Article Volume 35:4

La Protection Contre l'Auto-Incrimination Au Canada: Mythe Ou Réalité

Table of Contents

La Protection Contre I’Auto-Incrimination au Canada:

Mythe ou Ralit ?

Yves de Montigny*

In a detailed analysis of Canadian post-
Charter case law, the author considers the
extent to which a protection against self-
incrimination exists in Canadian law. The
author examines sections 11 (c) and 13 of the
Charter, and questions whether they have in
fact had any considerable impact upon the
state of pre-Charter law. He concludes that
sections 11 (c) and 13 can at best only provide
an accused with partial protection against self-
incrimination, but that a broader and more
secure protection may be derived from section
7 of the Charter.
Initial indications of a recognition of a broader
principle against self-incrimination are visible
in the recent Supreme Court of Canada deci-
sion in Thomson Newspapers, though the five
disparate opinions expressed by the Court in
that case lack cohesion and unity. While the
Thomson decision does not settle the question
clearly, the author contends that the disposition
of the Supreme Court to adopt a more expan-
sive and purposeful interpretation of section 7
bodes well for those who argue that protection
against self-incrimination should rightly be
considered a principle of fundamental justice.
Such a recognition could entrench a full pro-
tection against self-incrimination in Canadian
law.

Par le biais d’une analyse approfondie de la
jurisprudence, l’auteur traite de la protection
contre l’auto-incrimination en droit canadien.
L’auteur examine les articles 11 (c) et 13 de la
Charte et l’impact de ceux-ci sur le droit tel
qu’il existait avant
‘adoption de la Charte. II
conclut que les articles 11 (c) et 13 ne peuvent
fournir qu’une protection partielle contre
l’auto-incrimination, mais qu’une protection
plus efficace d6coule du principe de justice
fondamentale enchftss6 par r’article 7 de la
Charte.
Dans une d6cision r6ecente de la Cour suprme
du Canada, celle-ci semble accorder une por-
t6e plus large au privilege contre l’auto-
incrimination. Malheureusement, les cinq
jugements rendus dans Thomson Newspapers
souffrent d’un manque de cohesion. Bien que
l’arr& Thomson ne r~gle pas la question de
fagon d6finitive, l’auteur soutient que l’incli-
nation de la Cour supreme du Canada h adop-
ter une interpr6tation lib6rale et t6leologique
de l’article 7 augure bien pour les tenants de la
notion que
l’auto-
incrimination constitue un principe de justice
fondamentale.

le privilege contre

*Facult6 de droit, Section de droit civil, Universit6 d’Ottawa.

Revue de droit de McGill
McGiU Law Journal 1990

1990]

LA PROTECTION CONTRE L’AUTO-INCRIMINATION

Sommaire

Introduction
I.

La non-contraignabilit6 de l’accus6
A. Qui peut invoquer l’alinda 11 c) ?

1. La notion d’<< inculp6 >>
2. La contraignabilit6 des accus6s << potentiels >>
3.

L’application de l’alin6a 11 c) aux personnes morales

B. Les droits confiris par l’alinja 11 c)

1. Une protection limit6e au t6moignage
2.

Les formes de contrainte prohib6es

II. La protection accord6e au t6moin

A. Les conditions d’application de l’article 13

1. Un t6moignage ant6rieur
2. L’utilisation du t~moignage incriminant << dans d'autres procedures >>

B. La protection offerte aux t6moins par l’article 13

Conclusion

Introduction

Contrairement

son homologue am~ricain, l’inculp6 ne jouit pas au
Canada d’une protection totale et compl~te contre l’auto-incrimination. A la dif-
f&ence du Cinqui~me Amendement A la Constitution am6ricaine, la Charte
canadienne des droits et libertgs’ n’enchAsse en effet que certaines facettes de
cette protection; s’ils tirent leur origine de cette garantie fondamentale, les
droits tr~s pr6cis qui en r6sultent ne peuvent donc lui 6tre assimil6s. Sans doute
est-ce la principale raison pour laquelle l’alin6a llc) a 6t6 interpr6t6 de fagon
restrictive par les tribunaux,
un point tel qu’il est permis de se demander si

1Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant 1’annexe B de la Loi de 1982 sur le

Canada (R.-U.), 1982, c. 11.

REVUE DE DROIT DE McGILL

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l’inclusion in extremis’ de cet alinra dans l’article 11 a eu quelque impact sur
l’6tat du droit en vigueur le 17 avril 1982. Ce constat vaut 6galement pour l’ar-
ticle 13, malgr6 les diff6rences que l’on peut identifier entre cette disposition et
le texte du paragraphe 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada.

Dans les pages qui vont suivre, nous nous emploierons h 6tayer cette pr6-
tention en proc~dant A une analyse d~taill6e de la jurisprudence. Bien que les
ddcisions rendues par la Cour supreme en cette mati~re ne soient pas 16gion, le
corpus juridique qui entoure ce concept d’auto-incrimination est suffisamment
d~velopp6 pour que l’on puisse en drgager les grandes orientations. Et l’image
qui s’en drgage nous permettra de conclure que seul l’article 7 peut d6bloquer
la situation et g~nrrer de nouvelles avenues de r~flexion.

I.

La non-contraignabilit6 de l’accus6

L’origine du privilege contre l’auto-incrimination est assez bien documen-
t~e et ne justifie pas que l’on s’y arr~te longuemen. Qu’il suffise simplement
de rappeler, comme la Cour supreme l’a fait dans l’arrt Marcoux c. La Reine4,
qu’il s’est d~velopp6

par rdaction t la m6thode d’interrogatoire pratiqude devant les anciens tribunaux
eccldsiastiques et devant la Chambre 6toile, oi l’usage consistait it faire compa-
raltre une personne, sans I’aviser de quoi elle 6tait inculpre, et hl l’interroger sous
serment5.

Suite A de retentissants procis h connotation politique, cette proc6dure inquisi-
toire fut abolie et l’on en vint A faire de l’accus6 une personne non contraignable
et inhabile
trmoigner sous serment, m~me pour sa propre d6fense. De m~me,
toute personne appel~e A trmoigner pouvait refuser de rrpondre A une question

2Cet alinra, il faut le rappeler, n’a fait son apparition que dans la version du 28 janvier 1981 et
ne semble pas avoir fait l’objet de discussions approfondies. Voir R. Elliot, << Interpreting the Charter - Use of the Earlier Versions as an Aid >>, (1982) U.B.C.L. Rev. (Special Charter Edition)
11.3Voir, entre autres,
‘historique et l’6tude comparative auxque~les se livre Mine le juge Wilson
dans 1’arrt Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquetes et recherches, commis-
sion sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425 [ci-apr6s, Thomson]. Voir
aussi 8 Wigmore on Evidence (revis6 par P. Tillers, 1983), Boston, Little, Brown, 1983, art. 2250
aux pp. 284 et s. ; E. Ratushny, Self-Incrimination in Canadian Criminal Process, Toronto,
Carswell, 1979 aux pp. 151-174 ; R.E. Salhany, The Origin of Rights, Toronto, Carswell, 1985 ;
L.W. Levy, Origins of the Fifth Amendment, New York, Oxford University Press, 1968; D.M.
Paciocco, << Self-Incrimination: Removing the Coffim Nails >> (1989) 35 McGill L.J. 73.
4[1976] 1 R.C.S. 763, 60 D.L.R. (3d) 119, 24 C.C.C. (2d) I [ci-apr6s cit6 aux R.C.S.].
5lbid. A lap. 768. Plusieurs arrts post6rieurs a l’entr6e en vigueur de ]a Charte ont 6galement
retrac6 le d6veloppement de ce privilfge. Voir, entre autres, R. c. Boss (1989), 30 O.A.C. 184, 46
C.C.C. (3d) 523, 68 C.R. (3d) 123 (C.A. Ont.) ; R.L. Crain Inc. c. Couture (1983), 6 D.L.R. (4th)
478, 10 C.C.C.(3d) 119, 9 C.R.R. 287 (B.R. Sask.) ; R. c. Stasiuk (1982), 38 O.R.(2d) 618 (C.P.
Ont.).

1990]

LA PROTECTION CONTRE L’AUTO-INCRJMINATION

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lorsqu’elle croyait que sa r6ponse pouvait tendre i l’incriminer dans des proc6-
dures subs6quentes.
Tel 6tait l’6tat du droit en 1893 lorsque le 16gislateur canadien d6cida de modi-
fier la r~gle de common law en faisant de l’accus6 une personne habile h t6moi-
gner pour la d6fense6 . Comme l’a constat6 le professeur Ratushny, cette nou-
velle disposition avait pour effet indirect d’incorporer implicitement par voie
16gislative le principe de la non-contraignabilit6 de l’accus67 . Du m~me souffle,
le Parlement devait 6galement abolir la r~gle suivant laquelle un t6moin pouvait
refuser de r6pondre h une question qui pouvait tendre
l’incriminer, pour la
remplacer par une protection contre l’utilisation 6ventuelle de ces r6ponses dans
une poursuite criminele ult6rieure8. Cette r~gle, maintenant 6levde au rang
constitutionnel par l’article 13 de la Charte, s’applique tout autant au t6moin
qu’h l’accus6: ce demier, lorsqu’il choisit de t6moigner, sera par consequent
trait6 comme un t6moin ordinaire et ne pourra plus refuser de r6pondre aux
questions qui lui sont pos6es en contre-interrogatoire9 . S’il en allait autrement,
comme l’a fait remarquer le professeur Paciocco, l’accus6 pourrait atre tent6 de
pr6senter une version fausse ou incompl~te des faits”0 .
Ceci 6tant dit, l’on peut s’6tonner que le privilfge de non-contraignabilit6 dont
jouit l’accus6 n’ait 6t6 explicitement reconnu qu’en 1982. D6j l’on pouvait se
surprendre que la Loi sur la preuve n’en fasse pas express~ment mention. Mais
que la Dtclaration canadienne des droits” elle-meme n’en souffle mot parais-
sait franchement inconcevable. M. le juge Laskin avait bien tent6 de d~duire
cette protection du texte de son alin6a 2(d) 2, mais la d6marche avait quelque

6Acte de la preuve en Canada, 1893, S.C. 1893, c. 31, art. 4(1). On retrouve cet article, ht peu

7

pros inchang6, dans la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, c. C-15, art. 4(1).

[B]ien que cela puisse sembler contradictoire, on peut affirmer que le principe suivant
lequel un accus6 n’6tait pas contraignable a 6t6 sp~cifiquement adoptd au Canada par
l’incorporation implicite d’un principe de la common law.

Voir < Le r6le de l'accus6 dans la poursuite criminelle >>, dans G.-A. Beaudoin et E. Ratushny,
Charte canadienne des droits et libertis, 2e 6d., Montreal, Wilson et Lafleur, 1989, 503 h lap. 537.
Cette ide avait pour la premiere fois dt6 expos~e dans son article intitul6 < Is There a Right Against Self-Incrimination in Canada? >, (1973) 19 McGill L.J. 1
la p. 28. Voir aussi, dans le
m~me sens, R. c. Amway Corporation, [1989] 1 R.C.S. 21 aux pp. 29-30, 56 D.L.R. (4th) 309
[ci-apr~s cit6 aux R.C.S.].

8Acte de la preuve en Canada, 1893, supra, note 6, art. 5. On retrouve 6galement l’essentiel de
cette disposition dans la version actuelle de la Loi sur la preuve au Canada, supra, note 6, art. 5.
9R. c. Connors, (1893) 5 C.C.C. 70 (B.R. Qu6.). Voir aussi la jurisprudence cit6e par le profes-
seur Ratushny dans son article (Le r6le de l’accus6 dans la poursuite criminelle >, supra, note 7
t la p. 537, n. 148.

10Charter Principles and Proof in Criminal Cases, Toronto, Carswell, 1987 A la p. 482, n. 6.
‘1 L.R.C. 1985, Appendice III.
12Cet alinea se lit comme suit:

…nulle loi du Canada ne doit s’interprdter ni s’appliquer comme: d) autorisant une
cour, un tribunal, une commission, un office, un conseil ou une autre autorit6 b con-
traindre une personne A t~moigner si on lui refuse le secours d’un avocat, la protection
contre son propre t~moignage ou l’exercice de toute garantie d’ordre constitutionnel…

McGILL LAW JOURNAL

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chose de suspect et d’artificiel’3 . Il est vrai que la p6rennit6 de ce principe et sa
cons6cration r6p~tee par les tribunaux pouvaient aux yeux de certains pallier cet
oubli et meme le justifier. I1 n’empeche que sa consecration s’imposait dans un
texte constitutionnel vou6 A la protection des droits fondamentaux.

Qui plus est, le principe de la non-contraignabilit6 de l’accus6 est inextricable-
la pr~somption d’innocence et 4 l’obligation qui incombe A la
ment li6
Couronne de pr6senter une << preuve complete >>”. A ce titre, l’alin~a lc) doit
etre consid6r6 comme un 616ment essentiel de notre justice criminelle. C’est ce
que la majorit6 de la Cour supreme se faisait fort de rappeler dans l’arrt Dubois
lorsqu’elle 6crivait, sous la plume du juge Lamer:

Le fardeau qui incombe A la poursuite < d'6tablir la culpabilit6 >>, et le <( droit au silence >>, c.-A-d.
‘obligation de pr6senter une << preuve complete >> qui constituent
les 616ments essentiels de la prdsomption d’innocence, sont dgalement sous-
jacents au droit de ne pas 6tre oblig6 de tdmoigner15

Plus r6cemment, la Cour supreme a refus6 d’accorder h une soci~t6 la pro-
tection que confere l’alin~a llc), au motif que cette disposition vise d’abord et
avant tout A << prot6ger l'individu contre toute atteinte A sa dignit6 et A sa vie pri- vde, inh6rente A une pratique qui permet h la poursuite d'obliger la personne inculp6e A t6moigner elle-meme >>16. Bien qu’exprim6 en termes 16g~rement dif-
f~rents, ce fondement de la protection contre l’auto-incrimination rejoint les
pr6occupations de M. le juge Lamer dans l’arret Dubois. Apr~s tout, n’est-ce

13Dans un obiter dictum, M. le juge Laskin a 6crit A l’occasion de cette affaire que l’alin6a 2(d)

de la Diclaration signifiait, < ...dans le cas d'un pr6venu, qu'on ne peut l'obliger h t6moigner... >>
(Curr c. R., [1972] R.C.S. 889 A ]a p. 912, 26 D.L.R. (3d) 603, 7 C.C.C. (2d) 181). Au dire du
professeur Ratushny, cette disposition signifie plut~t qu’un texte 16gislatif contraignant un accus6
A tdmoigner sera conforme A la Diclaration dans la mesure ot) cette contrainte s’accompagne de
certaines garanties, et notamment du droit a I’avocat et de la protection contre l’utilisation du
t6moignage dans d’autres proc&lures. Voir Ratushny, supra, note 3 aux pp. 89-91.

14Voir Boss, supra, note 5; R. c. B.(J.N.), (1989) 68 C.R.(3d) 145, 48 C.C.C. (3d) 71 (C.A.

Man.).

‘5Dubois c. R., [1985] 2 R.C.S. 350 4 ]a p. 357, 23 D.L.R. (4th) 503, [1986] 1 W.W.R. 193
[ci-apr~s cit6 aux R.C.S.]. M. le juge Lamer cite ensuite avec approbation le texte suivant du pro-
fesseur Ratushny :

A plusieurs dgards, l’obligation pour la Couronne de prdsenter une preuve complte >>
constitue au fond, la v6ritable protection que veut atteindre la r~gle interdisant de con-
traindre ‘accus6 4 tdmoigner. Ce n’est pas le fait que l’accus6 ne soit pas oblig6 de
t6moigner qui le protege mais le fait que la Couronne soit oblig6e de prouver l’accu-
sation avant qu’on s’attende A une r6action de sa part, soit qu’il t6moigne lui-meme,
qu’il fasse entrendre d’autres t6moins ou qu’il prdsente toute autre preuve. Meme lors-
que la Couronne a pr6sent6 une < preuve complete >> elle conserve jusqu’t ]a fin le far-
deau de la preuve.

o Le r~le de l’accus6 dans la poursuite criminelle >>, supra, note 7, ire 6d. a la p. 448.

16R. c. Amway Corporation, supra, note 7 A lap. 40. S’exprimant au nom d’une cour unanime,
M. le juge Sopinka ajoute : < Bien qu'il y ait mdsentente quant au fondement du principe interdi- sant l'auto-incrimination, j'estime que ce facteur joue un r61e dominant. >>

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LA PROTECTION CONTRE L’AUTO-INCRJMINATION

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pas pour pr6munir les individus contre le harc~Iement de 1’ttat et les poursuites
sans fondement que L’on exige de la Couronne une preuve complete avant
meme que l’accus6 puisse etre tenu d’y r~pondre pour 6viter le risque d’6tre
trouv6 coupable”7 ?

Quoiqu’il en soit des assises philosophiques sur lesquelles repose l’alin6a
11c), le moment est maintenant venu d’en examiner les tenants et aboutissants
pour en mieux appr~cier les limites. Pour ce faire, nous nous attarderons
son
champ d’application et A la protection qu’il offre.

A. Qui peut invoquer l’alinja 11c) ?

1.

La notion d’<< inculp6 >>

En affirmant que ‘article 11 ne s’appliquait pas aux proc6dures d’extradi-
tion8 ni A la procedure pr6vue A la Partie XXIV du Code criminel pour deter-
miner si une personne est un d61inquant dangereux”9, M. le juge Laforest (au
nom de la majorit6) avait d6jA laiss6 entrevoir l’approche restrictive qu’adopte-
rait la Cour lorsque viendrait le moment d’adopter une position de principe eu
6gard A l’applicabilit de cette disposition. Et comme il fallait s’y attendre, c’est
dans le cadre d’une affaire mettant en cause une poursuite disciplinaire que cette
occasion allait 6tre fournie h la Cour.

Reconnu coupable d’une << infraction majeure ressortissant au service >> au
sens de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, le policier Wigglesworth
pr6tendait qu’il ne pouvait subs6quemment etre poursuivi pour voies de fait
simples aux termes du Code criminel A 1’6gard de la meme inconduite. Puisque

17A ce propos, M. le juge Lamer a cit6 Wigmore avec approbation en constatant que

l’article 13, tout comme l’al. llc), constitue la reconnaissance du principe selon lequel [traduction]
<( ... l'individu est souverain et que selon les r~gles r6gissant les conflits entre le gouvemement et un individu, celui-ci ne doit etre inquit6 que pour un motif valable et ne doit pas atre oblig6 par son opposant de causer sa propre d~faite. >>
Dubois, supra, note 15

la p. 358.

I’Voir Schmidt c. R., [1987] 1 R.C.S. 500, 39 D.L.R. (4th) 18, 58 C.R. (3d) 1 [ci-apr~s cit6 aux
R.C.S.]. Voir aussi, dans le meme sens, Ripublique d’Argentine c. Mellino, [1987] 1 R.C.S. 536.
‘9R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, 14 D.L.R. (4th) 482, 37 C.C.C. (3d) 1, 61 C.R. (3d) 1
[ci-apr~s cit6 aux R.C.S.]. Dans cette affaire, on a conclu qu’une personne n’dtait plus < inculp~e >>
au sens de l’article 11 h partir du moment oil elle a 6t6 reconnue coupable.

20R. C. Wigglesworth, [1987] 2 R.C.S. 541 A la p. 554, 60 C.R. (3d) 193, 37 C.C.C. (3d) 385
[ci-apr~s cit6 aux R.C.S.]. C’est principalement dans le contexte du droit disciplinaire que se sont
pos6s les probl~mes lis h l’applicabilit6 de l’article 11. La doctrine avait 6galement fait dcho h ces
preoccupations. Voir, entre autres, H.L. Kushner, << Charter of Rights and Freedoms, Section 11 - Disciplinary Hearings Before Statutory Tribunals >>, (1984) 62 R. du B. can. 638 ; Y. Ouellette,
La Charte canadienne et les tribunaux administratifs >>, (1984) 18 R.J.T. 295 ; E. Gertner, The
Scope of the Charter: Who is a “Person Charged With an Offence” >>, (1984) 5 C.R.R. 129 ; J.-C.
H6bert, < Le droit disciplinaire et les garanties juridiques fondamentales >>, (1987) 21 RJ.T. 125.

2 1S.R.C. 1970, c. R-9.

REVUE DE DROIT DE McGILL

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son argumentation prenait essentiellement appui sur l’alinfa 11h) de la Charte,
lequel enchasse le droit de ne pas etre jug6 deux fois pour la mame infraction,
il convenait au pr~alable de dffinir ce qu’il faut entendre par une << infraction >> ;
ce n’est en effet que dans l’hypoth~se oti la faute disciplinaire 6tait assimilable
ht une << infraction >> (<< offence >) au sens de l’alinfa llh) que ce texte pouvait
recevoir application. Bien entendu, le sens qu’aUait donner la Cour h ce mot
6tait intimement li6
la portde qu’elle voulait accorder A l’article dans son
ensemble; si la rdffrence A un << inculp6 >>dans la version frangaise masque la
relation 6troite qui unit le paragraphe liminaire de l’article et son alinfa (h), il
en va tout autrement dans la version anglaise otL ce rapport est beaucoup plus
6vident .

Apr~s avoir pass6 en revue la jurisprudence et la doctrine sur ce point,
Mme le juge Wilson (avec l’appui de tous ses coll~gues sur ce point) opte pour
une interpretation qu’elle qualifie elle-meme de << restrictive >> :

A mon avis, l’interprftation plus restrictive de l’art. 11, pr~conisde par la majorit
des auteurs mentionnfs prdcfdemment, est en fait ]a bonne fagon d’interpr~ter cet
article. Les droits garantis par l’art. 11 de la Charte peuvent 6tre invoqu6s par les
personnes que l’Etat poursuit pour des infractions publiques comportant des sanc-
tions punitives, c.–d. des infractions criminelles, quasi criminelles et de nature
r~glementaire, qu’elles aient 6t6 6dictfes par le gouvemement ffdfral ou par les
provinces.2
Mime le juge Wilson invoque par ailleurs quatre facteurs pour appuyer et
justifier sa prise de position. S’en remettant d’abord au texte lui-meme, elle
observe que l’article 11 est truff6 de termes habituellement associ6s aux proc6-
dures criminelles et que plusieurs des droits qu’il garantit << sembleraient n'avoir aucune signification hors du contexte criminel ou quasi criminel >>24. S’agissant
de l’historique l6gislatif et du fait que l’on ait substitu6 le mot << infraction o>
l’expression << acte criminel >> que l’on retrouve h l’alin~a 2f) de la Ddclaration
canadienne des droits, Mime Wilson n’y voit qu’une consdquence de la consti-
tutionnalisation des droits et de leur 6largissement aux poursuites relatives 4 des
infractions provinciales’.

