L’article 26 de la Charte canadienne: Une negation
constitutionnelle du positivisme juridique ?
Karim Benyekhlef*
I’article 26 de la Charte canadienne des droits
et libertes n’a pas 6t considrr6 tr~s souvent
par la jurisprudence canadienne. 1’auteur
dtudie une disposition qui s’y apparente: le
9e Amendement a la Constitution des Etats-
Unis d’Am~rique. I1 6tudie la genrse de cet
amendement, ainsi que le traitement que lui
a rrserv6 la Cour supreme dans I’affaire Gris-
ivold. I1 se penche ensuite sur les diverses
theories des droits innommrs. I1 se demande
enfin si ces principes sont applicables au
Canada.
Section 26 of the Canadian Charter ofRights
and Freedoms has seldom been dealt with in
Canadian case law. The author studies a pro-
vision akin to it: the 9th Amendment to the
U.S. Constitution. He studies its origins as
well as its interpretation by the Supreme
Court in the Griswold case. Having consid-
ered various theories of implied rights, he fi-
nally addresses the question of whether these
principles are applicable in Canada.
*
*
*
Professeur-adjoint, Facult6 de droit, Universit6 de Montreal. L’auteur tient A remercier
particulirement le professeur Andr6 Morel pour ses nombreux etjudicieux conseils aussi bien
au niveau du fond que de la forme de ce texte.
Revue de droit de McGill
McGill Law Journal 1989
McGILL LAI’ JOURNAL
[Vol. 34
Somnaire
Introduction
1.
2.
L’article 26 de la Charte canadienne
Le 9e Amendement
2.1. La gense du 9e Amendement
2.2. L’arrt Griswold
Les thories des droits innomm6s
L’application de rarticle 26 de la Charte canadienne
3.
4.
Introduction
L’interpr6tation de la Charte canadienne des droits et Iiberts n’en est
plus d ses premiers balbutiements. Toutefois, loin de pouvoir pr6tendre i
un sens d6finiI ou. i tout le moins, d61imit6, chacune des dispositions (ou
des parties de celles-ci) de cet instrument constitutionnel reste encore i
d~couvrir, et ce, malgr6 les quelques 6nonc6s de principe de la Cour supreme
du Canada. I1 peut donc paraitre futile d’6tudier une disposition comme
l’article 26, qui pr6voit que la garantie par la Charte de certains droits et
libert6s ne constitue pas une n6gation des autres droits ou libert6s qui exis-
tent au Canada, alors que son utilit6 n’est pas encore 6tablie, et que d’autres
articles, en raison de la sp6cificit6 des droits qu’ils protgent, m6riteraient
plus d’attention. En effet, il est possible que l’article 26, source 6ventuelle
de droits innomm6s, n’ait strictement aucune port6e r6elle. Or, il convien-
drait logiquement, i tout le moins, de tenter de mieux cerner ce qui est
‘Le mot < dfini> ne signifie pas d~finitif. En effet, aucune disposition constitutionnelle,
particuli~rement dans le domaine des droits et libert6s, ne peut pr~tendre, au plan de l’inter-
pr6tation, ! un statut d6finitif. Celle-ci est, au contraire, appel~e A 6voluer et A se modeler au
contexte social, historique et politique dans lequel elle s’inscrit. Rien n’est donc jamais acquis.
Le professeur Tremblay 6crit :
1989]
UARTICLE 26 DE LA CHARTE
droits nomm6s – que ce qui est probable – droits innomm~s.
certain –
Ces derniers n’ont peut-8tre aucun caractre constitutionnel – neanmoins,
nous estimons qu’une interpretation cloisonn~e de la Charte ne saurait lui
rendre justice2. I1 importe alors de tenter, ds maintenant, de donner un
sens A ‘article 26 afin de permettre A l’interprte d’en tenir compte dans
l’analyse des autres dispositions constitutionnelles garanties par la Charte.
De plus, en r~f~rence A l’exp~rience am~ricaine quant au 9e Amendement,
une interpretation rapide 3 aura peut- tre l’avantage d’6viter les analyses
aussi multiples que pol~miques qui ont cours aux Etats-Unis.
Nous nous proposons donc d’examiner l’article 26 de la Charte A la
lumi~re d’une disposition qui s’y apparente: le 9e Amendement a la Cons-
titution des Etats-Unis. Cette incursion en droit americain est le fruit de la
n~cessit6, puisque, jusqu’ici, l’article 26 n’a donn6 lieu, comme on le verra.
qu’A tr~s peu de d~veloppementsjurisprudentiels ou doctrinaux au Canada.
1. I/article 26 de la Charte canadienne
Uarticle 26 se lit comme suit:
Le fait que la prdsente charte garantit
certains droits et libert~s ne constitue
pas une negation des autres droits ou
libert~s qui existent au Canada.
The guarantee in this Charter of cer-
tain rights and freedoms shall not be
construed as denying the existence of
any other rights or freedoms that
exist in Canada.
Larticle 26 se retrouve, dans la Charte, sous l’intitul Dispositions
g~nrales > ( General >> en anglais) qui suit en fait l’6num~ration des droits
et libert~s garantis : libert~s fondamentales, droits d~mocratiques, libert6 de
circulation et d’6tablissement, garantiesjuridiques, droits A l’6galit6, langues
officielles au Canada, droits A l’instruction dans la langue de la minorit6.
‘article 26 dans l’or-
Nous aurons l’occasion de revenir sur la position de
donnancement textuel de la Charte canadienne.
I1 est encore trop t6t pour d~celer dans la jurisprudence ou la doctrine
une tendance ferme quant A ‘interpr~tation de l’article 26. lun des rares
auteurs, A notre connaissance, A avoir abord6, quoique tr~s sommairement,
l’article 26 est d’avis qu’il ne s’agit lA que d’une disposition dont l’objet a
6t6 dict6 par la prudence. De plus, l’article 26 ne serait pas une source de
droits susceptibles de protection constitutionnelle. Le professeur Hogg 6crit :
2Lire Hunter c. Southain Inc., [1984] 2 R.C.S. 145 A la p. 155 et s. (voir infra note 139 et
texte correspondant) et Law Society of Upper Canada c. Skapinke; [1984] 1 R.C.S. 357 A la
p. 365 et s. Voir Schmidt c. R., [1987] 1 R.C.S. 500, ofi le juge La Forest, 6voquant l’article
II de la Charte, affirme A la p. 519: < De surcrolt, ces dispositions ne sauraient 8tre prises
isolIment )). Cet 6nonc6 vaut certes pour le reste des dispositions constitutionnelles.
3Nous visons ici 6videmment une interpretation judiciaire.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 34
Section 26 is a cautionary provision, included to make clear that the Char-
ter is not to be construed as taking away existing undeclared rights or freedoms.
Rights or freedoms protected by the common law or by statute will continue
to exist notwithstanding the Charter. Section 26 does not incorporate these
undeclared rights and freedoms into the Charter, or "constitutionalize" them
in any other way. They continue to exist independently of the Charter, and
receive no extra protection from the Charter. They differ from the rights or
freedoms guaranteed in the Charter in that, as creatures of common law or
statute, the undeclared rights can be altered or abolished by the action of the
competent legislative body. As well, the remedy under s. 24 is not available
for their enforcement 4.
L'auteur avait exprim6 la m~me idfe quelques annfes auparavant,
quoique le ton it moins net, en prftendant que les droits ou libertfs protfgfs
par la Dclaration canadienne des droits5 et non garantis par la Charte
canadienne demeuraient en vigueur par le jeu de l'article 266. En d'autres
termes, l'article 26 serait une disposition par laquelle le constituant pr6ci-
serait simplement que les droits, autres que ceux consacrfs par la Charte,
continuent A exister et ne sont pas ni6s ou abrogfs. Uobjet de l'article 26
apparait alors fort 6troit. Dans un des rares arrts A traiter de
'article 26,
l'affaire Re MacAusland, le juge Mitchell adopte cette dernifre interpr6-
tation :
That section of the Charter [l'article 26] acknowledges that rights guaranteed
in the Charter are not in lieu of any other rights that exist in Canada. Therefore,
all Canadians continue to enjoy the protection provided for in the Canadian
Bill ofRights which they had before the Charter as well the rights and freedoms
as guaranteed in the Charter. However, while the rights and freedoms as re-
cognized and declared in the Canadian Bill of Rights continue to exist, they
are not guaranteed by the Charter. Section 26 would have been unnecessary
and the words "as guaranteed by this Charter" would not have been used in
s. 24(1) of the Charter ifs. 24 applied to all rights whatever their source. Section
26 only indicates that the Charter is not limiting or interfering with any ad-
ditional rights which already existed, but that is quite a different matter from
saying the Charter guarantees those rights7.
4p.W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 2e Ed., Toronto, Carswell, 1985 A la p. 703 et s.
5S.C. 1960, c. 44, reproduite dans L.R.C. 1985, app. III.
6( Dans la mesure oOk la Declaration canadienne des droits protege des droits ou libertls
autres que ceux que garantit la Charte, ces autres droits ou libertfs demeurent en vigueur >,
PW. Hogg, <(Comparaisons entre la Charte canadienne des droits et liberes et la Declaration
canadienne des droits > dans G.A. Beaudoin et E. Ratushny, Ed., Charte canadienne des droits
et libertes, Montreal, Wilson & Lafleur, 1989 A la p. 6.
7ReMacAusland and R., [1985] 19 C.C.C. (3d) 365 A lap. 375, 52 Nfld & P.E.I. R.349 Ai la
p. 358 (P.E.I.S.C.). La Cour supreme, dans l’arrat Singh c. Ministre de I’Emploi et de NInnIl-
gration, [1985] 1 R.C.S. 177, sous la plume du juge Wilson, fait allusion A la p. 185 A l’article
26: <(There can be no doubt that this statute [la Declaration canadienne des droits] continues
in full force and effect and that the rights conferred in it are expressly preserved by s. 26 of
the Charter>. Le juge Beetz, dans une opinion concurrente A la p. 224, affirme, apr~s avoir
cit6 l’article 26: <(Ainsi, la Declaration canadienne des droits conserve toute sa force et son
1989]
UARTICLE 26 DE LA CHARTE
Lejuge McCarthy, de la Cour d'appel du Quebec, s'exprimant dans une
opinion concurrente lors d'une autre affaire, 6tait du meme avis: Cet
article n'a pas pour effet d'incorporer A la charte des droits et libert~s qui
n'y sont pas incorpor~s par d'autres articles >8.
Pour sa part, le juge Dickson, de la Cour du banc de la Reine du
Nouveau-Brunswick, donnait a r’article 26, dans Fisherman’s Wharf, une
interpretation plus large. Se pronongant sur une question de droit de pro-
pri6t6 et commentant l’article 26, il precisait:
The right to enjoyment of property free from threat of confiscation without
compensation has unquestionably been a right traditionally enjoyed by Ca-
nadians and may therefore be considered a right embodied in our Constitution,
quite regardless of proclamation of the present Charter. Any statute of this
Province purporting to destroy such a right must therefore be considered in-
valid and ultra vires in that respect. That interpretation must therefore, if
possible, be given to such statute which avoids that result 9.
Cette constitutionnalisation du droit de proprit6 a W vivement cri-
tiqu~e par le juge Nunn: << I do not find that property rights are entrenched
in the provisions of the Charter, either directly or indirectly, through ex-
tension of the notion of personal security >1o. Le juge Nunn conteste cette
constitutionnalisation, mais 6vite de se prononcer sur l’article 26 de la
Charte. Le professeur Brandt, dans un cornmentaire sur l’affaire Fisherman’s
Whatf conteste aussi avec v~h~mence l’interprftation donn~e A l’article 26
par le juge Dickson:
effet, de m8me que les diverses chartes des droits provinciales
. Ces affirmations rel~vent
certes de l’obiter dictum. Nous ne croyons pas qu’il faille en dduire une quelconque volont6
d’imprimer un sens dffini A l’article 26. k cet 6gard, nous reconnaissons d’emblfe que l’article
26 a pour effet de consacrer l’existence continue des garanties de la Declaration canadienne
des droits. Mais IA n’est pas son seul objet.
8L~ger c. Ville de Montreal, (9 juin 1986), Montrfal 500-10-000189-850, J.E. 86-722 (C.A.)
A la p. 4 des motifs du juge McCarthy.
9R. c. Fisherman’s Wharf Ltd (1982) 135 D.L.R. (3d) 307 a la p. 316, 40 N.B.R. (2d) 42
(B.R., 1re inst.). Notons qu’il s’agit d’un obiter dictum, puisque l’affaire semble avoir &6
entendue avant la promulgation de la Charte canadienne: < I should, in fairness to counsel,
point out that the applicability of the Canadian Charter ofRights and Freedoms was not argued
before me, the application having been heard before proclamation of the statute incorporating
that Charter. Inasmuch as its application has in these reasons been advanced only as a corollary
ground for relief sought by the claimants, I have not considered it necessary to hear further
argument in that regard >> (A lap. 317 et s.). Brandt precise A ce propos: < Since the application
had been heard before the proclamation of the Constitution Act 1982, counsel quite properly
did not argue its applicability. Nevertheless, the learned judge acted on his own initiative and
relied on it in support of his construction of the statute >>, G.J. Brandt, < Canadian Charter of
Rights and Freedoms - Rights to property as an extension of personal security - Status of
undeclared rights>> (1983) 61 R. du B. can. 398 A lap. 400.
IoWorker’s Compensation Board of Nova Scotia c. Coastal Rentals, Sales and Services Ltd
(1983) 12 D.L.R. (4th) 564 A la p. 566 (N.S.S.C.T.D.).
McGILL LAW” JOURNAL
[Vol. 34
Section 26 is one of a number of sections which are included in the Charter
for the purposes of preventing it from being used to cut down on the scope of
those rights which, though they may be enjoyed by virtue of statute or under
the common law, do not yet enjoy a constitutional status. […] However, these
sections [articles 25 et 29] of the Charter, and particularly section 26 do not
have, and were not intended to have, the effect of expanding upon the scope
of those rights not found in the Charter. In effect the Charter freezes them in
place with their content as it was defined on April 17th, 1982. Consequently,
where those rights do not, as of April 17th, 1982, enjoy any constitutional
protection they are as vulnerable to legislative reduction as before. Although
section 26 protects them from reduction by way of application of other pro-
visions of the Charter it says nothing concerning the continuing competence
of a sovereign legislature to deal with these rights at its pleasure”.
Uauteur va mmejusqu’a parler de non-sens 2 lorsqu’il 6voque la th~se
selon laquelle l’article 26 serait une source de droits non garantis
explicitementl 3. Uopinion du professeur Brandt rejoint donc celle du pro-
fesseur Hogg. Uarticle 26 ne serait qu’un principe d’interpr6tation destin6
A contrer les 6ventuels effets n6gatifs des droits 6num6r6s dans la Charle
sur les droits non constitutionnels dont jouirait le citoyen en vertu du
common law ou de la l6gislation14.
