Article Volume 52:2

L'arrêt Thibault et le contrat de rente

Table of Contents

Larrt Thibault et le contrat de rente

Luc Plamondon*

cette dcision

La Cour suprme du Canada a rejet, dans larrt
Banque de Nouvelle-Ecosse c. Thibault, la qualification
de contrat de rente du contrat entre les parties. En effet,
la Cour suprme a dclar lunanimit que le rgime
pargne-retraite en question ne pouvait, avant sa date
dchance, tre qualifi de contrat de rente au sens
prvu larticle 2367 du Code civil du Qubec, vu
labsence dun lment central au contrat de rente,
savoir : lalination de fonds.
Lauteur se penche sur cet arrt pour dmontrer en

quoi
justifie, mais pas
ncessairement pour les bonnes raisons. En effet,
lauteur soutient que bien que lalination de capital soit
certes un lment de dfinition du contrat de rente,
celle-ci ne constitue pas rellement lun des lments
distinctifs de ce type de contrat.

Cette conclusion dcoule dune analyse de fond
des grandes tapes de lvolution des contrats Thibault
ainsi que dune tude dtaille de lopration des
contrats classiques, dont la qualification de contrat de
rente nest conteste par personne.

L auteur analyse, pour soutenir son point de vue,
les considrations techniques spcifiques lopration
de rente pour montrer en quoi cette opration diffre du
contrat de rente en tant que tel.

est

In Bank of Nova Scotia v. Thibault, the Supreme
Court of Canada rejected the argument that the contract
between the parties could be qualified as an annuity
contract. Indeed, the Supreme Court held that the
registered retirement savings plan at issue could not be
characterized before maturity as an annuity contract
within the meaning of article 2367 of the Civil Code of
Qubec, since there had been no alienation of the funds,
one of the central elements of an annuity contract.

The author closely examines this case to assert
that the Supreme Courts decision is justified, but not
necessarily for the right reasons. The author maintains
that though the alienation of capital is an element of
definition of an annuity contract, it does not per se
constitute a distinctive element of this type of contract.

is derived from a careful
examination of the major stages of evolution of
Thibault contracts and an analysis of the mechanics of
conventional contracts, for which the designation of
annuity contracts remains uncontested.

technical
The author also examines
considerations at the core of the annuity operation to
demonstrate in what manner this operation differs from
that of an annuity contract.

This conclusion

the

* Lauteur est avocat et chercheur associ au Centre de recherche en droit priv et compar du
Qubec la Facult de droit de lUniversit McGill. Cet article est extrait, en partie, dun ouvrage en
prparation sur le contrat de rente.

Luc Plamondon 2007
Mode de rfrence : (2007) 52 R.D. McGill 339
To be cited as: (2007) 52 McGill L.J. 339

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

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Introduction

A. Larrt Thibault
B. Les contrats Thibault
C. Le plan de travail

I. La rente viagre

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A. La rente viagre immdiate ordinaire

1. Les modalits
2. La qualification juridique

B. La rente viagre immdiate avec garantie

1. Les modalits
2. La qualification juridique

C. La rente viagre diffre

1. Les modalits
2. La qualification juridique des rentes avec des diffrs

de courte dure

3. La qualification juridique des contrats avec des diffrs

de longue dure sans droit de reprise du capital

4. La qualification juridique des contrats avec des diffrs
de longue dure et comportant la facult de reprise du
capital
a. Les changements
b. Limpact de ces changements sur les risques financier

et viager

c. Les modalits
d. La qualification juridique

II. Le contrat de rente et lalination du capital

A. Le plan de travail
B. Lalination dans les contrats en gnral
C. Lalination dans les contrats portant sur des biens fongibles
D. Lhistoire des rentes

1. Avant 1867
2. Depuis 1867

E. Conclusion

III. La qualification juridique des contrats Thibault

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L. PLAMONDON LARRT THIBAULT ET LE CONTRAT DE RENTE

2007]

IV. Les interventions lgislatives

A. Le pourquoi de lintervention lgislative
B. Lintervention lgislative de dcembre 2002
C. Lintervention lgislative de dcembre 2005

1. Le pass

a. Larticle 7

i. Les contrats viss
ii. Les dsignations de bnficiaire
iii. La prennit de linsaisissabilit

b. Larticle 8
c. Les droits de retrait du capital, les choix de
placements et lindtermination de la rente

2. Le futur
V. De lege ferenda

Conclusion

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Introduction

A. Larrt Thibault

Dans larrt Banque de Nouvelle-cosse c. Thibault, les parties au contrat
voulaient que celui-ci soit, entre autres, un contrat de rente parce quils dsiraient
bnficier de certaines consquences juridiques propres ce type de contrat1. La Cour
suprme du Canada en a dcid autrement2. Elle a rejet la qualification de contrat de
rente parce quil ny avait pas eu alination du capital, alination qui est ncessaire
selon la dfinition de ce type de contrat figurant larticle 2367 C.c.Q. En effet, le
capital navait pas t alin puisque Monsieur Thibault avait conserv le droit de le
reprendre en tout temps.
Larrt Thibault a fait peur. Il tait porteur de germes qui mettaient en danger la

qualification de contrat de rente de nombreux autres produits financiers, clones et
cousins du contrat Thibault. Le lgislateur est donc intervenu et a tent de
pasteuriser cet arrt pour empcher que lpidmie ne se rpande3.
Les contrats Thibault sont soit mis par des assureurs, soit mis par des socits

de fiducie. Les deux types de contrat se ressemblent dans le sens que ces metteurs
cherchent tous deux donner la qualification de contrat de rente leur contrat. Dans
le contexte de notre analyse, ils sont identiques. Bien que le contrat Thibault examin
par la Cour suprme ait t tabli par une socit de fiducie, nous ntudierons dans
louvrage prsent que les contrats mis par les assureurs.

Les lments principaux dun contrat Thibault sont les suivants :
1) le preneur fait les contributions quil dsire ;
2) lassureur, qui offre un choix de placements rendement variable ou garanti,

investit ces contributions conformment aux choix exercs par le preneur ;

3) le preneur peut en tout temps reprendre le capital accumul ou demander de

recevoir des arrrages de rente ; et

4) une date donne, qui varie selon des exigences fiscales, lassureur sert des
arrrages de rente si le preneur na pas choisi auparavant de reprendre le
capital accumul.

1 2004 CSC 29, [2004] 1 R.C.S. 758 au para. 58, 239 D.L.R. (4e) 385 [Thibault].
2 La Cour suprme a aussi dcid que le contrat ne constituait pas une fiducie. Nous ne traiterons ici

que du volet contrat de rente.

3 Le lgislateur est intervenu deux fois, soit avant que laffaire Thibault ne se rende en Cour
suprme (Loi modifiant la Loi sur les assurances et dautres dispositions lgislatives, L.Q. 2002, c. 70
[Loi modificatrice de 2002]) et aprs cette occurrence (Loi modiant la loi sur les assurances et la loi
sur les socits de fiducie et des socits dpargne, L.Q. 2005, c. 51 [Loi modificatrice de 2005].

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B. Les contrats Thibault
Les contrats Thibault, qui foisonnent actuellement sur le march, ne sont pas ns

de la dernire pluie. Ils sont le fruit dune volution qui a vu se greffer aux contrats
dorigine des modalits qui, selon la Cour suprme, semblent leur avoir fait perdre
leur qualit de contrats de rente.

juridique des modifications apportes au cours des ans.
Une longue exprience au sein du contentieux dune socit dassurance sur la
vie mettrice de contrats de rente nous a permis de retracer ces tapes. Celles-ci nous
ont t confirmes par un vieux spcialiste des rentes en poste chez un autre
assureur. Nous avons donc de bonnes raisons de croire que notre expos traduit bien
la situation de lindustrie des rentes commerciales.

Cet article retrace les grandes tapes de cette volution et discute de la nature

C. Le plan de travail

Afin danalyser larrt Thibault de faon approprie, nous tudierons, la partie
I, les contrats classiques, dont la qualit de contrat de rente nest mise en doute
par personne.
la partie II, nous ferons alors appel des considrations techniques sur
lopration de rente (par opposition au contrat de rente) et proposerons un historique
de lvolution des rentes.
Ensuite, nous situerons les contrats Thibault dans cet historique et, par deux

argumentations tires de la thorie gnrale des obligations, nous tablirons quils ne
peuvent tre qualifis de contrats de rente avant le dbut du service de la rente. Nous
expliquerons ce fait comme dcoulant dun vice rdhibitoire encore plus profond que
la seule absence du capital. notre avis, la Cour suprme a eu raison de rejeter la
qualification de contrat de rente, mais pas tout fait pour la bonne raison.
La Cour suprme na pas accord au contrat Thibault la qualification de contrat

de rente pour absence dalination du capital. Lalination du capital est, en effet,
lun des critres de la dfinition du contrat de rente larticle 2367 C.c.Q. Toutefois,
nous dmontrerons, la partie III, que lalination du capital nest pas rellement lun
des lments distinctifs du contrat de rente.
la partie IV, nous suggrerons que les contrats Thibault ne sont que de simples
contrats de prts ou de placements, avec une option de transformation en rente.
Nous critiquerons, la partie V, les interventions lgislatives qui ont eu pour but
de contrer les effets, quelques-uns insouponns, de larrt Thibault. notre avis, la
lgislation adopte comporte des faiblesses.

procder comme il la fait.

En conclusion, nous mettrons lopinion que le lgislateur naurait pas d

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MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

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I. La rente viagre

Pour dterminer si un contrat prsent en tant que contrat de rente en est
vritablement un, il est utile, notre avis, de le comparer un contrat classique dont
la qualit de contrat de rente est admise de tous. Larchtype du contrat de rente est la
rente viagre, surtout dans sa forme connue sous le nom de rente viagre immdiate.
Au dpart, le lien entre la rente viagre immdiate et les contrats Thibault nest pas
vident. Le lecteur constatera cependant que la rente immdiate a un pendant, soit la
rente diffre, et que les contrats Thibault se voulaient tre des rentes diffres.

A. La rente viagre immdiate ordinaire

1. Les modalits

Les rentes viagres immdiates ont toujours exist. En voici un exemple :

A, g de soixante-cinq ans, remet un assureur la somme de 10 000 $ un
premier janvier. En contrepartie, lassureur lui verse la somme de 100 $ par mois, sa
vie durant, le premier arrrage chant le premier fvrier de la mme anne4.
Que A dcde trois mois plus tard ou trente ans plus tard, il na pas le droit de
reprendre quelque portion que ce soit du capital fourni de 10 000 $. Dans le
vocabulaire des assureurs, cette rente est viagre, immdiate et ordinaire.
Elle est viagre parce que les arrrages sont dus la vie durant de A. Son pendant

est la rente non-viagre mentionne larticle 2371 C.c.Q.5. Le milieu des assurances
utilise plus frquemment lexpression rente certaine.

Elle est ordinaire parce quelle ne comporte aucune garantie que lassureur
versera un minimum darrrages en cas du dcs htif de A. Son pendant est la
rente avec garantie que nous tudierons la sous-partie I.B.

Elle est immdiate malgr le fait que le premier arrrage mensuel ne soit chu
quun mois aprs la formation du contrat6. Son pendant est la rente diffre, dont nous
discuterons la sous-partie I.C.

4 Dans cet exemple, A a trois rles. Il est le constituant de la rente parce quil contracte avec
lassureur et fournit le capital. Il est le crdirentier parce que les arrrages lui sont payables. Enfin, il
est aussi, selon lart. 2372 C.c.Q., la personne pour la dure de vie de laquelle les arrrages seront
verss. Pour simplifier le texte, nous lappellerons le rentier. videmment, lassureur est le dbirentier.
5 La nature juridique relle de la rente non viagre est difficile dterminer et nous naborderons

pas cette question dans le prsent article.

