L’adaptation force du contrat par arbitrage
Alain Prujiner*
Bon nombre d’ententes contractuelles pr6-
voient un m6canisme d’adaptation forc6e par
lequel les parties peuvent demander A un tiers
de modifier leur contrat. L’auteur aborde la
d6licate question de savoir si cette adaptation
peut 6tre faite par un arbitre. Malgr6 un fort
courant doctrinal qui va dans l’autre sens, cet
article appuie les auteurs de plus en plus nom-
breux qui affirment que l’adaptation d’un con-
trat n’est pas incompatible avec la mission de
l’arbitre. L’auteur admet que l’existence d’un
litige est une condition n6cessaire A l’interven-
tion d’un arbitre. II soutient toutefois que c’est
la possibilit6 d’une argumentation juridique
qui distingue le litige du simple d6saccord, et
que cette possibilit6 est bel et bien pr6sente
dans le cas oil les parties peuvent faire valoir
une clause d’adaptation forc6e (partie I). L’au-
teur rejette l’argument qui veut que ]a fonction
juridictionnelle de l’arbitre l’emp~che de pro-
c6der h l’adaptation d’un contrat (partie II). Et
malgr6 les r6serves exprim6es par certains,
l’auteur pretend qu’il n’est pas dangereux de
un arbitre de modifier un contrat.
permettre
De plus, il croit qu’un tribunal ne doit pas
infirmer une sentence arbitrale en cas d’erreur
de droit ou de fait, mais seulement s’il y a
erreur de juridiction. D’apr~s lui, cette appro-
che a 6t6 implicitement adopt6e par les tribu-
naux de la Colombie-Britannique dans l’af-
faire Quintette (partie MI).
Many contractual arrangements contain a
mechanism by which the parties have the right
to ask a third party to modify their agreement.
The author analyses the difficult question of
whether or not this contractual modification
can be done by an arbitrator. Despite much
scholarly opinion to the contrary, this article
presents the increasingly popular view that
arbitrators can alter contracts. The author
admits that the existence of a genuine dispute
is a necessary precondition for arbitration. He
claims, however, that it is the possibility of
legal argument which distinguishes a genuine
dispute from a mere disagreement, and that
this possibility indeed exists where the parties
can invoke a forced modification clause in
their contract (part I). The author rejects the
argument that the arbitrator’s judicial function
prevents him or her from modifying a contract
(part II). He also argues that, despite the reser-
vations expressed by some scholars, it is not
dangerous to allow arbitrators to modify con-
tracts. Moreover, the author submits that judi-
cial review is appropriate when there has been
an error of jurisdiction but that courts should
not set aside an arbitral award on the basis of
an error of law or fact. His analysis shows that
the British Columbia courts implicitly adopted
this approach in the Quintette case (part III).
* Professeur
l’Universit6 Laval, Conseiller en loi, Qu6bec.
Revue de droit de McGill
McGill Law Journal 1992
Mode de citation: (1992) 37 R.D. McGill 428
To be cited as: (1992) 37 McGill LJ. 428
19921
L’ADAPTATION FORCItE PAR L’ARBITRAGE
Sommaire
Introduction
I.
Litige, diff6rend, d6saccord et adaptation
A. La nicessitg d’un litige en arbitrage
B. Adaptation et litige
C. Le fondement du litige sur l’adaptation
Fonction juridictionnelle et adaptation
A. La mission juridictionnelle de l’arbitre
B. Adaptation etjuridiction
II.
m. Crit~res et contr6le de l’adaptation forc6e par arbitrage
A. Les crit~res de l’adaptation forcie
B. Le contr~le de l’arbitre
C. L’affaire Quintette
Conclusion
Introduction
I1 est des circonstances qui exigent un m6canisme d’adaptation forc6e des
contrats fiable et efficace. II peut mgme s’agir d’une condition fondamentale h
la volont6 de contracter de l’une des parties. Lorsqu’un investissement impor-
tant ne peut etre envisag6 qu’en contrepartie de la garantie d’un march6 h long
terme, par exemple, l’6conomie de l’op6ration requiert la s6curit6 juridique d’un
m6canisme de ren6gociation qui ne risque pas de mener
la fin de la relation
contractuelle. Dans cette perspective, la clause d’adaptation ne doit ouvrir la
possibilit6 ni au simple maintien du contrat, ni a sa r6siliation en cas d’6chec
des n6gociations. La convention doit alors 6tablir un processus d’adaptation
forcde.
Pour assurer les modifications n6cessaires aux termes du contrat en cas de
besoin, une clause confere souvent A un tiers le pouvoir de les imposer si les par-
ties ne s’entendent pas. Cette solution permet de sauvegarder la relation com-
merciale sans la rigidifier. Elle cr6e aussi un environnement plus favorable h la
r6ussite de la phase de n6gociation en cr6ant une pression en faveur d’un r~gle-
ment. Le statut juridique de ce tiers peut cependant poser des difficult6s th6o-
riques et pratiques importantes.
Meme en l’absence de r6f6rence L un m6canisme arbitral, l’analyse juri-
dique de l’intervention de ce tiers, simple r6gulateur du contrat, soul~ve cer-
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 37
taines divergences. La position traditionnelle est de le considdrer comme un
mandataire commun des parties mais cette approche a 6t6 s6v~rement critiqude
par MM. Ren6 David’ et Antoine Kassis2. Ce dernier consid~re que ce tiers est
un arbitre contractuel >> dont la ddcision ne saurait 6tre une sentence mais un
simple fait juridique mdtamorphos6 en acte juridique par la convention des par-
ties3. Selon la doctrine dominante, les parties ont le pouvoir de confdrer t une
personne la tache de rddiger les termes de leur contrat et elles peuvent s’engager
t ‘avance t respecter le rdsultat de la mission qu’elles lui auront confide. Que
ce tiers soit un mandataire commun ou un arbitre contractuel, sa ddcision sera
un texte contractuel qui pourra faire l’objet de tous les modes de contestation
habituels quant I son interprdtation et It son exdcution. Seul M. David serait pr&
h considdrer d’emblde qu’il s’agit d’un arbitre au sens plein du terme, mais il
reconnalt que cette position correspond plus t un voeu qu’It une description de
la situation juridique actuelle.
Le rdsultat de l’intervention de ce tiers rdgulateur est satisfaisant d’un cer-
tain point de vue, puisqu’il introduit effectivement une modification au contrat
qui lie ddsormais les parties. L’efficacit du processus peut cependant 8tre mise
en doute. Si les parties respectent immddiatement la ddcision, tout va bien, mais
si ce n’est pas le cas, l’implantation des changements risque de subir des ddlais
importants qui peuvent avoir un impact rdel sur la relation commerciale. Or, si
les parties ont d
recourir aux services de ce tiers, c’est qu’elles n’6taient pas
parvenues a s’entendre au cours des ndgociations prdalables. II est donc pos-
sible, sinon probable, que la solution retenue rencontre une certaine rdsistance.
I1 y aura alors litige sur l’interprdtation ou l’exdcution du contrat, litige qui
devra, dans la plupart des cas, atre soumis 1’apprdciation de l’arbitre ddsign6
dans la clause compromissoire.
L’intervention d’un deuxi~me tiers, l’arbitre, pour assurer le r~glement du
probl~me de cette adaptation litigieuse peut sembler inutile, redondante et coft-
teuse. Alors, pourquoi ne pas soumettre directement la question t cet arbitre ?
Sa ddcision aurait l’avantage de mettre immddiatement un point final aux
difficultds.
Bien que ce choix ne soit pas toujours assez explicite, c’est une pratique
contractuelle tr~s rdpandue de confier A un arbitre 1’adaptation forcde du contrat
en cas d’6chec des ndgociations entre les parties. La question qui se pose alors
est : est-ce que la volont6 des parties peut aboutir t ce rdsultat ? Autrement dit,
les parties peuvent-elles demander h un arbitre d’adapter leur contrat t des chan-
gements de circonstances, de modifier les termes de leur relation ?
Une source de difficultds peut 8tre l’imprdcision de la volont6 des parties.
Ont-elles clairement entendu donner au tiers un rrle d’arbitre ou bien voulaient-
elles seulement aboutir t une modification contractuelle ? Cette question exige
souvent une analyse difficile des textes pour 6tablir la nature du choix. Mais
‘R. David, L’arbitrage dans le commerce international, Paris, Economica, 1982.
