Le contrcle judiciaire de la
constitutionnalite des lois
Grald-A. Beaudoin*
Ce texte a pour objet le contr6le judiciaire de la
constitutionnalit6 des lois. L’auteur explique d’abord en
quoi consiste ce contr6le, tout en d6montrant, par un
bref historique, l’importance du r6le de la Charte
canadienne des droits et libertes et de la Cour supreme
4 cet 6gard. L
texte aborde ensuite les difftrents
moyens de se pourvoir en inconstitutionnalit6, soit
‘exception d’inconstitutionnalit6, I’action declaratoire
en inconstitutionnalit6 et le renvoi ou la demande
d’opinion consultative. Lauteur est d’avis que,
comparativement A d’autres 9tats,
‘6tendue de ce
contr6le est considerable. Cela s’explique notamment
par le fait que le contrtle exere par la Cour supreme
s’dtend non seulement aux lois et aux projets de loi,
mais 6galement aux rdsolutions, ‘arrts en conseil,
decrets et conventions constitutionnelles.
En vertu de )’article 52 de la Loi constitutionnelle
de 1982, une loi frappe d’inconstitutionnalit6 devient
invalide et sans effet. Toutefois, en matiare de Charte, il
revient au tribunal de determiner l’dtendue de cette
incompatibilitd, notamment par l’utilisation des crit~es
flabords dans I’arrft Oakes. Le
tribunal dispose
dgalement d’une certaine latitude quant au remde a
appliquer dans chacune des situations, notamment par
l’utilisation de differentes doctrines d’interpretations
telles que
l’interprttation
attanude, la dissociation, la suspension d’invalidit6 et
l’exemption constitutionnelle. Ces doctrines
sont
bri~vement analyses par l’auteur A la lumitre des
arrets de principe 6noncds par la Cour supreme en cette
matiere. L’auteur conclut en rappelant l’importance du
contr6le de
lois pour
‘ensemble du processus judiciaire, de meme que la
place fondamentale qu’occupe la Cour supreme a cet
6gard dans notre systeme politique et juridique actuel.
la constitutionnalitd
l’interpretation
large,
des
the
different means
the control of
the
This article deals with
constitutionality of legislation
in terms of judicial
review. The author begins by explaining the scope of
the judiciary’s control, while demonstrating, through a
brief historical retrospective, the important roles of the
Canadian Charter of Rights and Freedoms and the
Supreme Court in defining this scope. Next, the article
examines
obtaining
constitutional redress, namely by collateral attack,
declaratory action, and by reference or request for an
advisory opinion. Compared to other countries, the
author suggests that the power of judicial review in
Canada is considerable. This is because the control
exercised by the Supreme Court deals not only with
laws and bills, but extends to parliamentary resolutions,
council hearings, and constitutional decrees and
conventions.
of
a
is
law
struck down
Article 52 of the Constitution Act, 1982 is the
basis on which
for
unconstitutionality and is declared invalid and of no
effect. The Charter, however, is the tool with which the
judiciary determines the extent of this incompatibility,
namely through the application of the Oakes test. The
judiciary has a range of remedial options to resolve
different situations
in terms of applying different
doctrines of interpretation including reading-in, reading-
down, severance, and constitutional exemptions. These
doctrines are analyzed briefly in light of the relevant
jurisprudence at the Supreme Court level. Finally, the
author reminds us of the importance of judicial review
as a part of the overall judicial process, as well as the
fundamental role of the Supreme Court in our current
political-juridical system.
Membre du S6nat canadien. Ce texte est une version remani6e de ‘allocution du sdnateur 4 la
Conference annuelle de la Revue de droit de McGill, le 21 mars 2003.
Revue de droit de McGill 2003
McGill Law Journal 2003
Mode de rfrence : (2003) 48 R.D. McGill 325
To be cited as: (2003) 48 McGill L. 325
326
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 48
Introduction
I. Moyens de se pourvoir en inconstitutionnalit6
II. L’6tendue du contr6le de la constitutionnalit6 des lois
Ill. Les effets du contr6le de la constitutionnalit6 des lois
A. Le caract~re inop6rant des dispositions incompatibles
avec la Charte
B. Les doctrines d’interpr6tation
1. Linterpr~tation large
2. L’interpr~tation att~nude
3. La dissociation
4. La suspension d’invalidit6
5. L’exemption constitutionnelle
Conclusion
327
329
333
334
337
337
337
338
338
339
340
2003]
G.A. BEAUDOIN – L4 CONSTITUTIONNALITE DES LOIS
327
Introduction
L’objet de
la conference d’aujourd’hui est
le contr6le judiciaire de la
constitutionnalit6 des lois. Dans un pays comme le n6tre, ce contr6le revt une
importance fondamentale, notamment depuis l’av~nement de la Charte canadienne
des droits et libertis’ en 1982.
En premier lieu, j’entends expliquer en quoi consiste le contr6le de la
constitutionnalit6 des lois en examinant particuli~rement quels sont les moyens de se
pourvoir en inconstitutionnalit6. Je discuterai par la suite de l’6tendue de ce controle,
ce qui nous permettra d’en r6aliser les effets concrets. Je traiterai enfin bri~vement des
doctrines d’interpr6tation 61abor6es par la Cour supreme du Canada au fil des arrts
qu’elle a rendus.
Le contr6le de la constitutionnalit6 des lois au Canada est bien 6tabli et remonte
plus d’un si~cle. I1 a 6 exerc6 dans des arr~ts souvent tr~s c61 bres, et dont la port6e
dure encore aujourd’hui. Notre Cour supreme, tout comme la Cour supreme des
ttats-Unis depuis le tr~s c61 bre arrt Marbury v. Madison’, est la gardienne de la
Constitution. Ces cours assurent toutes deux le respect du partage des comp6tences
entre les deux ordres de gouvemement dans leur f6d6ration respective, et elles se
prononcent sur l’addquation des lois avec la Charte constitutionnelle des droits
enchssde dans la Constitution de l’un et l’autre I9ta. Dans ces deux pays, les arrets
sur la Charte sont d’ailleurs de plus en plus nombreux, mais contrairement A ce qui se
passe au sein de la r6publique voisine, notre Cour supreme continue ndanmoins de
‘Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada
(R.-U.), 1982, c. 1I [Charte].
