Article Volume 48:4

La réception de la norme religieuse par les juges de droit civil français et québécois : étude du contentieux concernant le choix de la religion, l'éducation et la pratique religieuse des enfants

Table of Contents

La r6ception de la norme religieuse par les
juges de droit civil frangais et qu6b6cois”

etude du contentieux concemant

le choix de la religion, 1’6ducation et la

pratique religieuse des enfants

Christelle Landheer-Cieslak et Anne Saris*

Cet article s’attache As dimontrer ]a fagon dont les
juges de droit civil franais et qudbecois apprdhendent la
normativitd religieuse Iorsqu’elle est invoqude par des
parties au cours d’un litige tout en limitant son champ
d’investigation au contentieux relatif au choix de I’Mucation
et de la pratique religieuse des enfants par les titulaires de
l’autorit6 parentale. I1 s’efforce de rdpondre A deux questions
principales. Premi6rement, quelle est la finalitd poursuivie
par
la normativitd
religieuse ? Deux nement, les juges de droit civil franais
et qubd6cois prennent-ils en consid6ration rexistence et les
effets de la normativitd religieuse en vue de lui faire produire
des effets de droit positifs ou n6gatifs au sein de son ordre
juridique ? Dans le cas d’une r~ponse affirmative, quels
effets de droit spdcifiques lui font-ils produire ?

les parties

lorsqu’elles

invoquent

L’intrt de

la comparaison entre

les d6cisions
judiciaires franaises et qu~becoises est de dmontrer
l’importance des prdcomprdhensions du juge de droit civil
dans leur dlaboration. Qu’il s’agisse de la question de la
reconnaissance ou du contrle des effets des normes
religieuses sur l’enfant, les mthodes et les outils juridiques
auxquels les juges fanais ct qWbcois recourent pour
apprehender la normativitd religieuse sont faonns par one
conception implicite don6e ct intgr~e de la place et du r6le
du code civil au sein de leur soci6td. Ainsi, le juge franais
conoit son droit civil en situation de monopole sur le
tenitoire national et normalise les comportements religieux.
Pour le juge qu&becois, son droit civil est en situation de
primautd et il a pour fonction d’accommoder les normes
religieuses entre elles et avcC l’ordrejuridique dtatique.

in France and Quebec understand

This article demonstrates the way in which civil law
judges
religious
normativity when it is invoked by a litigant, and limits its
scope of investigation to litigation relating to the choice of
education and of religion for children made my those who
hold parental authority. Two main issues are raised. First,
what kind of outcome ‘do litigants expect when they invoke
religious normativity? Second, when civil law judges in
France and Quebec consider the existence and the effects of
religious normativity, do they do so with an eye on
effecting rights (positive or negative) within their legal
order? If the answer is affirmative, what are the specific
legal effects that are produced?

law

The reason for drawing a comparison between
French and Qudbecois judgments is to demonstrate the role
of judicial preconceptions of the civil
in the
development of these judgments. Whether they have to do
with the question of recognition or of controlling the effect
of religious norms on a child, the legal methods and tools
that are applied by French and Qudbdcois judges to
understand religious normativity are drawn from implicit
conceptions of the place and the role of the civil code in
their societies. The French judge views the civil law as
being the exclusive source of law in the state and treats
religious norms as factual considerations, rather than
concurrent normative orders. For the judge in Quebec, the
civil law holds a position of primacy and its role is to find
an appropriate accommodation among religious norms and
between them and the state’s legal order.

* Christelle Landheer-Cieslak, chercheure au Centre de recherche de droit public de la Facult6 de
droit de l’Universit6 de Montreal, doctorante en droit A l’Universitd de Paris I-Pantheon-Sorbonne;
Anne Saris, chargde de cours A l’Universit6 McGill, doctorante en droit As l’Universitd McGill. Les
auteures tiennent A remercier Laurent Ayn~s, Jean-Guy Belley, Paul-Andrd Cropau, Patrick Glenn,
Richard Janda, Nicholas Kasirer, Philippe Malaurie, Horatia Muir Watt et Pierre Noreau pour leur
gin~reux apport A la praration de ce texte. Courriels : cieslac@wanadoo.fr; anne.saris@videotron.ca.

Revue de droit de McGill 2003

McGill Law Journal 2003
Mode de rf6rence: (2003) 48 R.D. McGill 671
To be cited as: (2003) 48 McGill L.J. 671

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McGILL LAW JOURNAL/ REVUE DE DROITDE MCGILL

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Introduction

Les assises m6thodologiques

1. Un pluralisme reconnu ?

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A. Lejuge de droit civil face aux parties qui invoquent
une normativit6 religieuse : I’analyse concrdte des
d6cisions judiciaires
1. Le contenu des pr6tentions des parties :,un essai

de typologie
a. Pour faire reconnaltre la soumission de l’enfant

6 une normativite religieuse et permettre
I’expression de ses effets d son 6gard (effet positif)

b. Pour faire reconnaftre que I’enfant ne peut 6tre

soumis 6 une normativit religieuse et 6vincer ses
effets 6 son 6gard (effet n6gatif)

2. Le traitement des pr6tentions des parties par les

juges de droit civil frangais et qu~b6cois
a. La soumission J une normativit#6 religieuse : un

argument 6vinc6 par le juge frangais par un
d6placement de l’objet du litige
i. Effets positifs demand6s et reconnaissance

incidente des effets de la normativit6 religieuse

ii. Effets n6gatifs demand~s et reconnaissance

directe de la normativit6 religieuse

b. La soumission A une normativit6 religieuse : un

argument pertinent pour le juge qu6b6cois
i. Effets positifs demand6s et reconnaissance

directe de la normativitd religieuse

ii. Effets n6gatifs demand6s et reconnaissance
directe des effets de la normativit6 religieuse

B. Le choix de la reconnaissance de la normativit6 religieuse
par le juge de droit civil: la synthdse th6orique de I’analyse
concrdte des d6cisionsjudiciaires
1. Les techniques juridiques de la reconnaissance de la

normativit6 religieuse
a. En France : I’autorit6 parentale
b. Au Qu6bec: la libert religieuse

2. A la base des techniques juridiques : les

pr6comprihensions concemant [a place du droit civil
au sein de la soci6t6

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C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

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a. Le point commun entre les juges frangais et

qu6b6cois: le choix d’un pluralisme mediatis6

b. Les diff6rences entre les juges frangais etqu6b6cois:
d’une situation de monopole du droit civil frangais d
une situation de primaut6 du droit civil qu6b6cois
i. Le droit civil frangais : un droit congu en situation

de monopole sur le territoire national

ii. Le droit civil qudbdcois : un droit congu en situation

de primautd sur le teritoire national

II. Un pluralisme contr616

A. Un contr~le ax6 autour de la notion de Pintert de I’enfant

1. Les caract6ristiques du contr6le de la normativit6

religieuse
a. Le contrdle des effets des comportements parentaux

fond6s sur une normativit6 religieuse

b. Le contrdle de la teneur de la normativit6 religieuse

sur laquelle se fondent les comportements parentaux

2. Loutil d~cisif du contr6le : l’intdrdt de l’enfant

a. La fonction de la notion de I’int6r~t de I’enfant

i. L’intrt de I’enfant comme justification de

l’intervention du juge de droit civil au sein de la
cellule familiale

ii. L’int6r6t de I’enfant comme 6talon axiologique
assurant le contr~le des solutions donndes par
‘application m6canique des r~gles de droit civil
a. L’nt~r~t de ‘enfant en France : un 6talon

axiologique qui permet d’6vincer la normativit6
religieuse

IR. L’int6r~t de I’enfant au Quebec: un outil pour

6vincer par exception certains effets des
comportements parentaux qui se fondent sur
une normativit& religieuse

b. La signification de la notion de l’int6rt de l’enfant
at les valeurs de l’ordre juridique 6tatique qu’elle
exprime
i. L’int~rdt de ‘enfant en France: le choix d’une

identitd religieuse unique et stable pour ‘enfant,
doubl6 de la volont6 d’assurer son int6gration
dans la soci6t6 francaise

ii. L’intdrdt de I’enfant au Qu6bec : le choix d’une

identit6 religieuse en devenir pour ‘enfant double
de la volont6 de preserver ses sp~cificit6s

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B. Un contr6le, fond6 sur une pr6compr~hension de la fonction
du droit civil 6 1’6gard du pluralisme normatif religieux existant
au sein de la cellule familiale
1. Le droit civil : un droit qui dMtermine les normes

religieuses applicables au sein de la cellule familiale
a. Le droit civil frangais : un droit qui assure un

exclusivisme normatif au sein de la cellule familiale

b. Le droit civil qu~b~cois : un droit qui organise une

coexistence normative au sein de la cellule familiale
2. Le droit civil : un droit qui impr~gne des valeurs de l’ordre

juridique 6tatique les cellules familiales soumises 6 des
normes religieuses
a. La fonction normalisatrice du droit civil frangais 6

1’6gard des normes religieuses applicables au sein
de la cellule familiale

b. La fonction accommodatrice du droit civil qu~b6cois
6 l6gard des normes religieuses qui s’appliquent au
sein de la cellule familiale

Conclusion

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C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

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Introduction

La cellule familiale, comme toute entit6 sociale (entreprise, communautd, etc.) est
tn espace oi s’enchev&rent une pluralit6 de normes : les normes que les membres de
la famille se sont donnes A eux-m~mes, les normes des collectivitds ethniques,
culturelles ou religieuses auxquelles ceux-ci sont affili~s et enfin les normes 6tatiques
qui leur sont impos6es. La cellule familiale est donc marqu6e par le pluralisme
juridique, c’est-i-dire par la coexistence de normes h6t~rognes qui puisent leurs
sources dans des ordres normatifs distincts. Or, la mani6re dont ces normes
s’articulent entre elles au sein de la cellule familiale peut preter A d6bat. La famille
est-elle le lieu par excellence d’influence indirecte de l’Etat, celui-ci essayant d’y
apposer ses politiques familiales, a 1’exclusion de toute autre norme2 ? La famille est-
elle un lieu de non-droit lib6r6 de la sanction dtatique3 ? La famille est-elle un lieu ofi
les individus, soumis simultan6ment A une pluralitd de normes, 6tablissent eux-

‘Les definitions qui ont pu &re donndes par les auteurs au pluralisme juridique sont tr~s diverses.
Ainsi, pour Jean Carbonnier, le pluralisme juridique est le constat de l’existence sur un territoire donnd
d’une opluralitd de droits concurrents, dtatiques, infra6tatiques, supradtatiques>> (Flexible droit : pour
une sociologie du droit sans rigueur, 10’ 6d., Paris, Librairie g~ndrale de droit et de jurisprudence,
2001 A la p. 19). Pour cet auteur, il convient done de distinguer, sur un territoire donn6, le droit
6tatique, qui, A premire vue, semble atre le seul A pouvoir &re qualifi6 de droit, et les autres normes
(religieuses, morales, coutumires, etc.) qui sont de l’infra-droit. Dans son article, Jacques
Vanderlinden (> (1993) 18 Revue de la
recherche juridique, droit prospectif 573) propose deux ddfmnitions du pluralisme juridique selon que
l’on se place du point de vue de la socidtd ou de l’individu. Si l’on se place dans la perspective de la
socidtd, le pluralisme juridique est pour lui > (ibid. aux pp. 573-74). Si
l’on se place du point de vue de l’individu, le pluralisme juridique est ola situation, pour un individu,
dans laquelle des m6canismes juridiques relevant d’ordonnancements juridiques diffrents sont
susceptibles de s’appliquer A cette situatiow> (ibid. A la p. 583).

2 La question des relations entre la famille et l’Etat en Europe occidentale est envisag6e par Marie-
Thdrtse Meulders-Klein, Lapersonne, lafamille et le droit, 1968-1998: trois ddcennies de mutations
en occident, Bruxelles, Bruylant, 1999 A la p. 413 et s. Marie Pratte, quant A elle, a analysd certaines
dispositions du nouveau Code civil du Quebec au regard de la nouvelle politique familiale qudbdcoise,
dans Analyse de certaines dispositions du nouveau Code civil du Quibec en regard de la politique
familiale quibicoise : rapport pr~sentg au Secritariat 6 la Famille, Ministre du Conseil exicutif,
Qu6bec, Gouvemement du Qudbec, Secr6tariat A la famille, 1993.

3 A propos des r6formes intervenues en droit de la famille en France, le doyen Jean Carbonnier a
affirm6 qu’<[e]n librant certains comportements de la sanction juridique, le ldgislateur a entendu les renvoyer A d'autres syst6mes normatifs, moeurs, morale, religion. [...] L'espace de libert6 qui a W d6gag6 pourrait bien 8tre occup6 par des normes collectives, des pouvoirs moraux, les madias, l'6cole et l'1tglise > (Droit civil: lafamille, t. 2, 17′ 6d., Paris, Presses universitaires de France, 1995 A la p.
24). De 1 est n~e pour cet auteur l’hypoth~se du non-droit, qui est l’idde d’un espace d’oii le droit
Atatique choisit de se retirer pour que d’autres normes puissent s’y installer pour organiser les rapports
entre individus.

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MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

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m~mes, selon les circonstances, une hidrarchie ad hoc des r6gles qui convergent vers
eux4 ?

Cest la question de l’attitude dujuge de droit civil A l’6gard de l’enchevetrement
des normes dtatiques et des normes religieuses au sein de la cellule familiale que cet
article se propose d’6tudier en confrontant l’hypoth~se du pluralisme juridique A la
d6marche pratique des juridictions civiles. Deux raisons essentielles justifient le choix
de cette double perspective : celle du juge et celle de la tradition de droit civil.

Premi~rement, quelle que soit la nature des relations qu’un ordre juridique
6tatique choisit d’entretenir avec les ordres nonnatifs religieux, y cornpris si l’ordre
juridique 6tatique choisit d’6tablir une s6paration stricte entre les r6gles de droit
dtatique et les r~gles religieuses, il demeure que l’individu constitue le point de
rencontre entre ces r~gles. Comme sa situation peut 8tre soumise A des m6canismes
juridiques relevant d’ordres normatifs distincts, celui-ci peut recourir au juge de droit
civil pour lui demander de prendre en considdration et d’arbitrer cette situation de
pluralisme juridique. D6s lors, quelle est l’attitude du juge de droit civil ? Prend-il en
consideration la norme religieuse ? Accepte-t-il de la reconnaitre, c’estA-dire de
d6duire des effets positifs ou n6gatifs au sein de l’ordre juridique 6tatique du fait de la
soumission de l’individu A cette norme religieuse ?

Deuxi~mement, une des particularitds de la tradition de droit civil est de recourir
A un raisonnement d6ductif’, le syllogisme juridique, qui consiste A appliquer des

4 Voir Vanderlinden, supra note 1 aux pp. 580-8 1, oit il constate que o[t]out individu, sauf exception
toujours possible, est […] le point de rencontre de multiples rdseaux sociaux. […] Les
tre diffdrents dans leurs
ordonnancements [normatifs] qui se rencontrent, sans n6cessairement
m6canismes, A l’intrieur du champ clos de chaque comportement
individuel ne sont pas
n~cessairement hidarchis~s>. Ds lors, selon cet auteur, ce serait
lui-mdme qui
l’individu
determinerait cette hidrarchie en fonction de paramtres qui n’ont pas n6cessairement un caractere
institutionnel: .
5 Le raisonnement d~ductif formel est au centre de la tradition de droit civil mais des nuances
peuvent 6tre apport6es sur cette approche de cette tradition juridique. Voir Chafm Perelman, Logique
juridique: nouvelle rhitorique, 2′ 6d., Paris, Dalloz, 1979. Ce dernier, aprs avoir notd que le
syllogisme rigoureux, raisonnement analytique embl~matique d’une logique formelle, a pour
particularit6 le caract&e contraignant du passage des prnmisses vers la conclusion (ibid A la p. 2),
s’efforce ensuite tout au long de son livre de donner des illustrations d’autres types de raisonnements
juridiques. Ainsi, reprenant Tarello, Perelman 6nonce 13 types d’arguments, tels que l’argument a
contrario, l’argument analogique et l’argument naturaliste (ibid. A la p. 55). Mais c’est surtout dans
son analyse du raisonnement judiciaire d’apr6s-guerre que Perelman insiste sur le recours par les juges
i un raisonnement dialectique, impliqu6 > (ibid A la p.
84). N’oublions pas toutefois que, comme l’6crit aussi Perelman, oil y a toujours moyen de
transformer une argumentation quelconque en un syllogisme, en ajoutant une ou plusieurs pr6misses
supplimentaires (ibid. A la p. 2), et que le raisonnement dialectique utilise aussi un syllogisme appelk

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C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

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r~gles de droit, rassembldes dans un code (la majeure), A des faits prdsentds par les
parties (la mineure), en vue d’en d6duire des effets de droit’. La tradition de droit civil
est donc marqude par une distinction, thdoriquement nette7, entre le droit (la majeure)
et le fait (la mineure). Ds lors, s’il y a reconnaissance de la normativitd religieuse’
par le juge de droit civil, quel statut lui confre-t-il ? La consid~re-t-il comme du
fait ? Ou, au contraire, la consid~re-t-il comme du droit ?

Cette lecture de la ddcision judiciaire fond6e sur la dichotomie entre le > et le
peut sembler r6ductrice en ce qu’elle n6glige la dimension rh6torique de
l’acte de juger et simplifie A l’exc6s la question du traitement de la normativitd
religieuse par le juge de droit civil. D~s lors ne faut-il la d6passer ou A tout le moins la
nuancer en recourant A des explications d’ordre m6ta-juridique ? C’est cette voie que
cet article se propose d’explorer en partant de l’intuition que la reconnaissance et les
effets accord6s A la normativitd religieuse par les juridictions civiles sont d6termin6s
par une prdcomprdhension qui leur est propre de la place et du r6le du droit qu’elles
appliquent au sein de la socidt6.

X l’origine de cette idde, le postulat proposd par Frangois Ost, selon lequel toute
lecture hermneutique d’un vnement, d’un document, d’un r6cit est ddjA pr6-
structur6e par une prdcompr6hension de ce qui y est A comprendre9. Cette ide d’une
prdcomprdhension, fondatrice de tout jugement, de tout acte d’interpr6tation, de toute
connaissance juridique, a 6galement
td reprise par Pierre Legrand. Selon lui, les
juristes comprendraient le droit, omunis d’un dispositif aussi complexe qu’unique de

oentymne>, dont les pr~nisses ne sont pas 6nonc~es car 6tant suppos~ment connues et accept6es par
l’auditoire.

6 Sur les sp6cificit6s de la tradition de droit civil, voir H. Patrick Glenn, Legal Traditions of the
World: Sustainable Diversity in Law, Oxford, Oxford University Press, 2000 aux pp. 116-56. Voir
aussi l’article de Pierre Legrand, dans Archives de philosophie du droit: vocabulaire
fondamental du droit, t. 35, Paris, Sirey, 1990, 143.

8 Dans cet article, plut6t que de parler des seules normes religieuses, nous avons choisi ‘expression

plus large de onormativit religieusen. En effet, lorsque des parties invoquent des normes religieuses A
l’appui de leurs pr~tentions pour obtenir des effets positifs ou n6gatifs au sein de l’ordre juridique
dtatique, elles invoquent soit une norme religieuse seule pour en obtenir l’application, soit la situation
erie par une ou plusieurs normes religieuses dont elles demandent au juge de droit civil la
reconnaissance. Ds lors, lorsque nous utilisons l’expression onormativit
religieuse , nous nous
r~f~rons A la fois A l’un ou l’autre cas.

9 Frangois Ost, oL’interpr6tation logique et systtatique et le postulat de rationalitd du l6gislateun
dans Michel van de Kerchove, dir., L’interpretation en droit : approche pluridisciplinaire, Bruxelles,
Publications des Facult6s universitaires Saint-Louis, 1978, 97. Selon Ost, tout jugement reposerait sur
une interpretation fondatrice inconsciente, definissant le contenu d’une prdcomprdhension, c’est-iA-dire
le contenu de ce qui est A comprendre dans les faits qui sont prdsentds par les parties. En l’occurrence,
selon lui, cette pr~compr~hension serait une representation iddologique de l’ordre juridique tel que
produit par un l6gislateur rationnel, que le juge s’efforcerait d’affirmer et de justifier au travers du
jugement en recourant A la logiquejuridique.

MCGILL LAW JOURNAL/ REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 48

“prdcomprhension” [qui serait tant] le produit de la culture juridique i laquelle [ils
accident] par leurs 6tudes en droit [que] le fruit du conditionnement oprd par la
culture tout court pr~alablement A toutes 6tudes juridiques que ce soit,’ . Tout juriste
accderait donc A une connaissance du droit, limitd par cette prdcomprdhension du
droit qui s’ancre dans son hdritage culturel et qui ddterminerait la mani~re dont il
aborde tout savoir relatif au droit.

Pour identifier la pr~comprdhension qui sous-tend les d6cisions abordant la
question de la reception de la normativitd religieuse, nous avons choisi de limiter
notre champ de recherche aux contentieux civils frangais et qudb6cois relatifs au
choix de la religion, A la pratique et A l’dducation religieuse de leurs enfants par les
titulaires de l’autorit6 parentale. En effet, l’intdrdt de la comparaison entre le droit de
la famille frangais et le droit de la famille qudb~cois reside dans le fait que les
rapports des ordres juridiques frangais et qudbdcois avec la religion sont fort distincts
quand bien m~me le droit de la famille y est homog~ne, s~cularisd et unifid. En
France, l’affirmation de la lafcitd de l’ttat” a eu trois consequences sur son droit
national : l’appartenance religieuse n’y est plus un dl6ment de l’dtat des personnes’ 2 ;
rdfdrences explicites A des
les normes 6tatiques sont exemptes de
commandements
les normes de l’ltat
appartiennent A deux ordres parall6les, diffdrents et spards. Au Quebec, une
semblable s~cularisation du droit civil est observable depuis la promulgation du

religieuses et

toutes

religieux;

les normes

‘0 Legrand, supra note 6 A la p.799. Pierre Legrand utilise cette notion de prdcompr6hension pour
affirmer l’individualitd de tout ordre juridique national, de m~me que les limites que rencontre tout
juriste dans la comprdhension d’un droit autre que son droit national.

” Selon Le Petit Robert, la lafcit est oun principe de sdparation de la socidtd civile et de la socit6
religieuse, l’ltat n’exergant aucun pouvoir religieux et les tglises aucun pouvoir politique> . Cette
notion justifie done politiquement la sdparation de l’glise et de I’lttat. Cependant, elle ne manque pas
d’ambigu Mt. Comme le constate Jean Rivero, la laifcit6 oest n6[e] d’glise ; le lafc, c’dtait initialement,
c’est toujours dans le vocabulaire catholique, le baptis6 qui n’appartient pas A la hierarchie
eceldsiastique, le non clerc> ((De l’iddologie A la rtgle de droit : la notion de latcit6 dana la
jurisprudence administrative>> dans A. Audibert et al., La lalciti, Paris, Presses universitaires de
France, 1960, 263 A la p. 265). Voir aussi, sur la lalfcit6, Jean Comec, Larcit, 2′ 6d., Paris, Socitt
universitaire d’Mditions et de librairie, 1967 ; Jean Baubdrot et al., L’histoire religieuse de la France,
9 -20’ sicle, Paris, Beauchesne, 1975 ; Jean Baub6rot, Vers un nouveau pacte Ia~que ?, Paris, Seuil,
1990. Le caract~re lalc de ltat frangais fit reconnu pour la premitre fois dans le prambule de la
constitution de 1946, traduisant par-lA mme l’achtvement du processus de sparation de rordre
dtatique et des ordres religieux.

12 Voir Encyclopddie juridique Dalloz : Repertoire de droit civil, <(Actes de I'dtat civib au n 9. Dans 'Ancien droit, les actes de l'6tat civil dtaient regus par le clergd catholique, dont les registres avaient un caractre officiel. Par le dcret du 20 septembre 1792, les ministres du culte ont cependant perdu toute comptence A cet dgard au profit des municipalitds, qui ont depuis le soin de dresser et de conserver ces actes. Le clergd continue toutefois A tenir des registres, mais les actes n'ont plus qu'une valeur privde de renseignements sur le fait contest6. 2003] C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS - LA NORME RELIGIEUSE 679 nouveau Code civil du Quebec en 1991 : le regime de l'dtat civil est laycisd 3 ; le nouveau code ne contient plus que deux articles dont la prdsupposition renvoie de manire explicite A la religion"4 . Toutefois, l'absence de principe de sdparation entre les dglises et l'ttat 5 ainsi que le souci exprim6 dans le cadre constitutionnel f~d6ral canadien"6 et dans la Charte qudbdcoise des droits et libertds de la personne"7 d'appr6hender la personne dans la concrttude de ses appartenances" et de prottger les minoritds, notamment religieuses, semblent inviter le juge qutbdcois A appliquer de manitre diffdrenci6e les rtgles de droit civil en fonction de l'appartenance culturelle, ethnique et religieuse de l'individu. Dis lors, ce ne sont pas sur les mtmes prdsupposds que les ddcisions des juges frangais et qudbdcois peuvent d'emblde se fonder pour apprdhender la normativitd religieuse au cours d'un litige. Pour rdaliser cette 6tude, tous les degrs de juridiction ont 06 considdrds, du Tribunal de grande instance A la Cour de cassation en France, de la Cour sup6rieure A la Cour supreme du Canada au Qudbec. Ce corpus jurisprudentiel a toutefois td 13 L'article 103 C.c.Q. precise : d.>.

14 Larticle 366, al. 2 C.c.Q. reconnait que les ministres du culte sont des c6l6brants comp6tents pour

t le faire par la socit

religieuse At laquelle ils

le Canada, profonddment

cdl~brer les mariages, s’ils ont W habilits
appartiennent ; l’article 367 C.c.Q. 6nonce quant A lui qu'(([a]ucun ministre du culte ne peut atre
contraint t cdl~brer un mariage contre lequel il existe quelque empechement scion sa religion et la
discipline de la socidtd religieuse A laquelle il appartient>.
15 Selon Margaret H. Ogilvie (Institutions and the Law in Canada, Toronto, Carswell, 1996 A la p.
77),
influencd par la tradition cbrdtienne majoritaire, reconnait
l’independance de l’ordre spirituel et de l’ordre temporel mais n’a jamais posd un principe de
sparation, pourtant reconnu tacitement par la pratique. C’est la raison pour laquelle la rffrence it
Dieu peut etre envisageable dans les textes canadiens. Ainsi, le prdambule de la Loi constitutionnelle
de 1982 (constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11) 6nonce :
.

16 Les principaux textes constitutionnels du Canada sont: la Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.),

30 & 31 Vict., c. 3, reproduit dans L.R.C. 1985, app. H, n’ 5 [Loi constitutionnelle de 1867] et la
Charte canadienne des droits et libertds, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, ibid [Charte
canadienne].

17 Charte des droits et libertis de lapersonne, L.R.Q. c. C-12 [Charte qudbicoise].
t8 En effet, comme le note Charles Taylor dans Multiculturalisme, diffirence et dimocratie
(Manchecourt, Champs Flammarion, 1997), la Charte canadienne et la Charte quebcoise
contiennent trois catigories de droits, les deux demi~res invitant l’ordre juridique canadien t envisager
I’individu dans ses caractdristiques concretes. Les premiers droits sont individuels et sont semblables it
ceux dtant proteges par d’autres chartes et constitutions au sein des dmocraties occidentales : ce sont,
par exemple, la libert6 de religion et la libert6 d’expression. Les seconds garantissent l’dgalitd de
traitement des citoyens et les prothgent contre un traitement discriminatoire pour des motifs
irrecevables, tels que la race, le sexe ou la religion. Enfin, les deux chartes reconnaissent des droits A
certaines collectivits linguistiques, religieuses ou etiniques. Ds lors, l’ordre juridique canadien
reconnait l’6galit des droits des citoyens tout en reconnaissant l’identit6 spcifique de certains
groupes et de certains individus.

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 48

encadrd par une double limite”9. La premiere limite est temporelle. En France, les
decisions s~lectionndes sont post~rieures A la seconde guerre mondiale, s’6chelonnant
principalement des anndes soixante A nos jours. En effet, c’est A partir de cette p6riode
que le juge de droit civil, marqu6 auparavant par une comprehension stricte du
principe de
lalfcitW, sort de sa neutralitd judiciaire pour distinguer, parmi les
communaut~s religieuses, les ((religions> et les ((sectes>>. Au Quebec, les decisions
retenues s’6chelonnent des ann~es quatre-vingt A nos jours puisque c’est a partir de
cette date que les r6formes affectant le droit de la famille et que les chartes
canadienne et qudbdcoise d~finissent des principes directeurs fondamentaux pour
guider les decisions civiles en matire religieuse. La seconde limite du corpus
jurisprudentiel concerne les sources d’information disponibles. Nos recherches se
sont restreintes aux decisions publi~es dans les revues et les recueils officiels de
jurisprudence. Ce choix se justifie par l’idde qu’une telle publication se fonde sur une
selection a priori des decisions civiles significatives selon une certaine doctrine
relative aux rapports entre le droit et la religion et, ds lors, peut-dtre, sur des pr6-
comprehensions de la nature des rapports qu’ils doivent entretenir l’un avec l’autre.
La consdquence de ce choix est que les faits et les pr~tentions des parties n’ont pas
W recueillis dans les archives judiciaires. L’tude que nous avons pu en faire r~sulte
donc de la narration que le juge de droit civil a pu en retenir dans le cadre de sa
d6ecision ainsi que des informations recueillies dans les notes d’arrdts.

Par l’analyse de l’attitude des juges de droit civil frangais et qu~b~cois face aux
choix des titulaires de l’autorit parentale de soumettre leur(s) enfant(s) At une ou
plusieurs normativit6(s) religieuse(s), cet article vise A identifier explicitement les
valeurs 2 qui guident ces juges dans leur pratique judiciaire. Ces valeurs seront
d’autant plus facilement identifiables dans les litiges impliquant un mineur, que le
juge de droit civil, sortant de sa neutralitd, a souvent tendance Ai contr6ler les normes
religieuses auxquelles l’enfant, citoyen en devenir, est soumis, de fagon At ce que son
sort ne soit pas laiss6 au libre jeu des normes familiales et des ordres normatifs
religieux.

En outre, une d6marche comparative entre la France et le Qu6bec pett faciliter la
mise en 6vidence des pr6compr6hensions judiciaires relatives A la place et au rfle du

19 Pour comprendre les rapports ant6rieurs entre la r~gle religieuse et la r6gle de droit civil au
Qudbec, et plus particuli~rement les rapports entre le droit canonique et le droit civil qu6b~cois, on se
r~ferera aux articles de Ernest Caparros, > de ces ddcisions : les
prdcomprdhensions sur lesquelles sont fonddes les d6cisions des juges frangais et
qudbdcois22 .

juridiques

tout en ddvoilant

frangais et qudbdcois

En partant d’une approche pratique de l’attitude du juge de droit civil frangais et
qudbdcois vis-A-vis de la norme religieuse, cette dtude esp~re s’affranchir d’une
analyse trop systdmatique de la place de la norme religieuse dans la pratique
judiciaire. Elle esp~re identifier la place effective de la norme religieuse dans les
ordonnancements
les prd-
comprdhensions relatives A la place et au r6le du droit civil au sein des socidtds
respectives qui la sous-tendent. Nous ddmontrerons ainsi que les juges frangais et
qudbdcois reconnaissent l’existence et les effets des normativitds religieuses invoquds
par les parties A l’dgard de l’enfant, en se servant de certaines techniques juridiques
dont le choix est dictd par leurs prdcomprdhensions relatives A la place du droit civil
dans la socidtd. Un certain pluralisme est donc reconnu au sein de la cellule familiale
(Titre I). Mais, ces deux juges ne se limitent pas A la seule question de la
reconnaissance des prdtentions des parties quant A l’existence et aux effets de la
normativitd religieuse. Ils contr6lent aussi les retombdes de ce pluralisme au sein de
la cellule familiale en ddterminant les effets juridiques que la normativitd religieuse
peut produire au sein de l’ordre juridique dtatique. A cet effet, ils utilisent la notion de
l’intdret de l’enfant telle que fagonnde par leurs prdcomprdhensions concernant le r6le
du droit civil dans leur socidtd respective (Titre II).

