Article Volume 39:3

Le droit de dissolution unilatérale dans le contrat de société: avenues nouvelles

Table of Contents

Le droit de dissolution unilat rale

dans le contrat de soci t: avenues nouvelles

Michel G n6reux*

Cet article pri.sente une &tude approfondie et d6taillIe du
droit de dissolution unilatrale de l’associd en droit civil qu6-
bdcois et remet en question la pritention voulant que la protec-
tion des droits individuels de I’associ6 puisse justifier Ia disso-
lution %1e la socidtiS par la volont6 d’un soul de ses membres.
L’auteur explique que cette pr6tention dicoule d’une confusion
immmoriale entre le droit de dissolution unilatdrale et le droit
de retrait de I’associd. 11 propose done d’6clairrir la situation en
reddinissant le droit de dissolution unilatdrale de faqon N
cmpacher que I’associ6 soit forct de mettre fin A. la socidt6 pour
s’en libdrer. L’auteur pr4conise, en oure, le recours aux prin-
cipes gdndraux du droit des obligations afin d’en digager un
vritable droit de retrait qui, tout en protigeant les droits indi-
viduels de I’associd, ne compromettrait pas l’existence de la
socit.

En premier lieu,

‘auteur dresse un historique do droit de
dissolution unilatdrale. II explique qu’iA l’origine, l’importance
particullire accord6e A l’intgritd continue de la confiance quo
se vouaient les associis les ufs envers les autres justifiait que
chacun d’entre eux puisse dissoudre la socidt4 a. tout moment
par sa seule volontd. Puis, l’auteur fait un bref expos6 des ddve-
loppenents historiques ayant entrain6, au fil des sikles, un
rdtrcissement du champ d’application du droit de dissolution
uuilatdrale, aujourd’hui limitd ao seul cas oh la socidt6 serait
foriode pour 0ne durdo suprieure it la vie de I’associ6.

Dans un deuxi me temps,

‘auteur trace les balises juri-
diques ddlimitant les questions soulevdes par le prdsent texte.
II propose d’abord une qualification juridique de Ia socidtd, 4t
mi-chemin entre le contrat et la persone morale. Puis, il ana-
lyse les dispositions pertinentes do Code civil du Bas-Canada,
pour finalement examiner l’impact des modifications apportes
par le Code civil da Qudbec sur les questions de dissolution et
de retrait telles qu’envisagdes dans le cadre du rgime des
soci6tds du Code civil du Bus-Canada.

En troisitme lieu, l’auteur so penche sur les fondements et
Ia portle do droit de dissolution unilatdrale; premiUrement, Ia
part de ‘associd dons la sociftd dtant un droit personnel, I’au-
teur s’intdresso a la nature temporaire des droits personnels
conventionnels dans le contexte des contrats a. exdcution suc-
cessive et examine les diffdrentes sanctions possibles lorsqu’il
existe une inddetrmination dons leur durde. Puis, il analyse et
ddlimite ]a portde actuelle do droit de dissolution unilatdrale de
I’associd en droit qudbdcois.

Finalement, I’auteur rejette la position actuelle par rapport
a droit de dissolution, selon laquelle la socidtd forme pour
unO dure supdrieure a la vie de ses membres pourra 8tre andan-
tie unilatdralement par tout associd, an motif qu’elle ne protttge
pas les droits individuels de I’associ6 de faqon satisfaisante en
plus de gdndrer une instabilitd confractoelle non ndgligeable.
En conclusion, ‘auteur suggitre de restreindre le domaine du
droit de dissolution unilatidrale t des frontires qui lui sont
mieux adaptdes et propose de recourir au droit de retrait qu’of-
fre le droit common des contrats it exdcution successive ou,
altemativement, de faire appel At un mdcanisme de dissolution
judiciaire, afin d’assurer une meilleure protection des droits
individuels de I’associd dons le respect de l’institution sociale.

This article consists of a thorough and detailed study of a
partner’s right of unilateral dissolution in the civil law of Que-
bec and questions the claim that the protection of a partner’s
individual rights justifies the unilateral dissolution of a partner-
ship at the will of one partner. The author explains that this
claim results from an age-old confusion between the right of
unilateral dissolution and the right of withdrawal. The author
sets out to clarify this situation by redefining the right of uni-
lateral dissolution so as to prevent any partner from being
forced to terminate a partnership in order to leave it. Moreover,
the author advocates that recourse be made to general prin-
ciples of the law of obligations in order to extract a tree right
of withdrawal which, while protecting the individual rights of
the partners, would not compromise the existence of the part-
nership.

The author first sketches the historical development of the
right of unilateral dissolution. He explains that initially the jus-
tification for allowing any partner to unilaterally dissolve the
*partnership at any time was the particular importance attached
to the continuing integrity of the mutual trust between partners.
The author goes on to briefly outline the historical develop-
ments which, over the centuries, resulted in a narrowing of the
scope of application of the right of unilateral dissolution, such
that today it is limited exclusively to the case where the dura-
tion of a patnership is greater than the life of a partner.

The author then sets out the juridical framework within
which to analyze these issues. He first proposes a juridical
qualification of partnership, midway between a contract and a
moral person. He then analyzes the relevant provisions of the
Civil Code of Lower Canada, followed by an examination of
1he impact of the amendments made by the Civil Code of Que-
bec regarding dissolution and withdrawal, as contemplated
within the scope of the partnership regime of the Civil Code of
Lower Canada.

The author next turms his attention to the foundation and the
scope of the right of uniateral dissolution. Noting that each
partner’s share in a partnership is a personal right, the author
examines the temporary nature of contractual personal rights
within the context of contracts of successive performance and
examines the different sanctions which are possible when these
are of indeterminate duration. The author goes on to analyze
and define the actual scope of the right of unilateral dissolution
of a partner under Quebec law.

Finally, the author rejects the current legal position with
respect to the right of dissolution, whereby a partnership
formed for a duration greater than the lives of its members may
be unilaterally dissolved by any partner, on the basis that this
does not satisfactorily protect the individual rights of a partner
and generates significant contractual instability. In conclusion,
the author suggests that the right of unilateral dissolution be
limited to the cases to which it is better suited. He proposes
instead that recourse be made to the right of withdrawal as
expressed in the common law relating to contracts of succes-
sive performance, or in the alternative, to ajudicial mechanism
of dissolution, in order to better ensure the protection of the
individual rights of the partners while still respecting the insti-
tution of partnership.

* L’auteur s’est vu d6cerner le Wainwright Essay Prize 1993 pour une version ant6rieure de ce
texte. 11 tient a remercier M. le professeur J.E.C. Brierley pour ses recommandations et son support
dans ]a r6daction des diff6rentes 6bauches de ce texte, ainsi que Mme le professeur M. Cantin
Cumyn pour avoir Lu et comment6 une version ant6rieure de cet article. L’auteur tient aussi h
remercier Mine Caroline Bt1air pour sa patience et son soutien constants, sans lesquels cette entre-
prise n’aurait pas 6t6 possible.
Revue de droit de McGill
McGill Law Journal 1994
Mode de r6f rence: (1994) 39 R.D. McGill 333
To be cited as: (1994) 39 McGill L.J. 333

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 39

Sommaire

Introduction
I.
If. Le cadre juridique de la probl6matique

Historique du droit de dissolution unilat6rale

A. La qualification juridique de la socidtd
B. Les dispositions pertinentes du Code civil du Bas-Canada
C. Les dispositions pertinentes du Code civil du Quebec

I. Le droit de dissolution unilat6rale de l’associ6 : fondements et port~e

eu 6gard aux questions de durge
A. La nature temporaire des droits personnels conventionnels et la

sanction d’une inditermination dans leur durde

B. La portde actuelle du droit de dissolution unilatdrale de l’associd

IV. Critique de ]a port~e actuelle du droit de dissolution unilat~rale et

solutions de rechange
A. Critique de la portde actuelle du droit de dissolution unilatdrale
B. Solutions de rechange t la r~gle actuelle

1. Le droit de retrait du droit commun
2.

L’absorption du droit de dissolution unilat6rale par le
m6canisme de dissolution judiciaire

Conclusion

Introduction

Of all the ships that sail at
sea, partnership is the least
seaworthy’.

La volont6 d’un associ6 de ne plus 8tre en soci6t6 doit-elle in6luctablement
en provoquer la dissolution ? Les auteurs et la jurisprudence affirment depuis
toujours que l’associ6 membre d’une soci~t6 de dur6e ind6termin6e peut provo-
quer unilat6ralement la dissolution de celle-ci afin de prot6ger sa libert6 indivi-
duelle. C’est donc un r6gime ohi la volont6 et les besoins du groupe deviennent
subordonn6s au bon vouloir de l’individu. Cet imbroglio est le fruit d’un malen-
tendu imm6morial selon lequel on assimile erron6ment le droit de dissoudre la
soci6t6 au droit de prot6ger sa libert6 en s’en retirant.

‘M. lejuge Boucher nous rappelait ce.vieux dicton anglais dans l’affaireLatendresse c. Bertrand

(24 mai 1979), Hull 05-001-160-75, J.E. 79-622 (C.S.) [ci-apr~s Latendresse].

1994]

LE DROIT DE DISSOLUTION UNILATERALE

Le Code civil du Quibec att6nue enfm ce malentendu en adoptant expres-
s~ment, pour les soci6t6s en nom collectif et les soci6t~s en commandite, des
dispositions distinctes relativement au retrait de l’associ6 et h la dissolution de
la soci&t6. Mais qu’en est-il de la soci6t6 en participation, au sein de laquelle le
l6gislateur a essentiellement maintenu le regime g6n6ral de dissolution unilat6-
rale tel qu’on le retrouve dans le Code civil du Bas-Canada ? Doit-on paresseu-
sement continuer A assimiler le droit de dissolution unilat6rale un outil de pro-
tection de la libert6 de l’associ6 ou n’est-il pas plut6t temps de red6finir notre
compr6hension de ce m6canisme, d’en ramener la port~e a des dimensions plus
raisonnables et de lui proposer des solutions de rechange afin que la protection
de la libert6 de l’associ6 ne soit plus automatiquement cause d’6clatement de la
soci6t6 ? C’est pr~cis6ment A cet exercice que nous nous livrons dans le cadre
de la pr~sente 6tude.

La soci6t6, comme tout autre contrat, doit s’en remettre an droit commun
des obligations afm de supplier aux carences de son r6gime juridique particu-
lier. A cette fin, le droit commun des obligations pr6voit, pour toute partie A un
contrat h ex6cution successive de dur~e ind6termin6e, la facult6 de r6silier uni-
latdralement la convention. Nous soutenons que ce droit de r6siliation unilat6-
rale, lorsque appliqu6 a la soci6t6 dans le respect de sa nature, a mi-chemin entre
le contrat et la personne morale, permet
l’associ6 de se lib~rer du contrat sans
pour autant d6truire l’6difice social dont il se s6pare.

Notre expos6 se divise en quatre grandes sections. Apr~s avoir trac6 dans
un premier temps les grandes lignes de l’historique du droit de dissolution uni-
lat6rale (I), nous d6fmirons le cadre juridique de la probl6matique (II) pour
ensuite nous attarder aux fondements et a la port6e du droit de dissolution uni-
Iat6rale de l’associ6 eu 6gard aux questions de dur6e (Ill). Finalement, nous cri-
tiquerons la r~gle actuelle et y proposerons bri~vement quelques solutions de
rechange (IV).

I. Historique du droit de dissolution unilat6rale

La soci6t6 est une institution mill6naire dont l’origine remonte au droit
romain. Etant le fruit du rapprochement entre des institutions d’origine et d’es-
prit diff6rents (le vieux consortium romain et la soci6t6 pratiqu6e par les peuples
commergants de l’Orient m6diterran6en reque sous l’influence du droit hell6-
nique), la soci6t6 aura 6t6, d~s ses d6buts, une institution juridique fond6e
davantage sur le caract~re personnel du lien entre ses membres que sur le carac-
t~re commercial de son entreprise3.

Depuis toujours, la formation d’une soci6t6 repose sur trois 616ments
essentiels : ‘intention de s’associer fond6e sur la confiance entre associ6s (ani-
mus societatis, affectio societatis ou encore jus fraternatis), l’apport des asso-

2Rappelons que le Code civil du Quebec (L.Q. 1991, c. 64) de mme que laLoi sur rapplication
de la riforme diu Code civil (L.Q. 1992, c. 57) sont entr6s en vigueur le 1″janvier 1994 (D. 712-93,
G.O.Q. 1993.11.3589).

3j. Hilaire, Introduction historique au droit commercial, Paris, Presses Universitaires de France,

1986 A la p. 168.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 39

ci6s et la participation aux b6n~fices4 . Aussi, l’importance particuli~re que Ia
soci6t6 du droit romain attachait a la personnalit6 des associ6s se manifestait
principalement dans l’affectio societatis, v6ritable fondement du droit de disso-
lution unilat6rale de l’ass6ci6. En effet, la soci6t6 reposait sur la permanence de
l’affectio societatis. Vu la responsabilit6 illimit6e entre associ6s, le maintien de
la soci6t6 exigeait une int6grit6 continue de la confiance que se vouaient les
associ6s entre eux. I1 en r6sultait donc que la soci6t6 pouvait 6tre 6teinte a tout
moment par la volont6 unilat6rale d’un associ6, en autant que le tout fut fait
dans le respect de la bonne foi exig6e entre associ6s5 .

Aux XVI et XVIIW si~cles, l’importance de la confiance entre les associ6s
au sein des soci6t6s g6n6rales (anc~tres des soci6t~s en nom. collectif actuelles)
n’6tait pas moins grande. Alors que le capital y jouait un r6le n6gligeable, l’ac-
cent 6tant sur le savoir-faire des associ6s, les soci6t~s g~n6rales avaient souvent
un caract~re familial tr~s marqu6. Bien qu’il ffit possible, A cette 6poque, de sti-
puler une soci6t6 pour une dur6e illimit6e6 , les soci6t6s g6nrales 6taient habi-
tuellement form6es p6ur une dur6e breve, ce qui 6tait parfaitement compatible
avec la dur6e.g6n6ralement courte de l’entreprise qui en justifiait la cr6ation de
m~me qu’avec leur caract~re familial7.

Puis, la R6volution frangaise vint sonner le glas des soci6t6s stipul6es per-
p6tuelles par 1’entremise de la prohibition des baux d’une dur6e sup6rieure A 99
ans. 11 devint toutefois fr6quent pour les associ6s de choisir la dur6e maximale
de 99 ans. Cette habitude prit naissance a l’6poque ob la prorogation de la

41bid. Voir A cet effet les articles 1830 C.c.B.-C. et 2186 C.c.Q. Pour un arrt de principe sur
les trois conditions n6cessaires A 1’existence d’une socidt6, voir F.L. c. G.B. (1988), 13 Q.A.C. 233.
Voir aussi 136837 Canada Inc. c. Entreprises Madikap LWe, [1987] R.D.J. 106 A la p.111 (C.A.);
Canuel c. Fournier, [1990] R.LQ. 2253 A lap. 2256 et s. (C.S.). Voir aussi la jurisprudence, infra
note 18. (1988) 29 C. de D. 1019 aux
pp. 1029-30). Quant A la notion de’b6n6fice, il y a un consensus tr~s net en droit civil qu6b6cois
4< l'effet qu'il doive s'agir d'un gain ou d'un avantage patrimonial qui soit susceptible d'6tre 6va- lu en argent>> (Ct6, ibid. A la p. 497). L’article 2186 C.c.Q. rdfere d’ailleurs express6ment A ]a
nature p6cuniaire des b6n6fices rdsultant du contrat de soci6t6.

5Hilaire, ibid. h la p. 169.
6Le 16gislateur frangais vint limiter cette dure A 99 ans en 1966 pour les soci6tds commerciales
et g6ndralisa cette mesure A toutes les soci6tds en 1978 par ‘adoption du nouvel article 1838 C.
civ. (A.P.S., > Gaz. Pal. 1″ sem. 1979.Chron.18). Par contre, it
n’existe toujours pas de telle limite en droit qu6bdcois. Sur ]a r6forme du droit des socidtds en
France, voir Y. Chartier, La soci6t6 dans le Code civil apr~s ]a loi du 4 janvier 1978>> J.C.P
1978.1.2917; J. Foyer, (1978) 1 Rev. soc. 1 ;
M. Hamiaut, La r~forme des socitds commerciales, t. 3, Paris, Dalloz, 1966 ; J. Hmard, F Terr6
et P. Mabilat, La r6forme des socigtis commerciales, Paris, Dalloz, 1967; J. H6mard, F Terr6 et
P. Mabilat, Socijtjs commerciales, t. 1, Paris, Dalloz, 1972 ; M. Jeantin, (> D.1978.Chron.173.

7Hilaire, supra note 3 A Ia p. 191.

1994]

LE DROIT DE DISSOLUTION UNILATtRALE

soci6t6 entranait le paiement d’importants droits d’enregistremente. Bien que
l’adoption de la dur6e de 99 ans ne posait pas de probl~mes pour les soci6t6s
dont les associ6s pouvaient c6der librement leurs parts (telle la soci6t6 par
actions), cette pratique devint probl6matique pour les soci6t6s en nom collectif,
les soci6t6s en commandite de m~me que pour les soci6t6s civiles. En effet, Fin-
tuitus personce t la source du contrat de soci6t6, en empechant la libre cession
des parts par les associ6s, compromettait ainsi leur libert6 individuelle en liant
les associ6s t la soci6t6 pour une dur6e de 99 ans.

Bien qu’une telle dur6e ne ffit point interdite, 9. I1 en r6sultait l’application de l’ancien article 1869 C. civ. qui
pr6voyait un droit de dissolution unilat6rale pour l’associ6 membre d’une
soci6t6 dont la dur~e 6tait illimit6e.

De nos jours cependant, le r6le de la soci6t6 a 6volu6 et celle-ci est deve-
nue un v6hicule privil6gi6 pour op6rer un regroupement d’entreprises ou de res-
sources techniques, fmanci~res, humaines ou de mati~res premieres, h des fis
re fort variables0 . La soci6t6 moderne n’a donc, sauf exception, sou-
pouvant
vent plus le visage familial qui la caract6risait autrefois.

Dans ce contexte, il est pertinent de s’interroger sur la port6e et l’impor-
tance actuelle du droit de dissolution unilat6rale de l’associ6. L’article 1895
C.c.B.-C., comme l’ancien article 1869 C. civ. l’avait fait, a grandement att6nu6
la port6e du droit de dissolution unilat6rale de l’associ6. En effet, alors que ce
droit se justifiait autrefois par la permanence de l’affectio societatis n6cessaire
a l’existence de la soci6t6, sa raison d’6tre contemporaine semble fond6e sur la
prohibition pour l’associ6 de s’engager h perp6tuit6, et son utilisation dans le
contexte de l’article 1895 C.c.B.-C. reste limit6e aux cas ott la dur6e de la
soci6t6 ne serait pas fix6e>. Quant au Code civil du Quebec, il restreint davan-
tage la port6e du droit de dissolution unilat6rale de l’associ6. Alors que l’article
1895 C.c.B.-C. offrait un r6gime g6n6ral de dissolution”, l’article 2260 C.c.Q.
confine ce r6gime aux soci6t6s en participation 2 .

8Voir A.P.S., supra note 6 A la p. 18.
91bid.
IPour un traitement minutieux des utilisations conjointes possibles de la soci6t6 et de la corn-

pagnie, voir C6t6, supra note 4

la p. 505 et s.

“Toutes les soci~t~s du Code civil du Bas-Canada, sauf la soci6t6 en commandite, peuvent atre
dissoutes unilatdralement quand les conditions pr6vues h l’article 1895 C.c.B.-C. sont pr6sentes
(art. 1892, al. 2 C.c.B.-C.).

12L’article 1895 C.c.B.-C. et son interpr6tation demeureront pertinents suite

l’entr~e en vigueur
du Code civil du Quebec. En effet, l’article 1895 C.c.B.-C. sera premiirement une source interpr6-
tative privilgi6e relativernent aux articles 2228 et 2260 C.c.Q. L’article 1895 C.c.B.-C. sera de
plus une r~gle suppl6tive pour d6terminer 1’6tendue des droits et obligations des associ~s. A cet
effet, les articles 4 et 9(1) dte la Loi sur l’application de la r~fornze d Code civil, supra note 2,
disposent que :

4. Dans les.situations juridiques contractuelles en cours lors de l’entrde en vigueur de
Ia loi nouvelle, ]a loi ancienne survit lorsqu’il s’agit de recourir A des r~gles suppl6-
tives pour d6terminer Ia port6e et l’6tendue des droits et des obligations des parties,
de m~me que les effets du contrat.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 39

Cependant, 1’incertitude r6sultant de la compr6hension g6n6rale du droit de
dissolution unilat6rale n’a malheureusement pas 6t6 amoindrie dans la meme
mesure que ‘accessibilit6 a celui-ci. En effet, l’existence de ce droit 6tant con-
ditionnelle A la non-d6termination de la dur6e de la soci6t6, c’est pr6cis6ment
la qualification de ce qui constitue une soci&6 a dur6e ind6termin6e qui sera
source d’inqui6tude pour le s personnes morales et physiques se regroupant en
soci6t6. Dans le cas ofs la dur6e de la soci&6t n’estpasfixie, l’associ6 aura droit
A la dissolution unilat6rale en vertu des articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q.
Dans le cas d’un excs dans la determination de la dur~e (c’est-a-dire la stipu-
lation d’une dur6e tr~s longue 3), la possibilit6 d’invoquer le droit de dissolution
unilat6rale d6pendra de la position doctrinale que l’on adopte relativement Ai ce
que constitue une durje excessive 4. On prendra donc soin dans chaque cas de
pr6voir un terme au contrat de soci6t6 (afm d’6viter que la dur6e ne soit ind6-
termin6e), tout en 6vitant de stipuler une dur6e trop longue (vu le risque qu’elle
ne soit qualifie d’ind~termin6e au motif qu’elle 6quivaut a un engagement per-
p6tuel pour les associ6s).

II. Le cadre juridique de la problmatique

Avant d’aborder directement la question du droit de dissolution unilat6rale,
il est important de situer la soci6t6 dans le cadre global du droit civil afin que
les r~ponses sugg6res h notre probl6matique soient coh6rentes avec la nature
de la soci6t6 et respectent l’esprit des codes civils. Cet exercice requiert que soit
6tudi~e la nature juridique de la soci6t6, puis que soient bri~vement analys6es
les dispositions pertinentes des codes civils du Bas-Canada et du Qu6bec. Cette
6tude sera faite s6par6ment pour chacun des codes vu les profondes modifica-
tions apport~es au r6gime de la soci6t6 par le Code civil du Qu6bec.

A. La qualification juridique de la socidtj

La soci6t6 est r6gie’par des r~gles relevant h la fois du domaine contractuel
et du domaine institutionnel. En effet, bien qu’elle soit form6e par une conven-
tion, plusieurs aspects de son fonctionnement ne peuvent etre expliqu6s par le
droit des contrats. La soci6t6, par opposition ii d’autres contrats tels le louage
de services ou le mandat, est, en quelque sorte, une entit6 autonome distincte

Cependant, les dispositions de la loi nouvelle s’appliquent A l’exercice des droits et
i I’ex6cution des obligations, A leur preuve, leur transmission, leur mutation ou leur
extinction.

9. Les instances en cours demeurent r6gies par ]a loi ancienne.

[ …].

Cependant, m~me A l’6gard des litiges r6gis par le Code civil d Bas-Canada, le Code civil d
Quebec exerce une influence pr6pond6rante quant aux dispositifs adopt6s par les tribunaux. Voir,
en mati~re de preuve, l’arr& Ste-Anne-des-Plaines (Ville de) c. Tremblay (14 mai 1993), Montr6al
500-09-000419-895, J.E. 93-1070 (C.A.).