2A. Kassis, Problmes de base de l’arbitrage en droit comparg et en droit international, t. 1,
Arbitrage juridictionnel et arbitrage contractuel, Paris, L.G.D.J., 1987.
31bid.
la p. 94.
19921
L’ADAPTATION FORCtE PAR L’ARBITRAGE
pour que cette question se pose, il faut d’abord que le deuxi~me terme de l’al-
ternative existe, c’est- -dire que les parties puissent demander juridiquement h
un arbitre de modifier leur relation contractuelle. C’est cet aspect du probl~me
qui sera traitd.
Un fort courant doctrinal s’oppose L ce qu’un arbitre puisse procdder t
l’adaptation d’un contrat, mais des voix de plus en plus nombreuses s’6lvent
en faveur de cette possibilit6. La plupart des arguments s’articulent autour des
notions de diffirend (partie I) et de fonction juridictionnelle dans 1’arbitrage
(partie II). La lev6e de ces obstacles amine h poser la question de la mdthode
que doit suivre l’arbitre dans ces circonstances (partie I).
I. Litige, diffrend, disaccord et adaptation
A. La nocessitj d’un litige en arbitrage
La nature de la mission de l’arbitre est de trancher un diffdrend. Cette posi-
tion rallie la majorit6 de la doctrine et de la jurisprudence.
La definition de 1’arbitrage proposde rdcemment par M. Charles Jarrosson
est qu’il s’agit d’une << institution par laquelle un tiers, r~gle le diff&end qui
oppose deux ou plusieurs parties, en exergant la mission juridictionnelle qui lui
a W confide par celles-ci >>4. M~me dans la perspective d’une distinction entre
arbitrage juridictionnel et arbitrage contractuel, M. Kassis consid~re l’existence
d’un litige comme une condition prdalable A ces deux types d’arbitrage.
Certains auteurs ont cependant introduit des attdnuations ‘ cette exigence.
M. Henri Motulsky consid~re ainsi que dire que 1’arbitre << doit r~gler un litige >>
est peut-6tre excessif6. Selon lui, il suffirait d’une pr~tention, soit << la revendi-
cation d'un rdsultat 6conomique ou social correspondant au bdndfice d'une r~gle
de droit >> et d’une constatation << de la coincidence, ou de 'absence de coinci-
dence, entre le fondement de fait de cette revendication et les 6ldments d6gagds
par l'analyse d'une r~gle de droit >>. En fait, A d6faut de litige, il faut donc une
contestation que l’arbitre doit trancher : << D'abord, le caractkre juridictionnel
de l'arbitrage postule la ndcessit6 de ne le mettre en oeuvre qu'h la condition
qu'il s'agisse vdritablement de faire trancher une contestation. >> Cette condi-
tion ne saurait etre satisfaite dans une mission d’adaptation forcde :
Lorsqu’il s’agit, non pas de trancher un litige, ni d’aplanir un diff6rend menagant
ou d’ores et ddjA n6, mais d’accomplir un acte cr6ateur d’une situation contrac-
tuelle A partir d’un problme dont les parties savent qu’elles n’ont ni la comp6-
tence ni l’inddpendance ndcessaires pour le r6soudre elles-memes, le recours aux
mandataires communs s’impose […] 9.
Malgr6 les variations que l’on peut noter sur l’exigence d’un diffdrend ou
d’une contestation, la doctrine semble unanime h rdclamer l’existence d’un
4C. Jarrosson, La notion d’arbitrage, Paris, L.G.D.J., 1987 A la p. 372.
5Supra, note 2.
6H. Motulsky, Ecrits, t. 2, Etudes et notes sur l’arbitrage, Paris, Dalloz, 1974 k la p. 47.
71bid.
81bid. A la p. 42.
9Ibid.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 37
litige comme pr6alable A la possibilit6 d’un arbitrage, A l’exception des souhaits
th6oriques de M. David l”. De ce point de vue, il faut distinguer entre le diff6-
rend, litige ou contestation” d’une part et le simple d6saccord d’autre part.
Selon M. Jarrosson << il y a litige; contestation [...] d~s lors qu'une partie r6siste
en pouvant s'appuyer sur une argumentation juridique, au point de vue qu'une
autre partie essaye d'imposer, et qui differe du sien >>2 Cette possibilit6 d’argu-
mentation juridique est bien le crit~re de distinction entre le diff6rend et le
d6saccord, cette notion visant la situation oti les parties ne peuvent pas atteindre
un accord, mais dans laquelle aucune partie ne peut contraindre juridiquement
l’autre A modifier sa position.
Cette exigence d’un diff6rend est tout aussi pr6sente dans la jurisprudence.
Au Canada, la Cour supreme a ainsi d6cid6 r~cemment que < le v6ritable r6le
de l'arbitre est assimilable A celui d'un juge charg6 de trancher un diffrend >>,
reprenant ainsi un crit~re utilis6 dans de nombreux autres pays” .
B. Adaptation et litige
fl faut donc un litige pour qu’il y ait arbitrage. La question est alors : est-ce
que le fait de ne pas s’entendre lors de n6gociations sur la modification d’un
contrat constitue un litige ou bien s’agit-il d’un simple d6saccord qui ne saurait
permettre le recours A l’arbitrage ? Cette qualification d6licate divise la
doctrine.
Cette qualification oblige A pr6ciser la notion de litige, c’est-A-dire ce qu’il
faut entendre par le crit~re d’argumentation juridique. A premiere vue, le con-
texte de n6gociation sur les termes d’un contrat conduirait plut6t t penser en
termes de d6saccord. Le d6bat entre les parties ne porte pas sur l’interpr6tation
ou l’ex6cution d’obligations contractuelles, champ normal d’action de l’arbitre,
mais sur la modification et donc la cr6ation de ces obligations. L’argumentation
ne serait pas juridique, mais 6conomique. En l’absence de litige, le tiers d6sign6
ne peut 6tre un arbitre s. Sans aller jusqu’ht g6n6raliser cette cons6quence, M,
Eric Loquin l’6tend bL tous les cas dans lesquels le recours au tiers a 6t6 pr6vu
dans le contrat 6, une position qui n’entrane pas l’adh~sion”7, car ce raisonne-
ment rejoint celui qui a si longtemps nui A l’efficacit6 des clauses compromis-
soires : le litige devait pr6c6der la d6cision de recourir A l’arbitrage 8.
‘Supra, note 1 t lap. 31 et s. I1 utilise l’expression controverses non juridiques >, pouvant etre
r6gles par arbitrage.
“Les variations terminologiques entre < litige o, << diffdrend >> et o contestation >> (ou < difficul- t6s >>) n’ont pas de v6ritables consequences juridiques. Voir supra, note 4 aux pp. 252-54.
L’Heureux-Dub6.
121bid. aux pp. 254-55.
13Sport Maska Inc. c. Ziltrer, [1988] 1 R.C.S. 564 A la p. 581, 83 N.R. 322, Mme le juge
14Voir les travaux de Jarrosson, supra, note 4 et Kassis, supra, note 2.
15R. Fabre, < Les clauses d'adaptation dans les contrats >> (1983) 82 Rev. trim. dr. civ. 1.
16Juris-classeur procidure civile, fasc. 1032, par E2. Loquin.
17Voir Jarrosson, supra, note 4.
l8J.E.C. Brierley, Arbitrage conventionnel au Canada et sp~cialement dans le droit priv6 de ]a
province de Qudbec, th~se de doctorat, Facult6 de droit et des sciences 6conomiques de l’Univer-
sit6 de Paris, 1964 [non publi6e] ; < Aspects of the Promise to Arbitrate in the Law of Quebec
(1970) 30 R. du B. 473.
19921
L'ADAPTATION FORCtE PAR L'ARBITRAGE
M. Bruno Oppetit a d'abord sembI6 assez r6ticent
admettre la possibilit6
d'un litige dans ces circonstances, A moins que les parties n'aient pr6cis6
qu'elles voulaient obtenir une d6cision de nature juridictionnelle sur leurs pr6-
tentions respectives"9. La pens6e de cet auteur a 6volu6 depuis puisqu'il critique
maintenant la place < excessive >> faite A la volont6 des parties << pour la d6ter-
mination de la nature des pouvoirs qu'elles ont entendu attribuer au tiers >>20 et
qu’il semble favorable h une conception large du litige h la lumi~re de la trans-
formation de la justice 6tatique21. Cette position est plus satisfaisante car la qua-
lification de la situation ne devrait pas d6pendre de la volont6 des parties : 1’616-
ment juridique n6cessaire existe dans leur relation ou n’existe pas. Ce qu’elles
veulent ou ce qu’elles croient n’a pas beaucoup d’importance pour cet aspect de
la question.