Ce sont IA les seules affaires, A notre connaissance, qui pr6sentent un
certain int6ret quant A l’interpr6tation de l’article 2615. Ainsi que nous le
soulignions plus haut, il est, bien entendu, beaucoup trop t6t pour d6gager
une tendance interpr6tative. Quoi qu’il en soit, la position du professeur
Hogg apparait s6duisante pour certains tribunaux. Elle a, il faut en convenir,
le m6rite de simplifier le d6bat, puisqu’elle d6samorce toute v6ll6it6 de don-
ner A l’article 26 une port6e qu’il serait difficile de g6rerjudiciairement. En
effet, pr6tendre que l’article 26 est une source de droits entralne l’exercice
ardu et hasardeux de la d6termination de ces droits innomm6s. Cette op6-
ration de cr6ation judiciaire (
sement du pouvoir judiciaire de cette tradition de retenue longtemps
entretenue par les tribunaux. Or, le pouvoirjudiciaire commence A peine A
comme Ia Charte des droits et libertis de la personne du Qu6bec, L.R.Q., c. C-12.
IIBrandt, supra, note 9 A la p. 405.
121bid.
1311 ajoute: <(dt is highly unlikely that section 26 was intended to be a catch-all provision
that would incorporate into the Charter all undeclared rights and freedoms enjoyed by statute
or under the common law ), ibid. A la p. 406.
140n pense particuli~rement, dans ce dernier cas, aux codes des droits et libert~s provinciaux,
'5D'autres arr~ts dvoquent, sans le commenter plus avant, 'article 26, voir notamment: Re
Cromer and British Columbia Teacher's Federation (1986), 29 D.L.R. (4th) 641 (B.C.C.A.);
British Columbia Government Employees' Union c. A.G. B.C. (1985), 20 D.L.R. (4th) 399
(B.C.C.A.); Bhindi c. British Columbia Projectionists, Local 348 (1986), 29 D.L.R. (4th) 47
(B.C.C.A.); Hsuen c. Mah (1986), 31 D.L.R. (4th) 199 (B.C.S.C.); Groupe des eleveurs de
volaille de l'Est de l'Ontario c. Office canadien de commercialisation des poulets (1984), [1985]
1 C.F 280, 14 D.L.R. (4th) 151 (Ire inst.); Osborne c. R., [1988] 3 C.E 219 (C.A).
19891
UARTICLE 26 DE LA CHARTE
comprendre son nouveau r6le de gardien des droits et libert~s 6. I1 est donc
tout A fait comprehensible qu'il r~agisse avec prudence, voire avec crainte,
lorsqu'on lui propose de consacrer constitutionnellement des droits non
garantis dans la Charte canadienne.
2. Le 9e Amendement
Le 9e Amendement A la Constitution amricaine 6nonce:
The enumeration in the Constitution, of certain rights, shall not be construed
to deny or disparage other rights retained by the people.
La similarit6 entre le 9e Amendement et 'article 26 de la Charte canadienne
apparait ds la premiere lecture. Cela explique ce qui suit.
Le 9e Amendement a longtemps W ignor6 par la jurisprudence et la
doctrine amricaines17 . En 1965, la Cour supreme des ttats-Unis allait re-
cet amendement A la Constitution dans l'affaire Griswold'8.
donner vie
Avant de commenter cet arr&t, il nous semble opportun de dresser un rapide
portrait historique de la situation ayant entour6 l'61aboration du 9e
Amendement19.
2.1. La gense du 9e Amendement
L'adoption de la Constitution am~ricaine ne fut pas une tfche aisee.
Les divers 6tats, jaloux de leurs prerogatives et de leur souverainet6, crai-
gnaient la mise en place d'un gouvernement central trop fort, qui n'aurait
pas W sans rappeler l'autorit6 m~tropolitaine britannique 20 . Cette m6fiance
A l'gard d'un centralisme exacerb6 dont on croyait le fed~ralisme porteur,
' 6Le professeur Tremblay 6crit justement : << En particulier, il faudra du temps avant que les
tribunaux saisissent la porte de leur <(nouveau)) r~le 7, Tremblay, supra, note I a la p. 243.
17 Long ignored by the courts as well as by legal and political scholars, the ninth amendment
to the United States Constitution has recently attracted considerable attention in the federal
courts >>, B. Gaugush, < The Ninth Amendment in the Federal Courts, 1965-1980: From Des-
uetude to Fundamentalism?> (1983-84) 61 Denver L.J. 25 A la p. 25.
‘8Grisivold c. Connecticut (1965), 381 U.S. 479.
19 The ninth amendment cannot be properly understood without an appreciation of the
historical circumstances which gave rise to its adoption >>, C.R. Massey, < Federalism and
Fundamental Rights: The Ninth Amendment)> (1987) 38 Hastings L.R. 305 A la p. 307.
20 The Articles of Confederation reflected revolutionary America’s deep distrust of centra-
lized authority and strong predilection to retain separate sovereignty for each of the newly
independent former colonies ), ibid. A la p. 307. Berger 6crit d’ailleurs: < The Founders were
deeply attached to their local governments: these were the tried and true whereby they had
resisted the impositions of royal governors and judges. That attachment constitued a formidable
obstacle to the adoption of the Constitution; there was widespread distrust of the remote
newcomer, a federal government removed by vast distances from the governed, wherein large
states might outvote the small, and in which there would be clashing sectional interests ), R.
Berger,
In all probability, apart from Delaware, Rhode Island, and New Jersey, which
regarded the new Constitution as a way of achieving enhanced economic and
political leverage, public opinion throughout the original states was substan-
tially opposed to adoption of the new document. Opposition to the Consti-
tution’s adoption was rooted in a deep fear of national power. This sentiment
pervasive throughout the early American states, ultimately compelled proposal
and adoption of the first ten amendments to the Constitution. Indeed, ratifi-
cation was obtained in part by the promise that a bill of rights would be
promptly appended to the newly adopted Constitution 2l.
A cet 6gard, le Bill ofRights a W adopt6 pour restreindre les pouvoirs
du Congr~s (f~dral) et non ceux des 6tats 22. En effet, le Bill of Rights ne
visait pas originairement les 6tats23. En 1868, le 14e Amendement a eu pour
effet de rendre applicable les dix premiers amendements aux 6tats 24.
La redaction du Bill ofRights fut une entreprise difficile. Ainsi, certains
croyaient qu’une 6num~ration de droits, en raison de son caractare forc6-
ment incomplet, ne pouvait que mener A une situation dangereuse par la-
quelle les droits non 6num~r~s seraient, par hypothse, denues de protection.
Par consequent, le lgislateur se verrait octroyer les pouvoirs correspondant
A ces spheres de droits non 6num~r~s:
21Massey, supra, note 19 A ]a p. 308 et s.
22Elbridge Gerry, un des pares de la Constitution, disait A propos du Bill of Rights: < [tlhis
declaration of rights, I take it, is intended to secure the people against the mal-administration
of the [federal] Government)>, cit6 dans Berger, supra, note 20 A la p. 5. De plus, ainsi que le
note le professeur Tribe, l’adoption d’un Bill ofRights dtait perque comme compl6mentaire au
principe de la separation des pouvoirs : <(First, a Bill of Rights directed against federal abuses
was thought necessary in addition to the separation and division of powers [... ]. ), L.H. Tribe.
American Constitutional Law, 2e 6d., Mineola, N.Y., Foundation Press, 1988 f la p. 4.
23Tribe explique ainsi cette non-application : < But also implicit in the refusal to extend the
Bill of Rights against the states seems to have been a view that, just as the states were by and
large adequately represented in the Congress, so individuals were likely for most purposes to
be sufficiently represented in their own states, whose obliteration or serious erosion would
leave individuals exposed to oppression by private violence and national tyranny alike ), ibid.
A la p. 3. Tribe cite Hamilton A la p. 3, note 6:
gouvernement central.
24Cette question fait l’objet d’une pol~mique aux Etats-Unis. Berger, pour sa part, ne croit
pas en cette incorporation des garanties du Bill of Rights dans le 14e Amendement:
supra, note 22 aux pp. 772-74.
19891
UARTICLE 26 DE LA CHARTE
The federalist’s second argument was that an enumeration of rights, ne-
cessarily incomplete, could give rise to the presumption that all rights left
unspecified would be forfeited to the federal government. Wilson reasoned
that, because a bill of rights constitutes “an enumeration of the powers reserved
[,j … every thing that is not enumerated is presumed to be given. The con-
sequence is, that an imperfect enumeration would throw all implied power
into the scale of the government, and the rights of the people would be rendered
incomplete 25.
Ces adversaires de la r6daction d’un bill of rights croyaient qu’il valait
mieux 6numrrer les pouvoirs drvolus au gouvernement. Cette 6numrration
sous-tendait que les pouvoirs non 6num&rrs restaient drvolus au peuple26.
Cette these s’inspire directement des travaux de John Locke 27 :
Constitutional limitations upon the federal government’s power and express
diffusion of its exercise were intended to guarantee the liberties of the indi-
viduals forming the society by dividing the potential power of the state to seize
those liberties for itself. The Constitution specifies precise measures to divide
and check the exercise of power but is generally silent about protection of
individual substantive rights. The elaborate devices created to limit power
were, of course, intended to serve some substantive end. The procedural sa-
feguards in the original Constitution implicitly protected against encroach-
ments upon individual entitlements. It was for this reason that Hamilton and
Wilson opposed adoption of the Bill of Rights28 .
25R.L. Caplan. <(The History and Meaning of the Ninth Amendment>> (1983) 69 Virginia
L.R. 223 A la p. 240. Massey 6crit sur ce point: ((Those who preferred the unamended version
of the Constitution argued that any enumeration of rights would necessarily be imperfect and
would create the inference that no rights existed except those itemized. The federal government
possessed only certain enumerated powers, according to this argument, and thus could have
no valid claim to interfere with the exercise of the citizen’s rights >>, Massey, supra, note 19 A
la p. 309.
26(( Adherents to this view, including Alexander Hamilton and James Wilson of Pennsylvania,
contended that it was better to imperfectly enumerate the powers of the federal government
with the implication that powers not enumerated were reserved to the people, than to attempt
an imperfect enumeration of rights reserved to the people, with the implication that rights not
so reserved were impliedly delegated to the federal government >, Massey, supra, note 19 A la
p. 309.
27<( The colonists premised their fight for independence, when the time came, on the natural
law-social contract theory expounded by numerous writers, foremost among them John Locke.
Under that theory, individuals are born into a "state of nature", that is, without organized
government, and agree out of "strong Obligations of Necessity, Convenience, and Inclination"
to live in political communities. In so contracting, individuals must give up some of their
natural rights so that the rest of those rights may be more effectively secured. The sole legitimate
purpose of government therefore, is the good of the contracting parties -
the public. Accor-
dingly, government has a right only to act for the benefit of the governed, to protect its citizens
from rebellion within and invasion without. As a part or consequence of this right to govern
in pursuance of the public good, then, the government preserves individual rights >, Caplan,
supra, note 25 a la p. 230.
28Massey, supra, note 19 A la p. 316.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 34
Devant cette forte oppositon, Madison, tenant de l’inclusion d’un bill
ofrights dans la constitution, proposa une rdsolution 29 qui devait finalement
devenir le 9e Amendement.
Ce court expos6 historique ne rend cependant pas plus clair le sens et
la port6e du 9e Amendement. En effet, il existe une certaine controverse
quant A la juste interpretation de cette disposition, et l’ex~g~se historique
se module aux conclusions recherch~es par chacun. Avant de faire 6tat de
ces pol6miques doctrinales, il convient d’6voquer l’arrt Griswoldde la Cour
supreme am6ricaine.
2.2. L’arrit Griswold
Dans cette affaire, Griswold, directeur d’un centre de planning familial,
est poursuivi pour avoir conseill6 et prescrit l’utilisation de contraceptifs A
un couple mari6. Or, une loi de l’tat du Connecticut sanctionne l’utilisation
de contraceptifs. Quiconque conseille l’utilisation de contraceptifs commet
aussi une infraction. Le juge Goldberg, dans une opinion concurrente A
laquelle ont souscrit le juge en chef et le juge Brennan, fonde son jugement
sur le 9e Amendement. Lejuge Goldberg reconnalt, dans un premier temps,
que la formulation du 9e Amendement d6coule des craintes de certains
constituants A l’6gard d’une 6numeration de droits qui pourrait sous-tendre
une negation des droits non 6numrs 30 . Puis, le juge Goldberg precise que
le droit A la vie priv~e matrimoniale, bien que non reconnu explicitement
par les huit premiers amendements, est garanti par le 9e Amendement 3l.
29 The exceptions here or elsewhere in the Constitution, made in favor of particular rights,
shall not be so construed as to diminish the just importance of other rights retained by the
people, or as to enlarge the powers delegated by the Constitution but either as actual limitations
of such powers, or as inserted merely for greater caution >>, cit6 dans Massey, supra, note 19 A
la p. 310. II importe de noter que le 9e Amendement, comme le souligne Massey, traite des
droits du peuple (rights retained by the people) et non des pouvoirs (powers) du I6gislateur
Cette dernire partie de la resolution se retrouve dans le l0e Amendement qui restreint les
pouvoirs du l~gislateur federal. Le 10e Amendement stipule: o The powers not delegated to
the United States by the Constitution, nor prohibited by it to the States, are reserved to the
States respectively, or to the people >.
30( It was proffered to quiet expressed fears that a bill ofspecifically enumerated rights could
not be sufficiently broad to cover all essential rights and that the specific mention of certain
rights would be interpreted as a denial that others were protected >, Griswold, supra, note 18
A la p. 488 et s. Apr~s avoir citE Madison et Story, lejuge Goldberg commente ainsi ces extraits:
<(These statements of Madison and Story make clear that the Framers did not intend that the
first eight amendments be construed to exhaust the basic and fundamental rights which the
Constitution guaranteed to the people >, ibid. A ]a p. 490.
