Article Volume 57:1

L’arbitrage notarié, instrument idoine de conciliation des traditions juridiques après la conquête britannique ? (1760-1784)

Table of Contents

McGill Law Journal ~ Revue de droit de McGill

LARBITRAGE NOTARI, INSTRUMENT IDOINE DE

CONCILIATION DES TRADITIONS JURIDIQUES APRS LA

CONQUTE BRITANNIQUE ? (1760-1784)

David Gilles*

Le dbat historique et juridique sur le droit ap-
plicable au moment de la Conqute a fait couler beau-
coup dencre depuis les travaux des annes 1970.
Lobjectif de cette publication est dapprhender la part
prise par les notaires et la pratique arbitrale dans la
confrontation suppose entre le systme juridique
de common law et la tradition juridique civiliste en
matire de droit priv. Alors que certains historiens
voquent une rsistance passive durant les annes
1760-1774 de la part des populations face au droit an-
glais qui leur serait impos, il semble, au regard des
rsultats de cette recherche, quil existe plutt une
collaboration active entre les praticiens du droit de
tradition juridique franaise dune part, et les juridic-
tions et administrateurs britanniques dautre part. Si
les tenants de la rsistance passive sont davis que
les notaires permirent en partie la survivance du
droit franais, il semble que cette prservation des
normes franaises, constate de manire marquante
ici, exprime une relation confluente entre systme ju-
ridictionnel et pratique conventionnelle du droit, entre
tradition judiciaire britannique et normes de droit pri-
v franaises. La pratique arbitrale, outil de cette con-
ciliation, sest impose naturellement aux protago-
nistes de cette priode, essentiellement en raison de la
proximit des mcanismes et des modes dexcution de
cette pratique en common law et en droit franais.
Pont entre les deux systmes, elle permet de trancher
en amont et en aval de lActe de Qubec le nud gor-
dien de la confrontation des traditions juridiques.

Questions surrounding Quebec law at the time
of the British Conquest resulted in lively historical and
legal debates since the 1970s. The purpose of this
study is to assess the role of notaries and arbitration
in the supposed clash between a common law justice
system and a civilian private law tradition. While
some historians have put forward a passive re-
sistance thesis on the part of populations affected by
the imposition of British law between 1760 and 1774,
the results of this study show that there is, in fact, ev-
idence of active collaboration between French legal
practitioners on the one hand and British officials on
the other hand. If the proponents of the passive re-
sistance theory posit that the notaries contributed in
part to the survival of French law, it seems that the
preservation of French legal norms, clearly visible
here, is the expression of a convergent relationship be-
tween jurisdictional system and customary practice of
law, between British judicial tradition and French pri-
vate law norms. The protagonists of this period were
naturally drawn to arbitral practice, a tool for this con-
ciliation, essentially because of the similarities be-
tween the mechanisms and methods of execution in
the common law and French law. As a bridge between
these two systems, one could say that both before and
after the Quebec Act, arbitration was the stroke that
cut through the Gordian knot of clashing legal tradi-
tions.

* David Gilles est professeur la Facult de droit de lUniversit de Sherbrooke. Lauteur
tient remercier Michel Morin pour ses conseils et sa contribution une version ant-
rieure de ce texte, notamment pour son aide ltablissement des graphiques, ainsi que
ses valuateurs anonymes, dont certaines remarques se sont avres fort prcieuses et
pertinentes. Lauteur tient galement remercier Me Mira Levasseur-Moreau pour sa
charmante collaboration une recherche qui a contribu cette publication, ainsi que
lquipe de rdaction de la Revue de droit de McGill pour la qualit de son dition. Cet
article fait tat de certains rsultats de recherches plus vastes qui feront lobjet dun ou-
vrage : Arnaud Decroix, David Gilles et Michel Morin, Les tribunaux et larbitrage en
Nouvelle-France et au Qubec, Montral, Thmis, 2011.
David Gilles 2011

Citation: (2011) 57:1 McGill LJ 135 ~ Rfrence : (2011) 57 : 1 RD McGill 135

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Introduction

I.

Les diffrentes expressions de la lex arbitraria :
Un pont entre les cultures juridiques
A. La tradition juridique arbitrale franaise
B. La tradition juridique arbitrale anglo-saxonne

II. Permanence des sources de droit et des acteurs

aprs la Conqute

III. La juridictionnalisation de larbitrage : La conciliation
des systmes et des droits dans la province de Qubec
A. Le notariat, amicus curiae des juridictions britanniques
B. Larbitrage, une pratique ancre dans la socit locale

Conclusion

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LARBITRAGE NOTARI, INSTRUMENT IDOINE DE CONCILIATION 137

Introduction
Aprs la fin des combats en Amrique du Nord et la capitulation de
Montral en 1760, le changement de puissance coloniale occasionne im-
mdiatement des rpercussions sociales, conomiques et militaires dans
la vie quotidienne de la majorit des Canadiens. Le rgime militaire mis
en place, qui prendra fin avec la Guerre de Sept ans en 1763, laisse toute-
fois les questions juridiques en suspens. Craignant pour leur avenir, les
administrateurs franais conseillers au Conseil suprieur, juges, hauts
fonctionnaires de ladministration coloniale repartent pour une bonne
part en France, o ils sont contraints de rendre des comptes sur leur ges-
tion1. Le notariat constitue lune des seules institutions qui traversent
cette priode transitoire sans quasiment aucune altration2. Il devient,
ds lors, un point dancrage pour les populations, mais aussi pour les ins-
titutions nouvelles qui peroivent, ds le rgime militaire, lavantage
quelles peuvent retirer en sappuyant sur ces hommes de loi. Cest
dailleurs durant le rgime militaire, soit de 1760 1764, que les notaires
qubcois sont reconnus pour la premire fois comme un corps profession-
nel, uniquement dans le district de Trois-Rivires toutefois3. Ailleurs,
dans la province en formation, ils obtiennent des commissions particu-
lires ou continuent exercer leurs fonctions sans commissions officielles.

1 Quant llite coloniale, elle a le choix entre rester ou partir, ce qui provoque interroga-
tions et dchirements au sein des familles. Pour ceux qui reviennent en mtropole,
linsertion sociale est difficile. Les nobles qui restent, en grande partie des officiers mili-
taires, sont durement touchs par la disparition de larme coloniale et la perte de nom-
breux privilges lis leur statut. Les marchands, quant eux, sont affects par
linstallation de ngociants anglais venus de la mtropole ou des colonies anglaises. Ils
restent toutefois pour la plupart dans la colonie. Le clerg et les membres des ordres re-
ligieux doivent dornavant trouver sur place leurs moyens de subsistance et dfinir
leurs rapports avec ltat protestant. Voir Jos E Igartua, The Merchants of Montreal
at the Conquest: Socio-Economic Profile (1975) 8 : 16 Histoire sociale 275 ; Donald
Fyson, Domination et adaptation : Les lites europennes au Qubec, 1760-1841
dans Claire Laux, Franois-Joseph Ruggiu et Pierre Singaravlou, dir, Au Sommet de
lEmpire : Les lites europennes dans les colonies (XVIe-XXe sicle), Bruxelles, Peter
Lang, 2009, 167.

2 Si Andr Vachon, dans son Histoire du notariat canadien, soulignait que lActe de Qu-
bec mettait fin une crise de plus de dix ans pour le notariat, il convient de nuancer
largement ce terme. Dune part, les charges de notaire furent conserves par le pouvoir
britannique dans leur trs large majorit et dautre part, les normes franaises ont sub-
sist sans interruption au sein des greffes de notaires : Andr Vachon, Histoire du nota-
riat canadien, 1621-1960, Qubec, Presses de lUniversit Laval, 1962 la p 62 [Va-
chon, Histoire]. Voir aussi David Gilles, Le notaire, arbitre naturel des diffrends ?
Une longue tradition qubcoise (2011) 1 : 2 Revue darbitrage et de mdiation 105
[Gilles, Arbitre ].

3 Seaman Morley Scott, Chapters in the History of the Law of Quebec, 1764-1775, Ann

Arbor, University of Michigan, 1933 la p 283.

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partir de 1765, le cumul de charges le plus rpandu est celui de notaire
et davocat, cette dernire profession tant introduite par le rgime civil
britannique, aprs une quasi-interdiction sous le rgime franais4. Dans
les deux centres urbains que sont Qubec et Montral5, presque tous les
notaires plaident. Ils reprennent en cela lhritage du rgime franais, o
les notaires faisaient figure de reprsentants des parties, comme prati-
ciens, grce aux procurations quils recevaient6.

Sur les questions dhritage ou de conflits juridiques entre les deux
grandes communauts, lhistoriographie, divise il y a cinquante ans alors
que sopposaient les coles dites de Montral et de Qubec7, tend dsormais
rapprocher pour partie les points de vue et les sensibilits. Ainsi, Donald
Fyson a dmontr brillamment que les francophones ont eu recours aux
institutions britanniques provinciales et locales (notamment les jurys
daccusation et de jugement) dans un esprit de concorde, plutt que dans
une perspective conflictuelle8.
Andr Morel, lun des pionniers de lhistoire du droit au Qubec, a pu-
bli en 1960 un article qui fera date sur [l]a raction des Canadiens de-
vant ladministration de la justice de 1764 1774 , linterprtant comme
[u]ne forme de rsistance passive 9. Prolongeant les travaux de Michel
Brunet10, il souligne le dcalage invitable entre norme et pratique11. Il

4 Christine Veilleux, Aux origines du barreau qubcois, 1779-1849, Qubec, Septentrion,

1997 aux pp 16-25.

5 Cette tude porte essentiellement sur les notaires urbains, ceux-ci tant les plus actifs
du point de vue arbitral et ayant jou un rle cl auprs des juridictions britanniques.
propos des notaires ruraux, voir Louis Lavalle, La vie et la pratique dun notaire ru-
ral sous le rgime franais : Le cas de Guillaume Barette, notaire La Prairie entre
1709-1744 (1994) 47 : 4 Revue dhistoire de lAmrique franaise 499 ; Michel Gu-
nette, Les notaires de Laprairie, 1760-1850 : tude socio-conomique, mmoire de mai-
trise en histoire, Universit de Montral, 1992 ; Michel Gunette, Un portrait de
lactivit notariale Laprairie de 1760 1850 (Premire partie) (1993) 95 : 5-6 R du N
314 ; Michel Gunette, Un portrait de lactivit notariale Laprairie de 1760 1850
(Deuxime partie) (1993) 95 : 7-8 R du N 434.

6 Voir Paul-Olivier Lalonde, Les avocats, race interdite en Nouvelle-France , Magazine

Justice [du Ministre de la Justice du Qubec] 4 : 5 (septembre 1982) 5.

7 Charles-Philippe Courtois, dir, La Conqute : Une anthologie, Montral, Typo, 2009.
8 Donald Fyson, The Canadiens and British Institutions of Local Governance in Quebec
from the Conquest to the Rebellions dans Nancy Christie, dir, Transatlantic Sub-
jects: Ideas, Institutions, and Identities in Post-Revolutionary British North America,
Montral, McGill-Queens University Press, 2008, 45 [Fyson, Governance ].

9 Andr Morel, La raction des Canadiens devant ladministration de la justice : Une

forme de rsistance passive (1960) 20 : 2 R du B 53 [Morel, Raction ].

10 Michel Brunet, Les Canadiens aprs la conqute : les dbuts de la rsistance passive

(1958) 12 : 2 Revue dhistoire de lAmrique franaise 170 [Brunet, Rsistance ].

11 Morel, Raction , supra note 9 la p 53.

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remarque que si la Proclamation royale de 1763 semble imposer
lapplication du droit anglais, les tmoignages des contemporains sem-
blent attester dune persistance du recours, par les praticiens et les nou-
veaux sujets, aux rgles du droit priv franais12. Toutefois, Morel cons-
tate quil existe des tmoignages leffet que les tribunaux taient te-
nus, de faon presque systmatique, lcart des contestations 13, no-
tamment par le recours larbitrage, essentiellement sous lgide des
prtres et des notaires14. Les tmoignages des administrateurs et le trs
faible nombre daffaires de famille soumises lattention des juges de la
Cour des plaidoyers communs du district de Montral lui permettent de
conclure un boycottage des institutions judiciaires britanniques15. Selon
Andr Morel, il sagit l dune forme de rsistance passive qui, sans tre
concerte, se traduit par un recours rgulier larbitrage 16. Contredi-
sant cette analyse, Jean-Philippe Garneau voit dans les travaux dAndr
Morel lexpression dune vision trop positiviste des choses17. Il regrette que
Morel ne se soit pas davantage attach aux rapports entre praticiens et
familles, estimant trop rductrice la dialectique norme et pratique18 et d-
plorant labsence dtude des fonds notaris. Dans les travaux qui font
suite cet article, Jean-Philippe Garneau met en exergue larbitrage ou le

12 LOrdonnance tablissant des cours civiles de 1764 prvoit que, lorsque le montant en li-
tige excde dix livres, le demandeur peut sadresser soit la Cour du Banc du Roi, qui
doit appliquer les lois dAngleterre , soit la Cour des plaidoyers communs, qui doit
se fonder sur lquit en tenant compte cependant des lois dAngleterre : JA Murray,
Ordonnance tablissant des cours civiles, 17 septembre 1764, reproduit dans Adam
Shortt et Arthur G Doughty, dir, Archives Publiques du Canada, Documents relatifs
lhistoire constitutionnelle du Canada, 1759-1791, 2e d, Ottawa, Imprimeur de sa trs
excellente majest le Roi, 1921, 180 aux pp 181-182 [Cours civiles].

13 Morel, Raction , supra note 9 la p 57. Il trouve des traces de la dsaffection des tri-

bunaux dans les archives de la Cour des plaidoyers communs du district de Montral.

14 Le gouverneur Carleton et le procureur gnral Masres ont tmoign lpoque de
lattachement des francophones la partie du droit priv relative aux affaires de fa-
mille . Ainsi, sadressant au Roi en 1764, les auteurs rclament cinq reprises que les
affaires de famille soient entendues selon le droit franais (ibid aux pp 61-62). Pour une
analyse dtaille de cette action et des dbats historiographiques qui lui ont fait suite,
voir lanalyse de Michel Morin, Introduction dans Arnaud Decroix, David Gilles et
Michel Morin, Les tribunaux et larbitrage en Nouvelle-France et au Qubec, Montral,
Thmis, 2011, 1.

15 [Mme sil] ne fut peut-tre pas aussi gnralis que certaines affirmations de Carle-
ton et de Hey pourraient nous le laisser entendre (Morel, Raction , supra note 9
la p 62, tel que cit par Decroix, Gilles et Morin, supra note 14 la p 315).

16 Morel, Raction , supra note 9 la p 63.
17 Jean-Philippe Garneau, Droit et affaires de famille sur la Cte-de-Beaupr : histoire
dune rencontre en amont et en aval de la Conqute britannique (2000) 34 : 2 RJT 515
[Garneau, Conqute ].

18 Ibid aux pp 524-525.

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rglement des diffrends devant notaires19 soulignant, en nuanant sa cri-
tique, que :

le professeur Morel ne disposait pas alors de certaines facilits de re-
cherche (comme les banques de donnes notariale ou judiciaire) ou
dun accs ais et complet aux sources judiciaires de cette priode.
Dailleurs, notre critique va bien plus labsence de travaux en his-
toire du droit qui fait que des hypothses vieilles de plus de quarante
ans prvalent encore en histoire du droit […]20.

Ainsi, limplication des notaires qubcois dans les modes alternatifs
de rsolution des diffrends nest pas ignore21, mme si elle est discute.
Si plusieurs publications dimportance, notamment les travaux dAndr
Vachon ou ceux de Julien S. MacKay22, ont permis de mieux connatre la
profession des notaires qubcois dans une perspective historique, leur
rle de mdiateur ou darbitre est souvent oubli par les juristes23, tant en

19 Jean-Philippe Garneau, Droit, famille et pratique successorale : Les usages du droit
dune communaut rurale au XVIIIe sicle canadien, thse de doctorat en histoire, Uni-
versit du Qubec Montral, 2003 la p 66 [Garneau, Usages].

20 Ibid la p 66, n 142, tel que cit par Decroix, Gilles et Morin, supra note 14 la p 7.
21 Pour une priode postrieure, voir John EC Brierley, Arbitrage et ide de droit dans la
pense juridique rvolutionnaire et dans le systme juridique du Qubec dans Sylvain
Simard, dir, La Rvolution franaise au Canada franais, Ottawa, Presses de
lUniversit dOttawa, 1991, 365.

22 Julien S MacKay, La profession de notaire au Qubec (2003) 8 : 3 Histoire Qubec

11.

23 lexception notamment des travaux de Jean-Philippe Garneau (Garneau, Con-
qute , supra note 17) et de Donald Fyson, Judicial Auxiliaries Across Legal Re-
gimes: From New France to Lower Canada dans Claire Dolan, dir, Entre justice et jus-
ticiables : Les auxiliaires de la justice du Moyen ge au XXe sicle, Sainte-Foy, Presses
de lUniversit Laval, 2005, 383 aux pp 383-84 [Fyson, Auxiliaries ]. propos du con-
texte postrieur la Conqute, voir Donald Fyson, Les dynamiques politiques locales
et la justice au Qubec entre la Conqute et les Rbellions (2007) 16 : 1 Bulletin
dhistoire politique 337 ; Fyson, Governance , supra note 8 ; Hlne Lafortune et
Normand Robert, Le notaire et la vie quotidienne des origines 1870, Qubec, Ministre
des Affaires Culturelles, 1986 ; Christine Veilleux, Les gens de justice Qubec, 1760-
1867, thse de doctorat en histoire, Universit Laval, 1990. Pour un aperu de lactivit
professionnelle des notaires en Nouvelle-France, voir EC Common, The Role of the
Notary in the Province of Quebec (1958) 36 : 3 R du B can 333 ; Archiviste de la pro-
vince de Qubec, Les notaires au Canada sous le rgime franais dans Bureau du se-
crtaire de la province de Qubec, Rapport de larchiviste de la province de Qubec,
Qubec, Imprimeur de sa majest le Roi, 1921-1922, 1 ; Andr Vachon, Inventaire cri-
tique des notaires royaux des gouvernements de Qubec, Montral et Trois-Rivires
(1663-1764) (1955) 9 : 3 Revue dhistoire de lAmrique franaise 423 ; Andr Vachon,
Inventaire critique des notaires royaux des gouvernements de Qubec, Montral et
Trois-Rivires (1663-1764) (suite) (1956) 10 : 1 Revue dhistoire de lAmrique fran-
aise 93 ; Vachon, Histoire, supra note 2 ; Jean-Paul Poisson, Prsentation du notariat
franco-canadien (1983) 34 Le Gnomon : revue internationale dhistoire du notariat 5,
reproduit dans Jean-Paul Poisson, Notaires et socit : Travaux dhistoire et de sociologie
notariales, t 2, Paris, Economica, 1990, 489 ; Dominique Boily, Les contrats de ma-

LARBITRAGE NOTARI, INSTRUMENT IDOINE DE CONCILIATION 141

France24 quau Qubec25. Ce fait nous incite aborder larbitrage travers
les greffes des notaires, outil prcieux permettant de connatre en dtail
lactivit des professionnels de lpoque26.

riage : tude de la pratique notariale sur lle de Montral de 1700 1740, mmoire de
maitrise en histoire, Universit de Montral, 1999 ; Michel Duquet, Linfrajudiciaire et
les notaires de Qubec, 1650-1784, thse de doctorat en histoire, Universit dOttawa,
2008.

24 Pour un aperu de la pratique arbitrale dans lancienne mtropole, voir Alfred Soman,
Linfra-justice Paris daprs les archives notariales (1982) 1 : 3 Histoire, conomie
et socit 369 ; Jeremy Hayhoe, Larbitre, intermdiaire de justice en Bourgogne vers
la fin du XVIIIe sicle dans Dolan, supra note 23, 617 la p 621 ; Jrme Ferrand,
Sur les diffrends pendants par devant la cour de parlement … Approche hermneu-
tique de larbitrage moderne partir des sources dauphinoises (2007) 85 : 1 Rev hist
dr fr & tran 23 [Ferrand, Hermneutique ] .

