Article Volume 58:3

La protection d'une vitalité fragile : Les droits linguistiques autochtones en vertu de l'article 35

Table of Contents

McGill Law Journal ~ Revue de droit de McGill

LA PROTECTION DUNE VITALIT FRAGILE :
LES DROITS LINGUISTIQUES AUTOCHTONES

EN VERTU DE LARTICLE 35

Gabriel Poliquin*

The author proposes an interpretation of
section 35 of the Constitution Act, 1982, and its
related jurisprudence, in light of certain general
principles emanating from Supreme Court
judgments that discuss section 23 of the Cana-
dian Charter of Rights and Freedoms. Section
23 provides guarantees of language rights to of-
ficial-language communities. The following ar-
gument flows from this interpretation: aborigi-
nal rights in section 35 create language rights
and impose a positive obligation on the state to
promote the vitality of aboriginal languages.
This obligation is distinct from the states obli-
gation concerning official languages, which
serves to ensure equality between the two offi-
cial linguistic communities. The states positive
obligation toward aboriginal linguistic commu-
nities requires the development of structures
necessary for the preservation of aboriginal lin-
guistic heritage in order to ensure its transmis-
sion from one generation to the next. The con-
tent of this obligation may vary from one lin-
guistic community to another, depending on the
linguistic environment specific to a given com-
munity. The author proposes that this interpre-
tation of section 35 also corresponds to the prin-
ciples promulgated by the international treaties
concerning aboriginal rights to which Canada is
a signatory.

Lauteur propose dinterprter larticle 35
de la Loi constitutionnelle de 1982 et la juris-
prudence pertinente cet article la lumire de
certains principes gnraux issus de la juris-
prudence de la Cour suprme du Canada por-
tant sur larticle 23 de la Charte canadienne des
droits et liberts, qui garantit des droits linguis-
tiques aux communauts de langue officielle. La
thse suivante se dgage de cette interprta-
tion : les droits autochtones garantis larticle
35 comprennent des droits linguistiques, dont
une obligation positive de ltat de favoriser la
vitalit des langues autochtones. Cette obliga-
tion de favoriser la vitalit des langues autoch-
tones se dmarque de lobligation de ltat en
matire de langues officielles qui est dassurer
lgalit des deux communauts de langue offi-
cielle. Lobligation positive de ltat lgard
des communauts de langues autochtones est
de mettre en place les structures ncessaires
la prservation des patrimoines linguistiques
autochtones pour assurer leur transmission
dune gnration lautre. Le contenu de cette
obligation pourra varier dune communaut lin-
guistique autochtone lautre selon lcologie
linguistique propre cette communaut.
Lauteur propose en outre que cette interprta-
tion de larticle 35 est conforme aux principes
promulgus par les accords internationaux aux-
quels le Canada est partie en matire de droits
autochtones.

* Gabriel Poliquin est avocat au sein du groupe de litige du cabinet Heenan Blaikie
Montral. Sa pratique est oriente vers tous les aspects du droit public dont le droit
administratif, le droit constitutionnel, laccs linformation et les droits de la per-
sonne. Me Poliquin sest joint au cabinet Heenan Blaikie aprs avoir occup le poste
dauxiliaire juridique auprs de lhonorable Louis LeBel la Cour suprme du Cana-
da. En plus dune licence en droit, Me Poliquin dtient un doctorat en linguistique de
lUniversit Harvard.

Citation: (2013) 58:3 McGill LJ 573 ~ Rfrence : (2013) 58 : 3 RD McGill 573

Gabriel Poliquin 2013

574 (2013) 58:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

Introduction

I.

Les droits linguistiques autochtones en tant que
droits ancestraux

II. La nature des droits linguistiques autochtones

A. Lobligation positive de ltat comme corollaire
des droits linguistiques
B. Lobligation positive dcoulant de lobligation

fiduciaire

C. Lobligation positive issue de lordre juridique

international

Conclusion

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603

LES DROITS LINGUISTIQUES AUTOCHTONES 575

Introduction
Le prsent article a pour objet de dmontrer que, si larticle 35 de la

Loi constitutionnelle de 19821 confre des droits linguistiques aux peuples
autochtones du Canada, la Couronne a une obligation positive de protger
les langues autochtones. Cette tude reprend ainsi lintuition dauteurs
comme Fontaine2 ou Leitch3 qui sentendent pour dire que les principes
labors par la Cour suprme du Canada en matire de droits relatifs aux
langues officielles, garantis larticle 23 de la Charte canadienne des
droits et liberts4 (Charte), devraient avoir une certaine application en ma-
tire de droits linguistiques autochtones qui, eux, seraient protgs par
larticle 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Il sagit de la premire analyse en profondeur de cette intuition. Fon-
taine propose une obligation positive qui serait fonde sur une obligation
morale de pallier les effets dvastateurs quont eu les pensionnats sur les
cultures et les langues autochtones. Nous irons plus loin en proposant que
lobligation positive de ltat est une obligation proprement juridique : elle
dcoule dune interprtation de larticle 35 de la Loi constitutionnelle de
1982 la lumire des principes adopts par la Cour suprme dans sa ju-
risprudence portant sur les droits relatifs aux langues officielles.
Leitch, pour sa part, propose lexistence dun droit autochtone
lducation en langue autochtone. Bien que nous soyons daccord avec
cette thse dans son ensemble, notre approche sera plus nuance. Nous
proposons lexistence dun droit la vitalit linguistique, cest–dire un
droit ce quune langue soit prserve, employe et transmise de gnra-
tion en gnration. Lducation en langue autochtone est bien entendu
une composante fondamentale dans la ralisation de ce droit. Cependant,
le droit lducation, mme sil existe, nest pas ncessairement applicable
bon nombre de communauts linguistiques autochtones.

Par exemple, un droit lducation serait dapplication difficile dans la
communaut taguiche qui, aujourdhui, compte moins dune dizaine de lo-

1 Constituant lannexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.
2 Lorena Sekwan Fontaine, Re-conceptualizing and Re-imagining Canada : Opening
Doors for Aboriginal Language Rights dans Andr Bran, Pierre Foucher et Yves Le
Bouthillier, dir, Languages, Constitutionalism and Minorities / Langues, constitution-
nalisme et minorits, Toronto, LexisNexis Butterworths, 2006, 309.

3 David Leitch, Canadas Native Languages: The Right of First Nations to Educate

their Children in their Own Languages (2006) 15 : 3 Const Forum Const 107.

4 Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant lannexe B de la Loi de 1982 sur

le Canada (R-U), 1982, c 11 [Charte].

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cuteurs5. Lapplication du droit lducation suppose lexistence dune
communaut de locuteurs qui sont en mesure de fonder et dentretenir des
coles ou autres institutions pdagogiques. Dans le cas du taguiche,
lapplication la vitalit linguistique passerait dabord par des efforts de
revitalisation linguistique. Selon la thse que nous proposons, ltat au-
rait une obligation de financer de tels efforts. Ainsi, lobligation dassurer
la vitalit linguistique pourrait se manifester diffremment dune com-
munaut lautre selon les besoins linguistiques de chacune delles. Nous
tablirons dabord que les langues autochtones bnficient dune protec-
tion constitutionnelle pour ensuite cerner la nature et la porte de cette
protection. Les auteurs qui ont rflchi la question saccordent pour dire
que la Couronne a une obligation positive lendroit des langues autoch-
tones et de leurs locuteurs. Ce consensus se fonde largement sur des ar-
guments dordre moral ou politique, plutt que sur des considrations de
nature juridique. En particulier, daucuns ont not que les politiques as-
similationnistes de ltat canadien ont largement contribu lagonie des
langues autochtones. En effet, la politique des pensionnats a contribu
sans aucun doute lextinction acclre des langues autochtones. Nous
laisserons aux auteurs autochtones le soin de raconter cette histoire,
dramatique et rebutante6.

Pour nos fins, il est important de noter que, des 61 langues autoch-
tones parles au Canada, seules trois ont une chance de survie, soit le cri,
lojibway et linuktitut7. Mme si cet argument est susceptible dinfluer le
lgislateur, il en serait autrement en ce qui concerne les tribunaux. Bien
que la Couronne soit en grande partie responsable du dclin des langues
autochtones, il ne sensuit pas ncessairement quil existe une obligation
juridique de rparer les dgts, encore moins une obligation constitution-
nelle. Cet article sattardera jeter les bases dune justification juridique

5 Patrick Moore et Kate Hennessy, New Technologies and Contested Ideologies: The
Tagish First Voices Project (2006) 30 : 1-2 The American Indian Quarterly 119; voir
aussi Yukon Native Language Centre, Tagish, en ligne : .

6 Voir Fontaine, supra note 2; voir aussi Canada, The Royal Commission on Aboriginal
Peoples, Report of the Royal Commission on Aboriginal Peoples, vol 1, Ottawa, Canada
Communications Group, 1996, partie II, ch 10.

7 Voir Canada, Groupe de travail sur les langues et les cultures autochtones, Le dbut
dun temps nouveau : Premier rapport en vue dune stratgie de revitalisation des
langues et cultures des Premires nations, des Inuits et des Mtis, Ottawa, 2005 aux pp
33-36 [Rapport du groupe de travail sur les langues autochtones]; Canada, Statistique
Canada, Les langues autochtones au Canada, Ottawa, 2011, en ligne : [Recensement]; Linda Tschanz, Native Language and Government Policy: An His-
torical Examination, London (Ont), Centre for Research and Teaching of Canadian Na-
tive Languages, University of Western Ontario, 1980 aux pp 2, 7, 14.

LES DROITS LINGUISTIQUES AUTOCHTONES 577

de lobligation positive qui incombe ltat de protger la vitalit relle
des langues autochtones. Selon nous, et comme le proposent aussi Fon-
taine et Leitch, lobligation positive de la Couronne lendroit des langues
autochtones prend sa source dabord dans larticle 35 de la Loi constitu-
tionnelle de 1982, mais aussi dans la jurisprudence de la Cour suprme du
Canada qui porte sur les droits des communauts de langue officielle ga-
rantis par la Charte larticle 23. Bien entendu, il existe des diffrences
fondamentales entre larticle 23 et larticle 35 de la Loi constitutionnelle
de 1982. Dabord, larticle 23 ne confre de droits quaux communauts de
langue officielle. Ensuite, larticle 23 fait partie intgrante de la Charte
alors que larticle 35 lui est extrinsque, limitant ainsi les rparations
rendues par le paragraphe 24(1) qui ne sapplique quaux articles de la
Charte. Cependant, nous sommes davis que certains principes tablis
dans la jurisprudence qui interprte larticle 23 sont pertinents
linterprtation de larticle 35.
Ceci ne veut pas dire cependant que les langues autochtones se voient
accorder le statut de langues officielles de facto. Nous prtendons que
lobligation positive de la Couronne dcoule de la nature des droits linguis-
tiques eux-mmes : dans plusieurs arrts concernant les langues offi-
cielles, la Cour suprme du Canada nonce le principe suivant lequel la
protection constitutionnelle dune langue na aucun sens si la Couronne ne
prend pas de mesures proactives pour la protger8. Une protection de
principe nempchera jamais une langue de mourir dans les faits9. Il faut
donc changer la situation linguistique vcue, soit lcologie langa-
gire 10, ce qui implique une intervention tatique.
Afin de replacer notre argumentation dans son contexte, nous com-
mencerons par accomplir une synthse de la doctrine portant sur les
droits linguistiques des peuples autochtones reconnus par larticle 35.
Nous dfinirons ensuite la porte de lobligation positive qui incombe

8 Voir entre autres Mah c Alberta, [1990] 1 RCS 342, 68 DLR (4e) 69 [Mah]; R c
Beaulac, [1999] 1 RCS 768, 173 DLR (4e) 193 [Beaulac]; Arsenault-Cameron c le-
du-Prince-douard, 2000 CSC 1, [2000] 1 RCS 3 [Arsenault-Cameron]; Doucet-
Boudreau c Nouvelle-cosse (Ministre de lducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 RCS 3;
Lalonde c Ontario (Commission de restructuration des services de sant), 56 RJO
(3e) 577, 208 DLR (4e) 577 [Montfort]; Desrochers c Canada (Industrie), 2009 CSC 8,
[2009] 1 RCS 194. Pour un rsum complet de la jurisprudence jusqu cette date, voir
aussi Commissaire aux langues officielles, Rapport sur les droits linguistiques 2001-
2002, Ottawa, Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux Canada,
2003.