Bien qu’elle ne fasse pas partie int~grante de la Charte et qu’elle doive
pour cette raison etre utilisde avec plus de circonspection que les rubriques, la
note marginale (<< affaires criminelles et pfnales >>) lui apparait nfanmoins pou-

22Le paragraphe liminaire de l’article 11 se lit en effet comme suit: < Any person charged with an offence has the right ... >%

23Wigglesworth, supra, note 20 a la p. 554.
24Ibid. A la p. 555.
25 On peut dfduire que le terme < criminel >> a 6t6 retranch pour assurer que l’art. 11
s’appliquerait 6galement aux poursuites sommaires et aux poursuites relatives A des
infractions provinciales fondues sur des lois quasi criminelles touchant au bien-etre
public.

Ibid. A la p. 556.

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LA PROTECTION CONTRE L’AUTO-INCRJMINATION

753

voir appuyer dans une certaine mesure la th~se suivant laquelle le terme
inculp6 >> limite l’application de l’article 11 aux seules affaires criminelles ou
quasi criminelles et aux proc6dures qui entrainent des cons6quences p6nales.
Mais c’est sans aucun doute dans le quatri~me facteur qu’il faut rechercher la
principale explication de la d6cision rendue par la Cour. Reprenant son compte
l’opinion pr6c6demment formul6e par M. le juge Laforest, pour qui cette dispo-
sition de la Charte ne saurait recevoir une application modul~e en fonction de
ses diff6rents alin6as, Mine le juge Wilson estime qu’il est pr6f6rable de res-
treindre l’application de l’article 11 aux infractions les plus graves, an risque
d’en diluer la port6e et de semer la confusion.

Ceci 6tant dit, quels indices pourrons-nous reconnaitre qu’une affaire est
de nature < criminelle ou p6nale >> ? Toujours selon la Cour supreme, il semble
bien qu’une affaire pourra relever de l’article 11 < soit parce que, de par sa nature m~me, il s'agit d'une proc6dure criminelle, soit parce qu'une d6claration de culpabilit6 relativement h l'infraction est susceptible d'entrainer une v6ri- table cons6quence p6nale. >>27 Inutile de pr6ciser que l’application de ces crit~res
aura le plus souvent pour cons6quence d’exclure les poursuites disciplinaires du
champ d’application de l’article 11. Bien que l’on puisse douter de la nature
strictement priv6e des proc6dures que peuvent engager des ordres profession-
nels contre leurs membres, force nous est de reconnaltre l’acceptation g6n6rale
de cette qualification. Aussi ne faut-il pas se surprendre que la Cour suprme
y ait donn6 son aval:

…si une affaire en particulier est de nature publique et vise a promouvoir l’ordre
et le bien-8tre publics dans une sphere d’activit6 publique, alors cette affaire est
du genre de celles qui rel~vent de l’art. 11. Elle relive de cet article de par sa
nature m~me. I faut distinguer cela d’avec les affaires privdes, internes ou disci-
plinaires qui sont de nature r6glementaire, protectrice ou corrective et qui sont

6 A moins que la portde de l’article ne soit restreinte aux affaires criminelles ou p~nales,
il peut se r6v~ler tr~s difficile de l’appliquer d’une mani~re raisonnablement uniforme.
Le contenu particulier des divers droits 6nonc6s A l’art. 11 peut tr~s bien varier selon
la disposition liminaire
le genre de proc&lure si l’on donne une d6finition plus large
de l’article. 11 est certain que ces droits sont accord~s ht ceux qui sont accus6s d’infrac-
tions criminelles, A ceux qui doivent faire face au pouvoir de poursuite de l’ttat et qui
peuvent trbs bien subir une privation de libert6 par suite de l’exercice de ce pouvoir.
Le contenu de ces droits ne devrait pas connaltre un manque de pr6visibilit6 ou de
clartd en raison d’une application universelle de l’article. n ressort clairement d’une
6tude des divers droits 6numeals A l’article, qu’il s’agit de droits fondamentaux tr~s
importants dont le sens doit atre clair comme de l’eau de roche pour ceux qui engagent
des poursuites relatives aux infractions qui rel~vent de cet article. J’estime, pour ce
motif, qu’il est prfdrable de restreindre l’art. 11 aux plus graves infractions que nous
connaissons dans notre droit, c.-A-d. les affaires criminelles et p~nales, et de laisser les
autres infractions >> relever du critere plus souple de la justice fondamentale >>
6nonc6 t l’art. 7.

Ibid. A la p. 558.

‘%bid. A la p. 559.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 35

principalement destinies h maintenir la discipline, l’int6grit6 professionnelle ainsi
que certaines normes professionnelles, ou A r6glementer la conduite dans une
sphere d’activit6 priv6e et limit~e…28 .

Compte tenu de ce qui precede, la situation dans laquelle se trouvait l’of-
ficier Wigglesworth apparait donc comme l’exception qui confirme la r~gle. Car
c’est uniquement parce qu’il 6tait passible d’une peine d’emprisonnement d’un
an aux termes du paragraphe 36(1) de la Loi sur la gendarmerie royale que l’on
a conclu
l’application de l’article 11 dans cette affaire. C’est d’ailleurs sans
hesitation que la Cour supreme a refus6 d’appliquer le paragraphe lId) dans les
trois autres arr~ts qu’elle a prononc6s le m~me jour”; parce que les policiers
en cause n’6taient passibles d’aucune peine d’emprisonnement pour la faute
qu’on leur reprochait, l’on n’eut aucune difficult6 A d~clarer que les procedures
disciplinaires ne comportaient aucune cons6quence p~nale. I1 semble donc que
la possibilit6 d’un licenciement ne suffira pas A transformer une instance disci-
plinaire en une proc6dure criminelle’. Mise A part une peine d’emprisonnement,
tout porte A croire que seule une amende < qui par son importance semblerait impos~e dans le but de r6parer le tort caus6 A la soci~t6 en g6n6ral plut6t que pour maintenir la discipline pourra 8tre consid6r6e comme une vritable cons6quence p~nale entrainant l'ap- plication de l'int6rieur d'une sph~re d'activit6 limit~e >>3

‘article 11.

‘sIbid. 4 lap. 560. Ce qui 6tonne davantage, c’est que la Cour n’ait pas cru bon distinguer entre
les divers regimes disciplinaires. Refuser de reconnaitre que ]a discipline exercde par les ordres
professionnels sur leurs membres a tout autant pour objet la protection du public que celle de ]a
profession peut d6jh surprendre ; que l’on tienne le meme raisonnement en ce qui conceme la d~on-
tologie des policiers relive A notre avis de la plus pure fiction juridique. Nous ne pouvons donc
qu’6tre d’accord avec le professeur Ouellette lorsqu’il 6crit:

A vrai dire, il n’existe pas un droit disciplinaire, mais plusieurs, et certains r6gimes dis-
ciplinaires pr6sentent un caract&e d’int~r& public, meme si les auditions sont tenues
in camera. […] On peut aussi contester l’affirmation selon laquelle le regime discipli-
naire d’un service de police s’analyse comme une question interne et visant h assurer
l’autoritd des grad6s sur leurs subaltemes. Certains codes de d6ontologie policire
visent aussi A prot~ger les citoyens contre les abus de pouvoirs ou d’autorit6 des poli-
ciers ; la faute disciplinaire, comme la poursuite disciplinaire, pr~sente alors un carac-
t~re public.

e La Charte canadienne et les tribunaux administratifs >>, supra, note 20 aux pp. 302-303.

29Burnham c. Police de Toronto, [1987] 2 R.C.S. 572,45 D.L.R. (4th) 309, 37 C.C.C. (3d) 115;
Trumbley et Pugh c. Police de Toronto, [1987] 2 R.C.S. 577, 45 D.L.R. (4th) 318, 37 C.C.C. (3d)
118 ; Trimm c. Police Rggionale de Durham, [1987] 2 R.C.S. 582, 45 D.L.R. (4th) 276, 37 C.C.C.
(3d) 120.

30La Cour d’appel ontarienne a clairement consid6r6 que le licenciement 6tait une consequence
civile et non une peine de nature criminelie. Voir A cet 6gard la d6ecision qu’elle a prononce dans
les trois affaires cit es
la note pr6c&dente, r6pertori~ee A (1986), 55 O.R.(2d) 570 h la p. 589.
31Wigglesworth, supra, note 20 A lap. 561. La Cour precise plus loin que le seul pouvoir d’im-
poser une amende n’est pas n6cessairement d~terminant et peutt
tre tout h fait conforme au main-
tien de la discipline et de ‘ordre dans une sph~re d’activit6 priv6e et limit6e. La mani~re dont l’or-
ganisme doit employer les amendes qu’il pergoit poura constituer un indice de l’objet poursuivi
par cette amende.

1990]

LA PROTECTION CONTRE L’AUTO-INCRIMINATION

755

Si cette d6cision rendue par la Cour supreme dans l’arrt Wigglesworth est
marquee au coin d’une prudence que certains jugeront excessive, elle a n6an-
moins le m6rite de circonscrire avec un peu plus de precision le domaine que
couvre cette disposition importante de la Charte. Et comme la Cour supreme a
r6p6t6 a plusieurs reprises que le mot << inculp6 >> (et 1’expression anglaise
6quivalente, < person charged with an offence >>) devait 8tre interpr6t6 de la
m~me fagon peu importe le droit en cause, il n’est plus permis de douter que
les pr6cisions apport6es dans cet arr~t doivent 6galement r6gir l’application de
l’alin6a llc)32.

Par cons6quent, il faut donc admettre que cet alin6a ne sera d’aucun
secours k la tr~s grande majorit6 des personnes qui font l’objet d’une poursuite
disciplinaire33. Les all6gations de mauvaise conduite auxquelles le membre
d’une corporation professionnelle peut 6tre tenu de r6pondre n’6tant pas de par
leur nature meme des procedures criminelles, seule la possibilit6 de faire face
A une < v6ritable cons6quence p6nale >> pourrait entrainer l’application de l’ali-
n6a 11c) et des autres garanties pr6vues par l’article 11. Or, m~me cette
6ventualit6 apparalt maintenant de plus en plus th6orique depuis la d6cision ren-
due par la Cour d’appel du Qu6bec dans l’arr&t Belhumeur. En effet, quatre des
cinq juges qui si~geaient a cette occasion ont estim6 que le seul fait de ne pas
pr6voir de plafond A l’amende qui pouvait etre impos6e par la corporation pro-
fessionnelle en cause ne suffisait pas ii transformer l’instance disciplinaire en
une infraction criminelle35.

II serait inutilement long et fastidieux de r66valuer toute les ddcisions ant6-
rieures A l’arr&t Wigglesworth oi l’on s’est pench6 sur le champ d’application
de l’alin6a llc). Puisque cette disposition dans son ensemble vise d’abord et

32Voir t cet 6gard le passage pr~c&lemment cit6 A la note 24. D6j, dans l’arrat Schmidt, supra,
note 18 a la p. 519, M. le juge Laforest avait affirm6 que ces mots devaient recevoir << un seul et meme sens, un sens qui soit en harmonie avee les diff&ents alin~as de l'article >. Voir aussi Lyons,
supra, note 19 A la p. 353.

331 faut dire que cette solution dtait tout h fait pr6visible, compte tenu des nombreuses d6cisions
en ce sens qu’avaient d~jh rendues les tribunaux 4 travers le pays. Voir, entre autres, Re James,
[1983] 2 W.W.R. 316,42 B.C.L.R. 10 (C.S. C.-B.) ; Johnson c. Law Society of Alta, (1985) 66 A.R.
345, [1986], 2 W.W.R. 380 (B.R. Alta) ; Law Society ofManitoba c. Savino (1983), 1 D.L.R. (4th)
285 [1983] 6 W.W.R. 538 (C.A. Man.); Belhumeur c. Discipline Committee of Quebec Bar
Association, (1983) 34 C.R. (3d) 279 (C.S. Qud.) ; Fang c. College of Physicians & Surgeons of
Alta, (1985) 42 Alta. L.R. 89 (C.A.). Contra: Re Lazarenko and Law Society of Alberta (1983),
4 D.L.R.(4th) 389, [1984] 2 W.W.R. 24 (B.R. Alta).

34Belhumeur c. Barreau du Quebec, (1988), 54 D.L.R.(4th) 105 (C.A. Qua).
35Pour en arriver t cette conclusion, les juges majoritaires se sont dit d’avis que le contexte de
la Loi sur le Barreau et ses objectifs de rgglementation imposaient implicitement des limites au
montant de 1’amende qui pouvait etre dcrdt~e. D’autant plus que l’amende sanctionnerait g6n6-
ralement les cas d’inconduite les moins graves, la radiation et la suspension 6tant des peines beau-
coup plus lourdes. Voir aussi, dans le meme sens, Spicer c. Assoc. of Prof. Engineers (1989), 95
A.R. 132 (B.R. Alta).

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 35

avant tout les affaires de nature publique, qui ont pour objet la promotion de
l’ordre et du bien-6tre publics dans une sphere d’activit6 publique, mentionnons
simplement qu’il est plausible d’affirmer que l’alin6a llc) est applicable aux
proc6dures li6es A une citation pour outrage an tribunal36. A l’inverse, tout
indique que le mari contre qui est dirig6 une action en filiation ne pourra se pr6-
valoir de l’alin6a llc)37. Enfin, il va de soi qu’une personne ne pourra s’appuyer
sur cette disposition pour refuser de r~pondre aux questions qui lui sont pos6es,
lorsque ces questions s’inscrivent dans une proc6dure visant A d6terminer son
statut et non sa culpabilit 38.

2.

La contraignabilit6 des accus6s << potentiels >>

Beaucoup plus probl~matique est la question de savoir si une personne sus-
ceptible d’6tre incrimin6e peut s’appuyer sur l’alin~a llc) pour refuser de
t6moigner dans le cadre d’une proc6dure connexe de nature civile, administra-
tive, on quasi-criminelle (ou encore au proc~s de son complice). Pour bien com-
prendre 1’enjeu r6el que masque cette interrogation, il importe d’effectuer un
bref retour en arri~re et d’examiner la situation qui pr~valait avant l’entr~e en
vigueur de la Charte.

Nous avons vu plus haut que l’article 4 de la Loi sur la preuve au Canada
confimne en quelque sorte la r~gle de common law suivant laquelle un accus6
ne peut 8tre contraint de t6moigner au cours de son proc~s ou de l’enquete pr6-
liminaire qui le pr6cide. Suite A la d6cision rendue par la Cour supreme dans
l’arr&t Batary c. A.G. Saskatchewan39, l’on aurait pu s’attendre 4t ce que ce pri-
vilege soit quelque peu 6tendu de fagon A ce qu’une personne puisse s’en pr6-
valoir dans toute procedure oa son t6moignage, bien que prot6g6 par l’article 5
de cette meme Loi, risquait de foumir la preuve de sa culpabilit6. Dans cette
affaire, il faut le rappeler, la Cour avait 6tabli qu’une personne ne pouvait etre
contrainte A t6moigner par un coroner alors m~me qu’elle 6tait simultan6ment

36R. c. Cohn (1984), 48 O.R. (2d) 65, 13 D.L.R. (4th) 680, 42 C.R. (3d) 1 (C.A.). II faut cepen-
dant noter le refus de faire ben6ficier la personne poursuivie pour outrage du droit reconnu par
l’alin6a 111) (droit au procs avec jury): voir Laurendeau c. P.G. du Quebec, [1983] C.A. 223 ;
A.G. Manitoba c. Groupe Quebecor Inc. (1987), 45 D.L.R. (4th) 80, 37 C.C.C. (3d) 421, [1987]
5 W.W.R. 270 (C.A. Man.).

37Nessman c. Morrison (1984), 51 A.R. 238 (B.R.); Juric c. Ivankovic (1982), 44 A.R. 46
38R. c. Wooten (1983), 5 D.L.R.(4th) 371, 9 C.C.C. (3d) 513, 7 C.R.R. 278 (C.S. C.-B.) ; Bowen
c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1984] 2 C.F. 507 (Appel). Dans ces deux affaires, on
a estim6 que l’alin6a l1c) ne s’appliquait pas au t6moignage que doit donner une personne faisant
l’objet d’une enqu~te sous le r6gime de la Loi sur l’immigration de 1976 aux fins de d6terminer
son statut. Voir aussi R. c. Langevin (1984), 45 O.R. (2d), 11 C.C.C.(3d) 336, 9 C.R.R. 16 (C.A.)
[ci-apr~s cit6 aux C.R.R.], oil l’on a refus6 de donner effet 4 l’alinda 1 lc) dans le cadre de ]a Partie
XXIV du Code criminel, au motif que les proc6dures en cause ne visent qu’A d6terminer si Fin-
dividu reconnu coupable peut 8tre considdr6 comme un criminel dangereux.

(B.R.).

39[1965] R.C.S. 465, 52 D.L.R. (2d) 125 [ci-apr~s cit6 aux R.C.S.].

1990]

LA PROTECTION CONTRE L’AUTO-INCRIMINATION

757

poursuivie pour le crime sur lequel il enqutait. M. le juge Cartwright, au nom
de la majorit6, justifia ce r6sultat dans les termes suivants :

It would be a strange inconsistency if the law which carefully protects an accused
from being compelled to make any statement at a preliminary inquiry should per-
mit that inquiry to be adjourned in order that the prosecution be permitted to take
the accused before a Coroner and submit him against his will to examination and
cross-examination as to his supposed guilt.4
L’interpr6tation lib6rale du privilege de non-contraignabilit6 que laissait
pr6sager ce passage devait cependant laisser rapidement place A une approche
la d6cision prononc6e par la Cour
plus orthodoxe et plus restrictive. Suite
supreme dans 1’arr~t Faber c. La Reine4″, il semble bien que le raisonnement qui
sous-tend l’affaire Batary doive 8tre limit6 aux faits de l’esp~ce et ne puisse
t6moigner devant le
s’appliquer que dans la mesure oii la personne appel6e
coroner a pr6alablement 6t6 accus6e. II en ira d’ailleurs de meme, s’il faut en
croire l’arrt Dilorio42, pour tous les autres types d’enquete auxquelles une per-
sonne peut se voir soumise : le seul fait de pouvoir ult6rieurement etre inculp6
du crime sur lequel porte l’enquete ne rel~vera pas le < t6moin >> de l’obligation
qui peut lui Atre faite de r6pondre aux questions.

Le court expos6 qui pr6c~de permet de voir combien pr6caire 6tait la situa-
tion de l’accus6 < potentiel >> avant le 17 avril 1982. S’il est vrai que la
Couronne ne pouvait le contraindre h t6moigner lors de son proc~s, elle pouvait
en revanche lui soutirer des 616ments d’information susceptibles d’6tayer sa
preuve en retardant le ddp6t de sa d6nonciation et en instituant une enqupte
parallle au cours de laquelle le principal suspect serait interrog6 comme
t6moin. Cette fagon de proc6der, bien que couramment utilis~e, ne constituait
par ailleurs que l’une des armes dont le minist~re public pouvait faire usage
pour contourner la r6gle de la non-contraignabilit6. Ainsi pouvait-il fractionner
l’inculpation de complices de mani~re h pouvoir faire t~moigner l’un au proc~s
de l’autre, ou meme tout simplement tirer profit des r6v6lations qui pouvaient
6tre faites au cours d’une proc6dure connexe de nature civile. I1 est vrai que le
t~moignage donn6 par une personne au cours d’une proc6dure ant6rieure ne
pouvait etre utilis6 contre elle lors de son proc6s, ‘ condition bien entendu
qu’elle se soit pr6value des dispositions de l’article 5 de la Loi sur la preuve au
Canada. Mais cette protection s’av6rait tr~s souvent factice et pour le moins
incomplete, 6tant donn6 l’usage qui pouvait 6tre fait de l’information ainsi obte-

4Ibid. A la p. 476.
41[19751 2 R.C.S. 9, 27 C.C.C. (2d) 171.
42Dilorio c. Gardien de la prison commune de Montrial, [1978] 1 R.C.S. 152, 35 C.R.(N.S.) 57.
D’autres cours d’appel provinciales sont allIes encore plus loin en affirmant que la r6gle d~gag~e
dans l’arrt Batary ne s’applique qu’aux enquites du coroner, et uniquement dans l’hypoth~se oil
l’enquete pr6liminaire parall~le n’a pas 6 compl~t~e. Voir R. c. Quj. Mun. Comm. ; Ex parte
Longprd (1970), 4 C.C.C.(2d) 133 (C.A. Qu.) ; Orysiuk c. La Reine (1977), 37 C.C.C.(2d) 445,
1 C.R. (3d) 111 (C.A. Alta).

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 35

nue pour completer une preuve et ainsi d6montrer la culpabilit6 de l’6ventuel
pr~venu.

L’entr~e en vigueur de l’alin~a llc) de la Charte a-t-elle eu un impact quel-
conque sur ces pratiques ? Au vu de la jurisprudence r6pertori~e jusqu’A ce jour,
il semble bien qu’une r6ponse negative doive 8tre apport6e t cette question. En
effet, les tribunaux ont majoritairement opt6 pour la continuit6 et ont refus6
toute innovation en cette mati~re en pr6textant l’absence d’une directive claire
L cet effet.

L’attitude manifest6e par les tribunaux A l’6gard des enquetes du coroner
est particulirement r6v6latrice de cet 6tat d’esprit. Soulignant que l’alin~a llc)
ne s’appliquait qu’aux personnes contre lesquelles une accusation a 6t6 port6e
(<< inculp6 >>, ou << person charged with an offence >>), et uniquement lorsqu’une
poursuite est intent~e contre elles pour l’infraction qu’on leur reproche, l’on
n’eut aucune hesitation A s’appuyer sur la jurisprudence ant6rieure pour con-
clure qu’une personne appel~e << t6moigner >> lors d’une << enquete >> n’6tait
pas vis6e par cette disposition:

Section 11(c) states that a person charged has the right not to be compelled to be
a witness in proceedings against that person in respect of the offence. A coroner’s
inquest is not a proceeding in respect of an offence. The courts have repeatedly
pointed out that at an inquest there is no lis, no accused and no charge. I reject
counsel’s argument that in this instance the inquest is being used as an instrument
in the criminal process.43
Dans la meme veine, les tribunaux ont unanimement continu6 A reconnaitre
la contraignabilit6 d’une personne au proc~s de son complice, lorsque la
Couronne a choisi de les inculper s6par6ment”. II n’en ira pas autrement dans
l’hypoth~se oa la culpabilit6 de
‘accus6 au proc~s duquel on veut faire t6moi-
gner une personne constitue pr6cis6ment Fun des 616ments de l’infraction con-
nexe pour laquelle cette derni~re est elle-m~me poursuivie45 . Enfin, les tribu-

43Re Michaud and Minister of Justice of New Brunswick (1983), 145 D.L.R. (3d) 588 h lap. 589,
3 C.C.C.(3d) 325 A lap. 327, 4 C.R.R. 159 (B.R. N.-B.) [les soulign6s sont dans le texte]. II faut
remarquer que cette lecture 6troite de l’alin6a lc) ne laisse pas meme la porte ouverte A son appli-
cation dans une situation semblable A celle rencontrde dans l’arr& Batary ; sans doute est-ce la rai-
son pour laquelle on a senti le besoin d’ajouter la demi~re phrase dans l’extrait cit6. Voir aussi,
dans le meme sens, Richard c. Falardeau, [1985] C.S. 1141, 48 C.R.(3d) 243 (C.S. Qu6.). Dans
rarrt R. c. Daigle (1982), 32 C.R.(3d) 388, 4 C.R.R. 153 (C.S. Qua.), on a fait appel au mime
raisonnement pour conclure qu’une personne ne pouvait refuser de t6moigner devant la
Commission McDonald.