25 Il est difficile de rendre compte de la pratique arbitrale dans son ensemble avant la
Conqute. Celle-ci, comme nous lavons montr dans une recherche paratre prochai-
nement, se partage entre les juridictions seigneuriales subsistantes ; lactivit de
lintendant en tant que juridiction et amiable compositeur, mais galement celle des ju-
ridictions pouvant renvoyer larbitrage occasionnellement et, in fine, larbitrage volon-
taire sans acte notari laissant peu ou pas de trace. Voir Decroix, Gilles et Morin, supra
note 14. Malgr un certain oubli de cet hritage qubcois, le Qubec a connu un fort
engouement pour les moyens de prvention et de rglement des diffrends (PRD ou
ADR en anglais) dans les dernires annes. Sur la logique sociale et la singularit de ce
processus dans le dbat judiciaire qubcois, voir Louise Lalonde, Valeurs de la justice
ngocie et processus de mdiation dans Vincente Fortier, dir, Le juge, gardien des va-
leurs ?, Paris, Centre national de la recherche scientifique, 2007, 184 ; Louise Lalonde,
La mdiation judiciaire : nouveau rle pour les juges et nouvelle offre de justice pour
les citoyens, quelles conditions ? dans Andr Riendeau, dir, Dire le droit : pour qui et
quel prix ?, Montral, Wilson & Lafleur, 2005, 23 ; Louise Lalonde, Les modes de
PRD : vers une nouvelle conception de la justice ? (2003) 1 : 2 Revue de prvention et
de rglement des diffrends 17 ; Jean-Franois Roberge, La confrence de rglement
lamiable : les enjeux du raisonnement judiciaire et du raisonnement de rsolution de
problme (2005) 3 : 1 Revue de prvention et de rglement des diffrends 25 ; Jean-
Franois Roberge, Comment expliquer la diversit de la mdiation judiciaire au Ca-
nada ? (2007) 5 : 3 Revue de prvention et de rglement des diffrends 1 ; Jean-
Franois Roberge, La mdiation judiciaire innovante peut-elle amliorer le systme
judiciaire canadien ? Synthse et analyse des rponses de la communaut juridique ca-
nadienne dans Vincente Fortier, dir, Le droit lpreuve des changements de para-
digmes : Rencontres juridiques Montpellier-Sherbrooke, Montpellier, Presses de la Fa-
cult de droit de Montpellier, 2008, 165 ; Jean Poitras, Quest-ce qui fait que les gens
collaborent durant une mdiation ? (2006) 4 : 1 Revue de prvention et de rglement
des diffrends 1.

26 Il faut toutefois souligner que le recours au terme arbitrage pour cette priode ne cor-
respond pas aux canons de la terminologie moderne, les distinctions entre mdiation,
arbitrage, conciliation et expertise tant largement caduques pour ce contexte. Pour une
tude sur la pratique de larbitrage conventionnel dans le contexte qubcois, et
lutilisation des diffrents termes, voir Louis Marquis, Linfluence du modle juridique
franais sur le droit qubcois de larbitrage conventionnel (1993) 45 : 3 RIDC 577
[Marquis, Influence ]. On trouve dans les actes notaris les formules sentence arbi-
trale , compromis arbitral , arbitrage , convention , arbitration ; seules les

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La base de donnes Parchemin, qui recense lensemble des fonds nota-
ris de lpoque de la Nouvelle-France jusquen 1784, recense 380 docu-
ments renvoyant des actes darbitrages (procs-verbaux darbitrage, sen-
tences arbitrales, acte arbitral)27 sur la priode de 1626 1784. Ce faible
nombre sexplique en raison du fait que peu darbitrages revtent un carac-
tre officiel et juridiquement constat. Ce nest donc, bien videmment,
quune facette de ce phnomne qui peut tre apprhende par le biais des
tudes de notaire28, la part des arbitrages oraux ou faits par dautres no-
tables reste difficile caractriser29.

trois premires formules ont permis de constituer ce corpus. Voir John A Dickinson,
Les actes notaris et la recherche historique (1989) 69 Le Gnomon : revue interna-
tionale dhistoire du notariat 8 [Dickinson, Actes ].

27 Malheureusement, il faut tre conscient que ces termes ne sont pas les seuls pouvoir
rendre compte de la pratique arbitrale ou de lamiable composition. Toutefois, deux
choix souvraient nous. Le premier tait de se baser sur les inventaires publis des no-
taires, et de procder alors par sondage, aucune tude exhaustive ne pouvant tre me-
ne. Le deuxime tait de se servir des outils modernes, tels que la base de donnes
Parchemin, afin dobtenir un spectre plus large, constant sur la priode de la Conqute,
mais galement tributaire des dfauts de cet outil. En effet, travers cette base, il nest
pas possible de distinguer entre les transactions qui visent un transfert de biens, par
exemple, et les transactions qui expriment le fait de transiger, cest–dire un accommo-
dement entre deux parties. Les personnes qui ont constitu cette base nont pas pouss
la distinction juridique des actes, visiblement davantage intresses par les questions
de gnalogie et de sociologie. Ainsi, ne pouvant faire la part des choses entre actes
transitoires et transactions arbitrales, et pour les mmes raisons entre un accord sur
une convention et un accord mettant un terme un diffrend, nous avons t contraints
dcarter les termes transactions et accords en tant conscients qualors une par-
tie de la pratique arbitrale notarie nous chappe. Afin dy pallier, nous nous sommes
servis, pour des priodes antrieures, dinventaires publis, comme celui du notaire
Maugue, et pour notre priode, de certains sondages dans les fonds des notaires ayant
le plus instrument, sans passer alors par linterface de la base de donnes.

28 Les 240 actes darbitrage rdigs et enregistrs dans les fonds notaris de 1740 1784
tmoignent immdiatement dun dsquilibre dans la rpartition des actes darbitrage,
ce qui laisse penser une transformation de la pratique. Ainsi, pour la priode fran-
aise, de 1740 1760, seuls 31 actes notaris concernant un arbitrage sont saisis par les
notaires de la Nouvelle-France dans la mme base de donnes : Gilles, Arbitre , supra
note 2.

29 Cette pratique est, pour certains, un mode de traitement extra-judiciaire des conflits
qui se traduit souvent par des rglements oraux dont la plupart chappent
lhistorien (Pascal Bastien et al, Introduction dans Benot Garnot, dir, Normes juri-
diques et pratiques judiciaires du Moyen ge lpoque contemporaine, Dijon, ditions
universitaires de Dijon, 2007, 5 la p 6). Dautres auteurs privilgient la notion de
distorsions entre les normes juridiques et les pratiques judiciaires (ibid la p 444).
Les notions de parajustice et dinfrajustice sont discutes actuellement par les histo-
riens. Voir Benot Garnot, Les victimes pendant lAncien Rgime (XVIe-XVIIe-XVIIIe
sicles) dans Association franaise pour lhistoire de la justice, La cour dassises : Bilan
dun hritage dmocratique, Paris, La Documentation franaise, 2001, 241 ; Benot
Garnot, Entre communaut et institution judiciaire : le pouvoir de juger dans la Bour-
gogne rurale au XVIIIe sicle dans Jean-Marie Fecteau et Janice Harvey, dir, La rgu-

LARBITRAGE NOTARI, INSTRUMENT IDOINE DE CONCILIATION 143

Le nombre de notaires en 1775 est en lgre augmentation par rapport
au rgime franais30. Au sein de ce groupe social, malgr un ensemble trs
divers, des caractristiques communes saffirment nanmoins : ils sont
soit ns et forms en France, soit ns en France plus rarement en Nou-
velle-France puis forms au sein de la pratique coloniale. Si un examen
par les pairs semble avoir t exig, aucun vritable diplme nest requis.
Cest donc la pratique qui garantit la qualit du praticien31, celle-ci com-
pltant bien souvent quelques lettres classiques32. Il en dcoule une cer-
taine disparit dans la connaissance des lois et coutumes, et la culture ju-
ridique dun notaire peut aller du simple bon sens jusqu une vritable
scientia juris pour de rares lus urbains33. La pratique en rgion fait alors
figure de galop dessai pour les notaires peu au fait des us et coutumes ju-
ridiques. Le notaire occupe une place centrale dans la vie juridique de la

lation sociale entre lacteur et linstitution, Sainte-Foy, Presses de lUniversit du Qu-
bec, 2005, 50 [Garnot, Bourgogne ] ; F Chauvaud, Dbats dans Benot Garnot, dir,
Linfrajudiciaire du Moyen Age lpoque contemporaine, Dijon, ditions universitaires
de Dijon, 1996, 189 la p 194 [Garnot, Infrajudiciaire].

30 Voir Joseph-Edmond Roy, Histoire du notariat au Canada, vol 2, Lvis, imprim la
Revue du notariat, 1900 aux pp 54 et s [Roy, Notariat]. Andr Vachon parle dune stag-
nation aux alentours dune quarantaine de notaires : Vachon, Histoire, supra note 2 la
p 68.

31 Ce qui semble justifier la distinction entre notaires ruraux et notaires urbains, ces der-
niers tant plus qualifis que les premiers, si lon en croit une lettre de Panet Jenkyns
Williams qui relve que les moluments des premiers sont infrieurs dun tiers ceux
des notaires urbains. Cette lettre est cite par Scott, supra note 3 la p 285.

32 Si ces notaires, lors de leur formation, eurent peu toucher aux lettres classiques, cer-
tains dentre eux laissrent la postrit des journaux, des ouvrages, comme Jean-
Claude Panet et Simon Sanguinet et leur relation de la Conqute : Jean-Claude Panet,
Sige de Qubec en 1759 dans Socit Littraire et Historique de Qubec, Manus-
cripts Relating to the Early History of Canada, 4e srie, Qubec, Dawson, 1875, 3 ; Ri-
chard Ouellet et Jean-Pierre Therrien, dir, Linvasion du Canada par les Baston-
nois : Journal de M Sanguinet (suivi du Sige de Qubec), Qubec, Ministre des Af-
faires culturelles, 1975. Louis de Courville, quant lui, laissa un pamphlet critique sur
les derniers temps du rgime franais (Aegidius Fauteux, Le S… de C… enfin dmas-
qu (1940) 5 Cahiers des Dix 231), alors que Jean-Baptiste Lebrun fit un usage assidu
de la presse, notamment afin dalimenter ses querelles avec Jean-Claude Panet (Roy,
Notariat, supra note 30 aux pp 21-24).

33 Tel que le montre le certificat dacceptation du notaire Roy en 1765, devant ses pairs :

Nous avons t davis unanime, que quoique le dit Sieur Roy ne soit point po-
sitivement expert dans les Loix et Coutume, suivies en cette Colonie, il a
beaucoup de bon sens Et a assez bien rpondu aux diffrentes questions que
nous luy avons faites sur les Contrats usits en cette Colonie, et quil peut
tre reu Notaire dans les campagnes o il ny en a point dtabli pur la faci-
lit des habitants en lui fixant un district, sauf luy augmenter lorsquil au-
ra travaill pendant quelques annes avec approbation (Certificat daccepta-
tion du notaire Roy, 29 mars 1765, Correspondance interne, Province de
Qubec, Commission des notaires, tel que cit dans Scott, supra note 3 aux
pp 285-286).

144 (2011) 57:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

Nouvelle-France, puis de la province de Qubec, comme praticien la fois
install et reconnu par le pouvoir. Il est galement lun des rares notables
capables de reprsenter les communauts dhabitants, au ct des capi-
taines de milice34 et des prtres, notamment dans le monde rural.

La connaissance du droit appliqu au moment de la Conqute, si elle a
connu des avances notamment en droit criminel35 est encore mar-
que par une certaine controverse36. On a longtemps considr surtout
parmi les juristes que, suite la Proclamation royale, lordonnance du
17 septembre 1764 avait introduit dun seul mouvement le droit priv,
public et criminel anglais37. Pour certains auteurs, cette priode est mar-

34 Voir Marcel Trudel, Histoire de la Nouvelle-France : Le rgime militaire et la disparition

de la Nouvelle-France, 1759-1774, vol 10, Montral, Fides, 1999 aux pp 90-113.

35 Sur lapplication de ce droit criminel, voir Andr Morel, La rception du droit criminel
anglais au Qubec (1760-1892) (1978) 13 : 2-3 RJT 449 ; Douglas Hay, The Meanings
of the Criminal Law in Quebec, 1764-1774 dans Louis A Knafla, dir, Crime and Cri-
minal Justice in Europe and Canada, Waterloo (Ont), Wilfrid Laurier University Press,
1981, 77 ; Jean-Marie Fecteau, Un nouvel ordre des choses : la pauvret, le crime, ltat
au Qubec, de la fin du XVIIIe sicle 1840, Outremont (Qc), VLB diteur, 1989 aux pp
88-97 ; Michel Morin, Portalis c. Bentham ? Les objectifs assigns la codification du
droit civil et du droit pnal en France, en Angleterre et au Canada dans La lgislation
en question : Mmoires du concours Perspectives juridiques 1999, Ottawa, Commission
du droit du Canada, 2000, 139 aux pp 170-171 ; Donald Fyson, Magistrates, Police, and
People: Everyday Criminal Justice in Quebec and Lower Canada, 1764-1837, Toronto,
University of Toronto Press, 2006 aux pp 15-52 [Fyson, Magistrates]. Cette recherche
brillante et exhaustive dmontre une grande continuit historique dans la pratique en
matire criminelle, malgr les changements normatifs. propos de lapplication de la
norme criminelle dans le contexte colonial britannique, voir GD Woods, A History of
Criminal Law in New South Wales: The Colonial Period, 1788-1900, Sydney, Fede-
ration Press, 2002 aux pp 298-299.

36 Voir notamment les travaux dHilda M Neatby, The Administration of Justice under the
Quebec Act, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1937 ; Hilda Neatby, Que-
bec: The Revolutionary Age, 1760-1791, Toronto, McClelland and Stewart, 1966 [Neat-
by, Revolutionary] ; Hilda Neatby, The Quebec Act: Protest and Policy, Scarborough
(Ont), Prentice-Hall of Canada, 1972. Plus rcemment, voir Evelyn Kolish, Nationa-
lismes et conflits de droits : le dbat du droit priv au Qubec, 1760-1840, Ville LaSalle,
Hurtubise, 1994 ; Michel Morin, Les changements de rgimes juridiques conscutifs
la Conqute de 1760 (1997) 57 : 3 R du B 689 ; Garneau, Usages, supra note 19 aux pp
60-71 ; Garneau, Conqute , supra note 17.

37 Voir William Stewart Wallace, The Beginnings of British Rule in Canada (1925) 6 : 3
Canadian Historical Review 208 ; Jean-Gabriel Castel, The Civil Law System of the
Province of Quebec : Notes, Cases, and Materials, Toronto, Butterworths, 1962 la p 21 ;
Michel Brunet, Les Canadiens aprs la Conqute, 1759-1775 : De la Rvolution cana-
dienne la Rvolution amricaine, Montral, Fides, 1969 la p 99 ; Morel, Raction ,
supra note 9. Sur la distinction entre droit priv et droit public cette poque, voir
Georges Chevrier, Remarques sur lintroduction et les vicissitudes de la distinction du
jus privatum et du jus publicum dans les uvres des anciens juristes franais
(1952) 1 Archives de philosophie du droit 5 ; David Gilles, Jean Domat et les fonde-

LARBITRAGE NOTARI, INSTRUMENT IDOINE DE CONCILIATION 145

que par une application force du droit priv britannique, comme sem-
blent le montrer certaines ptitions et tmoignages dpoque38. Un autre
courant historique relevait au contraire le maintien des rgles du droit ci-
vil franais dans la pratique39. Rcemment, les travaux de Donald Fyson
et Jean-Philippe Garneau, notamment, ont conclu la mise en place dun
systme hybride40, mme si la perception positiviste, au regard des textes
officiels essentiellement, supporte davantage lhypothse dun passage au
droit priv britannique durant la priode 1764-177441.
Dans la perspective historico-juridique, larbitrage, dont Andr Morel
avait relev lutilisation, permet de rgler des diffrends hors du cadre ju-
diciaire, sur une autre base juridique, en faisant notamment appel aux
notaires. Le recours larbitrage notari constitue alors une pratique ju-
ridique permettant semble-t-il la mise en place du nouveau systme juri-
dique. Concrtement, ladministration anglaise garde sa confiance dans la
profession notariale et comprendra rapidement que ces juristes peuvent
servir de point dancrage une nouvelle tradition juridique en formation,
plus efficacement que des juristes forms exclusivement la common law.
Les juridictions britanniques et les administrateurs nhsitent alors pas
faire participer ces derniers des activits judiciaires ou parajudiciaires,
telles que les convocations dassembles de parents ou ltablissement de
terrier, afin daffermir la proprit foncire. Ces notaires obtiennent gn-
ralement tous une nouvelle commission au moment de la Conqute42. Par

ments du droit public (2006) 25-26 Revue dhistoire des facults de droit et de la
science juridique 95.

38 Voir David Gilles, Les acteurs de la norme coloniale face au droit mtropolitain : de
ladaptation lappropriation (Canada XVIIe-XVIIIe s) , en ligne : (2011) 4 Clio@Thmis
.

39 William Smith, The Struggle over the Laws of Canada, 1763-1783 (1920) 1 Canadian
Historical Review 166 la p 171 ; Neatby, Revolutionary, supra note 36 aux pp 49, 53 ;
Michel Brunet, Premires ractions des vaincus de 1760 devant les vainqueurs
(1953) 6 : 4 Revue dhistoire de lAmrique franaise 506 ; Brunet, Rsistance , supra
note 10 ; Andr Morel, Les limites de la libert testamentaire dans le droit civil de la
province de Qubec, Paris, Librairie gnrale de droit et de jurisprudence, 1960 ; Morel,
Raction , supra note 9.

40 Selon Donald Fyson, il se serait tabli an unwieldy and largely unworkable amalgam
of French law and English legal structures (Fyson, Auxiliaries , supra note 23 la p
384).

41 Luc Hupp, Histoire des institutions judiciaires du Canada, Montral, Wilson & La-

fleur, 2007 la p 137.

42 Simon Sanguinet fut le premier notaire obtenir une commission Montral sous la
domination anglaise : Jean-Jacques Lefebvre, Notes sur Simon Sanguinet (1933) 39 : 2
Bulletin des recherches historiques 83 ; Jean-Jacques Lefebvre, Les premiers notaires de
Montral sous le rgime anglais, 17601800 (1943) 45 : 8 R du N 293 la p 306 [Le-
febvre, Notaires ].

146 (2011) 57:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

le biais de la procdure arbitrale, hritage commun aux deux ensembles
normatifs, les notaires vont assurer en pratique un maintien de la tradi-
tion juridique franaise, avant de participer la formation dun droit ori-
ginal, form de lamalgame des traditions civilistes et de common law. Il
faut toutefois souligner que le recours au terme arbitrage pour cette
priode ne correspond pas aux canons de la terminologie moderne43, les
distinctions entre mdiation, arbitrage, conciliation et expertise tant lar-
gement caduques pour ce contexte44.

Si le passage au rgime civil avait pu laisser supposer que les notaires
allaient devoir sadapter la forme britannique du notaire public, il nen
est rien et la forme franaise fut conserve. Mme nomms par le pouvoir
britannique sous la forme anglaise, ils ont assur leurs fonctions selon la
Coutume de Paris et en respectant ses formes. La fin de la priode mili-
taire et les premires annes de la priode civile britannique montrent
une trs forte augmentation du nombre dactes darbitrage45. La pratique
arbitrale au moment de la Conqute constitue la rsonance dune adapta-
tion au nouvel environnement juridique. Larbitrage devient un outil
idoine pour une population sous un nouveau rgime et pour un pouvoir
pragmatique, pouvant tous tirer parti de la plasticit de la technique arbi-
trale.
Deux niveaux de lecture peuvent expliquer le recours aux modes de
prvention et rglement des diffrends par les notaires : travers
larbitrage, les notaires exploitent un outil existant dans des formes simi-
laires dans les systmes franais (IA) et anglais (IB). Ceci permet un
maintien de la tradition juridique franaise dans une priode o une cer-
taine ambigut existe au regard du droit applicable (II). De plus,
lintelligence des administrateurs et des juridictions britanniques permet
une intgration forte de la pratique arbitrale au sein du processus judi-
ciaire, menant ainsi la conciliation des traditions et des systmes juri-
diques diffrents (III).

I. Les diffrentes expressions de la lex arbitraria : Un pont entre les

cultures juridiques

Lintrt de la procdure arbitrale est dautant plus fort quelle existe,
dans des termes proches, au sein des deux traditions juridiques, civiliste
et de common law. Dans cette perspective, larbitrage figure, bien des

43 Pour une tude sur la pratique de larbitrage conventionnel dans le contexte qubcois,

et lutilisation des diffrents termes, voir Marquis, Influence , supra note 26.
44 propos de lactivit professionnelle des notaires, voir Common, supra note 23.
45 Voir Decroix, Gilles et Morin, supra note 14, ch 10 la p 391 et s.