Section pr61iminaire : les assises m6thodologiques

Afin de saisir ces prdcompr6hensions, ou, en d’autres termes, cette dimension
mdta-juridique du droit, nous n’avons pu nous limiter A une mdthode traditionnelle
d’analyse des jugements de droit civil. Pour explorer cette odimension muette>> de ces
ddcisions, nous avons dfi nous efforcer d’adapter cette mdthode. En effet, cette
demi~re, i savoir l’tude du syllogisme juridique comme raisonnement mdcanique et

21 Cette expression est employde dans l’article de Horatia Muir Watt, ((La fonction subversive du
droit compardo (2000) 52 R.I.D.C. 503, qui I’emprunte A Rodolfo Sacco, La comparaisonjuridique
au service de la connaissance du droit, Paris, Economica, 1991 A lap. 106. Selon ce demier auteur, la
comparaison des syst~nes juridiques aurait pour consdquence de permettre l’expression des
ocryptotypeso, donndes implicites caractrisant une omentalitdjuridique donnde (ibid.).

2 2Dans son article, Muir Watt constate que ol’admission de la fonction subversive du droit compard
fait partie des acquis de la doctrine comparative depuis l’dlaboration par le grand comparatiste italien
Rodolfo Sacco de sa thdorie du droit compard comme connaissance critique du droib (ibid A la p.
505). En effet, en regardant au-deli des horizons purement nationaux, <([l]a comparaison s'engage ainsi contre le dogmatisme, contra les stdrdotypes, contre l'ethnocentrisme, c'est-h-dire, contre la conviction rdpandue (quel que soit le pays) selon laquelle les cat6gories et concepts nationaux sont les seuls envisageableso (ibid. A la p. 506). 682 MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL (Vol. 48 neutre qui met l'accent sur la seule ddcision du juge, 6tait clairement insatisfaisante23 . Pour d6pouiller les d6cisions frangaises et qu6b6coises, nous avons donc choisi d'envisager l'acte de juger comme un processus, en vue de d6composer toutes les dtapes de l'argumentaire du juge de droit civil dans sa rdponse A l'invocation de la normativit6 religieuse par les parties. L'61aboration de cette m6thode d'analyse des decisions du juge de droit civil a repos6 sur trois pr6misses : premi6rement, le jugement est une argumentation qui se construit en rdponse aux prdtentions des parties en vue de rdsoudre le litige, certes, mais aussi en vue de proclamer et de garantir une reprdsentation donn6e du droit ; deuxi~mement, cette argumentation qui permet au juge de formuler sa decision est le fruit d'un processus appeld dans lequel l’interprdtation de la r~gle de
droit est tout aussi importante que celle des faits expos6s par les parties24 ;
le juge exerce sa discr6tion au cours des diff6rentes dtapes
troisi~mement,
constitutives de l’acte de juger, c’est-A-dire qu’il fait des choix et dispose d’une
certaine libertd A condition, 6videmment, de justifier sa ddcision par la motivation”.

D~s lors, i a W possible de d6composer de fagon chronologique l’acte de juger
en cinq phases, la demi~re phase 6tant la seule A 8tre mat6rialis6e dans le jugement tel
que publi6, r6sultat lui-m~ne des quatre phases pr6c6dentes.

La premiere phase est 1’6coute des pr6tentions des parties par le juge de droit civil
au cours de laquelle les parties exposent des faits26 A l’appui de leurs pr~tentions

23 Cette idde selon laquelle le droit peut se rdaliser de manicre neutre et objective est dvelopp~e par
Henri Motulsky, Principes d’une rialisation mithodique du droit priv: la thiorie des himents
g nirateurs des doits subjectifs, Paris, Dalloz, 2002. En developpant un m6canisme de rdalisation du
droit qui repose sur la m6thode du syllogisme juridique, Motulsky veut montrer qu’oavant de s’en
remettre A des guides aussi incertains et aussi d6cevants que I’&tuitd, la (ibid. A la p. 14).

24 Sur la question de l’interptdtation des faits en droit, voir l’ouvrage de Thdodore Ivainer,
L’interprdtation des faits en droil: essai de mise en perspective cyberntique des ((umieres du
mistratv, Paris, Librairie gdndrale de droit et de jurisprudence, 1988.

2 La motivation reprtsente la contrainte majeure du jugement et remplit plusieurs fonctions. Tout
d’abord, la motivation de la d6ecision vise Ai favoriser sa 1dgitimation au regard des parties (et
particulirement au regard du perdant), en montrant que la decision se fonde sur le droit. La
motivation donne une objectivitd au jugement, et ouvre des moyens de recours pour les parties : elle
leur permet de fonder leur recours devant une juridiction sup6rieure en invoquant les motifs de droit
ou de fait invoquds par lejuge A l’appui de sa decision.
26 Cette presentation est primordiale puisque le juge ne peut fonder sa d6cision que sur les faits
prdsents au d6bat (art. 7 N.C. proc. Civ. ; art. 468 C.p.c. : oLe tribunal ne peut adjuger au-delA de ce
qui est demande […]a). Toutefois, la loi offre en France une certaine marge de manoeuvre au juge :
selon l’article 26 N.C. proc. Civ., le juge peut fonder sa decision sur tousles fais relatifs au cas qui lui
est soumis, y compris ceux qui n’auraient pas t6 all6guds. Par consdquent, le juge peut se rfdrer aux
faits que les parties n’ont pas prdsentds i l’appui de leur pr6tention mais qui sont exposds dans les
conclusions. Sur les parties, pOse la charge de I’allgation. Ainsi, en France, l’article 6 N.C. proc. Civ.
pracise qu’<. Voir aussi, pour le Quebec,
l’article 76 C.p.c., qui dnonce que o[l]es parties doivent exposer, dans leurs actes de procddure, les
faits qu’elles entendent invoquer et les conclusions qu’elles recherchent et l’article 289 C.p.c., qui
precise que <[c]'est A la partie sur laquelle repose le fardeau de la preuve A proc&Ier la premi&e A l'interrogation de ses t~moins>>.

27 En effet, selon les r~alistes amOricains, ce sont surtout des facteurs sociaux qui influencent la
decision des juges et l’application mcanique du syllogisme juridique. Voir notamment Jules L.
(1993) 142 U. Pa. L. Rev. 549 ;
Coleman et Brian Leiter, determinacy, Objectivity, and Authority
Jerome Frank, Law and the Modern Mind, New York, Brentano’s, 1930 A la p. 100 et s.; Joseph C.
Hutcheson, (1929) 14
Cornell L.Q. 274 ; Karl N. Llewellyn, (
>, en mettant trop l’accent sur des facteurs accidentels (par
exemple le contenu d’un petit ddjeuner), denie toute pertinence aux facteurs sociaux qui determinent
le cours et le risultat de la decision judiciaire (<(Transcendental Nonsense and the Functional Approach> (1935) 35 Colum. L. Rev. 809). De m&ne, Roscoe Pound a critiqu6 les rralistes pour leur
manque de rdalisme> lorsqu’ils refusaient de reconnaltre que d’autres 616ments entraient en ligne de
compte dans la prise de decision du juge tels que les idees reques, la qute d’un ideal de certitude et
d’uniformitd, le mode de raisonnement juridique traditionnel, etc. (oThe Call for a Realist
Jurisprudence

(1931) 44 Harvard L. Rev. 697).

8 L’objet du litige est la situation sur laquelle s’est dlevd le litige, telle que reconstruite par le juge.
Ce n’est done pas un don, mais bien une construction par le juge pour permettre l’application de la
r~gle de droit. Une telle analyse s’inspire de celle de Patrick Nehrot, The Law and its Reality>> dans
Patrick Nehrot, dir., Law Interpretation and Reality: Essays in Epistemology, Hermeneutics and
Jurisprudence, Dordrecht, Kluwer, 1990, 50. Selon lui, le fait et le droit ne sont pas deux notions
contradictoires, mais plut6t compldmentaires. En effet, Nehrot affinne que le fait est le rsultat d’une
conceptualisation A partir d’dlments detachds de leur contexte. Des lors, l’objet du litige, support de
l’application de la r~gle de droit, est un construib> du juge et non pas un odonn> des parties.
D’ailleurs, minme lorsque les parties prdsentent les faits, il ne s’agit pas d’un donnA mais d’un
lui aussi tir de son contexte, afin de justifier l’application d’une r~gle de droit favorable A
construit
la partie qui invoque les faits. La particularit6 du construit du juge est donc le fait d’dtre celui d’un
tiers au litige qui est censd s’6chapper des int&rts particuliers des parties, afin de permettre
l’application de la rrgle de droit et la reconnaissance de valeurs collectives. Cette perception peut etre
compldtde par celle de Rigaux, qui d’ailleurs va plus loin. Selon ce demier, l’apparente unicit6 du fait
est illusoire : le fait est complexe, et est constitu6 par la pluralith de ses descriptions au cours du procrs
(Frangois Rigaux, The Concept of Fact in Legal Science dans Nerhot, ibid., 38).

684

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 48

d’une interprdtation des faits de l’esp6ce que le juge de droit civil r6alise par leur
pond6ration et la d6termination de leur degr6 de pertinence, ainsi qu’en fonction de la
r~gle de droit qu’il a en vue d’appliquer. Tout comme dans la premiere phase, le
travail du juge est orient6 ici par ses propres valeurs ainsi que par celles de la soci6td
au sein de laquelle it rend sa d6cision29.

La troisi~me phase est la qualification juridique de l’objet du litige par le juge afin
d’identifier la r~gle de droit applicable et les effets de droit qui en d6coulent. Au cours
de cette phase, lejuge de droit civil subsume l’objet du litige reconstruit sous une r~gle
de droit civil (la majeure du syllogisme juridique) afin de le rattacher A une catdgorie
de droit prd-existante et de d6terminer le r6gime applicable. En d’autres termes, au
cours de cette troisi6me phase, pour 6laborer le syllogisme juridique, le juge de droit
civil dtablit une coYncidence entre les 616ments qui composent la prdsupposition de la
r~gle de droit civil et ceux qui constituent l’objet du litige, en vue d’en d6duire des
effets de droit . Cette phase n’est pas non plus empreinte d’une neutralitd absolue,
contrairement A ce qu’une approche m6canique du droit pourrait laisser croire. En
effet, le choix par le juge de la r~gle de droit civil qui lui parait la plus ad6quate pour
int6grer l’objet du litige et le rdsoudre est influenc6 par ses pr6-compr6hensions quant A
la place et au r6le du droit civil au sein de la socidtd. Elle se structure autour des
prdcomprdhensions du juge de droit civil qui, depuis l’coute des prdtentions des
parties, est inspird par une ide de la (> solution A apporter au litige.

La quatri~me phase est la d6termination concr6te des effets de droit par le juge
civil. A l’occasion de cette phase, le juge exerce son contr6le sur les solutions donndes
par l’application des r~gles de droit civil. Par le recours A un standard tel que l’int6rt
il d6termine si ces demifres sont conformes A la normalit6 des
de l’enfant,
comportements et des situations tels que d6flnis a priori par ses prdcomprdhensions
attenant A l’ordre juridique 6tatique. Ces demires se d6duisent de la teneur et du r6le
dona6s au standard de l’intdrdt de l’enfant.

Enf’m, la demi6re et cinqui~me phase est la formulation de la d6cision par le juge
de droit civil, laquelle comprend la r6daction de la motivation du jugement et celle du
dispositif. Cette phase est essentielle : elle concrdtise les itapes prdcddentes de l’acte
de juger et concentre les pr6compr6hensions du juge de droit civil. En effet, la
motivation sert A justifier l’application de la r6gle de droit A l’esp~ce, A 16gitimer le
bien-fondd de la d6cision tant A l’dgard des parties que des juridictions sup6rieures et
contribue A la construction de l’image du pouvoir judiciaire au sein de la socidt6.
Quant au dispositif recelant la solution concrete du litige, il est tout autant le r6sultat
de I’application aux parties du rdgime juridique choisi par le juge au terme de la

29 Selon Ivainer, supra note 24, l’interprdtation des faits est une phase essentielle de l’office du juge
de droit civil qu’il convient de rdhabiliter. Selon lui, le juge interprte les faits grace A un double
syst~me de rdfdrences : le syst6me de valeurs de l’ordre juridique au sein duquel it intervient, et un
syst~me axiologique qui lui est propre, composd de ses valeurs et de celles de la soci6t6 dont it est
issu.30 Voir les d6veloppements sur la qualification de Motulsky, supra note 23.

2003]

C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

685

qualification de l’objet du litige que la ( de ses prdcomprdhensions
prdsentes tout au long du processus.

Par l’application systdmatique de cette m6thode d’analyse aux ddcisions frangaises
et qudbdcoises, nous avons pu identifier les diffdrents paramtres qui guident souvent
de mani~re simultande le juge de droit civil dans sa prise de ddcision, que ceux-ci
soient techniques (recours A des concepts juridiques comme l’autorit6 parentale ou la
libert6 de religion), mdthodologiques (recours au syllogisme juridique et au standard
tel que celui de l’intdr& de l’enfant) ou axiologiques (prdcomprdhensions du juge de
droit civil). Plus particuli&rement, il nous est apparu que les param tres axiologiques
du juge constituent la clef de vofite du processus de l’acte de juger et d~tenninent le
choix des param~tres techniques et mdthodologiques. Par bien des aspects, la mise en
oeuvre de ces paramtres tend A r6pondre Ai une reprdsentation donnde et intdgrde de la
place et du role du droit civil au sein de la socidt6.

Cet article prdsente une synth~se de ce d~pouillage. Notre mdthode d’analyse
n’est done que I’arri&re-plan de notre 6tude dont la trame suit une logique plus
thdorique. Par l’analyse m~thodique des ddcisions frangaises et qu~bcoises, deux
constats se sont imposds. Premi6rement, les concepts juridiques d’autorit6 parentale,
en France, et de libert6 de religion, au Qudbec, servent de fondements A la
reconnaissance de la norme religieuse et servent A 6tablir la place du droit civil A
l’6gard des normes religieuses (I). Deuxi6mement, le standard de l’intdr& de ‘enfant
est au centre du contrrle des effets de la norme religieuse et assoit un rrle spdcifique
du droit civil au sein de la socidtd (II).

1. Un pluralisme reconnu ?

Bien que les juges frangais et qudbdcois adoptent une attitude diffdrente A l’6gard
des parties qui invoquent une normativit6 religieuse i l’appui de leur prdtention (A),
l’un et l’autre choisissent de reconnaitre l’existence de la normativitd religieuse et ses
effets sur l’enfant. Toutefois, les techniques juridiques de la reconnaissance, propres A
chacun de ces deux juges, rdv~lent, A la base de leur raisonnement juridique, des
reprdsentations iddologiques distinctes quant A la place du droit civil au sein de la
socidt6 (B).

A. Lejuge de droit civil face aux parties qui invoquent une normativit6

religieuse : I’analyse concrete des d6cisions judiciaires

Lorsque les titulaires de l’autoritd parentale3″ choisissent de soumettre leur enfant
A des r~gles religieuses, voire m~me A un ordre normatif religieux, ils adoptent, sur le
fondement desdits prceptes religieux, des comportements qui produisent des effets

31 En droit frangais tout comme en droit qudb~cois, les parents naturels (du moment qu’ils
reconnaissent l’enfant) et les parents lgitimes se voient reconnus titulaires de I’autoritd parentale sur
leur enfant.

686

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 48

sur l’enfant. Or, parfois, le choix par un parent de la religion, des rites religieux
(bapt~me, circoncision, etc.), de l’ducation ou de la pratique religieuse pour un
enfant peut aller A l’encontre des d~sirs de l’autre parent. Un conflit peut alors
s’dever entre les titulaires de l’autoritd parentale, qui peuvent d6cider de le porter
devant les juridictions de l’ordre juridique dtatique. Gdn~ralement, les conflits
pr~sent6s au juge peuvent 6merger de deux types de situations : les deux parents
s’opposent soit parce qu’ils appartiennent A deux religions diffdrentes, soit parce
qu’ils ne pratiquent pas leur religion commune avec le m~me degr6 de ferveur.

1. Le contenu des pr~tentions des parties: un essai de typologie

Lors des litiges relatifs au choix de la religion, A l’ducation ou A la pratique
religieuse des mineurs, les parties peuvent invoquer A l’appui de leurs pr6tentions des
comportements qu’elles pr6sentent comme induits de la sounission A une r6gle
religieuse, A un faisceau de r~gles religieuses, voire A un ordre normatif religieux.
Elles attendent que le juge de droit civil en tienne compte lors de 1’6coute de leurs
pr6tentions (premi&e phase de l’acte de juger)32 ainsi que lors de l’application de la
r~gle de droit civil (troisi~me phase de l’acte de juger). On constate que la norme
re invoqude A un double titre : soit comme une norme dont les
religieuse peut alors
parties r6clament l’application au juge33; soit comme une norme A l’origine d’une
situation crd6e sous son emprise, situation que les parties demandent au juge de
reconnaitre on de m6connaltre34. En outre, on peut considdrer que ces pr6tentions
fondes sur une normativitd religieuse poursuivent g6ndralement l’un ou l’autre des
deux desseins suivants. Soit les parties cherchent A faire reconnaitre par le juge la
soumission de l’enfant A une normativit6 religieuse et A permettre l’expression de ses
effets A son dgard par le biais de l’application de la r~gle de droit civil : il s’agit lA de
demander des effets positifs au sein de l’ordre juridique 6tatique de la soumission de
l’enfant A une normativitd religieuse (a). Soit elles cherchent A faire reconnaltre que
l’enfant ne peut 8tre soumis A cette normativitd et A dvincer ses effets A son dgard par
‘application de la r6gle de droit civil : il s’agit de demander des effets ndgatifs au sein de
l’ordrejuridique dtatique de la soumission de l’enfant A une normativitd religieuse (b).

32 Nous rappelons ici que c’est A partir des jugements et des notes d’arret publids que nous avons
tA prdsentkes et narrdes au

tent6 d’identifier les pr~tentions des parties telles qu’elles ont sans doute
jufe de droit civil.

droit de visite A I’dgard de leur filleule, alors qu’aucun lien de parentd ne les lie avec celle-ci.

Par exemple, un parent musulman qui invoque une r6gle musulmane considdant que si l’enfant
recoit les sacrements d’une auire religion, il ne pourra plus etre consid6r6 comme musulman pour
ern3cher des actes religieux de son ex-dpouse catholique A I’dgard de leur enfant commun.

Par exemple, deux 6poux qui revendiquent leur qualitd de parrain et marraine pour obtenir un

2003]

C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

687

a. Pour faire reconnaltre la soumission de I’enfant d une
norm ativitO religieuse et permettre I’expression de ses effets 6
son 6gard (effet positif)

Les parties peuvent invoquer la soumission de l’enfant A une ou des r6gle(s)
religieuse(s), voire A un ordre normatif religieux, pour que le juge reconnaisse
1’existence de cette normativitd religieuse et qu’il permette, par l’application d’une
r~gle de droit civil, l’expression de ses effets A l’tgard de l’enfant. Ainsi, au Qudbec,
une tpouse, membre du mouvement Lubavitch, a pu invoquer les prdceptes religieux
de son mouvement en vue d’obtenir le retrait du droit de visite de son ex-dpoux
pendant le Shabbat> afin que, pendant ce jour, celui-ci n’impose pas A leurs enfants
communs des actes que le mouvement ddfend35. De m~me, un p~re musulman a-t-il
pu invoquer une r6gle religieuse de sa communautd, excluant de
la religion
musulmane tout enfant baptis6 qui regoit 1’eucharistie chrdtienne, en vue d’obtenir
une injonction interlocutoire36 interdisant A son ex-6pouse, catholique, d’administrer
le sacrement de 1’eucharistie A leur enfant commun aT. En France, deux dpoux, parrain
et marraine, ont’pu invoquer l’institution du baptdme catholique en vue d’obtenir un
droit de visite A l’6gard de leur filleule, que leur d6niaient les parents de l’enfant35 .
Dans une autre affaire, deux parents protestants ont pu demander que leur enfant,
plac6e dans un dtablissement catholique, regoive une 6ducation protestante et soit
6lev6e selon les pr6ceptes de leur religion39.

b. Pour faire reconnaltre que I’enfant ne peut 6tre soumis d une
normativit6 religieuse et 6vincer ses effets 6 son 6gard (effet
negatif)

L’invocation de la norme religieuse pour que le juge prete le bras sdculier du droit
civil pour reconnaitre les effets de cette norme dans son ordre juridique n’est pas la
seule fin que recherchent les parties. En effet, l’une des parties peut aussi choisir
d’invoquer la norme religieuse ou la situation crdde sous son empire pour que le juge
l’dvince (effet ndgatif) et rende ainsi inefficaces ses effets A l’dgard de l’enfant. Par

1114, [1987] RID.F. 366 (C.S.).

“Voir Droit de lafamille –
36 Au Qudbec, soit on demande une injonction A titre principal: il s’agit de l’injonction demandde
par action. Soit on demande une injonction A titre incident : il s’agit alors de l’injonction interlocutoire.
Voir l’article 752 C.p.c., qui pr6cise: Outre l’injonction qu’elle peut demander par requ&e
introductive d’instance, avec ou sans autres conclusions, une partie peut, au d6but ou au cours d’une
instance, obtenir une injonction interlocutoire. Linjonction interlocutoire peut 8tre accordde lorsque
celui qui la demande parait y avoir droit et qu’elle est jug~e ncessaire pour empdcher que ne lui soit
caus6 un prejudice s~rieux ou irrdparable, ou que ne soit cr6 un 6tat de fait ou de droit de nature A
rendre le jugement final inefficace.

3Voir Droit de lafamille – 2505, [1996] R.D.F. 785 (C.S.).
3 Voir Paris, 30 avril 1959, D. 1960.Jur.673 (note Jean Carbonnier), J.C.P. 1959.11.11097 (note
P.N.).39 Voir Trib. gr. inst. Versailles, 24 septembre 1962, D. 1963.Jur.52 (note Jean Carbonnier) [T.G.I.
Versailles, 24 septembre 1962].

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 48

exemple, au Qudbec, un 6poux catholique a pu invoquer l’obligation de son dpouse,
Tdmoin de Jdhovah, de faire du porte-A-porte en vue d’obtenir la restriction du droit
de visite de celle-ci40 . De m~me, en France, une 6pouse catholique a pu invoquer les
exigences excessives de la communautd des Tdmoins de Jdhovah pour interdire A sa
fille de 16 ans de recevoir le bapt8me dans le cadre de cette communaut6 religieuse41.
Faire produire des effets positifs ou ndgatifs au sein de l’ordre juridique 6tatique
du fait de la sounission de 1’enfant A une normativit6 religieuse, tels sont les desseins
poursuivis par les parties dans les litiges relatifs au choix de la religion, de
l’&ducation ou de la pratique religieuse des mineurs. Face A de telles pr6tentions
fonddes sur une normativitd religieuse, le juge de droit civil va reconstruire l’objet du
litige : se dapartissant de l’objet du litige tel que construit par les parties, il va
sdlectionner les faits qui lui apparaissent pertinents et, A partir de ceux-ci, construire
la mineure du syllogisme pour appliquer la r~gle de droit civil appropride en l’esp~ce.
La question qui se pose est alors la suivante : dans quelle mesure la norme religieuse
ou la situation n6e sous son empire est-elle un 6l6ment pertinent pour le juge dans la
construction de l’objet de litige ?

2. Le traitement des pratentions des parties par les juges franais et

qu~b~cois

Face aux pr~tentions des parties fond~es sur une normativit6 religieuse, le juge va
ensuite reconstruire l’objet du litige (deuxirme phase de l’acte de juger) et choisir une
qualification donn6e (troisi&me phase de l’acte de juger). Sur ces points, les positions
du juge frangais et qudb~cois dift’rent. Alors que le juge frangais semble, la plupart
du temps, vouloir dvincer cet argument en dplagant l’objet du litige (a), le juge
qudb6cois s’efforce de le prendre en considdration (b).

a. La soumission d une normativitf religieuse : un argument
6vinc6 par le juge frangais par un d6placement de ‘objet du
litige

i. Effets positifs demand~s et reconnaissance incidente des

effets de [a normativit6 religieuse

En France, la reconnaissance directe de la soumission A une nonnativitd
religieuse pour en drduire des effets positifs au sein de l’ordre juridique 6tatique
semble, A bien des 6gards, n’Wetre qu’une exception, qui d’ailleurs a dt rapidement
rise en dchec. L’exemple sans doute le plus reprdsentatif de reconnaissance directe
de la sounission A une norme religieuse invoqu6e par les parties afm que le droit

40VoirDroit de lafamille – 353 (1987), 8 R.F.L. (3C) 360 (C.A.).
41 Voir Cass. Civ. 1 , 11 juin 1991, Bull. Civ. 1991.I.n’196, D. 1991.Ju.521 (note Philippe

Malaurie), [1992] R.T.D. civ. A lap. 75 (note Jean Hauser).

2003]

C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

689

dtatique prate son concours A la rdalisation de ses effets au sein de l’ordre juridique
dtatique est l’arr& rendu par la Cour d’appel de Paris, le 30 avril 1959. Dans cette
decision, les juges ont accord6 un droit de visite A des 6poux catholiques, parrain et
marraine d’une enfant avec laquelle ils n’avaient aucun lien de parent6, en le
justifiant par l’existence de l’institution religieuse du parrainage42. Pour ce faire, ils
ont eu recours A un raisonnement juridique s’appuyant sur deux arguments
principaux. Tout d’abord, ils ont affirm
la juridicit6 de l’institution du parrainage en
affirmant qu’elle dtait une coutume praeter legem. D~s lors, par un raisonnement
analogique, ils ont assimil6 la parent6 spirituelle A la parent6 ldgale, admettant ainsi
une certaine compldmentaritd de la r~gle religieuse et de la r~gle de droit civi 3.
Ensuite, en utilisant l’argument de 1’autonomie de la volontd, ils ont reconnu le choix
des dpoux de se soumettre aux obligations imposdes par l’tglise catholique dans le
cadre de l’institution du parrainage et en ont daduit l’existence d’un droit subjectif
comme fondement de leur action, justifiant qu’ils revendiquent des droits reconnus au
sein de l’ordre juridique dtatique, comme le droit de visite, pour assurer le respect de
leurs devoirs religieux4 . Ainsi, dans cet arrdt, les juges frangais ont identifi6 une
obligation juridique A la charge des dpoux qui trouvait sa source dans l’acte du
bapt~me, dont le contenu dtait d~fini par les r~gles de la communautd catholique et A
laquelle le droit civil a prdtd son bras sdculier pour permettre A ceux auxquels elle
s’impose de la respecter. Une nuance doit toutefois
re apportde. En effet, s’il y a eu
reconnaissance d’une certaine compldmentaritd entre la r~gle dtatique et la r~gle
religieuse par le juge frangais, ce n’est qu’apr~s avoir incorpor6 les r~gles religieuses
au sein des sources du droit reconnues par l’ordre juridique frangais : la coutune
praeter legem et l’autonomie de la volont6.

Toutefois, cette tentative de reconnaissance directe d’une situation cr~de sous
l’empire de r~gles religieuses a
t6 rapidement mise en 6chec. Ainsi, par un arrft du
22 mars 1961, la premire Chambre civile de la Cour de cassation a cass6 la decision
de la Cour d’appel de Paris, en lui reprochant de s’etre fondde osur le lien spirituel
qui unit [l’enfant] A ses parrain et marraine> pour imposer aux parents investis du
droit de garde un droit de visite ou d’hdbergement au profit de personnes autres que

42 Voir Paris, 30 avril 1959, supra note 38.
43 Ibid. : <<[I]1 est gdndralement admis que la parent6 lgale (l6gitime ou naturelle) confere sur le mineur soumis i l'autorit& parentale le droit de le voir (droit de visite) ou de le recevoir (droit d'h6bergement), dans la mesure oii I'exige l'intrtt de I'enfant et ne l'interdit pas 1'exercice normal et 1gitime de la puissance patemelle; [ill ne saurait en dtre diffdremment du lien de parentd dans son essence spirituelle qui [...] existe entre parrain et marraine et filleul ou filleule et trouve sa consecration dans un usage plusieurs fois srculaire, constant, g6ndralement suivi et non contraire A la loi>.

44]bid: >47. L’existence d’un ordre normatif religieux coexistant avec l’ordre
juridique 6tatique n’a donc pas Wtd reconnue, pas plus que l’existence d’une norme
religieuse obligatoire pour le sujet de droit. Ce sont les sentiments, les dmotions du
sujet de droit qui semblent davantage avoir justifid le droit de visite de la marraine A
l’dgard de son filleulV’.

Ce choix de ne pas ddduire directement des effets positifs de la soumission A une
normativitd religieuse a Wtd 6galement exprimd dans une ddcision rendue par le
Tibunal de grande instance de Versailles, le 24 septembre 1962491. En rdponse aux
prdtentions de deux parents protestants qui affirmaient que la religion de l’enfant dtait
un 6l6ment de l’dtat pour obtenir que leur fille, placde dans un 6tablissement
catholique, soit dlevde selon les pr6ceptes de la religion rdformde qu’ils avaient
choisie d’un commun accord, le juge de droit civil a affirm6 qu’un tel principe ne
pouvait 8tre pos6 au sein de l’ordre juridique 6tatique frangais. En effet, . A
partir de cette r~gle 6labor~e par la jurisprudence qui, A bien des 6gards, ressemble A
une r6gle de conflit, le juge frangais s’efforce de daterminer la religion de l’enfant en
se r~f6rant A un faisceau d’indices : l’appartenance religieuse des parents aujour de la
naissance de l’enfant, le mariage religieux des parents, les sacrements religieux
auxquels les parents ont ddjA soumis leur enfant d’un commun accord. Cet ensemble
de faits, pertinents dans la construction de l’objet du litige, permet au juge de
d6terminer les pratiques et les sacrements religieux applicables A l’enfant. I1 permet
aussi d’identifier la religion de l’enfant pour les personnes ext6rieures A la cellule
familiale53. En fait, pour le juge de droit civil, les parents posent des actes tendant A
d~montrer la soumission de leur communautd de vie A une normativitd religieuse
donnde. Ds lors, il semble exister pour lui une prdsomption que cette normativitd
religieuse choisie par les parents d’un commun accord interviendra dans l’ducation
religieuse des enfants jusqu’A leur majoritd.

Dans le cadre de cette m6thode, deux constats s’imposent. Tout d’abord, en
identifiant la religion A laquelle l’enfant est soumis, le juge frangais autorise A 1’6gard
de l’enfant les comportements issus des normes de la communautd religieuse qui est
commune aux deux parents ou qu’ils ont choisi en commun. En d’autres termes, le
juge de droit civil frangais assure implicitement A l’.gard de l’enfant les effets de la
normativitd religieuse commune aux deux parents ou qu’ils ont choisi d’un commun
accord. En second lieu, dans le cadre de cette m6thode, il est A noter que la
normativit6 religieuse invoqude par les parties n’est pas un d61ment pertinent pour la
construction de l’objet du litige. En effet, cette m6thode permet au juge fran9ais de ne
pas r6pondre directement aux pr~tentions des parties fonddes sur une normativit6
religieuse mais bien de les dvincer en ddplagant l’objet du litige de la question de la
reconnaissance des effets de la normativitd religieuse vers celle de l’identification de
la religion de l’enfant.