44R. c. Crooks (1982), 39 O.R.(2d) 193 (H.C.), conf. par C.A., voir note h lap. 193 ; R. c. Walters
(1982), 2 C.C.C.(3d) 512 (C.A. C.-B.); R. c. Miller, [1983] C.S.P. 1094; R. c. Mazur, [1986] 27
C.C.C. (3d) 359 (C.A. C.-B.) ; R. c. Bleich (1983), 7 C.C.C.(3d) 176 (B.R. Man.).
45A titre d’example, on peut mentionner ‘arr& Re Amorelli and The Queen (1983), 6 C.C.C.(3d)
93 (C.S. Qu6.). Dans cette affaire, on avait assign6 Amorelli
t6moigner au proc~s d’un d~nomm6
Porco, accus6 d’avoir tenu une maison de jeu. Amorelli prdtendit qu’il n’dtait pas contraignable,
parce qu’il 6tait lui-meme accus6 de s’6tre trouv6 dans cette maison de jeu. Si Porco 6tait con-

1990]

LA PROTECTION CONTRE L’AUTO-INCRIMINATION

759

rejeter toute application de l’alin~a 11c) dans les
naux n’ont pas hMsit6
procedures de nature civile ; la personne accus~e d’une infraction criminelle ne
pourra donc arguer de ce fait pour refuser de t6moigner dans le contexte d’un
interrogatoire pr~alable ou d’une instance civile .

A moins que la Cour supreme ne vienne renverser la vapeur et donner un
vigoureux coup de barre, la protection explicitement conf&re au principe de la
non-contraignabilit6 de l’accus6 aura bien peu d’impact sur cet aspect du droit
criminel canadien. I1 est vrai que la formulation retenue par-le constituant pour
garantir ce droit favorise assez peu les bouleversements et incite A penser que
l’on a voulu enchasser le statu quo. Pourtant, une interpretation t6l6ologique de
cette disposition pourrait donner lieu a un r~sultat diffdrent et h une approche
plus novatrice.

Dans l’arr&t Dubois, il convient de le rappeler, M. le juge Lamer a 6tabli
que le droit de ne pas 8tre oblig6 de t~moigner 6tait fond6 sur la pr6somption
d’innocence et sur l’obligation qui en r~sulte pour la poursuite de pr6senter une
preuve complete >> et d’6tablir la culpabilit6 de l’accus 47 . Dans cette perspec-
tive, est-il d6raisonnable de soutenir que la Couronne ne devrait pas Pure admise
h parfaire sa preuve en contraignant un accus6 a t6moigner dans un autre proc~s
intimement li6 au sien, ou dans le cours d’une enquete publique portant pr6ci-
s6ment sur les faits memes qui sont il l’origine de son inculpation ? Une telle
pratique est-elle vraiment conforme A l’objectif qui sous-tend l’alin6a llc) ? I1
nous apparait au contraire que ce texte constitutionnel peut apporter une r6ponse
aux pr6occupations exprim6es par M. le juge Cartwright dans l’arr&t Batary,
pour peu que l’on consente h tirer toutes les consequences qui d6coulent de son
sens pl6nier. En clair, cela doit h tout le moins signifier qu’une personne accus6e
d’une infraction criminelle ne devrait 6tre contraignable dans aucune proc6dure
qui puisse mettre en danger ses droits 6ventuels, et non plus seulement a tne
enquete du coroner comme c’est pr6sentement le cas.

damn6, soutenait-il, cette condamnation pourrait subs~quemment lui etre oppos~e et ferait preuve
du fait quIe la maison oil i se trouvait dtait bien une maison de d6sordre, par le jeu de la pr6somp-
tion qu’dtablit le paragraphe 198(1)(d). D’oil l’alldgation qu’il 6tait forc6 de t6moigner contre lui-
m~me. La Cour refusa cependant de faire droit hL ce raisonnement en r6it6rant qu’un t6moin est tenu
de r6pondre aux questions qui lui sont pos~es et ne jouit que du droit de ne pas voir son t6moignage
utilis6 contre lui par la suite. Voir aussi, dans le meme sens, R. c. Bleich, ibid., oil l’on d6clara
Bleich contraignable au procs pour meurtre de Ruben alors qu’il dtait lui-m~me accus6 de corn-
plicit6 apr~s le fait pour avoir aid6 Ruben bL s’enfuir.

46Caisse populaire Laurier d’Ottawa Lte c. Guertin (1983), 43 O.R.(2d) 91, 150 D.L.R. (3d)
541, 9 C.R.R. 9 (H.C.), conf. par C. Div. (1984), 46 O.R.(2d) 422; Saccomanno c. Swanson
(1987), 34 D.L.R.(4th) 462, [1987J 2 W.W.R. 754 (B.R. Alta); Tricontinental Investments Co. c.
Guarantee Co. of North America (1983), 39 O.R.(2d) 614, 141 D.L.R. (3d) 741, 4 C.R.R. 181
(H.C.).

47Supra, note 15 i la p. 357.
48Supra, texte accompagnant la note 40.

REVUE DE DRO1T DE McGILL

[Vol. 35

D’aucuns objecteront que la seule protection h laquelle peut pr6tendre l’ac-
cus6 appel6 h t~moigner dans une autre proc6dure est celle que lui procure l’ar-
ticle 13 de la Charte49 . Mais une tele approche ferait fi du caract~re fondamen-
tal de la pr6somption d’innocence et m6connaitrait le r6le cardinal qu’est appel6
A jouer l’alin6a 11c). Car le principe de base, c’est le droit au silence, c’est-t-
dire l’obligation pour la Couronne de pr6senter une preuve complete sans pou-
voir contraindre l’accus6 h t6moigner. Par consequent, 6crit la Cour supreme,

l’objet de l’art. 13, lorsqu’il est interprdt6 dans le contexte des al. 11c) et d), est
de prot6ger les individus contre l’obligation indirecte de s’incriminer, pour veiller
h ce que la poursuite ne soit pas en mesure de faire indirectement ce que l’al. lic)
interdit.

ttant donn6 le caract~re subsidiaire de la protection offerte par l’article 13,
l’on ne saurait pr~tendre que le droit au silence d’n accus6 n’est pas enfreint
du seul fait que l’on ne peut utiliser son t~moignage ant6rieur contre lui. Le but
et l’objet du droit de ne pas etre contraint de t6moigner seront 6galement (et
peut-etre davantage) mis en p6ril si l’on parvient h contourner l’alin6a 1 Ic) en
<< manufacturant >> une proc6dure connexe au cours de laquelle cette protection
pourra etre 61ud~e. En d’autres termes, la protection reconnue par l’article 13 ne
peut constituer la seule mesure du droit fondamental garanti par l’alin6a lc) ;
si elle peut s’av6rer suffisante lorsque la personne interrog6e est un vritable
<< t~moin >>, elle ne saurait se substituer A une protection efficace du droit au
silence de 1′<< accus6 >> que comporte la pr~somption d’innocence.

Toute autre est la situation de la personne appel6e h t6moigner contre
laquelle ne p~se pas encore une accusation criminelle. L’application de l’alin6a
llc) se heurtera alors un obstacle de taille, puisque le t~moin ne pourra meme
pas r6clamer le statut d’<< inculp6 >> qui conditionne la jouissance des droits
garantis par l’article 11 dans son ensemble. I se peut bien que l’on puisse
6tendre la port~e des mots << toute poursuite intent6e contre lui pour l'infraction qu'on lui reproche >>, de fagon h y faire entrer toute procddure au cours de
laquelle un accus6 peut raisonnablement craindre pour ses droits”. Mais ira-t-on

49C’est la position que d6fend le professeur Paciocco lorsqu’il affume :

The principle of a case to meet is a << trial principle >> intended to ensure that the Crown
prove its case, if at all, without conscripting the accused as a witness against himself.
So long as the accused’s compelled testimony cannot be used to incriminate him at his
trial, and section 13 of the Charter ensures that it cannot, the principle is not violated.
In other words, the only enforced responses that are contemplated by the principle are
those that are compelled from him and which can be used as evidence to enable the
Crown to meet its case against the accused.

Supra, note 10 k la p. 508.

50Dubois, supra, note 15 a la p. 358, M. le juge Lamer.
51 L’extrait tir6 de l’arrt Amway que nous avons cit6 plus haut (voir le texte accompagnant la
note 16) permet d’ailleurs une lecture de l’alin~a llc) qui n’est pas incompatible avec cette thbse.
En mettant l’accent sur une << pratique qui permet a la poursuite d'obliger ]a personne inculp~e h 1990] LA PROTECTION CONTRE L'AUTO-INCRIMINATION 761 jusqu'A maintenir que les droits enchass6s dans l'article 11 peuvent 8tre reven- diqu6s par tous ceux qui risquent d'6tre inculpds ou qui le seront probablement ? Voilh qui apparait peu probable. Est-ce h dire que la Couronne pourra continuer de se soustraire h l'obliga- tion que lui impose l'alin6a 11c) et qu'il lui suffira pour ce faire de retarder indfiment le d6p6t de sa d6nonciation contre la personne qu'elle souhaite inter- roger ? Si tel devait 6tre le r6sultat de la d6marche que nous venons d'esquisser, les droits du citoyen ne seraient gu~re mieux prot6g6s et 1'extrapolation A laquelle nous nous sommes liv6s donnerait lieu somme toute h un r6sultat fort mitig6. C'est la raison pour laquelle nous estimons, en bout de ligne, que l'ali- n6a 11c) ne peut fournir qu'une solution partielle h cette aberration du droit cri- minel canadien et que la c16 du probl~me r6side plut6t dans l'article 7. 3. L'application de l'alin6a 11c) aux personnes morales Si la protection de l'alin6a 11c) peut ind6niablement 8tre r6clam6e par les personnes physiques, la solution est beaucoup moins claire en ce qui conceme les corporations. Ou du moins l'6tait-elle avant la d6cision rendue par la Cour supreme dans l'arr&t Amwa'. Fallait-il tenir pour inapplicable aux corporations l'article 11 dans son ensemble, du fait que certains de ses alin6as (en particulier l'alin6a lie)) ne pouvaient clairement leur le droit au cautionnement pr6vu 8tre d'aucune utilit653 ? Devait-on < 6tirer >> la port6e de l’alin6a 11c) pour faire
en sorte que l’entit6 corporative elle-meme puisse 6tre consid6r6e comme un
< t6moin >>dans une poursuite intent6e contre elle ?

En r6pondant par l’affirmative A la question de savoir s’il peut 6tre ordonn6
A une corporation de faire t6moigner l’un de ses dirigeants lors d’un interroga-
toire pr6alable, le plus haut tribunal a mis un terme h ces tergiversations. Sans
exclure la possibilit6 que d’autres alin6as de l’article 11 puissent 6tre invoqu6s
avec succ~s par des soci6t6s, M. le juge Sopinka (au nom d’une cour unanime)
a clairement 6tabli que ces demi~res ne pouvaient 6tre des < t6moins >> et ne
pouvaient done 8tre vis6es par l’alin6a lic). Deux consid6rations semblent 8tre
h l’origine de cette d6cision. La premiere s’explique par un souci de coh6rence :
puisque le dirigeant de la corporation sera certainement admis
invoquer l’ar-
ticle 13 de la Charte et le paragraphe 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada
s’il se voit poser une question incriminante, il faut en d6duire que ce dirigeant
est un t6moin. Si tel est le cas,

t6moigner elle-meme >, M. le juge Sopinka d6cloisonne cette disposition et ouvre peut-etre la porte
h une interpr6tation qui se rapproche de celle que nous venons d’exposer.

52Supra, note 7.
53Ce raisonnement a 6t6 retenu dans R. c. Heit (1984), 7 D.L.R. (4th) 656, 11 C.C.C.(3d) 97,
[1984] 3 W.W.R. 614 (C.A. Sask.). Contra: PP.G. Industries Canada Ltd. c. A.G. Canada (1983),
146 D.L.R. (3d) 261, 3 C.C.C.(3d) 97, 42 B.C.L.R. 334 (C.A. C.-B.).

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 35

I est difficile d’expliquer que le dirigeant est un t6moin et que la soci~t6 est
6galement un t6moin. II n’y a qu’un seul t6moin qui subit l’interrogatoire et c’est
1’entit6 qui a prdt6 serment et qui est passible de sanction en cas de parjure5 4

M. le juge Sopinka s’en remet 6galement A une interpr6tation t61ologique
de l’alin~a lic) pour justifier son refus de l’appliquer aux soci6t6s. Estimant que
le but premier de cette disposition est d’assurer la dignit6 et la vie priv~e des
individus, il n’6prouvera 6videmment aucune difficult h conclure que les cor-
porations ne peuvent en rfclamer le b6n6fice55.

Nous voyons mal comment cette d6cision et les arguments qui la sous-
tendent pourraient faire l’objet de contestation. Non seulement s’appuie-t-elle
sur de solides fondements th~oriques et s’int~gre-t-elle dans lajurisprudence qui
s’6tait d6velopp6e sous l’autorit6 de la common law, mais encore a-t-elle le
m6rite d’etre sans 6quivoque56. Sans compter que la Cour supreme vient d’adop-
ter la meme attitude dans le contexte de l’article 7’7. Plus probl6matiques seront

54R. c. Amway Corporation, supra, note 7 aux pp. 37-38.
55C’est ce meme facteur qui expliquerait aux yeux du juge le refus d’appliquer la protection du
Cinqui~me Amendement aux soci~t~s. II cite 4 cet 6gard un passage de l’ouvrage du professeur
Paciocco, supra, note 10 A la p. 459.

56Sans doute faut-il tenir pour implicitement confirm6 le jugement rendu par la High Court of
Justice d’Ontario dans l’affaire Re Arrigo and The Queen (1986), 29 C.C.C.(3d) 77. Dans cette
affaire, le president d’une corporation all~gua qu’il ne pouvait 8tre contraint h t6moigner dans une
poursuite intente contre cette corporation, parce qu’il en 6tait l’fime dirigeante (< directing mind and will >>) et qu’A ce titre il dtait identifiable A la corporation. Cet argument n’6tait pas d6nu6 d’in-
t&&t, dans la mesure oa l’infraction reproch~e h la corporation requrait la preuve d’une intention
coupable. La corporation dtant incapable de former une intention, l’on reconnait depuis longtemps
la possibilit6 de soulever le voile corporatif pour ainsi attribuer h la corporation l’6tat d’esprit de
ses dirigeants. Ne devait-on pas faire la meme 6quation dans le cas prdsent et refuser de contraindre
le pr6sident
t6moigner, au motif qu’une telle contrainte violerait le droit au silence de ]a corpo-
ration ? Malgr6 ‘attrait de cette argumentation et son apparente logique, la Cour refusa d’y faire
droit au motif que la pr6misse 6tait erron6e : puisque la corporation ne pouvait se prvaloir de l’ali-
nda 1ic) parce qu’elle ne pouvait 8tre considdrde comme un t~moin, le president ne pouvait lui non
plus etre admis 4 r6clamer au nom de cette demi~re des droits qu’elle ne poss6dait pas.
57Dans l’arr& Thomson Newspapers Ltd., supra, note 3, tous les juges qui se sont prononc6s sur
la question ont conclu que les soci6t~s commerciales ne pouvaient se prvaloir de ]a protection r~si-
duaire que peut offir ‘article 7 contre l’auto-incrimination. Non seulement sont-elles exclues de
la port~e de cette garantie constitutionnelle, comme on l’a d~cid6 dans l’arrt Invin Toy Ltd. c. P.G.
du Quebec ([1989] 1 R.C.S. 927, 58 D.L.R. (4th) 577, 94 N.R. 167), mais encore sont-elles inca-
pables de subir le genre d’affront que vise A r~primer la protection contre I’auto-incrimination.
Quant aux personnes physiques qui agissent comme repr~sentantes de la soci6t6, la solution est
moins claire. Mme le juge L’Heureux-Dub6 ne leur aurait pas permis d’invoquer la protection con-
f6r~e par l’article 7, au motif que l’on se trouverait alors 4 accorder A la soci~t6 des droits dont
elle ne peut b6n6ficier, tandis que M. le juge La Forest leur aurait reconnu cette possibilit6 parce
qu’ils peuvent subir une violation directe et r~elle de leur propre libert6 peu importe ]a qualit6 en
vertu de laquelle ils t6moignent. Cette demi~re position nous apparalt preferable. Comme l’6crit
M. le juge La Forest A la p. 544:

le dirigeant contraint de t6moigner pour le compte de sa soci6t6 peut etre ultdrieurement
accus6 en vertu de la Loi, et il serait parfaitement illusoire de dire que ce t6moignage

1990]

LA PROTECTION CONTRE L’AUTO-INCRIMINATION

763

cependant ses r6percussions dans le contexte de l’article 13, comme nous le ver-
rons plus loin.

B. Les droits confir~s par l’alinja 11c)

1.

Une protection limit6e au t6moignage

Historiquement, le privilege dont pouvait se pr6valoir les accus6s en vertu
de la common law 6tait celui de ne pas se voir assigner A la barre des t6moins
par la Couronne au moment de leur proc~s. C’est d’ailleurs h cette conception
6troite que r6f6rait la Cour supreme dans l’arret Marcoux s lorsqu’elle refusa le
droit t un suspect de ne pas participer ih une s6ance d’identification, en disant
que le privilege contre l’auto-incrimination s’6tend A l’accus6 << en tant que t6moin et non pas en tant qu'accus6 >. Elle r6affirmait ainsi la portde limit6e du
privilege en limitant son application a la contrainte en mati~re testimoniale, par
opposition a toute autre forme de contrainte. Aussi serait-il sans doute plus
exact de ddcrire le privilege conf&6 par la common law comme un privilege de
non-assignation, et non comme un privilege de non-contraignabilit 5 g.

Et il n’en va pas autrement depuis la proclamation de l’alin6a llc) de la
Charte. Ceux qui croyaient voir dans la cons6cration de ce privilege une occa-
sion d’en 6tendre la port6e devaient tr~s rapidement se heurter h un d6menti for-
mel de la part des tribunaux. En refusant le b6n6fice de cette protection h une
personne qui avait refus6 de soumettre un 6chantillon d’haleine et en refusant
de se d6marquer de la d6cision rendue h partir d’une situation semblable dans
l’arrat Curr, la Cour d’appel ontarienne a sans doute trac6 la voie qui allait
subs~quemment 8tre suivie par l’ensemble des tribunaux canadiens :

It is plain that the protection continues to be protection against testimonial com-
pulsion and nothing else. […] Section llc) continues to protect an accused from
being compelled to enter a witness-box. The protection against testimonial com-
pulsion, in my view, simply has nothing to do with compulsory breath tests pur-
suant to the Criminal Code.61

pourrait 6tre utilis6 contre lui parce que l’utilisation ne constituerait pas de l’auto-
incrimination forc~e puisqu’il s’agirait techniquement du t~moignage de la soci6td. En
rdalit6, lorsqu’une personne est oblig~e de t6moigner, cela ne change rien qu’elle
s’exprime en son nom personnel ou au nom de la soci6t6. Dans la mesure oil elles peu-
vent etre poursuivies ult6rieurement, elles sont susceptibles, en l’absence de protection
suffisante, de subir le prejudice que vise a pr6venir le droit de ne pas s’incriminer.

Ce raisonnement est par ailleurs tout a fait conforme t celui qu’a retenu M. le juge Sopinka dans
l’arrt Amway.

5SSupra, note 4.
59Voir J.-C. Hdbert, <, Les alias du privilfge de non-incrimination depuis la Charte >>, (1984) 44
60Curr c. R., [1972] R.C.S. 889.
61R. c. Altseimer (1982), 48 O.R. (2d) 783 b la p. 787, 1 C.C.C.(3d) 7 bt la p. 12. Voir aussi R.
c. Gaff, (1984) 15 C.C.C.(3d) 126 (C.A. Sask.) et R. c. Stasiuk, supra, note 5. Dans cette demire
affaire, ]a Cour a non seulement consid6r6 que les anciens articles 234(1) et 234.1 (maintenant

R. du B. 200.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 35

C’est en vertu d’un raisonnement analogue que l’obligation de fournir des
empreintes digitales62 ou des traces de pas63 a 6t6 jug6e parfaitement conforme
?i l’alin~a lic). En fait, m~me l’obligation de parler ou d’6crire ne sera pas con-
sid~r6e attentatoire au privilege de non-contraignabilit6, dans la mesure ott l’on
ne cherche pas A utiliser les paroles ou les mots recueillis pour faire la preuve
de leur contenu (mais plut6t pour fins d’identification, par exemple) .

L’obligation de produire certains documents ne sera pas davantage trait6e
comme une entorse au privilege de non-contraignabilit6; dans la mesure oil ces
6crits existaient d6jA au moment oti l’on exige leur production, ils seront assi-
des faits objectifs et non t une preuve testimoniale65. Mais qu’en sera-
mil6s
t-il des documents et des formules de toutes sortes que l’on peut demander A un
accus6 de remplir pour les fins du proc~s ? Cette fois, l’on ne peut plus soutenir
qu’il s’agit d’une preuve ind6pendante de l’accus6 et que l’on aurait pu obtenir
sans sa participation. Nanmoins, les tribunaux qui ont 6t6 confrontds A ce pro-
blame66 ont 6galement d6clin6 l’invitation qui leur 6tait faite d’appliquer l’alin6a
lIc) h ces situations en alldguant que la non-contraignabilit6 vis6e par cette dis-
position est restreinte aux << t6moignages >>, c’est-A-dire aux communications
(verbales ou crites) qui ont lieu lors du procs. I1 n’en ira pas autrement des
interrogatoires policiers auxquels peut 8tre soumis un suspect. Refusant de
suivre sur ce point la jurisprudence amdricaine au motif que la protection contre
l’auto-incrimination accordde par le V’ Amendement 6tait plus globale que celle
dont elle jouit au Canada, la Cour d’appel ontarienne a d6cid6 que l’admissibi-

254(2) et (3)) ne violaient pas ‘alin6a
le), mais elle s’est dgalement appuyde sur la jurisprudence
am6ricaine pour declarer admissible en preuve le refus de se soumettre A un test d’ivressombtre.

62Jamieson c. R. (1983), 70 C.C.C.(2d) 430 (C.S. Qu6.).
63R. c. Nielsen and Stolar (1985), 30 Man. R.(2d) 81, 16 C.C.C. (3d) 39 (C.A.); R. c. Wadden

(1986), 71 N.S.R.(2d) 253, 71 A.P.R. 253 (C.A. N.-E.).

64Bien que nous n’ayons relev6 aucune d6cision portant pr~cis6ment sur cette question, il est
sans doute permis de s’inspirer de l’arrat rendu par la Cour d’appel ontarienne dans l’affaire R. c.
Langevin, supra, note 38. A cette occasion, on a dtabli que l’examen psychiatrique d’un individu,
ordonn6 dans le cadre de la Partie XXIV du Code criminel aux fins de d6terminer son 6tat mental,
ne contrevenait pas A l’alin6a lIle). La Cour a jug6 bon de souligner A la p. 357 que l’alin6a lic)
does not reach incrimination by bodily reactions, substances, secretions or by out-of-court
statements. >.

