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Le droit du non-piqueteur h son salaire*
Introduction
L’observateur attentif de notre syst~me de relations industriel-
les ne manque pas d’exemples de conflits de travail. De tels conflits
posent plusieurs problkmes juridiques quant aux situations relatives
des acteurs en presence. Qu’advient-il par exemple de leurs droits
et obligations respectifs? Le contrat individuel de travail 6tant sus-
pendu, l’obligation de loyaut6 du salarid disparat-elle ou ne fait-
elle que s’estomper? Le pouvoir disciplinaire de l’employeur est-il
an~anti? De telles questions m~riteraient discussion. Pourtant, no-
tre propos vise d’autres aspects du conflit de travail: le droit des
non-belliggrants h leur salaire. Cette ddsignation quelque peu littd-
raire nous est imposde par la rigueur du langage juridique d’une
part, et par l’objectif de cette 6tude d’autre part. Nous ne pouvons
en effet parler de tiers, ce mot englobant toute personne autre que
Jes parties directement impliqu6es dans le conflit, soit 1’employeur
et le groupe de salaries en cause. Or, certains tiers ne nous int6res-
sent pas ici, tels les clients et les fournisseurs de l’entreprise. L’ex-
pression “non-gr~viste” ne convient pas davantage puisque l’hypo-
thise que nous voulons examiner ne suppose rien quant h l’existen-
ce d’une grave, a fortiori, s’il y en a une en cours, quant h sa 16ga-
lit6 ou son illdgalit6.1
Notre hypoth~se est h l’effet que des salari6s ddsireux de- se
rendre au travail en sont empechds par un piquet dress6 par
d’autres salarids 6tant, ou ayant 9td, en relation contractuelle avec
l’entreprise.2 Cette derni6re precision s’impose en raison du cri-
* Cette 6tude a 6td r6alis~e grace it une subvention du Fonds du Colloque
de l’Ecole de relations industrielles de l’Universitd de MontreaI.
‘Pour cette raison, le cas des salarids membres de l’unit: d’accr6citation
ldgalement efn gr~ve qui seraient d6sireux de travailler ne sera pas discutd.
Tierces parties du point de vue du droit civil, le Code du travail, L.R.Q. 1977,
c. C-27 [ci-apr~s C.t.J en fait des participants par le jeu des arts. 97a et s.,
ajoutds par L.Q. 1977, c. 41, art. 53.
2 Dans le dernier cas, d’aucuns seraient enclins At parler d’anciens salari6s.
Toutefois, vu la jurisprudence 6tablie par le Tribunal. du travail et sa con-
firnation par le lgislateur, il est plus prudent de n’en rien faire. Voir l’art.
98a C.t., ajout6 par L.Q. 1977, c. 41, art. 54, ainsi que les arrats Vandal v. Ambu-
lance Godin Ltge [1976] T.T. 141 (le juge Geoffroy); Agence provinciale (Qud-
bec) 1972, Inc. v. Alain [1977] T.T. 155 (le juge Beaudry); Mussens Equipment
Ltd v. Boulay, Tribunal du travail, district de Montr6al, dossier no 500-28-000-238-
774, 11 janv. 1978 (le juge Beaudry); Commercial Photo Service v. Lafrance
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t~re d’extdrioritd
(ou extran6it6) attach6 par la doctrine et la
jurisprudence i un 6vdnement que le d6biteur en ddfaut qualifie
de force majeure pour excuser l’inexdcution de l’une de ses obliga-
tions. Supposons maintenant que les non-belliggrants rdclament en
justice leur salaire aupr~s de leur employeur. La question juridi-
que fondamentale est alors la suivante. Le salari6 a, en vertu de son
contrat individuel de travail,3 l’obligation de rendre sa prestation
de services. D’autre part, l’employeur a celle de fournir le travail
convenu, sous l’angle qualitatif (nature du travail) et quantitatif,
ce dernier aspect seul nous int6ressant ici. Aucune des deux presta-
tions n’est effectivement rendue. Aucune? C’est prdcis6ment I
l’ob-
jet de notre 6tude.