LARBITRAGE NOTARI, INSTRUMENT IDOINE DE CONCILIATION 147

gards, comme loutil idal permettant le passage dun systme juridique
dorigine europenne relativement homogne un vritable systme juri-
dique colonial mixte.

A. La tradition juridique arbitrale franaise

La pratique arbitrale est avre depuis longtemps en France, o elle
se rpand surtout partir du douzime sicle46. La ralit et le dvelop-
pement de la pratique sont largement tays par des tudes portant aussi
bien sur les pays du Sud, de droit crit47, que pour le Nord de la France, de
tradition coutumire48. Lordonnancement normatif lgislatif de lancien
droit favorise le recours cette pratique49. Lordonnance davril 1667 fait

46 Voir Fredric L Cheyette, Suum cuique tribuere (1970) 6 : 3 French Historical Studies
287 ; Stephen D White, Pactum … Legem Vincit et Amor Judicium: The Settlement
of Disputes by Compromise in Eleventh-Century Western France (1978) 22 : 4 Am J
Legal Hist 281 ; Patrick J Geary, Vivre en conflit dans une France sans
tat : Typologie des mcanismes de rglement des conflits (1050-1200) (1986) 41 : 5
Annales. conomies, Socits, Civilisations 1107 ; Yves Jeanclos, La pratique de
larbitrage du XIIe au XVe sicle : lments danalyse [1999] 3 Rev arb 417 ; Hubert
Janeau, Larbitrage en Dauphin au Moyen Age : Contribution lhistoire des institu-
tions de paix (1946-1947) 24-25 : 4 Rev hist dr fr & tran 229 ; Marc Bouchat, La jus-
tice prive par arbitrage dans le diocse de Lige au XIIIe sicle : Les arbitres (1989)
95 : 3-4 Le Moyen-Age. Revue dhistoire et de philologie 439 ; Jean-Franois Poudret,
Deux aspects de larbitrage dans les pays romands au Moyen ge : Larbitrabilit et le
juge-arbitre [1999] 1 Rev arb 3.

47 Joseph Bry, Arbitrages provenaux du XIIIe sicle : Larbitrage en matire commer-
ciale [1951] 2 Recueil de mmoires et travaux publis par la Socit dhistoire du droit
et des institutions des anciens pays de droit crit 13 ; Carine Jallamion, Larbitrage en
matire civile du XVIIe au XIXe sicle : Lexemple de Montpellier, thse de doctorat en
histoire du droit, Universit Montpellier I, 2004 aux pp 123-45.

48 Voir Yves Jeanclos, Larbitrage en Bourgogne et en Champagne aux XIIe et XIVe
sicle : tude de linfluence du droit savant, de la coutume et de la pratique, Dijon,
Centre de recherches historiques, 1977 ; Soman, supra note 24 ; Garnot, Infrajudiciaire,
supra note 29 ; Serge Dauchy, Les recours contre les sentences arbitrales au Parle-
ment de Paris (XIIIe et XIVe sicles) : La doctrine et la lgislation lpreuve de la pra-
tique judiciaire (1999) 67 : 3-4 Rev hist dr 255 ; Garnot, Bourgogne , supra note 29 ;
Hayhoe, supra note 24 la p 621 ; Ferrand, Hermneutique , supra note 24 ; Anne
Bonzon, Conflits familiaux et mdiation clricale dans la France du XVIIe sicle dans
Serge Dauchy et al, dir, La rsolution des conflits, Justice publique et justice prive : une
frontire mouvante, Lille, Centre dHistoire Judiciaire, 2008, 116 ; Jrme Ferrand,
Entre volontarisme lgislatif et jurisprudence ractionnaire : les vicissitudes de
larbitrage dans la France Moderne (XVIe XVIIIe sicle) (2009) 77 Rev hist dr 103
[Ferrand, Volontarisme ].

49 Voir dit sur lexcution des sentences arbitrales et sur la juridiction qui doit connatre
de lappel de ces sentences, aot 1560, no 38, reproduit dans Isambert, Decrusy et Tail-
landier, dir, Recueil gnral des anciennes lois franaises depuis lan 420, jusqu la R-
volution de 1789, t 14, Paris, Belin-Leprieur, 1829, 49 ; dit portant que tous diffrens
entre marchands pour fait de leur commerce, les demandes de partage et les comptes de
tutelle et administration seront renvoys des arbitres, aot 1560, no 39, reproduit dans

148 (2011) 57:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

ainsi rfrence brivement larbitrage50. Elle consacre en outre plusieurs
articles aux experts51. En thorie, le rle de lexpert est distingu de celui
de larbitre, mais dans la pratique, les deux sont souvent confondus52.
Dans le contexte de la Nouvelle-France, un rglement enregistr au Con-
seil souverain en 1667, mais peu appliqu, enjoint mme le recours
larbitrage comme une condition pralable certaines demandes en jus-
tice :

Quavant quaucune partie plaignante ou aucun demandeur habitant
des ctes puisse se pourvoir en justice Qubec, par voie de proc-
dure, il tentera la voie de la composition lamiable, en sommant sa
partie par un voisin ou deux dignes de foi, de remettre ses intrts
un ou plusieurs arbitres, ou la dcision du capitaine de quartier, en

ibid, 51 [dit portant sur les marchands] ; Ordonnance sur la rforme de la justice, f-
vrier 1566, no 110, art 83, reproduit dans ibid, 189.

50 Ordonnance civile touchant la rformation de la justice, avril 1667, no 503, reproduit
dans Isambert, Decrusy et Taillandier, supra note 49, t 18, 103 [Ordonnance de 1667],
tel que cit dans Ferrand, Volontarisme , supra note 48 aux pp 146-155. On y prcise
certaines modalits de larbitrage, notamment en prcisant que le juge peut tre rcus
sil a connu auparavant du diffrend comme juge ou comme arbitre (ibid la p 146,
titre 24, art 6) ; en autorisant les parties majeures procder une reddition de
comptes devant des arbitres ou lamiable (ibid, titre 29, art 22) ; enfin en obligeant
les arbitres condamner indfiniment aux dpens celui qui succombera[it] ; si ce nest
que par le compromis, il y et clause expresse portant pouvoir de les remettre, modrer
et liquider (ibid, titre 31, art 2).

51 ce sujet, larticle 1 du titre 21 prvoit que les juges ne pourront faire descente sur les
lieux dans les matires o il ncheoit quun simple rapport dexperts, sils nen sont re-
quis par crit par lune ou lautre des parties (Ordonnance de 1667, supra note 50 la
p 140). Par ailleurs, larticle 8 du mme titre offre cette prcision :

Les jugements qui ordonneront que les lieux et ouvrages seront vus, visits,
toiss ou estims par experts, feront mention expresse des faits sur lesquels
les rapports doivent tre faits, du juge qui sera commis pour procder la
nomination des experts, recevoir leur serment et rapport, comme aussi du d-
lai dans lequel les parties devront comparoir par-devant le commissaire (ibid
la p 141).

Le jour dit, les parties devront sentendre sur le choix dun expert ou en nommer chacun
un, sans quoi le commissaire le fera pour celle qui sy refuse (ibid, titre 21, art 9). En cas
de dsaccord entre les experts ainsi nomms, le juge en nomme doffice un troisime,
afin quils lui soumettent un ou plusieurs rapports (ibid la p 142, titre 21, art 13).

52 Ainsi, dans la dernire dition de luvre de Denisart, on peut lire que les arbitres
nomms selon les termes de lOrdonnance du commerce de 1673 exercent, pour ainsi
dire, le ministre dexperts chargs dexaminer les actes, livres & oprations de la soci-
t, & de leur donner leur avis, lequel nest pas toujours adopt par les consuls, lors
mme que ce sont eux qui ont nomm les arbitres (Jean-Baptiste Denisart, Collection
de dcisions nouvelles et de notions relatives la jurisprudence, t 2, Paris, Desaint, 1783
la p 239). Paris, au dix-huitime sicle, la juridiction consulaire nomme doffice un
ou plusieurs arbitres-rapporteurs qui ne sont pas des juristes, sans tre tenue de
suivre leur avis : Jean Hilaire, Larbitrage dans la priode moderne (XVIe-XVIIIe
sicle) [2000] 2 Rev arb 187 aux pp 221-25.

LARBITRAGE NOTARI, INSTRUMENT IDOINE DE CONCILIATION 149

matire de peu au-dessous de quinze livres, de lgre querelle, d-
bats ou injures profres53.

Pour les auteurs de lancien droit franais, larbitrage apparat comme un
mode particulirement satisfaisant de rsolution des conflits. Il prend
place dans un cadre naturel et fait appel la loi commune des hommes.
Comme le souligne Gaspard de Ral :

Il est manifeste que, par le droit naturel, tous les diffrends entre
des personnes indpendantes doivent tre soumis des arbitres. […]
Le jugement de larbitre, dans ltat de libert naturelle, doit tre
une Loi souveraine pour les deux parties ; car cet tat ne connot ni
les appels, ni les procdures, ni les autres formes que les Socits ci-
viles ont introduites54.

Cest notamment Jean Domat55, un penseur fidle la tradition jusnatu-
raliste, qui dveloppe ce thme dun point de vue thorique avec le plus
dampleur. Il se trouve alors cit dans les diffrents Dictionnaires et Re-
cueils juridiques accessibles en Nouvelle-France56. Larbitrage, garantis-
sant un faible cot de rsolution du diffrend et une certaine clrit, re-
prsente une voie procdurale avantageuse compare celle de la justice
tatique.

53 Projets de Rglemens qui semblent tre utiles en Canada, proposs Messieurs de Tracy
et de Courcelles par M. Talon, janvier 1667, reproduit dans Arrts et rglements du Con-
seil Suprieur de Qubec, et ordonnances et jugements des intendants du Canada, t 2,
Qubec, ER Frchette, 1855, 29 aux pp 29-30. Un arrt du Conseil ordonne que ce pro-
jet sera enregistr pour y avoir recours quand besoin sera : Ordonnance du Conseil
Suprieur au sujet des Rglemens concernant la Justice et Police, reproduit dans ibid, 28
la p 29. Nanmoins, les dispositions prvoyant la nomination de juges dans les cam-
pagnes ne furent jamais appliques : John Alexander Dickinson, Justice et justi-
ciables : La procdure civile la prvt de Qubec, 1667-1759, Qubec, Presses de
lUniversit Laval, 1982 la p 61 [Dickinson, Justice]. Celles concernant la nomination
darbitres ont t remplaces par lOrdonnance de 1667, supra note 50. Sur les pra-
tiques sociales favorables larbitrage en Nouvelle-France, voir Jacques Mathieu, La
vie Qubec au milieu du XVIIe sicle : tude des sources (1969) 23 : 3 Revue histo-
rique de lAmrique franaise 404 ; Dickinson, Justice, supra note 53 aux pp 60-65 ;
Serge Dauchy, Stratgies coloniales et instruments judiciaires en Nouvelle-France
(1663-1703) dans B Durand, La justice et le droit : Instruments dune stratgie colo-
niale, Annexes, Montpellier, Dynamiques du droit, 2000, 1201.

54 Gaspard de Ral, La science du gouvernement, contenant le droit naturel ; qui traite de
lexistence & de la connaissance de la vrit, de lamour de Dieu, de lamour de soi-mme,
de lamour du prochain, de lordre & de la subordination des devoirs, t 3, Paris, Desaint
& Saillant, 1761, ch 4 aux pp 336-337.

55 Des Compromis dans Jean Domat, Les loix civiles dans leur ordre naturel ; le droit
public, et legum delectum, t 1, Paris, Bauche, 1756, livre 1, titre 14, 125 ; Des Ar-
bitres dans Jean Domat, Les loix civiles dans leur ordre naturel ; le droit public, et le-
gum delectum, t 2, Paris, Nyon, 1777, livre 2, titre 7, 266.

56 Voir David Gilles, La pense juridique de Jean Domat (1625-1696) : Du Grand sicle au

Code civil, thse de doctorat en droit, Universit Paul Czanne, 2004 la p 548.

150 (2011) 57:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

Ainsi Bouchel57, Jousse, Couchot ou Henrys se font les laudateurs de
la pratique arbitrale. Le second soutient notamment qu on peut com-
promettre en gnral de toutes choses qui peuvent tre le sujet dun pro-
cs 58, alors que pour Couchot, [t]ous ceux qui sont en tat de procder
de leur chef pardevant les Juges ordinaires, ont la libert de se soumettre
larbitrage, et on compromet sur toutes sortes daffaires, pourvu que le
Roi et le public ny ayent aucun intrt 59. Les possibilits de recourir
larbitrage paraissent donc trs tendues et Claude Henrys nhsite pas
proclamer que les arbitrages sont une des plus belles parties de la fonc-
tion des avocats 60. La confidentialit, labsence de publicit, la rapidit,
la souplesse et lconomie sont des arguments de poids en faveur de cet
outil transactionnel. Ce sont les mmes atouts qui font de la pratique ar-
bitrale une cl de la procdure en common law, tant au Royaume-Uni
quen Amrique du Nord. Comme dans le droit franais, ce sont les do-
maines du droit commercial61 et des affaires de famille62 qui font le plus
lobjet darbitrages.

57 Procs dans Louis Bouchel, La bibliothque ou thresor du droict francois, t 2, Paris,
Gesselin, 1615 la p 534. Selon lui, la force symbolique remonterait laction du pr-
teur romain, oblig de recevoir et dapprouver les transactions entre particuliers dsi-
rant transiger :

Nul nest tenu dagir ou daccuser si bon ne luy semble, cest–dire, il est
permis chacun de remettre son droict & sur iceluy transiger. […] Car que
fait autre chose le Prteur, sinon quil dirime & termine les diffrents des
particuliers ? Desquels sils sen dpartent volontairement, il le doit approu-
ver. […] Doncques s dlicts priv, sans doute il est loisible de pactiser &
transiger, soit devant la contestation en cause, soit aprs […] ( Transaction
dans ibid la p 1190).

58 Daniel Jousse, Trait de ladministration de la justice, t 2, Paris, Debure, 1771 la p

692.

59 Couchot, Le praticien universel, ou le droit franois, et la pratique de toutes les jurisdic-
tions du Royaume, t 1, 9e d, Paris, Jacques Rolin, 1747 la p 90. propos des ques-
tions qui ne peuvent faire lobjet dun arbitrage, Ferrire mentionne notamment les d-
lits (sauf pour lindemnit due la victime), les legs daliments, les causes de mariage et
les bnfices : Claude-Joseph de Ferrire, La science parfaite des notaires ou le parfait
notaire, t 2, Paris, Mouchet, 1752, livre 14, ch 1 la p 426.

60 Bartholom-Joseph Bretonnier, dir, uvres de M Claude Henrys, t 1, 6e d, Paris, Li-

braires associs, 1772 la p 439.

61 Ldit daot 1560 comportait dj, en son article premier, des dispositions favorables
larbitrage pour fait de marchandise (dit portant sur les marchands, supra note 49
la p 51). Larticle 9 du titre 4 de lOrdonnance du commerce de 1673 renvoie quant
lui larbitrage pour lexamen des diffrends entre associs.

62 Ainsi, dans un dit de 1673, le pouvoir royal souligne que, par cette procdure si utile
et si ncessaire au public […] les procs les plus embarrasss sont termins, et la paix et
lunion conserve dans les familles : dit portant cration de banquiers expdition-
naires en la Cour de Rome, de greffiers des arbitrages et compromis, syndicats et direc-

LARBITRAGE NOTARI, INSTRUMENT IDOINE DE CONCILIATION 151

B. La tradition juridique arbitrale anglo-saxonne
La pratique arbitrale se dveloppe trs tt dans les murs juridiques

anglaises63. Durant le Haut Moyen-ge anglais, le processus de concilia-
tion sest largement dvelopp et avait pour but davantage de rconcilier
que de juger. Linstitution mdivale du loveday oppose celle des
lawdays 64 est ainsi apparue. Ds cette poque, comme le souligne
Douglas Hurt Yarn, apparaissent des cas darbitrage prolongeant des
causes pendantes, les solliciteurs ayant parfois introduit le litige afin
dobliger les autres parties larbitrage, de renforcer leur position dans ce-
lui-ci ou simplement de mettre un terme au conflit65. Aprs cette priode,
cest dans le monde des marchands que larbitrage se dveloppe de la ma-

tion de cranciers, avec attribution de la qualit de notaire, mars 1673, no 729, reproduit
dans Isambert, Decrusy et Taillandier, supra note 49, t 19, 107 la p 109.

63 Voir Daniel E Murray, Arbitration in the Anglo-Saxon and Early Norman Periods
(1961) 16 : 4 Arbitration Journal 193. Voir aussi Wendy Davies et Paul Fouracre, dir,
The Settlement of Disputes in Early Medieval Europe, Cambridge, Cambridge Universi-
ty Press, 1986 ; Edward Powell, Arbitration and the Law in England in the Late Mid-
dle Ages: The Alexander Prize Essay (1983) 33 Transactions of the Royal Historical
Society 49 [Powell, Middle Ages ] ; Simon J Payling, Law and Arbitration in Not-
tinghamshire, 1399-1461 dans Joel Rosenthal et Colin Richmond, dir, People, Politics
and Community in the Later Middle Ages, New York, Gloucester (R-U) ; St Martins
Press, Allan Sutton, 1987, 140 ; JB Post, Equitable Resorts before 1450 dans EW
Ives et AH Manchester, Law, Litigants and the Legal Profession, Londres (R-U), Swift
Printers pour la Royal Historical Society, 1983, 68 aux pp 74-77 ; Lorraine Attreed,
Arbitration and the Growth of Urban Liberties in Late Medieval England (1992)
31 : 3 Journal of British Studies 205 ; Llinos Beverley Smith, Disputes and Settle-
ments in Medieval Wales: The Role of Arbitration (1991) 106 : 421 English Historical
Review 835 ; Edward Powell, Settlement of Disputes by Arbitration in Fifteenth-
Century England (1984) 2 : 1 LHR 21 ; Joseph Biancalana, The Legal Framework of
Arbitration in Fifteenth-Century England (2005) 47 : 4 Am J Legal Hist 347 ; JA
Sharpe, Such Disagreement betwyx Neighbours : Litigation and Human Relations in
Early Modern England dans John Bossy, dir, Disputes and Settlements: Law and
Human Relations in the West, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, 167. la
fin du dix-huitime sicle, Stewart Kyd relve que, souvent, des clauses de contrat pr-
voient le recours larbitrage en cas de diffrends ultrieurs : Stewart Kyd, A Treatise
on the Law of Awards, 2e d, Philadelphia, William P Farrand, 1808 la p 12 [Kyd,
Awards].

64 Douglas Hurt Yarn, Commercial Arbitration in Olde England (602-1698) (1995)
50 : 1 Disp Resol J 68 la p 68. Cette institution des lovedays, devenue largement obso-
lte au dix-septime sicle, se retrouve toutefois sous la plume de lauteur de
lArbitrium Redivivum. Il souligne quen saxon ou en anglais ancien, larbitrage tait
appel Love-day en raison du calme et de la tranquillit qui devraient suivre la fin de
la controverse [notre traduction], alors que le terme award trouve son origine dans
lancien franais Agarder : Auteur de Regula Placitandi, Arbitrium Redivivum : Or the
Law of Arbitration, London, R et E Atkins, 1694 la p 2 [Arbitrium Redivivum].

65 Yarn, supra note 64 la p 69.

152 (2011) 57:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

nire la plus flagrante66. Fonde sur la bonne foi contractuelle, la lex mer-
catoria se trouvait naturellement ouverte la rsolution amiable des dif-
frends. On en trouve trace dans la pratique britannique ds le treizime
sicle67 et elle se situe au cur de la rsolution des conflits commerciaux
en common law68. Exerce en marge du systme judiciaire institutionnel
tatique, la rsolution amiable des diffrends sexprime en premier lieu
dans les cours des foires dites des pieds poudrs (piepowder)69 car
les marchands avaient encore la poussire des champs sur leurs pieds lors
du prononc de la sentence. Au sein de ces juridictions, larbitrage
simpose comme un outil indispensable, car rapide et relativement souple
formellement. En 1353, les lois concernant les produits de base (notam-
ment le Statute of Staples) peuvent tre considres comme une recon-
naissance lgislative de larbitrage dans ce contexte70. cette poque,
marchands et juridictions trouvrent leur intrt dans larbitrage. Pour
les premiers, la souplesse et la rapidit de la procdure sont source
dconomies. Pour les secondes, larbitrage vite un engorgement et com-
plte judicieusement le processus judiciaire71. Ds le Moyen-ge, on
trouve, outre les arbitrages extrajudiciaires, des arbitrages juridiction-
nels 72, cest–dire intervenant lors dun litige pendant devant une cour

66 Powell, Middle Ages , supra note 63 ; William C Jones, An Inquiry into the History
of the Adjudication of Mercantile Disputes in Great Britain and the United States
(1958) 25 : 3 U Chicago L Rev 445.