65 The non-compellability rule does not preclude the production of objective fact evi-
dence, nor non-testimonial out-of-court statements. The documents […] were prepared
long before the trial proceedings. In my view, in the hands of the corporation they are
much more analogous to the objective fact evidence […] than they are to the testimonial
type evidence to which s. lle) is addressed.

R. c. Amway of Canada Ltd. (No. 1) (1985), 20 C.R.R. 303 A lap. 312 (C.F. Ire inst.). Voir aussi
Eagle Disposal Systems Ltd. c. Ontario (Minister of the Environment) (1983), 5 D.L.R. (4th) 70,
9 C.C.C.(3d) 500 (H.C. Ont.), conf. par la Cour d’appel A (1984), 13 C.C.C.(3d) 351 ; R. c. McCaul
(1989), 90 N.S.R.(2d) 426 (C.A. N.-E.).

66Rolbin c. R. (1982), 2 C.R.R. 166 (C.S. Qu6.); R. c. Sydholm (1983), 22 M.V.R. 37 (C. Co.

C.-B.).

1990]

LA PROTECTION CONTRE L’AUTO-INCRIMINATION

765

It6 des r6ponses fournies par un pr6venu aux policiers n’6tait aucunement enta-
ch6e par l’alin~a llc)67 .

2.

Les formes de contrainte prohib~es

Si la torture et la violence sous toutes ses formes doivent 6tre
6nergiquement d6savou6es lorsqu’il s’agit d’obtenir un t~moignage, il ne fait
par ailleurs aucun doute que ces proc~d~s n’6taient pas la preoccupation pre-
mitre du constituant lorsqu’il a prescrit l’impossibilit6 de << contraindre >> un
accus6 4 t~moigner. De nos jours, c’est par l’application de sanctions l~gales
que l’on arrache le plus souvent un t~moignage, et c’est ind6niablement A ce
genre de contrainte que l’alin~a 11c) veut d’abord faire r~f6rence’. Mais doit-on
pour autant circonscrire la port~e de cette disposition et refuser d’y faire entrer
d’autres formes de contrainte qui, pour etre plus insidieuses, n’en sont pas
moins r~elles ? Que faut-il penser, par exemple, des consequences d~favorables
que peuvent tirer le juge du proc~s ou le jury du d~faut de t~moigner de l’ac-
cus6 ? Cette crainte ne suffit-elle pas
enlever au t~moignage son caract~re
libre et volontaire ? Et que dire des nombreuses pr6somptions de fait et de droit
que l’on retrouve dans la l6gislation canadienne et qui ont bien souvent pour
t6moigner pour 6tablir son innocence ? Jusqu’h ce
effet d’obliger l’accus6
jour, il faut bien l’admettre, les tribunaux se sont montr6s assez peu sensibles
A ces formes de contrainte et ont g6n6ralement refus6 de faire droit ceux qui
all~guaient leur caract~re inconstitutionne 69 .

S’agissant des inferences qui pouvaient 6tre tir6es du silence de l’accus6,
la situation 6tait relativement claire avant l’entr6e en vigueur de la Charte. Le
compromis auquel en 6tait venu le l6gislateur canadien sur cette question s’ar-
ticulait dans le texte du paragraphe 4(6) de la Loi sur la preuve au Canada, qui
se lit comme suit:

Le d6faut de la personne accus6e, ou de son conjoint, de t6moigner ne peut faire
le sujet de commentaires par le juge ou par I’avocat du poursuivant.

Parce qu’il s’agissait d’une ddrogation t la common law, en vertu de
laquelle le juge des faits pouvait tirer n’importe quelle conclusion de la preuve
qui lui 6tait soumise, cette disposition 6tait interpr~t~e tr~s restrictivement par

67R. c. Esposito (1985), 53 O.R. (2d) 356, 24 C.C.C.(3d) 88. Voir 6galement le passage prdcit6

de l’arrt Langevin, t la note 64.

68La personne qui refuse de t6moigner s’expose a 8tre gard~e en dMtention pendant l’ajoume-
ment de l’audition (art. 545, Code criminel) et a faire face b une accusation pour outrage au tribunal
(art. 9, Code criminel).

69Le professeur Paciocco a soulign6 avec justesse que le champ d’application de l’alin6a llc)
ne devrait pas pour autant atre restreint a la coercition 1dgale, puisqu’une contrainte d~coulant de
moyens ill~gaux (menaces ou promesses du genre de celles qui rendent une confession involon-
taire, par ex.) serait tout aussi r~pr6hensible et contraire au texte constitutionnel. Voir supra, note
10 aux pp. 490-491.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 35

les tribunaux. Ainsi n’a-t-on accept6 d’appliquer cette protection que dans le
cadre d’un procs devant jury; de meme a-t-on permis de faire allusion indirec-
tement au silence de l’accus6. Enfin, les cours d’appel elles-memes n’ont pas
h~sit6 A tenir compte du silence de l’accus6 pour d6terminer, dans le cadre de
l’alin~a 686(1)(b)(iii), si un tort important ou une erreur judiciaire grave s’6tait
produite lors du procs 7″. Mais plus pertinente pour nos fins est la d6cision ren-
due par la Cour supreme dans l’arr& Vezeau c. La Reine1 , A l’occasion de
laquelle on r6it6ra la possibilit6 pour un jury de tenir compte du silence de l’ac-
cus6. Dans cette affaire, tous les membres de la Cour se dirent d’avis que le juge
du procs avait commis une erreur en ne se conformant pas strictement au texte
de la Loi sur la preuve au Canada et en instruisant les jurgs qu’ils ne pouvaient
tirer aucune conclusion d6favorable du silence de l’accus6.

Telle 6tait donc la situation le 17 avril 1982. La constitutionnalisation du
principe de la non-contraignabilit6 de l’accus6 est-elle venue bouleverser ces
r~gles de preuve ? Dans l’arr&t Boss72, qui apparait 8tre la decision de principe
sur cette question au moment d’6crire ces lignes, la Cour d’appel ontarienne a
fermement r6pondu par la negative.

L’accus6 pr6tendait dans cette affaire que le juge du procs aurait dfi indi-
quer au jury, de sa propre initiative, que son silence ne pouvait 6tre interpr6t6
n6gativement. Et dans la mesure oti le paragraphe 4(6) de la Loi sur la preuve
au Canada interdisait ce genre de commentaire, il soutenait 6galement que cette
disposition devait 6tre d6clar6e inoprante parce que contraire aux alin6as 11 c)
et d) ainsi qu’h l’article 7 de la Charte. La Cour d’appel ontarienne, sous la
plume du juge Cory, devait cependant rejeter ce point de vue, non sans avoir
prdalablement pass6 en revue la jurisprudence am6ricaine73 et les quelques d6ci-
sions canadiennes74 ayant trait6 de cette question.

Pour en arriver h cette solution, on se pencha d’abord sur les motifs qui
peuvent amener un accus6 A ne pas t6moigner. A cet 6gard, la Cour 6tait dispo-

7Voir Ratushny, Le r6le de l’accus6 dans la poursuite criminelle >), supra, note 7 aux pp.
538-539. L’auteur cite une abondante jurisprudence t l’appui de ces dnonc6s. Voir aussi, au mrnme
effet, Paciocco, supra, note 10 A ]a p. 492.

71[1977] 2 R.C.S. 277, 66 D.L.R. (3d) 418, 28 C.C.C. (2d) 81.
72Supra, note 5.
73Les d6ecisions considdres sont les suivantes : People c. Modesto, 398 P.2d 753 (1965) (C.Sup.
Cal.) ; Griffin c. California, 380 U.S. 609 (1965) ; Carter c. Kentucky, 450 U.S. 228 (1981) ; James
c. Kentucky, 104 S.Ct. 1830 (1984).

74R. c. Thomas (14 juin 1985), (Ont. Cour de District) [non-rdpertori6] ; Ioannidis c. Ministre
de l’Emploi et de l’Immigration, [1983] 1 C.F. 369 (Appel) ; R. c. Kuyan (14juin 1985), (Ont. C.S.)
[non-rdpertori6] ; R. c. Pelley, (1983) 34 C.R.(3d) 385 (C.Co. Ont.). Cette deriire d6ecision semble
6tre la seule (du moins panni celles qui ont 6t6 reproduites dans les rapports judiciaires) ob l’on
a considd6n qu’il n’dtait plus possible pour le juge du procs, le jury ou ]a cour d’appel de prendre
en consid6ration le silence de l’accus6. M. le juge Killeen en est arriv6 A cette solution en s’ap-
puyant essentiellement sur ]a jurisprudence an6ricaine cit6e A la note prc&ddente.

1990]

LA PROTECT[ON CONTRE L’AUTO-INCR.IMINATION

767

sde A reconnaitre que le refus de tdmoigner pouvait s’expliquer par la crainte
que pouvait 6prouver un accus6 de voir son t6moignage discr6dit6 A la suite
d’un contre-interrogatoire portant sur ses condamnations antdrieures. Mais cette
possibilit6, explicitement reconnue par le paragraphe 12(1) de la Loi sur la
preuve au Canada75, doit maintenant s’analyser A la lumire de l’arr& R. c.
Corbett76. Dans cette affaire, rappelons-le, la Cour supreme a d6cid6 A la majo-
rit6 que le juge du proc~s a le pouvoir discrdtionnaire d’6carter une preuve de
condamnations ant6rieures lorsque cela est indiqu6. VoilA qui rend beaucoup
moins plausible, aux yeux de la Cour d’appel ontarienne, la justification que
peut tirer un accus6 de ce paragraphe 12(1) pour s’abstenir de t6moigner. Quant
h la nervosit6 et A la difficult de s’exprimer, la Cour estime qu’il peut en etre
ad~quatement tenu compte par le biais d’une directive appropride au jury de la
part du juge.

En l’absence d’obstacle susceptible d’expliquer le silence de l’accus6, ce
dernier devra donc assumer les consdquences de son choix. Lorsque ces cons6-
quences apparaissent, au surplus, soigneusement encadrdes par une disposition
qui constitue a reasoned and considered legislative attempt to protect in a
measured way the rights of the accused >>7, alors il n’y a plus rien

redire:

In Canada, while both the prosecutor and judge are prohibited from making any
comment on the failure to testify, counsel for the accused may make appropriate
submissions to the jury on the issue. In those circumstances, and in light of the trial
judge’s discretion to restrict cross-examination of the accused as to prior convic-
tion, it cannot be said that, in the absence of a trial judge’s instruction on the issue,
the accused is being penalized for exercising his constitutional right. An accused
who decides to remain silent in the face of a case presented by the Crown that cries
out for an explanation must accept the consequences of that decision. An accused
who remains silent cannot be said to have been penalized by the provisions of s.
4(5) of the Canada Evidence Act.78

Ce jugement s’inscrit dans la lignde des jugements d6jh prononc6s par la
Cour d’appel ontarienne, et se veut en quelque sorte le prolongement des arrts
Altseimer 9 et Esposito” auxquels la Cour r6fere d’ailleurs explicitement. En
refusant d’6tendre la portde du principe de non-contraignabilit6 au-delh de ses
manifestations les plus 6videntes, la Cour adhere implicitement t la lecture
rdductrice de ce concept qui continue d’impr6gner la jurisprudence canadienne
et qui le confine h un r6le tr~s secondaire dans la protection contre l’auto-

75Ce paragraphe se lit comme suit:

Un t~moin peut atre interrog6 sur la question de savoir s’il a d6jt 6t6 d6clar6 coupable
d’une infraction, et lorsqu’il est ainsi interrog6, s’il nie le fait ou refuse de r6pondre,
la partie adverse peut prouver cette d6claration de culpabilit6.

76[19881 1 R.C.S. 670, 64 C.R. (3d) 1, [1988] 4 W.W.R. 481.
77Boss, supra, note 5
78 Ibid. aux pp. 541-542.
79Supra, note 60.
SSupra, note 66.

la p. 539.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 35

incrimination. Et l’argument de texte invoqu6 subsidiairement par la Cour pour
justifier sa conclusion, loin d’att6nuer cette impression, ne contribue au con-
traire qu’A l’6tayer1 .

Et pourtant, cette d6cision n’est pas totalement ind6fendable sur le plan des
principes. On se souviendra que dans l’arr&t Dubois2, la Cour supreme a fait
reposer le principe de non-contraignabilit6 sur le droit au silence et son corol-
laire, l’obligation pour la Couronne de presenter une preuve complete. C’est
dire que la Couronne se sera conform6e h l’alin6a llc) lorsqu’elle aura pr6sent6
une preuve permettant d’6tablir prima facie tous les 6l6ments de l’infraction. Ce
n’est donc plus A l’aulne de cette disposition qu’il faut jauger la contrainte tac-
tique que peut ressentir un accus6 lorsque vient le moment de decider s’il pr6-
sentera une defense ou s’il t6moignera lui-meme. Or, la strat6gie que pourra
6pouser la defense n’aura aucune incidence sur la pr6somption d’innocence et
sur le fardeau qui en r~sulte pour la Couronne de d6montrer par une preuve
au-delM du doute raisonnable la culpabilit6 du pr6venu83.

Par cons6quent, la decision que peut prendre un accus6 de ne pas t6moi-
gner ne sera qu’un 616ment parmi d’autres dont devra tenir compte le juge des
faits pour 6valuer la force probante de la preuve soumise par la Couronne. II
serait par ailleurs tout h fait utopique de croire qu’un jury (ou m~me un juge)
pourra faire abstraction du silence de l’accus6 devant une preuve accablante, et
ce n’est d’ailleurs pas ce que requiert la pr6somption d’innocence. Ce principe

81Vers la fin de son jugement, M. le juge Cory assigne au mot ( contrainte o une connotation
strictementjuridique. Mais le caract~re p&emptoire de son affirmation et l’absence de d~monstra-
tion invitent h la rdflexion :

The use of the word < compelled >> in s. tic) indicates to me that the section is referring
to a legal compulsion forcing an accused to give evidence in proceedings brought
against him or her. The tactical obligation felt by the accused will no doubt increase
with the strength of the Crown’s case, but it remains a tactical and not a legal
compulsion.

R. c. Boss, supra, note 5 A ]a p. 542.

82Supra, note 15.
83C’est le sens qu’il faut accorder, nous semble-t-il, au traitement rdserv6 par la Cour d’appel

ontarienne h l’alin~a lid) dans le passage suivant:

Mhe principle of the presumption of innocence remains intact unaffected by the
impugned provision of the Canada Evidence Act. The onus rests upon the Crown to
prove every aspect of the crime against the accused beyond a reasonable doubt,
whether the accused testifies or not. The extent of the onerous obligation which rests
upon the Crown to present a case to meet and to overcome the presumption of inno-
cence has been emphasized by the Supreme Court of Canada in R. c. Oakes […] and
Dubois c. La Reine […]. That obligation is not lessened in any way by s. 4(5) of the
Canada Evidence Act. The Crown must establish its case beyond reasonable doubt
upon the evidence adduced at the trial, and a direction to this effect is invariably given
to juries. In my view, s. 4(5) of the Canada Evidence Act cannot be said to contravene
the provision of s. lld) of the Charter.

Boss, supra, note 5 A la p. 543.

1990]

LA PROTECTION CONTRE L’AUTO-INCRIMINATLON

769

autorise l’accus6 A ne pas collaborer avec la Couronne et lui accorde le b6n6fice
du doute. I1 n’a pas pour fonction de mettre un accus6 A l’abri d’une condam-
nation, en le soustrayant aux cons6quences n6fastes d’un comportement dont le
sens commun dicte la pertinence dans 1’6valuation de la preuve soumise par la
Couronne:

It would be quite wrong for a trier of fact, or this court, to consider the accused’s
failure to testify as a fact giving rise to an inference of guilt. Nonetheless, the fail-
ure of the accused to testify may become relevant once the Crown has introduced
evidence which, if believed, satisfies the trier of fact of guilt to the necessary
extent. In deciding whether to believe the Crown’s witnesses, the trier of fact will
inevitably consider the absence of a denial by the acused or, if there are proven
facts that are capable of being explained in a manner consistent with innocence,
the absence of such an explanation. The statutory prohibition against a judge com-
menting to the jury on the accused’s failure to testify does not prevent a jury on
its own initiative, or a judge sitting alone, from considering the absence of a denial
or explanation in circumstances such as those I have outlined. […] I do not cons-
true the Charter as abrogating the rule of common sense that, in deciding whether
to believe a witness or draw an inference, a trier of fact may consider as one factor
the lack of contradictory evidence.84

Si l’on admet que le juge des faits peut tirer du silence de l’accus6 des con-
s6quences d6favorables pour sa d6fense, il va de soi que l’on ne saurait norma-
l’effet contraire”5 . Mais faut-il
lement exiger du juge une directive an jury
6carter a priori la possibilit6 pour un juge de commenter le silence de l’accus6,
lorsqu’il estime cette d6marche n6cessaire pour s’assurer que le pr6venu ne
subit pas un pr6judice grave ? En interdisant au juge du procs et au poursuivant
d’invoquer le silence de l’accus6 pour en tirer partie, le 16gislateur a voulu 6viter
que l’on y accorde une importance indue. La logique ne commande-t-elle pas
que l’on puisse aller un pen plus loin lorsqu’il est manifeste que ni l’absence
d’allusion d6favorable, ni les mises au point du procureur de la d6fense, ne suf-
firont pour atteindre ce but et permettre an jury de pond6rer cette d6cision de
l’accus6 ? N’eut 6t6 de l’interpr6tation &roite qu’on lui a r6serv6 jusqu’h pr6-
sent, le principe de la non-contraignabilit6 aurait peut-6tre pu contribuer h la

84R. c. B.(J.N.), supra, note 14 h lap. 153. Voir aussi l’arr&R. c. Malcolm (1989), 50 C.C.C.(3d)
172 t lap. 181, [1989] 6 W.W.R. 23, oil la Cour d’appel du Manitoba s’est dite d’avis que la direc-
tive suivante d’un juge au jury ne venait pas en contradiction avec l’alinda lc) :

The refusal to undergo psychiatric examination by the Crown psychiatrist is a fact from
which it can be inferred that Dennis Joseph Malcolm’s evidence as to his mental con-
dition was either contrived; that is, invented or devised, or so weak that it could not
withstand scrutiny. You can, not must, so infer.

La possibilit6 que les declarations de l’accus6 au psychiatre puissent 6tre admises en preuve pour
dtablir autre chose que son 6tat mental a 6t6 jug6e trop faible pour que l’accus6 puisse pr6tendre
que la Cour le forgait h t6moigner contre lui-meme en permettant qu’une telle conclusion soit tir6e
de son silence.

S5Le professeur Paciocco soutient meme que rien dans l’alin6a 1Ic) ne s’oppose A ce que le juge
ou le procureur de la Couronne commente la decision de l’accus6. Supra, note 10 aux pp. 495-496.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 35

r6solution de ce probl~me. Tout porte maintenant h croire qu’il faudra plut6t se
tourner vers l’alin~a lld) et surtout vers l’article 7 pour faire avancer le d6bat
sur cette question86.

fl en ira de meme des clauses qui op~rent un renversement du fardeau de
la preuve et qui obligent l’accus6 h prouver son innocence. Dans la tr~s grande
majorit6 des cas, c’est davantage (et m~me exclusivement) sur l’alin6a l1 d) que
les plaideurs se sont appuyes pour contester la validit6 des diverses pr6somp-
tions de fait ou de droit dont regorgent la l6gislation canadienne17 . Et lorsque les
tribunaux ont senti le besoin d’examiner subsidiairement la question sous l’an-
gle de l’alin6a lic), c’est le plus souvent pour en rejeter purement et simple-
ment l’application qu’ils s’y sont attard~s88.

Ce r6sultat peut surprendre, puisque l’on ne peut plus arguer que la con-
trainte n’origine pas de la loi dans cette hypoth~se. I1 est vrai qu’une clause qui
porte inversion de la charge de la preuve n’oblige pas n6cessairement l’accus6
h t6moigner, comme l’on s’est plu h le faire valoir pour justifier ce r6sultat. Mais
il n’en demeure pas moins que l’accus6 est souvent le seul h pouvoir t6moigner
en rapport avec l’616ment moral que peut comporter une pr~somption89. VoilA
donc qui d6montre, une fois de plus, la port6e tr~s restreinte du principe de la
non-contraignabilit6. En bout de ligne, tout porte h croire qu’il n’aura d’effet
qu’I 1’encontre des contraintes non seulement l6gales mais 6galement directes.

86Dans l’arr&t Boss, la Cour a rapidement dispos6 de l’argument fond6 sur l’article 7 en 6crivant
que la protection contre l’auto-incrimination et la pr~somption d’innocence dtaient sp6cifiquement
pr6vues aux alin~a llc) et d), et que l’auto-incrimination avait traditionnellement 6t6 interprdt~e
comme proscrivant la seule contrainte de t~moigner. Nous reviendrons sur cette question dans la
conclusion.
87k cet 6gard, il est significatif de constater que dans les deux d~cisions qu’elle a consacrdes ,h
cette question, la Cour supreme a uniquement fait porter son attention sur ]a pr6somption d’inno-
cence et n’a meme pas souffl6 mot du principe de la non-contraignabilit6 de l’accus6. Voir R. c.
Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, 65 N.R. 87 et R. c. Holmes, [1988] 1 R.C.S. 914, 64 C.R. (3d) 97,
85 N.R. 2.

8SVoir, entre autres, R. c. Kowalczuk (1983), 147 D.L.R. (3d) 735, 5 C.C.C.(3d) 25, [1983] 3
W.W.R. 694 (C.A. Man.) ; R. c. Cohn, supra, note 36 ; R. c. Tasou (1984), 16 C.C.C.(3d) 567 (C.
Prov. Alta); R. c. Stanger (1983), 46 A.R. 241, 2 D.L.R. (4th) 121, 7 C.C.C.(3d) 337 (C.A.) ; R.
c. Kehayes (1983), 54 N.S.R.(2d) 587 (C. Co. N.-E.) ; R. c. Anson (1982), 146 D.L.R. (3d) 661,
[1983] 3 W.W.R. 366, 68 C.C.C. (3d) 350 (C.Co. C.-B.) ; R. c. Russell (1983), 147 D.L.R.(3d) 569
(C.A. N.-E.). Contra: R. c. Burdette (1983), 23 Man.R.(2d) 154 (C. Prov.) ; R. c. Lang, [1989] 1
W.W.R. 570 (B.R. Sask.).

89 It is true, of course, that an evidentiary burden does not legally require an accused to
testify. It merely requires some evidence to the contrary and that can come from wit-
nesses other than the accused, and even from witnesses for the prosecution. But in prac-
tice, all presumptions, whether onus-shifting or merely evidentiary, virtually always
require the accused to give evidence in rebuttal, since most of them involve some form
of mental element as to which usually only the accused can testify.

A.W. Mewett, Compelling the Accused to Testify >>, (1988) 31 Crim. L.Q. I t la p. 2.