Le salari6, d’une part, n’a pas travaill6. Est-ce h dire qu’ipso
facto il n’ a pas droit h son salaire (ou l’6quivalent) ? I1 y a pourtant
des cas ofi ce droit au salaire sera confirm6, en l’absence de presta-
tion de travail, comme dans le cas de maladie, oii le salari6 regoit
le produit d’une assurance-salaire (6quivalent du salaire) ou en-
core lorsque la convention collective prdvoit un minimum d’heures
rdmunres pour un rappel au travail. D’autre part, l’entreprise n’a
pas fourni le travail convenu. Mais quelle quantit6 de travail l’en-
treprise doit-elle fournir si le rdclamant est
i6 par un contrat h
durde inddterminde et qu’il n’y a pas de convention collective ap-
portant des prdcisions sur ce point? Dans de telles conditions, on
peut certes citer des situations dans lesquelles le salaire n’est pas
[1978] T.T. 8 (le juge Bri~re). Cette derni~re decision, confirmre par la Cour
supreme du Canada le 18 mars 1980, s’dcartait du courant jurisprudentiel
dtabli par les trois prdcddentes. Consulter 6galement Verge, La participation
& une grgve illigale en tant que motif de congddiement (1979) 34 Relations
industrielles 183, ainsi que les commentaires (distincts) de D’Aoust et Verge
de la ddcision de la Cour supreme susmcntionnde in (1980) 35 Relations in-
dustrielles (sous presse).
3 La relation entre le contrat individuel de travail et la convention collective
ne fait pas l’objet de notre analyse. Aussi, ne traitons-nous pas de la thdorle
de la relation de travail. Sur ce point, l’intdressd pourra consulter, entre
autres: Rivero & Savatier, Droit du travail 5e 6d. (1970), h Ia p. 364; Camer-
lynck & Lyon-Caen, Droit du travail 8e dd., aux pp. 71 et s.; Oilier, Le droit
du travail (1972), aux pp. 76 et s.; Brun & Galland, Droit du travail (1958), aux
pp. 179 et s. Les plus rdcentes 6ditions du prdcis de Rivero & Savatier (7e dd.,
1978) de m~me que du trait6 de Brun & Galland (2e 4d., 1978) et, d’autre
part, des ouvrages publids pour la premiere fois dans les anndes rdcentes,
n’abordent pas la question; peut-6tre est-ce lh le signe du d6clin de la thdorie
de la relation de travail. Voir Javillier, Droit du travail (1978); Groutel, Droit
du travail (1974); Ghestin, Droit du travpil (1972). De toute mani6re, pour
mettre cette question sur une voie d’6vitement, nous supposerons que les
rdclamants ne sont pas syndiquds.
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dfi, par exemple la mise h pied dconomique. En cas de piquetage
illegal, son 6tablissement ayant 6t6 frapp6 d’interdit, l’employeur ne
peut-il avec succis invoquer la force majeure l’exondrant de l’inex&-
cution de son obligation?
La rdponse h toutes ces interrogations nous parat rdsider dans
l’examen de l’intensit6 des obligations r~ciproques des parties. 4
L’une ou l’autre obligation sont-elles de diligence ou de r~sultat?
Dans le premier cas, le d~biteur n’est tenu qu’h employer les mesu-
res qu’emploierait l’homme moyen (le “bon p~re de famille”, com-
me on le d~nomme en droit civil), plac6 dans des circonstances si-
milaires; dans le second cas, i ne peut Ptre excus6 que s’il a 6t6
emp~ch6 d’agir par un cas de force majeure. Dans l’hypoth~se envi-
sag~e, la question se r~duit h savoir qui, des salaries voulant tra-
vailler ou de l’employeur assi~g6, est astreint h prendre les moyens
d’asurer le libre acc~s h l’6tablissement, que ce soit par l’appel h la
force publique, le recours h l’injonction ou autrement. La jurispru-
dence de nos tribunaux de droit commun est peu 6clairante sur la
question, en particulier en ce qui touche la notion de force ma-
jeure. La jurisprudence arbitrale est divis~e. Nous chercherons la
lumiare du c6t6 du droit frangais, vu le lien de filiation entre les
droits civils francais et qu6b~cois, sans n6gliger pour autant l’ap-
port qu~b6cois h la solution du problme.
I. La solution frangaise
A. La doctrine
L’employeur a l’obligation de fournir du travail aux salari6s.
C’est h lui que revient l’obligation d’assurer le libre acc~s aux lieux
du travail. C’est sur lui que repose le devoir d’assurer la libert6
du travail.