67 Voir Paul R Teetor, Englands Earliest Treatise on the Law Merchant: The Essay on
Lex Mercatoria from The Little Red Book of Bristol (circa AD 1280) (1962) 6 : 2 Am J
Legal Hist 178 ; Leon E Trakman, From the Medieval Law Merchant to E-Merchant
Law (2003) 53 : 3 UTLJ 265.

68 JH Baker, The Law Merchant and the Common Law before 1700 (1979) 38 : 2 Cam-

bridge LJ 295 la p 303.

69 Sur cette institution, voir Charles A Banes, From Holt and Mansfield to Story to
Llewellyn and Mentschikoff: The Progressive Development of Commercial Law (1983)
37 U Miami L Rev 351 la p 353.

70 Yarn, supra note 64 la p 70.
71 On trouve galement, dans cette logique et pour un contentieux de nature davantage
pnale ou civile, lexistence de keepers of the peace qui agissent largement sur les
fondements de larbitrage et dont la fonction donnera naissance aux juges de paix, qui
agiront eux aussi abondamment en matire arbitrale dans le contexte britannique et
dans la province de Qubec, aprs la Conqute : Bertha Haven Putnam, The Trans-
formation of the Keepers of the Peace into the Justices of the Peace 1327-1380 (1929)
12 Transactions of the Royal Historical Society 19.

72 Douglas Hurt Yarn rapporte ainsi une affaire ayant eu lieu en 1389, opposant deux
marchands, Costace v Forteneye (1389), pour un litige portant sur une importation de
vins gascons. Une fois le procs ouvert, aucun jur ne sest prsent et les parties, ar-
guant de leur dsir libre et spontan [notre traduction] (Yarn, supra note 64 la p
70), souhaitent un arbitrage par quatre membres de la guilde des marchands de vin
choisis par Robert Herry, un autre marchand de vin. Dans cette affaire, comme ce sera
le cas dans nombre daffaires pendantes devant la Cour des plaidoyers communs

LARBITRAGE NOTARI, INSTRUMENT IDOINE DE CONCILIATION 153

de justice73, comme cest le cas dans le droit franais et dans le contexte de
la Conqute. Dans cette pratique, le compromis a dabord pris la forme
dun acte authentique (deed), soit un document scell. Celui-ci comporte
lobligation de se soumettre larbitrage et dexcuter la sentence, car une
entente orale ce sujet nest pas reconnue par les cours royales. En cas
dinexcution du document, les recours sont limits. La contestation ini-
tiale peut toujours tre tranche par une cour de justice, ce qui rend diffi-
cile la preuve dun prjudice tangible pour la partie qui souhaitait proc-
der devant des arbitres. Avec le temps, les juristes demandent plutt
chaque partie de remettre lautre une obligation conditionnelle de payer
une somme fixe, qui est constate dans un acte authentique (conditioned
bond)74.
Au dix-septime sicle, les juridictions continuent de renvoyer
larbitrage les contestations portes devant elles, la demande des par-
ties. Comme le souligne Stewart Kyd, cette procdure se trouve essentiel-
lement employe dans les litiges commerciaux, en raison de la complexit
des questions traites, particulirement pour lapurement des comptes :

[W]hen mercantile transactions came to be frequently the subject of
discussion in the courts, it was soon found that a judge and a jury
were very unfit to unravel a long and intricate account, and did
therefore became a practice, in cases of that kind, and others which
seemed to be proper for the same tribunal, to refer the matters, by
consent of the parties, under a rule of nisi prius, which was after-
wards made a rule of that court out of which the record proceeded,
and performance of the award was enforced by process of contempt75.

Qubec ou Montral, le tribunal donne un effet immdiat et excutoire la dcision
des arbitres, comme lun de ses propres jugements. De plus, on observe dj la difficult
de runir un jury et lutilit de larbitrage afin de pallier cette lacune : ibid aux pp 69-
72.

73 Larbitrage tant, dans ce contexte, largement le fait des juridictions mercantiles. Voir
Mary Elizabeth Basile et al, dir, Lex Mercatoria and Legal Pluralism: A Late Thir-
teenth-Century Treatise and its Afterlife, Cambridge, Ames Foundation, 1998.

74 Comme le souligne Michel Morin, il sagit alors dune clause pnale, rsolue en cas
dexcution du compromis ou de la sentence par la partie perdante : En gnral, dans
un document de cette nature, les cours de common law refusent au dbiteur le droit de
contester lexistence ou le montant de la dette. Cette pratique est atteste ds le XIIIe
sicle : Decroix, Gilles et Morin, supra note 14, ch 1 la p 81. Voir Joseph Biancalana,
Monetary Penalty Clauses in Thirteenth-Century England (2005) 73 : 3-4 Revue hist
dr 231 aux pp 255-256.

75 Kyd, Awards, supra note 63 la p 21. Auteur de plusieurs ouvrages portant essentiel-
lement sur les obligations et le droit commercial (il publia A Treatise on the Law of Bills
of Exchange and Promissory Notes, Dublin, G Burnet, 1791 et A Treatise on the Law of
Corporations, London (R-U), Butterworth, 1793), Stewart Kyd fut sduit par les prin-
cipes de la Rvolution franaise, ce qui lui valut dtre tran devant lOld Bailey pour
haute trahison en 1794, accusation pour laquelle il obtint un acquittement. Il dcda en

154 (2011) 57:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

De manire gnrale, la pratique en matire darbitrage en common law
est suffisante pour que plusieurs auteurs, dont Kyd, John March76 et
lauteur de lArbitrium Redivivum, consacrent des traits la matire. On
trouve en effet de nombreuses causes, tant commerciales que civiles, sou-
mises larbitrage, tant devant les cours londoniennes que lors des as-
sises rgionales. Ainsi, comme le souligne lauteur du Arbitrium Redivivi-
um, [a]rbitrament is much esteemed and greatly favoured in our common
law … 77. Ds les annes 1650, la Cour des plaidoyers communs renvoie
loccasion des parties vers larbitrage en rendant une ordonnance (rule of
court), parfois en usant envers les plus rcalcitrants de lemprisonnement,
lorsquils refusent de se soumettre celle-ci ou dexcuter la sentence78.
Hors des litiges soumis aux juridictions, il semble que les justiciables
aient favoris la pratique arbitrale en amont de tout contentieux, dans des
out-of-court arbitration. De nombreux actes tmoignent, au dix-septime
sicle, de la volont des parties de souscrire des obligations (bonds) pr-
voyant une peine pour la partie qui refusera le recours larbitrage et ses
rsultats79, dans la mme logique que lancien droit franais. Henry Hor-
witz et James Oldham rapportent par exemple lacte entre Thomas Tookie
et Thomas Atwood en 1697, deux marchands londoniens qui acceptent de
soumettre tout diffrend larbitrage, posant comme peine la somme de
cinq cents livres afin dexcuter the award, order, arbitrament, final end
and determination forms par deux autres citoyens londoniens80.

Lord Mansfield et John Locke81 vont contribuer la conscration sta-
tutaire de la pratique arbitrale travers lArbitration Act82 de 1698. Selon

1811 : John Hutchinson, A Catalogue of Notable Middle Templars, London, Butter-
worth pour lHonourable Society of the Middle Temple, 1902 la p 139.

76 John March, Actions for Slaunder, or, A Methodical Collection under certain Grounds

and Heads: Awards or Arbitrements, London, M Walbank et R Best, 1647.

77 To the Reader dans Arbitrium Redivivum, supra note 64 la p 1.
78 Henry Horwitz et James Oldham, John Locke, Lord Mansfield and Arbitration during
the Eighteenth Century (1993) 36 : 1 Historical Journal 137 aux pp 141-142 [Horwitz
et Oldham, Locke ].

79 Arbitrium Redivivum, supra note 64 la p 10.
80 Horwitz et Oldham, Locke , supra note 78 la p 141.
81 John Locke, membre du Board of Trade, fut charg de proposer plusieurs projets de r-
formes sociales et conomiques. Il aurait t mandat pour jeter les bases dune m-
thode permettant de rsoudre les diffrends entre marchands par des arbitres nomms
soit par les parties, soit suite un renvoi par la cour (referees), afin que leurs dcisions
soient dfinitives et sans appel. Inspir des exemples hollandais darbitrages, jugs tou-
tefois trop complexes et loigns des aspirations insulaires, le projet de lgislation
sappuiera nanmoins principalement sur la longue exprience anglaise, nutilisant
quavec parcimonie lexemple batave : ibid la p 139.

82 An Act for determining Differences by Arbitration, (R-U), 1698, 9 & 10 Will III, c 15 [Ar-

bitration Act].

LARBITRAGE NOTARI, INSTRUMENT IDOINE DE CONCILIATION 155

les termes de ce texte, les parties peuvent stipuler dans leur compromis
que celui-ci sera entrin par le tribunal, si lune delles produit une dcla-
ration sous serment souscrite par lun des tmoins lacte (affidavit). Le
renvoi larbitrage est alors ordonn par la Cour (rule of court). En cas de
refus dexcuter la sentence, la partie en dfaut peut tre condamne pour
outrage au tribunal et emprisonne, sauf si la dcision a t obtenue par
corruption ou par des mthodes indues83. Si la loi anglaise sur larbitrage
a pour but de promouvoir le commerce, son champ dapplication apparat
beaucoup plus vaste. En effet, il englobe tous les Merchants and Tra-
ders, or others, concerning Matters of Account or Trade, or other Mat-
ters 84, condition toutefois quil sagisse dun recours fond sur un droit
personnel, par opposition la revendication dun bien rel (real estate).
cette poque, on trouve la mme plasticit terminologique en anglais, o
nous trouvons les termes arbitrament ou award85, quen franais, avec les
termes suivants : sentences arbitrales, arbitrage, conciliation, rsolution,
etc. La pratique ne distingue pas de manire trs rigoureuse le recours
lun ou lautre terme86. Matthew Bacon, un juriste ayant largement con-
tribu, par son Compleat Arbitrator, laffirmation de la pratique au dix-
huitime sicle, semble noter un dveloppement de larbitrage dans le
cadre des litiges soumis aux tribunaux partir de lArbitration Act87.
Blackstone, quant lui, rend compte de ce phnomne dans un contexte
moins restreint :

Arbitration is where the parties, injuring and injured, submit all
matters in dispute, concerning any personal chattels or personal
wrong, to the judgment of two or more arbitrators; who are to decide
the controversy: and if they do not agree, it is usual to add, that an-
other person be called in as umpire, (imperator) to whose sole judg-
ment it is then referred: or frequently there is only one arbitrator orig-

83 Horwitz et Oldham, Locke , supra note 78 la p 143 ; Yarn, supra note 64 la p 72.
84 Arbitration Act, supra note 82.
85 Matthew Bacon dfinit le terme et la pratique de la manire suivante : Arbitrament
(Arbitrium, Laudum, Compromissium), or an Award, is the determination of two or
more Persons, at the Request of two Parties at least, who are at Variance, for ending the
Controversy without publick Authority (The Compleat Arbitrator ; or the Law of
Awards, 3e d, Londres (R-U), J Worrall et B Tovey, 1770 la p 1).

86 Selon Bacon, ibid la p 1 :

[i]t is called an Arbitrament, because that the Parties have willingly submit-
ted their Differences to others, to determine them arbitrarily, and according to
their own Opinions and Judgments as honest and disinterested Men, and not
according to the Law. It is called an Award from the French Word Agarder,
which signifies to judge or decide ; an it is heretofore been called Love-Day,
because of the Quiet and Tranquillity which usually followed the Ending of
the Controversy.

87 Ibid aux pp 33-34.

156 (2011) 57:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

inally appointed. This decision, in any of these cases, is called an
award88.

Comme dans le contexte franais89, les juges ne font pas preuve dhostilit
lgard de cette procdure, limage de Lord Mansfield qui use large-
ment de cette technique dans lexercice quotidien de la justice90. La pra-
tique se prsente alors comme une solution souple ncessitant peu
dintervenants. Cest galement une solution apte terminer le diffrend,
distinguant les references et les arbitrations. Les premires consistent en
un renvoi, lorsquune juridiction est saisie, un mode moins formaliste de
rglement des diffrends, avant le procs. Les secondes consistent en la
saisie, par les parties elles-mmes, en dehors dun contentieux, de tierces
personnes aptes trancher le diffrend naissant, la loi de 1698 autorisant
lhomologation du compromis par la cour. En ce qui concerne les arbitres,
comme en Nouvelle-France, ils se rpartissent en trois catgories : les no-
tables locaux, les voisins et les experts91. cet gard, comme en France,
un grand nombre darbitrages semble destin valuer ou dlimiter des
biens, sans quune vritable question juridique soit tranche. Dans les
deux systmes de droit, on trouve les mmes caractristiques de la pra-
tique arbitrale : un volontarisme des parties, la confiance, lexistence de
larbitrage volontaire, soit prvu par clause au contrat, soit dcid post-
rieurement un diffrend, ainsi que larbitrage faisant suite une proc-
dure judiciaire. Deux arbitres parfois un tiers arbitre tant juristes,
notables proches ou voisins ont le pouvoir de trancher le diffrend. Dans
les deux systmes, une sentence arbitrale met fin en principe celui-ci,
une clause prvoyant gnralement que si lune des parties conteste la d-
cision devant la cour, elle perdra la somme dargent gnralement mis en
gage au moment de la signature du compromis ou sera redevable de la
peine pcuniaire prvue dans le contrat. La logique transsystmique de
cette pratique est donc relativement forte et cohrente, notamment avec
lusage commercial quil en est fait en Europe. Ainsi, en citant James Ol-
dham, si [a]rbitration is, of course, as old as the hills 92, on peut penser

88 William Blackstone, Commentaries on the Laws of England, t 3, Oxford, Clarendon

Press, 1768, ch 1 la p 16.

89 Voir WF Leemans, Juge ne peut accepter arbitrage : Lapplication de cette rgle dans
la Principaut dOrange et une sentence arbitrale en langue provenale (1978) 46 Rev
hist dr 99.

90 Horwitz et Oldham, Locke , supra note 78 la p 146.
91 Les deux premires catgories lemportent largement sur la troisime. Celle-ci com-
prend des arpenteurs et des marchands, mais aussi un petit nombre davocats (environ
dix pour cent en 1775) (ibid aux pp 145-150).

92 James Oldham, Arbitral Continuity: Part I. On the Constancy and Pedigree of the Ar-
bitrators Heritage dans Gladys W Gruenberg, dir, Arbitration 1994: Controversy and
Continuity, Washington (DC), Bureau of National Affairs, 138 la p 138.

LARBITRAGE NOTARI, INSTRUMENT IDOINE DE CONCILIATION 157

de mme que cette tradition juridique se trouvait autant adapte au con-
texte colonial quau contexte europen, les atouts de cette pratique se
trouvant mme amplifis dans les colonies.
En Amrique du Nord, larbitrage figure en premire ligne des modes
non juridictionnels de rsolution des diffrends, sans se cantonner aux
questions commerciales. Tout comme en Europe, la sphre du droit priv
souvre en effet de plus en plus cette pratique au dix-septime et surtout
au dix-huitime sicle. Les tudes sur la pratique arbitrale avant et aprs
la Rvolution amricaine sont nombreuses et fouilles. Elles apportent un
clairage important sur lutilit de lamiable composition dans le contexte
colonial bien spcifique de cette priode : la pratique arbitrale au Connec-
ticut93, au New Jersey94, dans ltat de New York95, en Pennsylvanie96, au
Massachusetts97 ou dans le New Hampshire98 a t analyse, laissant ap-
paraitre les particularismes coloniaux de cet outil99.
Ds les annes 1640, des pratiques arbitrales sont couramment attes-
tes dans le Rhode Island, le Connecticut, la Nouvelle-Angleterre, le New
Hampshire et en Virginie100. Lorsque la Nouvelle-Amsterdam est devenue

93 Bruce H Mann, The Formalization of Informal Law: Arbitration before the American
Revolution (1984) 59 : 3 NYUL Rev 443. Cet article fut rdit dans louvrage sui-
vant : Bruce H Mann, Neighbors and Strangers: Law and Community in Early Connect-
icut, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1987, ch 4 aux pp 101 et s [Mann,
Neighbors].

94 James B Boskey, A History of Commercial Arbitration in New-Jersey: Part 1 (1976)
8 : 1 Rutgers-Camden LJ 1 ; Georges S Odiorne, Arbitration Under Early New Jersey
Law (1953) 8 : 3 Arbitration Journal 117.

95 Eben Moglen, Commercial Arbitration in the Eighteenth Century: Searching for the

Transformation of American Law (1983) 93 : 1 Yale LJ 135.

96 Edwin B Bronner, Philadelphia County Court of Quarter Sessions and Common
Pleas (1957) 1 : 1 Am J Legal Hist 79 la p 85 ; Georges S Odiorne, Arbitration and
Mediation Among Early Quakers (1954) 9 : 3 Arbitration Journal 161.

97 Joseph H Smith, dir, Colonial Justice in Western Massachusetts, (1639-1702), Cam-

bridge (Mass), Harvard University Press, 1961 aux pp 180-188.

98 Elwyn L Page, Judicial Beginnings in New-Hampshire, 1640-1700, Concord (NH), Ev-

ans Printing pour la New Hampshire Historical Society, 1959 aux pp 5-54.

99 Ainsi, comme le souligne Michel Morin, larticle de Susan L Donegan, en exposant un
large ventail de la pratique arbitrale et la rsolution amiable des diffrends comme
particularisme juridique colonial, met laccent sur le lien entre la pratique et les aspira-
tions de paix et dharmonie qui guident les premiers colons, notamment les puri-
tains : Susan L Donegan, ADR in Colonial America: A Covenant for Survival (1993)
48 : 2 Arbitration Journal 14 ; Decroix, Gilles et Morin, supra note 14, ch 1 la p 91, n
342.

100 Herbert Alan Johnson, The Law Merchant and Negotiable Instruments in Colonial New
York, 1664 to 1730, Chicago, Loyola University Press, 1963 aux pp 15-27 ; William H
Loyd, The Early Courts of Pennsylvania, Boston, Boston Book Company, 1910 aux pp
15-16, 48-49 ; Susie M Ames, Introduction dans Susan M Ames, dir, County Court

158 (2011) 57:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

anglaise, la Cour de New York na fait que perptuer une pratique ant-
rieure, prsente comme la continuit dune tradition hollandaise incitant
les juges renvoyer les causes complexes larbitrage101. On retrouve,
dans ce contexte, la pratique des references et des arbitrations sous
ladministration hollandaise, puis sous ladministration britannique102.
Ainsi, dans ltat de New York, un fort pragmatisme prside
lincorporation des pratiques hollandaises dans les nouveaux standards
britanniques, qui annoncent lattitude des administrateurs britanniques
dans la province de Qubec103. Dans lvolution de la pratique new-
yorkaise, le recours larbitrage est frquent, tant linitiative des juri-
dictions que par le biais de clauses arbitrales. Une certaine pression so-
ciale semble mme se faire jour partir des annes 1730, afin de rgler au
plus vite les litiges commerciaux. Les juristes jouent alors un rle accru
dans la rsolution de ces litiges104. La pratique du renvoi (reference) est
mme acte dans lordonnancement juridique de la Supreme Court of Ju-
dicature par An Act for the better Determination of personal Actions de-
pending upon Accounts105. On peut souligner que, selon Eben Moglen, les
affaires soumises larbitrage de 1758 1762 sont traites en moins de
quatre semaines, ce qui reprsente gnralement un peu moins de la moi-
ti du temps requis pour quun jury se prononce106.

Records of Accomack-Northampton, Virginia, 1632-1640, Binghamton (NY), Vail-Ballou
Press, 1954 aux pp lv-lix ; Page, supra note 98 la p 5 ; David Thomas Konig, Law and
Society in Puritan Massachusetts: Essex County, 1629-1692, Chapel Hill, University of
North Carolina Press, 1979 aux pp 33, 108-116 (il recense vingt cas de renvois
larbitrage par les magistrats de Salem et dIpswich entre 1636 et 1643 dans des causes
civiles)
; Kenneth A Lockridge, A New England Town, The First Hundred
Years: Dedham, Massachusetts, 1636-1736, New York, Norton, 1985 la p 6 ; Mann,
Neighbors, supra note 95 aux pp 101-136 ; William E Nelson, The Common Law in Co-
lonial America: The Chesapeake and New England, 1607-1660, vol 1, New York, Oxford
University Press, 2008. Ce dernier donne des exemples de renvois larbitrage par les
juges de ces juridictions : Virginie (ibid la p 29), Essex (ibid la p 72) et Plymouth
(ibid aux pp 177-178, nn 56-60).