6 En gnral, les assureurs versent les arrrages la fin et non au dbut de la priode choisie par les
parties, tel que le prvoit lart. 2382 C.c.Q. La rente est dite immdiate lorsque le dbut de la priode
prvue, que ce soit un mois, un trimestre ou un an, concide avec la rception du capital par lassureur.
Pour une rente mensuelle, elle est dite immdiate si le capital est reu le premier du mois et que le

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Note technique no 1
La rente viagre est une assurance en cas de vie, soit lune des deux formes de
lassurance sur la vie, lautre tant lassurance en cas de dcs7.
Conceptuellement, il importe de distinguer lopration dassurance du contrat
dassurance.
Lopration dassurance comporte des lments techniques quon ne retrouve pas
ncessairement dans les dfinitions juridiques du contrat dassurance. Ces lments ont
nanmoins une influence prpondrante sur la formulation des obligations des parties
au contrat.
Les assurances de longue dure, dont la rente viagre, ont deux composantes techniques
principales, savoir : la rpartition et la capitalisation.
La rpartition
La rpartition reflte le risque viager. Le capital reu des rentiers qui dcdent plus tt
que prvu sert payer les rentiers qui vivent plus longtemps.
Par exemple, un assureur prvoit quen moyenne pour le groupe, il aura verser des
arrrages pendant vingt ans. Si, en raison du dcs htif dun rentier, il ne lui verse
que deux ou trois arrrages mensuels, lassureur dispose dun surplus sur le capital quil
a reu de ce rentier. Il utilisera ce surplus pour continuer de servir les arrrages ceux
des rentiers qui ne se dcident plus mourir.
Le risque viager est particulier aux assurances sur la vie.
La capitalisation
La capitalisation reflte le risque financier du contrat de rente. Il nest pas particulier
aux assurances sur la vie. Il est inhrent tout contrat de longue dure mettant en cause
de largent.
La capitalisation est un outil de gestion par lassureur pour tenir compte du fait que ce
dernier dispose de tout le capital en dbut de contrat mais que sa prestation, soit les
arrrages, nest payable que petit petit au cours des ans. Lassureur investit le surplus
de capital dont il dispose en dbut de contrat et, dans le calcul du cot de la rente et du
montant des arrrages quil doit servir, il tient compte des rendements quil espre
obtenir sur les placements effectus.
* * * * * * * * * * * * * * * * *
En principe, pour lassureur dbirentier, la somme des capitaux reus dun groupe de
rentiers, plus le rendement sur ces sommes et moins les charges dbites pour frais de
gestion et marge de profit, est gale la somme des arrrages quil verse ces rentiers.

premier arrrage choit le premier du mois suivant. Pour une rente annuelle, elle est dite immdiate si
le premier arrrage choit, jour pour jour, un an aprs la rception du capital.

7 Voir Yvonne Lambert-Faivre et Laurent Leveneur, Droit des assurances, 12e d., Paris, Dalloz,

2005 au para. 890 et s.

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MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

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En principe toujours, si les moyennes prvues savrent, les capitaux reus et lintrt
sur ces sommes vont tre puiss prcisment avec le paiement du dernier arrrage au
dernier rentier survivant.

Dans lopration commerciale de rente, le capital reu par lassureur est remis aux rentiers.
Pour lassureur, chaque arrrage comprend un volet intrt et un volet remboursement
de capital. videmment, chaque rentier ne reoit pas ncessairement tout son capital ou
seulement son capital. Certains reoivent moins que leur capital, dautres reoivent plus.
Toutefois, pour les rentiers pris globalement, les calculs sont faits comme si lensemble
des rentiers devait recevoir lensemble des capitaux fournis.
Cependant, aucun dentre eux ne se voit rembourser son capital en une somme unique.
Tout le capital est rembours, mais cela est fait priodiquement, petites doses verses
chaque arrrage. Il est commercialement ncessaire quil en soit ainsi. Si, pour le mme
capital, une personne devait recevoir le mme montant priodique
en arrrages de rente, sans jamais reprendre son capital ;
quen intrts, tout en reprenant son capital au terme du prt,

il ny aurait que des prts et jamais de rente !
Pour un mme capital et une mme dure, les arrrages de rente sont ncessairement
plus levs que seul lintrt sur le capital. La diffrence vient du remboursement partiel
du capital inhrent chaque arrrage. Cette donne fondamentale des rentes
commerciales ne relve pas seulement du volet opration de rente mais est galement
reconnue dans le volet juridique8.

2. La qualification juridique

Larticle 2367 C.c.Q. dfinit le contrat de rente comme suit :

Le contrat constitutif de rente est celui par lequel une personne, le
dbirentier, gratuitement ou moyennant lalination son profit dun capital,
soblige servir priodiquement et pendant un certain temps des redevances
une autre personne, le crdirentier.

dune somme dargent, il peut tre pay au comptant ou par versements.

Le capital peut tre constitu dun bien immeuble ou meuble; sil sagit

La qualification contrat de rente pour la rente viagre ordinaire immdiate ne

fait donc aucun doute : il y a un capital, celui-ci est alin au profit de lassureur (le

8 Voir Henri Mazeaud et al., Leons de droit civil, 5e d., t. 3, vol. 2, 2e ptie., par Michel de Juglart,
Paris, Monchrestien, 1980 au n 1620. Voir aussi Encyclopdie juridique Dalloz : rpertoire de droit
civil, 2e d., Rentes, par Yannick Dagorne-Labbe, au no 20 et s. [Rp. civ.] (o lon constate quon
annule en France, pour absence dala, la rente dont larrrage est infrieur aux revenus naturels du
capital donn).

347

L. PLAMONDON LARRT THIBAULT ET LE CONTRAT DE RENTE

2007]

dbirentier) et cet assureur est tenu de servir les redevances priodiquement et
pendant un certain temps9.

Comme nous lavons vu dans la Note technique n 1, lopration technique de la
rente prsuppose que le capital reu est remis au rentier alors que la dfinition
juridique commande que le capital soit alin au profit du dbirentier. Nous
suggrons que
impratifs, apparemment
contradictoires, est possible. En effet, lalination requise par larticle 2367 C.c.Q.
nest, en ralit, que la perte du droit de reprendre le capital autrement que sous la
forme de paiements priodiques.
Notons aussi que la rente est dtermine vu que toutes les coordonnes de cette
rente, savoir : le dbut, le montant et la dure des arrrages, sont connues et, sous
rserve de lala viager, fixes ds le dbut du contrat.

rconciliation entre ces deux

la

B. La rente viagre immdiate avec garantie

1. Les modalits

Une garantie est souvent greffe aux rentes viagres. Elle impose lassureur de
servir au minimum un nombre fixe darrrages. Si le rentier dcde plus tt, les
arrrages continuent nanmoins pour la dure garantie dans le contrat.

Lorsque la rente est garantie pour une dure de dix ans, par exemple, lassureur
dbirentier verse des arrrages pendant au moins dix ans, mme si le rentier dcde
aprs navoir reu lui-mme que deux ou trois arrrages10.

2. La qualification juridique

Lajout dune garantie ne change pas la qualification juridique du contrat11. Il

demeure un contrat de rente tant donn quil y a toujours un capital, que celui-ci est
toujours alin au profit de lassureur dbirentier, et que cet assureur est toujours tenu

9 Heureusement, lart. 2367 C.c.Q. nutilise pas lexpression pendant un temps certain. En effet,

on ne sait pas prcisment pendant combien de temps les arrrages dune rente viagre seront servis.

10 La garantie affecte le cot de la rente, la rendant plus chre. Le nombre total darrrages verser
pour le groupe en son entier est plus lev parce que lassureur dbirentier doit verser en change au
moins dix ans darrrages pour chaque rentier, mme si celui-ci dcde plus tt. Les capitaux requis
doivent donc eux aussi tre plus levs. Voir Note technique n 1, ci-dessus.

11 Du point de vue de lopration dassurance, cependant, il y a un changement. La rente viagre
ordinaire, cest–dire celle sans aucune garantie, reprsente une assurance en cas de vie, soit une des
deux catgories de lassurance sur la vie. Voir Note technique n 1, ci-dessus. La garantie dun nombre
minimum darrrages en cas de dcs prmatur du rentier constitue une forme dassurance en cas de
dcs, soit lautre catgorie de lassurance sur la vie. On utilise dailleurs souvent lexpression
contre-assurance pour dsigner cette garantie. Voir Lambert-Faivre et Leveneur, supra note 7 au
para. 894.

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

348

de servir des redevances priodiquement et pendant un certain temps. La seule
diffrence est quen moyenne, lassureur sert des arrrages un peu plus longtemps que
dans le cas de la rente ordinaire. Comme lajout dune garantie naltre pas la qualit
de rente du contrat, que la rente soit immdiate ou diffre, nous nous abstiendrons de
revenir sur ces garanties dans lanalyse qui suit sur les contrats de rente diffre.

[Vol. 52

C. La rente viagre diffre

1. Les modalits

La rente viagre est dite diffre lorsquun laps de temps inhabituel scoule entre
la rception du capital par lassureur et lentre en jouissance, cest–dire le dbut
du service de la rente. En principe, il ny a pas de limite quant la dure du diffr12.

Par exemple, la rente sera dite rente mensuelle diffre six mois lorsque le
capital est reu par lassureur un premier janvier mais que la premire redevance
mensuelle nchoit que le premier juillet de la mme anne.

Certaines rentes sont diffres sur de trs longues priodes. Au dbut du
vingtime sicle, il tait possible quun assureur reoive un capital de 1 000 $ dune
personne ge de trente ans et lui promette une rente viagre ordinaire mensuelle de
5,04 $ dbutant le premier jour du mois suivant le soixante-cinquime anniversaire de
naissance de cette personne13. Il y avait donc un laps de temps de trente-cinq ans entre
la rception du capital par lassureur dbirentier et lentre en jouissance de cette
rente.

Ce type de rente a aussi exist sous une forme collective dans le cadre des
premiers rgimes de retraite. Chaque contribution de lemployeur et du salari au
rgime de retraite tait remise lassureur, qui garantissait ds lors le montant prcis
de la prestation la retraite. Ce type de rente est lorigine des rgimes de retraite
garantis qui sont dfinis larticle 9 de la Loi sur les rgimes complmentaires de
retraite14.

Les rentes comportant des diffrs de courte dure ont toujours exist et ont peu
volu au cours des ans. Toutefois, elles taient, et demeurent toujours, rares. Les
rentes avec des diffrs de longue dure existent aussi depuis assez longtemps mais,
linverse, celles-ci ont fortement volu au cours des ans. Ce sont elles qui ont donn
naissance aux contrats Thibault daujourdhui et elles sont loin dtre rares15.

12 Sous rserve de lnigmatique art. 2376 C.c.Q.
13 Veuillez noter que ces chiffres sont purement fictifs.
14 L.R.Q. c. R-15.1.
15 Une bonne partie des contrats Thibault sont des rgimes enregistrs dpargne-retraite (RER).
Selon les chiffres de lAssociation canadienne des compagnies dassurance de personnes, les capitaux
accumuls dans les rentes-RER chez les assureurs au Canada au 31 dcembre 2005 totalisaient prs
de soixante-quatorze milliards de dollars. Voir Association canadienne des compagnies dassurances

L. PLAMONDON LARRT THIBAULT ET LE CONTRAT DE RENTE

2007]

Note technique no 2

349

Les conditions des contrats avec des diffrs de longue dure et comportant des
garanties prcises quant aux montants des arrrages servir nous paraissent
surprenantes aujourdhui.

lorigine, la seule obligation de lassureur dbirentier tait de verser la rente la
date convenue si la personne tait toujours vivante aux dates dchance de chacun
des arrrages. De son vivant, le preneur navait pas le droit de reprendre le capital
accumul. Sil dcdait avant son soixante-cinquime anniversaire de naissance,
lassureur ne devait rien, moins que le contrat nait comport une garantie en cas de
dcs prmatur. Dans Gray v. Kerslake16, par exemple, le docteur Kerslake avait
souscrit un de ces contrats avec un diffr de longue dure sans droit de reprise du
capital de son vivant.

Les deux parties, le preneur et lassureur dbirentier, taient donc lies lune lautre
pour longtemps et sans droit de ddit.

Du point de vue du preneur, il engageait immdiatement son capital en contrepartie
darrrages dun montant fixe tre servis pendant vingt ou trente ans, mais ne
commenant que trente ou quarante ans plus tard.

Du point de vue de lassureur dbirentier, lactuaire se devait destimer, pour toute la
priode venir entre la rception du capital et lentre en jouissance de la rente, quel
rendement il russirait obtenir sur les placements quil effectuerait avec le capital
reu. Comme lassureur garantissait le montant des arrrages trente ou quarante ans
lavance, on peut imaginer le degr de conservatisme dont lactuaire devait faire
preuve dans son calcul du rendement prsum sur ce capital au cours de si longues
priodes.

Cet ala financier du contrat saccompagnait galement dun ala viager. Lactuaire
devait tablir certaines prsomptions quant la longvit des personnes trente ou
quarante ans lavance. On peut imaginer quici aussi lactuaire devait injecter une
bonne dose de conservatisme dans lapplication des tables de mortalit connues au
jour de la rception du capital, mais quil devait aussi projeter trente ou quarante ans
lavance.

