McGILL
LAW JOURNAL
VOLUME 9
Mobrn.iL, 1963
NUmBER 1
LA RESPONSABILITt DES PARENTS ET DES tDUCATEURS
Pierre Azard*
It est, dans le Code civil de la Province de Quebec, un article important dont
une partie des dispositions semblent d’un maniement malaise: c’est l’article
1054 du Code. Certes, sous cet angle 6minemment pratique, une distinction
s’impose: on doit reconnahtre que le premier alin~a du texte considr6 –
relatif
i la responsabilit6 du fait des choses en g6nral –
les dispositions concernant
la garde des insens~s et la responsabilit6 des maitres et commettants (alin~as
4 e 7) sont assez bien en harmonie avec les necessites 6conomiques et sociales
de notre 6poque.
Mais tel ne parat pas le cas du reste de P’article: il s’agit, comme on le sait,
de la responsabilit6 du pre (i d~faut, de la m~re), de celles du tuteur, de l’ins-
tituteur et de l’artisan –
toutes personnes dont on pourrait dire qu’elles sont,
par rapport A 1’enfant dont la faute va engager leur responsabilit6, des 6duca-
teurs. Dans ce groiipe d’6ducateurs, on doit cependant donner aux parents
une situation assez pr~pond&ante, comme le fait la jurisprudence. A propos
des parents (pre ou, i d~faut, mere) se dgagent les solutions, fort embarrasses
d’ailleurs, qui seront 6tendues par la jurisprudence aux autres 6ducateurs.
Dans les lignes qui vont suivre, nous voudrions tenter, darts une premi&e
partie de l’6tude, un bilan du droit positif, essentiellement des solutions juris-
prudentielles; pour proposer ensuite, dans une deuxiame partie, une explication
des diflicults rencontres et rechercher des remdes A ces difficults.
I – Examen du droit positif relatif a la responsabilitg des parents
et des 4ducateurs.
Seront examinees ici tour A tour
‘application par la jurisprudence des
textes concernant le pare ou la ere, puis l’adaptation des solutions acquises
aux autres 6ducateurs.
*Doyen de la Facult6 de Droit de l’Univarsiti d’Ottawa (Section de Droit Civil).
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[Vol. 9
A. Jurisprudence relative h la responsabilit6 du p4re ou de la mere.
La tAche de la jurisprudence paralt facile en la mati&re, au premier abord du
moins: les deux alin~as de Particle 1054 concernant la responsabilite du pare
on de la mare posent la r~gle d’une responsabilit6 susceptible de ceder devant
la preuve contraire, une preuve &ablissant que le pare ou la mare n’a pu emp-
cher le fait qui a caus6 le dommage.
Une premiere sdrie de difficult6s auraient cependant pu se poser, concernant
la determination de la personne susceptible d’6tre responsable (a), et la situation
mat&ielle on juridique de 1’enfant par rapport A ses parents (b). A vrai dire,
ces difficult~s ne paraissent pas avoir srieusement preoccup
la jurisprudence,
encore qu’il soit malais6 de dire si telle ou telle d’entre elles ne se posera pas
brusquement A un juge.
(a) La signification des roots ‘pre”, “m’ere” dans Yarticle 1054 du Code civil
a toujours 6t entendue d’une mani re simple et large. fl s’agit bien 6videm-
ment et d’abord des pre et m~re l6gitimes et il ne s’agit que d’eux dans la grande
majorit6 des cas. Les pare et m&e adoptifs paraissent bien engages dans les
liens de la responsabilite qui nous int&esse: cela en raison des ragles exprim&s
dans l’article 16 de la loi de l’adoption,’ lesquelles r~gles substituent tres
largement les parents adoptifs aux parents par le sang de l’enfant.
Plus ddlicate sera cependant la solution en ce qui concerne k pre ou la m~re
naturelle. La doctrine consid&re en g~nfral que ces parents sont soumis A la
responsabilit6 de l’article 1054 du Code civil.2 Cependant, on pourrait tenter
d’affranchir le plre naturel, ou la m&e naturelle, de la responsabilit& en question
en utilisant les trois arguments suivants: 1. le texte du 26 alin~a de l’article
1054 pr~voit que la responsabilit6 passe du pre de l’enfant a la mere, d’une
manire bien pr&ise; or, on voit mal comment ce m&anisme pourrait fonc-
tionner, avec la certitude que le lgislateur paraft avoir voulu y mettre, pour
un enfant naturel, lequel peut n’avoir en fait qu’un seul parent qui l’ait reconnu,
en g~n~ral sa mere. De 1A, on peut ais~ment d~duire que le l~gislateur n’aurait
pas voulu que le texte s’appliquAt aux enfants naturels; 2. on s’accorde en
g:nral, comme nous le verifierons plus loin, pour dire que les parents d’un
enfant sont responsables des fautes commises par celui-ci pour la raison qu’ils
exercent sur cet enfant la puissance paternelle. D’autre part, on conteste en
g~nral, par des arguments assez spcieux, il est vrai, que les parents de l’enfant
naturel exercent sur celui-ci une vritable puissance paternelle; la disparit6 des
pouvoirs accord~s sur les enfants lgitimes et naturels pourrait donc etre utilis&e
en faveur des parents naturels; 3. d’une maniare moins exacte peut-8tre, mais
plus convaincante cependant pour beaucoup –
car il s’agit d’une opinion
jurisprudentielle –
on pourrait tirer argument encore de l’attitude de la Cour
‘S.R.Q. 1941, c. 324.
2Nadeau, Traiti de Droit Civil du Quhec, v. 8, “La Responsabilit civile d~lictuelc ct quasi-ddlic-
rulle”, no 362, p. 325; Lalou, Traid Pratique de la Rcsponsabilitc Civile, supplemcnt, “Jurisprudence
et Doctrine Canadiennes en matire de Responsabilit6 Civile”, par Pierre Azard, no 987, p. 60.