31< To hold that a right so basic and fundamental and so deep-rooted in our society as the right of privacy in marriage may be infringed because that right is not guaranteed in so many words by the first eight amendments to the Constitution is to ignore the Ninth Amendment and to give it no effect whatsoevero, ibid. A la p. 491. 1989] UARTICLE 26 DE LA CHARTE Une interprtationcontraire violerait le libe1 du 9e Amendement 2 . C'est 1A une application concrete du dispositifconstitutionnel tudi. Par la suite, le juge Goldberg donne dans la prolepse en r~futant les critiques de ceux qui sugg~rent que son interpretation du 9e Amendement 6largit grandement les pouvoirs de la Cour 33. Cette refutation est cependant source de confusion puisque, d'une part, le juge Goldberg 6crit que le 9e Amendement ne cons- titue pas une source ind~pendante de droits, et d'autre part, il affirme que le 9e Amendement consacre des droits non 6numfrts dans les huit premiers amendements A la Constitution. Qu'on en juge: Nor do I mean to state that the Ninth Amendment constitutes an inde- pendent source of rights protected from infringement by either the States or the Federal Government. Rather, the Ninth Amendment shows a belief of the Constitution's authors that fundamental rights exist that are not expressly enu- merated in the first eight amendments and an intent that the list of rights included there not be deemed exhaustive. [...] The Ninth Amendment simply shows the intent of the Constitution's authors that other fundamental personal rights should not be denied such protection or disparaged in any other way simply because they are not specifically listed in the first eight constitutional amendments 34. I1 est possible de concilier ces deux assertions apparemment contra- dictoires: le 9e Amendement prot6gerait des droits non 6num6r6s qui au- raient un lien avec les droits garantis aux huit premiers amendements 35. Ainsi le 9e Amendement ne serait pas une source autonome de droits, mais prot6gerait des droits non sp6cifiquement 6num6r6s. La nature de ce lien reste A d6terminer. Par hypothse, un droit innomm6 ne saurait avoir un lien trop 6troit avec un droit garanti, puisqu'il serait alors plus commode, et plus logique surtout, de pr6tendre que ce droit innomm6 forme, en fait, une partie int6grante du droit sp6cifi6. Quoi qu'il en soit, cette interpr6tation du 9e Amendement est loin d'8tre partag6e par tous. Mitchell, quant A lui, estime que < [t]here is no textual basis for reading the ninth amendment Il ajoute : << [t]he better view is that the ninth amendment this way >>36.
32 Moreover, a judicial construction that this fundamental right is not protected by the
Constitution because it is not mentioned in explicit terms by one of the first eight amendments
or elsewhere in the Constitution would violate the Ninth Amendment, which specifically states
that <[ t]he enumeration in the Constitution of certain rights, shall not be construed to deny
or disparage others than retained by the people o (emphasis added.) >>, ibid. A la p. 491 et s.
331bid. A la p. 492.
341bid. Voir infra, nDtes 95 A 98 et texte correspondant.
35( As Justice Goldberg, and indeed much of the modern Court, see it the ninth amendment
protects only those rights that are arguably related to those that are enumerated >>, L.E. Mitchell,
(The Ninth Amendment and the < Jurisprudence of Original Intention > (1986) 74 Georgetown
L.J. 1719 Alap. 1731.
361bid.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 34
< incorporates rectly protects those rights from state action >37.
certain unenumerated rights into the Constitution and di-
Le juge Goldberg poursuit en prrcisant que le 9e Amendement aurait
aussi pour effet d’6tendre la portre du mot libert6 > aux 5e et 14e Amen-
dements en ne le restreignant pas aux droits sprcifiquement 6num~rs:
In sum, the Ninth Amendment simply leads strong support to the view
that the “liberty” protected by the Fifth and Fourteenth Amendments from
infringement by the Federal Government or the States is not restricted to rights
specifically mentioned in the first eight amendments 38.
Ainsi, la notion de < libert6
, garantie par une disposition sprcifique,
acquerrait une portre plus importante que celle que laisse entendre le dis-
positifdans lequel elle s'inscrit, en raison de l'influence des droits innommrs
que garantirait le 9e Amendement. Le 9e Amendement aurait alors une
double fonction: d'une part, il garantirait certains droits innommrs de ca-
ractrre fondamental, et d'autre part, il influerait sur la notion de libert6, par
ailleurs garantie, par une sorte d'effet amplificateur 39.
Uidentification de ces droits innommrs n'est pas une tfche laiss~e au
hasard, si l'on s'en reporte A l'opinion du juge Goldberg. Elle obit a des
critrres prrcis qui font que l'exercice n'est pas un travestissement des gofits
subjectifs du magistrat:
In determining which rights are fundamental, judges are not left at large to
decide cases in light of their personal and private notions. Rather, they must
look to the "traditions and [collective] conscience of our people" to determine
whether a principle is "so rooted [there] ... as to be ranked as fundamental."
[...] The inquiry is whether a right involved < is of such a character that it
cannot be denied without violating those "fundamental principles of liberty
and justice which lie at the base of all our civil and political institutions ... "
[...]40.
C'est l
l'essentiel de l'opinion du juge Goldberg relativement A Fin-
terprrtation du 9e Amendement. Depuis l'arr~t Griswold, la Cour supreme
37Ibid.
38Grisivold, supra, note 18 A la p. 493.
39Cette double fonction peut parfois se confondre. Ainsi, dans Griswold, bien que ne faisant
pas reference au 9e Amendement, le juge Harlan, dans une opinion concurrente, estime que
la loi attaqu~e attente A ]a notion de libert6 garantie par le 14e Amendement: <(In my view,
the proper constitutional inquiry in this case is whether this Connecticut statute infringes the
Due Process Clause of the Fourteenth Amendment because the enactment violates basic values
"implicit in the concept of ordered liberty" [...]. For reasons stated at length in my dissenting
opinion in Poe v. Ullman, supra, I believe that it does. While the relevant inquiry may be
aided by resort to one or more of the provisions of the Bill of Rights, it is not dependent on
them or any of their radiations. The Due Process Clause of the Fourteenth Amendment stands,
in my opinion, on its own bottom o, ibid. A la p. 500. Voir infra, note 136.
40Ibid. A a p. 493.
1989]
UARTICLE 26 DE LA CHARTE
des ttats-Unis a eu l'occasion de traiter la question du 9e Amendement,
mais chaque fois elle a 6vit6 de se prononcer clairement 4l. Les cours infe-
rieures ont aussi eu A interpreter cette disposition constitutionnelle. I1
n'existe cependant pas d'uniformit6 jurisprudentielle sur ce sujet : certains
tribunaux reconnaissent le 9e Amendement comme une source de droits
innomm6s ; d'autres estiment que la port~e du 9e Amendement est limit6e,
comme source de droits, au droit a la vie prive matrimoniale et familiale 42.
Quoi qu'il en soit, le 9e Amendement n'est pas ignor6 par la jurisprudence.
La doctrine, pour sa part, apparait nettement plus divisee, comme nous le
verrons A la prochaine section.
3. Les theories des droits innomm~s
Le professeur Berger ne croit pas que les droits innomm6s du 9e Amen-
dement soient susceptibles de sanction 43. En fait, le professeur Berger craint
par-dessus tout que le 9e Amendement ne devienne << a bottomless well in
which the judiciary can dip for the formation of undreamed of "rights" in
their limitless discretion, a possibility the Founders would have rejected out
4< After Griswold, only seven majority opinions in the cases decided refer to the ninth
amendment. Not one of these uses the ninth amendment as a constitutional source for pro-
tecting unenumerated rights. In each the Court declined opportunity to explicitly accept or to
reject the ninth amendment as a source of authority for identifying unenumerated rights >,
Gaugush, supra, note 17, A la p. 26 et s.
42Consulter Gaugush, supra, note 17. Dans cette 6tude, rauteur recense toutes les d6cisions
relatives au 9e Amendement rendues apr~s Griswold, et ce jusqu’en 1980, afin d’y d~celer une
tendance. II conclut de cette 6tude: < The courts have been willing to recognize that consti-
tutional claims may be based on the ninth amendment. The courts are more willing to give
ninth amendment protection, however, to matters that fall within the marital-familial aspects
of privacy. Because of this hesitancy to push Griswold beyond the family, a complete view of
the breadth and depth of the ninth amendment in the federal courts has yet to develop. The
overwhelming number of lower federal court cases examined lend themselves to the following
general assesment: A ninth amendment claim is more likely to receive favorable judicial
recognition when it is used in asserting the marital-familial form of the right to privacy. The
further the ninth amendment claim is from the marital-familial axis, the less acceptance it will
receive >, ibid. A la p. 39.
43<( A right "retained" by the people is not embodied in the Constitution, and a suit brought
on such a right does not "arise" thereunder, as Madison made plain in stressing judicial
protection for "particular" rights "expressly stipulated". It does violence to the historical record
to construe the ninth amendment to give the courts a roving commission to enforce a catalog
of unenumerated rights against the will of the states >, Berger, supra, note 20 A la p. 9. Uauteur
ajoute A la p. 20: ((To my mind, a right “retained” by the people and not described has not
been embodied in the Constitution. Madison made clear that the retained rights were not
“assigned” to the federal government: to the contrary, he emphasized that they constitute an
area in which the “Government ought not to act”. This means, in my judgment, that the courts
have not been empowered to enforce the retained rights against either the federal government
or the states )>.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 34
of hand >>44. Interpreter le 9e Amendement comme une source de droits
innomm~s reviendrait A confier au pouvoir judiciaire un r6le cr~ateur de
la r~gle de droit 45, ce que ne peut admettre Berger, littfraliste quant A l’in-
terpr~tation constitutionnelle 46. Le professeur Berger d~crit ainsi ]a juste
interpretation que doit recevoir le 9e Amendement:
In “retaining” the unenumerated rights, the people reserved to themselves
power to add to or substract from the rights enumerated in the Constitution
by the process of amendment exclusively confided to them by article V. If this
be deemed supererogatory, be it remembered that according to Madison the
ninth amendment itself was “inserted merely for greater caution” 47.
La these de Berger se fonde essentiellement sur une interpretation stricte
de la Constitution am~ricaine, selon laquelle le pouvoirjudiciaire ne saurait,
par creation judiciaire, usurper le pouvoir l~gislatif”8 . A cet 6gard, il doit se
cantonner dans son r6le de simple interpr&te des textes constitutionnels, et
toute v~ll~it6 cr~atrice ou novatrice doit 8tre occult~e au profit d’une in-
tepr~tation fiddle aux intentions originaires des r~dacteurs, et ce, malgr6
l’6volution que peut connaitre ]a socit6 49.
44Ibid. A la p. 2.
45< That power of creation equally was withheld from the courts ; the Founders did not regard
the courts as "creators", or lawmakers, but as discoverers of law )), ibid. A la p. 20.
46Berger peut se d~crire, dans le jargon juridique am~ricain, comme un < interpretivist ). Le
professeur Hogg d~finit ainsi cette m~thode d'interpr~tation constitutionnelle: < Interpretivism
is the theory that holds that judicial review of legislation must be based on the language of
the constitution. According to this theory, the role of the courts in reviewing legislation should
not go beyond the interpretation of the text >>, RW. Hogg. < The Charter of Rights and American
Theories of Interpretation o (1987) 25 Osgoode Hall L.J. 87 A la p. 91.
47Berger, supra, note 20 A ]a p. 14. Berger ajoute A ]a p. 23:
48Ibid. A la p. 13.
49Berger fonde l’essentiel de son argumentation sur des dfclarations 6crites ou verbales faites
par certains p res de la Constitution am~ricaine. Cette mthode a ses limites, comme le souligne
le professeur McIntosh, dans une rplique A l’article du professeur Berger: ( However it is the
intention as expressed in the text, and not the author’s declarations of intention, that we seek
to uncover in interpretation. Such declarations, I have elsewhere argued, may have great evi-
dentiary value, but is not conceptually compelling for the reader to accept them ), S.C.R.
McIntosh, < On Reading the Ninth Amendment : A Reply to Raoul Berger)) (1985) 28 Howard
L.J. 913 A la p. 936. Lauteur ajoute un peu plus loin: < Above all, to make the validity of an
interpretation depend on its being confirmed by the author's declarations of intention is to
deny that interpretation is an act of critical inquiry, for instead of engaging in this critical task,
we may simply refer to the author's declarations as though we were consulting the "Oracle",
ibid. A la p. 937. II faut bien prfciser que le droit am~ricain se caractfrise par une polfmique
incessante quant A la meilleure manire (mfthode) d'interprfter la constitution, lire A cc propos
L.H. Tribe, Constitutional Choices, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1985.
1989]
1ARTICLE 26 DE LA CHARTE
Cet aspect rigoriste de l'adjudication judiciaire nous semble mal adapt
aux principes de l'intepr6tation constitutionnelle. Particuli rement au Ca-
nada oa la Cour supreme a ds le depart indiqu6 que l'interpr6tation de la
Charte devait &re large et lib6rale. L'6vocation, par la Cour, de l'arbre vivant
(< living tree >>) illustre m~taphoriquement l’approche A adopter dans l’ana-
lyse constitutionnelle des droits et libert6s50. De plus, un document cornsti-
tutionnel doit 8tre susceptible d’6voluer, au risque de devenir rapidement
un instrument sans valeur parce que scl6ros6. Or, cette 6volution ne peut
se faire que par une actualisation des garanties constitutionnelles, afin de
les faire correspondre aux valeurs du moment, qui entrane in6luctablement
un retrait par rapport aux intentions 6troites 51 entretenues au moment de
l’diction de celles-ci. En d’autres termes, les droits constitutionnels doivent
pouvoir s’adapter A la modernit6, et cela oblige parfois A les denaturer de
leur sens originaire. Sur ce plan, une constitution aurait un caract6re quasi
immortel:
Legislation, both statutory and constitutional, is enacted, it is true, from
an experience of evils, but its general language should not, therefore, be ne-
cessarily confined to the form that evil had theretofore taken. Time works
changes, brings into existence new conditions and purposes. Therefore a prin-
ciple to be vital must be capable of wider application than the mischief which
gave it birth. This is peculiarly true of constitutions. They are not ephemeral
enactments, designed to meet passing occasions. They are, to use the words of
Chief Justice Marshall, “designed to approach immortality as nearly as human
institutions can approach it”. […] In the application of a constitution, therefore,
our contemplation cannot be only of what has been but of what may be. Under
any other rule a constitution would indeed be as easy of application as it would
be deficient in efficacy and power. Its general principles would have little value
and be converted by precedent into impotent and lifeless formulas. Rights
declared in words might be lost in reality52.
Cette 6volution est d’autant plus n~cessaire qu’une constitution ne peut
6noncer tous et chacun des droits humains requ6rant protection 53. Cette
50Lire a ce propos Marc Gold. <(La rh~torique des droits constitutionnels o (1988) 22 R.J.T.
I. Voir 6galement Hogg, supra, note 46 aux pp. 97-99.
51Les intentions larges -
assurer l'6panouissement de rindividu et son droit A ]a poursuite
du bonheur dans le cadre d'une soci~t6 libre et d~mocratique -
demeurent, par hypothse,
inchang~es. Ce sont les m~canismes bruts charges d'assurer ces intentions larges qui r~clament
une actualisation.
52Weems c. United States (1910), 217 U.S. 349 A la p. 373.
53Le juge en chef Marshall, de la Cour supreme des ttats-Unis, 6crivait : (A constitution,
to contain an accurate detail of all the subdivisions of which its great powers will admit, and
of all the means by which they may be carried into execution, would partake of the prolicity
of a legal code, and could scarcely be embraced by the human mind. It would probably be
never understood by the public. Its nature, therefore, requires, that only its great outlines should
be marked, its important objects designated, and the minor ingredients which compose those
objects, be deduced from the nature of the objects themselves. [... ] In considering this question,
then, we must never forget, that it is a constitution we are expounding >, McCulloch c. Maryland
(1819), 17 U.S. (4 Wheat.) 316 A la p. 407.