Nous rvons tous du mdicament miracle qui nous permette de vivre jusqu
120 ans. Si lactuaire ne tient pas compte des miracles dans son calcul des
probabilits, il nen reste pas moins que les actuaires de lpoque taient trs

de personnes, Faits sur les assurances de personnes au Canada : 2006, Montral, Association
canadienne des compagnies dassurances de personnes, 2006 la p. 11. La part qubcoise est
probablement denviron treize milliards de dollars.

16 (1957), [1958] R.C.S. 3.

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

350

conscients que les progrs de la mdecine et lamlioration du niveau de vie de la
population emporteraient, lentement mais srement, une plus longue dure de la vie
humaine.

[Vol. 52

Lestimation que devait faire lactuaire quant au rendement au cours des trente ou
quarante annes suivantes sur le capital reu et la projection, sur la mme longue
priode, de la mortalit anticipe, reprsentait des donnes que lactuaire devait
constamment rviser. On peut facilement imaginer la diffrence quant au montant
verser une personne ge de trente ans en dbut de contrat et qui verse lassureur
une prime unique de 10 000$ selon que la prime ait t reue par lassureur

en 1929, en plein durant la grande dpression, ou

en 1935, aprs que la reprise conomique se soit enclenche.

Notons que pour le risque financier, un exemple plus rcent serait de se placer avant ou
aprs lclatement de la bulle technologique en 2000-2001. Cependant, les contrats ont
grandement chang entre-temps ! Pour le risque viager, on peut imaginer la diffrence
de perspective de lactuaire selon quil ft ses calculs avant ou aprs larrive du sida
dans notre socit nord-amricaine.
la Note technique n 1, nous faisons tat des risques viager et financier des contrats de
rente immdiate. Ces risques sont amplifis dans les contrats avec des diffrs de longue
dure et des garanties dune rente dtermine parce quils stendent maintenant sur la
priode prcdant le service de la rente (trente ou quarante ans) en plus de la priode de
service de la rente (vingt ou trente ans).
Linflation, entre autres causes, a sonn le glas de ces contrats garantis avec des diffrs
de longue dure. Des garanties fermes quant aux montants des arrrages, donnes trente
ou quarante ans auparavant, deviennent drisoires lorsque linflation vient rogner la
valeur de largent.
Le public a donc cess dacheter de tels contrats. Dans une variante de ladage buy
term and invest the difference, les preneurs se sont tourns vers des engagements
plus court terme, vitant ainsi dimmobiliser, trop tt dans leur vie, leurs pargnes en
vue de la retraite.
Les assureurs se sont adapts au march. Les contrats avec des diffrs de longue dure
ont commenc permettre le retrait des capitaux accumuls. Cette modification, tout
fait naturelle, na pas eu, comme nous le verrons, quun aspect conomique. Elle a
galement chang les modalits juridiques de ces contrats. On a cependant continu de
croire quils taient des contrats de rente.
Les assureurs navaient autre choix que de sadapter (du moins les assureurs rgis par la
lgislation fdrale de lpoque, soit la Loi sur les compagnies dassurance canadiennes

351

L. PLAMONDON LARRT THIBAULT ET LE CONTRAT DE RENTE

2007]

et britanniques17) en vue du fait quils navaient le droit dmettre que des contrats
dassurance et de rente.
Les assureurs ont aussi d sadapter pour une autre raison. Selon le rgime fiscal en
vigueur lpoque, laccroissement du capital dans un contrat de rente survenait en
franchise dimpt. Le fait de perdre la qualification de rente aurait rsult en une
imposition immdiate au preneur sur toute augmentation du capital, sauf pour les rentes
agres titre de RER. En raison de laccroissement, en franchise dimpt, du capital
lintrieur des contrats de rente diffre, ces contrats taient aussi devenus des abris
fiscaux.
Le contrat de rente diffre tait donc devenu aussi un moyen daccumuler des fonds,
labri de limpt et des cranciers. La rente ntait donc plus la seule fin du contrat.

Il y a donc des diffrs de courte et de longue dure. Les rentes avec des diffrs

de courte dure ne comportent pas de droit de reprise du capital par le preneur durant
le diffr. Les rentes avec des diffrs de longue dure furent de deux types :
lorigine, sans droit de reprise du capital avant lentre en jouissance et, plus tard,
avec droit de reprise.

2. La qualification juridique des rentes avec des diffrs de courte

dure

La rente diffre se caractrise par le report du dbut de lexcution de
lobligation de lassureur de servir la rente. tous autres gards, la rente avec un
diffr de courte dure est identique la rente immdiate. Il ny a pas, notre
connaissance, de rentes avec des diffrs de courte dure comportant la facult de
reprendre le capital durant le diffr.
notre avis, le diffr de courte dure, sans droit de reprise du capital, est un
terme au sens de larticle 1508 C.c.Q. qui nonce que [l]obligation est terme
suspensif lorsque son exigibilit seule est suspendue jusqu larrive dun vnement
futur et certain. Le terme est donc un vnement futur et certain et, dans lexemple
dj donn, la date du premier juillet de lanne en question reprsente un tel
vnement par rapport au contrat sign le premier janvier de la mme anne.
Les obligations respectives des parties naissent le premier janvier et elles ne sont

pas assujetties une condition, suspensive ou rsolutoire, qui affecterait lexistence
mme de lobligation. Certes, le dcs du rentier avant le premier juillet aurait comme
rsultat que lassureur ne paie rien18, mais cest l le rsultat normal de tout contrat
alatoire lorsque lala ne survient pas. Le dcs du rentier avant le premier juillet

17 L.R.C. 1985, c. I-12.
18 Lassureur ne paie rien si la rente diffre est ordinaire. Cependant, sil y a garantie il doit

lhonorer.

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 52

352

nemporterait ni la nullit du contrat, ni la restitution du capital la succession du
rentier19.

entre les parties et quant lobjet de ce lien, soit le service dune rente.

Les lments ncessaires la qualification de contrats de rente sont encore
prsents, savoir : lalination dun capital au profit de lassureur dbirentier et
lobligation de servir une rente dtermine.

Il y a donc, ds le premier janvier, certitude quant lexistence du lien juridique

3. La qualification juridique des contrats avec des diffrs de longue

dure sans droit de reprise du capital

La qualification juridique des contrats avec des diffrs de longue dure sans
droit de reprise du capital avant le dbut du service de la rente est la mme que pour
les contrats avec des diffrs de courte dure. Ceci dcoule du fait que les modalits
juridiques de ces deux types de contrats sont les mmes, soit lalination du capital au
profit de lassureur dbirentier et lobligation de servir une rente dtermine.

La seule diffrence entre les contrats avec des diffrs de courte dure et les
contrats avec des diffrs de longue dure sans droit de reprise du capital est la dure
du diffr. La certitude juridique, tant sur lexistence du lien de droit que sur son
objet, demeure la mme du dbut la fin.

4. La qualification juridique des contrats avec des diffrs de longue

dure et comportant la facult de reprise du capital

Au fil des annes, les nouveaux contrats de rentes avec des diffrs de longue
dure ont commenc comporter le droit, pour le preneur, de reprendre les capitaux
accumuls avant le service de la rente. Lajout de ce droit a emport plusieurs autres
changements au contrat.

a. Les changements

Le contrat accorde maintenant au preneur, en tout ou en partie, et en tout temps
avant le dbut du service de la rente, le droit de reprendre le capital accumul
Indirectement, ce changement implique que le preneur nest plus oblig de

recevoir une rente. Lassureur est toujours tenu son obligation de servir une rente,
comme dans les anciens contrats, mais cette obligation est maintenant conditionnelle,
la condition tant que le preneur veuille bien recevoir une rente !

Lancienne rciprocit entre lobligation de lassureur de servir la rente et
lobligation du preneur de recevoir les arrrages est disparue. Lexcution de cette

19 Sous rserve de lart. 2373 C.c.Q., un autre article nigmatique du chapitre des rentes.

L. PLAMONDON LARRT THIBAULT ET LE CONTRAT DE RENTE

2007]

obligation de lassureur nest maintenant plus aussi certaine. Lobligation de
lassureur est devenue une offre de contracter une rente20, comme le prvoit larticle
1396 C.c.Q. Il ny a plus dobligations rciproques assujetties un terme au sens de
larticle 1508 C.c.Q.
Les rentes dtermines sont disparues
Vu que le contrat accorde au preneur le droit de reprendre en tout temps le
capital, lassureur ne sait plus :

353

sil devra ou non servir une rente, et
le cas chant, quand il la servira et de combien de capital accumul il
disposera.

Il savre alors impossible de garantir un montant prcis darrrages. Les rentes
dtermines sont donc disparues.
Au mieux, le contrat dcrit des rentes dterminables

Tout en ne sachant pas le montant de capital quil pourrait avoir en main au dbut
du service de la rente, lassureur peut nanmoins garantir un taux de rente par 1 000 $
de capital, en tenant pour acquis un certain ge et un certain type de rente. Cest la
rente minimale garantie par le contrat.

Souvent, lassureur promet de verser, plus tt ou plus tard la date qui convient
au preneur, le type de rente que choisira ce dernier parmi les choix de rentes que
lassureur offrirait normalement au public au jour du choix du preneur, selon les taux
alors en vigueur.

En fait, au cours des ans, certaines rentes offertes par le biais de ces contrats ont
t plus dterminables que dautres. Nous tenons ainsi pour acquis dans notre analyse
que la rente minimale est dterminable.
Lassureur offre un choix de placements
Au dbut, lassureur noffre quun choix de placements garantis, soit des
placements de un, deux, cinq ou dix ans, chacun avec son taux dintrt. Ces
placements sont, leurs chances, renouvelables pour une nouvelle priode aux taux
dintrt en vigueur. Ce sont des clones des contrats de placement garanti (CPG)
offerts par les institutions financires autres que les assureurs.

placements rendement variable, clones des fonds communs de placements.
Au jour du choix de la rente par le preneur, le capital accumul rsultant de ces
placements sert de prime pour dterminer le montant des arrrages de la rente.

Ensuite, avec la cration des fonds distincts, les assureurs offrent en plus des

20 Exprime du point de vue du preneur, loffre de contracter est une option. Le preneur peut sen

prvaloir ou non mais il na aucune obligation daccepter quune rente lui soit servie.

[Vol. 52

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

354

Les primes sont devenues variables

Comme lassureur ne garantit plus, pour chaque montant de capital reu, une
rente dtermine trente ou quarante ans lavance, il peut accepter nimporte quel
montant de capital21, ceci nimporte quel moment et autant de fois que le preneur le
voudra. En fait, mme le mot prime disparat, ou presque.
Les sommes reues du preneur sont maintenant des dpts ou des

contributions. Plusieurs assureurs nutilisent pas le terme dpts, qui sont en
droit des prts, cause du message quils vhiculent, soit que le capital remis
lassureur appartient toujours au preneur.
La rente de plein droit ou rente par dfaut

Certains contrats comportent une stipulation voulant que si le preneur na pas
retir tout le capital accumul avant la date fixe au contrat (au soixante-cinquime
anniversaire de naissance du rentier, par exemple22), lassureur commence alors le
service de la rente minimale selon les coordonnes figurant au contrat.

b. Limpact de ces changements sur les risques financier et

viager

Dans les contrats avec des diffrs de longue dure mais sans droit de reprise du
capital, lassureur a totalement sa charge les risques financiers et viagers, tant durant
le diffr que durant le service de la rente.
Dans les contrats avec droit de reprise du capital, le risque financier nest plus
la charge de lassureur durant la priode du diffr. Le preneur dcide des placements
et lui seul est en mesure de voir accumuler le capital requis pour recevoir, au moment
voulu, une rente lui garantissant des arrrages du montant quil dsire.
Dans ces mmes contrats, le risque viager a aussi chang compltement pour
lassureur durant le diffr. La rente nest plus dtermine. Lassureur ne garantit
plus, trente ou quarante ans lavance, une rente dun montant prcis devant durer
vingt ou trente ans.
Quel risque viager lassureur a-t-il sa charge durant le diffr ? Il a lobligation
doffrir au preneur, le moment venu, toute forme de rente pratique alors par
lassureur aux taux de ce moment. Cette obligation ne comporte aucun risque viager
pour lassureur durant le diffr.

Il garantit cependant le taux de la rente minimale. Cela constitue-t-il un risque
viager rel pour lassureur durant le diffr ? Lvaluation des risques viagers relve
de lactuaire et non du juriste. Mais il est facile de croire que

21 Lassureur impose souvent des minima et des maxima.
22 Certains contrats Thibault modernes offrent une rente dbutant lge de cent ans !