101 John R Aiken, New Netherlands Arbitration in the 17th Century (1974) 29 Arbitra-

tion Journal 145.

102 Moglen, supra note 95 la p 136.
103 On relate, devant la juridiction du Mayors Court, que [a] vast quantity of litigation
was referred … to good men or arbitrators, appointed by the bench or selected by the lit-
igants : Richard B Morris, dir, Select cases of the Mayors Court of New York City,
1674-1784, Washington (DC), Millwood (NY) ; American Historical Society, Kraus Re-
print, 1935 la p 44.

104 Moglen, supra note 95 aux pp 139-141.
105 Dcembre 1768, reproduit dans CZ Lincoln, WH Johnson et AJ Northrup, dir, Colonial
Laws of New York from the Year 1664 to the Revolution, vol 4, Albany, James B Lyon,
State Printer, 1894 la p 1040, tel que cit dans Moglen, supra note 95 la p 142.

106 Moglen, supra note 95 la p 143.

LARBITRAGE NOTARI, INSTRUMENT IDOINE DE CONCILIATION 159

Lorsque la pratique arbitrale se trouve tre totalement dans les mains
des colons dorigine britannique, elle semble se dvelopper en conservant
un fort hritage anglo-saxon. Toutefois, la souplesse et ladquation so-
ciale du phnomne arbitral semblent faire apparatre des caractris-
tiques qui transcendent tant lespace que le temps. Comme le soulignait
Zephania Swift, juriste du Connecticut, larbitrage consiste dans an ami-
cable and neighbourly mode of settling personal controversies 107 et se
trouve donc en phase avec toute socit qui connat ce type de diffrend,
rvlant les mmes avantages :

[Arbitrators] are not tied down to the same strictness, formality and
precision as courts of law. While they have greater latitude in the
mode of proceeding than courts of law, they have ampler powers to do
compleat and perfect justice between the parties in the decision of the
matters of dispute108.

La libert semble l encore un point essentiel dans le recours
larbitrage. Larbitrage apparat plus rgulirement dans les dernires d-
cennies du dix-septime sicle. Ainsi, au Connecticut, les actes darbitrage
mentionns dans les ptitions soumises la General Assembly dans le
cadre de procdures judiciaires concernent tous des rsidents de la mme
ville ou des membres dune mme famille109. Cest alors un compromis ar-
bitral, oral ou crit, qui initie la procdure et qui dtermine la nature du
diffrend, ainsi que les limites du pouvoir des arbitres amis, familles ou
notables chargs de trancher le diffrend. La difficult de rendre les ac-
cords oraux effectifs engageait le plus souvent les parties fonder
larbitrage sur des actes authentiques (deeds). Comme dans le contexte
anglais ou franais, possdant certes tous ses aspects pratiques, la sen-
tence arbitrale ne possde pas de force excutoire. Les arbitres nont pas
les pouvoirs des tribunaux et les parties ne peuvent faire excuter la sen-
tence directement, ce qui distingue la sentence dun jugement. Laspect
consensuel prime donc. Pour pallier cette ralit, les parties, conform-
ment la pratique anglaise110, prirent lhabitude de souscrire entre eux
une obligation sous forme dacte authentique, exigible uniquement en cas
dinexcution du compromis ou de la sentence, comme ce sera le cas dans
la pratique franaise et canadienne. Cette obligation est juridiquement
indpendante du compromis et demeure en vigueur mme si larbitrage
na pas lieu.

107 Zephaniah Swift, A System of the Laws of the State of Connecticut, Windham (Conn),

John Byrne, 1796, vol 2, livre 4, ch 1 la p 7.

108 Ibid.
109 Mann, Neighbors, supra note 95 la p 104.
110 James Oldham, English Common Law in the Age of Mansfield, Chapel Hill, University

of North Carolina Press, 2004 la p 73 [Oldham, Mansfield].

160 (2011) 57:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

Les deeds deviennent la rgle un sicle plus tard dans le Connecticut
ainsi quen Angleterre111, en rponse une volution de la socit o la
confiance est plus difficilement accorde une population en constant
mouvement et en volution permanente. Cette pratique des obligations
conditionnelles (conditioned bonds) se retrouve galement dans la pra-
tique coloniale au Maryland, comme le montre la sentence arbitrale Her-
man v. Overzee112 en janvier 1660, ou celle de Herman v. Colclough113.
Au Maryland, on trouve le mme type dvolution. Les volumes des ar-
chives retracent un usage assez large de larbitrage au sein des diffrentes
institutions, Provincial Court ou General Assembly114. On trouve dans ces
fonds par exemple une obligation date de 1657 entre Samuel Tilghman of
Racliffe, Edward Packer et Henry Parnel, qui stipule le renvoi
larbitrage en cas de diffrend concernant lachat dune plantation :
The Condiction of this Obligation is such, that if the above named
Samuel Tilghman does stand to the Judgement & award of Mr
Thomas Gerard & Mr Henry Meese mutually chosen by the abovesed
parties, to end & conclude all differences happening or being, be-
tweene the abovesed parties, as Concerning the Plantation lately
bought of Walter Beane, & now in the possession of the parties above-

111 Mann, Neighbors, supra note 95 la p 111.
112 (7 janvier 1660), reproduit dans Bernard Christian Steiner, dir, Proceedings of the Pro-
vincial Court of Maryland, 1658-1662, vol 41, Baltimore, Maryland Historical Society,
1922 la p 389 :

Whereas matters of difference debate and Controversy have rissen and hap-
pened betweene Mr Augustine Herman Marchant and Mr Symon Overzee de-
ceased, and now is become of Concearnment into Mrs Elizabeth Overzee as
Successour and Administratrix to the said Mr Overzee her deceased husband
for pacifying ordering and ending whereof Mr John Bateman and Mr Henry
Meese Marchants were mutually chossen by the aforesaid parties Mr Augus-
tine Herman and Mrs Elizabeth Overzee to arbitrat and deside the Controver-
sies aforesaid in Case they had agreed therein, but the said Arbitrators differ-
ing in their Judgments about the said buisnes the said Mr Augustine Herman
and Mrs Elizabeth Overzee have bound themselves each to other in a Bond of
One thowsand pounds sterling to stand also to the Umpiradge and award of
Robert Slye aforesaid as by the said Obligations and Conditions doth and
may at large appeare.

113 Reproduit dans ibid la p 440.
114 Au sein de la premire, on note plusieurs rfrences larbitrage. Une analyse succincte
de ces archives publies montre une utilisation relativement soutenue de la procdure
arbitrale, ds le dix-septime sicle. Lors des audiences de la Provincial Court de 1658
1662, on trouve un peu moins dune dizaine daffaires o larbitrage est en cause. Ainsi,
le 28 avril 1658 est renvoye en arbitrage la cause Trueman v Stephenson, reproduite
dans ibid la p 70, au sujet dune dette de trois livres de tabac.

LARBITRAGE NOTARI, INSTRUMENT IDOINE DE CONCILIATION 161

sayd that then this Obligation to bee voyd, & of none effect, or ells to
stand in full force & vertue115.

On trouve dans ce compromis la technique classique des tiers ar-
bitres116, comme dans la pratique franaise et celle de la Nouvelle-
France117, ainsi que la clause pnale, obligation indpendante impose la
partie qui naccepterait pas le recours larbitrage118. La sentence arbi-
trale (arbitraters award) qui en dcoule est largement similaire119 celle
que nous retrouverons dans la pratique de la Nouvelle-France.
Dans son tude, Bruce H. Mann souligne plusieurs traits de la pra-
tique arbitrale coloniale anglaise qui se retrouveront dans la pratique de
la province de Qubec. Il lie fortement la pratique coloniale anglaise au
caractre communautaire de la colonie. Lorsque celle-ci est compose es-
sentiellement de cultivateurs, provenant dune mme origine, dun groupe
social et religieux prconstitu, il relve une amiable composition peu con-
traignante et peu formaliste. La force excutoire rside essentiellement

115 Mr Tilghmans Bond to Mr Packer, reproduit dans ibid la p 94 [Tilghman].
116 Allso it is further agreed Betweene the parties abovesed, that if there shall happen any
difference betwixt Mr Thomas Gerard, & Mr Henry Meese that shall rest unresolved
on: then the parties abovesed doe ioyntly chuse Mr Robert Slye as an Umpyre to make a
finall conclusion (ibid).

117 Voir Decroix, Gilles et Morin, supra note 14, ch 1 la p 52.
118 I Samuel Tilghman of Racliffe Maryner doe acknowledge my selfe indebted unto Ed-
ward Packer & Henry Parnel of the Province of Maryland Gentleman the summe of five
hundred pownds sterl, to be payd uppon all demands. … To whose judgment wee like-
wise referre or selves, uppon penalty of the sumsett above mentioned (Tilghman, supra
note 115 la p 94).

119 Ibid la p 95 :

I Wee award Mr Edward Packer to resigne over all his right, tytle, & interest,
which doth belong to him of the said Plantation, goods & chattles, or of any of
the Estate, thing or things, that is in Copartnership betweene Captain Samuel
Tilghman, Henry Parnell & the said Edward Packer unto Mr Henry Parnell
within fowrteene days.
2 Wee award Mr Henry Parnell to pay unto Mr Edward Packer fourteene
thowsand pownds weight of good Tob[acco], & cask, (Viz) Sixe Thowsand
weight of Tob[acco] & cask present, fowre Thowsand weight of Tob[acco], in
November next & fowre thowsand weight of Tob[acco] in Ano (59). And that
the said Mr Henry Parnell shall give the said Mr Edward Packer good securi-
ty for the payment of the abouesed summe of Tob[acco].
3 Wee award Mr Henry Parnell for himselfe, & Captain Samuel Tilghman
shall give the said Mr Edward Packer a generall release, concerning the whole
busines, about the plantation & those things that did or doe belong thereunto.
And allso the said Mr Edward Packer shall give a generall release to Mr Par-
nell for himselfe & Captain Tilghman. This is the finall determination &
award of Vs, whose names are subscribed here untothe 6th day of March 1657.

162 (2011) 57:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

dans la difficult, pour un membre de la communaut, de poursuivre ses
relations avec celle-ci sil ne suit pas la sentence arbitrale120.
Ainsi, les lignes fortes de la pratique arbitrale, tant en common law
quen ancien droit franais, tant en Europe quen Amrique, sont com-
munes. La procdure pose en dfinitive peu de difficults juridiques. Elle
repose, comme de nos jours, sur les fondements de la confiance et de la
bonne foi, instrument avant tout des parties, pour le meilleur et pour le
pire . Comme le soulignait Stewart Kyd :

Every one whom the law supposes capable of judging, whatever may
be his character for integrity or wisdom, may be an arbitrator or um-
pire; because he is appointed by the choice of the parties themselves,
and it is their folly to choose an improper person; but a person cannot
be an arbitrator, who, by nature or accident, has not discretion; as
one of non-sane memory, or one who is deaf and dumb, because being
deprived of the use of those senses, which are more peculiarly the me-
dium through which knowledge is conveyed to the mind, he cannot be
supposed capable of judging121.

Cette souplesse et ce consensualisme expliquent en partie pourquoi
larbitrage reste un outil crucial lors de la priode de la Conqute, les ac-
teurs et les normes subsistant malgr le changement de pouvoir politique
et lemprise militaire.

II. Permanence des sources de droit et des acteurs aprs la Conqute

Les notaires Panet, Fouchet ou Sanguinet122 sont emblmatiques de
lascension sociale de certains notaires aprs la Conqute, notamment par
le cumul des charges de notaire et davocat introduit par les Anglais en
1765. Une fois la puissance britannique installe, une volution au sein de
ce groupe en formation se fait jour. Logiquement, des notaires dorigine
britannique font leur apparition en faible nombre dans un premier
temps mais de manire suffisamment significative pour marquer une
nouvelle pratique juridique et de nouvelles relations. John Burke fut le

120 Voir Mann, Neighbors, supra note 95.
121 Kyd, Awards, supra note 63 la p 70.
122 Celui-ci figure, au moment de linvasion amricaine (1775-1776), parmi les principaux
notables de la ville de Montral. Il dcrit dailleurs linvasion amricaine dans son jour-
nal, mentionn prcdemment (Ouellet et Therrien, supra note 32). Proche de Guy Car-
leton, il na cess de faire valoir ses positions loyalistes. Probablement en reconnais-
sance des services rendus aux autorits de la province, il est nomm juge de la Cour des
plaidoyers communs dans le district de Montral en dcembre 1788 : Yves-Jean Trem-
blay, Simon Sanguinet dans Dictionnaire biographique du Canada, 1771 1800, vol
4, Qubec, Presses de lUniversit Laval, 1980, 755 [Dictionnaire biographique du Ca-
nada].

LARBITRAGE NOTARI, INSTRUMENT IDOINE DE CONCILIATION 163

premier notaire commissionn Montral par Thomas Gage en 1762123.
Edward William Gray et Richard McCarthy lui firent suite, mais ils ne
prirent quune faible place au sein de la communaut notariale124. Aprs
la Conqute, les proportions entre les notaires ns en France et les no-
taires issus de la colonie ne sont pas globalement modifies par rapport au
rgime franais. Ainsi, de nombreux notaires commissionns aprs
larrive des Britanniques sont encore dorigine franaise, comme cest le
cas de Mathurin Bouvet, Franois le Guay ou Valentin Jautard125. Con-
cernant la formation, les exigences sont faibles, elle se fait essentiellement
au cur de la pratique.

Si leurs formations ne constituent pas a priori leur force, leur
connaissance du milieu et, in fine, du droit franais va constituer leur s-
same afin de rendre leur fonction indispensable. Ils parviennent ainsi as-
sez rapidement simplanter comme relais entre la population et
ladministration britannique. Outre les notaires Panet qui ont rgn
Montral, mais surtout Qubec, sur les postes officiels aprs ou concomi-
tamment lexercice du notariat, on remarque la famille Delisle Mon-
tral qui, aprs la Conqute, a su sinstaller solidement au sein des em-
plois publics126. On peut mettre en exergue le lien de confiance et damiti
qui lient certains des praticiens de cette poque, comme Pierre Panet de
Mru et Pierre Mzire : ils arbitrent ensemble, ils plaident lun contre
lautre et font appel lautre lorsquils ne peuvent instrumenter eux-
mmes.

La petite communaut notariale est resserre aprs la Conqute et
certains Panet et Mzire Montral ou Saillant et Louet Qubec
instrumentent largement en commun, renvoyant leur confrre un client
lorsquils ne peuvent le dfendre comme avocat dans une cause. Ils font fi-
gure, sous limpulsion des juridictions britanniques, darbitres joints dans
des causes qui leur sont renvoyes par les juridictions britanniques127.

123 Il fut coroner en 1764, avocat en 1765, greffier de la Paix en 1766, greffier de la Cour
des plaidoyers communs en 1776, de nouveau notaire en 1783, protonotaire et greffier
de la Cour du Banc du roi en 1794 (Lefebvre, Notaires , supra note 42 la p 306).

124 Gray notamment, malgr une commission de 1765 qui stend en 1781 toute la pro-
vince, a fort peu instrument en tant que notaire et semble avoir essentiellement vcu
de ses fonctions davocat et de fonctionnaire au sein de ladministration britan-
nique (ibid la p 311).

125 Ce dernier, avocat dans la colonie depuis 1768, ft commissionn par le gnral David

Wooster, lors de loccupation amricaine de Montral (ibid la p 318).

126 Ibid aux pp 312-313.
127 Vente dune maison de pice sur pice dans la ville de Montral par Pierre Mzire et
son pouse Jean Billeton-Desbruyeres (Pierre Panet de Mru, 11 aot 1764), Mon-
tral, Archives nationales du Qubec, (microfilm 2734, minute 2179) ; Vente de terre si-
tue au coteau St Louis prs de Montral par Luc de Chapt de Lacorne de Saint Luc

164 (2011) 57:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

En sadaptant rapidement au rgime anglais, ces individus comme
les notaires Panet128 poursuivent tous les objectifs dune carrire per-
sonnelle, mais participent galement, par leur pratique quotidienne, la
sauvegarde de la tradition juridique des populations francophones et
celle du patrimoine que reprsente la Coutume de Paris. Ils vont prendre,
avec dautres, une grande part dans le dveloppement de larbitrage nota-
ri sous le rgime britannique. Les relations entre notaires jouent alors
un rle dimportance dans la dfense des droits des Canadiens franais.
Panet, Sanguinet et Mzire furent parmi ceux qui se mirent en avant
dans les agitations, ptitions et manifestes qui maillrent la priode de
ladoption de lActe de Qubec129. Cest un autre trait marquant des no-
taires-avocats de cette priode. Ils nhsitent pas, linstar de leurs col-
lgues franais des dix-huitime et dix-neuvime sicles, sengager dans
le dbat politique130. Malgr cela, les notaires urbains131 semblent jouir
globalement de la confiance des ngociants anglais fraichement instal-
ls132.

Pierre Mzire et son pouse (Pierre Panet de Mru, 26 avril 1769), Montral, Archives
nationales du Qubec, (microfilm 2735, minute 3190) ; Vente de terre situe au coteau
St Louis prs de Montral par Louis Hubert dit Lacroix et son pouse Pierre Mzire
et son pouse (Pierre Panet de Mru, 26 fvrier 1772), Montral, Archives nationales du
Qubec, (microfilm 2736, minute 3804) ; Sentence arbitrale (Pierre Panet de Mru, 07
juin 1766), Montral, Archives nationales du Qubec, (microfilm 2734, minute 2582) ;
Actes du notaire Claude Louet, Montral, Archives nationales du Qubec, (microfilm
10879). Concernant le volume dactivit, il est trs variable, mais un notaire urbain
peut instrumenter jusqu 400 actes par an de manire exceptionnelle, une activit m-
diane se trouvant toutefois entre 150 et 200 actes par an (comme Pierre Panet de Mru
(notaire), Montral, Archives nationales du Qubec, (microfilm 2732 2738)).

128 David Gilles, Le notariat canadien face la Conqute anglaise : lexemple des Panet
dans Vincent Bernaudeau et al, dir, Les praticiens du droit du Moyen ge lpoque
contemporaine, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, 189.

129 Roy, Notariat, supra note 30 la p 56 ; Acte de Qubec de 1774 (R-U), 14 Geo III, c 83,

reproduit dans Shortt et Doughty, supra note 12, 552 [Acte de Qubec].

130 Ainsi Jean Delisle, accompagn de Jean-Baptiste Adhmar de St-Martin, appartenant
une famille de notaires, portrent tous deux la Cour de Saint James, en 1787, une
supplique demandant pour les Canadiens les prrogatives de lhabeas corpus, qui leur
sera accorde un an plus tard : Lefebvre, Notaires , supra note 42 la p 313.

131 Voir par ex la procuration confie Pierre Mzire de Jean Lees, ngociant de Qubec,
pour lui et pour Alexandre Davison, son associ, enregistre dans son greffe par Pierre
Panet de Mru, 29 septembre 1777, Montral, Archives nationales du Qubec, (micro-
film 2737, minute 4761).

132 Jean-Philippe Garneau a fait le mme constat pour les avocats de la rgion de Qubec
dans les annes 1780 : Une culture de lamalgame au prtoire : les avocats de Qubec
et llaboration dun langage juridique commun au tournant des XVIIIe et XIXe sicles
(2007) 88 : 1 Canadian Historical Review 113 [Garneau, Amalgame ]. Les anciens su-
jets, colons ou administrateurs dorigine britannique recourent frquemment aux avo-
cats-notaires dorigine franaise afin dencadrer juridiquement leur implantation. Ainsi,

LARBITRAGE NOTARI, INSTRUMENT IDOINE DE CONCILIATION 165

Analysant les sources du droit appliqu dans les actes notaris de
cette priode, il est manifeste que les notaires appliquent la Coutume de
Paris sans tenir compte des volutions juridiques et politiques. Si on
trouve, partir des annes 1771-1772 environ, des actes rdigs en an-
glais par des notaires francophones133, il ny a pas ou trs peu dactes fon-
ds sur le droit priv anglais. Les parties anglophones lacte sont rares,
mme sil est possible de trouver des pices o les deux parties le sont134.
Leur nombre semble suivre linstallation des colons dorigine anglaise
dans la colonie135.
Ainsi, la Coutume de Paris continue de sappliquer, en contravention
avec lesprit si ce nest la lettre de la Proclamation royale, mais en
parfaite conformit avec la pratique de la Cour des plaidoyers communs.