‘3Par exemple, et d6pendamment des auteurs, 50, 100 ou 150 ans selon ]a perception que l’on

a de la p6rennit6.

“4En effet, selon qu’on attribue h 1’expression <> une signification
positiviste et littdrale ou, A l’oppos6, un sens se conformant davantage aux preoccupations subjec-
tives de l’associ6, la port6e du droit de dissolution variera grandement.

1994]

LE DROIT DE DISSOLUTION UNILATtRALE

des parties qui ont particip6 4 sa cr6ation. Voyons ces deux aspects d’un peu
plus pr~s.

La conception contractuellede la soci~t6 etait h son apogee au X (IX si~cle,
alors que <<[l]e dogme de l'autonomie de la volont6 [a] conduit h rattacher h la volont6 individuelle le plus grand nombre de solutions juridiques>>I (le mariage
et la soci6t6 en sont deux exemples). Pothier qualifiait meme le contrat de
soci~t6 de < 16. Bien que de nos jours le r6gime de la soci6t6 soit plus
encadr6 par le droit positif qu’il ne l’6tait h l’6poque de Pothier, le contrat de
soci6t6 demeure assujetti aux principes g6n6raux du droit des obligations a titre
de regime suppl~tif17 .

Le contrat de soci6t6 est consensuel en ce qu’il est form par le simple con-
sentement mutuel des parties” sans qu’aucune forme sp6ciale ne soit exig6e

15P. Merle, Droit commercial: Socijtds commerciales, 3′ 6d., Paris, Dalloz, 1992 au n 21.
16M. Bugnet, (Euvres de Pothier, t. 4, 3′ 6d., Paris, E. Plon, Nourrit, 1890 a la p. 242.
17 H. Roch et R. Par6, Traitj th~orique et pratique de droit civil, t. 13, Montrdal, Wilson et
Lafleur, 1952 A la p. 335; Lamarre c. Damien Boileau Ltd., [1953] 2 R.C.S. 456 a la p. 463
[ci-apr~s Lamarre]. Au surplus, l’article 1841 C.c.B.-C. pr~voit express6ment l’applicabilit6 des
rfgles 6nonc6es au titre <> a ]a dissolution de la soci6t6. Le premier alin6a de l’ar-
title 1377 C.c.Q., au sein du titre <>, dispose d’ailleurs que <[les rfgles g~n~rales du present chapitre s'appliquent i tout contrat, quelle qu'en soit la nature>.

‘t L’existence d’une soci~t6 en vertu du Code civil du Bas-Canada n’est assujettie A aucune for-
malit6. Voir hL cet effet l’article 1832 C.c.B.-C. Voir aussi Beaudoin-Daigneault c. Richard, [1979]
C.S. 406, inf. par [1982] C.A. 66, conf. par [1984] 1 R.C.S. 2 ht lap. 14, 37 R.F.L. (2’) 225 [ci-apr~s
Beaudoin-Daigneault avee renvois aux R.C.S.]; R.Z. c. A.G. (1989), 31 Q.A.C. 12; Masse c.
Legault (18 mars 1993), Montr6al 500-02-020358-912, J.E. 93-875 (C.Q.); Baigne c. Gabias
(1912), 18 R.L. 503 (C.S.); Ca -stens c. Bork, [1962] C.S. 210; Tanguay c. Tanguay (1913), 44
C.S. 253 [ci-apr~s Tanguay] ; Sigouin c. Lavoie (26 mars 1993), Montrda1 500-05-005603-913, J.E.
93-1098 (C.S.); Sabourin c. Charlebois, [1982] C.A. 361, Mme le juge L’Heureux-Dub6; Re
Dedam, [1993] R.L. 319 (C.S.) [ci-apr6s Dedam]. On pourra meme conclure ii l’existence de l’in-
tention de s’associer 4 partir d’une appreciation g6n6rale des faits (Dubs c. Dubg (6 juin 1989),
Qu6bec 200-09-000789-856, 200-09-000788-858, J.E. 89-1070 (C.A.) [ci-aprits Dube]). La parti-
cipation dans les profits d’une soci6t6 par un tiers ne fait pas de ce dernier un associ6 A moins qu’on
ne prouve que telle a dt6 l’intention des parties (Lecompte c. Duclos (1893), 4 C.S. 336; Kungl
c. Great Lakes Reinsurance Co., [1969] R.C.S. 342 [ci-apr~s Kungl] ; Bourboin c. Savard (1926),
40 B.R. 68. Voir aussi P.-B. Mignault, Le droit civil canadien, t. 8, Montr6al, Wilson et Lafleur,
1909 aux pp. 182-87 ; J.-C. Thivierge, La socijt6 en commandite et le placement immobilier, Mon-
treal, Claude Ananou, 1991 A lap. 38). La pr6somption de soci6t6 cr6e par le partage des profits
est d~truite par la manifestation d’une volont6 contraire (Pinsky c. Poitras (1937), [1938] 44 R.J.
63 (C.S.)). Sur Ia preuve d’une socidt6 commerciale par t6moin, voir L. Ducharme, > (1974) 34 R. du B. 392. Ajqutons que les
rfgles de ]a common law relativement a la formation du contrat de soci~t6 sont identiques A celles
du droit qu6bdcois (Kungl, ibid. A la p. 352; Perron c. Laporte, [1945] C.S. 375).

Le Code civil du Qutbec confirme le consensualisme du contrat de soci6t6 4 l’6gard de la soci~t6
en participation en disposant h l’article 2250 C.c.Q. que le contrat constitutif de la soci~t6 en par-
ticipation est <> et peut aussi r6sulter >. Toutefois, la men-
tion expresse de la possibilit6 d’un contrat de socidt6 en participation ou > indiquant l’intention de s’associer, semble sugg6rer l’exigence d’un 6crit I
l’6gard des socidt~s en nom collectif et des soci~t~s en commandite. C’est qu’il faut distinguer

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 39

pour sa validit6 9. C’est aussi un contrat synallagmatique multilateral en ce qu’il
crde des obligations rdciproques A charge de chaque personne qui y est partie’.
II s’agit, de plus, d’un contrat A titre ondreux <>2 . Cette
convention est aussi faite intuitupersonce (c’est-A-dire en consid6ration des qua-
litds particuli~res de la personne). Finalement, le contrat de soci6t6 est un con-
trat t execution successive. En effet, c’est un contrat dont les obligations
doivent s’ex6cuter de fagon rdpdtde et 6chelonn6e dans le temps22, et non dans
un laps de temps tr~s court (comme dans les contrats A ex6cution instantande)23.

Ainsi, comme la socidt6 tire son origine d’un contrat, son fonctionnement
s’explique en partie par le droit des contrats24. On pourrait parler, en effet, d’un
mandat r6ciproque entre les associ6s d’une socidt6. C’est aussi parce que la

1’existence de la soci6t6 face aux tiers, de l’existence de ]a socidt6 face aux associs. Le contrat
de socidt6 en participation est opposable aux tiers comme aux associds par le simple accord de
volont6, qu’il soit verbal, 6crit ou qu’il rdsulte de faits manifestes. Par contre, le contrat de socidt6
en nom collectif et de socidt6 en commandite, tout en existant entre les associgs d~s leur accord
de volont6, ne sera opposable aux tiers qu’A partir du moment o6 ces socidtds seront d~elares con-
formdment A l’article 2189 C.c.Q.

19La socidt6 en commandite, A la diffdrencedes autres socidtds du Code civil du Bas-Canada,
est cepend.ant un contrat formaliste. L’article 1877 C.c.B.-C. prdvoit ]a n~cessit6 pour les personnes
qui contractent une socidt6 en commandite d’enregistrer une declaration indiquant notamment
l’6poque A laquelle la socidt6 commence et celle ofi elle doit se terminer, le tout conformdment A
la Loi sur les diclarations des compagnies et s-ocigtis, L.R.Q. c. D-1, ann. 5. Par le jeu de l’article
1878 C.c.B.-C., la socidt6 en commandite n’est formde & l’igard des tiers qu’A compter de la date
d’enregistrement de ]a declaration. Cependant, tant que cet enregistrement n’aura pas 6t6 fait et que
toutes les formalitds n’auront pas 6t6 respectdes, ]a socidt6 sera, A l’dgard des tiers, rdput~e en nom
collectif (Gagnon c. Beaulieu, [1977] C.P. 250 [ci-apr~s Gagnon]) ; il ne fait toutefois pas de doute
qu’d l’gard des parties au contrat de socidt6, Ia socidt6 en commandite existe ds la conclusion
du contrat.

Dans le Code civil du Qu6bec, les soci6tds en nom collectif et les socidtds en commandite qui
ne se seront pas ddclardes seront r6putdes 8tre des socitds en participation A l’dgard des tiers (art.
2189 C.c.Q.). Ainsi Ia socidt6 en nom collectif du Code civil d Quibec semble devenir, au meme
titre que ]a socidt6 en commandite, un contrat formaliste. L’existence de ces deux types de socidtds
rdsultera donc, d’une part, de ]a convention entre les associds (art. 2187 C.c.Q.) et, d’autre part,
de l’enregistrement d’une declaration (art. 2189 C.c.Q.). Relativement A l’enregistrement de cette
declaration en vertu du r6gime du Code civil d Qudbec, voir le P.L. 95, Loi sir la publiciti ligale
des entreprises individuelles, des socigtis et des personnes morales, 2′ sess., 34′ 16g., Quebec,
1993, art. 2(2), 2(8), 2(9), 2(10), 2(11).

20J.-L. Baudouin, Les obligations, 4′ 6d., Cowansville (Qu6.), Yvon Blais, 1993 au n* 55.
21Roch et Par6, supra note 17 A lap. 335. C6td, supra note 4. Voir aussi l’article 2186 C.c.Q.

qui rdfere expressdment A la nature pdcuniaire des b~ndfices resultant du contrat de socidt6.

2
2M. Cantin Cumyn, e> (1988) 48 R. du B. 3 A la p.
24. Voir aussi J. Azdma, La dltrie des contrats successifs, Paris, Librairie gdndrale de droit et de
jurisprudence, 1969 A la p. 3.

23Cantin Cumyn, ibid. A ]a p. 23.
24A cette fin, l’introduction dans le Code civil dit Quebec, aux articles 2226 a 2229 C.c.Q., d’un
mdcanisme 61abor6 de retrait pour les sociftds en commandite et les socidt6s en nom collectif
atteste, sous certains aspects, du caractre contractuel de ]a socidt6. L’id~e de libert6 domine : l’as-
soci6 6tait libre d’adhdrer, il est libre de ddmissionner (Juris-classeur civil, art. 1845 A 1870-1, fasc.
50, par A. Viander, n* 7 [ci-apr~s J.-cl. civ.]).

25Merle, supra note 15 au nr 21. Voir aussi Roch et Par6, supra note 17 a ]a p. 448. La respon-
sabilit6 des associds vis-A-vis leurs coassoci6s, dans le Code civil d Bas-Canada, est d’ailleurs
sujette, A titre suppltif, aux r~gles contenues au titre <> (art. 1856 C.c.B.-C. Voir aussi

19941

LE DROIT DE DISSOLUTION UNILATIRALE

socidt6 est un contrat que les rbgles relatives aux obligations lui sont applica-
bles26.

Cependant, si la socidt6 n’6tait qu’un contrat, il y aurait peu a dire du droit

d’un associ6 de s’en retirer par sa seule volont.

L’individu est la racine du groupe […] et les membres d’un groupement n’ont a
priori aucune raison de s’opposer au depart d’un des leurs puisque, par definition,
un rassemblement n’est pas bati sur l’antagonisme.
De prime abord, il semblerait donc plus facile de se retirer d’une soci&tl, oil les
objectifs convergent, que d’un contrat ordinaire, oft les intdrts sont en compdti-
tion27 .

Mais tel n’est pas le cas. Or, comment peut-on expliquer <> s ? C’est tout simplement a cause du caractbre institutionnel de la socidt6.
D’une certaine manibre, la socidt6 quitte le cadre contractuel et, <>29 . II semble en effet acquis
en droit qu6bdcois que la socidt6, a d6faut d’avoir une personnalit6 juridique
<>, est ndanmoins dotde d’un patrimoine autonome’. Ce caract~re ins-

‘art. 1897 C.c.B.-C.). Toutefois, dans la soci6t6 en commandite, comme seuls les commanditds
sont autorisds A administrer les affaires de la soci6t6 et t l’obliger, il semble qu’on ne puisse parler
de mandat prsum6 f l’6gard des commanditaires (Entreprises Gamelec Inc. c. Consortium Ber-
thier Tremblay Inc., [1993] R.D.I. 443 (C.S.)).

26Voir supra note 17.
27C. Lapoyade-Deschamps, < D.1978.Chron.123 A la p.
123. L’auteur mentionne d’ailleurs le caractbre fort reprdsentatif de la terminologie utilisde : <<[O]n dinonce un contrat, on renonce f sa qualit6 d'associ& . la runion de toutes les parts sociales entre les mains d'un seul associ6. 281bid" 291bid. Voir aussi l'article 2232 C.c.Q. qui maintient la socidt6 selon certaines conditions malgr6 30M. Wilhelmson, <> (1992) 37 R.D. McGill 995 ; J.C. Thivierge, <> dans Diveloppements r~cents en droit commercial
1993, Cowansville (Qu6.), Yvon Blais, 1993, 105; M. Cantin Cumyn, <> (1990) 31 C. de D. 1021. Voir aussi Legault c. Gaumond (27
ddcembre 1991), Montrdal 500-02-032304-904, J.E. 92-338 (C.Q.) ; Rosen c. Banque Canadienne
Impiriale de Commerce, [1991] R.J.Q. 1152 (C.Q.); Impregilo Canada Lie c. Quebec (Sous-
ininistre du Revenu), [1984] R.D.F.Q. 206 (C.P.) ; Sumabus Inc. c. Daoust (10 janvier 1994), Mon-
tral 500-05-012277-883, J.E. 94-195 (C.S.).

En vertu du Code civil du Bas-Canada, une socidt6 peut etre poursuivie en justice, mais ne peut
intenter une action sous ses propres noms et raisons sociales (Leblanc c. Socigtj en commandite
Notre-Dame, [1989] R.D.J. 524 (C.A.) ; Lalumi4re c. Moquin (31 aofit 1993), Montreal
500-06-000012-928, J.E. 93-1616 (C.S.). Voir aussi Galipeault c. Currie, [1951] R.P. 53 (B.R.)).
La socidt6 en nom collectif du Code civil du Quebec peut 8tre assignde et poursuivie sous le nom
qu’elle declare (Denem Lte c. Greenshields Inc. (18 mars 1994), Montrdal 500-05-017188-929,
J.E. 94-655 (C.S.).

Le Code civil diu Quebec, quant a lui, confere aux soci6tds en nom collectif et aux socidtds en
commandite, Ia capacit6 d’ester en justice et d’&re poursuivies sous le nom qu’elles ddclarent (art.
2225 C.c.Q.). Quant ht la socidt6 en participation, les articles 2252, 2253, 2256 et 2257 C.c.Q.
semblent sugg&er qu’elle ne puisse ester en justice de quelque fagon que ce soit. Cela ne veut pas
dire pour autant que Ia socidt6 en participation soit ddpourvue d’un patrimoine. En effet, ces dis-
positions ldgislatives font partie d’une section rdglant les rapports des associds avec les tiers.
Comme I’indique ‘article 2252 C.c.Q., ce n’est qu’dt l’gard des tiers que chaque associ6 demeure

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 39

titutionnel, joint aux enjeux 6conomiques modemes (particuli~rement au sein
des soci6t6s commerciales), introduit une distinction importante entre le d6sen-
gagement contractuel et le d6sengagement social”. Selon cette conception de la
soci6t6, les droits et les int6r&s privds deviennent en quelque sorte subordonn6s
au but social qu’il s’agit d’atteindre32. Conme le fait si bien remarquer un
auteur :

Le retrait de l’associ6 est done 6troitement lid A 1’6temel conflit entre l’intdr& par-
ticulier et l’int6rat social, entre ]a conception civiliste (contractuelle et individua-
33.
liste) et Ia conception commerciale (institutionnelle et 6conomique) de ]a socit

B. Les dispositions pertinentes du Code civil du Bas-Canada

La disposition centrale du Code civil du Bas-Canada relativement au pr6-
sent sujet est sans contredit l’article 1895’. Celui-ci pr6voit que la soci~t6 > est la seule qui puisse 8tre dissoute au gr6 de l’un des
associ6s35. L’article 1895 C.c.B.-C. correspond h l’ancien article 1869 du Code
civil frangais1 6 et la r~gle qu’il 6nonce, d6jh admise en droit romain, est tradi-

propridtaire des biens constituant son apport a la soci6t6. Entre eux, les rapports des associ6s sont
r6gis (sauf convention contraire) par les r~gles relatives aux socidt6s en nom collectif (art. 2251
C.c.Q.). Ainsi, les associds en participation entretiennent une relation d6biteur-cr6ancier avec le
patrimoine social (art. 2198, 2199 C.c.Q.). Le droit de propridt6 des biens mis en socidt6 semble
done avoir deux titulaires selon qu’on analyse la situation des associds entre eux ou que l’on envi-
sage les rapports des associds avec les tiers ! Voir sur cette question pr6cise, M. Cantin Cumyn,
< dans E. Caparros, dir., M9langes Germain Briere, Montrdal, Wilson et Lafleur,
1993, 326 A la p. 332, n. 23.
31Lapoyade-Deschamps, supra note 27 A la p. 123. On remarquera que le caract~re contractuel
sera plus marqu6 dans les soci6t6s en nom collectif que dans les soci6t6s par actions (corporations)
o6i l’institution fait reculer le contrat. Par exemple, dans ces demi~res, les droits et les intdrts des
associds (actionnaires) sont frdquemment affect6s par les d6cisions de la majorit au nom de lin-
tdr& sup6rieur de Ia socidt6 par actions (Merle, supra note 15 au no 22).

32Merle, ibid.
33Lapoyade-Deschamps, supra note 27 A Ia p. 123. Cette dichotomie se refl~te d’ailleurs dans
la rddaction du nouvel article 1832, 1″ alin6a C. civ. : [L]a socidt6 est institude par deux ou plu-
sieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter une entreprise commune des biens ou
leur industrie en vue de partager le b6n6fice ou de profiter de l’6conomie qui pourra en r6sulter>.

34 1895. La soci6t6 dont la durde n’est pas fixde est Ia seule qui puisse 6tre dissoute au
gr6 de l’un des associds, et cela en donnant A tous les autres avis de sa renon-
ciation. Mais cette renonciation doit etre faite de bonne foi et non dans un temps
pr6judiciable A la soci6t6.

A toutes les socidtds, sauf aux socidt6s en commandite (art. 1892, al. 2 C.c.B.-C.).

I1 est A noter que le droit de dissolution unilat6rale prdvu t l’article 1895 C.c.B.-C. s’applique
35La socit6 dont la durde n’est pas mentionn~e dans la ddclaration est susceptible de dissolution
au gr6 de l’un des associ6s (Garon c. Paquet, [1971] C.S. 715. Voir aussi Dedam, supra note 18 ;
Latendresse, supra note 1). Une soci6t6 formde pour une durde ind6terminde peut etre dissoute au
gr6 de l’un ou l’autre des associ6s (Scott c. Dufresne, [1973] C.S. 31). Une socidt6 sans durde d6ter-
min6e peut se dissoudre soit judiciairement soit par la volont6 ou les actes des associ6s (Boustany
c. Boustany (20 janvier 1993), Montrdal 500-05-006226-870, 500-05-008833-889 (C.S.), portde en
appel (C.A.M. 500-09-000357-939) [ci-apr~s Boustany]. Voir aussi In Gibeau (1953), 33 C.B.R.
197 (C.S.) ; Lardon c. Valade (1911), 13 R.P. Qu6. 438 (C.S.) [ci-apr~s Lardon]). Dans une soci~t6
de fait entre concubins, Ia volont6 d’un des donjoints de ne plus faire vie commune manifeste lin-
tention de dissoudre la soci6t6 (Beaudoin-Daigneault, supra note 18 5 la p. 409).
36Qudbec, Sixi~me et septi~me rapport des commissaires charges de la codification dA Code civil

du Bas-Canada, Qu6bec, Desbarats, 1865 A la p. 33 [ci-apr6s Rapport des commissaires].

19941

LE DROIT DE DISSOLUTION UNILATERALE

tionnellement associ~e par les auteurs <37. On comprendra que la
question-cld, afm de d6terminer dans quels cas l’associ6 pourra, par sa seule
volont6, dissoudre la soci6t6 en vertu de 1895 C.c.B.-C., consiste A 6tablir la
signification et la porte des mots <>. Doit-on com-
prendre cette expression comme signifiant que la durde est <> d~s qu’un
terme est indiqu6 au contrat, ou comme indiquant plut6t que la dur6e doit tre
inf6rieure t un maximum quelconque, faute de quoi elle sera consideree comme
6tant 38 ?

Le deuxi~me article qui nous int6resse est ‘article 1896 C.c.B.-C. 9. Aux
termes de celui-ci, la dissolution d’une soci6t6 > pourra
etre demand6e par un associ6 avant l’expiration du temps stipul6, pour une
cause l6gitime ou dans certaines circonstances –
se rattachant toutes h la per-
sonne des associ~s –
justifiant cette demande’. Sans conf~rer un droit de dis-
l’associ6, cet article instaure un m6canisme de dissolution judiciaire
solution

37Mignault, supra note 18

]a p. 259 ; G. Baudry-Lacantinerie et A.Wahl, Traitj thgorique et
pratique de droit civil, 3′ 6d., Paris, Larose et Tenin, 1907 au n 438 ; Roch et Par6, supra note 17

a p. 469.
38Le second volet des articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q., qui ne fait toutefois pas principa-
lement l’objet du pr6sent texte,.dispose que la renonciation h ]a socid6t doit atre faite de bonne foi
et non dans un temps pr6judiciable h celle-ci. Ces dispositions sont un exemple ponctuel du prin-
cipe gdndral de bonne foi inscrit aux articles 1024 C.c.B.-C. et 1434 C.c.Q., selon lesquels on ne
peut exercer un droit contractuel de fagon abusive (P.-A. Cr6peau, Le contenu obligationnel du
contrat>> (1965) R. du B. can. 1 a la p. 25 ; A. Perrault, La thdorie de l’abus des droits>> (1949)
9 R. du B. 361 A la p. 369; D. Angus, Abuse of Rights in Contractual Matters in the Province
of Quebec> (1962) 8 R.D. McGill 150 a lap. 154). Sur 1’exercice abusif d’un droit contractuel en
g6n6ral, voir les arr~ts Houle c. Banque nationale du. Canada, [1990] 3 R.C.S. 122, 74 D.L.R. (4!)
577 ; Banque de Montral c. Bail Ltie, [1992] 2 R.C.S. 554 A la p. 583, [1992] R.R.A. 673. Sur
l’obligation implicite contractuelle, voir P. Legrand Jr., L’obligation implicite contractuelle:
Aspects de la fabrication du contrat par le juge > (1991) 22 R.D.U.S. 109.