2 Voir, notamment Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [19851 1 R.C.S. 721, 19
D.L.R. (4C) 1 [Renvoi Manitoba]. Cet arrt fit le tour du Commonwealth. On lira avec intdret sur la
question du contr6le de la constitutionnalitd des lois l’ouvrage de Barry L. Strayer, The Canadian
Constitution and The Courts: The Function and Scope of Judicial Review, 3 &l., Toronto,
Butterworths, 1988.
5 U.S. (1 Cranch) 49, 2 L. Ed. 60 (1803) [Marbury].
Voir inter alia l’affaire Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, 11 D.L.R. (4) 641 ; Renvoi
Manitoba, supra note 2 ; Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, 110 D.LR. (4e) 470 ; Cooper c.
Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, 140 D.L.R. (4e) 193 ; Renvoi
relatif b la rimunration des juges de la Cour provinciale de lle-du-Prince-tdouard, [1997] 3
R.C.S. 3, 150 D.L.R. (4) 577 [Renvoi relatif a la rnumdration des juges] ; Eldridge c. Colombie-
Britannique (PG.), [1997] 3 R.C.S. 624, 151 D.L.R. (4e) 577; Renvoi relatif a la secession du
Quebec, [1998] 2 R.C.S. 217, 161 D.L.R. (4e) 355 [Renvoi sur la secession avec renvois aux R.C.S.]
kbtats-Unis d’Amirique c. Bums, [2001] 1 R.C.S. 283, 195 D.L.R. (4e) 1.
Voir G6rald-A. Beaudoin, Leffderalisme au Canada, Montral, Wilson & Lafleur, 2000 A la p. 43
[Beaudoin, Fid6ralisme].
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 48
connaitre un bon nombre de conflits sur le partage des pouvoirs, et rien ne laisse
pr6sager qu’il en sera autrement dans les ann6es A venir .
Le pouvoir judiciaire canadien est fort et ind6pendant. Si, dans notre syst~me
parlementaire, le pouvoir exdcutif et le pouvoir 16gislatif s’entrecroisent souvent, et
mEme si l’excutif domine nettement le 16gislatif lorsque le gouvemement est
majoritaire, la situation est toute autre en ce qui conceme le pouvoir judiciaire, qui lui
est bel et bien s6pard et ind6pendant des deux autres’.
Le contr61e de la constitutionnalit6 des lois au Canada remonte meme au-delA de
l’6poque oii notre pays a 6pousd la forme f6d6rative de gouvernement en 1867. Nous
avions en effet ddjA en vigueur, en 1865, une loi britannique qui exigeait que les lois
du Canada soient conformes aux lois britanniques sous peine d’6tre d6clar6es nulles et
inop6rantes’. La Cour supreme, quant A elle, n’existe que depuis 1875, et le Comit6
judiciaire du Conseil privd a longtemps W notre tribunal de demier recours. Ce n’est
qu’en 1949, lorsque les appels A ce tribunal furent abolis, que notre Cour supreme est
vraiment devenue supreme. Le Comit6 judiciaire du Conseil privd s’est prononc6 A
120 reprises sur le partage des pouvoirs, et notre Cour supreme a rendu, de 1875 A
aujourd’hui, un grand nombre d’arrets sur le meme sujet. Mais surtout cette meme
Cour a 6galement rendu pas moins de 450 arrets sur la Charte depuis son
enchassement dans la Constitution en 1982. Ce pouvoir d’intervention judiciaire
provient en grande partie de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982′, qui
d&lare que la Constitution du Canada est la loi supreme du Canada, et qu’elle rend
inoprantes les dispositions incompatibles de toute autre regle de droit. Cet article a
un caractere imp6ratif; un tribunal qui arrive A la conclusion qu’une disposition ne
respecte pas la Constitution doit la d6clarer inop6rante’.
6 Voir un article du professeur Peter W. Hogg,
Supreme Court of Canada, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 1986,25 A lap. 34.
Voir Beaudoin, Fddiralisme, supra note 5.
Colonial Laws Validity Act, 1865 (R.-U.), 28 & 29 Vict., c. 63, art. 2.
9 Loi constitutionnelle de 1982, art. 52, constitutant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-
U.), 1982, c.ll.
‘0 Je suis d’accord avec le professeur Fremont sur cette question quand il 6crit (Jacques Fremont,
oLes tribunaux et la Charte : le pouvoir d’ordonner la d6pense de fonds publics en mati~res sociales
et 6conomiques
(1991) 36 R.D. McGill 1323 aux pp. 1325-26):
La simple lecture de J’article 52 rdv~le que la cour ne poss~de aucune discretion dans
les cas oji il y a violation d’une disposition constitutionnelle. L’inconstitutionnalit6 doit
obligatoirement 6tre d6clar6e et le caract6re inop6rant d6coule alors n6cessairement de
cette non-conformit6 avec les normes constitutionnelles, selon les termes explicites de
l’article 52,
Le caractre imp6atif et non discr6tionnaire d’une telle d6claration s’impose en
vertu du principe de la supr6matie des normes constitutionnelles ; il serait en effet
2003]
G.A. BEAUDOIN – LA CONSTITUTIONNALITE DES LOIS
Dans ses premiers arrts sur la Charte, la Cour supreme du Canada a eu
l’occasion de se prononcer sur la port~e de ce texte constitutionnel”. Elle a su bien
6tablir la base du contr6le de la constitutionnalitd et, dans Law Society of Upper
Canada c. Skapinker, elle n’a pas manqu6 de faire un parallle avec le contr6le de la
constitutionnalit6 des lois aux Ittats-Unis depuis l’arr~t Marbury”. Remarquons en
passant qu’en 1803, dans ce dernier arr&, la Cour supreme des ttats-Unis cria de
toutes pices le contr6le judiciaire des lois, sous l’inspiration du tr~s grand juge en
chef John Marshall. Cette <
C’est ce dernier arrat qui 6tablit le locus standi pour l’action ddclaratoire en
inconstitutionnalitd. I1 est A noter qu’une compagnie peut aussi
soulever
l’inconstitutionnalit6 d’une loi”. Par ailleurs, m~me lorsque la qualitd pour agir de l’une
des parties est mise en cause, la cour conserve le pouvoir de trancher le d6bat. En effet,
selon l’avis du juge Sopinka:
Mentionnons enfin que les r~gles des tribunaux et certaines rfgles Igislatives
obligent la partie qui soul~ve l’inconstitutionnalit6 A en donner avis aux procureurs
SL.R.C. 1985, c. C-46.