Adam Mabane, juge la Cour des plaidoyers communs, agit en 1772 comme fond de
procuration de John Lockhart, lieutenant du quinzime rgiment, afin de vendre des
rentes au notaire Jean-Antoine Panet, lacte tant instrument par Jean-Antoine Sail-
lant de Collgien, 18 juillet 1772, Montral, Archives nationales du Qubec, (microfilm
11530, minute 2319). Aprs lActe de Qubec, on retrouve ces mmes types dactes,
comme la cession de bail conclue par James Park, lun des marchands nouvellement
installs Qubec, et Thimote Devine, lacte tant rdig et enregistr par Jean-
Antoine Panet, 25 janvier 1779, Montral, Archives nationales du Qubec, (microfilm
1284, image 208). Les notaires Panet semblent participer ainsi, comme procureurs,
lessor des transactions entre la colonie et la capitale londonienne. Il en est ainsi dans
lacte instrument par le notaire Sanguinet Montral, conservant lobligation de Lau-
rent Ermatinge, ngociant rue Saint-Paul, peut-tre dorigine anglophone, envers Pierre
Panet, agissant pour Brook Watson et Robert Rashleigh, ngociants Londres : Obligation
de Laurent Ermatinge Brook Tawson et Robert Rashleigh (Simon Sanguinet (fils), 31
mars 1778), Montral, Archives nationales du Qubec, (microfilm 2686, minute 1208).

133 Cest le cas notamment de Jean-Antoine Panet, qui enregistre dans son greffe des actes
dans cette langue, pour des clients anglophones. Il en est ainsi dune Collation of a
promissory note by Penelope Vassal, to Lewis Robicheau rdige le 14 mars 1772,
(Jean-Antoine Panet, 9 juillet 1784), Montral, Archives nationales du Qubec, (micro-
film 1286).

134 Cela est le cas essentiellement dans les fonds des Panet de la ville de Qubec puisquil
sagit du premier lieu dimplantation des colons et surtout des marchands anglais. Ainsi
est instrument au greffe de Jean-Antoine Panet, lavis arbitral rendu entre deux ngo-
ciants de la ville de Qubec, Henry Boone et Edward Watts, o lamiable compositeur
est Antoine Vialard, ngociant en la mme ville : Sentence arbitrale (Jean-Antoine Pa-
net, 21 mai 1777), Montral, Archives nationales du Qubec, (microfilm 1284, image
694).

135 Dans les fonds des notaires Panet, on note labsence totale dactes instruments sur la
base du droit anglais, et cela antrieurement lActe de Qubec. La seule adaptation
la nouvelle pratique semble la conversion en livre sterling des amendes. On trouve,
pour lanne 1779, 42 actes faisant intervenir au moins une partie anglophone si lon
prend comme critre de nationalit la consonance du nom sur un total de 217 actes
au sein du greffe de Jean-Antoine Panet, 1779, Montral, Archives nationales du Qu-
bec, (microfilms 1284-85).

166 (2011) 57:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

Le 30 juillet 1768, Pierre Panet et Mzire, dans le cadre dun arbitrage
concernant le partage dune succession, crivent :

[] lgard des biens nobles dpendant de la succession de ladite feue
Dame Louise Boucher, nous disons de notre opinion que conform-
ment la coutume suivie en ce pas et les sentences des meilleurs
commentateurs, les enfants mles de Mesdames Demuy, De Va-
rennes, De Niverville et Sabrevois, venant de leurs chefs et non par
reprsentation de leur mre la succession de ladite feu Dame Bou-
cher, envers leurs cousins germains, et quoiquissus de mles, ils
doivent partager avec eux dans lesdits biens meubles, dans lequel
partage ne devant pas tre compris les filles issues de Mme Boucher
pouse de M le Gardeur parce quelles sont dans le cas de la prohibi-
tion portes par la coutume. Fait Montral le 30 juillet 1768136.

Cet exemple ne serait pas suffisant pour conclure une permanence
du droit franais, mais en suivant la pratique notariale, nous constatons
la suite des travaux de certains historiens137 un recours permanent
lancien droit hexagonal. Durant toute cette priode, figurent lenvi des
actes de mariage faisant explicitement rfrence la Coutume de Paris et
au douaire coutumier. Leur rle est particulirement marquant dans le
cadre du maintien de la pratique arbitrale, mais galement dans
laccomplissement dactes juridiques de la vie quotidienne138.

Les actes de droit priv instruments restent fonds sur le droit fran-
ais. Lorsque Sanguinet instrumente une procuration qutablit Jean-
Claude Panet en octobre 1765, au profit de son pouse Marie-Louise Baro-
let, il rdige celle-ci conformment la Coutume de Paris139 et la pra-
tique de la Nouvelle-France. Il tait alors permis au mari de confier, par
procuration, la gestion de la communaut de biens sa femme, qui recou-

136 Dans cette sentence arbitrale de 1768, relative un partage de succession des biens
nobles de la famille Boucher entre les Boucher de Boucherville, Boucher de Grandpr,
Boucher de Grandbois et les Boucher de Niverville, il est prvu le paiement de 150
livres sterling en cas de non-respect du compromis arbitral rdig par Pierre Panet et
Pierre Mzire : Partage de succession de ladite feue Louise Boucher (Pierre Panet de
Mru, 30 juillet 1768), Montral, Archives nationales du Qubec, (microfilm 2735, mi-
nute 3027).

137 Genevive Postolec, Le mariage dans la Coutume de Paris : normes et pratiques
Neuville aux XVIIe et XVIIIe sicles dans Sylvie Dpatie et al, dir, Vingt ans aprs
Habitants et marchands : lectures de lhistoire des XVIIe et XVIIIe sicles canadiens,
Montral, McGill-Queens University Press, 1998, 208 ; Garneau, Amalgame , supra
note 132.

138 Pour un aperu de la pratique en matire de libert testamentaire, voir Decroix, Gilles

et Morin, supra note 14, ch 10 la p 278, n 959.

139 Procuration de Jean-Claude Panet son pouse (Simon Sanguinet (fils), 5 octobre

1765), disponible dans Parchemin, Archives nationales du Qubec.

LARBITRAGE NOTARI, INSTRUMENT IDOINE DE CONCILIATION 167

vrait alors lexercice de sa capacit juridique pour un temps dtermin140.
Le contrat de mariage instrument par Pierre Panet de Mru le 8 avril
1769 savre encore plus significatif du maintien patent du droit franais,
en raison des parties et des reprsentants lacte. Sont alors prsents
lacte John Fraser, juge de la Cour des plaidoyers communs, et Daniel Ro-
bertson, juge de paix. La prsence de ces notables britanniques sexplique
par le fait que le pre du futur mari, Charles-Franois Tarieu de Lanau-
dire, est la tte dune famille de notables du rgime franais qui entre-
tenait de fort bonnes relations avec le nouveau pouvoir141. Prsents au
contrat de mariage du
fils Charles-Louis, ces reprsentants de
ladministration britannique ne soffusqurent pas de signer un acte ins-
trument en 1769 par Pierre Panet dans les termes suivants :

Seront les futurs poux mis de commun en tous biens meubles et
conquts et immeubles suivant la coutume anciennement et
jusquicy suivie en ce pas, sous laquelle leur future communaut se-
ra rgie et gouverne, renonant expressment toutes autres loix
et coutumes contraires142.

Ainsi, sous le regard et la signature dadministrateurs britanniques, une
clause prvoit en 1769 dchapper expressment au droit britannique au
profit de lapplication de la Coutume de Paris. Cet acte est un argument
de poids contre lide de rsistance passive, et taye au contraire la bien-
veillance des autorits locales anglaises au maintien des rgles juridiques
dorigine franaise dans les rapports entre les nouveaux sujets franco-
phones de Sa Majest143. Dans un contrat de mariage du 10 octobre 1772,

140 Sur cette question, voir David Gilles, La condition juridique de la femme en Nouvelle-
France : essai sur lapplication de la Coutume de Paris dans un contexte colonial
(2002) 1 Cahiers aixois dhistoire des droits de loutre-mer franais 77. Voir aussi Con-
trat de mariage entre Jean-Pierre Amont et Marie-Thrse Frdet (Joseph-Barthelemy
Richard, 11 novembre 1767), Montral, Archives nationales du Qubec, (microfilm
6716, image 955).

141 Marie-Cline Blais, Charles-Franois Tarieu de Lanaudire dans Dictionnaire bio-

graphique du Canada, supra note 122 aux pp 791-92 :

En 1766, il signa, avec dautres seigneurs du district de Qubec, ladresse
destine au gouverneur Murray loccasion de son dpart. Lorsquen 1769 le
gouverneur Guy Carleton demanda Londres que les membres de la no-
blesse canadienne puissent entrer au Conseil de Qubec, il suggrait, parmi
12 noms, celui de Tarieu de La Naudire. Effectivement, ce dernier devint
membre du Conseil lgislatif cr en 1775 par lActe de Qubec, pour la pre-
mire fois ouvert aux catholiques.

142 Contrat de mariage (Pierre Panet de Mru, 8 avril 1769), Montral, Archives nationales

du Qubec, (microfilm 2735, minute 3186).

143 En fvrier 1772, le notaire Leguay utilise une formulation similaire : les dits futurs
poux unis en communaut en tous biens meubles, conquts, immeubles suivant au-
dites fins la coutume anciennement suivies en ce pas conformment laquelle leur dite
communaut sera rgle, renonant ces effets toutes coutume ou loix con-

168 (2011) 57:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

le notaire Leguay indique que lesdits futurs poux, unis et communs en
tout bien meuble, conquts et immeubles suivant […] la Coutume de Paris
anciennement suivie en ce pas 144. On retrouve encore, en novembre
1774, une formule similaire, dans un acte de mariage instrument par le
notaire de Boucherville, Franois Racicot :

Pour cette coutume seront les dits futurs poux [mis] en commun en
tous biens conquts & immeubles quils feront et acqureront pen-
dant et constant le dit futur mariage suivis prcdemment dans la
province de Qubec au dsir delaquelle leur communaut sera rgie
et gouverne encore quil fasse leurs demeures ou des acquisitions en
pas deloix et coutume ce contraire aux quels ils ont tous prsen-
tement drog et renonc sur ce regard145.

Constituant un douaire coutumier au profit de lpouse, le notaire Racicot
et les parties se conforment en tout point la tradition juridique franaise
et la Coutume de Paris146. Ces contrats sont dans la droite ligne de la
pratique franaise et diffrent peu des actes postrieurs lActe de Qu-
bec147. Ainsi, seule labsence de la clause excluant expressment le recours
dautres coutumes ou lois tmoigne du passage de lActe de Qubec dans
lordonnancement normatif et dans la pratique du notariat de la province.
La formulation demeure quasiment la mme par la suite148 et est insre

traire : Contrat de mariage entre Andr Poudret et Josphe Robert, (Franois Leguay
(pre), 15 fvrier 1772), Montral, Archives nationales du Qubec, (microfilm 2143, mi-
nute 7).

144 Contrat de mariage entre Thomas Larame et Charlotte Lafontaine, (Franois Leguay
(pre), 10 octobre 1772), Montral, Archives nationales du Qubec, (microfilm 2143, mi-
nute 23).

145 Contrat de mariage entre Jean-Baptiste Piete et Marie-Josphe Leroux (Franois Raci-
cot, 6 novembre 1774), Montral, Archives nationales du Qubec, (microfilm 3189, mi-
nute 1251).

146 Le contrat se poursuit de la manire suivante : Ledit futur poux apporte […] ladite
future pouse de la somme de trois cent livres ou schillings actuels de la Province [
titre] de douaire ; ce douaire sera une fois pay savoir et prendre ds que douaire aura
lieu sur les plus claires et mieux apparent biens du dit futur poux dont elle sera saisie
suivant ladite coutume (ibid).

147 Comme en tmoigne ce contrat de mariage instrument le 22 juillet 1775 par le notaire
Rigaud : [S]eront les dits poux en communaut en tous biens meubles et conquts et
immeubles du jour des pousailles suivant et aux fins de la Coutume de Paris suivie en
cette province sous la quelle veulent que leur dite communaut soit rgie et gouverne
[…] : Contrat de mariage entre Antoine Deguir dit Derosier et Marie-Dorothe Laval
(Franois-Pierre Rigaud, 22 juillet 1775), Montral, Archives nationales du Qubec,
(microfilm 1479, image 1658).

148 Ainsi, dans un contrat de mariage instrument par Jean-Antoine Panet en 1777, on re-
trouve la formule idoine : Seront les futurs poux communs en tous biens meubles et
conquts immeubles du jour de leurs pousailles conformment la coutume de ce
pas : Contrat de mariage entre Louis Levreau et Marie-Rose Moreau (Jean-Antoine

LARBITRAGE NOTARI, INSTRUMENT IDOINE DE CONCILIATION 169

dans les actes de mariage prremplis, utiliss par le notaire Foucher la
fin des annes 1770. Enfin, les contrats de mariage ne sont pas les seuls
conserver lancien droit franais durant la priode de 1760 1774. Des
contrats de concession de terres149 ou des requtes demandant la runion
dassembles de parents perptuent la pratique juridique franaise150.

III. La juridictionnalisation de larbitrage : La conciliation des systmes et

des droits dans la province de Qubec

La pratique arbitrale est utilise ds linstauration du rgime mili-
taire, ayant lavantage de la souplesse et existant dans la pratique tant de
la common law que du droit franais, connu des capitaines de milice151. On
retrouve ainsi des actes darbitrage initis par ces derniers152, par les
cours de justice153 ou par les gouverneurs militaires154. Ds cette poque,

Panet, 1 juin 1777), Montral, Archives nationales du Qubec, (microfilm 1284, image
735).

149 Voir par ex Andr Genest (04 janvier 1772), Montral, Archives nationales du Qubec,

(microfilm 749, image 94).

150 Garneau, Usages, supra note 19 aux pp 184-85, 188, 223, 264 ; Jean-Philippe Garneau,
Justice et rglement des conflits dans le gouvernement de Montral la fin du Rgime
franais, mmoire de maitrise en histoire, Universit du Qubec Montral, 1995 aux
pp 166, 195.

151 Durant la priode militaire (1760-1764), seuls dix actes darbitrage sont ainsi instru-
ments dans les fonds notaris, soit une moyenne de 2,5 actes par an (toutefois sur une
priode aussi courte, une volution est difficilement apprhendable). De 1765 1784,
les 203 actes enregistrs dans les fonds notaris reprsentent une moyenne lgrement
suprieure dix actes. Le nombre dactes darbitrage a donc t multipli par dix de la
priode franaise tudie la priode anglaise tudie. Pour une analyse complte de
cette volution, voir Decroix, Gilles et Morin, supra note 14, ch 10 aux pp 413-15, 423-
25.

152 Une autre sentence, date du 2 aot 1762, concerne lestimation de biens relatifs une
succession, les arbitres agissant suite lordre des capitaines de milice de Mon-
tral : Contrat sous seing priv, avis arbitral concernant lemplacement et la maison
dpendant de la succession de feu Pascal Arel (Jean Pladeau, 2 aot 1762), Montral,
Archives nationales du Qubec, (TL313, S1, dossier 2/3.371). Voir aussi un acte sous
seing priv qui tablit le procs-verbal dune estimation et dune valuation, fait par les
arbitres Joseph Alard et Franois le Clerc de Mascouche, la demande des capitaines
de milice de ce lieu pour une terre acquise par Joseph Beauchamp : Contrat sous seing
priv, avis arbitral concernant une terre appartenant Joseph Beauchamp (Franois le
Clerc et Joseph Alard (fils), 2 avril 1763), Montral, Archives nationales du Qubec,
(TL313, S1, dossier 2/3.387).

153 Dans la collection Louis-Franois-Georges Baby, voir Jugement par les capitaines de
milice, Jacques Aubuchon et autres, ordonnant larbitrage pour rgler le diffrend entre
Jacques Cottineau et Jean Htier, pour la possession dune partie de la terre (15 juillet
1762/Pointe-aux-Trembles), Montral, Universit de Montral, (P0058C3/65, microfilm
1295) ; Ordre de Panet, capitaine de milice, de faire larpentage de la terre du deman-
deur, dans la cause de Toussaint Cr vs Marguerite LeDuc, veuve de Pierre Sarrazin

170 (2011) 57:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

la distinction entre rglement juridictionnel et arbitrage savre diffi-
cile155. La participation des juridictions mises en place par le pouvoir an-
glais se poursuit au moment de la mise en place du rgime civil. Para-
doxalement, lentre en vigueur de la Proclamation royale de 1763 et la
mise en place dun nouveau systme judiciaire en 1764 introduisent une
priode dincertitude sur la norme appliquer qui na pratiquement,
comme nous venons de le voir, aucune consquence visible dans les actes
notaris. La pratique de larbitrage notari sappuie alors largement sur le
soutien et la permanence des notaires installs sous le rgime franais,
comme Louet ou les notaires Panet, et le relais des juridictions. Cette
permanence est somme toute logique. La plupart des juges durant cette
priode ne semblent pas bnficier dune formation en droit franais, et il
doit leur paratre assez naturel de renvoyer les dbats sur le fondement
de la Coutume de Paris aux notaires forms son emploi.

A. Le notariat, amicus curiae des juridictions britanniques

Lenseignement essentiel au vu des prmices de cette recherche rside
dans lvolution des actes arbitrs par des notaires, une volution qui suit
assez fidlement celle des actes trouvant leurs initiatives devant une juri-
diction britannique. Ainsi, en croisant les renvois larbitrage des fonds
de la Cour des plaidoyers communs aux actes faisant rfrence cette
procdure dans les fonds notaris, il est patent que ce sont les juridictions
qui soutiennent en partie le recours larbitrage, notamment jusquen
1770. On constate de mme un recours des notaires rfrents (Louet
Qubec) ou des binmes de notaires (Panet de Mru et Mzire ou par-
fois Foucher ainsi que Saillant et Jean-Claude Panet Qubec). Toutefois,
le recours au notaire nest pas li de manire adamantine limpulsion
des juridictions britanniques, ce qui laisse penser que cette position cl
des notaires est galement reconnue par la population. Celle-ci ne rejette
donc pas ces acteurs du fait de leur implication dans les procdures extra-
judiciaires des juridictions de la nouvelle puissance coloniale, le pragma-
tisme semblant rgner de part et dautre. Sans perdre la reconnaissance

(7 dcembre 1762/Montral), Montral, Universit de Montral, (P0058C3/66, microfilm
1295).

154 Ainsi, en 1761, on trouve une cause o larbitre est le capitaine de milice : [Louis le Ca-
velier] de la paroisse de St Laurent, nomm par Son excellence Monseigneur de Gage
gouverneur pour administrer la justice dans ltendue de nos compagnies : Sentence
arbitrale (Pierre Panet de Mru, 29 janvier 1765, enregistrant une sentence du 15 juin
1761), Montral, Archives nationales du Qubec, (microfilm 2734, minute 2294).

155 Ainsi, en vertu de lordonnance du gouverneur du Qubec, James Murray, est instru-
mente une sentence suite une requte prsente le 26 octobre par tienne Gron-
din : Procs-verbal darbitrage des terrains dtienne Grondin (Joseph Dionne, 25 no-
vembre 1761), Montral, Archives nationales du Qubec, (microfilm 6669, image 758).

LARBITRAGE NOTARI, INSTRUMENT IDOINE DE CONCILIATION 171

de leurs concitoyens, les notaires agissent de moins en moins comme ar-
bitres, alors quils instrumentent toujours de nombreux arbitrages volon-
taires ou juridictionnels aprs 1777. La situation politique et juridique
stabilise, le cot dun arbitre de profession notariale dpasse visiblement
le gain juridique quil peut reprsenter, les parties se contentant de faire
instrumenter lacte tranchant le diffrend.
Contrairement la rsistance passive voque par lcole historique de
Montral, il faut constater un pragmatisme actif, de part et dautre, les
juridictions se dchargeant dun contentieux difficile et source de conflits
avec les populations au profit des notaires. Ceux-ci prsentent le triple
avantage de la connaissance juridique, dune certaine fidlit au nouveau
pouvoir qui ils doivent leurs nouvelles commissions, ainsi que dune
proximit et dune reconnaissance par la population. Ils participent donc
la prservation du droit franais tout en consolidant leurs positions per-
sonnelles et collectives, jusqu ce que lActe de Qubec vienne consacrer
sa prservation. Le dveloppement conomique les oriente ensuite soit
vers la fonction davocat partir de 1785, soit vers les grands greffes lis
aux activits conomiques des grands marchands britanniques. Cette con-
jonction entre praticiens, populations et juridictions britanniques peut
tre confirme par les crits des administrateurs britanniques de la colo-
nie, et par lattitude de certains juristes londoniens qui vont favoriser la
conciliation des systmes, plutt que laffrontement.
Ainsi, si la Proclamation royale du 7 octobre 1763 permet aux gouver-
neurs dtablir des tribunaux afin d entendre et juger toutes les causes
aussi bien criminelles que civiles, suivant la loi et lquit, conformment
autant que possible aux lois anglaises 156, lide de la survivance du droit
franais en matire de droit priv est immdiatement prsente dans
lesprit des administrateurs. Le gouverneur Murray affirme ainsi que la
saisie de la Cour des plaidoyers communs157 doit tre rserve aux seuls

156 George R, Proclamation, 7 octobre 1763, reproduit dans Shortt et Doughty, supra note
12 la p 138. Sur la mise en place des institutions judiciaires britanniques, voir
Jacques LHeureux, Lorganisation judiciaire au Qubec de 1764 1774 (1970) 1
RGD 266.