Briangon, 6janvier 1948].

51 Voir par ex. Trib. gr. inst. Sarrebourg, 12 novembre 1988, J.C.P. 1989.11.213 (note Fossier) [T.G.I.

‘o D. 1948.Jur.579 (note Jean Carbonnier), J.C.P 1948.11.4163 (note Robert Vouin) [Trib. civ.

Sarrebourg, 12 novembre 1988].
52 Supra note 41.
” Voir Trib. gr. inst. Paris, 6 novembre 1973, Gaz. Pal. 1974.1’ sem.Jur.299 (note Pierre Barbier).
Dars cette affaire, le pre avait intentd une action en responsabilith contre le m6decin qui avait
pratiqud une circoncision thdrapeutique sur ses trois enfants, A la dernande de la mere: <(Attendu qu'il aurait pu en 4tre difffrement s'il s'dtait agi d'une circoncision rituelle, notamment dans le cas d'enfants dont les parents n'auraient pas t6 tous deux de confession israd1ite, ou si les formes normales prescrites par la religion hdbraique n'dtant pas respect6es, l'hypoth6se d'un ddsaccord des parents avait td vraisemblableo. 692 McGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGLL [Vol. 48 ii. Effets n6gatifs demand6s et reconnaissance directe de la normativit religieuse Quant A l'attitude du juge frangais A l'6gard des prdtentions des parties qui lui demandent de ddduire des effets ndgatifs de la soumission A une normativit6 religieuse, il s'av~re que celle-ci varie le plus souvent. Parfois, face A de telles prdtentions, certains juges s'efforcent de d6placer l'objet du litige et de ne pas prendre en considdration, dans la construction de ce demier, l'existence et les effets de la nonnativit6 religieuse invoquds par les parties. Dans le cadre de telles ddcisions, ils affirment gdndralement 8tre contraints A une obligation de neutralit6 A l'6gard du phdnom~ne religieux en raison du principe de lafcit, obligation qu'ils entendent respecter en niant ou tout au moins en minimalisant la dimension religieuse du litige qui leur est prdsentd. Ainsi, la Cour d'appel de Montpellier, le 29 juin 1992"4, a-t-elle contest6 la ddcision du juge aux affaires familiales de Rodez qui, apr~s avoir autoris6 deux 6poux A vivre s6pardment, avait fix6 la rdsidence des enfants chez le p~re en raison de l'appartenance de la mere A la communaut6 des Tdmoins de Jhovah, sa soumission A cette normativitd religieuse 6tant contraire, selon le premier juge, A l'intdrt de l'enfant. Dans cet arr&t, apr~s avoir mentionnd les 6cueils que tout juge de droit civil doit 6viter face aux litiges de nature religieuse, la Cour d'appel s'est efforcde d'apprdcier la meilleure solution pour l'enfant au regard de crit~res essentiellement psychologiques et matriels56. Dans le cadre de cette d6cision, elle a refus6 de considdrer l'existence et les effets de la normativit6 religieuse A laquelle la mere avait choisi de se soumettre comme 6tant des didments pertinents dans la construction de l'objet du litige. Toutefois, le plus souvent, le juge frangais prend en considdration 1'existence et les effets de la normativit6 religieuse A l'dgard de l'enfant en vue d'en ddduire des effets ndgatifs au sein de l'ordre juridique 6tatique57. Ainsi, le Tribunal de grande 54 Gaz. Pal. 1993.2' sem.Jur.547 (note Alain Garay et Philippe Goni) [Montpellier, 29 juin 1992). 55 La Cour affirme que oc'est A tort que le premier juge a fondd sa d6cision [...] sur les activit~s cultuelles de [Ia mere] telles que l'exigerait d'elle son adhesion aux Tdmoins de Jkhovah> (ibid).

56 Ainsi, apr6s avoir ddclard qu'(il n’appartient pas au juge de peser et de comparer les mdrites ou
les dangers, les bienfaits ou les inconv6nients respectifs d’une religion dominante par rapport A une
secte minoritaire [et que] le juge doit non proc&ler par voie d’affirmations g6n6rales, mais rechercher
si, dans le cas d’esp~ce, les activitds des p&e et m&re au sein d’une dglise, d’une secte, d’un parti
politique ou de tout autre groupement ou association A finalit6 religieuse, cultuelle, politique,
philosophique, culturelle ou autre, prsentent des avantages ou des inconv6nients au regard de l’intr&t
des enfants> (ibid.), la Cour d’appel en a d~duit que la rdsidence des enfants devait Etre maintenue
chez le p~re parce que l’enquetrice sociale a constatd que les enfants n’6taient pas perturb~s
psychologiquement chez leur pOre, que la maison du pre 6tait un cadre de vie ideal pour les enfants,
qu’il avait une bonne activitd professionnelle, alors que la m&re n’avait pas conserv6 son appartement
et que ses occupations professionnelles 6taient inconnues.
57 Pour illustrer notre affirmation, voir les decisions ci-dessous oii le juge de droit civil fiangais
analyse les prdceptes et les modes de vie des sectes auxquelles des parents sont affili~s en vue de leur
retirer leur droit de garde. Voir, par exemple, Dijon, 4 juin 1991, Gaz. Pal. 1993.Somm.511 : (>9. Pour apprdcier l’intdrt des enfants, la Cour d’appel a constat6 qu’il
6tait dans leur intdr~t de vivre avec leur pire parce que lorsque la mire os’absentait,
pour les besoins de sa profession, elle laissait les enfants sous la surveillance de son
concubin, adepte, comme elle, d’une secte>>, et parce que les adolescents se
plaign[aient] souvent des carences au niveau de leur vie quotidienne organisde selon
‘enqudtrice prdcise qu’elle est
les prdceptes de la secte de leur mire, secte dont
prdsente a plusieurs moments de lajournde par divers rituels>>’.

L’analyse de ces ddcisions conduit A nouveau A la formulation de trois constats.
Tout d’abord, l’existence et les effets de la normativitd religieuse A laquelle sont
soumis les enfants en raison du choix de l’un des titulaires de l’autorit parentale sont
le plus souvent des 616ments pertinents pour la construction de l’objet du litige. En

avoir pour effet que ses enfants, Agds de 8 ans et de 5 ans, soient contraints de partager un mode de vie
peu compatible avec les normes &lucatives commundment admises. Mdme si elle manifeste
l’intention de les inscrire dans un 6tablissement scolaire public, il n’est pas conforme A l’intdrdt des
enfants que seul la Cour doit prendre en consideration, de subir l’influence de la responsable de la
secte, qui parait avoir subjugu6 leur mire. C’est done avec raison que le juge aux affaires
matrimoniales a dit que I’exercice de l’autorit6 parentale sera attribu6 au pire et i la mire et a fixd
chez le premier la r6sidence habituelle des enfants, decision correspondant de surcroit au souhait
par les propres parents de la m&e, inquiets du comportement de celle-ci et conscients du
expruni
danger que prdsentait pour leurs petits-enfants la proximit6 de 1’endroit oii est installde la secteo. Voir
aussi Nnes, 23 octobre 1996, J.C.P. 1997.IV.2165: (dl n’appartient pas A la cour de porter un
jugement sur les fondements de la religion dite des Tdmoins de Jhovah, mais il entre dans ses
attributions de protiger les enfants ou mineurs de pratiques qui ont pour but d’attnuer leur libre
arbitre et l’dclosion de leur personnalit6 par un endoctrinement ou un conditionnement prcoce. En
l’espce, les mthodes d’dducation, pouvant aller jusqu’aux corrections physiques, qui ont t
appliquies sans doute par les deux parents jusqu’A leur siparation et continues, avec une ferveur
accrue par le p&e, postdrieurement, ont abouti A crier un ddstquilibre psychologique chez les enfants,
ayant nicessitd des suivis psychiatriques pendant plusieurs ann6es. Le pire les prive de route activit6
ludique et leur impose des 6tudes bibliques. La m&e, face A la souffrance de ses enfants, a abandonn6
toute pratique religieuse et leur dispense une dducation classique en opposition avec les convictions du
pire que les enfants ressentent comme une viritable marginalisation. I1 convient dis lors de confier it
la mire 1’exercice exclusif de l’autorit parentale> .

5 Le tribunal a affirm6, pour interdire le baptdme it cette adolescente, que la secte des timoins de
Jhovah imposait un endoctrinement considerable et que vle baptime […] ne ferait que
‘ancrer
davantage dans une religion qui, par ses exigences 6normes, ne doit s’adresser qu’aux adultes, du
moins lorsqu’il s’agit d’une conversiom>. Les pritentions des parties et les arguments du Tribunal de
grande instance de Saint-Brieuc (10 octobre 1989) [T.G.I. Saint-Brieuc, 10 octobre 1989] sont
rapportis dans Cass. Civ. 1, 11 juin 1991, supra note 41, qui a confinn

la d6cision de ce tribunal.

59 Cass. civ. 2e, 6 mai 1987, JuridisqueLamy.
60 Ibid.

694

MCGILL LAW JOURNAL/ REVUE DEDROITDE MCGILL

[Vol. 48

effet, apr~s avoir constatd l’existence de la normativit6 religieuse et ses effets
prdjudiciables pour 1’enfant, invoquds par les parties, le juge de droit civil l’dvince
par l’application de la r~gle de droit civil, en confiant la garde de l’enfant i l’autre
parent par exemple. Deuxi~mement, le juge frangais n’hdsite pas A reconnaitre
1’existence et les effets de la normativit6 religieuse lorsqu’il s’agit de d~duire des
effets n~gatifs au sein de l’ordre juridique 6tatique de la soumission A une normativit6
religieuse, c’est-6-dire lorsqu’il s’agit d’6vincer A l’gard de l’enfant l’application de
certaines normativitds religieuses. Enfin, au travers de ces ddcisions, on peut noter
que le traitement de la normativit6 religieuse par le juge frangais, A savoir [‘absence
d’invocation d’office de la norme religieuse” et l’inexistence de tout recours A un
expert pour lui expliquer le sens et la port~e des prdceptes religieux invoqu~s, montre
que la norme religieuse est assimilde AL un fait. Le juge fran9ais semble refuser de lui
reconnaitre la qualitd de norme, confirmant ainsi que les tribunaux, sans contredire la
la’fcit6 du syst~me juridique frangais, peuvent seulement tenir compte, comme d’une
donn~e de fait, de la religion d’une partie62.

b. La soumission & une normativit6 religieuse: un argument

pertinent pour le juge queb6cois

i. Effets positifs demand6s et reconnaissance directe de la

normativit6 religieuse

la difference du juge frangais, le juge qudbdcois reconnait par principe
l’existence de la norme religieuse invoqu~e par les parties. I1 reconnait la r~gle
religieuse comme l’expression d’un ordre normatif distinct de l’ordre juridique
dtatique qudbdcois et s’efforce d’assurer l’expression de ses effets A l’dgard de
1’enfant par l’application de la r~gle de droit civil. La reconnaissance de principe, par
le juge qu~bdcois, des pr~tentions des parties fond~es sur une normativit6 religieuse,
se rdalise en trois dtapes. Tout d’abord, le juge de droit civil identifie la normativitd
religieuse A laquelle les titulaires de l’autoritd parentale ont choisi de se soumettre et
determine leur degrd de soumission A celle-ci, faisant semble-t-il de cette demire une
condition de la recevabilit6 de la pr~tention fond~e sur la norme religieuse. Ainsi,
dans Droit de la famille – 111463, le juge qu~bdcois, pour se prononcer sur les
pr~tentions d’une mere juive, membre du mouvement Lubavitch, a-t-il vdrifi6 la
r6alit6 de sa pratique religieuse ainsi que celle de son ex-dpoux, 6galement juif’.

61 La charge de l’alldgation de la norme religieuse et sa preuve sont du ressort de la partie qui
l’invoque. Voir Paris, 19 mars 1981, Gaz. Pal. 1981.2e sem.Somm.238 : (da preuve du choix de la
religion catholique par des parents au demeurant non pratiquants rdsulte suffisamment du fait que leur
mariage a W cd1dbrd religieusement et que leur premier enfant a 6td baptis&>.
62 Voir la note sous Nimes, lOjuin 1967, D. 1969.Jur.366 (note Jean Carbonnier).
63 Supra note 35.
64 A cette occasion, il avait constatd que cette mere avait commencd A frdquenter ce mouvement juif
plus orthodoxe aprs s’tre s~parde en 1984 de son dpoux, dgalement juif, et que, depuis, elle

2003]

C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

695

Puis, constatant que les deux parents appartenaient A la m~me religion, it s’est efforcd
de mesurer leur degr6 d’implication respectif.

Ensuite, apr~s avoir v~rifi6 l’existence d’une soumission effective des, titulaires
le juge
de l’autorit6 parentale A une ou plusieurs normativitd(s) religieuse(s),
qu~b~cois soutient g~n6ralement le droit pour chacun des deux ipoux de sounettre
leurs enfants aux prdceptes religieux qu’ils ont choisis en conscience, affirmant ainsi
la 1dgitimitd du choix des parents de soumettre leur(s) enfant(s) A une ou plusieurs
normativitd(s) religieuse(s). Ainsi, dans Droit de lafamille –
1456, la Cour d’appel
du Quebec a reconnu que ole droit fondamental A la libert6 religieuse est tel qu’il
autorise et justifie chacun des ex-conjoints de pratiquer librement sa religion en
prdsence de l’enfant et d’enseigner A ce demier les pr6ceptes de la religion de son
choix>>65 .

Enfin, face aux prdtentions des parties fond~es sur une normativit6 religieuse, le
juge de droit civil qu~b6cois ne se limite pas A cette seule reconnaissance. En effet, le
plus souvent, il s’efforce de permettre l’exercice effectif de ce droit par le retrait ou
l’application de la r~gle de droit civil. Ainsi, dans Droit de la famille – 2505′, le
juge qu~b6cois a, entre autres, prot~g6 le droit du p~re musulman de transmettre ses
pr~ceptes religieux A son fils cadet en limitant les actes religieux de la mere,
d~coulant de ses pr~ceptes religieux catholiques, ceux-ci 6tant de nature A exclure
d~finitivement leur fils de la communaut6 musulmane. Toutefois, it est important de
noter que ce n’est qu’au terme du contr6le de la teneur de la normativit6 religieuse
invoqu~e par la partie que le juge de droit civil qudbdcois ddcide du retrait ou de
l’application de la r~gle de droit civil. Ainsi, dans Droit de lafamille –
2505, pour
decider de prononcer une injonction interlocutoire A l’encontre de la decision de la
mare catholique d’administrer le sacrement de l’eucharistie A son fits, le juge s’est-il
efforc d’apprdcier la signification du sacrement de 1’eucharistie au regard des r6gles
religieuses de l’Eglise catholique et des r~gles religieuses de
la communautd
musulmane. Puis, apr~s avoir prononc6 la mesure d’urgence, le juge qudb~cois a
affh’mi que toute decision au fond ne pourrait 8tre rendue qu’apr~s le recours A un
la teneur exacte des r~gles religieuses catholiques et
expert pour daterminer

observait le (shabbal de faron rigoureuse et s’efforgait de respecter la pratique de ce mouvement
durant tousles jours de la semaine.
65 [1991 ] R.DF. 610 (C.A.) A lap. 616. I1 faut noter que cette libertd est assortie de deux restrictions
sous r6serve que cet enseignement soit orespecteux de la religion de l’autre conjoint et, surtout,
respectueux du droit de l’enfant au libre choix de sa propre religion lorsqu’il aura atteint l1ge et la
maturit6 pour ce faire>> (ibid.).

66Supra note 37. Un p6re musulnan voulait s’opposer A la decision de son ex-6pouse, catholique,
gardienne de leurs enfants communs, de faire administrer le sacrement de I’eucharistie A leur fits
cadet. Selon lui, un tel sacrement pouvait etre de nature A l’enraciner definitivement dans la
religieuse
communaut6 religieuse catholique et A l’exclure d6finitivement de la communaut
musulmane de son p&e. En I’esp~ce, le juge a choisi de prononcer une injonction interlocutoire pour
interdire A la m~re d’administrer un tel sacrement puisque (prima facie, […] l’adminstration du
sacrement de la communion [ …] pourrait prima facie l’empdcher [I’enfant] de continuer d’tre
membre de la communautd religieuse islamique>> (ibid. A lap. 793).

696

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 48

musulmanes A 1’6gard du sacrement de l’eucharistie. Ce n’est donc qu’au terme d’une
determination prdcise de la teneur de la normativit6 religieuse invoqure par les
parties, notamment par le recours A un expert, que le juge qu6bdcois d6cide de
drduire des effets positifs au sein de l’ordre juridique 6tatique, c’est-A-dire decide
d’appliquer la rrgle de droit civil en vue de favoriser l’expression des effets de la
normativit6 religieuse 6 1’6gard de 1’enfant.

ii. Effets nrgatifs demandrs et reconnaissance directe des

effets de la normativit6 religieuse

L’attitude du juge qu~b~cois A l’6gard des pr6tentions des parties qui lui
demandent de drduire des effets nrgatifs de ia soumission Ai une normativitd
religieuse a pu, dans certaines decisions, atre semblable A celle de son homologue
frangais lorsqu’il est demand6 A ce dernier de drduire des effets positifs au sein de
l’ordre juridique dtatique. Tout d’abord, le juge qurbrcois a pu identifier la religion
de l’enfant en se rrfrrant A celle commune aux deux parents ou choisie en commun
par eux pour assurer A ‘6gard de l’enfant l’expression des effets de Ia normativit6 de
cette seule religion. Ainsi, dans Droit de la famille –
1456, pour accueillir la
pr~tention d’un p~re catholique demandant que son ex-6pouse, Trmoin de JMhovah,
gardienne de leurs enfants communs, soit contrainte de ne plus emmener leurs enfants
aux rdunions de sa communaut6 ni faire du porte A porte, le juge Larouche de la Cour
supdrieure a affirm6 que 69. Enfin, dans une autre dacision, le juge qurbrcois a pu aussi analyser

67Supra note 65 A lap. 612.
68 [1991] R.J.Q. 599 (C.A.).
69Ibid. aux pp. 599-600. La juge Lemieux avait conclu que

[l]e p&e n’a pas le droit d’imposer A
son fits de sept (7) ans, l’enseignement d’une religion autre que la religion catholique. L’enfant pourra
faire un tel changement lorsqu’il aura la maturitd et les connaissances intellectuelles ndcessaires A
l’exercice d’un choix libre et dclaird, ce qui certes n’est pas le cas A l’Age de sept (7) ans. I1 ne s’agit
pas pour le Tribunal de conclure que le Ore n’est plus apte A continuer A avoir la garde de son enfant
[…] pour mauvaise conduite […] mais son comportement et son attitude A l’dgard de l’&lucation de
son fits guidre par sa conviction religieuse personnelle et le milieu qu’il offre prdsentement sont de
nature A crier un certain danger, un certain risque dans le dveloppement et l’dpanouissement d’un
enfant de sept (7) ans> (ibid. A la p. 604). Pour ces raisons, la Cour avait donc d6cid6 de confier la
garde de l’enfant A sa m6re. 11 est A noter toutefois que les juges de la Cour d’appel ont estim6 que ces
restrictions devaient 8tre biffdes. Voir la d~cision du juge Malouf, oit il affirme: oThe […] conclusions
of the.judgment should be struck from the record. […] I would not at this time make any order
limiting the rights of the parents in respect to the religious education of their childo (ibid. A lap. 612).

2003]

C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

697

la teneur et les effets de la nornativitd religieuse d’une communautd religieuse et
qualifier cette demi&e de osecte > et ainsi imposer A une m6re, A la demande du pare,
de retirer leurs enfants communs d’une 6cole appartenant A cette communaut70 .

Toutefois, on peut constater que ces decisions, relativement rares, sont en g~ndral
tr~s s6v~rement remises en cause par la Cour d’appel du Qudbec. Ainsi, le juge
9557′, a consider6 que la decision de la juge
Monet, dans Droit de la famille –
Lemieux d’interdire au p~re Tdmoin de Jehovah de dispenser A son fits tout
enseignement religieux autre que celui de la religion catholique n’dtait pas raisonnable
car elle dtait de nature A engager la cour dans un r6le policier qui, sous-entendu, n’6tait
pas le sien72.

En fait, l’attitude du juge qu~bdcois A l’6gard des pr~tentions des parties qui lui
demandent de deduire des effets ndgatifs de la soumission Ai une normativit6 religieuse,
consiste gdndralement A analyser si les comportements des parents resultant de cette
soumission ne causent pas un prdjudice A l’enfant. Le juge qudbdcois se contente de
prendre en consideration les effets de leur soumission A une normativit6 religieuse A
l’6gard de l’enfant. En outre, ce que le juge qu~b6cois appr6cie, ce ne sont pas toujours
les comportements
les effets objectifs de la normativit6 religieuse, c’est-i-dire
les
effectivement
comportements que les parents choisissent d’adopter en conscience du fait de leur
353, le juge
soumnission A des pr6ceptes religietx. Ainsi, dans Droit de lafamille –
Jacques de la Cour d’appel du Quebec a pr~cis6 qu’en l’esp~ce, [l]a foi des T~moins
de Jdhovah n'[6tait] pas en litige, mais plut6t la fagon dont le p~re enseign[ait] cette foi

religieux des parents mais bien

imposds par les pr~ceptes

70 Ainsi, dans Droit de lafamille – 2494, [1996] R.D.F. 647 (C.S.), le juge Audet a tout d’abord
repris la definition de la osecte>> telle que donn~e par l’un des experts : (
> (ibid.
tre
d’education des enfants, dependait de la osecteo de l’Esprit-Saint et que les enfants devaient
protdgds de celle-ci : [T]he Mission is an all encompassing organization. There is no half measure ;
it’s an all or nothing affair. You must become a true believer of all the divine teachings of the Master
who possesses the true on all matters. Those who are not total believers are possessed by evil. […] [l]n
the Court’s opinion, F… and E… must not only be removed from the Mission school, but they should
have no contact with the Mission whatsoever. It is important to remember that the Mission is an all
encompassing movement ; you cannot be a part-time participant. Therefore, if the children continue to
participate in some of the Mission’s activities without attending the Mission school, they will be
.considered outcasts>> (ibid. aux pp. 655, 657).

71 Supra note 68.
72 Ibid. A la p. 603. Le juge Malouf ajoute : oThe evidence discloses that the judge had reason to be
concerned about the well-being of the child and was justified in placing constraints on the behaviour
of the father to protect the child’s best interest. However, she went too far in issuing an order
prohibiting the father from teaching his son any religion other than the Roman Catholic religion and
prohibiting him from participating in any activity of a religious nature contrary to Catholicism (ibid.
A la p. 610).

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 48

A son fils. […] [S]i sa fagon d’enseigner sa religion traumatis[ait] l’enfant, sa m6thode
d’enseignement [devait] 8tre change)>73.

Cette rdponse du juge qu6b6cois aux pr6tentions des parents qui contestent la
soumission de leur conjoint ou de leur ex-conjoint A une normativitd religieuse et les
effets ndgatifs que celle-ci entraine A l’dgard de leur(s) enfant(s) commun(s) se r~vle
donc marquee par un rdel souci de neutralit6 A l’6gard des ordres normatifs religieux.
En effet, ce que le juge qudbdcois accepte de prendre en consideration, ce n’est pas la
teneur des normes religieuses mais bien les comportements qui d6coulent de celles-ci
et, le plus souvent, les comportements que, subjectivement, les individus choisissent
d’adopter du fait de leur soumission A la nonnativit6 religieuse. Deux cons6quences
d6coulent de ce constat. Tout d’abord, dans chaque cas d’esp~ce, le juge qudb6cois
doit appr6cier avec prdcaution la preuve pr~sentde par les parties quant au prejudice
subi par l’enfant en raison du choix de l’un des titulaires de l’autorit6 parentale de se
soumettre A certaines normes religieuses. En effet, ce sont les comportements induits
par les r6gles religieuses et le prdjudice r6el subi par l’enfant qui seront des 616ments
de fait pertinents dans la construction de l’objet du litige74 . En outre, il est A noter que
les d6cisions qudb6coises, pr6cis6ment en raison de leur souci d’appr6cier la situation
de l’enfant in concreto, c’est-A-dire A la lumi~re du prdjudice r6ellement subi par
celui-ci du fait d’un comportement religieux de l’un des titulaires de l’autorit6
parentale, conduisent A la formulation d’un dispositif tr6s d6taill6.

Lorsque l’une des parties demande au juge qudb6cois d’dvincer une normativit6
religieuse A l’6gard de l’enfant, ce demier proc~de donc avec prudence, s’attachant A
une analyse in concreto des effets A l’6gard de l’enfant des comportements parentaux
fond6s sur la normativit6 religieuse.

B. La reconnaissance de la normativitN religieuse par le juge de
droit civil : synthese th6orique de I’analyse concrete des
d6cisionsjudiciaires

L’analyse du traitement des prdtentions des parties par les juges de droit civil
frangais et qudbdcois rdv~le que ces deux juges reconnaissent le choix des titulaires
de l’autorit6 parentale de soumettre leur(s) enfant(s) A une ou plusieurs normnativitd(s)
religieuse(s) : ils acceptent de prendre en considdration l’existence et les effets de la
normnativit6 religieuse invoqude par les parties en vue d’en d6duire des effets positifs
ou ndgatifs au sein de leur ordre juridique. Toutefois, si cette reconnaissance semble
se rdaliser en droit civil frangais pour 6vincer les effets de la normativitd religieuse a

73 Supra note 40 A la p. 365.
74 Ainsi, dans Droit de lafamille – 1456, supra note 65 aux pp. 616-17, la Cour d’appel a affirm6
que <<[c]haque cas en est un d'esp&ce dont la situation ddcoule essentiellement de I'appr6ciation de la preuve qui peut &re faite d'une situation inddsirable pour le bien-dtre de I'enfant, domaine dans lequel le r61e du maitre de la preuve et des faits qu'est le premier juge doit dtre respect6 par un tribunal d'appel A moins que le premier juge ne se soit mal dirigd en droit ou qu'il ait manifestement errd dans son appreciation de la preuveo. 2003] C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS - LA NORME RELIGIEUSE 699 l'dgard de l'enfant, celle-ci semble intervenir en droit civil qudbdcois afm de permettre, voire protdger, l'expression de ses effets A l'dgard de 1'enfant. Toutefois, la comparaison entre les deux ordres juridiques ne peut se limiter A ce seul constat. Ce n'est pas parce que les juges frangais et qudbdcois reconnaissent 1'existence d'une normativitd religieuse dans le cadre du litige, qu'ils reconnaissent pour autant directement l'existence des ordres nornatifs religieux qui sont A sa source. En effet, l'6tude des techniques juridiques distinctes auxquelles ils recourent l'un et l'autre pour apprdhender la norme religieuse d6montre que, pour ces deux juges, il ne pent y avoir de reconnaissance de la normativitd religieuse sans sa mdiatisation par leur ordrejuridique dtatique (1) qui pr6vaut sur les ordres normatifs religieux (2). 1. Les techniques juridiques de la reconnaissance de la normativit6 religieuse Pour intdgrer la norme religieuse dans son raisonnement, le juge utilise des concepts juridiques prdcis. Alors que le juge frangais recourt A l'autoritd parentale (a), le juge qudbdcois se sert quant A lui du concept de libertd religieuse (b). a. En France: I'autofit6 parentale En France, l'autoritd parentale se rdvle 8tre l'outil juridique auquel le juge de droit civil recourt pour reconnaitre le choix des parents de soumettre leur enfant A une ou plusieurs normativit6(s) religieuse(s). Une telle analyse s'inspire d'un principe posd depuis longtemps par la jurisprudence selon lequel ole choix de la religion des enfants est un des attributs de l'autoritd parentale 75. Deux arguments tirds de l'dtude de la jurisprudence appuient cette affirmation. Tout d'abord, l'autoritd parentale 6tant exercde en commun par le prre et la mere selon l'ancien article 371-2 (actuellement l'article 372) du Code civilfrangais76, les ddcisions relatives au choix de la religion, de l'ducation et de la pratique religieuse du mineur devraient atre prises d'un commun accord par les parents. A ddfaut d'accord entre eux, l'ancien article 372-1-1 du Code civil franqais77 6nongait que l'identification de la pratique antdrieure 71 Voir T.G.I. Sarrebourg, 12 novembre 1988, supra note 51. Voir aussi T.G.I. Versailles, 24 septembre 1962, supra note 39 (<<[I]1 rdsulte de la doctrine et de la jurisprudence, que le choix d'une religion donnde et I'&ducation religieuse sont des attributs de la puissance patemelle [et] qu'ils ne sont qu'un des multiples aspects de l'ducation et qu'A ce titre ils rentrent done normalement dans le cadre des prdrogatives de la puissance paternelle >), ainsi que Paris, 11 dcembre 1964, J.C.P. 1965.11.14155
(.

71 Art. 372-1-1, al. 1 C.c.F. : (Si les pre et mere ne parvenaient pas A s’accorder sur ce qu’exige
l’intdrdt de l’enfant, la pratique qu’ils avaient prdc demment pu suivre dans des occasions semblables
leur tiendrait lieu de rrgle >. Cet article a W abrog6 par la Loi n* 2002-305 du 4 mars 2002, J.O., 5
mars 2002, 4161.

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGLL

(Vol. 48

commune des parents permettrait de d6terminer les r~gles religieuses auxquelles
l’enfant peut 8tre soumis. Or, tel est bien le cas en matinre religieuse, selon les
principes pos6s par la jurisprudence. On constate que la r~gle g6ndrale pos6e par les
juges de droit civil frangais pour rdsoudre les litiges entre les parents A propos du
choix de la religion, de l’&ducation et de la pratique religieuse du mineur, r~gle selon
laquelle d’enfant a la religion de ses parents au jour de sa naissance et la religion
commune qu’ils lui ont choisie 78, est une application aux questions religieuses
familiales des r~gles posies par le Code civilfranqais en mati&re d’autoritd parentale.
En effet, cette r6gle renvoie A l’id6e d’exercice en commun de l’autoritd parentale par
les p~re et mere ainsi qu’au recours A la pratique antdrieure commune des parents
pour trancher les conflits qui peuvent les opposer quant A l’ducation religieuse de
leur(s) enfant(s). Le choix de la religion de I’enfant est donc considr6 comme un
attribut par nature indivisible de l’autorit6 parentale79, qui doit 6tre exerc6 par les
deux parents. II est un choix qui s’applique A toute la famille, qui est commun A tous
ses membres.