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 34
actualisation, dont la n6cessit6 s’impose par le passage du temps, a le d6faut
d’6tendre le sens de dispositions constitutionnelles explicites au-del de la
logique initiale qui a contribu6 i leur 61aboration. Autrement dit, le pouvoir
judiciaire se trouve oblig6 de donner aux mots d’une garantie une extension
qui, outre le fait qu’elle est parfois difficilement justifiable aux plans logique
et s6mantique, complique singuli6rement l’intepr6tation ult6rieure que doit
recevoir cette garantie 54. Les d6fauts occasionn6s par un tel exercice peuvent
8tre 6vit6s ou, d tout le moins, att6nu6s par une clause constitutionnelle du
type de celle du 9e Amendement ou de ‘article 26. Mitchell 6critjustement:
( The ninth amendment is an acknowledgment by the framers of these
problems [l’6volution, la modernitf] and suggests that the Constitution is
capable of adapting to societal change >>55.
Le professeur McIntosh justifie l’utilit6 du 9e Amendement sur une
base plus large que la simple question de l’actualisation. La Constitution,
selon lui, consacre la justice comme valeur fondamentale ayant un effet
regulateur sur toute action lgale et politique. Ceci ressort du pr~ambule 56
de la Constitution am6ricaine et des id6aux politiques ayant men6 A son
61aboration :
Above all, I would simply assert without intention of further clarification, that
justice enjoys a primacy among the other political ideas of the Constitution,
because it has a deep intuitive moral appeal that no other political value can
boast. This also suggest its moral epistemological importance : it is the standard
by which we assess and evaluate the basic structure of society and institutions,
which include the Constitution, that comprise it. In this respect, justice is more
than just another value. It is the fundamental constitutive idea of social or-
ganization and the ultimate regulative idea of legal and political action. It
provides the framework that regulates the play of competing values and ends.
Consequently, it has a sanction independent of those ends. In sum, then, the
Constitution, read as a whole, expresses a moral and political vision. It is a
54Le professeur Tribe rapporte cette anecdote au sujet de l’affaire Griswold qui illustre notre
propos: << Justice Douglas had originally drafted an opinion relying squarely on the first amend-
ment, arguing that the Connecticut law violated freedom of association by intruding on mar-
riage, which "flourishes on the interchange of ideas". B. Schwartz, The Unpublished Opinions
of the Warren Court 235 (1985). At conference, Justice Black had caustically replied that, for
him, associational rights stem from the "right of assembly", and the married couple's right "to
assemble in bed is ... new ... to me". Id. at 237. Justice Brennan was similarly unpersuaded
that the freedom of assembly clause was of much relevance. Id. Justice Douglas was eventually
persuaded to adopt a privacy rationale. Id. at 238. How any of the Justices would have reacted
to an argument equating sexual intimacy and "expression" with "freedom of speech" is unclear,
but there is basis for skepticism >, Tribe, supra, note 22 A la p. 776, note 13.
55Mitchell, supra, note 35 A la p. 1723. Lauteur ajoute A la p. 1729: << The ninth amendment enshrines the Constitution's flexibility and requires that that flexibility be used to protect against majoritarian domination by the legislature, the fear of which motivated the Framers o. 56 What is of immediate importance for the thesis of this article, however, is that, according to its preamble, the Constitution has set as its agenda the establishment of justice as a first and primary value >, McIntosh, supra, note 49 A la p. 928.
1989]
1ARTICLE 26 DE LA CHARTE
liberal vision that gives pride of place to justice, fairness, and individual rights,
including rights against the State. The various amendments may be seen as
attempts intended to promote the realization of the ideal of justice57.
la justice –
Ayant ainsi drfini l’objet primordial du document constitutionnel 58,
l’auteur precise que cet objet –
se traduit ultimement par le
principe de l’galit659. Ce dernier principe oblige moralement l’Etat A traiter
ses citoyens avec une 6gale attention dans l’exercice de ses attributions
politiques 60. tvidemment, cela soulve la question fondamentale, poursuit
le professeur McIntosh, des in6galitrs dans les biens, les opportunitrs et les
libertrs qui sont acceptables dans le cadre du principe grnbral de l’6galit6 61.
A cet effet, 1’6galit6 morale des citoyens constitue une valeur essentielle non
susceptible de compromission au regard d’autres valeurs qui peuvent parfois
autoriser une d6rogation au principe de l’6galit6. Cette 6galit6 morale semble
se traduire en un droit h l’autonomie qui formerait apparemment l’essence
du 9e Amendement:
A society, of which equality is its moral foundation, is one that takes seriously
the premise of moral equality of its citizens. It is a society that gives credence
to the fundamental principle of respect for dignity of individuals, coupled with
57Ibid. A la p. 929.
58Le professeur McIntosh refute ainsi les critiques voulant que la notion de justice soit trop
vague, trop ambigue : <(Justice is an open, essentially contested concept, and the charge has
often been levied against it that it does not have and cannot be given sufficient intrinsic structure
and content to control the logical inferences and the practical directives that are to be drawn
from it; it is so ambiguous, so vague and variable in meaning, as to be useless as a rational
tool. Still, the concept has a normative basis, even though it does not pretend to yield any
detailed and final delineation of either the goals it posits or the tasks it imposes. It remains,
then, a principal task of constitutional interpretation to render an analysis of the concept of
justice and the derivation of its basis normative principle. Otherwise stated, constitutional
adjudication ultimately involves the question of what conception(s) of justice best captures
and explains the nature of the Constitution and the political order that it informs ), ibid. A ]a
p. 929.
59<( I read Professor Ronald Dworkin's work as an attempt to articulate this ultimate principle
ofjustice that gives meaning to the Constitution. That principle which is one of political justice
(to be distinguished from private justice), consists in equality, in its deep and fundamental
sense of the State's moral obligation to treat all those in its charge as equals, as entitled to
equal concern and respect >, ibid. Al la p. 929 et s. (nos italiques). Michel Coutu reconnait cet
objet de la justice, mais demeure sceptique quant au sens A lui attribuer: << Cette impuissance
de la science fi determiner les fins derni~res vaut pour toutes les spheres de l'activit6 humaine
[...] Il n'en va pas diff remment dans l'ordre de Ia justice. Celle-ci a pour objet la rralisation
de l'galit6 entre les personnes. Mais les conceptions de l'6galit6 demeurent fort diverses >, M.
Coutu, olide du droit naturel A ]a lumi~re de la sociologiejuridique de Max Weber)) (1988)
29 C. de D. 121 A la p. 141.
60< This principle gives rise to a second principle which requires that, in the appropriate circumstances, the government treat all those in its charge equally in the distribution of some resource or opportunity )>, McIntosh, supra, note 49 A la p. 930.
6Ibid. a la p. 929.
1000
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 34
belief about how individuals are capable of making their choices. It is a society
that takes seriously the moral right to autonomy 62.
Massey, pour sa part, estime que le 9e Amendement est une illustration
de la vision politique de Locke. I’auteur rappelle que cette conception im-
prfgne tout le texte de la Constitution 63. Cette conception, comme nous le
savons64, veut que l’individu soit son propre maTitre: < [i]n the Lockean
state of nature, no political control of any kind is exerted upon the indi-
vidual >>65. Lors de la formation d’une entit6 politique collective, l’individu
lui cede certains de ses droits <( [...] for the purpose of more fully securing
the liberty of all >>66. UIttat ne possde alors que des droits limit~s A l’6gard
des individus et ne peut rfglementer le comportement humain que dans ]a
mesure de ces droits octroyfs:
Because the state possesses only limited rights derived entirely from individual
constituents, it cannot regulate individual behavior in any greater fashion than
could the individual members of society regulate the behavior of their fellows 67.
Par consequent, l’Etat ne saurait intervenir dans certains domaines off
l’autonomie – droit i l’autonomie –
de 1individu est appele A jouer. Ces
spheres d’autonomie seraient impermfables A toute intervention 16gislative.
Il existerait alors des limites implicites A l’action 16gislative 68. Massey pour-
621bid. A la p. 932.
63Massey, supra, note 19 A la p. 342. Voir au m~me effet Caplan, supra, note 25 A la p. 230
et s. Sur les diverses theories politiques du pouvoir, lire G. Mairet, Les doctrines du pouvoir.
La formation de la penste politique, Paris, Gallimard, 1978.
4Voir supra, note 27.
65Massey, supra, note 19 A la p. 342. Mairet 6crit A propos de la vision politique de John
Locke: <(Le droit naturel est donc un effet de la droite raison qui impose des devoirs dont le
tout premier est la conservation de soi. Si la conservation de soi est un devoir c'est que j'ai
un droit fondamental, originaire: j'ai le droit de m'appartenir A moi-meme, autrement dit je
suis proprittaire de ma propre personne. >>, Mairet, supra, note 63 A ]a p. 149.
66Massey, supra, note 19 A la p. 342.
67Ibid. A la p. 342. Locke 6crivait A propos de l’exercice du pouvoir lgislatif: (first, it is
not, nor can possibly be, absolutely arbitrary over the lives and fortunes of the people. For it
being but the joint power of every member of society given up to that person or assembly
which is legislator, it can be no more than those persons had in a state of Nature before they
entered into society, and gave it up to the community. For nobody can transfer to another
more power than he has in himself, and nobody has absolute arbitrary power over himself, or
over any other, to destroy his own life, or to take away the life or property of another), J.
Locke, Two Treatises of Civil Government, London, George Routledge and Sons, 1884, livre 2
au no 135 A la p. 261.
68< The notion that governmental authority has implied limits which preserve private au-
tonomy predates the establishment of the American republic. During the 17th and 18th cen-
turies, there evolved an American tradition of "natural law", postulating that "certain principles
of right and justice... are entitled to prevail of their own intrinsic excellence". It was widely
believed that these principles effectively reconciled governmental power with individual liberty
by identifying their respective roles in society. In particular, each level and branch of govern-
ment was thought to be confined to a sphere of authority defined by the nature and function
1989]
9ARTICLE 26 DE LA CHARTE
1001
suit en affirmant que l'ltat n'intervient dans ces spheres qu'au m6pris de
la th~orie politique lock6enne, fondement de la Constitution 69. Le 9e Amen-
dement, par la th6orie des droits innomm6s qu'il v6hicule, lesquels sont le
propre de chaque individu, constitue donc un 616ment fondamental du dis-
positif constitutionnel rappelant les limites 16gislatives impos6es k l'Etat:
The ninth amendment, in current constitutional jurisprudence, is an ill-
tented sentry post on the frontier of representative government. Restoration
of its intended function would serve as a welcome reminder that "[t]he state
is not the source of individual rights or of social community" but, rather, that
the state merely possesses private rights of action which it can exercise for the
community benefit. [...] That fundamental nugget of political theory is at the
heart of any conception of unenumerated natural rights. It is that vision of
representative government that the ninth amendment serves and imposes as
an outer boundary upon government action70.
Puisque, d'une part, les individus ne c~dent qu'une partie de leurs droits
a la collectivit6 politique et que, d'autre part, une 6num6ration des droits
dans un document constitutionnel est par essence incomplte71 , les droits
innomm6s r6siduels ne se voient pas accapar6s par l'Etat, mais demeurent
sous la tutelle individuelle, et ce en vertu du pacte social, fondement de
l'ordonnancement politique de la soci6t672. Cette th6orisation du 9e Amen-
of that level or branch and by the inherent rights of citizens. Just as each of the three branches
of the federal government was bound to remain within its proper jurisdiction, so the state or
federal government as a whole had no power to act outside its rightful jurisdiction to intrude
upon the "natural rights" reserved to the people within the private domain or to trench upon
the prerogatives of other governmental departments. Rights belonging to citizens by virtue of
their very citizenship, including personal security, personal liberty, and private property, would
thus be preserved not only by decentralization of power and mutually checking forces [...]
but by rules enforceable in the proper tribunals at the behest of threatened citizens > , Tribe,
supra, note 22 A la p. 560 (nos italiques).
69<< Only by ignoring the fundamental political theory embodied in the Constitution can the state be ceded power to intervene in this private arena >>, Massey, supra, note 19 A la p. 343.
7Olbid.
7’Voir supra, note 53.
72Pr6lot et Boulouis d6finissent ainsi ces << droits publics > qui formeraient sans doute les
droits c6d6s A l’autorit6 publique : <(Les droits publics ne peuvent atre congus hors de l'Etat
social, non seulement faute de garantie, mais parce que, dans l'isolement, le d6veloppement
des facult6s qu'il suppose ne pourrait avoir lieu. < Ce sont des droits dont le germe est dans
]a nature humaine, mais dont le d6veloppement demande une soci6t6 plus ou moins avanc6e
et c'est pour cela qu'on pourrait les appeler des droits sociaux... Ils sont la libert6 meme,
garantie dans ses diverses manifestations par la loi fondamentale du pays >. Les actes intgrieurs
n’Otant pas du ressort du pouvoir social, la libert6 humaine s’exprime dans trois cat6gories
d’actes ext6rieurs : a) <(Les actes ext6rieurs proprement dits : les actes physiques quel que soit
leur but, le bien-etre ou le plaisir ou une simple manifestation de la libert6: ]a libert6 d'action,
la libert6 locomotrice, la libert6 qu'on a appel6e s6curit6. b) o Les actes qui ont rapport au
d6veloppement de la pens6e et des sentiments moraux: les discours, les publications par la
presse et autrement..., notre culte, la religion de chacun. 1ls prennent aussi la forme de l'en-
seignement. c) << Les actes par lesquels nous approprions les choses A notre bien-tre mat6riel :
1002
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 34
dement, qui rejoint en fin de compte celle propos~e par le professeur
McIntosh et qui s'articule autour du concept de 'autonomie individuelle,
s~duit, car elle a 'avantage de poser le d6bat en termes fondamentaux. II
ne s'agit plus de tergiverser ind6finiment sur le sens d'un mot ou d'une
expression, mais bien, conform6ment A 1'esprit menant A 1laboration d'un
document constitutionnel, de tenter d'appr~hender dans sa globalit6 le sens
et la portee d'un texte consacr6. Ces conclusions sont tout aussi applicables
A l'article 26 qui n'6chappe pas, et ce en raison de son inclusion dans un
instrument constitutionnel, au raisonnement analytique dont le 9e Amen-
dement fait l'objet. En effet, rien ne distingue le Bill of Rights am~ricain de
la Charte canadienne au plan des principes intrins~ques et de l'essence m~me
des motivations politico-philosophiques qui ont men6 A leur r~daction 73.
L'ant~riorit6 chronologique du Bill of Rights par rapport A ]a Charte ca-
nadienne n'est pas un facteur justifiant une distinction principielle. Les
6noncds programmatiques quant aux droits et libert~s de ces deux instru-
ments relvent de la m~me source74. Ceci ne signifie pas, comme nous le
verrons, que les droits innomm6s aient une nature absolue. Le pouvoir
judiciaire remplit alors une tAche d'6quilibration.