Ainsi, une renonciation faite de mauvaise foi ou h contretemps sera frappde de nullit6 relative
et pourra donner lieu
t un recours en dommages-int6r~ts contre l’associ6 renongant (Baudry-
Lacantinerie et Wahl, ibid. aux pp. 278-82; F. Laurent, Principes de droit civil, t. 26, 5′ 6d., Paris,
Bruylant-Christophe, 1893 au n’ 398 et s. ; Guillouard, Traitd du contrat de socigti, Paris, Durand
et Pedone-Lauriel, 1891 au n 330). Un retrait ou une dissolution subite et inopportune susceptible
de causer un pr6judice donne ouverture A un recours en dommages-int6r~ts (Montgrain c. St. Ger-
main, [1992] R.J.Q. 1864 A la p. 1867 (C.S.) [ci-apr s Montgrain] ; Savard c. Laperriere, [1954]
B.R. 650 aux pp. 656-57 (C.A.) [ci-apr~s Savard] ; Dedam, supra note 18). On notera que cette
exigence de bonne foi n’oblige pas l’associ6 qui veut se retirer d’une socidt6 dont la durde nest
pas d6termin6e A se justifier par un motif Igitime de dissolution (Lardon, supra note 35 a la p.
439 ; Boustany, supra note 35 A la p. 9). II sera fait r6fdrence, au sein de la demi6re partie du pr6-
sent texte, aux consdquences d’un exercice abusif ou fautif du droit de dissolution unilat6rale 4 la
lumi~re de l’interprdtation que nous prdconisons des articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q.
39 1896. La dissolution d’une soci6t6 dont Ia dur6e est limit6e peut atre demandde par un
associ6 avant l’expiration du temps stipul6, pour une cause 16gitime; ou lors-
qu’un autre associ6 manque A l’accomplissement de ses obligations, ou se rend
coupable d’inconduite flagrante, ou par suite d’une infirmit6 chronique ou d’une
impossibilit6 physique devient inhabile aux affaires de la soci6t6, ou lorsque sa
condition et son 6tat sont essentiellement chang6s, et autres cas semblables.

4 0Voir Mignault, supra note 18 aux pp. 266-68. L’auteur sugg~re qu’il serait m~me possible
d’utiliser l’article 1896 C.c.B.-C. pour demander la dissolution de Ia soci6t6 sans durge ddterminge
pour les causes mentionndes dans cet article.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 39

qui, bien que d’application limitre jusqu’t pr6sent en jurisprudence4 ‘, demeure
pertinent aux fins du pr6sent texte.

Quant h l’article 1892 C.c.B.-C., il rrfere aux 6vrnements par lesquels la
socirt6 prend fin42. Les causes de dissolution qui y sont 6nonc6es trmoignent de
l’importance attachre par le 16gislateur tant A l’intention des parties au contrat
de socirt6 qu’h la nature particuli~re de cette institution. En ce qui a trait h la
fin dela socirt6 par l’expiration du terme convenu (article 1892, alin6a 1, para-
graphe 1 C.c.B.-C.), il s’agit de donner effet h l’entente intervenue entre les
associrs43. tvidemment, l’expiration du terme convenu provoquera la fin de ]a
socirt6 bien que l’affaire pour laquelle elle a 6t6 formre ne soit pas terminre.
Toutefois, cette rbgle doit 8tre comprise avec certaines nuances. En effet, dans
le cas oa les associ6s, en pr6voyant le terme de la socirt6, se sont prroccup6s
davantage de fixer le d6lai h l’int~rieur duquel ils esprraient rraliser le projet
entrepris, plutrt que de d6terminer la durre de la soci6t6, on interpr6tera le con-
trat de socidt6 en respectant l’intention des parties plutrt qu’en s’attardant aux
expressions maladroites utilisres par les associ6s pour exprimer leur volont6, et
la socirt6 se poursuivra jusqu’ii la fin de l’entreprise 4.

41Voir par ex. Connecticut and Passumpsic Rivers Railroad Company c. Comstock (1870),
[1869] 1 R.L. 589 (B.R.) ; Chapdelaine c. Astor Sweets Inc. (1937), 43 R.P. Qu6. 148 (C.S.) ; Men-
delsohn c. Mendell (1927), 33 R.L. 470 (C.S.); Oilier c. Hadley (1910), 39 C.S. 166 (C. ry.);
Howard c. Findlay (1918), 27 B.R. 375 ; Ruel c. Roy (1914), 46 C.S. 422; Tourigny c. Croleau,
[1944] C.S. 241 ; Tremblay c. Bergeron, [1948] C.S. 20; Whimbey c. Clark (1902), 22 C.S. 453;
Titu c. Association de chasse et de pcihe Marcel Inc. (23 janvier 1984), Qudbec
200-05-001931-836, J.E. 84-376 (C.S.); Productions Rijean Lefrangois Inc. c. Entreprises M.P.
Inc. (20 juin 1985), Montreal 500-09-000835-827, J.E. 85-686 (C.A.).

42 1892. La socirt6 finit:

1. Par 1’expiration du terme;
2. Par l’extinction ou la perte des biens appartenant t la socidt6;
3. Par la consommation de l’affaire pour. laquelle la socidt6 a dt6 formde;
4. Par la faillite;
5. Par la mort naturelle de quelqu’un des associrs;
6. Par l’ouverture d’une tutelle ou d’une curatelle A l’6gard de l’un des asso-

cirs majeurs;

6a. Par ]a faillite de l’un des associds;
7. Par la volont6 qu’un seul ou plusieurs des associrs expriment de n’etre plus

en socidt6, suivant les dispositions des articles 1895 et 1896;

8. Lorsque l’objet de ]a socirt6 devient impossible ou illdgal.

Les causes de dissolution 6noncdes dans les paragraphes 5, 6, et 7 du premier

alinda ne s’appliquent pas aux socirtds en commandite.

La socirt6 commerciale se termine aussi par un jugement maintenant ]a saisie

de la part d’un associ6.

Toutefois, la socirt6 en commandite ne se termine pas pour les causes pr6vues
par le paragraphe 6a du premier alinra et par le troisi~me alinra si les autres
associrs ou un tiers assument ]a dette de l’associ6 saisi ou failli jusqu’a concur-
rence du montant nrcessaire pour qu’il subsiste suffisamment de biens en vue
d’acquitter les dettes de la socirt6.

43Voir Mignault, supra note 18 A la p. 250 ; Roch et Par6, supra note 17 aux pp. 455-56. Pour
un cas oia la socirt6 fut dissoute par l’arive du terme, voirfBanque Royale du Canada c. 105-594
Canada Inc. (6 novembre 1984), Chicoutimi 150-05-000843-82, 150-05-000277-832, J.E. 84-1055
(C.S.). Notons que Ia preuve du terme convenu sera laborieuse s’il n’a pas 6t6 stipul6 dans l’crit
qui constate le contrat (Miller c. Blouin (1940), 78 C.S. 197).

4Mignault, ibid. ; Roch et Par6, ibid. Voir aussi Baudry-Lacantinerie et Wahl, supra note 37 au

1994]

LE DROIT DE DISSOLUTION UNILATIERALE

L’6numrration des 6vrnements mettant fm h la socirt6 en vertu de 1’article
1892 C.c.B.-C. consacre, sous d’autres aspects, le r6le central que joue l’expi-
ration du terme comme cause de dissolution de la socirt6. En effet, la consom-
mation de l’affaire pour laquelle la socidt6 a
td formre (article 1892, alin6a 1,
paragraphe 3 C.c.B.-C.) n’est qu’une application particuli~re de l’expiration de
la soci6t6 par l’arrive du terme, <4 .

Les causes de dissolution que constituent l’interdiction (article 1892, alin6a
1, paragraphe 6 C.c.B.-C.) ou la faillite (article 1892, alinra 1, paragraphe 4
C.c.B.-C.) d’un associ6 sont uniquement fondres sur l’intuitus persone, inten-
tion prrsumde des parties de ne continuer leurs affaires qu’avec les personnes
en consid6ration desquelles elles ont contract6 : l’associ6 failli ou interdit
n’offre plus h ses coassoci6s les qualitrs qu’ils ont compt6 trouver chez lui et
la socirt6 ne peut plus drsormais fonctionner dans les conditions d’6galit6 entre
associ6s qui existaient jusqu’alors4 6 . L’intuitus personce du lien social explique
aussi la dissolution de la socirt6 par la mort d’un associ6 (article 1892, alin6a
1, paragraphe 5 C.c.B.-C.). En effet, le contrat de socirt6 est conclu intuitu per-
sone et s’appuie sur la confiance que les associrs ont les uns envers les autres
en raison de leurs qualitrs respectives47. I1 est donc de prime abord contraire h
l’intention prrsumre des associds de les contraindre a maintenir la soci6t6 avec
des tiers tels les successeurs de l’associ6 drcrd648.

L’article 1894 C.c.B.-C.49 vient, quant h lui, nuancer les remarques qui pr6-
c~dent en disposant qu’il est permis de stipuler que, dans le cas du d6c~s de l’un
des associrs, la socirt6 pourra continuer avec les repr6sentants 16gaux du de
cujus ou entre les associ6s survivants. Ce procrd6 milite en faveur de la position
selon laquelle l’intuitus personce dans le contrat de socirt6 doit 8tre considrr6
comme drrivant de l’intention des parties plutrt que de considdrations d’ordre

w 371 et s. Une socitd en nom collectif, cr~de pour une durde de six mois, n’est pas dissoute a
l’expiration de son terme, s’il 6tait prdvu au contrat qu’elle se transformerait automatiquement en
socit6 par actions. I1 s’agit alors de la meme socidt6 qui continue sous une autre forme (Gauvin
c. Langelier, [1963] B.R. 206).

45Voir Baudry-Lacantinerie et Wahl, ibid. au n’ 381. De la m~me manibre, une socidt6 ne peut
exister sans objet (art. 1892, al. 1, para. 8 C.c.B.-C. ; Consortium Interfor Inc. c. Groupe-Conseil
G.B.G.M. Ltee (18 ddcembre 1992), Quebec 200-09-000346-889, J.E. 93-283 (C.A.); Lamarre,
supra note 17).
46Baudry-Lacantinerie et Wahl, ibid. aux n- 418, 426. Voir aussi Mignault, supra note 18 A la

p. 255 et s. ; Roch et Par6, supra note 17 i la p. 258.

47Voir Baudry-Lacantinerie et Wahl, ibid. au n, 383 et s. ; Mignault, ibid. A ]a p. 252.
48C’est ]a nature intuitu persona, des conventions tel le contrat de socidt6, le mandat ou le louage
de service personnel qui justifie cette exception A la r~gle voulant que les contrats conclus par une
personne se continuent au profit ou h la charge de ses hritiers (voir art. 1030, 1138 C.c.B.-C. ; art.
1441, 1517 C.c.Q.).

49 1894. I1 est permis de stipuler que, dans le cas du ddc&s de l’un des associds, la socirt6
continuera avec ses reprdsentants ldgaux, ou entre les associrs survivants. Dans
le second cas les reprrsentants de l’associ6 ddfunt ont droit au partage des biens
de la socit6 seulement telle qu’elle existait au moment du d~c~s de cet associ6.
Ils ne peuvent rdclamer le bdndfice des operations subsdquentes, h moins
qu’elles ne soient la suite ndcessaire de quelque chose accomplie avant le ddc~s.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 39

public. Une clause selon laquelle la soci6t6 continuera entre les associ6s survi-
vants, loin de mettre en 6chec l’intuitus persone du contrat de soci6t6, en est
au contraire la cons6cration, car elle confirme la supr6natie de l’intention des
parties en 6cartant de la soci~t6 les h6itiers de l’associ6 d~c~d60 .

Finalement, l’article 1833 C.c.B.-C.5″ vient compl6ter les articles 1894
et 1892, alin6a 1, paragraphe 5 C.c.B.-C. en disposant que la soci6t6 dont la
dur6e n’est pas d6tennin6e est cens6e contract6e pour la vie des associ6s
[…]>>. Cette r~gle se fonde aussi sur la confiance que les associ6s ont les uns
envers les autres, confiance qui provient de leurs qualit6s respectives. II
serait, comme on l’a vu, contraire au jus fraternatis que consacre le contrat
de soci6t6 de forcer les associ6s survivants A continuer la soci6t6 avec les
repr6sentants de l’associM d~c6d652. La durde de la vie des associ6s est donc
un terme incertain fix6 implicitement par la convention de soci6t6 eu 6gard
A sa nature intuitu persone. On remarquera que la dur6e de la soci6t6, tout en
n’ayant pas fait l’objet d’une stipulation expresse au contrat de soci6t6,
pourra atre implicitement limit6e par les usages constants entre associ6s ou
dans un secteur d’activit6 particulier, ou par la nature temporaire de l’entre-

rarticle 2259 C.c.Q., cr6e l’une des rares exceptions 16gislatives Ah

50Baudry-Lacantinerie et Wahl, supra note 37 aux n- 387-401. Les conventions de continuation
de soci6t6 entre les associ6s survivants ou avec les hritiers ont toujours t6 qualifi~es de pactes
sur succession future, car elles disposent d’une partie de ]a succession de l’associ6 avant qu’elle
ne soit ouverte, portant ainsi atteinte A ]a libert6 de tester de l’associ6. L’article 1894 C.c.B.-C.,
substantiellement reproduit
la prohibition des pactes sur succession future pr6vue aux articles 1061, alin~a 2 C.c.B.-C. et 631
C.c.Q. (l’institution contractuelle en est une autre (art. 778, 820, 830 C.c.B.-C.)). Ce n’est que dans
l’int6r&t 6conomique des associ6s, et vu ]a nature particulire du contrat de soci~t6, que le lgis-
lateur permet cette derogation a Ta prohibition par l’entremise des articles 1894 C.c.B.-C. et 2259
1130, par P. Veaux-Foumerie et D. Veaux au n’ 98 et s. ; G. B6vin,
C.c.Q. (J.-cl. civ., art. 1126
Les nouveaux aspects de la thiorie des pactes stir succession futture, th~se de doctorat en droit,
Universit6 de Paris, 1942 [non publi6e] a la p. 66 et s. ; H. Souleau, Les successions, 3′ 6d., Paris,
Armand Colin au n 240.10; A. Lucas, (supra note.37 au r 439).

541bid. A la p. 188. Baudry-Lacantinerie et Wahl apportent toutefois ]a nuance suivante: <>. Ces
dispositions ne sont pas sans importance pour les soci6t6s civiles actuelles, telles les soci~t6s d’avo-
cats, qui verront leurs membres passer de la responsabilit6 conjointe b la responsabilit6 solidaire.
58Elles sont, comme le prcise maintenant le Code civil diu Qubec, des personnes morales (art.
59Voir les articles 2198 2235 C.c.Q.
06Voir les articles 2236 A 2249 C.c.Q.
61Voir les articles 2250 a 2266 C.c.Q.

2188 C.c.Q.).

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 39

Pour sa part, le droit de dissolution unilat6rale n’est plus, comme cela 6tait
le cas dans le Code civil du Bas-Canada, une facult6 d’application g6n6rale 62 et
il n’est maintenu que pour la soci6t6 en participation. Arr&ons-nous donc bri6-
vement sur le r6le que le Code civil d Quebec r6serve au droit de dissolution
unilat6rale de l’associ6 dans le contexte des soci6t6s en nom collectif, en com-
mandite et en participation.

Dans le cas des soci6t~s en nom collectif et des soci6t~s en commandite,
le l6gislateur transforme profond6ment la m6canique du Code civil dtA Bas-
Canada et fait volte-face relativement aux questions qui nous int6ressent. L’ar-
ticle 2230 C.c.Q.63 ne reconnait plus que deux causes de dissolution de plein
droit de la soci6t6: l’accomplissement et l’impossibilit6 d’accomplir l’objet
de la soci6t6d. Cet article dispose aussi que la soci6t6 sera dissoute du consen-
tement de tous les associ6s ou par le tribunal, pour une cause 16gitime6″.
Finalement, l’article 2230 C.c.Q. consacre la libert6 contractuelle des parties
en leur permettant de pr6voir les causes de dissolution de leur choix dans
le contrat de soci6t6. C’est donc uniquement sous cet aspect et selon la vo-
lont6 des associ6s que le droit de dissolution unilat6rale de l’associ6 pourra
survivre au sein du contrat de soci6t6 en nom collectif et de soci6t6 en com-
mandite66.

Pour compl6ter cette r6forrne des soci6t~s en nor collectif et des soci6t6s
en commandite, et par souci des cons6quences draconiennes et de l’inadqua-
tion du droit de dissolution unilat6rale comme protecteur de la libert6 indivi-
duelle de l’associ6, le l6gislateur introduit aux articles 2226 A 2230 C.c.Q. un
r6gime de droit nouveau qui dispose des circonstances entrainant la perte de la

62Merle, supra note 15. Voir aussi le texte correspondant aux notes 138 Ai 146.
63 2230. La societ6, outre les clauses de dissolution prvues par le contrat, est dissoute
par l’accomplissement de son objet ou l’impossibilit6 de l’accomplir, ou, encore,
du consentement de tous les associ6s. Elle peut aussi
tre dissoute par le tribu-
nal, pour une cause lgitime. […].

64Ces deux causes de dissolution correspondent A la consommation de l’affaire pour laquelle
la soci6t6 a 6t6 form6e (art. 1892, al. 1, para. 3 C.c.B.-C.) et A l’impossibilit6 ou l’ill6galit6 de
l’objet (art. 1892, al. 1, para. 8 C.c.B.-C.) dans le Code civil diu Bas-Canada. On peut toutefois
d~duire de l’article 2231 C.c.Q. que ]a socidt6 sera aussi dissoute de plein droit par l’arriv6e du
terme. En effet, si tel qu’en dispose l’article 2231 C.c.Q.,
li]a soci6t6 constitude pour une duroe
d6clarde peut 8tre continu6e du consentement de tous les associ6s>>, il en r6sulte a contrario que
faute de ce consentement unanime, la soci6t6 sera dissoute en respect du terme pr~vu au contrat.
Il semble au surplus inutile de pr~ciser que le droit de continuer ]a soci~t6 est limit6 aux soci6t6s
constitu6es pour une dur6e d6clar~es puisqu’en vertu de la Loi sur les ddelarations des compa-
gnies et socigt~s (supra note 19), les soci6t6s qui doivent s’immatriculer (telles les soci~t6s en
nom collectif et les soci~t~s en commandite auxquelles l’article 2231 C.c.Q. fait r6fdrence) ont
l’obligation d’indiquer dans la d6claration, l’6poque A laquelle ]a soci~t6 se terminera. Le P.L.
95, Loi sur la publicitg ligale des entreprises individuelles, des socitds et des personnes
morales, 2′ sess., 34′ lg., Quebec, 1993, qui doit remplacer la Loi sur les diclarations des com-
pagnies et socijts, ibid., r6itre essentiellemen- cette exigence At l’article 10, alinda 2, para-
graphe 9.

65 L’article 2230 C.c.Q. reprend sous ce demier aspect le m6canisme de dissolution judiciaire
66A cet effet, voir en France l’article 1844-7 C. cir. ; Lapoyade-Deschamps, supra note 27 A la

l’article 1896 C.c.B.-C.

pr6vu

p. 125.

19941

LE DROIT DE DISSOLUTION UNILATERALE

qualit6 d’associ6 sans d6truire l’6difice social6′. Ainsi, on observe une mutation
de plusieurs causes de dissolution en vertu du Code civil du Bas-Canada en
simples causes de perte de la qualit6 d’associ6 dans le Code civil du Quibec.
De plus, l’article 2228 C.c.Q., en conf~rant un droit de retrait
l’associ6
membre d’une soci6t6 de dur6e non fix6e, semble codifier en quelque sorte le
droit de r6siliation unilat6rale du droit commun des contrats t ex6cu’tion succes-
sive de durde ind~termine 6 5 , tout en assurant la survie du contrat de soci~t 6 9.
Finalement, l’article 2229 C.c.Q. confere
l’associ6 un droit de retraitjudiciaire

67 2226. Outre qu’il cesse d’8tre membre de la soci6t6 par ]a cession de sa part ou par
son rachat, un associ6 cesse 6galement de l’etre par son d6c~s, par l’ouverture
A son 6gard d’un r6gime de protection, par sa faillite ou par 1’exercice’ de son
droit de retrait ; il cesse aussi de l’tre par sa volont6, par son expulsion ou par
un jugement autorisant son retrait ou ordormant la saisie de sa part.

2228. L’associ6 d’une soci&6t dont la dur6e n’est pas fix~e ou dont le contrat rserve
le droit de retrait peut se retirer de la soci6t6 en donnant, de bonne foi et non
h contretemps, un avis de son retrait

Ta soci~t6.

L’associ6 d’une socit6 dont la duroe est fix6e ne peut se retirer qu’avec l’ac-
cord de la majorit6 des autres associ6s, moins que le contrat ne r~gle autrement
ce cas.

2229. Les associ~s peuvent, l la majorit6, convenir de l’expulsion d’un associ6 qui

manque

ses obligations ou nuit h l’exercice des activit~s de la soci~t6.

Dans les m~mes circonstances, un associ6 peut demander au tribunal l’auto-
risation de se retirer de la soci~t6; il est fait droit A cette demande, moins que
le tribunal ne juge plus appropri6 d’ordonner l’expulsion de l’associ6 fautif.

Voir aussi les articles 2209 et 2210 C.c.Q. relativement

la cession des parts par l’associ6. Le
principe qu’on retrouve A l’article 2226 C.c.Q. s’inspire et g~ndralise la porte de Ia solution excep-
tionnelle de l’article 1894 C.c.B.-C. qui reconnait d~jh la possibilit6 pour les associ6s de convenir
de ]a continuation de la soci~t6 nonobstant le d~c~s de l’un deux (supra note 50). De fagon g~nd-
rale, le Code civil du Quibec adopte substantiellement, pour la soci~t6 en nom collectif et la socidt6
en commandite, Te rgime de retrait et de dissolution qui dtait propos6 par l’Office de revision du
Code civil (Qu6bec, Office de revision du Code civil, Rapport sur le Code civil diu Quebec : Projet
de Code civil, vol. 1, Qu6bec, tditeur officiel, 1978, art. 764 et s. [ci-apr~s Projet de Code civil]).
IT est int~ressant de noter que les dispositions sur Ta soci~t6 dans le Projet de Code civil ont servi
de source principale aux commissaires charges de la revision des dispositions du Code civil de Ta
Louisiane relatives A ]a societ6. Voir les commentaires des commissaires dans La. Civ. Code Ann.
art. 2801-3034 (West 1992).

68Voir ci-dessous, la partie IA. I1 est cependant regrettable que le l6gislateur ait choisi d’at-
tribuer ce droit, rservd en droit commun aux contrats 4 execution succhssive de dur~e inditermi-
ne, par l’utilisation du vocabulaire retrouv6
l’article 2228 C.c.Q. En effet, en confrant ce droit
A l’associ6 d’une soci6t6 dont la duroe n’est pasfixje, on a recours une terminologie diff~rente
de celle utilis~e depuis toujours en droit commun pour attribuer un droit de rsiliation unilat~rale
aux parties un contrat A execution successive de dur~e ind~termin~e (voir l’article 2091 C.c.Q.
et l’artidle 771 du Projet de Code civil (ibid.), ainsi que la discussion et lajurisprudence cities dans
]a partie HIA. du present article). On se demande, au surplus, si lutilisation de l’expression <> A larticle 2228 C.c.Q., dans le cadre du retrait de l’associ6, nest pas sim-
plement due A une copie m~canique et non rdfl~chie des termes utilis~s aux articles 1895 C.c.B.-C.
et 2260 C.c.Q. pour disposer de Ta dissolution unilat~rale de la soci~t6.

6 9L’associ6 voulant se prvaloir de ce droit de retrait doit donner, de bonne foi et non contre-
temps, un avis h cet effet ui la socijtd. Par cette precision, l’article 2228 C.c.Q. ajoute aux argu-
ments 6tablissant l’existence d’un patrimoine social. Quant aux articles 1895 C.c.B.-C. et 2260
C.c.Q., ils n’apportent pas.cette precision et exigent plut6t que l’avis de dissolution soit donn6 aux
autres associis. Voir aussi l’article 2261 C.c.Q. qui fait r~f~rence A <> et non

l’exercice de l’activit6 de la socidt6.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 39

dans le cas ott un autre associ6 manque A ses obligations ou nuit A l’exercice des
activit~s de la soci6t670 .