6 Voir R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30,44 D.L.R. (4′) 385 [Morgentaler].
R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985) 1 R.C.S. 295, 18 D.L.R. (4f) 321 [Big M Drug Mart)
(
” [1975] 1 R.C.S. 138, 43 D.L.R. (3e) 1. Le juge Laskin 6crit A lap. 161 : (A mon avis, la qualit6
pour agir d’un contribuable f6d6ral qui cherche contester la constitutionnalit6 d’une loi f6d6ale est
une mati~re qui relive parficulirement de 1’exercice du pouvoir discr6tionnaire des cours de justice […]>.
” [1976] 2 R.C.S. 265, (1975) 55 D.L.R. (3e) 632. La Cour remarque A la p. 271 :
20 [1981] 2 R.C.S. 575, 130 D.L.R. (3e) 588 [Borowski].
2Ibid. A la p. 598,
2 Voir Big M Drug Mart, supra note 17.
21institut professionnel de la fonction publique du Canada c. Territoires du Nord-Ouest
(Commissaire), [1990] 2 R.C.S. 367 A la p. 400,72 D.L.R. (40) 1.
2003]
G.A. BEAUDOIN – LA CONSTITUTIONNALIT- DES LOIS
g6n6raux concern6s’. De plus, la Cour supreme peut permettre, A sa discr6tion,
l’intervention d’autres parties int6ress6es au d6bate.
Le troisi~me moyen est le renvoi ou la demande d’opinion consultative. Un
gouvernement provincial peut ainsi r6f~rer A sa Cour d’appel une question de droit
constitutionnel pour avis consultatif. Le gouvemement fdd6ral peut quant A lui
s’adresser directement A la Cour supreme du Canada pour obtenir pareil avis. L’article
55 de la Loi sur la Cour supreme’> pr6voit en effet que le gouverneur g6ndral en
conseil peut soumettre A la Cour supreme une question importante de droit ou de fait
qui int6resse la Constitution pour audition et examen. La Cour a alors le devoir de
l’entendre, de l’6tudier et d’y r6pondre. La Cour transmet ensuite au gouvemeur
l’appui. Notons que cette question peut
g6n6ral son opinion certifide avec raisons
aussi porter sur une loi ou un projet de loi.
A ce sujet, l’article 56 de la Loi sur la Cour supreme d6clare que la Cour
supreme, ou deux de ses juges, doit 6galement examiner tout projet de loi privd fourni
pour opinion A )a Cour, par le S6nat ou ]a Chambre des communes 7. Ce privilege
surprend d’ailleurs fort peu, puisque dans i’affaire Ontario (PG.) v. Canada (PG.)”,
le Comitd judiciaire du Conseil privd confirma que le Parlement du Canada avait la
comp6tence 16gislative voulue pour l6gif6rer sur la demande d’avis consultatif A la
Cour supreme. Enfin, ‘article 37 de la Loi sur la Cour supreme permet d’en appeler
le
de
gouvernement de la province concem6e, seulement toutefois si la province a pr6vu
dans l’une de ses loi qu’un tel avis est susceptible d’appel t la Cour supreme .
l’opinion consultative d’une Cour d’appel provinciale consult6e par
Mme si thdoriquement, l’opinion consultative de la Cour ne lie pas les parties ,
on considre g6n6ralement qu’elle a la force d’un jugement’. Ainsi, dans un litige r6el
Voir un article de Gil R6millard,
3″ A cet 6gard, voir notamment Renvoi anti-inflation, supra note 25 ; Renvoi Manitoba, supra note
2 ; Renvoi relatifau rapatriement de la Constitution, [1981] I R.C.S. 753, 125 D.L.R. (3′) 1 [Renvoi
sur le rapatriement avec renvois aux R.C.S.] ; Renvoi relatif 4 l’opposition t une resolution pour
modifier la Constitution, [1982] 2 R.C.S. 793, 140 D.L.R. (3 ) 385 ; Renvoi sur la secession, supra
note 4.
” Ontario (PG.) v. Hamilton Street Railway, [1903] A.C. 524, 7 C.C.C. 326 ,(PC.). Sur les
questions trop abstraites voir Ontario (PG.) v. Canada (PG), [1916] 1 A.C. 598 (P.C.). Dans l’affaire
McEvoy c. Nouveau-Brunswick (PG.), [1983] 1 R.C.S. 704, 148 D.L.R. (3e) 25 [McEvoy avec
renvois aux R.C.S.], la Cour d~clare A lap. 714:
Dans deux cas, soit le Renvoi relatifau Sdnat et l’affaire de I’nergie hydraulique, la
Cour a refus6 de rdpondre A des questions soumises par le gouvemement f&drral; dans
un autre cas, I’affaire des ecoles montrialaises, la Cour a refusd de r~pondre
une
question qu’un gouvemement provincial avait soumise
la Cour d’appel de )a
province; dans le quatri~me exemple, la Cour a refuse de rdpondre A une question dont
elle avait 6t6 saisie par la Commission des chemins de fer.
3, Voir par ex. McEvoy, ibid. aux pp. 714-15: (
Les mots <
Pigeon 6crivait :
D’apr~s le texte frangais prcit6 du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle
de 1982, au Canada, une loi inconstitutionnelle est d6clar6e
qu’invalide [le texte anglais dit:
&quivaut A une d6claration d’invalidit6. Les seuls cas o4 il peut y avoir une
loi f6drale
distinction A’ 6tablir sont ceux oil, exceptionnellement, une
loi
subs6quente peut rendre entirement ou partiellement
provinciale valide 4 l’origine. Mais, dans tous les cas, il s’agit, A l’6gard de la loi
inop6rante, une
> (R,-U.), 33 Vict., c. 3 reproduite dans L.R.C. 1970, app. 11, n’ 8.