Selon d’autres auteurs, la notion de litige est bien susceptible de couvrir la
situation qui r6sulte d’un 6chec des n6gociations en vue de l’adaptation d’un
contrat A de nouvelles circonstances. M. Jarrosson l’exprime plus sous forme de
souhait: << on voit combien serait pr6f6rable A tous 6gards [ ...] la solution con-
sistant h estimer que, d~s l'absence d'accord entre parties, il y a un diff6rend qui
.22. M. John E.C. Brierley exprime une opinion
peut donner lieu A arbitrage
identique 3. M. Kassis est plus affirmatif, apr~s une d6monstration convaincante
de la possibilit6 du recours A la justice 6tatique dans des circonstances sem-
blables24. La prudence de M. Jarrosson s'explique surtout par les r6ticences de
nombreuses autorit6s en la mati~re qui n'osent pas franchir aussi clairement le
pas que M. Kassisz . Mais le camp de ceux qui n'h6sitent pas A le faire com-
prend aussi des sp6cialistes reconnus26.
Ce sont ces derniers et M. Kassis qui ont raison. Pour appr6cier l'existence
d'un litige, il faut revenir. au crit6re de l'argumentation juridique. Dans une
n6gociation normale >> ou initiale, le d6faut d’entente constitue un simple
d6saccord car aucune partie ne peut faire valoir un droit en sa faveur. Mais lors
d’une ren6gociation dans le cadre d’une clause d’adaptation, il existe un droit
contractuel A la modification. L’6chec des n6gociations entralne alors un litige
sur ‘ex6cution d’une obligation d’adaptation.
19B. Oppetit, (L’adaptation des contrats intemationaux aux changements de circonstances : la
clause de ‘hardship’>> (1974) 101 JDI 794.
nales: itudes offertes t Berthold Goldman, Paris, Litec, 1982, 229 ‘ la p. 235.
2013. Oppetit, < Sur le concept d'arbitrage >> dans Le droit des relations gconomiques internatio-
21Ibid. aux pp. 236-39.
22Supra, note 4 ‘ la p. 333.
2J.E.C. Brierley, < La convention d'arbitrage en droit qu hcois interne >> [1987] C.P. du N. 507
]a la p. 539.
24Supra, note 2 A ]a p. 318.
25En particulier, . Robert et l’International Bar Association dont les propositions sont analys6es
26David bien stir, supra, note 1. Mais aussi G. Bernini et H.M. Holtzmann, < Les techniques per-
mettant de r~soudre les problmes qui surgissent lors de la formation et de 1'ex6cution des contrats
'a long terme >> [1975] Rev. arb. 18 ; P. Sanders, << L'arbitrage dans les transactions commerciales
' long terme >> [1975) Rev. arb. 83. Dans le meme sens, voir M. de Boiss6son, Le droitfrangais
de l’arbitrage : interne et international, Paris, GLN-6ditions Joly, 1990, a la p. 185.
par Jarrosson, supra, note 4 aux pp. 329-32.
REVUE DE DROIT DE McGILL
(Vol. 37
Parmi ceux qui aboutissent h ce r6sultat, il faut quand m~me noter certaines
divergences. Pour certains, comme MM. Kassis et Pieter Sanders, le fondement
juridique provient du lien contractuel existant entre les parties lors de ]a ren6-
gociation 7 . Us 6tablissent donc une distinction ferme entre l’adaptation, qui
donne ouverture A l’arbitrage, et le comblement des lacunes initiales d’un con-
trat incomplet qui ne peut conduire un arbitrage, meme contractuel, puisqu’il
n’y a pas de litige en l’absence d’un lien juridiqueP. M. Giorgio Bernini tend,
au contraire, h consid6rer qu’il s’agit d’op6rations de m~me nature et que la
r6vision n’est que le comblement d’une < lacune survenante >> qui se manifeste
au cours de la relation contractuelle29.
C. Le fondement du litige sur l’adaptation
Le crit~re de 1’argumentation juridique comme fondement de la notion de
litige n’exige pas un lien juridique parfait. En fait, ce n’est pas l’existence du
contrat, mais l’existence d’une obligation de modification de ce contrat qui est
le v6ritable support juridique d’une contestation 6ventuelle. Cette obligation de
modification peut 6tre d’origine conventionnelle (clause de hardship) ou 16gale,
si le contrat est r6gi par un droit qui cr6e une obligation de modification inh6-
rente au contrat lui-m~me (comme le font, de mani~re diff6rente, les droits alle-
mand et alg6rien, par exemple). Dans ce demier cas, l’existence du lien contrac-
tuel est effectivement n6cessaire h l’existence de l’obligation de modification et
lui reste intimement reli6e. La question de la ren6gociation en l’absence d’une
stipulation de r6vision est cependant hors du champ 6tudi6 dans ce texte 0 .
L’obligation conventionnelle n’est pas exactement dans la mame position.
Bien sfir, elle est reli6e au contrat, comme sa qualification le d6note bien, mais
elle en est aussi distincte. Elle peut etre consid6r6e comme un engagement de
proc6der A des modifications de la relation contractuelle dans certaines circons-
tances d6finies et suivant certains param~tres. Elle peut donc 6tre consid6rde, t
l’instar de la clause d’arbitrage elle-mame, comme une convention distincte du
contrat auquel elle se greffe. La base de l’argumentation juridique du litige
trouve alors sa source dans la convention de modification plus que dans le con-
trat de base. En 1’absence de clause h cet effet, la seule existence d’un contrat
ne suffit d’ailleurs pas A fonder un recours dans de nombreux ordres juridiques
qui n’admettent pas l’existence d’une obligation implicite d’adaptation.
2 7Supra, note 2 aux pp. 312, 316.
28 [D]u fait de l’absence d’un rapport juridique parfait entre les parties, il ne peut ration-
nellement exister de litige entre elles tant que le processus de perfection de leur contrat
par le tiers d6sign6 par elles n’est pas termind (ibid. A ]a p. 117).
Dans le mme sens, voir de Boissdson, supra, note 26 4 ]a p. 185.
29Bemini et Holtzmann, supra, note 26 A lap. 41. David aboutit h un r6sultat identique : supra,
note 1 a la p. 33. Aussi sur ]a notion de lacune survenante, voir Jarrosson, supra, note 4 h la p.
297.30Sur cette question, voir Jarrosson, ibid.
p. 638 et s.
la p. 305 et s. et de Boiss~son, supra, note 26 At la
1992]
L’ADAPTATION FORCtE PAR L’ARBITRAGE
Dans cette perspective, la position unifiante de M. Bernini parait la plus
solide : ‘engagement de completer un contrat peut 8tre consid6r6 comme 6tant
de meme nature que celui de le modifier. I s’agit d’un engagement de nature
juridique, m~me en 1’absence de relation contractuelle parfaite. Cette juridicit6
la survenance d’un litige, et donc at
suffit a cr6er les conditions n6cessaires
r6pondre h ce premier crit~re de l’arbitrabilit6.
Une question reli6e h cet aspect du probl~me soul~ve certaines difficult6s.
I s’agit de la pr6sence de I’amiable composition dans la clause d’arbitrage. M.
Kassis consid~re qu’elle 6quivaudrait h << une clause de hardship doubl6e d'une
clause compromissoire ordinaire >>31 en raison de la pr6sence de l’6quit6 comme
fondement commun du hardship et de 1’amiable composition. Pourtant, il
semble difficile de fondre deux stipulations dont l’objet est different. L’amiable
composition introduit l’6quit6 dans le mode de resolution des conflits mais non
dans le coeur de la relation contractuelle. En l’absence d’autres indications, il
n’est pas possible d’inf6rer de sa seule pr6sence dans la clause d’arbitrage une
obligation g6n6rale, ind6termin6e, d’adaptation du contrat aux changements de
circonstances. Or, 1’absence de cette obligation enl~ve la possibilit6 juridique
d’un litige, condition n6cessaire h l’intervention de l’arbitre amiable composi-
teur, a moins que ce contrat ne soit soumis A un droit qui pratique la th6orie de
l’impr6vision, mais en ce cas l’obligation provient de la loi et non de l’amiable
composition. Sur ce point, M. Jarrosson a raison de noter que < la fonction
essentielle de l'amiable composition 6tant la possibilit6 donn6e h l'arbitre
d'6vincer la r~gle de droit pour la r6solution du diff6rend, elle ne conceme que
le mode de risolution et non la nature de la difficultj a r~soudre >>32
En conclusion, et pour se limiter aux clauses d’adaptation, il semble bien
que, malgr6 les r6serves de certains auteurs qui ont une conception excessive-
ment 6troite du litige, l’6chec d’une n6gociation men6e dans le cadre d’une obli-
gation de modification des termes d’un contrat peut constituer un diff6rend et
done r6pondre h cette premiere condition de 1’intervention d’un arbitre. Reste
alors h d6terminer si la mission que les parties veulent lui confier, la modifica-
tion du contrat, est vraiment de nature juridictionnelle.