Donc, pour les soci6t6s en nom collectif et les soci6t6s en commandite, le
droit de dissolution unilat6rale ne pourra revivre que par le biais d’une stipula-
tion contractuelle. Le souci du l6gislateur de prot~ger conjointement la libert6
de l’associ6 et la stabilit6 de la soci6t6 a sonn6 le glas, pour ces deux types de
soci6t6s, d’un r6gime favorisant l’usage syst6matique du droit de dissolution
unilat6rale par un associ6 pour prot6ger sa libert6, au profit d’un r6gime gouver-
nant la perte de la qualit6 d’associ6 et d’une meilleure harmonie entre l’int~rat
social et individue 71.

Mais le droit de dissolution unilat6rale ne disparait pas pour autant du

Code civil du Quebec.

En effet, la soci6t6 en participation72 est, quant aux questions de dissolu-
tion, la descendante directe des soci~ts du Code civil du Bas-Canada. L’article
2258 C.c.Q 3 reprend l’essentiel des dispositions de l’article 1892 C.c.B.-C.74.
Le contrat de soci6t6 en participation prend donc fin, outre sa r6siliation du con-
sentement de tous les associ6s, par l’arriv6e du terme, l’av~nement d’une con-
dition appos6e au contrat, l’accomplissement ou l’impossibilit6 d’accomplir
l’objet du contrat, le d6c~s, la faillite ou l’ouverture, A l’6gard d’un associ6, d’un

70Ce qui n’est pas sans ressembler au retrait judiciaire pour juste motif pr6vu a l’article 1869
C. civ. A cet effet, iI a r6cemment 6t6 d6cid6 par la premiere chambre civile de Nancy (Cass. civ.
1′, 27 septembre 1989) que:

Le juste motif de retrait d’une soci6t6 civile n’a pas n6cessairement a se rattacher de
fagon exclusive h 1’existence et au fonctionnement de la socidt6 elle-meme, mais peut
aussi s’entendre d’un 6lment touchant t la situation personnelle de l’associ6 (J.-cl.
civ., supra note 24 au n* 21 et s.).

71Voir aussi l’article 2232 C.c.Q. qui s’inspire de l’article 1844-5 C. civ. et qui est de droit nou-
veau. En vertu de cet article, la reunion de toutes les parts sociales entre les mains d’un seul associd
n’emportera pas automatiquement la dissolution de ]a soci6t6, comme c’est le cas en vertu du Code
civil du Bas-Canada. On assiste donc, dans le but de prot6ger At tout prix l’institution sociale, au
maintien exceptionnel et temporaire d’un <> qui n’est plus la rencontre de plusieurs volon-
t6s.72Contrairement aux soci6tds en commandite et aux socidt~s en nom collectif (art. 2189 C.c.Q.),
la soci~t6 en participation n’est pas tenue de se d6clarer. Le texte anglais du Code civil d Quibec
]a qualifie d’ailleurs de <. De plus, Ie contrat constitutif de la soci~t6 en
participation, comme en dispose le premier alin6a de l’article 2250 C.c.Q., est 6crit ou verbal et
peut aussi r6sulter de faits manifestes qui indiquent l’intention de s’associer. Seront donc des soci&
t~s en participation, les actuelles soci~t6s de fait ou inorganis6es, de meme que les groupements
secrets d~sireux d’6voluer en toute discrdtion selon les modalit6s de leur convention ou souhaitant
6viter les cofits de l’immatriculation.

73 2258. Le contrat de soci6t6, outre sa r6siliation du consentement de tous les associ6s,
prend fin par I’arrivde du terme ou l’av~nement de ]a condition apposde au con-
trat, par ‘accomplissement de l’objet du contrat ou par l’impossibilit6 d’accom-
plir cet objet.

I1 prend fin aussi par le d~c~s ou la faillite de l’un des associ~s, par l’ouverture
h son 6gard d’un r~gime de protection ou par un jugement ordonnant la saisie
de sa part.

74A 1’exception de 1’extinction ou de la perte des biens appartenant A la soci6t6 (art. 1892, al.
1, para. 2 C.c.B.-C.) et de la volont6 d’un seul associ6 (art. 1892, al. 1, para. 7 C.c.B.-C.). Cc der-
nier aspect fait cependant l’objet de l’article 2260 C.c.Q.

1994]

LE DROIT DE DISSOLUTION UNILAThRALE

r6gime de protection. II prend aussi fin par un jugement ordonnant la saisie de
la part d’un associ6. L’article 2259 C.c.Q. reproduit pour sa part l’article 1894
C.c.B.-C. et permet de stipuler dans le contrat de soci6t6 qu’advenant le d6c~s
de l’un des associ6s, la soci6t6 continuera avec ses repr6sentants 16gaux ou entre
les associ6s survivants 7 . Quant au droit de dissolution unilat6rale de l’associ6,
c’est l’article 2260 C.c.Q. qui en dispose76. Cet article reprend la substance de
l’article 1895 C.c.B.-C. en permettant A un associe membre d’une soci6t6 dont
la dur6e n’est pas fix6e, de mettre fm au contrat de soci6t6 a tout moment
moyennant un avis a cet effet, donn6-de bonne foi et non a contretemps.

Mais l’innovation majeure de l’article 2260 C.c.Q. vient du fait qu’il con-
fere aussi cette facult6 de dissolution unilat6rale h l’associ6 dont le contrat
r6serve le droit de retrait. Ainsi, alors que depuis toujours, le droit de dissolution
unilat6rale de l’associ6 est assimil6 at un outil de protection de la libert6 de l’as-
soci6, l’article 2260 C.c.Q., en donnant le b6n6fice du droit de dissolution h l’as-
soci6 dont la libert6 est d6jh garantie paf un droit de retrait, vient clairement
confirmer la distinction fondamentale existant entre un droit de dissolution uni-
lat~rale et un droit de retrait. L’6tonnement n’est pas mince dans le contexte
actuel, car le droit de dissolution unilatdrale 6tait depuis toujours assimil6 h un
outil de protection de la libert6 de l’associ6. En conf6rant cette facult6 h l’Asso-
ci6 se voyant r~server un droit de retrait dans le contrat de soci6t6, le 16gislateur
confirme l’absence de connexit6 entre le droit de dissolution unilat6rale et la
protection de la libert6 de l’associ6. Nous y reviendrons.

Finalement, l’article 2261 C.c.Q.77 maintient au profit de la soci6t6 en par-
ticipation, un peu comme le fait l’article 2230 C.c.Q. pour les-soci6t6s en com-
mandite et les soci6t6s en nom collectif, le m6canisme de dissolution judiciaire
pour cause 16gitime tel qu’on le retrouve A l’article 1896 C.c.B.-C. Cependant,
alors que la technique pr6vue a l’article 1896 C.c.B.-C. est r6serv6e aux soci6t6s
de dur6e limit6e, l’article 2261 C.c.Q. procure le b6n6fice de ce m~canisme aux
soci6t6s en participation de toute dur6e, que cette demi~re soit fix6e ou non.

IL Le droit de dissolution unilat6rale de l’associ6 : fondements et porte

eu 6gard aux questions de dur6e
Avant d’etre en mesure d’analyser et de critiquer l’application actuelle du
droit de dissolution unilat6rale de l’associ6, il est d’abord essentiel d’en d6finir

75 2259. Il est permis de stipuler qu’advenant le d6c~s de l’un des associ6s, la soci6t6 con-
tinuera avec ses repr6sentants l6gaux ou entre les associ6s survivants. Dans le
second cas, les repr6sentants de l’associ6 d6funt ont droit au partage des biens
de la soci~t6 seulement telle qu’elle existait au moment du d~c~s de cet associ6.
Ils ne peuvent r~clamer le b~n6fice des op6rations subs6quentes, h moins
qu’elles ne soient la suite n6cessaire des op6rations faites avant le d6c~s.

76 2260. Le contrat de soci~t6 dont la duroe n’est pas fix~e ou qui r6serve un droit de
retrait peut prendre fin h tout moment sur simple avis adress6 par un associ6 aux
autres associds, pourvu que cet avis soit donn6 de bonne foi et non h contre-
temps.

77 2261. Le contrat de soci6t6 peut 8tre r6sili6 pour une cause 16gitime, notamment si l’un
des associ6s manque A ses obligations ou nuit a l’exercice de l’activit6 des asso-
cids.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 39

les fondements et la port6e en droit positif. A cette fin, on doit noter une par-
ticularit6 fort importante de la coexistence des r~gles de type contractuel et de
type institutionnel. Comme la soci6t6 a un patrimoine autonome, elle est, face
aux associ6s, seule propri6taire des biens mis en soci6t6. Aussi, les soci6taires
d6tiennent-ils une part, un droit personnel mobilier, dans le patrimoine social78.
Cette relation cr6ancier-d6biteur entre la soci6t6 et l’associ6 se manifeste aussi
par le biais des articles 1839 C.c.B.-C. et 2198 C.c.Q. en vertu desquels l’asso-
ci6 est r6put6 8tre d6biteur envers la soci6t6 de tout ce qu’il a promis d’y appor-
ter.

Comme la part de l’associ6 dans le patrimoine social est un droit personnel,
il est essentiel de nous pencher sur la nature temporaire des droits personnels
conventionnels de meme que sur les sanctions d’une inddtermination dans leur
dur6e en vertu du droit commun des obligations. Ce n’est qu’une fois cet exer-
cice termin6 que nous nous attarderons h la port6e du droit de dissolution uni-
lat6rale de l’associ6 en vertu des dispositions sur la soci6t6 dans les codes civils
du Bas-Canada et du Qu6bec.

A. La nature temporaire des droits personnels conventionnels et la sanction

d’une indiftermination dans leur dure
Comme le fait remarquer Az6ma79 , <[a]lors que la loi 6tatique a vocation, au moins en th~orie, a la perp6tuit6, la loi contractuelle semble au contraire par essence temporaire>. Les conventions naissent de l’accord de volont6s indivi-
duelles libres, on volt donc mal comment un engagement perp6tuel pourrait 8tre
compatible avec notre conception du contrat.

Bien qu’il n’existe pas dans nos codes civils de disposition prohibant de
fagon g6n6rale les engagements perp6tuels, la doctrine a g6n6ralis6 la reconnais-
sance ponctuelle des codes civils ii l’6gard de certains contrats h ex6cution suc-
cessive, du caract~re essentiellement temporaire de l’obligation contractuelle 0 .

78Cantin Cumyn, supra note 22 A la p. 23 ; C6t , supra note 4 A la p. 501 ; Roch et Par6, supra
note 17 A lap. 341 ; Wilhelmson, supra note 30 A lap. 1004 et s. Comme le fait remarquer Cantin
Cumyn:

L’expression droit personnel d6crit le rapport juridique entre deux personnes par lequel
l’une d’elle, le cr~ancier, peut exiger de I’autre, le d6biteur, l’ex~cution d’une prestation
qu’il est traditionnel de qualifier d’obligation de faire, de ne pas faire ou de donner. La
dur6e du lien d’obligation, lorsqu’il est cr66 par contrat, peut d6couler tant de la nature
de l’op6ration juridique envisagde que de la volont6 des parties. C’est ainsi que ]a dur~e
fournit un mode de classification des contrats, selon qu’ils sont A exdcution instantane,
ou A execution successive (ibid.).

I1 est donc, selon nous, inappropri6 de qualifier l’associ6 d’indivisaire tant que la socitd n’est
pas dissoute. Pour une decision adoptant toutefois cette position, voir Woods c. Lord (29 janvier
1992), Montr6al 500-05-001474-921 (C.S.). Pour les distinctions entre Ia soci6t6 et l’indivision,
voir infra note 136.

7 9Supra note 22 A ]a p. 13.
80Az~ma, ibid. Voir aussi Cantin Cumyn, supra note 22 aux pp. 36-38. A cet effet, voir les dis-
positions des codes civils sur le louage de choses (art. 1629-31 C.c.B.-C. ; art. 1877, 1880 C.c.Q.),
le louage de services (art. 1667 Cc.B.-C. ; art. 2086, 2091 C.c.Q.), le mandat gdn~ral (art. 1755,
1756, 1759 C.c.B.-C.; art. 2176, 2178 C.c.Q.), le prbt (art. 1774, 1783 C.c.B.-C.; art. 2319
C.c.Q.), l’administration du bien d’autrui (art. 1356 et s. C.c.Q.) et l’obligation At terme (art. 1783
C.c.B.-C. ; art. 1512 C.c.Q.).

1994]

LE DROIT DE DISSOLUTION UNILATERALE

Cette prohibition des engagements perp6tuels n’a cependant pas pour effet de
frapper de nullit6 tout contrat h ex6cution successive dont la dur6e est ind6ter-
min6e ou stipul6e perpdtuelle. Dans ces cas, il existe pour chaque partie une
facult6 g6ndrale de mettre fin au contrat h exdcution successive de duroe ind-
termin6e, en tout temps, moyennant un avis de cong6 raisonnable de fa~on h ce
que la r6siliation unilat6rale ne cause pas un pr6judice grave au cocontractant 1 .
Cette facult6 implicite de r6siliation unilat6rale du contrat, d6j admise en droit
romain, <> 2. Nier ce droit 6quivaudrait
A sanctionner une obligation de dur6e perp6tuelle, chose interdite en droit civil.

Mais d’oa vient cette prohibition ? Les justifications contemporaines h la
prohibition des droits personnels conventionnels perp6tuels sont essentiellement
de deux types.

Le premier fait r6fdrence h la libert6 individuelle des parties h une conven-
tion 3. Le contrat constitutif de droits personnels a pour effet d’obliger un d6bi-
teur en faveur d’un cr6ancier. I1 en r6sulte un assujettissement d’une personne
h une autre 4. Admettre un engagement perp6tuel 6quivaudrait en quelque sorte
A sanctionner un rapport de d6pendance permanent entre deux personnes 5 , ce
qui est inacceptable en droit civil.

Le deuxi~me type de justification h la prohibition des droits personnels
conventionnels perp6tuels fait r6f~rence h la thorie gdn~rale des contrats ou
l’int6rt 6conomique des parties86 . En effet, comme l’6crit Cantin Cumyn:

[Lie principe de la force obligatoire du contrat auquel les parties ont librement
consenti emporte 1’adhsion lorsque les engagements qui en d6coulent sont execu-
tes dans des circonstances que les parties ont pu envisager et appr6cier. II suffit que
le temps d’ex6cution s’6tire pour que surviennent des circonstances nouvelles qui

81Cantin Cumyn, ibid.

la p. 25. L’obligation, pour la partie qui d6sire mettre fin au contrat de
dur6e inddterminde, de donner un avis raisonnable de r6siliation d6coule de l’obligation de bonne
foi dans l’exercice des droits contractuels (art. 1024 C.c.B.-C. ; art. 1434 C.c.Q.). Voir, dans le con-
texte des contrats innomm6s, E & S Salsberg Inc. c. Dylex Ltd., [1992] R.J.Q. 2445
la p. 2451
(C.A.) [ci-apr~s E & S Salsberg Inc.]; Dami Sport Co. c. Sun Ice Ltd., [1993] R.R.A. 379 (C.S.)
[ci-apr~s Dami Sport Co.]; Groupe Master Lte c. Dunham-Bush of Canada Ltd. (8 d6cembre
1987), Montr6al 500-05-014789-828, J.E. 88-250 (C.S.), en appel (C.A.M. 500-09-000017-889)).
Dans le contexte du contrat individuel de travail, voirAsbestos Corporation c. Cook, [1933] R.C.S.
86 A ]a p. 91 [ci-apr~s Asbestos Corporation] ; Drouin c. Electrohlx Canada Lte, [1988] R.J.Q.
950 (C.A.) [ci-apr~s Drouin].

82Az6ma, supra note 22 h la p. 153. Voir aussi Cantin Cumyn, ibid.

la p. 27; Baudry-
Lacantinerie et Wahl, supra note 37 au n* 438 ; J. Ghestin, Traiti de droit civil : Les obligations,
les effets diu contrat, Paris, Librairie g6n~rale de droit et de jurisprudence, 1992 4 la p. 259 et s.
Les codes civils pr6voient sp6cifiquement cette facult6 pour les contrats de louage de choses (art.
1629-31 C.c.B.-C. ;’art. 1877, 1880 C.c.Q.), de louage de services (art. 1667 C.c.B.-C. ; art. 2086,
2091 C.c.Q.), de mandat (art. 1755, 1756, 1759 C.c.B.-C. ; art. 2176, 2178 C.c.Q.), de soci6t6 (art.
1895 C.c.B.-C. ; art. 2260 C.c.Q.), d’administration du bien d’autrui (art. 1356 et s. C.c.Q.), ainsi
que pour les autres contrats nomm6s, mais de fagon moins explicite (Cantin Cumyn, ibid. Voir
aussi ]a jurisprudence cit6e en note 81).

83Voir Az6ma, ibid.
8Cantin Cumyn, ibid. I la p. 37.
85Ibid.
86Ibid. aux pp. 39-40. Voir aussi Az~ma, supra note 22 1 la p. 19.

la p. 19 et s. ; Cantin Cumyn, ibid, 4 la p. 36 et s.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 39

viennent modifier substantiellement les pr6visions des parties. […] La r6vision du
contrat par application de la thorie de l’impr6vision n’est pas admise ni en doc-
trine ni en jurisprudence. Face A une observation stricte de la maxime pacta sunt
servanda, justifire par Ta n~cessit6 d’assurer la stabilit6 du contrat ou par ]a crainte
de l’arbitraire judiciaire, il n’est pas dans l’intgret des parties de s’engager pour
une piriode d l’ jgard de laquelle il ne leur est pas possible de privoir toutes les
circonstances importantes [nos italiques]al.

Les deux fondements invoqurs A l’appui de la prohibition des droits per-
sonnels perprtuels, soit la libert6 individuelle et la th6orie grn6rale des contrats,
sont intimement lies A la conception que l’on se fait de la perprtuit6. En effet,
selon qu’on adopte une conception objective88 ou subjective89 de la perp6tuit6,
la portre et l’impact de cette prohibition varieront grandement”. On doit donc
se demander si la prohibition des contrats h exrcution successive perp6tuels fait
rrfrence aux contrats subjectivement perprtuels ou objectivement perprtuels.

II faut noter tout d’abord que l’essence meme des justifications h l’interdic-
tion des engagements perp6tuels, soit la libert6 individuelle et la thdorie grn6-
rale des contrats, milite en faveur d’une conception essentiellement subjective
de la perp6tuitO’. En effet, la libert6 individuelle, principal fondement du carac-
tore temporaire des droits personnels conventionnels, est avant tout pr~occup6e
par la personne du contractant. Invoquer la libert6 individuelle pour interdire la
perprtuit6 des engagements serait donc illusoire si on n’adoptait pas simultan6-
ment une conception de la perp6tuit6 elle aussi centr6e sur l’individu. Or, la con-
ception subjective de la perp6tuit6 rrpond justement A ces pr6occupations. En
vertu de celle-ci, il faut apprrcier le caractre perp~tuel ou temporaire d’une
obligation par rapport h la vie des personnes qui l’ont contract6e. Par exemple,
une socirt6 de personnes physiques constitrue pour 99 ans sera consid6rre a
durre illimit6e et perp6tuelle du fait qu’elle existera pour une durre sup6rieure
a la vie de ses membres. Au fond, un contrat A ex6cution successive est perp6-
tuel dans sa dur6e lorsque les cocontractants ne peuvent pas r6ellement esprrer
y survivre2 .

Cette conception de la perptuit6, centr6e sur les libert6s individuelles,
semble aujourd’hui 8tre dominante en droit civil qu6brcois93. L’h6g6monie de la
conception subjective de la perp~tuit6 n’a cependant pas toujours 6t6 consacr~e.
Jusqu’aux annres soixante en France, on admettait que la dur6e maximale d’une
soci~t6 pouvait 8tre, comme pour le bail, de 99 ans. Au-delM de cette dur~e, on
considrait la socirt6 comme 6tant perp6tuelle. La perp6tuit6 6tait donc appr6-
cire selon des balises objectives94 .

17Ibid.
“8Par exemple, est perptuel un bail susceptible de durer plus de 99 ans. Une autre expression
de la conception objective de la perpdtuit6 a dt
formulde par Baudry-Lacantinerie et Wahl, lors-
qu’ils disaient : Une soci~t6 est t durde illimitre si le terme de son expiration est tellement 6loign6
et incertain qu’on ne puisse le pr6voiro (supra note 37 au n, 442).

89Par exemple, un bail est perptuel du seul fait que l’une des parties est lie A vie.
90Azdma, supra note 22 aux pp..18-19.
91Voir de fagon g~n~rale Az~ma, ibid.; Cantin Cumyn, supra note 22.
92Az~ma, ibid. aux pp. 19-22.
93Cantin Cumyn, supra note 22 A la p. 36 et s.
94Az~ma, supra note 22 A ]a p. 21.

1994]

LE DROIT DE DISSOLUTION UNILATARALE

#I
355

L’6tude de l’origine de cette dur~e maximale de 99 ans relativement aux
ex6cution successive telle la soci6t6 se sont inspi-

baux, desquels les contrats
res en mati~re de durde, est fort instructive nos fins 9s.

Au Qu6bec, c’est l’abolition du syst~me seigneurial et la prohibition des
rentes perp~tuelles qui ont eu pour effet d’6tablir une limite objective de 99 ans
A la dur~e du bail96 . La gen~se de cette 6volution nous vint de France. Jusqu’h
la Revolution frangaise de 1789, le louage perp6tuel 6tait le droit commun de
la propri~t6 en France97. Mais on y abolit cette pratique par l’adoption de la loi
des 18-29 d~cembre 1790 qui prohibait les baux d’une dur~e sup6rieure h 99
ans9t . Le choix du terme maximum de 99 ans s’expliquait par la preoccupation
premiere des r6dacteurs de cette loi de faire disparaitre toute-r~frence t la f6o-
dalit6 et A l’ancien r6gime99 . Le mobile premier de la prohibition des baux per-
p6tuels 6tant d’ordre politique (et non centr6 sur les droits de l’individu), le
choix d’une limite objective h la dur~e des engagements 6tait tout h fait d6fen-
dable.

Mais la menace d’un retour

la fModalit devint de plus en plus impro-
bable” . Et, si la prohibition des baux perp6tuels demeura pertinente, c’est
qu’on lui insuffla une nouvelle 5ine en la justifiant par d’autres consid6rations :
l’int6ret 6conomique et la libert6 individuelle des parties’. Une fois r~v616es
la prohibition des baux perp6uels, la table 6tait
ces nouvelles>> justifications
mise pour qu’on s’oriente vers une conception plus subjective de la perp6tuit6.
Comme le rapporte Az~ma lorsqu’il compl~te les paroles de Voirin :

En effet si >, et a fortioti [sic] pour protger [sic] la libert6 individuelle.

II faut rechercher si le contractant n’est pas li sa vie durant et c’est par rap-
port A lui qu’il faut d6terminer si l’engagement est ou non perptuel : la conception
est toute subjective’ .
Ainsi, la prohibition des engagements personnels conventionnels perpe-
tuels est aujourd’hui principalement motiv~e par le respect de la libert6 de la

950n notera cependant que la question de la dure maximale du bail en vertu du Code civil du
Bas-Canada, fait, au Qu6bec, l’objet de prises de position oppos6es et tr~s fermes. Une partie des
autorit6s permet le bail perp~tuel alors que l’autre limite la dur6e du bail h 99 ans (le Code civil
du Quebec rgle la question en limitant le bail A 100 ans (art. 1880 C.c.Q.)). Cette divergence de
points de vue prend sa source dans les appr6ciations contradictoires de la portde des d6cisions juris-
prudentielles sur la question. Pour un exemple de la position selon laquelle le bail est limit6 h 99
ans, voir Cantin Cumyn, supra note 22 aux pp. 27-35. Pour un exemple de la position selon
laquelle le bail perp6tuel est admis, voir P.-G. Jobin, Traite de droit civil: Le louage de choses,
Montr6al, Yvon Blais, 1989 aux pp. 667-/1.

