t6 toutes ces sources juridiques, Pouliot se posa des
questions sur la nature et l’6tendue de la revision. Au d6but, il n’apparalt pas
avoir eu une idre precise de ce qu’impliquait son travail 3. L6opold D6silets,
greffier du Conseil exrcutif, vint a sa rescousse en lui proposant dans un pre-
mier temps d’61iminer du Code les articles de droit judiciaire qui s’y trouvaient44.
Cette suggestion constitue un 616ment permettant de saisir la perception que le
gouvemement avait de la revision. En tant que haut fonctionnaire, D6silets pou-
vait en effet, et ce probablement mieux que quiconque, exposer les buts recher-
ch6s par l’entreprise.
Fort de cette suggestion, Pouliot dressa, en collaboration avec Drsilets, un
inventaire de toutes les modifications apportres au Code depuis 1866. Le relev6,
(1950) 28 R. du B. can. 247.
39L. Mallet et M. Verrier, <
4 0Pouliot, supra note 17 a ]a p. 3.
41lbid.
42Lettre de Jean-Frangois Pouliot i Georges-tmile Lapalme, 18 dcembre 1961 (A.N.Q.-Q.,
la p. 5.
Fonds de I’O.R.C.C., cote E17-97).
43pouliot, supra note 17.
44Lettre de Jean-Frangois Pouliot ?i Lopold Drsilets, 6 juin 1958 (A.N.Q.-Q., Fonds de
I’O.R.C.C., cote E17-97).
1994]
LA R]ftVISION DU CODE CIVIL
qui portait sur les versions frangaise et anglaise du Code45 , permit de produire
une liste des articles ii maintenir ou h retrancher du Code46. Ce travail, qui n6ces-
sita certainement beaucoup de temps et d’6nergie, permit d’6tablir la filiation
des articles du Code47.
La minutie avec laquelle furent relev~s syst6matiquement les amendements
apport6s au Code montre qu’il s’agissait lM d’un 616ment primordial de la r6vi-
sion qui 6tait alors per~ue, d’abord et avant tout, comme une 6puration du Code
plut6t que comme une modification en profondeur de celui-ci :
Pour faire valoir tout ce qu’il y a de bon et m6me d’excellent dans le Code civil
du Bas-Canada, il suffira de faire un retour aux directives h la loi de 1857, il faudra
sarcler le code, arracher les mauvaises herbes, 6monder le bois mort qui 6touffe
les jeunes pousses, y ramener de nombreuses dispositions statutaires qui lui appar-
tiennent et y mettre de I’ordre. II faudrait aussi, dans certains cas, simplifier la
r6daction des articles et Ia clarifier en employant la meme expression pour d6si-
gner une meme personne et une meme chose dans divers articles, et finalement
rassembler autant que possible les articles qui traitent du meme sujet et qui sont
parfois 6pars, au point d’8tre introuvables.
Bref, pour rendre le Code civil plus pratique, plus clair, plus intelligible, il faudra
entreprendre un travail de reconstruction et refaire les rapports presque centenaires
des Codificateurs48 .
Les deux officiers sp6ciaux produisirent la reconstitution annonce 49.
L’achamement qu’ils mirent a retrancher du Code les articles de proc6dure ne
trouva toutefois pas de soutien aupr~s des juristes charges, A la meme 6poque,
de proc6der k la r6vision du Code de procedure civile. M. le juge Garon Pratte
montra en effet peu d’intr& pour un tel travail d’6puration .
Les travaux sur la revision soulev~rent de nombreuses questions constitu-
tionnelles. Le second rapport de Rinfret fut ainsi consacr6 a la possibilit6 pour
la province de qualifier certains jours de l’ann~e de f~ri~s a la suite de l’arr&
Herny Birks & Sons Ltd. c. Montrial (Ville de)51. Quant au s6nateur Pouliot, il
r~digea une longue opinion qui concluait a l’impossibilit6 pour l’Assembl6e
16gislative de modifier les articles du Code sur les conditions requises pour con-
tracter le mariage 2 . Dans une lettre envoy~e au premier ministre, Rinfret sou-
ou
45J.-F. Pouliot,
46J.-F. Pouliot et L. D6silets,
(A.N.Q.-Q., Fonds de l’O.R.C.C., cote E17-97).