No. 1]
RESPONSABILITA DES PARENTS,, ADUCATEURS
3
Supreme du Canada, se refusant A inclure les parents naturels dns la liste des
b6n6ficiaires de l’article 1056 du Code civil. 3 Si les parents naturels ne sont pas
des ascendants d’une personne dc~d6e A la suite d’un d6lit, on comprend mal
qu’ils puissent, deux articles plus haut, 6tre considrs comme le pre on la
mere, au sens legal, d’un enfant responsable d’un autre d6lit. N’oublions pas,
au surplus, que la pr~somption de faute a le caract&e d’une exception par
rapport au regime de la faute prouv&e, et que toute exception Ai un principe
doit s’interpr~ter restrictivement. Toutes ces considerations ont leur prix,
mais l’issue d’un d6bat qui s’ouvrirait sur cc point reste bien douteuse, rant il
est vrai que les parents naturels sont mal consid&&s –
cc qui se comprend
bien au point de vue moral, moins au point de vue juridique – et qu’au surplus,
la victime d’un accident est favoris6e par les tribunaux de la Province de Quebec.
L’attribution de la responsabiliti A la mre s’est faite devant les tribunaux de
la Province de Quebec d’une maniare qui ne soul&ve gu~re d’opposition dans la
doctrine mais qui maltraite sans doute la ragle qu’une responsabilit6 pr~sume
ne peut 6tre mise A la charge d’une personne par suite de l’interpr~tation exten-
sive d’un texte. Alors que le texte ne pr~voit la substitution de la mare de
1’enfant au pare de celui-ci qu’apras le dacas du pare, il sera admis couramment
en doctrine qu’il en ira de m~me en cas d’interdiction ou d’absence du mar,
ou encore si la garde de 1’enfant est confiae A sa m&re pendant la prockdure on
apras un jugement de saparation de corps. 4 Or, ces solutions reposent sur le
fait que, dans les hypothases consid6r~es, la mare reoit la garde ou la surveil-
lance de son enfant. 11 y a sans doute un abus du raisonnement par analogie,
insuffisant en l’cspce A combattre la ragle voulant que les exceptions s’inter-
11 y a donc RA matiare a discussions tras sarieuses ct
pracent restrictivement.
1’6quilibre dafinitif de la matire, sur cc point comme sur le praradent et sur
des points qui seront considaras ultrieurement, ne pourra &tre trouv& que par
tne modification du texte, qu’il faudra rendre plus explicite dans le Code civil.
(b) La possibilit6 pour l’Penfant d’itre 6mancip6 montre d’ne premi&re maniare
comment la condition juridique ou matrielle de l’enfant est A prendre en con-
sidration pour 1’attribution de la responsabilit&. 11 est prafarable d’admettre5
que le pare ou la mare n’est plus responsable des fautes commises par son enfant
6mancip6. 11 existe deux raisons de d&cider dans cc sens: 1. la puissance pater-
nelle disparalt sr r’enfant 6mancipE, cc qui entraine une suppression, en l’espace,
de la justification qui est admise comme fondement de la responsabilit des
pare et mare; 2. un mineur 6mancip6 reste un mineur. Mais on peut douter
de cc que
‘enfant 6mancip& soit tn mineur comme les autres, et partant que
l’article 1054, par 1’emploi du mot mineurs, vise les mineurs 6mancipas.
11 y
3Town of Montreal West V. Hough [1931] S.C.R. 113, [1931] 4 D.L.R. 52 et plus particuliremcnt les
motifs de M. le jugc Rinfrcr.
4Nadeau, op. cit., no 359, p. 322; Lalou, op. cit., no 987, p. 61.
‘Cf. dans cc sens: Nadeau, op. cit., no 361, p. 323; Nicholls, G. V. V., The Responsibility for Offences
and Quasi-Offences under the Law of Quebec (1938); contra, Mignaulr, P. B., Le Droit Civil Canadien, v. 5,
p. 335.
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[Vol. 9
aurait encore, si l’on admet ce raisonnement, assez fragile il faut bien le recon-
naltre, application du caractare restrictif de l’interpr~tation des textes excep-
tionnels.
L’habitation de l’enfant ckhe
son pre ou sa mre est-elle une condition de la
responsabilit6 qui nous intresse? La question s’est posse essentiellement parce
qu’en France, 1’article 1384 du Code civil (texte correspondant A P’article 1054
du Code civil qu~becois) exige, pour l’application de la pr~somption, cette
residence commune. Dans ce cas encore, il faut s’en tenir aux ragles d’inter-
pr~tation des textes. Malgr6 le caractare restrictif qui doit pr6valoir en ]a
mati&e, il paralt difficile de sous-entendre une condition qui n’apparait pas
dans le texte.6
L’examen des difficults dont il vient d’8tre trait6 permet donc de conclure
A des probkmes latents, qu’un procs peut r~v~ler brusquement, et A une fausse
scurit6, consequence inevitable de ragles 6crites par trop concises. Cette
premiere impression, recueillie au cours de l’examen de points en g6nral peu
touches dans les etudes, viendra d’ailleurs renforcer la conclusion g~nerale a
tirer de la pr~sente 6tude dans son ensemble.
L’attention de la doctrine et de la jurisprudence porte essentiellement, en
la matire, sur la question des effets de la pr~somption resultant de l’article
1054, 26 alin~a – plus particuliarement sur la possibilit, pour lts personnes engagies
dans les liens de la prisomption, de s’en degager en s’appuyant sur le 6? alinia du
meme article, alin~a dont il est utile de rappeler ici les termes exacts: “la respon-
sabilit6 ci-dessus a lieu seulement lorsque la personne qui y est assujettie ne
peut prouver qu’elle n’a pu emp~cher le fait qui a caus6 le dommage…”
(a) On aurait, A vrai dire, pu h~siter sur l’interpretation A donner A ce
texte: ainsi, on aurait pu soutenir que seule la preuve d’une force majeure
ayant fait obstacle A la surveillance du p&re ou de la mere serait de nature A
6carter la pr~somption. Une telle opinion pourrait s’appuyer en particulier
sur les travaux pr~paratoires au Code civil de France, mais ces travaux four-
nissent en r~alit& des renseignements contradictoires. 7 On aurait pu raisonner
6galement par analogie avec ce qui se passe en matiare de responsabilite con-
tractuelle, oa le d~biteur ne peut 6carter la responsabilit qui pIse sur lui qu’en
6tablissant qu’il a 6t6 emp8ch6 d’excuter le contrat par une force impr~visible
et insurmontable: l’article 1071 du Code civil permettrait de soutenir une
identit& de solution dans les deux cas, car la redaction est comparable ici et 1.