De plus, selon l’article 371-1 du Code civil frangais0 , l’enfant reste sous
l’autoritd parentale de ses p~re et mere jusqu’A sa majorit6. Ds lors, l’identification
de la religion de l’enfant devrait entraner la soumission de ce demier aux r~gles
religieuses ddtermin~es d’un commun accord par ses parents jusqu’A sa majoritY.
Telle est actuellement la position de la jurisprudence. Ainsi, le Tribunal de grande
instance de Saint-Brieuc, dans une d6cision rendue le 10 octobre 1989 et confirm~e
par la Cour de cassation, le 11 juin 199181, a constat6, pour interdire le bapt~me d’une
adolescente de 16 ans au sein de la communaut6 des Tdmoins de Jhovah, que
l’enfant avait moins de 16 ans et qu’elle dtait donc sous l’autorit6 parentale de ses
parents qui ont ). Ds lors, en
aucun cas elle ne [pouvaitl se soustraire A une opposition formelle de l’un de ses
parents, 6tant pr&cis que l’autre entend s’abstenir en la matire>. Ces 61ments
jurisprudentiels confirment donc que l’autoritd parentale est l’outil juridique justifiant
que les titulaires de I’autoritd parentale puissent choisir de soumettre leur(s) enfant(s)
A des r~gles religieuses, cette soumission s’imposant au(x) mineur(s) jusqu’A leur
majoritd, dans la mesure oA les deux parents la maintiennent d’un commun accord.

b. Au Qu6bec :a libert religieuse

Quant au juge qudb~cois, il semble avoir choisi la libert6 religieuse comme
fondement de ses d6cisions relatives au choix de la religion, A l’dducation et A la

78 Voir supra notes 50-52.
79 Voir T.G.I. Sarrebourg, 12 novembre 1988, supra note 51.
‘0 Art. 371-1, al.2 C.c.F. : <'autoritd parentale] appartient aux pre et mere jusqu'A la majorit6 ou '6mancipation de l'enfant pour le protdger dans sa sdcurit, sa santd et sa moralit6, pour assurer son &tucation et permettre son d6veloppement, dans le respect dfQ A sa personne . SI Voir supra note 58. 2003] C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS - LA NORME RELIGIEUSE 701 pratique religicuse des mineurs. Ainsi, dans l'arret de la Cour d'appel Droit de la famille - 11502, le juge Proulx a affirm6 que ola libert6 de religion peut A tout le moins comprendre le droit de pratiquer sa religion et de l'enseigner [A son enfant]>83.
De mfme, dans Droit de lafamille –
1456, la Cour d’appel du Qu6bec a reconnu
que <[1]e droit fondamental At la libert6 de religion est tel qu'il autorise et justifie chacun des ex-conjoints de pratiquer librement sa religion en pr6sence de l'enfant et d'enseigner A ce demier les pr6ceptes de la religion de son choix>>”.

Deux consdquences d6coulent du choix de ce fondement juridique par le juge
qudbdcois pour traiter les pr6tentions des parties fonddes sur une normativit6
religieuse. Tout d’abord, il y a reconnaissance d’un pluralisme normatif au sein de la
famille. En effet, comme chacun des deux parents est titulaire de cette libert6 de
religion, chacun d’eux peut enseigner ses pr6ceptes religieux A son enfant m~me s’ils
different de ceux de ‘autre parent et mme s’il s’est converti apr~s la naissance de
l’enfant sans que son conjoint ou ex-conjoint l’accompagne dans sa conversion85.
Toutefois, conme cette
libert6 de religion est reconnue aux deux parents,
l’enseignement par l’un d’eux de ses pr6ceptes religieux A un enfant doit toujours 8tre
respectueux de la religion de l’autre conjoint86.

Deuxi~mement, selon le juge qu6b6cois, les parents ne sont pas les seuls 4 etre
titulaires d’une libertd de religion au sein de la cellule familiale. Les enfants sont

82 [1991] R.J.Q. 306 (C.A.).
83 Ibid. A la p. 310. Cette affaire opposait deux parents: une mre catholique (ayant la garde de leur
fille de trois axts et demi) ef un pore Trnioin de Jehovah, qui demandait en l’occurrence que la garde
lui soit confide on que tout au moins ses droits d’acc6s soient augment6s. La m&e s’y opposait et
demandait que leur fille soit 6duqu6e dans la religion catholique. En premi&e instance, le juge
Frenette avait decide de laisser la garde A la m6re.et de limiter l’exercice de la pratique religieuse du
pre dans le meilleur intr&t de l’enfant. I1 pr6cisait ainsi que <<[1]e requ6rant peut enseigner A 1'enfant la religion des Tmoins de Jkhovah mais il n'a pas le droit de l'endoctriner continuellement avec les pr6ceptes et la pratique religieuse des Tdmoins de Jdhovah> et lui a ordonnd ((de ne pas amener
l’enfant dans les d6monstrations, cdr~monies ou des congr&s des Tonoins de Jhovah, on faire de la
pr&lication de porte en porte, jusqu’A ce que la Cour determine que l’enfant soit en 6tat de choisir la
religion qu’elle voudra suivre>> ([1988] R.D.F. 40 A la p. 43 [Droit de lafamille –
1150 (C.S.)]. Le
jugement avait
t port6 en appel et les juges Tourigny et Vallerand avaient certes estimd que la
deuxibme condition (portant sur la distinction entre enseignement religieux et endoctrinement) dtait
trop vague mais ne devait pas pour autant dtre biffde, ddcision avec laquelle le juge Proulx n’6tait pas
d’accord.

‘Supra note 65 A lap. 616.
85 Voir ibid. Les juges de la Cour d’appel du Qu6bec ont reconnu le droit pour une mere, qui s’6tait
convertie apr~s la naissance de son enfint, de lui transmettre les pr~ceptes de la religion des Tdmoins
de Jdhovah, quand bien m~me I’enfant avait
t6 baptis6 catholique A sa naissance, alors la religion
commune de ses deux parents. Les juges ont done infirm6 la d6cision du premier juge, qui avait
affirm6 que puisque
td baptisd selon les rites de l’Eglise catholique Romaine, (([l]a
mere [devait] attendre qu’il soit capable de d6cider pour lui-meme puisqu’il s’agit d’un changement
d’orientation religieuse pour I’enfant auquel le p6re s’oppose m6me s’il n’est pas pratiquantw (tel que
cit6 dars l’arret de la Cour d’appel, ibid. A lap. 612).

‘enfant avait

6Voir ibid A la p. 616.

702

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 48

dgalement titulaires d’une telle libert6. Ds lors, l’enseignement religieux des parents
doit 6tre respectueux de la libertd de religion de l’enfant, qui, d6s qu’il atteint l’age de
il veut se
la maturit6, peut lui-mdme choisir les pr~ceptes religieux auxquels
2505, c’est entre autres parce que la
soumettre87. Ainsi, dans Droit de la famille –
Cour supdrieure voulait oremettre cette dicision importante A un autre temps, peut-tre
plus opportun, o4i [l’enfant aurait] un esprit plus mfir et ofi il ser[ait] plus apte A choisir
sa religion, sachant les consdquences de son choixo>8 , qu’elle a d6cid6 de ne pas
permettre A la m6re d’administrer le sacrement de l’eucharistie it son fils, sacrement
qui, selon le p~re musulman, serait de nature it exclure l’enfant de la communaut6
musulmane et it l’emp~cher de choisir cette religion le moment venu. Au regard des
dispositions de l’article 14, alin6a 2 du Code civil du Qudbec9 , la Cour sup6rieure,
dans la d6cision Protection de la jeunesse –
884e>, a m~me considd6 qu’une enfant
de 14 ans et trois mois dtait devenue, au sens de la doctrine et de la jurisprudence, une
mineure doude de discernement91 . C’est A partir de cet ige que le juge qudbdcois
reconnait, dans une certaine mesure92, la capacit6 pour un enfant d’exercer sa libertd de
religion de manire autonome par rapport it ses parents.

Enfin, il est important de noter que le juge qu6b6cois ne s’est pas contentd
d’utiliser la libert6 de religion telle que d6fmie par la Charte des droits et liber~s de
la personne93, Charte qui, selon la disposition pr6liminaire du Code civil du Qudbec,
s’applique en harmonie avec celui-ci. A bien des 6gards, il semble lui avoir donn6 un

87 Voir ibid., notamment A la p. 616, oii les juges de la Cour d’appel prdcisent que l’enseignement
religieux doit 8tre (respectueux du droit de l’enfant au libre choix de sa propre religion lorsqu’il aura
atteint I’Age et la maturit6 pour ce faire .

88 Voir supra note 37 A lap. 792.
89 Art. 14 C.c.Q.: <(Le consentement aux soins requis par l'6tat de sant du mineur est donn6 par le titulaire de l'autoritd parentale ou par le tuteur. Le mineur de quatorze ans et plus peut, ndanmoins, consentir seul A ces soinso. 90 [1998] R.D.F. 351 (C.S.). 91 A cet 6gard, la Cour supdrieure s'explique en affirmant qu'en droit civil, le 1dgislateur a ddictd que l'enfant dtait prdsumd dou6 de discemement ds l'dge de 14 ans (art. 14 C.c.Q.) et qu'en common law, le degrd de discemement de 1'enfant est examin6 scrupuleusement par le tribunal, avec pour consequence que m~me des enfants de 13 ans pourraient etre jugds comme ayant osuffisamment de discemement,> pour prendre une decision.

884, supra note 90, si le juge a conside6r une jeune
92 En effet, dans Protection de lajeunesse –
fille de 13 ans et demi comme 6tant doude de discemement et capable d’exercer seule sa libertd de
religion, en l’espe, il lui a tout de mime impos6 de subir une intervention chirurgicale n6cessaire
qu’elle refuisait pour des raisons religieuses. Membre avec ses parents d’une dglise 6vangd1ique, elle
affirmait que de tels soins ne devaient pas lui etre prodiguds parce que <>. Le juge a affirm, pour justifier une telle decision, que la foi de l’enfant 6tait profonde et
sincere mais aveugle et nuisait A son aptitude d’exprimer un refus libre d’une personne (mineure)
capable de discemement. Si le juge qudb~cois affirme qu’un mineur de 13 ou 14 ans est capable
d’exercer seul sa libert6 de religion, ce n’est done pas sans contr6ler sa capacitd de discernement
effective.

93 La libertd de religion est pr~vue A l’article 3 de la Charte quebdcoise (supra note 17): <.

2003]

C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

703

rdel contenu normatif. Selon lui, la libertd de religion comporterait non seulement la
libert6 de se soumettre consciemment aux normes religieuses de son choix, de les
enseigner et de les pratiquer avec autrui, mais elle servirait aussi de fondement A un
vdritable droit subjectif, le droit A la libertd de religion, permettant aux individus de
revendiquer devant les juridictions 6tatiques les prdceptes religieux auxquels ils se
sont soumis en conscience94 pour que les effets de ces normes soient reconnus,
assurds et prottg~s par le juge de droit civil qu~b6cois95 .

2. A la base des techniques juridiques: des pr~compr~hensions

concemant la place du droit civil au sein de la societe

a. Le point commun entre les juges frangais et qu6becois : le

choix d’un pluralisme m6diatis6

Nous avons constat6 prdcdemment qu’en France et au Quebec, le juge de droit
civil reconnait le choix des titulaires de l’autorit6 parentale de sounettre leur(s)
enfant(s) A une ou plusieurs normativitd(s) religieuse(s). Si les juges de droit civil
frangais et qutbtcois utilisent l’un et l’autre tin outil juridique distinct pour
reconnaitre ce choix, l’autorit6 parentale pour le premier et la libert6 religieuse pour
le second, des similitudes peuvent toutefois Etre constatdes darts la manire dont ils
traitent les prdtentions des parties fonddes sur une normativit6 religieuse. Tout
d’abord, les juges frangais et qudbdcois ne reconnaissent l’existence et les effets de la
normativitd religieuse que lorsque celle-ci est invoqude par les parties. Ces deux juges
ne l’invoquent pas d’office au cours d’un litige. En France et au Qubec, c’est au
travers des pr6tentions des parties que le pluralisme juridique se manifeste au juge de
droit civil, les parties invoquant une r~gle religieuse, un faisceau de r~gles religieuses,
voire m~me un ordre normatif religieux en vue d’obtenir ou d’dvincer les effets de la
r~gle religieuse A 1’6gard de l’enfant. En outre, c’est par le biais d’un outil juridique
propre, l’autorit6 parentale en France et la libert6 religieuse au Quebec, que les juges

94 (Choisir en conscience 6quivaut A opdrer des choix et A poser des actes selon des valeurs et des
iddaux que l’on a dafinis sur le plan moral dans son for intdrieur. La notion de conscience renvoie
donc A un espace intime, le for intdrieur, dans lequel le sujet pose des jugements de valeurs. La raison,
la volont6 et le libre arbitre sont 6 la source du ochoix en conscience . Du point de vue du droit
dtatique, se pose la question de savoir si la conscience peut dtre considarde comme une source du
droit. Existe-t-il des cas d’objection de conscience pouvant justifier le non-respect d’obligation lgale
ou contractuelle? Par exemple, un gyndcologue catholique est-il en droit d’invoquer une clause de
conscience pour refuser d’ex6cuter une intervention volontaire de grossesse et ne pas respecter une
obligation contenue dans son contrat de travail? Sur ces questions, voir tout particuli~rement la thse
de Dominique Laszlo-Fenouillet, La conscience, Paris, Librairie gdndrale de droit et de jurisprudence,
1993.

9′ Ainsi, dans Droit de lafamille –
[l]e droit fondamentalt

1456, supra note 65 A lap. 616, la Cour d’appel du Qudbec a
affirn que
la libertd de religion est tel qu’il autorise et justifie chacun des
ex-conjoints de pratiquer librement sa religion en prdsence de 1’enfant et d’enseigner A cc dernier les
prceptes de la religion de son choix>.

MCGILL LAw JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 48

frangais et qudbdcois d~duisent des effets positifs ou n~gatifs au sein de leur ordre
juridique 6tatique de la sounission A une normativitd religieuse.

Or, ces deux outils pr~sentent la particulat d’etre un pouvoir, une libert6
octroy~s A l’individu et non A un groupement religieux en tant que tel. Le pluralisme
juridique, dans ces deux pays, se rvble done m6diatis6 par l’individu. En fait, les
juges frangais et qu~b~cois ne considrent pas directement ]a r~gle religieuse comme
l’expression d’un ordre normatifavec lequel ils devraient choisir ou non de composer.
Ils semblent ne reconnaitre l’existence et les effets de la normativit6 religieuse que
dans la mesure o i elle a 6td choisie au prdalable par l’individu. Ce n’est done pas la
normativitd religieuse comme expression d’un ordre normatif, que ces deux juges
choisissent de reconnaitre, mais plut6t l’autonomie de la volont6 des individus qui ont
d6cidd de se soumettre en conscience A un corps de r~gles religieuses. La reception de
la normativitd religieuse ne se fait done pas de mani~re objective: il n’y a pas
reception d’une norme consid~rde comme telle parce qu’elle appartient A un ordre
normatif. La norme religieuse est plut6t r6ceptionnde de manire subjective: elle est
envisag~e en tant que norme parce que le sujet de droit lui reconnait un caract~re
obligatoire. C’est donc la volontd des individus qui semble dtablir la rencontre entre
l’ordre juridique dtatique et les ordres normatifs religieux.

b. Les diff6rences entre les juges frangais et qu6b6cois : d’une
situation de monopole du droit civil frangais d une situation de
primaut6 du droit civil qu6b6cois

Pourtant, malgrd ce choix commun d’un pluralisme subjectif mddiatis6, certaines
differences subsistent entre la France et le Qudbec dans le traitement des pr~tentions
des parties fond~es sur une normativitd religieuse. Cette difference de traitement
s’explique par des representations id~ologiques implicites et intdgr~es, propre A chacun
des deux juges, quant A la place du droit civil au sein de la socidtd.

i. Le droit civil frangais : un droit conqu en situation de

monopole sur le territoire national

Ainsi, il semble que les decisions rendues par le juge de droit civil frangais A
propos des litiges relatifs au choix de la religion, A l’dducation et A la pratique
religieuse des enfants, reposent sur l’ide que l’Etat d~tient le monopole de l’diction
du droit sur le territoire national et qu’il revient au juge de droit civil frangais
d’intervenir pour affirmer et prot~ger ce monopole. Plusieurs 6lments tendent A
confirmer cette analyse. Tout d’abord, lorsqu’il s’agit de d6duire des effets positifs au
sein de l’ordre juridique dtatique de la soumission A une normativitd religieuse, le
juge frangais ne reconnait les effets de la normativit6 religieuse a l’dgard de l’enfant
que de mani~re
l’avons constat6, cette
reconnaissance est la consequence d’une r~gle gdnrale et abstraite, posde par l’ordre
juridique 6tatique frangais A partir des r~gles de droit civil relatives A l’autorit
parentale. Tout se passe done comme si le juge frangais entendait affirmer que les
effets pr6vus par une rfgle religieuse ne sont pas la consequence de l’application

incidente. En effet, comme nous

2003]

C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

705

meme de cette r~gle mais bien de la r~gle de droit civil, r~gle de droit dtatique.
Autrement dit, il n’y a pas de reconnaissance directe de la normativit6 religieuse mais
une reconnaissance indirecte par incorporation de la norme religieuse au sein d’une
source du droit reconnue par l’ordre juridique 6tatique frangais : la volont6 des
individus.

En outre, si le choix de soumettre un enfant A une ou plusieurs normativitd(s)
religieuse(s) est une facult6 reconnue par le juge frangais comme une consequence de
l’exercice de l’autoritd parentale, ce choix, A la diff&ence du droit civil qudb6cois,
n’est aucunement prot6g6. En effet, A aucun moment le juge frangais ne consid~re
qu’il est de l’obligation de l’ordre juridique 6tatique frangais de reconnaitre les
pr~tentions des parties qui demandent de d6duire des effets positifs au sein de l’ordre
juridique 6tatique de leur soumission A une normativit6 religieuse. En d’autres termes,
A aucun moment le juge frangais ne considre qu’il soit dans l’obligation d’assurer
l’application de la r6gle religieuse A l’6gard de l’enfant. Qui plus est, il ne r6pond pas
A la revendication de la protection d’une telle soumission puisqu’il d6place l’objet du
litige vers la question de l’identification de la religion de l’enfant. Tout se passe donc
comme si le juge frangais voulait demeurer autonome face A de telles pr6tentions afin
de ne pas &re contraint de prot6ger, par principe, la soumission des enfants A une
normativit6 religieuse. En effet, pour lui, choisir un tel raisonnement juridique
reviendrait A reconnaitre que la r~gle religieuse produit par elle-m~me des effets
normatifs A l’dgard de l’enfant que l’ordre juridique dtatique devrait par principe
prendre en consid6ration. Or, ce que le juge frangais entend affirmer, c’est que le droit
civil, en tant que droit dtatique, est le seul A pouvoir produire des effets juridiques A
l’6gard des individus et que les effets d’une r~gle religieuse A leur dgard ne sont
jamais que la consdquence de l’application d’une r~gle de droit civil, r6gle de droit
6tatique.

Cette reprdsentation iddologique du droit 6tatique en situation de monopole sur le
territoire national est confirme par le fait que le juge frangais n’h~site pas A
reconnaitre l’existence et les effets de la normativitd religieuse lorsqu’il s’agit de
d6duire des effets de droit n6gatifs au sein de l’ordre juridique 6tatique de la
soumission At une normativit6 religieuse, c’est-,-dire lorsqu’il s’agit d’dvincer A
l’6gard de l’enfant l’application de certaines normativit6s religieuses. Tout se passe
comme si le juge frangais intervenait pour prot~ger le monopole du droit 6tatique sur
le territoire national et 6vincer les r~gles des communaut6s religieuses qui viendraient
A le contester.

ii. Le droit civil qufbdcois : un droit conqu en situation de

primaute sur le territoire national

A la diffdrence du juge frangais, le juge qu~b~cois ne congoit pas son droit en
situation de monopole sur le territoire national mais plut6t en situation de primautd.
En effet, bien qu’il confere A l’ordre juridique qub6cois un statut de sup6rioritd a
l’dgard des ordres normatifs religieux, il reconnait n~anmoins les effets normatifs de
ces derniers sur les comportements familiaux. Plusieurs 616ments semblent confirmer

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[Vol. 48

cette analyse. Tout d’abord, comme nous avons pu le constater, le juge qu6b6cois agit
toujours en prenant pour acquis que les r6gles de droit civil ne sont pas les seules
r~gles A r6gir les rapports entre les particuliers. II reconnait ainsi les pr6ceptes
religieux que les individus ont choisi de se donner en conscience pour guider leurs
relations avec leur(s) enfant(s). D’ailleurs, la reconnaissance de l’existence des ordres
normatifs religieux et de leur pouvoir normatif au sein de la cellule familiale conduit
le plus souvent le juge qudb6cois A s’efforcer d’identifier les r6gles religieuses qui
s’appliquent A l’enfant. Ainsi, lorsque des parties invoquent des normes religieuses au
cours d’un litige pour obtenir des effets positifs au sein de l’ordre juridique dtatique,
c’est-A-dire pour assurer l’expression de leurs effets A l’6gard de l’enfant, le juge
qu6b6cois reconnait leur existence et s’efforce de d6terminer leur teneur exacte en
analysant les 6ldments de preuve apportds par les parties, voire en recourant A un
expert96. En outre, dans l’application de la r~gle de droit civil, le juge qu~b~cois
s’efforce de ne pas porter atteinte A l’application des prdceptes religieux. Ce respect
individuelle, reconnue par l’ordre juridique 6tatique
de l’autonomie religieuse
qu~b~cois, se manifeste notamment lorsque le juge refuse de consid~rer la norme
religieuse comme un 6ldment pertinent dans la construction de l’objet du litige alors
que l’une des parties lui demande de d6duire des effets n6gatifs de la sourhission d’un
titulaire de l’autorit6 parentale A une normativit6 religieuse, c’est-A-dire lui demande
d’6vincer les effets de cette soumission A l’6gard de l’enfant par la r~gle de droit civil.
Dans ce cas, comme nous l’avons vu, le juge qudbdcois apprdcie non pas la norme
religieuse en elle-m~me, mais bien les comportements qui d~coulent de la soumission
des titulaires de l’autorit6 parentale A cette normativit6 religieuse, et plus pr~cisdment
les comportements religieux que les individus ont choisis d’adopter en conscience du
fait de leur soumission A une normativit6 religieuse.

. Ndanmoins, il ne faut pas pour autant en d~duire que l’ordre juridique 6tatique
qu~b~cois entretient des relations parfaitement dgalitaires avec les ordres normatifs
religieux et que son retrait a leur 6gard est absolu. Au contraire, le juge qu~b~cois est
garant de la primautd de l’ordre juridique qu~b~cois par rapport A ces ordres normatifs
religieux sur le territoire national. En effet, en premier lieu, il faut rappeler que la
reconnaissance des effets des ordres normatifs religieux au sein de la cellule familiale
est la cons6quence d’une libert6 fondamentale conc~de par l’ttat aux individus.
L’autonomie religieuse des communaut6s religieuses ne s’impose donc pas A la
province du Quebec en tant que telle. C’est une libertd qu’elle a conc~dde aux
individus qui, par l’exercice de leur libert6 de r~nion pacifique et d’association,

96 Ainsi, dans Droit de la famille –

1114, supra note 35, le juge qudb cois s’est efforcd de
determiner les prdceptes religieux qu’une mere enseignait et pratiquait avec ses enfants suite A sa
conversion au mouvement oLubavitch. De meme, dans Droit de lafamille – 2505, supra note 37,
lors d’un litige opposant une m&e catholique et un pre musulman sur la question de savoir s’iI fallait
administrer le sacrement de l’eucharistie A leur enfant commun, le juge a affirm qu’aucune d6cision
ne pourrait dtre rendue sur le fond sans I’avis d’un expert d6terminant les consdquences de
I’eucharistie chrtienne selon les r~gles de la communautd musuhnane et selon les r6gles de l’tglise
catholique.

2003]

C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

707

reconnue dgalement par la Charte des droits et libers de la personne, d6cident de
l’utiliser collectivement. Tout se passe donc comme si le pluralisme juridique en
matiere religieuse trouvait sa source pour le juge de droit civil qu6b6cois dans une
r~gle de droit 6tatique. En outre, le retrait de l’ordre juridique qu6b6cois n’est pas
absolu. En effet, le juge ne se consid6re pas incomp6tent At l’gard des ordres
normatifs religieux pour r6soudre des litiges de nature religieuse entre particuliers
impliquant un enfant. I1 ne les abandonne pas aux juridictions religieuses97. Bien au
contraire, les r gles de droit civil qudb6cois semblent ftre utilis6es comme des outils
pour arbitrer les conflits qui naissent du pluralisme juridique religieux existant au sein
de la cellule familiale.

Le juge qu6b6cois considre donc le droit civil qu’il applique en situation de
primaut6 sur le territoire national. I1 reconnait l’existence d’un certain pluralisme
juridique sur le territoire national en matiere religieuse. I1 reconnait que le droit civil
n’est pas le seul t r6gir les relations au sein de la cellule familiale au Qu6bec: les
r~gles religieuses produisent aussi des effets normatifs que le juge doit prendre en
consid6ration dans l’application de la r~gle de droit civil. Toutefois, le juge qud5bcois
consid~re le droit civil qu’il applique en situation de primautd A l’6gard des ordres
normatifs religieux. En effet, il semble consid6rer que, d’une part, le pluralisme
juridique en matiere
territoire national et plus
particuli6rement au sein de la cellule familiale, trouve sa source dans une r6gle de
droit 6tatique, la libert6 de religion et, d’autre part, que le droit civil de la province du
Qu6bec qu’il applique est celui qui a vocation h s’appliquer pour arbitrer les litiges de
nature religieuse au sein de la cellule familiale.

religieuse, existant sur

le

Ce premier titre nous a permis de constater que les juges frangais et qubdcois
prennent en consid6ration l’existence et les effets des normativit6s religieuses
invoqu6s par les parties dans la construction de l’objet du litige. Si le juge frangais
r6alise cette reconnaissance en se r6f6rant h une pr6compr6hension du droit civil en
situation de monopole sur le territoire national, le juge de droit civil qu6b6cois prend
en considdration la normativit6 religieuse en concevant son droit civil en situation de
primaut6 sur son territoire. Nanmoins, l’6tude de la r6ception de la normativit6
religieuse par les juges frangais et qu6b6cois ne peut se limiter au seul constat de la
reconnaissance des pr6tentions des parties fond6es sur une normativitd religieuse
tant6t par le biais de l’autorit6 parentale comme en France, tant6t par celui de la
libertd de religion comme au Qu6bec. En effet, tout litige relatif au choix de la

97 Une teUe remarque est importante parce que certains juges canadiens ont pu, dans certains cas, se
ddclarer incomletents. Ainsi, dans Levitts Kosher Foods v. Levin (1999), 45 O.R. (3C) 147, la Cour
supieure de l’Ontario a pu se d6clarer incomp6tente pour r6soudre le litige qui opposait une socidtd
fabriquant de la viande kasher A un conseil de rabbins oxthodoxes (le Vaad Hakashruth), qui refisait
de lui ddlivrer un certificat de viande kasher. Le juge Benotto a considdrd que l’affaire devait &re
renvoyde devant le Beis Din : (The courts are understandably reluctant to intervene in the internal
matters of a religious body. To do so would deprive the religious organization of the right to interpret
its own doctrine. […] Although couched in property and civil rights terms, the essence of the
plaintiff’s claim is an attack on the [religious] policies > (ibid. aux pp. 155-56).

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[Vol. 48

religion, A l’ducation et A la pratique religieuse des mineurs se rdv~le dgalement
riche d’une dimension axiologique. Par le prisme de l’intdr&t de l’enfant, les juges
frangais et qu6bdcois contr6lent les normativitds religieuses qui s’appliquent i
l’enfant et leurs effets A son 6gard, s’efforgant d’imprimer les valeurs de l’ordre
juridique 6tatique auquel ils appartiennent au sein de la cellule familiale.

II. Un pluralisme contr61e

L’tude de la reception de la norme religieuse par les juges frangais et qu~b~cois
ne peut se limiter A la seule analyse de la reconnaissance par ces derniers des
pr6tentions des parties fond6es sur tne normativit6 religieuse. En effet, avant de faire
produire des effets juridiques A une normativitd religieuse au sein de leur ordre
juridique dtatique (quatri~me et cinqui~me phases de l’acte de juger), les juges
frangais et qu6b6cois, en recourant A la notion de l’intdr&t de l’enfant, la soumettent 4
un contr6le dont les contours varient, s’immisgant ainsi au sein de la cellule familiale.
A bien des 6gards, l’int6r& de l’enfant est un paramtre m6thodologique qui
intervient essentiellement lors de la d6termination des effets concrets de la r~gle de
droit (quatri~me dtape de l’acte de juger) (A). Les mdthodes de contr6le que les juges
frangais et qu6b6cois utilisent r6v~lent leurs pr6compr~hensions quant A la fonction
du droit civil A l’6gard des nonnativitds religieuses qui s’appliquent A l’enfant au sein
de la cellule familiale (B).

A. Un contr6le ax6 autour de Ia notion de I’intfrdt de I’enfant
Les juges de droit civil frangais et qudbdcois ont organisd un contr6le de la
normativit6 religieuse qui s’applique A l’enfant (1). Tant en France qu’au Qu6bec, un
outil ddcisif est au fondement de ce contr6le : l’int6r& de l’enfant (2).

1. Les caractristiques du contr6le de la normativit6 religieuse

En France et au Quebec, le contr6le de la normativit6 religieuse prdsente des
caractdristiques particulires, suivant qu’il porte sur les effets des comportements
parentaux fondus sur des normes religieuses (a) ou sur la teneur meme des normes
religieuses sur lesquelles se fondent les comportements parentaux (b).

a. Le contr6le des effets des comportements parentaux fond6s

sur une normativit#6 religieuse

Lorsque les juges frangais et qudbdcois contr6lent les effets des comportements
parentaux fondds sur une normativit6 religieuse, tels que le fait de circoncire un
enfant ou encore de l’emmener faire du porte-A-porte, deux types de mthodes
d’analyse peuvent 8tre utilisdes pour les appr~cier. Les juges frangais et qu6bdcois
ti une analyse in concreto, c’est-t-dire At une analyse au cas par cas
peuvent recourir
reposant sur les faits propres A l’esp~ce. Ils peuvent aussi choisir une analyse in
abstracto, c’est-A-dire une analyse recourant A des modrles pr~ddfmis de ce qui est ou
non dans l’intfr~t de l’enfant.

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C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

709

Lorsque le juge de droit civil recourt A une analyse in concreto des effets des
comportements parentaux fond6s sur une normativit6 religieuse”, il interdit comme
dtant incompatible avec l’int6rat de l’enfant, tout comportement qui a pour
cons6quence ou qui serait susceptible de lui causer un pr6judice. Une telle
interdiction est prononcde si trois conditions sont remplies. Tout d’abord, le juge doit
constater 1’existence d’un comportement se fondant sur une norme religieuse.
Ensuite, il doit caract6riser le pr6judice de l’enfant, lequel peut 6tre de nature vari6 :
pr6sent ou futur 9, physique, psychologique ou affectiff. Enfin, le juge s’assure qu’il
existe bien un lien de causalit6 entre le comportement se fondant sur une norme
religieuse et le pr6judice ou le risque de pr6judice pour l’enfant. En d’autres termes,
le pr6judice subi par l’enfant doit pouvoir dtre reli6 aux comportements familiaux se

98 Par souci de fluidit6 du texte, nous substituerons parfois l’expression ocomportements religieux>
A 1’expression ocomportements parentaux fondes sur une normativit6 religieuse>>. Nous prions le
lecteur de ne pas oublier la dimension normative lie A ces comportements.

