L’AUTORITt DE LA CHOSE JUGtE1
Andr6 Nadeau, c.r.*
L’autorit6 de la chose jug&e2 est la plus importante des prsomptions 16gales
absolues. En vertu de cette pr~somption, 6tablie par le legislateur A I’art.
1241 C. civ., la d~cision du tribunal est tenue, de fagon absolue, i l’6gard des
plaideurs en cause, pour la v&it6 juridique pleine et enti~re. Res judicata pro
veritate habetur.3 Mais le fondement r6el de l’autorite de la chose jugee r~side
bien moins dans cette pr6somption lgale de v~rite que dans une consideration
d’utilit6 sociale. Le l~gislateur a voulu emp~cher que des proces perp~tuellc-
ment recommencEs ne viennent compromettre la s6curite et la stabilite des
rapports sociaux, compte tenu surtout de ce fait ineluctable de la contrarifte
possible des jugements dans ces proces multiples. L’intr~t public exige qu’on
ne puisse plus remettre en question ce qui, suivant
‘expression classique, est
pass6 en force de chose jug~e, 4 qu’on ne puisse m~me plus s’en prendre A des
jugements ayant un caract~re Evident d’ill~galit. On estime que les cas,
heureusement rares, oi la pr~somption rsultant de la chose jug~e ruinera les
droits lgitimes d’un plaideur, sont compens~s par les besoins de l’ordre social.
Ces derniers doivent l’emporter sur une nullit d’ordre particulier. Mais on
refusera l’autorit6 de la chose juge I un acte tellement irr~gulier clue mani-
festement on ne trouve pas en lui le caract~re d’un jugement,7 ce qui le rendra
6minemment susceptible de r~vocation par action directe. Faut-il conclure de
ces observations que la pr6somption l~gale de v~ritE attach~e aux jugements
soit, A proprement parler, d’ordre public? Nous ne le croyons pas. Essentielle-
ment, l’autorit6 de la chose jug~e est 6tablie dans l’intr~t privE, Etant destin~e
*du Barrcau de Montrial.
Rsumx
du chapitre d’un ouvrage ca preparation sur Ic droit des preuves en maticres civiles ct
commerciales.
2Chauveau (Charles-August), De l’autorite de la chose jugle en matirc civile, chase publi&c a Quebec
en 1903 (Universit6 Laval); Mignault, Le Droit civil canadien, t. 6, pp. 100-113; Langelicr, De la
preuve, nos 153-215, pp. 62-90; Langelier, Cours de droir civil, t. 4, sous ‘art. 1241 C. civ., pp. 255-269.
En droit frangais: Encyclopedie juridijue DalloZ, Rep. de dr. civ., t. 1, Paris, 1951; Vis: Choae jugle, par
Roger Perrot; Aubry cc Rau, Dzoit civilfranfais, 6iame id. par Paul Esmein, t. 12, Paris, 1958; Lacoste,
De la chose jugie, 3iame 6d. par Bonnecarrire, Paris, 1914.
3Chartrand v. Singer Manufacturing Co. (1930-31) 33 R.P. 414; (1928) 45 B.R. 536; Pesant v. Langevin
(1926) 41 B.R. 412; Laferriere v. Gariipy (1921) 62 S.C.R. 557, conf. (1921) 31 B.R. 256: bail.
IDc. Laferriere et Pesant, pr~citces.
5Roqy v. Robert [1955] B.R. 531 et conmnentaires de cct arret, non encore recucilli a date, par Jean-M.
Carrier, (1954) 5 Themis 253; arr~t Singer, prhcit, i la page 540 du recucil de la Cour d’appel: Mino-
rit6 d’un plaideur.
6Boyer v. Boileau (1939) 45 R.J. 501; Security Lcan Syndicate v. Barer and Ganson (1936) 74 C.S. 502:
jugement obtenu contre un mincur.
71c. Boyer, prcitce.
No. 2]
L’AUTORITE DE LA CHOSE JUGE
A prot~ger les situations acquises en faveur des parties. Ce n’est que par ricochet
qu’elle servira de la sorte l’int~r&t ge6nral. C’est pourquoi nos tribunaux
dcident invariablement que le moyen resultant de la chose juge, qui repose
sur une allgation mixte de fait et de droit, doit 6tre spcialement invoque
par 6crit et ne peut 6tre supplke d’ofice par le juge, 8 pas plus qu’on ne peut
l’invoquer pour la premiere fois en appel. 9
C’est aussi parce qu’il est etabli en leur faveur, que les parties peuvent
renoncer au b~n~fice de la chose jug~e, 10 mais sans que cette renonciation ne
pr~judiciAt au droit d’un tiers, mis-en-cause, d’en appeler d’un jugement auquel
a acquiesc6 le d~fendeur.” Cela ne signifie certes pas, cependant, qu’un de-
mandeur puisse, sans le consentement des d~fendeurs, renoncer A un jugement
constituant chose jug&e12 pour, par l’exercice d’un second recours, chercher i
obtenir un autre jugement plus favorable A ses prdtentions. La th~orie du
jugement, donnant effet A cette sorte de contrat judiciaire que constitue Pins-
tance, s’y oppose.
Les conditions auxquelles existe l’autoritg de la chose jugge
Ces conditions sont relatives d’abord aux jugements m~mes et ensuite aux
parties, i l’objet et 1 la cause des poursuites qui y ont donn6 lieu. Voici com-
ment en dispose l’art.’1241 C. civ.:
Version franfaise
Lautorit6 de la chose jug6c est une pr6-
somption juris et de jure; elle n’a lieu qu’i
l’6gard de ce qui a fait l’objet du jugement, et
lorsque la demande est fond&e sur la mEme
cause, est entre les memes parties, agissant
dans les m~mes qualit~s, et pour la mame chose
que dans l’instance jug6e.
Version anglaie
The authority of a final judgment
(res
judicata) is a presumption juris et de jure; it
applies only to that which has been the
object of the judgment, and when the demand
is founded on the same cause, is between the
same parties acting in the same qualities, and
is for the same thing as in the action adjudged
upon.
L’art. 1351 C.N. contient un texte analogue: “L’autorit6 de la chose jug&e
n’a lieu qu’A l’6gard de ce qui a fait l’objet du jugement.
II faut que la chose
demande soit la m~me; que la demande soit fondfe sur la m~me cause; que la
demande soit entre les m~mes parties, et forme par elles et contre elles en la
mxme qualit6.”
La chose juge constitue une entrave a la libertE de l’investigation judiciaire
et ne peut, en consEquence, d~passer les limites prdcises assignes par l’art.
BLangelier, op. cit., no. 211 p. 89; Turbide v. Tremblay (1927) 30 R.P. 169: il ne suffit pas de soulever
oralement ce moyen de I’audience. Comp: La Banque Royale dA Canada v. La Banque de Quebec (1919)
25 R.L. n.s. 429 (B.R.).
2Chauveau, op. cit., no. 156, p. 152.
1Alix v. Forest (1933) 39 R.L. n.s. 21. Wood v. Davis (1895) 4 B.R. 453: renonciation par un com-
promis.
” rudential Trust Co. Ltd. v. Leduc (1931) 3 D.L.R. 616 (Cour suprame): d~bat sur la remise d’un
dap6t. V. aussi Andegrave v. Trust and Loan (1886) 30 J. 293 (B.R.).
1V. art. 548 C. proc. civ.; Vizina v. Paradis (1906) 12 R.J. 511; Et~in v. Tremblay [1943] B.R. 74.
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1241 C. civ. Roland de Villargues 5 enseigne que s’il y a du doute sur l’appli-
cation de 1’exception de chose jug6e, “s’il existe quelque raison plausible de
dire que les choses ou les personnes ne sont pas les mmes, 1’exception doit etre
‘
4
rejet~e. 1
1
Les jugements auxquels s’applique l’autoritg de Ia chose jugde
Exclusion des jugements 6trangers
Les jugements 6trangers ne jouissent pas dans notre province de l’autorit6
de la chose jug&e, n’y ont pas force ex6cutoire, ce qui n’empche qu’ils cons-
tituent, en conformit6 de l’art. 1220 C. civ., au seul point de vue de la force
probante, des acres semi-authentiques. Chaque pays ne reconnalt que ses
propres jugements sous ce rapport de la chose juge qui est du ressort du droit
civil.”8 L’art. 210 C. procedure civ., permet de recommencer le proces dans
notre province, quoique les jugements 6trangers puissent finalement y devenir
ex~cutoires, –
au cas du gain de son proc~s devant nos tribunaux par la partie
qui le d~tient – par le moyen d’une procedure spciale appele ici “exempli-
fication” et, en France, “exequatur”. Cette procedure est un action par laquelle
on demande I nos tribunaux de dclarer ex~cutoire dans notre province, le
jugement 6tranger, dont on aura pris soin de produire une copie doment authen-
tiqu~e et non un simple certificat de jugement.’ 7
Ii convient de faire remarquer, cependant, que les jugements 6trangers qui
ont statu6 sur l’6tat des parties et qui sont ce qu’on appelle en France des juge-
ments constitutifs d’6tat, par opposition aux jugements simplement declaratifs
de droit, peuvent devenir excutoires dans notre province pour toutes les cons6-
quences qui en dcoulent,’ s du moins quant au statut personnel, mais non,
selon nous, quant a l’excution du jugement sur les biens du resident quebecois,
sans “exemplification” de la sentence.
Semi-exclusion des jugements rendus par les cours des autres provinces
Quant aux jugements rendus dans une autre province de notre pays A re’gime
conf~dratif, ils sont regis par un syst~me interm~diaire plus favorable. Les
‘3Chose jugie, cit6 dans Township of Stanstead v. Beach (1899) 8 B.R. 276 et 283, arr~t confirm6 par
(1899) 29 S.C.R. 736.
I4V. aussi Deseve v. Gareau (1879) 3 L.N. 87 (C. de rev.), et Archambeault v. Lapierre ct Owens (1918)
54 C.S. 266, (C. de rev.): aspects d’une action ordinaire tout A fait diff6rents de ceux d’une action
en garantie.
lsMignault, op. cit., t. 6, p. 103.
‘t Rice v. Holmes (1899) 16 C.S. 492; The Howard Gurnsey Mfg. Co. v. King (1894) 5 C.S. 182: rejer
d’une exception de litispendance prisenre a raison d’un procas pendant A l’&ranger. V. aussi Carsley
v. Humphrey (1910) 12 R.P. 133.
“Beare v. Schram [1945] C.S. 181. V. aussi Riddell v. Vipond (1924) 27 R.P. 308.