>2 Voir Bertrand c. Dussault, (30 janvier 1909) (C.S. Man.), reproduit dans Re Forest and Court of
Appeal (Man.) (Registrar) (1977), 77 D.L.R. (3e) 445 aux pp. 458-62 (Man. C.A.), 35 C.C.C. (2e)
497 ; Pellant c. Hibert (9 mars 1892) (C.S. Man.), reproduit dans (1981) 12 R.G.D. 242. Ces deux
arrets sont cit6s dans Renvoi Manitoba, supra note 2.
” P.L. 178, Loi modifiant la Charte de la langue frangaise, 2* sess., 33′ 16g., Qu6bec, 1988
(sanctionn6 le 22 d6cembre 1988), L.Q. 1988, c. 54 [Loi 1781.
P.L. 86, Loi modifiant la Charte de la langue franfaise, 2′ sess., 34′ 16g., Qu6bec, 1993
(sanctionn6 le 18 juin 1993), L.Q. 1993, c. 40 [Loi 86].
” Au sujet de la 16gitimitn6 du contr61e judiciaire de la constitutionnalit6 des lois et de la justification
au Canada, voir notamment Phillip Zylberberg, <
Benyekhlef,
sous le rigime de la Charte, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 1991.
336
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 48
en cause, d’une privation complte d’effet juridique et non pas d’effet pratique
[notre traduction] .
L’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 est un article capital de notre
Constitution y assujettissant toutes les lois sous peine d’invaliditd. C’est dans l’arr&
Schachter c. Canada”7 que la Cour supreme r6v~la la porte de cet article. Elle estima
d’abord que l’article 52 confere une certaine latitude aux tribunaux quant aux mesures
correctives qu’ils peuvent apporter A l’dgard d’une disposition incompatible avec la
Charte. Le juge en chef Lamer s’exprimait ainsi:
,Selon les circonstances, un
tribunal peut simplement annuler une disposition, il peut I’annuler et suspendre
temporairement l’effet de la d6claration d’invaliditd ou il peut appliquer les techniques
d’interpr6tation att6nu6e ou d’interpr6tation large>5″. I1 poursuit ensuite en donnant la
mesure de l’article 52:
L’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 n’a pas pour effet de
restreindre le tribunal At l’examen du libelld
employd par le lgislateur lorsqu’il
determine l’incompatibilit6 entre une Ioi et la Constitution. L’article 52 ne
precise pas que les termes d’une loi qui sont incompatibles avec la Constitution
sont inop~rants. 11 prdcise que la Constitution rend inoprantes les dispositions
incompatibles de toute autre r~gle de droit. Par consequent, l’incompatibilit6
peut s’entendre tant de ce qui a 6t6 omis du libeIll de la loi que de ce qui y a W
inclus 4 tort ‘.
Autrement dit, lorsqu’une disposition est jugde inconstitutionnelle ou contraire A
la Charte, le tribunal doit alors d6terminer l’dtendue de l’incompatibilit6. I s’agit de
la premiere 6tape. Cette 6tendue peut 6tre qualifi6e de trois faqons : large, dtroite ou
avec souplesse. Ces trois faqons correspondent g6n~ralement aux trois grands
crit~res de l’arrt R. c. Oakes6’ : le crit~re de l’objet, le critre du lien rationnel, et le
crit~re de l’atteinte minimale ‘ . En principe, la partie incompatible de la loi au de ]a
disposition doit Wtre interpr6t6e largement ; ii y a une pr6somption 4 l’effet que la loi
sera invalide dans sa totalitd si l’objectif qui la sous-tend est inconstitutionnel9 .
Ensuite, dans 1’6tude du crit~re du lien rationnel, la partie A invalider sera seulement
celle ne respectant pas ce crittre, et non pas toute la loi ou toute la disposition donn6e,
Pigeon, supra note 47 A la p. 999. Voir aussi Pierre-Andr6 C6t, oLa pr~s6ance de la Charte
canadienne des droits et liberts> (1984) 18 R.J.T. 105; Pierre-Andr6 Ct6,
455. Voir aussi Hugo Cyr,
43 R.D. McGill 565.
S[199212 R.C.S. 679, 93 D.L.R. (4e) I [Schachter avec renvois aux R.C.S.].
58Ibid. A la p. 695.
99Ibid. a la p. 699.
Ibid. A la p. 718.
[1986] I R.C.S. 103, 26 D.L.R. (4e) 200 [Oakes avec renvois aux R.C.S.I.
6 Le juge La Forest et le juge L’Heureux-Dub6 ne sont pas d’accord avec cette qualification. Voir
Schachter, supra note 57 il la p. 729.
“‘ Ibid. A la p. 703.
2003]
G.A. BEAUDOIN – LA CONSTITUTIONNALITE DES LOIS
selon le cas. Le tribunal poss~de toutefois plus de latitude si la disposition contest6e
ne respecte pas le crit~re de l’atteinte minimale. I1 pourra alors l’annuler, la dissocier
ou l’interprdter de fagon large, selon le cas6 .
H faudra ainsi, en deuxi~me 6tape, d6terminer laquelle de ces solutions privil6gier.
X cet 6gard, plusieurs facteurs seront pris en consid6ration: la mesure corrective,
l’ing6rence dans l’objectif 16gislatif, le changement de sens du reste du texte et le sens
de la portion restante ‘. Cependant, il faut bien prdciser que ces critres ne sont pas
fixes ou rigides. Comme l’6crit l’ancien juge en chef Lamer :
Je tiens A pr6ciser que ces propositions ne sont que des lignes directrices
destin6es A aider les tribunaux h d6terminer quelle sera la solution la plus
appropri~e en vertu de I’art. 52 ; elles ne se veulent pas des rngles rigides qui
doivent etre appliqu6es ind6pendamment des faits’.