H. Fonction juridictionnelle et adaptation
Un deuxi~me faisceau d’arguments contre la qualification arbitrale de Fin-
tervention d’un tiers pour assurer 1’adaptation forc6e du contrat s’appuie sur le
second crit~re traditionnel mis en oeuvre pour d6finir l’arbitrage, celui de la
nature n6cessairement juridictionnelle de cette mission.
A. La mission juridictionnelle de l’arbitre
Le << caract~re juridictionnel >> de 1’arbitrage, d6jA soulign6 par M.
Motulsky33, reqoit un appui ferme dans la doctrine. La d6finition pr6cit6e 4 de
31Supra, note 2 a ]a p. 304.
32Supra, note 4 aux pp. 299-300.
33Supra, notes 6-9 et texte correspondant.
34Supra, note 4.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 37
M. Jarrosson met l’accent sur cette mission juridictionnelle
et la notion
d’acte juridictionnel retient longuement son attention dans la premiere partie de
. La conclusion de
sa these, intitul6e : La r6f6rence au module juridictionnel
son 6tude est que la mission juridictionnelle de l’arbitre ne suscite plus de
r~elles controverses, du moins quant
son principe >35. Selon lui, la fonction
de l’arbitre et celle du juge sont identiques. Seule differe son origine. >36
M. David se distingue lM aussi. Sa d6finition est moins pr6cise cet 6gard37
et il pr6fere 6viter la question de la nature juridictionnelle ou contractuelle de
l’arbitrage, les discussions
une conception
d6pass6e, 6tablissant un lien exag6r6ment 6troit entre fonction juridictionnelle
et proc6dure judiciaire >>31. Sa conception large et souple de l’arbitrage s’accom-
mode mal des contraintes li~es it cette fonction juridictionnelle.
ce sujet lui paraissant
li6es
M. Kassis n’a pas les m~mes difficult6s puisqu’il regroupe dans la nouvelle
institution de l’arbitrage contractuel qu’il propose39 les diverses modalit6s que
M. David essayait d’ins6rer dans une vision unifi6e de l’arbitrage.
Pour les fins de l’exercice en cours, il n’est pas n6cessaire de se prononcer
sur les avantages compar6s de l’unit6 ou de la dualit6 de conceptions de l’arbi-
trage. En effet, ce n’est qu’au cas ofi l’op6ration de modification paraltrait
incompatible avec la fonction juridictionnelle qu’il faudrait rechercher si elle
peut malgr6 tout atre int6grfe dans les notions larges de M. David ou le concept
d’arbitrage contractuel de M. Kassis. Auparavant, il suffit de v6rifier si la r66cri-
ture d’un contrat peut etre une mission juridictionnelle.
B. Adaptation etjuridiction
Si l’on consid~re l’arbitre comme un juge priv6 qui rend une d6cision sur
des pr~tentions juridiques oppos~es, une mission de r66criture de clauses con-
tractuelles peut sembler de nature assez diff6rente. I1 est bien 6vident qu’il peut
s’agir d’une d6marche purement contractuelle et que les parties veulent simple-
ment obtenir le texte d’un contrat les liant et non une sentence. Ce qu’il faut se
demander, c’est: est-ce qu’un arbitre peut modifier un contrat dans le cadre de
sa fonction juridictionnelle ? M~me si M. David regrette le lien trop etroit que
l’on tend h 6tablir entre fonction juridictionnelle et proc6dure judiciaire, il n’en
demeure pas moins int6ressant de v6rifier ce que peut faire un juge 6tatique dans
des circonstances identiques. Si un juge peut modifier un contrat dans le cadre
de sa juridiction, il devient impossible de consid6rer que l’arbitre ne peut pas
le faire.
35 bid. a ]a p. 101.
6Ibid.
37 L’arbitrage est une technique visant a faire donner la solution d’une question, int~res-
sant les rapports entre deux ou plusieurs personnes, par une ou plusieurs autres person-
nes –
lesquelles tiennent leurs pouvoirs d’une convention
priv~e et statuent sur la base de cette convention, sans etre investis de cette mission par
‘lEtat (supra, note 1 A ]a p. 9).
‘arbitre ou les arbitres –
351bid. A ]a p. 566.
39Supra, note 2.
1992]
L’ADAPTATION FORCtE PAR L’ARBITRAGE
Sur ce point, MM. Jarrosson et Kassis parviennent au m~me r6sultat mal-
gr6 leurs s6rieuses divergences d’approche ; mais ce faisant, ils s’opposent tous
deux h une certaine tradition doctrinale.
Cette tradition consid~re que la modification d’un contrat est un acte crga-
teur de r~gles qui d6passent les limites de la fonction juridictionnelle . Suivant
les termes de M. Brierley, ce serait une fonction plus < 16gislative > que < juri-
dictionnelle >4. Juges comme arbitres ne pourraient cr6er ou modifier des droits
mais seulement les expliciter42.
M. Jarrosson, apr~s une 6tude d6taill6e de la mission du juge, fait apparal-
tre l’extension de ses pouvoirs, en particulier quant h l’objet de sa mission, ainsi
que l’6volution de la nature de son r6le, qui n’est plus seulement de constater
des droits pr6existants mais de constituer souvent des situations juridiques nou-
velles43. Le juge est parfois cr6ateur de dispositions contractuelles. M. Jarrosson
en d6duit que [1]’arbitre peut cr6er des dispositions contractuelles dans la
mesure oti le juge le peut 44.
M. Kassis d6montre de fagon convaincante qu’en l’absence de clause d’ar-
bitrage dans un contrat contenant une clause expresse de r6vision de prix, si
cette clause pr6voit que les parties resteront li6es m~me en cas de d6saccord au
cours de la ren6gociation et qu’en ce cas la r6vision se fera par voie de droit sur
la base de la clause, le tribunal saisi n’aura d’autre possibilit6 que de proc6der
au changement, apr~s expertise an besoin45 . Si le juge peut proc6der de la sorte,
den n’empeche l’arbitre de le faire.
En fait, il semble que l’opposition doctrinale trouve son origine plus dans
l’hostilit6 du droit frangais A la th6orie de l’imprevision en droit civil qu’h une
conception restrictive de la fonction juridictionnelle. M. Kassis remarque avec
raison qu’en France meme, l’usage de l’impr6vision par le juge administratif n’a
jamais fait douter du caract~re juridictionnel de sa mission46 , pas plus que de
celle des tribunaux des pays dont le droit permet une adaptation judiciaire47.
Malgr6 l’autorit6 d’une doctrine prudente en mati~re de d6termination des
pouvoirs des arbitres, il semble donc bien qu’il n’y ait pas d’obstacle th6orique
majeur h ce que 1’arbitre puisse proc6der, dans le cadre de sa mission juridic-
tionnelle, h une r66criture des clauses du contrat. A partir du moment oa 1’obli-
la
p. 163.
40J. Robert, L’arbitrage, droit interne, droit international privi, 5e 6d., Paris, Dalloz, 1983
41Supra, note 23
42j. Paulsson, < L'adaptation du contrat > [1984] Rev. arb. 249 ; de Boiss6son, supra, note 26
aux pp. 185-89, 642-45. En ce cas, la violation de l’obligation de renfgociation ne peut conduire
qu’t ]a r6solution du contrat. I y a bien litige, puisqu’il y a obligation d’adaptation, mais la mission
juridictionnelle de l’arbitre lui interdit de procfder
une modification du contrat en cours.
Ta p. 535.
43Supra, note 4
“41bid. A ]a p. 110.
4 Supra, note 2 A ]a p. 318. L’exemple a l’avantage d’6carter la possibilit6 de recours A une
la p. 99.
clause r6solutoire implicite.