“McDowell v. McDowell [1954] C.S. 319: divorce rguliarement prononc6 par un tribunal anglais,
qui avait prononc6 une condamnation du ddfendcur A une pension alimentaire; Maxwell v. MeNamara
[1946] C.S. 191: divorce prononc6 en Ontario, ne laissant plus A d6battre, a propos d’une action en
separation de corps intente dans notre province, que la question des frais.
No. 2]
L’AUTORITA DE LA CHOSE JUGE
articles 211 et suivants du Code de procedure civile r~glementent ce syst~me,
tant an point de vue de la chose jug~e19 que de la litispendance.20 Nous r~frons
ici le lecteur aux ouvrages de droit international priv6 et aux codes de procedure
civile annot~s.
Lea jugements de nos tribunaux
Les jugements susceptibles de passer en force de chose jug6e doivent 6tre
ceux des cours de justice formant partie de notre organisation judiciaire, qu’il
s’agisse de tribunaux exer~ant leur juridiction en premiere instance ou en
appel, tant I la Cour du banc de la Reine qu’A la Cour supreme du Canada.
Ces tribunaux peuvent appartenir aux diffrents degr~s de la juridiction civile.
Ainsi, un jugement rendu par la Cour de magistrat, dans une instance en
dommages-int~r~ts, a l’autortW de la chose juge entre les parties sur la question
de la responsabilit6. 21
L’incomp~tence du tribunal ne l’empchera pas de rendre des jugements
susceptibles de constituer chose jug~e.
On ne fait mame pas exception pour l’incomp~tence ratione materiae,22 si l’on
ne s’est pas pourvu en temps utile contre les jugements ainsi rendus par un
tribunal d~pourvu de juridiction.
a) Les jugements do la juridiction gracieuse.
L’autorit6 de la chose juge ne s’applique cependant pas i tous nos propres
jugements. Elle ne s’Etend pas aux jugements de la juridiction gracieuse du
tribunal (dixi~me partie du Code de procedure civile) oa celui-ci se contente
de permettre, autoriser ou d~fendre quelque chose sans dcider de Pexistence
on de la non-existence du droit. Ces jugements ont, pour partie, le caract~re
d’actes administratifs; ils sont, si l’on veut, semi-administratifs, semi-judiciaires,
ce qui les 6loigne passablement des vritables dcisions judiciaires qui disent
le droit applicable aux parties. Les jugements de tutelle, les dcisions d’homo-
logation d’avis de conseil de famille autorisant des actes, en’sont, entre plusieurs,
des exemples.
En mati~re d’interdiction pour folie, la procedure qui s’y rapporte est d’ordre
public,2 3 mais les jugements qui prononcent l’interdiction n’ont pas l’autoritE
de la chose jug&e. 24 Ces jugements sont susceptibles d’8tre modifies ou r~tracts,
si les circonstances qui ont pr~sid6 A leur raise en vigueur ont elles-m~mes
“9Archambault v. Riopelle (1934) 72 C.S. 176. V. aussi Canadian Conveyers v. Heakes [1955] C.S. 416.
2 1Canadian Acceptance Corp. v. West (1932) 36 R.P. 6. V. aussi Blackwood v. Percival (1902) 5 R.P. 110.
2 1Arpin v. Beaulieu [1954] R.P. 445; Gaumond v. Plamondon (1936) 75 C.S. 199.
2Mignault, op. cit., t. 6, p. 102: Chauveau, op. cit., no 35 pp. 32-3; Langelier, op. cit., no 157, p.
65. (Dans son Cours de droit civil, t. 4, p. 257, Ic mme auteur soutiendra le contraire). Contra: Roy v.
Bergeron (1867) 2 R.L. a.s. 532. Comp.: Cadotte v. Osborne (1889) 12 L.N. 211.
23Dupri v. Papillon (1936) 40 R.P. 321; (1936) 74 C.S. 89 (exception – la forme) et (1938) 76 C.S.
61 (action en dommages-int&ts). V. aussi nombre de d6cisions cit&es dans LUvesque, Supplement
au Ripertoire gineral de jurisprudence canadienne, Montreal, 1955, t. 1, nos 2343 ct s., pp. 301 et s.
24Langelier, Cours de droit civil, t. 4, p. 257.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 9
chang6 (art. 332 et 336 C. civ.). Ce n’est qu’en l’absence de pareils changements
qu’on d&idera qu’une demande d’interdiction pour folie qui a 6t6 rejetfe
constituera chose jug& entre les parties, tant qu’il n’y aura pas de nouveaux
faits pouvant justifier une deuxi~me demande. 2
I1 n’en demeure pas moins,
cependant, que ces jugements d’interdiction, tout comme ceux de se’paration de
corps, qui tous prononcent sur l’6tat des personnes, sont opposables erga omnes.
Cela tient au principe de l’indivisibilit6 de 1’6tat des personnes.
b) Les jugements de la juridiction contentieuse.
Seuls les jugements rendus en mati&re contentieuse jouissent de l’autorit6
de la chose juge. Ce sont ceux qui, statuant ou adjugeant sur des droits d6-
battus, contestfs, d&ident de leur sort 2 6 queUe que soit la nature du litige,
qu’il s’agisse d’une mati&re civile, commerciale ou administrative, par appli-
cation des dispositions du Code civil ou de lois gfnrales ou m’me spciales. 27
Certains jugements rendus dans des affaires ressortissant A Iorigine a la juri-
diction gracieuse peuvent, par suite de contestations, devenir des jugements
6manant vritablement de la juridiction contentieuse, tels un jugement rendu
sur des d~bats d’inventaire en ce qui touche le fond du droit (art. 1394 C. proc.
civ.), un jugement sur les bases d’un partage. 2s Les jugements d’expedient qui
sanctionnent des r~glements intervenus apr~s une contestation en regle, parti-
cipent i la nature des jugements rendus en mati&re contenticuse. Mettant fin
au litige, ils ont, eux aussi, Pautorit6 de la chose juge, tout comme la transac-
tion (art. 1920 C. civ.),29 qu’ils donnent express6ment ou non acte de cette
derni&e.
Ils ne donnent m8me plus ouverture aux recours extraordinaires
contre les jugements, ni A l’appel. Ils ne pourraient etre attaques que par une
action en nullitE ouverte au plaideur aux memes conditions que le Code civil
6tablit pour l’annulation de la transaction.30
c) Les jugements contentieux deflnitifs.
Ce ne sont pas tous les jugements rendus dans cette province en matiere
contentieuse qui jouissent de la prfrogative attache a la chose jugee. Seuls
les jugements dffinitifs ont cette autorit& Ce sont ceux qui adjugent sur le
mrite m~me de Faction, mettant fin ainsi au litige. Us d&ident la contestation
engag&, en tout ou en partie, en donnant gain de cause A l’une ou A l’autre des
2Goltman v. Davidson (1917) 53 C.S. 437 (C. de rev.).
26Pothier, Des obligations, id. Bugnet, no 850.
2
7n re: Champagne; folicoeur v. Rancourt (1928) 36 C.B.R. 182 (faillitc); Krauss v. Michaud (1920)
58 C.S. (C. de rev.): contestation du bilan d’un failli, (opposition rejet& en C. supr. pour dtfaut de
juridiction, 59 S.C.R. 654.). V. aussi, par analogic:Sills v. Pyke (1916) 49 C.S. 315: cession de biens du
droir civil, oa s’6tait soulev& i deux reprises ]a question de savoir si un salaire &ait dai.
2 5Mignault, op. cit., t. 6, p. 102, note (a).
“Eagle Lumber Co. Ltd. v. Cox, Long & Co. Ltd. (1921) 27 R.L. n.s. 345; Guay v. Dupri (1909) 10
R.P. 424.
“0Scott v. Versailles (1911) 13 R.P. 79. V. aussi, pour 1’ex6cution de la transaction, King v. P in-
sonneault (1875) 22 J. 58; 32 L.T. 174; (1874-75) L.R. 6 P.C. 245 (Conseil Priv6).
No. 2]
L’AUTORITE DE LA CHOSE JUGEE
parties. 3′ Us peuvent avoir 6t6 rendus apr~s contestation on m6me par d~faut,32
mais A la condition d’une assignation de la partie adverse (art. 82 C. proc.
civ.). 3a Cette r~gle de la chose juge applicable au seul jugement d~finitif ne
signifie pas qu’il doive uniquement s’agir du jugement final rendu apr~s enquete.
Le jugement qui, par exemple, rejette une action prescrite sur une inscription
en droit totale a un caractre d~finitif. Cette r&gle ne signifie pas non plus
que dans une affaire donn~e il ne pnisse y avoir qu’un seul jugement d~finitif.
Certaines contestations comportent plusieurs droits A decider successivement.
Ainsi, dans une action en reddition de comptes, le premier point a dcider est
de savoir si le demandeur a droit A la reddition de comptes. Le jugement qui
en disposera sera un jugement d6finitif.34 Un autre jugement qui videra les
d~bats de comptes sera 6galement d6finitif. Tous deux auront, en
leur
sphare respective, l’autorit6 de la chose jug&e. 35 Apr~s jugement final et 1
l’occasion de procedures prises en execution de cc jugement, d’autres jugements
d~finitifs pourront constituer chose juge. Tel, par exemple, celui qui ordonne
an tiers-saisi de d~poser la partie saisissable du salaire du d~fendeur, cc qu’il a
fait,3” mais A la condition, dans le cas de ces jugements comme des autres, que
le tribunal se soit dejA prononc6 sur la m~me question.3 7 A titre d’exemples
additionnels, donnons les cas d’une dcision pronongant la taxation des hono-
raires d’avocat,3,s d’un jugement 6tablissant ne dette, dont le montant ne peut
plus 6tre remis en question, m~me dans la contestation d’un capias fond6 sur cc
jugement. 39
Les jugements preparatoires, qui statuent simplement sur un moyen d’instruc-
tion, pr~parant ainsi le proc~s, n’ont pas l’autorit& de la chose jug&e. 40 Tels
31Minard v. Choiniere (1915) 24 B.R. 528: cassation d’unc saisie-arrat avant jugement. Sur les dd-
sionsicaractirecomminatoire, v. Vachon v. Roy (1921) 32B.R. 88:kpropos d’unesaisie-revendication.
22Langelier, Cours de droit civil, t. 4, p. 258; Security Loan Syndicate v. Liederman (1929) 67 C.S. 142:
rejet d’une opposition 1 jugement; Security Loan Syndicate v. Barer (1936) 74 C.S. 502: mineur con-
damn6 par d~aut qui, devenu majeur, demande main-levic d’une saisie sans conclure a l’annulation
du jugement.
33Kellond v. Reed (1874) 18 L.C.J. 309, cit6 par Chauveau, op. cit., no 30, pp. 29-30.