C’est en ce sens que se prononce traditionnellement la doctrine
. l’intensit6 de
frangaise. Brun et Galland sont tr!s clair quant
l’obligation qui p~se sur l’employeur:
L’employeur doit assurer le ibre acc~s des locaux de travail. Ainsi, en
cas de gr~ve, il lui appartient de prendre toutes mesures pour que les
salaries non gr6vistes puissent remplir leurs fonctions. Sauf force ma-
4 Sur la question de l’intensit6 des obligations en droit civil qu6b6cois,
consulter Cr6peau, Des rdgimes contractuel et ddlictuel de responsabilitg
civile en droit civil canadien (1962) 22 R. du B. 501, 503 [ci-apr~s Des rigimes];
Cr6peau, Le contenu obligationnel d’un contrat (1965) 53 Rev. Bar. Can. 1
[ci-apr~s Le contenu]. Pour la France, consulter Frossard, La distinction des
obligations de moyens et de rdsultat (1965).
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jeure, dont il est tenu d’apporter la preuve, l’employeur est garant de
la libert6 du travail.5
L’obligation de l’employeur serait, selon la doctrine,” une obli-
gation de rdsultat. Ainsi, devant un manque de travail pour les non-
belligdrants et une perte de leurs salaires consdcutive t ce manque
de travail (absence de rdsultat), l’employeur sera jug6 fautif s’il
ne peut ddmontrer que l’inexdcution de son obligation est due h
un cas de force majeure imprdvisible. II ne lui suffit donc pas
de prouver la simple absence de faute positive de sa part pour
se ddgager de ses obligations de fournir le travail et de payer le
salaire.
L’intensit6 de l’obligation de 1’employeur repose sur la fagon
d’interprdter la notion de force majeure. La jurisprudence fran-
gaise, comme nous le verrons plus loin, adopte gdndralement la con-
ception classique de la force majeure. Cette conception, tr~s rigou-
reuse, ne saurait accepter comme force majeure un 6v6nement tel
une grave dans une entreprise A moins de circonstances tout h fait
exceptionnelles comme certaines gr~ves politiques, par exemple
celle de mai 1968. Cette perception dtroite de la notion de force
majeure a comme consdquence concrete que virtuellement aucune
gr~ve ne libire l’employeur de son obligation de fournir du travail
aux non-belligdrants ou du moins de payer leurs salaires pendant
qu’ils demeurent h sa disposition pour travailler.7
l’imprdvisibilit6, l’irrdsistibilit6,
Pour qu’un dv6nement soit qualifi6 de force majeure, il doit en
rev6tir les caractdristiques:
‘ext-
rioritd. II dolt de plus rdsulter en une impossibilit6 absolue (et
non pas une difficult6 accrue) de fournir du travail aux salarids. Or,
la grive, selon certains auteurs, s est le plus souvent pr6visible dans
notre soci6t6 contemporaine; elle est rarement insurmontable pour
l’employeur, puisque ce dernier peut embaucher du personnel de
remplacement, 9 recourir hi la force publique ou obtenir une requate
5 Brun & Galland, Droit du travail: Les rapports individuels de travail 2e
6d. (1978), t. 1, A la p. 690 [italiques des auteurs].
0 Voir Sinay & Javillier, La grave (1979), aux pp. 112 et s.
711 serait plus exact de parler d’indenmitd de mise A disposition plut6t
que de salaire, puisque le salaire est la contrepartie du travail fourni. Or,
dans le cas d’un arr~t de travail, le contrat synallagmatique de travail entre
r’employeur et les non-belligdrants est modifi6. Les 616ments travail fourni/
salaire sont remplac6s par des 6lments dquivalents: mise h disposition/
indemnit6 pour salaire perdu. Voir Sinay & Javillier, supra, note 6, h ]a p.
112; Rivero & Savatier, Droit du travail 7e 6d. (1978), Li la p. 485.
8 Voir Sinay, La grgve (1966), aux pp. 312 et s.; Camerlynck & Lyon.Caen,
Droit du travail 4e 6d. (1970), aux pp. 500 et s.
9 Au Qu6bec, le nouvel article 97a C.t. nie ce pouvoir hi l’employeur en cas
de gr~ve 16gale.
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en r~f6r6 (proc6dure apparent6e h l’injonction) pour d6gager les
acc~s h 1’entreprise; de plus, elle ne constitue pas un 6v6nement
ext6rieur b l’entreprise puisque, au contraire, elle survient directe-
ment dans son champ d’activit6s. Certains auteurs consid~rent en
effet qu’une gr~ve ne poss~de pas le caract~re d’extdriorit6, 616ment
de la force majeure. 10 Pour ce courant doctrinal, l’exigence de 1’ex-
t6riorit6 de l’6v6nement ne serait pas remplie puisque la greve ne
constituerait pas une “cause 6trangre” h l’entreprise du d6fendeur.