On s’est demand& encore si la preuve rapporte par le p~rc ou la mire per-
mettrait de repousser Egalement la demande forme par la victime d’un dommage
r~sultant de la faute lg~re d’un enfant et celle engendre par les consequences
d’une faute lourde commise par ce dernier. On a repouss6 cependant toute
distinction.8
6Lalou, op. cit., no 974, p. 59.
Lalou, Traiti Pratique de la Responsabilite Civile (6
8Mazeaud, L., L’assimilation de la faute lourde au dol D.H. 1933 chr. 49.
-dition par Pierre Azard, 1962).
No. 11
RESPONSABILITA DES PARENTS, ADUCATEURS
5
En dbfinitive, il est unanimement affirmE, en doctrine comme en jurispru-
dence, que le pare ou la mare n’a pas
Itablir, pour s’exone’rer de la prisomption,
qu’il lui itait matiriellement impossible d’empcher h dommage, mais simplement
qu’il lui tait impossible d’6viter la rialisation de cc dommage par des moyens raison-
nables; ou encore, en d’autres termes, que le p re ou la marc rechercble en responsabilit
avait agi comme une personne prudente; ou encore que, compte tenu des circonstances, le
dommage itait imprivisible. Par une concentration impressionnante de motifs
bases sur ces trois thames identiques quant i leur inspiration, la diligence
moyenne, la Cour Supreme du Canada’ et la Cour de Cassation frangaise ont
rcemment r~affirm6, en la prbcisant, l’indulgence de principe de la jurisprudence
I l’6gard des parents. 10
(b) La manibre dont les tribunaux ont ainsi interpr&t6 un texte assez sybillin,
il faut l’admettre, se justifie de dex fa~ons: d’une part, sur cette discussion
nouvelle, et d’importance, pIse toujours le poids de la r~gle voulant qu’une
exception au principe genral de l’article 1053 du Code civil s’interpr&e res-
trictivement, donc en faveur de la personne que menace la prsomption de faute:
en cas de doute, on doit prsumer qu’il s’agit d’une prbsomption relative.
D’autre part, les tribunaux sont incontestablement d~sireux d’6viter aux parents
une charge trop lourde, alors qu’ils font en gbn~ral preuve de diligence et
d’abn~gation dans leur oeuvre 6ducative.
(c) Tout parait ainsi en r~gle; et la technique juridique de l’interpr~tation
des textes semble aussi respecte que les considerations morales.
Cependant, l’impr&ision du .texte, laquelle.nous paraft, incontestable, va
continuer d’en goner l’interpr~tation par les tribunaux. De plus, les consid&a-
tions morales pr&it&s sont contrari&s, dans une mesure variable selon les
especes, par l’observation de faits assez frequents: certains parents font preuve
d’une tr~s grande ngligence dans l’accomplissement de leur devoir d’6duca-
teurs, alors que la victime d’un accident provoque naturellement la sympathie
de ses juges.
II est ds lors possible de tenter d’expliquer des d&isions souvent contra-
dictoires en apparence; sans pouvoir, pour autant, donner des ragles tr~s eflicaces,
permettant de pr~voir la manire dont un tribunal jugera un cas appartenant
A telle ou telle espce.
Un avocat aura cependant le plus grand inte&t a r~flkchir sur les diffrents
proc~d~s utilis~s par la jurisprudence, en particulier dans la Province de Quebec,
pour concilier, dans chaque hypothase, d’assez maigres exigences techniques
avec d’imp~rieuses considerations morales, se contrariant elles-memes assez
curieusement parfois.
Wain v. Hardy [1951) S.C.R. 540.
IOCf. en particulier, pour la jurisprudence de la Cour de Cassation, Civ. 26 civ., 20 juillet 1957,
Dalloz 1958, J. 111, note E. Blanc; Civ. 26 civ., 12 octobre 1955, Dalloz et Sirey 1956, J. 301, note
R. Rodi&cre; Scm. jur. 1955, 2. 9003, note P. Esmein.
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Le juge va diviser, assez logiquement et tr~s chronologiquement, son examen
des faits de la cause en deux champs d’observation bien distincts: il va examiner
la conduire du pare ou de la mare dans les moments qui ont prec~d6 immediate-
ment laccident ou le fait g6nerateur du dommage subi par le demandeur. 11
remontera 6galement dans le pass6 pour scruter certains actes du d~fendeur,
suscepribles de fournir de bonnes raisons pour le condamner on l’innocenter.
L’examen des circonstances jui ont accompagn6 ou prieM6d immidiatement le fait
dommageable est 6videmment essentiel en la matiare.
Ii faut essentiellement,
pour obtenir 1’exoniration, que le p re ou la m~re ait t “neutre”, si l’on peut dire,
la faute commise par l’enfant. D&riv6 de son sens propre, le mot
par rapport
“neutre” est 6videmment pris ici comme une image, A laquelle nous allons
accorder un sens special que le mot emprunt6 est charge d’illustrer. La neu-
tralit6 du pare ou de la mare peut &tre d~finie comme une abstention de toute
participation A la commission de la faute positive, active, ou de l’imprudence
qui va engager la responsabilirt de son enfant.
Essentiellement ngative, une telle notion prend surtout du relief par son
antithase; c’est-i-dire quand on pr&ise les cas oil la pr&tendue neutralit6 a &
viole. Une premiere hypothase oA le pare ou la mare pchera parce que sa
neutralit6 n’aura pas 6t respecte est le cas oie le parent aura particip6 a la faut
de l’enfant; non pas tant comme coauteur de la faute – 1’exemple est tras facile
A construire –
car il n’y aurait plus besoin de recourir alors A la presomption
de faute, la faute &ant prouv& de la part du pare ou de la mare; mais lorsque
1’enfant fautif aura vu sa conduite approuv~e par son parent, soit au moment
oil la faute a 6t commise (cc qui sera le cas type), soit imm6diatement apres.
Cela se congoit ais~ment en matiare de faute positive de l’enfant: coups cc
blessures volontaires port~s A la victime, par exemple, ou injures profres.
Une telle hypothase, pour plausible qu’elle soit, reste cependant -peu fr6-
quente, et c’est normal: les parents ne cherchent pas I d~voyer, en genral,
leurs enfants, non plus qu’! faire subir A ceux-ci les consequences a peu pras
in~vitables d’un d~lit, a savoir une action en responsabilite de la part de la
victime et un jugement de condamnation.