2007]

L. PLAMONDON LARRT THIBAULT ET LE CONTRAT DE RENTE

355

la garantie, de nombreuses annes lavance, dun taux de rente minimale
par 1 000 $ de capital reprsente un risque beaucoup moins lev que la
garantie dun montant dtermin de rente ; et que
compte tenu de la varit possible des coordonnes de la rente minimale,
lampleur du risque viager durant le diffr varie probablement, selon la
formule retenue, de presque rien quelque chose de substantiel.

Les tats financiers des assureurs doivent comporter des provisions techniques
pour les risques viagers auxquels ils sont exposs. On pourrait donc croire que si le
risque viager durant le diffr est substantiel pour lassureur, des provisions
techniques devraient figurer cet effet dans ses tats financiers. Nous sommes ports
croire que ce nest pas le cas.
On se retrouve donc dans la situation o, durant le diffr, lassureur na pas sa
charge le risque financier et, au mieux, a pris sa charge un risque viager minime.

Comme lessence du contrat dassurance est la prise en charge du risque par
lassureur, il nest peut-tre pas surprenant quon en soit venu se poser des questions
sur la qualification de contrat de rente pour ces contrats.

c. Les modalits

Les modalits de ces nouveaux contrats sont essentiellement les mmes que

celles des contrats Thibault daujourdhui.
Du point de vue du preneur :

il a le droit de faire les contributions quil dsire ;
il exerce ses choix parmi la gamme de placements offerts ;
il peut choisir de reprendre le capital accumul ou de recevoir des arrrages
de rente ; et
un moment donn, il doit recevoir des arrrages de rente, sil ne choisit pas
de reprendre le capital23.

Effectivement, le preneur na quune seule obligation, qui est de nature alternative,
savoir : de recevoir le capital accumul ou de recevoir une rente.
Du point de vue de lassureur :

il doit accepter les contributions du preneur ;
il doit faire fructifier ces contributions selon les instructions du preneur ;

23 Tenant pour acquis que le contrat stipule que le service des arrrages survient de plein droit en

labsence dinstructions diffrentes de la part du preneur.

356

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 52

soit remettre le capital accumul,
soit servir des arrrages de rente ; et

il doit, au choix du preneur,


il doit servir des arrrages de rente, si le rentier ne choisit pas de reprendre le
capital24.

d. La qualification juridique

Pour diverses raisons juridico-financires, les parties dans larrt Thibault

voulaient que ce type de contrat soit considr comme tant un contrat de rente25.
Quant nous, les contrats Thibault ne peuvent pas tre des contrats de rente en raison
des articles 1412 et 1396 C.c.Q.
Larticle 1412 C.c.Q.

Larticle 1412 C.c.Q. se lit comme suit : Lobjet du contrat est lopration
juridique envisage par les parties au moment de sa conclusion, telle quelle ressort
de lensemble des droits et obligations que le contrat fait natre. Il nous faut donc
dterminer lopration juridique qui ressort de lensemble des droits et obligations
que le contrat Thibault fait natre.
Dans un contrat Thibault, lassureur a deux obligations excution immdiate,
rpte et certaine, savoir : accepter les contributions du preneur et faire les
placements choisis par le preneur. Lobligation de placement est rciproque, en ce que
le preneur a lobligation daccepter que le contrat soit crdit et dbit de la plus-
value et de la moins-value rsultant des placements effectus.
Lassureur a aussi lobligation soit de remettre le capital (obligation excution

diffre et instantane), soit de servir une rente (obligation excution diffre et
successive). Cette obligation tant de nature alternative, une incertitude persiste quant
savoir laquelle de ces deux branches devra tre excute. La clause qui active de
plein droit la branche rente lorsque le preneur ne choisit pas la branche remise du
capital avant la date fixe au contrat ne fait quattnuer lincertitude ; elle ne
llimine pas.

Compte tenu de ces circonstances, les obligations daccepter des contributions du
preneur et de faire les placements requis, qui sont des obligations immdiates,
rptes et certaines, nous paraissent plus reprsentatives de lensemble des droits et

24 Tenant toujours pour acquis que le service des arrrages est loption de plein droit en labsence

dinstructions diffrentes du preneur.

25 Deux de ces raisons sont voques la fin de la Note technique n 2, ci-dessus. Une autre raison
tait celle qui a fait lobjet du dbat dans larrt Thibault, savoir : la protection contre les cranciers
qui peut dcouler des contrats de rente.

357

L. PLAMONDON LARRT THIBAULT ET LE CONTRAT DE RENTE

2007]

obligations des parties que lobligation de servir une rente, qui nest quune
obligation future et incertaine.

Lopration juridique envisage par les parties nous parat donc tre, selon
larticle 1412 C.c.Q., un contrat de placement plutt quun contrat de rente. Certes, un
contrat de placement avec loption dobtenir une rente, mais pas un contrat de rente
avant que le preneur ne dcide de lever son option.
Larticle 1396 C.c.Q.

Larticle 1396 C.c.Q. se lit comme suit :

Loffre de contracter, faite une personne dtermine, constitue une
promesse de conclure le contrat envisag, ds lors que le destinataire manifeste
clairement loffrant son intention de prendre loffre en considration et dy
rpondre dans un dlai raisonnable ou dans celui dont elle est assortie.

La promesse, elle seule, nquivaut pas au contrat envisag; cependant,
lorsque le bnficiaire de la promesse laccepte ou lve loption lui consentie,
il soblige alors, de mme que le promettant, conclure le contrat, moins quil
ne dcide de le conclure immdiatement.

La promesse de contracter, vue de la lorgnette du bnficiaire, est connue par les gens
daffaires sous le nom doption.
Notons, en lever de rideau, que la promesse de contracter peut tre un contrat
autonome ou lobjet dune stipulation accessoire dans un contrat. Elle est, dans le
second cas, une promesse de conclure un contrat autre que celui dans lequel la
stipulation figure.

dobligation rciproque de la part du bnficiaire, tant quil ne lve pas loption.
On peut induire de larticle 1396 C.c.Q. que la promesse de contracter nquivaut
pas au contrat envisag tant et aussi longtemps que

La promesse de contracter est une obligation pour le promettant. Il ny a pas

la prestation caractristique du contrat envisag nest pas excute, ou que
le bnficiaire de la promesse ayant dcid de sen prvaloir, les parties
concluent le contrat envisag soit par accord, soit parce que le promettant y
est forc par jugement.

Appliqus au domaine des rentes et en particulier aux contrats Thibault, ces principes
nous portent croire que

la promesse de rente accompagne du paiement actuel des redevances
quivaut une rente, mais

quavant le paiement actuel des redevances, la promesse nquivaut pas

une rente.

notre avis, nous touchons ici lessence de la distinction entre

lobligation terme de larticle 1508 C.c.Q., caractristique du contrat de
rente diffre sans facult de reprise du capital par le preneur, et

358

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 52

lobligation-promesse de larticle 1396 C.c.Q., caractristique du contrat de
rente diffre comportant la facult de reprise du capital par le preneur.

Dans les deux situations, le service actuel des redevances na pas encore eu lieu.
Cependant, dans le premier cas, le service ultime de la rente est obligatoire pour les
deux parties, alors que dans le second, le service ultime de la rente nest que
promesse pour lassureur et option pour le preneur.
La Cour suprme a refus la qualit de contrat de rente aux contrats Thibault

parce quil ny avait pas eu alination du capital comme lexige la dfinition
larticle 2367 C.c.Q. Cette raison est en apparence bien fonde si on ne regarde que le
texte de larticle 2367 C.c.Q. Cependant, nous estimons quil y a une autre raison,
plus profonde encore, savoir : que le preneur ntait pas oblig daccepter de
recevoir une rente. Lobligation de lassureur de servir la rente ntait quune
obligation-promesse.
En fait, le contrat dans larrt Thibault aurait pu comporter une vritable

alination permanente du capital et il naurait toujours pas constitu un contrat de
rente. Imaginons un contrat Thibault modifi de la faon suivante :

1) Thibault verse son co-contractant les sommes quil veut aux moments o il

2)

le veut ;
le co-contractant doit faire fructifier ces sommes, conformment aux
instructions de Thibault ;

3) tout moment, Thibault peut exiger de son co-contractant

soit de lui remettre autant dactions de Bell Canada que le capital
accumul permet alors de se procurer,
soit de lui servir des redevances, conformment la rente dterminable
dcrite au contrat ;

4) si, au moment o Thibault atteint soixante et onze ans, il na pas encore
exerc son choix, le co-contractant doit commencer servir les redevances,
conformment la rente minimale dcrite au contrat.

Dans un tel scnario, il y a alination vritable et permanente du capital.
Cependant, il ny a toujours pas contrat de rente la formation du contrat, pas plus
quil ny a achat des actions de Bell Canada ce moment-l.

La clause du contrat qui emporte le service de la rente de plein droit en labsence
dinstructions diffrentes du preneur ne modifie pas la position juridique des parties.
Elle ne fait que rendre plus simple pour le preneur lexercice de son choix. Elle ne
transforme pas lobligation de promesse de rente par lassureur et option du
preneur en une obligation rciproque de rente pour les deux parties.
Quant nous, labsence dalination du capital est simplement un symptme. La
vraie maladie des contrats Thibault est labsence dobligation, de la part du preneur,
de recevoir une rente.

L. PLAMONDON LARRT THIBAULT ET LE CONTRAT DE RENTE

2007]

II. Le contrat de rente et lalination du capital

359

A. Le plan de travail
La dfinition du contrat constitutif de rente larticle 2367 C.c.Q. nonce que le

capital fourni doit tre alin au profit du dbirentier.
En plus de larrt Thibault, plusieures autres dcisions de nos tribunaux ont fait

grand tat de cette exigence, notamment la Cour suprme, savoir : pas dalination
du capital, pas de contrat de rente26.
Nous nous proposons de dterminer la porte relle du mot alination dans
larticle 2367 C.c.Q. en

comparant la dfinition du contrat constitutif de rente avec dautres
dfinitions de contrats nomms ;
retraant les modifications historiques de la dfinition du contrat de rente
dans la lgislation qubcoise ;

nous penchant sur lorigine historique de lalination du capital comme

lment du contrat de rente ;
rappellant que lopration actuarielle sous-jacente au volet juridique du
contrat de rente commande, contrairement ce que peut laisser entendre le
concept dalination, que le capital fourni soit remis ultimement par le
dbirentier (voir Note technique no 1).

Nous aboutirons la conclusion que lalination dans le contrat de rente na rien
de magique et quelle ne saurait constituer llment cl permettant de le distinguer
de tout autre contrat.

B. Lalination dans les contrats en gnral

Selon larticle 1378 C.c.Q., le contrat est un accord de volont par lequel une ou
plusieurs personnes sobligent envers une ou plusieurs autres excuter une
prestation.

Bien que larticle ne le prcise pas, lobjet de la prestation dune partie presque
tous les contrats nomms est alin au profit de lautre ou des autres parties au
contrat27. Ainsi, dans le contrat de vente28, le prix dachat est alin par lacheteur au

26 Voir par ex. Re Les Cooprants : Firstcliff Development c. Raymond, Chabot, Fafard, Gagnon
inc. (1993), [1994] R.L. 268, 58 Q.A.C. 211 [Re Les Cooprants] ; Croft c. Raymond, Chabot inc.,
[1998] R.J.Q. 1917 (C.S.) ; Tessier (Syndic de) c. Caisse populaire Desjardins (6 juillet 2001),
Longueuil 505-11-004244-005, REJB 2001-26771 (C.S.) ; Blanger (Syndic de) c. Standard Life (9
dcembre 2003), Qubec 200-09-004192-024, REJB 2003-52464 (C.A.).

27 lexception du mandat. Voir art. 2130 C.c.Q.
28 Voir art. 1708 C.c.Q.

[Vol. 52

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

360

profit du vendeur et le titre de proprit du bien est alin par le vendeur au profit de
lacheteur. Dans le contrat de louage29, la jouissance du bien est aline, pour la dure
convenue, par le locateur au profit du locataire et le loyer est alin par le locataire au
profit du locateur. Mme dans le contrat de donation30, la proprit du bien est aline
par le donateur au profit du donataire.

Les contrats nomms commandent lalination de la prestation dune partie au
profit des autres parties au contrat31. Cependant, lexception de celle du contrat de
rente, aucune des dfinitions des contrats nomms nutilise le mot alination !
Mme la fiducie cre par contrat, qui ne figure pas parmi les contrats nomms,
exige lalination des biens en cause, sans toutefois utiliser le mot alination.
Larticle 1260 C.c.Q. utilise plutt le verbe transfrer. La Cour suprme a
cependant tabli, dans larrt Thibault, un parallle entre transfert et alination :
Leffet juridique du transfert doit tre complet. Il sagit, comme pour un contrat de
rente, dune alination de biens […]32.