La determination des droits innommds constitue un aspect particuli6-
rement polmique de la question. Ce point est A l'origine de craintes quant
A 'tendue des pouvoirs desjuges. En effet, Berger, pour sa part, appr~hende
la libert6 applique A ]a proprit6, A l'industrie, au commerce, A nos moyens d'existence,,>
etc. >> (nos italiques saufles trois premiers mots), M. Pr~lot et J. Boulouis, Institutionspolitiques
et droit constitutionnel, 10e 6d., Paris, Dalloz, 1987 A la p. 60.
73Nous faisons 6videmment ici rdf’erence aux iddaux relatifs aux droits de la personne, Ceux-
ci ont une perennit6 et une importance que n’ont pas les motivations politiciennes qui entourent
indvitablement l’adoption d’un document constitutionnel. Celles-ci ont tdt fait d’Atre oublies
au gr6 des tourbillons politiques qui alimentent la vie publique. Lire infra, note 121 et 122 et
texte correspondant.
74Nous prdsumons en effet que ]a ddmocratie, au Canada, procde aussi du peuple et qu’elle
repose sur une adhdsion iddologique, au sens large, des citoyens. La d~mocratie, instrument
de libert6, est indissociablement lide d la philosophie libdrale. Pr~lot et Boulouis 6crivent:
(
‘ambiance libdrale est indispensable A ]a ddmocratie car, sans elle, la souverainet6 populaire
ne peut effectivement s’exercer >>, Prdlot et Boulouis, supra, note 72 A ]a p. 61. La d~mocratie
est un mdcanisme permettant aux citoyens d’exercer leurs libertds. Elle ne peut agir A rencontre
de celles-ci que si elle en a l’autorit. Cette autorit6 lui ayant
t6 alors consentie par le citoyen.
Encore une fois, hors de ces sphdres de consentement (cession de droits), l’autorit6 constitute
ne peut prdtendre en principe A ‘action. Ces postulats sont communs a toutes les ddmocraties
modernes. Nous employons le mot < ddmocratie >> dans son sens le plus absolu (voire noble)
sans rdference aucune A ]a thdorie o majoritaire >> qui veut < [...] que toutes les ddcisions
politiques (au sens le plus large possible) doivent etre prises A la majorit6 des reprdsentants
Olus > (Tremblay, supra, note I A ]a p. 174). Prdcisons qu’< A la lumidre de cette version de la
ddmocratie, le contr6le judiciaire des lois est n6cessairement ill~gitime >) (ibid. A la p. 174). Le
professeur Tremblay propose A cet effet l’A1aboration d’une nouvelle thdorie politique, fondant
le processus judicaire constitutionnel, s’int6grant A nos institutions ddmocratiques et libdrales
(ibid. A la p. 177 et s.). Voir infra note 143.
19891
1ARTICLE 26 DE LA CHARTE
1003
que le 9e Amendement ne devienne une source illimit~e de droits dans
laquelle puiseraient, au hasard de leurs convictions personnelles toutes sub-
jectives, les magistrats75. Le 9e Amendement pourrait alors devenir un for-
midable instrument d’activisme judiciaire, susceptible de contrer le
l~gislateur dans maints domaines, sous le couvert d’une justification unique,
tirant sa lgitimit6 du principe de la protection des droits de la personne.
Cette conclusion suppose une irresponsabilit6 et un m6pris de la part des
juges t l’6gard de l’institution d~mocratique avec laquelle nous ne pouvons
qu’exprimer notre d6saccord. Mais une profession de foi en l’int~grit6 du
pouvoir judiciaire ne suffit pas A dissiper le doute, aussi v6h6mente soit-
elle. Le juge Goldberg, dans Griswold, a 6labor6 un mode d’identification
de ces droits innomm6s 76. Ces droits, selon le juge Goldberg, sont enracin~s
dans les traditions et la conscience du peuple. II s’agit, semble-t-il, de pri-
vil6gier les droits dont le caract6re est tellement fondamental que leur vio-
lation saperait les principes de libert6 et de justice A la base des institutions
civiles et politiques. Cette ide de justice constitue, rappelons-le, l’essence
du 9e Amendement si l’on s’en rapporte A l’opinion du professeur Mc-
Intosh 77. Ce dernier qualifie de << moraux > les droits innomm6s. Ces droits
se concr6tisent par reference A une th~orie de la justice :
In conclusion, therefore, this essay argues that ninth amendment rights
would be those claims which cannot be said, except by the most strained
construction, to derive from the more abstract rights legislated in the more so-
called specific amendments. Rather, they are the concrete rights that can be
said to be required by a theory of justice that best defines the Constitution.
We should determine whether a claim merits protection under the ninth
amendment by balancing the argument for its protection against the moral
justification that the state can advance for denying protection 78.
Le droit, r~clam sous le couvert du 9e Amendement, doit avoir, selon
le professeur McIntosh, une nature morale79. Or, les citoyens ont des droits
moraux contre l’Etat 80, puisque la Constitution repose sur une th6orie mo-
rale – bien que les droits constitutionnels ne rec lent pas tous un contenu
moral. Ce caractre moral des droits innomm~s n’est pas un facteur de
difficult6 dans la recherche de leur d6termination. L’adjudication constitu-
tionnelle, selon McIntosh, repose essentiellement sur une solution de pro-
blames moraux n~cessitant une analyse globale de la Constitution:
75Voir supra, note 44 et texte correspondant.
76Voir supra, note 40 et texte correspondant.
77Voir supra, notes 56 a 62 et texte correspondant.
78Mclntosh, supra, note 49 A la p. 941.
79<( This means, then, that any claim for which protection is sought under the ninth amend-
ment must be a moral claim ), Ibid. A la p. 941.
80<< It has already been noted that our Constitution rests on a moral theory, namely, that
citizens have moral rights against the State >, ibid. A la p. 938.
1004
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 34
Moreover, as evidenced by such clauses as equal protection, and due process,
or free speech, we may say, following Professor Dworkin, that the Constitution
has fused legal and moral issues, thereby making the validity of a law depend
on the answer to complex moral problems, like the problem of whether a
particular statute respects the inherent equality of all men. So although not all
constitutional rights constitute moral rights, specifically moral rights against
the State, we may yet say that the Constitution does acknowledge that citizens
do have rights against the State and that these are abstract rights. This fact is
of telling importance in constitutional adjudication, for it suggests that in many
of the more important cases involving the application of any of the “open-
ended” provisions that suggest one abstract right or another, the Court’s de-
cision cannot rest simply on an account of empirical historical evidence, since
the problems involved are not simply empirical, but rather findamental and
conceptual That is to say, the problems to be resolved in such cases are as
much questions about the nature of the Constitution itself, read as an ordered
generic whole, and the sort of abstract rights that the best theory of the Cons-
titution can be said to justify, as much as they are questions about those
concrete rights that can be said to be required by the formerl.
Le caractfre abstrait des droits innommfs ne semble donc pas un obs-
tacle A leur reconnaissance, puisque bon nombre de droits nommfs se ca-
ractbrisent par leur niveau d’abstraction. Uauteur croit, A cet effet, qu’il
n’existe aucune difference adjudicative lorsque le juge se trouve aux prises
avec un droit innomm6 ou un droit spfcifiquement garanti. Lexercice relive
de la m~me logique morale, de la mame t~che d’6quilibration des intfr~ts
moraux82. II y a en effet un 6quilibre A atteindre, puisque les droits in-
nommfs ne sont pas absolus. La puissance publique peut alors contrer le
bien-fond6 d’un droit en d6montrant qu’il empifte sur le droit des autres
ou qu’il est loin de rev6tir ce contenu moral n6cessaire A sa reconnaissance 83.
Ainsi
‘article 26 contiendrait, en quelque sorte, implicitement dans son
dispositifune clause limitative prohibant A l’interprfte de consacrer un droit
81Ibid. A ]a p. 938 (nos italiques).
82< This argues that the concrete rights thought to be proper instantiations of freedom of
expression or the equal protection of law are not necessarily or logically limited to the specific
instances of these abstract rights that the framers may have in mind. It follows, then, that in
any of the more controversial cases of constitutional interpretation, cases where obviously the
answers to the questions raised could not simply be "read-off', the Court is necessarily faced
with the sort of epistemological problem which entails a construal of the nature of the text as
a whole, its structure, and its history. [...] In sum, we may say that the problems to be resolved
in much of the more controversial cases involving the application of any of the so-called "open-
ended" provisions of the Constitution are as much problems about the nature of the Consti-
tution, read as an ordered whole, as they are problems about those concrete rights that can be
said to be required by the relevant abstract rights >, ibid. A la p. 935 et s.
83<( Therefore a state that wishes to deny such a claim must show that the claim is outweighed by other considerations on the grounds of principle - for example, that the autonomous choice a [sic] ]a Griswold has the consequence of infringing on the legitimate rights of others, or that the claimant is mistaken as to the moral force of her claim since it involves an act which, though not endangering the rights to others, is inimical to the claimant's own well-being, or that the act is simply immoral >, ibid. A ]a p. 941.
19891
1ARTICLE 26 DE LA CHARTE
1005
qui ne rfpond pas aux exigences juridiques (critfres de d6termination) po-
sees par cet article. A cet 6gard, l’article ler de la Charte canadienne peut
aussi resteindre la portfe des droits innomm6s, consacrant, a l’instar des
droits explicites, leur caract~re non absolu.
Il faut bien reconnaitre que les commentaires du professeur McIntosh
ne nous permettent pas d’identifier avec prfcision ces droits innommfs. On
sait qu’ils reposent sur les principes de justice et d’autonomie. Cependant,
le qualificatif qu’on leur impose (< innomm6s >) s’oppose A ce qu’on puisse
en faire une 6numfration exhaustive. On ne peut que se limiter A en dfcrire
l’objet, la fonction, la nature, la mise en application et la sanction. Mitchell
identifie nommfment quelques uns de ces droits innomm6s, ce qui a l’avan-
tage de concr6tiser le dfbat: < These unenumerated rights include the right
of association, the right of privacy, the presumption of innocence, the right
to be convicted only upon a standard of proof beyond a reasonable doubt,
and the right to travel >>84. Evidemment, certains de ces droits font l’objet
d’une garantie spfcifique dans la Charte canadienne, ils ne peuvent alors se
rfclamer de l’article 26.
Massey, tenant d’une interpretation large du 9e Amendement, dans sa
quote d’identification des droits innommfs, semble plus rigoureux. Lauteur
estime qu’il est dangereux, pour la crfdibilit6 du pouvoir judiciaire, de lui
permettre d’6noncer des droits dans le cadre de controverses A haute teneur
morale 85 . La tdche du magistrat semble alors plus de reconnaitre que d’6non-
cer des droits. D’ailleurs, Massey craint qu’une interpretation aussi libre du
9e Amendement ne serve pas forc6ment le droit des libertfs publiques 86. I1
propose alors une mfthode d’identification des droits innomm6s qui relve
84Mitchell, supra, note 35 A la p. 1732 note 87.
85<< The notion that the ninth amendment provides a judicially enforceable constitutional
guarantee for individual inherent rights seemingly involves the courts in an open-ended exercise
in noninterpretive judicial review. To the extent that this activity would further erode public
support for the judiciary, lasting damage to the fragile balance of power in our tripartite system
might be incalculable. The efficacy of judicial review is dependent upon public acquiescence.
To endanger this keystone principle by foraging for inherent rights among the moral contro-
versies of the day would seem to be foolhardy indeed >, Massey, supra, note 19 A la p. 312 et
s. Uauteur rfere A Perry qui dffinit ainsi le noninterpretive judicial review: < Perry defines
noninterpretive review as judicial review which does not engage in interpretation of the Cons-
titution itself, but which uses wholly extrinsic sources to find or make law. These extrinsic
sources may be as fleeting as current public opinion or as nebulous as the sitting justices'
private subjective values >, ibid. A la p. 313, note 37.
86< Those who urge the judiciary to use the ninth amendment as a catapult for extending constitutional protection to all manner of personal preference no doubt believe that the result will be an expansion of personal liberty. But should the judicial role as bulwark against ma- joritarian excesses be ruptured by this aggressive strategy, a far more likely result will be a shrinkage of human liberty. Moreover, once license is granted to incorporate extrinsic values into the ninth amendment, there is no easy way to limit such imported values to those expansive 1006 REVUE DE DROIT DE McGILL [Vol. 34 de la reconnaissance plut6t que de la creation ad hoc d'un droit dans le cadre d'un litige particulier. Force est d'admettre que la frontire entre la reconnaissance et la creation d'un droit innomm6 se caractfrise par sa t6- nuit. Le moyen de reconnaitre un droit, suggr6 par Massey, comporte aussi, comme nous le verrons, un degr6 d'incertitude. Cette situation est parfaitement compr6hensible. Encore une fois, le contenu du 9e Amende- ment, ou de Particle 26, n'est pas susceptible d'8tre d6termin6 avec pr6cision. A cet effet, ces dispositions constitutionnelles jouent aussi un r6le d'actua- lisation des droits. Or, lorsque le tribunal consacre un droit innomm6, s'agit- il de la reconnaissance d'un droit - un droit qui s'inscrit au fil du temps dans la tradition et les mentalit6s - ce droit n'ayant pas 6t6 envisag6 par le constituant, puisque les circonstances qui y donnent lieu n'existaient pas A cette 6poque ? Comme on le constate, la distinction n'a peut-etre pas trop d'importance. ou de la cr6ation d'un droit - Le point de d6part du mode d'identification des droits innomm6s, pro- pos6 par Massey, est simple: puisque les huit premiers amendements sont inspir6s des rights of Englishmen, il semble raisonnable de pr6sumer que les droits innomm6s sont form6s par le r6sidu de ces rights ofEnglishmen87. A cet 6gard, les sources juridiques de ces droits sont doubles : le droit positif et le droit naturel : This stream of rights had twu branches. The framers understood and observed a distinction between "natural" rights and "civil" or "positive" rights. Positive rights had their source in state common, constitutional, and statutory law; natural rights stemmed from Lockean notions concerning the "unalienable" rights of the people88 . Puisque les droits nomm6s puisent A ces deux sources - droit naturel il est logique de croire que les droits innomm6s sont et droit positif -, of personal liberty. Even Dean Ely, an advocate of this view, admits that the amendment "seems open-textured enough to support almost anything one might wish to argue, and that can get pretty scary" ), ibid. A la p. 313. 87< Since the source of the first eight amendments was the inherited "rights of Englishmen" as adapted to colonial circumstances and secured by state charters and statutes, it would seem a safe point of departure to assume that the unenumerated rights of the ninth amendment were intended to be the remaining such "rights of Englishmen" )), ibid. A la p. 320. 88Ibid. a la p. 321 (nos italiques). Mitchell, aussi, croit que les droits naturels sont ]a source A laquelle doit puiser l'interpr~te d6sireux d'identifier les droits innomm~s: <(The limits of the ninth amendment are to be found not in the enumerated rights, but, perhaps, in the natural law doctrine that the ninth amendment may have intended to incorporate, or in the broad ideals embodied in the traditions of our society >, Mitchell, supra, note 35 A la p. 1733 et s.