1990]

LA PROTECTION CONTRE L’AUTO-INCRIMINATION

771

II. La protection accord6e an t6moin

La protection contre

‘auto-incrimination aurait 6t6 bien imparfaite si la
non-contraignabilit6 de l’accus6 ne s’6tait pas accompagn6e d’une certaine pro-
tection pour les t6moins ordinaires. I aurait alors 6t6 trop facile pour la
Couronne de conscrire une personne
t6moigner, pour ensuite utiliser son
t6moignage contre elle dans une procedure ult6rieure. C’est en reconnaissance
de cette difficult6 que devait se d~velopper la r~gle de common law en vertu de
laquelle une personne pouvait refuser de r6pondre h une question, dans la
mesure oti le juge estimait que sa r6ponse 1’exposait au risque d’etre d6clar6
coupable d’une infraction criminelle ou de se voir imposer une peine ou une
confiscation9 .

Cette r~gle, qui pr6vaut toujours en Grande-Bretagne et en Australie et qui
a m~me 6t6 constitutionnalis6e aux Etats-Unis”, a n6anmoins 6t6 partiellement92
abolie au Canada avec
‘adoption en 1893 de la premi~re Loi sur la preuve au
Canada93 . Dans une tentative de mieux r6concilier les droits du citoyen et les
int6rts de la justice, le l~gislateur canadien substitua au privilege de common
law une protection contre l’utilisation ult6rieure des r6ponses que l’on pouvait
d6sormais exiger d’un t6moin. Le texte de ce compromis, qui est demeur6 pra-
tiquement inchang6 depuis sa promulgation il y a pros d’un si~cle, se lit comme
suit :

5.(1) Nul t~moin n’est exempt6 de r6pondre une question pour le motif que la
r~ponse bL cette question pourrait tendre k l’incriminer, ou pourrait tendre A dtablir
sa responsabilit6 dans une proc6dure civile A l’instance de la Couronne ou de qui
que ce soit.
(2) Lorsque, relativement A une question, un t6moin s’oppose A r6pondre pour le
motif que sa r~ponse pourrait tendre A l’incriminer ou tendre A 6tablir sa respon-
sabilit6 dans une proc6dure civile ii l’instance de la Couronne ou de qui que ce
soit, et si, sans la pr6sente loi ou toute loi provinciale, ce t6moin eat 6t6 dispens6
de r6pondre h cette question, alors, bien que ce t6moin soit en vertu de la pr~sente
loi ou d’une loi provinciale forc6 de r6pondre, sa r~ponse ne peut pas etre invo-

9Voir R. Cross and C. Tapper, Cross on Evidence, 6e 6d., Butterworths, Londres, 1985 aux pp.
380 et s. ; E. Ratushny, Self-Incrimination in the Canadian Criminal Process, Carswell, Toronto,
1979 ; Re Westinghouse Electric Corp. Uranium Contract Litigation MDL Docket No. 235 (No. 2),
[1977] 3 All E.R. 717 t lap. 721. Pour une 6tude approfondie des fondements historiques et phi-
losophiques du droit canadien en la matire, on consultera avec profit Paciocco, supra, note 10 aux
pp. 445-454.

9’Pour un expos6 succinct du droit anglais, australien et am6ricain, on peut consulter les notes
de Mme le juge Wilson dans l’arr& Thomson Newspapers Ltd., supra, note 3, ainsi que celles de
M. le juge Lambert dans l’arrt Haywood Securities c. Inter-Tech Resource Group (1985), 24
D.L.R.(4th) 724 aux pp. 733-735, 7 C.P.C. (2d) 179 (C.A. C.-B.).
92Comme nous l’avons soulign6 pr~c6demment, cette r~gle subsistait pour les accuses. Voir
93Supra, note 6.

supra, texte accompagnant la note 7.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 35

qu~e et n’est pas admissible A titre de preuve contre lui dans une instruction ou
proc&lure criminelle exercde contre lui par la suite, sauf dans le cas de poursuite
pour parijure en rendant ce tdmoignage. 4

Le deuxi~me paragraphe de cet article (dont on retrouve par ailleurs l’qui-
valent dans toutes les legislations provinciales) a certainement
t6 A l’origine de
l’article 13 de la Charte canadienne95. La formulation retenue par le constituant
est cependant beaucoup plus d6pouill6e et se drmarque du texte 16gislatif h plu-
sieurs 6gards :

13. Chacun a droit A ce qu’aucun trmoignage incriminant qu’il donne ne soit uti-
is6 pour l’incriminer dans d’autres proc&lures, sauf lors de poursuites pour par-
jure ou pour tdmoignages contradictoires.

Outre sa plus grande intelligibilit6 pour les b6nrficiaires, ce texte a Fin-
signe avantage de ne plus conditionner la protection qu’il accorde A la formu-
lation d’une objection par le trmoin concern696 . Voilt qui placera do6navant
tous les t6moins sur un pied d’6galit6 et qui permettra de remrdier A une lacune
importante de la Loi sur la preuve au Canada’. I1 faudrait cependant se garder
de voir dans cette innovation la seule modification imposre par la Charte.
Comparant les deux textes, M. le juge McIntyre 6crivait:

Dans les termes les plus clairs, ‘art. 13 reconnalt a chacun le droit A ce qu’aucun
trmoignage incriminant qu’il donne ne soit utilis6 pour l’incriminer dans d’autres
proc&lures. Cela va beaucoup plus loin que la protection accord~e par le par. 5(2)

9411 s’agit l du texte qui apparait dans les Lois refondues du Canada de 1985, c. C-15.
95La Diclaration canadienne des droits 6tait beaucoup plus laconique sous ce chapitre puis-
qu’elle pr6voyait uniquement que les lois du Canada ne devaient pas s’interp6ter ni s’appliquer
comme

autorisant une cour, un tribunal, une commission, un office, un conseil ou une autre
autorit6 a contraindre une personne
trmoigner si on lui refuse le secours d’un avocat,
la protection contre son propre timoignage ou l’exercice de toute garantie d’ordre
constitutionnel.

Al. 2d) [nous soulignons].

96Cette distinction importante avec le paragraphe 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada a 6t6
souligne par la Cour supreme dans l’arrat Dubois, supra, note 15 t la p. 360. Plusieurs tribunaux
y ont 6gaement fait r6f&ence. Voir, entre autres, R. c. Bleich, supra, note 44, 6galement rapport6
sous l’intitul6 Ruben c. R. (1983), 24 Man.R.(2d) 100; R. c. Kuldip (1988), 24 O.A.C. 393, 40
C.C.C.(3d) 11 (C.A.) [ci-apr~s cit6 aux C.C.C.]; Re Michaud and Minister of Justice of New
Brunswick, supra, note 43.

97La Cour d’appel ontarienne a meme vu dans cette modification l’une des raisons d’8tre de l’ar-

tide 13:

Prior to the Charter, a sophisticated witness or one who had the benefit of the advice
of counsel might secure protection from the subsequent use of his evidence against him
in a criminal trial by invoking s. 5(2), whereas an unsophisticated witness or one who
lacked counsel, because he was unaware of his right to invoke s. 5(2), might have the
evidence from a prior judicial proceeding used against him in a subsequent trial. In my
view, one of the purposes of s. 13 of the Charter was to redress that unfairness.

R. C. Kuldip, ibid. h ]a p. 22, M. le juge Martin.

1990]

LA PROTECTION CONTRE L’AUTO-INCRIvIINATION

773

de la Loi sur la preuve au Canada. II s’agit d’une protection qui ne d6pend aucu-
nement de la formulation d’une objection par le t~moin en question. Cette protec-
tion est applicable et op6rante sans qu’il soit n6cessaire de l’invoquer et m~me
lorsque le t~moin en question n’est pas au courant de ses droits. Elle ne se limite
laquelle un t~moin aurait pu refuser de r~pondre en common
pas A une question
law et l’interdiction d’utiliser un t~moignage incriminant n’est pas restreinte A des
procedures criminelles. L’article 13 confere le droit de ne pas Etre incrimin6 par
1’utilisation d’un t6moignage dans d’autres procedures que celles dans lesquelles
il a

t6 donn6. 9

8

Malgr6 ces ameliorations notoires, la sollicitude que l’on 6prouve pour le
t~moin ne lui assure toujours pas, loin s’en faut, un degr6 de protection
6quivalent A celui dont jouissent les tdmoins dans les r6gimes oia le privilege
contre l’auto-incrimination est pleinement consacr6. Les multiples ddficiences
que comporte toujours l’article 13, au nombre desquelles il faut mentionner Fin-
sensibilit6 totale au probl6me que pose la preuve secondaire, ne nous autorise
certes pas h conclure que la position dans laquelle se trouve maintenant le
t6moin canadien est au moins aussi avantageuse que celle de son homologue
anglais ou am6ricain 9.

Ceci 6tant dit, i y a tout lieu de croire que la r~gle de common law et le
compromis 6labor6 par le Parlement en 1893 procdent de la meme logique. En
abolissant le privilege que pouvaient jusque IA r~clamer les t6moins, le idgisla-
teur canadien n’entendait manifestement pas renier des principes s~culaires
mais cherchait bien au contraire h en prdserver l’essentiel tout en ne portant pas
pr6judice aux int~rets de la soci6t6. C’est la raison pour laquelle une 6tude du
sens et de la port~e de l’article 13 ne saurait 6tre entreprise en faisant abstraction
des fondements historiques et philosophiques du privilege dont il tire son
origine.

I ne fait pas l’ombre d’un doute que l’inimunit6 accord~e aux t6moins peut
s’expliquer par le d6sir d’encourager les citoyens h venir r6v6ler ce qu’ils savent
en toute franchise 1″. C’est d’ailleurs la rationalisation du privilfge de common
law qui s’accorde le mieux avec la transformation qu’il a subie au Canada en
189301. Aussi ne faut-il pas se surprendre que cette explication de l’article 13

98Dubois c. R., supra, note 15 iL lap. 377 (M. le juge McIntyre 6tait dissident sur d’autres points).
99A. Whitten, < The Privilege Against Self-Incrimination >>, (1987) 29 Crim. L.Q. 66 h lap. 83.
L’auteur souligne avec raison qu’aux ttats-Unis, un t~moin ne pourra 8tre contraint 6, t~moigner
que dans la mesure oil on lui garantit l’inadmissibilit6 de toute preuve recueillie Al la suite de son
t~moignage. Voir Albertson c. Subversive Activities Control Board, 382 U.S. 70 (1970) et Kastigar
c. U.S., 406 U.S. 441 (1972).

100Cross on Evidence, supra, note 90 aux pp. 383 et s.; 8 Wigmore on Evidence, supra, note 3,

3e dd., 1940, no. 2251 ; Paciocco, supra, note 10 aux pp. 448-450.

01En effet, le paragraphe 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada n’exclut pas tout 6l6ment inci-
tatif. En assurant le t~moin d’une certaine protection, le lgislateur s’assurait la collaboration
volontaire de ceux pour qui cette protection 6tait suffisante de m~me que la participation de ceux

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 35

ait trouv6 preneur en Cour supreme et que M. le juge McIntyre y ait fait 6cho
dans les motifs qu’il a rrdigrs Fl’occasion de l’affaire Dubois:

II est dans l’intdr&t de la socirt6 d’encourager les gens A venir tdmoigner, non seu-
lement devant les tribunaux judiciaires, mais d’autres occasions devant les tribu-
naux administratifs et dans les procddures susmentionndes. Cet intdrt n’est pas
servi si, en tmoignant, on court le risque de s’incriminer soi-m~me. On laisse
entrendre que c’est la reconnaissance de ce fait ainsi que des lacunes du droit rela-
tif A ‘auto-incrimination et de l’insuffisance des pouvoirs provinciaux dans ce
domaine qui a amen6 les rddacteurs de la Charte ii y inclure des dispositions de
beaucoup renforcdes en ce qui concerne l’auto-incrimination. 1

0

2

I n’est pas de notre propos de discuter des m~rites de cette justification ni
meme de sa plausibilit6″3 . Bien qu’elle ait 6t6 compltement passre sous silence
par la majorit6 de la Cour supreme dans l’arret Dubois, nous estimons cepen-
dant qu’elle ne peut 6tre compltement ignorre si 1’on cherche vraiment une
explication cohrrente et intdgrale de la protection confdr6e par la Charte aux
trmoins.

Pour M. le juge Lamer (et les cinq coll~gues qui souscrivent h son opi-
nion), c’est plut6t le principe de l’obligation de presenter une preuve com-
plete >> qui sous-tend
‘article 13. Ce principe, qu’il fait d~river de la prrsomp-
tion d’innocence, serait h la source de l’alinra 11c) et motiverait par ricochet la
presence de l’article 13′”. Cette rationalisation, aussi convaincante puisse-t-elle
etre en droit anglais et amricain”5, a quelque chose d’un peu artificiel en con-
texte canadien. Si les drficiences du principe de non-contraignabilit6 relev6es

pour qui la seule menace de sanction n’aurait pas suffi A vaincre les rdsistances. Comme l’affirme
Louise Arbour dans un commentaire de l’arret Dubois,

compellability, however, would not suffice without an equally broad voluntary compli-
ance on the part of all prospective witnesses. If the judicial system treated witnesses
unfairly, or was ever perceived to do so, no amount of jailing for contempt of court
would ensure its viability as a means of dispute settlement. Witnesses will testify, vol-
untarily or under compulsion, and will do so truthfully, if they can do so at a minimum
of personal cost. Hence the common law right to refuse to answer incriminating ques-
tions, the United States Fifth Amendment, and s. 13 of the Charter.

< Annotation >>, (1986) 48 C.R.(3d) 194 A la p. 195.

‘2Supra, note 15 A la p. 384.
103Sous ce rapport, voir Paciocco, supra, note 10. L’auteur soutient en outre que cette consid6-
ration est sans pertinence lorsqu’il s’agit d’appliquer et d’interpr~ter l’article 13 de la Charte, cette
derni~re 6tant destinre a enchasser des droits individuels et non A promouvoir l’int~r& public. Cette
affirmation mrrite selon nous d’8tre nuancre. I1 est inddniable que la r~conciliation et la ventilation
des preoccupations divergentes de l’individu et de la collectivit6 doit se faire dans les paramtres
fixes par l’article 1. Est-ce A dire que l’on ne peut aucunement tenir compte des objectifs plus larges
que peut viser la protection d’un droit fondamental pour lui donner un sens ? Voilh un d6bat qui
n’a pas fini d’agiter la communaut6 juridique canadienne.

‘4Voir 1’extrait auquel se rapporte la note 50.
’05Le professeur Wigmore va m~me jusqu’4 pr~tendre que cette rationalisation serait la seule qui

soit vraiment significative. Voir 8 Wigmore on Evidence, supra, note 3, no. 2251 A ]a p. 318.

1990]

LA PROTECTION CONTRE L’AUTO-INCRIMJNATION

775

plus haut ne r~ussissent pas dissocier l’alina 11c) de la prdsomption d’inno-
cence et de l’obligation pour la Couronne de prdsenter une preuve complete, il
est en revanche beaucoup plus difficile d’affirmer avec confiance que la trans-
formation profonde qu’a fait subir le lgislateur (et sa suite le constituant) b
l’immunit6 des t6moins n’a pas s6rieusement entachid ce lien” .

L’argumentation du juge Lamer soul~ve par ailleurs une autre difficult6. Si
l’on suit sa logique jusqu’au bout, l’on peut se demander pour quelle raison les
declarations pr6-judiciaires d’un accus6, peu importe leur caract~re libre et
volontaire, devraient 6tre admises en preuve contre lui. L’admissibilit6 en
preuve des < confessions >> qu’un suspect peut faire aux policiers ne contrevient-
elle pas tout autant (sinon davantage) au principe de l’obligation de prdsenter
une < preuve complete >> que les declarations judiciaires antdrieures de l’ac-
cus61o 9 Bien sftr, l’on r~pondra que les termes m~mes de 1’article 13 interdisent
une telle extension de sa port6e’ 8. Cet argument de texte, aussi convaincant
soit-il, n’all~ge pas pour autant le malaise que l’on ressent h la constatation de
cette incoherence.

Enfm, il est une autre difficult6 que l’on ne saurait passer sous silence et
que l’opinion de M. le juge Lamer illustre bien. L’on se souviendra que dans
l’arr~t Dubois, la principale question en litige 6tait de savoir si le second proc~s
que peut etre appel6 h subir un accus6 constitue une < autre procedure >> au sens
de l’article 13. Dans la mesure oi la protection confdrde par cette disposition
vise h mettre en oeuvre le principe de l’obligation de prdsenter une < preuve complete >> et protdger les individus contre l’obligation indirecte de s’incrimi-
ner, le t~moiguage donn6 par l’accus6 lors de son premier proc6s devrait ind6-

106Peut-etre est-ce la raison pour laquelle M. le juge Lamer a cru bon devoir fonder la 16gitimit6
‘article 13 en s’appuyant davantage sur l’alinfa llc) que sur l’obligation de presenter une
de
preuve complete. En 6crivant que l’objet de rarticle 13 est de veiller h ce que la poursuite ne
, il relfgue clairement au
soit pas en mesure de faire indirectement ce que l’alinfa llc) interdit
second plan la protection accordfe au t~moin et lui fait jouer un r6le d’appoint.

07Non seulement le suspect ne b~n~ficie-t-il pas de la protection du juge lorsqu’il s’adresse aux
policiers, mais encore est-il souvent difficile d’6valuer la spontan~it6 de ses declarations. Le pro-
fesseur Ratushny a d6jh tent6 de ddmontrer que le caract~re libre et volontaire des confessions 6tait
bien souvent factice, compte tenu des diffdrentes techniques d’interrogation qui peuvent etre uti-
lisfes par les policiers, de l’6tat d’esprit du prvenu et des falsifications toujours possibles des
aveux > obtenus. Pour ces raisons, l’auteur proposait que l’on declare inadmissibles en preuve
toutes les declarations que peut faire un suspect hL la police. Il 6crivait

cet 6gard :

It is respectfully submitted that it is hypocritical to state that an accused has the right
to a specific accusation, a case to meet, the assistance of counsel, a public forum, and
other protections merely because these are provided at the adjudicative stage if they can
all be ignored in the secrecy of the police station.

Ratushny, Self-Incrimination in the Canadian Criminal Process, supra, note 3 A la p. 286.

108En effet, seuls les < tfmoignages > incriminants ne peuvent tre utilisfs dans d’autres proc6-
dures pour incriminer l’accus6. La version anglaise est encore plus explicite sous ce rapport puis-
qu’on y fait rfdrence A un tmoin qui tfmoigne in any proceedings >.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 35

niablement etre exclu de son champ d’application. En effet, le t6moignage
qu’une personne peut donner en tant qu’accus~e 6tant par hypoth~se volontaire,
‘on ne saurait pr6tendre que son utilisation ult~ieure permet A la poursuite de
faire indirectement ce que l’alin6a l1c) lui interdit de faire directement; cet
argument, on le congoit ais6ment, n’est cr6dible que dans l’hypoth~se oi
le
t6moignage n’6tait pas volontaire et originait d’un v6ritable t6moin 1 . En d’au-
tres termes, l’accus6 n’est pas contraint de s’incriminer et de complter la
preuve de la Couronne lorsque cette derni~re utilise le t6moignage qu’il a pu
donner au cours de son premier proc6s : tout au plus se sert-on de cet 16ment
d’information qu’il a volontairement livr6 pour batir la preuve qui sera pr6sen-
t6e contre lui. Sur ce plan, la d6marche de M. le juge McIntyre apparalt
inattaquable :

On a fait valoir que permettre au minist~re public de produire en preuve au second
procs le t6moignage donn6 par l’accus6 a son premier procs reviendrait at lui per-
mettre de faire indirectement ce qu’il ne peut faire directement. On dit que le
ministtre public se trouverait ainsi A obliger l’accus6 It l’aider t 6tablir la preuve
contre lui, ce qui constituerait une atteinte aux droits que lui contrent les al. lic)
et d) de la Charte. Cet argument n’est pas convaincant t mon avis. L’alin6a lic)
reconnait It un accus6 le droit de ne pas etre contraint de t~moigner contre lui-
meme dans toute poursuite intent~e contre lui pour l’infraction qu’on lui reproche.
En l’esptce, il n’y a aucun 61ment de contrainte. L’appelant a t~moign6 volontai-
rement t son procms et c’est en fonction de ce t6moignage qu’il a pu obtenir un
nouveau procms.ll

C’est donc en d6pit de cette logique, et en ne tenant compte que de l’his-
torique 16gislatif de l’article 13, que M. le juge Lamer a pu en arriver h la con-
clusion que le terme witness englobe un t6moin volontaire”‘. Voilh qui

109A moins, bien entendu, que l’on soit dispos6 t 6tendre le concept de << contrainte > de fagon
t y faire entrer l’obligation de t6moigner qui peut r~sulter du poids de la preuve soumise par la
Couronne (ce que l’on d6signe en anglais par l’expression << evidentiary burden >). Dans cette per-
spective, l’on pourrait effectivement prtendre que l’accus6 peut Etre ( contraint >> A t~moigner
lorsque l’on utilise contre lui le t~moignage qu’il a donnd lors du premier procts. On peut cepen-
dant douter que la Cour supreme ait voulu aller aussi loin et qu’elle ait entendu rompre avec une
jurisprudence bien 6tablie d’une manlie aussi laconique. Ce n’est d’ailleurs pas le sens que les
tribunaux ont ultdrieurement donn6 A cette d6cision. Voir supra, le texte accompagnant les notes
69 et suivantes.

11Dubois, supra, note 15 4 la p. 385.
111M. le juge Lamer s’en remet sur ce point aux motifs du juge Kerans, de la Cour d’appel de
l’Alberta, dont i reproduit d’ailleurs un large extrait I la p. 361 de ses notes. On en retrouve l’es-
sentiel dans le passage suivant:

l’expression << a witness who testifies >> a t6 inscrite dans le texte anglais de ]a Charte
pour remplacer le projet de r6daction < a witness [...] when compelled to testify >> afin
de dissiper tout doute en ce qui a trait h la question de savoir si un t~moin en principe
volontaire, comme un accus6, peut r6elamer la protection de l’article. L’expression
<< who testifies > dans le texte anglais pr6cise simplement que le tenne witness englobe
un t6moin volontaire.

Dubois c. R. (1984), 11 C.C.C.(3d) 453 A la p. 455.

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LA PROTECTION CONTRE L’AUTO-INCRIMINATION

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d~montre, si besoin 6tait, que les fondements philosophiques d’une disposition
ne doivent pas 8tre considdrds isol~ment lorsqu’il s’agit de lui donner un sens ;
dans certains cas, la formulation retenue par le constituant et les origines histo-
riques du concept pourront meme peser plus lourd dans la balance. Au demeu-
rant, la fmalit6 d’une disposition constitutionnelle est souvent fluide et d’une
apprdhension malaiste, comme la discussion qui prdc~de le confirme.

A. Les conditions d’application de l’article 13

1.