461bid. 4 la p. 320.
47Par exemple, les droits allemand, suisse ou italien. Voir de Boiss6son, supra, note 26 4 la p.
639.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 37
gation contractuelle A faire respecter est bien une obligation de modification du
contrat (obligation de r6sultat) et non une simple obligation de n6gociation
(obligation de moyens), l’arbitre doit pouvoir aboutir au r6sultat recherch6 et ne
saurait se limiter A demander aux parties de n6gocier de bonne foi et mettre fin
au contrat en cas d’6chec. Reste A d6terminer comment il peut s’acquitter de
cette mission.
M. Critbres et contrfle de l’adaptation forc6e par arbitrage
A. Les crit~res de l’adaptation forcie
Les multiples r6serves de certains th6oriciens sur la possibilit6 d’interven-
tion d’un arbitre pour modifier un contrat proviennent certainement de la crainte
d’6tablir un processus dans lequel les obligations des parties seraient enti~re-
ment h la merci d’un tiers. Si le pouvoir de r6vision de l’arbitre 6tait illimit6,
cette inqui6tude serait justifi6e, mais ce n’est pas le cas. Ainsi que nous 1’avons
maintenant 6tabli, l’arbitre doit exercer sa fonction juridictionnelle sur un litige,
donc sur un d6batjuridique fond6 sur l’ex6cution d’une obligation d’adaptation.
Les fronti~res de sa mission sont donc d6termin6es de la m~me manire que
dans les autres circonstances de recours A 1’arbitrage : il doit interpr6ter la port6e
de l’obligation telle qu’elle apparait dans le contrat.
Mame si la sentence doit prendre la forme d’une modification de certaines
stipulations contractuelles, il n’est pas question de crder une relation juridique
entre les parties, mais simplement d’en pr6ciser certains 616ments. L’arbitre
n’est pas libre d’6tablir des obligations qu’il jugerait 6quitables ou opportunes
dans les circonstances. Mme dans l’hypoth~se d’un comblement des lacunes,
il faut bien voir que ce n’est pas l’arbitre qui est A l’origine de l’obligation qu’il
identifie, mais la volont6 des parties qu’il ne fait qu’interpr~ter.
Cette limitation du r6le de l’arbitre est cons6quente avec le fondementjuri-
dique de son intervention. I1 faut qu’il existe une obligation de modification
pour qu’apparaisse le litige qu’il doit trancher de mani~re juridictionnelle. Cette
obligation, qu’elle soit d’origine 16gale ou conventionnelle, ob6it A certains
principes, certains crit~res, pr6cis6s par la loi, la jurisprudence ou le contrat lui-
m~me. De ce point de vue, il ne faut pas perdre de vue l’objectif mame de
l’adaptation, qui est le plus souvent la sauvegarde de l’6conomie du contrat mal-
gr6 un changement de circonstances qui la menace. Les termes utilis6s par le
contrat sont alors determinants, car ils seront les guides de la d6cision de
1’arbitre.
Plus le contenu de l’obligation de modification sera precis, plus le champ
d’appr6ciation de 1’arbitre sera limit6. Comme dans d’autres circonstances, le
r6le de l’interpr~te est restreint si la clause d’adaptation est relativement d6tail-
1Me. On voit bien, alors, que la fonction juridictionnelle de l’arbitre est mainte-
nue malgr6 le fait que la sentence contienne une modification des termes d’un
contrat, puisqu’il la d6cide en application d’autres stipulations de ce m~me
contrat.
19921
L’ADAPTATION FORCItE PAR L’ARBITRAGE
La d6limitation peut paraltre plus d6licate lorsque la clause d’adaptation ne
suivre. Bien stir, les parties
pr6cise pas clairement la m6thode on les crit6res
peuvent sembler avoir 6t6 imprudentes de s’obliger sans mieux d6terminer les
limites de la port6e de leurs engagements, et certains auront tendance A leur faire
supporter les cons6quences de leur impr6voyance. La d6cision du tiers, dans ces
conditions, reste-t-elle de nature juridictionnelle ? En l’absence de crit~res pr6-
cis, meme avec la possibilit6 de s’en remettre h l’6quit6 s’il est amiable compo-
siteur an surplus, l’arbitre n’est-il pas en position de cr6er de nouvelles obliga-
tions au nom de principes g6n6raux comme l’6quilibre des prestations,
obligations hors du champ de la volont6 des parties ?
En fait, ce risque existe, mais gu~re plus que dans les autres cas de recours
A l’arbitrage. Le fondement de l’intervention de l’arbitre reste le litige sur la
determination du r6sultat d’une obligation de modification. Ce qui devient plus
difficile h d6terminer, ce sont les fronti~res de son intervention. M. Kassis con-
sid~re alors que
le juge ou arbitre statuant au contentieux ne devrait pas avoir plus de difficult6 A
mettre en oeuvre une clause de hardship qu’b appliquer une formule d6termin6e
de r6vision dans la mesure oj, d’une part, il ne touche pas au contenu qualitatif
des obligations et oit, d’autre part, il se fonde dans 1’adaptation qu’il opere, sur des
donn6es objectives, encore que celles-ci n’aient pas 6t6 prdcis6es par les parties
elles-m~mes 4
8
.
La notion de contenu qualitatif est reli6e h la nature de la modification.
Selon M. Kassis, il y a simple modification lorsque l’arbitre adapte << le quan-
tum d'une obligation on d'une prestation sans toucher h sa nature, h son contenu
sp~cifique >>9, alors qu’un changement de la qualit6 ou des specifications du
produit convenu, on, a fortiori, la substitution d’un autre produit provoquerait
une cr6ation, tout comme l’ajout on la suppression d’une obligation contrac-
tuelle .
Le crit~re est relativement simple et fonctionnel. I1 semble introduire un
d6s6quilibre entre l’acheteur et le vendeur puisque le prix est plus facilement
r6visable que la livraison des marchandises on la d6livrance de services, mais
il faut bien convenir que c’est souvent le prix qui est l’616ment le plus mobile
dans un processus d’adaptation.
Ce crit~re reste cependant d’un usage d6licat. Un bon exemple est celui de
l’arrat de la Cour d’appel de Paris du 28 septembre 1976 qui a suscit6 de nom-
breux commentaires51. Le contrat pass6 entre la soci&6t EDF et la soci6t6 fran-
gaise Shell contenait une clause d’indexation et une clause de sauvegarde. La
clause d’indexation est devenue inop6rante par la disparition de son indice de
48Supra, note 2 a la p. 323.
491bid. A la p. 322.
50Ibid.
51Paris, 28 septembre 1976, E.D.E c. Socit Shell Frangaise, J.C.P. 1978.11.18810 (note J. Rob-
ert), [1977] Rev. arb. 341 [ci-apr~s E.D.E cit6 a la Rev. arb.] ; B. Oppetit, << Arbitrage juridiction-
nel et arbitrage contractuel : propos d'une jurisprudence rcente >> [1977] Rev. arb. 315 ; Jarros-
son, supra, note 4 A Ta p. 325 ; Kassis, supra, note 2 a la p. 323 ; de Boiss~son, supra, note 26 A
]a p. 187.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 37
r6f6rence. La clause de sauvegarde pr6voyait une obligation de ren6gociation
dans certaines circonstances, avec possibilit6 de r~siliation du vendeur en cas de
baisse du prix et de 1’acheteur en cas de hausse. Les circonstances justifiant une
ren6gociation se sont pr6sentfes et les parties n’ont pu parvenir Ai un accord. Par
contre, elles n’entendaient pas mettre fin au contrat. Pour le Tribunal de com-
merce saisi du litige concemant la d6termination du prix, cette question ne pou-
vait 8tre r6gl6e que par ‘accord des parties et en son absence, le contrat 6tait
devenu caduc par absence de prix. La Cour d’appel a infirm6 cette d6cision en
consid6rant que la clause de sauvegarde impliquait une obligation de modifica-
tion et que les parties devaient reprendre les n6gociations en pr6sence d’un
observateur d6sign6 par la Cour, et qu’en cas d’6chec de ces n6gociations, elle
se r6servait de d6tenniner, au regard des solutions propos6es, si la formule qui
pourrait 6ventuellement convenir sur le plan financier modifie les donn6es des
contrats en cours et interdit par cons6quent au Juge de l’imposer, ou bien si elle
se borne, comme l’ont voulu les parties, et sans alt6rer l’6conomie des contrats,
ii adapter le prix aux fluctuations du march6 et peut done 8tre substitu6e d’of-
fice >52.