1989]
1ARTICLE 26 DE LA CHARTE
1007
composes de ces deux types de droits8 9 . Le droit positif est en grande partie
form6 de <( droits 6tatiques >> (state laws): << The inclusion of the ninth
amendment was, in part, an attempt to be certain that rights protected by
state law were not supplanted by federal law simply because they were not
enumerated 90. Uinterpr~te se doit alors de r6ferer aux diverses lois, chartes
et constitutions des 6tats afin d'identifier les droits A prot6ger. Ces droits,
en raison du 9e Amendement, deviennent fed~raux par nature91 . I1 n'est
pas dans notre intention de nous 6tendre sur cet aspect de la question. En
effet, on soul~ve 1A des probl~mes de partage des competences qui vont au-
dela de nos preoccupations imm~diates. De m~me, la question se pose de
savoir si l'6tat peut amender ou ajouter des droits, qui deviendraient en
principe proteges en vertu du 9e Amendement, apr~s la mise en vigueur du
Bill of Rights92.
I1 reste les droits naturels 93. Le 9e Amendement, selon Massey, a &6
6dict6 afin d'empecher la negation de ces droits naturels non 6num6r~s dans
89< But, because both forms were considered to be "essential to secure the liberty of the
people", the package of rights expressly enumerated in the first eight amendments contains
both natural and positive rights. It is a fair inference, then, that unenumerated rights of the
ninth amendment were thought to consist of both varieties >, Massey, supra, note 19 A la p.
321. Massey illustre la distinction en pr~cisant, par exemple, que la libert6 d’expression serait
un droit naturel alors que le droit A un proc~s par jury serait un droit positif, ibid. A ]a p. 321,
note 85.
9OIbid. i la p. 322.
91Ibid. A la p. 323.
92Sur toutes ces questions, ibid. aux pp. 323-29.
93Max Weber d~finit ainsi le droit naturel: <(Le droit naturel constitue la substance des
normes ind~pendantes de tout droit positifet sup~rieures A lui qui tirent leur dignit6 non point
de r~glements arbitraires par investiture, mais qui en lgitiment prcis~ment la force obligatoire.
I1 s'agit donc de normes qui sont lgitimes non point en vertu d'une origine qui reside dans
un lgislateur lgitime, mais en vertu de leurs qualit~s immanentes [...] >, cit6 dans Coutu,
supra, note 59 A la p. 129. Cette citation ne doit pas porter A confusion quant a ]a conception
de Weber du droit naturel. En effet, ainsi que le d~montre Michel Coutu, Max Weber < demeure
probablement l'un de ceux qui ont formula, de ]a manire la plus nette, une conception de la
science qui s'oppose radicalement A toute th~orie du droit naturel qui se pr~tendrait ration-
nellement justifi~e > (p. 123). La science serait incapable de concilier les multiples antinomies
valorielles de la justice. Et, le droit naturel ne saurait se rclamer d’une universalit6 valorielle
objective et rationnelle : < Les crit~res de l'ordre juste sont multiples, et, par certains aspects,
contradictoires; Ia science, ]a raison ne peuvent r~soudre l'antinomie des diverses conceptions
de la justice. Dans ces conditions l'affirmation d'un < droit naturel > signifie ]a priorisation
d’une notion particuli~re de la justice, recouverte d’une dignit6 scientifique ou rationnelle. […]
Convaincu d’une 6volution irr6versible vers le positivismejuridique, –
encore que cette 6vo-
lution ne soit pas enti~rement univoque –
il [Weber] estimait que la d~mocratie reposerait
d~sormais sur la croyance en la lgitimit6 de normes statutaires positives, et non de postulats
&hico-juridiques tels les < droits de l'homme > et autres axiomes de droit naturel > (pp. 141-
42). Coutu reconnait, en conclusion, que le mouvement, somme toute rcent, des droits de ]a
personne fait appel A l’ordre des valeurs avec tout leur bagage d’irrationalit6 et de subjectivit6
(p. 133 et p. 145). Sur l’influence du droit naturel en droit constitutionnel canadien (avant
1008
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 34
la Constitution et qui ne peuvent 6tre c~d6s 94. Leur determination ob6it A
une appreciation qui n’est pas sans rappeler parfois celle sugg6r6e par le
professeur McIntosh:
An asserted fundamental right should have textual foundation in the Consti-
tution, however implicit or attenuated. It should have some historical authen-
ticity in the organic law of the nation, the states, the colonies or the common
law. It should be consistent with the theoretical construct of natural rights, so
far as that subject can provide meaning. It should be a right generally recognized
by a significant portion of contemporary society as one inextricably connected
with the inherent dignity of the individual 95.
La premiere phrase de cet extrait nous rappelle la d6duction que nous
‘opinion du juge Goldberg96, dans
avons faite A propos d’une partie de
Griswold, selon laquelle le droit innomm6, pour 8tre reconnu, devrait avoir
un lien avec un des droits garantis sp~cifiquement dans le Bill of Rights. Le
professeur McIntosh s’insurge contre une telle approche. I1 estime qu’elle
est contraire au texte m~me du 9e Amendement qui se veut une cons6cration
des droits justement non 6numrs 97. Massey n’insiste pas sur ce facteur
d’identification. I1 precise simplement qu’il s’agit d’une mesure de prudence
afin de temperer les v~ll~it~s judiciaires de faire appel A des valeurs per-
sonnelles. II reconnait A ce propos que le libell6 du 9e Amendement ne
requiert pas ‘existence d’un tel lien 98 . Quant A la derni~re phrase de cet
extrait (il doit s’agir d’un droit g6n6ralement reconnu) qui reprend en
l’adoption de Ia Charte canadienne), lire H. Brun et G. Tremblay. Droit constitutionnel, Co-
wansville, Yvon Blais, 1982 aux pp. 425-34.
94<< When it is recalled that the objective in erecting a constitutional barrier to the denial of
retained, unenumerated rights was to preserve the great and principal rights of man, it becomes
apparent that it is possible to borrow from existing constitutional theory to put flesh on these
skeletal rights >>, Massey, supra, note 19 A la p. 330.
95Ibid. A la p. 330 et s.
96Voir supra, notes 34 A 37 et texte correspondant.
97< Thus, ifI am correct in my assumption that the ninth amendment does signal the existence
of other constitutional rights, then I must make the further assumption that ninth amendment
rights are those claims which cannot be said to derive from any of the other amendments,
except by the most strained construction >>, McIntosh, supra, note 49 A la p. 935.
98< This limitation is plainly not required by the ninth amendment, which indeed would
seemingly preclude reliance upon textual foundations other than the amendment itself. The
proposed limitation is prudential only, intended to limit judicial resort to personal values and
subjective preferences >>, Massey, supra, note 19 A Ia p. 331 note 135. Massey ajoute A la p.
341 : << [t]he historical genesis of the ninth amendment provides ample support for the con-
clusion that contemporary expositors of the Constitution ought to be generous in their accep-
tance of claimed natural rights. The limiting principles suggested are prudential only, are not
mandated by the Lockean political theory which actuated the Constitution and the Bill of
Rights, are not required by the text of the amendment, and were probably not even considered
by the framers. Nevertheless, they are appropriate minimal standards to winnow the substantial
from the frivolous >.
1989]
UARTICLE 26 DE LA CHARTE
1009
quelque sorte le commentaire du juge Goldberg sur la tradition 99, on peut
se demander, A l’instar du professeur Tribe, s’il est conforme i l’esprit ani-
mant un document constitutionnel consacrant les droits et libertes d’exiger
qu’un droit –
soit partag6 par un large segment de la
population avant qu’il ne puisse 8tre reconnu. Pun des buts d’une dcla-
ration des droits n’est-il pas de prot~ger les minorit6s contre la tyrannie de
la majorit6 ?
ou une valeur –
To say that unenumerated rights are deserving of protection only when
they are embraced by social consensus is to relegate them to a distinctly lower
and more suspect status, one barely entitled to respect and certainly not to full
veneration’0o .
Quoi qu’il en soit, pour le reste, le mode d’identification des droits
naturels, devant ultimement constituer des droits prot6ges par le 9e Amen-
dement, propos6 par Massey ne se distingue pas tellement de celui avanc6
par McIntosh au plan des r6sultats. I1 s’agit finalement d’6valuer le fon-
dement moral du droit impliqu6 et de le confronter aux 6nonc s moraux
v~hicul~s par le Bill ofRights afin de s’assurer qu’il s’y insure. Massey insiste
n6anmoins sur le facteur historique qui doit militer en faveur de la
reconnaissance’0 1.
Massey compare le processus d’apprdciation et de reconnaissance d’un
droit innomm6 au processus analytique inherent au due process10 2, mais il
en souligne la difference, en raison particulirement du r6le structural
fondamental10 3 du 9e Amendement dans la Constitution am6ricaine:
The significant difference from due process analysis is that the textual fidelity
required to support a claimed ninth amendment natural right is minimal. When
the claimed right is consistent with the theoretical construct of natural rights
and a significant portion of contemporary society acknowledges that the right
is inherent in the concept of individual dignity, textual fidelity is absolutely
supplied by the ninth amendment itself’04.
99Voir supra, note 40 et texte correspondant.
“00L.H. Tribe, << Contrasting Constitutional Visions : Of Real and Unreal Differences > (1987)
22 Harvard Civil Rights – Civil Liberties L.R. 95 A la p. 106.
t’0 Massey, supra, note 19 A lap. 338 et s. On ne doit pas cependant etre aveugle par l’histoire,
precise l’auteur. A la p. 339, il cite Madison: <
02<< The analytical apparatus used to test the sufficiency of an asserted ninth amendment
natural right bears many similarities to the criteria employed in evaluating claimed fundamental
rights in the context of due process o, ibid. i la p. 341.
1031bid.
1O4Ibid.
1010
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 34
Massey conclut en indiquant que le texte constitutionnel nous oblige A traiter
les droits innomm~s exactement de la m~me fagon que les droits sp~cifi-
quement 6nonc~s' 0 5.
II nous semble possible de dresser un parallle entre ]a determination
des droits innomm6s et des principes de justice fondamentale. Le professeur
Tremblay' 06, propose une m6thode 6labor~e d'identification des principes
de justice fondamentale. Cette m~thode se fonde sur trois propositions que
l'auteur a extraites du Renvoi relatif d la Motor Vehicle Act'07. Selon ]a
premiere proposition, les principes de justice fondamentale s'articulent au-
tour des postulats essentiels que constituent la dignit6 et ]a valeur de la
personne humaine et la primaut6 du droit. La deuxi~me proposition est A
l'effet que ces principes
<[aient] 6merg6, avec le temps, i titre de pr~somptions de common law,
[alors que] d'autres sont exprim6s dans les conventions internationales sur
les droits de la personne >>109. Or, il nous semble que ces propositions tra-
trangres A la d6termination
duisent des pr6occupations qui ne sont pas
des droits innomm~s. Dans la d6monstration de ces propositions, le pro-
fesseur Tremblay fait en effet r6ference A des 6l6ments d’analyse qui ne
peuvent que nous 8tre utiles dans notre pr~sente tdche. En ce qui touche ]a
premiere proposition, l’auteur 6crit : < Ainsi, < les principes de justice fon-
damentale > correspondent aux principes juridiques qui ont ins6r6 dans la
structure du systrme juridique (dans le droit) certaines valeurs fondamen-
tales d’une philosophie morale donnre > 10. La morale chrrtienne joue A cet
6gard un r6le primordial:
Par consrquent, l’idre que le droit et la morale chrrtienne 6taient fusionn~s
germa dans l’esprit des juristes. Tous les syst mes juridiques devaient recon-
naitre et sanctionner les principes moraux fondamentaux. D’oo l’inclination
des juges A sanctionner la morale chrrtienne et ses principes de justice
. I.
Quant A la deuxirme proposition, [d]ans la mesure ofa l’essence du
systrme juridique 6tait de faire justice (au sens moral) il 6tait logique de
1oS It was specifically intended as a catch-all to preserve for the people their great and
fundamental rights that were not enumerated in the first eight amendments or elsewhere in
the Constitution. Its text mandates treatment of these unspecified rights on a par with the
enumerated rights ), Ibid. d ]a p. 343.
06Supra, note 1.
’07Renvoi relatif i la Motor Vehicle Act, [1985] 2 R.C.S. 486.
IOSIbid. A la p. 503.
109lbid.
HTremblay, supra, note I A la p. 187 et s. Le professeur Tremblay poursuit A la p. 188:
SLes principes de justice dont on parle sont done la traduction juridique de certaines valeurs
morales ).
“‘Ibid. A la p. 194.
1989]
1ARTICLE 26 DE LA CHARTE
1011
considerer ces principes de justice comme des principes fondamentaux du
syst me>12. Le professeur Tremblay 6voque la pr6somption d’innocence
comme pr6cepte fondamental du syst6me juridique 113. Les pr6somptions de
common law, 6voquees A la troisi~me proposition, constituent ces principes
d’interpr6tation d6velopp6s par la jurisprudence pour restreindre les effets
des lois attentatoires aux principes de common law’ 14. Ces pr6somptions
forment ds lors < a sort of common law < Bill of Rights >‘ 15. Le professeur
Tremblay s’empresse de pr6ciser que ces pr6somptions ne sont pas des prin-
cipes de justice fondamentale en tant que tels ; en effet < la pr6somption est
une technique d'interpr6tation des lois qui a pour effet (sinon pour objet),
entre autres, de prot6ger les principes de justice fondamentale consid6r6s
comme des principes fondamentaux du syst~me >116. De plus, les conven-
tions internationales relatives aux droits de la personne constituent une
autre source facilitant l’identification des principes de justice fondamentale:
En d’autres mots, dans la mesure oii une convention internationale consacre
certains principes de justice fond6s sur < la foi en la valeur et la dignit6 de
l'individu >> et en la <(primaut6 du droit)), ceux-ci deviennent automatique-
ment des < pr6ceptes fondamentaux > du syst~me juridique. Ils sont donc sus-
ceptible d’tre enchass6s A I’article 7 par le mame raisonnement que les autres
principes de justice fondamentale 17
Toute comparaison a ses limites. En effet, il ne faut pas oublier que les
principes de justice fondamentale ne font pas, en raison du libell6 meme
de l’article 7, l’objet d’une protection directe et immediate. Le juge Lamer
affirme:
Les principes de justice fondamentale, d’autre part, constituent non pas un
intrt protfg6, mais plut6t un modificatif du droit de ne pas se voir porter
atteinte a sa vie, A sa libert6 et A la sacurit6 de sa personnel Is.
Par consequent, il faut 6viter d’imprimer aux droits innommfs un raison-
nement de d6termination identique A celui qui prevaut A. l’article 7. Ainsi,
il existe sans doute des principes qui ne sauraient
tre qualifies de fonda-
II2Ibid. A la p. 201.
13Ibid. A ]a p. 203 et s.