9 Voir William F Mackey, La modification par la loi du comportement langagier dans
Paul Pupier et Jose Woehrling, dir, Language and the Law: Proceedings of the First
Conference of the International Institute of Comparative Linguistic Law, Montreal, Wil-
son & Lafleur, 1989, 45.

10 Ibid.

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ltat de protger les langues autochtones la lumire de la jurisprudence
de la Cour suprme du Canada en matire de droits linguistiques et des
normes internationales.

I. Les droits linguistiques autochtones en tant que droits ancestraux
Contrairement aux articles 16 23 de la Charte, qui garantissent des
droits linguistiques aux communauts de langue officielle, le para-
graphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 ne fait pas mention expli-
cite de droits linguistiques autochtones :

35. (1) Les droits existants ancestraux
ou issus de traits des peuples autoch-
tones du Canada sont reconnus et con-
firms.

35. (1) The existing aboriginal and treaty
rights of the aboriginal peoples of Canada
are hereby recognized and affirmed.

Seuls les droits ancestraux et issus de traits des peuples au-

tochtones sont protgs en vertu du paragraphe 35(1). Nous nous penche-
rons plus particulirement sur les droits ancestraux, savoir si leur por-
te peut inclure des droits linguistiques. Dans laffirmative, nous appro-
fondirons plus avant la nature exacte de ces droits. Nous nous limiterons
lexamen de la vitalit linguistique comme droit ancestral en passant
outre lanalyse des divers traits qui devrait faire le sujet dune tude
ultrieure. Il sagit l dune omission intentionnelle : notre tude est dune
porte plus large alors que ltude des traits ncessite un examen plus
dtaill et approfondi du cadre juridique dans lequel voluent des com-
munauts prcises.
Bien que la Cour suprme du Canada se soit penche plusieurs re-
prises sur la dfinition des termes droits ancestraux contenus
larticle 3511, la question de savoir sils incluent des droits linguistiques na
toujours pas t confirme par la Cour. Ceci dit, notre avis, il est pos-
sible dinfrer de la jurisprudence de la Cour suprme du Canada que les
droits ancestraux incluent effectivement des droits linguistiques, bien
quil soit difficile de dfinir, sur ce seul fondement, la porte et la nature
prcise de ces droits.
Dans larrt Van der Peet, la Cour suprme du Canada nonce trs
clairement quels sont les critres dfinitoires dun droit ancestral. Pour
rsumer trs brivement, afin de constituer un droit ancestral, une activi-

11 Voir R c Van der Peet, [1996] 2 RCS 507, 137 DLR (4e) 289 [Van der Peet]; R c Sappier,

2006 CSC 54, [2006] 2 RCS 686; R c Gladstone, [1996] 2 RCS 723, 137 DLR (4e) 648.

LES DROITS LINGUISTIQUES AUTOCHTONES 579

t doit correspondre une pratique, coutume ou tradition faisant partie
intgrante de la culture distinctive 12 du peuple autochtone concern.
Ainsi, il ressort clairement de larrt Van der Peet que les droits ances-
traux comprennent des droits lis la protection de pratiques culturelles
et quils ne se limitent pas des revendications foncires13. Or, comme le
souligne le Rapport de la Commission royale sur le bilinguisme et le bicul-
turalisme, la protection de la culture passe irrmdiablement par la
langue : la langue est en outre la clef du progrs culturel. Certes langue
et culture ne sont pas synonymes, mais le dynamisme de la premire est
indispensable la prservation de la seconde 14. Il apparat ds lors rai-
sonnable de dire que le concept de pratique culturelle , autochtone ou
non, comprend lusage dune langue15. Les rapports troits entre la culture
et la langue ont dailleurs t reconnus par la Cour suprme du Canada
dans larrt Mah16. Bien que cet arrt ait t rendu dans le contexte des
communauts de langue officielle, il ny a pas lieu, notre avis, de faire
exception ce principe en ce qui concerne les peuples autochtones :
[I]l est de fait que toute garantie gnrale de droits linguistiques,
surtout dans le domaine de lducation, est indissociable dune proc-
cupation lgard de la culture vhicule par la langue en question.
Une langue est plus quun simple moyen de communication; elle fait
partie intgrante de lidentit et de la culture du peuple qui la
parle.17

12 Van der Peet, supra note 11 la p 549.
13 Cette dfinition des droits ancestraux est dailleurs confirme et applique par la Cour
suprme du Canada dans larrt R c Ct, [1996] 3 RCS 139 la p 166, 138 DLR (4e)
385, o il est dit, par ailleurs, quun droit ancestral sur une pratique peut tre indpen-
dant dun titre aborigne sur un territoire. Autrement dit, une pratique culturelle peut
tre protge quelle soit pratique ou non sur un territoire sur lequel existe un titre
aborigne.

14 Canada, Commission royale denqute sur le bilinguisme et le biculturalisme, Rapport
de la Commission royale denqute sur le bilinguisme et le biculturalisme, t 2(8), Ottawa,
Imprimeur de la Reine, 1967 la p 8.

15 ce propos, voir notamment Jeffrey Richstone, La protection juridique des langues
autochtones au Canada dans Paul Pupier et Jose Woehrling, dir, Language and the
Law: Proceedings of the First Conference of the International Institute of Comparative
Linguistic Law, Montreal, Wilson & Lafleur, 1989, 259 aux pp 266-67: Certains arrts
rcents de la CSC ont dailleurs reconnu le rle important que jouent les droits linguis-
tiques en tant que catgorie privilgi des droits de la personne (voir par ex R c Mer-
cure, [1988] 1 RCS 234, 48 DLR (4e) 1). Il serait illogique de reconnatre les droits cou-
tumiers autochtones mais de ne pas protger en mme temps la langue dans laquelle
ces droits sont articuls et vhiculs . Voir aussi Sbastien Grammond, Amnager la
coexistence : les peuples autochtones et le droit canadien, Bruxelles, Bruylant, 2003 aux
pp 196, 202.
16 Supra note 8.
17 Ibid la p 362.

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La Cour suprme du Canada ritre dans ce passage un principe dj
nonc dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba18, dans
lequel il est dit que

[l]importance des droits en matire linguistique est fonde sur le
rle essentiel que joue la langue dans lexistence, le dveloppement
et la dignit de ltre humain. Cest par le langage que nous pouvons
former des concepts, structurer et ordonner le monde autour de
nous. Le langage constitue le pont entre lisolement et la collectivit,
qui permet aux tres humains de dlimiter les droits et obligations
quils ont les uns envers les autres, et ainsi, de vivre en socit.19

Il devient ds lors possible de formuler un syllogisme. Dune part, se-
lon Van der Peet, les pratiques culturelles autochtones sont protges;
dautre part, tel que le reconnat larrt Mah, langue et culture sont inex-
tricablement lies. En consquence, les langues autochtones sont prot-
ges au mme titre que les pratiques culturelles. Il nous faut toutefois ap-
porter deux nuances importantes cette affirmation.
Dabord, larticulation dun syllogisme ne suffira sans doute pas con-
vaincre un tribunal de lexistence dun droit ancestral la vitalit linguis-
tique. La preuve du droit ancestral devra tre faite au moyen dlments
de preuve concrets. La nature de ceux-ci variera selon les cas et aura un
impact sur la dfinition prcise du droit linguistique reconnu. tant don-
n ce caractre variable, nous naborderons pas la question de la preuve
ancestrale, notre tude tant principalement centre sur des questions de
droit. Aux fins de cette tude, nous prsumerons que la preuve concrte de
ce droit ancestral aura t faite avec succs. Il convient simplement de no-
ter que cette question demeure dune importance fondamentale.
Ensuite, le lien que trace Mah entre langue et culture est synchro-
nique et vivant. Or, dans Van der Peet, une pratique culturelle relevant
dun droit ancestral ne sera protge que si elle existait lpoque prco-
loniale, soit avant le contact avec les Europens. Survient donc le danger
que seules les pratiques culturelles archaques et figes dans un pass
lointain soient protges. Cette exigence est difficilement conciliable avec
la ralit linguistique : les langues, autochtones ou non, sont des phno-
mnes sociaux dont le renouveau perptuel est un signe de vitalit. Prot-
ger une langue revient lui insuffler cette vitalit en finanant et en
promouvant les institutions qui permettent la transmission et le dvelop-
pement de celle-ci20.

18 [1985] 1 RCS 721 la p 744, 19 DLR (4e) 1 [Renvoi Manitoba].
19 Ibid la p 744.
20 Donna Patrick, Language rights in Indigenous communities: The case of the Inuit of

Arctic Qubec (2005) 9 : 3 Journal of Sociolinguistics 369 aux pp 373-77.

LES DROITS LINGUISTIQUES AUTOCHTONES 581

linguistiques autochtones22. Ainsi,

Enfin, il convient de noter que linclusion de droits linguistiques parmi
les droits ancestraux autochtones est reconnue par la Cour suprme des
tats-Unis, dont les dcisions en la matire ont fortement influenc la d-
finition des droits ancestraux au Canada21. Cette approche est dailleurs
conforme celle adopte par la Finlande, la Nouvelle-Zlande, la Colom-
bie et le Nicaragua, qui, comme le Canada, doivent composer avec des mi-
norits
il est raisonnable que
larticle 35 protge les langues autochtones titre de pratiques culturelles
faisant partie intgrante de leur culture distinctive.
Cependant, le fait quelles soient protges ne donne pas ncessaire-
ment lieu une obligation positive de la Couronne de prendre des me-
sures pour assurer le dveloppement de ces langues ou mme pour garan-
tir leur vitalit en crant des institutions semblables celles qui jouent ce
rle pour les langues officielles. Quoi quil en soit, nous argumenterons
dans la prochaine section que si une obligation positive existe, cest sur
larticle 35 quelle pourra tre fonde. Mme sils font miroiter la possibili-
t dune obligation positive en matire de droits linguistiques autochtones,
nous partageons lavis de Richstone quune telle obligation positive ne
peut sancrer dans larticle 15, ni, linstar de McGilp et Dassios, dans
larticle 2723.
En ce qui concerne larticle 15, outre le fait que la langue nest pas tou-
jours un motif reconnu de discrimination24, la Couronne ne pourrait tre
force dagir que dans le cas dune contravention larticle 15, cest–dire
en prsence dune action discriminatoire lgard des locuteurs dune
langue autochtone25. Ainsi, lobligation positive de corriger les effets de la

21 Fernand de Varennes, Larticle 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et la protection

des droits linguistiques des peuples autochtones (1994) 4 : 3 RNDC 265 la p 285.