Une autre hypothase oil le pare, la mare ne resteront pas “neutres” en pr&
sence de la faute commise par leur enfant se r~alisera lorsque e parent aura remis
A sa proginiture une chose qui aura It6 l’instrument du dflit. A cette hypothse de
la remise formelle de la chose, on peut assimiler celle, comparable, oil le parent
connaissait la pr&sence de la chose dont il s’agit entre les mains de son enfant
et ne s’est pas oppos6 A cc qu’il en fit usage. Dans ces deux cas, comparables, la
plupart des tribunaux condamneront le pare ou la mare, mais dans des conditions
assez d&oncertantes pour celui qui voudrait d~gager des ragles sfires en la
matiare.
A !”examen de la jurisprudence &ablie en la matiare, avec une simplicite
qui n’est qu’apparente dans les solutions, on est en effet d&oncerte pour
les raisons suivantes: 1. la remise d’une chose a l’enfant n’entraine pas toujours
RESPONSABILITIA DES PARENTS, A1DUCATEURS
No. 1]
7
la condamnation du pare ou de la mare a payer des dommages-int6r~ts A la
victime; 2. la condamnation 6ventuelle des parents pent etre prononce pour
des raisons juridiques diverses, raisons dont l’examen provoque des surprises.
La varift6 des solutions jurisprudentielles en la matiare est frappante, d’abord.
Souvent, le pre ou la mare est condamne apras avoir remis un objet A son
enfant ou l’avoir laiss6 prendre par celui-ci.”1 Mais A ‘inverse, dans d’autres
espaces, une telle remise ou tolerance n’a pas 6t6 jug~e comme constituant un
obstacle A 1’exoneration du p&e ou de la m6re.12
Au premier abord, on s’explique mal des d&isions aussi contradictoires.
On est pouss6 A expliquer les difftrences de solutions par des circonstances con-
tingentes: tant6t ‘PAge de 1’enfant; tant6t la nature de l’objet; tant6t l’6poque
I laquelle s’est produite la faute; ou encore d’autres circonstances, plus ou moins
exceptionnelles.
1. L’age de l’enfant sera en effet soiivent pris en consideration. Les 6carts
dans la conduite d’une automobile seront n~astes au plre d’un responsable
g6 de 13 ans”3, mais ils n’entraineront pas la responsabilit6 du pare dont l’en-
‘PAge de 20 ans et 3 mois. 14 Une jurisprudence tras compa-
fant avait atteint
rable se relkve en mati&re d’accidents causes avec des armes i feu ou A air com-
prim6. En France 6galement, l’Age de 1’enfant exerce une grande influence sur
1’exoneration 6ventuelle des parents. 5
2. La nature de l’objet paraft exercer aussi une influence importante sur la
jurisprudence: l’usage par le fils d’une automobile est certainement un mauvais
point pour les parents. I1 sera par contre plus facile A ceux-ci de s’exon6rer des
suites d’un accident de bicyclette, 6 ou du dommage caus6 par une balle avec
laquelle jouait 1’enfant.
3. L’epoque A lajuell
le jugement aura t rendu exerce probablement une
influence sur la possibilit6 qu’ont les parents de s’exonrer; mais il s’agit d’une
consideration relevant plut6t de l’histoire ou de la philosophie du droit que
“Chartier v. Savignac (1934) 72 C.S. 171; Villeneuv v. Kennedy (1933) 71 C.S. 175; Live ve v. Morin
(1936) 74 C.S. 155; Hibbard v. Plouffe (1937) 43 R.J. 195; Poulin v. Viau (1938) 44 R.J. 360; Whitehead
v. Loiselle (1941) 47 R.J. 341; Aubin v. Grainger (1941) 79 C.S. 401; Donovan v. Audate [1942] C.S.
389; Girard v. Kerr [1942] C.S. 290; Biebler v. Robitaile [1942] C.S. 270; Lamoureux v. Legault [1942]
C.S. 26; Lambert v. Dumais [1942] B.R. 561; Gosselin v. Dalpi (1937) 43 R.L.n.s. 163; Ceti v. Abbott
[1945] C.S. 262; Sterling Transport Ltd. v. Proulx [1946] C.S. 134; Thibault v. Cloutier [1947] R.L. 573;
Valle v. Sauvageau [1949] C.S. 306; P/pin v. Petit [1949] C.S. 255; Deslandes v. Paul [1950] R.L. 283;
Hibert v. Moore [1950] R.L. 110; Fournier v. Bolduc [1956] C.S. 226; Foley v. Marcoux [1957] S.C.R. 650;
Lalonde v. D/tiel [1961] R.L. 162.
‘”Tardif v. Paquette (1936) 74 C.S. 482; Dubman v. Rostoker (1939) 77 C.S. 461; Morency v. Roberge
[1946] C.S. 306; Raymond v. Godin [1953] R.L. 411; Hutchko v. Stafecbuk [1957] B.R. 874; ProuIx v.
Fontaine [1958] B.R. 708; Sylvestre v. Valois [1960] B.R. 387.
“H/bert v. Moore, pricit6.
“Hutchko v. Stafechuk, pricit6.
“6Cf. Oilier, La Responsabiliti des pre et mere, (1961) et Civ. 12 janv. 1937, Sirey 1937, I. 99.
16Contra: M)re v. White (1934) 57 B.R. 557; Cote v. Abbott [1945] C.S. 262.
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[Vol. 9
de
‘aspect pratique de celui-ci. II semble qu’autrefois 1’exoneration ait et
souvent accorde plus difficilement qu’elle ne l’est de nos jours. On pourra
s’en convaincre dans une certaine mesure en comparant des jugements d6j)a
anciens comme celui rendu dans
‘affaire Carty v. The Board of Protestant School
Commissioners of the City of Sherbrooke17 avec des d&isions postrieures a la derni~re
guerre, par exemple, Verdun v. Molyneux.’8
4. D’autres circonstances, plus disparates encore en apparence, seront de
nature i faire pencher d’un c6t ou de I’autre les plateaux de la balance: ]a
participation du parent A une fraude, en vue d’obtenir pour l’enfant un permis
de conduire avant 1’Age r~glementaire, par exemple, fera obstacle a l’exonera-
tion”; il en sera de m~me si un pre avait laiss6 son fils conduire sans permis -‘0 .
A l’inverse, l’exonration sera facilit&e si le fils &tait un bon conducteur er
poss~dait son permis.