Enfin, A la troisi~me 6tape, le tribunal devra se demander s’il est approprid ou non
de suspendre temporairement l’effet de la d6claration d’invalidit6, mesure qui, comme
on le verra plus loin 7, ne peut 8tre exerc6e que dans des cas biens pr6cis.
A. Le caractere inopdrant des dispositions incompatibles avec la
Charte
Une disposition jug~e incompatible avec la Charte est d6clar6e inop6rante
conformdment au paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. La Cour
supreme a eu l’opportunit6, A plusieurs reprises, de rdpondre de cette fagon a des
problmes constitutionnels qui lui 6taient soumis. En fait, le paragraphe 52(1) autorise
explicitement le contr6le de la constitutionnalit6 des lois. Ce contr6le ne conduit
cependant pas A des d6cisions arbitraires, car les tribunaux peuvent moduler leurs
d6cisions de diff6rentes faqons et selon diverses doctrines d’interpr6tation, lesquelles
vont de l’interpr6tation large A l’interpr6tation att6nu6e, en passant par la dissociation
et l’exemption constitutionnelle.
B. Les doctrines d’interpr~tation
1. L’interprdtation large
L’interprdtation
la port6e d’une loi par
interpr6tation. Par exemple, dans ‘affaire Vriend c. Alberta “, la Cour supreme a constat6
que les mots <
L’interpr~tation large est donc utile pour assurer le respect des objets de la
Charte, et elle sert A r~duire l’ing6rence judiciaire dans les parties d’une loi qui ne
sont pas incompatibles avec celle-ci 9.
2. L’interprdtation attnude
C’est en pr6sence de deux interpretations possibles d’une loi, l’une incompatible
avec ]a Charte et l’autre compatible avec celle-ci, que l’interpr~tation attnu6e entrera
en jeu. Le tribunal favorisera alors l’interprdtation compatible avec ]a Charte, d’ob la
doctrine de ol’interpr6tation attdnu6e>>, qui est en fait une forme de retenue judiciaire.
La Cour supreme a eu l’occasion de recourir A l’interpr6tation att6nu6e notamment
dans les arrets Egan c. Canada” (droits
t 1’6galit6) et Delisle c. Canada (Sous-
procureur giniral)7′ (libertd d’association).
3. La dissociation
I s’agit d’une pratique courante en matire constitutionnelle, qui consiste a
retrancher une disposition
loi plut6t que d’invalider
compltement celle-ci. Cette doctrine de la dissociation diffhre selon qu’elle est
employ6e en mati6re de partage des pouvoirs ou de Charte, pr~cis6ment parce qu’elle
s’applique de fagon plus circonscrite en ce dernier cas :
inconstitutionnelle d’une
Schachter, supra note 57 A lap. 702. Ainsi, selon le juge en chef Lamer (ibid.):
[L]’interprdtation large devait 6tre reconnue comme une mesure corrective l6gitime
semblable A la dissociation et devrait pouvoir 6tre utilis~e en vertu de I’art. 52 dans les
cas oii elle constitue une technique appropriie pour satisfaire aux objets de la Charte et
r6duire au minimum l’ingdrence judiciaire dans les parties de la Ioi qui en soi ne sont
pas contraires t la Charte.
Voir, par exemple, les arrets Vriend, ibid. et R. c. Laba, [1994] 3 R.C.S. 965, 120 D.L.R. (4 ) 175.
la majorit6, interprt6 la notion de oconjoint>>
‘0 [1995] 2 R.C.S. 513, 124 D.L.R. (4e) 609 [Egan]. Dans ‘arret Egan, la Cour supreme du Canada
I’article 2 de la Loi sur la s6curitJ de la vieillesse
a,
(L.R.C. 1995, c. 0-9) de faqon att~nuie en la limitant aux conjoints mari6s ou vivant en union de fait
tout en excluant les conjoints vivant en union homosexuelle. Une telle distinction est constitutionnelle
et ni brime pas les valeurs de Charte, selon le juge La Forest.
71 [1999] 2 R.C.S. 989, 176 D.L.R. (4e) 513 [Delisle]. Dans l’arret Delisle, en estimant que I’alin~a
2d) de la Charte ne permet pas de former un type particulier d’association (en I’esp&ce, les policiers
de la Gendarmerie royale du Canada), la Cour supreme a pu conclure, i4 la majoritd, que 1’exclusion
des policiers de la GRC de la Loi sur les relations de travail dans lafonction publique (L.R.C. 1985,
c. P-35) ne contrevient pas A la Charte.
2003]
G.A. BEAUDOIN – LA CONSTITUTIONNALITE DES LOIS
[I]1 est logique de s’attendre que la technique de la dissociation soit utilis6e
plus frdquemment dans les diff6rends fond6s sur la Charte que dans ceux
portant sur
le partage des comp~tences. En mati~re de partage des
competences, la question de la constitutionnalitd n&cessite souvent un examen
global du caract~re v6ritable de la loi sur les droits individuels. Lorsqu’une loi
porte atteinte au partage des comp6tences, l’atteinte se retrouve gdn6ralement
dans l’ensemble de la loi. La situation n’est pas la meme dans le cas des
violations de la Charte,
la partie fautive se trouvant g6ndralement plus
circonscrite.
La dissociation est elle aussi une forme de retenue judiciaire, puisque le tribunal
n’invalide que la disposition fautive, tentant ainsi de preserver autant que possible
l’objectif lgislatif’. La mesure de l’incompatibilitd doit donc 8tre soigneusement
effectWe. C’est ce que fit la Cour supreme notamment dans l’arr& Quebec
Protestant School Boards’ et dans l’arr& Libman c. Qujbec (PG.)6 (loi r6f6rendaire).
Enfin, le changement de sens du reste du texte et de la portion restante, peuvent aussi
tre pertinents lorsque la doctrine de la dissociation est en cause.
4. La suspension d’invalidite
Un
tribunal qui declare inop~rante une disposition donnde peut suspendre
temporairement l’effet de cette d6claration. 11 ne peut cependant le faire que dans les
trois cas suivants : (1) l’annulation de la disposition pr6senterait un danger pour le
public”; (2) l’annulation de la disposition porterait atteinte A la primautd du droite’;
(3) la disposition en cause serait limitative plut6t que trop large”‘.