22 Ibid aux pp 281-82.
23 Voir Richstone, supra note 15 aux pp 261-63; Ian McGilp et Christopher Dassios Po-
tential Constitutional Claims by Linguistic Groups Other than French and English
dans David Schneiderman, dir, Langue et tat : Droit, politique et identit, Cowansville
(Qc), Yvon Blais, 1991, 343 la p 362.

24 notre connaissance, la langue na pas t proscrite comme motif analogue aux motifs
de discrimination numrs larticle 15. Dans Mah, supra note 8 la p 369, le juge
Dickson a jug non-pertinente toute analyse de larticle 15 dans le contexte dune r-
clamation en vertu de larticle 23. Voir aussi Renvoi relatif la Loi sur les coles pu-
bliques (Man), [1993] 1 RCS 839 la p 857, 100 DLR (4e) 723 [Renvoi coles publiques].
Voir toutefois McDonnell c Fdration des Franco-Colombiens, [1986] 31 DLR (4e) 296
la p 302, 69 BCLR (2e) 390 (CA) o la Cour dappel admet la possibilit que la langue
soit un motif analogue de discrimination. Voir aussi R c Rodrigue, [1994] 91 CCC (3e)
455, 24 WCB (2e) 18 pour une discussion gnrale de cette jurisprudence.

25 Selon le juge McIntyre,

la discrimination peut se dcrire comme une distinction, intentionnelle ou
non, mais fonde sur des motifs relatifs des caractristiques personnelles

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discrimination en question ne pourrait tre quen rapport une action
tatique prcise. Ceci, notre sens, ne fait pas natre un droit linguistique
analogue aux droits linguistiques dont profitent les communauts de
langue officielle, cest–dire le droit collectif dtre assur de sa scurit
linguistique26.
Selon la thse de Tarnopolsky, une rclamation fonde sur larticle 27,

conjugue avec larticle 15, pourrait fonder lordonnance dun tribunal en-
joignant la Couronne financer des programmes de soutien une culture
minoritaire. Une telle ordonnance serait justifie selon cet auteur sil y
existait une ingalit de financement entre deux groupes culturels27. Sans
vouloir critiquer cette thse de faon dtaille, nous nous limiterons dire
quelle serait dapplication limite dans le contexte linguistique. Les pro-
grammes assurant la protection des communauts de langue officielle
sont trs bien financs par le gouvernement canadien, surtout relative-
ment aux programmes de soutien aux langues autochtones. Selon nous, il
serait malgr tout difficile de prtendre que ce sous-financement constitue
de la discrimination au sens de larticle 15, discrimination qui, en plus,
irait lencontre du principe de multiculturalisme enchss larticle 27
o il est tabli que toute interprtation de la Charte doit concorder avec
lobjectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine mul-
ticulturel du Canada. Le constituant, en promulguant les articles 16 23,
a cr un tat bilingue, cest–dire que deux langues ont t dclares of-
ficielles lexclusion de toute autre langue. Il sagit dj l dune discrimi-
nation, au sens trs large, qui sinscrit au cur de lidentit canadienne
telle que la conoit le constituant. Il sensuit pour le meilleur ou pour le
pire que les langues officielles seront privilgies par rapport aux
autres langues. Ainsi, allguer lexistence dune discrimination dans un
tel contexte linguistique reviendrait allguer que la Charte est elle-

dun individu ou dun groupe dindividus, qui a pour effet dimposer cet in-
dividu ou ce groupe des fardeaux, des obligations ou des dsavantages non
imposs dautres ou dempcher ou de restreindre laccs aux possibilits,
aux bnfices et aux avantages offerts dautres membres de la socit. Les
distinctions fondes sur des caractristiques personnelles attribues un
seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque tou-
jours taxes de discriminatoires, alors que celles fondes sur les mrites et
capacits dun individu le sont rarement.

Andrews c Law Society of British Columbia, [1989] 1 RCS 143 aux pp 174-75, 34 BCLR
(2e) 273.

26 Voir Michel Bastarache, Introduction dans Michel Bastarache, dir, Language Rights
in Canada, Cowansville (Qc), 2e d, Yvon Blais, 2004, 1 aux pp 5-7 pour une description
des droits linguistiques au Canada.

27 Walter S Tarnopolsky, The Equality Rights dans Walter Tarnopolsky et Grard-A
Beaudoin, dir, The Canadian Charter of Rights and Freedoms: Commentary, Toronto,
Carswell, 1982, 395 aux pp 441-42.

LES DROITS LINGUISTIQUES AUTOCHTONES 583

mme discriminatoire, ce que ne peuvent admettre les principes
dinterprtation.
Ceci nempche pas pour autant les peuples autochtones de rclamer
un financement accru de ces programmes de soutien linguistique en se
fondant sur larticle 3528. Une telle rclamation ne revient toutefois pas
revendiquer lgalit avec les langues officielles. Cest ici que rside la dif-
frence entre le traitement juridique des langues autochtones et des
langues immigrantes, ces dernires ne profitant daucune protection cons-
titutionnelle, si ce nest des garanties incertaines de larticle 27.

II. La nature des droits linguistiques autochtones

Si larticle 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 garantit des droits
linguistiques aux peuples autochtones, quelle est la nature de cette pro-
tection? Sur ce point, ni la jurisprudence ni la doctrine noffrent de r-
ponses dfinitives. Les lments de rponse quoffre la doctrine sont som-
maires. De plus, les auteurs qui saventurent sur ce terrain ont aussi des
opinions variables quant louverture potentielle des tribunaux.
Richstone, mme sil reconnat que des droits linguistiques autoch-
tones pourraient tre protgs par larticle 35, se montre sceptique quant
la porte des obligations qui en dcouleraient pour le gouvernement :

Les tribunaux admettraient sans doute volontiers que la constitu-
tionnalisation des droits linguistiques autochtones a pour effet de
protger les langues autochtones contre toute action gouvernemen-
tale qui tenterait den prohiber lusage. Constituerait ainsi un acte
enfreignant larticle 35 le dni du droit de chaque peuple autochtone
dutiliser sa langue lintrieur de ses institutions reprsentatives.
Cependant, et ceci rejoint nos conclusions relativement ltendue
de larticle 27 de la Charte, il est difficile de voir dans larticle 35 un
droit-crance permettant aux peuples autochtones de rclamer
des subventions publiques pour lapprentissage et le dveloppement
de leurs langues.29

Richstone nest prt reconnatre quune obligation ngative en vertu
de larticle 35, bien quil reconnaisse quune obligation positive pourrait
natre des obligations qui incombent au Canada en vertu du droit interna-
tional. Les conventions internationales auxquelles rfre Richstone, soit

28 Voir larticle 22 de la Charte, supra note 4 selon lequel les articles 16 20 nont pas
pour effet de porter atteinte aux droits et privilges […] des langues autres que le fran-
ais ou langlais . Voir aussi Brian Slattery, Aboriginal Language Rights dans
Schneiderman, supra note 23 la p 369 [Slattery, Aboriginal Language Rights ], qui
fait la mme observation en rapport aux droits linguistiques autochtones.

29 Richstone, supra note 15 la p 268.

584 (2013) 58:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

la Dclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones30
(Dclaration) et la Convention (n 107) relative aux populations aborignes
et tribales31 de lOrganisation internationale du travail, taient en cours
de rvision au moment o il crivait32. Nous allons voir que ces conven-
tions internationales nouvrent pas la porte une obligation positive, mais
que dautres instruments de droit international appuient effectivement la
thse de Richstone33.
En revanche, dautres auteurs, qui sappuient par analogie sur le r-
gime amricain des droits ancestraux, sont davis quil existe une obliga-
tion positive la charge de ltat de protger les langues autochtones :

This [American] analysis may be relevant to the protection of linguis-
tic rights of cultures other than French and English in Canada. As
indicated, the Supreme Court of Canada has held that freedom of ex-
pression includes the right to use the language of ones choice, and
has stated that language is not merely a means of interpersonal
communication [or] carrier of content Language is content [Ford].
Thus, governmental programs which fund one language group, but
not another, in the schools or for public advocacy purposes, constitute
a direct interference with the content of individual thought, belief
and expression. As such, Canadian governments should not be per-
mitted to prefer particular language groups in expending public
funds because to do so is akin to a government preference for par-
ticular ideas or beliefs. Government must be neutral with respect to
ideology, and, in our opinion, also with respect to culture and lan-
guage.34

Il faut souligner que laffirmation de McGilp et Dassios sapplique aus-
si bien aux langues parles par les communauts immigrantes quaux
langues autochtones. Ces auteurs proposent donc que la Couronne as-
sume une obligation positive lgard de lensemble de ces langues. Ce-
pendant, comme nous lavons expliqu plus haut, si les langues autoch-
tones nont pas de statut officiel, larticle 35 leur confre tout de mme un
statut de langues protges, ce qui les distingue des langues immigrantes.
Larticle 35, interprt la lumire de la jurisprudence portant sur les

30 Rs AG 61/295, Doc off AG NU, 61e sess, supp n 53, Doc NU A/61/53 (2007). Le Canada
a vot contre cette dclaration au moment de son adoption mais y donne officiellement
son appui depuis novembre 2010.

31 Genve, 40e session CIT, 2 juin 1959, en ligne : Organisation Internationale du Travail

.

32 Richstone, supra note 15 la p 268
33 Voir la section Lobligation positive issue de lordre juridique international ci-

dessous.

34 McGilp et Dassios, supra note 23 la p 358.

LES DROITS LINGUISTIQUES AUTOCHTONES 585

droits linguistiques, ouvre la porte une obligation positive gnrale,
cest–dire, dont lexistence nest pas tributaire de chaque cas despce.
loppos, Slattery propose quun statut de langue officielle de facto
soit reconnu aux langues autochtones en vertu de la protection dont elles
bnficient larticle 3535. Dans les sections qui suivent, nous offrirons
une position plus nuance, savoir que les droits linguistiques autoch-
tones, sils jouissent dun statut constitutionnel singulier, se distinguent
nanmoins des droits confrs aux communauts de langue officielle. Plus
prcisment, notre avis, ltat assume une obligation positive lendroit
des langues autochtones, ce qui les diffrencie des langues immigrantes.
Cette obligation positive possde toutefois un contenu sensiblement diff-
rent de lobligation positive de ltat lgard des communauts de langue
officielle.