“4Frank v. Forman (1912) 41 C.S. 511 (C. de rev.).
3V., sur les conclusions d’une action en reddition de comptes, Chartrand v. Tremblay [1958) S.C.R.
99, inf. en partie [1957] B.R. 456. V. aussi sur des demandes en reddition de comptes, les causes dc
Belanger v. Bilanger et Baril [1958] S.C.R. 344, conf. (1957) B.R. 605-6; Huot v. Huot (1904) 14 B.R.
522; 13 R.J. 183; compensation prononce par jugemenr, et la d~c. prcit& de Frank v. Forman.
“5Beaudoin v. Lalonde (1930) 34 R.P. 3.
37Fulton v. Hineault (1902) 5 R.P. 258. V., sur les possibilit&s d’application de la chose jug& dans
les procedures de contrainte par corps: Coti v. Pelletier [1958] B.R. 652, en comparaison avec Juneau
v. Juneau [1950] B.R. 375.
3
ie de Chemin de Fer de Montrial et Sore! v. Vincent (1889) 17 R.L. 36; M.L.R. 4 Q.B. 404. Comp.:
Chechick v. Rabinovitch (1929) 47 B.R. 229, qui reconnait la possibilit6 a la partie qui a omis des articles
dans sa premiare taxation de se pourvoir au moyen de la taxation d’un 6tat de frais additionnels.
“5Cushing v. Fortin (1892) 1 C.S. 512 et 551 (C. de rev.) ou 16 L.N. 88-9.
40Mignault, op. cit., t. 6, pp. 102-3 et autorits cities. Comp.: Cole v. Birchenough (1914) 15 R.P.
345: d~cision ordonnant a l’ipouse de r~pondre aux questions dans un procs engagE contre un mars.
McGILL LAW JOURNAL
(Vol. 9
sont, par exemple, un jugement nommant un arpenteur dans une affaire de
bornage, un jugement autorisant une femme A poursuivre son mari en s6paration
de corps, un jugement permettant de reprendre une instance, 41 sans que, dans
ce dernier cas, le jugement ne puisse devenir d6finitif sur le droit A la reprise
d’instance comme telle. 42 Ces jugements pr6paratoires n’ont evidemment pas
force de chose juge sur le fond du proc~s.
De semblable fa~on, les jugements provisoires n’ont pas autorit6 de chose
jug&e. 43 C’est le cas, par exemple, des decisions qui d~terminent, durant une
instance en separation de corps, la quotit6 d’une pension alimentaire ou ac-
cordent la garde d’enfants A l’un des conjoints, semblables dcisions ftant
susceptibles de revision par le juge du fond, sur preuve complete des faits et
apr~s appreciation des changements possibles dans la situation des parties.
On a aussi jug6 que l’ordonnance autorisant la production d’une opposition
1 jugement a un caractare provisoire. 44
Mais c’est peut-6tre aller trop loin, du moins dans les formes, que de d~creter
que les jugements qui, tout en 6tant normalement d~finitifs, ne statuent que
pro tempore, ne sont pas rev~tus de F’autorit6 de la chose juge, qu’ainsi un
jugement fixant finalement 1’6tendue d’une dette alimentaire, laquelle est
essentiellement variable suivant les besoins et les facult~s des parties, n’a pas
force de chose jug&e. 45 A notre avis, pareil jugement jouit de cette force,
jusqu’A ce qu’on puisse faire preuve de changements dans la condition des
parties, justifiant une modification dcrete par le tribunal competent.”1 La
loi (art. 594 C. proc. civ.) n’a-t-elle pas pourvu a la possibilit6 de proc~der A
l’ex~cution provisoire de pareils jugements, nonobstant Pappel? La possibilit6
de reviser la dcision antrieure ne dcoule que du caract~re provisoire de cette
derni&re, dont le sort reste assujetti A tous changements dans les circonstances
qui Pont entour&e. En somme, pour ces jugements qui statuent I titre provi-
soire, la situation est analogue A celle des jugements d~finitifs qui peuvent
tre r&ract~s par voie d’un appel ou d’un recours extraordinaire dirig6 contre
eux. Jusqu’A rtractation, dans le cas des jugements de cette derni~re categorie,
et jusqu’I revision, dans le cas des jugements de la premiere cat~gorie, il y a
chose juge dans I’intervalle.
4 Bonspille v. Wilson (1924) 62 C.S. 156: les droits du demandeur cn reprise d’instance rcstcnr A
d&erminer.
farcell (1956] R.P. 407.
42Desnojers v.
43Beauvais v. Leroux (1886) M.L.R. 2 S.C. 491; 10 L.N. 87: saisie-arrft dfclare tenante jusqu’au
jugement final; Poole v. Hogan (1900) 3 R.P. 197: demarndeur relev6 d’un cautionncrncat pour frais,
vu son 6&at dans la province.
4’Beaudry v. Parent [1957] B.R. 74.
4 Potliot v. Thivierge !19433 B.R. 103; Lacoste, op. cit., nos 83-4, pp. 36-7, qui semble confondrc Ic
caractire dffinitif des jugernents avec Icur caractire irrhvocable.
4
en cc sens, Duckett v. Turgeon (1934) 37 R.P. 180 (B.R.). V. aussi Florant v. Stevenson (1926)
fV.,
29 R.P. 260: garde d’un enfant, confirm6e par un habeas corpus; comp.: O’Brien v. Berger (1914-15)
16 R.P. 160; 49 C.S. 278 (C. de rev.); Phaneuf v. Privost (1916) 49 C.S. 189 (C. de rev.).
No. 2]
L’AUTORITI, DE LA CHOSE JUGE
Les jugements interlocutoires47 eux-m~mes, dont il n’y a appel que dans les
cas prvus 1 1’art. 46 C. proc. civ., et qui d&ident un point incident de la cause
sans statuer sur le droit en litige, n’ont pas 1’autorit6 de la chose jug&. 48 Une
partie pourra, par exemple, se pourvoir de nouveau apr~s avoir rem~di6 aux
vices qui ont entraln6 la perte de son premier recours sur exception A la forme.
Gn~ralement, d’ailleurs, le jugement rejetant une action sur une exception
de ce genre y pourvoit express~ment en d&r&ant la reserve d’un recours ult6-
1I en va autrement si le jugement a rejet6 1’action sur exception a la
rieur.
forme en d&r~tant l’incapacit6 de poursuivre du demandeur en une qualit&
donn&. A dfaut d’appel, ce plaideur ne saurait se reprendre en la m~me
qualiti.
Il y aurait chose jutg&. 49
Le juge du fond a toujours, en principe, libert6 de reviser les interlocutoires, 50
sau ceux qui ont prononc6 sur le droit des parties, disons par exemple, sur une
nullit6 et qui ont de la sorte dispos6 en partie du litige, sans qu’on ait form6
appel contre eux. 51
Citons encore, A titre d’exemples d’interlocutoires non susceptibles de
revision, un jugement qui a retranch6 certaines articulations de fait sur une
inscription en droit 2 alors, qu’a l’inverse, le juge du fond aurait libert6 d’6carter,
comme lgalement inadmissibles et non pertinents, des faits que la partie adverse
aurait vainement cherch6 a faire retrancher du litige par inscription en droit. 53
L’appel et les voles de recours contre les jugements d6finitifs
Le 16gislateur a fait reposer 1’autorit6 de la chose juge sur une pr~somption
l6gale de v&it6 attach&e au jugement d~finitif. Cela ne l’emp&che pas, bien
entendu, de reconnaitre qu’il puisse y avoir des d&isions de justice erron&s.
C’est le motif pour lequel il accorde l’appel et les voies de recours extraordi-
naires contre les jugements, telles, par exemple, la requ~te civile 4 ou la tierce-
opposition. 5
4 W., sur la ragle adopt&e unanimement par les juges de la Cour d’appel relativement aux interlo-
cutoires, Ass. patronale des manufacturiers de chaussures v. Dependable Slipper [19481 B.R. 355.
48Cellulose Assets Ltd. v. Richmond Pulp and Paper Co. et Baumgartner [1959) R.P. 29: jugement sur
une motion i fins de pr&isions; Friedlander v. Sherman [1945) R.L. 513 ou [1945] C.S. 420; Morin v.
Corp. du Canton de Montminy (1928) 34 R.J. 128.
49Graham v. Zenger et Brodeur (1915) 47 C.S. 56.
,0Langelier, op. cit., nos 159-160, pp. 65-67. V. Robitaille v. Pageot [1959] R.P. 230: rejet d’une
inscription en droit. Comp.: Montreal Rolling Mills v. De-Sanbor (1909) 11 R.P. 110; 16 R.L. n.s. 80
(B.R.): capacit6 du demandeur.
51Dec. Friedlander, pr&it&; Shaw v. St-Louis (1884) 8 S.C.R. 385; 2 D.C.A. 374; (1895) 1 L.N. 60;
Major v. Chadwick (1876) 8 R.L. 685 (B.R.): rejet d’une requ&te en annulation de capias; Penderlath
v. McGillivray (1831) Stuart’s Reports 470; (1831) 1 R.J. R.Q. 360 ou 516 (B.R.): jugement interlo-
cutoire acceptant un compte de succession, cit6 par Mignault, op. cit., t. 6, p. 103, note (b); Evans
v. Wilson (1898) 1 R.P. 47, 186 (B.R.).
“Filiatrault v. Meloche (1915) 47 C.S. 108.
VArr. Robitaill, pr&it6.
64Dussault v. Tanguay (1908) 17 B.R. 97: s’il y a ouverture i la requ~te civile, une seconde action
sera rejet6c sur inscription en droit; Marccau v. Roy (1922) 60 C.S. 302.
65V. codes de proc&dure civile annot~s, sur les articles 1185 et s. du Code.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 9
Sous ce rapport, l’ordonnance de 1629, dont est tir6 notre article 1241 C.
cir., 6tait plus explicite que ne l’est cet article. On y lit 1 l’art. 5 du titre
XXVII que “les sentences et jugements qui doivent passer en force de chose
juge sont ceux rendus en dernier ressort et dont il n’y a appel ou dont l’appel
n’est pas recevable, soit que les parties y aient formellement acquiesc6 ou
qu’elles n’en eussent interjet6 appel dans le temps ou que l’appel ait e’te peri.’