157 Lordonnance du 17 septembre 1764 tablit notamment une cour de judicature inf-
rieure, ou cour des plaids communs charge de juger tous les litiges dont la valeur d-
passe un montant de dix louis (Cours civiles, supra note 12 la p 181). Murray crit que
[l]a cour des plaids communs est tablie seulement pour les Canadiens : ne pas ad-
mettre une cour semblable jusqu ce quon puisse supposer quils se soient familiariss
suffisamment avec nos lois et nos mthodes concernant ladministration de la justice
dans nos cours, quivaudrait lancer un navire sur une mer sans boussole (ibid, tel
que cit par Jacques Lacoursire, Histoire populaire du Qubec : Des origines 1791, t
1, Sillery, Septentrion, 1995 la p 354).

lquit en tenant compte cependant des

172 (2011) 57:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

Canadiens, cest–dire aux nouveaux sujets de Sa Majest britannique158.
Il prcise que cette juridiction a t tablie dans lattente que ces derniers
se familiarisent suffisamment avec nos lois et nos mthodes concernant
ladministration de la justice dans nos cours 159. Les juges de la Cour des
plaidoyers communs doivent dailleurs, selon les termes de lordonnance,
dcider suivant
lois
dAngleterre en autant que les circonstances et ltat actuel des choses le
permettront 160. Lquit est alors le paravent derrire lequel se cache le
droit franais. Selon William Hey, les juges de cette cour admettent ainsi
les lois du Canada dans les procs entre Canadiens, mme si la cause de
laction a t mue depuis septembre 1764 161. Francis Masres stigmatise
quant lui lincertitude dangereuse qui rgne dans le droit durant cette
priode : Lincertitude qui rgne au sujet des lois et les doutes que lon
entretient au sujet de la lgalit du maintien des anciennes lois et cou-
tumes en usage au temps du gouvernement franais, constituent le pre-
mier et lun des principaux embarras 162. Dans les fonds des notaires Pa-
net, les matires soumises larbitrage portent sur lensemble des activi-
ts juridiques de lpoque : successions, comptes de tutelle, servitudes,
obligations personnelles et commerciales163. Certaines affaires mettent en

158 Cest galement linterprtation quen font un certain nombre dhabitants, qui consta-
tent avec plaisir que, dans la [d]cision de nos affaires de famille et autres, il seroit
tabli une [j]ustice infrieure, o toutes les [a]ffaires de Franois Franois y seroient
dcides : Ptition des habitants franais au Roi au sujet de ladministration de la jus-
tice, 7 janvier 1763, reproduit dans Shortt et Doughty, supra note 12, 195 la p 196.

159 Cours civiles, supra note 12 la p 181.
160 Ibid la p 182.
161 Guy Carleton et William Hey, Rapport sur les lois et les cours de judicature de la pro-
vince de Qubec, 15 septembre 1769, reproduit dans WPM Kennedy et Gustave Lanctot,
dir, Rapports sur les lois de Qubec, 1767-1770, Ottawa, Imprimeur de sa trs excellente
majest le Roi pour les Archives Publiques du Canada, 1931, 53 la p 67.

162 Francis Masres, Brouillon dun rapport prpar par lhonorable gouverneur en chef et le
Conseil de la province de Qubec, pour tre prsent Sa Trs-Excellente Majest le roi
en son Conseil, au sujet des lois et de ladministration de la justice de cette province, 11
septembre 1769, reproduit dans Shortt et Doughty, supra note 12, 304 la p 330.

163 En indiquant le fonds notari des Archives nationales du Qubec Montral, o se
trouve lacte, ainsi que la date, le microfilm et la minute (lorsque disponible), la compo-
sition des affaires instrumentes ou arbitres par les notaires Panet est la sui-
vante : Soit chronologiquement, en matire commerciale (Pierre Panet de Mru, 16
mars 1765, microfilm 2734, minute 2345), une reconnaissance de dette (Pierre Panet de
Mru, 7 juin 1766, microfilm 2734, minute 2583), une quittance en matire successorale
(Claude Louet, 24 fvrier 1767, microfilm 10879, image 2531), un partage de crance
(Jean-Claude Panet, 1 juin 1768, microfilm 1292, image 1310), de succession (Pierre
Panet de Mru, 12 et 30 juillet 1768, microfilm 2735, minutes 3006 et 3027), de coupe
de bois sur des terres contestes (Pierre Panet de Mru et Franois Simonnet, 27 juillet
1768, contrat sous seing priv, TL313, S1, dossier 2/4.554), un partage et des droits de
succession (Pierre Panet de Mru, 08 aot 1768, microfilm 2735, minute 3037), de

LARBITRAGE NOTARI, INSTRUMENT IDOINE DE CONCILIATION 173

jeu la confusion des fonctions de notaire et davocat, quelques troubles se
faisant jour dans la pratique, comme dans laffaire opposant Jean-Claude
Panet et Guillaume Roy164. Dpassant les luttes picrocholines de ces deux
protagonistes, on peut remarquer que les relations entre les notaires de
Qubec sont fortes, Guillemin, Saillant et Panet entretenant visiblement
des relations troites et de confiance. La permanence des cadres juri-
diques permet au nouveau rgime de sinstaller sans heurts majeurs. En
effet, comme cela pouvait tre le cas sous le rgime franais165, ce sont
souvent les juridictions civiles britanniques qui nomment les arbitres166,
et non pas les parties. De mme, le type de questions abordes dans les
compromis ou dans les sentences ne diffre pas sensiblement de celles qui
taient examines auparavant dans ce cadre.
Aprs la Conqute, le nombre dactes notaris faisant rfrence
larbitrage connat dimportantes fluctuations, sans doute en raison des

paiement de dette (Pierre Panet de Mru, 07 septembre 1768, microfilm 2735, minute
3067), de compte de tutelle (Pierre Panet de Mru, 15 novembre 1768, microfilm 2735,
minute 3120), de succession et de don mutuel (Pierre Panet de Mru, 21 dcembre 1768,
microfilm 2735, minute 3137), de succession (Pierre Panet de Pru, 22 mars 1769, mi-
crofilm 2735, minute 3179), de gestion de biens de communaut (Pierre Panet de Mru,
29 mai 1769, microfilm 2735, minute 3210), de succession et de rente viagre (Pierre
Panet de Mru, 13 juillet 1769, microfilm 2735, minute 3264), une reddition de compte
de communaut (Pierre Panet de Mru, 17 juillet 1769, microfilm 2735, minute 3268),
dune vente verbale dune terre et de responsabilit contractuelle (Pierre Panet de M-
ru, 05 aot 1769, microfilm 2735, minute 3286), de lots et vente (Pierre Panet de Mru,
15 septembre 1769, microfilm 2735, minute 3328), de lettres de crance (Pierre Panet
de Mru, 19 septembre 1769, microfilm 2735, minute 3334), de paiement du prix de
construction dun moulin (Pierre Panet de Mru, 6 mai 1771, microfilm 2736, minute
3652), de sparation de deux terrains dans une affaire de succession (Jean-Claude Pa-
net, 9 septembre 1771, microfilm 1293, image 1269), de paiement dobligation (Pierre
Panet de Mru, 30 octobre 1771, microfilm 2736, minute 3762), de succession (Jean-
Antoine Panet, 9 mars 1773, microfilm 1283), dune donation dans le cadre dune suc-
cession (Pierre Panet de Mru, 20 novembre 1773, microfilm 2736, minute 4125), de
succession nouveau (Pierre Panet de Mru, 28 octobre 1776 ainsi que les actes du 6
mars 1777, du 18 aot 1777 et du 10 septembre 1777, microfilm 2737, minutes (dans
lordre) 4578, 4657, 4719, 4734), de comptes commerciaux (Jean-Antoine Panet, 21 mai
1777, microfilm 1284, image 694), de liquidation de succession (Pierre Panet de Mru,
30 janvier 1778, microfilm 2738, minute 4812), de contrat de concession de terres
(Pierre Panet de Mru, 9 fvrier 1778, microfilm 2738, minute 4820).

164 Roy c Chaboisseau (Jean-Antoine Saillant de Collgien, 4 octobre 1767), Qubec, Ar-
chives nationales du Qubec, (Cour des plaidoyers communs, TP5-S1-S11, dossier 269).

165 Gilles, Arbitre , supra note 2.
166 Sur lusage de la Coutume de Paris par les juridictions civiles britanniques, voir no-
tamment Arnaud Decroix, La controverse sur la nature du droit applicable aprs la
conqute (2011) 56 : 3 RD McGill 489 la p 522.

174 (2011) 57:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

changements de rgimes juridiques167. Dans ce contexte, les notaires
jouent des rles diffrents lorsquune procdure darbitrage est amorce,
mais continuent dagir comme arbitres. On peut alors analyser la fois
quantitativement et qualitativement ces donnes.

La participation des notaires aux activits des juridictions mises en
place par le pouvoir anglais continue sous le gouvernement civil, jusqu
la fin de la priode tudie. Comme par le pass, ils rdigent des compro-
mis et des sentences. De 1740 1784, le nombre dactes se rapportant
larbitrage connat toutefois une volution en dents de scie, comme le
montre le graphique ci-aprs. De 1760 1784, 244 actes notaris se rap-
portent larbitrage. De ce nombre, trente-deux sont initis ou prennent
place dans le cadre dune procdure devant lune des Cours des plaidoyers
communs. Vingt autres arbitrages sont conscutifs un passage devant
les juges de paix, quatre le sont aprs une dcision de la Cour des prro-
gatives et une affaire est le fait dun administrateur militaire (un gouver-
neur de province non identifi). Ces volumes reprsentent, en pourcen-
tage, treize pour cent des arbitrages notaris pour la Cour des plaidoyers
communs, huit pour cent pour les juges de paix et moins de deux pour
cent pour les sentences conscutives un contentieux devant la Cour des
prrogatives. Durant cette priode, presque vingt-trois pour cent des dci-
sions arbitrales prennent place dans le cadre dune procdure conten-
tieuse devant les juridictions anglaises ou sont amorces par elles. Ce
chiffre, significatif, montre que lhypothse de la rsistance passive doit
tre fortement nuance.

167 Notre recherche pour les donnes des paragraphes suivants a t faite par mots-cls
(arbitrage, sentence arbitrale, arbitration, arbitres) dans la base de donnes Parche-
min : voir supra notes 28-29.

LARBITRAGE NOTARI, INSTRUMENT IDOINE DE CONCILIATION 175

30

25

20

15

10

5

0

s
e
t
c
a
d
e
r
b
m
o
N

Anne

Nombre d’actes d’arbitrage notaris, 1740-1784

Si les arbitrages sont en augmentation aprs la mise en place du r-
gime civil, cest autant le fait des populations que du pouvoir judiciaire. Si,
en 1765 et 1766, le nombre de dcisions reste assez proche du maximum
dactes atteint durant la priode franaise168, lanne 1767 marque un pic
avec vingt-et-un actes, confirm en 1768 (vingt-six actes) et en 1769 (dix-
neuf actes). De plus, le nombre dactes par anne ne redescend plus en
dessous de la barre des quatre actes (pour les annes 1775 et 1776), le mi-
nimum de la priode anglaise rejoignant quasiment le maximum de la p-
riode franaise.

En 1767 et durant les annes conscutives, on assiste une explosion
du nombre darbitrages enregistrs par les notaires de la province, alors
quune participation importante des juridictions anglaises la pratique
arbitrale, en matire de droit priv, se confirme. Sur les vingt-et-une dci-
sions arbitrales inventories, six dcisions sont inities par les juges de
paix et cinq par la Cour des plaidoyers communs, le reste des actes tant
des arbitrages extrajudiciaires souhaits uniquement par les parties.
Soixante-huit pour cent des arbitrages raliss cette anne-l sont donc
pris linitiative des juridictions tablies par le pouvoir anglais. Pour
lanne 1768, un tiers (trente-cinq pour cent) des affaires arbitres, enre-
gistres dans les fonds notaris, consistent en des renvois faits par les ju-

168 Alors que, durant la priode franaise, aucune variation ne semble vritablement mar-
quante (le nombre dactes passant de zro cinq sans volution stable), la priode an-
glaise possde des traits spcifiques. Au cours de la fin de la priode militaire et des
premires annes de la priode civile, on observe une trs forte augmentation du
nombre dactes darbitrage. Voir Gilles, Arbitre , supra note 2.

176 (2011) 57:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

ridictions anglaises, presque vingt-et-un pour cent des affaires arbitres
tant le fait des juges de paix.

Les dcisions arbitrales participant un contentieux et provenant des
juges de paix portent sur des questions diverses. En 1767, nous recensons
une rquisition de grains169, une implantation de fosss la limite de deux
seigneuries170, une vente dune terre sans runion dun conseil de fa-
mille171, un contrat de vente de terrain172, un litige touchant une pension
alimentaire173 et, enfin, un problme dentretien dun cours deau174. Pour
les annes 1768 et 1769 sont concernes une reddition de compte de four-
niture, une servitude de passage, une gestion de tutelle, une reddition de
compte de succession, une dissolution de communaut et une coupe ill-
gale de bois. Pour les dcisions arbitrales faisant suite des contentieux
engags devant la Cour des plaidoyers communs, celles-ci portent sur le
paiement de ltablissement dun terrier par le notaire Saillant175, une dis-
solution de deux communauts176, un contrat de concession de terre177,
lvaluation dun pouvoir octroy une pouse178 et, enfin, une affaire re-
lative une succession et une gestion de compte de tutelle179. Pour les
annes 1768 et 1769 sont concerns la gestion dune communaut, une
dette relative la liquidation dune succession, deux redditions de compte
de communaut et un partage entre cranciers des biens dcoulant de la
liquidation dune communaut.

169 Sentence arbitrale (Jean-Baptiste Daguilhe, 23 dcembre 1767), Montral, Archives na-

tionales du Qubec, (microfilm 10597, minute 2556).

170 Sentence arbitrale (Pierre Lalanne, 16 novembre 1767), Montral, Archives nationales

du Qubec, (microfilm 5974, image 1760).

171 Sentence arbitrale (Claude Louet, 28 octobre 1767), Montral, Archives nationales du

Qubec, (microfilm 10879, image 3048).

172 Contrat de vente (Antoine Foucher, 30 juin 1767), Montral, Archives nationales du

Qubec, (microfilm 2124, minute 1917).

173 Sentence arbitrale (Antoine Foucher, 14 juillet 1767), Montral, Archives nationales du

Qubec, (microfilm 2124, minute 1926).

174 Sentence arbitrale (Claude Hantraye, 25 juillet 1767), Montral, Archives nationales du

Qubec, (microfilm 2696, image 2094).

175 Sentence arbitrale (Claude Louet, 3 fvrier 1767), Montral, Archives nationales du

Qubec, (microfilm 10879, image 2496).

176 Sentence arbitrale (Claude Louet, 14 mars 1767), Montral, Archives nationales du

Qubec, (microfilm 10879, image 2559).

177 Sentence arbitrale (Claude Louet, 4 aot 1767), Montral, Archives nationales du Qu-

bec, (microfilm 10879, image 2832).

178 Sentence arbitrale (Claude Louet, 3 aot 1767), Montral, Archives nationales du Qu-

bec, (microfilm 10879, image 2830).

179 Sentence arbitrale (Claude Louet, 24 fvrier 1767), Montral, Archives nationales du

Qubec, (microfilm 10879, image 2531).

LARBITRAGE NOTARI, INSTRUMENT IDOINE DE CONCILIATION 177

Les dcisions relevant dun contentieux provenant de la Cour des plai-
doyers communs180 montrent un monopole absolu, dans un premier
temps, du notaire Louet. Celui-ci semble devenir le relais privilgi de la
Cour de Qubec, mme si dautres notaires sont appels jouer ce rle par
la suite. Les arbitrages extrajudiciaires touchent, quant eux, les mmes
matires et font intervenir comme arbitres des notaires, mais aussi des
notables ou des experts. Ces donnes laissent entrevoir une implication
indite pour la doctrine juridique des juridictions dorigine anglaise dans
la pratique juridique au sein des populations francophones, mais mon-
trent galement quelles ninterviennent pas afin dappliquer le droit an-
glais. Elles laissent plutt les notables francophones dcider du droit ap-
plicable. Une tude systmatique permet daffiner cette perspective et
danalyser les rapports exacts entre populations, juridictions et applica-
tion de la norme durant cette priode cruciale pour lhistoire juridique du
futur Canada.
On retrouve cette participation des notaires larbitrage initi par les
juridictions coloniales tout au long de la priode, avec toutefois une dimi-
nution du nombre de cas soumis par les tribunaux partir de 1770. Pour
les annes 1770, 1771 et 1772, aucun arbitrage notari nest initi devant
une juridiction. En 1773, deux affaires sur neuf proviennent de juridic-
tions : il sagit dune donation dans le cadre dune succession confie Pa-
net de Mru et de lestimation du fonctionnement dun moulin confie au
notaire Jehanne. Les pourcentages dactes instruments provenant de
contentieux pendants devant les tribunaux reprennent dans les annes
suivantes : vingt-deux pour cent en 1773 et 1774, cinquante pour cent en
1775 et vingt pour cent en 1776. Cette activit reste toutefois erratique181,
mme si la tendance semble aller vers une diminution de lutilisation des
arbitrages notaris comme extension du processus judiciaire. Le gra-
phique ci-dessous fait ressortir ce phnomne.

180 Alors que les dcisions arbitrales inities par les juges de paix sont relativement diver-
sifies, tant dans leur aire gographique que dans le choix des arbitres chargs de les
mettre en uvre.

181 La situation constate pendant les annes 1770 1773 est difficilement explicable, au-
cun vnement ne venant donner la cl de cette interruption. Il est vrai que la Cour des
plaidoyers communs a t rorganise en 1770. Le district de Montral a alors t offi-
ciellement constitu, un quatrime juge a t nomm et des sances hebdomadaires ont
t instaures pour les causes mineures, la suite de labolition de la comptence des
juges de paix en matire civile. Il est toutefois difficile de comprendre pourquoi ce chan-
gement aurait provoqu une disparition complte des renvois larbitrage instruments
par la suite dans les fonds notaris. Voir Decroix, Gilles et Morin, supra note 14, ch 6
la p 242.

178 (2011) 57:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

80

70

60

50

40

30

20

10

0

e
g
a
t
n
e
c
r
u
o
P

Anne

Pourcentage du nombre d’actes d’arbitrage notaris suite un

contentieux devant une juridiction britannique

Lincitation des cours britanniques larbitrage en amont des dcisions
judiciaires ne doit pas tonner au regard de la pratique de common law
Londres, sous linfluence de Lord Mansfield182. Par ailleurs, cela rejoint
certaines constatations faites pour le contexte colonial dAmrique du
Nord. Dans ce cadre, les arbitres ne sont pas soumis la rigueur de la loi
et aux formalits lgales, mais sont toutefois strictement assujettis aux
bornes poses par les parties et aux pouvoirs quelles leur ont confrs.

B. Larbitrage, une pratique ancre dans la socit locale

La pratique arbitrale reflte alors une grande continuit des sources
du droit avec la priode franaise, assurant notamment la permanence du
droit franais en matire daffaires de famille. Lanalyse des actes arbitrs
par des notaires durant le rgime britannique montre aussi une forte pr-
pondrance de trois dentre eux : Pierre Panet de Mru, Mzire et Au-
masson de Courville. Ce dernier et Foucher et un moindre titre Louet
agissent galement, plusieurs reprises, comme arbitre unique. Du-
rant la priode tudie, plusieurs notaires sont intervenus en tant
quarbitre une seule et unique fois183. Un seul arbitre notaire dorigine bri-
tannique apparat dans ce groupe dactes : il sagit du notaire Richard

182 Oldham, Mansfield, supra note 110 aux pp 78-84.
183 Il sagit de Loiseau, Badeau, Robin, Nron, Levrard, Leguay, Jehanne, Pelissier, Hertel,
Olry, Pinguet, Crespin, Vuatier, Adhmar, Dailleboust de Crusy, McCarty et Simonnet.