La Cour est done prate
adapter le contrat en changeant la clause d’in-
dexation A condition que ce changement respecte l’6conomie du contrat et la
volont6 des parties. Cette d6limitation correspond bien au respect de l’obliga-
tion de modification au coeur de ce litige, m~me si la clause de sauvegarde ne
comportait pas de crit~res pr6cis sur la m6thode et les r6f6rences A utiliser dans
les circonstances. Un arbitre saisi d’un tel dossier pourrait aboutir A un r6sultat
identique. Sa d6marche serait probablement diffdrente en ce qui regarde la
reprise des n6gociations, mais il pourrait demander ultimement A chaque partie
de lui soumettre la formule qu’elle prdconise et il aurait A 6valuer leur compa-
tibilit6 avec la volont6 initiale d’adaptation et l’6conomie du contrat.
I1 y a donc un lien direct entre l’objet du litige, la nature juridictionnelle
de la d6cision et la port6e de la sentence. Si l’arbitre d6passe le cadre de l’adap-
tation du contrat suivant les param~tres fix6s par les parties et s’aventure dans
des modifications de fond de la relation contractuelle, il se prononce ultra
petita, comme cela peut arriver dans tout arbitrage. Cette limitation vaut d’ail-
leurs tout autant pour un amiable compositeur53. Ce qu’il importe alors de v6ri-
fier, c’est l’efficacit6 du contr6le du respect de cette limite par l’arbitre.
B. Le contrble de l’arbitre
Pour assurer que l’arbitre ne cr6e pas indciment des obligations aux parties,
il faut que les limites de son pouvoir d’adaptation puissent faire l’objet d’une
revision judiciaire en cas de besoin. En principe, il n’y a pas de difficult6 sur
ce point. Comme le dit M. de Boiss6son : < Tout le litige rien que le litige, telle
est la mission de 1'arbitre sur le fond. >>’ Les l6gislations nationales et intema-
tionales pr6voient done le contr6le du respect de la mission de 1’arbitre dans les
52E.D.E, ibid. 4 la p. 343.
53Voir Jarosson, supra, note 4 t ]a p. 319.
54Supra, note 26 h la p. 836.
1992]
L’ADAPTATION FORC!E PAR L’ARBITRAGE
procedures d’homologation ou d’annulation des sentences. Pour s’en tenir it la
Convention de New York, texte central de 1’arbitrage international, celui qui est
normalement le plus prot6g6 contre les tendances interventionnistes des tribu-
naux, l’article V pr6voit la v6rification et la sanction des d6passements de ses
pouvoirs par un arbitresS.
II faut etre prudent dans cet exercice de v6rification. Toute erreur de droit
n’est pas susceptible d’entrainer une perte de juridiction, sinon le tribunal se
trouverait
agir comme une instance d’appel, ce qui ruinerait l’efficacit6 de
1’arbitrage. La jurisprudence ftan~aise admet ainsi qu’une simple erreur de fait
ou de droit ne vicie pas la sentence56 . Au Qu6bec, 1’affirmation du Code de pro-
cdure civile (l’article 951.1) : << Le tribunal saisi d'une demande de reconnais-
sance et d'ex6cution d'une sentence arbitrale ne peut examiner le fond du dif-
f6rend >>, a conduit la jurisprudence A une attitude tout aussi r6serv6e T.
Qu’en est-il alors d’une erreur sur la ftonti~re de l’adaptation, est-ce un
d6passement du cadre de la mission de 1’arbitre ? Cette sorte d’erreur est-elle
susceptible d’une sanction judiciaire plus imm6diate ? Au Canada, cette ques-
tion 6voque n~cessairement 1’abondante jurisprudence qui porte sur le contr6le
de la competence des tribunaux administratifs et des arbitres de grief en droit
du travail, ofi les tribunaux ont 6tabli une distinction entre l’erreur de droit ou
de fait et l’erreur de juridiction.
Une erreur d’interprdtation ou d’application d’un texte juridique qui est
dans le champ de comp&ence d’un tribunal administratif ne peut pas donner
ouverture
r6vision judiciaire. Celle-ci ne sera possible qu’en cas d’erreur
d6raisonnable << au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la 16gis-
lation pertinente et d'exiger une intervention judiciaire >>S. L erreur juridiction-
nelle est celle qui porte sur une disposition attributive de competence. Ces dis-
positions sont celles qui d6crivent ou limitent les pouvoirs du tribunal
administratif 9 ou celles destinies h en << circonscrire le champ d'activit6 >>60.
55 Convention pour la reconnaissance et l’ex6cution des sentences arbitrales itrangares, 10 juin
1958, 330 R.T.N.U. 39, 21 U.S.T. 2518, T.I.A.S. n 6997, LR.C. 1985, c. 16 (2e suppl.), art. V:
1. La reconnaissance et 1’excution de la sentence ne seront refus6es, sur requete de
Ta partie contre laquelle elle est invoqu6e, qui si cette partie fournit
l’autorit6 com-
p~tente du pays obx la reconnaissance et 1’ex6cution sont demand6es la preuve:
c) que la sentence porte sur un diff6rend non vis6 dans le compromis ou n’entrant
pas dans les pr6visions de la clause compromissoire, ou qu’elle contient des d6ci-
sions qui d6passent les termes du compromis ou de ]a clause compromissoire;
56y. Derains, Droit et pratique de l’arbitrage international en France, Paris, Feduci, 1984
la
p. 95.57Par exemple, Exploration miniare A-Pri-Or Inc. c. Ressources Etang d’or Ltde, [1988] R.D.J.
102 (C.S.), qui refuse m~me la possibilit6 d’intervention en cas d’erreur d~raisonnable, erron6ment
car il est difficile de voir comment une telle erreur ne serait pas contraire h l’ordre public.
4 la p. 237, 97 D.L.R. (3d) 417, M. le juge Dickson.
58S.C.EP., section locale 963 c. Socidtd des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227
59Syndicat des employ6s de production du Quebec et de l’Acadie c. Conseil canadien des rela-
tions du travail, [1984] 2 R.C.S. 412 a la p. 420, 14 D.L.R. (4th) 457, M. le juge Beetz.
6Komo Construction Inc. c. Commission des relations de travail du Quebec, [1968] R.C.S. 172
a la p. 175, 1 D.L.R. (3d) 125, M. le juge Pigeon.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 37
Une simple erreur h leur 6gard, m~me commise de bonne foi, entraine l’annu-
lation de la d6cision 6l.
Une d6marche analogue est concevable A l’6gard de l’arbitre convention-
nel. Le respect de sa mission pourrait 8tre examin6 avec une distinction 6quiva-
lente : une erreur de droit non d6raisonnable dans le cadre de sa mission ne don-
nerait pas ouverture h r6vision, mais une erreur simple touchant h sa comp6tence
devrait &re sanctionn6e par les tribunaux. Le crit~re de la raisonnabilit6 a 6t6
utilis6, par exemple dans le jugement Navigation Sonamar Inc. c. Algoma
Steamship Ltd62. Dans une affaire pr6c6dente, le juge Gonthier avait d6jh
affirm6:
Permettre que le tribunal de droit commun examine A nouveau et se prononce sur
le m6rite du litige, qu’iI porte sur une question de fait ou de droit, serait a116 [sic]
a l’encontre de l’intention des parties pr6sidant au recours a l’arbitrage et At Fen-
contre mme du texte de l’art. 950 C.p.c. Seules des erreurs emportant nullitd,
c’est-4-dire des erreurs portant sur des gliments defaits ou de droit qui sont cons-
titutifs dejuridiction ou des erreurs sur des questions d’ordre public y compris les
rfgles de justice naturelle ou r6gissant obligatoirement les arbitres dans l’excu-
tion de leurs fonctions, doivent pouvoir 8tre invoques [nos italiques] 63.
Une distinction pourrait donc 6tre faite en arbitrage civil entre les erreurs
intrajuridictionnelles et les erreurs de comp6tence, celles-ci pouvant justifier
une annulation (totale ou partielle) de la sentence que celles-lM ne pourraient
entrainer que lorsqu’elles sont manifestement d6raisonnables. La qualification
de 1’erreur comme juridictionnelle ou non rev&t alors une importance primor-
diale. L’arbitre qui d6passerait les limites de l’adaptation du contrat selon les
crit~res fix6s par les parties commettrait manifestement une erreur de comp6-
tence qui serait susceptible de sanction judiciaire, m~me en cas d’erreur tout h
fait raisonnable.