Nos tribunaux ont sanctionn6 cette r~gle,
‘etendant aux recours extraordinaires
contre les jugements. Les jugements susceptibles d’6tre attaque’s par des recours
extraordinaires, comme la requete civile ou la tierce-opposition, subsistent
tant qu’ils ne sont pas mis de c6t6 ou tant que les delais pour les attaquer ne
sont pas expirfs. Leur force executoire ne peut 8tre entravee, par application
respectivement des articles 1182 et 1187 C. proc. civ., que par un ordre de
sursis, qui n’est pas necessaire au cas d’une simple opposition a jugement dont
la seule signification, accompagnee de celle du certificat de production, A l’effet
d’arrfter toutes procedures d’execution (art. 1172 C. proc. civ.). De semblable
fagon, les jugements dffinitifs, susceptibles d’appel, ont quand minme l’autorite’
de la chose jugee, mais ils ne l’ont que d’une fagon provisoire, c’est-a-dire
tant qu’il n’y a pas eu appel ou que les delais pour le former ne sont pas expire’s. 16
Les jugements d~finitifs rendus en mati~re judiciaire
Des explications fournies plus haut, il ressort abondamment que seules ont
1’autorit6 de la chose jug&e, au civil, les decisions rendues par les tribunaux de
droit commun formant le pouvoir judiciaire, lorsqu’on y procede en matiere
civile. 57 Ne l’ont pas les decisions d’un conseil municipal,58 ni les simples
decisions administratives sujettes A revision sur une nouvelle demande, 9 ni les
decisions d’une Cour d’appel des loyers,60 ni les decisions d’un tribunal arbitral
de l’assurance-ch6mage.1′ On 6tend cependant la res judicata aux sentences
-6 2 si la loi a pourvu a leur caractare definitif, comme c’est le cas, par
arbitrales,
exemple, pour une sentence prononce unanimement par trois avocats ou plus,
“Barrette 6- Guay Lte v. Carriere (1957] B.R. 288: commission d’agents d’immeuble; Lureau v. De
Beaufort (1883) 6 L.N. 251.
57En matire pnale, il faut, en outre de la raglc des trois identit~s que nous &udierons plus loin,
l’identit6 du fait dliccucux lui-m~me. LeRoi v. Paquette (1927) 33 R.J. 95; Cocker v. Corp. du Village
de Cteau (1899) 16 C.S. 72, confirmi6 en revision, le 13 fv.
1900.
58Suitor v. Corp. de Nelson (1888) 14 Q.L. R. 11 (C. de rev.); 11 L.N. 174; Corp. de la par. de St-Chrir-
tophe v. Corp. du Comd d’Arthabaska (1906) 29 C.S. 493: actes administratifs. Comp.: Corp. du ComtI
d’Yamaska v. Durocher (1887) M.L.R. 3 B.R. 219; (1890) 18 R.L. a.s. 500, oil Chauveau, op. cit., no 26,
pp. 26-7, voit une erreur de larr&iste dans Ic sommaire et estime que la Cour s’est contentfe de
dfclarer finale er bien avenue ]a dfcision d’un conscil de comti.
-5 Ex parte, Citizens’ League of Montreal (1889) M.L.R. 5 S.C. 160: octroi d’un rermis.
“Marchand v. Hartley [1946] C.S. 224; Roy v. Lapointe [1946] C.S. 215. Contra: Couture v. Barriere
[1945] C.S. 351.
t Matte v. Gohan [1945j C.S. 26.
62Bouchard v. Quebec Development Co. (1916) 50 C.S. 246; Mills v. Atlantic and North West Railway
(1888) M.L.R. 4 C.S. 302; (1889) 12 L.N. 45: sentence arbitrale prononc6c en vertu de ]a Ioi des
chemins de fer. Comp.: Chateauguay and Northern Railway v. Lapointe (1911) 17 R.L. 289 (B.R.).
No. 2]
L’AUTORITE DE LA CHOSE JUGAE
constitu~s arbitres, en vertu des articles 413 (a) et seq., C. proc. civ., en parti-
culier de l’art. 413 (i). Autrement, la sentence arbitrale extrajudiciaire ne
pouvant &tre ex&ut& que sous l’autorit& du tribunal comp~tent (art. 1443 C.
proc. civ.), n’emporte 6videmment pas chose jug&.
On &cartera l’autorit6 de la chose jug& A l’6gard de la d&ision d’un comit6
du S~nat canadien, charg6 d’entendre les requ&tes en divorce.6” Par ailleurs, la
recommandation de ce comit6, une fois ratifi6e par le Parlement canadien,
tombe dans le domaine lgislatif.61 On l’6cartera aussi pour les decisions des
autorit~s eccl~siastiques,65 de m~me que pour les avis donn~s aux gouvernements
par les tribunaux sur des questions qui leur sont r~f~r~es.66
Les d&isions semi-judiciaires, rendues par certaines commissions on r6gies
gouvernementales agissant en qualit6 de tribunaux administratifs d’exception,
n’ont pas l’autorit6 de la chose juge, mais il n’emp&he qu’elles s’imposeront
d’une faon absolue aux justiciables si le lgislateur en plus de d&r~ter que
pareilles d’cisions sont d~finitives et sans appel, – g6nralement cependant
sous la reserve d’une possibilit6 de revision devant la m me juridiction –
a
aussi 6cart6 A l’encontre de ces decisions le recours A 1’injonction ou aux brefs
dits de prerogative (mandamus, prohibition on certiorari).7 A l’inverse, ce-
pendant, les tribunaux de droit commun ne s’estimeront pas, pour ce qui leur
reste de juridiction en ces matires, lies par les d&isions de ces commissions
ou r~gies sur le point qu’ils ont eux-m mes A trancher.18 C’est ainsi que la
Cour suprieure n’est pas li& par la d&ision de la Commission des Accidents
du Travail de Quebec, quant aux montants accord~s A l’accident6 pour d~penses
et incapacit&6.6
Parties du jugement d~finitif auxquelles s’applique l’autorit6 de la chose jug6e
A quelles parties du jugement d~finitif rendu en mati~re contentieuse s’a –
plique l’autoritE de la chose juge? Elle ne s’applique qu’au dispositif du
63Decker v. Coorsb [1956] B.R. 78, conf. [1956] R.P. 200: accusation d’adultare non retenue par le
comit6 s6natorial, et que le d~fendeur ! I’action en s~paration de corps cherchait a faire repousser
en invoquant la dcision du s~nat.
“‘Gauthier v. Dragon [1957] C.S. 89.
cnChauveau, op. cit., nos 24-5, pp. 23-5 et autorit6s cities.
3Prdro de Galindez v. Le Roi (1904) 26 C.S. 171, confirm6 par la Cour d’appel Ic 27 janv. 1906.
0W. Nadeau, Trait’ de droitcvil du Qulbec, t. 8, nos 305, 324 et 330, pour la Commission des Acci-
dents du Travail de Quebec. V. aussi la loi er les rglements du Barreau, 2-3 Elis. II, S.Q. 1953-54,
ch. 59, (modifi6 par 3-4 Elis. II, S.Q. 1954-55, ch. 41, pour la loi elle-meme) pour la port&e absolue
des sentences disciplinaires prononces au scin de l’Ordre des avocats, sans possibilit6 de recours
aux tribunaux de droit commun. Comp., pour des organismes administratifs qui, en pronongant
des d-cisions a caract~re judiciaire, ont agi sans juridiction et en violation de la r&gle audi alteram
partem, la cause de 1’Alliance des professeurs catholiques de Montreal v. La Commission des Relations
ouvrires du QuIbec [1953] 2 S.C.R. 140, inf. [1951] B.R. 752. V. aussi IAvesque, op. cit., t. 2, “‘Prohi-‘
bition”, nos 10246 e s., pp. 1339 et s., et Vis “Relations ouvri~res”, pp. 1382 et s., nos 10516 et s.
68Citl de Montroal v. Constantincua [1946] R.L. 306.
691)c. Citi de Montreal, pr&it&. V. aussi, sous I’empire de l’ancienne loi des accidents du travail,
Black Lake Asbestos v. Marquis [1924) 4 D.L.R. 414 (B.R.).
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 9
jugement, 7
0 c’est-l-dire i cette partie seulement du jugement dans laquelle le
juge dcide du mrite du litige, donnant gain de cause I l’une ou l’autre des
parties. 7 ‘ En d’autres termes, elle ne s’applique qu’I ce qui a fait 1’objet de la
decision formelle. 7″ La chos e jug~e ne s’attachera qu’l la disposition finale de
la question en litige, quelle qu’elle soit. Citons, A titre d’exemples, en passant,
des jugements ayant d~clar6 qu’une collision d’autos est due A la faute du
chauffeur du demandeur, 7″ ayant dcrt6 l’insolvabilit6 d’une personne, 74
ayant donn6 effet 1 une clause p~nale. 75
L’autorit6 de la chose jug~e ne s’applique qu’aux points debattus par les
parties, qui sont d6cid~s par le jugement et qul devaient l”tre pour la solution
du litige. Tantum judicatum quantum litigatum. Elle ne s’attache pas aux
simples 6nonciations qui n’ont pas fait l’objet d’une contestation. 71 Mais si
le dispositif du jugement lui-m~me est entach6 d’irr~gularit6, si, par exemple,
le juge a prononc6 ultra petita, le plaideur doit se pourvoir par appel ou par
requite civile (art. 1177 et s., C. proc. civ.) contre ce jugement pour emp~cher
cette partie incrimine du dispositif d’acqurir, elle aussi, force de chose
juge. 77 A fortiori, les opinions qu’6met le juge sur des points simplement
6noncbs par lui et qui n’6taient pas en litige ne jouissent pas de l’autorit6 de
la chose juge. II s’agit alors de ce qu’on appelle couramment un obiter dictum,
c’est-A-dire, suivant la d6finition de J6raute75 d’un “avis incidemment exprim6
sur un point de droit, et n’ayant pas force de precedent”.
Les motifs du jugement, que l’on appelle souvent les “consid6rants”, ne
jouissent donc pas, en principe, de l’autorit6 de la chose jug&e. Les cours
d’appel confirmenr parfois des jugements en dclarant que les “considerants”
du tribunal de premiere instance ne sont pas juridiques, et en rendant jugement
dans le m~me sens mais pour d’autres motifs. Ces “motifs” (art. 541 C. proc.
7 0Pesant v. Dangevin (1926) 41 B.R. 412; Brien v. Marchildon (1899) 15 C.S., 318 (C. de rev.).
7tLaferriere v. Garipy et St-Denis (1921) 62 S.C.R. 557, conf. (1921) 31 B.R., 256.
72EIlard v. Milar [1930] S.C.R. 319.
“Haupt v. Blanchard (1940) 78 C.S. 498: le dMfendeur qui poursuit a son tour n’a qu*A rapportcr
la preuve de ses dommages en invoquant Ic jugcment prc&dent; Gaumond v. Plamondon (1937) 75
C.S. 199; Gosselin v. Picard (1933) 71 C.S. 8: jugement r~partissant la part de responsabilit6 de deutx
automobilistes; I.enberg v. Trcmblay [1944] C.S. 352.