Les circonstances de fair les plus diverses servent au juge, donc, pour fixer
sa d&ision; et l’usage que le tribunal fait de circonstances en apparence trs
comparables, ou identiques m~me, d~concerte.
Ce sentiment de diversit et d’6parpillement se renforce encore si l’on tente
de dresser la liste des motifs juridiques qui ont &t considres en mati~re d’exo-
nration ou de refus de cette exoneration.
Les 6lments qui apparaissent dans les d6cisions que nous venons d’analyser
6raient essentiellement des 6l6ments de fait, que l’on d6gageait de la preuve.
Mais ils devaient n&essairement passer par un “canal”
juridique pour motiver
la decision d’exonration on de condamnation.
1. Dans cet aspect juridique de la motivation, on relave 6galement une trs
grande vari&& Bien des rejets de la preuve contraire tente par le pare ou la
mere ont 6t faits pour la raison que le parent en question aurait conserv6 la
garde juridique de l’objet, de l’automobile en particulier, dont son enfant n’avait
acquis que la d~tention mat&ielle.21
2. D’autres d&isions ont refus6 de d6gager la responsabilit6 du parent en
admettant, au prix d’une dviation 6vidente du raisonnement, expliqu&e par
une plaidoirie a double effet du demandeur, que l’enfant &ait en r~alit6 le pr&
posE de son pre ou de sa mre, 2 ou que le parent aurait commis nne faute
personnelle en pr&rant son vehicule A un enfant qui n’offrait pas les garanties
que l’on doit exiger d’un emprunteur. 2
3 A l’inverse, un Pare a 6tE exonr6 s’il
a fait la preuve qu’il s’&ait comport6 comme un pr&reur diligent.24
17(1926) 32 R.J. 157.
11[1946] C.S. 67.
‘9 Primeau v. St-Aubin (1940) 46 R.L.n.s. 27; contra: Htttchko v. Stafechuk [1957] B.R. 874, prchL.
20Fournier v. Bolduc [1956] C.S. 226.
2″Chartier v. Savignac; Lambert v. Dumais, pr&it~s.
2Whitehead v. Loiselle; Lalonde v. DiZiel, pr~cirs.
‘3Laflamme v. Rhmillard [1947] B.R. 143.
2’Donovan v. Audette, prcir
No. 11
RESPONSABILITA6 DES PARENTS, ADUCATEURS
9
3. Dans aucun domaine plus que dans celui des accidents d’automobile, la
possibilit6 pour les parents de s’exonerer n’a 6e davantage mise en doute.
On a consid&r6 dans bien des cas le fait que le pare ou la mre &ait propri&-
taire de la voiture pour refuser 1’exon&ation. La pr~somption de faute attache
A la proprift6 se trouvera encore renforce par la loi du 10 mai 1961, sur Fin-
demnisation des victimes d’accidents d’automobiles. 25 II est impossible d~sor-
mais qu’un parent propri&aire d’une automobile conduite par son fils puisse
s ‘exoner 2 6; en effet, par definition, l’enfant a commis une faute, puisque la
responsabilite du pre est recherch~e de ce fait; et la faute du conducteur empe-
chera le propri&taire du v~hicule de repousser la pr~somption qui pIse sur lui.
Reste l’hypoth~se dans laquelle le fils serait lui-meme propri&aire de la
voiture. Pendant longtemps, une question fort delicate s’est pose: pour enre-
gistrer son automobile, l’enfant mineur devait produire par 6crit le consenrement
de son pare, de sa mare ou de son tuteur (article 3 de la loi sur les v~hicules
automobiles 27); il en allait de m~me pour l’obtention d’un permis de conduire.28
Pour la raison sus-indiqu&, cette dernikre disposition aura d~sormais peu
d’occasions de s’exercer, le fils conducteur et non-propri&aire 6tant dsormais
garanti par le propritaire du v~hicule, responsable en tant que tel.
Mais on peut encore se demander ce qui se passera si le fils est devenu pro-
priftaire d’un v~hicule enregistr6 en son nom avec le consentement de ses
parents ou de son tuteur.
Selon l’article 3 pr&it6 et
‘article 15, analogue, le consentement ainsi
donn6 rendait responsables le pare, la mere ou le tuteur, solidairement avec le
mineur, des dommages causes par celui-ci.
L’interpr&ation de ces textes avait donn6 lieu A une s6rieuse controverse:
en effet, on pouvait,’en suivant un grand nombre de d&isions judiciaires, penser
que le simple fait que le mineur avait commis une faute entrainait la responsa-
bilit6, “ipso facto” et semble-t-il sans possibilit6 de preuve contraire, de la
‘autorisation requise par la loi. -9 Mais une telle
personne qui avait donn6
opinion supposait une interpretation assez hardie des articles concern~s de la
loi sur les vehicules automobiles. Le legislateur avait-il vraiment voulu &arter
le principe de l’article 1053 du Code civil et crier une responsabilit& fond&
sur le risque? Bien des juges en ont dout6 et ont pens6 qu’il demeurait n&essaire,
pour faire jouer la solidarit6 pr&vue par la loi, de pouvoir d~montrer ]a respon-
sabiliti du pre, de la m~re ou du tuteur par la preuve effective ou la pr~somption
d’une faute. 30 Cette derni~re opinion paraft prferable.
29-10 Elis. 11, S.Q. 1960-61, c. 65.
28Ibid., art. 3.
27S.R.Q. 1941, c. 142, art. 3.
281bid., art. 15, par. 4.
29Hibbard v. Plouffe, Lamourrux v. Legaut, Lalonde v. DJe~i, prcir6s.
50Acrtno v. Robtrg, Hutcbko v. Stafechuk, precites.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 9
De toute maniere, la question prendra de nos jours un caractere moins pres-
sant, dans tous les cas oA le consentement donn6 concerne l’enregistrement d’un
v~hicule automobile au nom. d’un mineur, depuis la loi precit&e du 10 mai 1961.
Dsormais, le mineur propriftaire d’une automobile doit s’assurer contre le
risque d’accident caus6 ‘a une tierce personne, ou doit fournir une garantie de
solvabilit6 6quivalente (articles 16 et s., 21 de la loi); on peut penser que la
responsabilit6 des parents ou du tuteur perd une grande partie de son int&rt
pratique. Encore que le demandeur air int&&t A poursuivre ces derniers, ne
fat-ce que pour r~server ses droits.