48J.-F. Pouliot et It. DelAge, Revision du Code civil. Rapport int~rimaire des Officiers sp6ciaux>
49j.-F. Pouliot et B. Boulanger,
(A.N.Q.-Q., Fonds de I’O.R.C.C., cote E17-97).
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 39
ligna les doutes qu’il partageait avec les officiers speciaux au sujet de la validit6
d’amendements apport6s dans le pass6 t des dispositions du Code53. La r6vision
du Code ne pouvait certes pas faire abstraction du partage des champs de com-
p6tences constitutionnelles tels qu’ils avaient 6t6 6tablis par l’Acte de l’Am~ri-
que d nord britannique. Toutefois, l’importance que Rinfret et surtout Pouliot
manifest~rent pour ces questions apparait d6mesur6e compte tenu des enjeux en
pr6sence. Cet engouement pour les incidences constitutionnelles de la r6vision
du Code se comprend mieux lorsque l’on tient compte de l’int6ret port6 aux
affaires constitutionnelles par le gouvernement Duplessis qui venait d’instituer
une Commission royale d’enqu~te pour se pencher sur ces questions 4.
Quoique les liens entre l’6quipe charg~e de la revision et la communaut6
juridique demeur~rent plut6t t6nus, les juristes ne se d6sint6ress~rent toutefois
pas de l’entreprise. Leurs associations professionnelles les incit~rent t trans-
mettre leurs suggestions sur la r6vision du Code55. La Chambre des notaires mit
sur pied une Commission de r6vision du Code civil qui eut pour fonction d’6tu-
dier des propositions d’amendements t apporter au Code. Des notaires et des
associations r6gionales de notaires achemin~rent de nombreuses suggestions
la Commission qui les 6tudia56. Le Barreau, pour sa part, prit l’initiative d’ex-
primer, au procureur g6n6ral et au r6viseur, ses vues sur le r~tablissement d’une
16gitime modemis6e57. Dans l’ensemble, la communaut6 juridique s’int6ressa au
processus de r6vision du Code et tacha d’apporter sa contribution.
II. Un tournant sous Andr6 Nadeau (1961-1964)
A. Un personnel renouveld
Au d6but des ann6es soixante, le personnel charg6 de la r6vision du Code
fut renouvel6. Thibaudeau Rinfret, gravement malade, c6dait sa place a Andr6
Nadeau” en septembre 1961. Le nouveau r6viseur avait une r6putation de civi-
liste chevronn6. Apr~s avoir obtenu sa licence en droit, Nadeau avait poursuivi
des 6tudes sup6rieures A Paris, ce qui A l’6poque 6tait rare. A son retour, il pra-
tiqua le droit, puis enseigna A titre de charg6 de cours h la Facult6 de droit de
l’Universit6 de Montr6al. Tout au long de sa carrire, il r6digea des ouvrages et
des articles de doctrine portant sur le droit civil 9. Il d6missionna de ses fonc-
53Lettre de Thibaudeau Rinfret A Maurice L. Duplessis, 23 d6cembre 1958 (A.N.Q.-Q., Fonds
de I’O.R.C.C., cote E17-97).
54 Pr6sid6 par Thomas Tremblay, ]a Commission soumit son rapport au gouvemement en 1956
(Rapport de la Commission royale d’enquete sur les problmes constitutionnels, Quebec, Impri-
meur de ]a Reine, 1956).
55
56 J.-G. Cardinal,
57 Barreau de la province de Qu6bec, Extrait du procs-verbal de la sdance du Conseil g~n6ral
tenue A Qu6bec, le 16 d6cembre 1955>> (1956) 16 R. du B. 141 A la p. 146.