La condition d’ext6riorit6 n’6tant pas remplie, la force majeure ne
pourrait pas 6tre retenue. Par contre, selon les fr~res Mazeaud, “la
cause est
trangire au d6biteur quand elle ne lui est pas imputa-
ble”.” Dans les cas de gr6ve, la jurisprudence se concentrera davan-
tage sur les 616ments d’irr6sistibilit6 et d’impossibilitd d’ex6cuter.
L’ext6rioritW n’est donc pas, selon ces auteurs, une condition n6ces-
saire de la force majeure. 12
Depuis quelques ann6es, la doctrine classique de la force ma-
jeure, telle que nous venons de ]a pr6senter, semble toutefois remise
en cause en droit du travail par une nouvelle th~se aux contours
plus ou moins d6finis. Certains auteurs sont d’avis que la conception
classique de la force majeure doit 6tre adapt6e b la r6alit6 sociale,13
et remplac6e par la th6orie, plus souple, des conjonctures contrai-
gnantes. L’employeur pourrait ainsi se lib6rer de son obligation de
payer le salaire des non-bellig6rants en invoquant non plus 1’6v6ne-
ment de force majeure mais de simples circonstances contraignan-
tes pour l’entreprise.
La diff6rence entre ces deux notions porte surtout sur la ques-
tion de l’impossibilit6 d’ex6cuter l’obligation. Dans le cas de force
majeure, cette impossibilit6 d’ex6cuter pour l’employeur doit 6tre
absolue. Cependant, quand sont invoqu~es les conjonctures contrai-
gnantes, telle impossibilit6 d’ex6cuter n’est plus que relative. Le
d6fendeur, en effet, devra seulement prouver la d6sorganisation
complete de son entreprise l’emp6chant, malgr6 son comportement
diligent, d’exploiter normalement celle-ci. I1 fera alors appel aux
imp6ratifs dconomiques le justifiant de ne pas fournir le travail.
Or, cette notion “d’imp6ratifs dconomiques rendant plus on6reuse
10 Voir Sinay, supra, note 8, L la p. 320; Camerlynck & Lyon-Caen, supra,
note 8, h la p. 552.
1 Mazeaud, Traitg thiorique et pratique de la responsabiliti civile ddlic-
tuelle et contractuelle 6e 6d. (1970), t. 2, p. 681, no 1566.
12 Ibid.
‘8 Voir Latournerie, Le droit frangais de la grave (1972), aux pp. 132 et s.;
Bou~re, Le droit de grave (1958), h la p. 206.
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l’exdcution de l’obligation”‘ ‘ ” est incompatible avec la notion de
force majeure. 5 La th-se des conjonctures contraignantes peut ainsi
permettre i l’employeur de s’exondrer de l’obligation de payer le
salaire aux non-belligdrants dans le cas d’une gr~ve qui, tout en
constituant une ddsorganisation s6rieuse de la production, ne prd-
senterait pas, selon la thdorie classique, un cas de force majeure.
Cette these des conjonctures contraignantes soul~ve, en somme, la
question fondamentale, A savoir: faut-il reconnaitre un nouveau con-
cept de la force majeure qui soit propre au droit du travail ou faut-
il, au contraire, conserver les exigences de la force majeure telle
que cette notion existe actuellement en droit civil? Nous tenterons
d’apporter une rdponse h cette question en guise de conclusion A
cet article.
Mentionnons, au surplus, pour clore cette discussion, que la
thdorie des conjonctures contraignantes semble vouloir faire peser
sur les dpaules des salarids les risques d’une gr~ve dans l’entrepri-
se. Ces derniers, faisant corps avec l’entreprise, devraient en parta-
ger le sort, dit-on”‘ Le salarid, m~me non-belligdrant, ne pourrait
6tre i l’abri des conjonctures contraignantes qui affectent l’entre-
prise. Ainsi, d’apr~s les partisans de cette thdorie, un renversement
du fardeau de ]a preuve devrait s’effectuer de l’employeur vers les
travailleurs privds de leurs salaires. Ceux-ci devraient prouver une
faute de leur employeur dans son obligation de leur fournir le
travail. Cette thdorie diminue donc l’intensitd de lFobligation de
l’employeur de fournir le travail et de payer le salaire en en faisant,
non plus une obligation de rdsultat, mais plut6t une obligation de
moyens. Pour ses partisans, l’absence de faute de l’employeur, consi-
ddrde en regard des circonstances contraignantes affectant Ventre-
prise, suffirait h l’exondrer de ses obligations envers les non-belli-
gdrants. 7
Dans toute cette question, on remarque que le concept de faute
reste toujours vivant dans l’dvaluation de la responsabilit6 de l’em-
ployeur. On peut s’en 6tonner puisque l’obligation de lFemployeur
de verser les salaires aux non-belligdrants est traditionnellement une
obligation absolue dont il ne peut se lib6rer qu’en invoquant la
‘4 Soc., 31 mai 1967, Cah. Prud. 1967, no 8, p. 175.