LARBITRAGE NOTARI, INSTRUMENT IDOINE DE CONCILIATION 179

McCarty, arbitrant une question de succession en compagnie de Pierre
Panet de Mru184.

Le graphique ci-dessous reprsente, parmi toutes les affaires o un no-
taire a agi comme arbitre, la proportion attribuable chacun dentre eux.

2 Lebrun

2 Racicot 2 Soupras

2 Daguilhe

3 Panet J-C

4 Guillemin

5 Louet

6 Sanguinet

8 Foucher

10 Aumasson de

Courville

24 Panet de Meru

20 Mezire

11 Saillant

Nombre d’actes arbitrs par chacun des notaires

intervenant comme arbitres

On peut comparer cette rpartition la proportion dactes instrumen-
ts par des notaires, sans quils soient forcment arbitres lacte. Logi-
quement, la rpartition des actes instruments est plus vaste que celle
des actes arbitrs par des notaires185. Les actes ns de la pratique locale,
loigne des grands centres, expliquent ce phnomne186.

184 Sentence arbitrale (Pierre Panet de Mru, 12 juillet 1768), Montral, Archives natio-

nales du Qubec, (microfilm 2735, minute 3006).

185 De solides tendances se dgagent alors. Panet de Mru et Aumasson de Courville ont
un rle prpondrant tant dans linstrumentation dactes quen tant quarbitres, lun
approvisionnant lautre et inversement. Certains notaires ruraux essentiellement
instrumentent de nombreux actes, mais interviennent peu comme arbitres. En effet, les
diffrends portent souvent sur des questions rurales, comme la dlimitation dun gout
ou dune terre, aisment arbitrables par les habitants, lacte notari constituant alors
un simple lment de preuve. Dautres notaires actifs comme arbitres (vingt actes)
Mzire par exemple ninstrumentent que trs peu (un acte seulement). Il est alors
victime des arbitrages binmes, les actes tant instruments dans les greffes de ses col-
lgues arbitres, comme Panet de Mru ou Aumasson de Courville.

186 De plus, on peut remarquer une trs forte dispersion des actes darbitrage instrumen-
ts, bien plus frquents en rgion que durant la priode du rgime franais. Les no-
taires ont vraisemblablement remplac les subdlgus de lintendant dans la prise en
compte de larbitrage.

180 (2011) 57:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

4 Badeau 4 Genest

5 Saupin

5 Cazes

4 Loiseau

4 Sanguinet

29 Panet de Meru

7 Louet

8 Daguilhe

5 Jehanne

7 Soupras

7 Hantraye

9 Lalanne

11 Foucher

11 Aumasson de

Courville

Nombre d’actes relatifs l’arbitrage instruments par

chacun des notaires

Les matires couvertes dans les actes notaris se rapportant un ar-
bitrage ne montrent pas une singularit forte lorsquon les compare avec
celles du rgime franais187. In fine, la qualit des arbitres confirme
linstitutionnalisation de la pratique arbitrale. Sur les 382 arbitres de ce
corpus, ce sont les habitants et les notaires qui interviennent de manire
prpondrante. Il faut souligner que ces rapports entre les habitants et les
notaires doivent tre envisags en tenant compte du type darbitrage et de
leurs mcanismes propres. Ainsi, les diffrends portant sur les affaires de
famille, notamment les successions, font souvent intervenir les notaires
comme arbitres, leur nombre tant alors gnralement de deux. Par
contre, les diffrends o interviennent les habitants, habituellement des
causes de servitudes ou de dlimitation de terres, font frquemment in-
tervenir de quatre six arbitres, conformment lordonnance de 1764,
augmentant artificiellement les chiffres188.

187 Il existe toutefois un rapport fort intressant entre les arbitrages confis aux notaires et
ceux dtermins par des habitants ou des membres de la famille. Concernant les ma-
tires soumises larbitrage, les affaires de famille et les litiges de servitudes et de voi-
sinage dominent. Pourtant, au vu de la pratique anglaise de larbitrage commercial, on
aurait pu sattendre un dveloppement de celui-ci. On peut supposer que les commer-
ants ont utilis alors larbitrage sans passer par la voie notarie. Pour lanne 1777, on
compte une affaire de succession, une dissolution de communaut, deux servitudes de
cours deau et six redditions de comptes de tutelle tandis quune seule cause porte sur
un litige commercial opposant des marchands anglophones.

188 Afin davoir une ide exacte dun rapport de force entre arbitrages par les notaires et par
les habitants, il est ncessaire de minorer le nombre darbitres habitants. En effet, on
constate leur surreprsentation numrique dans les diffrends auxquels ils prennent

LARBITRAGE NOTARI, INSTRUMENT IDOINE DE CONCILIATION 181

Notaires

32%

Habitants

63%

Notables (curs,
capitaines de

milice)

4%

Commerants

1%

Rpartition des arbitres en fonction de leurs

diffrentes qualits

Les diffrends faisant intervenir des notaires comme arbitres sont les
plus nombreux pour les annes 1765 1770, tandis que les arbitrages
dhabitants deviennent majoritaires par la suite, certaines annes ne fai-
sant intervenir aucun notaire. partir de 1777, ces derniers intervien-
nent nouveau de manire plus significative, les arbitrages par notaires
et par habitants se trouvant dans des proportions quivalentes, malgr
des disparits importantes189. La comparaison entre cette volution et
celle relative aux arbitrages ns dans le cadre contentieux, sous lgide
des juridictions britanniques ou par la volont des parties, permet
dtablir certaines conclusions. Premire indication, arbitrages conven-
tionnels (ou volontaires) et arbitrages juridictionnels accompagnent dans
leur volution les arbitrages du fait des notaires et des habitants190.

part. De plus, on dcouvre, la lecture de ces statistiques, une volution temporelle as-
sez marque. Sur le systme judiciaire tabli en 1764, qui pourvoit larbitrage des dif-
frends concernant les cltures, voir Decroix, Gilles et Morin, supra note 14, ch 6 la p
242.

189 En 1777, on comptabilise quatre arbitrages par des notaires, deux par des habitants et
deux par des ngociants. Lanne suivante, on numre deux arbitrages du fait de no-
taires alors que tous les autres diffrends (au nombre de onze) sont le fait dhabitants.
On distingue clairement la forte part que prennent les notaires comme arbitres dans les
premires annes aprs linstauration du rgime civil. Ils simposent vraisemblable-
ment comme les dpositaires du savoir juridique, le sommet de 1768 concidant avec
laugmentation du nombre darbitrages. Toutefois, ds 1772, les habitants interviennent
majoritairement comme arbitres, se substituant aux notaires jusquen 1776.

190 Ainsi, aucune volution marquante nest la consquence unique de larbitrage des no-
taires ou des habitants. Le pic des annes 1767 1770 se retrouve dans les arbitrages

182 (2011) 57:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

Larbitrage par les notaires, une fois la stabilit juridique retrouve et
lorsque la guerre semble sloigner, trouve moins dappuis parmi les insti-
tutions et les populations191.
De plus, les volutions entre arbitrages extrajudiciaires et diffrends
tranchs par des habitants ou des membres de la famille sont simi-
laires192. Enfin, et cest peut-tre lenseignement essentiel, lvolution des
actes arbitrs par des notaires suit assez fidlement lvolution des actes
initis devant une juridiction britannique. Les notaires permettent ainsi
bien, au regard de la confiance des juridictions britanniques et de
limplantation dans la sphre locale, la transmission dun patrimoine juri-
dique et le passage dun systme normatif homogne un pluralisme ju-
ridique pacifi. Ainsi, si lon a cru, la suite des travaux dAndr Morel,
quen matire familiale et successorale, les diffrends ntaient pas
mme ports devant les tribunaux et se [rglaient] de faon clandestine
sans que les tribunaux en [fuss]ent saisis 193, il nous semble certain que
cette affirmation doit tre nuance. Si de tels diffrends existent effecti-
vement, laction et limplication des juridictions britanniques dans la pra-

extrajudiciaires, juridictionnels, faits par les notaires et tranchs par les habitants. Il en
est de mme pour les sommets des annes 1777-1778, mais dans une moindre mesure
pour les arbitrages du fait des notaires. Cette impression se renforce partir de 1781,
larbitrage du fait des notaires connaissant alors un lent dclin, tandis que les arbi-
trages extrajudiciaires, ceux initis devant des juridictions et ceux faits par les habi-
tants, tendent augmenter. Dans la rgion de Beaupr, partir des annes 1780, Jean-
Philippe Garneau a galement observ un dclin prononc du nombre dinventaires con-
fectionns par des notaires, sans que ces donnes ne suggrent une explication de ce
phnomne (Garneau, Usages, supra note 19 aux pp 276-78, 284-85).

191 Laugmentation globale de 1784 pourrait sexpliquer par larrive des Loyalistes, mais
aucun acte ne semble tayer cette hypothse. Il faut vraisemblablement mettre cet ac-
croissement sur le compte des donnes utilises pour la base Parchemin, qui prennent
fin cette date. Autre lment informatif, certains notaires dcident, partir de 1784,
de renforcer leur activit davocat plutt que leur greffe, expliquant une dsaffection de
leur participation larbitrage, ou une moins grande disponibilit pour les diffrends lo-
caux.

192 Cette dynamique sexplique facilement. Les parties ayant de leur propre fait la volont
de se porter vers larbitrage, les premires personnes se prsentant elles, surtout pour
les contentieux de servitudes ou de famille, sont les voisins et les proches. Ces deux
types darbitrage sont complmentaires et se dveloppent partir de 1772, avec un im-
portant niveau dactivit malgr les annes de fort conflit en 1775-1776 et la diminution
relative des actes. La diminution de lanne 1779 est, quant elle, difficilement expli-
cable.

193 Selon la formule de Brigitte Lefebvre, Lvolution de la justice contractuelle en droit
qubcois : une influence marque du droit franais quoique non exclusive dans Jean-
Louis Navarro et Guy Lefebvre, dir, Lacculturation en droit des affaires, Montral,
Thmis, 2007, 197 la p 200, n 6, citant Andr Morel, La langue et lacculturation ju-
ridique au Qubec depuis 1760 (1990) 24 RJT 99 [Morel, Acculturation ].

LARBITRAGE NOTARI, INSTRUMENT IDOINE DE CONCILIATION 183

tique arbitrale notarie sont claires et dimportances, nous sommes loin ici
de la clandestinit ou dun rglement hors du droit et de la lgalit.

Conclusion
En reprenant la formulation judicieuse de Louis Marquis194, on peut
relever au terme de cette recherche quil sagit, dans ce contexte histo-
rique, dune conciliation pragmatique des systmes au soleil du pouvoir
judiciaire et colonial. Si la priode 1760-1774 a t analyse comme un
temps de crise pour le notariat195 de la province, il faut souligner une
permanence et une adaptation forte : dune part, les charges de notaire fu-
rent conserves par le pouvoir britannique dans leur trs large majorit
et, dautre part, les normes franaises ont subsist sans interruption au
sein des greffes de ces derniers.

Toutefois, il est vrai que les tergiversations quant la norme appli-
quer et le peu de cas que faisait le droit anglais du notariat contribuaient
une fragilisation de leur situation196. Cest alors une situation trs con-
traste, mi-chemin entre le maintien des pratiques franaises et la n-
cessaire adaptation au nouveau contexte197. Larrive du systme judi-
ciaire britannique, de manire surprenante, sest prsente comme un
tremplin pour ceux qui disposaient de la connaissance juridique et taient
capables dobtenir une commission davocat, au premier rang desquels fi-
guraient videmment les notaires. Seuls notables ayant une comptence
juridique au moment de la Conqute, ils sont naturellement les relais des
populations, qui trouvent une certaine scurit dans leur commerce. De
plus, ils constituent les appuis essentiels des administrateurs coloniaux198,
qui leur font jouer le rle dinterface entre les mesures du nouveau pou-
voir et cette population qui ne partageait ni la mme langue, ni la culture
juridique des nouvelles lites au pouvoir199. Enfin, institution anecdotique

194 Louis Marquis, La comptence arbitrale : une place au soleil ou lombre du pouvoir

judiciaire (1990) 21 : 1 RDUS 303.

195 Vachon, Histoire, supra note 2 la p 62.
196 Le notaire public tait, dans le droit britannique, une institution si insignifiante que
Blackstone ne jugea pas propos de lui consacrer une ligne (Scott, supra note 3 la p
283).

197 Voir Evelyn Kolish, Some Aspects of Civil Litigation in Lower Canada, 1785-
1825: Towards the Use of Court Records for Canadian Social History (1989) 70 : 3 Ca-
nadian Historical Review 337.

198 lexemple de James Murray, voir Antoine Maheux, Les employs franais de James

Murray (1941) 28 : 8 Canada franais 765.

199 Voir F Murray Greenwood, Legacies of Fear: Law and Politics in Quebec in the Era of
the French Revolution, Toronto, University of Toronto Press pour la Osgoode Society,
1993.

184 (2011) 57:1 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

dans le systme britannique, le notariat, par le biais de la fonction
davocat, va asseoir la situation de son corps tout en voyant disparatre
une partie de ses membres au sein du barreau partir de 1785.
Cest notamment grce la pratique arbitrale que sest ralise la con-
ciliation des droits et des antagonismes supposs, affichs ou craints,
entre la common law et le droit civil. La pratique tant aussi bien connue
du monde anglo-saxon que de la tradition civiliste, reposant sur les
mmes mcanismes fondamentaux et la mme logique qui transcendent
les systmes, larbitrage trouve naturellement sexprimer dans le con-
texte colonial. Loutil tant disposition, il fallait encore en trouver les ac-
teurs. Les notaires, mais aussi les juges et les populations, tant les Cana-
diens que les marchands britanniques, comprirent immdiatement
lintrt de la technique durant la priode dambigut normative et, in
fine, de transition qui est close par lActe de Qubec. En semparant de cet
instrument, en accord avec les institutions et les pouvoirs locaux, les po-
pulations et la pratique montrent le chemin au gouvernement, les lgistes
londoniens ne faisant, par lActe de Qubec, quentriner luvre pragma-
tique des populations, des administrateurs et des juristes.

Larbitrage ne disparat bien videmment pas aprs cette priode. Il
subsiste devant les juridictions britanniques, mais aussi travers
linstitution des juges de paix200, qui vont assurer la continuit de la pra-
tique. La procdure arbitrale subsiste de mme dans la socit en gnral,
o on perptue ce mode alternatif de rglement des conflits comme en t-
moigne le fonds Baby201. Dpassant ces causes de peu dimportance, la

200 Fyson, Magistrates, supra note 35 aux pp 78-98.
201 Dans la collection Louis-Franois-Georges Baby, voir Abb Chambon. Arbitrage au su-
jet dune ferme et danimaux acquis par Jacques Lalonde du sieur dArgenteuil au Saut-
du-Rcollet (10 octobre 1753), Montral, Universit de Montral, (P0058C3/43, micro-
film 1288) ; Sentence arbitrale concernant lgouttement des eaux des terres de Michel
Marier et de Jean Ethier (8 aot 1752/Montral), Montral, Universit de Montral,
(P0058C3/41, microfilm 1287) ; Sentence arbitrale par Joseph Raymond, concernant la
dlimitation dune terre au fief Demuy, ordonne par jugement des juges de paix, dans
la cause de Joseph et Antoine Quentin vs Demuy (20 mai 1768/Varennes), Montral,
Universit de Montral, (P0058C3/80, microfilm 1299-300) ; Sentence arbitrale ordon-
nant Paul Texier de remettre en place la clture qui spare sa terre de celle de Urbain
Texier (15 juin 1768/Montral), Montral, Universit de Montral, (P0058C3/81, micro-
film 1300) ; Sentence arbitrale au sujet de lgouttement des eaux sur certaines terres
au faubourg St Joseph (31 octobre 1786/Montral), Montral, Universit de Montral,
(P0058C3/105, microfilm 1307-308) ; Nomination de MM de Montarville et de Laper-
rire pour rgler le diffrend entre Franois et tienne Le Riche au sujet des bornes de
leurs terres (10 dcembre 1789/Boucherville), Montral, Universit de Montral,
(P0058C3/113, microfilm 1310) ; Sentence arbitrale concernant un chemin de sortie des
terres la montagne, appartenant mesdames veuves Raimbault et de La Corne St-
Luc (29 octobre 1789 et 24 mars 1790/Montral), Montral, Universit de Montral,
(P0058C3/131 et 136, microfilm 1316) ; Conventions darbitrage entre Pierre Guy et

LARBITRAGE NOTARI, INSTRUMENT IDOINE DE CONCILIATION 185

pratique arbitrale et le recours aux juristes dorigine franaise savrent
essentiels du point de vue des juridictions britanniques, qui usent de cet
outil concomitamment la procdure du jury en droit priv jusquen
1774 pour assurer leurs assises dans la province. Les notaires et les
avocats par leur reprsentation des justiciables et le rglement en cour
ou hors cour de conflits interpellant particulirement le droit priv fran-
ais participrent202, en compagnie des juges, un important processus
de diffusion et de construction dune culture juridique originale203, faite
demprunts et damalgames204, qui est la source de notre droit priv. La
logique de lActe de Qubec se trouve dj dans la pratique des adminis-
trateurs, des notaires, des tribunaux et des populations travers
linstitution arbitrale. On peut alors conclure, la manire de Pierre du
Calvet dans son Appel la justice de ltat :

Le Bill de Qubec vous dcerne la Jurisprudence Franaise, sous la-
quelle vous tes n ; cest en effet la Judicature qui [c]adre le mieux avec
vos proprits et vos gots ; mais pour en couronner lassortiment, il lui
faut dtre administre sous les auspices de lillustre et bienfaisante
Constitution dAngleterre : Paris jugera vos hritages, mais Londres
gouvernera vos personnes. Dans cette conomie, votre bonheur sera de
tout point accompli [italiques dans loriginal]205.

Louis Cavilhe, au sujet de leur diffrend relatif une muraille (20 janvier
1796/Montral), Montral, Universit de Montral, (P0058C3/154, microfilm 1323-324) ;
Sentence arbitrale dans la cause de Jean-Marie Hurtubise et Joseph Parent vs Eus-
tache Leduc, au sujet dgouttement des eaux (10 septembre 1796/Montral), Montral,
Universit de Montral, (P0058C3/158, microfilm 1325) ; Nomination de Joseph Papi-
neau comme arbitre pour rgler le diffrend entre David Alex Grant et Simon Watson,
au sujet de bornage (2 aot 1797/Montral), Montral, Universit de Montral,
(P0058C3/169, microfilm 1330) ; Sentence arbitrale dans la cause de Maurice Lagac et
al vs Louis Boudrias et al au sujet de fosss (10 septembre 1798/Montral), Montral,
Universit de Montral, (P0058C3/175, microfilm 1332).

202 Michel Morin, La perception de lancien droit et du nouveau droit franais au Bas-
Canada, 1774-1866 dans H Patrick Glenn, dir, Droit qubcois et droit fran-
ais: communaut, autonomie, concordance, Cowansville, Yvon Blais, 1993, 1.

203 Voir notamment Jean-Gabriel Castel, Le juge Mignault dfenseur de lintgrit du
droit civil qubcois (1975) 53 R du B can 544 ; Sylvio Normand, Un thme dominant
de la pense juridique traditionnelle au Qubec : La sauvegarde de lintgrit du droit
civil (1987) 32 : 3 RD McGill 559 ; Michel Morin, Des juristes sdentaires ?
Linfluence du droit anglais et du droit franais sur linterprtation du Code civil du Bas
Canada (2000) 60 R du B 247 ; Adrian Popovici, Libre propos sur la culture juridique
qubcoise dans un monde qui rtrcit (2009) 54 : 2 RD McGill 223.

204 Voir John EC Brierley, Quebecs Civil Law Codification: Viewed and Reviewed

(1968) 14 : 4 RD McGill 521 ; Andr Morel, Acculturation , supra note 193.

205 Pierre du Calvet, Appel la justice de ltat, Londres, 1784, reproduit dans Jean-Pierre
Boyer, dir, Appel la justice de ltat de Pierre du Calvet, Sillery, Septentrion, 2002 la
p 258.