99 Voir par ex. la d6cision du Tribunal des enfants de Rochefort du 17 janvier 1997 (indte),
pronongant des mesures d’assistance 6ducative en milieu ouvert A 1’6gard d’enfants vivant avec leurs
parents dans une communaut6 religieuse nomm6e (de Grand Logis de Dieu>. Selon le juge des
enfants, ces mesures s’imposent en raison de la possibilit6 pour les enfants de subir un pr6judice
psychologique futur. En effet, (des membres de la communaut6 dans I’attente d’une apocalypse
6ventuelle ne se projettent aucunement dans une vie sociale plagant ainsi leur enfant dans un monde
artificiel>. De mdme, dans Droit de la famille –
2833, J.E. 97-2120 (C.A.), la Cour d’appel du
Qu6bec affirme qu’>. Dans Droit de lafamille –
1456, supra note 65 A la p.
613, en vue de d6terminer si la pratique religieuse d’un parent Tdmoin de Jehovah doit 8tre limit~e, la
Cour d’appel se pose la question suivante, traduction du mode d’analyse in concreto: <>.

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[Vol. 48

fondant sur une nortne religieuse01 . A bien des 6gards, on peut constater que cette
analyse in concreto est tr~s semblable A celle qui est utiliste pour caractdriser la
responsabilit6 civile objective d’un individu et d~duire des consequences juridiques
de son comportement qui a causd un prejudice A un tiers.

L’analyse in concreto prdsente la particularit6 d’avoir une port~e limitde et, de ce
fait, peut dtre qualifide de contr6le minimum. En effet, lorsque les juges frangais et
qudb~cois recourent A une analyse in concreto, ils ont le souci de mesurer les
consdquences du comportement religieux sur l’enfant tout en le dissociant de sa
nature particuli~re, A savoir son caract~re religieux. Ce que les juges frangais et
qu~b~cois s’efforcent d’appr~cier, ce ne sont pas les pr6ceptes religieux A la source du
comportement religieux, autrement dit la normativit6 religieuse, mais les incidences
concrOtes dudit comportement sur l’enfant. Ce type de contrile correspond donc A un
souci de neutralit6 de l’ordre judiciaire A l’dgard des ordres religieux, la mdthode
d’analyse in concreto introduisant une casuistique: un comportement religieux
autorisd dans un cas ne Pest pas forc~ment dans un autre 2.

L’analyse in concreto des effets des comportements religieux des parents est
prdsente dans les d6cisions frangaises ant6rieures A 1980. En effet, par souci de
neutralit6 judiciaire, l’argunent religieux d’une partie A un litige y 6tait minimalis6:
le juge frangais s’efforgait avant tout de mesurer les cons6quences d’une pratique
religieuse sur l’quilibre physique et psychologique de l’enfant plut6t que d’appr~cier

0′ Ainsi, dans Droit de lafamille – 1456, ibid., la Cour d’appel du Qutbec refuse d’interdire A une
more T~moin de JMhovah d’enseigner les pr6ceptes de sa religion A son enfant au motif que meme si
‘enfant et certains accidents conflictuels A I’occasion desquels
un certain degr6 de perturbation de
‘enfant aurait confront6 son pore d’une fagon regrettable sont certainement de nature A nuire au
respect du p~re par l’enfant, ces incidents n’ont pu dtre relids ni aux crdmonies religieuses de la mre,
ni A l’enseignement directement donn6 par la more, ni A I’enseignement que la more donne A
l’occasion de ses visites A domicile (voir ibid. A la p. 617). Dans cette meme d~cision, les juges n’ont
pas suivi le raisonnement du juge Larouche de la Cour sup~rieure, qui avait prdcis6 dans sa d~cision
que la more devrait comprendre qu’ (ibid. A la p. 612), les juges de la Cour d’appel estimant que ce postulat ne saurait
justifier rinterdiction d’emmener l’enfant aux cdrdmonies religieuses des Tdmoins de Jdhovah, mais
qu’il fallait bien prouver le lien de causalit6 entre ces cArtmonies et l’engendrement d’une situation
conflictuelle avec le pre pour formuler de telles interdictions. Or, selon eux, 4[n]ulle part le premier
juge ne fait-il un lien direct entre la perturbation dans les relations entre le pfre et I’enfant […] et le
fait que ‘enfant accompagne sa more aux rtunions ou cAr~monies de Ttmoins de JMhovah> (ibid. A la
p. 612).
102 Ainsi, dans les dtcisions qudbcoises, le fait d’emmener son enfant aux assembl~es religieuses
de sa communaut6 est autorisA dars certains cas et refusd dams d’autres en fonction du prdjudice subi
par 1’enfant. Voir par ex. Droit de lafamille – 353, supra note 40 ; Droit de lafamille –
1456, supra
note 65, oA le droit d’emmener son enfant aux assembldes religieuses de sa communautd est reconnu.
Voir aussi Droit de lafamille – 274, [1986] R.J.Q. 945 (C.A.); Droit de lafamille – 2618, [1997]
R.D.F. 215 (C.A.), dcisions ofz le droit d’emmener son enfant aux assemblies religieuses de sa
communaut n’a pas

tA reconnu.

2003]

C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS- LA NORME RELIGIEUSE

711

le bien-fondd de la pratique en tant que telle03. En France, cette analyse in concreto
se retrouve dgalement dans certaines d6cisions de cours d’appel relatives aux sectes>>
qui entendent rappeler la neutralitd judiciaire en mati~re religieuse””. Dans les
dacisions qu6bdcoises, l’analyse in concreto est tr6s frdquente. En effet, le juge
qudbdcois 6value g6n6ralement si la libertd de religion reconnue aux deux parents et
leur permettant d’adopter des comportements fond6s sur des normes religieuses n’a
pas des cons6quences pr6judiciables pour 1’enfant. Dans le cadre d’un tel contr6le, la
fonction de l’int6rat de l’enfant est donc de vrifier que l’exercice effectif par les
parents de leur libertd de religion n’a pas causd de pr6judices physiques, moraux ou
psychologiques i l’enfant0 5.

103 Voir par ex. T.G.I. Versailles, 24 septembre 1962, supra note 39. En l’esp ce, une mineure, nde
de parents protestants, avait tA placde dans un dtablissement catholique suite A une mesure dducative.
‘enfant sorte de cet dtablissement, soit que la
Ses parents s’y opposaient et demandaient soit que
pratique de la religion protestante lui soit imposde. Le tribunal refusa d’adresser une injonction A
l’dtablissement pour que la mineure protestante soit contrainte A une pratique religieuse. En effet,
‘absence de majorit6 Idgale religieuse, il convient de rechercher l’intdrt
apr~s avoir affirm6 >, il constatait qu’en l’esp6ce, ((toute tentative pour [1a] coniraindre […] par quelque
moyen que ce soit A des actes de pratique religieuse aurait sur son ddveloppement psychique les plus
graves rdpercussions >. Cette decision et la m .thode d’analyse in concreto qu’elle contient furent
confirmdes par la premiere Chambre civile de la Cour de cassation dans Cass. Civ. 1′, 7 avril 1965,
supra note 100. Voir aussi Paris, 11 d6cembre 1964, supra note 75. Dans cette decision, pour appr6cier
si une m6re ayant une pratique religieuse intensive pouvait obtenir la garde de sa fillette, la Cour
d’appel a apprci6 l’intr~t de l’enfant A la lumihre de trois types d’argwnents, soit materiel, psychique
et philosophique, sans envisager l’argument religieux A proprement parler.
‘0″Voir par ex. la d6cision de la Cour d’appel de Montpellier en date du 29 juin 1992, supra note 54,
qui, a propos d’un probl6me d’octroi de garde A une mre T~noin de Jdhovah, affirme qu’elle refuse
de distinguer entre les o6glises reconnues>> et les ogroupes religieux minoritaires>> et que l’apprdciation
des comportements religieux des parents par rapport A l’intdret de I’enfant doit se faire in concreto.
05Voir par ex. l’affirmation du juge Jacques de la Cour d’appel dans I’arr~t Droit de lafamille –
353, supra note 40 A la p. 365, selon laquelle 4[1]a foi des Tdmoins de Jdhovah n’est pas en litige, mais
plut6t la facon dont le p6re enseigne cette foi A son fils. […] Si sa fagon d’enseigner sa religion
traunatise I’enfant, sa m6thode d’enseignement doit atre chang&e>. Voir dgalement Droit de lafamille
1114, supra note 35, oa le juge’Flynn refuse de limiter le droit de visite d’un pre juif A la demande

d’une m~re, membre du mouvement juif orthodoxe ((Lubavitch>, parce que <<[l]a preuve dans 1'ensemble n'a pas convaincu le tribunal que les enfants dtaient A ce point perturb6[s] qu'il faille intervenir, directement ou indirectement, ce qui serait le cas par exemple si le Tribunal s'abstenait d'accorder des droits de sortie durant le "Shabbat">> (ibid A la p. 369). Voir la position des juges
McLachlin et Sopinka dans Young c. Young ([1993] 4 R.C.S. 3, 108 D.L.R. (4e) 193 [Young avec
renvois aux R.C.S.1), selon laquelle la libert6 d’expression religieuse doit 8tre dcart6e par l’intrdt de
I’enfant si son exercice entramine des changements et des perturbations A I’encontre de celui-ci. Voir
enfin
la position des juges L’Heureux-Dubw, La Forest, Gonthier et McLachlin dans B.(R) c.
Childrens Aid Society of Metropolitain Toronto ([1995] 1 R.C.S. 315, 122 D.L.R. (4e) 1 [Childrens
Aid Society]), selon laquelle les lois contemporaines favorisent l’intervention de l’ttat au nom de
l’intrdt de l’enfant, bien que cette intervention ne peut 8tre que minimale. Les tribunaux ont fait
preuve d’une certaine h6sitation A s’immiscer dans les droits des parents, et rintervention de l’ltat
n’est tol~rde que lorsque sa ndcessitd est d6montr~e, c’est-i-dire si les parents ne respectent pas la

712

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 48

le parent prouve

Le juge de droit civil peut aussi recourir A une analyse in abstracto des effets des
comportements religieux des parents pour d6terminer s’ils sont contraires a l’inthrt
de l’enfant. Dans le cadre d’une telle analyse, les juges frangais et qudb6cois se
r6ferent soit A une typologie prdddfinie de comportements religieux prdsumds
pr6judiciables pour l’enfant, soit A une reprdsentation a priori de ce qui est ou non
dans 1’int&rit de l’enfant en matiire religieuse. Dans le premier cas, la pr6somption du
caractre prdjudiciable du comportement peut etre simple : la prdsomption pourra etre
renversde si
le caractire non prdjudiciable du comportement
religieux en cause. La prdsomption peut aussi 8tre irrdfragable : aucune preuve
contraire ne pourra etre apport6e par le parent mis en cause'” 6. Dans le second cas, il
appert au travers des d6cisions que le juge se donne une d6finition a priori de l’int6rat
de I’enfant en matiire religieuse en se rdf6rant aux valeurs qui sont propres A son
ordre juridique. Il est t noter que l’analyse in abstracto induit le plus souvent dans les
ddcisions judiciaires l’apparition d’une terminologie renvoyant A la notion de faute 7.
En effet, en France comme au Qu6bec, l’autorit6 parentale est envisagde comme
confdrant aux parents des droits finalisds par l’int6rdt de l’enfant. Par consdquent,
l’atteinte qui lui est port6e conduit le juge t conclure A l’existence d’une faute, c’est-
a-dire A la violation d’une obligation pr6existante, A savoir l’obligation pour les
parents d’agir en matiire religieuse dans l’int6rdt de leur enfant.

Cette mdthode d’analyse in abstracto prdsente la particularit d’avoir une port6e
plus large que le contr6le fond6 sur l’analyse in concreto et, de ce fait, peut 8tre

norme minimale socialement acceptable. En d’autres termes, l’intervention du juge 6tatique est
justifiable si le prdjudice ou le risque de prdjudice d6coulant d’une pratique religieuse peut etre
caractrisd.

106 Ainsi, au Qudbec, le fait d’emmener des A des ctrdmonies religieuses
aprs 20 heures ou faire du porte-i-porte est interdit par les juges qudbecois. Is lors, il semble que
ces comportements religieux sont prdsums contraires A l’intdrit de l’enfant, prdsomption qui apparaft
irrdfragable. Voir par ex. la d6cision Droit de lafamille –
1153, [1988] R.D.F. 129 i la p. 131 (C.S.),
ox le juge Provost affirme: >, arguments auquels les juges ripondent ((que le juge est fondd i
intervenir lorsqu’un exercice abusif ou inopportun de ce droit risque de compromettre la santd, la
sacurit6, la moralitd ou I’dducation du mineure.

2003]

C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

713

qualifide de contr6le interm~diaire. En effet, il conduit A interdire dans tous les cas un
type dttermin6 de comportement religieux (sauf quand la pr6somption du caractre
prdjudiciable dudit comportement est simple, ce qui est relativement rare). En fait,
in abstracto d’un comportement religieux par r6rence A une
cette analyse
representation a priori de ce qu’est l’inttr~t de l’enfant en matitre religieuse traduit
une volont6 de l’ordre judiciaire de contr6ler les comportements religieux des parents
au sein de la famiUle. Le juge de droit civil entend accepter certains comportements
religieux et en exclure d’autres. Ds lors, l’autonomie de la cellule familiale en
matire religieuse semble ne devoir 8tre reconnue qu’A la condition de respecter
certaines valeurs prtdfinies par l’ordre juridique 6tatique. Ce denier se d6parti donc
de sa neutralit6 en dcartant les comportements religieux en contradiction avec les
valeurs qu’il veut voir 8tre transmises A l’enfant. Au contrtle des effets des
comportements parentaux fondds sur une normativit6 religieuse s’ajoute enfin le
contrOle normatif ou contr6le de la teneur de la normativit6 religieuse sur laquelle se
fondent les comportements parentaux.

b. Le contr6le de /a teneur de la normativit6 religieuse sur

laquelle se fondent les comportements parentaux

Dans le cadre du contrtle normatif, c’est la compatibilit6 de la normativit6
religieuse, source des comportements religieux familiaux parentaux, avec l’intdr& de
l’enfant qui est directement apprdcide par les juges frangais et qudbdcois. C’est cette
normativit6 qui est analysde par le juge de droit civil comme 6tant contraire A l’intr&t
de l’enfant. Cette incompatibilit6 se retrouve notanment dans les deux cas de
figure suivants : soit parce que cette norme religieuse est l’expression de la
sounission de l’enfant Ai une normativit6 religieuse qui lui est ou qui risque de lui 8tre
prdjudiciable05 , soit parce qu’elle est l’expression de la soumission de l’enfant A une

‘0’ Ainsi, dans Cass. Civ. 2e, 6 mai 1987, supra note 59, pour refuser d’accorder la garde des enfants
A une m~re, membre d’un groupement religieux nommd , caractdrisant ainsi le prdjudice
rsultant de la soumission des adolescentes A la normativitd de ce groupement religieux. Voir
6galement la d~cision de la premiere Chambre civile de la Cour de cassation du 15 juin 1994,
Juridisque Lamy [Cass. Civ. 1′, 15 juin 1994], dans laquelle elle refuse la requite d’une mre tendant
A ce que 1’enfant ne vive plus avec son pire, membre, selon elle, od’une secte>>. En effet, se r~fdrant
aux constatations de la Cour d’appel, elle note que les manifestations religieuses du pre vapparaissent
se limiter h l’art de ]a physionomie, A la science de l’astrologie, voire meme A la pratique du yoga [et
que] I’adhdsion A un principe de madecine douce, dit alternative, ne pouvait, en l’absence de tout autre
d1rment, faire presumer 1’existence d’un risque physique ou psychique encouru par l’enfant auprs de
son p re>. Voir enfin la decision Droit de lafamille – 2494, supra note 70 A la p. 657, o4 le juge
Audet de la Cour sup~rieure decide, apr~s examen des prdceptes de la communaut6 religieuse en
cause, d’ordonner le retrait d’enfants d’un institut appartenant A un mouvement nomm6 la Mission de
l’Esprit-Saint, aux motifs que othe Court consider[s] the Mission teachings and environment as
detrimental to the children’s psychological welfare […]. [Tlhere’s a real risk that the children become

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[Vol. 48

les valeurs de

l’ordre juridique
normativit6 religieuse en contradiction avec
6tatiquerc. Lors du contrrle par le juge de droit civil de la compatibilit6 de Ia norme
religieuse avec l’intdrdt de l’enfant, il s’av~re donc que l’objet du contr6le n’est pas
tant la norme prise isoldment que comme partie d’un ensemble de normes. D~s lors,
le juge de droit civil accroit l’6tendue de son contrrle A ce demier ensemble,
recourant 4i nouveau A deux m~thodes d’analyse : une analyse in concreto et une
analyse in abstracto.

Dans

le cas de l’analyse normative

in concreto, le juge doit ddmontrer
l’incompatibilit6 de la normativiti religieuse avec l’intdret de l’enfant en caract~risant
le prdjudice rdsultant de la soumission de l’enfant A cette demi~re” . Dans le cas de
l’analyse normative in abstracto de la teneur de la norme religieuse, le juge apprdcie
la compatibilitd du contenu de cette norme, source du comportement parental, avec la
notion de l’int~rt de l’enfant. Parfois, le prejudice ou le risque de prdjudice est
prdsumd. Si la prdsomption est simple, la preuve du caract~re non prdjudiciable de la
normativitd religieuse en cause pourra 8tre rapportde. Si
la prdsomption est
irrdfragable, la preuve contraire ne pourra l’dtre'”. En fait, au cours de ce contr61e, le
juge s’efforce de vdrifier s’il existe une antinomie entre la norme religieuse et la r~gle
de droit civil. En d’autres termes, il vdrifie si l’application de normes religieuses it
une situation ddterminde –
en l’occurrence les relations que les parents entretiennent

alienated from their father as a result of the Mission’s teachings and attitude toward the outside world.
(…] [T]he Court’s orders regarding the removal of the children from the Mission will also require that
Mother changes her lifestyle to accommodate the children’s needs)).

109 Voir par ex. la decision de la Cour d’appel de Paris du 8 decembre 1986, Juridisque Lamy [Paris,
8 decembre 1986], qui, au cours d’une procedure de divorce, refuse d’accorder la garde des enfants A
une mere Tdmoin de Jdhovah aux motifs qu’elle dtait incapable de tenir les enfants A l’dcart de ses
engagements religieux au sein des Tdmoins de JKhovah et i les prdserver des risques que comportent
pour leur dvolution la doctrine et les prdceptes religieux dont elle se rclamait. Voir aussi la decision
de la premi&e Chambre civile de la Cour de cassation du 26 janvier 1994, Juridisque Lamy [Cass.
Civ. 1′, 26 janvier 1994], dans laquelle elle refuse d’accorder un droit de visite t un p&e musulman
qui a fait circoncire ses deux enfants sans l’autorisation de la mre catholique aux motifs entre autres
que l’opinion majoritaire est difavorable At la circoncision en France. En l’espce, ce comportement
religieux est invalide par la Cour de cassation parce qu’il est l’expression de valeurs et de priceptes
religieux en contradiction avec les valeurs de la nation franqaise.

“oAinsi, dans Cass. Civ. 1′, 15 juin 1994, supra note 108, I’analyse de la juridiction porte dans un
premier temps sur la nature des croyances et des priceptes religieux auxquels se rifere le p re. Ce
n’est qu’aprs avoir constatd que ceux-ci n’dtaient pas prdjudiciables pour l’enfant que le retour
immidiat de l’enfant au domicile du pre a dt decide. De mime, dans la decision Droit de lafamille
– 2494, supra note 70, le Juge Audet examine d’abord les prdceptes et les valeurs de la communautd
religieuse de la Mission de l’Esprit-Saint avant d’en deduire que la friquentation de l’Institut La
Fl&he, appartenant At celle-ci, avait pour effet de soumettre les enfants it la normativit6 de la
communautd d’une manitre qui leur serait prijudiciable.

11 La prdsomption de dangerosit6 pour ‘enfant des priceptes religieux de la communautd des
Tdmoins de Jdhovah semble irrdfragable en France pour de nombreux juges. Ainsi, la Cour d’appel de
Paris, dans sa decision du 8 decembre 1986, supra note 109, fait allusion aux risques que comporte
pour l’dvolution des enfants la doctrine religieuse et les prceptes des Timoins de Jhovah. Voir aussi
Cass. Civ 2, 25 juin 1998, Juridisque Lamy.

2003] C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

715

avec leur(s) enfant(s) au nom de leur soumission A la normativitd religieuse – n’a pas
pour consdquence de transmettre A l’enfant des valeurs contraires, voire mme
hostiles 4 celles de l’ordre juridique 6tatique.

Le contr6le de la teneur de la normativitd religieuse est rare au Qudbec. En
France, il se rencontre principalement dans les ddcisions relatives aux osecteso,
manifestant ainsi la volontd de certains juges de droit civil fran9ais de ne pas voir les
enfants soumis aux prdceptes de ces communaut6s religieuses.

Le contr6le normatif est un contr6le de port6e plus large que le contr6le portant
sur les effets des comportements religieux des parents et peut atre qualifi6 de contr6le
maximum. En effet, lorsque les juges fi-angais et qudbdcois considarent qu’une norme
religieuse sur laquelle se fonde le comportement parental est contraire A l’int6rdt de
1’enfant, ils invalident tous les comportements parentaux qui d6coulent de cette
norme, que la mdthode d’analyse de la teneur de cette norme soit in concreto ou in
abstracto. Parfois m~me, l’interdiction est plus large: ils vont jusqu’A affirmer leur
volont6 de prdserver 1’enfant de l’ordre normatif religieux dont la norme religieuse est
l’expression” 2. A rNvidence, par ce type d’analyse, en contr6lant la norme religieuse
A la source du comportement religieux par le prisme de l’intdret de l’enfant, les juges
veulent contr6ler l’influence normative des communautds religieuses auxquelles les
membres d’une famille se sont affilids. Ils entendent accepter l’influence de certaines
et exclure celle d’autres A l’6gard de l’enfant au nom de valeurs propres A leur ordre
juridique 6tatique. Ce faisant, les juges renoncent A leur neutralit6 A l’dgard des ordres
normatifs religieux. En fait, en recourant i cette mdthode d’analyse, ils organisent un
contr6le portant sur l’influence que les ordres religieux exercent sur les relations
familiales et plus particulirement sur l’enfant. C’est en raison de son dtendue large
que cette mdthode d’analyse peut donc 8tre qualifide de contr6le maximum des
normativitds religieuses qui s’appliquent A l’enfant.

Au terme de cet aperqu des caractdristiques du contr6le exercd sur la normativitd
religieuse par les juges frangais et qudbdcois, deux constats s’imposent. Tout d’abord,
le contr6le des effets des comportements parentaux fondds sur des normes religieuses
et le contr6le de la teneur des normes religieuses sur lesquelles se fondent les
comportements parentaux sont prdsents tant dans les ddcisions frangaises que

112 Ainsi, dans Paris, 8 dcembre 1986, ibid., le juge n’accorde pas la garde des enfants A la mr&e,
membre des Tmoins de Jdhovah. De m6ne, la premire Chambre civile de la Cour de cassation, dans
sa d6cision du 22 fWrier 2000, supra note 100, confirme la d6cision de la Cour d’appel qui, en se
rdfdrant i une enquate sociale et A un examen m6dico-psychologique, avait ddcidd d’interdire Ai une
mhre, membre du mouvement raelien, de mettre en contact ses enfants avec des membres do
mouvement, A l’exception d’elle-m&ne et de son compagnon. Par IA-m&ne, pour prdserver les enfants
de la normativitd du mouvement, une certaine sparation est instaurde entre la vie familiale et
l’activit6 cultuelle des parents. (Vainement est-il reproch6 A une cour d’appel d’avoir interdit A une
mre de mettre ses enfants en contact avec des membres do mouvement radlien, A 1’exception d’elle-
mine et de son compagnon, sur le fondement des Art. 8, 1, 9, 10 et II Conv. Europ~enne des Droits
de l’Homme, ces articles autorisant des limitations permettant les ingrences prdvues par la loi et
n~cessaires dans une socidt6 ddmocratique A la poursuite des buts Idgitimes dnoncds .

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[Vol. 48

qudbdcoises. Parfois, m~me, plusieurs modes d’analyse s’entremdlent dans une mame
decision. Toutefois, certaines tendances ont pu 6tre identifies. L’analyse in concreto
des effets des comportements parentaux fondds sur une normativitd religieuse est plus
rdpandue dans les d6cisions qudbdcoises qu’elle ne I’est dans les d6cisions
frangaises ” 3. Quant A l’analyse normative, l’analyse qui a pour objet la teneur de la
norme, elle se rencontre principalement dans les d6cisions frangaises relatives aux
<>, manifestant la volontd du juge de ne pas voir les enfants soumis aux
pr6ceptes de ces communautds religieuses”‘. Ensuite, il s’av~re que, peu importe la
mdthode d’analyse utilis6e, le contr6le de la normativitd religieuse et de ses effets
repose toujours sur une notion de r6fdrence : l’intdr& de l’enfant.

2. L’outil d~cisif du contr6le : I’int6r~t de ‘enfant

Que le contr6le porte sur la normativitd religieuse en elle-m~me ou sur les effets
des comportements religieux des parents, on constate que l’outil d~cisif du contr6le
demeure la notion de l’intdrt de l’enfant tant en France qu’au Qudbec. Se posent
alors les questions suivantes : Quelle fonction remplit-elle pour les juges frangais et
qudbdcois (a) ? Quelle signification propre les juges frangais et qu~b6cois lui ont-ils
donnde (b)?

a. La fonction de la notion de I’int~r~t de I’enfant

Pour les juges frangais et qudbdcois, il semble que la notion de l’intdrdt de
l’enfant remplisse une double fonction: d’une part, dans la formulation de la
motivation de leur ddcision (cinqui~me phase de l’acte de juger), elle justifie
l’intervention des juges frangais et qu6bdcois au sein de la cellule familiale (i);
d’autre part, elle leur permet de contr6ler les normes religieuses qui s’appliquent A
l’enfant (ii).

i. L’iht6rdt de

‘enfant comme justification de rintervention du

juge au sein de la cellule familiale

En premier lieu, il eut dtd possible de penser que les juges frangais et qudbdcois
dtaient incomp6tents pour connaitre des litiges relatifs au choix de la religion, i
l’ducation et A la pratique religieuse des mineurs. En France, le principe de lafcitd

113 Sur 14 arrdts frangais 6tudids dans lesquels le juge avait fait porter son contr8le sur la
compatibilit6 des effets des comportements parentaux avec l’intdret de I’enfant, nous avons retrouv6 A
4 reprises seulement 1’emploi de I’analyse in concreto pour vdrifier cette compatibilit6: voir Cass.
Civ. 2e, 6 mai 1987, supra note 59; Cass. Civ. 1 , 13 avril 1992, D. 1992.IR. 161; Montpellier, 29 juin
1992, supra note 54; Cass. Civ. 1′ , 28 mars 1995, supra note 100.
114 Pour ce qui est de l’analyse in abstracto desdits effets, nous avons r6pertorid A 5 reprises ce type
d’analyse: voir Trib. civ. Brianpon, 6 janvier 1948, supra note 50; T.G.I. Versailles, 24 septembre
1962, supra note 39; Paris, 11 d6cembre 1964, supra note 75; T.G.I. Sarrebourg, 12 novembre 1988,
supra note 51; Cass. civ. I e, 11 juin 1991, supra note 41.

2003]

C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

717

6tablissant une sdparation entre l’ordre juridique dtatique et les ordres normatifs
religieux aurait pu etre une justification de l’incompdtence du juge frangais pour
contr6ler les normes religieuses qui s’appliquent A l’enfant au sein de la cellule
familiale, A premire vue, le juge frangais n’aurait pu intervenir en la matire lorsque
les titulaires de l’autorit6 parentale s’dtaient mis d’accord sur le choix de la
normativit6 religieuse s’appliquant A 1’enfant. Leur accord sur cette question aurait dfQ
s’ixmposer A ce demier.

Quant au juge qudbdcois, la protection qu’il accorde A la libert6 religieuse des
parents aurait pu logiquement avoir pour consdquence son refus de contr6ler
l’exercice que les titulaires de l’autoritd parentale font de cette libert6 A l’6gard de
leur enfant. La reconnaissance de cette libert6 de religion aurait pu avoir pour
consdquence de faire de la cellule familiale qudbdcoise .
117 Voir art. 371-1, al. 2 C.c.F., supra note 80.
‘ Le raisonnement du juge de droit civil frangais se manifeste donc au travers du syllogisme
juridique suivant: (tosu les attributs de [l’autoritd parentale] sont soumis au contr6le du juge en
fonction de l’int6rdt de ‘enfant ; or le choix d’une religion et l’&tucation religieuse d’un enfant sont
des attributs de [l’autorit6 parentale] ; donc le juge […] est competent pour contr6ler le choix d’une
religion et l’ducation religieuse d’un enfant, ceci en fonction de l’intdret de celui-ci)>. Ce libeill du
syllogisme juridique avait 0t6 formulI par R.P. dans sa note sous Paris, 31 janvier 1963, supra note
107. I1 remarque ainsi que les juges posent dans cet arr& le principe de (da compdtence du juge des
enfants pour tancher des questions confessionnelles>. En effet, l’arr&t aurait pu se bomer A constater
que la requite des parents, qui contenait des critiques implicites A l’dgard des &lucateurs de leur fille,
n’6tait pas fondde en fait, raisonnement que le juge n’a pas choisi de retenir.

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(Vol. 48

Au Qudbec, la Cour supdrieure a aussi soutenu que <4[l]es tribunaux ne sont pas chargds du r6le de choisir et d'imposer l'enseignement moral ou religieux qu'un enfant devrait subir car c'est un devoir et un choix qui incombent aux parents [mais ils] doivent intervenir lorsqu'ils consid~rent que cette question risque d'dtre nuisible au meilleur intdrt de l'enfanb>” 9. D’ailleurs, l’article 33 du Code civil du Quibec
invite le juge A intervenir au sein de la cellule familiale afin de prot6ger 1’enfant en
recourant au standard de l’intdrdt de 1’enfant. En effet, cet article affirme que (des
ddcisions concernant l’enfant doivent 8tre prises dans son intdrt et dans le respect de
ses droits>>. Enfin, au Qudbec, les droits de l’enfant, protdgds par l’intdr& de l’enfant,
sont reconnus comme supdrieurs aux droits des parents en mati6re religieuse. Le juge
qudbdcois intervient donc au sein de la cellule familiale pour contraindre les titulaires
de l’autorit6 parentale A respecter ces droits de l’enfant.

L’intervention du juge qu6b6cois au sein de la cellule familiale trouve tr~s
certainement son fondement dans le role protecteur reconnu au juge de droit civil A
l’dgard de l’enfant, soit en vertu de la parens patriae2, soit en vertu de sa simple

” 9 Voir Droit de lafamille – 260, supra note 100 A lap. 316. Voir dgalement Droit de lafamille –
274, supra note 102 A la p. 949, o14 les juges de la Cour d’appel du Qudbec ont affirm6, pour justifier
la restriction du droit de visite du pre, devenu Tdmoin de J~hovah, et lui interdire d’emmener son tout
jeune enfant dans des congr6s religieux, que (([li]e droit de garde d’un tout jeune enfant comporte celui
de l’6duquer et de l’instruire en conformitd de son intdrt prioritaire eu 6gard A son dveloppement
moral, intellectuel et physique. Un Tribunal a justement l’obligation de respecter ce principe et de
l’appliquer, ce qui n’a ien d’une violation de la neutralit6 judiciaire ou encore de l’irrespect de la
garantie constitutionnelle de la libertd de religion. I1 n’est pas douteux d’autre part qu’en face de la
priorit6 du bien de l’enfant un Tribunal puisse ordonner la suspension des droits parentaux mine en
matire de foi religieuse>>.