15 Voir Gudricolas, La force majeure en droit du travail in Etudes de
droit du travail offertes I Andre Brun (1974), aux pp. 257.80.
‘0 Voir Latournerie, supra, note 13, aux pp. 517-18.
“7La jurisprudence et la doctrine ne sont pas aussi prAtes A accepter les
circonstances contraignantes comme relevant l’employeur de ses obligations
envers d’autres tiers, fournisseurs ou clients.
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force majeure. Or, la force majeure est un concept bien d6termin6
et l’employeur ne peut l’invoquer en prouvant qu’il a fait tout son
possible pour assurer l’accbs aux lieux du travail. D’apr~s Gu6ri-
colas,’ 8 l’examen de la faute du d6biteur peut entrer, pour certains,
dans l’6tude du crit~re d’ext6riorit6 de la force majeure:
Pour les uns [l’ext~riorit6] est simplement l’absence de faute du d~bi-
‘absence de faute absorberait m~me les autres crit~res d’im-
teur et
prdvisibilit6 et d’irr~sistibilit6, car un 6vdnement dommageable pr6visible
et 6vitable n’a pu se produire sans faute.’ 9
La grave serait, selon les auteurs dont parle Gu6ricolas, 20 ext6rieu-
re h remployeur si ce dernier n’a commis aucune faute dans son
comportement au moment de la gr ve et apr~s sa survenance. Donc,
pour certains, il faudrait juger du comportement de l’employeur
pour savoir si la gr~ve 6tait, dans les circonstances, un 6v6nement
extdrieur, inddpendant de sa volont6, constitutif de force majeure.
Ainsi, un 6vdnement hors du contr6le de remployeur constituerait
pour lui un cas de force majeure. On note ici une extension cer-
taine de cette notion.
La jurisprudence, pour sa part, conserve-t-elle le principe qui
veut que l’employeur ne puisse se libdrer de ses obligations contrac-
tuelles envers les non-belligdrants sauf dans les cas oii la grZve se
pr6sente comme un cas de force majeure? Dans son appr6ciation
de la force majeure, la jurisprudence conserve-t-elle les principes de
droit civil ou tente-t-elle d’adapter la force majeure au droit du
travail en optant pour la thse des conjonctures contraignantes?
C’est h ces questions que nous tenterons maintenant de rdpondre.
B. La jurisprudence
La jurisprudence de la Cour de cassation reconnalt que chaque
cas doit 6tre jug6 selon les circonstances. Chaque situation est vue
comme un cas d’esp~ce et la force majeure est apprdcide en raison
des circonstances particuliires. Nous analyserons ci-apr~s la juris-
prudence sous deux aspects: l’intensit de l’obligation de fournir le
travail pour l’employeur et la notion de greve considdrde comme cas
de force majeure.
La gr~ve d’une partie de son personnel ne lib~re pas remployeur
de l’obligation de verser les salaires aux non-gr6vistes. Seule la
18Gu6ricolas, supra, note 15, ik la p. 259.
3. Ibid., aux pp. 259-60.
2 0 Voir Durand, Traitd de droit du travail (1956), t. 3, h la p. 869; Weill &
Terr6, Droit civil. Les obligations 2e dd. (1975), h la p. 457; Latournerie, supra,
note 13, h la p. 134.
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force majeure est susceptible d’exon6rer l’employeur h l’dgard des
employ6s disponibles pour travailler.2′ C’est lh le principe directeur:
l’obligation de l’employeur est une obligation de r6sultat. A partir
du moment oit les salaries non-gr6vistes n’ont commis aucune
faute, c’est-h-dire qu’ils se sont pr6sentds h leur lieu de travail, se
sont montr6s disponibles pour travailler et n’ont manifest6 aucune
collusion avec les gr6vistes,2 2 l’employeur doit prouver que la gr~ve
a, dans les circonstances, constitu6 un cas de force majeure le met-
tant dans l’impossibilit6 absolue de fournir le travail.