74Hartman v. Babson (1895) 9 C.S. 241.
75BraZer v. Elkin (1909) 11 R.P. 292; (1912) 3 D.L.R. 114; (1913) 19 R.J. 153, (B.R.): ]a d6tcrini-
nation d’un montant de dommages de cc chef, meme sans condamnation a Ics payer par Ic premier
jugement, est finale.
“Brien v. Marchildon (1898) 15 C.S. 318 (C. de rev.).: qualit6 d’6pouse s~parie de blens; In re:
United Metals and Petroleum Corp.: Jean v. Bopar Ltd. [1958] B.R. 701: simple 6nonciation dans un
jugement ant~rieur, de la qualit6 de cr~anciers, des requrants dans une affaire de faillite.
7Village de Dorval v. Legault dit Deslauriers (1901) 21 C.S. 197 (C. de C.): raglement municipal
dclar6 nul sans conclusions a cer effet. Comp., sur une compensation irr~guliarement dcrt&c A
l’encontre de dommages non liquids ni prouv6s: Baines v. Pr/vost (1920) 58 C.S. 40 (C. de rev.) ct
v. aussi, sur cc point de la compensation, Savigny, cite par Chauveau, op. cit., no 62, pp. 54-7.
“SVocabulaire franfais-anglais et anglais-franfair de termes et locutions juridiues, Paris, 1953, p. 319.
No. 2]
L’AUTORITE DE LA CHOSE JUGfE
civ.) ne sont pas, en d’autres termes,
‘Tobjet du jugement” (art. 1241 C. civ.),
bien qu’ils puissent le devenir si le juge a consacr6 une opinion, expose dans
les motifs, par une disposition expresse de son jugement.7 9
L’autorit6 de la chose juge s’applique indirectement aux motifs, lorsqu’ils
sont tellement en relation intime avec le dispositif que sans eux ce dernier
serait incomplet. On les repute alors incorpors au dispositif, qu’ils servent l
soutenir.80 C’est la d&ision implicite qui d&oule n&essairement de la solution
exprime,81 Lorsque de tels motifs forment ainsi partie int~grante du dispo-
sitif, on peut les prendre en consideration pour expliquer et completer le sens
du dispositif82 et determiner l’6tendue de la chose jug&e, 3 sauf si ces motifs
sont visiblement le r~sultat d’une erreur. 84 On ira mrme jusqu’A. admettre que
pour completer et &lairer un dispositif ambigu, on pourra s’inspirer des motifs
contenus dans une requite reproduite dans un jugement.15
Citons, a titre d’exemples de d&isions implicites d&oulant n~cessairement
de la solution expresse formellement 6nonce dans le dispositif du jugement, le
cas d’une donation juge conditionnelle ou suspensive, parce qu’un jugement a,
pour ce motif, cass6 la saisie-afrft base sur cette donation, 6 le cas d’un juge-
ment qui a annul deux actes en disposant qu’une rente viagare aurait dfi 8tre
de $2,000.00 au lieu de $800.00.1 7 Mme si le premier jugement n’a conclu
qu’i l’annulation des acres, il ne s’ensuit pas qu’on puisse remettre en question
la d&ermination du chiffre exact de la rente. s
Retenons, enfin, que s’il y a contradiction entre le dispositif et les motifs,
c’est le premier seul qui fera chose jug&e.8 9
La ragle des trois indentit~s
Les cas dans lesquels le dispositif d’un jugement pourra
tre invoqu6 A
lencontre d’une nouvelle demande en justice seront ceux qui feront intervenir
l’application de la r~gle dite des trois identit~s. Le tribunal d&idera qu’il y a
“Canadian Breweries v. Allard (1902) 24 C.S. 515, confirm6 en Cour d’app., le 24 mars 1903; 8 R.L.
n.s. 207; 10 R.L. n.s. 356.
8Blain v. Rose [1958] B.R. 344; Mattinson v. Girardot [1945] C.S. 92; Montminy v. Lelivre (1939)
67 B.R. 197; (1938) 44 R.L. n.s. 27; Gagnon v. St-Pierre (1928) 34 R.L. n.s. 245 (B.R.).
S’Ellard v. Millar [1930] S.C.R. 319; 3 D.L.R. 582.
82Stevenson v. City of Montreal and White (1897) 6 B.R. 107, . la p. 113, confirm6 en C. supr. (27
S.C.R. 593); Ville de St-Jean v. Quinlan and Robertson Ltd. (1920) 30 B.R. 189, A la p. 191.
3Lupien v. Poliquin (1924) 62 C.S. 114.
8UArr. Ville de St-Jean, pr~cit6.
8 Dkc. Alattinson, prkite: jugement en d&laration de droit de propritE par l’effet de la pres-
cription acquisitive.
6Friedlander v. Sherman [1945) R.L. 513 ou 1945) C.S. 420.
87 .llard v. Millar [1930] S.C.R. 319.
8Arr. Ellard, pr&it.
8 -Chauveau, op. cit., no 64, p. 58: arr. Ville de St-Jean, pr&citE.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 9
chose juge s’il trouve entre la nouvelle demande en justice et le jugement qui
a tranch6 la premiere, trois choses identiques: l’objet ou la chose, la cause
juridique et les personnes. Ces trois identit~s serviront 1 d~terminer les cas
dans lesquels le jugement que le tribunal se prepare a prononcer ne servira pas
A contredire ou i simplement confirmer celui qui a 6t6 rendu. Cette regle des
trois identit~s –
eadem res, eadem causa petendi, eadem conditio personarum, est la
m~me que Pon invoque pour la litispendance,9 0 cette exception pr6liminaire
6tant r6gie par les m~mes principes que ceux qui s’appliquent A la chose jugee. 1
Cela explique que le tribunal pourra rejeter certaines exceptions de litispendance,
parce qu’on ne retrouve pas entre les deux litiges les trois identit~s ncessaires,
mais autoriser, par application de l’art. 291 C. proc. civ., la reunion de deux
ou plusieurs actions dans lesquelles les questions en litige sont substantiellement
les m6mes1 2 ou ordonner qu’une action fond~e sur un contrat, suivie d’une
action par laquelle le d~fendeur demande l’annulation du contrat, soit, a la
demande de ce d~fendeur, suspendue jusqu’! ce que jugement soit rendu sur la
seconde action.93
Cette r~gle des trois identits,5 4 enonce par
‘art. 1241 C. civ., signifie
essentiellement que le plaideur pourra invoquer la chose juge si ]a question
litigieuse A trancher entre les m~mes parties est la m~me dans les deux causes,
fondes sur le m~me titre juridique.
1. L’identit6 de personnes
L’autorit6 de la chose juge est relative et ne s’applique qu’aux personnes
qui ont 6t6 parties au premier litige 5 et, de la sorte, ont ‘t6 entendues ou ont
eu la possibilit6 de l’6tre, sur le droit en discussion. Elle ne s’applique pas
aux tiers96 qui peuvent se pr6valoir de la tierce-opposition A jugement 7 (art.
9Arsenault v. Monette [1951] B.R. 372; Sarrazin v. Gauthier [1959] R.L. 383; Canada Industrial Co. v.
Roddick (1901) 7 R. de J. 139; (1900-01) 3 R.P. 468.
9″Cloutier v. Traders Finance Corp. Ltd. [1958] B.R. 274; Comm. des Relations Ouivrires v. Siax Inc. and
Amalgamated Clothing Workers of America [1958] B.R. 300.
‘2Raycraft v. Little (1916) 49 C.S. 505; (1916) 22 R.L. n.s. 393; (1915-16) 17 R.P. 436; (1917) 23
R. de J. 153 (C. de rev.). V. Code de procedure civile annoti Gerin-Lajoie et supplbnents, sous les articles
173 et 291 de cc code.
3Dionne v. Levesque [1952) R.P. 3. Comp. pour une situation analogue: Leduc Electrical Ltd. v.
Laboratoires Poulenc Freres du Canada, Limitie (19,40) 43 R.P. 343.
94Pesant v. Langevin (1926) 41 B.R. 412, notes du juge Rivard sur cette rigle; La Citl de Livis V.
Seminairede Qibec(1927) 44 B.R. 165, a lap. 170-1: action en recouvrement de taxes municipales; Lafer-
rfire et St-Denis v. Gariepy (1921) 31 B.R. 256, confirm6 par (1921) 62 S.C.R. 557, aux pp. 569 et s.
pour Ics notes du juge Mignault; Bidard v. Bedard (1915) 21 R.L. n.s. 169.
95Gregoire v. Lavoie [1957] B.R. 272; Sleeth v. Simpson (1897) 3 R.L. n.s. 449.
OtFraser v. Pouliot (1884) 13 R.L. 1 on Jones v. Fraser (1886) 13 S.C.R. 342; (1886) 12 Q.L.R. 327;
Wood v. Davis (1895) 4 B.R. 453: contestation de saisie; Shoe Wire Grip Co. v. Ville de Terrebonnt
(1901) 7 R.J. 540: propri&t d’un objet mobilier vendu par un non propri6taire.
“7Campbell v. Bate (1886) 15 R.L. 467; Mathieu v. Martin (1922) 29 R.L. n.s. 111. Comp. Deschent
v. Vachmn (1935) 56 B.R. 160: litige entre un entrepreneur pour son priviligc et Ic vendeur dc l’im-
meuble.
No. 2]
L’AUTORITE DE LA CHOSE JUGAE
1185 et s., C. proc. civ.), si leurs int&ts sont affect~s par le jugement rendu
dans une cause oii ni eux ni ceux qui les repr~sentaient ont 6t appelks. Encore
faut-il que l’intrft du tiers pour former tierce-opposition soit un int&r&t dans
le litige m~me et non dans son seul rsultat. s
Le jugement obtenu par une partie dans un proc s qui l’a mise aux prises
avec une autre ne doit pas plus nuire ou profiter aux tiers que s’il s’agissait
d’un contrat qu’elles auraient conclu (art. 1028 et s., C. civ.). C’est cc que 1’on
exprime par la r~gle res inter alias judicata aliis nec nocet nec prodest, analogue i
la r~gle classique res inter alias acta applicable A l’effet des conventions.