120 La parens patriae est une notion de common law qui se r~f~re aux pr~rogatives reconnues au
Souverain d’dtre le protecteur de certaines classes de personnes frapp~es d’inaptitude juridique, dont
les enfants et les malades mentaux. Cette doctrine remonte au 14e si~cle, dpoque A laquelle le roi avait
la tutelle des enfants des personnes vivant sur ses terres. Elle permettait A l’IEtat d’agir pour la s~curitd
de ‘enfant principalement en matire de mariage non desirable et de testament, et fut plus tard dlargie
A la protection des enfants contre les abus et les violences aux Ittats-Unis et au Canada anglophone.
Au Qudbec, rien n’est dcrit dans les textes en faveur ou en ddfaveur de ce principe. La doctrine et la
jurisprudence sont done partagdes sur le point de savoir si cette notion s’applique ou non en droit
qu~b~cois. Parmi les auteurs qui estiment que le Qu~bec reconnait la notion de parens patriae se
trouve Dominique Goubau qui, citant la decision Re Goyette : Centre de services sociaux du Montrdal
mdtropolitain ([1983] C.S. 429), affirme que la Cour suprdme du Canada s’est fondde sur cette
competence pour autoriser une intervention chirurgicale ncessaire A la sauvegarde de la vie d’un
enfant de 2 ans. De mine, la Cour d’appel se serait fondee sur ce m~me concept dans Droit de la
famille – 323, [1988] R.J.Q. 1542. L’on trouve parmi les dtracteurs de cette position Michel Morin,

(1990) 50 R. du B. 827, oii il soutient que ce pouvoir n’a pas survcu A l’Acte de Qudbec de 1774. En
lui, cette competence n’ajoute rien au droit positifqui contient des dispositions
outre, selon
spdcifiques permettant aux tribunaux d’agir. Par exemple, selon lui, l’article 42 de la Loi sur la sant
publique (L.R.Q. c. S-2.2) permettrait une telle action A l’dpoque dans I’affaire Goyette. De plus, s’il
n’y a pas de texte et que l’on se trouve en prdsence d’un danger pour l’intdrrt de l’enfant, on peut de

2003] C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

719

fonction de protecteur du faible”, soucieux d’6viter qu’il n’y ait abus par les parents
de leur droit et libert6 au d6triment de l’enfant. En effet, dans la cellule familiale,
l’enfant apparait comme un oindividu faible>>. I1 est titulaire d’un droit A la libertd de
religion mais il ne peut l’exercer seul en raison de son incapacitd juridique. Il est done
soumis aux choix des titulaires de l’autoritd parentale en matire religieuse, ce qui
peut parfois ne pas lui 6tre favorable. En outre, 6tant un individu en devenir, sa
personnalitd, A bien des 6gards, ne se r6v6le pas assez construite pour exercer avec
discemement des choix en mati6re religieuse. D6s lors, c’est en se fondant sur
l’int6rt de l’enfant, lequel contient l’inventaire de ses droits en matire religieuse,
que le juge qudbdcois intervient au sein de la cellule familiale pour prot6ger le droit
de l’enfant A sa libert6 de religion contre les erreurs des titulaires de l’autorit6
parentale et contre les erreurs de l’enfant lui-meme.

ii. L’int6rdt de l’enfant comme 6talon axiologique assurant le
contr6le des solutions donn6es par ‘application m6canique
des regles de droit civil

Outil ddcisif permettant aux juges frangais et qudbdcois de se donner compdtence
pour contr6ler la normativitd religieuse dans ses effets ou dans sa teneur, l’intdrdt de
l’enfant se r6v6le dgalement un 6talon axiologique A l’aulne duquel ils appr6cient les
solutions avancdes om6caniquemenW> par les r~gles de droit civil. En effet, une
analyse des d6ecisions relatives au choix de la religion, A l’ducation et A la pratique
religieuse des mineurs r~v61e que les juges, loin de se tenir A une simple oapplication
m6canique>> des r~gles relatives A l’autorit6 parentale (pour le juge frangais) et A la
libertd de religion (pour le juge qu~b6cois), recourent aussi l’un et l’autre A la notion
de l’intdret de l’enfant, donnant ainsi une dimension axiologique A leur d6cision.
Toutefois, alors qu’en France le juge de droit civil recourt A cette notion pour 6vincer
l’application de la normativit6 religieuse A l’dgard de l’enfant, au Qudbec, le juge de
droit civil se contente de l’utiliser pour dvincer par exception certains effets des
normativit6s religieuses A l’gard de l’enfant.

a. L’int6rdt de I’enfant en France: un dtalon axiologique qui

permet d’dvincer la normativitd religieuse

Comme nous l’avons vu, le juge frangais recourt en r~gle gdndrale A un mode de
contr6le in abstracto en appr6ciant les effets ou la teneur de la normativitd religieuse

recourir A l’article 33 C.c.Q., une disposition qui permettrait au juge qudbdcois d’intervenir au sein de
la cellule familiale.
121 On trouve ce r61e protecteur de l’lttat lorsque le juge statue sur la garde de l’enfant : voir I’art.
514 C.c.Q. Ainsi, au moment ofi il prononce la s6paration de corps ou postdrieurement, le tribunal
statue sur la garde, l’entretien et l’&lucation des enfants, dans l’intdrdt de ceux-ci et le respect de leurs
droits, en tenant compte, s’il y a lieu, des accords conclus entre les dpoux. La r6f~rence aux droits et A
l’int&dt de l’enfant permettrait au juge de prendre en considdration les besoins des enfants qui n’ont
pas t reconnus dans le code.

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[Vol. 48

A l’aulne de la notion de l’intdr& de l’enfant A laquelle il a donn6 une definition a
priori, rdalisant ainsi un contr6le normal ou maximal de la norme religieuse. Or, au
sein des d6cisions frangaises, lorsque le juge de droit civil rdalise le contr6le des
effets ou de la teneur de la normativitd religieuse, la notion de l’intdr~t de 1’enfant lui
permet soit d’asseoir sa decision en renforgant son argumentaire juridique par une
dimension axiologique, soit d’adapter aux valeurs de son ordre juridique la solution
obtenue par l’application (> de la rrgle de droit civil.

Dans le premier cas, le juge double son syllogisme juridique d’un syllogisme
axiologique fond6 sur l’int~rdt de l’enfant’22. Ainsi, le Tribunal de grande instance de
Saint-Brieuc, dans sa decision du 10 octobre 1989, a non seulement affirm6 qu’une
enfant de 16 ans dtait soumise A l’autorit6 parentale de ses parents jusqu’A l’Age de 18
ans pour lui interdire de recevoir le bapt~me des Tdmoins de Jdhovah, mais a
6galement appr~cid les consdquences de ce bapt~me au regard de la notion de l’intdrt
de 1’enfant. 11 a alors allrgu6 que la communautd des Tgmoins de Jhovah dtait > (majeure) ; oor, le cas particulier est contenu dans cette pr~suppositiono (mineure) ; (donc,
l’effetjuridique envisag6 se produit dans ce cas particulier> (conclusion). La sprcificit6 du syllogisme
juridique est que les 6ldments de la presupposition sont exclusivement juridiques. Dans ce cas, le juge
applique une m6thode logique, dont le processus de qualification peut se d6composer comme suit: a)
le juge analyse la pr6supposition de la rrgle de droit possiblement applicable pour deceler les 6kments
dont elle se compose ; b) le juge analyse les 616ments constituants de l’objet du litige qu’il a construit ;
c) le juge determine s’il existe une cofncidence entre les 616ments constituants de la presupposition et
ceux de l’objet du litige. La particularitd du syllogisme axiologique est de se rdf&rer A une valeur
extra-juridique qui s’exprime au travers d’un standard au niveau de la prdsupposition ou d’apprrcier
les effets de droit au vu de cette meme valeur. Selon nous, le standard est un r6f6rent axiologique qui
se r6tere A la normalit6 d’un comportement ou d’une situation et qui se substitue au rdfOrent 1dgal ou
s’ajoute A ce dernier. I1 est defini de faon subjective (convictions propres du juge) et objective
(rdception par le juge des valeurs de la socidtd qui l’entoure). I1 est l’expression d’une technique
legislative fonctionnelle qui permet d’intdgrer une rf&ence A une normalitd extra-juridique dans la
r~gle de droit (par ex. notion de ddlai raisonnable, de cause r6elle et sgrieuse – de licenciement -, de
bon p~re de famille, de l’int~rt de l’enfant, etc.). C’est par le syllogisme axiologique que se
manifestent le plus explicitement les valeurs de l’ordre juridique au sein duquel le juge de droit civil
rend sa decision. Comme nous ‘avons vu prcdemment le standard peut intervenir A deux niveaux
de la structure de la r~gle de droit : soit celui de la prdsupposition, soit celui des effets de droit. Soit le
standard fait office de presupposition. Dans ce cas, syllogisme axiologique se substitue au syllogisme
juridique car la majeure contient le rfdrent axiologique, c’est-A-dire le standard. Le juge rappelle le
standard et son contenu, s’il est defini, puis determine les consequences juridiques de sa
reconnaissance. Le juge analyse les dldments constituants de l’objet du litige qu’il a construit pour
d6terminer s’ils sont conformes ou non A la normalit6 du standard et il dtennine les consquences
juridiques concrhes de la confonnit6 de l’objet du litige au standard. Soit le standard joue sur I’effet
de la r~gle de droit. Le raisonnement du juge se fait alors en deux temps. Dans un premier temps, il
applique un syllogisme juridique puis dans un deuxirme temps, il applique un syllogisme axiologique.
Apris la construction du syllogisme juridique, le juge va apprcier le dispositif
l’dtalon du standard.
Dans ce cas, le dispositif devient la mineure et le standard la majeure, donnant une nouvelle
conclusion, c’est-4-dire un nouveau dispositif.

2003]

C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

721

secte qui exige dnormdment de ses membres, ce qui implique un endoctrinement
considdrable, totalement incompatible avec le d~sir de notre soci~t6 de ne pas imposer
iA des adolescents un quelconque carcan> 23. L’appr~ciation de la teneur de la
normativitd des T~moins de Jdhovah A l’aulne d’une d~fmition a priori de l’int~rat de
l’enfant a donc conduit le tribunal At lui refuser un tel sacrement, oqui ne ferait que
l’ancrer davantage dans une religion qui, par ses exigences 6normes, ne doit
s’adresser qu’aux adultes>>. Dans cette decision, bien que la solution aurait pu etre
ddduite de la seule application des principes relatifs A l’exercice de l’autorit
parentale, c’est-i-dire de la soumission de l’enfant aux d6cisions parentales, le juge
de droit civil a n~anmoins choisi de la confirmer au regard de la notion de l’int6r& de
l’enfant, refusant ds lors tout effet i la normativit6 religieuse des T~moins de
Jdhovah sur l’adolescente.

La notion. de l’int~rt de l’enfant peut aussi permettre d’adapter la solution
donn~e par l’application micanique des r~gles de droit civil et plus particuli~rement
des r~gles portant sur l’autoritd parentale. Ainsi, pour r~gler un diff6rend entre une
mere catholique et un p~re devenu Tdmoin de Jhovah au cours du mariage, le
Tribunal de Sarrebourg, dans une drcision en date du 12 novembre 1988, avait
appliqu6 l’ancien article 372-1-1 du Code civil frangais pour en d~duire que les
parents devaient revenir A >, A savoir, en l’esp6ce, ne pas associer les enfants iA leur
pratique religieuse, selon un accord qu’ils avaient conclu ensemble en 1987. Les
normativitds religieuses des deux parents devaient d~s lors 6tre 6vincdes a l’6gard des
enfants. Toutefois, en recourant au prisme de l’int~ret de l’enfant, le tribunal a affirm6
que la mere, catholique, pouvait feter Noel et Pitques avec ses enfants, malgrd le
caract&re religieux desdites fetes. En effet, selon le tribunal, de tels 6v~nements ont
perdu dans la socidtd frangaise leur caractre spdcifiquement religieux […]> et opriver
les enfants de telles fetes aboutirait t les isoler de leurs camarades>’24 , ce qui n’dtait
pas dans leur intret. La mere s’est donc vue reconnaitre le droit de clbrer avec ses
enfants ces fetes qui ne sont pas reconnues par les T6moins de Jhovah, A condition,
toutefois, de ne pas les emmener dans des lieux de culte. Par le biais de l’int&& de
l’enfant, le juge a donc adapt6 les effets de la solution donn6e par la r6gle de droit
civil, en l’espce l’ancien article 372-1-1 du Code civilfranqais. L’int~rat de l’enfant,
dans une certaine mesure, lui a permis d’assurer l’expression indirecte des effets de la
religieuse catholique A l’dgard des enfants au datriment de celle des
normativit
Tmoins de Jhovah au motif que les fetes religieuses catholiques sont fet~es par
l’ensemble de la population frangaise et qu’elles font partie de l’hritage culturel de la
socidt6 frangaise. Pour mieux comprendre cette dacision, il faut ici rappeler que la
position sociologiquement dominante du catholicisme 25 en France a fait que pendant

’23 T.G.I. Saint-Brieuc, 10 octobre 1989, supra note 58.
‘2 4 T.G.I. Sarrebourg, 12 novembre 1988, supra note 51.
’25 A noter qu’au Qu6bec, l’influence de l’lglise catholique sur I’ensemble des institutions a W tWs
grande dans le passe. Voir Anne-Marie Bilodeau, oQue1ques aspects de l’influence religieuse sur le
droit de la personne et de la famille au Qudbec>) (1984) 15 R.G.D. 573.

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE McGiLL

[Vol. 48

longtemps, 1’on ne s’est pas interrog6 sur les rapports entre la religion et le droit.
D’ailleurs, aujourd’hui encore, les juges semblent implicitement consid6rer que la
religion catholique fait partie du patrimoine culturel frangais. On peut souvent trouver
au fil des arr~ts, la pr6somption selon laquelle l’appartenance A la religion catholique
est la norme en mati6re d’appartenance religieuse’26 , ce qui a pour r6sultat que les
juges peuvent faire produire des effets de droit i la norme catholique en raison non de
sa nature de norme religieuse mais de sa nature de norme sociale 27, pass6e dans les
moeurs civiles”2 . C’est donc avec la mont6e d’autres religions, notamment
le

126 Dans de nombreux arrdts, les juges de droit civil franqais se sont rdfdrds A la religion catholique
sans prdciser le nom de la communautd religieuse, comme si elle dtait la norme. En l’esptce, le juge
avait estim que le pretre avait commis un abus de pouvoir en baptisant 1’enfant sans l’assentiment du
chef de famille, se pronongant en ces termes: ((qu’ainsi la puissance paternelle [est] absolue et sans
contr6le du droit pour le pre de faire adinnistrer ou non les sacrements de l’lglise?>, sans done
pr6ciser de quelle dglise il s’agissait, comme si I’appartenance catholique allait de soi en l’espce. Voir
les remarques sur ce point de Cyrille Duvert, (droit et religion(s) : gen6se et devenir d’un rapport
m6connut
(1996) 21 Revue de la recherche juridique, droit prospectif 737, qui note que lorsqu’il
s’agit de religion catholique, les juges bien souvent n’estiment pas n6cessaire de faire une r~fdrence
expresse au terme ocatholique>> (ibid A la p. 740), ni m~ne d’expliciter quelle est la porte religieuse
de certaines pratiques: <(Le catholicisme tout en dtant n~cessairement "autre chose" que du droit, b~ndficie ainsi aupr s des juges d'une pr~somption de normalit& (ibid A la p. 741). Lauteur ajoute [l]e catholicisme apparait alors bien comme une norme sociale A laquelle il est d'ailleurs que inhabituel de ddroger et que le juge peut sanctionner sans pour autant, dans son esprit, outrepasser les limites de sa mission>> (ibid. A lap. 742).

127 Voir Paris, 13 d6cembre 1934, D. 1935.RH.138, S. 1935.2.168, dans lequel le juge des rdf6rs
avait ordonm6 la remise de deux enfants A leur m6re pour que la seconde puisse tout comme son aime
faire sa premire communion, pr6cisant ainsi que son intret commandait qu’elle fut b6ndficiaire du
m~me privil6ge.

128 Voir Montpellier, 7 novembre 1994, J.C.P. 1996.11.22680 (note Jean-Michel Brugui~re), [1996]
R.T.D. civ. 368 (pourvoi A la Cour de cassation rejet6, en date du 9 octobre 1996, disponible sur
Juridisque Lamy). Dans cette affaire, la Cour de cassation a prdcis6 que oc’est une appreciation
souveraine que la cour d’appel retient qu’A partir de 1989, l’6pouse s’est refus6e A participer aux fetes
de families telles que les anniversaires des enfants, ainsi qu’aux fetes de Nodl, malgr6 le caratre
aussi familial que religieux de ces demires possibilit6s pour la mere de freter Noel et PAques car ces
v6nements ont perdu leur caract6re religieux dans la soci6t6 frangaise> et que qriver les enfants de
telles fetes aboutirait A les isoler de leurs camarades> ce qui serait contraire A leur intdr&, A noter A
l’inverse au Canada, dans I’affaire R. c. Big MDrug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, 18 D.L.R. (4e)
321, la Cour supreme a dft se prononcer sur la validit6 constitutionnelle d’une loi d’inspiration
chrdtienne interdisant de travailler le dimanche sous peine de sanction pnale. Elle a ainsi W amen e
A pr~ciser que le fait, pour l’ltat, d’intdgrer dans la l6gislation les pr6ceptes d’une religion particuli&re
portait ipso facto atteinte A la libertd de religion, prdcisant ainsi que protpger une religion sans
accorder la m~me protection aux autres religions a pour effet de crder une in~galitd destructrice de la
libert6 de religion dans la socit& (ibid. A lap. 337). Cette d6cision est d’autant plus int~ressante qu’4
l’6poque ofi elle fiat rendue, les dispositions de la Charte canadienne relatives A I’gait6 devant la loi
n’6taient pas encore entr~es en vigueur, de sorte que l’indgalitM naissant de l’absence de neutralitd de
l’Etat dans cette affaire doit dtre considdrde comme dtant incompatible avec la libert6 de religion elle-
mdine plut6t qu’avec
le droit i l’dgalit6. Voir sur ce point Josd Woehrling, ((L’obligation
d’accommodement raisonnable et I’adaptation de la soci6t6 A la diversit6 religieuse)> (1998) 43 R. D.
McGill 325 A lap. 371.

2003]

C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

723

judaYsme, que le juge frangais a W amend A penser les rapports entre la norme
religieuse et le droit en termes de conflits potentiels de normativit6.

Le recours par le juge frangais A l’6talon axiologique qu’est l’intdr& de l’enfant
semble montrer que l’6viction de la normativitd religieuse et de ses effets A 1’6gard de
‘enfant n’est pas seulement une cons6quence de l’application de la r~gle de droit
civil. Elle est aussi une cons6quence de l’application de valeurs propres A l’ordre
juridique 6tatique frangais, contenues dans la notion de l’intdrt de l’enfant. Dans les
litiges relatifs au choix de la religion, A l’dducation et A la pratique religieuse des
mineurs, les fonctions que le juge fran9ais assigne A l’int6rt de 1’enfant A l’dgard de
la normativitd religieuse semblent done se rapprocher de celle de l’ordre public en
droit international privd. En effet, il semble bien que l’int6r~t de l’enfant soit une
valeur fondamentale qui permet au juge de droit civil frangais d’dvincer toute
normativitd religieuse A l’dgard de l’enfant qui serait contraire aux valeurs de l’ordre
juridique itatique frangais. Le juge frangais admettrait done les effets de la
normativitd religieuse A l’dgard de l’enfant, seulement apr~s avoir passd ses effets ou
sa teneur au prisme des valeurs de son ordre juridique contenues dans la notion de
l’intdr& de l’enfant 9.

1. Lintrt de I’enfant au Qu6bec: un outil pour 6vincer par
exception certains effets des comportements parentaux
qui se fondent sur une normativitd religieuse

Au Qu6bec, dans le cas du contr6le in concreto des effets des comportements
parentaux fondds sur une norme religieuse, le standard de l’int6rat de l’enfant est
utilis6 afin de vdrifier que l’exercice effectif par les parents de leur libertd de religion
ne cause pas des .prdjudices physiques, moraux ou psychologiques A l’enfant. Par
contre, dans le cadre de l’analyse in abstracto, la fonction de la notion de l’int6rt de
l’enfant est de prot6ger les droits de l’enfant en matire religieuse. En effet, le juge
qu6b6cois limite la libert6 de religion reconnue A chacun des titulaires de l’autorit6
parentale lorsque celle-ci a pour cons6quence de porter atteinte aux droits de l’enfant
en mati~re religieuse. Ainsi, m~me si le juge qu6b6cois a affirmd que 30 , il a aussi reconnu qu’ <[i]l n'est pas douteux d'autre part qu'en face de la 129 Voir Bdn&licte Fauvarque-Cosson, Libre disponibiliti des droits et conflits de lois, Paris, Librairie g6n6rale de droit et de jurisprudence, 1996 A la p. 389: (En principe, l'exception d'ordre public est un m6canisme correcteur de la r6gle de conflit, qui la paralyse et justifie une ddrogation aux rdsultats normalement atteints par l'application de la loi dtranghe ddsign~e lorsque celle-ci contient des dispositions dont la mise en oeuvre est jugde inadmissible par les instances judiciaires saisies>>.

30Droit de lafamille- 260, supra note 100 A lap. 316.

McGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 48

prioritd du bien de l’enfant un -Tribunal puisse ordonner la suspension des droits
parentaux m~me en mati~re de foi religieuse>W3″.

Pour prot~ger la libert6 de religion de l’enfant, le juge qu~b~cois 6tablit une
distinction entre les droits des oenfants d’dge tendre>> et les droits des adolescents de
13 ans et plus en matifre religieuse. Comme les premiers sont consid~rds comme
incapables de tout discemement, le juge qu~b~cois affhrme que le droit en matitre
religieuse d’un tout jeune enfant comporte celui d’atre 6duqu6 et instruit en
conformitd avec son int~r~t prioritaire eu dgard it son drveloppement moral,
intellectuel et physique’32. Ds lors, selon le juge qudbdcois, doivent dtre contrflds les
comportements des titulaires de 1’autorit6 parentale qui endoctrinent un jeune enfant,
intol~rante et
qui suivent et imposent odes prdceptes religieux d’une fagon
intransigeanteW33. Quant aux adolescents de 13 ans et plus, le juge qudbdcois les
presume capables de faire leurs propres choix en mati~re religieuse’34, tout en
contrtlant toutefois qu’ils n’usent pas de cette libert6 i leur d~triment’35.

En fait, A la lumitre de cette analyse, l’int~rt de l’enfant se rdvtle l’outil par
lequel le juge qudbgcois limite par exception la libertd de religion reconnue aux
parents et par lequel il 6vince certains effets de la normativit& religieuse A laquelle les
titulaires de I’autoritd parentale ont choisi de soumettre 1’enfant. Ainsi, c’est en se
fondant sur cette notion de l’intdr~t de l’enfant que le juge qu~bdcois a interdit A une
mere, Thmoin de Jkhovah, d’amener ses enfants faire de la sollicitation de porte en
porte pour quelque motif que ce soit et de les amener A des activitds religieuses ou
autres se terminant plus tard que 20 h 30 les soirs de semaineI36. Toutefois, A la
diffdrence du juge frangais, le juge qugb~cois ne se fonde pas sur la rtgle religieuse A
la source du comportement pour interdire un comportement religieux A un parent. Les
prdceptes de la communaut6 religieuse du parent ne sont pas en litige mais plut6t la
fagon dont le parent les enseigne A ses enfants”‘. Autrement dit, c’est parce que les
comportements religieux des parents causent un prejudice matdriel, psychologique,
moral A l’enfant, ou qu’ils sont contraires A ses droits en mati~re religieuse protegds
par la notion de l’int~r& de l’enfant, qu’ils sont interdits par le juge de droit civil

132 Ibid.
133 Droit de lafamille –

… Droit de lafamille – 274, supra note 102 A la p. 949. C’est en se fondant sur l’intdrdt de 1’enfant
comme limite au droit Ala libertd de religion des titulaires de l’autoritd parentale que le juge qutb~cois
a interdit A un pOre, Tdmoin de Jdhovah, d’emmener son tout jeune enfant dans des congr6s religieux.
260, supra note 100 a lap. 316. En effet, selon le juge Frenette, il ressort
de la jurisprudence canadienne que d’endoctrinement d’un jeune enfant par un parent qui suit et
impose des prdceptes religieux d’une fagon intolrante et intransigeante, doit 8tre contr61 par les
Tribunaux qui doivent veiller au meilleur intdrt des enfants>>.

34 Voir Protection de lajeunesse- 884, supra note 90.
135 Ibid. Le juge Cr6peau a impos6 une intervention chirurgicale A une adolescente de 14 ans,
membre d’une dglise dvangdlique, qui la refisait pour des motifs religieux. It a considr6 que la foi de
1’enfant 6tait profonde et sinc&e, mais aveugle, et nuisait A son aptitude d’exprimer un refus libre
d’une personne (mineure) capable de discemement.

36 Voir Droit de lafamille –
’37Voir Droit de lafamille – 353, supra note 40.

1153, supra note 106 A lap. 131.

2003]

C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

725

qudbdcois. D’ailleurs, selon la juge L’Heureux-Dub6, ((en statuant sur le meilleur
intdret de l’enfant, le tribunal ne fait le proc6s ni d’une religion ni de l’exercice qu’un
parent peut en faire pour lui ou pour elle-m~me, mais examine uniquement la mani&e
dont l’exercice par un parent, d’une religion donn6e A l’occasion des droits de visite
et de sortie, influe sur le meilleur int6ret de l’enfantw’38 . En aucune fagon, le juge
qudbdcois ne doit done se risquer A un contr6le de la teneur de la norme religieuse sur
laquelle se fondent les comportements parentaux A l’6gard de l’enfant.

11 en rdsulte qu’au Qu6bec, loin d’6vincer la normativit6 religieuse, le juge va
d6membrer les effets de cette dernie sur l’enfant n’acceptant que ceux qui sont
compatibles avec son int&r&t. Cette approche est particulirement patente en matire
de conflit entre les parents quant A l’dducation d’un enfant lorsque l’un des parents
fait partie d’une secte. Ainsi, dans la d6eision Droit de la famille –
353, le juge
Kaufman de la Cour d’appel du Qudbec a interdit A l’intim6 la pratique religieuse du
porte-A-porte, parce qu’elle dtait pr6judiciable pour l’enfant d’dge tendre139 . Ce mdme
type de raisonnement a 6t repris par la Cour supdrieure, dans lequel le juge Frenette
dispose que <[li]e requdrant peut enseigner A l'enfant la religion des Tdmoins de Jhovah mais [...] [i]l lui est ordonn6 de ne pas amener l'enfant dans les dmonstrations, c6rdmonies ou des congr~s des Tdmoins de Jhovah, ou faire de la pr6dication de porte en porte, jusqu'A ce que la Cour d6termine que l'enfant soit en dtat de choisir la religion qu'elle voudra suivreW&4 . Dans le dispositif de chaque d6cision, le juge qu6bdcois d6termine done au cas par cas les effets des comportements religieux familiaux fond6s sur des normes religieuses autorisds A l'6gard de l'enfant. L'intdrt de l'enfant au Qu6bec est done pour le juge de droit civil un outil qui lui permet d'analyser les effets des comportements parentaux qui se fondent sur des normes religieuses, d'identifier ceux d'entre eux qui lui apparaissent comme 6tant incompatibles A cet intdrat et de les dvincer. Pour le juge frangais, au contraire, le recours A l'int6rt de l'enfant permet d'6vincer non pas certains effets des religieuse"4 mais bien comportements parentaux l'ensemble de ces effets, voire m8me la normativit6 religieuse elle-mdme. Ces fondds sur une normativitd 8 8p (D.) c. S. (C.), [1993] 4 R.C.S. 141 A lap. 181,108 D.L.R. (4C) 287. 139 Voir supra note 40 aux pp. 363-64: ((There is some evidence that the door-to-door visits disturb the child. In this connection, it is important to recall that a distinction must be made between what a child may dislike and that which is harmful to the child. The learned trial judge felt that these visits were harmful to the child, and I accept this finding of facw. La Cour d'appel dacide ensuite de remplacer un des points de l'ordonnance du juge de la Cour sup~rieure, qui ordonnait A I'intim6 de ne pas instruire l'enfant des croyances et principes particuliers i ses vues religieuses et, plus particui~ement mais sans limiter la g6ndralitd de ce qui pr~cde, [...] de s'abstenir de faire frequenter au dit enfant ses lieux de rdunion religieuse et de s'abstenir de le faire participer i des visites de solicitation religieuse de porte en porte (ibid. A lap. 361). 140 Droit de lafamille- 1150 (C.S.), supra note 83 A la p. 43. 141 Pour une plus grande fluidit6 du style, l'expression ocomportements religieux du parent>
&tuivaudront dars le reste de cette dtude A la notion de comportements parentaux fond6s sur une
normativit6 religieuse. De m~me, l’expression opratique religieuse>> recouvrira l’idee de pratique
religieuse fondde sur des r6gles religieuses.

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

(Vol. 48

diff6rences d’usage de l’intdrdt de l’enfant s’expliquent par des pr6compr6hensions
propres aux juges frangais et qu6b6cois quant A ce que recouvre la notion de l’int6rdt
de 1’enfant, mais aussi quant A I’attitude que leur ordre juridique respectif est censd
entretenir At l’6gard des ordres normatifs religieux exergant une influence au sein de la
cellule familiale.

b. La signification de la notion de I’intVOrt de I’enfant et los

valeurs de I’ordre juridique 6tatique qu’Ielle exprime

i. L’int~r~t de r’enfant en France:

le choix d’une identit6
religieuse unique et stable pour I’enfant, doubl6 de la volont6
d’assurer son integration dans la soci~t6 franaise

En France, le juge drfmit l’int~rdt de l’enfant en mati~re religieuse comme
l’absence de prjudice present ou futur pour l’enfant du fait de sa soumission A des
normes religieuses. D~s lors, l’enfant ne doit pas dtre perturb6 par la pratique
religieuse de ses parents fond~e sur des r~gles religieuses4 2, ni tre endoctrin6 par ces
derniers”. Les parents doivent donc lui laisser, dans une certaine mesure, une marge
d’apprdciation en mati~re religieuse. En outre, le juge frangais semble estimer que
l’enfant doit avoir une appartenance religieuse stable.” de la naissance A l’dge de 18
ans 45 et qu’il ne doit pas 8tre soumis Ai une pluralitd de nornativit~s religieuses avant
sa majoritd. En effet, en raison des contradictions 6ventuelles qui peuvent exister
entre les diff~rentes communautds religieuses, la soumission de l’enfant A des normes
de confessions distinctes pourrait crder chez lui des confusions de nature A le
perturber.

Enfin, le juge frangais considrre que les choix dducatifs des parents en mati~re
religieuse interviennent dans un cadre culturel, politique et social propre A la France,

142 Voir par ex. Cass. Civ. 1′, 28 mars 1995, supra note 100, qui affirme que, sur le fondement de
I’article 375 C.c.F., un enfant vivant dans une osecteo peut faire I’objet de mesures dducatives s’il
subit, du fait de la pratique religieuse de ses parents, des s6vices corporels ou si son 6volution et son
dquilibre psychique sont gravement compromis.
14 Voir par ex. Montpellier, 29 juin 1992, supra note 54, o4i il est affirm qu’apr~s sdparation, est
reconnu le droit pour chacun des parents de participer A I’ducation religieuse de leurs enfants A
condition de refuser l’endoctrinement absolu.

stable, paisible et r6gulire >.