G6n6ralement, le caractre synallagmatique du contrat de travail
veut que sans travail effectu6, il n’y ait pas de salaire. La jurispru-
dence admet maintenant que ce couple travail/salaire doit 6tre rem-
plac6 par un couple 6quivalent: mise it disposition/indemnit6 pour
salaire perdu.”3 Un arrt ant6rieur refusait le droit au salaire des
non-participants A une gr~ve qui avait occasionn6 une d6sorganisa-
tion et un manque de travail, sous pr6texte que l’employeur n’ayant
commis aucune faute A l’gard de son obligation de donner au sa-
lari6 la possibilit6 de travailler, le principe g6n6ral, sans travail pas
de salaire, devait &tre appliqu6..2 4 Cette d6cision demeure isolde.
C’est la force majeure et non seulement l’absence de faute que doit
prouver ’employeur.
L’6tude de la force majeure et de ses principaux 616ments eu
dgard aux circonstances qui ont emp~ch6 l’employeur de fournir
le travail demeure, donc, le crit6re fondamental pour la confirmation
du droit au salaire des non-participants h la gr~ve.
Pour prouver la force majeure, l’employeur devra d6montrer
que les 6v6nements l’ont mis dans l’impossibilit6 absolue de fournir
le travail. L’occupation des lieux de travail constitue le plus souvent
pour l’employeur une telle impossibilit6, surtout si les non-partici-
pants font savoir A l’employeur qu’ils ne travailleront pas sous la
protection polici~re b. l’int6rieur de l’usine.1 Durant les gr~ves de
1968, l’impossibilit6 d’obtenir l’aide de la force publique pour ex-
pulser les grdvistes fut retenue comme cas de force majeure pour
l’employeur.2- A elle seule, toutefois, l’occupation des lieux de tra-
21 Soc., 10 oct. 1958, Dr. soc. 1959.89; Soc., 24 mars 1971, Dr. soc. 1971.551.
22 Quand la collusion est prouv~e, les non-bellig~rants n’ont pas droit A
leurs salaires, m~me si la gr~ve ne constitue pas un cas de force majeure.
Soc., 10 oct. 1958, Dr. soc. 1959.89.
23Soc., 25 janv. 1978, Bull. civ., 1, no 60, p. 42; Soc., 4 janv. 1978, Bull.civ.,
V, -no 2, p. 2; Soc., 24 mars 1971, Dr. soc. 1971.551.
24 Soc., 12 mai 1955, Bull. civ., 1V, no 396, p. 295.
2 Soc., 25 f6v. 1976, Bull. civ., V, no 112, p. 90.
26 Soc., 6 oct. 1971, Dr. soc. 1972.124.
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vail ne constitue pas un 6v~nement de force majeure. L’employeur
doit tenter de recourir aux forces de l’ordre; il doit aussi d6mon.
trer qu’il n’avait plus le contr6le des acc~s de l’entreprise.n
Lorsque l’impossibilit6 d’ex~cuter n’est pas absolue, la force
majeure n’est pas retenue. Un arr~t de la chambre sociale t6moigne
de cette exigence.28 Paralysde par une gr~ve des ouvriers specialists
repr6sentant vingt pour cent de son personnel, la soci6td d~cida
de fermer ses portes quand le travail (production h la chaine) vint
4 manquer pour quatre-vingt pour cent du personnel. Le r~clamant
appartenait h un d~partement qui n’6tait pas affect6 par la grave.
Bien que cette decision, de la soci6t6 puisse s’expliquer en raison
du cofit tr~s 6lev6 qu’aurait occasionnd le maintien de certains ser-
vices, elle ne pouvait servir d’excuse pour d~gager la soci~t6 de son
obligation contractuelle envers le reclamant. Mme si l’ex~cution
de l’obligation de la soci~t6 6tait rendue plus on6reuse en vertu de
la gr~ve, cela ne suffisait pas h en faire un cas de force majeu-
re. La fermeture fut donc jug6e trop hitive, l’impossibilit6 d’ex6-
.cuter ne fut pas prouv6e et, ainsi, le droit aux salaires rut con-
firm6 pour les non-participants. De mrme, si l’employeur peut re-
courir A du personnel de remplacement pour effectuer le travail
des gr~vistes et qu’il ne le fait pas, la gr~ve ne sera pas consid6r~e
comme un cas de force majeure.29
Les cas de force majeure sont ceux oii l’intervention de l’autorit:
pr6fectorale dans l’entreprise 6quivaut h un “fait du prince”,30 ou
lorsque plusieurs 6lments circonstanciels font que l’employeur
s’est trouv6 dans l’impossibilit6 absolue d’ex~cuter ses obligations
envers les non-gr~vistes. La gr~ve est reconnue comme un 6vdne-
ment de force majeure quand l’employeur n’avait pas le contr6le
des acc~s de l’entreprise et lorsqu’il ne pouvait avoir recours h du
personnel de remplacement.:’ Certains exigent 6galement de l’em-
ployeur qu’il ait tent6 sans succ6s de recourir aux forces de For-
dre, 3 et qu’il ait demand6 au juge des r~f~r~s une ordonnance d’ex-
pulsion (cas de gr~ve avec occupation) .