Un t~moignage antdrieur

L’historique de la protection accord~e aux tdmoins par le paragraphe 5(2)
de la Loi sur la preuve au Canada, et maintenant par l’article 13 de la Charte,
permet d’en saisir une caractdristique importante: ce n’est pas tant au tdmoin
l’accus6 qui l’on veut opposer un tdmoi-
qu’est destin~e cette protection qu’
gnage ant~rieur. En d’autres termes, << la protection accordde par le droit ne se rapporte pas au moment o-4 le ttmoignage est donn6, mais au moment oii l'on tente d'utiliser ce tdmoignage d'une mani~re incriminante >>2. C’est dire que
cette disposition ne produira vWritablement des effets que dans l’hypoth~se oti
le tdmoin aura lui-meme k faire face h des accusations. Appelte
trancher la
question de savoir si l’article 13 pouvait recevoir application dans le cadre
d’une poursuite o
le tdmoignage antdrieur que l’on voulait utiliser pour incri-
miner l’accus6 avait td donn6 avant l’entrde en vigueur de la Charte, la Cour
supreme a prtcis6 sa penste dans les termes suivants :

Comme l’article 13 garantit le droit d’une personne contre l’auto-incrimination,
pluttt que les droits d’un tdmoin qui ddpose, il ne s’applique un individu qu’au
moment oif l’on tente d’utiliser un tdmoignage antdrieur pour incriminer son
auteur. […] De toute 6vidence, cette forme limit6e de protection contre l’auto-
incrimination ne s’applique pas aux procddures dans lesquelles le ttmoignage est
recueilli et ne s’applique qu’aux proc~dures subsdquentes […] Par consequent, le
par. 5(2) a, dans une certaine mesure, d~plac6 le point focal de la protection contre
l’auto-incrimination des procddures dans lesquelles le t~moignage est donn6 aux
proc&lures subs~quentes dans lesquelles le tdmoin est devenu l’accuse.1

Outre ses implications 6videntes pour la resolution d’un litige oil se pose
un probl~me de rdtroactivit6, il est une autre consequence de cette dtmarche que
l’on ne saurait passer sous silence. I d~coule de ce qui prtc~de qu’en aucun cas
l’article 13 ne pourra etre invoqu6 avec succ~s par un tdmoin pour refuser de
rdpondre t une question. C’est la raison pour laquelle cette disposition ne sera

112Dubois, supra, note 15 A la p. 359.
’13Ibid. aux pp. 359-362. De l’avis du juge Lamer, l’accent mis sur les proc&lures subs6quentes
est encore plus prononc6 dans I’article 13 de la Charte, du fait qu’il ne mentionne aucune obliga-
tion de rdpondre au moment du t6moignage ni aucune opposition a rpondre de la part de l’accusd.
Ibid. aux pp. 362-362.

McGILL LAW JOURNAL

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d’aucun secours pour le d~fendeur dans une instance civile qui refuserait de
r6pondre h un interrogatoire pr6alable; tout au plus ses r6ponses ne pourront-
elles 6tre utilis~es contre lui dans une procedure criminelle subs~quente (ou
meme parall~le)”4. De m~me en ira-t-il pour le t6moin A qui l’on enjoint de
t~moigner au procs de son complice : la protection que lui procure l’article 13
ne pourra lui 8tre utile qu’au moment de son propre procs15.

Ceci 6tant, il faut donc admettre que le t6moignage ant6rieur que peut 8tre
appel~e A donner une personne n’est rien de plus qu’une condition requise pour
l’application de l’article 13. Reste maintenant h delimiter avec un peu plus de
pr6cision les t6moignages qui ne pourront 8tre utilis6s pour incriminer un
pr~venu.

Bien que l’on ne dispose h l’heure actuelle que d’un nombre limit6 de d6ci-
sions en rapport avec cette question, l’on peut d’ores et d6jht supposer que la ten-
dance lib6rale adopt6e par les tribunaux dans le contexte du paragraphe 5(2) de
la Loi sur la preuve au Canada se perp6tuera sous la Charte. D6jA, dans l’arr&
Klein c. Bell”6 , M. le juge Rand avait d6fmi largement la notion de > is used to signify the giving of sworn evidence
before atribunal-or-officialy constituted public body. I am not prepared, however, to
hold that the absence of an oath in circumstances such as I am here dealing with is
determinative of the matter. The accused appeared before an officially constituted pub-
lic body, the parole board. Its procedures do not require testimony under oath, but the
parolee is called upon to assert his position, and the consequences of the board’s deci-
sion are matters of great significance. In my view, giving a broad and liberal interpre-
-tation-to-s–3-of-the-C-harter,-the-accused-in-making-his-submissions-to the-board was

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LA PROTECTION CONTRE L’AUTO-INCRIMINATION

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assimil6e 4 un << t~moignage >>, devra se faire dans le cadre d’une procedure
quelconque plut6t que dans le cours d’une enquete polici~re”o.

Pour ce qui est de l’applicabilit6 de l’article 13 aux corporations, il en a
d6jh t6 indirectement question lors de l’6tude que nous avons consacr6e h l’ali-
n~a 11c)”. Et le plus 61mentaire souci de coh6rence nous incite penser que
la solution retenue par la Cour supreme” en regard de cette derni~re disposition
devra n6cessairement pr~valoir dans le contexte de l’article 13. A partir du
moment oiL l’on peut contraindre le dirigeant d’une corporation
t6moigner au
proc~s de cette derni~re, l’on voit mal quel serait l’int6r& de d6clarer inadmis-
sible en preuve le t6moignage donn6 par ce meme dirigeant au cours d’une pro-
c~dure ant6rieure. Encore une fois, c’est le dirigeant lui-m8me qui doit 8tre con-
sid6r6 comme le t6moin lorsqu’il depose au nom de la corporation, et c’est
uniquement dans une procedure dirig~e contre lui personnellement que l’on ne
pourra utiliser son t6moignage”. Ce r6sultat s’accorde par ailleurs parfaitement
avec la philosophie sous-jacente
la protection contre l’auto-incrimination, qui
est d’assurer aux individus le droit de n’tre inqui&6t par le gouvemement que
pour un motif valable1″.

La jurisprudence a 6galement tir6 un certain nombre de cons6quences de
l’emploi du mot << testify >>. L’on se souviendra d’abord que la Cour d’appel
de l’Alberta, et h sa suite la Cour supreme, ont vu dans l’expression << who tes- tify >> et dans les projets de r6daction qu’elle a remplac~s une indication claire
h l’effet que l’article 13 s’applique tout autant au t6moignage donn6 de manire

in effect testifying as a witness on his own behalf in a proceeding other than the present
one and so has the right not to have any incriminating evidence so given used to incrim-
inate him in these proceedings.

Ibid. k la p. 48.

120Voir larr& Re Prousky and Law Society of Upper Canada (1987), 61 O.R. (2d) 31, 41
D.L.R.(4th) 565, oa la High Court de I’Ontario a d~cr6t6 que 1’entrevue accord6e par un individu
h la police en 6change d’une immunit6 de poursuite n’6tait pas couverte par l’article 13. Pour en
arriver A cette conclusion, la Cour s’est essentiellement appuy6e sur le fait que l’on en dtait alors
au stade de l’enqu~te et qu’aucune proc6dure n’avait encore 6t6 entam6e contre Prousky.

‘2ISupra, section I.A.3.
122R. c. Amway Corporation, supra, note 7.
123Voir supra, l’extrait dont on retrouve la r6f6rence A la note 54.
124Voir R. c. Amway Corporation, supra, note 7 h lap. 40, oh M. le juge Sopinka se dit d’avis
que l’alin6a llc) < vise A prot6ger l'individu contre toute atteinte A sa dignit6 et t sa vie priv6e, inh6rente une pratique qui permet h la poursuite d'obliger la personne inculp6e A t6moigner elle- meme. >> Le savant magistrat s’en remet sur ce plan a la jurisprudence am6ricaine et cite 6galement
avec approbation un passage au m~me effet (bien que se rapportant 4 l’article 13) de l’ouvrage du
professeur Paciocco. Voir supra, note 10 t la p. 459.

125La version anglaise de l’article 13, h cause de sa plus grande prdcision, incite h une ex6g~se
plus pouss6e et favorise une meilleure comprdhension de ses diverses conditions d’application. Le
texte frangais, parce qu’il est plus concis, escamote en effet un certain nombre de concepts. Ainsi
faut-il lire dans le mot << t6moignage >> la r6alit6 v6hicul6e par les vocables anglais << testify >> et
proceeding >>, tandis que le mot << witness >> est rendu en fi-anais par < chacun >.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 35

volontaire qu’au t6moignage obtenu par contrainte lgale’26 . I1 faut 6galement
insister sur le fait que le serment, en principe 6troitement associ6 A l’acte de
t6moigner, n’en sera pas n6cessairement une composante essentielle pour les
fins de l’article 13127. Enfm, il convient de rappeler qu’une personne peut t6moi-
gner non seulement en parlant, mais 6galement en faisant des gestes ou en
6crivant. Le mode de communication importe peu, tant et aussi longtemps que
l’information transmise se rapporte A des 6v6nements et A des faits ant6rieurs ‘ 28.

2.

L’utilisation du t6moignage incriminant < dans d'autres proc6dures >>

Pour que la protection conf6r6e par l’article 13 entre en scone, il faut bien
entendu que l’on veuille utiliser le t6moignage d’une personne pour l’incriminer
dans d’autres proc6dures 29. S’il va de soi que cette condition a pour effet de
rendre la disposition A l’6tude sans objet dans le cadre d’une instance civile ou
d’une proc6dure h l’issue de laquelle aucune sanction ne peut etre impos6e,
beaucoup plus confuse est la position de l’individu contre qui l’on veut utiliser
un t6moignage ant6rieur pour l’incriminer A l’occasion d’une enquete discipli-
naire. S’il faut en croire la Cour d’appel de Colombie britannique, l’article 13
pourrait 8tre invoqu6 pour que le t6moignage donn6 dans une proc6dure civile
ne puisse etre utilis6 subs6quemment dans des proc6dures disciplinaires 30 . Cette
conclusion, il est vrai, ne fait pas violence au texte constitutionnel 3
1 et t6moigne

126Voir supra, note 110 et le texte qui l’accompagne.
127Carlson, supra, note 118. Voir tout particulirement l’extrait cit6 A la note 119.
l2Voir Paciocco, supra, note 10
la p. 462. L’auteur en ddduit que l’article 13

should not be held to protect an accused from the admision at a subsequent proceeding,
of evidence that the accused engaged in, or performed an act, or exhibited physical or
other characteristics while a witness at an earlier proceeding.

L’auteur estime par ailleurs que les documents obtenus d’un temoin par le biais d’un subpoena
duces tecum ne sont pas proteges par l’article 13 et peuvent done etre utilis6s contre lui dans une
proc6dure subs6quente pour l’incriminer (ibid. aux pp. 462-465). Bien que nous ne connaissions
pas de d6cision portant pr6cis6ment sur ce probl~me, la solution propos6e par l’auteur et les argu-
ments qu’il avance h son soutien emportent l’adh6sion. D’autant plus que ]a coherence nous dicte
une fois de plus cette interpr6tation. I1 faut en effet se souvenir qu’un accus6 peut etre judiciaire-
ment contraint de produire des documents (voir supra, note 64 et texte l’accompagnant). Si tel est
le cas, l’on voit mal pourquoi ces documents ne pourraient 6tre utilis6s contre lui lorsqu’il a dt6
appel6 A les produire dans une proc&lure antdrieure ob il agissait comme t6moin.
129Ainsi, le t6moignage donn6 par un accus6 dans une affaire civile ant6rieure ne sera pas jugC
inadmissible lors d’une audition relative t une requete pour arrt des procedures. Voir Ai cet effet
Dufresne c. R., [1988] RJ.Q. 38, 11 Q.A.C. 20 (C.A.).
130Re Donald and Law Society of British Columbia (1984), 2 D.L.R.(4th) 385, [1984] 2 W.W.R.
46, 7 C.R.R. 305 ; raisons additionnelles A [1985] 2 W.W.R. 671. Cette decision a par ]a suite tC
reaffirmee par un autre bane de Ia Cour d’appel de Colombie britannique dans l’arr&t Re Johnstone
and Law Society of British Columbia (1987), 40 D.L.R.(4th) 550, 15 B.C.L.R. (2d) 1. Voir aussi,
dans le m~me sens, Re Prousky and Law Society of Upper Canada, supra, note 120. Contra:
Johnson c. Law Society of Alberta (1986), 66 A.R. 345 (B.R. Alta).
131Comme ‘a fait remarquer le juge Anderson dans l’affaire Donald, ibid., l’article 13 n’est pas
‘on puisse en restreindre la porte aux < inculpds >. II se distingue

libell6 de fagon telle que

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LA PROTECTION CONTRE L’AUTO-INCRIMINATION

781

d’une approche lib6rale au principe de ‘auto-incrimination. I est n~anmoins
permis de s’interroger sur l’impact rdel que peuvent encore avoir ces decisions
A la suite du jugement rendu par la Cour supreme dans l’arr& Wigglesworth”.
En restreignant implicitement le champ d’application du principe de non-
contraignabilit6 aux seules affaires v~ritablement criminelles ou p~nales (de par
leur nature ou leurs consequences), la Cour les a pour ainsi dire vid6s de tout
leur sens”‘.

Mais c’est sans contredit la notion meme de << proc6dure >> qui a fait couler
le plus d’encre. Les difficult~s surgissent non pas au moment ofi il faut deter-
miner si un t6moignage a W donn6 au cours d’une procedure, mais plut6t lors-
qu’il s’agit de savoir si les procedures au cours desquelles on veut utiliser ce
t~moignage sont distinctes des premieres et constituent par le fait meme << d'au- tres procedures >>. C’est essentiellement un problme de ce genre que la Cour
td confront6e dans l’arr& Dubois”M , et il convient maintenant pour
supreme a
cette raison de s’y attarder plus longuement.

Les faits de cette affaire ne m~ritent gu~re que 1’on s’y attarde longuement.
Au coeur du litige 6tait la question de savoir si la poursuite, lorsqu’une cour
d’appel ordonne un nouveau proc~s 1’6gard d’une meme accusation (ou d’une
infraction comprise), peut presenter A titre de preuve principale le t~moignage
de l’accus6 au premier proc~s. I1 faut noter, d’entr6e de jeu, que la Cour avait
apport6 une r6ponse affirmative h cette m~me interrogation dans une d6cision
rendue avant 1’entr6e en vigueur de la Charte (mais post~rieure h la
Diclaration)3 s. Il importe 6galement de savoir que les cours d’appel appel6es
h se prononcer sur cette m~me question apr~s le 17 avril 1982 avaient massive-
ment retenu cette solution 36. Ce rapport de force allait cependant 6tre invers6

6galement de Particle 11 en ce qu’il s’applique A toute proc6dure et non seulement aux infractions
et aux affaires criminelles ou p~nales.

132Supra, note 20.
133A quoi bon faire bMn~ficier la personne faisant l’objet d’une enquete disciplinaire de la pro-
tection que peut lui offrir l’article 13, s’il est permis de la contraindre A t~moigner ? Puisque le pr6-
venu ne pourra de toute fagon se pr6valoir de l’article 13 pour se soustraire A un contre-
interrogatoire visant bt miner sa c&iibilit6, dans l’hypothse oh il choisirait de presenter une version
diffrente des faits, il n’aura d’autre choix que de r~p~ter pour l’essentiel ce qu’il a d~jh dit. Si tel
est le cas, quel avantage peut-il escompter de la non-admissibilit6 de son t~moignage antrieur ?
134Supra, note 15.
135fl s’agit de l’arret R. c. Brown (No. 2), [1963] S.C.R. vi, 40 C.R. 105, [1963] 42 W.W.R. 448,
oi la Cour a ent~rin6 pour ‘essentiel les motifs en ce sens d’un juge dissident en Cour d’appel.
Dans un long d~veloppement consacr6 A cette d6cision, M. le juge Lamer s’interroge sur la signi-
fication r~elle de ce jugement et met sa pertinence en doute pour trancher la question qui lui est
soumise (R. c. Dubois, supra, note 15 aux pp. 366-369).
136R. c. Mannion (1984), 9 D.L.R. (4th) 621, 11 C.C.C.(3d) 503, 53 A.R. 81 (C.A. Alta) ; R. c.
Yakeleya (1985), 46 C.R. (3d) 282,20 C.C.C.(3d) 193, 14 C.R.R. 381 (C.A. Ont.) ; R. c. Sophonow
(1984), 11 D.L.R. (4th) 24, 12 C.C.C.(3d) 272, 29 Man. R. (2d) 1 (C.A.).

McGILL LAW JOURNAL

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en Cour supreme, oti seul le juge McIntyre persista dans cette voie137.

Fiddle h son analyse relative au but et A l’objet de l’article 13, M. le juge
Lamer n’eut aucune difficult6 A conclure qu’un nouveau proc~s pour une mame
infraction ou une infraction comprise est une autre procddure >> au sens de
cette disposition. S’il en va ainsi, c’est tout simplement parce que la Couronne
ne doit pas Atre admise A faire indirectement ce qu’elle ne peut faire
directement:

Je ne vois pas comment le temoignage donn6 par l’accus6 pour r6futer la preuve
soumise au premier procs pourrait, sans contrevenir A l’al. lld), et A un degr6
moindre A l’al. lc), faire partie de la preuve pr6sentee par la poursuite contre l’ac-
cus6 au second procs. En effet, I’accus6 serait alorsforc6 d’aider la poursuite A
s’acquitter du fardeau de prisenter une preuve complete et en consequence priv6
de son droit de se taire jusqu’A ce que la preuve ait 6t6 faite. 138

Si nous ne pouvons qu’8tre d’accord avec la justification qu’assigne M. le
juge Lamer h l’article 13, l’application qu’il en tire pour le second proc~s nous
laisse en revanche beaucoup plus circonspect. Non seulement ce r6sultat
s’accorde-t-il mal avec le principe de l’obligation de pr6senter une preuve com-
plte139 , mais i ne peut trouver appui nous semble-t-il que dans une protection
6iargie contre l’auto-incrimination en vertu de laquelle un accusd ne pourrait
jamais s’incriminer. Sans compter qu’une telle interprdtation de l’article 13
risque de permettre au pr6venu de modifier sa strat6gie lors de son second pro-

137Se disant d’avis qu’une interpretation du mot < procedure >> qui en limiterait le sens iA une
etape de l’action aboutirait i une fragmentation du processus judiciaire, M. le juge McIntyre pr6-
fnre opter pour une approche plus globale qu’il resume dans les termes suivants:

Le mot o proc6dures >> employ6 it l’art. 13 de ]a Charte signifie, dans une affaire cri-
minelle, l’ensemble des etapes judiciaires par lesquelles on doit passer pour obtenir,
relativement h une accusation, un riglement definitif de la question d6battue par la
meme personne et le minist~re public. Ces 6tapes comprendraient l’enquete prelimi-
naire, le procs, l’appel et un nouveau procs. Chacune d’elles ferait partie des proc6-
dures contre l’accus6 et ne constituerait pas < d'autres proc6dures >> au sens de l’art. 13.

Dubois, supra, note 15 it lap. 386. Pour en arriver it cette conclusion, M. le juge McIntyre s’appuie
sur un argument de texte (< l'emploi du mot 'autres' sugg~re des procedures portant sur d'autres questions et mettant en cause d'autres parties... >>, aux pp. 379-380) et sur un argument de principe
( savoir que l’article 13, pas plus que le par. 5(2) de ]a Loi sur la preuve au Canada, ne vise pas
A proteger un accus6 contre l’auto-incrimination en ce qui conceme ce qu’il a dit ht son propre pro-
c~s (p. 380). La faiblesse de ces arguments est manifeste, et c’est davantage dans le refus du r6sul-
tat qu’entrainerait la thise contraire qu’il faut semble-t-il rechercher le fondement de sa dfcision.
A ses yeux, un accus6 ne saurait obtenir un nouveau procms en alleguant que son temoignage n’a
pas ete traite correctement, pour ensuite reorienter sa defense au nouveau procs en tentant de ren-
dre ce t6moignage inaccessible au jury. A l’appui de ce point de vue, voir D.H. Doherty,
, (1986) 48 C.R.(3d) 196.

38R. c. Dubois, supra, note 15 t la p. 365 les soulignes sont dans le texte].
1
139Voir supra, le texte accompagnant les notes 107 et suivantes.

1990]

LA PROTECTION CONTRE L’AUTO-INCRIMINATION

783

c~s et de presenter au jury (sans trmoigner lui-meme) une version des faits tota-
lement diff6rente en toute impunit6′.

L’opinion de M. le juge Lamer ayant 6t6 endossre par cinq de ses six col-
1gues, il y a tout lieu de croire qu’elle 6nonce 1’6tat du droit canadien sur la
question malgr6 les reserves que nous avons pu formuler. Et bien que l’on ait
explicitement restreint la portde de ce jugement aux nouveaux proc~s ordonns
par une cour d’appel en regard d’une m~me infraction ou d’une infraction com-
prise, la logique qui le sous-tend aura indrniablement des repercussions beau-
coup plus importantes. A partir du moment ois l’on admet que chaque 6tape
d’une action constitue une < procedure >> au sens de l’article 13, comme semble
le faire M. le juge Lamer, l’on voit mal comment l’enqu~te pr6liminaire, 1’en-
qute sur cautionnement, l’appel, les voir-dire, les requites en annulation et
toutes les requetes visant it obtenir un redressement interlocutoire pourraient ne
pas 8tre assimil~s h des proc6dures pour les fins de cette disposition 41 . Aussi ne
faut-il pas attacher trop d’importance t l’attitude prudente qu’il semble adopter
en examinant la validit6 de 1’article 541 (autrefois l’art. 469) du Code crimi-
nel 42 et sa compatibilit6 avec l’article 13 de la Charte43.

I va sans dire que cette d6cision importante de la Cour supreme 61argira
considdrablement le champ d’application de la protection accordre aux trmoins
par la Charte. Seront dorrnavant inutilisables pour incriminer une personne tous
les t6moignages qu’elle a pu donner non seulement A l’occasion d’un autre pro-

140David Doherty illustre cette hypoth~se avec l’exemple suivant:

Assume that the accused testifies and admits the actus reus at the initial trial. He is con-
victed, appeals, and the Court of Appeal orders a new trial. At the retrial he does not
testify but through other witnesses advances an alibi defence. If the Crown cannot
adduce his prior evidence, the trier of fact is left to assess the alibi defence without the
knowledge that the accused had voluntarily under oath at an earlier time, in an effort
to secure an acquittal, admitted doing the deed.

Supra, note 137 A la p. 197.

14En ce qui conceme le voir-dire, m~me M. le juge McIntyre en concbde le caract~re distinct
par rapport au procs au cours duquel il a lieu (hL la p. 386 de l’arrt Dubois, supra, note 15). I1
faut dire que la common law en fait autant (voir Wong Kam-Ming c. R., [1980] A.C. 247 (C.P.)),
et que la Cour supreme a rcemment qualifi6 le voir-dire de < procs dans un procs >> (voir
Duhamel c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 555 4 la p. 560). Voir aussi H-6bert, supra, note 59 aux pp.
210 et s.

142Cet article prvoit que le prdvenu peut rdpondre h l’accusation qui a t6 port6e contre lui d~s
le stade de l’enquate prliminaire, mais que son trmoignage pourra servir de preuve contre lui lors
du procs.