Lalination du capital constitutif dune rente au profit du dbirentier parat tre
de nature identique lalination du loyer au profit du locateur, lalination du prix
du passage au profit du transporteur33 et au transfert des biens par le constituant au
patrimoine de la fiducie.

C. Lalination dans les contrats portant sur des biens fongibles
Lorsquun contrat commande la remise, par une partie lautre, dun bien

fongible, notamment de largent, et que lautre partie a droit de faire usage du bien
remis, il y a alination du bien transmis34. Le bien lui-mme devient la proprit de la
partie laquelle il est remis.

Celui qui a reu de tels biens et qui est tenu de les remettre na pas remettre
exactement les biens reus ; il nest tenu que de remettre des biens semblables, en
mmes quantit et qualit.

Par contraste, dans le contrat de dpt, le dpositaire est tenu de rendre le mme
bien quil a reu35. Cela ne reprsente pas rellement une exception la rgle que
nous venons dexposer car le dpositaire na prcisment pas le droit de faire usage
du bien en cause36. De plus, nous pourrions soutenir quil y a alination, tout jamais,
de lusus du bien par le dposant pour toute la dure du dpt.

29 Voir art. 1851 C.c.Q.
30 Voir art. 1806-1808 C.c.Q.
31 Sauf, toujours, pour le mandat. Voir art. 2130 C.c.Q.
32 Supra note 1 au para. 34.
33 Voir art. 2030 C.c.Q.
34 Voir notamment art. 2314, 2327, 2329 C.c.Q.
35 Voir art. 2286 C.c.Q.
36 moins davoir obtenu la permission du dposant. Voir art. 2283 C.c.Q.

361

L. PLAMONDON LARRT THIBAULT ET LE CONTRAT DE RENTE

2007]

Consquemment, que larticle 2367 C.c.Q. lnonce ou non, le capital, bien
fongible, remis au dbirentier par le constituant, est ncessairement alin au profit
du dbirentier.
Quel sens donner alors au mot alination dans larticle 2367 C.c.Q. ? Pourquoi
cet article serait-il le seul utiliser ce terme alors que la ralit juridique de
lalination semble tre la mme pour tous les contrats nomms37 ? La rponse nous
est donne, quant nous, par une tude historique du concept dalination dans le
contrat de rente.

D. Lhistoire des rentes

1. Avant 1867

Les origines de la rente remontent au droit romain38 et elle est alors,
effectivement, une rente viagre. Au Moyen ge, les financiers de lpoque
inventrent le contrat de rente perptuelle ou quasi-perptuelle pour contourner la
rgle du droit canonique qui interdisait le prt intrt39.
En exigeant que le capital fourni soit alin perptuit en faveur du dbirentier

et que la rente soit servie perptuit ou en quasi-perptuit (soit, pour la dure de la
vie dune srie de personnes en succession), on soutint quun tel contrat de rente tait
une vente et non un prt intrt.
Ainsi, selon une publication de 1554 en Angleterre :

A corporation taketh a 100 [pounds] of a man to give him 8 in the 100
[pounds] during his life, without restitution of the principall. It is no usurie, for
that here is no lending, but a sale for ever of so much rent for such monie40.

Un dbat doctrinal fut engag. Certains qualifirent le contrat de rente de vente,
tant donn les efforts des parties pour lui donner cette apparence. Dautres optrent
pour le prt, tant donn lintention relle des parties. Cette ambigut entre prt
et vente sillustre par cet extrait dun certificat de rente viagre tabli en novembre
1228 :

Nous, […] faisons savoir tous prsents et futurs que nous devons Jean le
Parcier, […] vingt-cinq livres parisis de rente annuelle, que le susdit Jean nous a
prtes […], avec des intentions pures, titre dachat lgal […]. Nous paierons

37 Sauf, comme nous lavons dj mentionn, pour le mandat.
38 Voir Rp. civ., supra note 8 au no 2.
39 Voir douard Fuzier-Herman, dir., Rpertoire gnral alphabtique du droit franais, t. 32, Paris,
Librairie de la Socit du recueil gnral des lois et des arrts, 1903, s.v. rentes au para. 16.
Effectivement, cette rgle interdisait le prt usuraire. Il a fallu plusieurs sicles pour accepter la
distinction entre le prt intrt et le prt usuraire.

40 Thomas Wilson, A Discourse upon Usury, etc. (1554), tel que cit dans Cornelius Walford, The

Insurance Cyclopaedia, vol. 1, New York, J.H. & C.M. Goodsell, 1871 la p. 99.

362

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 52

annuellement ces 25 livres parisis de rente audit Jean tant quil aura de la vie
dans le corps […] [nos italiques]41.

Cependant, au cours de la mme priode, la rente viagre ordinaire garda son

cette poque, il tait donc essentiel pour les intresss au contrat de rente de
souligner lalination du capital afin de faciliter lapparentement au contrat de vente
et de sloigner du contrat de prt interdit.

Le temps ft son uvre et, au cours des ans, la rgle du droit canonique fut mise
de ct. Le prt intrt devint acceptable et la rente perptuelle ou quasi-perptuelle
disparut toutes fins utiles42.

droit de cit malgr linterdiction canonique.
Ultimement, les lgislateurs intervinrent43 pour interdire toutes nouvelles rentes
foncires ou affectant des immeubles non rachetables cres en perptuit ou
quasi-perptuit et pour permettre le rachat de celles qui existaient ce moment-l.
Le Code civil du Bas-Canada reflte cet historique des rentes.

la constitution de rente comme suit :

Le concept de lalination se retrouve larticle 1787 C.c.B.-C., qui dfinissait

La constitution de rente est un contrat par lequel les parties conviennent du
paiement par lune delles de lintrt annuel sur une somme dargent due
lautre ou par elle compte, pour demeurer permanemment entre les mains de la
premire comme un capital qui ne doit pas tre demand par la partie qui la
fourni, except dans les cas ci-aprs mentionns.

intrt.

Elle est assujettie quant au taux de la rente aux mmes rgles que les prts

Bien que le mot alination ne figurait pas tel quel larticle 1787 C.c.B.-C., cest
tout comme si ctait le cas.

La valse-hsitation du contrat de rente entre la vente et le prt continua en ce que,
dune part, la constitution de rente ne reprsentait quun chapitre dans le titre IX du

41 Certificat cit dans P.J. Richard, Histoire des institutions dassurance en France, Paris, ditions

de lArgus, 1956 la p. 32.

42 Cette analyse et cet historique font abstraction des rentes assujetties des rgimes particuliers,

notamment les rentes fodales et celles cres par bail emphytotique.

43 Pour le Bas-Canada, lintervention date de 1859. Voir Acte pour amender, certains gards, la
Loi relative aux rentes foncires et aux rentes viagres dans le Bas-Canada, L. Prov. C. 1859 (22
Vict.), c. 49. Il est prcis lart. 7 que cette loi ne sapplique quau Bas-Canada. Les codificateurs
qualifirent toutefois les dispositions de cette loi de trs-obscures et difficiles saisir (Commissaires
pour la codification des lois du Bas-Canada qui se rapportent aux matires civiles, Code civil du Bas-
Canada : premier, second et troisime rapports, Qubec, G.E. Desbarats, 1865 la p. 364) !

L. PLAMONDON LARRT THIBAULT ET LE CONTRAT DE RENTE

2007]

Code civil du Bas-Canada sur le prt44, et, dautre part, larticle 1593 C.c.B.-C.
noncait que lalination dimmeubles par le bail rente quivaut une vente.

civil du Bas-Canada, constituait un contrat nomm.

Le contrat de rente viagre conserva son autonomie et, de par le titre XII du Code

363

2. Depuis 1867

Fondamentalement, les dispositions du Code civil du Bas-Canada sur les rentes

ne changrent pas entre 1867 et 199445.

LOffice de rvision du Code civil avait suggr une dfinition du contrat de
rente qui ne comportait pas le concept dalination : La rente est cre par un contrat
aux termes duquel le dbirentier sengage servir des arrrages au crdirentier
pendant un certain temps46. Cependant, le Projet de loi 125 reprit, sans explication,
le concept dalination dans la dfinition quil proposa47, dfinition identique celle
que nous retrouvons aujourdhui larticle 2367 C.c.Q.

E. Conclusion

Compte tenu du lien historique entre le concept dalination et la rente
perptuelle ou quasi-perptuelle, et de la fiction juridique qui a donn naissance ce
lien, la mention de ce concept dalination dans la dfinition de larticle 2367 C.c.Q.
nous parat ntre quun relent du pass.

Tout au plus, lalination requise par larticle 2367 C.c.Q. ne serait que la perte
du droit de reprendre le capital en une somme unique. Le preneur ne le reprendrait
que priodiquement, et petites doses. Il pourrait mme recevoir du capital provenant
dautres rentiers.

Il est pour le moins ironique de constater que
de tous les contrats nomms, le contrat de rente est le seul dont la dfinition

exige lalination de la prestation que fournit une partie, alors que

44 Les codificateurs de 1865 notrent que la distinction entre la rente et le prt intrt tait un
rsultat artificiel et forc des objections que rencontrait autrefois le prt intrt (Commissaires pour
la codification des lois du Bas-Canada qui se rapportent aux matires civiles, Code civil du Bas-
Canada : sixime et septime rapports et rapport supplmentaire, Qubec, G.E. Desbarats, 1865 la
p. 19). Voir aussi Commissaires pour la codification des lois du Bas-Canada qui se rapportent aux
matires civiles, Code civil du Bas-Canada : quatrime et cinquime rapports, Qubec, G.E.
Desbarats, 1965 la p. 21.

45 En 1976, il y a eu, par ce qui est maintenant lart. 2393, al. 2 C.c.Q., assimilation des rentes

pratiques par les assureurs lassurance sur la vie.

46 Rapport sur le Code civil du Qubec : projet de Code civil, vol. 1, Qubec, diteur officiel du

Qubec, 1978, art. 1172.

47 P.L. 125, Code civil du Qubec, 1re sess., 34e lg., Qubec, 1990, art. 2352.

364

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 52

de tous les contrats nomms, il est le seul dont la structure commande que

cette prestation revienne la partie qui la fournie !

Lalination du capital nest donc pas llment distinctif du contrat de rente. Cest
plutt lobligation rciproque des parties, lune de servir des montants priodiques,
lautre de les recevoir, qui en constitue llment distinctif.

III. La qualification juridique des contrats Thibault
La Cour suprme a arrt que les contrats Thibault ntaient pas des contrats de

rente, mais na pas prcis pour autant leur nature juridique. Ils sont, notre avis, des
contrats innomms48, comportant un droit de transformation en rente, au gr du
preneur.

Note technique no 3
Fondamentalement, les assureurs de personnes divisent leurs produits en deux
catgories, soit pargne et protection. Dj, la catgorisation entre pargne et
protection par les assureurs eux-mmes laisse entendre que les contrats protection
sont les vrais contrats dassurance. Les contrats Thibault, quant eux, font partie de la
catgorie pargne.
Mme certains contrats protection, notamment les contrats dits vie universelle,
ont cependant une forte composante pargne. Jean Bigot souligne que [d]ans
lassurance vie universelle, lassurance vie temporaire est lie la constitution dun
dpt dpargne49.
Au dpart, les contrats vie universelle fonctionnent exactement comme les contrats
Thibault. Le preneur contribue un fonds les sommes quil veut, au moment o il
veut, sous rserve de certains maxima imposs par la lgislation fiscale (disons une
contribution mensuelle de 100 $). Lassureur offre un choix de placements au preneur
et le preneur peut reprendre le capital accumul en tout temps. Jusquici, la situation
est identique celle des contrats Thibault.
En dbut de contrat, le preneur dcide du montant dassurance quil dsire en cas de
dcs (disons 100 000 $).
Le preneur a souvent le choix de deux modalits pour la somme assure.
Option 1 : la somme assure de 100 000 $ vient en supplment du capital
accumul. Si, au jour du dcs, le capital accumul est de 30 000 $, le bnficiaire
reoit 130 000 $.

48 On pourrait les appeler des contrats de placement ou de capitalisation. Certains dentre eux sont

49 Jean Bigot, dir., Trait de droit des assurances, t. 3, Paris, Librairie gnrale de droit et de

de simples prts.

jurisprudence, 2002 au para. 259.