4. II n’emptche que dans bien des d6cisions judiciaires la raison juridique,
admise par le juge ou rejete par lui, relativement A la responsabilit6 des parents,
sera une faute que ceux-ci ont ete all~gu~s avoir commise. 31
Cette derni&e raison prend rapidement, A ce point de 1’examen de la ques-
tion, le pas sur les autres. Si la responsabilit6 d’un pare ou d’une mere est
retenue pour d’autres raisons juridiques – garde juridique d’un objet, position
de soi-disant commettant, situation de preceur d’un v~hicule, propritaire de
ce v~hicule, accord donn6 a un enregistrement d’un v~hicule ou A l’obtention
d’un permis de conduire par un mineur –
il est assez aise de constater que ces
notions disparates et souvent peu ad~quates recouvrent en gen&al l’idee d’une
faute commise par le parent, d’une faute dont la garde juridique d’une chose
a fourni l’occasion.
C’est encore une faute, mais une faute se produisant dans des conditions un
pen diffrentes des pr&c dentes, qui viendra retirer aux parents leur neutralit6
par rapport A la faute commise par leur enfant dans d’autres cas.
Dans bien des hypotheses, A distinguer soigneusement des prec~dentes, mais
toujours dans la p~riode qui aura pr~c~d& imm~diatement l’accident, le pare ou
la mre aura commis une faute de surveillance.
Car si le pare ou la mere ne doit pas avoir particip6, en rompant la neutralit6,
en personne ou par un objet sortant de son patrimoine, I la commission de la
faute, il rompra aussi cette neutralit6 par une nfgligence dans l’accomplissement
la surveillance de son enfant, qui est une consequence de la
d’une mission –
puissance paternelle; cette mission, le parent l’exerce aussi bien dans l’int&et
de l’enfant que dans celui de la socit&6 tout entiere.
Ii est frequent, en pratique, que le demandeur all6gue au juge que l’enfant a
commis sa faute et lui a occasionn6 un dommage alors que le parent n’exergait
pas sur son enfant une surveillance appropri&e.3 2
Cependant, il est en pratique beaucoup plus dangereux d’utiliser cc moyen
que les pr&dents, pour “lier” une faute du pare a celle de son enfant, en ce sens
que ‘exp6rience montre que le rsultat est plus alkatoire (comp. A cet 6gard les
31Hbert v. Fabi (1933) 71 C.S. 346; Chartier v. Savignac, pr&it6; Lapointe v. Lvesque (1938) 76 C.S.
418; Lambert a. Dumair, prcith; Foley v. Marcoux, pr~cit6; Fournier v. Bolduc [1956] C.S. 226.
32Lapointe v. Levesque; He’bert v. Moore; Hutchko v. Stafechuk; Foley v. Marcoux, pricit~s.
No. 1]
RESPONSABILIT6 DES PARENTS, EDUCATEURS
11
affaires Prysda v. Woronka et Verdun v. Molyneux).33 I1 semble que le pare obtienne
assez facilement son exoneration sur ce terrain. De plus, l’Age de 1’enfant,
rendant la surveillance de celui-ci plus diflicile, facilite l’exonration du pare
au fur et A mesure que cet Age crott (cf. les affaires Hibert v. Moore, Hutchko v.
Stafechuk, prcitdes, et l’ouvrage de M. Oilier, prcit6 6galement).
On peut expliquer cette derniare constatation par deux raisons que l’avocat
du parent actionn6 en responsabilit6 a intrct i bien connaitre; une raison pro-
fonde, psychologique et sociale tout A la fois, en premier lieu et qui peut se
rtsumer ainsi: P’ ducation qu’un pare ou une mare donne a son enfant est une
charge gratuite; et eUe est de plus en plus lourde, du fait de la dispersion des
families qu’entraine la vie moderne, de la multiplication des naissances dans
i’ensemble di monde et de
‘abaissement apparent du niveau moral chez les
jeunes. La seconde raison, technique, est la suivante: la condition de la relation
de cause A effet n’est pas toujours remplie entre la faute de l’enfant et la n~gli-
gence reproch~e au pare dans sa surveillance. Les juges sont de plus en plus
exigeants, en gtn~ral, de nos jours en matiare de causalit6, et de moins en moins
ports A admettre que si le pare auraic pu mieux surveiller son enfant, de cc
manque de surveillance r~sulte ntcessairement le mauvais coup portE par cet
enfant A un tiers.
L’examen des circonstances de la cause ne sera cependant pas limit6, en fait,
A la ptriode ayant accompagn6, ou prtc~dE immEdiatement Ic d6lit de 1’enfant.
L’habitude a It6 prise de remonter dans le passe et d’exiger, en principe du moins, que
le pre dimontre qu’il avait donne antiriurement une bonne iducation, spicialement
une bonne Iducation morale et religieuse, a son enfant. (cf. en particulier, sur cc point,
les affaires Prysda v. Woronka et Verdun v. Molyneux, prcites).
N~anmoins, on doit penser que ce terrain fournit encore plus facilement
que le precedent des possibilitEs de s’exon6rer au pare ou A la mare.
II sufira
de dbmontrer les bonnes intentions des parents cc le juge ne s’attachera pas
tellement A considerer les “fruits” de 1’6ducation, c’est-A-dire le comportement
g~n~ral de Fenfant pendant qu’il recevait cette Education: le conseil voulant
que
‘arbre soit jug6 selon ses fruits paralt bien mis d~finitivement de c6t6.
D’autre part, l’argument de causalit6 p~se de plus en plus sur le dbbat, lorsque
l’on parvient A cc stade du raisonnement: il est bien difficile en r~alit de discerner
la part de la mauvaise Education et des mauvais penchants dans le d~lit.
Le juge utilisera surtout
‘argument tirE de P’ducation pour absoudre le
pare ou la mare; les condamnations A dommages-intrA.ts prononc~es de cc
chef sont rares.3 4
Un avantage supplementaire apparait d’ailleurs, en fait, au profit des parents,
sur le plan de la preuve: si le d6faut de surveillance au moment de laccident
rtsulte assez facilement, dans certains cas, des fairs eux-m~imes, du fait que
‘enfant a pu nuire A autrui, la situation est en g~nral invers~e lorsque Pon
33[1944) R.L. 553; [1946] C.S. 67.