143Tout en prenant la prcaution d’6crire que la validit6 de l’article 541 du Code criminel n’6tait
pas en cause dans cette affaire, M. lejuge Lamer a nranmoins senti le besoin de mettre les plaideurs
6ventuels sur la piste en prcisant qu’un facteur pertinent aux fins de d~terminer le caract6re rai-
sonnable de cette disposition (dans l’hypothse oil elle seraitjug6e contraire i l’article 13) * serait
notamment la nature du peril auquel l’accus6 s’expose t ce stade s’il decide de ne pas t6moigner
Sl’enquete prliminaire pour rfuter la ‘preuve prima facie’. >> (R. c. Dubois, supra, note 15 4 la
p. 367).

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 35

c~s ou de toute autre procedure ou enquete distincte, mais 6galement au cours
d’une 6tape bien identifiable du procs qu’elle subit. En fait, il semble que seule
l’audition prrcrdant l’imposition de la sentence ne sera pas consid~re comme
une autre procdure par rapport au procs. Le trmoignage de la personne recon-
nue coupable pourra donc etre pris en consid6ration it ce stade des proc6dures 144.

B. La protection offerte aux timoins par Particle 13

I1 ne fait pas l’ombre d’un doute que la protection accord~e par la Charte
aux trmoins est la mme que celle a laquelle ils avaient droit sous l’autorit6 du
paragraphe 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada. Le texte de l’article 13 est
formel A cet 6gard : seul le < t6moignage >> qu’il a pu donner au cours d’une pro-
cdure ant6rieure ne pourra etre utilis6 contre lui pour l’incriminer. Les indices
et les informations de toutes sortes qui peuvent 8tre d~duites de ce trmoignage,
de m~me que les preuves matrrielles dont il a pu faciliter la drcouverte, ne sont
aucunement affect6es par cette disposition constitutionnelle ; par consequent, la
Couronne pourra continuer d’en faire usage pour parfaire sa preuve contre 1’ac-
cus6. Ainsi pourra-t-on contraindre une personne h t6moigner au procs de son
complice, et ce bien que l’on puise subs~quemment utiliser contre elle la preuve
que ce trmoignage aura pu servir a recueillir 4 s. Voilh qui entache s6rieusement
le principe de l’obligation de pr6senter une < preuve complete >>, que la Cour
supreme a pourtant identifi6 comme l’un des fondements de la protection contre
l’auto-incrimination. Et it moins d’un revirement jurisprudentiel spectaculaire 46,
tout porte h croire que le droit canadien continuera
se drmarquer de la 16gis-
lation am6ricaine l47 et des principes constitutionnels qui la sous-tendent148.

’44R. c. Protz (1984), 13 C.C.C.(3d) 107 (C.A. Sask.).
145Voir R. c. Crooks, supra, note 44; R. c. Bleich, supra, note 44.
146Outre les d&cisions cities a la note prc~dente, lesquelles s’inscrivent parfaitement dans ]a tra-
dition jurisprudentielle canadienne antrieure a la Charte, i faut 6galement mentionner l’arrt
HaywoodSecurities c. Inter-Tech Resource Group, supra, note 91, ob l’on a jug6 que rien dans l’ar-
title 7 ne permettait de dispenser un tmoin de r~pondre A une question parce qu’il craignait l’usage
qui pourrait etre fait de son t~moignage.
47U.S. Code, Title 18, section 6002:

Whenever a witness refuses, on the basis of his privilege against self-incrimination, to
testify or provide other information in a proceeding before or ancillary to –
(1) a court
or grand jury of the United States, (2) an agency of the United States, or (3) either
House of Congress, a joint committee of the two Houses, or a committee of a subcom-
mittee of either House, and the person presiding over the proceeding communicates to
the witness an order issued under this part, the witness may not refuse to comply with
the order on the basis of his privilege against self-incrimination ; but no testimony or
other information compelled under the order (or any information directly or indirectly
derived from such testimony or other information) may be used against the witness in
any criminal case, except a prosecution for perjury, giving a false statement, or other-
wise failing to comply with the order.

’48Voir en particulier l’arrt Kastigar c. U.S., 406 U.S. 441 (1972), oa l’on a drcid6 que le V
Amendement h la Constitution amricaine ne s’opposait pas i ce que l’on contraigne une personne

1990]

LA PROTECTION CONTRE L’AUTO-INCRIMINATJON

785

Reste h savoir dans quelles circonstances 1’on pourra conclure qu’un
t6moignage ant6rieur est utilis6 pour < incriminer >> le pr6venu. A priori, l’on
devrait pouvoir affirmer sans risque de se tromper que la Couronne ne pourra
utiliser un t6moignage ant6rieur lorsqu’elle entend ainsi 6tablir la v6racit6 de
son contenu. M. le juge Lamer adopte pourtant un crit~re plus lib~ral et dont
‘application causera certainement moins d’incertitude. A son avis, tout t6moi-
grage pr6sent6 par la poursuite dans le cadre de sa preuve principale sera, par
d6finition, un t6moignage destin6 h incriminer l’accus6:

…tout t6moignage que la poursuite soumet dans le cadre de sa preuve A charge est,
‘art. 13, un t6moignage incriminant. La poursuite soumet des
pour les fins de
t6moignages pour 6tayer sa preuve et obtenir une d~claration de culpabilit6 ; c’est
elle qui sait ce qui est incriminant. En un sens, on pourrait dire que la poursuite
n’est pas admise A soutenir que le t6moignage qu’elle pr6sente h cette fin n’est pas
incriminant.

149

Comme on aura pu le remarquer A la lecture de ce passage, il importera
assez peu que le t6moignage ait 6t6 ou non incriminant au moment otL il a 6t6
donn6. Rappelant que l’objet de l’article 6tait de prot6ger une personne contre
l’auto-incrimination plut6t que les droits d’un t6moin qui d6pose, M. le juge
Lamer n’eut aucune difficult6 t conclure que << le seul moment pertinent relati- vement h l'appr~ciation de la nature incriminante du t6moignage est celui de la seconde proc6dure >>150. Bien que cette lecture fasse fi de l’interpr6tation litt&ale
fait correcte. Non
que commande le texte de l’article, elle nous apparait tout
seulement s’harmonise-t-elle mieux avec les fondements philosophiques de la
disposition, mais encore faut-il reconnaltre avec la majorit6 que

ce n’est qu’au moment oti le t~moignage est utilis6 dans la procedure subs6quente
qu’on peut vraiment determiner s’iI est incriminant ou non, c’est-t-dire au
moment oa la poursuite cherche h utiliser le t6moignage comme preuve.15 1

Malgr6 les pr6cisions utiles qu’apportait l’arr& Dubois en rapport avec
Particle 13, une question importante demeurait sans r6ponse parce qu’elle ne se
posait pas dans cette affaire. Cette question, on peut la formuler ainsi : en pre-
voyant que le t~moignage donn6 par une personne ne pouvait 8tre utilis6 pour
1′<( incriminer >> dans une autre procedure, a-t-on voulu proscrire toute r~f&ence
h ce t~moignage aux fins de contre-interroger l’accus6 ? L’occasion de s’y
adresser devait 8tre fournie A la Cour supreme moins d’un an plus tard, dans
l’arr&t Mannion”‘.

h t~moigner lorsque l’intdrat public le requiert, A condition que l’on ne puisse subs6quemment uti-
liser contre lui son t6moignage et ce qui en dcoule (< use and derivative use immunity ). '49Dubois, supra, note 15 aux pp. 364-365. 150Ibid. h la p. 364. 1l'Ibid. 152R. c. Mannion, [1986] 2 R.C.S. 272, 31 D.L.R. (4th) 712, [19861 6 W.W.R. 595. McGILL LAW JOURNAL [Vol. 35 Lors du second proc~s de l'intim6 dans cette affaire, l'on s'est demand6 quelles deductions il fallait tirer du fait qu'il avait quitt6 la province o i avait eu lieu le crime avant son arrestation. Pour tenter de d6montrer le sentiment de cul- pabilit6 de l'accus6, le minist~re public tenta de faire la preuve qu'il 6tait au courant de l'accusation que l'on se pr6parait a porter contre lui au moment de son depart. La principale question qui se posait 6tait de savoir si l'on pouvait faire usage du t~moignage incompatible qu'il avait donn6 au premier proc~s pour le contre-interroger et ainsi prouver ce sentiment de culpabilit6. Renversant la tendance jurisprudentielle dominante5 3, la Cour toute entire (sous la plume de M. le juge McIntyre) se dit d'avis que cette utilisation d'un t6moignage ant~rieur 6tait clairement prohib~e par l'article 13 : Le minist~re public a soutenu dans chaque procs que Mannion savait qu'il dtait question d'un viol avant que la police ne le lui ait dit et que son depart pr~cipit6 d'Edmonton lorsqu'il a appris que la police voulait le voir r6v6lait un sentiment de culpabilit6. I1 est alors 6vident que le but du contre-interrogatoire, qui a r6v616 les d6clarations incompatibles, 6tait d'incriminer l'intim6. Le minist~re public s'est fond6 sur ce t6moignage pour 6tablir la culpabilit6 de 1'accus6. Par cons6- quent, je suis d'avis que l'art. 13 de la Charte s'applique clairement de mani~re A exclure l'usage incriminant de la preuve de ces declarations contradictoires. 15 4 A premiere vue, l'on pourrait 8tre amen6 A penser que ce jugement r~soud la question laiss6e en plan dans l'arr&t Dubois et cl6t d~flnitivement le d~bat. I1 n'en est pourtant rien. En effet, les cours d'appel du pays ne s'entendent pas sur la port6e r6elle de l'opinion r6dig6e par M. le juge McIntyre. Deux d'entre elles 15 5 s'en sont tenus a ce qui semble 8tre la ratio di? jugement pour conclure que l'article 13 n'exclut pas la possibilit6 pour la Couronne de contre-interroger un accus6 A partir de son t6moignage ant~rieur, tant et aussi longtemps que ce contre-interrogatoire n'a pas pour but d'incriminer l'accus6 mais uniquement d'attaquer sa cr6dibilit6. Cette fagon de voir les choses peut se r~clamer d'une certaine logique, si l'on tient compte des objectifs plus larges que vise A pro- mouvoir cette disposition constitutionnelle. Apr~s tout, cette utilisation limit~e d'un t6moignage ant6rieur ne dispense pas la Couronne de l'obligation de pr6- senter une preuve complete contre l'accus6 sans pouvoir compter sur la colla- boration de ce dernier: en effet, il faut pr6sumer que le minist~re public s'est 153R. c. Yakeleya, supra, note 136; R. c. Sophonow, supra, note 136; R. c. Jewitt (1982), 3 C.C.C.(3d) 191 (C.Co. C.-B.); R. c. Langille (1986), 73 N.S.R.(2d) 262 (C.A. N.-E.). I1 faut dire que dans les deux premieres affaires, rendues avant l'arr& Dubois, on s'appuyait principalement sur le fait qu'un premier procs ou une enquete pr6liminaire ne constituaient pas une o autre pro- cddure > pour les fins de l’article 13. Voir aussi, contra, R. c. Wilson (1982), 137 D.L.R. (3d) 572,
67 C.C.C.(2d) 481, 1 C.R.R. 296 (C. Co. Ont.).
154R. c. Mannion, supra, note 152 4 la p. 278.
155H s’agit de Ia Cour d’appel de Colombie britannique dans l’arr& Re Johnstone and Law
Society of British Columbia, supra, note 130, et de la Cour d’appel de la Saskatchewan dans l’arrbt
R. c. B.(W.D.) (1987), 45 D.L.R. (4th) 429, 38 C.C.C.(3d) 12, 59 Sask. R. 220.

19901

LA PROTECTION CONTRE L’AUTO-INCRIMINATION

787

d6j drcharg6 de son fardeau d’6tablir une preuve primafacie56 si l’accus6 sent
le besoin de trmoigner pour sa defense. Qui plus est, il est possible d’arguer que
l’utilisation du trmoignage pour miner la crddibilit6 de l’accus6 ne contrevient
pas h la prdsomption d’innocence, puisqu’il ne suffit pas h la Couronne de neu-
traliser la version des faits prrsent6e par le prrvenu pour 6tablir sa culpabilit6
hors de tout doute raisonnable 5 7.

Malgr6 l’attrait que peut presenter cette rationalisation, elle nous apparait
devoir atre rejetre. D’abord parce que la Cour supreme l’a implicitement 6cart6e
dans l’arr& Mannion 15. Ensuite parce qu’il n’est pas toujours facile de distin-
guer entre un contre-interrogatoire oii le t6moignage ant6rieur est utilise pour
incriminer l’accus6, et un contre-interrogatoire oii ce meme trmoignage est mis
h profit pour 6branler sa crrdibilit6. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour les-
quelles la Cour d’appel de l’Ontario a manifest6 son d~saccord avec les dcci-
sions rendues par ses homologues de la Saskatchewan et de la Colombie britan-
nique’59. Enfin, nous croyons qu’il faut 6viter
tout prix de crder pour les
accuses un double standard de protection en ce qui conceme l’utilisation de

15611 faut ici rappeler que cette obligation de presenter une preuve complte, qui sert de fonde-
ce fardeau initial de la Couronne
ment A I’alinra llc) et A l’article 13, se rapporte probablement
qui consiste 4 prsenter une preuve suffisamment 6tay~e pour que le juge des faits, s’il y ajoute
foi, puisse condamner l’accus6. Voir sur ce concept diffus Ratushny, supra, note 3 aux pp. 325-331.
‘5 7C’est a un raisonnement analogue que s’en remettait probablement la Cour d’appel de

Saskatchewan lorsqu’elle 6crivait:

In our opinion, it is only when answers are used to “incriminate” or have the effect of
self-incrimination, that s. 13 comes into play. In the situation where the prior inconsist-
ent statement is being used to discredit or to lessen the credibility that should be given
to his present testimony, s. 13 should not apply. In our opinion, “discredit” cannot be
interpreted as “incriminate”. Such use of a-previous statement does not violate the pur-
pose of s. 13 when viewed from the context of s. 11(c) and (d), which is to prevent the
accused from being indirectly compelled to incriminate himself. Its purpose is not to
insulate the accused from exposure where he has related inconsistent and conflicting
evidence, or to protect him from being exposed to a test of credibility.

(R. c. B.(WD.), supra, note 154 aux pp. 22-23. Voir aussi, dans le meme sens, Paciocco, supra,
note 10

158A la fin de son jugement, M. le juge McIntyre rpond affirmativement A la question suivante:

lap. 471.

Y a-t-il violation ou ngation d’un droit garanti par l’art. 13 de la Charte canadienne
des droits et libertis lorsqu’on contre-interroge un accus6 au cours d’un nouveau pro-
c~s sur un t~moignage donn6 A un proc~s antrieur visant la m~me accusation ?

On peut penser qu’il aurait apport6 des nuances A sa r~ponse s’il avait voulu r~server un traitement
particulier aux contre-interrogatoires destins discrditer un accuse.

159 [Wlhere the prior evidence is used ostensibly to impeach the accused’s credibility only,
it nevertheless does assist the Crown in its case and, in a broad sense, may help to prove
guilt. It is often difficult to draw a clear line between cross-examination on the accu-
sed’s prior testimony for the purpose of incriminating him and such cross-examination
for the purpose of impeaching his credibility. If the court concluded on the basis of the
accused’s contradictory statements that he deliberately lied on a material matter, that
lie could give rise to an inference of guilt.

R. c. Kuldip, supra, note 95 4 la p. 23.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 35

leurs t~moignages ant6rieurs. Or c’est pr~cis~ment la cons6quence qu’entralne-
rait l’interp6tation restrictive de l’article 13 propos~e dans les arr~ts Re
Johnstone and Law Society of British Columbia 6″ et R. c. B.(W.D.) 6. I1 faut
en effet savoir que les tribunaux n’ont jamais limit6 la port6e du paragraphe 5(2)
de la Loi sur la preuve au Canada en mettant l’accent sur l’utilisation que
‘on
entendait faire d’un t6moignage en contre-interrogatoire”62 . II serait donc inad-
missible que la Charte soit interpr6t~e < comme un facteur limitant les droits qui existaient avant son adoption >163. Car ce faisant, l’on perp6tuerait le d6s6qui-
libre dont le paragraphe 5(2) 6tait porteur en continuant d’assurer une protection
plus complete aux citoyens qui auront la bonne fortune de revendiquer la pro-
tection de cette disposition 16gislative :

Although it is true that in R. v. Mannion, supra, the Crown sought to use the appel-
lant’s prior testimony to incriminate him by showing that it displayed a conscious-
ness of guilt, I do not read the judgment of the Supreme Court of Canada as hol-
ding that s. 13 of the Charter applies only where the prior evidence is used to
incriminate the accused, as opposed to attacking his credibility. If the effect of s.
13 of the Charter were so restricted, the unfairness or inequality that s. 13 of the
Charter was designed to remove would be perpetuated: the sophisticated witness
who objected to answering under s. 5(2) would be afforded protection against the
subsequent use of his evidence not only to incriminate him directly, but also to
attack his credibility, whereas the unsophisticated witness who failed to object
because he was unaware of the protection afforded by s. 5(2) would not be pro-
tected by s. 13 of the Charter against the subsequent use of his evidence to attack
his credibility.

164

Au vu des arguments qui precedent, nous inclinons A penser que l’article
13 doit recevoir une interpr6tation lib6rale qui mette les accuses A l’abri de toute
utilisation que pourrait vouloir faire la Couronne de leurs t6moignages ant6-
rieurs. Et h ceux qui craindraient les effets n6fastes que pourrait entrainer une
telle lecture de cette protection constitutionnelle et qui voudrait y voir une inci-
tation au mensonge, i suffira de rappeler que les poursuites pour faux t6moi-
gnage demeurent toujours possibles. I est vrai que le texte de l’article 13
n’exclut nomm~ment que les poursuites pour parjure ou pour t~moignages con-
tradictoires 65 . Mais la d6cision rendue par la Cour supreme dans l’arrt

16’Supra, note 154.
161Ibid.
162VoirR. c. Wilmot (1940), 74 C.C.C. 1 (C.A. Alta) ; P.G. du Quibec c. C6t6, [1979] C.A. 118.
HI faut dire que l’on aurait t6 mal venu de le faire, compte tenu de la formulation plus large de
la loi f&16rale oil l’on stipule que < sa r6ponse ne peut pas etre invoquie et n'est pas admissible A titre de preuve contre lui > [nous soulignons].
163C’est la Cour supreme elle-meme qui a proclam6 ce postulat dans l’arrt Mannion, prcis6-

ment apr~s avoir cit6 les arr~ts mentionn6s l ]a note prdc&lente. Supra, note 152 h la p. 281.

’61R. c. Kuldip, supra, note 96 aux pp. 22-23.
165La prohibition de ces deux types de fausses declarations dans le Code criminel (aux articles
131 pour le parjure et 136 pour les t6moignages contradictoires) n’est certes pas trangre h leur
mention explicite dans l’article 13.

1990]

LA PROTECTION CONTRE L’AUTO-INCRIMINATION

789

Staranchuk c. La Reine66 donne a penser que ce sont toutes les infractions dont
l’actus reus est le fait de rendre un faux t6moignage qui sont implicitement
vis6es par ces exceptions.

Conclusion

L’examen d6taiHl6 de l’alin6a 11c) et de l’article 13 auquel nous nous
sommes livr6s dans les pages qui pr6c6dent aura permis au lecteur (du moins
faut-il 1’esp6rer) de mieux circonscrire leur impact et surtout de prendre cons-
cience de leurs nombreuses limites internes. Et s’il fallait s’en tenir cette seule
analyse, sans doute les conclusions auxquelles 6tait parvenu le professeur
Ratushny avant l’entr6e en vigueur de la Charte pourraient-elles etre reprises
pour d6crire l’6tat du droit canadien relatif A l’auto-incrimination:

It is clear that the privilege against self-incrimination as it exists in Canada today
is an extremely narrow concept. It simply describes two specific procedural and
evidentiary rules : the non-compellability of the accused as a witness at his own
trial and the section 5(2) protection of a witness not to have testimony used in
future proceedings. There is no general principle which can be invoked to achieve
a specific result in a particular case. 167
Pourtant, il se peut bien que l’inclusion de l’article 7 dans la Charte four-
nisse pr~cis~ment ce principe g6ndral qui transcende les r~gles de preuve
auxquelles le professeur Ratushny faisait allusion et qui ont 6t6 sp6cifiquement
enchAss~es. La Cour supreme s’est d’ailleurs engag6e dans cette direction h
l’occasion du jugement r6cent qu’elle a prononc6 dans l’arr&t Thomson”‘. Ne
craignant pas de renverser la those qu’avaient ant6rieurement retenue la plupart
des tribunaux canadiens”69 , les cinq juges qui si6geaient dans cette affaire ont

166[1985] 1 R.C.S. 439, 22 D.L.R. (4th) 480, 22 C.C.C. (3d) 512. Dans cette affaire, la Cour
supreme s’est contente d’ent~riner le passage suivant des motifs de la Cour d’appel de
Saskatchewan:

Nous croyons qu’il faut faire la distinction entre le cas oii une personne est tenue, en
r6pondant v6ridiquement au cours de son t6moignage sous serment, de r6v6ler la per-
p~tration ant6rieure d’une infraction (le cas 6ch6ant, ce t~moignage ne peut g~n6rale-
ment pas, par la suite, etre utilis6 contre elle), et le cas oal une personne fait, sous ser-
ment, de fausses d6clarations par suite desquelles elle est accus6e d’avoir rendu un faux
t6moignage. Dans ce demier cas, l’essence m~me de l’infraction et son actus reus est
le fait de rendre un faux t6moignage. En l’espce, la poursuite a cherch6 b soumettre
en preuve les deux pi~ces conviction afin d’6tablir l’actus reus des infractions repro-
ch6es et, si ces 616ments de preuve avaient 6t6 par ailleurs admissibles, ils auraient dO
etre admis.

167Ratushny, supra, note 3 h la p. 92.
168Supra, note 3. Le meme jour, la Cour a 6galement rendu jugement dans deux affaires con-
nexes qu’elle avait d’ailleurs entendues en meme temps que l’affaire Thomson. I1 s’agit des affaires
R. c. McKinlay Transport Ltd. (No. 20761), et Stelco Inc. c. P.G. du Canada (No. 20656) dans les-
quelles les juges se contentent de r6f6rer

l’opinion qu’ils ont r6digde dans l’arr& Thomson.

169 Voir entre autres Thomson Newspapers Ltd. et al. c. Director of Investigation & Research
et al. (1986), 57 O.R. (2d) 257, 34 D.L.R. (4th) 413, 30 C.C.C.(3d) 145 (C.A.) ; Belhumeur c.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 35

r6solument 6cart6 l’application de la r~gle exclusio unius est exclusio alterius.
Ce faisant, la Cour s’6cartait de la d6marche emprunt6e par M. le juge Laskin
dans l’arrt Curr70 et admettait que le constituant n’avait pas exhaustivement
trait6 de la protection contre l’auto-incrimination en constitutionnalisant la non-
contraignabilit6 de l’accus6 et la prohibition d’utiliser un t6moignage ant6rieur
pour l’incriminer’71.