96Cantin Cumyn, ibid. a la p. 30.
97Ibid. aux pp. 29-30. .
98Az6ma, supra note 22 A la p. 17.
991bid. b Ia p. 19.
‘0Ibid.
’01Ibid. On peut avancer que cette nouvelle qualification des justifications

l Ia prohibition des
baux perp6tuels n’6tait, en v&ritl, que l’autre facette d’une mme id6ologie : ne voulait-on pas 6vi-
l’ancien r6gime pour prot6ger la libert6 et l’intr& dconomique des individus, tous
ter un retour
deux mal servis par les engagements perp6tuels ?

121bid. aux pp. 19-20.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 39

personne. La conception subjective de la perp6tuit6 qui en r6sulte entrainera
donc une prohibition des engagements portant atteinte de fagon importante at
cette libert6. Selon cette approche, le contrat de travail, les clauses de non con-
currence, et de moindre fagon le contrat de soci6t6 ne devront donc pas 8tre
d’une durge perp~tuelle aux yeux des parties au contrat.

En revanche, il est certains contrats dans lesquels la prohibition de perp6-
tuit6 se manifeste toujours conform6ment h une conception objective de la per-
p6tuit6. Le louage de choses, par exemple, est limit6 i 99 ans en vertu du Code
civil du Bas-Canada13 et h 100 ans en vertu du Code civil d Quebec'”. L’ar-
ticle 389 et suivants C.c.B.-C. incorporent, quant a eux, la prohibition des rentes
perp6tuelles en les limitant h 99 ans ou trois vies successives. Le Code civil d
Qudbec limite pour sa part ces derni~res A 100 ans’05.

Mais qu’advient-il d’un contrat pr6voyant une dur~e jug6e excessive ou

perp6tuelle ?

Selon que la nature du contrat commande une conception de la perp6tuit6
plut6t subjective (la soci6t6, le contrat de travail, le mandat) qu’objective (le
bail, les rentes) “, la sp6cification au contrat d’une dur6e jug~e illimit6e ou per-
p6tuelle n’entranera pas les memes sanctions. La vari6t6 de ces sanctions cor-
respond

l’6volution de la notion m~me de perp6tuit6.
D’une part, la r6duction de la dur~e d’un contrat

ex6cution successive
<-,1 . On pourra donc, en vertu du Code civil
du Bas-Canada, en prenant appui sur les r~gles 6tablies en mati~re de rentes,
consid6rer que la durde extreme d’un bail doive 6tre de 99 ans et alors r6duire
a cette dur6e le bail stipul6 perpgtuel ou d’une dur6e excddant 99 ans05 . Le
Code civil du Quebec reprend d’ailleurs express6ment cette technique en dispo-

‘0 3Cantin Cumyn, supra note 22 h la p. 45. Contra Jobin, supra note 95.
10Art. 1880 C.c.Q.
l05Art. 2376 C.c.Q. Par opposition aux droits personnels, le caractre temporaire des servitudes
personnelles, droits r6els de jouissance constitu6s au profit d’une personne sur ]a chose d’autrui,
ne d6coule pas du lien entre le droit et la personne, mais plut6t de Ta notion de propri~td. Permettre
Ia perp~tuit6 des droits r~els de jouissance, tels 1’emphyt6ose et l’usufruit (emportant l’usus et le
fructus), r~duirait le droit du propri6taire ii une propri~t6 nue, d6pouill6e de ]a plupart de ses avan-
tages pour une p6riode perp6tuelle, ce qui ferait renaitre le double domaine de propri6t6 qui pr6-
valait sous le regime seigneurial (Cantin Curnyn, supra note 22 aux pp. 31-32).

’06La Cour de cassation nous rappelait d’ailleurs r6cemment qu’une rente consentie ]a vie durant
du b6n6ficiaire ne devait pas 6tre considfr6e comme un contrat h durde ind6termin~e aux fins du
droit de r6siliation unilatrale. La Cour s’exprimait de la fagon suivante:

[E]st pris pour une dur~e d~tennin~e 1’engagement dont le terme est fix6 par un 6v6-
nement certain, m~me si ]a date de sa r~alisation est inconnue, ds lors que cette rda-
lisation est ind6pendante de la volont6 d’une partie ; qu’en I’espke, apr~s avoir fait res-
sortir que l’avantage consenti devait etre vers6 au b~ndficiaire sa vie durant ou jusqu’au
d~c~s de son conjoint survivant, soit jusqu’A un terme certain dont ]a rialisation ne
d6pendait pas de la volont6 de l’une des parties, la cour d’appel […] a, en d~cidant qu’il
ne pouvait etre r6sili6 que par le consentement mutuel des parties, 16galement justifi6
sa d6ecision (Cass. soc., 28 octobre 1992, cit6 dans J. Ghestin, G. Virassamy et M. Bil-
liau, Droit des obligations>> J.C.P. 1993.1.129 t ]a p. 130).

1TAz6ma, supra note 22 h la p. 24.
10 Cantin Cumyn, supra note 22 aux pp. 34-35.

1994]

LE DROIT DE DISSOLUTION UNILATERALE

sant h l’article 1880 que lorsque la dur~e du bail exc~de 100 ans, elle est r6duite
h cette dur6e.

Par contre, dans les cas ohi un terme objectif de 99 ou 100 ans <19. On
a alors recours h deux sanctions plus compatibles avec la conception subjective
de la perp6tuit6. La premiere, infiniment plus protectrice de la libert6 des par-
ties, consiste a prononcer la nullit6 du contrat. La seconde, et c’est celle qui fut
retenue en mati~re de soci6t6, consiste A transformer la soci6t6 jug6e perp6tuelle
aux yeux de ses membres en une soci6t6 dont on qualifie la dur6e d’illimit6e ou
d’ind6tennine

.

Qualifier de soci6t6 h dur6e ind6termin6e une soci6t6 perp6tuelle devrait
entraner l’application du -droit commun des contrats h ex6cution successive de
dur6e ind6termin~e : comme nous l’avons vu, chaque partie A ce type de contrat
disposera d’un droit de r6siliation unilat6rale”. Cependant, faisant fi de la
nature contractuelle de la soci6t6 en s’obstinant A ne pas lui appliquer le droit
commun des obligations en mati~re de r6siliation, le droit positif a depuis tou-
jours ni6 l’existence d’un droit de r~siliatibn unilat6rale a l’associ6 partie h un
contrat de soci6t6 perp6tuel h ses yeux. On a pr6f6r6 voir dans le droit de dis-
solution unilat6rale, tel qu’on le retrouve aux articles 1895 C.c.B.-C. et 2260
C.c.Q., l’9quivalent du droit de r6siliation unilat6rale du droit commun. C’est
par cet artifice qu’on a fait du droit de dissolution unilatdrale de l’associg un
mecanisme protecteur de sa liberti.

I1 est donc maintenant appropri6 de d6terminer selon quelles modalit6s et
dans quelles circonstances un associ6 pourra se pr6valoir de ce droit. C’est ce
dont nous traitons dans les lignes qui suivent.

B. La port~e actuelle du droit de dissolution unilat~rale de l’associg

Comme nous l’avons vu, la soci6t6 est institu6e par un contrat t ex6cution
successive. A ce titre, et n’eut 6t6 l’intervention du 16gislateur, le contrat de
soci~t6 stipul6 perp~tuel ou pour une dur~e sup6rieure a la vie de ses membres
serait r6siliable de plein droit par tout associ6, en vertu du droit commun des
contrats A ex6cution successive.

Mais, plut6t que de s’en remettre aux r~gles du droit commun, le 16gisla-
teur a pr6fr6 mettre en place un ensemble de dispositions devant r6gir les ques-
tions de dur6e et de dissolution unilat6rale de la soci6t6″l2.

La premiere difficult6 quant a l’interpr6tation des codes civils se rapporte
aux diff6rences importantes dans le vocabulaire utilis6 pour d6signer des con-

’09Az6ma, supra note 22
0Voir de fagon g~n~rale Az6ma, ibid. aux pp. 24-25 ; Cantin Cumyn, supra note 22 aux pp.

la p. 24.

34-35.

correspondant.

“‘Az6ma, ibid. a lap. 153 ; Cantin Cumyn, ibid. lap. 25. Voir aussi supra notes 81, 82 et texte
120n fait ici r6f~rence aux articles 1833, 1892, 1894, 1895, 1896 C.c.B.-C. et aux articles 2258

A 2261 C.c.Q..

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 39

cepts similaires. En effet, l’article 1833 C.c.B.-C. dispose que la soci6t6 dont la
durge n’est pas d~termine est cens6e contract6e pour la vie des associ6s. Pour
leur part, les articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. conferent un droit de dis-
solution h chaque membre d’une soci6t6 dont la durge n’est pas fixe. Quant A
l’associ6 membre d’une soci~t6 dont la durec est limitge, il peut, en vertu de
l’article 1896 C.c.B.-C., demander
la cour la dissolution pour des motifs l6gi-
times, bien qu’une dur6e soit stipul6e au contrat”3.

Le rapport des codificateurs du Code civil du Bas-Canada, bien que silen-
cieux quant A l’origine de l’article 1833 C.c.B.-C.”‘, indique, h titre de source
de l’article 1895 C.c.B.-C., l’ancien article 1869 C. civ.”. Or, celui-ci s’expri-
mait en des termes diff~rents de ceux utilis6s aux articles 1895 C.c.B.-C. et
2260 C.c.Q. L’ancien article 1869 C. civ. permettait en effet aux associ6s de dis-
soudre unilat~ralement la soci6t6 de durge illimitge. Ce changement de termino-
logie ne fut malheureusement pas motiv6 par les codificateurs de 1866. Ceux-ci,
en limitant le droit de dissolution aux seules soci6t6s dont la durge n’est pas
f/xee, ont-ils voulu permettre aux soci6taires de stipuler au contrat de soci6t6, en
toute s~curit6, une dur6e r6pondant A leurs objectifs particuliers (20, 50 ou 100
ans), ou n’6tait-ce l que le r6sultat d’une inattention de leur part ?

Les auteurs de doctrine, pour leur part, ne perdirent point de temps pour
att~nuer ce changement de terminologie en l’interpr6tant comme 6tant 6qui-
valent h l’esprit de l’ancien article 1869 C. civ. Les tenants de cette position ne
pourraient mieux s’exprimer que par l’entremise de Mignault, qui 6crivait t ce
sujet :

Notre code se sert du terme soci~t6 dont la dur6e n’est pas fixde>>, l’article 1869
du code Napoldon envisage au contraire la soci~t6 dont ]a durde est illimitde>>. A
premiere vue il y aurait IA une difference, car en stipulant que la socidt6 durera tou-
jours on en fixa la duroe. Cependant ridge du 16gislateur parait etre la meme. Que
le contrat soit silencieux sur le terme de la soci~t6 ou qu’il stipule que cette soci~t6
durera toujours, il n’en est pas moins vrai que le pacte social ne fixe aucun temps
o i la socidt6 devra cesser. Donc, en ce sens, sa duroe n’est pas fix~e ou est illimi-
tde, et un tel engagement ne peut Her l’associ6 pour toujours 116 .

On ne peut que partager cette proposition. En effet, stipuler un contrat de
soci6t6 perp6tuel, h dur~e ind6termin6e, ou ne pas en fixer la dur6e ne sont que
trois facettes d’une m~me r6alit6 : dans les trois cas, l’associ6 sera prisonnier du
contrat a moins de ne pouvoir s’en lib~rer d’une quelconque fagon.

Ainsi, quand la dur~e aura 6t6 stipul6e perp6tuelle ou n’aura pas 6t6 pr6vue
au contrat, l’associ6 pourra sans aucun doute se pr6valoir des articles 1895
C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. pour dissoudre la soci6t6. I1 en sera ainsi d’une soci~t6
form6e pour l’exploitation d’une entreprise, telle une mine, dont il est de la
nature de durer tr~s longtemps, voire ind6finiment. En effet, on se rappellera

” 3Dans le Code civil du Quebec, ce m~canisme n’est plus circonscrit aux soci6t6s dont la durde
est limit~e. En effet, les articles 2230 et 2261 C.c.Q. donnent le pouvoir au tribunal de dissoudre
toute soci~t6, y compris la socidt6 en commandite, pour une cause 1gitime.

” 4Voir Rapport des commissaires, supra note 36 a la p. 27.
“5lbid. h la p. 33.
” 6Supra note 18 A la p. 259.

19941

LE DROIT DE DISSOLUTION UNILATRALE

la dur~e de la
que m~me en l’absence d’une convention expresse quant
socirt6, cette dur6e pourra Atre limit~e par la nature de l’exploitation projetre”‘.
Or, dans le cas d’une mine, par exemple, bien qu’il paraisse certain qu’elle fmira
par s’6puiser, son exploitation est de nature A durer tellement longtemps qu’elle
peut etre assimile A une exploitation de dur6e illimit6e”‘. En somme, une
socirt6 sera -durre illimitre quand les associ6s entendront rester engages ind&
finiment. Par contre, elle ne sera pas A dur~e illimit~e si les parties ne se sont
pas entendues sur sa dur6e, car dans un tel cas le contrat sera nul faute de con-
sentement1 9.

Mais qu’en est-il de la delicate question de savoir si le principe selon
lequel on ne peut s’associer de fagon perp6tuelle s’applique une socirt6 dont
la durre, expressrment stipulre, drpasse la durre de la vie de ses membres ou
tout autre maximum jug6 tolerable pour un associ6 ? Un excs dans la d~termi-
nation de la durre entraimera-t-il la transformation du contrat en un engagement
h durre ind~termin6e au motif que cette dur6e n’est pas fxge aux yeux de l’as-
soci6 ? L’associ6 restera-t-il au contraire membre A vie d’.une soci6t6 contrac-
tre pour une durre sup6rieure A sa vie (en supposant que ne survienne pas une
autre des causes de dissolution 6num&r6es aux articles 1892 C.c.B.-C. et 2258
C.c.Q.) ?

Comme on l’a vu, les auteurs prrconisent aujourd’hui une conception sub-
jective de la perprtuit6 pour le contrat de soci&t6. II semble en effet que, dans
la mesure oOi une soci6t6 pourra durer au-delh de la vie de ses membres, soit par
le jeu d’une stipulation expresse au contrat ou par la nature de l’exploitation
projetre, la socirt6 sera r6putre etre A dur6e ind~terminre et chaque associ6
pourra unilatralement dissoudre la soci6t6t

t .

Les auteurs justifient cette conclusion principalement en invoquant la
libert6 de l’associ6. Interdire t l’associ6 de mettre fm h la soci&6t dont le terme
d~passe, en toute probabilit6, la vie de ses membres serait 6quivalent permettre
qu’un associ6 ali~ne pour toujours sa libert6 de travail 22. Or, c’est parce que le
contrat de socirt6 est conclu intuitu persone, en consideration des qualitrs de
la personne, qu’il risque d’entraver, la libert6 individuelle”.

la p. 23.

lt7 Voir supra note 53 et texte correspondant.
“t Mignault, supra note 18 A la p. 259 ; Baudry-Lacantinerie et Wahl, supra note 37 au n’ 442.
” 9Baudry-Lacantinerie et Wahl, ibid. au n 439.
12Azdma, supra note 22
121Mignault, supra note 18 h la p. 260 ; Roch et Par6, supra note 17 aux pp. 469-70 ; Azdma,
ibid. aux pp. 22-23. Contra Baudry-Lacantinerie et Wahl, supra note 37 au n* 440 ; Hamiaut, supra
note 6 A Ta p. 42; Hrmard, Terr6 et Mabilat, Socitis commerciales, supra note 6 A la p. 131
Lapoyade-Deschamps, supra note 27 h la p. 124. Par ailleurs, une minorit6 d’auteurs, invoquant
l’intuitus persone A la base de Ta socirt6 de personnes et la libert6 des associrs, avance la propo-
sition selon laquelle une telle soci~t6 ne pourrait 6tre formre pour une prriode excrdant 30 ans sans
risquer la qualification de soci&t6 durre ind~termin6e (Cantin Cumyn, supra note 22 A la note
110; M. de Juglart et B. Ippolito, Traiti de droit commercial: Les socigts, vol. 2, 1′ partie, 3′
dd., Paris, Montchrestien, 1980 au n* 484-2).

122L’6quivalence faite par certains auteurs entre la situation d’un associ6 et celle d’un employ6

est cependant douteuse (voir infra note 160).

123La confiance persistante entre les associrs, intimement lide A l’intuitus persone du contrat de
a longtemps dt6 le fondement du droit pour tout associ6 de se retirer d’une soci&6 dont

soci&6t,

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 39

On ne sera donc pas surpris d’apprendre que les articles 1895 C.c.B.-C. et
2260 C.c.Q. ne s’appliquent pas en principe aux soci6t~s par actions14. En effet,
contrairement au membre d’une soci~t6 de personnes’,
l’associ6 d’une soci6t6
par actions (l’actionnaire) n’est qu’un pourvoyeur de capitaux pouvant en tout
temps se lib6rer en c6dant ses actions’26. De toute fagon, la vocation A la perp6-
tuit6 6tant de mise pour ce type de soci6t6, un droit de dissolution pour cause
de dur6e illimit6e leur est incompatible’.

Le fait que

‘actionnaire d’une soci6t6 par actions puisse en tout temps
c6der ses actions est sans aucun doute un crit~re d~cisif pour empecher que les
articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. ne leur’soient applicables. En effet,
comme les auteurs invoquent la libert6 de l’associ6 i l’appui de l’utilisation des
articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q., il est normal que, dans les cas ob l’as-
soci6 peut ceder ses titres en toute libert6, le droit de dissolution unilat6rale ne
puisse 8tre invoqu6. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le Code civil d Qudbec
a soustrait du domaine d’application du droit de dissolution unilat~rale les
soci6t6s en nom collectif et en commandite. Les associ6s de ces deux soci6t6s
b6n6ficiant d’un r6gime 6labor6 de retrait aux articles 2226 A 2229 C.c.Q., le

les membres ne m6ritent plus sa confiance. Mais comme on l’a vu plus t6t, cette justification n’a
plus vraiment d’int&rt de nos jours dans le contexte des articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. De
plus, comment pourrait-on justifier par l’intuitus persone, que le droit de dissolution d’un associ6
soit r~serv6 au cas oi la durde de la soci6t6 est ind~ternine ? Une r~gle de dissolution fondle sur
]a confiance persistante entre associ6s n’exigerait-elle pas, pour 8tre coh~rente, qu’on l’applique
6galement aux soci6t~s h terme fixe ? Voir Baudry-Lacantinerie et Wahl, supra note 37 au n, 438.
’24Voir Roch et Par6, supra note 17 A lap. 459 ; Mignault, supra note 18 A la p. 261. Voir aussi

Az~ma, supra note 22 A la p. 24.

’25Les soci~t6s de personnes sont celles ob l’intuitus persone est primordial, h l’oppos6 des
soci6t~s de capitaux (c’est-A-dire soci~t6 par actions) oh la personne des associds est sans impor-
tance (Merle, supra note 15 au n, 12). Si on consid~re les socidtds du Code civil du Qudbec, il ne
fait pas de doute que ]a socidt6 en nom collectif et ]a soci6t6 en participation sont des socidt~s de
personnes. Par contre, le cas de ]a socidt6 en commandite est moins clair. Pour le commandit6, qui
est dans la situation de l’associ6 en nom collectif, Ia soci6t6 est une soci~t de personnes. En
revanche, pour les commanditaires, qui sont (fans une situation analogue h celle des actionnaires,
Ia soci6t6 est davantage une soci6t6 de capitaux.
’26Cependant, les articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. pourraient 6tre invoqu6s par l’action-
naire dont le droit de cdder ses actions serait paralys6 par un droit d’agr~ment au profit de ]a soci~t6
par actions pr6vu aux statuts de celle-ci (Az6ma, supra note 22 h la p. 152). Sur l’introduction de
l’intuitus persone dans les soci6tds par actions, voir Merle, ibid. au n 13 ; M. Azoulai, L’61imi-
nation de l’intuitus persone dans le contrat>> dans P. Durand, dir., La tendance h la stabilitd d rap-
port contractuel, Paris, Librairie g6n6rale de droit et de jurisprudence, 1960, 1. La jurisprudence
fait aussi 6tat de ]a possibilit6 d’invoquer ]a doctrine de ]a soci~t6 (partnership analogy) pour pro-
voquer la dissolution d’une socidt6 par actions de type priv& Toutefois, pour invoquer les articles
1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. a cette fin, il faudrait que ces dispositions ne contredisent aucune
des lois r~gissant les compagnies, qu’il ne soit plus possible pour l’associ6 (I’actionnaire) de dis-
poser librement de ses parts et que cette dissolution ne soit pas pr6judiciable a la soci~t6 (Banner-
man c. Concrete Column Clamps, [1953] C.S. 107 ; Mathieu c. Distributions Gillandr Inc., [1980]
C.S. 57 ; Nadeau c. Nadeau, [1988] R.J.Q. 2058 (C.A.) ; Placements G. Grondin Inc. c. Louis-G.
Vignault Inc. (12 mai 1986), Drummond 405-05-000 155-853, J.E. 86-627 (C.S.) ; Western Quebec
Investment Ltd. c. J.G. Bisson Construction & Engineering Ltd., [1972] C.S. 331 ; Rosenstein c.
Agence de Vente MC 75 Ltd. (21 f6vrier 1985), Montr6a1 500-05-015389-826, 500-05-008357-830,
J.E. 85-362 (C.S.). Voir aussi sur cette question, P. Martel, La liquidation judiciaire des compa-
gnies et le ‘partnership analogy doctrine’>> (1986) 46 R. du B. 311).

2’Art. 352 C.c.B.-C.; art. 314 C.c.Q.

1994]

LE DROIT DE DISSOLUTION UNILATItRALE

droit de dissolution unilat6rale ne semblait plus avoir sa place, du moins h titre
de m~canisme de protection de la libert6 des ass6cids.

Mais les articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. sont-ils d’ordre public eu
6gard aux soci6t6s de personnes 12′ ? En d’autres mots, les associ6s d’une soci6t6
de personnes peuvent-ils convenir qu’ils ne pourront dissoudre la soci6t6, m~me
si celle-ci est d’une dur6e illimit6e ?

Certains auteurs pr6tendent que les articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q.
ne sont pas d’ordre public129 et qu’il est possible de convenir que l’on ne pourra
se retirer de, ou dissoudre, la soci6t6 de dur6e illimit6e”3’. Ces auteurs pr6nent
la souplesse de la convention de soci6t6 et pr6conisent la supr6matie de l’inten-
tion des parties. Ceux-ci maintiennent de plus, que la nature personnelle du lien
social, l’intuitus personte, doit Atre plut6t consid6r6e comme d6rivant de l’inten-
tion des parties, que comme 6tant inspir6e par des consid6rations d’ordre
public’31.