2007]

L. PLAMONDON LARRT THIBAULT ET LE CONTRAT DE RENTE

365

Option 2 : la somme assure de 100 000 $ comprend le capital accumul. Si, au
jour du dcs, le capital accumul est de 30 000 $, le bnficiaire ne reoit quand
mme que 100 000 $ et le capital accumul disparat.
Notons que, dans loption 2, le risque viager pour lassureur est donc de 70 000 $
puisquil dispose dj de la somme de 30 000 $ au crdit de la police. Effectivement,
lassurance est alors une assurance dcroissante (tenant pour acquis que le capital
accumul crot tout le temps) gale au montant forfaitaire choisi par le preneur, moins
le capital accumul.
Priodiquement, lassureur prlve sur le capital accumul des frais de risque pour
provisionner le risque viager que reprsente la somme assure de 100 000 $. Disons
que les frais de risque seraient de 80 $ par mois pour loption 1, et de 60 $ par mois
pour loption 2.
Ces contrats sont prsents au public comme constituant, dans leur totalit, des
contrats dassurance dont la somme de 100 $ par mois constitue, dans sa totalit,
une prime dassurance. Daucuns pourraient croire quun tel contrat est, la base,
un contrat de placement auquel est greffe une assurance et que seule la somme de
80 $ ou de 60 $ constitue rellement une prime dassurance.

Il y a nanmoins une diffrence marque entre les contrats Thibault et les contrats vie
universelle. Pour les contrats Thibault, il ny a pas de rente ds le dpart. Pour les
contrats vie universelle, il y a de lassurance ds le dpart. Ceci dit, il ny a peut-tre
pas que de lassurance !

IV. Les interventions lgislatives

dcisions telles que larrt Thibault, soit

Le gouvernement est intervenu deux reprises pour tenter de contrer les effets de

une premire fois en dcembre 2002, parce que la Cour dappel venait elle
aussi de dcider que les contrats Thibault ntaient pas des contrats de
rente50, dcision qui fut confirme par la suite par la Cour suprme du
Canada ; et

une deuxime fois51, en dcembre 2005, aprs la dcision de la Cour

suprme.

A. Le pourquoi de lintervention lgislative
Larrt Thibault ne portait que sur une question, savoir : linsaisissabilit. Les

intervenants, tant les preneurs que les assureurs et autres metteurs des contrats

50 Voir Scotia McLeod c. Banque de Nouvelle-cosse, [2001] R.J.Q. 2099 (C.A.).
51 Nous disons sciemment deuxime fois et non seconde fois au cas o une troisime

intervention lgislative serait ncessaire !

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 52

366

Thibault, croyaient ces contrats insaisissables en raison de la trilogie juridique aux
articles 2393, 2445-2446 et 2457-2458 C.c.Q., savoir :

les rentes sont assimiles lassurance sur la vie52 ;
en assurance sur la vie, on peut dsigner des bnficiaires en cas de dcs
sans respecter les exigences de forme des testaments53 ; et

quand on dsigne certains bnficiaires en cas de dcs, il y a

insaisissabilit54.

Quand la Cour suprme a arrt que le contrat Thibault ntait pas un contrat de rente,
cette structure sest effondre.

En ralit, les preneurs ne tenaient pas rellement avoir un contrat de rente ; ils
voulaient linsaisissabilit et la rente tait le moyen dy parvenir. Les assureurs et les
autorits rglementaires, quant eux, tenaient beaucoup ce que les contrats Thibault
soient des contrats de rente, mais cela pour des raisons diffrentes de celles qui
motivaient les preneurs.
De nombreuses autres lois comportent des dispositions relatives aux rentes, soit
pour les exclure de leur application, soit pour y appliquer des rgles particulires.
Mentionnons-en quelques-unes afin de dterminer leur influence sur les contracts
Thibault.
La Loi sur les valeurs mobilires55 exclut la rente de certaines de ses dispositions.

Si le contrat Thibault nest pas un contrat de rente, il devient assujetti toute cette loi,
y compris lobligation dmettre un prospectus.
La Loi sur la distribution de produits et services financiers56 rgit la distribution

des rentes en les classant implicitement dans la discipline assurance de personnes.
Si le contrat Thibault nest pas un contrat de rente, il devient peut-tre un produit
financier non-rglement ou, selon les dispositions du contrat, qui tombe alors dans
une autre discipline, ce qui ncessite une autre catgorie de certificat.

de ses dispositions.

La lgislation fdrale et provinciale sur les socits dassurance impose toutes
sortes de rgles aux assureurs pour leurs contrats dassurance et de rente, notamment
lobligation de maintenir des provisions techniques appropries pour faire face leurs

La Loi sur la protection du consommateur57 exclut le contrat de rente de certaines

52 Art. 2393 C.c.Q.
53 Art. 2445-2446 C.c.Q.
54 Art. 2457-2458 C.c.Q.
55 L.R.Q. c. V-1.1.
56 L.R.Q. c. D-9.2.
57 L.R.Q. c. P-40.1.

L. PLAMONDON LARRT THIBAULT ET LE CONTRAT DE RENTE

2007]

engagements58. Si les contrats Thibault ne sont pas des contrats de rente,
chappent-ils alors cette lgislation ?

Et nous en passons. Sans lintervention du lgislateur, cest toute la structure de
supervision et de rglementation des contrats Thibault qui est chamboule. Larrt
Thibault posait donc plusieurs questions majeures au lgislateur avant les
interventions lgislatives de dcembre 2002 et de dcembre 2005, notamment par
rapport linsaisissabilit et la structure rglementaire.

367

Linsaisissabilit : Doit-on, lavenir, accorder le bnfice de linsaisissabilit
aux contrats Thibault et, si oui, comment ? Pour le pass, doit-on redonner
ces contrats linsaisissabilit dont les intervenants croyaient bnficier ?

La structure rglementaire : Doit-on restaurer et maintenir la mme structure

rglementaire pour les contrats Thibault et, si oui, comment ?

Sur lopportunit de restaurer et de maintenir la mme structure rglementaire, il tait
probablement acquis, pour tous les intresss, quil tait essentiel de le faire au moins
court terme.

B. Lintervention lgislative de dcembre 2002
Le 19 dcembre 2002, larticle 187 du chapitre 70 des lois de 2002, soit la Loi

modifiant la Loi sur les assurances et dautres dispositions lgislatives59, entra en
vigueur. Nous ne citerons que la partie de cet article qui est pertinente notre tude :

Une facult de retrait total ou partiel du capital stipule dans un contrat
constitutif de rente nempche pas celui-ci dtre considr comme un contrat
de rente au sens de larticle 2367 du Code civil dans la mesure o la rente est
constitue auprs dune socit de fiducie conformment larticle 178 de la
Loi sur les socits de fiducie et les socits dpargne (L.R.Q., chapitre S-
29.01) ou auprs dun assureur.
Cet article est dclaratoire […]60.

Cet article provoque la fois questionnement et merveillement.

Le questionnement vient de la technique lgislative utilise. Comme larticle 187
mentionne spcifiquement larticle 2367 C.c.Q, on pourrait croire quil modifie cet
article. Pourtant, il ne contient pas le texte habituel des dispositions lgislatives
modificatrices du Code civil du Qubec. Par contraste, larticle 156 de cette mme loi,
qui modifie larticle 2441 C.c.Q., utilise la formule habituelle : Larticle 2441 du
Code civil du Qubec (1991, chapitre 64) est modifi […] [nos italiques]61.

58 Voir par ex. Loi sur les socits dassurance, L.C. 1991, c. 47 ; Loi sur les assurances, L.R.Q. c.

A-32.

59 Loi modificatrice de 2002, supra note 3.
60 Ibid.
61 Ibid.

[Vol. 52

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

368

On pourrait croire aussi, au moins indirectement, que larticle 187 modifie
larticle 2393 C.c.Q., qui assimile lassurance sur la vie les rentes pratiques par les
assureurs. Cependant, larticle 187 ne mentionne pas cet article.
Alors que tous les autres articles de la Loi modificatrice de 2002 peuvent tre
rattachs dautres lois que ce chapitre modifie (sauf, videmment, les articles sur
lentre en vigueur du chapitre mme), larticle 187 est orphelin. En apparence, il ne
modifie aucune autre disposition lgislative malgr que tous les autres articles de sa
loi gnratrice effectuent de telles modifications. Mme les moteurs de recherche
cibls sur larticle 2367 C.c.Q. ne renvoient pas le lecteur larticle 187 et aucun des
codes civils commerciaux ne fait tat de ce dernier article !

Lmerveillement vient de la simplicit de la technique utilise. La Cour suprme
dit que le contrat Thibault nest pas un contrat de rente ; le lgislateur rpond quil en
est un ! On pense ce dialogue enchanteur o Lewis Carroll met en opposition
Humpty Dumpty et son personnage dAlice :

– Quand jemploie un mot, dit Humpty Dumpty […], il signifie ce que je

veux quil signifie, ni plus ni moins.

mots signifient tant de choses diffrentes.

tout62.

– La question est de savoir, dit Alice, si vous pouvez faire que les mmes

– La question est de savoir, dit Humpty Dumpty, qui est le matre cest

Avec larticle 187, le lgislateur fait dune pierre deux coups. En quelques lignes, il
solutionne la fois le problme de linsaisissabilit et celui de la structure
rglementaire.
On aurait facilement pu croire que cet article allait clore le dbat. En effet,
larticle 187 stipule clairement quun contrat de rente demeure un contrat de rente
mme si le contrat contient une facult de retrait total ou partiel du capital. Pourtant,
la Cour suprme na pas choisi de retenir cette interprtation, malgr son tonnante
simplicit.
En raison de la dcision de la Cour dappel du Qubec dans larrt Re Les

Cooprants63 portant sur les facults de retrait total, la Cour suprme na voulu voir
dans larticle 187 quune disposition clarificatrice sur la porte des facults de retrait
partiel du capital. Elle nona donc, sans ambages, que la modification ne change
pas la rgle imposant lalination du capital, lment central du contrat de rente qui
fait dfaut dans lespce64 !

La Cour suprme, finalement autant sibylline que le lgislateur, ajouta :

62 Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles suivi de De lautre ct du miroir, trad. par Andr

Roy, Paris, Grnd, 2002 aux pp. 311-12.

63 Supra note 26.
64 Thibault, supra note 1 au para. 46.

2007]

L. PLAMONDON LARRT THIBAULT ET LE CONTRAT DE RENTE

369

Pour ce qui est de leffet plus large de la disposition, le contexte du prsent
litige ne ncessite pas quon en analyse la formulation sibylline. Le lgislateur
sera srement appel se pencher sur le concept mme des retraits pour
lintgrer avec cohrence au mcanisme de constitution de la rente65.

Effectivement, le lgislateur sest remis la tche. Sil la fait de faon lintgrer
avec cohrence au mcanisme de constitution de la rente le concept des retraits
constitue, cependant, une autre question !

C. Lintervention lgislative de dcembre 2005
Par le chapitre 51 des lois de 2005 intitul la Loi modifiant la loi sur les

assurances et la loi sur les socits de fiducie et des socits dpargne66, le
lgislateur tenta nouveau de rgler le problme. Fondamentalement, il reprend dans
cette loi la mme technique quen 2002 en dclarant que les contrats Thibault sont
tout comme des contrats de rente. Cette fois, cependant, il toffe le texte et propose
des solutions diffrentes pour le pass et pour le futur.

1. Le pass

Fondamentalement, par les articles 7 et 8 de la Loi modificatrice de 2005, articles

dclaratoires, les contrats offerts au public par les assureurs titre de contrat de
rente67 et en vigueur avant le premier mars 2006 produisent, ds leur conclusion,
tous les effets dun contrat de rente68, mme sils ne sont pas conformes
larticle 2367 C.c.Q. Il suffit donc que le contrat ait t offert titre de contrat de
rente pour quil en soit un.

problmes diffrents.

Bien que les articles 7 et 8 visent tous deux le pass, ils ciblent nanmoins des

a. Larticle 7

Larrt Thibault ne portait rellement que sur linsaisissabilit. Larticle 7 vise

prcisment cette question.

Les deux premiers alinas de cet article se lisent comme suit :

Tout contrat conclu avec une compagnie dassurance ou une socit de
fiducie antrieurement au 1er mars 2006, qui a t offert au cocontractant titre
de contrat de rente et qui nest pas conforme larticle 2367 du Code civil,
emporte ds sa conclusion linsaisissabilit du capital accumul comme si
celui-ci avait t accumul aux termes dun contrat de rente.