La norme propos6e semble adapt6e A un contrOle efficace du respect de la
volont6 des parties sans menacer outre mesure l’efficacit6 de l’arbitrage. Sa
mise en oeuvre n’est cependant pas toujours ais6e ainsi que le d6montre l’affaire
Quintette4, premiere exp6rience difficile des nouvelles r6gles de l’arbitrage
international au Canada.
C. L’affaire Quintette
A la fin des ann6es 1970, le Japon a voulu assurer son approvisionnement
long terme en charbon, en particulier en Colombie-Britannique. En 1981 un
groupe de dix compagnies japonaises (comprenant, entre autres, Nippon Steel
Co., Kobe Steel Ltd et Mitsubishi Chemical Industries Ltd) a pass6 un contrat
61Voir U.E.S., local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, 95 N.R. 161.
62[1987] R.J.Q. 1346 (C.S.), M. le juge Gonthier [ci-apr~s Navigation Sonamar].
63J.H. Dupuis Ltie c. Rsidence Jean de la Lande Inc. (11 mars 1981), Montr6al
500-05-025942-770, J.E. 81-500 (C.S.), cit6 dans Navigation Sonamar, ibid. a ]a p. 1351.
64Pour les jugements de la Cour supreme et dela Cour d’appel de la Colombie-Britannique, dans
lesquels le processus arbitral est d~crit, voir Quintette Coal Ltd c. Nippon Steel Corp. (1990), 47
B.C.L.R. (2d) 201 (S.C.) [ci-aprts Quintette (S.C.)], conf. par 50 B.C.L.R. (2d) 207, [1991] 1
W.W.R. 219 (C.A.) [ci-aprts Quintette (C.A.) cit6 aux B.C.L.R.].
1992]
L’ADAPTATION FORCtE PAR L’ARBITRAGE
d’achat de charbon avec une compagnie canadienne, Quintette Coal Ltd, cr66e
sp6cifiquement pour la rdalisation de ce contrat qui exigeait un important inves-
tissement puisqu’il fallait ouvrir une nouvelle mine dans une rdgion isolde. La
durre du contrat allait d’octobre 1983 A mars 1998, avec une possibilit6 d’ex-
tension jusqu’en 2003.
Le prix de base fut fix6 t 75$ la tonne et comprenait deux 616ments : une
partie fixe (ou plus prrcisrment << not subject to escalation >) de 35$ et une par-
tie indexre de 40$. En plus de la clause d’indexation65, une clause de rdvision
du prix prdvoyait une possibilit6 d’ajustement h certaines dates fixes : mars
1987, mars 1991 et mars 1995 en prrcisant:
The review shall be made taking into consideration the then prevailing market
price for metallurgical coal being supplied and sold to Buyer from major Canadian
suppliers under long term contracts and also the quality differential, if any, in com-
parison with those coals
I y avait aussi une clause de hardship67 et une clause d’Inequity Review6″ qui
pouvaient donner ouverture A modification du prix.
La loi applicable au contrat, comme h 1’arbitrage, 6tait la loi de la
Colombie-Britannique. Enfin, la clause d’arbitrage 6tait rrdig~e ainsi:
All unresolved disputes, controversies or differences between the parties arising
out of or in connection with or resulting from this Agreement, or the breach
hereof, any failure of the parties to reach agreement with respect to matters pro-
vided for herein and all matters of dispute relating to the sale of Coal by Seller to
Buyer shall be finally determined by arbitration […]69.
En 1984, un amendement a chang6 la fin de cette clause en faisant rrfrrence aux
Rules of Procedure of the British Columbia Arbitrator’s Institute.
Contrairement aux prdvisions des deux parties, les prix du march6 ont
commenc6 h baisser peu apr~s les premieres livraisons. La clause 9, d’Inequity
Review, fut alors invoque en 1985, 1986 et 1987 pour diminuer le prix, sa par-
tie < fixe >> passant ainsi de 35$ h 26.50$ apr6s ndgociations. La partie japonaise
invoqua en 1987 la clause 7, celle de rdvision de prix, mais cette fois aucun
65La clause 5, intitule Base Price and Price Adjustment, comprend une formule d’ajustement
aux trois mois. Celle-ci est cit~e dans Quintette (CA.), supra, note 64
]a p. 209.
66Clause 7 du contrat, intitul~e Price Review et cit~e dans Quintette (S.C.), supra, note 64
la
p. 206.
678. Mutual cooperation
Both Buyer and Seller recognize that circumstances may arise that could not have
been foreseen at the time this contract was entered into. Both parties agree to use their
best effort to solve any hardships or difficulties arising from such unforeseeable cir-
cumstances in the spirit of mutual good will and cooperation. (cit~e dans ibid. a la
p. 207).
689. Inequity Review
If any significant change in the metallurgical coal market takes place at any time dur-
ing the term of the contract either party shall have the right to request a price review.
The parties shall discuss the matter in good faith to reach a fair and reasonable adjust-
ment. (cit~e dans ibid.)
69Cit~e dans Quintette (C.A.), supra, note 64 a la p. 211.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 37
accord ne fut possible. En novembre 1987, une demande d’arbitrage fut alors
pr6sent~e pour modification du prix sur la base des clauses 7 et 9.
La nomination du tribunal d’arbitrage et sa mise en place ne se firent pas
sans difficult6s. Celles-ci ne manquent pas d’int6r&
titre de premi~re exp6-
rience de mise en oeuvre de la Loi type de la CNUDC17′ en Colombie-
Britannique, mais elles sont hors du champ de cette 6tude 7′. Ce qui en relive
plus directement est le d6bat judiciaire qui suivit la sentence au fond du 28 mai
1990, sentence fixant une s6rie de prix d6croissants t partir du deuxi~me tri-
mestre 1987 jusqu’en 1991, avec un prix applicable par trimestre de chaque
ann6e. Quintette contesta le pouvoir des arbitres de proc6der t cet exercice qui
entrainait une variation A la baisse de la partie < fixe >> du prix. Cette adaptation
du contrat aurait 6t6 hors des paramtres de r6vision 6tablis par les parties. II y
aurait donc eu modification du fond du contrat et non adaptation.
Les tribunaux ont rejet6 l’argumentation de Quintette72. En premi~re ins-
tance, la decision du juge en chef de la Cour supreme de Colombie-Britannique,
le juge Esson, fut que rien, dans le contrat, n’emp~chait le tribunal arbitral de
modifier la partie < fixe >> au cours de la p6riode consid6r6e, meme s’il exprime
le fait qu’il en a dout6 initialement. Mime dans cette hypoth~se, il ajoute : << But
even if the board was wrong in its conclusion on that point, that would consti-
tute mere error in interpreting the contract and would not, under the Internatio-
nal Act, provide a ground for setting it aside.73 >> En Cour d’appel, le pouvoir
des arbitres de proc6der suivant cette m6thode est clairement affirm6 A partir de
l’objet de la demande d’arbitrage et des clauses 7 et 9 du contrat. < Their inter-
pretation is one which the words of the contract can reasonbly bear >>, pr6cisent
les juges Gibbs et Proudfoot74. Le juge Hutcheon arrive A la meme conclusion,
mais sa d6marche est plus d6taill6e. I1 commence par 6tablir que la clause 7
n’aurait pas permis, h elle seule, d’aboutir au r6sultat donn6 dans la sentence
puisque les arbitres ne peuvent pas modifier dans ce cadre la partie non index6e
du prix75. Par contre, la clause 9 autorise cette approche et la pratique ant6rieure
des parties d6montre que le recours A cette clause peut permettre de faire varier
cette partie du prix plusieurs fois au cours d’une p6riode quadriennale. M~me
si le tribunal arbitral s’est tromp6 ensuite en affirmant qu’il n’avait pas besoin
d’utiliser cette clause 9, il b6n6ficie quand m~me de la juridiction que cette
clause lui accorde76.
7Loi type sur l’arbitrage commercial international, adopt~e le 21 juin 1985 par la Commission
des Nations Unies pour le droit commercial international, dans le Rapport de la Commission des
Nations Unies pour le droit commercial international, Doc. off. CNUDCI, 18e sess., Supp. n” 17,
Doc. NU A/40/17 (1985).