Une autre partie de la doctrine et de la jurisprudence consid~re cependant
que, bien qu’il ne soit pas possible de convenir de faqon absolue que l’on ne
pourra se retirer de la soci~t6 sans dur~e fix~e, les articles 1895 C.c.B.-C. et
2260 C.c.Q. ne s’appliqueront pas aux soci6t6s dont la convention pr6voit la
possibilit6 pour tout associ6 de ne plus faire partie de la soci6t6 32. A l’appui de

128Car dans celles-ci, on ne peut vraiment se retirer sans le consentement des autres associ6s.
En effet, l’article 1853 C.c.B.-C. 6dicte que <[c]haque associ6 peut, sans le consentement de ses coassoci6s, s'associer une tierce personne relativement A la part qu'il a dans la socit6. I ne peut pas, sans ce consentement, l'associer A la socit& . 129Les articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. ne sont pas imp&atifs, contrairement aux articles 1667 C.c.B.-C. et 2085 C.c.Q. qui prohibent clairement le louage de services perp6tuel. 130Baudry-Lancantinerie et Wahl, supra note 37 aux n- 440, 445. La r~gle de ]a responsabilit6 vis-a-vis des tiers (art. 1854-55 C.c.B.-C.) et le principe de la non-exclusion d'un associ6 des pro- fits (art. 1831 C.c.B.-C.) sont, par contre, incontestablement d'ordre public (C6t6, supra note 4 A ]a p. 495). 13t Baudry-Lancantinerie et Wahl, ibid. au n 338. De plus, Baudry-Lacantinerie et Wahl sou- tiennent que le consentement des coassoci~s, n~cessaire h l'admission de nouveaux membres en vertu de l'article 1853 C.c.B.-C., pourra n'Etre qu'implicite ou donn6 A l'avance dans le contrat, une telle clause n'6tant pas contraire A l'ordre public (ibid. aux n- 224, 255, 301). Le pouvoir d'ac- cepter de nouveaux membres pourra aussi 6tre d~l6gu6 A un associ6, A condition que le tout soit fait express6ment. Azoulai enseigne, pour sa part, que dans le cas ob un associ6 cdderait la totalitd de ses droits sociaux sans le consentement des autres soci6taires, l'op~ration pass6e entre l'associ6 et le tiers (le croupier) n'en resterait pas moins valable (supra note 126 aux pp. 11, 21). I en r6sul- terait cependant une solution pour le moins paradoxale selon laquelle la socit6 comprendrait un membre qui n'a plus aucun int6rt A la bonne marche des affaires sociales, tout en conservant le droit de participer h ]a gestion et au contr6le alors que le principal int6ress6, le croupier, n'aurait aucun droit de s'immiscer dans la soci6t6. Cette situation entrainerait une scission des aspects per- sonnels et p6cuniaires du droit social. On voit done que seuls les droits p6cuniaires pourront 8tre ali6n6s au croupier sans le consentement des coassoci6s. Voir A cet 6gard les articles 2209 A 2211 C.c.Q. 132C. Aubry et C. Rau, Droit civil, t. 4, 6' 6d. par P. Esmein, Paris, Librairies technique, 1954 A lap. 571, n' 384; C. de Lorimier, Bibliothque d Code civil de laprovince de Quebec, vol. 15, Montrdal, Cadieux et Delorme, 1886 aux pp. 730-31 ; C. Houpin et H. Bosvieux, Traitg gdn~ral thorique et pratique des socijtgs civiles et commerciales et des associations, t. 1, 5' 6d., Paris, Sirey, 1919 a la p. 223. Pour un exemple jurisprudentiel d'une telle clause, voir Delisle c. Hibert (24 juillet 1992), Montr6al 500-05-019949-914, J.E. 92-1216 (C.S.). Voir aussi DubS, supra note McGILL LAW JOURNAL [Vol. 39 leur position, ces autorit6s soulignent que la dissolution et le partage ne sont pas des voies sacr6es pour sortir de la soci6t6, et, dans la mesure oii les parties se sont mises d'accord sur une forme de retrait n'entrainant pas la dissolution, la force obligatoire de leur convention doit pr6valoir'33. Finalement, certains auteurs consid~rent la r~gle 6nonc~e aux articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. comme 6tant d'ordre public"M . Ils invoquent notam- ment h leur soutien la diff6rence fondamentale entre le droit de c6der ses parts sociales et le droit de mettre fin A la soci~t6 (qui ouvre droit au partage)3 5. Le partage permet en effet h l'associ6 de se faire mettre en possession de sa part sociale, alors que la cession de celle-ci ne lui procurera que le prix de ses droits 3 6. (Qu~bec (Curateur public) c. Salomon (23 octobre 1992), Montreal 500-09-000774-893, 92-1627 (C.A.) ; Boustany, supra note 35). 18 a lap. 24 et s., oti la Cour d'appel a d6cid6 que le d6part d'un associ6 par retrait volontaire ne mettait pas n6cessairement fin a ]a societ6. Un associ6 peut, en effet, sans renoncer 4 sa part sociale, renoncer Ai demander la dissolution de ]a soci6t6. Dans cette affaire, deux des cinq associ6s avaient c~d6 leur part respective t un troisi~me associ6 sans le consentement des quatri me et cinqui~me associ6s. Bien que ce proc6d6 n'efit pas 6t6 pr6vu au contrat, ]a Cour valida cette transaction et ordonna le partage sur une base de 315, Y5 et V5. Comme l'indique Azoulai, la jurisprudence frangaise conclut elle aussi que l'agr6ment n'est pas ncessaire en cas de cession de parts sociales At un asso- ci6 (supra note 126 aux pp. 20, 23). Pour tine jurisprudence ne consid6rant pas l'article 1895 C.c.B.-C. comme 6tant d'ordre public dans la mesure oti l'associ6 n'est pas prisonnier de la soci~t6, voir Bertrand c. Mercure (9 octobre 1990), Montr6al 500-09-000879-866, J.E. 90-1448 (C.A.); Savard, supra note 38 ; Kerr c. Marwick (1916), 26 B.R. 226 [ci-apr~s Kerr] ; Cardiec c. Vaillant, [1969] C.S. 284 [ci-apr~s Cardiec]. 133de Lorimier, ibid. A Ia p. 732. Notons que les r6gles du partage ne sont pas d'ordre public .E. 13aAz6ma, supra note 22 aux pp. 149-56 - Mignault, supra note 18 aux pp. 259-61 ; Roch et Pare, supra note 17 la p. 459. Az6ma enseigne que opour que le droit de dissolution disparaisse, il faut qu'aucune entrave ne soit apport~e au droit de c6der les parts sociales>> (ibid. A lap. 151).
Or, pour qu’une telle cession unilat6rale soit possible, il faut imaginer un contrat ddpourvu de tout
intuitus persone et dans lequel le c~dant n’a aucune obligation. II n’y a qu’un seul contrat h ex-
cution successive A dur~e ind~termin~e qui r6unisse ces deux conditions : ]a soci~t6 par actions,
De toute fagon, comme le fait remarquer Ct , le statut de d~biteur de l’associ6 face At ]a soci6t6
est difficilement conciliable avec le concept de cession unilat6rale (supra note 4 ” ]a p. 502).
I35Mignault, ibid. A la p. 260. Pour une position oppos~e, voir Baudry-Lacantinerie et Wahl,
136Pour une discussion sur les nuances entre le retrait et la cession, voir de fagon gdn6rale Jean-
tin, supra note 6 au n, 48 ; Lapoyade-Deschamps, supra note 27. Cependant, bien que la dissolu-
tion et le partage permettent, en th~orie, a un associ6 d’atre mis en possession de sa part sociale,
la dissolution d’une soci6t6 se fait souvent dans Ia discorde et entrane trop souvent des manipu-
lations frauduleuses d’actifs sociaux. Pour une jurisprudence sur Ia possibilit6, pour un associd, de
saisir par mesure de pr6vention, sa part indivise des actifs de Ia d6funte socidtd, voir Maguire c.
Bradley (1846), 1 R.L.J. 367 (B.R.) ; McDowell c. Wilcock (1907), 16 B.R. 459 ; Hoffman c. Bay-
nes (1909), 37 C.S. 435 ; Taylor c. Charokin (1911), 13 R.P. Qu6. 73 (C.S.) ; Guay c. Duval (1911),
13 R.P. Qu6. 92 (C.S.); Tourigny c. Croteau, [1944] C.S. 241 ; Harisson c. Leclerc, [1956] R.P.
Qu6. 283 (C.S.) ; Boutin c. Corron, [1963] R.P. Qu6. 113 (C.S.) ; Alary c. Vaillancourt, [1977] C.S.
81 ; Caisse Populaire Pontmain c. Couture, [1983] C.P. 149 ; Droit de la Famille – 358, [1987]
R.D.F. 167 (C.S.); Desautels c. Connolly (11 aoflt 1988), Saint-Franqois 470-02-000118-886,
J.E. 88-1180 (C.P.) ; Hindle c. Cornish, [1991] R.J.Q. 1723 (C.S.), en appel (C.A.M.
500-09-000959-916) ; Latulippe c. Cliche (28 septembre 1992), Beauce 350-05-000088-904, J.E.
93-313 (C.S.); Pneus Dominic Inc. c. Cloutier (6 avril 1992), Arthabaska 415-05-000047-919,
415-18-000005-910, J.E. 92-714 (C.S.). Pour une jurisprudence relative A la nomination d’un
s6questre judiciaire en cas de dissolution, voir Bonneville c. Salvas (1916), 49 C.S. 253 ; Timrod

supra note 37 au n 446.

1994]

LE DROIT DE DISSOLUTION UNILATERALE

On voit donc qu’outre une certaine r6ticence doctrinale sur la question, la
protection de la libert6 de l’associ6 par le biais d’un droit de retrait ou de cession
pr6vu au contrat de soci6t6 est g6n6ralement jug6e satisfaisante et permet
d’6carter contractuellement l’application des articles 1895 C.c.B.-C. et 2260
C.c.Q., dans la mesure oa ceux-ci sont assimil6s A des instruments de protection
de la libert6 individuelle de l’associ6. A cet 6gard, en substituant au droit de dis-
solution et au partage un m6canisme de retrait avec remise de la valeur de la part
sociale pour les socid6ts en nor collectif et les soci6t6s en commandite 137, le
Code civil du Quebec indique clairement que la dissolution et le partage ne sont
pas des droits sacr6s. Cette prise de position du 16gislateur relativement aux
soci6t6s en nom collectif et aux soci6t6s en commandite devrait guider les tri-
bunaux dans leur appr6ciation du caract~re d’ordre public des articles 1895
C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. afm qu’ils continuent, h l’avenir, de permettre aux
associ6s d’6carter conventionnellement l’application de ces dispositions.

La discussion qui pr6c~de a gard6, jusqu’A la fim des ann6es soixante-dix,
une grande pertinence relativement au cas des soci6t6s en commandite. Mais
depuis 1979, date h laquelle le l6gislateur a soustrait la soci6t6 en commandite
de l’application de l’article 1895 C.c.B.-C. 3 s, la soci6t6 en commandite du Code
civil du Bas-Canada semble pouvoir 8tre formee pour une tr~s longue duroe 3 9
sans d6sormais courir les risques d’une dissolution unilat6fale. Avant cette date,
les memes questions de dur6e et de dissolution se posaient quant A cette soci6t6.
Cependant, comme la declaration des associ6s n6cessaire h la formation de la
soci6t6 en commandite’ 4 devait obligatoirement faire mention de l’6poque h
laquelle la soci6t6 commengait et h laquelle elle devait se terminer (article 1877
C.c.B.-C.), ce n’6tait que dans les cas oti la dur6e fix6e 6tait pour une p6riode
excddant la dur6e de la vie humaine qu’il pouvait 8tre question d’une dissolu-
tion avant terme par le commanditaire ou le commandit6. La doctrine appr6ciait
cependant cette question diff6remment selon qu’on parlait du commandit6 ou du
commanditaire.

En effet, en plus de foumir A la soci6t6 sa personne et ses services, le com-
mandit6 est responsable personnellement des dettes sociales. I1 n’est done en
v6rit6 rien d’autre qu’un associ6 en nom collectif 4 . L’intuitus persone qui pr6-

Mining Co. c. Socigtj miniare Louvem Inc., [1972] C.S. 361. Pour des commentaires sur les dis-
tinctions entre la soci6td et l’indivision, voir Cantin Cumyn, supra note 30 aux pp. 331-33 ; M.
Deschamps, > (1984) 29 R.D. McGill 215 h la p.
234 et s. ; F. Caporale, <> (1979) 2 Rev. soc. 265.

137Voir, entre autres, l’article 2227 C.c.Q.
131P.L. 75, Loi modiflant le Code civil et la Loi des diclarations des compagnies et socigtis, 3′
sess., 31′ 16g., Qu6bec, 1978 (sanctionn6 le 22 d~cembre 1978). On retrouve cette modification A
l’article 1892, alinda 2 C.c.B.-C.

139<> (Thivierge, supra note 18 h la p. 58). Voir
aussi supra note 11.
140Le fait de se comporter en associ6 en commandite ne suffit pas A la formation de ce type de
soci~t6 h l’6gard des tiers. L’omission de d6poser et d’enregistrer une d6claration (art. 1878
C.c.B.-C.) fera que l’associ6 sera r6put6 6tre un associ6 ordinaire A 1’6gard des tiers, et non un com-
manditaire (voir supra note 19).

141Roch et Par6, supra note 17 aux pp. 435, 460.

REVUE DE DROIT DE McGILL

(Vol. 39

side it son statut de soci6taire commandait done qu’il puisse invoquer l’article
1895 C.c.B.-C. pour dissoudre la soci6t6 en commandite form e pour une dur6e
excessive h son 6gard 142 .

I en va autrement des commanditaires. Ceux-ci ne foumissent que leurs
capitaux A la soci6t6, et leur responsabilit6 se limite h leur mise sociale’43.
Comme les commanditaires n’engagent ni leurs services ni leurs personnes, et
vu leur droit de retrait de la soci6t6 (article 1882 C.c.B.-C.), il 6tait compr6hen-
sible qu’ils ne puissent demander A leur gr6 la dissolution de la soci6t6 en vertu
de

‘article 1895 C.c.B.-C. 44.
La d6cision du 16gislateur en 1979 de soustraire compl~tement la soci6t6
en commandite du r6gime de l’article 1895 C.c.B.-C. est un indicatif de la voca-
tion particuli~re de cette institution, i mi-chemin entre la soci~t6 par actions et
la soci6t6 en nom collectif, et t6moigne de la stabilit6 qu’on d6sire lui insuf-
fler 145.

Cependant, cette solution semble 6trange i l’6gard du commandit6. En
effet, dans la soci6t6 en commandite form6e apr~s 1979 en vertu du Code civil
du Bas-Canada, le commandit6 ne peut invoquer l’article 1895 C.c.B.-C. pour
dissoudre la soci6t6 afin de s’en lib~rer. La solution 6tonne vu le caractre
intuitu personce de son lien social. Ainsi, le commandit6, cet associ6 en nom
collectif choisi en consid6ration de ses qualit6s persorinelles, pourrait, en vertu
du Code civil du Bas-Canada, etre partie h une soci~t6 dont la dur~e exc~derait
sa vie, sans qu’il ne puisse recourir A l’article 1895 C.c.B.-C. pour s’en lib6rer.
Le Code civil d Bas-Canada permettrait-il donc que le commandit6 puisse
aligner sa libert6 ind~fmiment ? Le commandit6 est-il prisonnier de la soci6t6 a
laquelle il est partie 46 .

En v6rit6, ces questions ne sont que l’expression ponctuelle d’une question
beaucoup plus fondamentale relativement au droit de dissolution unilat6rale en

Ia p. 460; Mignault, supra note 18 A ]a p. 262.

1421bid.
1430n ne saurait cependant qualifier le commanditaire de simple pr~teur. Le commanditaire fait
acte de commerce en s’associant i une socidt6 (Roch et Par6, ibid.). Les commanditaires sont les
bailleurs de fonds de la soci~t6 en commandite et, s’ils respectent les formalit6s prescrites par la
loi et ne s’immiscent pas dans l’administration de la soci6t6, ils ne peuvent devenir responsables
envers les tiers au-delM de leur mise de fonds. Cependant, une d6cision a d6jat jug6 que lorsque le
seul bien de la soci~t6 en commandite a 6t6 vendu et que le produit de ]a vente a dt6 distribu6, le
recours en dommages pour vices de construction devient illusoire s’il ne peut 8tre exercd contre
les commanditaires. L’objet pour lequel les commanditaires sont poursuivis ne provient done pas
de l’administration des affaires de ]a soci&6, mais de la disposition des biens de la socit
(Brennan
c. Alepin (26 mars 1991), Montr6al 500-05-017995-901, J.E. 91-751 (C.S.)).

144Roch et Par6, ibid.; Mignault, supra note 18 A ]a p. 262.
1450n peut lire le passage suivant au sein des commentaires accompagnant ]a Loi nodifiant le
Code civil et la Loi des diclarations des compagnies et socijtjs: <[S]auf convention contraire, la soci6t6 ne pourra plus 8tre dissoute du fait d'une seule personne, mais du consentement de la majo- rit6 des associ6s>> (supra note 138).

146k cette fin, les dispositions transitoires de ]a Loi sur l’application de la rdfornie du Code civil
(supra note 2) ne semblent pas d’un grand secours au commandit6 du Code civil dit Bas-Canada.
En effet, l’article 4 de cette loi dispose que les. situations contractuelles en cours lors de l’entr~e
en vigueur du Code civil d Quibec, telle la soci6t6 en commandite cr6e sous le r6gime du Code
civil di Bas-Canada, ne seront soumises A la nouvelle loi que relativement A l’exercice des droits
et non quant A ‘existence de tels droits.

1994]”

LE DROIT DE DISSOLUTION UNILATERALE

vertu des codes civils du Bas-Canada et du Qu6bec : est-il possible d’interpr6ter
les dispositions des codes civils de fagon t prot6ger la libert6 de l’associ6 sans
remettre en cause 1’existence de la soci6t6 ? C’est pr6cis6ment cette question qui
fait l’objet de la derni~re partie du pr6sent article.

IV. Critique de la porte actuelle du droit de dissolution unilat6rale et

solutions de rechange

Nous nous sommes efforc6, dans les pages qui pr6c~dent, d’exposer aussi
succinctement que possible la port6e du droit de dissolution unilat6rale d’un
associ6 en droit positif. Premi~rement nous avons vu qu’en vertu des articles
1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q., la soci6t6 dont la dur6e n’est pas fix6e peut etre
dissoute au gr6 de l’un des associ6s. La doctrine, assimilant ce droit de disso-
lution a un droit de retrait, a interpr6t6 l’article 1895 C.c.B.-C. a la lumi~re
d’une conception subjective de la perp6tuit6. Les auteurs ont done 6tabli une
r~gle (>) selon laquelle une soci6t6 de personnes form6e pour une dur6e
manifestement sup6rieure h la vie de ses membres pourra etre dissoute au gre
de chacun d’entre eux, au motif que sa dur6e n’est pas fix6e et ce, conform6-
ment aux articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q.

Nous essaierons dans les pages qui suivent de d6montrer que cette r~gle est
sans v6ritable fondement et ne r6siste pas a l’analyse. Nous proposerons, dans
un premier temps, que les pr6tendues justifications a la r~gle (la libert6 indivi-
duelle, la th6orie g6n6rale des contrats et la confiance essentielle entre associ6s),
bien que toutes fort louables, ne peuvent de fagon convaincante 6tre invoqu6es
l’appui de la rgle telle qu’elle existe. Bref, le droit de dissolution unilat6rale
tel qu’appliqu6 en droit positif, ne remplit pas le r6le qu’on lui attribue et n’est
en pratique qu’une source additionnelle d’instabilit6 contractuelle et 6cono-
mique. Dans un deuxi~me temps, nous tenterons d’expliquer l’incongruit6 de la
r~gle actuelle et sugg6rerons bri~vement quelques esquisses de solutions de
rechange.

A. Critique de la portie actuelle du droit de dissolution unilat~rale

La r~gle actuelle est sans fondement et son application relive de 1’exploit
vu l’incongruit6 des facteurs en jeu. Notons d’abord l’incroyable arbitraire
d’une notion telle la dur~e de la vie humaine, qui constitue la limite au-delM de
laquelle les auteurs consid6rent le contrat de soci6t6 comme 6tant de dur6e <> et susceptible d’&re dissous au gr6 de tout associ6 et ce, conform6ment
aux articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. En effet, comment est-il possible de
d6terminer si la dur6e sp6cifi6e au contrat exc~de ou non celle de la vie
humaine 47 ? Le fait que la vie humaine marque un constant et progressif allon-
gement ne facilite en rien cette d6termination fort al6atoire148 . La dur6e de la vie
humaine est-elle une limite fixe s’appliquant uniform6ment dans tous les cas, ou
doit-on, comme certains le proposent, <>49? En somme, la dur6e limite que constitue la vie des
membres est une unit6 de mesure fort capricieuse et al6atoire qui g6n~re une
grande incertitude pour les parties voulant organiser A long terme leurs relations
d’affaires en soci6t6.

Cette r~gle pose un probl~me particulier aux soci6t6s dont les membres
sont des personnes morales 5 ‘. Le terme stipul6 au contrat de soci6t6 contract6
par des personnes morales doit-il lui aussi etre inf~rieur A la vie humaine ou
peut-on au contraire, vu la nature potentiellement perp6tuelle”‘ des personnes
morales, stipuler un terme d’une dur6e sup6rieure h la vie humaine ? Selon la
conception subjective de la perp6tuit6, c’est en fonction de la vie des membres
de la socit6 qu’il doit 8tre d~termin6 si la duroe de la societ6 exc~de le maxi-
mum tol6rable ‘5 . Si le d6biteur est une personne morale, alors ses caract6ris-
tiques propres deviendront pertinentes afro d’6tablir ce qui est, pour lui, une
dur6e excessive 53. Ainsi, puisqu’une soci6t6 form6e par des personnes phy-
siques a comme dur6e limite la vie humaine (la vie de ses membres), une soci6t6
form6e par des personnes morales potentiellement perp6tuelles doit pouvoir
exister pour un terme de duroe sup6rieure h la vie humaine. Tant que la dur6e
de la soci6t6 est inf~rieure h la vie potentielle des soci6t6s par actions qui en sont
membres (c’est-h-dire la perp6tuit6), nous ne voyons pas comment il serait pos-
sible d’avoir recours aux articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. pour dissoudre
la soci&tt. En d’autres mots, dans la mesure oa la dur6e stipul~e au contrat de
soci~t6 est inf6rieure A la perp6tuit6, la soci6t6 par actions soci~taire ne pourra
invoquer les articles 1895 C.c.B;-C. on 2260 C.c.Q. pour dissoudre la soci6t6
dont elle est membre. Au surplus, notons que contrairement A une personne phy-
sique, on ne peut porter atteinte A la libert6 d’une personne morale par la stipu-
lation d’un terme de grande duroe 4.

149Az6ma, supra note 22 A ]a p. 22.
‘Pour un expos6 complet de l’utilisation conjointe de la soci~t6 et de ]a compagnie, voir C6t6,

supra note 4 h la p. 505 et s. Voir aussi Thivierge, supra note 18.

‘5 ‘Supra note 127 et texte correspondant.
’52Az6ma, supra note 22 A la p. 22.
153Cantin Cumyn, supra note 22 A la p. 38.
15Cantin Cumyn est plut6t d’avis que les rgles restrictives de ]a durde des obligations valent
meme lorsque le d~biteur de l’obligation est une personne morale, au motif qu’il importe de dis-
tinguer la durde de leur existence en tant que personnes juridiques de la durde des obligations
qu’elles contractent (ibid.). Or, l’auteure invoque Az~ma A l’appui de sa proposition, lorsqu’il
affirme:

Les seuls engagements perp6tuels valables [sont] ceux pris par des personnes morales
publiques ou reconnues d’utilit publique […]. Les personnes privies ne doivent assu-
rer que des engagements temporaires […] (supra note 22 aux pp. 29-30).