Le contenu de lobligation de ltat lendroit des langues autochtones
est dfini par les besoins et les intrts des peuples autochtones, alors que
celle qui se rattache aux communauts de langue officielle est dfinie par
la Constitution ou la lgislation. Reconnatre aux langues autochtones le
statut de langues officielles de facto reviendrait leur confrer des droits
analogues ceux que possdent les communauts de langue officielle en
vertu de la Constitution, par exemple, le droit des administrs de commu-
niquer avec les autorits fdrales en langue autochtone. Selon nous,
lobligation de la Couronne envers les langues autochtones se limiterait
favoriser leur survie.
Cest dailleurs lapproche recommande par le Rapport du groupe de
travail sur les langues autochtones, dont les tudes dmontrent que le sta-
tut de langue officielle na pas ncessairement dimpact sur la vitalit
dune langue. Les auteurs de ce rapport favorisent une approche commu-
nautaire, en vertu de laquelle le gouvernement fdral garantirait aux
peuples autochtones les moyens de prendre en main la vitalit de leurs
langues36. Les besoins de chaque communaut tant diffrents, les moda-
lits de ces programmes de prise en main varieraient dune communaut
lautre.

Les origines distinctes des droits linguistiques autochtones et des
droits relatifs aux langues officielles font ressortir une autre diffrence
importante. Les droits linguistiques autochtones sont des droits implicites
aux droits ancestraux garantis, alors que les droits relatifs aux langues of-
ficielles sont des droits constitutionnels exprs. La Couronne a donc une
obligation positive en matire linguistique envers tous les peuples autoch-

35 Slattery, Aboriginal Language Rights , supra note 28 la p 372.
36 Rapport du groupe de travail sur les langues autochtones, supra note 7 la p v.

586 (2013) 58:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

tones dans la mesure o chacun de ceux-ci, au moment de leur contact
avec la Couronne, parlait une langue autochtone. La situation est tout
autre aujourdhui, la majorit des langues autochtones tant en voie
dextinction, lorsquelles ne sont pas dj teintes. Lobligation positive de
la Couronne stendrait donc aussi aux peuples autochtones dont la
langue est aujourdhui teinte. Par consquent, cette obligation positive
aurait pour contenu de fournir aux communauts autochtones les moyens
de revitaliser leurs langues dans la mesure du possible.

A. Lobligation positive de ltat comme corollaire des droits linguistiques

Nous proposons dans cette section que lobligation positive due aux
peuples autochtones en matire de langues dcoule de la nature mme
des droits linguistiques. Ainsi, lobligation positive de ltat en matire de
droits linguistiques na pas de lien ncessaire avec le pouvoir des tribu-
naux dordonner ltat de lgifrer dans un but rparateur, comme le
permet le paragraphe 24(1) de la Charte. Mme si larticle 35 est extrin-
sque la Charte, lobligation positive de ltat en matire de droits lin-
guistiques autochtones dcoule de la nature du droit linguistique lui-
mme, ce qui est dailleurs reconnu par les divers instruments de droit in-
ternational en matire de protection des droits linguistiques que nous
aborderons la fin de cette tude. Afin dtayer notre position, nous nous
appuierons dabord sur la thse de Green, selon laquelle les droits linguis-
tiques, en raison de leur caractre singulier, supposent une obligation po-
sitive de ltat. Nous rfrons ensuite, par analogie, aux obligations posi-
tives qui incombent ltat en matire de langues officielles.
Comme le fait remarquer Bastarache, lvolution rcente des droits
linguistiques a fait de ceux-ci des droits fondamentaux37. Bastarache r-
fre titre dexemple la Dclaration sur les droits des personnes appar-
tenant des minorits nationales ou ethniques, religieuses et linguis-
tiques38, qui comporte des dispositions en ce sens, ou encore les arrts de
la Cour suprme du Canada Renvoi relatif aux droits linguistiques au
Manitoba39 et R. c. Mercure40. Lexistence dun droit fondamental
nentrane pas ncessairement une obligation positive la charge de
ltat. Nous songerons par exemple la libert dexpression : un droit

37 Supra note 26 aux pp 9-10.
38 Rs AG 47/135, Doc off AG NU, 47e sess, supp no 49, Doc NU A/47/49 (1993).
39 Supra note 18.
40 Supra note 15.

LES DROITS LINGUISTIQUES AUTOCHTONES 587

fondamental selon la Cour suprme du Canada41, qui nentrane toutefois
pas dobligation positive de la part de ltat42.
Quoi quil en soit, Green considre les droits linguistiques comme
tant des droits fondamentaux spciaux dans la mesure o ils sont collec-
tifs43. Selon cet auteur, le caractre fondamental des droits linguistiques
provient de ce quils assurent la scurit linguistique du particulier la
scurit de pouvoir employer sa langue qui ne peut tre assure sur le
plan individuel sans assurer la scurit linguistique collective du groupe44.
Ainsi, le caractre fondamental des droits linguistiques ne se rattache pas
au rle essentiel que joue la langue dans lexistence, le dveloppement et
la dignit de ltre humain 45; ce rle essentiel ne justifierait que le droit
de parler une langue quelconque, non pas celui de parler une langue sp-
cifique46.

Le caractre fondamental des droits linguistiques nest pas non plus
issu du fait que la perte dune langue est une catastrophe culturelle et
scientifique comme semble le proposer Fontaine par exemple47. Selon
Green, ce dernier argument justifierait limportance des droits linguis-
tiques, mais non pas une obligation positive de ltat de protger une
langue en voie de disparition. son avis, cette considration fait nan-
moins des langues, dans leur dimension collective, des objets plus impor-
tants que leurs locuteurs dans la mesure o les langues feraient lobjet
dune protection tatique alors que les droits individuels de leurs locu-
teurs ne bnficient pas ncessairement dune protection active de la part
de ltat48. En revanche, le concept de scurit linguistique justifie non
seulement le caractre fondamental des droits linguistiques, mais aussi
lobligation positive de ltat de la garantir. La scurit linguistique ne
peut exister sans investissements de la part de ltat49.

Si on se fie la thse de Green, il nexiste aucune raison a priori de
privilgier une langue plus quune autre. Si les droits linguistiques sont
fondamentaux, ils le sont pour tous, auquel cas ltat aurait une obliga-

41 R c Keegstra (1990), [1991] 3 RCS 697, 2 WWR 1.
42 Baier c Alberta, 2006 CSC 38, [2007] 2 RCS 673.
43 Leslie Green, Are Language Rights Fundamental? (1987) 25 : 4 Osgoode Hall LJ 639

la p 661.

44 Ibid aux pp 658-60.
45 Renvoi Manitoba, supra note 18 la p 744.
46 Green, supra note 43 la p 651.
47 Supra note 2. Voir aussi Claude Hagge, Halte la mort des langues, Paris, Odile Ja-

cob, 2000.

48 Green, supra note 43 la p 656.
49 Ibid la p 663.

588 (2013) 58:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

tion positive envers toutes les communauts linguistiques50, incluant les
langues autochtones. Pour Green donc, le rgime de langues officielles qui
existe au Canada est justifi entre autres par la realpolitik : le franais
et langlais sont langues officielles parce que les communauts linguis-
tiques correspondantes dtiennent le pouvoir dmographique de faire
clater la fdration canadienne51. Greene soutient galement que la taille
des communauts de langues officielles justifie leur statut dans la mesure
o chacune delles constituent une masse critique assurant une vitalit
linguistique long terme52.
Ainsi, la thse de Green justifie lexistence de droits linguistiques au-
tochtones dans la mesure o les peuples autochtones sont des communau-
ts linguistiques, qui, comme toute communaut linguistique, devrait
avoir droit une scurit linguistique.

Toutefois, on ne pourra justifier sur cette base que les langues autoch-
tones soient mieux protges que les langues immigrantes. Nous ne pour-
rons pas non plus justifier que soient protgs les droits linguistiques des
peuples autochtones dont la langue a disparu.

La protection constitutionnelle des langues autochtones nest donc pas
justifie par un argument moral de la tenure de celui de Green, mais par
un argument historique : la Couronne entretient un rapport spcial de na-
ture fiduciaire avec les peuples autochtones, dont elle protge les droits
ancestraux53, y compris les droits linguistiques. Selon Green, ce genre de
favoritisme linguistique nest justifi dans une socit dmocratique que
sil ne cause pas de tort aux communauts linguistiques qui nont pas de
droits linguistiques garantis. Sans accomplir une tude approfondie, il est
possible de spculer quune protection accrue des langues autochtones ne
ferait pas de tort direct aux communauts linguistiques immigrantes. En
revanche, le bilinguisme officiel canadien aurait caus des torts aux
langues autochtones, auquel cas leur protection, du moins dun point de
vue politique, est dautant plus pressante54.

50 Ibid aux pp 662-63.
51 Comme le fait remarquer Green, ibid la p 664, ctait dailleurs la justification que
donnait Pierre Elliot Trudeau. Voir notamment P E Trudeau, Federalism and the
French Canadians, Toronto, Macmillan, 1968.

52 Green, supra note 43 la p 664.
53 Voir R c Sparrow, [1990] 1 RCS 1075 la p 1108, 70 DLR (4e) 385 [Sparrow].
54 Voir Mark Fettes, Life on the Edge: Canadas Aboriginal Languages Under Official Bi-
lingualism dans Thomas Ricento et Barbara Burnaby, dir, Language and Politics in
the United States and in Canada : Myths and Realities, Mahwah (NJ), Lawrence Erl-
baum Associates, 1995, 117. Ces dommages auraient men les Territoires du Nord-
Ouest et le Nunavut adopter un rgime de multilinguisme officiel.

LES DROITS LINGUISTIQUES AUTOCHTONES 589

Si la Cour suprme du Canada na pas adopt, notre connaissance, la
thse de Green de faon explicite, sa jurisprudence rcente en matire de
droits linguistiques nonce trs clairement que les droits relatifs aux
langues officielles entranent une obligation positive de ltat de faire en
sorte quils puissent tre exercs. La Cour suprme du Canada justifie
cette approche en se basant sur des principes gnraux de droit linguis-
tique ainsi que des principes gnraux dinterprtation constitutionnelle.
Or, ces principes sappliquent aux droits linguistiques autochtones.