34Pour un exempie: Dinommi v. Pelland [1960] B.R. 421.
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[Vol. 9
remonte dans le passe, en “tournant le dos” i l’accident, au dlit. Sauf si la
faute de 1’enfant supposait une v&itable perversion de son caractre, le juge
aura tendance A presumer la bonne 6ducation comme il presume, dans bien des
mati~res du droit civil, la bonne foi (article 2202 du Code civil, en particulier).
De toute mani~re, le d~bat sur ce point est marqu6 fortement par la question
de la causalit& bien des juges h~siteront A admettre que la mauvaise education
soit en relation directe avec la faute et le dommage qui s’ensuit. Les jugements
de condamnation apparaitront souvent fragiles i cet 6gard, lorsque la condam-
nation sera base principalement sur une mauvaise 6ducation de l’enfant (cf.
l’affaire Denommi v. Pelland, prcite).
B –
Jurisprudence
6ducateurs.
relative A la responsabilit6 des autres
Chefs de file, le pre et la mre le sont certainement en matiere de respon-
sabilit6; et les autres 6ducateurs verront leur regime de responsabilite calque sur
celui qui vient d’&re 6tudi6, A peu de choses pros du moins.
Pr~sum~s responsables comme le pare ou la mere, le tuteur, l’instituteur et
l’artisan pourront s’exon~rer au prix d’une preuve contraire: leurs possibilites
d’exonration seront en tous points comparables A celles qui ont ‘t6 examinees
ci-dessus (cf. l’article 1054, alin~as 3, 5 et 6).
(a) Simplement, il faudra introduire en la matiare certaines differences, bien
faciles i expliquer.
D’une part, il ne s.era pas question, en principe, d’examiner la p6riode largement
antrieure a la faute commise par ienfant: la plupart du temps, les educateurs de
cette nouvelle srie n’ont pas la charge d’assurer I’ducation de I’enfant, laquelle
reste l’apanage des parents. Mais les parents pourront 6tre rendus resppnsables,
s’ils ont mal 6duqu6 1’enfant qui commet un d~lit sans que l’instituteur ait
manqu6 A son devoir de surveillance.35 A cette situation, il pourra cependant
se trouver des exceptions: en ce qui concerne le tuteur, lequel remplace verita-
blement les parents dfunts ou empch~s; en ce qui “concerne certaines institu-
tions, oA un enfant reste pensionnaire pendant de longues p~riodes.36
En second lieu, la responsabilit6 propre A l’instituteur et A l’artisan apparalt
comme une sorte d’enclave dans le temps, substitue pendant la dure de la sur-
veillance scolaire seulement i celle des parents.3 7 En dehors des heures d’cole,
P’enfant fera, par ses d~lits, jouer la pr~somption de responsabilite existant A
I’encontre de son p&re ou de sa m6re.
Egalement, une autre difference se rencontre du fait que l’instituteur, il
s’agit de lui seul ici, fait en g6nral partie d’une organisation d’enseignement: si
cet 6ducateur (et Pon sait qu’ “instituteur” signifie toute espce de maitre
5Germain v. Coiniissairef l’Ecoles pour la AIfanicipalit; de Terrasse-Vaudreujl et Guirin [1960] C.S.
476.
-IProcureur Ghniral de Quibtc v. O’Brien [1960] B.R. 723.
37Rousseau v. Les Comrnissairs ,’Ecolts pour la Municipalitd ,e Black Lake [1959] C.S. 214.
No. 1]
RESPONSABILITA DES PARENTS, ADUCATEURS
13
charg6 d’instruire et de surveiller des pupilles a des fins d’enseignement) voit
sa responsabilit6 engage, sera 6galement responsable son commettant, c’est-
a-dire l’institation on la commission scolaire qui l’emploie.38 Ici, la victime
obtient une garantie appreciable et compl~mentaire.
La rsultante de ces particularit~s revient, en definitive, a donner A la plupart
des 6ducateurs un allkgement de la pr~somption qui p~se sur eux: mnme la der-
ni&e de celles-ci, du simple fait que la commission scolaire ou Pinstitution,
plus solvable, sera souvent amene A payer sans toujours pouvoir recup~rer les
sommes qu’elle aura ainsi dbourses.
(b) Le climat d’indulgence, m6me par rapport a un r6gime qui n’6tait
guare s~vare concernant les parents eux-m~mes, est encore accentu& pour d’autres
raisons: en particulier, du fait que la condition de causalit6 est exige beaucoup
plus strictement entre la faute de l’6lve et la prtendue n~gligence de 1’6duca-
teur, instituteur on artisan: ainsi, l’instituteur et l’6cole qui l’emploie ne seront
pas responsables si un enfant a bless6 un autre &ve, en le heurtant pendant
une r’creation; cela m~me si le nombre des surveillants pouvait atre insuffisant 3 9
L’instituteur ne sera pas responsable m~me s’il n’6tait pas present an moment
de l’accident, alors que cette presence n’aurait pas emp~ch6 un accident impr&
visible. 40
De m~me le domaine des presomptions de responsabilit6 sera restreint
6nergiquement dans certains cas, toujours en vertu du principe qu’il fant inter-
prater restrictivement les textes cr~ant une pr~somption de responsabilit&.
Ainsi, un patronage s’occupant d’une colonie de vacances ne sera pas soumis
a la responsabilit6 de l’instituteur. 41
C’est ainsi sur une accentuation de la note d’indulgence que se termine un
examen, que Pon a voulu aussi complet et r~aliste que possible, de la mani&re
dont fonctionne en iratique, en 1962, la responsabilit6 des parents et des 6du-
cateurs dans la Province de Quebec.
Voyons maintenant les enseignements qu’il convient d’en tirer.
II – La situation examinge permet de d~gager des enseignements,
et de sugggrer certains remades pour pallier ce qui nest pas parfait
dans le syst~me.
Le grand enseignement revient A une legon d’indulgence, indulgence qui
s’explique facilement, pour un certain nombre de raisons ci-dessus d~gagees.
On peut les r~sumer en disant que cette indulgence est un fruit de notre 6poque,
38B~land v. Commissaires d’Ecoles pour la Municipaliti de Ste Thecle [1939, 39 R.J. 400; Goyette v.
ommissaires d’Ecoles pour la Municipaliti de Pointe-aux-Trembles [1957] C.S. 276.