27 Soc., 28 oct. 1957, D.1958.88 (cas de force majeure retenu); Soc., 18 oct.
1952, D.1953.149 (force majeure rejetde).
28 Soc., 10 janv. 1973, Bull. civ., V, no 8, p. 8. Voir aussi Soc., 25 janv. 1978,
Bull. civ., V, no 60, p. 42; Soc., 5 juin 1973, Bull. civ., V, no 360, p. 325.
29 Soc., 11 juin 1959, Bull. civ., IV, no 721, p. 581.
s0 Soc., 18 mai 1953, Dr. soc. 1953.545.
31 Soc., 28 oct. 1957, D.1958.8.
32 Soc., 6 oct. 1971, Dr. soc. 1972.124.
43Soc., 18 oct. 1952, D.1953.149.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 25
La Cour de cassation s’attarde davantage h l’impossibilit6 abso-
lue d’exdcuter, c’est-h-dire au rdsultat de la force majeure, qu’h
l’6tude de la force majeure dans ses 616ments principaux. Un seul
arrt semble rejeter la force majeure en raison du caractare pr6vi-
sible de la grbve pour l’employeur 4 Une certaine jurisprudence des
tribunaux infdrieurs veut que, lorsque des piquets de grave interdi-
sent l’accbs aux lieux de travail, cet 6vdnement 6quivaille h une si-
tuation de force majeure libdrant l’employeur de son obligation
de payer le salaire aux non-participants.3 5 Le piquetage causant des
“entraves caractdrisdes a la libert6 du travail” contribue h faire
de la grave un cas de force majeure lib6rant l’employeur de ses
obligations envers les non-participants3 La Cour de cassation ne
semble toutefois pas pr6te A admettre que ce seul fait soit suffisant
pour prouver un cas de force majeure et lorsqu’elle tient compte
des piquets de grive ce n’est qu’en tant qu’6l6ment contribuant h
6tablir la force majeure..3 7
Les rdclamations de salaires aupr~s de l’employeur par les non-
grdvistes ont quelquefois comme effet une action de l’employeur
contre le syndicat. Dans l’arr~t Corfu,38 un ddl6gu6 syndical, parti-
cipant h un piquetage, se voit imposer une mise h pied de deux
jours. En contestant cette mesure disciplinaire, dont il avait seul
6cop6, Corfu est condamn6 par ]a Cour de cassation h subir la sanc-
tion et h verser, en plus, h l’employeur, des dommages-intdr~ts re-
prdsentant les salaires verses par ’employeur aux non-gr6vistes em-
p~chds de travailler par le piquet de grave. Cette decision demeure
heureusement isole. Notons que nous n’avons pu relever dans la
jurisprudence de la Cour de cassation aucune decision venant ap-
puyer, dans le cadre du problame qui nous occupe, la th~se des con-
jonctures contraignantes.
II. L’tat du droit qudbdcois
A. La doctrine
Au Qudbec, la doctrine ne porte pas directement sur le sujet
qui nous intdresse ici. Cependant, les grands principes de droit
civil maintiennent la distinction entre obligations de moyens et
34 Soc., 5 juin 1973, Bull. civ., V, no 360, p. 325.
35 Trib. civ. Albi, 23 nov. 1949, D.1950.51; Trib. civ. Seine, 12 juil. 1950, J.C.P.
1951.II.6199.
36 Soc., 13 nov. 1968, Bull. civ., V, no 502, p. 417.
3 Soc., 28 oct. 1957, D.1958.8; Soc., 6 oct. 1971, Dr. soc. 1972.124.
3 Soc., 8 f6v. 1972, D.1972.656.
19803
COMMENTS – COMMENTAIRES
obligations de r6sultat. Dans le cas d’une obligation de moyens, nous
dit Baudouin, “seule la faute dans l’utilisation des moyens peut en-
gager la responsabilit6 du d6biteur” 3 9 Le comportement du ddbi-
teur devient donc de premiere importance dans l’appr6ciation de
la responsabilit6. Par contre, s’il s’agit d’une obligation de r6sultat,
l’absence du r6sultat promis engage la responsabilit6 du ddbiteur,
sauf en cas de force majeure dont la preuve lui incombe. Alors
qu’une simple preuve d’absence de faute de la part du d6biteur
peut suffire h l’exon6rer de sa responsabilit6 dans le cas d’une obli-
gation de moyens, cette preuve devient insuffisante quand l’obliga-
tion en est une de r6sultat. Au-delh de l’absence de faute, le d6biteur
li6 par une obligation de rdsultat doit prouver la force majeure. Il
importe donc de connaitre la nature des obligatoires rdciproques
des parties pour 6valuer l’intensit6 de leur devoir obligationnel.