La Couronne a une obligation positive dagir pour favoriser le main-
tien et lpanouissement des langues officielles. Dans un domaine tel que
lducation, lexistence dune obligation positive est vidente, car elle est
prvue explicitement dans la Constitution55. Il en va de mme pour
lobligation de lgifrer dans les deux langues officielles, du moins, dans
certains ressorts56, ainsi que pour lobligation de fournir des services dans
les deux langues57. En plus de la Constitution, certaines provinces se sont
impos des obligations dagir par la voie lgislative. Mentionnons cet ef-
fet la Loi sur les services en franais de lOntario58, ou la Loi sur les
langues officielles du Nouveau-Brunswick59.
Dans la mme veine, il convient de citer larticle 530 du Code crimi-
nel60, selon lequel un accus peut subir son procs dans la langue officielle
de son choix, peu importe o laccus subira son procs. Selon larrt
Beaulac61, il dcoule de cette disposition que les cours provinciales et les
cours suprieures doivent tre en mesure dentendre des procs dans les
langues minoritaires des provinces o elles se situent. Il ne sagit pas
simplement dun droit procdural auquel un tribunal peut droger, mais
dun droit fondamental62. Qui plus est, il sagit dun droit fondamental qui
ncessite une intervention active de ltat, car, comme le dit le juge Bas-
tarache, les droits linguistiques ne peuvent tre exercs que si les
moyens en sont fournis 63. Le droit de subir son procs en franais en Co-

55 Charte, supra note 4, art 23.
56 Voir Loi constitutionnelle de 1867 (R-U), 30 & 31 Vict, c 3, art 133, reproduit dans LRC
1985, ann II, n 5; Charte, supra note 4, art 18; Loi de 1870 sur le Manitoba, 33 Vict, c 3,
art 23.

57 Charte, supra note 4, art 20.
58 LRO 1990, c F 32.
59 LN-B 2002, c O-05.
60 LRC 1985, c C-46, art 530.
61 Supra note 8.
62 Ibid la p 790.
63 Ibid la p 788.

590 (2013) 58:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

lombie-Britannique serait en effet vide de sens si lappareil judiciaire tait
incapable de le mettre en uvre.
Une obligation positive incombe galement ltat en vertu de
larticle 23 de la Charte, qui reconnat le droit de faire instruire ses en-
fants dans lune ou lautre langue officielle, l o le nombre de locuteurs
de ces langues le justifie. Le droit de faire instruire ses enfants dans une
langue minoritaire entrane lobligation corollaire des provinces de crer
des coles dont lenseignement est dispens dans une langue officielle mi-
noritaire. Les provinces doivent non seulement crer de telles coles, mais
leur gestion doit tre assure par la communaut minoritaire dont les en-
fants frquentent ces coles. Cette interprtation large, librale et, sur-
tout, tlologique de larticle 23, est adopte par la Cour suprme du Ca-
nada dans les arrts Mah et Arsenault-Cameron, qui, comme larrt
Beaulac, rejettent linterprtation restrictive des dispositions linguis-
tiques de la Charte adopte par la Cour dans les arrts Socit des Aca-
diens c. Association of Parents64, MacDonald c. Ville de Montral65 et Bilo-
deau c. Manitoba (P.G.)66.

Linterprtation librale des droits linguistiques est motive par le ca-
ractre rparateur des dispositions linguistiques de la Charte67. Le carac-
tre rparateur de larticle 530 du Code criminel justifie galement son in-
terprtation large et librale68. Dans chacun de ces cas, le constituant ou
le lgislateur cherchait rparer une ingalit. Dans le cas de larticle 23,
le constituant cherchait remdier lchelle nationale, lrosion pro-
gressive des minorits parlant lune ou lautre langue officielle et appli-
quer la notion de partenaires gaux des deux groupes linguistiques offi-
ciels dans le domaine de lducation 69. Quant larticle 530 du Code cri-
minel, le lgislateur cherchait remdier aux ingalits linguistiques in-
hrentes lappareil judiciaire70.
Ainsi, les droits linguistiques, dans la mesure o ils poursuivent un
objectif rparateur, entranent une obligation positive de ltat de mettre
en place des structures appropries des fins rparatrices. En ce qui con-
cerne les langues officielles, lobjectif est de rparer une ingalit entre les

64 [1986] 1 RCS 549, 27 DLR (4e) 406.
65 [1986] 1 RCS 460, 27 DLR (4e) 321.
66 [1986] 1 RCS 449, 27 DLR (4e) 39.
67 Mah, supra note 8 aux pp 363-64; Arsenault-Cameron, supra note 8 la p 27; Qubec
(PG) c Quebec Association of Protestant School Boards, [1984] 2 RCS 66 la p 79, 10
DLR (4e) 321; Renvoi coles publiques, supra note 24 la p 850.

68 Beaulac, supra note 8 la p 790.
69 Mah, supra note 8 la p 364.
70 Beaulac, supra note 8 la p 789.

LES DROITS LINGUISTIQUES AUTOCHTONES 591

deux communauts de
langue officielle. Les obligations positives
quentrane cet objectif sont relativement claires : fonder des coles, main-
tenir un appareil judiciaire bilingue, etc.

Il en est autrement pour les droits linguistiques autochtones. En effet,
le texte de cet article ne laisse pas supposer quil existe une obligation po-
sitive de ltat leur gard. Mais sil est possible de dmontrer que
larticle 35 a lui aussi un objectif rparateur, il sensuivrait que les obliga-
tions de ltat face aux langues autochtones seraient elles aussi de nature
positive.

Larticle 35 a-t-il un objectif rparateur mme sil est extrinsque la
Charte? Dans larrt Sparrow71, la Cour suprme reconnat, comme cest le
cas pour les articles 16 23 de la Charte, que la nature mme du par.
35(1) laisse supposer quil y a lieu de linterprter en fonction de lobjet
quil vise 72. Qui plus est, la Cour suprme cite avec approbation le juge-
ment de la Cour dappel, qui rejette une interprtation restrictive du pa-
ragraphe 35(1) :

Une telle interprtation du par. 35(1) ferait abstraction la fois de
ses termes et du principe selon lequel la Constitution doit recevoir
une interprtation librale et rparatrice. Nous ne pouvons accepter
que ce principe sapplique avec moins de force aux droits ancestraux
qu ceux garantis par la Charte, compte tenu particulirement de
lhistoire et de la mthode dinterprtation des traits et des lois
concernant les Indiens commande par des arrts comme Nowegi-
jick c. La Reine [rfrence omise].73

Ainsi, linterprtation librale et rparatrice du paragraphe 35(1) d-
coulerait de la prsence mme de cette disposition dans la Constitution.
Une telle interprtation du paragraphe 35(1) est dautant plus justifie
quelle fait cho au principe labor dans Nowegijick74, selon lequel les
traits avec les peuples autochtones doivent bnficier dune interprta-
tion librale et rparatrice, lhonneur de la Couronne tant en jeu dans
ses rapports avec eux.

fre son caractre rparateur :

Selon Slattery, le contexte dans lequel larticle 35 a t adopt lui con-

When the Special Joint Committee on the Constitution agreed unan-
imously to insert the section [35], the occasion was treated by all par-
ties as one of historic significance. The later deletion of the section, as
the result of the federal-provincial accord of November 1981, caused

71 Supra note 53.
72 Ibid la p 1106.
73 Ibid la p 1107, citant R c Sparrow, [1987] 36 DLR (4e) 246, 2 WWR 577 (BCCA).
74 Nowegijick c La Reine, [1983] 1 RCS 29 la p 36, 144 DLR (3e) 193.

592 (2013) 58:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

a sharp reaction among native Canadians. Intensive lobbying and
public demonstrations led to its reinstatement, in a slightly amended
form. These facts suggest that section 35 was intended to operate in a
remedial fashion.75

Si larticle 35 protge des droits linguistiques autochtones, et que cette
protection entrane une obligation positive de ltat de pallier les pro-
blmes que subissent les communauts de langues autochtones, quelle r-
paration simpose? Dans le cas des langues officielles, ltat cherche r-
parer lingalit entre le franais et langlais76. Lingalit entre les
langues autochtones et les deux langues officielles est indisputable.
Lgalit linguistique est-elle pourtant lobjectif recherch? Nous ne nous
attarderons que peu sur la question de la rparation, qui, comme nous
lavons soulign plus haut, devrait tre taille la mesure des besoins de
chaque communaut linguistique autochtone. Cependant, ce sujet, les
recommandations faites par le Rapport du groupe de travail sur les
langues autochtones77 ou le Report of the National First Nations Elders
Language Gathering78 constituent un point de dpart intressant.

Les modalits particulires des rparations convenables sont large-
ment tributaires de faits que nous navons pas loccasion ici dapprcier
comme, par exemple, la taille des communauts individuelles, le nombre
de locuteurs dune langue autochtone quon y trouve, le nombre denfants
en bas ge, etc. Il convient malgr tout dexaminer la question prlimi-
naire de savoir si une rparation est disponible. Rappelons que larticle 35
ne fait pas partie de la Charte. Une rclamation formule en vertu de
cette disposition ne peut se prvaloir du paragraphe 24(1), qui permet
lobtention de rparations pour toute violation de la Charte. Une violation
de larticle 35 ne pourrait tre sanctionne que par le biais de larticle 52,
qui permet lannulation de toute loi incompatible avec la Constitution du
Canada. Lobligation ngative de la Couronne est donc tout au moins ga-
rantie.
Cette garantie nexclut pas la possibilit dune obligation positive, qui
pourrait tre reconnue par les tribunaux sur la base de leur comptence
inhrente, mais aussi sur la base de la nature intrinsque des droits lin-
guistiques. Cest dailleurs le point de vue de Slattery, qui se montre opti-

75 Brian Slattery, The Constitutional Guarantee of Aboriginal Treaty Rights (1982-

1983) 8 : 1-2 Queens LJ 232 la p 248 [Slattery, Constitutional Guarantee ].

76 Voir Bastarache supra note 26 la p 6.
77 Rapport du groupe de travail sur les langues autochtones, supra note 7 aux pp ix-xi.
78 Assembly of First Nations, Languages and Literacy Steering Committee and Language
and Literacy Secretariat, Wisdom and Vision: the Teaching of our Elders, Report of the
National First Nations Elders Language Gathering, le Manitoulin (Ont), Ojibway Cul-
tural Foundation Elders Advisory Council of Manitoulin Island, 1993.

LES DROITS LINGUISTIQUES AUTOCHTONES 593

miste quant la possibilit dobtenir des rparations convenables pour
toutes rclamations faites en vertu de larticle 3579. Nous verrons dans la
section suivante que dans de nombreuses actions fondes sur larticle 35,
la rparation accorde est analogue aux rparations disponibles en droit
administratif. Ces rparations peuvent avoir un effet positif dans le con-
texte des droits linguistiques80. Nous examinerons nanmoins sil est pos-
sible dobtenir des rparations plus concrtes et spcifiques.