58Pour une biographie, voir Deslauriers, vol. 1, supra note 14 4 la p. 211.
59Notamment les ouvrages suivants : A. Nadeau, Traitg de droit civil du Qu6bec : La responsa-
1994]
LA RtVISION DU CODE CIVIL
tions de r6viseur en novembre 1964, lors de sa nomination comme juge i la
Cour sup6rieure.
A la meme 6poque, Georges-Emile Lapalme, procureur g6n6ral et respon-
sable de la r6vision du Code, demanda A Jean-Frangois Pouliot de quitter ses
fonctions 6 . La raison de cette d6cision est inconnue; elle relevait peut-etre de
motifs politiques ou d’une volont6 d’insuffler une dnergie nouvelle a l’6quipe
charg6e de la r6vision. A la suggestion de Nadeau”, qui d6sirait retrouver a ses
c6t6s un reprdsentant des avocats anglophones, Lapalme nomma Walter. Austin
Johnson h titre d’officier sp6cia 62 . Deux autres officiers sp6ciaux travaill~rent
avec Nadeau: Georges-Henri Dureault, avocat i Granby, et le notaire Benoit
Boulanger de Qu6bec. Yvette Dussault-Mailloux, avocate au cabinet de Nadeau,
agissait comme secr~taire du bureau de rdvision63 . L’:6quipe charg~e de la rdvi-
sion du Code se distinguait de la pr6c6dente. Moins prestigieuse peut-6tre, elle
6tait constitu6e de praticiens encore en exercice qui pouvaient probablement sai-
sir, mieux que leurs devanciers, ce que l’on attendait d’eux.
B. L’ilaboration d’une mdthode
I1 est vraisemblable que le gouvemement consid6ra que la manire dont le
travail 6tait engag6 ne permettrait pas de conduire rapidement i des r6sultats
satisfaisants. Aussi, les m6thodes de travail 6tablies tant par Rinfret que par
Pouliot furent-elles mises de c6t6. Peu apr6s son entr6e en fonction, Nadeau
d6cida, apr~s avoir requ l’approbation du procureur g6n6ral, de recourir a l’ex-
pertise de sp6cialistes extemes plut6t que de tacher de mener son mandat h
terme avec une 6quipe r6duite .
Le Code fut donc divis6 en une quarantaine de tranches, chacune 6tant con-
fi6e t un expert. Les sp6cialistes t qui on fit appel poss6daient, pour une bonne
part, une vaste exp6rience de la pratique du droit, la grande majorit6 d’entre eux
A titre d’avocats, quelques-uns comme notaires ou juges65 . Plusieurs, en plus de
leur appartenance professionnelle, faisaient partie du corps professoral des
facult6s de droit comme charg6s de cours ou comme professeurs de carri~re. Au
nombre de ceux-ci figuraient Henri Turgeon, Albert Mayrand, Jean-Guy Cardi-
nal et Paul-Andr6 Cr6peau. Rares 6taient ceux qui ne poss6daient pas une r6pu-
bilitj civile dilictuelle et quasi-ddlictuelle, t. 8, Montr6al, Wilson et Lafleur, 1949 ; A. Nadeau et
L. Ducharme, Traitg de droit civil du Quibec : La preuve en matire civile et commerciale, t. 9,
Montr6al, Wilson et Lafleur, 1965.
I’O.R.C.C., cote E17-96).
l’O.R.C.C., cote E17-96).
6Lettre de Georges-tmile Lapalme h Andr6 Nadeau, 31 octobre 1961 (A.N.Q.-Q., Fonds de
61Lettre de Andr6 Nadeau A Georges-tmile Lapalme, 8 novembre 1961 (A.N.Q.-Q., Fonds de
62Lettre de Georges-tmile Lapalme 4 Walter Austin Johnson, 14 mars 1962 (A.N.Q.-Q., Fonds
63Madame Dussault-Mailloux quitta ses fonctions i la suite de sa nomination h la Cour du bien-
8tre social (Deslauriers, supra note 14 ii la p. 150;
E17-34); W.S. Johnson,
Fonds de l’O.R.C.C., cote E17-95).