C’est ainsi qu’on jugera que si une saisie-gagerie a 6t6 maintenue par juge-
ment, un tiers, propri~taire des effets saisis, pourra quand m~me faire opposi-
tion,”9 facult6 qui ne serait plus reconnue au d~fendeur qui, lui, aurait pu
plaider i la saisic-gagerie.’ 00 Mais si le d~fendeur reste 6tranger a un d~bat
engag6 entre le cr~ancier saisissant et le tiers-saisie, le jugement rendu sur cette
contestation ne s’impose pas A lui. 1 1 N’aurait pas di, non plus, a notre sens,
s’imposer au demandeur au point de Pempcher d’exercer un recours par voie
de saisie-arr~t entre les mains d’une compagnie d’assurance, un jugement qui
avait accord6 aux avocats du d~fendeur la permission de se retirer du dossier,
parce qu’ils ne recevaient pas de ce dernier l’aide convenue dans un contrat
d’assurance. La Cour sup&rieure en a, toutefois, jug6 diffremment pour le
motif qu’avis de la motion pour cesser d’occuper invoquant ce d~faut de coop&.
ration avait 6t6 donn6 au poursuivant.102 Cc d6bat nous apparaft comme ayant
di 6tre tenu pour 6tranger au demandeur a ce stade. Car, il ne suffit pas qu’une
partie ait 6t6 mise en cause, sans prise de conclusions contre elle, *03 ou du
moins sans prise de conclusions contre une partie, demanderesse ou d~fenderesse,
qui puissent directement affecter les int&r&ts du mis-en-cause dans le litige
m~me, pour qu’on puisse opposer au mis-en-cause la chose juge. I1 faut qu’un
d~bat rel ait mis les parties aux prises dans le premier litige, et qu’elles aient
pu discuter de leurs prtentions, comme dans le cas des actions en garantie.104
L’identit6 de personnes n’est 6videmment pas requise pour l’autorit& judiciaire
ou autorit6 de la jurisprudence, qui se distingue nettement de la res judicata.109
Les prcedents judiciaires bien que ne constituant que des autorit~s de raison,
pourront, en fait, avoir une porte plus grande que la res judicata, surtout dans
le cas d’une jurisprudence constante, &manant de la juridiction d’appel et, a
0O8range Freeze Co. v. Blanchard et Lamarre (1940) 69 B.R. 6.
ODBernard v. Shorter (1932) 38 R.L. n.s. 105.
ttt Fournier v. Boily (1932) 38 R.L. n.s. 70; Adams v. Mulligan (1901) 20 C.S. 251: opposition afin
d’annulcr. Comp.: Dubois v. Gaudet (1927) 33 R.L. n.s. 193.
‘t “Lafortune v. Goyer (1924) 63 C.S. 36. Comp.: Durocher v. Filion (1904) 10 R.J. 189.
102Nitkin v. Clyma et Canadian Fire Ins. Co. (1928) 67 C.S. 397; (1929) 35 R.J. 411; comp.: Sivigny
v. Bourdon (1933) 72 C.S. 143.
’03Klock v. The Molson’s Bank [19121 3 D.L.R. 521; (1912) 41 C.S. 370: intcrprtation d’un contrat.
tt4 Meilleur v. M.L.H. & Power Co. (1917) 52 C.S. 367 (C. de rev.).
1 sV. l’article de Mignault sur ‘Lautorit6
judiciairc” (1900) 6 R.L. n.s. 145.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 9
plus forte raison, de la Cour supreme. Les tribunaux de premi&re instance,
d~sireux d’assurer la scurit6 des transactions, ne drogeront aux donn&s des
juridictions d’appel, qu’A titre exceptionnel et uniquement lorsqu’un revirement
de jurisprudence leur apparaltra souhaitable. De son c6t6, mrme si nous n’avons
pas adopt6 la r~gle stare decisis, la Cour d’appel suivra la Cour supreme, m~me
si elle n’en partage pas toujours les vues, pour assurer la stabilit6 aux rapports
juridiques des justiciables.
L’autorit6 de la chose juge n’a, elle, qu’une porte relative, 6tant limit&e
aux parties en cause, m~me si elle s’impose 1 elles d’une fagon absolue.
L’identite juridiue des parties
Pour la chose juge, il faut l’identit6 juridique des parties et non leur simple
identit6 physique.”‘ L’une peut exister sans l’autre. I1 y a identit
juridique
chaque fois qu’une personne repr~sente une autre personne ou est repr6sente
par elle. 10 7
Mandataire et mandant constituent la m~me personne juridique.108 Le
tuteur est la m~me personne juridique que le pupille dont il est le repr~sentant
16gal. 10 Le mari poursuivant en sa qualit6 de chef de la communaut& est, pour
faire valoir un recours de son 6pouse, juridiquement la m~me personne que
cette dernire. Une corporation, personne morale, repr6sente en justice ses
contribuables et un jugement rendu en faveur d’une telle corporation ou contre
elle, peut, lorsqu’il y a une identit6 d’objet et de cause, &tre oppose, a tout
autre contribuable.1 0
D’une mani~re g~nrale, la chose jug&e peut 8tre invoque par ou contre
tous successeurs universels, ou A titre universel, hritiers, lgataires ou ayants
cause, A l’6gard des jugements rendus dans des causes dans lesquelles y figuraient
leurs auteurs.”‘ Par ailleurs, les successeurs A titre particulier, qu’il s’agisse
d’un l6gataire particulier, d’un donataire ou d’un acqu~reur, ne sont, eux, lies
que par les jugements rendus contre leurs auteurs avant la date de leur propre
acquisition,”‘ car ces derniers n’ont pu leur transmettre plus de droits qu’ils
n’en avaient. Cest ainsi qu’on a d&id6 que la chose jugee contre le c6dant
avant la cession, m~me faite A titre particulier, est opposable au cessionnaire.11
106Hebert v. Durocher (1923) 36 B.R. 138.
“TDingwall v. McBean (1900) 30 S.C.R. 441.
‘0″Chauveau, op. cit., nos 73 ct s., pp. 64 cc s.
0 1O9Roy v. Pineau (1882) 3 D.C.A. 146; (1880) 6 L.N. 10.
“tStevenson v. City of Montreal and White (1897) 6 B.R. 107, a la p. 114, confirm6 en Cour supr. (1897)
27 S.C.R. 593; Corp. du Village de Deschines v. Loveys (1936] S.C.R. 351; [19361 3 D.L.R. 210: r~solution
jugic illgale; Lavoie v. Corp. de St-Alexis (1909) 36 C.S. 7 (C. de rev.).
“‘Langelier, op. cit., no 174, p. 74.
“‘Chauveau, op. cit., no 104,pp. 95-6.
“.Arrtr Hibert, pr&it6, aux pp. 141-2; Davis v. McConniff (1896) 2 R. de J. 543: paicment avec
subrogation. V. aussi Lariviere v. Corp. de la Ville de Richmond (1907) 21 C.S. 37, aux pp. 42-43; Dubuc
v. Kidston (1881) 7 R.J.Q. 43; (1881) 4 L.N. 239.
No. 2]
L’AUTORITE DE LA CHOSE JUGIE
Les jugements d’annulation du titre du dbiteur 1 l’immeuble n’ont pas
pour effet d’invalider ‘hypoth~que. Nos lois sur 1’enregistrement, cr6es pour
prot~ger les tiers de bonne foi qui ont fait enregistrer le titre de leurs contrats
onereux, font qu’ici la priorit6 d’enregistrement prime la question de chose
jug~e.114
I1 faut toujours, 6videmment, dans ces cas, faire abstraction de la collusion
frauduleuse entre le d~biteur et le cr~ancier hypothcaire, auquel cas le jugement
d’annulation lui serait directement opposable, si on a pris soin de le mettre
en cause. Mais c’est s’6loigner ici de la chose juge, pour n’apprcier la situation
que sous l’angle de F’action paulienne (art. 1032 et s., C. civ.).
La chose jugle au cas de solidarit6
Au cas de solidarit, Mignault enseigne” 5 que la chose juge A l’encontre
du d~biteur solidaire pent 6tre oppos6e au cod~biteur. II ne se fonde que sur un
prcedent isol6116 qui nous apparait difficilement admissible. Comment, en
effet, concevoir qu’un jugement rendu par d~faut, contre un seul des deux
d~biteurs solidaires, sur le serment du demandeur attestant de la reception d’un
acompte vers6 par ce d~biteur, puisse, comme c’Etait le cas en l’esp&e, constituer
chose juge contre l’autre d~biteur et l’emp~che de plaider prescription, en
niant la r~alit6 de ce versement? Ce serait apporter IA une singuli re aggravation
a la dette des d~biteurs solidaires. Aussi bien l’opinion contraire de Chauveau I” 7
nous semble devoir 1’emporter.
Le jugement qui condamne conjointement et solidairement plusieurs d&.
fendeurs A des dommages-intrts prononce sur leur obligation vis-i-vis de la
victime, et non sur leur part respective de responsabilit6, d’oa il r~sulte claire-
ment qu’il ne puisse y avoir chose juge entre les d~fendeurs A cet 6gard. 118
On se refuse m~me A admettre qu’un jugement allouant des dommages-intrts
a la victime par suite de la faute d’un seul des difendeurs poursuivis n’ait pas
force de chose juge a 1’6gard d’un recours intent6 par le d~fendeur condamn6
contre son cod~fendeur exon& pour se faire indemniser de ses dommages-
int~rts, en totalit& ou en partie. La jurisprudence, semble avoir consacr6
cette solution, 1″ 9 nonobstant qu’il ne faille peut-ftre voir lR qu’une invitation
“‘Decary v. Samson et Bricault dit Lamarche (1919) 29 B.R. 273, confirm6 en C. supr. (1921) 63 S.C.R.
11; dec. Payette pr&itie. V. aussi, sur I’effet de la resolution des contrats, Trudel, Traite de droit
civil du Qutbc, t. 7.
“‘Mignault, op. cit., t. 6, p. 112.
Ml6Alixe v. Boulais (1900) 7 R. de J. 70.
11 Chauveau, op. cit., no 89, pp. 80-2. V. aussi Langelier, op. cit., nos 182-3, pp. 77-8; mais comparer
aussi avec son Cours de droit civil, t. 4, p. 262.
118Sord Light and Power v. Chevrier (1921) 60 C.S. 376 (C. de rev.).
‘”Mills v. Cox (1906) 12 R.L. n.s. 522 (C. de rev.); (1905) 28 C.S. 375; Golet LtDie v. Rothstein et
Major [1958] B.R. 816. V. aussi M.T. Co. v. Guirard [1937] 3 D.L.R. 232; [1937] S.C.R. 76, a la p. 81.
McGILL LAW JOURNAL
(Vol. 9
au tribunal de simplement confirmer ou 6carter la dcision d’une cour de mexme
juridiction. Par ailleurs, au cas de solidarit6 la victime d’un accident ne saurait,
apr~s I’6chec d’une action en dommages-intrts intente contre un seul-de
deux d~biteurs solidaires, revenir i la charge, cette lois contre ‘autre, et vouloir
que le tribunal ignorit qu’une premiere decision a attribu6 l’accident a sa
seule faute.