B. Lobligation positive dcoulant de lobligation fiduciaire

Nous verrons dans cette section que, contrairement ce que propose
de Varennes81, il nest pas clair que lobligation positive de la Couronne
envers les communauts linguistiques autochtones puisse dcouler ou tre
gnre par lobligation fiduciaire qui la lie aux peuples autochtones. La
Cour suprme du Canada a confirm, dans larrt Guerin82, lobligation fi-
duciaire de la Couronne envers les peuples autochtones83. La nature de
cette obligation reste nbuleuse dans le contexte plus large du droit cana-
dien des fiducies84, sans parler de son application au droit autochtone85.
En vertu de cette obligation, la Couronne doit veiller aux intrts des au-
tochtones et se garder dagir leur encontre. Tel que lexpliquent Borrows
et Rotman :

Fiduciary laws primary purpose is to preserve the integrity of im-
portant, socially and/or economically valuable or necessary relation-
ships that arise as a result of human interdependency. It also pro-
vides protection for beneficiaries who are involved in fiduciary rela-
tions from the potential for indecorous activities against their inter-
ests by unscrupulous fiduciaries.86

Cest sur la base de cette obligation fiduciaire que de Varennes fait re-
poser lexistence dune obligation positive de la Couronne de protger les

79 Slattery, Constitutional Guarantee , supra note 75.
80 Voir par ex Montfort, supra note 8.
81 De Varennes, supra note 21.
82 Guerin c La Reine, [1984] 2 RCS 335, 13 DLR (4e) 321 [Guerin avec renvois aux RCS].
83 Voir Leonard I Rotman, Parallel Paths: Fiduciary Doctrine and the Crown-Native Rela-
tionship in Canada, Toronto, University of Toronto Press, 1996 aux pp 3-4. Pour un
survol des origines de cette obligation, voir ibid aux pp 11-18.

84 Pour une explication dtaille dans le contexte du droit des fiducies, voir Mark R Gillen
et Faye Woodman, dir, The Law of Trusts: A Contextual Approach, 2e d, Toronto,
Emond Montgomery, 2008 ch 15.

85 Pour un survol dans le contexte du droit autochtone, voir ibid, ch 16 et John J Borrows
et Leonard I Rotman, Aboriginal Legal Issues: Cases, Materials & Commentary, 3e d,
Markham (Ont), LexisNexis Canada, 2007 ch 5 [Borrows et Rotman].

86 Ibid la p 447.

594 (2013) 58:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

langues autochtones87. De Varennes explique que ce devoir de protger les
langues autochtones implique lobligation de fournir linstruction publique
et des services gouvernementaux en langues autochtones88. Cest appa-
remment la voie suivie par les tats-Unis et la Finlande en cette ma-
tire89.
Il est raisonnable de croire quune obligation positive envers une

communaut linguistique entrane lobligation de crer des infrastruc-
tures communautaires garantes de la survie de cette langue. Cest
dailleurs la position labore par la Cour suprme en la matire90. Ce-
pendant, sil existe une obligation positive de la Couronne de protger les
langues autochtones, nous proposons que celle-ci ne repose pas ncessai-
rement sur les obligations fiduciaires de la Couronne. Dans larrt Gue-
rin91 la Cour suprme du Canada reconnat la justiciabilit du rapport fi-
duciaire qui existe entre la Couronne et les peuples autochtones92. La re-
lation fiduciaire se caractrise par un large pouvoir discrtionnaire 93
entre les mains de la Couronne, quelle doit exercer dans le meilleur int-
rt des peuples autochtones94. Cette obligation ne se limite pas pour au-
tant des biens tangibles. Autrement dit, la Couronne peut avoir une
obligation fiduciaire qui a pour objet des biens non tangibles, comme des
droits de chasse et pche95. Comme lcrit le juge Binnie dans larrt We-
waykum, il est tentant dimposer la Couronne, en vertu de cette obliga-
tion, une responsabilit totale lgard de tous les aspects des rapports
entre la Couronne et les bandes indiennes , ce qui, selon lui, est aller
trop loin 96.
La Couronne a-t-elle une obligation positive dagir dans lintrt des

peuples autochtones en ce qui concerne leurs langues en vertu de cette
obligation fiduciaire? Pour rpondre cette question, il faudra dabord d-

87 De Varennes, supra note 21 la p 291.
88 Ibid aux pp 294-95.
89 De Varennes ne divulgue pas sur quelles sources il appuie cette affirmation.
90 Voir par ex Mah, supra note 8 aux pp 365, 371.
91 Guerin, supra note 82.
92 Comme le remarquent Borrows et Rotman, supra note 85 la p 444, Guerin nest pas le
premier arrt traiter la relation qui unit la Couronne aux peuples autochtones comme
une relation de nature fiduciaire, un concept issu du droit priv. Il sagit toutefois du
premier arrt de la Cour suprme du Canada qui assimile ces deux relations explicite-
ment.

93 Guerin, supra note 82 la p 385.
94 Voir par ex Nation Hada c Colombie-Britannique (Ministre des Forts), 2004 CSC 73,

[2004] 3 RCS 511 la p 523 [Nation Hada].

95 Guerin, supra note 82 la p 468.
96 Bande indienne Wewaykum c Canada, 2002 CSC 79 au para 81, [2002] 4 RCS 245.

LES DROITS LINGUISTIQUES AUTOCHTONES 595

terminer dans quel rapport fiduciaire sancrerait cette obligation positive.
Comme le note Rotman, le rapport fiduciaire qui unit la Couronne aux
peuples autochtones se manifeste de deux faons distinctes97. Dabord, la
Couronne a une obligation fiduciaire gnrale envers les peuples autoch-
tones. Cette obligation gnrale, qui remonte aux premiers contacts entre
les peuples autochtones et les Europens, a pour effet que, dans ses rap-
ports avec les peuples autochtones, lhonneur de la Couronne est toujours
en jeu. La Couronne se doit dagir avec honneur et circonspection lors-
qu[elle] traite avec eux 98. Cette obligation gnrale noblige pas la Cou-
ronne agir, mais, lorsquelle le fait, elle doit agir dans le meilleur intrt
des peuples autochtones. Comme le rsume le juge Binnie pour la Cour
dans larrt Lax Kwalaams c. Canada, [l]honneur de la Couronne est
un principe gnral qui sous-tend tous les rapports de la Couronne avec
les peuples autochtones, mais on ne peut y avoir recours pour crer des
engagements qui nont jamais t pris 99.

Par ailleurs, cette obligation fiduciaire donne lieu un principe inter-
prtatif, formul comme suit par le juge en chef Lamer dans larrt Van
der Peet :

En raison de cette obligation fiduciaire, et de lincidence de cette
obligation sur lhonneur de ltat, les traits, le par. 35(1) et les
autres dispositions lgislatives et constitutionnelles protgeant les
droits des peuples autochtones doivent recevoir une interprtation
gnreuse et librale : R. c. George [rfrence omise].100

Ainsi, cette obligation fiduciaire gnrale constitue un cadre qui cir-
conscrit les actions de la Couronne, sans toutefois les provoquer. Pour sa-
tisfaire son obligation fiduciaire, la Couronne devra justifier toute action
qui porte atteinte un droit ancestral, en plus de donner voix aux intrts
des peuples autochtones101. Les rparations accordes en rponse une
violation reconnue de cette obligation sont analogues aux rparations ac-
cordes en droit administratif : une dcision qui aura t prise sans tenir
compte des intrts autochtones sera annule et renvoye linstance d-
cisionnelle102. Ce genre de rparation appelle une obligation positive de la

97 Borrows et Rotman, supra note 85 la p 444, reproduisant Rotman, supra note 83.
98 Van der Peet, supra note 11 au para 24.
99 Bande indienne des Lax Kwalaams c Canada (PG), 2011 CSC 56 au para 13, [2011] 3

RCS 535.

100 Van der Peet, supra note 11 au para 24.
101 Voir Delgamuukw c Colombie-Britannique, [1997] 3 RCS 1010 la p 1108, 153 DLR (4e)

193.

102 Voir par ex Nation Hada, supra note 94; Premire nation crie Mikisew c Canada (Mi-
nistre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 RCS 388; Qubec (PG) c Canada

596 (2013) 58:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

Couronne de se comporter ou dagir dune certaine faon. La Couronne de-
vra, par exemple, consulter les peuples autochtones concerns, et prendre
une dcision qui tiendra compte du rsultat de ces consultations.
Lobligation est donc positive, mais na pas la mme force que lobligation
positive reconnue dans Mah et Arsenault-Cameron, dans lesquels la Cou-
ronne a t contrainte de sattaquer un problme donn. Pour ce qui est
des langues officielles, la force de lobligation positive reconnue est justi-
fie par le texte constitutionnel. Il en est autrement pour les langues au-
tochtones, leur protection constitutionnelle dcoulant de linterprtation
des termes gnreux de larticle 35. Cependant, on ne saurait exclure
compltement la possibilit quil existe une obligation positive de ltat en
vertu de lobligation fiduciaire qui serait applicable en matire de droits
linguistiques autochtones. Une telle obligation devrait dcouler dune
promesse cet gard, quil incomberait ltat de garder pour que
lhonneur de la Couronne reste sauf. Cest dailleurs un des arguments
avancs par Leitch, qui voit dans la Proclamation royale de 1763 la pro-
messe de protger un droit autochtone lducation en langue autoch-
tone :

The Supreme Court [] expanded the scope of the fiduciary duty in
Sparrow by agreeing with a lower court that the federal government
has the responsibility to protect the rights of Indians arising from
the special trust relationship created by history, treaties and legisla-
tion.
It can, therefore, be asserted that the federal government has, and
has always had, a fiduciary duty to protect the Aboriginal right of
First Nations to educate their children in their own languages. That
right was clearly part and parcel of the Royal Proclamation right to
undisturbed possession of unceded land [italiques dans loriginal].103

Malheureusement, Leitch nexplique pas pourquoi le texte de la Pro-
clamation royale de 1763 devrait tre interprt ainsi, savoir que la pos-
session paisible des terres non concdes implique ncessairement la pro-
tection dun droit lducation en langue autochtone, supposer que ce
droit est prouv. Par consquent, nous trouvons cette proposition peu con-
vaincante. Il serait plus prometteur, notre avis, de chercher ce genre de
promesse dans les divers traits, ce qui sort du champ de notre tude,
mais qui constitue une piste de recherche de valeur indubitable.
Ainsi, le contenu des droits linguistiques tant indfini, il est difficile
dvaluer la force de lobligation positive seulement partir de lobligation
fiduciaire gnrale. La force de lobligation positive en matire de droits

(Office national de lnergie), [1994] 1 RCS 159, 112 DLR (4e) 129; Halfway River First
Nation c British Columbia (Ministry of Forests), 1999 BCCA 470, 178 DLR (4e) 666.

103 Leitch, supra note 3 la p 117.

LES DROITS LINGUISTIQUES AUTOCHTONES 597

linguistiques autochtones est plus vidente la lumire de la nature
mme des droits linguistiques en gnral, illustre dans la section prc-
dente. Il est tout aussi difficile dtablir une obligation positive de cette
nature sur la base du deuxime type dobligation fiduciaire. Ce deuxime
aspect de lobligation fiduciaire est spcifique , comme le dcrit Rot-
man104, en ce quil doit avoir pour objet un intrt concret. Comme le re-
marque le juge Dickson dans larrt Guerin, lobligation de fiduciaire
qua sa Majest envers des Indiens ne constitue [] pas une fiducie 105.
Lobligation fiduciaire spcifique fait natre une obligation qui tient
[] de la nature dune obligation de droit priv 106. Un manquement
lobligation fiduciaire spcifique peut appeler une rparation en equity107.
Ainsi, on pourra imaginer quun tribunal oblige la Couronne agir de fa-
on cible pour rparer un manquement qui aurait men la dgnres-
cence dune langue autochtone donne. Cependant, la dmonstration quil
existerait une fiducie ayant pour objet un bien culturel abstrait comme
une langue fait toute la difficult de cet argument.