68j.-G. Cardinal, Commission de revision du Code civil. De la fiducie (Chapitres IVa, et IVb
du Code civil)>> (A.N.Q.-Q., Fonds de l’O.R.C.C., cote E17-34).
1311 a 1316 du Code de procedure civile (inclus dans ce projet particulier)
(A.N.Q.-Q., Fonds de l’O.R.C.C., cote E17-95).
69Projet initial de revision des articles 39 i 78 et quelques autres du Code civil et des articles
(15 aoflt 1963)
70L. Patenaude, Le pouvoir de Ia L6gislature de Qu6bec de modifier Ia forme du Code civil),
Montreal, Universit6 de Montreal – Institut de recherche en droit public; L. Patenaude, <
r6al – Institut de recherche en droit public (A.N.Q.-.Q., Fonds de l’O.R.C.C., cote E17-95).
71Validit6 du Bill 16 mise en doute par l’hon. s6nateur J.-F. Pouliot> La Presse [de Montreal]
(15 avril 1964) 26.
19941
LA R VISION DU CODE CIVIL
alourdir la tftche qui incombait h Nadeau et h ses adjoints. Une fois cet examen
termin6, le r6viseur entendait transmettre au gouvernement, au fur et h mesure
de l’avancement des travaux, un rapport comprenant des recommandations. Un
seul rapport fut toutefois soumis avant le d6part de Nadeau en 196472.
Il est difficile d’6valuer la port6e des travaux r6alis6s alors que Nadeau
assumait la responsabilit6 de la r6vision du Code. Vraisemblablement, peu de
rapports soumis par les experts influenc~rent la r6vision du Code. Toutefois, ils
constitu~rent une 6tape d’un long processus qui prit fin avec le d6p6t, en 1977,
du Rapport sur le Code civil du Quebec que soumit l’Office de r6vision du Code
civil73. I1 faut cependant noter qu’une partie des travaux conduits sous Nadeau
exerga une influence imm6diate sur des changements apport6s au Code civil:
il s’agit des propositions formul6es pour affirmer la capacit6 juridique de la
femme mari6e. L’6tude de cette question, qui avait 6t6 jug6e prioritaire par le
gouvemement lib6ral, donna lieu a un rapport distinct74 qui fut d6pos6 A l’As-
semblde 16gislative en juillet 196371. Les propositions soumises par la Commis-
sion, loin de recevoir un appui inconditionnel, furent l’objet de vives critiques76 .
Le manque d’audace des r6dacteurs et l’insuffisance de la r6forme propos6e
r6sument assez bien les griefs exprim6s. Dans les mois qui suivirent, le gouver-
nement s’inspira du rapport pour r6diger le fameux Bill 1677 qui, lui aussi, regut
un accueil plut6t hostile’.
Dans le but de compl6ter la r6forme commenc6e avec le Bill 16, la Commis-
sion entreprit l’6tude des r6gimes matrimoniaux afro de les transformer substan-
tiellement. Le travail ayant 6t6 jug6 urgent, Nadeau proposa de mettre de c6t6 le
recours t l’expertise individuelle dans ce cas pr6cis. II d6cida plut6t de charger
un comit6 sp6cial d’6tudier cette question. Ce comit6 6tait compos6 de Roger
Comtois, de la Facult6 de droit de l’Universit6 de Montr6al, qui assumait la pr6-
sidence, de Louis Baudouin, de la Facult6 de droit de l’Universit6 McGill, de
Louis Marceau, de la Facult6 de droit de l’Universit6 Laval, et de Andr6 Lesage,
notaire Hull. Nadeau estimait que le rapport du comit6, une fois d6pos6, devait
6tre largement diffus6 et il consid6rait 6galement qu’il serait opportun d’organiser
72
a la p. 2908.
marie (1963) (A.N.Q.-Q., Fonds de I’O.R.C.C., cote E17-97).