Cependant, cette proposition mfrite quelques commentaires. Les personnes morales privdes
frangaises h but lucratif, telle la soci&t6, sont par nature temporaires. Elles ne peuvent tre formdes
que pour une dur6e inf6rieure A 99 ans (voir, entre autres, I’article 1838 C. civ.). Bien qu’elles
puissent etre prorog6es au-del de cette pfriode, elles n’aspirent pas A la perp~tuitd comme le font
nos soci~t6s par actions. I1 est donc normal qu’on limite la longueur des engagements qu’elles con-
tractent. Par contre, comme le souligne Az6ma, les personnes morales publiques (l’tat, les com-
munes, les 6tablissements publics) ou reconnues d’utilit6 publique (les associations, les fondations)
pourront assurer des engagements perp6tuels (ibid.). Les premieres sont par nature perpdtuelles, les
secondes sont d6clar~es d’utilit6 publique et se voient confdrer la personnalit6 par d~cret (comme
nos socidt~s par actions). Ainsi, la compagnie qu6b~coise, se voyant conf6rer ]a personnalit6 par

19941

LE DROIT DE DISSOLUTION UNILATERALE

I semblerait done que meme en adoptant l’interprrtation de l’article 1895
C.c.B.-C. dominante en droit positif’ s, les soci6trs par actions pourraient former
une socirt6 pour toute durre infrrieure
la perp6tuit6, sans risquer une disso-
lution unilat~rale en vertu des articles 1895 C.c.B.-C. ou 2260 C.c.Q. Cepen-
dant, le droit n’6tant pas fix6 sur cette question, il existe toujours un risque
qu’une socirt6 form~e par des soci6trs par actions soit
la merci du droit de dis-
solution unilatrrale d~s que le terme stipul6 drpasse potentiellement la dur~e de
la vie humaine 15 6. Tant que la question n’aura pas
t6 soumise aux tribunaux, les
personnes morales et les personnes physiques demeureront done dans la m~me
position d’incertitude face aux articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. Ces deux
types de personnes ne peuvent done stipuler en toute srcurit6 la durre de leur
choix au contrat de soci6t6, car il leur est impossible de drfmir avec certitude
ce que constitue une durre <> au sens des articles 1895 C.c.B.-C. et
2260 C.c.Q.

Or, c’est la conception subjective de la perprtuit6, centr~e sur la protection
de la libert6 individuelle et de l’intdr& 6conomique’des parties, qui est la source
de cette solution juridique fort insatisfaisante et crratrice d’instabilit6. Si la por-
t~e actuelle du droit de dissolution unilatrale n’est pas justifiable, c’est que les
justifications invoqures h son soutien sont artificielles dans le contexte des arti-
cles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. Ainsi, le droit de dissolution unilatrrale de
l’associ6 ne se pr&e pas A la protection de la libert6 individuelle, pas plus qu’A
celle de l’int&t 6conomique des parties. Le droit de dissolution unilat6rale
n’est pas davantage le vrhicule indiqu6 pour assurer la sauvegarde de l’intuitus
personce du contrat de socirt6.

Done, tout s’explique. Si la r~gle d6gagre des articles 1895 C.c.B.-C. et
2260 C.c.Q. par les auteurs est absurde 57, c’est parce que ces articles n’ont pas
pour fonction de protrger les principes et les fondements qu’on a traditionnel-
lement invoqurs pour justifier la portre du droit de dissolution unilatdrale et ne
devraient pas 6tre utilisrs A cette fin. En effet, comment peut-on justifier en
invoquant la libert6 individuelle, une r~gle qui permettrait
l’associ6 de dis-
soudre une soci6t6 forme pour un terme excrdant la dur~e probable de sa vie
(70 ans ?), mais qui laisserait
son sort le malheureux ayant contract6 une
socirt6 pour une dur6e moindre que sa vie (50 ans ?) ? Car comprenons-nous
bien, personne ne devrait etre prisonnier d’un contrat de soci6t6 auquel il ne
veut plus 6tre partie. Cependant, dans la mesure oii le 16gislateur a choisi de

une loi (un peu comme la personne morale d’utilit6 publique en France), est potentiellement per-
prtuelle. Ne devrait-on pas tolrer h son 6gard des engagements centenaires ? Voir de fagon grn6-
rale J. Rivero, Droit administratif, 13′ 6d., Paris, Dalloz, 1990 aux pp. 49-61 ; G. Braibant, Le droit
administratiffrangais, 2! dd., Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques et
Dalloz, 1988 aux pp. 39-47.

’55Celle-ci veut que, dans la mesure ob la soci~t6 est contract~e pour une dur~e potentiellement
sup~rieure A la vie de ses membres, chacun d’entre eux pourra se prrvaloir du droit de dissolution
unilatdrale pour se lib~rer de la soci~t6. Voir ci-dessus, la partie TI.B.

156Supra note 154.
157Th~oriquement, en vertu de l’interpr~tation faite de l’article 1895 C.c.B.-C. par la doctrine,
une socirt6 forne pour la vie de ses membres serait qualifire de soci~t6 A dur~e non fix~e, mais
une soci~t6 forme pour une duroe 6quivalant
la vie des membres moins une annre ne le serait
pas !

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 39

limiter le r6gime du droit de dissolution unilat6rale aux soci~t6s dont la dur6e
n’est pas fix~e, nous pr6f6rons de loin un respect int6gral du terme stipul6 au
contrat (quelle que soit sa dur6e) a la solution actuelle, qui en plus d’etre in6-
quitable dans son application, est source d’une grande incertitude pour les par-
ties au contrat de soci6t6 de longue dur6e. Ainsi, l’expression > dans les articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. devrait etre com-
prise comme signifiant <> s5 .

la base du contrat de soci6t6. Or, nous n’h~sitons pas

Comme nous l’avons vu, les auteurs justifient leur interpr6tation des arti-
cles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. en invoquant la libert6 individuelle des par-
ties, la th6orie g6n6rale des contrats (ou l’int6rt 6conomique des parties) et l’in-
tuitus personce
t
admettre qu’en permettant aux associe’s de s’engager pour une dur6e sup6rieure
a leur vie, on porte gravement atteinte aux trois principes mentionn~s ci-haut.
En revanche, on ne peut s6rieusement pr6tendre que l’interpr6tation d6gag6e des
articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. par les auteurs protege ces principes de
fagon satisfaisante. De plus, la solution actuelle a le d6savantage de g6n6rer une
importante instabilit6 contractuelle.

Vrifions donc le bien-fond6 de nos allegations en 6tudiant l’efficacit6 des
articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. A titre de protecteurs de ces trois prin-
cipes.

La libert6 individuelle, loin d’etre A la base des articles 1895 C.c.B.-C, et
2260 C.c.Q., est en v6rit6 le fondement d’une r~gle d’application g6n~rale i tous
les contrats A ex6cution successive de dur6e ind6termin~e s9. C’est en traitant le
droit de dissolution comme un droit de retrait que les auteurs y ont vu une cris-
tallisation de la protection de la libert6 des parties. Mais la solution A laquelle
ils sont arriv6s au nom de la libert6 individuelle ne sert cette libert6 que de fagon
mitig6e. En effet, comment peut-on invoquer la libert6 individuelle pour justi-
fier une r~gle qui n’accorderait fort probablement pas A un associ6 le droit de
dissoudre une soci6t6 forne pour une dur6e de 50 ans, au motif qu’il a l’espoir
d’en voir la fin, vu son excellente sant6 ?

A plus forte raison, un engagement d’une telle dur6e est la n6gation m~me
des principes A la base de la th6orie g6n6rale des contrats, pourtant aussi invo-
qu6e pour justifier l’interpr6tation actuelle des articles 1895 C.c.B.-C. et 2260

158k cette fin, on ne peut qu’8tre insatisfait de la terminologie utilis6e dans le Code civil d Quc-
bec pour tenter de codifier, au sein des dispositions sur la socigt6, le droit de rdsiliation unilatrale
du droit commun des contrats A ex6cution successive de dur~e indttermin~e. En effet, on se
souvient que l’associ6 en nom collectif et l’associ6 en commandite se voient conf~rer, dans le Code
civil di Quibec, un droit de retrait dans les cas oD sa soci6td est d’une dur~e qui n’est pas <
(art. 2228 C.c.Q.). Le 16gislateur parle-t-il ici d’un contrat
durde ind6terminde ou d’un contrat
dont ]a dur~e n’est pas stipule ? Et si le 16gislateur tente de codifier ici le droit commun des con-
trats A execution successive, pourquoi ne pas avoir utilis6, A l’instar de rarticle 2091 C.c.Q. dans
le cadre du contrat de travail, 1’expression > ? Le 16gislateur ne parle
pas pour rien dire, et s’il choisit des termes diff~rents, c’est qu’ils refltent des significations dif-
f~rentes. Mais que sont-elles ? Voir aussi ]a terminologie utilis6e aux articles 1851 C.c.Q., dans le
contexte du louage, et 2086 C.c.Q., dans le contexte du contrat de travail.

1590n1 sait d~jh qu’il existe une facult6 g6n6rale de r6siliation unilat6rale pour les contrats i exd-
cution successive de dur6e ind6terminde. Cette r~gle d6coule principalement de ]a prohibition des
engagements perp6tuels au nom de la libert6 individuelle (supra notes 81, 82).

19941

LE DROIT DE DISSOLUTION UNILATRALE

C.c.Q. II’ne fait pas de doute qu’un engagement d’une dur6e sup6rieure a
quelques annes, voir quelques mois, brime d’une certaine fagon la libert6 indi-
viduelle et l’int~r~t 6conomique des parties s’il n’est accompagn6 d’une facult6
quelconque de r6siliation. De telles conventions
dui~e fixe de plusieurs
ann~es, tel le bail immobilier, sont pourtant frdquentes en pratique. Une r~gle
tol6rant des engagements pouvant aller jusqu’?t 40, 50 ou 60 ans (sinon plus),
mais interdisant ceux qui d6passent la dur6e de la vie humaine (en supposant
que les experts s’entendent sur cette dur6e) ne peut donc etrejustifi6e par la
libert6 individuelle ou la th~orie g6n6rale des contrats 6. Dans ses effets, elle ne
participe pas davantage h la promotion de ces deux valeurs.

Quant Fintuitus persone, cet 6lment essentiel t la confiance donnant
naissance
l’affectio societatis (c’est-h-dire t l’intention de s’associer), il ne
peut lui non plus justifier l’interpr6tation actuelle des articles 1895 C.c.B.-C. et
2260 C.c.Q1 61. En effet, dans les contrats o~i la consid6ration de la personne du
contractant est un 616ment d6terminant, tel le mandat, il est normal que la con-
vention puisse 8tre r6voqu6e en tout temps 62. Bien qu’il ne fasse pas de doute
que la soci6t6 implique un mandat r~ciproque entre chaque associ01 63, on ne peut
s6rieusement invoquer l’intuitus personce pour justifier qu’un recours aux arti-
cles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. soit limit6 aux cas oil la dur6e de la soci~t6
d6passe la dur6e de la vie humaine. En effet, l’intuitus personce implique une
confiance constante et rgciproque entre les associ~s. Une r~gle de dissolution
fond6e sur cette confiance devrait donc s’appliquer aux soci6t6s h termes fixes
(aussi brefs soient-ils) comme aux soci6t6s h dur6e illimit6e’ 4. On ne peut jus-
tifier en se basant sur l’intuitus persone une r~gle qui donne un droit de disso-
lution aux associ~s d’une soci6t6 formde pour une dur6e sup6rieure ?i la vie
humaine, mais le refuse aux membres d’une soci6t6 form~e pour une dur6e inf6-
rieure A celle-ci. La confiance est importante d tout moment, et non seulement
dans les cas oil la dur6e de la soci6t6 d6passe la dur6e de la vie humaine. Le
16gislateur, en limitant le droit de dissolution’ unilat6rale aux soci6t6s dont la
dur6e n’est pas fix6e, ne se pr6occupait manifestement pas de 1’intuitus persone
du contrat de soci6t6165 .

16Cette insistance des auteurs sur le r6le de la libert6 individuelle comme fondement des articles
1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. vient en partie des rapprochements exagdr~s que certains d’entre eux
ont faits entre le contrat de travail et le contrat de socidt6 (Mignault, supra note 18 h la p. 260).
En effet, ces deux conventions different h maints 6gards. La collaboration entre les associ6s exclut
toute subordination et est 6galitaire par nature. Les dirigeants ne sont que des mandataires et non
des chefs. L’associ6 n’est pas dans Ia situation inf6rieure et subordonnde qui caractdrise les rapports
employ&employeur. De plus, l’employ6, contrairement a l’associ6, n’est pas tenu des pertes de
l’entreprise et n’a 6videmment pas de droit de contr6le h exercer sur les actes de l’employeur. Voir
Baudr -Lacantinerie et Wahl, supra note 37 aux n- 29, 445 ; de Juglart et Ippolito, supra note 121
au n 414-1. Voir aussi la jurisprudence citde en note 81.
161Sur l’importance de ces notions dans l’6volution du droit de dissolution unilatdrale, voir le

texte correspondant aux notes 3 a 8.

162Baudouin, supra note 20 au n 421.
163Voir Roch et Par6, supra note 17 h la p. 448. Voir aussi l’article 2219 C.c.Q. et les articles

1856, 1897 C.c.B.-C.

t64Baudry-Lacantinerie et Wahl, supra note 37 au n 438.
165Nous nous devons ici de commenter certains propos de Mignault. On se souviendra qu’en
vertu de l’article 1833 C.c.B.-C., la socidt6 dont la durde n’est pas d6termin6e est censde contractde

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 39

On voit done que la r~gle actuelle, en plus d’6tre in6quitable dans son
application et d’6tre source d’instabilit6 6conomique et contractuelle, ne peut
6tre justifi6e en brandissant les arguments classiques traditionnellement invo-
qu6s a son soutien.

. Mais quele est la cause de ce non-sens ? Si la r~gle actuelle est absurde,
c’est parce que le droit de dissolution pr6vu aux articles 1895 C.c.B.-C. et 2260
C.c.Q. est erron6ment assimil6 par les auteurs A un droit de retrait. Or, voilh le
grand malentendu A l’origine de la port6e d6raisonnable conf6r~e au droit de
dissolution unilat6rale de l’associ6.

Les articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. sont respectivement ins6r6s
dang des sections qui traitent de la dissolution et de la fim du contrat de soci6t6.
Bien loin d’avoir pour objet de conf6r6r un droit de retrait aux associ6s, ces arti-
cles posent avant tout une limite aux circonstances permettant A la volont6 d’un
associ6 de dissoudre la soci6t6. En effet, l’article 1895 C.c.B.-C. dispose que :
<> [nos italiques]. Quant it l’article 2260 C.c.Q., il
vient 6carter toute possibilit6 de confusion entre le droit de dissolution et le droit
de retrait. En effet, non seulement l’article 2260 C.c.Q. conftre-t-il, h l’instar de
l’article 1895 C.c.B.-C., un droit de dissolution A l’associ6 membre d’une
soci6t6 dont la dur6e n’est pas fix6e, mais il confere aussi ce droit A I’associ6

pour la vie des associ6s. L’article 1833 C.c.B.-C. ajoute ensuite >. Or, larticle 1895 faisant partie du cinqui me chapitre,
Mignault a voulu justifier de la fagon suivante l’application de l’article 1895 C.c.B.-C. aux soci6t6s
dont le terme d6passe ]a vie de ceux qui les ont cr66es. Mignault nous dit, au sujet des socidtds
t dur6e ind6termin6e (qui deviennent, par l’effet de l’article 1833 C.c.B.-C., cens6es contractdes
pour la vie des associ6s) :

[P]uisqu’une soci6t6 contract6e pour la vie des associ6s laisse intact ce droit de renon-
ciation, A plus forte raison doit-il en 8tre ainsi d’une soci6t6 dont le terme d6passera
certainement la dur6e de la vie de ceux qui la contractent (supra note 18 A la p. 260).

Nous ne pouvons 8tre-en” accord avec une telle analyse. Les articles 1833 et 1895 C.c.B.C.
r6pondent A des pr6occupations fondamentalement diff6rentes. Certains auteurs, dont Mignault,
invoquent A l’appui de l’article 1895 C.c.B.-C. la protection de la libert6 individuelle. Par contre,
on reconnait i l’article 1833 C.c.B.-C. le role de protecteur ultime de l’intuituspersona du contrat
de soci6t6 ; il confere au contrat de soci6t6 sans dur6e stipul6e un terme dgal t la vie des associ6s
(un terme plus long mettrait en danger l’intuitus person du contrat, dans l’6ventualit6 oii it pour-
rait 6tre continu6 avee les h6ritiers, qui sont des tiers au contrat initial). L’article 1833 C.c.B.-C.
confare done A une soci6t6 A dur6e ind6termin6e le terme maximal qu’il soit possible de lui conf6rer
sans remettre en question I’intuitus persona du contrat de soci6td.

Ainsi, le fait pour une soci6t6 d’8tre A durde ind6termin6e comporte deux cons6quences dis-
tinctes fond6es sur deux justifications ind6pendantes. Elle pourra, d’une part, 6tre dissoute par
chaque associ6 au nom de sa libert6 individuelle, et elle sera, d’autre part, r~put~e contract6e pour
la vie des associ6s en raison de l’intuitus persona du contrat. Rien dans ‘article 1833 C.c.B.-C.
ne nous permet de conclure, contrairement A ce que soutient Mignault, qu’une soci6t6 forme pour
Ia dur6e de ]a vie des associ6s ou pour une dur6e plus grande, soit soumise t l’article 1895
C.c.B.-C. L’article 1833 C.c.B.-C., quand il emploie l’expression >, ne vise qu’4 pr6server le droit de dissolution reconnu par
.dure ind6terminde. I1 ne cherche pas A con-
l’article 1895 C.c.B.-C. aux associ6s d’une soci6t6
f6rer aux soci6taires de soci6t6s viag~res le droit de dissolution pr6vu t l’article 1895 C.c.B.-C.
Sinon, pourquoi le 16gislateur n’en a-t-il pas fait mention t l’article 1895 C.c.B.-C., comme ‘Office
de r6vision du Code civil avait d’ailleurs pris soin de le faire ? Voir Projet de Code civil, supra
note 67, art. 771.

19941

LE DROIT DE DISSOLUTION UNILATERALE

dont le contrat de soci6t6 rdserve le droit de retrait. Le Code civil du Qudbec,
en confdrant le droit de dissolution h l’associ6 dont la libert6 est d6jA prot6g6e
par un droit de retrait, vient une fois pour toutes confirmer que le droit.A la dis-
solution et le droit au retrait sont deux choses fondamentalement diff6rentes.
On ne peut s6rieusement pr6tendre le contraire. En r~alit6, les articles 1895
C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. proposent un m~canisme par lequel le suppos6 retrait
de l’associ6 entraine la destruction de la soci6t6166. En fait, les articles 1895
C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. ne permettent <>67. On voit done que
les codes civils envisagent, aux articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q., non pas
une facult6 de retrait pour l’associ6, mais tout simplement l’unique circonstance
oii la volont6 d’un associ6 de ne plus 6tre en soci6t6 provoque la dissolution de
la soci6t6. Puisque les articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. ne traitent pas du
retrait ou du d6part de l’associ6, mais bien de la dissolution de. la soci6t6, c’est
ailleurs qu’il faut trouver une facult6 de retrait pour l’associ6.

On aura compris A ce stade-ci que nous pr6conisons une interpr6tation des
articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. qui soit avant tout respectueuse de l’in-
tention des parties. Les associ6s auraient-ils stipul6 un terme centenaire A leur
convention qu’il nous apparaitrait pr6f6rable, pour les raisons indiqu6es pr6c&
demment, de donner effet
leur volont6 plut6t que de les soumettre aux al6as
d’une r~gle doctrinale in6quitable et peu fond6e. Toutefois, notre approche ne
m~ne pas n6cessairement A l’emprisonnement social de l’associ6 qui n’a pu
obtenir le consentement de ses coassocids, n6cessaire A son retrait.

B. Solutions de rechange & la r~gle actuelle

Plusieurs solutions peuvent 8tre propos6es face

cette probl6matique.
Cependant, comme chacune d’elles m6riterait une 6tude approfondie d6passant
le cadre de la pr6sente r6flexion, nous nous contenterons ici d’en tracer les
grandes lignes et laisserons A d’autres le spin d’en v6rifier le bien-fond6.

1.

Le droit de retrait du droit commun

Les articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. ne font pas r6f6rence A un droit
de retrait, mais bien aux seuls cas oBi la volont6 d’un associ6 provoquera la dis-
solution de la soci6t6. Loin d’interdire le retrait d’un associ6, les articles 1895
C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. ne font que limiter h des circonstances bien prdcises
la dissolution de la soci6t6 par la volont6 d’un associ6. En fait, ils 6dictent sim-
plement les circonstances bien pr6cises oBi la volont6 d’un associ6 de ne plus
6tre en soci6t6 provoquera aussi sa dissolution.

Mais d’oa provient done le droit de retrait de l’associ6 ? Comme les dis-
positions du Code civil du Bas-Canada de m~me que celles du Code civil du
Qudbec (relativement A la soci&6t en participation) ne traitent pas sp6cifique-
ment du droit de retrait de l’associ6, c’est au sein des principes g6n6raux du
droit des obligations qu’il faut rechercher un 6ventuel droit de retrait.

‘”Lapoyade-Deschamps, supra note 27 A la p. 124.
167Ibid.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 39

Comme nous 1’avons vu, le contrat de soci6t6 est soumis h la th6orie g6n6-
rale des obligations dans la mesure ofi celle-ci n’est pas en contradiction avec
les r~gles particuli~res du r6gime de la soci6t6’68. Or, le droit commun des con-
trats h ex6cution successive de dur6e ind6termin6e pr6voit une facult6 de r6si-
litation unilat6rale pour les parties au contrat’69. La r6siliation met fin au contrat
et donc aux obligations pour l’avenir, sans toucher aux effets que le contrat a
produits dans le pass617. Cependant, dans la plupart des cas ofi cette r~gle est
invoqu6e (le mandat, le louage de services, le contrat de construction), le contrat
r6sili6 est un contrat bilat6ral.n’ayant aucune force ind6pendante des parties t
la convention. En effet, le contrat de mandat ne cr6e aucun patrimoine auto-
nome et n’engendre aucune personnalit6 juridique. Le mandataire est d6biteur
du mandant et non du mandat comme tel. Bref, h l’oppos6 de la soci6t6, le man-
dat n’est pas une institution et n’a aucune existence ind6pendante de celle des
parties au contrat. Ces r6alit6s, propres t l’institution que cr6e le contrat de
soci6t6, doivent 8tre prises en consid6ration au moment de lui appliquer les
r~gles du droit commun des contrats h ex6cution successive” .

La situation juridique d’un individu en soci6t6 est particuli~re. I1 est partie
A un contrat de soci6t6 qui r6git le fonctionnement de l’institution ainsi que les
droits et obligations des associ6s. Cependant, une fois la soci6t6 form6e, celle-ci
prend vie et devient ii plusieurs 6gards une entit6 autonome 7
1. L’associ6 devient
d6biteur envers le patrimoine social de tout ce qu’il a promis d’y apporter (ar-
ticle 1839 C.c.B.-C. et article 2198 C.c.Q.) et d6tient une part sociale (une
cr6ance personnelle dans le patrimoine social). L’associ6 semble donc entretenir
des relations juridiques h deux niveaux : il est partie h un contrat de soci6t6
(qu’il peut toujours modifier avec le consentement de ses associ6s) et il
entretient des relations d6biteur-cr6ancier avec la soci6t6. En somme, la relation
d’assujettissement pouvant 6ventuellement brimer la libert6 d’un individu ne se
retrouve pas entre les associes au niveau du contrat qui cr6e la soci6t6, mais
bien entre chaque associj et le patriroine social cr66 par le contrat.