Tout de mme, comme laffirment plusieurs auteurs, les politiques as-
similationnistes du gouvernement fdral, dont le systme des pension-
nats indiens, ont grandement contribu la diminution dramatique de lo-
cuteurs de langues autochtones108. Pourrait-on voir l un manquement
lobligation fiduciaire de la Couronne qui pourrait mener une telle rpa-
ration? La perspective est intressante, mais elle se heurte des obstacles
conceptuels importants. Dans larrt Guerin, le juge Dickson impose un
critre fondamental la reconnaissance dune obligation fiduciaire rela-
tive un bien quelconque : le bien en question doit faire lobjet dune ces-
sion la Couronne109. La Couronne exerce ds lors un pouvoir discrtion-
naire lendroit de ce bien, de sorte que les bnficiaires sont vulnrables
par rapport la Couronne. Sans vouloir tre trop lgaliste dans notre ap-
proche, ce qui pourrait mener la conclusion que lobligation fiduciaire
nest pertinente quaux biens concrets, il est difficile de concevoir comment
un peuple autochtone aurait pu cder sa langue. Le fait de parler une

104 Supra note 85.
105 Supra note 82 la p 386.
106 Ibid la p 385.
107 Par exemple, des dommages-intrts en equity dans Guerin, supra note 82 ou une fidu-
cie par interprtation dans Bande indienne de Semiahmoo c Canada, [1998] 1 CF 3, 148
DLR (4e) 523.

108 Voir par ex le Rapport du groupe de travail sur les langues autochtones, supra note 7 et
Tschanz, supra note 7. Voir aussi Heather Zamorano, From Assimilation to Apathy:
Government Responsibility and the Aboriginal Language Crisis in Canada, 13 d-
cembre 1991 [non publi, archiv la Bibliothque Fauteux de lUniversit dOttawa].

109 Supra note 82 la p 376.

598 (2013) 58:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

langue est une pratique culturelle, qui, comme le propose Richstone, de-
vrait tre assimile aux droits ancestraux coutumiers110. En tant que pra-
tique culturelle, une langue nexiste pas indpendamment de ses locu-
teurs111. Il est donc difficile dtablir un manquement si on ne peut tablir
lobjet de la fiducie112.

C. Lobligation positive issue de lordre juridique international

Comme nous lavons signal plus haut, Richstone se montre sceptique
quant lexistence dune obligation positive de la Couronne de maintenir
et de dvelopper les langues autochtones113. Il entrevoit tout de mme la
possibilit quune telle obligation existe en vertu dinstruments de droit
international. Richstone mentionne particulirement la Dclaration114 et
la Convention (n 107) relative aux populations aborignes et tribales115 de
lOrganisation internationale du travail laquelle a succd la Convention
(n 169) relative aux peuples indignes et tribaux116. La possibilit
quentrevoyait Richstone tait des plus thoriques, car le Canada navait
ratifi aucun de ces instruments au moment o il crivait. Seule la Con-
vention sur la diversit biologique117, laquelle le Canada a adhr, faisait
miroiter quelques espoirs, espoirs quidentifiaient galement les auteurs
du Report on the Task Force, publi par le gouvernement des Territoires
du Nord-Ouest118.

La Convention sur la biodiversit est plutt ambige quant aux obliga-
tions exactes des pays signataires. En vertu du paragraphe 8(j), ces der-
niers sengagent respecte[r], prserve[r] et maint[enir] les connais-
sances, innovations et pratiques des communauts autochtones et locales

110 Supra note 15 la p 267.
111 Noam Chomsky, Knowledge of Language: Its Nature, Origin and Use, Wesport (CT),

Praeger, 1986.

112 Il y a toutefois lieu dtre inventif : les peuples autochtones nont jamais cd leurs
langues, mais ils ont cd la gestion des institutions qui permettent la survie des
langues (par ex les coles, etc.). Les pensionnats autochtones taient linstrument prin-
cipal des politiques assimilationnistes du gouvernement fdral, auquel cas, il y aurait
peut-tre lieu de voir un manquement face aux institutions culturelles autochtones dont
le gouvernement fdral tait fiduciaire.

113 Supra note 15.
114 Supra note 30.
115 Supra note 31.
116 Genve, 47e session CIT, 5 septembre 1991, en ligne : Organisation Internationale du

Travail .
117 5 juin 1992, 30619 RTNU 169.
118 Gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, The Report of the Task Force on Aborigi-

nal Languages, Yellowknife, 1986 la p v.

LES DROITS LINGUISTIQUES AUTOCHTONES 599

qui incarnent des modes de vie traditionnels prsentant un intrt pour la
conservation et lutilisation durable de la diversit biologique . Il nest
pas clair dabord si la langue fait partie des connaissances pertinentes. Se-
lon une interprtation large et gnreuse, on pourrait imaginer que la
langue est effectivement pertinente, car les langues autochtones thsauri-
sent des savoirs particuliers relatifs aux milieux o elles se sont dvelop-
pes. Ceci dit, le paragraphe 8(j) est trs clair lorsquil dit que cette pro-
tection doit se faire sous rserve des dispositions de [l]a lgislation na-
tionale . Or, la lgislation canadienne, si elle offre une protection aux
langues autochtones, nest pas claire quant la nature de cette protection,
do lintrt de la prsente tude.
Quant la Dclaration, le Canada y donne maintenant son appui, bien
quil ait t un des quatre pays avoir vot contre au moment de son
adoption119. La Dclaration contient tant des dispositions expresses que
progressives en matire de protection des langues autochtones. Il est diffi-
cile cependant didentifier avec prcision quelles seront les retombes con-
crtes de ce changement de cap. Dans le communiqu qui explique sa
nouvelle position, le Canada raffirme sa dtermination promouvoir et
protger les droits des peuples autochtones tout en insistant sur le fait
quune dclaration nest quun document daspiration qui nest pas ju-
ridiquement [contraignant], ne constitue pas une expression du droit in-
ternational coutumier et ne modifie pas les lois canadiennes 120. Ce com-
muniqu laisse penser que lenthousiasme du gouvernement sur le plan
international est assorti dune tideur politique au plan interne.
Quoi quil en soit, lappui du Canada la Dclaration reste une bonne
nouvelle pour les communauts de langue autochtone. Le premier alina
de larticle 13 de la Dclaration reconnat aux peuples autochtones le
droit de revivifier, dutiliser, de dvelopper et de transmettre aux gnra-
tions futures leur histoire, leur langue, leurs traditions orales, leur philo-
sophie, leur systme dcriture et leur littrature . Le deuxime alina du
mme article stipule que :

119 Avec lAustralie, les tats-Unis et la Nouvelle-Zlande. Voir le compte-rendu disponible
sur le site internet du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de lhomme,
Dclaration sur les droits des peuples autochtones, en ligne : Haut-Commissariat des
Nations Unies aux droits de lhomme ). Voir aussi la dclaration des Affaires autochtones et Dveloppement
du Nord Canada, Position du Canada : Projet de dclaration des Nations Unies sur les
droits des peuples autochtones, 29 juin 2006, en ligne : Affaires autochtones et Dvelop-
pement du Nord Canada ).

120 Affaires autochtones et Dveloppement du Nord Canada, nonc du Canada appuyant
la Dclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, 12 novembre
2010, en ligne : Affaires autochtones et Dveloppement du Nord Canada .

600 (2013) 58:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

Les tats prennent des mesures efficaces pour protger ce droit et
faire en sorte que les peuples autochtones puissent comprendre et
tre compris dans les procdures politiques, juridiques et adminis-
tratives, en fournissant, si ncessaire, des services dinterprtation
ou dautres moyens appropris.

Le premier alina de larticle 14 reconnat quant lui le droit des
peuples autochtones la gouvernance de leurs institutions scolaires. Ce-
pendant, larticle 14 noblige pas les tats prendre des mesures pour ai-
der les peuples autochtones tablir ces institutions, contrairement ce
que stipule larticle 23 de la Charte pour les communauts de langue offi-
cielle. Sur le plan scolaire, les tats nont pris que des engagements limi-
ts : le deuxime alina reconnat aux enfants autochtones le droit
daccder tous les niveaux et toutes les formes denseignement pu-
blic, sans discrimination aucune ce qui nimplique pas ncessairement
que cet enseignement public soit dispens en langue autochtone; les tats
ne sengagent qu prendre des mesures efficaces pour que les enfants
puissent accder un enseignement dans leur langue sils vivent
lextrieur de leur communaut. Nous sommes davis que cet engagement
plus circonscrit pourrait limiter laide financire du gouvernement la
mise sur pied ou lamlioration de programmes scolaires en langues au-
tochtones, pourtant si essentiels la transmission des langues.
Enfin, larticle 16 reconnat aux peuples autochtones le droit dtablir
leurs propres mdias dans leur propre langue . Lalina 2 de cet article
stipule que les tats sengagent par ailleurs de faire en sorte que les
mdias publics refltent dument la diversit culturelle autochtone ,
sans prjudice
libert
dexpression . Une contribution financire et politique dans ce domaine
de la part des tats saurait donner une plus grande visibilit aux com-
munauts de langues autochtones, visibilit qui attiserait leur vitalit en
leur impartant un prestige qui leur fait souvent dfaut.
Depuis la parution de larticle de Richstone, lAssemble gnrale des
Nations Unies a aussi adopt la Dclaration des droits des personnes ap-
partenant des minorits nationales ou ethniques, religieuses et linguis-
tiques121. Mme si cette dclaration ne comporte aucune force juridique
contraignante, lobligation positive des tats de favoriser ou de pro-
mouvoir les cultures, religions et langues minoritaires constitue lun de
ses principes sous-jacents. Il reste que les tats membres pourront inter-
prter ces dispositions leur guise. La dclaration impose aux tats
membres des obligations positives, surtout en matire dducation. Citons
cet effet le texte intgral de son article 4 :

lobligation dassurer pleinement

la

121 Supra note 38 la p 210.

Article 4

LES DROITS LINGUISTIQUES AUTOCHTONES 601

1. Les tats prennent, le cas chant, des mesures pour que
les personnes appartenant des minorits puissent exercer
intgralement et effectivement tous les droits de lhomme et
toutes les liberts fondamentales, sans aucune discrimina-
tion et dans des conditions de pleine galit devant la loi.

2. Les tats prennent des mesures pour crer des conditions
propres permettre aux personnes appartenant des mi-
norits dexprimer leurs propres particularits et de dve-
lopper leur culture, leur langue, leurs traditions et leurs
coutumes, sauf dans le cas de pratiques spcifiques qui
constituent une infraction la lgislation nationale et sont
contraires aux normes internationales.

3. Les tats devraient prendre des mesures appropries pour
que, dans la mesure du possible, les personnes appartenant
des minorits aient la possibilit dapprendre leur langue
maternelle ou de recevoir une instruction dans leur langue
maternelle.