114<< Suite A ]a reconnaissance graduelle de la supramatie du parlement, les tribunaux ont
rendu les principes de justice un peu moins absolus. Dasormais, le parlement pourra adopter
des lois qui limitent ou violent ces principes. Cependant, les tribunaux ne donneront effet A
une telle loi que si l'intention du lagislateur apparait expressament dans le texte de loi. Au-
trement, les tribunaux prasumeront que 1'effet de la loi est compatible avec les principes de
justice fondamentale et restreindront, en consEquence, sa portae. D'oi la cr0ation de diverses
prasomptions d'intention >>, ibid. A la p. 206.
“1Ibid. A la p. 207.
116Ibid. A la p. 207.
“7Ibid. A Ia p. 209.
“8Renvoi relatif d la Motor Vehicle Act, supra, note 107 A la p. 501.
1012
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 34
mentaux en raison du sens donn6 au droit A la vie, A la libert6 et A la sfcurit6
de la personne 19, mais qui peuvent ais6ment tomber sous l’empire de l’ar-
title 26. L’int6ret de la m6thode du professeur Tremblay est alors purement
pratiquel 20 . C’est l’aspect m6thodologique, au plan de l’identification des
sources, qui doit retenir notre attention. A cet 6gard, on notera de nombreux
parallles entre cette m6thode de d6termination et celles propos6es plus haut.
4. Application de ‘article 26 de la Charte canadienne
Nous avons 6voqu6 ga et lI l’article 26 de la Charte canadienne. Nous
croyons en effet qu’en raison du libell6 de Particle 26, cet article commande
une interpr6tation similaire A celle du 9e Amendement. Les facteurs his-
toriques ayant 6t6 d la base de ces deux instruments constitutionnels ne sont
certes pas les m~mesl 21, mais leur objet est identique. De plus, les id6aux
de d6mocratie et de justice qui forment la piece centrale de ce type de
“9Tremblay, supra, note 1 A ]a p. 204 et s.
120Nous n’avons pas la pr6tention d’avoir rendu toute la substance du processus m6thodo-
logique propos6 par le professeur Tremblay. Ce bref aperqu ne saurait remplacer une lecture
attentive de cet important article.
121Le Comit6 mixte sp6cial du S6nat et de la Chambre des communes sur la Constitution
du Canada n’a pas trait6 s6rieusement de Particle 26 de la Charte. De toute fagon, le juge
Lamer, dans Renvoi relatif i la Motor Vehicle Act, a bien pr~cis6 qu’il ne fallait pas accorder
une trop grande importance aux diverses d6clarations ayant entour6 l’adoption de ]a Charte.
I1 6crt avec d propos:
< Si les allocutions et les d6clarations de personnalit6s sont douteuses en soi [...]
et si << les discours prononc6s devant le corps lgislatif au moment de [l]'adoption
[de la loi en question] sont irrecevables vu leur faible valeur probante >> [… ], on
ne doit pas accorder trop d’importance aux procs-verbaux du Comit6 mixte special,
meme s’ils sont admissibles et s’ils ont un peu plus de valeur probante que les
allocutions. La nature fonci~rement douteuse de ces d~clarations et allocutions n’est
pas modifi6e du seul fait qu’ils ont trait A la Charte plut6t qu’A une loi en particulier.
De plus, il demeure que ]a Charte n’est pas le fruit du travail de quelques fonc-
tionnaires, si distingu6s soient-ils, mais celui d’un grand nombre de personnes qui
ont jou6 des r8les importants dans les pourparlers, la redaction et l’adoption de ]a
Charte. Comment peut-on dire avec quelque certitude que, parmi ce grand nombre
d’acteurs, sans oublier le r6le des provinces, les observations de quelques fonction-
naires Red6raux peuvent avoir eu une influence d6terminante ? […]
Fagonner l’interpr6tation de
‘art. 7 en fonction des observations des t6moins
entendus par le ComitE mixte sp6cial comporte un autre danger: en proc6dant de
la sorte, les droits, Iibert6s et valeurs enchiss~s dans la Charte deviennentfig&s dans
le temps a l’poque de son adoption, sans possibilit4, ou presque, de croissance,
d’ volution et d’ajustement aux besoins changeants de la soci6t1. […] Si on veut
que < l'arbre > r~cemment plant6 qu’est ]a Charte ait la possibilit de croltre et de
s’adapter avec le temps, il faut prendre garde que les documents historiques comme
les proc~s-verbaux et t6moignages du Comit6 mixte special n’en retardent la crois-
sance >>, (nos italiques), Renvoi relatif d la Motor Vehicle Act, supra, note 107 A la
p. 508 et s.
1989]
1ARTICLE 26 DE LA CHARTE
1013
d6claration sont exactement semblables. Rien ne justifie une distinction de
traitement.
En effet, bien qu’il faille 6viter de s’en remettre aveugl6ment au droit
am6ricain en raison de particularismes sociaux, historiques et politiques qui
commandent la plus grande prudence et qui, parfois, empechent toute trans-
position, il est des domaines qui transcendent tous les r6gionalismes. Les
ides du contrat social, du droit naturel, de la dignit6 inh6rente de la per-
sonne, de la primaut6 du droit, de la justice, de la libert6, etc. ne rel~vent
d’aucun monopole national. Aucune nation ne peut pr6tendre A l’exclusivit6
de ces idaux. Ceux-ci ne se retrouvent-ils pas d’ailleurs dans la Dclaration
universelle des droits de l’Homme de 1948 ? Ces valeurs fondamentales ont
certes connu un cheminement plus ou moins heureux dans les differentes
nations. Elles sont toutefois l’616ment distinctif le plus important qui ca-
ract6rise les soci6t6s libres et d6mocratiques. La morale chr6tienne aura W
le ferment de celles-ci6 122, et l’Occident n’y a 6videmment pas fchapp6. Ces
valeurs structurent, avec plus ou moins de visiblit6, toute l’interpr6tation
constitutionnelle des droits et libert6s. Iarticle 26 s’inscrit directement dans
cette tradition interpr6tative. I1 n’est donc pas possible intellectuellement
d’attribuer toute cette th6orie au simple droit am6ricain. A cet 6gard, le droit
am6ricain n’aura 6t qu’un microcosme utile. Les th6ories des droits in-
nomm6s transcendent par cons6quent toutes les fronti~res humaines puis-
qu’elles rel6vent essentiellement de l’esprit universel des droits de la
personne.
Certains pr6tendent que l’article 26 ne serait qu’une r~gle d’inter-
pr~tation 23 dont le simple objet serait de sauvegarder les droits et libert6s
122Lire Tremblay, supra, note 1 A la p. 187 et s. Le professeur Tremblay Ecrit A propos de
l’expression
Premirement, je voudrais rappeler que par <(morale chrtienne >>, je ne pense pas
A une morale compltement distincte de la morale juive, stoicienne ou Aristot~li-
cienne. I1 est 6vident que Ia tradition chr6tienne n’a pas 6t6 spontan~e. De la mame
faon, le droit canon n’a pas t6 congu dans un vacuum. Tous deux sont le produit
d’une pens~e plus que mill~naire.
I1 cite ensuite G. Lebras, (Canon Law > dans C.G. Cramp et E.E Jacob, ed., The Legacy of
the Middles Ages, Oxford, Clarendon Press, 1926 A la p. 361:
The care of the poor and the oppressed which was characteristic of Judaism, the
Roman love of order and authority, the Greek conceptions of political economy
and formal logic, the enthusiasm and scrupulousness of the Celts, which were shown
more particularly in their penitential system, –
all these conquests of the human
mind, which seemed to her in accordance with her fundamental principles, went
to the enrichment of the Church’s law, and were assimilated to her own doctrine
after such modification and correction as was required to bring them into harmony
with her own point of view. It is indeed the highest moral tradition of the West
and the Mediterranean peoples which has been gathered up and handed down to
us in the classic law of the Church.
123Voir supra, notes 4 et 6 et texte correspondant.
1014
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 34
consacr6s dans la D&laration canadienne des droits ou les codes provinciaux
des droits et libert6s 24 . Ces derniers continueraient A exister et ne seraient
pas ni~s par les droits et libert~s 6nonc6s dans la Charte canadienne. Cest
Id donner une port~e bien 6troite A une disposition constitutionnelle. Etait-
il, A cet 6gard, bien n6cessaire de pr~ciser que les autres droits n’6taient pas
abrog6s ? Les principes classiques d’interpr6tation, et ce particuli~rement
dans le domaine des droits et libert6s, auraient sans doute suppl66 A la
n6cessit6 d’6dicter une disposition constitutionnelle de cette nature. Un
auteur conclut au caract~re interpr~tatif de
‘article 26 en raison de sa si-
tuation dans rordonnancement textuel de la Charte: Particle 26 est 6nonc6
apr~s les dispositions de fond, et en raison aussi du titre de Ia rubrique
125. II
coiffant la section oct se trouve l’article 26: << dispositions g6n6rales
est tout i fait normal que Particle 26 soit situ6 en marge des dispositions
constitutionnelles de fond. II aurait W pour le moins incongru d'ins~rer cet
article entre deux droits sp6cifiquement garantis. A ce sujet, le 9e Amen-
dement, avant radoption d'amendements ult~rieurs, 6tait situ6 A la fin du
Bill of Rights, apr~s les huit premiers amendements garantissant des droits
nomm6s. Quant A la rubrique 126, nous voyons mal en quoi elle ne pourrait
s'accorder au fait que l'article 26 soit une source de droits innomm6s. De
plus, le titre m~me de la rubrique indique que les articles contenus dans
cette section ne sont pas de m~me nature. En d'autres termes, il n'existe
pas v6ritablement de lien entre ces divers articles qui permette d'en tirer
une interpr6tation uniforme.
Quoi qu'il en soit, m~me s'il est juste de pr6tendre que Particle 26 n'est
qu'une r~gle d'interpr~tation, ses effets ne sauraient 8tre limit6s A ce que
pr6tendent les tenants de cette these. Bien au contraire. Une telle restriction
dans l'interpr6tation tourne en d6rision le fait fondamental que l'article 26
soit une disposition constitutionnelle 127. En fait, cette opinion trahit une
m~connaissance des 616ments d'interpr6tation propres au droit des libert6s
124Voir supra, notes 7 et 11 et texte correspondant.
125Pentney parle alors de Particle 25 (maintien des droits et libert~s des autochtones), mais
son raisonnement s'applique A l'article 26: <(The structure of the Charter itself indicates that
s. 25 is intended only as an interpretive guide and not as an independently enforceable guarantee
ofaboriginal and treaty rights. The section appears in the Charter under the heading "General",
which is separate and distinct from the parts containing substantive rights guarantees >, W.
Pentney,
126Sur l’effet des rubriques dans l’interpr6tation de la Charte, lire Skapinker, supra, note 2
127Evoquant le 9e Amendement, Massey nous conjure de ne pas oublier que cette disposition
est partie int6grante du Bill of Rights : Perhaps the surest indication of the kind of rights
with which they [les constituants] were concerned lies in the fact that the ninth amendment
was proposed, considered, and adopted as a part of the Bill of Rights >, Massey, supra, note
19 A la p. 319.
aux pp. 370-77.
1989]
UARTICLE 26 DE LA CHARTE
1015
publiques et constitue une perspective A courte vue de l’objet de ‘article
26. Le professeur Tribe croit, pour sa part, que le 9e Amendement A la
Constitution am~ricaine est une r~gle d’interprtation 28 qui ne serait pas
une source de droits comme tel. Cela ne l’empeche pas de pr~ciser que cette
disposition a une importance fondamentale dans le dispositif
constitutionnel :
That opinion [celle du juge Goldberg, dans Griswold] deployed the ninth
amendment as a crucial rule of construction – a rule that, in Justice Goldberg’s
view, prevented the Court itself, as a federal institution bound by the ninth
amendment, from treating a right of personal privacy as nonexistent, or as
beyond the reach of federal judicial protection, on the sole ground that no such
right is expressly mentioned in the Bill of Rights. Thus, the ninth amendment
served for Justice Goldberg not as an independent source of a federal consti-
tutional right of privacy enforceable against the states, but as an answer to an
argument about how to read the word “liberty” in the fourteenth amendment.
Accordingly, that word (or perhaps the fourteenth amendment phrase “privi-
leges or immunities of citizens of the United States”) could not be construed
to encompass only those spheres of freedom explicitly listed in the Bill of
Rights, but instead had to be given a broader and more encompassing reach 29.
A cet effet, le professeur Tribe qualifie le 9e Amendment de r~gle mrta-
constitutionnelle d’interpr~tation : << As such, the ninth amendment is a
uniquely central text in any attempt to take seriously the process of
construing the Constitution >>130. LUinterpr~te doit tenir compte du libell6 de
l’article 26, non-negation des autres droits ou libertrs, dans l’analyse cons-
titutionnelle. L’article 26, compte tenu de son objet, influe alors sur le sens
et la port~e du mot << libert6 > A l’article 7131. I1 permet aussi de reconnaitre
des droits implicites dans la Charte, qui se d6gageraient de l’ensemble des
dispositions constitutionnelles. Le juge Douglas, dans Griswold, crivait A
ce propos:
The foregoing cases suggest that specific guarantees in the Bill of Rights have
penumbras, formed by emanations from those guarantees that help give them
life and substance […] Various guarantees create zones of privacy 132.
128Massey refuse avec force de voir dans le 9e Amendement une simple r~gle d’interpr~tation:
<(Construing the ninth amendment as a mere declaration of a constitutional truism, devoid
of enforceable content, renders its substance nugatory and assigns to its framers an intention
to engage in a purely moot exercise. This view is at odds with the contextual historical evidence
and the specific, articulated concerns of its framers, and violates the premise of Marbury v.
Madison that the Constitution contains judicially discoverable and enforceable principles >>,
ibid. A la p. 316 et s. L’opinion exprim~e par le professeur Tribe n’a pourtant pas pour con-
sequence de d~nuer le 9e Amendement de tout effet de sanction, comme nous le verrons. Sur
le 9e Amendement comme principe d’interpr~tation, voir Mitchell,.supra, note 35 A lap. 1727
et s.
‘ 29Tribe, supra, note 100 A la p. 101 (nos italiques).
13OIbid.
131Voir supra, notes 38 et 39 et texte correspondant.
132Griswold, supra, note 18 A ]a p. 484.
la p. 100.
1016
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 34
larticle 26 aurait alors un effet d’irradiation sur le reste du dispositif
constitutionnel. Le professeur Tribe reconnait ce processus unique de for-
mation implicite d’un droit t partir non pas d’une lecture cloisonn~e de ]a
constitution, mais d’une lecture globale conforme A l’esprit g~n6ral de pro-
tection et d’affirmation des droits et libert~s:
For, read properly, the ninth amendment creates no rights at all. There are no
“ninth amendment rights” in the sense in which there are, for example, first
amendment rights or fourth amendment rights. That there are individual rights
fully derivable from no single provision but implicit in several, or in the struc-
ture of the Bill of Rights as a whole, is a proposition implicit in the ninth
amendment. But that amendment is not itself thefount of any such rights, and
it in no way obviates the need to argue that the Constitution does indeed
impose upon governments the particular limitation for which the advocate
contends –
such as the limitation of having to offer more justification for
policing the bedroom than for policing the streets133.