‘4’Voir Paris, 11 d~cembre 1964, supra note 75, o/i les juges emploient l’expression (, dans
Trib, civ. Versailles, 4 f6vrier 1959, J.C.P. 1960.11.11552.

2003]

C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

727

leur

les

isole,

146

nn1e

insertion sociale difficile,

au sein duquel les enfants doivent s’insdrer. L’id6e implicite semble
tre que l’enfant
doit apprendre A connattre ce cadre gdndral et A dvoluer en son sein afro de s’en sentir
membre une fois adulte. Ds lors, les enfants ne peuvent &re soumis A une
les
normativit6 religieuse qui rend
, en pr6nant des valeurs dloign6es, voire oppos6es A celles de la socidt6
marginalise
frangaise. Ainsi, pour retirer A un p6re musulman son droit de visite a l’6gard de ses
enfants dont la m&re, catholique, avait la garde, le juge frangais a pu constater qu’il
avait procd6 A la circoncision de ses enfants sans l’accord de son ex-dpouse, alors
que le pre odevait tenir compte des opinions et valeurs de la mre quant A
l’opportunit6 de la circoncision; que la circoncision n’6tait pas courante en France
[et] que l’opinion majoritaire [y] dtait ddfavorable>W47. Dans cette ddcision, le juge ne
s’est pas content6 de fonder sa ddcision sur les seules r~gles relatives A I’autorit6
parentale, lesquelles imposent aux parents d’agir de concert. C’est en se fondant sur
les valeurs majoritaires de la socidtd frangaise que le juge frangais a apprdci6 l’acte
religieux du p~re, musulman, A l’6gard de ses enfants, qui en l’esp~ce, 6tait en
contradiction avec celles-ci.

A la lumire de cette analyse, il apparait que la notion de l’intdr~t de l’enfant vise
non seulement A protdger 1’enfant en tant qu’individu, A lui assurer une identitd
religieuse stable, mais aussi A lui donner toutes ses chances d’6panouir sa future
identit6 citoyenne et d’intdgrer A son mode de vie les valeurs de la nation frangaise.
L’intfret de l’enfant pour le juge frangais se r~v~le donc m tin6 d’aspects purement
sociologiques traduisant les valeurs sociales et culturelles de la socidt6 frangaise ainsi
que les aspirations du corps social dans son ensemble.

ii. L’intrt de I’enfant au Quebec: le choix d’une identite
religieuse en devenir pour r’enfant doubI de la volont6 de
preserver ses sp~cificit~s

Selon certains juges canadiens, le contenu de la notion de l’intrt de l’enfant
devrait 8tre ddfini a minima. En aucun cas, selon eux, elle ne pourrait signifier plus
que l’absence de prdjudice prdsent ou futur, matdriel, psychologique ou moral pour
l’enfant au sein de sa cellule familiale. Telle est par exemple l’opinion du juge
Sopinka de la Cour suprdme du Canada, dans Young c. Young, qui a affirmnd que le
droit A la libert6 de religion d’un parent A l’dgard de son enfant ne pouvait 8tre remis
en cause que si un prdjudice grave ou un risque de prdjudice grave pour l’enfant
pouvait 8tre caractdris6 dans le cas d’esp&ce”48 . Toutefois, cet avis ne semble pas

146 Voir par ex. Paris, 8 d~cembre 1986, supra note 109, oi au terme d’un divorce, la garde des
enfants n’est pas confi6e A la m&e Tdmoin de Jhovah aux motifs qu’elle est incapable de tenir ses
enfants t l’6cart de ses engagements religieux au sein des Tdmoins de Jhovah et de les preserver des
risques que comporte pour leur dvolution la doctrine religieuse dont elle se rtclame, celle-ci prdsentant
un caracttre marginal et rendant l’insertion sociale difficile.

147 Cass. Civ. I m, 26 janvier 1994, supra note 109.
148 Young, supra note 105 A lap. 108.

728

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 48

partagd par la majorit6 des juges canadiens. Ainsi, au cours du m~me litige, la juge
L’Heureux-Dub6 a affirm6 que l’int~rt de 1’enfant est une valeur neutrefonctionnelle
qui octroie des pouvoirs discr6tionnaires au juge pour protrger un segment vulnerable
de la socirtd sans avoir A attendre la rdalisation d’un prejudice A son encontre 49. Dans
la province du Quebec, il semble que les juges aient reconnu l’analyse de la juge
L’Heureux-Dub6 en s’efforgant de donner une dimension axiologique A cette notion
de l’intdrt de l’enfant, laquelle rassemble les droits de l’enfant en matire religieuse
qui peuvent 6tre oppos6s A ses parents.

L’intd6rt de l’enfant en matirre religieuse consiste ainsi A prdserver le droit de ce
demier de faire le libre choix de sa religion lorsqu’il a atteint l’dge de la maturit6 (14
ans au Qudbec)”‘5 . Ds lors, par le prisme de l’intdr& de l’enfant, le juge s’assure que
toutes les conditions sont rdunies au sein de la cellule familiale pour que l’enfant
puisse le moment venu faire un choix dclaird en mati~re religieuse. Pour ce faire,
l’enfant ne doit donc pas 6tre endoctrind au point de consid6rer que sa libert6 de
choix n’existe plus en matire religieuse”. Au contraire, l’enfant doit recevoir des
informations sur les prrceptes religieux de ses deux parents, quand bien m~me ces
derniers sont distincts, voire contradictoires 52. Aucune ddcision drfinitive quant A la
religion de l’enfant ne doit non plus 8tre prise par les titulaires de l’autorit6 parentale,
de nature A l’emprcher le moment venu de faire un vdritable choix en matirre
religieuse5 3. Ce choix peut d’ailleurs porter sur celui d’une religion minoritaire. En
effet, un tribunal ne pourrait remettre en cause un tel choix parce qu’iI n’est pas en
mesure de remettre en question la validit6 d’une croyance religieuse, m~me si peu de
gens partagent cette croyance.

En fait, ce droit reconnu A l’adolescent de d6finir par lui-mdme ses propres
prdceptes religieux se fonde sur l’idde ddveloppre par la juge Wilson dans R. c.
Jones, selon laquelle tout individu est libre de se ddvelopper et de rdaliser son

’49bid A lap. 71.
150 Selon la d6cision Protection de lajeunesse –

884, supra note 90, l’enfant de 14 ans est, au sens

de la doctrine et de la jurisprudence, un mineur doud de discemement.

‘5’ Voir Droit de lafamille- 260, supra note 100 A la page 317: 4J… n’a que trois ans et n’est pas
rendue au stade de drveloppement qui puisse permettre ‘endoctrinement moral ou religieux rigide et
intense que le requdrant ddsire lui inculquer; ce ne sera que lorsqu’ele aura atteint un stade de
drveloppement suffisant qu’elle pourra faire un choix libre et dclair6 dans ce domaine>.

152 Voir Droit de lafamille – 2505, supra note 37.
“‘ Ainsi, dans Droit de lafamille – 2505, ibid., c’est parce que l’administration de I’Eucharistie A
un enfant de 10 ans d’un phre musulman et d’une mere catholique 6tait de nature A 1’enraciner
drfinitivement dans la religion catholique et A 1’exclure dafinitivement de la religion musulmane que
le juge qudb~cois a decidd de prononcer tne injonction interlocutoire interdisant A la m&re de faire
administrer A l’enfant ce sacrement. Selon lui, 1’enfant devait recevoir un enseignement dans les deux
religions, chrdtienne et islanique: Aucun choix determinant ne [doit etre fait] entre les deux
religions avant qu’il ait plus de maturitd et qu’il soit plus en mesure de faire un choix 6claird et
d’apprdcier les consequences de son choixo> (ibid. A lap. 792). Voir aussi R. c. Jones, [1986] 2 R.C.S.
284, 31 D.L.R. (4e) 569 [Jones avec renvois aux R.C.S.]; Protection de lajeunesse – 860, J.E. 97-
1924 (C.Q.).

2003] C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

729

potentiel au maximum, d’6tablir son propre plan de vie, en accord avec sa
personnalitd; de faire ses propres choix, pour le meilleur et pour le pire, d’&re non
conformiste, original et m~me excentrique, d’8tre, en langage courant, “lui-mame” et
d’dtre responsable en tant que telW”. Or, si ce droit d’6tre (> est reconnu
aux adultes, il semble que, pour le juge qudb6cois, il existe aussi pour les adolescents,
lesquels doivent en cons6quence recevoir une 6ducation religieuse leur permettant de
construire leur oidentit6 religieuse m6taphysique personnelle>>. Au travers de l’intdrt
de l’enfant, c’est donc cette capacit6 de l’enfant de construire son identitd religieuse
personnelle que le juge qu6bdcois semble vouloir pr6server des atteintes 6ventuelles
6manant des titulaires de l’autorit6 parentale.

Toutefois, l’intdr&t de l’enfant n’est pas riche de cette seule ide de nature
individualiste. L’intdrt de la soci6td dans son ensemble est aussi envisag6 par le juge
qu6bdcois au travers de l’intdrdt de l’enfant. Comme pour le juge frangais, l’ducation
d’un enfant est un enjeu pour le juge qudbdcois qui intervient au sein de la cellule
familiale au nom de l’intdr& de l’enfant si les parents ne respectent pas ola norme
‘”. En fait, le juge qudb6cois ddveloppe souvent
minimale socialement acceptable
l’idde que les enfants, au terme de leur 6ducation, doivent prendre place dans une
socidtd marqude par le pluralisme religieux, voire par le multiculturalisme ou
l’interculturalisme5 6. Par consdquent, les parents doivent toujours transmettre des
pr6ceptes religieux A leur(s) enfant(s) en respectant le fait qu’il existe une diversitd
religieuse au sein de la socidt6, qui peut se refldter parfois au sein de la cellule
familialet’s .

A bien des 6gards, on pent constater que les juges frangais et qu6bdcois retiennent
des solutions distinctes, voire m~me opposdes Iorsqu’ils contr61ent les effets ou la
teneur des normes religieuses qui s’appliquent A l’enfant. Pour une part, cette
diffdrence s’explique par la signification propre qu’ils ont reconnue l’un et l’autre A la

114 Jones, ibid. A lap. 318.
‘ Voir Children’s Aid Society, supra note 105. Voir aussi Jones, ibid. A la p. 299, o6, A l’occasion
d’un litige impliquant un pasteur d’une dglise fondamentaliste qui duquait ses 3 enfants ainsi que
d’autres dans le cadre d’un programme scolaire donn6 dans le sous-sol de l’dglise et qui refisait tout
contr6le de la province, les juges Dickson et La Forest ont impos6 ce contr6le en invoquant ((un inthrdt
impdrieux A ce que lajeunesse regoive un “enseignement approprid”,.

156 Le multiculturalisme de la socidtd canadienne est affirid dans

canadienne (supra note 16), affirmant que
avec l’objectif de promouvoir
canadiens,.

‘article 27 de la Charte
[t]oute interprtation de la prdsente charte doit concorder
le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des
’57 Ainsi, dans Droit de lafamille -955, supra note 68 aux pp. 609-10, le juge Malouf de la Cour
d’appel a justifid le contr6le des comportements religieux d’un phe T~moin de Jhovah avec ses
enfants, en notant : ((Society has evolved considerably in recent years. We now live in a pluralist
society. The former concept under which the husband and father made all the important decisions
affecting the family is no longer applicable in the society in which we live. […] In our case, the father
rejected the opinions advanced by the mother. He did not give her the consideration and respect she
deserved. He insisted on following the dictates of his own conscience without any consideration for
the religious and other beliefs of the mother. In doing so he did not serve the best interest of the childo.

MCGLL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGLL

[Vol. 48

notion de l’intdr~t de l’enfant. Toutefois, les m~thodes de contr6le de la normativit6
religieuse auxquelles ils recourent et le sens qu’ils ont donn6 A la notion de l’int~ret
de 1’enfant traduisent aussi une pr~compr~hension qui leur est sp~cifique de la
fonction du droit civil A l’6gard du pluralisme normatif religieux existant au sein de la
cellule familiale.

B. Un contr6le fond6 sur une pr6compr6hension de la fonction du
droit civil A 1’6gard du pluralisme normatif religieux existant au
sein de la cellule familiale

En effet, A l’6gard du pluralisme normatif religieux existant au sein de la cellule
familiale, les juges frangais et qudb~cois congoivent que la fonction du droit civil
qu’ils appliquent est double: d’une part, determiner
les normes religieuses
applicables au sein de la cellule familiale (1); d’autre part, impr~gner la cellule
familiale soumise A des normes religieuses des valeurs de l’ordre juridique (2).
Toutefois, le sens qu’ils donnent l’un et l’autre A cette double fonction se r~v~le tr~s
diffdrent.

1. Le droit civil: un droit qui determine les normes religieuses

applicables au sein de la cellule familiale

Tout d’abord, il apparait que les juges frangais et qu~b~cois appliquent les r~gles
de droit civil en fonction d’une representation qui leur est propre du pluralisme
normatif religieux devant exister au sein de la cellule familiale. Ainsi, alors que le
juge frangais fait prdvaloir l’idde de l’exclusivisme normatif, identifiant alors une
seule normativit: religieuse applicable A l’enfant, le juge qu~bdcois, lui, n’hdsite pas A
reconnaitre que diffdrentes normativit~s religieuses puissent s’appliquer au sein de la
cellule familiale.

a. Le droit civil frangais: un droit qui assure un exclusivisme

normatif au sein de la cellule familiale

Ainsi, comme nous avons pu le constater pr6c~demment, le juge frangais
s’efforce d’identifier la religion de l’enfant en recourant aux r6gles du code civil
relatives A l’autorit6 parentale et A la r6gle jurisprudentielle selon laquelle >’5 . Affirmant l’hg6monie de son droit, le juge frangais semble donc se
donner competence pour identifier la normativit6 religieuse applicable A l’enfant.

En outre, en contr6lant les effets ou la teneur des normes religieuses par le prisme
de l’intdr& de l’enfant, le juge frangais entend s’assurer que l’identit6 religieuse de
l’enfant est stabilis~e jusqu’A sa majorit6, excluant ainsi A l’6gard de celui-ci les effets

‘ Voir supra notes 50-52.

2003]

C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

731

des prdceptes religieux du parent qui s’est converti apr s sa naissance. A bien A des
dgards, l’application de I’ensemble de ces r~gles et de ces principes du droit civil
frangais semble concourir A imposer A la cellule familiale un certain exclusivisme
normatif. En effet, cette demi~re semble ne pouvoir 8tre sournise qu’aux seules rgles
religieuses que les parents ont choisies d’un commun accord pour que l’identitd
religieuse de l’enfant soit unique et stable jusqu’A sa majoritd, le parent converti ne
pouvant transmettre ses prdceptes religieux 6 l’enfant.

Ce choix du juge frangais de concevoir le droit civil qu’il applique comme un
droit qui tend A assurer l’exclusivisme normatif religieux au sein de la cellule
familiale pour que l’enfant ait une identit6 religieuse unique jusqu’A sa majorit6
s’explique sans doute par l’idde qu’il se fait de l’identit6 religieuse. En effet, pour le
juge frangais et sans doute pour le juriste frangais en gdndral, le choix d’une identitd
religieuse est indissociable du choix d’appartenir A une communautd religieuse. Or,
cette appartenance religieuse est envisagde le plus souvent de mani&re totalitaire, en
ce qu’elle a vocation A s’imposer A l’individu, et totalisante, en ce qu’elle a vocation A
organiser de trs nombreux aspects de sa vie quotidienne. Ce point de vue a
td
clairement exprimd par le doyen Carbonnier lorsqu’il a 6crit que (d’exclusivisme bien
connu des religions […] ne laisse aucun espoir que deux formations confessionnelles
diffdrentes puissent 6tre cumul6es en la personne d’un m~me cat6chum~ne>’5 9. Le
rdflexe du juge de droit civil et du juriste frangais semble donc
tre d’assimiler la
religion A un systme d’appartenance contraignant. Son incapacit6 A la concevoir
autrement nous permet de mieux comprendre son refus d’en faire un 616ment de l’6tat
de la personne et d’en ddduire des effets juridiques. A titre d’exemple, nous pouvons
d’ailleurs citer l’affirmation de Daniel Gutmann selon laquelle il est ((inadmissible de
tirer, conformdment A une d6fmition classique de l’dtat, des effets juridiques de
car cela reviendrait A (imposer A la personne de
l’appartenance religieuseW’
respecter les rgles de sa religion ou de son groupe d’appartenanceW’61 , et qu’en
consdquence (da la’fcitd et le principe d’inefficacit6 juridique de l’appartenance
libertd
religieuse demeurent encore
individuelle’ 62, A savoir tout particuli6rement la libert6 de changer de religion ou de
la refuser. Or, ce point de vue est pour une grande part contestable. En effet, le droit
de changer de religion est un droit fondamental qui, m~me s’il n’est pas pr6sent dans
les textes frangais, est directement applicable en France en raison de sa presence dans
la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertds fondamentales63 ,

les plus prdcieuses de

les garanties

la

..9 Trib. civ. Briangon, 6 janvier 1948, supra note 50.
10 Daniel Gutmann, Le sentiment d’identitJ: tude de droit des personnes et de la famille, Paris,

Librairie g~n6rale de droit et de jurisprudence, 2000 A la p. 415,

161 Ibid A lap. 416. Cette position est majoritairement partag~e par la doctrine. Voir 6galement en ce
sens M.P. Coulombel, <.e droit priv6 frangais devant le fait religieux depuis la s6paration des 6glises et de Ittat> (1956) 54 R.T.D. civ. 1.

62 Gutran, ibid.
163 4 novembre 1950,213 R.T.N.U. 221, S.T.E. 5. L’article 9 de la Convention, relatif A la libertd de

pensde, de conscience et de religion, precise :

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[Vol. 48

ce qui fait que meme si le droit frangais reconnaissait les effets juridiques d’une
appartenance religieuse, i ne saurait en ddcouler n6cessairement l’emprisonnement
de cette personne dans ladite appartenance.

Cette approche de l’appartenance religieuse comme totalisante et indivisible
explique que l’identitd de l’enfant, pour le juge fran9ais, doit 6tre unique et exclusive
de toute autre. En raison de cette approche totalisante de l’appartenance religieuse,
une seule et m~me personne ne peut avoir plusieurs appartenances religieuses et &re
soumise A des pr6ceptes religieux de communaut~s distinctes. Point de pluralisme
normatif religieux possible sur la tete de 1’enfant. En effet, si le juge frangais semble
accepter le pluralisme normatif religieux dans un couple, il le trouve pr6judiciable
pour l’enfant. En fait, le primat ontologique sur l’individu, que le juge frangais
reconnait A la communautd porteuse de la normativitd religieuse sur l’individu,
semble l’amener A douter de la capacit6 de ce demier A diviser, A parcelliser ou A
damembrer les effets de l’ordre normatif religieux pour les accommoder avec ceux
des autres ordres normatifs auxquels il est soumis, notamment celui de l’ttat. En
outre, cette approche empeche d’envisager la religion comme un simple syst~me de
rdf6rence culturelle, participant de l’6laboration de l’identit6 religieuse de l’enfant. En
effet, comme la religion est envisagde comme un ordre normatif qui s’impose A ceux
qui choisissent de s’y soumettre, elle ne peut &re un simple ensemble de valeurs
participant A la construction de l’identitd de l’enfant. Enfin, une telle conception
contribue pour une large part a envisager la religion et les religions en g6ndral comme
des ordres normatifs concurrents de celui de l’ttat qui doit d~s lors s’efforcer de
protdger les individus de leur influence <> et de prdserver l’influence de
son propre ordre juridique sur les individus.

b. Le droit civil qu6b6cois: un droit qui organise une

coexistence normative au sein de la cellule familiale

Quant au juge qutbdcois, la perception qu’il retient de l’identit6 religieuse de
l’enfant et des normes religieuses qui doivent s’appliquer au sein de la cellule
familiale est bien diffrente de celle du juge frangais. En effet, pour le juge qu6b6cois,
en raison de la libert6 de religion qui est reconnue aux deux parents, l’enfant peut 8tre
soumis aux prdceptes religieux de l’un et l’autre, mEme si ceux-ci sont distincts. En
outre, il est important pour ce juge que l’enfant connaisse les prdceptes religieux de

I. Toute personne a droit A la libertd de pensde, de conscience et de religion ; ce droit
implique la libertd de changer de religion ou de conviction, ainsi que la libertd de
manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en
public ou en priv6, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement
des rites.

2. La libert6 de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres
restrictions que celles qui, pr~vues par la loi, constituent des mesures n6cessaires,
dans une soci~td dimocratique, A la s~curitd publique, A la protection de l’ordre, de
la santd ou de la morale publiques, ou A la protection des droits et libertds d’autrui.

2003]

C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

733

ses parents, m-me s’il s’agit de prdceptes provenant de communautds religieuses
distinctes. En effet, selon le juge qudbdcois, cette connaissance permettra A l’enfant,
le moment venu, de faire le choix dclaird de sa religion en ayant
t6 informd des
diffdrents choix envisageables en mati~re religieuse. Enfin, l’existence de cette
diversitd au sein de la cellule familiale participe de l’intdr& de l’enfant qui sera ainsi
prpar6 A atre un citoyen de la soci6t6 canadienne marquee par le multiculturalisme”
et done par la diversit6 culturelle et religieuse. D~s lors, i la diffdrence du juge
frangais, le juge qudbdcois admet qu’il puisse y avoir au sein de la cellule familiale
une coexistence des diffdrents types de normes religieuses auxquelles les parents ont
choisi de se soumettre par l’exercice de leur libert6 de religion, et que cette
coexistence puisse affecter l’enfant. Pour ce juge, le droit civil a pour fonction
d’assurer cette coexistence normative religieuse au sein de la cellule familiale et
d’dviter qu’aucune de ces normes ne s’impose de mani&re exclusive A l’enfant, tout
en rappelant la primaut6 de l’identit6 qudbdcoise. Ainsi, dans une affaire opposant un
pre dgyptien et catholique A une mere juive, la juge Rousseau de la Cour supdrieure
a bien prdcisd que l’enfant n’6tait ni un petit juif anglophone, ni un petit cahtolique
francophone, mais bien avant tout un citoyen canadien 65.

Sans nul doute, ces solutions s’expliquent par le fait que, pour le juge de droit
civil qub6cois, l’individu peut appartenir A plusieurs religions et se mouvoir dans
diffdrents ordres normatifs, effectuant un ordonnancement ad hoc des diffdrentes
normes religieuses. En effet, il semble concevoir qu’un individu puisse opter pour
une religion comme A un ensemble de valeurs, sans pour autant appartenir et
s’assujettir A une communaut6 religieuse. A bien des dgards, la religion est percue par
le juge qudb6cois non dans son aspect cultuel mais dans son aspect culturel. A cet
6gard, les termes employds dans le Rapport Proulx’
confirment cette analyse. En
effet, il est 6crit dans ce rapport qu’au Qudbec, <<[l]a religion et la langue ont constitu6 et demeurent, A l'vidence, quoique A des degrds diff6rents selon les 6poques, deux valeurs culturelles structurantes de la soci&t6 qu~b6coise> 67 .

‘6 Sur la question du multiculturalisme, voir Andrea Semprini, Le multiculturalisme, 2’ 6d., Paris,
Presses universitaires de France, 2000; Will Kymlicka, Multicultural Citizenship : A Liberal Theory of
Minority Rights, Oxford, Clarendon Press, 1995 ; Taylor, supra note 18; David Theo Goldberg,
Multiculturalism : A Critical Reader, Boston, Blackwell, 1994.
165 Voir H. c. R, [1998] R.L. 98 A la page 106 (C.S.):

.

167 Ibid. A la p. 3. Depuis 1875, au Quebec, l’&tucation

tait sous la responsabilit6 de l’glise
catholique et des communauts anglo-protestantes. Ce n’est qu’en 1964 que le Minist~re de
l’&lucation fut cr&. Puis, en 1997, l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 a Oh modiflU afin
d’abroger les privileges et droits confessionnels que les catholiques et protestants detenaient en vertu
de cette loi (voir ibid. A la p. 1 et s.). De plus, ddsonnais, toutes les lois et dispositions qudbecoises

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 48

Ds lors, contrairement au juge de droit civil frangais, le juge qu6bdcois n’a pas A
r6fldchir A de possibles facteurs de rattachement pour ddfmir le statut religieux de
1’enfant. II ne s’attribue pas la comp6tence pour d6terminer son appartenance
religieuse, mais plut6t celle de contr61er l’dducation religieuse que l’enfant regoit de
ses parents. I1 en r6sulte que la soumission de l’enfant A plusieurs rites initiatiques 68
ne lui apparait pas incongrue puisqu’il n’est pas encore question pour lui de
soumission exclusive A une communaut6 religieuse donn6e 69. Au contraire, cette
confrontation de 1’enfant A diffrents syst6mes de valeurs semble plut6t 6tre perque
comme une donn6e positive 7′. En effet, comme le droit de choisir sa religion est un
droit dont l’enfant est le seul A avoir l’exercice, il est important pour le juge de droit
civil qu6b~cois de permettre A l’enfant d’acc6der A son h6ritage culturel, tout en
gardant sa facult6 de faire plus tard un choix 6clair6 quant A son identit6 religieuse.

2. Le droit civil: un droit qui

impr~gne des valeurs de l’ordre
tatique les cellules familiales soumises & des normes

juridique
religieuses

Alors que le juge frangais de droit civil s’efforce d’appliquer les r~gles de droit
civil en vue de maintenir l’exclusivisme normatif religieux au sein de la cellule
familiale, le juge qu6bdcois de droit civil, au contraire, consid6re que le droit civil
qu’il applique peut s’efforcer d’assurer une coexistence des normes religieuses au
sein de la cellule familiale. Toutefois, la fonction que les juges frangais et qu6b6cois
choisissent d’assigner au droit civil qu’ils appliquent ne saurait se limiter A cette seule
fonction de d6terminer les normes religieuses applicables au sein de la cellule
familiale. A bien des 6gards, il apparait que ces juges congoivent que la fonction de

concemant la religion sont soumises A la Loi constitutionnelle de 1867 ainsi qu’A la Charte
canadienne. Selon les rapporteurs, conserver les privileges des deux religions catholiques et
protestantes est hors de question car contraire au principe d’dgalitd contenu dans la Charte canadienne
et dans les instruments internationaux des droits de l’homme (voir ibid. aux pp. 110, 177). La question
est alors la suivante: doit-on offrir un enseignement religieux A tous (articles 10 et 41 de la Charte
quibdcoise) ou plus exactement peut-on offlir un enseignement religieux A tous selon la religion qui
est propre A chacun? (voir ibid. notamment aux p. 62 et s., 109).

168 Voir Droit de la famille – 2505, supra note 37. En l’occurrence, les deux parents avaient
contractd un mariage musulman, bien que la mcre dtait catholique, en s’entendant sur le fait que les
enfants seraient dduqu6s dans la religion musulmane.

une religion et ele a pour consequence la soumission exclusive A cet ordre normatif religieux.

169 Au contraire, en France, le rite initiatique est perqu comme le signe ext~ieur de ‘appartenance A
“0 Voir Droit de lafamille- 3055, [1998] RD.F. 475A la p. 484 (C.S.), o6 le juge Trahan affirme:
Madame est heureuse dans sa foi et elle veut l’inculquer A ses enfants. Ele a le droit de le faire. Par
ailleurs, les enfants savent qu’il existe d’autres croyances et d’autres faons de faire. Tant que cela
sera fait dans le respect des croyances et des actions de chaque parent, les enfants ne devraient pas en
soufrir. Ils sauront faire la part des choses. De plus, ce sera une fagon concrete d’dtre confront A la
rdalitd de la pluralit6 religieuse contemporaine. Cela ne peut que les enrichir. Plus tard, les enfants
tA inculquds, s’ils ne sont plus en
pourront toujours rejeter les principes religieux qui leur auront
accord avec eux. Mais, au moins, ils auront tA dveillds A la dimension morale, religieuse ou spirituelle
des choseso.

2003] C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

735

leur droit civil est aussi d’imprdgner les cellules familiales soumises A des normes
religieuses des valeurs de leur ordre juridique 6tatique.

a. La fonction normalisatrice du droit civil frangais 6 I’6gard des
normes religieuses applicables au sein de /a cellule familiale

En France, comme nous avons pu le constater pr6cddemment, le juge de droit
civil frangais appr~cie le plus souvent les effets des comportements parentaux fondus
sur des normes religieuses ou encore la teneur meme de ces normes A l’aulne d’une
drfinition a priori de l’int~r& de l’enfant. Comme cette demire d~firition precise
que 1’enfant doit avoir une identitd religieuse stable jusqu’A sa majorit6, les r6gles de
droit civil frangais sont appliqu~es par le juge de droit civil en vue d’assurer un certain
exclusivisme normatif au sein de la cellule familiale. Mais, A bien des 6gards, it s’av~re
que le juge de droit civil frangais s’efforce aussi d’impr6gner la cellule familiale d’une
certaine ide de la normalit6 en mati6re religieuse, ce qui justifie que soient 6vinc~s A
l’dgard de l’enfant certains types de normes religieuses consid6r~es comme marginales,
voire comme marginalisantes par le juge de droit civil frangais. En effet, lorsqu’il
contrtle les normativit~s religieuses qui s’appliquent A l’enfant par le prisme de
l’intdrt de l’enfant, la notion de normalit6 apparait A un double niveau.

Tout d’abord, cette notion de normalit6 se manifeste lorsque le juge de droit civil
frangais contr6le les comportements familiaux fondus sur des normes religieuses en
se r6f&ant A un module a priori du comportement religieux raisonnable A 1’gard de
l’enfant. I1 semble que
le juge frangais 6vince A l’6gard de l’enfant tous les
comportements religieux parentaux d’une ferveur religieuse qu’il juge excessive et
qui, selon lui, peuvent conduire l’enfant A 8tre endoctrin6, c’est-i-dire A structurer son
identitd propre autour des seules valeurs de la communaut6 religieuse A laquelle
appartiennent ses parents, en excluant celles de la nation frangaise. Le juge de droit
civil frangais privil~gie donc A l’6gard de l’enfant des comportements religieux
mesurds, ne remettant pas en cause la primaut6, sur le territoire frangais, de l’identitl
nationale sur l’identit6 religieuse et conduisant l’enfant A articuler ses valeurs
religieuses avec les valeurs de la soci~t6 frangaise.

Lorsque le juge de droit civil frangais contr6le la teneur mme des normes
religieuses sur lesquelles se fondent les comportements parentaux, il senble aussi
accepter ou 6vincer des nonmes religieuses A l’dgard de l’enfant soit en fonction d’une
certaine prdsomption de dangerosit6 A l’6gard de certains groupements religieux, soit
en fonction d’une distinction a priori entre les sectes et les religions, l’influence
normative des premires devant etre dvinc6e A l’dgard des enfants. Par exemple, la
Cour d’appel de Nines, le 23 octobre 1996, pour accorder l’exercice exclusif de
l’autorit6 parentale A une m6re, catholique, au detriment d’un p&re Tmoin de Jkhovah,
a pu retenir une pr6somption de dangerosit6 A l’Agard de la communaut6 des Tmoins
de Jhovah, dangerosit qui, selon elle, 6tait confirme par l’appr6ciation des faits de

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

(Vol. 48

l’esp~ce”‘. De son c6t6, la Cour d’appel de Paris, le 8 d6cembre 1986172, a pu confier
la garde des enfants au pre en raison des convictions religieuses de la mere, celle-ci
6tant incapable de maintenir les enfants A l’6cart de ses engagements au sein des
T&noins de Jhovah et A les preserver des risques que comporte pour leur 6volution la
doctrine dont elle se r~clame.