La suspension temporaire est une question fort importante qu’il ne faut pas prendre
A la 16gre car, pendant la dur6e de la suspension, le tribunal permet que se poursuive la
violation de la Charte. Pour cette raison, l’interpr6tation large devrait lui 8tre prf&6re
dans les cas appropri6s, car elle permet l’harmonisation imm&Iiate de la disposition avec
la Charte. De plus, la suspension temporaire constitue une forme d’empi~tement sur le
pouvoir 16gislatif. L’ancien juge en chef Lamer 6crivait sur ce point:
“Schachter, supra note 57 aux pp. 696-97.
Ibid. al p. 697.
7 Ibid.
Supra note 11.
‘6 (1997] 3 R.C.S. 569, 151 D.L.R. (4e) 385. En l’esloce, [a contestation des d6penses r6glement6es
de la Loi sur la consultation populaire (L.R.Q. c. C-64.1, ann. Z) 6quivalait en pratique A contester
l’ensemble de la loi. La Cour supreme a pris soin de n’invalider que les dispositions portant sur
l’interdiction des dpenses des tiers.
“R. c. Swain, [1991j I R.C.S. 933, 63 C.C.C. (3e) 481.
“Renvoi Manitoba, supra note 2.
Schachter, supra note 57 A lap. 715.
‘ Ibid. Alap. 716.
340
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 48
Suspendre l’effet d’une declaration d’invalidit6 entralne un renvoi de la question
au legislateur 1 un moment qu’il n’a pas choisi et lui impose de prendre des
mesures A l’int~rieur de delais qui ne seraient normalement pas les siens. I s’agit
IA d’un grave empietement sur l’institution qu’est le corps 16gislatifs’.
5. L’exemption constitutionnelle
La doctrine de l’exemption constitutionnelle entre en jeu lorsqu’une disposition
donnde a dt6 dtclar6e inconstitutionnelle et que la Cour, pour des raisons pratiques,
suspend temporairement sa d6claration d’invaliditd. Ainsi, un individu accus6 d’une
infraction subs&iuemment A une loi jugde inconstitutionnelle mais temporairement
maintenue en vigueur, pourrait demander une exemption constitutionnelle afin de ne
pas 8tre poursuivi.
Cette solution a W envisag6e par la juge McLachlin (tel qu’elle l’6tait A l’6poque)
dans l’arrt R. c. Seaboyer2, mais elle fut jugde inapproprite, notamment parce
qu’elle aurait eu pour effet de modifier la loi de faqon importante, et parce qu’elle
6tait tout simplement difficile d’application. La juge McLachlin a ntanmoins laiss6 la
porte ouverte A l’application de cette doctrine dans les cas appropris”>.
Dans l’arr& Rodriguez c. Colombie-Britannique (P.G.)’, l’ancien juge en chef
la doctrine de l’exemption
la port6e de
Lamer semble toutefois restreindre
constitutionnelle :
[Les exemptions constitutionnelles] peuvent 6tre accorddes uniquement
pendant la pdriode de suspension d’une ddclaration d’invalidit6. Dans ce cas, la
disposition est 6 [a fois invalidde et temporairement maintenue, ce qui rend
l’exemption constitutionnelle particulierement opportune et
limite son
Ibid. A la p. 717. La Cour supreme a eu recours A la suspension d’invalidit6 dans quelques
d6cisions dont: Renvoi Manitoba, supra note 2; Renvoi relatif g la rmuniration des juges, supra
note 4 ; R. c. Feeney, [1997] 2 R.C.S. 13, 146 D.L.R. (4) 609 ; R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, 125
‘arret Schachter, voir Jacques Fremont, La sanction des lois
N.R. 1. Au sujet de ]a portee de
inconstitutionnelles et la fonction l6gislative des tribunaux A ]a lumiere de I’arret Schachter dans
Droit de la personne : I’mergence de droits nouveaux: aspects canadiens et europgens : actes des
journes strasbourgeoises de I’Institut canadien d’dtudes juridiques sup6rieures, 1992, Cowansville
(Qc), Yvon Blais, 1993, 545 ; Nitya Duclos, oA Remedy for the Nineties: Schachter v R. and Haig
and Birch v. Canada>> (1992) 4 Const. Forum Const. 22; Ryan Rempel, ,The Possibilities of
Schachter: A Response to Professor Duclos
(1993) 4 Const. Forum Const. 106; R. Tass6 et L.
Tass6, Application de la Charte canadienne des droits et libertes dans Grald-A. Beaudoin et Errol
Mendes, dir., Charte canadienne des droits et libertis, 3e dd., Montreal, Wilson & Lafleur, 1996, 75 ;
Debra M. McAllister, Schachter and its Application in Sexual Orientation Cases> (1993) 2 R.N.D.C.
226 ; Peter W. Hogg, dudicial Amendment of Statutes to Conform to the Charter of Rights dans
Milanges Jean Beetz, Montreal, Themis, 1995, 497.
82 [1991] 2 R.C.S. 577, 83 D.L.R. (4e) 193 [Seaboyeravec renvois aux R.C.S.].
I>
lbid. .A la p. 629.
S[1993] 3 R.C.S. 519, 107 D.L.R. (4e) 342 [Rodriguez avec renvois aux R.C.S.].
2003]
G.A. BEAUDOIN – LA CONSTITUTIONNALITt DES LOIS
application aux cas de necessite absolue. L’exemption n’est en vigueur que
pour une periode limitee […]f.
Pour conclure, malgrd ‘dlaboration de ces diverses doctrines d’interprdtation, il
reste ndanmoins beaucoup A faire avant de determiner la portde exacte de l’article 52
de la Loi constitutionnelle de 1982. C’est aussi l’opinion de la juge en chef McLachlin
qui, dans un article de doctrine, affirme : , dans Association canadienne de droit compare et
Association qudbecoise de droit compare, Droit contemporain 1998: rapports canadiens au Congrs
international de droit compare, Bristol, 1998, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 1999, 399.