73Qu6bec, tditeur officiel, 1978.
74Bureau de revision du Code civil du Qu6bec, Rapport sur la capaciti juridique de la femme
75Qu6bec, Assembl6e legislative, Dgbats de l’Assemblie ligislative du Quibec (9 juillet 1963)
76M. Rivet, <
ao~t 1963) 24 ; R. Th6berge, <
77Le projet de loi devint la Loi sur la capacitgjuridique de lafemme marige, S.Q. 1963-64, c.
66.78Voir par ex.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 39
des r6unions publiques af’m que les personnes et les associations int6ress6es
puissent faire connaitre leur point de vue sur le rapport produit79.
La m6thode de travail en comit6, mise de l’avant par Nadeau, se g6n~ralisa
apr~s l’entr6e en fonction de Paul-Andr6 Cr6peau comme prdsident de l’Office
de r6vision du Code civil. En effet, des son entr6e en fonction, Cr6peau d~clara
vouloir recourir h cette mdthode de travail”. De fait, une quarantaine de ces
comit6s, constituds de trois t sept personnes, se virent confier l’6tude d’une par-
tie du Code” .
C. Un changement de cap s’annonce
L’idde d’une r6vision profonde du droit civil gagna rapidement des adeptes
au cours des ann6es soixante. Andr6 Nadeau affirmait notamment que le Code
ne r6pondait plus aux besoins de la soci6t6 contemporaine depuis que de nou-
veaux principes avaient pris place dans le corpus juridique82. A preuve, il signa-
lait la remise en question de l’absolutisme du droit de propri6t6 et de la th6orie
classique de la responsabilit6 civile. La r6vision consistait, selon Nadeau, hi
insuffler un esprit nouveau au droit civil en y apportant des transformations qui
tiennent compte de l’6volution sociale. Le travail envisag6 allait au-dela de ce
qu’avaient entrepris Rinfret et Pouliot. Toutefois, dans l’esprit de Nadeau, il
s’agissait encore d’une simple r6vision qui, tout en 6tant une op6ration difficile,
ne pouvait etre assimilde h une r6forme globale du Code. I1 estimait que la
r6daction d’un nouveau code devrait probablement 6tre entreprise quelques
ann6es plus tard:
II conviendra de nous donner un code qui parte des principes fondamentaux du
droit nouveau, droit 6minemment social encore une fois, droit d’une 6poque oii
l’Etat est omnipr6sent, ot la notion de propri&t6 subit une transformation radicale,
oit les besoins du groupe priment la libert6 de l’individu 3.
Alors qu’il quittait ses fonctions de r6viseur du Code pour acc6der t la
magistrature, Nadeau 6crivit une lettre au procureur g6n6ral Claude Wagner afin
de lui faire part de l’avancement des travaux 8’. II lui proposa de mettre sur pied
une vdritable)> Commission de r6forme du Code civil compos6e de cinq com-
missaires, dont les pouvoirs seraient 61argis, ou h tout le moins clarifi6s.
Loin d’etre seul A partager de telles id6es, Nadeau refl6tait plut6t une opi-
nion assez largement partag6e h l’6poque par l’61ite de la communaut6 juridique
et de la soci6t6. Maximilien Caron, doyen de la Facult6 de droit de l’Universit6
de Montr6al, voyait 6galement l’6tape de la r6vision comme une phase interm6-
diaire qui ne visait qu’A adapter le Code A des changements importants, avant
que ne soit 61abor6 plus tard un nouveau code85. Pour sa part, le syndicaliste
79Lettre de Andr6 Nadeau a Claude Wagner, supra note 64.
8Rivet, supra note 9.
81P.-A. Cr6peau, La r6vision du Code civil> [1977] C.P. du N. 335 t ]a p. 353.
82
19941
LA RtVISION DU CODE CIVIL
G6rard Picard avangait une vision plus novatrice de la rdforme du droit civil.