4. Les tats devraient, le cas chant, prendre des mesures
dans le domaine de lducation afin dencourager la con-
naissance de lhistoire, des traditions, de la langue et de la
culture des minorits qui vivent sur leurs territoires. Les
personnes appartenant des minorits devraient avoir la
possibilit dapprendre connatre la socit dans son en-
semble.

5. Les tats devraient envisager des mesures appropries
pour que les personnes appartenant des minorits puis-
sent participer pleinement au progrs et au dveloppement
conomiques de leur pays.

Tout au moins, larticle 4 de cette dclaration appuie le principe re-
connu par la Cour suprme du Canada que les droits collectifs en matire
de langue ou de culture sont dnus de sens si ltat ne prend pas des me-
sures positives pour que ces droits soient pleinement exercs. Dans son
commentaire gnral122 sur larticle 27 du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques123 (auquel le Canada est partie), le Haut-
commissariat aux droits de lHomme des Nations Unies ritre ce prin-
cipe. Mme si, premire vue, les obligations qui incombent aux tats en
vertu de larticle 27 semblent tre ngatives, le Haut-commissariat aux
droits de lHomme est davis que des obligations positives y sont impli-
cites :

122 Observation gnrale n 23 : article 27, NU HCDH, 50e sess, Doc NU HRI/GEN/1/Rev 1

(1994) 38 au para 6.2.

123 19 dcembre 1966, 999 RTNU 171, art 27, RT Can 1976 no 47, 6 ILM 368 (accession du

Canada : 19 mai 1976).

602 (2013) 58:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

Article 27
Dans les tats o il existe des minorits ethniques, religieuses ou
linguistiques, les personnes appartenant ces minorits ne peuvent
tre prives du droit davoir, en commun avec les autres membres de
leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer
leur propre religion, ou demployer leur propre langue.
la mme obligation positive

Bastarache voit
implicite124 dans
larticle 29 de la Convention relative aux droits de lenfant, ratifie par le
Canada, qui requiert que lducation des enfants mette en valeur le res-
pect [] de son identit, de sa langue et de ses valeurs culturelles 125. Se-
lon nous, larticle 30 va encore plus loin dans ce sens :

Article 30
Dans les tats o il existe des minorits ethniques, religieuses ou
linguistiques ou des personnes dorigine autochtone, un enfant au-
tochtone ou appartenant une de ces minorits ne peut tre priv
du droit davoir sa propre vie culturelle, de professer et de pratiquer
sa propre religion ou demployer sa propre langue en commun avec
les autres membres de son groupe.

Larticle 30 est formul de faon ngative, mais nous sommes davis
que lobligation positive implicite peut tre dduite aisment. Selon cet ar-
ticle, un enfant autochtone doit pouvoir employer sa propre langue en
commun avec les autres membres de son groupe , ce qui suppose non seu-
lement un systme dducation o il apprend respecter sa langue,
comme limpose larticle 29, mais aussi o il apprend lemployer. Qui
plus est, pour que lenfant emploie sa langue avec les membres de son
groupe, y compris les adultes, on devra supposer quil existe dautres insti-
tutions o lenfant peut employer sa langue, comme la famille ou la biblio-
thque. On suppose donc un devoir de ltat de soutenir et maintenir les
institutions la priphrie de lcole qui contribuent la vitalit dune
langue. Si un tat ne cre pas, ou ne soutient pas de telles institutions,
lenfant est effectivement priv demployer sa langue, ce que larticle 30
interdit.
Enfin, nous tenons noter que la ratification de la Convention n 169
de lOrganisation internationale du travail serait souhaitable, car ses dis-
positions semblent bien adaptes aux ralits des communauts autoch-
tones. Larticle 28 de la Convention n 169 impose lobligation aux tats
ratificateurs dtablir un systme dducation en langue autochtone lors-
que cela est ralisable :

124 Supra note 26 aux pp 7-8.
125 20 novembre 1989, 1577 RTNU 3, RT Can 1992 n3 (ratification du Canada : 13 d-

cembre 1991), art 28(1)(c).

Article 28

LES DROITS LINGUISTIQUES AUTOCHTONES 603

1. Lorsque cela est ralisable, un enseignement doit tre don-
n aux enfants des peuples intresss pour leur apprendre
lire et crire dans leur propre langue indigne ou dans
la langue qui est le plus communment utilise par le
groupe auquel ils appartiennent. Lorsque cela nest pas ra-
lisable, les autorits comptentes doivent entreprendre des
consultations avec ces peuples en vue de ladoption de me-
sures permettant datteindre cet objectif.

2. Des mesures adquates doivent tre prises pour assurer
que ces peuples aient la possibilit datteindre la matrise
de la langue nationale ou de lune des langues officielles du
pays.

3. Des dispositions doivent tre prises pour sauvegarder les
langues indignes des peuples intresss et en promouvoir
le dveloppement et la pratique.

Larticle 28 semble aussi tenir compte des divers degrs de vitalit des
langues autochtones. Si une langue autochtone na pas la vitalit requise
pour que soit dvelopp un systme dducation qui opre dans cette
langue, ltat ratificateur devra tout de mme prendre des dispositions
pour sauvegarder la langue autochtone en question. Ceci pourrait signi-
fier le dveloppement de programmes communautaires dont lobjectif se-
rait la transmission de la langue aux enfants de la communaut, ainsi que
larchivage des donnes linguistiques toujours existantes.

Conclusion

Les sources des droits linguistiques autochtones se rsument donc
ceci : larticle 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 confirme et reconnat
les droits ancestraux existants des peuples autochtones; les droits ances-
traux incluent des pratiques culturelles126; or, langue et culture sont ins-
parables127. Il est donc raisonnable de croire quune langue est une pra-
tique culturelle qui correspond un droit ancestral. La protection des
langues autochtones larticle 35 tablit tout au moins une obligation n-
gative de ltat canadien de ne pas causer de tort aux langues autoch-
tones. Toute lgislation dans ce sens pourrait tre rendue inoprante en
vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.
Cependant, cet tat du droit tient plus de la constatation que de la
consolation pour les locuteurs de langues autochtones et leurs descen-
dants. Mme si les politiques assimilationnistes du pass ont connu un

126 Van der Peet, supra note 11.
127 Mah, supra note 8.

604 (2013) 58:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

succs funeste, cette approche na plus cours aujourdhui, du moins, pas
ouvertement. Les langues autochtones sont plutt en proie lrosion des
langues trs minoritaires qui ont une histoire marque par la colonisation
et la rpression systmatique. Le nombre de leurs locuteurs diminue
chaque anne, faute davenir prometteur. Or, cest justement cette rosion
quil faut contrer si on souhaite que les langues autochtones soient pro-
mises un lendemain.

Le franais fait face la mme rosion l o il est minoritaire. Dans ce
cas, les gouvernements fdral et provinciaux sont intervenus avec des
mesures proactives pour le protger. Ces gouvernements sont daccord que
la survie du franais ncessite une intervention positive de ltat, non pas
parce quil sagit dune langue officielle, mais parce quil sagit dune
langue comme une autre, qui, pour survivre, doit se cristalliser autour
dinstitutions fondamentales. Certains de ces gouvernements sont alls
plus loin encore en constitutionnalisant lgalit relle des langues offi-
cielles pour raliser lgalit dj thorique. Il en est de mme pour les
langues autochtones. Les institutions fonctionnant en langues autoch-
tones favorisent non seulement la transmission de ces langues de gnra-
tion en gnration, mais aussi la perception par ses locuteurs quelles sont
des langues utiles, car elles expriment une ralit la fois immmoriale
et contemporaine.

La Couronne a-t-elle une obligation positive envers les langues au-
tochtones? Nous sommes davis que cette obligation existe en vertu de
principes applicables aux droits linguistiques en gnral. Dabord, les
droits linguistiques sont des droits fondamentaux collectifs, qui, pour
quils soient exercs, ncessitent la cration dinstitutions qui favorisent la
survie et le dveloppement des langues. Ensuite, cette obligation positive
est justifie par une interprtation large, librale et tlologique des
droits linguistiques autochtones, qui, comme les droits relatifs aux
langues officielles, ont un objectif rparateur dans la mesure o
larticle 35, tout comme larticle 23, a un objectif rparateur. Lexistence
dune obligation positive de la Couronne en cette matire, si elle nest pas
explicite, est tout au moins sous-entendue par les instruments de droit in-
ternational qui reconnaissent lexistence de droits linguistiques minori-
taires.
Cet tat de droit fait natre plus de questions que de rponses, nous en
convenons. Mme si cette obligation positive envers les communauts au-
tochtones na pas t explicitement reconnue par le gouvernement cana-
dien (fdral ou provincial), se peut-il quil sen acquitte tout de mme vo-
lontairement au moyen de programmes spciaux? Il existe en effet des
programmes dducation labors pour certaines langues autochtones

LES DROITS LINGUISTIQUES AUTOCHTONES 605

comme le cri128, linuktitut129, ou mme le huron130. Le gouvernement ca-
nadien finance galement des programmes-ressources, ou des pro-
grammes de revitalisation des langues autochtones131. Mme sil sagit l
de nobles efforts, les communauts autochtones, comme les statistiques132,
saccordent pour dire que les langues autochtones srodent encore et tou-
jours, ce qui laisse penser que ces programmes sont soit sous-financs,
soit mal cibls133. Une apprciation de leur impact pourra faire lobjet
dune tude future ou postrieure.
Enfin, que doit chercher accomplir le gouvernement canadien au
moyen de cette obligation positive? Pour les langues officielles, lobjectif
est clair : lgalit relle. Nous sommes davis quil en est autrement pour
les langues autochtones pour lesquelles lobjectif raliser est la vitalit
relle, cest–dire la croissance du nombre de leurs locuteurs qui assure-
ront ensuite leur perduration. Cet objectif se fonde sur une analogie avec
les droits ancestraux en gnral, qui assurent, eux aussi, la survie de pra-
tiques ancestrales lavenir.

128 Voir la Commission Scolaire Crie, en ligne : Commission Scolaire Crie .

129 Inuit Tapiriit Kanatami, Report on the Inuit Tapiriit Kanatami Education Initiative,
2008, ITK Summit on Inuit Education and Background Research, en ligne :
.

130 Dans le cas du huron, il sagit dun programme de revitalisation. Voir le projet Ya-
wenda : revitalisation de la langue huronne-wendat, en ligne : Centre interuniversitaire
dtudes et de recherche autochtones de lUniversit Laval .

131 Voir par ex les programmes du ministre du Patrimoine canadien : Initiative des
langues autochtones : Programmes des autochtones, en ligne : Patrimoine canadien
; Groupe de travail sur les langues et les cultures autochtones, en
ligne : Patrimoine canadien .

132 Recensement, supra note 7; Mary Jane Norris, Langues autochtones au Canada :
nouvelles tendances et perspectives sur lacquisition dune langue seconde (2007) 83
Tendances sociales canadiennes (Statistique Canada) 21.

133 Voir aussi Rapport du groupe de travail sur les langues autochtones, supra note 7.