La qualite’ des parties
II faut aussi, 1 propos de l’identit6 des parties, qu’elles aient agi dans les
deux instances “dans les m~mes qualit~s”. 2 0 On ne saurait aussi invoquer
l’autorit6 de la chose juge contre une femme poursuivant en qualite d’epouse
s~par~e de biens, apras le rejet d’une premiare action prise par elle en qualit6
de commune, 121 ou contre une mre poursuivant, en sa qualite de tutrice a son
enfant mineur, le d~fendeur en d claration de paternitY, apres le maintien de
son action personnelle pour frais de g6sine.’ 22
2. L’identit6 d’objet
L’objet dans une action, c’est le droit que le plaideur exerce; c’est le b6nefice
juridique immdiat qu’il veut faire reconnaitre par le tribunal.
Aux fins de la chose juge, l’objet dans les deux causes doit etre rellement
identique du point de vue juridique. L’identite de chose on d’objet doit 6tre
l’identit6 de droit dans le litige. 12 L’identit6 mat~ielle des conclusions prises
dans les deux recours n’est pas ncessaire.124 Ce qu’il faut surtout rechercher
pour savoir s’il y a identit6 d’objet, c’est la r~alit& de la chose demand~e dans
les deux affaires, pourvu qu’il y ait un certain rapport, comme celui de la
partie au tout, entre chacun des objets rclam~s; 12
1 c’est de se demander, en
120Dorion v. Dorion (1890) 18 R.L. 645 (B.R.); inf. en Cour supr. mais non sur cc point de la qualit6
du demandeur; Heppel v. Billy (1888) 15 Q.L.R. 41; (1890) 19 R.L. 465 (B.R.): d’ailleurs nullit6
de plein droit des procedurcs prises par un incapable, en lPoccurrence un interdit et qui peuvent etre
reprises par son curaceur.
12 tBernier v. Gendron (1891) 17 Q.L.R. 377 (B.11.). Comp.: Brien v. Marchildon (1898) 15 C.S. 318
(C. de rev.).
“2Btreau v. Beland [1958] B.R. 324.
12SterenSon V. City of Montreal and White (1897) 6 B.R. 107, 1 la p. 113 confirm6 cn C. supr. (1897)
27 S.C.R. 593: action en annulation d’un r61e d’6valuation qui avait 6t6 precis6ment modifi6 cn
conformirt d’un premier jugement; Commissaires dicole de St-Raphael v. Toasignant (1897) 6 B.R. 270,
inf. (1897) 12 C.S. 457: demande d’annulacion d’un r6le de cotisation.
2’Arr. Stevenson, prcitE; Leger v. Fournier M.L.R. (1887) 3 Q.B. 124, confirm6 par (1888) 14 S.C.R.
314; (1887) 10 L.N. 324; inopposabilit6 de la chose jug&e au cas d’une difference substanticlle dans
les conclusions d;actions en exercice d’un droic de rimr; Arsenault v. Monette [1951) B.R. 372:
diffrencc dans les montants rclamrs dans les dcux actions (exception de litispendance).
luChauveau, op. cit., no 149, pp. 144-5 et nos 142 et s., pp. 137 e s.; Lureau v. De Beaufort (1883)
6 L.N. 251: saisies-revendications; contra, A propos d’une saisie-revendication: United Shoe Machinery
Co. v. Flibotte (1903)5 R.P. 333. Comp.: Ship v. Ganberg (1910) 16 R.L. 225 (C. de rev.): d6termination
finale de ]a valeur des effets sur la premiere procedure de saisie-revendication; Vachon v. Roy (1921)
32 B.R. 88: saisie-revendication autoris&e pour reprendre possession d’un objet mobilier que Ic d&-
fcndeur avait 66 condamn6 A remettre et qu’il voulait garder en diposant la somme d~tcrmincc
dans ]a conclusion subsidiaire.
No. 2]
L’AUTORITE DE LA CHOSE JL_’G 6E
d’autres termes, et suivant la formule classique, si le plaideur revendique le
m~me droit sur la m~me chose. I1 est 6vident, par exemple, que si le plaideur
demande un versement 6chu en vertu d’un acte declarE nul par la cour sur une
premiere action qui demandait un versement antrieur, il y a identit6 d’objet. 128
La cr~ance entire 6tait l’objet du premier litige. II en va de m~me pour la
partie qui invoque une clause d’un contrat pr6cdemment dclar6 nul. 127
II n’est donc pas ncessaire que les deux demandes concluent i des condam-
nations identiques; 12 8 il suffit que l’objet de la seconde action soit implicitement
compris dans l’objet de la premiere, 1” – qu’il s’agisse d’une demande d’intrts
produits par un capital dont le tribunal a jug6 de l’exigibilit6, 13 ou d’une
demande additionnelle de dommages faisant suite A un jugement ayant dej!
sanctionn6 une premiere demande du genre. 131
Ii en ira diffremment si la premiere action rclamait la propri~t6 de divi-
dendes dils sur certaines actions et que la deuxi6me poursuite rclame la pro-
priet6 d’autres actions semblables. 13- Pour que l’exception de chose juge ne
soit pas opposable, il suffit qu’il n’y ait pas identit6 dans l’objet de la demande,
bien que la cause juridique soit la m~me et que le r~sultat de la dernire r~cla-
mation doive exercer quelque influence sur l’6tendue de la condamnation d~ji
prononc~e. 133 C’est ainsi qu’un jugement accordant une demande en revendi-
cation ne justifie pas une exception de chose jug6e
l’encontre d’une action
directe forme par le demandeur qui, en excipant de son droit de retention, a
omis par erreur, de rclamer une partie de sa cr~ance. 134
L’identitE d’objet consiste, en somme, dans l’identit6 du fond meme des
litiges, 115 de sorte que le tribunal saisi de la question en second lieu n’aura
d’autre alternative que de confirmer le jugement ou juger en sens contraire, 16
‘2 ‘Syndics de Lacolle v. Duquette (1871) 15 L.C.J. 304; 22 R.J.R.Q. 142 ou 523: cotisation d’iglise.
Comp.: Sait v. Nield (1874) 7 R.L. 224: decision de la Cour suprieurc que Mignault, op. cit., t. 6,
p. 106 juge erron~e.
127Hftu v. Chalifoux (1906) 13 R.J. 227.
12STrust and Loan Co. v. Courville (1918) 24 R.L. n.s. 489: simples modifications dans la presentation
de conclusions en nullit d’une vente judiciaire.
t2 5Mignault, op. cit., t. 6, p. 105; Ville de Chateauguay v. Vigneault (1925) 27 R.P. 205 (B.R.): de-
mande d’int&&cs ct droit d’appel.
‘”0 Langelicr, op. cit., no 198, p. 84 ct son Cours de droit civil, t. 4, p. 266.
I1lCitl de Montrial v. MacGee (1900) 30 S.C.R. 582 ct A propos de cet arr&t, Chauveau, op. cit., no
150, pp. 146-7 ct Rodys, Traiti de droit civil du Quibec, t. 15, p. 366.
1’2Holmes v. Carter ou sub nominis Muir v. Carter (1889) 16 S.C.R. 473, (1889) 12 L.N. 75, 339.
“‘Fortin v. Imperial Assurance (1932) 38 R.L. n.s. 208; (1928) 66 C.S. 161.
13Dc. Fortin, prcit&e.
1IsEllard v. Millar (1930) S.C.R. 319; Lafleur v. LiZotte (1942) 46 R.P. 102; [19441 C.S. 288: jugement
d’annulation d’un testament pour cause d’aliknation mentale servant, dans une autre cause entre
les m~mes parties, a l’annulation d’une donation pass&e le m~me jour; Banque d’Hochelaga v. Auger
(1925) 39 B.R. 288.
13 Gallichand v. Huart (1923) 62 C.S. 178: un jugement qui accucille partiellement une action en
execution d’une obligation exclut une demande en dommages-intrts pour inex~cution de l’obli-
gation.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 9
“en affirmant un droit nit, ou en niant un droit affirm par la prcedente dci-
sion”, selon le langage de Lacoste.13 7
3. L’identit6 de cause
La cause est la source jutidique de 1’obligation. C’est le fait juridique qui
sert de fondement au droit rclam6, tels le contrat, le quasi-contrat, le d~lit ou
le quasi-d~lit ou au moyen de fond soulev6 par la defense, novation, prescription,
etc., et tendant A faire Ecarter le recours. Cette identit6 de cause13 est necessaire
en matire relle comme en mati&re personnelle. 139 Ainsi un jugement rendu
sur une action en bornage ne constitue pas chose juge A l’encontre d’une action
ptitoire et en demolition de constructions 6riges sur le terrain d’autrui. 14 0
II ne faut pas que les causes servant de fondement aux droits reclam6s et
que l’on invoque successivement, s’excluent les unes les autres, soient incom-
patibles. 141 Mais, par ailleurs, dans les actions en nullit6, des causes de meme
nature peuvent-elles
tre invoques successivement? Nous ne le croyons pas. Un
contrat est annulable pour vices de consentement consistant, disons, dans Ic
dol et 1’erreur. Est-il possible apr~s la perte d’un recours en annulation du
contrat pour motif de dol, de prendre une seconde action fond6e cette fois sur
1’erreur ayant aussi entach6 le consentement? Langelier r~pond dans l’affirma-
tive, 142 mais nous pensons que la solution contraire est preferable. On ne peut
diviser ses recours de pareille fa~on pour, en somme, faire valoir la mame cause
juridique, qui est le vice du consentement. Ne peut-on de plus, invoquer la
disposition contenue i ‘art. 87 C. proc. civ.? De semblable fagon, un defendeur
est tenu de produire dans sa d~fense tous les moyens qu’il a pour repousser
l’action, car, faute de le faire, le jugement qui le condamne decide implicitement
qu’il n’en a aucun pouvant le librer. 143 La solution devrait 8tre la mame, selon
nous, pour les actions fondes sur un quasi-d~lit. Nous ne saurions souscrire
A la these de la jurisprudence frangaise qui “permet A la victime d’un accident
dont la demande d’indemnitE, fonde sur une faute, a 6t6 rejete de la renouveler
en invoquant une pr~somption de responsabilitF”.1 4 Il y a ici une cause unique
qui est la faute civile, qu’elle soit pr~sum& ou A prouver. La pr6somption de
faute ne sert qu’A faciliter les choses A la victime dans sa recherche d’une respon-
’37Cid de Livis v. Seminaire de Quibec [1928] S.C.R. 187, conf. (1928) 44 B.R. 165.