” Proprietary Articles Trade Association v. Canada (PG.), [1931] A.C. 310 A la p. 316, [1931] 2
D.LR. I (P.C.).
“Alberta (PG.) v. Canada (PG.), [1939] A.C. 117 A lap. 129, [1938] 4 D.L.R. 433 (PC.).
R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, 173 D.L.R. (4C) 193, dans lequel la majorit6 a invoqu6
te plaid6e, constitue une exception
‘article 16 de la Charte, bien que cette disposition n’ait pas
notable A ce principe.
R. c. Borowski, [1989] 1 R.C.S. 342, 57 D.L.R. (4C) 231.
9′ Severn v. R. (1878), 2 R.C.S. 70 A la p. 103, 1 Cart. B.N.A. 414 ; Hewson v. Ontario Power
Company of Niagara Falls (1905), 36 R.C.S. 596 A la p. 603 ; Renvoi relatifib l’Industrial Relations
and Disputes Investigation Act, [1955] R.C.S. 529, [19551 3 D.L.R. 721 ; Nova Scotia Board of
Censors c. McNeil, [1978] 2 R.C.S. 662 aux pp. 687-88, 84 D.L.R. (3) 1.
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL
[Vol. 48
l’inconstitutionnalit6 de
qui soul6ve
l’interpr6tation de ]a
Constitution n’ob6it pas aux r~gles ordinaires d’interpr6tation” ; on fait effectivement
une nette diff6rence entre l’interpr6tation d’une loi ordinaire et celle d’une loi
constitutionnelle”.
l’6tablirt 2. Enfin,
Les juges n’ont de plus nul besoin d’8tre unanimes dans leur d6cision, comme
c’6tait le cas au Comit6 judiciaire du Conseil priv6. Les opinions peuvent ainsi 6tre
partag6es : un juge dissident 6crira toujours les motifs de sa dissidence, alors qu’un
juge qui ne I’est pas pourra toujours se d6clarer d’accord avec la majorit6 ou la
minorit6, et juger bon, le cas 6ch6ant, d’6crire 6galement ses propres notes A I’appui’.
Un jugement unanime peut quant a lui 8tre rendu par la Cour sans mention de noms,
ou alors un juge peut r6diger le jugement au nom de la Cour, et ses co1l~gues d6clarer
qu’ils souscrivent A ses motifs et conclusions.
Le contr6le de la constitutionnalit6 des lois a 6galement 6volu6 au fil des ann6es.
Ainsi, pendant longtemps, comme en fait foi l’arrat Canada (P.G.) v. Reader’s Digest
tde.’, la Cour supreme ne permettait pas que l’on invoque les d6bats parlementaires
pour interpr6ter une loi. Cependant, en mati~re constitutionnelle, on admet de plus en
plus le recours aux preuves extrins6ques, notamment dans les cas o4 ia Cour examine
des lois adopt6es dans un contexte d’urgence nationale!7 ou autre!8 . Un autre exemple
de l’6volution du contr6le de la constitutionnalit6 des lois consiste en la cr6ation par ]a
92 A cause de la pr~somption de constitutionnalit6, le demandeur a le fardeau de la preuve: cette
rfgle a 6t6 confirme par ]a Cour suprfme dans l’arrt Manitoba (PG.) c. Metropolitan Stores Ltd.,
[1987] 1 R.C.S. 110 a lap. 125, 38 D.L.R. (4) 321.
9>Voir Beaudoin, Fidralisme, supra note 5 aux pp. 406-19.
Voir Edwards v. Canada, [1930] A.C. 124 t la p. 136, [1930] 1 D.L.R. 98, Lord Sankey (P.C.).
Voir aussi Minister of Home Affairs v. Fisher (1979), [1980] A.C. 319, [1979] 2 All E.R. 21 (PC.).
9′ Le professeur Martin crit At ce sujet que: otant donn6 la confusion entourant la multiplication
des opinions majoritaires et dissidentes produites par la Cour, il devrait 8tre 6vident que les juges
jouissent d’une marge de manoeuvre consid6rable lorsqu’ils s’acquittent de leurs fonctions
[notre
traduction] (Robert Martin, oldeology and Judging in the Supreme Court of Canadao, (1988) 26
Osgoode Hall L. 797 A lap. 802).
Selon la juge L’Heureux-Dub,
les jugements longs et complexes constituent I’exception plutbt
que la r~gle A ]a Cour supreme. Claire L’Heureux-Dub6, The Length and Plurality of Supreme Court
of Canada Decisions> (1990) 28 Alta. L. Rev. 581. Voir aussi : Peter McCormick, Birds of a Feather:
Alliances and Influences on the Lamer Court 1990-1997> (1998) 36 Osgoode Hall L.J. 339.
[1961] R.C.S. 775, 30 D.L.R. (2e) 296.
‘” Voir Renvoi anti-inflation, supra note 27, juge en chef Laskin aux pp. 422-423. Voir Renvoi relatif
a la Loi de 1979 sur la location rsidentielle, [198 111 R.C.S. 714 A la p. 722, 123 D.L.R. (3e) 554, juge
Dickson. Voir enfin Re Upper Churchill Falls Water Reversion Act, [1984] I R.C.S. 297 aux
pp. 317-19,8 D.L.R. (4C) 1.
9 11 fut aussi question de preuves extrins~ques sous la Charte, comme le d6montre les arr~ts Big M
Drug Mart, supra note 17 et Renvoi relatif a* la B.C. Motor Vehicle Act (C.-B.), [1985] 2 R.C.S. 486,
24 D.L.R. (4C) 536. Voir aussi Danielle Pinard, (Le droit et le fait dans I’application des standards et
la clause limitative de la Charte canadienne des droits et libert6s
(1989) 30 C. de D. 137.
2003]
G.A. BEAUDOIN – LA CONSTITUTIONNALITE DES LOIS
Cour de la thorie de la dissociation”, par laquelle la Cour n’invalide dans une loi que
les articles qui violent la Constitution”‘. Cependant, si la loi ne peut continuer
tenir
en l’absence des articles ddclarrs inconstitutionnels, c’est alors toute la mesure
16gislative qui sera frappre d’inconstitutionnalit6″‘.