Enfin, dans les decisions relatives au choix de la religion, A l’&ducation et A la
pratique religieuse des mineurs, on peut constater que le juge de droit civil frangais
les communautds religieuses
n’effectue pas le mdme type de contr6le selon
impliqu6es dans le litige. Ainsi, si la communaut6 religieuse en litige est proche des
valeurs de la soci~td frangaise comme la communaut6 catholique, le juge de droit
civil frangais aura tendance A effectuer un contr6le minimum des effets sur l’enfant
des comportements familiaux fondds sur des normes religieuses. Au contraire, s’il
s’agit d’une communautd religieuse ftrangre aux valeurs traditionnelles de la soci&t6
frangaise comme l’Islam, ou hostile A celles-ci, comme c’est le cas de certaines
, le juge opte pour un contrfle maximum de la teneur de la norme religieuse
sur laquelle se fonde le comportement parental en vue le plus souvent de s’assurer
que l’enfant ne sera plus soumis A une telle normativit6.

En fait, au travers de ces exemples, on peut constater que le juge frangais dtablit
religieuses aux pratiques religieuses
une distinction entre
raisonnables, proches ou tout au moins respectueuses des valeurs de la socidt6
frangaise, les religions normales et les communautds religieuses aux pratiques
religieuses excessives, 6trang~res, voire m~me hostiles aux valeurs de la socitd

les communautds

les convictions du pre que

171 Voir Nimes, 23 octobre 1996, J.C.E 1997.IV.2165. A propos de la communautd des Tdtnoins de
Jdhovah, la Cour d’appel a affirm qu’4<[i]l n'appartient pas A la cour de porter un jugement sur les fondements de la religion dite des Tdmoins de Jhovah, mais il entre dans ses attributions de prot~ger les enfants ou mineurs de pratiques qui ont pour but d'attnuer leur libre arbitre et l'dclosion de leur personnalitd par un endoctrinement ou un conditionnement pr~coce>. Selon la Cour d’appel de Nimes,
cette prdsomption de dangerosit6 dtait confirmne dans les faits parce que <[l]e pre prive les enfants de toute activit6 ludique et leur impose des dtudes bibliques. [En outre,] [1]a mere, face A la souffrance de ses enfants, a abandonnd toute pratique religieuse et leur dispense une 6ducation classique en les enfants ressentent comme une v~ritable opposition avec marginalisation. Cette prdsomption de dangerositd existant A l'dgard de la communaut6 des Tdmoins de J6hovah a pu se manifester 6galement au travers d'un avis de la Direction de l'Action Sociale (France, Minist&e de I'emploi et de la solidarit6 (13 novembre 1997)) sur la question de l'agrdment des maternelles appartenant A la communaut6 des T6moins de Jdhovah. En effet, selon Pierre Gauthier, Directeur de 'Action Sociale, (([l]a seule adhesion d'un candidat A une confession ou sa seule appartenance religieuse ne constitue pas bien 6videmment un motif de nature A justifer Igalement soit un refus d'agrdment, soit un retraib). II convient toutefois d'itablir un double contr6le : <(en tout premier lieu, de s'assurer, notamment au cours de l'enqu6te effectude aupr~s du demandeur, appliquer [les r~gles de vie des T6moins de Jdhovah] aux enfants dont il aurait si ce dernier entend [...] la charge. Dans 'affirmative, dans un second temps, il est n6cessaire de faire la liste des r~gles qui seront imposdes aux enfants ainsi que des interdictions qui leur seront faites. Si le respect de 'ensemble de ces r~gles et interdits peut 6tre regardd comme faisant obstacle A 'Tipanouissement" de l'enfant, une d6ecision de refus peut 8tre lgalementjustifideo. 112 Supra note 109. 2003] C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS - LA NORME RELIGIEUSE 737 frangaises, et les religions marginales, voire marginalisantes, parmi lesquelles se retrouvent (des sectes>>. D’ailleurs, derriere l’idde de dangerositd A l’6gard des
sectes>>, se dissimule souvent
individus de certains groupements religieux appel6s
l’idde que ces communaut6s religieuses remettent en cause l’influence de l’ttat A
l’igard de ces individus et transmettent A l’enfant des valeurs susceptibles de
fragmenter la soci6t6 frangaise si elles venaient A se d6velopper. En effet, le fondement
de ‘6viction de la normativit6 religieuse des (> A l’dgard de l’enfant par le juge
frangais est souvent i6 au constat de sa contradiction affirm6e avec les r6gles et les
principes de l’ordre juridique 6tatique, et de son dessein affichd de nier, voire m6me de
remettre en cause les r~gles et les valeurs de l’ordre juridique dtatique frangais. L’id6e
de dangerosit6 des sectes pour le juge frangais serait donc lide A leur caract&re asocial,
lui imposant d’intervenir au sein de la cellule familiale pour r6affirmer les valeurs de
l’ordre juridique auquel il appartient et 6vincer les effets de leurs normes religieuses A
l’6gard de l’enfant, afin que ce demier ne vive pas dans un retrait, voire en opposition
avec les premieres.

les communaut6s

Enfim, cette analyse semble demontrer que le juge frangais intervient au sein de la
cellule familiale en fonction d’un modele a priori des comportements religieux
raisonnables au sein de la cellule familiale et d’une repr6sentation a priori des
communaut6s religieuses normales dont l’influence normative au sein de la cellule
religieuses marginales ou
familiale peut Etre accept6e et
marginalisantes dont l’influence normative doit 8tre 6vinc~e A l’gard de l’enfant.
D’ailleurs pour certains juges frangais, cette demi&re distinction semble trouver son
fondement dans des rapports 6manant de l’autorit6 gouvernementale qui est reconnue
parfois par certains juges comme ayant seule comp6tence pour qualifier le
groupement religieux de osecte dangereuse> ‘ 73. Tout se passe donc comme si le juge
frangais contr6lait la normativit6 religieuse qui s’applique A l’enfant en s’efforcant
d’imprimer au sein de la cellule faniliale une certaine ide de la normalitd en matire
religieuse, permettant l’application des normes religieuses qui respectent le modele a
priori qu’il se fait de celle-ci et 6vingant les normes qui le remettent en cause” .

17 Voir Montpellier, 29 juin 1992, supra note 54: <(Attendu qu'il n'est pas ddmontrd ni m&ne all6gud que la religion ou secte - le mot "secte" devant s'entendre dans le dbat que les parties ont voulu instaurer comme desigant un groupe minoritaire au sein d'une religion - dite des '76moins de Jdhovah" soit interdite ou en voie de l'dtre par l'autoritd gouvernementale qui seule a qualit6 pour detenniner si une association ou un groupement quelconque pr~sente un danger pour ses adhdrents ou pour l'ordre public >. Voir aussi Cass. Civ. 2c, 25 juin 1998, supra note 111, qui, pour rdviser la
convention de divorce, ajoute A la liste des faits, i savoir principalement une discipline de vie qualifi~e
de dangereuse pour un enfant de 10 ans, le fait que la secte en question ait dth mentionn~e comme telle
dans un rapport parlementaire.

174 Dans son ouvrage intitul6 Famille et droit public: recherches sur la construction d’un objet
juridique (Librairie g~ndrale de droit et de jurisprudence, Paris, 1995), tric Millard pr6ecise que le
droit public frangais s’est saisi de la famille comme d’un r6f&ent qui lui permet d’orienter et de
contr61er l’exercice par les individus d’un certain nombre de fonctions. Qui plus est, toujours selon le
mame auteur, c’est parce que ces fonctions, ces prdrogatives individuelles, permettent A l’institution
dtatique de s’assurer au mieux de la rdalisation des fonctions familiales dans un sens n6cessaire A son

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 48

Cette reprdsentation a priori de la normalitd en mati~re religieuse semble A bien
des dgards s’ancrer dans une conception de la nation propre A la France. Sans doute
cette conception de l’attitude du droit civil A l’dgard des comportements religieux,
voire m~me A l’dgard des normes religieuses sur lesquelles se fondent
les
la manifestation de I’imbition de la nation
comportements familiaux, est-elle
frangaise de
la citoyennetd des appartenances particulifres,
biologiques, historiques, dconomiques, sociales, religieuses ou culturelles, et de
ddfinir le citoyen comme un individu abstrait, sans identification et sans qualification
particulire “’75, conception que le juge de droit civil frangais entend voir intdgrde par
l’enfant qui ne doit pas, une fois adulte, affirmer la primautd de son identitd religieuse
sur son identitd nationale. Aussi, comme la France est une Rdpublique indivisible et
lalfque “’76, la r~gle de droit civil, pour le juge frangais, ne doit pas susciter une

transcender par

institution qu’elles ont dtd reconnues comme des droits fondamentaux (voir la decision du Cons.
Constitutionnel, 13 aoft 1993, 93-325 D.C.). Ainsi, en posant que le droit de mener une vie familiale
normale figure parmi les droits fondamentaux de valeur constitutionnelle (ibid. A la p. 223), l’Etat
frangais reconstruit, en fait, juridiquement
la famille en termes de fonctions et prdrogatives
individuelles dafinies par rdf~rence A la famille telle que conque iddalement par lui (ibid. A la p. 120),
prerogatives qui ne pourront 8tre reconnues A l’individu que sous r6serve de leur conformit6 A la
normalit6. Selon Millard, ce ne sont done pas toutes les families qui doivent dtre protdg6es, quelles
qu’elles soient, mais bien seulement celles qui, formellement ou fonctionnellement, sont utiles A
I
tat. Ce droit fondamental n’est reconnu qu’autant qu’il conceme la famille normale (ibid.). En fait,
Millard a pu constater que la notion de normalitd imprdgnait les r~gles de droit frangais s’appliquant A
la famille, au travers desquelles se dessine une representation a priori de la famille normale. La
construction de la notion de famille normale en droit franais est le fait A la fois du Conseil d’1Atat et
du Conseil constitutionnel frangais, qui se sont d’ailleurs opposds sur le contenu de cette normalith.
Elle fait suite A l’apparition du concept de vie familiale normale daveloppde par la Cour europdenne
des Droits de l’Homme et qui a pour corollaire d’imposer A l’ltat d’agir de mani~re A pennettre aux
intdressds de mener une vie familiale normale, A savoir principalement de maintenir dans la mesure du
possible l’union entre les membres de la famille ou encore de permettre i l’enfant naturel de s’intgrer
en son sein d6s sa naissance. Le concept a ensuite dt quelque peu ddvoy6 en droit frangais, puisque
d’un droit des individus contre
‘IEtat, la France en a fait un droit pour l’ttat de contr6ler indirectement
la normativitd intra-familiale. Les dacisions relatives au choix de la religion, A l’&ucation et A la
pratique religieuse des mineurs semblent reprendre cette ide d’une conception a priori de la famille
normale en mati&re religieuse.

175 Dans son ouvrage, Gutmann affirme que (([l]e refoulement des effets juridiques produits par
l’appartenance religieuse au nom de la thdorie de la laIcitd est […] 6troitement solidaire de la thdorie
de la nation elle-memeo (supra note 160 A lap. 415). Selon lui, A bien des dgards, elle serait proche de
la conception que Dominique Schnapper retient de la nation frangaise (ibid A lap. 403), selon laquelle
4[l]a nation se dafinit par son ambition de transcender par la citoyennetd des appartenances
particuli~res, biologiques […], historiques, 6conomiques, sociales, religieuses ou culturelles, de
ddfinir le citoyen comme un individu abstrait, sans identification et sans qualifications particuli~res, en
degA et au-delA de toutes ses ddterminations concretes>) (La communaut des citoyens : sur l’idie
moderne de nation, Paris, Gallimard, 1994 A lap. 49). D~s lors, le sujet rdel semble devoir 6tre refouli
dans l’application de la r~gle de droit frangais au profit du sujet de droit abstrait, ddtach6 de toute
appartenance collective concrete.
76 Voir I’article 1f de la Constitution de 1958. Voir aussi la d6cision du Cons. Constitutionnel, 9
mai 1991, 91-290 DC (notamment le 13e consid&ant), sur la Loi portant statut de la collectivitJ
territoriale de Corse (Loi n’ 91-428 du 13 mai 1991, J.O., 14 mai 1991, 6318) qui proclame

1

2003]

C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

739

fragmentation de la nation qui risquerait de se produire si le droit 6tatique acceptait
sans contr6le i’influence sur les individus de tous les ordres normatifs religieux
existant sur le territoire national. En effet, pour le juge de droit civil frangais,
l’absence d’un tel contr6le pourrait conduire A une diversification excessive des
identitds sur le territoire national et la perte, i plus ou moins long terme, de la
cohdsion nationale. Ds lors, le juge de droit civil frangais semble appliquer les r~gles
de droit civil avec l’idde qu’il doit maintenir une certaine unit6 de la nation frangaise,
en refusant de reconnaitre au sein de l’ordre juridique dtatique les identitds religieuses
trop marquees, minimalisant, voire niant l’identit6 nationale de tout citoyen
frangais’77 .

b. La fonction accommodatrice du droit civil qu~b6cois 6
I’6gard des normes religieuses qui s’appliquent au sein de la
cellule familiale

Au Qudbec, cormme nous avons pu le constater pr~c~demment, le juge de droit
civil appricie le plus souvent les effets des comportements parentaux fondus sur des
normes religieuses en recourant soit it une approche casuistique de l’int~ret de
l’enfant, soit it une ddfinition a priori de cette notion. Pour lui, le contr6le de la teneur
de la norme religieuse, qu’il soit in concreto ou in abstracto, y est quasiment
inexistant.

Contrairement au juge de droit civil frangais, le juge de droit civil qudb~cois ne
semble donc pas avoir l’ambition de faire prdvaloir une nornativit religieuse sur une
autre ou d’imposer l’hdgdmonie du droit 6tatique sur les normes religieuses. Prenant
en considdration les intdr~ts en presence au cours d’un litige, il s’efforce plut6t

l’indivisibilitd du peuple franais en vertu de l’article 2 de la Constitution de 1958 [correspondant
maintenant A son article I” suite A un amendement apportd en 1995 (Loi constitutionnelle n’ 95-880
du 4 aofit 1995, J.O., 5 aofit 1995, 11744)]. La France a dgalement dmis une r6serve A l’article 27 du
Pacte international relatifaux droits civils etpolitiques (19 d6cembre 1966,999 R.T.N.U. 171), lequel
affirme: dans Le droitface aux diversitis religieuses et culturelles, Sherbrooke, Itditions Revue
de Droit, Universitd de Sherbrooke, 1997, 83 aux pp. 122-23 : 4Lobligation d’accommodement
raisonnable a […] un impact qu’on ne pent pas n6gliger. S’inscrivant dans l’approche multiculturelle
canadienne, elle devient alors un outil du multiculturalisme. Comme celui-ci incame la conception
d’un 1ttat libdral neutre, sans dessein culturel ni religieux, l’obligation d’accommodement raisonnable
est incompatible avec les aspirations d’un 1ttat dot6, lui, de desseins collectifs, comme le Qubec>>.

79 Supra note 65.
ISo Ibid. A lap. 616. Ce respect ne concerne pas d’ailleurs que l’autre parent. II vise aussi A preserver
la possibilit6 pour l’enfant de connaitre la religion de chacun de ses parents. Voir H. c. R, supra note
165 A lap. 106: (<[the child] was circumcised as well as baptized. [...] The child is entitled to become knowledgeable of both sets of religous tenets ; a healthy dose of ecumenism is called for ; as each important de noter que 2003] C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS - LA NORME RELIGIEUSE 741 parents n'est pas absolu it l'dgard de l'enfant : il ne doit pas porter atteinte it la libertd 1456"1', le juge a de religion de ce demier. Ainsi, toujours dans Droit de lafamille - estimd que l'enseignement religieux des parents devait &re respectueux du droit de l'enfant au libre choix de sa propre religion lorsqu'il atteindrait l'age et la maturitd pour ce faire, le juge n'intervenant pour poser des restrictions aux comportements des parents que si l'int&t de l'enfant est atteint8 2. D'ailleurs, c'est par le prisme de l'intdrdt de l'enfant que le juge de droit civil qudbdcois s'assure que les effets des normativit6s religieuses auxquelles les titulaires de I'autoritd parentale ont choisi de se soumettre sont respectueux de la libertd de religion de l'enfant. Dans les litiges relatifs au choix de la religion, i l'ducation et i la pratique religieuse des mineurs, le juge qudbdcois s'efforce donc de prdserver la capacitd de l'enfant de faire un choix 6claird de sa religion. Or, selon ce mme juge, odes enfants ne seront pas en mesure de faire un choix dclaird s'ils ne regoivent pas au prdalable, A l'dge approprid, une , ce qui contraint A l'accomnimodement instruction addquate dans les deux religions>>”‘
des normes religieuses des parents au sein de la cellule familiale.

Au travers de ces d6ecisions, on peut donc constater que le juge qu6b6cois congoit
que le droit civil qu’il applique a aussi pour fonction de reconnaitre les diffdrentes
nornes religieuses existant au sein de la cellule familiale et de les accommoder les
unes avec les autres. A bien des 6gards, cette d6marche du juge qudbdcois, soucieuse
de prdserver la diversitd au sein de la cellule familiale, est sans doute l’expression de
la politique de la diff6rence, reconnaissant 4i tout individu, et donc aux parents et aux
enfants, le droit de pr6server, d’exprimer son identitd particuli~re et d’en obtenir la
reconnaissance par l’ordre juridique 6tatique”‘.

Toutefois, ce souci de preserver les effets des diffrentes normes religieuses
existant au sein de la cellule familiale et de les accommoder les unes avec les autres
par l’application des r~gles et des principes de l’ordre juridique dtatique connait des

parent is to be respectful of their child’s duality, they are both going to have to become more
knowledgeable of the other parent’s religious organisation>.

181 Ibid
t 2 Voir ibid. a la p. 616: (. II est A noter ici que le juge Larouche de la Cour suprieure avait pr~cisd dans sa
decision que la mere devrait comprendre qu’ il s’agit d’une affaire de sens commun et qu’il faut
toujours 6viter, pour un enfant de cinq ans, de multiplier les situations qui peuvent engendrer des
ddrangements et des conflits > (ibid. A la p. 612) et que les juges de la Cour d’appel ne l’ont pas suivi
sur ce point estimant que ce postulat ne saurait justifier l’interdiction d’emmener l’enfant aux
crmonies religieuses des Tdmoins de Jehovah, mais qu’il fallait bien prouver le lien de causalit6
entre ces cdrdmonies et l’engendrement d’une situation conflictuelle avec le pOre pour formuler de
telles interdictions. Or, selon eux, (([n]ulle part le premier juge ne fait-il un lien direct entre la
perturbation dans les relations entre le pae et l’enfant […] et le fait que l’enfant accompagne sa mere
aux r6tnions ou cdrdmonies de T&noins de Jhoval

..3 Droit de lafamille- 2505, supra note 37 A lap. 792.
184Voir par ex. Droit de lafamille- 1456, supra note 65.

(ibid. A lap. 612).

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 48

limites. En effet, comme nous avons pu le noter prdcddemment, l’int6rdt de l’enfant
est aussi riche d’une dimension axiologique pour le juge qugbdcois. En effet, pour le
juge de droit civil qu~b~cois, cette notion se r6vle empreinte des valeurs
multiculturalistes de la soci~td canadienne ainsi que des valeurs coh6sives de la
soci~t6 qu6b6coise, que les parents doivent respecter et ne pas remettre en cause dans
l’Mducation religieuse qu’ils donnent A leur(s) enfant(s). Toutefois, A la difference de
la France, l’intdrdt de I’enfant n’est pas riche d’une reprdsentation a priori des normes
religieuses auxquelles l’enfant peut (normalemento
tre soumis, respectueuses des
valeurs de l’ordre juridique 6tatique et compatibles avec celles-ci. Plutft contient-il
les valeurs a minima que les parents doivent enseigner A leurs enfants au travers de
leur dducation religieuse pour assurer ‘6panouissement de leur identit6-citoyenne et
leur socialisation.. en vue de leur integration dans une socidt6 marquee par la
diversitd ethnique et religieuse8 6. Une fois ces principes a minima respect~s, les
parents sont alors parfaitement libres de d~fimir par eux-mames le contenu de
l’dducation religieuse de leur enfant. Ds lors, il semble que le juge de droit civil
qu~b~cois congoit que le droit civil qu’il applique a pour fonction d’accommoder
raisonnablement les normes religieuses les unes avec les autres tout en s’assurant du
respect des valeurs de l’ordrejuridique qudb6cois.

Toutefois, son dessein n’est pas de promouvoir une mosaifque culturelle et
religieuse, comme la Charte canadienne des droits et libertds a pu l’exprimer’87, mais

… Voir Lise Binet et tdith Deleury, oLUenfant, ia famille et

‘ttat : trilogie de la socialisationx
(1986) 5 Rev. Can. D. Fam. 139 A la p. 141 : (La socialisation des enfants n’est pas un enjeu privd
mais bien social. L’intervention possible en mati~re de protection ou de dlinquance le prouve. Et si
l’on s’intdresse tant A la famille, ce n’est pas pour la reconnaitre comme seul lieu de pouvoir sur les
enfants, mais au contraire pour multiplier autour d’elle les interventions qui peuvent aller jusqu’A sa
tutelle. Car les droits de l’enfant et la defense de son intdrdt interrogent ses conditions de vie et de
socialisation et la possibilitd du contr6le dtatique sur ces conditions>. Dans l’arret Jones, supra note
153 A lap. 296, le juge La Forest prdcise qu’il one faudrait pas oublier que l’Ittat a lui aussi un intdrdt
dans I’ducation de ses citoyens , pour poursuivre que l’&lucation est importante dans notre socidt6
democratique car elle est (necessaire dans I’accomplissement de nos obligations publiques [et qu’elle
est] la fondation m~me de toute citoyennet6 solideo, ajoutant enfin qu’<[a]ujourd'hui, il s'agit d'un des principaux instruments pour dveiller I'enfant aux valeurs culturelles, [...] pour I'aider A s'adapter normalement A son milieuo (ibid. A la p. 297, citant un extrait de l'arrdt Brown v. Board of Education of Topeka, 347 U.S. 483 (1954) i Ia p. 493). 186 Ainsi dans Protection de la jeunesse - 477, [1991] R.J.Q. 861 (C.Q.), c'est en raison de l'isolement psychologique visd A l'article 38 b) de la Loi sur la Protection de la Jeunesse, L.R.Q. c. P- 34.1 (<(Aux fins de la prdsente loi, la s~curitd ou le ddveloppement d'un enfant est considerd comme compromis : [...] b) si son ddveloppement mental ou affectif est menacd par I'absence de soins approprids ou par l'isolement dans lequel il est maintenu ou par un rejet affectif grave et continu de la part de ses partents ) que le juge a dfcidd de placer les enfants de 9 et 10 ans que leur parents, membres de la secte des Bd3rets blancs)>, avaient refisa d’envoyer A l’6cole en raison du caract~re
dpravd de cette demi~re. Voir aussi la doctrine reprise par ce meme arrdt, qui 6numre parmi les
principes directeurs A donner A l’enfant oune saine adaptation aux exigences de la vie socialeo (Rende
Joyal-Poupart, < (1976) 36 R. du B. 495 A la p. 503).

87 Voir l’art. 27 de la Charte canadienne, supra note 156.

2003]

C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

743

d’affirmer la capacit6 de la nation qudbdcoise de se donner ses propres r~gles, de
s’affirmer comme nation tout en reconnaissant l’existence des minorit6s religieuses.
Le Qudbec ne semble done pas vouloir promouvoir le multiculturalisme mais pluttt un
certain interculturalisme”8′ qui intervient comnme moyen privildgid de sensibilisation A
la diversit6 culturelle tout en prdservant l’idde de l’int6gration dans une socidtd dont
l’identit6 premiere est l’identit6 qudbdcoise”‘8 . La diffdrence majeure entre
le
multiculturalisme canadien et l’interculturalisme qu6btcois se situe done dans leur
fagon d’appr6hender et d’arbitrer le pluralisme religieux. En effet, si le juge de droit
civil qu6bdcois accepte de reconnaitre et de prdserver les identit6s religieuses, ce n’est
toutefois pas en affirmant l’6galit6 intrins&que entre toutes les cultures et entre toutes
les valeurs. Au Qudbec, la reconnaissance des spdcificitds religieuses semble ne
pouvoir se faire qu’apr~s le rappel de la primautd de l’identit6 qudbdcoise sur toute
autre.

Conclusion

Le propos de cette itude 6tait d’analyser les techniques juridiques employdes par
les juges frangais et qudbdcois pour rdceptionner la normativit6 religieuse, mais aussi

185 Scion Stphane Lvesque:

Unlike English-speaking provinces, however, Quebec has not officially adopted
multiculturalism as a way to cope with cultural pluralism. Qudbdcois have many
reasons to suspect multiculturalism in Canada, for it has been presented as if the
oQudbec culture > was just one of the various cultures that form the ((Canadian mosaic >.
The notion of a multicultural Canada […] has gained strong adherents outside Qudbec,
especially among ethnic minorities (the so-called ((Third Force ). But it has been
largely rejected by Qudbdcois as ((a definition of their of their place in Canadao […].
Quebec has consequently adopted its own policy of interculturalism> more consistent
with its understanding of citizenship. Some scholars have argued that the two policies
are similar, although they recognize that Qu6bec interculturalism makes the limits of
diversity more explicit, focusing on the ((non-negotiable
requirements such as the
French language [ … ]. The ministry of education, in conjunction with the ministry of
Qudbec immigration, has recently put forth a plan of action.for intercultural education
and new cultural integration programs destined to Qudbec schools with a particular
focus on the Greater Montreal region, where most immigrants settle (Rethinking
Citizenship and Citizenship Education: A Canadian Perspective for the 21’ Century,
Citizenship Education Research Network Symposium, Fourth International Metropolis
Conference, Georgetown University, Washington, D.C., Ddcembre 1999 aux pp. 14-15).

’89 Ainsi, selon Dominique Olivier, la diffdrence majeure se situe sfirement dans l’dnonc6 de
politique de f~vrier 1991 du gouvernement qutbcois qui declarait : <<[I]1 n'est pas du ressort de l'[E]tat qu~bdcois dans un contexte dconomique difficile de soutenir la cldlbration des diverses fetes nationales ou religieuses des communautds culturelles. I n'y aura plus d'aide A la preservation de la culture d'autrui. L'aide fmnanci~re sera ddsormais accordee prioritairement aux activits qui d6veloppent la reconnaissance de la ralitd pluraliste dans l'ensemble dc la population> (oCulture
commune ou culture des autres ? >> Le Regroupement inter-organismes pour une politiquefamiliale au
Quibec 6:41 (decembre 1994), en ligne: ).

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

(Vol. 48

de d~montrer que cette r6ception dtait d6terminde par des valeurs propres aux ordres
‘analyse et la comparaison des techniques
juridiques frangais et qu~bdcois. Par
juridiques propres aux juges fran~ais et qu~b~cois pour appr6hender la normativit6
religieuse, cet article s’est efforcd de d6voiler des d6cisions
judiciaires impliquant la question de la reconnaissance des sp~cificitds religieuses des
membres de la cellule familiale ainsi que l’impact sur les enfants des ordres normatifs
religieux. Or, en France et au Quebec, la r6ception de la normativitd religieuse par le
juge de droit civil est fagonne par une representation a priori de la place et du role
du droit civil au sein de la socirtd.

Ainsi, en France, la pr~compr~hension relative A la place du droit civil au sein de
la socidt6 est que ce droit doit 6tre en situation de monopole : lui seul a vocation A
r6gir les relations entre les particuliers. Ds lors, la reconnaissance positive de la
normativitd religieuse ne peut 8tre qu’exceptionnelle et doit se faire selon les
principes d6fmis par l’ordre juridique dtatique, notamment par une incorporation de la
normativit6 religieuse dans une ou plusieurs r~gles posdes par celui-ci. Quant A la
lorsqu’il s’agit de
reconnaissance n6gative, elle est retenue syst6matiquement
normativit6s religieuses qui pourraient ou qui tenteraient de remettre en cause la
situation de monopole du droit dtatique. Quant au rdle du droit civil frangais A l’6gard
du pluralisme normatif religieux existant au sein de la cellule familiale, il est, selon le
juge frangais, de s’assurer d’une part, qu’un seul type de normes religieuses s’y
applique et, d’autre part, que les comportements religieux des parents A l’gard des
enfants fondds sur des normes religieuses sont des comportements raisonnables. En
outre, le juge frangais applique le droit civil frangais en vue de s’assurer que la cellule
familiale est soumise A des normes religieuses normales, c’est-A-dire A des normes
qui, par leur application a l’enfant, n’auront pas pour cons6quence de le marginaliser
au sein de la socidt6 frangaise. En mati6re religieuse, en contr6lant tant les effets que,
parfois, la teneur mame de la normativit6 religieuse, le juge frangais s’efforce le plus
souvent de normaliser les comportements parentaux fond6s sur des pr~ceptes
religieux et de restreindre l’influence des ordres normatifs religieux qu’il juge
marginaux ou marginalisants, comme ceux produits par les communaut6s religieuses
qu’il consid~re comme des sectes>).

A la diffdrence de la France, au Qu6bec, la pr6comprdhension relative A la place
re en situation de primaut6 : il
du droit civil au sein de la soci6t6 est que celui-ci doit
doit 8tre le premier, qui, avant toute autre rbgle, r6git les relations entre particuliers.
Toutefois, il admet le relais d’autres normes, comme les normes religieuses, dont il
reconnait par principe l’effectivit6 sur chacun des membres d’une famille. Une telle
reconnaissance est pour lui une consdquence de la libert6 de religion reconnue A tout
individu dont il s’efforce de protdger l’expression. La fonction que le juge qu6b6cois
assigne au droit civil qu’il applique est d’assurer la coexistence paisible des diffdrents
types de normes religieuses au sein de la cellule familiale afin de pr6server la libertd
religieuse des parents mais aussi des enfants. Toutefois, l’expression de ces
normativit6s religieuses au sein de la cellule familiale est encadr6e par le juge
qudb6cois : elle doit s’exprimer au sein de la cellule familiale en respectant les
valeurs de la socitd qudbdcoise, libre, d6mocratique et pluriculturelle. Ds lors, c’est

2003]

C. LANDHEER-CIESLAK ETA. SARIS – LA NORME RELIGIEUSE

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par le biais de l’intdrt de I’enfant que le juge qu~bdcois r~gule les comportements
religieux des parents fondds sur des normes religieuses, sans remettre en cause pour
autant la teneur meme de ces normes. Au Qudbec, le r6le du droit civil est donc de
permettre 1’expression des normativit6s religieuses au sein de la cellule familiale tout
en s’assurant que celles-ci respectent les valeurs fondamentales de l’interculturalisme
qudb6cois, c’est-i-dire le respect de la diversitd religieuse mais aussi le primat de
l’identitd qu6bdcoise sur toute autre.

Implicitement, ces decisions reposent donc sur une conception de la nation et de
la citoyenneth propre 4 chacun des deux ordres juridiques. En France, c’est parce que
l’identit6 nationale doit transcender toute appartenance particuli6re que le juge
frangais refuse l’influence des ordres normatifs sectaires qui affirment le prinat de
l’identit6 religieuse sur l’identitd citoyenne. Au Qu6bec, c’est parce que l’identit6
d’un individu est reconnue comme multi-polaire que son identitd religieuse peut 6tre
reconnue comme un aspect de sa personnalitd et pr6servde en m~me temps que son
identitd onationale > qudbdcoise.

À propos du nombre pertinent in this issue Gosselin v. Québec: Back to the Poorhouse …

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