‘0 Goyee v. Commissaires d’Ecoles pour la Municipaliti de Pointe-aux-Trembles, prciti.
40Roesler v. Royal Institution for The Advancement of Learning [1959] C.S. 628; Procureur Giniral de
Quibec v. O’Brien [1960] B.R. 723, confirm6 par [1961] S.C.R. 184.
4tDuchesne v. Patronage Roc-Amadour [1956] C.S. 147, [1955] R.L. 526.
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[Vol. 9
de la faveur que connait
monte de l’humanit6 en passe de submerger la planate.
‘enseignement sous toutes ses formes et de l’6tonnante
Cette indulgence se manifeste sur deux plans bien distincts: celui du fond
mme du droit, d’abord, et ensuite celui de !a preuve.
(a) En ce qui concerne Ic fond du droit, on a remarqu6 comment une presomp-
tion de faute devait logiquement s’interpr~ter et, de fait, s’interprtait de plus
en plus d’une maniare restrictive.
Cela est particuliarement net en ce qui touche A la possibilit6 de detruire
la presomption: on aurait pu voir dans la pr~somption une presomption absolue;
ou du moins obliger les parents et 6ducateurs a satisfaire A des conditions plus
dures pour pouvoir s’exonrer.
(b) En ce qui concerne la preuve, d’autre part, il faut reconnaltre que ]a
pr~somption relative telle que d~finie ci-dessus est ecarte assez facilement en
fait. Cela tient i deux raisons. D’une part, il est assez difficile de distinguer
la preuve du parent ou de 1’6ducateur qui veut s’exonrer de celle du demandeur:
ce dernier, sentant qu’il s’appuie sur une pr6somption assez fragile, donne
d’embl~e sa version des faits; en d’autres termes, il cherche a enfermer davan-
tage son adversaire dans la responsabilit6 au fur et i mesure que celui-ci tente
de repousser la pr~somption. Le demandeur, par prudence, analyse la mani~re
dont l’educateur s’est acquitt6 de sa mission et s’efforce d’y decouvrir une faute.
Cela semble, en l’6tat de la jurisprudence, le meilleur moyen de se premunir
contre le risque de voir s’6vanouir une pr~somption dont la fragilit6 frappe.
D’autre part, il n’est pas douteux que lorsque Von remonte aux sources du
comportement de l’enfant, en scrutant l’6ducation qu’il a reue antrieurement,
la tAche du pare ou de la mare est facilit~e au point que la bonne 6ducation
paraht bien pr~sume, A la maniare dont Rousseau pensait que l’homme est n6
bon.
Ces considerations posent un problame, que 1’on va examiner ci-dessous: la
prsomption de faute des parents et des 6ducateurs est-elle vraiment utile, dans
l’6tat du droit et des mocurs actuelles de la Province de Quebec?
La situation actuelle, r~sultat de l’interprtation de l’article 1054, dans
ses alin~as 2, 3, 4 et 5 par la jurisprudence, est loin d’8tre satisfaisante: en effet,
il est, d’une part, fort difficile, avant d’avoir entendu la preuve pr’sent~e par
chacune des parties i l’appui de ses allegations, de savoir quelle sera l’issue
exacte d’un litige; encore plus difficile, d’autre part, pour un juriste, de pr6ciser
A des parents ou des 6ducateurs en g~n&ral la charge que la prbsomption de Par-
ticle pr~cit6 fait exactement peser sur eux; et partant, de leur indiquer les pr6-
cautions A observer pour 6viter toute condamnation 6ventuelle. I1 est particu-
liarement difficile, en donnant une consultation sur Pun ou l’autre de ces points,
d’atteindre un degr6 convenable de certitude.
Si l’on partage cette maniare de voir, on est alors conduit A suggerer deux
remades A la situation ci-dessus dcrite. Deux remades alternatifs, A vrai dire;
l’un plus doux et I’aunre radical.
No. 1]
RESPONSABILITP DES PARENTS, ADUCATEURS
15
(a) En supposant que l’on veuille maintenir la pr~somption de responsa-
bilit6 des parents et des 6ducateurs, il faudrait en pr&iser, avec une grande
quantitE de dgtails techniques, le fonctionnement: il faudrait en particulier que
les parents ou les 6ducateurs ne fussent pas livr&s, pour obtenir l’exon&ation
qu’ils sollicitent, A une apprgciation de leur conduite qui est ngcessairement
asscz variable, suivant les juges et les causes, en l’6tat actuel des textes.
On peut l6gitimement s’Etonner de ce que la mati~re de la responsabilit6
civile, si importante de nos jours, soit rtglemente, dans le Code civil de Qu6bec,
par quatre articles, essentiellement. Quatre articles pour r~gler peut-6tre un
tiers des difficult6s qui surgissent devant les tribunaux de la Province de Quebec
-la disproportion des moyens par rapport aux besoins est &rasante.
N’oublions pas que si le Droit civil veut maintenir sa vigueur, A notre
6poque, il doit incorporer a ses textes les r&sultats de l’interpr~tation judiciaire
des memes textes.
L’auteur de ces lignes est en faveur d’un Code civil de Quebec contenant
5 A 6000 articles aprts la refonte qui est actuellement en cours. Sinon le Droit
civil risque d’Etre un instrument mal commode a manier; et l’on perd une partie
des avantages que Pon peut I6gitimement en attendre.
(b) Mais il est une solution plus radicale, et qui paralt encore pr~f&able A
la pr&cdente: il serait trts possible de supprimer, en l’espce, la pr~somption
de faute qui p~se A l’heure actuelle, d’une maniare assez archa’ique, sur les parents
et les 6ducateurs. Celui qui est victime de la faute d’un enfant devrait prouver
la faute de ceux qui font l’6ducation et assument la surveillance de cet enfant.
La situation serait sans doute plus claire sur le terrain de la preuve; le d~ga-
gement de responsabilitE des parents s’obtiendrait plus facilement, ce qui est
souhaitable, comme nous l’avons vu, de nos jours.
Les parents resteraient exceptionnellement responsables en vertu d’une
pr~somption lorsqu’une chose, instrument du dommage, engage leur respon-
sabilit& de propri&aire ou de gardien.
C6toyant de plus en plus de nos jours la notion du risque, la pr&omption
de faute doit se retirer du domaine des personnes et se cantonner de pr~f&encc
dans celui des choses mat&rielles.