Le professeur Tribe s’inscrit en faux contre ceux qui pr6tendent qu’une
telle interpretation a pour effet de donner carte blanche aux juges dans la
dtermination des droits et libert~s. Selon lui, une telle interpretation oblige
lejuge, de la m~me mani~re que lorsqu’il interpr~te une disposition explicite,
A appr~cier les droits et obligations de chacun A la lumi~re des structures
institutionnelles que le Bill of Rights et le reste de la Constitution ont mis
en place1 34.
Particle 26, somme toute, nous interpelle dans notre capacit6 de lecteur
du document constitutionnel135 et nous oblige i nous d6faire de toute v6ll~it6
(ou du vieux r~flexe) de nous limiter, dans le cadre d’une appreciation ju-
ridique, A une lecture cloisonn~e (disposition par disposition) qui ne saurait
rendre justice au caractre 6volutif et fondamental du texte constitutionnel.
C’est IA un aspect essentiel de l’interpr~tation constitutionnelle qu’il nous
faut absolument saisir.
La sanction de ‘article 26 d6pend 6videmment de l’interpr6tation qu’on
veut bien lui donner. Si cet article constitue une r~gle d’interpr~tation,
133Tribe, supra, note 100 A la p. 107.
134<<
It should be evident that nothing in this conception of the ninth amendment in any way
endorses the lawless notion that judges are licensed by that or any other part of the Constitution
to impose upon the community whatever system of rights or responsibilities they personally
might suppose an ideal, or even a merely just society ought to require. The interpretive task
remains that of deciding which rights or responsibilities follow from, in the sense of being
presupposed by and thus being implicit in, the particular structure of legal institutions to which
the Bill of Rights, and other parts of the Constitution, have as an historical matter already
committed our country ), ibid. A la p. 107 et s.
135<< [T]hat they should be understood not simply as rhetoric but as the reflection of the
textual command of the ninth amendment, which is, after all, the only provision of the Cons-
titution that speaks to us directly in our capacity as readers of that document o, ibid.
la p.
109 (nos italiques).
1989]
92ARTICLE 26 DE LA CHARTE
1017
comme le pretend Tribe d propos du 9e Amendement, sa sanction serait
assur~e A partir de l'article 7 (libert6136) ou de l'ensemble des garanties
sp~cifiques. Par consequent, dans les deux cas, les articles 24 et 52 peuvent
8tre invoqu~s. Si, par contre, 'article 26 est consid~r6 comme une source
autonome de droits innomm6s, sa sanction pourrait aussi 8tre assur~e,
croyons-nous, par les articles 24 et 52. Rien ne s'oppose en effet, si l'on
reconnait la validit6 et le caract re constitutionnel des droits innomm~s, A
ce que l'un ou l'autre de ces articles sanctionneurs soit appel6 A jouer. On
pourrait aussi soutenir, A l'instar du professeur Gibson, que l'article 26 est
en plus une source de recours :
On pourrait objecter que tous les autres recours qui auraient pu par ailleurs
8tre disponibles ne le sont plus puisque l'article 24 pr~voit express~ment des
recours pour des violations de la Charte: expressio unius est exclusio alterius.
Selon nous, toutefois, une telle interpretation irait A l'encontre de l'article 26
de la Charte [ils citent l'article 26].
I1 serait possible, bien entendu, d'interpr~ter l'article 26 comme ne visant que
le contenu des droits ou libert~s et non les recours pr~vus par l'article 24, mais
il est douteux qu'un tribunal accepte d'interpr~ter cet article de fagon aussi
6troite 137.
Quelle que soit l'Ncole derriere laquelle on se range, il importe, dans
l'apprrciation de l'article 26, de s'61oigner au plus trt de l'interpr6tation
jusque-li retenue en droit canadien. Celle-ci a le drfaut de pr6sumer que le
136Le mot <( libert6 A l'article 7 semble, A ]a lumirre de la jurisprudence actuelle, se res-
treindre A une protection contre la dMtention. Cette interprrtation, limitre au context prnal et
criminel, nous semble inutilement restrictive. Les tribunaux seraient bien avisrs d'61ever le
sens de ce mot au-delA de cette simple perspective. En effet, l'article 9 de Ia Charte peut aisrment
remplir ce r6le restreint. Dans Morgentaler c. R., [1988] 1 R.C.S. 30, le juge Wilson croit que
le droit A Ia libert6 ne saurait 8tre limit6 a un contexte purement criminel ou prnal. Le droit
A la libert6, en effet, <(guarantees to every individual a degree of autonomy over important
decisions intimately affecting their private lives)) (p. 171). C'est lA un premier pas intrressant.
I1 est vrai qu'aux 2tats-Unis, l'interprrtation du mot
n’entrane pas une application de cette doctrine. Ainsi, Ie professeur Tremblay crit : < Cepen-
dant, une interprrtation, m~me trrs librrale du mot < libert6A) ne suffit pas en soi A transformer
les tribunaux en superlgislatures. I1 faut plus que cela. II faut que les crit~res utilisrs par le
Cour pour mesurer si une loi est conforme au (due process of law)> conduisent les juges a
scruter la sagesse et l’opportunit6 du contenu et des politiques sous-jacentes aux lois) (ibid.
A la p. 151). Ce motif ne saurait donc excuser une interpr~tation 6troite, et singulirrement
incomprehensible, du terme
137D. Gibson et S. Gibson,
libertrs ) dans Beaudoin et Ratushny, supra, note 6 A ]a p. 933 et s.
1018
REVUE DE DROIT DE McGILL
[Vol. 34
constituant s’est exprim6 pour ne rien dire, ou si peu. Elle a aussi le d6faut
d’occulter le fait qu’un document, de la nature de la Charte, ne s’interpr~te
pas comme une simple loi ; qu’il est appel6 A connaitre une 6volution et un
d6veloppement et qu’il ne s’agit pas pour l’interpr~ter de se r6ferer simple-
ment aux dispositions explicites, mais bien de s’impr~gner de son esprit et
de son objet afin d’en mieux saisir tout le sens. Le juge Dickson 6crit, dans
Hunter:
The task of expounding a constitution is crucially different from that of
construing a statute. A statute defines present rights and obligations. It is easily
enacted and as easily repealed. A constitution, by contrast, is drafted with an
eye to the future. Its function is to provide a continuing framework for the
legitimate exercise of governmental power and, when joined by a Bill or a
Charter of Rights, for the unremitting protection of individual rights and li-
berties. Once enacted, its provisions cannot easily be repealed or amended. It
must, therefore, be capable of growth and development over time to meet new
social, political and historical realities often unimagined by its framers. The
judiciary is the guardian of the constitution and must, in interpreting its pro-
visions, bear these considerations in mind 38.
Lejuge Dickson ajoute concernant le principe de l’interpr6tation globale
d’un texte constitutionnel:
The need for a broad perspective in approaching constitutional documents
is a familiar theme in Canadian constitutional jurisprudence. […]
I[…]I
Such a broad, purposive analysis, which interprets specific provisions of
a constitutional document in the light of its largers objects is also consonant
with the classical principles ofAmerican constitutional construction enunciated
by Chief Justice Marshall in M’Culloch v. Maryland […]139.
Particle 26 joue un r6le dynamique primordial dans l’appr6hension de
la Charte canadienne. Il constitue, comme 1’6crit Massey A propos du 9e
Amendement, l’ultime contrepoids au pouvoir gouvernemental, et revet un
caractre compl~mentaire d’une grande importance, puisque les autres ga-
ranties constitutionnelles inscrites dans la Charte n’ont qu’une port~e li-
138Hunter, supra, note 2 A la p. 155, (nos italiques). Le juge Estey 6crit, dans Skapinker:
< The Charter is designed and adopted to guide and serve the Canadian community for a long
time. Narrow and technical interpretation, if not modulated by a sense of the unknows of the
future, can stunt the growth of the law and hence the community it serves. >>, Skapinker, supra,
note 2 A la p. 366.
139Hunter, supra, note 2 A la p. 155 et s.
1989]
8ARTICLE 26 DE LA CHARTE
1019
mitre et partielle 140. La perennit6 de la Charte canadienne depend en grand
partie de l’interpr~tation ouverte et 6volutive qu’on lui imprimera. Ignorer
‘article 26 reviendrait A priver le pouvoirjudiciaire d’un outil d’intervention
lorsque le reste du texte constitutionnel s’av~re inutile 141, d’autant plus
qu’une abdication des tribunaux, en ce qui concerne
‘article 26, se solderait
6ventuellement par un r6tr6cissement du contr6le constitutionnel. En effet,
le 16gislateur pourrait 6dicter certaines normes attentatoires A des droits
innomm~s (le droit au respect de la vie priv~e, par exemple 142) sans que le
pouvoir judiciaire ne puisse intervenir. I1 se serait lui-mme interdit la pos-
sibilit6 de contr6ler ce type de normes. Or, dans le sch6ma constitutionnel
actuel, r~amnag6 par l’adoption de la Charte canadienne, le pouvoir ju-
diciaire remplit une fonction fondamentale: celle de gardien de la Cons-
titution. A ce titre, il est maintenant dans une position d’ galit6 absolue
avec les pouvoirs 1gislatif et ex~cutif. Cette nouvelle donne doit 8tre ra-
pidement assimil~e par les juges afin qu’ils remplissent le r6le qu’on leur a
volontairement confi6 143.
,4o< The structural role played by the ninth amendment is often conveniently overlooked.
It is a counterweight to the vast momentum generated by governmental power. This is an
important, even vital, structural role that is only partially filled by other constitutional gua-
rantees and prohibitions. Indeed, by its terms the amendment is the final counterweight, to be
used against governmental intrusion upon the people when all else fails >, Massey, supra, note
19 A lap. 341 et s.
14111 y a, comme nous l’avons dejA dit, des limites A la capacit6 d’extension du champ
d’application des dispositions explicites de la Charte, sous peine de voir se d~velopper une
jurisprudence perclue d’exceptions, de contradictions et de non-sens.
142Ce droit ne fait pas l’objet d’une garantie explicite dans la Charte canadienne.
143Les tribunaux n’ont A entretenir aucun doute quant A ]a lfgitimit6 de leur action consti-
tutionnelle. Le juge Lamer est on ne peut plus clair A ce sujet : <(I1 ne faut pas oublier que la
dcision historique d'enchfsser ]a Charte dans notre Constitution a tA prise non pas par les
tribunaux, mais par les repr~sentants 6lus de la population canadienne. Ce sont ces repr~sentants
qui ont 6tendu la port~e des d~cisions constitutionnelles et confi6 aux tribunaux cette respon-
sabilit6 A la fois nouvelle et lourde. On doit aborder les dcisions en vertu de la Charte en se
lib~rant de tout doute qui peut subsister quant A leur legitimit6 )), Renvoi relatif 6 la la Motor
Vehicle Act, supra, note 107 A Ia p. 497. Lire sur cette question Tremblay, supra, note 1 aux
pp. 163-83. Le professeur Tremblay interprte ainsi ce passage de l'opinion du juge Lamer:
<< [...] les reprfsentants 6lus, A ]a majorit6, en enchfssant une charte des droits dans la Cons-
titution, nous ont indiqu6 que, m~me pour eux, la th~orie d~mocratique << majoritaireo> [voir
supra, note 74] ne devait plus etre accept~e pour mesurer ]a l6gitimit6 des d~cisions consti-
tutionnelles. Si cette interpr~tation est ]a bonne, il faut comprendre que la Cour supr~me nous
invite A reconnaltre que ]a th~orie < majoritaire > a
tA abandonne une fois pour toute et
done, A se doter d’une autre th~orie mftaconstitutionnelle. Ainsi, toute argumentation, toute
critique au sujet de la lgitimit6 des d~cisions constitutionnelles fondee uniquement sur ]a
thforie dfmocratique < majoritaire > sera dsormais suspecte > (ibid. A Ia p. 177). Notons que
le professeur Tremblay estime que l’adoption de la Charte canadienne n’a pas donn6 lieu A
une
nelle: <(Sous cet aspect, il n'y a done pas eu de rvolution constitutionnelle. La nature des
dfcisions constitutionnelles rendues sous ]a Charte s'ins~re dans l'ordre constitutionnel prA-
existant>> (ibid. A lap. 172). Bien que nous ne soyons pas en complet accord avec cette assertion,
le cadre de ]a pr~sente Atude ne nous permet pas d’aborder cette question.
1020
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 34
Lidentification des droits innomm6s prot6g6s par l’article 26 ob6ira
donc A une appr6ciation morale difficile144. Un droit, pour 8tre reconnu,
devra tout d’abord ne pas pouvoir relever logiquement d’une disposition
sp6cifique. De plus, il devra revtir un caract6re moral si important qu’une
m6connaissance de celui-ci se traduirait par une n6gation de l’objet fon-
damental du document constitutionnel. Sans 8tre partag6 par une majorit6
de la population, ce droit devra aussi s’inscrire dans une certaine tradition
d6mocratique et lib6rale. La reconnaissance d’un droit innomm6 ne devrait
pas 8tre tributaire de son 6nonciation dans un code provincial des droits et
libert6s. II peut s’agir IA d’un facteur important mais nullement d~cisif. A
ce propos, nous ne croyons pas que l’article 26 ait eu pour effet de trans-
former
en droits innomm6s les droits et libert6s 6num6r6s dans ces
codes 145. II s’agit IA d’une source qui ne peut cependant 8tre n6gligde. I1 sera
aussi sans doute n6cessaire de puiser dans le droit naturel afin de < subs-
tantier
l'article 26, comme source de droits ou r~gle d'interpr6tation m6ta-
constitutionnelle. Ce ne sont IA que quelques uns des facteurs dont doit
tenir compte l'interpr6te dans son appr6ciation de l'article 26' 46.jLa recon-
naissance d'un droit innomm6, i partir d'une th6orie de l'article 26 comme
source de droits ou comme r6gle m6ta-constitutionelle, est 6videmment
soumise A l'article ler de la Charte canadienne. Cette perspective devrait
rassurer ceux qui craignent un activisme judiciaire d6brid6. A ce propos, le
double crible auquel doit se soumettre un droit innomm6 avant de pouvoir
6tre pleinement op6rationnel constitue la meilleure des assurances contre
une exploitation indue du dispositifde l'article 26 de la Charte canadienne.
L'article 26 constitue ainsi le ferment indispensable A un d6veloppement
harmonieux et continu du droit des libert6s publiques dans le cadre de la
Charte canadienne.
range: source de droits ou r~gle d'interpr6tation m6ta-constitutionnelle.
1'"Les commentaires qui suivent s'appliquent quelle que soit l'cole derriere laquelle on se
145En ce qui touche l'influence des 16gislations et des constitutions des 6tats am6ricains sur
146Les commentaires relatifs A l'identification des droits innomm6s en droit am6ricain sont
le contenu du 9e Amendement, voir supra, note 92.
aussi applicables dans le contexte canadien.