71Sur l’ensemble de ce dossier, voir W.A.W. Neilson, << Price Adjustments in Long-Term Supply
Contracts: the Saga of the Quintette Coal Arbitration >> (1991) 18 Can. Bus. L.J. 76 ; P.-Y. Gautier,
< 'arbitrage Quintette devant les juges de Colombie-Britannique : la clause de hardship, invitation
Sl'ultra petita >> [1991] Rev. arb. 611.
72Supra, note 64.
73Quintette (S.C.), supra, note 64 h la p. 209.
7 4Quintette (C.A.), supra, note 64 t Ia p. 217.
751bid. a la p. 210.
7 61bid. a lap. 211.
1992]
L’ADAPTATION FORCtE PAR L’ARBITRAGE
Les juges de Colombie-Britannique n’ont pas explicitement 6voqu6 la dis-
tinction entre erreur de droit simple et erreur de comp6tence. Elle est cependant
implicite dans leur raisonnement. Le juge en chef Esson et les juges Gibbs et
Proudfoot, en utilisant le crit~re de la << raisonnabilit6 > de l’interpr6tation, se
situent dans le cadre de l’erreur intrajuridictionnelle. Le juge Hutcheon par con-
tre cherche d’abord h 6tablir cette juridiction. Si celle-ci n’avait pu s’appuyer
que sur la clause 7, celle d’indexation, leur erreur d’interpr6tation, meme raison-
nable, aurait 6t6 une erreur de comp6tence emportant nullit6 de la sentence,
mais la clause 9 leur octroie effectivement comp6tence, mPme si le tribunal
arbitral semble croire qu’il n’a pas besoin de l’utiliser. Cette derni~re erreur de
motivation n’a pas d’effet sur 1’existence de la comp6tence.
La d6marche du juge Hutcheon rejoint alors les principes exprim6s par le
juge Gonthier, maintenant t la Cour supreme du Canada, dans les jugements
prononc6s alors qu’il 6tait A la Cour sup6rieure du Qu6bec7 , ainsi que la distinc-
tion propos6e par la Cour d’appel de Paris78 . Cette voie semble etre la meilleure
pour assurer un v6ritable contr6le judiciaire du respect de leurs pouvoirs par les
arbitres charg6s de proc6der une adaptation forc6e d’un contrat, sans menacer
l’efficacit6 juridique de 1’arbitrage.
Conclusion
L’adaptation forc6e d’un contrat par arbitrage parait donc th6oriquement
possible et pratiquement utile. La jurisprudence l’ent6rine de mani6re de plus en
plus assur6e. Pourtant elle continue A susciter les critiques de certains auteurs
qui craignent manifestement les r6sultats d’une d6marche qui leur parait 6chap-
per trop au contr6le des parties et des tribunaux. Un bon exemple de cette
r6serve est le commentaire de M. Pierre-Yves Gautier sur l’affaire Quintette
dans la Revue de l’arbitrage79 .
Les deux principales critiques de M. Gautier portent sur les deux aspects
d6velopp6s dans ce texte : la comp6tence de l’arbitre pour faire jouer la clause
de hardship et le contr61e des d6cisions arbitrales ultra petita. Leur analyse au
regard de la d6marche propos6e ant6rieurement permettra de conclure de
mani~re pratique et synth6tique.
Les reproches de M. Gautier sur la comp6tence des arbitres portent d’abord
sur la r6daction 6quivoque de la clause d’arbitrage. Le passage any failure of
the parties to reach agreement with respect to matters provided for herein >
comme motif de saisine des arbitres ne lui parait pas suffisant et il aurait pr6f6r6
que cela soit pr6cis6 dans la clause de hardship elle-meme . Cette approche
n’est pourtant pas sans risque dans un contrat complexe comportant plusieurs
clauses de ren6gociation car il aurait fallu introduire cette pr6cision dans toutes
les clauses pouvant donner ouverture h modification forc6e. Par exemple une
r6fdrence dans la clause 8 (hardship) mais pas dans la clause 9 (Inequity
77Supra, note 62.
78Supra, note 51.
79Supra, note 71.
8Ibid. aux pp. 617-18.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 37
Review) aurait introduit une plus grande difficult6 d’interpr6tation de la volont6
des parties. Au contraire, le texte de la clause d’arbitrage indique assez pr~ci-
s6ment la volont6 des parties de soumettre h l’arbitrage tous les litiges r6sultant
d’6checs de n6gociations qu’elles se sont engag6es mener dans le cadre de ce
interprdtation, celle-ci ne parait pas anorma-
contrat. Mme s’il reste mati~re
lement difficile.
Un deuxi~me niveau de critique est que la clause ne pr6cise pas que les
arbitres ont effectivement le pouvoir de proc6der h la modification. Ici, nous
conviendrons imm6diatement que cette pr6cision aurait 6t6 pr6f6rable: elle
cet 6gard. Son absence a-t-elle pour autant
aurait enlev6 toute ambigu’lt6
comme effet ndcessaire de priver les arbitres de cette possibilit6 ? Cela est plus
douteux. Les arbitres ont le devoir d’interpr6ter le contrat, y compris la clause
d’arbitrage, pour dormer effet A la volont6 des parties. Or, il est difficile de voir
comment donner un r6sultat concret au passage << any failure [...] >> sans consi-
d6rer qu’il comporte implicitement ce r6sultat IA ofi le contrat pr6voit une obli-
gation d’adaptation, c’est- -dire aux articles 5, 7, 8 et 9. Cette competence ne
risque pas de devenir < sans limite >>81 puisqu’elle d6pend 6troitement du litige
soumis aux arbitres et des param~tres fix6s par le contrat.
Le respect de ces param~tres est au coeur du second angle de critique de
M. Gautier, le caract~re ultra petita de la sentence. Ici l’argument s’appuie sur
le texte de la demande d’arbitrage qui commengait ainsi : < What Base Price
2.
should be set pursuant to Clauses 7 or 9 of the Agreement, or both, [...]
L'usage du singulier aurait interdit aux arbitres de pr6ciser plus qu'un prix. L'ar-
gument n'emporte pas l'adh6sion, d'autant qu'une r~gle courante d'interprdta-
tion admet qu'en droit le singulier comprend le pluriel 3. Mais la critique fon-
damentale porte beaucoup plus sur le << concert plan6taire >>4 des juges qui
refusent de sanctionner les 6ventuelles erreurs de droit des arbitres. I est vrai
que si des arbitres pouvaient impun6ment modifier le fond de relations contrac-
tuelles contre ou hors de la volont6 des parties, le recours A l’arbitrage pour
l’adaptation des contrats deviendrait une op6ration tellement risqu6e qu’il fan-
drait la d6conseiller fermement. MAme si les jugements de la Colombie-Britan-
nique ne sont pas assez explicites de ce point de vue et mentionnent avec une
insistance inutile le << world-wide trend toward restricting judicial control over
international commercial arbitration awards >>5, il faut cependant noter qu’ils
ne ferment pas la porte A un contr6le de la comp6tence des arbitres plus exigeant
que celui fait en mati~re d’interpr6tation classique.
En fait, tout se tient. Pour que la pratique arbitrale puisse effectivement se
d6velopper en mati~re d’adaptation des contrats, ce que beaucoup de personnes
semblent souhaiter, il faut admettre que le contr6le judiciaire de la comp6tence
des arbitres qui proc~dent A ces adaptations ne se limite pas aux erreurs < d6rai-
"Ibid. 1 la p. 620.
82Quintette (S.C.), supra, note 64 1 la p. 208 ; Quintette (C.A.), supra, note 64 t la p. 210.
"3Par exemple, voir les lois d'interpr~tation f~drale et qu~b~coise, Loi d'interprdtation, S.R.C.
1985, c. 1-21, art. 33(2); Loi d'intepritation, L.R.Q. c. 1-16, art. 54.
84Gautier, supra, note 71 a ]a p. 623.
85Quintette (S.C.), supra, note 64 a ]a p. 204 et Quintette (C.A.), supra, note 64 h la p. 215.
1992]
L'ADAPTATION FORCtE PAR L'ARBITRAGE
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sonnables >> mais sanctionne toute d6cision ultra petita, m~me raisonnable et de
trancher que les arbitres
bonne foi. C’est
doivent interpreter les obligations d’adaptation convenues par les parties et que
celles-ci n’ont pas 6t6 capables de mettre en oeuvre elles-m~mes.
l’int~rieur des limites du litige