La Cour peut 6galement accepter de prrciser une drcision qu’elle a rendue. C’est
ainsi, par exemple, qu’elle a accept6 dans l’affaire Blaikie II’ de dclarer si le mot
or~glementso tel qu’interprrt6 dans l’affaire Blaikie I comprenait les r~glements
municipaux et scolaires dans le contexte donnr, ce qu’elle a conclu par la n6gative. Ce
fut aussi le cas dans le Renvoi Manitoba”, rendu en 1985, dont l’effet sur les drcrets
de nature 16gislative fut prdcis6 en 1992″‘. Elie fit de m~me dans le Renvoi relatif b la
remuniration des juges lorsqu’elle se prononqa sur I’application du concept de
ndcessitd’ , ainsi que dans l’arrt R. c. Marshall ” en mati~re de droit de peche des
autochtones de la Nouvelle-cosse. Mentionnons enfin que la Cour supreme peut
6galement accepter la rrouverture d’une affaire.
Gardienne de la Constitution, la Cour supreme ne se sentira pas lie par des
mesures qui dcartent son contrrle de la constitutionnalit6 des lois ou par des
dispositions 16gislatives qui l’empechent d’appliquer une loi, sauf quand l’interdiction
est express6ment prdvue dans la Constitution, tel qu’en fait foi l’article 33 de la
Charte. D’ailleurs, depuis 1975, la Cour supreme se voit reconnaitre par le Parlement
canadien la facult6 d’accepter la tr~s grande partie des pourvois sur permission. Le
crit~re principal reside dans <'importance nationale du litige. Sont en principe
consid6rs d'importance nationale
litiges entre gouvemements ou entre
particuliers et gouvernements portant sur les articles 91 A 95 de
la Loi
les
Beaudoin, Fddfralisme, supra note 5 aux pp. 437-39.
Voir Quebec Protestant School Boards, supra note 11.
o, Voir Switzman, supra note 41. Voir aussi Renvoi relatif ? Alberta Bill of Rights Act, [1947] A.C.
503 A la p. 519, [1947] 4 D.L.R. 1 (P.C.).
o2 Quibec (PG.) c. Blaikie, [1981] 1 R.C.S. 312, 123 D.L.R. (3) 15 [Blaikie 1].
" Supra note 2.
'0 Renvoi relatifaux droits linguistiques au Manitoba, [1992] 1 R.C.S. 212, 88 D.L.R. (40) 385.
,' Dans une premiere decision, rendue le 18 septembre 1997 (Renvoi relatif a la r6num6ration des
juges, supra note 4), la Cour supreme jugeait inconstitutionnelles les rductions de salaires des juges
des cours provinciales de l'ile-du-Prince-9douard, de l'Alberta et du Manitoba. Le 10 f6vrier 1998,
elle dclara que sa decision du 18 septembre 1997 n'avait pas pour effet d'annuler les decisions
ant6rieures rendues par des juges qui n'6taient pas oimpartiauxo parce qu'ils ne jouissaient pas de la
sdcurit6 financi~re, un 616ment fondamental de l'ind6pendance judiciaire. La Cour supreme invoqua
alors la
(Renvoi relatif a la rimungration des juges de la Cour
juges qui n’6taient pas oindrpendants
provinciale de llle-du-Prince-tdouard, [1998] 1 R.C.S. 3 A lap. 14, 155 D.L.R. (40) 1).
‘0 [1999] 3 R.C.S. 456, 177 D.L.R. (4 ) 513 ; R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 533, 179 D.L.R. (4 ) 193.
344
MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGLL
[Vol. 48
constitutionnelle de 1867″ et ses amendements. Depuis l’avnement de la Charte,
cependant, la Cour ne choisit que d’entendre les litiges les plus appropri~s.
Si le contr6le de la constitutionnalit6 des lois en vertu de la Charte participe de la
m~me nature que celui sur le partage des comptences, it n’en demeure pas moins
qu’en raison de I’article I de la Charte, la Cour se voit conf6rer un rble bien
particulier: il lui revient d’appr~cier, en fonction de la preuve qui lui est present6e, si
une r~gle de droit qui restreint indfiment un droit ou une libertd 6nonc6 dans la Charte
se justifie dans une soci6td libre et d6mocratique. Jusqu’ici elle s’est montr6e fort
prudente, avec raison. Elle a d’abord avanc6 la thorie de ]a oproportionnalit6> entre
les moyens employ6s dans une loi et le but poursuivi par cette loi”‘, pour ensuite
6noncer, dans I’arr~t Oakes, un crit~re plus exigeant comportant plusieurs volets’.
En terminant, je dois admettre que je suis tr~s favorable au contr6le de la
constitutionnalit6 des lois. I1 s’agit d’un r6le important. Comme le disait le pr6sident
de la France, Monsieur Jacques Chirac, au sujet des juges et de leur devoir :
Votre tache, votre mission au-delM […] des differences de nos syst~mes
juridiques, s’analyse comme une contribution vigilante A la d6finition et au
renforcement de l’6tat de droit. N’est-ce pas une des aspirations essentielles de
nos soci~t~s fond~es sur la conviction que I’ltat doit en toute chose 8tre soumis
au droit; que sa toute puissance doit 6tre limit~e par la reconnaissance d’un
corps de principes fondamentaux ; que le rOle du juge charg6 de contr6ler, au-
delA de la diversit6 des techniques utilisds, la conformit
des normes
inf~rieures aux normes sup6rieures doit etre affirm6 et pr6servW”‘.
Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., c. 3, art. 91-95, reproduit dans L.R.C. 1985,
app. 11, n’ 5.
‘OBig M Drug Mart, supra note 17 aux pp. 351-53, juge en chef Dickson.
“” Supra note 48 aux pp. 135-42.
… Jacques Chirac, Discours, Rception offerte en l’honneur des participants en premier congrs des
Cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du franqais, Palais de l’lys6e, Paris, 10 avril 1997
[non publi6]. Transcription disponible en ligne: Pr6sidence de la Rdpublique