65 Ibid. au para. 47.
66 Supra note 3.
67 Ibid., art. 7.
68 Ibid., art. 8.

370

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 52

Cette insaisissabilit demeure subordonne la dsignation, conformment
aux articles 2457 ou 2458 du Code civil, dune personne habilite recevoir le
capital ou la rente en dcoulant au dcs du crdirentier ou de la personne qui
fournit le capital. Elle subsiste jusqu la fin du contrat69.

Nous avons des interrogations sur la porte de cet article quant aux contrats viss, la
dsignation de bnficiaire et la prennit de linsaisissabilit.

i. Les contrats viss

Rappelons quune bonne partie des contrats Thibault sont des RER70. Pour les

RER collectifs, il y a un contrat-cadre entre lassureur et lentit qui met le RER
la disposition de ses salaris ou de ses membres. Des droits de nature contractuelle
existent entre les participants et lassureur.

Examinons la situation des participants dans un RER collectif mis sur pied
avant le premier mars 2006. Clairement, les participants qui ont conclu leur
engagement individuel ce RER avant le premier mars 2006 bnficient de larticle
7. Mais quen est-il des participants qui ne se joignent au rgime quaprs le
28 fvrier 2006 ?

Si larticle 7 ne vise que le contrat-cadre, les participants postrieurs au 28 fvrier
2006 bnficieront de larticle 7 aux mmes conditions que les participants antrieurs.
Mais, si cet article vise plutt le mini-contrat individuel de chaque participant, ceux
dentre eux qui adhrent au RER collectif aprs le 28 fvrier 2006 ne bnficieront
pas de larticle 7.

Il faudrait que les RER collectifs en vigueur antrieurement au premier mars
2006 soient modifis pour devenir conformes aux rgles nouvelles71. Les personnes
qui deviennent des participants aprs le 28 fvrier 2006 pourront alors, eux aussi,
aspirer une certaine insaisissabilit de leur RER.

ii. Les dsignations de bnficiaire

Lobjet de la dsignation

Les contrats de rente ne sont pas insaisissables de par leur seule nature.
Linsaisissabilit dcoule de la dsignation de bnficiaire conformment aux articles
2457 et 2458 C.c.Q.
Sur ce dernier point, la Cour suprme dans Thibault a laiss entendre quil ny

aurait peut-tre insaisissabilit que si le bnficiaire tait dsign pour recevoir le
capital accumul du vivant du preneur, et non seulement au dcs.

69 Ibid.
70 Voir supra note 15.
71 Pour plus dinformation ce sujet, voir la section IV.C.2 de cet article, intitule Le futur.

L. PLAMONDON LARRT THIBAULT ET LE CONTRAT DE RENTE

371

2007]

La plupart des contrats Thibault sont des RER. Les rgles fiscales ayant rapport

aux RER exigent que tous les avantages chant du vivant du preneur soient
payables au preneur. La Cour suprme a donc jet un gros pav dans la mare des
RER. En effet, si linsaisissabilit ne survient que lorsquun bnficiaire idoine est
dsign pour recevoir le capital accumul du vivant du preneur, RER et
insaisissabilit deviennent incompatibles.
Pour assurer la fois que les contrats Thibault soient admissibles titre de

RER, et quils constituent des contrats de rente jouissant de linsaisissabilit qui
dcoule des articles 2457 et 2458 C.c.Q., la solution de larticle 7 simpose.
Linsaisissabilit est l, mme si le bnficiaire nest dsign quen cas de dcs et
que le preneur conserve son droit daccs en tout temps, de son vivant, au capital
accumul.
Le moment de la dsignation
Le premier alina de larticle 7 nonce que les contrats antrieurs au premier mars

2006 sont insaisissables. Aucune mention nest faite ce premier alina de la
ncessit davoir dsign lun des bnficiaires viss aux articles 2457 ou 2458
C.c.Q. Ces bnficiaires reprsentent pourtant la source de linsaisissabilit des
contrats dassurance.

Cest au second alina que lon retrouve lnonc que linsaisissabilit dcrte
par le premier alina demeure subordonne la dsignation de bnficiaire idoine.
Cependant, le volet avant le premier mars 2006 nest pas mentionn dans ce second
alina.

interprtations nous paraissent possibles, soit que

Sur cette seule question du moment de la dsignation des bnficiaires, deux

linsaisissabilit dcoulant des articles 2457 ou 2458 C.c.Q. sattache au
contrat offert au public titre de contrat de rente et conclu antrieurement au
premier mars 2006 lorsquun bnficiaire idoine y est dsign, que la
dsignation soit antrieure ou postrieure au premier mars 2006 ; ou que
linsaisissabilit ne sy attache que lorsquun bnficiaire idoine tait dj
dsign au premier mars 2006.

Selon cette seconde interprtation, le contrat davant le premier mars 2006 ne
bnficierait daucune insaisissabilit si le bnficiaire au 28 fvrier 2006 ntait pas
un bnficiaire idoine, et ce mme si le preneur y dsignait un bnficiaire idoine
aprs le 28 fvrier 2006.
Si le but du lgislateur tait de redonner aux contrats Thibault linsaisissabilit

perdue, la seconde interprtation pourrait sembler prfrable. En effet, les contrats
davant le premier mars 2006 pour lesquels aucun bnficiaire idoine ntait dsign
ne jouissaient daucune insaisissabilit particulire ce moment-l. Le seul effet pour
eux, sur ce point, de larrt Thibault tait la perte de la possibilit de rendre le contrat
insaisissable par la dsignation dun bnficiaire idoine.

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 52

Le dbat est donc de savoir si larticle 7 ne vise que les insaisissabilits

372

rellement perdues ou sil vise aussi les possibilits perdues dinsaisissabilit.
Nous sommes davis que le principe est donn par le premier alina de larticle 7,
particulirement par les mots comme si [le capital] avait t accumul aux termes
dun contrat de rente72. Comme linsaisissabilit des vrais contrats de rente dpend
de la dsignation dun bnficiaire idoine, celle des contrats Thibault en dpend aussi
et le deuxime alina de larticle 7 ne fait que rpter cette condition73. En
consquence, nous croyons que la premire interprtation cadre mieux avec lobjet
gnral de larticle 7.

iii.

La prennit de linsaisissabilit

Aprs lnonc que linsaisissabilit est subordonne la dsignation de
bnficiaires idoines en cas de dcs, le deuxime alina de larticle 7 se termine par
la phrase [Linsaisissabilit] subsiste jusqu la fin du contrat74.

En labsence de cet nonc, on aurait cru, comme cest le cas pour les assurances
sur la vie en gnral, que linsaisissabilit ne subsiste que tant et aussi longtemps que
subsiste la dsignation de bnficiaire. En dautres mots, pas de bnficiaire idoine,
pas dinsaisissabilit !
Quel sens donner cet nonc lgislatif que linsaisissabilit subsiste jusqu la
fin du contrat ? Doit-on linterprter dans le sens quune fois insaisissable le capital
accumul demeure toujours insaisissable ?

Prenons le cas o le bnficiaire dsign avant le premier mars 2006 est le
conjoint, que ce conjoint dcde le 20 juin 2006 et que le preneur dsigne son enfant
bnficiaire le 22 juin 2006. Il y a un hiatus de deux jours durant lequel, si le dcs
survient, le capital est payable aux ayants droit du preneur, et non un bnficiaire
idoine.

hiatus. Suivant cette priode, il reprend le bnfice de linsaisissabilit.

Si nous devions donner un plein sens la phrase Elle subsiste jusqu la fin du
contrat75, il en rsulterait que le contrat serait insaisissable mme si, au jour de la
saisie, le bnficiaire est la succession du preneur. Il y aurait donc insaisissabilit en
tout temps seulement parce qu un moment donn il y aurait eu un bnficiaire
idoine !

Selon les rgles normales des assurances, le contrat est saisissable durant le

72 Supra note 3.
73 Effectivement, le but premier du deuxime alina parat tre de contrer le questionnement de la
Cour suprme sur lobjet de la dsignation. Le bnficiaire na besoin dtre dsign quen cas de
dcs du preneur.
74 Supra note 3.
75 Ibid., art. 7, al. 2.

L. PLAMONDON LARRT THIBAULT ET LE CONTRAT DE RENTE

373

Il y aurait alors plus dinsaisissabilit quil ny en avait avant larrt Thibault ! Ce

2007]

serait pour le moins surprenant.
Des reprsentants du milieu des assurances nous ont suggr que le but de cette
phrase est de confirmer quen cas de retrait partiel du capital accumul,
linsaisissabilit, si insaisissabilit il y a, se continue pour le solde du capital jusqu
la fin du contrat. La phrase en soi naccorderait pas dinsaisissabilit l ou il ny en a
pas en raison de labsence de bnficiaire idoine.

difficilement acceptables, soit que

Le mrite de cette interprtation est quelle permet dviter deux extrmes

la phrase veut tout dire, et les contrats Thibault jouissent alors de plus
dinsaisissabilit que les vrais contrats de rente ; ou que
la phrase ne veut rien dire, et le lgislateur a parl pour ne rien dire.

b. Larticle 8

Larticle 7 vise solutionner le seul problme abord directement par la Cour
suprme dans Thibault, soit linsaisissabilit du contrat. Larticle 8 tente de rgler les
autres problmes du pass. Il vise particulirement la qualit mme de contrat de
rente des contrats viss larticle 7. Plus prcisment, il nonce que le contrat vis
larticle 7 produit, ds sa conclusion, tous les effets dun contrat de rente76.

donc larticle 8. Cependant, ce dernier comporte aussi ses propres incertitudes.

Les mmes ambiguts que nous soulevions propos de larticle 7 se reportent

Larticle 8 se lit comme suit :

Outre linsaisissabilit du capital accumul aux termes de ses stipulations,
un contrat vis larticle 7 produit, ds sa conclusion, tous les effets dun
contrat de rente, notamment quant son assujettissement la Loi sur les valeurs
mobilires (L.R.Q., chapitre V-1.1), quant la capacit de la compagnie
dassurance ou de la socit de fiducie de le conclure ou quant la validit des
dsignations quil comporte de personnes habilites recevoir le capital
accumul en cas de dcs du cocontractant ou de la personne qui fournit le
capital. Sous rserve dun jugement les confirmant ou les rvoquant, ces
dsignations ne prvalent pas sur des dsignations faites valablement dans un
acte juridique qui leur est postrieur, notamment un testament77.

premire vue, du moins, la porte de cet article parait plus large que celle de
larticle 7. Pourrions-nous donc utiliser larticle 8 afin de bonifier les effets de
larticle 7 ? Ne pourrions-nous pas prtendre quen raison de larticle 8, le contrat
vis larticle 7, cest–dire un contrat antrieur au premier mars 2006 et prsent au

76 Ibid.
77 Ibid.

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

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Cette interprtation, aussi sduisante quelle puisse tre, rendrait inutile le

374

public titre de contrat de rente, produit, pour toujours et toutes fins que de droit,
les effets dun contrat de rente, et ceci quelque soit le bnficiaire dsign ?

premier alina de larticle 7.

La difficult vient des mots du dbut de larticle 8 : Outre linsaisissabilit du
capital accumul […] . On pourrait y voir le message que toute question relative
linsaisissabilit se rgle exclusivement par larticle 7, larticle 8 tant rserv aux
autres questions. Le outre du dbut de larticle ferait obstacle luniversalit de la
porte de larticle 8 dcoulant des mots tous les effets dun contrat de rente suivis
de notamment.
Nous sommes de lavis que larticle 8 aurait d venir avant larticle 7 et noncer
le grand principe que les contrats Thibault davant le premier mars 2006 et offerts au
public titre de contrat de rente produisent tous les effets des contrats de rente,
toutes fins que de droit. Ils seraient donc susceptibles dtre insaisissables sil y a
dsignation dun bnficiaire idoine. Larticle 7 aurait suivi pour ne rgler quune
modalit technique, soit celle de savoir pour quelle prestation du contrat le
bnficiaire doit tre dsign.

La dernire phrase de larticle 8 nous laisse aussi songeur. Elle nonce que les
dsignations de bnficiaires en cas de dcs ne prvalent pas sur des dsignations
faites valablement dans un acte juridique qui leur est postrieur, notamment un
testament.
Les articles 2449 et 2450 C.c.Q. contiennent dj des rgles sur la rvocation des

dsignations de bnficiaire par des crits postrieurs. Cependant, larticle 8 ne fait
aucune mention de ces articles. Devrions-nous croire que la validit des changements
de bnficiaire pour les contrats Thibault qui bnficient de larticle 8 se rsoudrait
la seule lumire de larticle 8 alors que la validit des changements de bnficiaire
pour les autres contrats de rente continuerait dtre rgie par les articles 2449 et 2450
C.c.Q. ?