Ainsi, dans la mesure oa le droit de r6siliation unilat6rale des contrats A
ex6cution successive de dur6e ind6termin6e a pour fondement la protection de
la libert6 des individus, cette facult6 de droit commun appliqu6e au contrat-
institution qu’est la soci6t6, ne doit viser que la relation de droit entre l’associe
et le patrimoine social, puisqu’elle est seule susceptible d’entraver la libert6 de
l’associ6. De cette mani~re, le contrat h la base de l’institution demeure int~gre
et la libert6 de l’individu est sauvegard6e 73. Ce m6canisme est d’ailleurs fort
bien d6crit par un auteur:

16
8Voir supra note 17.
169Cantin Cumyn, supra note 22 A la p. 27; Baudry-Lacantinerie et Wahl, supra note 37 au

i 438 ; Az6ma, supra note 22 A la p. 153. Voir aussi supra notes 81, 82.

70 Baudouin, supra note 20 aux n- 363-64.
M7t Au surplus, ‘article 1856 C.c.B.-C. pr6voit express6ment l’application A ]a soci6t6 des rfgles
contenues au titre Du Mandat (telle Ia facult6 de renonciation du mandataire (art. 1755, para. 2
C.c.B.-C.)) dans le respect de ]a nature institutionnelle de ]a soci~t6.

172Voir supra note 30.
73Un auteur sugg~re, en effet, de recourir aux r~gles du patrimoine comne source suppl6tive
1
au droit des soci6t6s en cas de silence ou de manque de clart6 du Code (Wilhelmson, supra note

19941

LE DROIT DE DISSOLUTION UNILATERALE

Cette possibilit6 de d~noncer unilatralement le lien unissant la soci&t6 A l’un de
ses membres (que la d~nonciation 6mane d’un associ6 ou de la majorit6) n’est pas
propre aux soci6t6s de personnes h capital variable. Le mandat, lui aussi, peut 8tre
r6voqu6 par la volont6 du mandant ou celle du mandataire. Ce qui est original en
revanche, c’est lefait que le contrat de socigtj se maintienne apres la d~noncia-
tion. On est alors conduit d analyser cehi-ci, moins comme la convention inter-
venue entre plusieurs personnes, que comme la juxtaposition d’ une sirie de con-
trats passes entre la collectivitj (qu’ elle soit ou non personnalisge) et ceuix qui la
composent ; on parvient ainsi di expliquer qu’en cas de rsolution de l’un de ses
.
contrats, la vie de la socigtj ne soit pas ‘atteinte [nos italiques] 174

Cette facult6 de retrait pourra 8tre invoque dans les cas oii le terme de la
soci&6t est d’une dur6e excessive pour l’associ6, mais elle n’entranera la disso-
lution de la socid6t que lorsque les associ6s n’ont fix6 aucune dur~e au contrat,
le tout conform6ment aux articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. De cette
manire, les parties pourront stipuler la dur6e de leur choix au contrat de soci6t6
(50, 80, 100 ans) sans craindre qu’une telle dur6e ne donne droit t un associ6
de dissoudre la soci6t6 au motif que sa libert6 est compromise. Le droit de dis-
solution unilat6rale sera r6serv6 aux cas oii les parties n’ont stipul6 aucun.terme
h la convention de soci6t6 et oji, en vertu de l’article 2260 C.c.Q., l’associ6 jouit
d’un droit de retrait en vertu du contrat de soci&t6. En revanche, il sera possible
pour tout associ6, en vertu du droit commun, de se dissocier d’une socit6 de
dur6e excessive, que cette dur6e soit fix6e oU non, et ce d6part ne causera la dis-
solution de la soci6t6 que dans les 6ventualitds tr~s limit6es prdvues aux articles
1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. tvidemment, le d6part d’un associ6 n’entraimera
pas la dissolution de la soci6t6 quand les parties ont par6 h cette 6ventualit6 dans
le contrat de soci&t6. L’associ6 sortant se verra remettre le prix de ses droits ou,
dans les cas’ qui le permettent, sa part en nature dans le fonds social 75 .

Cette interpr6tation du droit de dissolution unilat~rale en regard du droit
commun des obligations est d’ailleurs en harmonie avec l’orientation prise par
le l6gislateur dans le Code civil du Quibec. En effet, on y implante aux articles
2226 h 2229 C.c.Q. un r6gime complet et d6taill6 de retrait au profit de l’associ6
en nom collectif et en commandite. L’interpr6tation du droit de dissolution uni-
lat6rale que nous proposons a donc l’avantage de permettre de traiter le regime
des soci6tds en non collectif et des soci6tds en commandite du Code civil du
Bas-Canada de fagon coh~rente avee le nouveau regime prevu pour celles-ci
dans le Code civil du Quebec. Effectivement, en vertu de notre approche, les
associ6s de la soci&t6 en nom collectif et de la soci6t6 en commandite jouissent
d’un droit de retrait tant en vertu du Code civil du Bas-Canada que du Code
civil du Quibec. Seule la source de ce droit de retrait varie : le droit de retrait
du Code civil du Bas-Canada provient du droit commun des contrats h ex6cu-
tion successive, alors que le droit de retrait du Code civil du Quebec provient

30). Un exemple d’une r~gle ayant dt6 justifide par le patrinoine autonome de la soci&6t en l’ab-
sence d’indications du Code A ce sujet concerne l’impossibilit6 pour le cr6ancier d’un associ6 de
r6aliser sa cr6ance
la
p. 484).

1’encontre d’une cr6ance de la soci~t6 (Roch et Par6, supra note 17

174Azoulai, supra note 126 A Ia p. 14.
75Cet exercice est facilit6 lorsqu’une somme determinde a W 6tablie et promise dans le contrat
de soci6t6 pour tenir lieu de cette part (Kerr, supra note 132 ; Cardiec, supra note 132 ; Boustany,
supra note 35).

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 39

du r6gime mis en place aux articles 2226 h 2229 C.c.Q. Le recours au droit com-
mun des obligations permet aussi de conf~rer A l’associ6 en participation du
Code civil du Quebec, dont le r6gime de dissolution est directement inspir6 du
Code civil du Bas-Canada, la facult6 de se retirer de la soci6t6 sans entraTner
la dissolution de celle-ci.

L’interpr6tation du droit de dissolution unilat6rale pr6conis6e dans la pr6-
sente 6tude, outre qu’elle permette d’appliquer les dispositions du Code civil dit
Bas-Canada d’une fagon coh6rente avec celles du Code civil du Quebec, assure
donc la sauvegarde de la libert6 de l’associ6 dans le respect de l’institution
sociale. Ainsi, tout associ6 r6gi par le Code civil diu Qu6bec jouit d’un droit de
retrait. Seule la source de ce droit differe : le droit de retrait de l’associ6 en nom
collectif et en commandite provient des articles 2226 A 2229 C.c.Q., alors que
le droit de retrait de l’associ6 en participation, comme celui de l’associ6 du
Code civil du Bas-Canada, provient de l’application A la soci6t6 du droit de r6si-
liation unilat6rale du droit commun clans le respect de sa nature.

Notre position r6pond aussi de fagon ponctuelle A plusieurs aspects probl6-
matiques de la port6e actuelle du droit de dissolution unilat6rale. Pour nos fins,
nous n’en mentionnerons que deux’: la situation du commandit6 dans le Code
civil du Bas-Canada et le cas de
‘associ6 qui tente, de mauvaise foi ou fauti-
vement, de mettre un terme aux activit6s sociales par l’entremise des articles
1895 C.c.B.-C. ou 2260 C.c.Q.

On a d6jA vu que le commandit6, dans le Code civil du Bas-Canada, ne
peut se pr6valoir du droit de dissolution pr6vu
l’article 1895 C.c.B.-C., lors
m~me qu’il serait une personne physique partie A un contrat de soci6t6 d’une
dur~e fixe exc~dant son esp~rance de vie 176 . Le commandit6 est donc en quelque
sorte le prisonnier de la soci6t6 en commandite. Le recours au droit de r6silia-
tion unilat6rale du droit commun, tel qu’adapt6 aux particularit6s de la soci6t6,
lui pefmettrait de se lib6rer de la socidt6, moyennant un avis raisonnable, sans
pour autant compromettre l’existence de la soci6t6 en commandite.

Outre cette application

la situation du commandit6, le recours au droit de
r6siliation du droit commun des contrats h execution successive s’av~re tout
aussi attrayan.t dans le cas de l’associ6 qui tente, de faqon fautive ou de mau-
vaise foi, de dissoudre la soci6t6 177. On sait qu’une tentative de dissolution de
mauvaise foi ou faite h contretemps est frapp6e de nullit6 relative’78. Ainsi, dans
l’6ventualit6 oii les associ6s ne se pr6valent pas de cette nullit6 et maintiennent
la societ6, ils se retrouvent avec un ind6sirable au sein de la soci6t6, a moins
qu’ils n’empruntent le chemin hasardeux de l’expulsion judiciaire de l’associ6
r~calCitrant 79 . Le droit commun permettra encore ici d’6viter de nombreuses
complications. En effet, le droit de r6siliation unilat~rale du droit commun

176Voir le texte correspondant aux notes 143 A 144.
177Voir supra note 38.
’78Ibid.
17 9Voir Baudry-Lacantinerie et Wahl, supra note 37 aux pp. 138-39. En cas d’expulsion judi-
ciaire, la socit6 est dissoute A 1’6gard des associ6s exclus et leurs droits cessent du jour o ces der-
niers ont signifiM qu’ils se consid6raient 6trangers A la soci6t6. Voir aussi le Code des socidtds, 1 V
6d., DaIloz, Paris, 1992 (sous Particle 1844-7 C. civ.) aux pp. 32-36.

1994]

LE DROIT DE DISSOLUTION UNILATERALE

n’est pas frapp6 de nullit6 lorsqu’il est exerc6 de fagon fautive ou avec mauvaise
foi 50. Dans un tel cas cependant, l’associ6 fautif sera dans l’obligation de r6pa-
rer le prejudice qui d~coule de son ddpart intempestif “8. En r~gle g6n6rale
cependant, l’associ6 qui quitte la soci6t6, meme de fagon intempestive, aura
droit de se voir remettre sa part sociale ou le prix de celle-ci s2.

2.

L’absorption du droit de dissolution unilat6rale par le m6canisme de
dissolution judiciaire

Outre cette premiere solution

l’interpr6tation actuelle du droit de disso-
lution unilatdrale, i savoir l’utilisation du droit commun des contrats i execu-
tion successive, nous ferons mention d’une seconde qui, bien que nous apparais-
sant moins satisfaisante que la premiere, semble n~anmoins pr6frable i

1SAsbestos Corporation, supra note 81 ; E & S Salsberg Inc., supra note 81 ; Drouin, supra note

81 ; Dami Sport Co., supra note 81.

1 1Baudry-Lacantinerie et Wahl, supra note 37 au n 451 ; Montgrain, supra note 38 A lap. 1867;
Savard, supra note 38
Ia p. 657; Dedam, supra note 18 aux pp. 323, 325. On accordera des
dommages-intrats contractuels pour tenir lieu d’un avis raisonnable et des dommages-int&rlts
d6lictuels pour abus de droit (Dami Sport Co., ibid. Voir aussi J. Guyenot, La rupture abusive des
contrats A duroe ind~termin~e > dans P. Durand, dir., supra note 126, 235 h la p. 258 et s.).

1S2Voir supra note 176. On peut cependant imaginer divers sc6narios en vertu desquels l’associ6
qui se retire de fa~on fautive n’aurait pas droit de recevoir sa part sociale ou le prix de ses droits
dans le fonds social.

Premi~rement, on pourrait invoquer l’exception non adimpleti contractus. Selon cette exception,
l’associ6 qui, de mauvaise foi, r6pudie le contrat de soci6t6 violant ainsi ses obligations contrac-
tuelles implicites, ne peut exiger des autres associ6s qu’ils accomplissent leurs obligations et lui
remettent la valeur de sa part sociale telle qu’6valu6e dans le contrat. Voir de faqon g6n6rale les
articles 1591 a 1593 C.c.Q. ; Zaccardelli c. Hibert, [1955] C.S. 478 ; Di Paolo General Building
Contractors Ltd. c. Boulanger, [1962] B.R. 783 ; Brasserie Labatt Ltje c. Montreal (Ville de),
[1987] R.J.Q. 535 (C.A.) ; Morden & Helwig Ltje c. Perreault-Mathieu & Cie, [1987] R.J.Q. 1572
4 ]a p. 1577 (C.S.), port6 en appel (C.A.Q. 200-09-000199-874), r~glement hors cour (31 aofit
1987). Voir aussi, dans le contexte d’une soci~t6, l’arrt Savard, oa un associ6 ayant mis fn uni-
lat6ralement A la soci6t6 en violation du contrat de soci6t6 se vit refuser le droit d’invoquer A sa
d6fense certaines dispositions du contrat de soci6t6 (supra note 38 aux pp. 656-57).

Deuxi~mement, on pourra avancer que lensemble des comportements de l’associ6 ayant rsili6
son contrat de fagon fautive, est assez important (par exemple, un d6toumement de la clientele, une
tentative de fraude, un vol de secrets industriels, une absence complete de pr6avis, etc.) pour crier
une prsomption de faits suffisamment forte pour justifier un tribunal t conclure a une renonciation
tacite par l’associd t son droit de recevoir le prix de ses droits dans le fonds social. Voir Dulude
c. Toupin (1935), 58 B.R. 269 a la p. 273.

Troisi~mement, on peut envisager d’opposer i l’associ6 fautif une fm de non-recevoir lorsque,
par exemple, celui-ci aurait, par des d~marches ou des dclarations A l’occasion de son d6part,
amen6 la soci~t6 A modifier sa position, lui causant ainsi un prejudice. L’applicabilit6 de cette doc-
trine aux circonstances entourant le retrait d’un associ6 d6pendra des faits de chaque esp ce et, bien
qu’elle puisse sembler d’une utilit6 limit6e A premi~re vue, il serait prudent de garder cette pos-
sibilit6
l’esprit. Voir, sur Ia fin de non-recevoir, Latour c. Pagg et Fils Limitie, [1956] C.S. 153 ;
Banque nationale du Canada c. Soucisse, [1981] 2 R.C.S. 339,43 N.R. 283 ; Schenker of Canada
Ltd. c. Goldex Imports Ltd., [1990] R.R.A. 477 (C.A.) ; Sinyor Spinners of Canada Ltd. c. Leesona
Corp., [1976] C.A. 395.

Finalement, bien que le droit de rdtention soit un m~canisme essentiellement temporaire, son uti-
lisation dans un tel contexte n’est pas a 6carter sans consideration. Ainsi, tant que l’associ6 qui a
quitt6 Ia soci~t6 de fagon intempestive ne rpare pas les torts causes, la soci6t6 pourra retenir les
parts de l’associ6 qui a quitt6 ou le prix de celles-ci. Voir, sur le droit de rdtention, les articles 1591
a 1593 C.c.Q.; Hamel c. Gravenor, [1960] B.R. 1223.

REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 39

l’interpr6tation qui pr~vaut depuis toujours
et par extension t 1’6gard de 1’article 2260 C.c.Q.

l’6gard de ‘article 1895 C.c.B.-C.

En vertu des articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q., le droit de dissolution
doit 6tre exerc6 de bonne foi et non A contretemps ou dans un temps non pr6-
judiciable A la soci6t653. De plus, les articles 1896 C.c.B.-C. et 2261 C.c.Q. per-
mettent, pour une cause 16gitime, la dissolution judiciaire de la soci6t6”.

Or, ne devrait-on pas pr6coniser en quelque sorte l’absorption des articles
1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. par les articles 1896 C.c.B.-C. et 2261 C.c.Q. ?
Par cette technique, la < et l’absence de <> ou de
<>, n6cessaires A l’exercice du droit de dissolution (article 1895
C.c.B.-C. et article 2260 C.c.Q.) seraient assimil6es a la <> per-
mettant la dissolution judiciaire (article 1896 C.c.B.-C. et article 2261 C.c.Q.).
En effet, le fait d’8tre prisonnier i vie d’une soci6t6 constitue certainement une
cause l6gitime de dissolution au sens des articles 1896 C.c.B.-C. et 2261 C.c.Q.

Bien que l’article 1896 C.c.B.-C. n’ait pas encore 6t6 express~ment utilis6
cette fin”-5, cette solution comporte plusieurs attraits. Elle 61imine les p6rils
entourant la dissolution unilat6rale, et permet h toutes les parties de faire valoir
leurs arguments respectifs avant que ne soit ordonn6e une dissolution judiciaire.
Cette solution a aussi l’avantage d’inciter les associ6s voulant continuer la
soci6t6 A offrir une juste compensation A l’associ6 d6sireux de quitter le pacte
social. Ii obtiendra ainsi fort probablement une meilleure valeur marchande
pour sa part sociale que par l’entremise de la dissolution de la soci6t6. De plus,
devant une v6ritable impasse, le’tribunal aurait toujours le pouvoir d’ordonner
la dissolution d’une soci6t6 lorsqu’un associ6 s’y trouve prisonnier.

Un autre des avantages de la dissolution judiciaire par rapport A la disso-
lution unilat6rale est que le m6canisme de la dissolution judiciaire permet de
demander au tribunal la dissolution de la soci6t6 pour toute cause Mgitime.
Ainsi, alors qu’un engagement social d’une trentaine d’ann6es ne permet pas de
recourir au droit de dissolution unilat6rale, un pacte d’une telle dur~e pourra
repr6senter, en certaines circonstances, une cause l9gitime de dissolution judi-
ciaire. On voit donc qu’un recours A la dissolution judiciaire prot6gerait plus
ad6quatement la libert6 des individus que ne peut le faire le droit de dissolution
unilat6rale.

Finalement, la nature judiciaire de la technique pr6vue aux articles 1896
C.c.B.-C. et 2261 C.c.Q. ne devrait pas 6tre perque comme un recul par rapport
au proc6d6 pr6vu aux articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. En effet, il est fort
probable que toute tentative de dissolution en vertu des articles 1895 C.c.B.-C.

183Voir supra note 38.
1’4L’article 1896 C.c.B.-C. limite ce recours au cas oil ]a duroe de la soci6t6 est limit~e alors que
l’article 2261 C.c.Q. peut 8tre invoqu6 dans toute soci6t6 en participation, que sa durde soit limitde
ou non. Voir le texte de ces articles, supra notes 39, 77.
185L’affaire Livesque c. Phaneuf (20 novembre 1992), Drummond 405-05-000024-927, J.E.
93-103 (C.S.), sans faire express6ment mention de 1’article 1896 C.c.B.-C., semble adopter cette
technique en exigeant que l’associ6 justifie la 16gitimit6 de 1’exercice de son droit de dissolution
unilat6rale en vertu de l’article 1895 C.c.B.-C.

1994]

LE DROIT DE DISSOLUTION UNILATERALE

et 2260 C.c.Q. sera de toute fagon contest~e devant les tribunaux, tout particu-
li~rement si un terme jugd excessif par un des associ6s a 6t6 pr6vu au contrat.

II est int6ressant de noter que cette solution avait 6t6 retenue en France jus-
qu’A la r6forme du droit des soci6t~s de 1978. La r~gle pr6vue t l’article 1871
C. civ. de l’6poque (6quivalent aux actuels articles 1896 C.c.B.-C. et 2261
C.c.Q.) avait en pratique incorpor6 l’article 1869 C. civ. (6quivalant aux actuels
articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q.). L’absence de contretemps > et la
bonne foi> n6cessaires h l’exercice du droit de dissolution (1869 C. civ.)
6taient assimil6es par la jurisprudence aux justes motifs> permettant la disso-
lution judiciaire (1871 C. civ.)’t 6. Cette solution, d6j r6alis6e en pratique, s’est
impos6e en droit dans le nouvel article 1844-7, alin6a 1, paragraphe 5 C..civ.
qui ne pr6voit plus que la demande de dissolution anticip~e pour juste motif’87 .
La volont6 d’un associ6 ne figure donc plus en France parmi les causes de dis-
solution d’une soci6t6 (sauf, comme au Qu6bec, pour la soci6t6 en participa-
tion)88

Peut-8tre devrions-nous adopter l’approche qui pr6valait en France jusqu’

la r6forme du droit des soci6t6s de 1978 ? Ou encore, serait-il plus appropri6
d’appliquer au contrat de soci6t6 les r~gles du droit commun des contrats A ex6-
cution successive de dur6e ind6termin~e ? Quoi qu’on en pense, une chose est
certaine : h d6faut d’6tre parfaites, ces deux propositions g~rent le droit de dis-
solution unilat6rale de fagon plus raisonnable que ne le fait la r~gle ayant actuel-
lement la faveur des autorit6s, tout en prot6geant la libert6 de l’associ6 de fagon
sup6rieure.

Conclusion

Assimiler le droit de dissolution unilat6rale pr6vu aux articles 1895
C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. A un mecanisme protecteur de la libert6 de l’associ6
m~ne A une solution artificielle, inefficace pour l’associ6 et catastrophique pour
la socidt6. En effet, interpreter les articles 1895 C.c.B.-C. et 2260 C.c.Q. comme
conf6rant un droit de dissolution unilatrale dans les cas oii la dur6e pr6vue de
la soci6t6 est sup6rieure h la vie de ses membres r6sulte, comme on l’a vu,-en
une instabilit6 contractuelle majeure et r6alise de fagon inequitable et inefficace
les objectifs invoqu6s par les auteurs t l’appui d’une telle interpr6tation.

1

86Lapoyade-Deschamps, supra note 27 A la p. 125; F. Caporale, supra note 136 au n* 21. En
effet, l’existence d’un possible redressement mon6taire pour l’associ6 voulant quitter et la prosp6-
rit6 de la soci6t6, constituaient deux motifs de rejet d’une demande de dissolution. On jugeait, en
effet, que dans ces deux cas, le droit de dissolution 6tait invoqu6 h contretemps ou de mauvaise
foi.

‘ 871bid”
“’88Voir

‘article 1872-2 C. civ. I1 paraissait en effet pour le moins surprenant qu’un associ6 par-
vint A d~truire, par sa seule volont6, une soci6t6 batie par des volont~s convergentes, empechant
ainsi toute pr6vision raisonnable dans la gestion de l’entreprise. Cette forme indirecte de retrait (qui
provoquait en r6alit6 le retrait de tous les associ6s) dtait devenue quelque peu v~tuste. Son champ
d’application, progressivement r6tr6ci par l’influence croissante de l’article 1871 C. civ. et par l’ar-
bitraire d6termination de ce que constitue une soci~t6 a dur6e illimit~e, n’en faisait plus qu’une
arme symbolique contre la menace de demeurer prisonnier de certaines soci~t~s (Lapoyade-
Deschamps, supra note 27 aux pp. 124-25).

378

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 39

C’est par une m~connaissance de la nature juridique de la soci6t6, At

mi-chemin entre l’institution et le contrat, qu’on a depuis toujours refus6 d’ap-
pliquer A la soci6t6 le droit commun des contrats A ex6cution successive en
mati~re de r6siliation unilat6rale. Pourtant, les principes g6n6raux du droit des
obligations, appliqu6s h la situation de l’associ6, dans le respect de la nature de
la soci6t6, permettent de trouver un 6quilibre heureux entre la libert6 du soci6-
taire et la stabilit6 de l’difice social.

L’entr~e en vigueur du Code civil du Qu6bec est l’occasion toute choisie
pour mettre en application ces principes et ainsi faire en sorte que tout associ6,
en vertu des deux codes civils, puisse protdger sa libert6 individuelle de fagon
ad6quate sans pour autant compromettre, A tout coup, l’existence de la soci6t6.
Le droit civil est fiche en solutions juridiques de toutes sortes. Le respect et la
connaissance de ses principes fondamentaux sont les cl6s qui en r6vlent les tr6-
sors.