‘3 t Huberdeau v. Hardy (1921) 32 B.R. 130: promesse de vente e billet.
“5’Delorme v. Cusson (1897) 28 S.C.R. 66, inf. (1897) 6 B.R. 202, qui infirme 10 C.S. 329. Comp.:
Price v. Price (1901) 8 R. de J. 190, confirm6 en revision: jugement au possessoire.
14GArr. Delorme, pr6cit6: 6galement non identit6 de l’objet. Sur la chose jug~e dans les actions en
bornage, cf. Mercier v. Barrette (1895) 25 S.C.R. 94; et Forcier v. Coderre (1935) 58 B.R. 364.
‘4 ‘Mignault, op. cit., t. 6, p. 107, qui en donne un exemple tir6 de Fart. 1467 C. civ.
14 2Cours de droit civil, t. 4, p. 264 et De la Preure no 208, pp. 87-8. En cc sens 6galement: Chauveau,
op. cit., nos 129 et s., pp. 117 et s.
513Krauss v. Michaud (1920) 58 C.S. 52 (C. de rev.) (app. rejet en C. supr. pour d~faur de juridic-
tion, (1917) 59 S.C.R. 654): cc jugement a Yautorit& de la chose jug&e sur les moyens que Ic d6fendeur
n’a pas soulev~s comme sur ceux qu’il a invoqu~s.
144Aubry et Rau, op. cit., 6i~me 6d., t. 12, paragraphe 769, p. 364, note 168.
No. 2]
L’AUTORITE DE LA CHOSE JUGEE
sabilit& du d~fendeur. Elle n’a qu’! invoquer simultan~ment, l’un i titre
subsidiaire, ces deux moyens de parvenir i ses fins. Toute solution contraire
est un encouragement 1 la multiplication des litiges.
On distingue du problkme de la cause celui du choix entre deux recours,
1’exercice de l’un signifiant l’6puisement du droit d’option. L’acheteur d’une
chose entach& de vices caches a le choix de la rendre et de s’en faire restituer
le prix, ou de la garder et de se faire rendre une partie du prix selon 6valuation
(art. 1526 C. civ.). Le jugement rendu sur l’une de ces deux demandes empche
l’autre recours.1 45
La distinction entre la cause juridique et les simples moyens
La cause de l’obligation diffire, bien entendu, des moyens de preuve ou
autres utilis~s pour faire triompher le droit r&lamL La loi n’exige pas l’identit6
des moyens.146 Le plaideur ne peut se reprendre en invoquant l’oubli d’un
moyen de preuve147 ou d’un bon argument juridique. 148
La d&ouverte d’une nouvelle preuve ouvre la porte 1 un recours extra-
ordinaire, qui est la requfte civile, mais non 1 une nouvelle action. On semble
faire exception pour les quittances qu’on permet de produire i 1’encontre d’une
saisie, mme si elles n’ont pas 6t invoqu&s lors de la contestation de Paction.14
C’est peut-8tre n’admettre alors la demande en r~p~ition qu’A titre d’6quivalent
de la requ~te civile. 150
Les moyens de fond sont 1’6quivalent de la cause juridique. -C’est ainsi
qu’on ne peut opposer la chose jug& i une nouvelle action en dissolution de
soci&6t bas& sur de nouveaux moyens de fond (fraude et mauvaise adminis-
tration). 5 ‘ I1 faut bien admettre, cependant, que la ligne de demarcation
entre les moyens de fond 6quivalant A la cause juridique et les simples moyens
invoqu~s au soutien d’une action ou d’une defense, est assez imprecise. On doit
toujours en venir, en appr&iant ensemble
‘objet et la cause, A se demander
si la question soulev~e est diffrente ou non.
545Pothier, Obligations, Ed. Bugnet, t. 2, no 898, citE par les codificateurs; Delorimier, op. cit., t. 9,
p. 608.
‘4tLacoste, op. cit., no 390, pp. 146-7; Roberge v. Corp. de la paroisse dc St-Viateur (1930) 68 C.S. 346:
dermande en nullit d’un proc&s-verbal relatif A un cours d’cau, form&e apris un jugement qui a rejet
une demande de msme nature.
147Lemay v. Gagnon (1919) 57 C.S. 93 (C. de rev.): omission d’all~guer un pror&; Schulman v. National
Public Finance (1934) 57 B.R. 34: d6faut d’un jugement antfrieur contre l’un des souscripteurs d’un
billet.
548St-Onge v. Municipal Court of the City of Westmotnt [1959] C.S. 503: jugement refusant 1’6mission
d’un bref de certiorari.
‘”Cornell v. Ricahrd (1878) Ramsay’s App. Cases, col. 613; (1878) 1 L.N. 471. Rohdt v. Gagnon
(1888) 11 L.N. 186: quittane servant de base A one action en ptition; cause cit& par Mignault,
op. cit., t. 6, p. 112, note (a), qui ne semble pas approuver certe d&ision.
‘”t Comp. Chauveau, op. cit., nos 162-3, pp. 155-8.
5’5 Mendelsohn v. Mendell (1927) 33 R.L. n.s. 470.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 9
Les effets de la chose jugge
Nous avons vu en 6tudiant la nature et le fondement de l’autorit6 de la
chose jug& que le lMgislateur avait, de fa~on arbitraire, fait de la chose jug6e
une pr~somption l~gale de la v~rit6 judiciaire attache A la decision, m~me si,
en fait, cette derni~re puisse 8tre erron~e. L’effet primordial de la chose jug~e
jug6. Elle n’admet
est d’interdire aux parties de remettre en cause ce qui a 6t
aucune esp&e de preuve A ‘encontre, 15 2 m~me pas par I’aveu de la partie ad-
verse.15 La chose jug& fera, de la sorte, efficacement &hec ‘ des appels d~guis6s
ou a des recours contre les jugements d6finitifs, camoufl~s sous la forme d’action
en annulation de jugement, 154 de contestation de projet de collocation prepare
A1 la suite d’un jugement ayant prononc6 sur la qualit6 d’un heritier l~gitime, 1″6
d’opposition afin d’annuler, fond&s sur une interpretation errone de Part.
645 C. proc. civ. 156 L’exception de res judicata sera donc fatale A la partie
adverse, si le juge ladmet apras avoir compar6 les deux actions ou les deux
d~fenses.157 En effet, n’importe laquelle des parties, demanderesse ou d’fen-
deresse,15 s peut invoquer la chose jug& en sa faveur; la partie meme contre
qui elle existe peut l’invoquer. 15 9 Un d~biteur, par exemple, poursuivi par le
cessionnaire d’un jugement rendu contre lui et devenu executoire, peut demander
le rejet de cette seconde action, 160 le cessionnaire du jugement pouvant en
poursuivre 1’ex&ution au nom du c6lant.161 La Couronne peut aussi se voir
opposer la chose jug&e. 16 – Cette derni~re s’impose aussi an juge qui a rendu la
decision et ne peut la r~tracter. Mais elle ne 1’emp~che 6videmment pas de
52Boisclair v. Lalancette (1882) 5 L.N. 266; 1 D.C.A. 289: refus d’une action en dommages contre
1
quelqu’un ayant obtenu jugement grace i un faux affidavit. Comp.: Collard v. Diamond & Langlois
[1946] C.S. 283: action dirccte en r~vocation d’un jugement obtenu par dfaut et grace A de fausses
d6clarations; Fulton v. Henault (1903) 5 R.P. 258 et Bernier v. Fournier (1934) 38 R.P. 108. V. I’article
d’Edmond Lareau sur L’action civile fond6e sur le faux timoignage” (1882) 4 La Th~mis 305
et Lortie v. Marien (1920) 23 R.P. 43 (C. de rev.).
“‘Chauveau, op. cit., no 6, pp. 10-11.
15 M oisan v. Rioux (1935) 73 C.S. 365: jugement autorisant licitation volontaire d’un immeuble;
Lacroix v. Poisson [1949] B.R. 474; comp. la dc. Collard, pr&ite.
‘mJones v. Fraser (1886) 13 S.C.R. 342; (1886) 12 Q.L.R. 327; (1885) 8 L.N. 178 et (1885) 13 R.L. 1,
sub nominis Fraser v. Pouliot et commentaires de Langelier, op. cit., no 193 pp. 81-2. V. aussi Farreau
v. White (1909) 37 C.S. 305; (1910) 38 C.S. 135 (C. de rev.).
“‘O’Shea v. Demica (1934) 38 R.P. 74; Avard v. Manseau (1932) 70 C.S. 318 (C. de M.); Paradis
v. Vitina (1907) 13 R.J. 466; Fournier v. Boily (1932) 38 R.L. n.s. 70.
‘”Forget v. Savard (1919) 56 C.S. 91 (C. de rev.); Lortie v. Marin (1920) 23 R.P. 43 (C. de rev.).
‘”‘Tessier v. Brossard [1955] B.R. 219: jugement ant~rieur ayant rejet une rclamation que la
partie cherchait 1 faire valoir de nouveau, cete fois en dMfense.
l’Chauveau, op. cit., no 126, pp. 114-5.
“Meilleur v. Wurtele (1891) 21 R.L. 326 (C. de rev.).
‘Savoie v. Rouleau et Cloutier (1926) 43 B.R. 79: one intervention du cessionnaire est n&essaire
s’il entend invoquer des moyens personnels pour repousser une contestation. Comp. Transportation
Bldg. v. Vipond (1937-38) 41 R.P. 303. V. aussi Blanger v. Caron (1940) 78 C.S. 429.
162Queen v. St-Louis (1897) 5 Ex. C.R. 330.
No. 2]
L’AUTORIT.E DE LA CHOSE JUGE
123
rectifier des erreurs de calculI63 ou d’Ecriture, 8 4 par application de l’art. 546 C.
proc. civ. La Cour supreme n’a-t-elle pas cru pouvoir elle-m~me ordonner la
correction d’une erreur dans la designation de certains immeubles, erreur
apparaissant 1 la dcision rendue par la Cour d’appel? 6 5
Enfin la chose juge est, comme moyen d’exception, imprescriptible 66 et
n’opare pas novation, 6 7 bien qu’il faille reconnaitre que les droits eux-m~mes
reconnus par le jugement s’6teindront par l’effet de la prescription trentenaire
attach~e aux jugements.
‘0 3Pringle v. Rex (1922) 33 B.R. 538.
‘6 Jacques v. Pare’ (1939) 66 B.R. 542, inf. (1939) 77 C.S. 261.
luprIvout v. Bedard (1915) 51 S.C.R. 629, mais avec deux dissidences; c’est Icslip order case.
lc’Chauveau, op. cit., no 165, pp. 159-160.
167Chauveau, op. cit., no 160, pp. 154-5.