I1 faut certes se r6jouir de ce nouveau d6veloppement. L’utilisation qui 6tait
faite du droit ant6rieur pour limiter le sens et la port6e de la Charte et de son
article 7 apparaissait pour le moins suspecte et l’interpr6tation qui en r6sultait
avait des relents de cette d6fdrence h la supr6matie l6gislative qui avait marqu6
l’histoire jurisprudentielle de la Diclaration canadienne des droits. A supposer
m~me que la protection contre l’auto-incrimination se soit r~sum~e avant la
Charte aux deux r~gles de preuve 6nonc6es dans l’arr& Marcoux”’72, une th~se
qu’a brillamment contest6e le professeur Paciocco 73, l’on voyait mal en quoi
cela pouvait 6tre d6terminant lorsqu’il s’agit de d~gager les << principes >> de jus-
tice fondamentale qui r6gissent notre socid6t. Apr~s tout, les articles 8 A 14 ne
sont-ils pas << des exemples d'atteintes 4 ce droit A la vie, A la libert6 et A la s~cu- rit6 de la personne qui vont A l'encontre des principes de justice fondamen- tale >>74 ? Si tel est le cas, pouvait-on raisonnablement y avoir recours pour limi-
ter la port~e de l’article 7 sans tronquer le rapport qui doit exister entre un
principe et une r~gle ? Bien que la Cour ait fait un pas dans la bonne direction,
il faut regretter qu’elle n’ait pas saisi l’occasion qui lui 6tait offerte pour orienter
davantage le d6bat et fournir quelques points de rep~re susceptibles de faire
avancer la discussion. Au contraire, la multiplicit6 des opinions (chacun des
cinq juges a r6dig6 des notes) et l’absence totale de coh6sion qui les caract6rise

Barreau du Quibec, supra, note 34; Haywood Securities c. Inter-Tech Resource, supra, note 91 ;
Re Stelco Inc,. et al. and A.G. of Canada et al. (1987), 42 C.C.C.(3d) 190 (C.A. Fdd.); Re
Transpacific Tours Ltd. et al and Director of Investigation & Research et al. (1985), 25 D.L.R.
(4th) 202, 24 C.C.C.(3d) 103 (C.S. C.-B.); Re Arrigo and The Queen, supra, note 56.
170Curr c. R., supra, note 60. Uon se souviendra que dans cette affaire, M. le juge Laskin avait
refus6 de se fonder sur l’alinda la) de la Diclaration (<< le droit de l'individu h la vie, t la libertd, t la s6curit6 de la personne ainsi qu't la jouissance de ses biens, et le droit de ne s'en voir priv6 que par l'application r6gulire de la loi >>) pour 6tendre < la protection contre son propre tdmoi- gnage >> pr6vue It l’alin6a 2d) de la Dclaration.

171C’est Mine le juge Wilson qui s’est montr6e le plus explicite sur cette question, A laquelle elle
consacre un long d6veloppement. Les autres juges, pour leur part, se contentent de constater la
teneur rdsiduelle de l’article 7. I1 faut dire que la Cour supreme avait ddjA clairement laiss6 entendre
que l’article 7 pouvait dans certains cas procurer des arguments additionnels h ceux que les articles
8 t 14 sont susceptibles de fonder. Voir le Renvoi sur le Motor Vehicle Act (C.-B.), [ 1985] 2 R.C.S.
486, 24 D.L.R. (4th) 536, 23 C.C.C. (3d) 289, ainsi que l’arr~t R. c. Wigglesworth, supra, note 20.
112Supra, note 4.
’73Charter Principles and Proof in Criminal Cases, supra, note 9 c. 10 ; << Self-Incrimination: Removing the Coffin Nails >>, supra, note 3.

174Renvoi sur le Motor Vehicle Act (C.-B.), supra, note 171 A la p. 502.

1990]

LA PROTECTION CONTRE L’AUTO-INCRIMINATLON

791

font de cet arrt un mod~Le de confusion qui contribuera davantage i embrouil-
ler les pistes qu’I d~gager des solutions claires.

La question fondamentale que soulevait ce litige, il faut le rappeler, 6tait
celle de savoir s’il est contraire aux principes de justice fondamentale de con-
t6moigner h l’occasion d’une enqu6te administrative,
traindre une personne
dans la mesure oii l’on pr6voit que son t6moignage ne pourra 8tre utilis6 contre
elle dans une procedure criminelle ultdrieure 75. II est vrai que sur le plan stric-
tement technique, seul le pouvoir d’assigner une personne A comparaitre devant
la Commission pour 6tre interrog6e sous serment et produire des documents,
sous peine de sanction, avait 6t6 mis en cause par les appelants 176. Pourtant,
quatre des cinq juges accept~rent de considrer l’impact que pouvait avoir la
protection accord6e aux t6moignages incriminants par le paragraphe 20(2) de la
LoiP7″ sur la r6solution de cette question.

C’est M. le juge Sopinka qui a sans contredit adopt6 l’approche la plus
lib6rale, en faisant du droit au silence comme tel un principe de justice fonda-
mentale. A ses yeux, ce droit ne saurait Atre assimil6 cette r~gle d’exclusion
en mati~re de preuve que constitue le privilege de ne pas s’incriminer; de
meme, il faudrait se garder de le r6duire h son aspect testimonial et c’est la rai-
son proces,
son pour laquelle il estime que la non-contraignabilit6 d’un accus6

175C’est 6videmment parce que la protection offerte par l’alin6a llc) ne peut 6tre revendiqu~e
par une personne qui n’est pas formellement < inculp6 >> que l’on a dfi s’en remettre A l’article 7
de la Charte.
176De fait, la question constitutionnelle ne r~ffre qu’h I’article 17 de laLoi relative aux enquetes

sur les coalitions, L.R.C. 1970, c. C-23 dont les paragraphes pertinents se lisent comme suit:

17. (1) Sur demande ex parte du directeur, ou de sa propre initiative, un membre de
la Commission peut ordonner que toute personne r~sidant ou pr6sente au Canada soit
interrog6e sous serment devant lui ou devant toute autre personne nomme h cette fin
par l’ordonnance de ce membre, ou produise 4 ce membre ou A cette autre personne
des livres, documents, archives ou autres pi~ces, et peut rendre les ordonnances qu’il
estime propres assurer la comparution et l’interrogatoire de ce t6moin et la production
par ce dernier de livres, documents, archives ou autres pi~ces, et i peut autrement exer-
cer, en vue de l’ex~cution de ces ordonnances ou de la punition pour d6faut de s’y con-
former, les pleins pouvoirs exerc6s par toute cour sup~rieure au Canada quant 1’ex6-
cution des brefs d’assignation ou h la punition en cas de d6faut de s’y conformer.
(2) Toute personne assignee sous le rgime du paragraphe (1) est habile A agir comme
t6moin et peut 8tre contrainte t rendre t~moignage.
(3) Un membre de la Commission ne doit pas exercer le pouvoir d’infliger une peine
a quelque personne en vertu de la pr~sente loi, pour d6sob6issance ou autrement, 4
moins que, sur requete de ce membre, un juge de la Cour f~drale du Canada ou d’une
cour suprieure ou d’une cour de comt6, n’ait certifi, comme un tel juge peut le faire,
que ce pouvoir peut atre exerc6 en la mati~re r~v6he dans la requite, et que ce membre
n’ait donn6 h cette personne un avis de vingt-quatre heures de l’audition de la requete
ou tel avis plus court que le juge estimera raisonnable.

177Ce paragraphe est calqu6 sur le paragraphe 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada, reproduit

plus haut (voir le texte accompagnant la note 94).

REVUE DE DRO1T DE McGILL

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garantie A l’alin6a l1c), n’en 6puise pas le sens. I1 en r6sulte selon lui que le sus-
pect (r6el ou 6ventuel) aura 6galement le droit de garder le silence au cours du
d~roulement de l’enqute et pourra s’appuyer sur l’article 7 pour refuser de
r6pondre aux policiers ou A toute autre personne l6galement autoris~e A le con-
traindre A t6moigner.

Une 6tude approfondie des principes de justice fondamentale susceptibles
d’alimenter une protection plus complete contre l’auto-incrimination n’entre
manifestement pas dans le cadre restreint de cet article. S’il faut en croire M.
le juge Lamer, ces principes fondamentaux doivent 8tre recherch6s dans les pr6-
ceptes s6culaires de notre syst~me juridique, ceux-l m~me qui en font un sys-
t~me reposant sur la dignit6 et la valeur de la personne humaine ainsi que sur
la primaut6 du droit 7 s. Or, il ne fait nul doute que le droit au silence apparalt
comme l’un des candidats les plus s6rieux au titre de < principe de justice fon- damentale >. La p6rennit6 et l’autorit6 dont il jouit en common law, ses liens
6vidents avec le caract~re accusatoire de notre proc6dure criminelle, ainsi que
son r6le instrumental dans la sauvegarde de la libert6 et de la dignit6 humaine,
en font pour ainsi dire un axiome incontoumable. II est vrai que le l6gislateur
canadien ajug6 bon d’abolir ce droit pour les t~moins en 1893. Mais cette abro-
gation, faut-il le rappeler, est survenue h une 6poque oii la souverainet6 parle-
mentaire repr~sentait un dogme absolu en droit constitutionnel canadien. Il faut
donc se garder d’attacher t cette initiative une trop grande signification dans
notre quote des principes de justice fondamentale ; i se peut m~me, h l’inverse,
que ce soit le paragraphe 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada qui doive
maintenant etre r66valu6 A la lumi~re de la Charte179.

Les tribunaux ont r6itr6 de multiples reprises que le droit au silence fait
partie de ces principes fondamentaux du droit public canadien 8 . Ils n’en n’ont

178Renvoi sur le Motor Vehicle Act (C.-B.), supra, note 171 a la p. 502.
179Dans l’arrat Dilorio c. Gardien de la prison commune de Montrdal, supra, note 42, M. le juge

Dickson avait 6crit a la p. 222:

Qu’on soit ou non d’accord avec une conclusion qui peut obliger une personne h col-
laborer h une enquete portant sur ses propres activit6s criminelles, les dispositions de
lart. 5 de la Loi sur la preuve au Canada et des lois sur les enquates tant fdd6rales que
provinciales ont n6cessairement cet effet.

Commentant cepassage, M. lejuge Scheibel a 6crit dans l’affaireRL. Crain Inc. c. Couture, supra,
note 5 A lap. 154:

Mr. Justice Dickson’s statement reflects the prevailing principle, at that time, of parlia-
mentary supremacy. This principle, however, has now been limited by the entrench-
ment of the Charter. Under the Charter a result is no longer justified solely on the
ground that it is dictated by duly enacted legislation, it must also be in accordance with
the principles of fundamental justice.

M. le juge Sopinka, dans le cadre de l’opinion qu’il a r&ligde A l’occasion de l’affaire Thomson,
en est arriv6 A une interprdtation similaire de ce m6me passage (supra, note 3 aux pp. 604-605).
180R. c. Esposito, supra, note 67 h lap. 94 (< The right of a suspect or an accused to remain silent is deeply rooted in our legal tradition. >>) ; R. c. Woolley, (1988) 40 C.C.C.(3d) 531 A lap. 539, 25

1990]

LA PROTECTION CONTRE L’AUTO-INCRIMINATION

793

pourtant pas tous tir6 les memes consequences. Ainsi, la Cour d’appel onta-
rienne a sembl admettre que le droit au silence peut btndficier d’une certaine
protection constitutionnelle au cours meme de l’enquete policire”‘. Plus
r6cemment, cette meme cour a conclu qu’une preuve matdrielle obtenue par les
policiers en violation de ce droit au silence pourrait etre dtclarte inadmissible
si l’on rdussissait t d6montrer que son admission d6consid~rerait l’administra-
tion de la justice” 2. Par contre, cette extension du droit au silence n’a pas profit6
aux tdmoins contraints h tdmoigner dans le cadre d’une enqute administrative
ou civile8 3. Tout au plus la Cour d’appel de Colombie britannique a-t-elle laiss6
entendre qu’une personne pourrait 6tre dispensde de t6moigner dans une
enquire dont le seul but serait d’aider le minist~re public ou de fournir la preuve
n~cessaire bt une mise en accusation” .

Force nous est done de constater l’extr~me fluidit6 de ce droit au silence
dont on ne cesse pourtant de proclamer le r6le fondamental. Les multiples taton-
nements des tribunaux et l’incapacit6 de la Cour supreme elle-m~me de dtgager
un consensus sur cette question gr~vent par ailleurs sdrieusement l’impact que
pourrait avoir ce concept sur le ddveloppement du droit canadien. Au nombre
des interrogations que suscite la jurisprudence et que laisse subsister 1’arrt

O.A.C. 390 (C.A. Ont.), (<< The right to remain silent is a well-settled principle that has for gen- erations been part of the basic tenets of our law. >>). Voir aussi la jurisprudence cite par M. le juge
Sopinka dans l’arrt Thomson.

181R. c. Esposito, supra, note 67; Thomson, supra, note 4.
‘1 2R. c. Woolley, supra, note 180. Dans cette affaire, les policiers avaient dit an suspect qu’ils
le d~tiendraient tant et aussi longtemps qu’il ne leur aurait pas r6v6 l’endroit oh se trouvaient les
clIs d’un vdhicule qu’ils le soupgonnaient d’avoir vole.
183Thomson, supra, note 4; Re Transpacific Tours and Director of Investigation & Research,
supra, note 169 ; Stelco Inc. c. A.G. of Canada, supra, note 169. I importe de rappeler que la Cour
supreme a confirm6 les decisions rendues par la Cour d’appel ontarienne dans Thomson et par la
Cour d’appel f~drale dans Stelco, mais uniquement sur la base de l’article 8 de la Charte.
l’article 7 laisse en effet les quatre autres juges
L’abstention de M. le juge Lamer eu 6gard
6galement divisds sur la question de l’auto-incrimination.

1841 agree that if the sole aim and purpose of the proceeding was to obtain evidence to
support a charge or to assist the criminal prosecution of the witness, it might be argu-
able that the witness ought not to be compelled to divulge information which might
lead to his conviction. But, in my view, such a result should follow only if the proceed-
ings, in which such evidence was given, were so devoid of any legitimate public pur-
pose, and so deliberately designed to assist the prosecution of the witness that to allow
them to continue would constitute an injustice. In such circumstances, the continuance
of the proceedings could be said to constitute a violation of the principles of fundamen-
tal justice.

Haywood Securities c. Inter-Tech Resource, supra, note 91 aux pp. 748-749. Cette insistance mise
par la majorit6 sur le but vise par l’enqute apparalt suspecte. S’appuyant sur le jugement rendu
par la Cour supreme dans l’arr& R. c. Big M Drug Mart, [1985] 1 R.C.S. 295, 18 D.L.R. (4th) 321,
18 C.C.C. (3d) 325, M. le juge Lambert (dissident) opine quant t lui que l’effet d’une loi est tout
aussi pertinent que son objet pour en dtterminer la validit. Voir 6galement l’arr& R.L. Crain,
supra, note 5, sur lequel Ia majorit6 s’appuie pour soutenir sa position.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 35

Thomson, il en est une qui m6rite tout particuli~rement de retenir notre atten-
tion : est-ce le droit au silence comme tel (c.-t-d. le droit de ne pas r6pondre h
une question) qui doit 6tre assimil6 A un principe de justice fondamentale, ou
plut6t la protection contre l’utilisation incriminante qui peut 8tre faite d’un
t6moignage ? S’il faut en croire Mime le juge Wilson, en effet, ce n’est pas tant
l’obligation qui peut 6tre faite une personne de t6moigner dans le cours d’une
enqu~te qui constituerait une atteinte A la libert6 non conforme aux principes de
justice fondamentale, mais bien l’absence d’une garantie idgislative portant
interdiction d’utiliser contre elle dans une poursuite ult6drieure son t6moignage
ou la preuve d6driv6e obtenue grace A son t6moignage. I1 se peut bien qu’un droit
absolu au silence soit la source d’un d6s6quilibre dangereux entre les droits des
particuliers et l’int6rat de la collectivit6, comme le laissent entendre M. le juge
La Forest et Mine le juge L’Heureux-Dub6. Encore faudrait-il soupeser cette
question d6licate dans le respect des exigences que l’on a d6duites de l’article
premier de la Charte. Ce faisant, l’on pourrait mieux tenir compte de la diversit6
des situations pour ainsi en arriver une harmonisation des intdrats en pr6sence
qui colle davantage h la r6alitP’t 5.

Mais peu importe le sort qui sera ultimement r~serv6 A ce droit au silence,
il faudra t6t ou tard se pencher sur la protection que l’on veut r~ellement accor-
der aux individus contre l’auto-incrimination. Pour l’heure, l’alinda lc) et l’ar-
ticle 13 offrent une protection bien partielle A ce chapitre et assurent de fagon
tr~s imparfaite le respect des valeurs fondamentales qui sous-tendent ce prin-
cipe. Bien entendu, il faut 6viter de succomber
la tentation qui consisterait h
faire de l’article 7 une sorte de fourre-tout dans lequel on viendrait puiser toutes
les thdories susceptibles de pallier aux limites internes des articles 8 h 14. Une
telle approche serait dangereuse et pourrait h terme vider ces dispositions de
tout leur sens. Aussi est-ce 4 bon droit, croyons-nous, que l’obtention d’une
preuve documentaire par voie de subpoena duces tecum ne semble pas devoir
6tre considdr6e comme une violation de la protection contre l’auto-
incrimination” 6.

1

85M. le juge La Forest reconnait d’ailleurs implicitement l’impossibilit6 de gdn6raliser outre
mesure lorsqu’il distingue entre les enquetes de nature contradictoire et celles qui ont une portde
plus g6n6lrae et de nature plus inquisitoriale. II ira meme jusqu’t laisser entendre que le suspect
pourra jouir du droit au silence durant la phase pr6-judiciaire :

Je suis d’accord avec le juge Sopinka que le droit de l’accus6 de garder le silence doit
s’6tendre au-delM du procs lui-meme, mais je ne crois pas qu’il doive s’6tendre A ceux
qui sont contraints de t6moigner dans une proc6dure comme celle que pr6voit l’art. 17
de la Loi relative aux enqutes sur les coalitions.

186Comme l’affirmait M. le juge Hugessen dans

‘arrat Ziegler c. Hunter, [1984] 2 F.C. 608, 8
D.L.R.(4th) 648, 8 C.R.R. 47 (Appel), la protection contre l’auto-incrimination et les valeurs qui
la sous-tendent ne permettent pas t un t6moin de se soustraire A l’obligation qui peut lui 6tre faite
de produire un document, 6tant entendu que ce document pourrait de toute fagon lui 8tre soutir6
par la force.

1990]

LA PROTECTION CONTRE L’AUTO-INCRIMINATION

795

En revanche, il ne faut pas h6siter a tirer toutes les cons6quences du fait
que tel ou tel concept est assimil6 A un principe de justice fondamentale. Et si
la protection contre l’auto-incrimination constitue un tel principe, une interpr6-
tation t616ologique doit n6cessairement nous emmener a conclure que la
Couronne ne saurait etre admise h faire indirectement ce qu’ee ne pourrait faire
directement. C’est pourtant la voie dans laquelle s’engagent M. le juge La
Forest et Mine le juge L’Heureux-Dub6 lorsqu’ils permettent au minist~re
public de contraindre une personne h t6moigner dans le cadre d’une enquate
administrative, alors meme qu’aucune disposition 16gale ne vient restreindre
l’utilisation de la preuve d6riv6e de ce t6moignage dans une proc6dure crimi-
nelle ult6rieure contre cette personne.

I1 ne s’agit pas de nier que la preuve d~riv6e existe ind6pendamment du
t6moignage qui en permet la d6couverte et n’est donc pas cr6e par l’accus6.
Encore cette preuve suppose-t-elle dans bien des cas la participation active et
significative du t6moin. Mais lA n’est pas la question. A partir du moment oi
l’on contraint une personne a t6moigner, l’on viole cette dignit6 et cette intimit6
qui sont A la base meme de la protection contre l’auto-incrimination et de l’obli-
gation qu’a la Couronne de pr6senter une preuve compl~te. Et c’est justement
parce qu’il s’agit d’une question de principe que l’on ne saurait l’aborder sous
l’angle de la reparation appropri~e. L’on s’engagerait sur une pente glissante s’il
fallait que le respect des droits fondamentaux soit li6 aux consequences que leur
violation entraine pour l’accus6. En 6crivant que:

la preuve d6riv6e qui serait pass6e inaperque ou qui aurait 6t6 ignorde, n’efit 6t6
du t~moignage obtenu par contrainte en vertu de la Loi, devrait, dans l’exercice du
pouvoir discr6tionnaire du juge du procs, 6tre dcartde puisque son utilisation vio-
lerait les principes de justice fondamentale187 ,

M. le juge Laforest se livre a notre avis h un exercice p6rilleux. Non seulement
cette approche risque-t-elle d’entrainer des repercussions n6fastes sur le d6ve-
loppement des autres garanties juridiques” s, mais au surplus nous apparalt-elle
faire bon march6 des droits fondamentaux.

En derni~re analyse, il faut savoir gr6 a M. le juge Lamer de ne pas s’&re
prononc6 sur cette 6pineuse question189 et d’avoir ainsi renvoy6 dos A dos les

187Cet extrait est tird de la page 57 des notes de M. le juge La Forest.
188Faudra-t-il prdtendre, par exemple, que le droit

l’avocat n’est viol6 que dans l’hypoth~se otl
l’accus6 pourra faire la preuve du fait qu’il a subi un pr6judice r6el dans l’61aboration de sa
d6fense ?

189C’est parce que les appelants avaient contest6 Ia mauvaise disposition que M. le juge Lamer
s’est abstenu de tout commentaire sur le sujet. Conme il le dit lui-meme, <<'article 17 confre, de fagon g6n6rale, le pouvoir de punir pour outrage le t6moin qui refuse de r6pondre. Cela n'est pas contraire A 'art. 7. C'est l'article 20, plus pr6cis6ment les premieres lignes du par. 20(2) qui suppriment le droit reconnu par la common law de refuser de donner des r6ponses incriminantes, qui fait du refus de r6pondre un outrage et qui provoque vraiment la violation. > Comme un exa-

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 35

tenants des diverses theses en presence. I1 aurait 6t6 malencontreux qu’un banc
de cinq juges, divis6 comme il 1’6tait et incapable de s’entendre ne serait-ce que
sur la fagon de poser le probl~me, engage toute la Cour sur un sujet aussi fon-
damental et aussi lourd de consequence pour le d6veloppement du droit criminel
canadien. Esp6rons seulement qu’il soit rapidement donn6 A la Cour une autre
occasion de poursuivre sa r6flexion et de refaire sa coh6sion, de fagon A ce que
les d6ficiences de l’arr&t Thomson soient rapidement combles.

men de cette question amine in~vitablement a se prononcer implicitement sur ]a validit6 de I’article
5 de la Loi sur la preuve au Canada, il prdare attendre que la question soit clairement posde et
d6battue pour faire cormaitre son point de vue.