Conscient de la mutation subie par le droit priv6 qu6b6cois avec la socialisation
du droit, il proposa 6galement d’6tablir deux codes: l’un contenant le nouveau
droit social et l’autre, un droit civil rajeuni et transform6, notamment dans les
domaines de la propridt6 et de la responsabilit6 6.
Le d6part de Nadeau allait amener une transformation du processus de
r6vision du Code. Les universitaires se substitu~rent alors aux praticiens comme
maitres d’oeuvre de la r6vision. D6sormais, la direction de l’entreprise relevait
du professeur Paul-Andr6 Cr6peau qui, tout en continuant de compter sur la col-
laboration de praticiens, s’entourait de plusieurs professeurs de droit. Les
m6thodes de travail, tout en s’inspirant de celles qu’avaient introduites Nadeau,
devinrent plus rigoureuses. La revision compta davantage sur l’apport de la
recherche fondamentale. Aussi une 6quipe de recherchistes fut-elle constitu6e
pour alimenter les diff6rents comit6s mis sur pied. De telles transformations
augmenter consid6rablement les budgets allou6s
oblig~rent le gouvemement
h la r6vision 7 .
Conclusion
Les juristes qui travaill~rent A la premiere phase des travaux de revision du
Code civil ne s’estim~rent certainement pas engag6s dans une vaste entreprise
de transformation du Code. Les tout premiers artisans crurent m~me parvenir A
la n~ces-
eux seuls A bout de la tache qui leur avait 6t6 confi6e. Loin de croire
sit6 de se lancer dans un vaste programme de recherche fondamentale, ils eurent
t6t fait, quand ils l’envisag~rent, de rejeter une telle hypoth~se. ls congurent
plut6t l’entreprise comme en 6tant une de clarification du droit, d’6puration du
Code. Meme r6duite h une telle dimension, la r6vision n6cessitait des travaux
d’envergure que Jean-Frangois Pouliot ne craignit pas d’entreprendre. Avec
d6termination, il s’efforga de remonter aux sources du Code, effectuant des
compilations longues et ardues. I1 ne put terminer le travail commenc6, le gou-
vemement lib6ral ayant d6cid6 de modifier la composition de l’6quipe charg6e
de la r6vision.
Peu apr~s son entr6e en fonction A la direction de la r6vision, Andr6
Nadeau chercha h assurer une meilleure r6partition des taches chez ses collabo-
rateurs. Contrairement A la situation qui avait pr6valu avant lui, il n’entendait
pas compter uniquement sur l’6quipe r6duite qui l’entourait pour remplir le
mandat qui lui incombait. I1 d6cida de confier h des sp6cialistes la responsabilit6
de l’6tude du Code, conservant pour lui et ses collaborateurs la tache d’assurer
la supervision des travaux et de veiller A la sauvegarde de la coh6rence de Fen-
semble des propositions qu’il devait acheminer au gouvemement. Nadeau ne
resta pas suffisamment longtemps en place pour raffiner ses m6thodes et juger
A notre culture et a notre 6poque>> Le Devoir [de Montrial] (20 avril 1964) 14.
86
,G&rrd Picard: I1 nous faut, outre un code civil rajeuni, un vritable code sociab> Le Devoir
[de Montrdal] (20 avril 1964) 15.
87Le budget allou6 A la r6vision du Code passa de 16 608,43$ en 1956 A 125 557,39$ en
1967-1968 et atteignit 443 663,00$ en 1975-1976 (Lettre de Jean-Claude Dubois a Paul-Andr6
Cr6peau, 7 juin 1977 (A.N.Q.-Q., Fonds de ‘O.R.C.C., cote E17-96)).
844
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 39
de leur efficacit6. Les r6sultats tangibles de son passage t la r6vision du Code
se limit~rent h la production d’un rapport sur la situation juridique de la femme
maride. Cependant, plus que quiconque avant lui, il contribua A. l’6volution des
m6thodes de travail. Ii fut le signe avant-coureur du virage qu’allait prendre la
r6vision du Code peu de temps apr~s son d6part.