Larticle 8 comporte donc, lui aussi, son lot dincertitudes.

c. Les droits de retrait du capital, les choix de placements et

lindtermination de la rente

Dans Thibault, la Cour suprme a dcid que les droits de retrait du capital et
lamplitude des choix de placements accords au preneur taient incompatibles avec
le principe de lalination du capital, principe essentiel la qualification du contrat
Thibault titre de contrat de rente. Elle a galement engendr un questionnement sur
labsence de paramtres pour dterminer la rente servir.

375

L. PLAMONDON LARRT THIBAULT ET LE CONTRAT DE RENTE

2007]

Dans Pierre Roy & associs c. Bagnoud78, la Cour dappel du Qubec a tent de
temprer quelque peu la position de la Cour suprme sur le volet choix de
placements. Elle na pas refus la qualit de contrat de rente un contrat de rente
qui, si on lit entre les lignes, parat accorder au preneur une amplitude de choix de
placements pas tellement diffrente de celle accorde au preneur dans un contrat
Thibault.

Sans lnoncer expressment, les articles 7 et 8 balaient, pour le pass, toute
incertitude sur ces points. Les contrats antrieurs au premier mars 2006 sont valids
titre de contrats de rente, quels que soient les droits de retrait ou de placements
accords aux preneurs ou lincertitude quant la rente servir.

2. Le futur

videmment, les contrats tablis par les assureurs aprs le 28 fvrier 2006
peuvent avoir la qualit de contrats de rente sils respectent les conditions nonces
larticle 2367 C.c.Q.
Relativement la qualification des contrats Thibault titre de contrat de rente, la

Cour suprme na fait tat directement que dune seule faiblesse lie aux contrats
Thibault, savoir : labsence dalination du capital dcoulant de la facult pour le
preneur de reprendre le capital accumul, en tout ou en partie.
En fait, on peut induire de lensemble de la dcision que les contrats Thibault

comportent trois faiblesses qui rendent impossible leur qualification titre de contrats
de rente, savoir :

la facult de retrait partiel ou total, par le preneur, du capital accumul ;
la matrise, par le preneur, du capital accumul en raison de son droit de
choisir les placements faire ; et
labsence de paramtres pour dterminer les arrrages servir.

Larticle 33.4, que larticle 2 de la Loi modificatrice de 2005 ajoute la Loi sur

les assurances79, vise prcisment ces trois faiblesses. Cet article se lit comme suit :

Dans un contrat constitutif de rente, le fait quune compagnie dassurance
offre des choix de placement nempche pas cette compagnie davoir la
matrise du capital accumul pour le service de la rente.
Une facult de retrait partiel ou total du capital accumul pour le service de
la rente peut tre stipule, mais son exercice a pour effet de rduire de faon
corrlative les obligations de la compagnie dassurance.

78 2005 QCCA 492, [2005] R.J.Q. 1378.
79 Supra note 58.

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MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 52

De plus, le montant de la rente qui sera servie priodiquement doit tre, au
moment de la conclusion du contrat, sinon dtermin, du moins dterminable
en fonction de variables et selon un mode de calcul indiqus au contrat80.

premire vue, le but de larticle 33.4 parat vident : nonobstant larticle 2367
C.c.Q., les contrats Thibault tablis aprs le 28 fvrier 2006 doivent tre considrs
comme constituant des contrats de rente au sens de cet article si ces contrats
remplissent les conditions de larticle 33.4. En dautres mots, si les contrats satisfont
aux conditions de larticle 33.4, tous les articles du chapitre sur la rente du Code civil
du Qubec vont sappliquer ces contrats, sauf la dfinition mme du contrat
constitutif de rente ; tout cela, sans aucune mention de larticle 2367 C.c.Q.
Mais nous nous retrouvons dans un cul-de-sac. Larticle 33.4 dbute par les mots
[d]ans un contrat constitutif de rente […] . Pour que le contrat mis par lassureur
puisse bnficier de larticle 33.4, il faut donc tablir, en premier lieu, que le contrat
en question est effectivement un contrat constitutif de rente.
La Loi sur les assurances, o sinsre larticle 33.4, ne contient pas de dfinition

de lexpression contrat constitutif de rente, mais le Code civil du Qubec dfinit
prcisment cette expression. Comme toute loi particulire doit se lire en harmonie
avec le Code civil du Qubec, il nous faut confronter ce contrat la dfinition de
larticle 2367 C.c.Q. Or, la Cour suprme vient prcisment et directement de nous
dire quun contrat nest pas un contrat de rente au sens de larticle 2367 C.c.Q. sil y a
des facults de retrait partiel ou total du capital !
Il y a un deuxime obstacle la rconciliation entre larticle 33.4 de la Loi sur

les assurances et larticle 2367 C.c.Q. Dans le deuxime volet de la dcision, la Cour
suprme sest penche sur la qualification possible des contrats Thibault titre de
fiducie. Elle a retenu que lune des conditions pour la constitution dune fiducie est le
transfert de biens du patrimoine dune personne au patrimoine de la fiducie. La Cour
suprme a soulign dailleurs que le transfert de patrimoine, requis par larticle 1260
C.c.Q. sur les fiducies, reprsente une alination de biens, similaire celle requise par
larticle 2367 C.c.Q. sur les rentes81.

La Cour suprme, en discutant du rle du fiduciaire, nous livre le message quil
ny a pas alination du capital, et donc pas de contrat de rente, lorsque les dcisions
quant aux investissements sont lapanage exclusif82 du preneur. Cest prcisment
cette autre faiblesse des contrats Thibault que le premier alina de larticle 33.4
vise corriger.
Mais limpasse demeure entire. Pour que larticle 33.4 sapplique, il faut que le
contrat soit un contrat constitutif de rente. Pour que le contrat soit un contrat
constitutif de rente, il faut, selon la Cour suprme, quil y ait absence de facult de

80 Supra note 3, art. 2.
81 Supra note 1 au para. 35.
82 Ibid. au para. 37.

377

L. PLAMONDON LARRT THIBAULT ET LE CONTRAT DE RENTE

2007]

retrait du capital et absence de pouvoir dcisionnel sur les placements. Or, lessence
de larticle 33.4 parat tre justement de valider la prsence de ces clauses !
Le fait de retenir quil y a impasse irrsoluble entre le Code civil du Qubec et

larticle 33.4 de la Loi sur les assurances quivaut soutenir que le lgislateur a parl
pour ne rien dire. Ce nest pas une solution laquelle les tribunaux se rallieront
facilement. Si les tribunaux acceptent de trancher le nud gordien, nous pensons
quils seront enclins accorder aux contrats Thibault tous les effets dun contrat
constitutif de rente, en dpit des mots [d]ans un contrat constitutif de rente au dbut
de larticle 33.4.

Cette situation est pour le moins cocasse. Pour les assureurs, tout le chapitre sur
les rentes du Code civil du Qubec sappliquerait leurs contrats Thibault par
larticle 33.4, mais lexclusion de la dfinition mme du contrat constitutif de rente
larticle 2367 C.c.Q. Toutefois, rien ne les empche dmettre aussi de vrais
contrats constitutifs de rente conformes larticle 2367 C.c.Q. !

V. De lege ferenda
Le but vident de la Loi modificatrice de 2005 est de donner aux contrats

Thibault les effets juridiques dun contrat de rente. Cest l une dcision politique et
nous navons pas lintention, dans cet article, den discuter le bien-fond.

Le lgislateur avait deux choix, soit de

Cependant, le moyen retenu pour aboutir ce rsultat nous parat inacceptable.

reconnatre les contrats Thibault pour ce quils sont, savoir : de simples
contrats de placements avec option de transformation en rente ; ou de
faire de ces contrats de faux contrats de rente, ce que le lgislateur a fait.

1)

2)

La premire option aurait ncessit des modifications de nombreuses lois afin de
maintenir la mme supervision rglementaire sur ces contrats et leurs distributions,
ainsi que de conserver ces contrats linsaisissabilit dsire.

Le choix adopt par le lgislateur est une technique ingnieuse, mais discutable.
Le Qubec vient tout juste de se doter dun nouveau code civil. Ce code nonce des
principes fondamentaux de droit qui sont le fruit de longues rflexions de la
communaut juridique et qui furent approuvs par le lgislateur. Lun de ces principes
est que la promesse nest pas le contrat promis. Elle est un contrat distinct du contrat
quelle vise. Ce dernier nexiste qu compter du moment o le bnficiaire lve son
option. Cela reprsente une vrit juridique fondamentale que la Loi modificatrice de
2005 tente de contredire !

La certitude et la rectitude juridique commandent que si le lgislateur entendait
donner aux contrats Thibault des attributs semblables ceux des contrats de rente, il
aurait d le faire, soit en crant une nouvelle catgorie de contrat nomm, soit, au

[Vol. 52

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

378

moins, en encadrant dans une lgislation particulire cette ralit juridique spcifique
que constituent ces contrats83. Ceci aurait galement impliqu que des modifications
appropries soient apportes aux autres lois qui contiennent des renvois au contrat de
rente.
Octroyer aux contrats Thibault certains attributs dun contrat de rente est une
chose, mais tenter den faire des contrats de rente alors quils ne le sont pas en est une
autre compltement. Mais peut-tre sommes-nous forcs de dire : incohaerens lex,
sed lex !

Conclusion
Malgr sa grande importance, lincident Thibault nest, en fait, quun symptme
dune ralit plus significative, savoir : que les assureurs de personnes au Canada ne
font pas qumettre des contrats dassurance. En effet, ils agissent de moins en moins
en tant que simples assureurs. Une part significative de leur chiffre daffaires est
prsentement constitue de produits et services financiers qui ne constituent pas
rellement de lassurance.
Avant 1992, les socits dassurance charte fdrale taient confines,
quelques rserves prs, des contrats dassurance. La rforme de la lgislation
fdrale sur les institutions financires a alors renvers la vapeur. Les assureurs ont
acquis le droit, comme les banques et les socits de fiducie, de distribuer nimporte
quel produit ou service financier, sauf pour les exceptions prcises dans la loi.
Lexception la plus pertinente est celle qui interdit chacun de ces trois piliers du
monde financier dempiter sur les spcialits des deux autres84. Daprs ces articles,
les assureurs nont pas le droit de pratiquer le commerce bancaire ou celui de la
fiducie et les banques et les socits de fiducie nont pas le droit de pratiquer le
commerce des assurances.
Au Qubec, le premier alina de larticle 33.1 de la Loi sur les assurances se lit
comme suit : Outre les activits dassurance, une compagnie dassurance a pour
objet de fournir des produits et services financiers conformment la loi85. Cet
article confirme que les assureurs de personnes ont le droit de faire autre chose que de
lassurance et, de fait, ils le font dj. Les contrats Thibault en sont un exemple.

Les assureurs ont donc volu pour sadapter une nouvelle ralit commerciale,
et grand bien leur fasse. Mais malheur qui opre dans de nouveaux domaines avec
des paradigmes anciens. linstar des banques de qui on dit banking is what
bankers do, la plupart des intervenants en assurance de personnes, y compris les

83 Le crdit-bail a connu aussi cette priode de flou juridique, suivie dune lgislation particulire,

pour enfin accder au statut de contrat nomm dans le Code civil du Qubec.

84 Voir notamment Loi sur les socits dassurances, supra note 58, art. 440, 466, 467.
85 Supra note 58.

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L. PLAMONDON LARRT THIBAULT ET LE CONTRAT DE RENTE

2007]

lgislateurs, semblent partir du principe que si cest mis par un assureur, a doit tre
de lassurance.

Il y a plus de cinquante ans, la socit Penn Central faisait faillite et on a dit de
ses dirigeants : They thought they were in the railway business. They should have
realized they were in the transportation business.
La comparaison sarrte l parce que la situation financire de lindustrie des

assurances de personnes aujourdhui, linverse de celle de lindustrie des chemins
de fer lpoque, parat tre saine. Nanmoins, tous les intervenants, y compris les
lgislateurs, devraient reconnatre de faon similaire que les assureurs de personnes
sont in the financial products and services industry et non seulement in the
insurance business. Ils devraient donc moduler la lgislation en consquence.
La lgislation qui a cr lAgence des marchs financiers86 est un pas dans cette

direction. Les deux lgislations correctrices de 2002 et de 2005, qui ont pour but de
ramener de lassurance des contrats qui nen sont pas, constituent, selon nous, un
recul.

86 Voir Loi sur lAutorit des marchs financiers, L.R.Q. c. A-33.2, qui portait auparavant le titre de

Loi sur lAgence nationale dencadrement du secteur financier, L.R.Q. c. A-7.03.