A ce sujet, Cr6peau nous rappelle que certaines obligations sont
implicites au contrat4 0 Malgr6 le silence des parties, le cercle con-
tractuel peut s’61argir de fagon h inclure certaines obligations im-
plicites. Le rapport contractuel doit alors 8tre analys6 et ses con-
tours prdcis6s par les tribunaux. En ce sens, l’obligation pour l’em-
ployeur d’assurer l’acc.s aux lieux de travail pourrait
tre une obli-
gation implicite h ]a convention collective ou aux contrats indivi-
duels de travail qui le lient h ses salaries.
De plus, les tribunaux ne peuvent, selon Cr6peau, 41 se borner h
reconnaitre les obligations explicites ou implicites du contrat, ils
doivent en d6terminer I’intensit6 respective. L’obligation se situera
– des niveaux d’intensit6 diffrents selon qu’il s’agir d’une obligation
de moyens, de r6sultat ou encore de garantie. La diff6rence fonda-
mentale entre l’obligation de r6sultat et l’obligation de garantie
rdside dans le fait que, dans le premier cas, la force majeure lib~re
le d6biteur de son obligation tandis que, dans le second, le ddbiteur
ne peut se lib6rer de sa responsabilit6 m~me en cas de force ma-
jeure. Dans les deux situations toutefois, 1’absence de r~sultat fait
presumer la faute du d6biteur. Nous constaterons, dans l’6tude de
la jurisprudence en la matiere qui nous int6resse ici, que l’obligation
de l’employeur n’est pas pereue comme une obligation de garantie
mais plut6t de r6sultat.
la p. 17.
39Baudouin, Traild didmentaire de droit civil. Les obligations (1970), A
40 Cr6peau, Des rdgimes, supra, note 4, aux pp. 524-25. Voir art. 1024 C.c.
41 Cr6peau, Le contenu, supra, note 4.
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 25
B. La jurisprudence
La jurisprudence, contrairement it la doctrine, s’est prononcde
h quelques occasions sur l’obligation pour l’employeur de payer le
salaire aux salaries emp~chds de travailler h cause d’une gr~ve ou
d’un piquet de grve. Comme ce sont les m~mes principes qui rdgis-
sent l’une et l’autre situation, il ne sera pas n6cessaire, dans les li-
gnes qui suivent, de toujours les distinguer; d’ailleurs, en plusieurs
cas, les deux types de situations se confondent.
En principe, une gr~ve ne constitue pas un cas de force majeure
susceptible de lib6rer l’employeur de ses obligations contractuelles
envers ses salari6s. Il faudrait que la gr~ve en pr6sentfit les caract6-
ristiques, Or, la jurisprudence consid~re qu’il ne peut s’agir ni d’un
“act of .od” ni, g6n6ralement, d’un “fait du prince”. La force ma-
jeure doit provenir du fait d’un tiers dont le d6biteur ne rdpond
pas 2 Or, l’employeur r6pond de ses salarids, m~me lorsque ceux-ci
sont en grive.43 Ainsi, les salari6s n’6tant pas considdrds comme des
tiers, la gr~ve en elle-m6me est-elle rarement pergue comme un cas
de force majeure. Par contre, pour ce qui est de la responsabilit6
ddlictuelle de l’employeur envers des tiers h l’occasion de la gr~ve,
une certaine jurisprudence veut que celle-ci puisse constituer un
cas de force majeure lib6rant l’employeur de ses obligations envers
ces tiers 4 Ainsi, lorsqu’6 l’occasion d’une grave des employds de la
voirie, un automobiliste subit des dommages h cause du mauvais
entretien d’une route, l’employeur, en l’occurrence le gouvernement
provincial, ne peut etre tenu responsable envers l’automobiliste puis-
que la gr~ve de ses employ6s a constitu6 pour lui un cas de force
majeure.’5 La Ville de Montr6al a invoqu6 le cas de force majeure
lorsque, lors d’une grave des employ6s pr6posds h l’entretien des
trottoirs, une personne a gliss6 sur un trottoir. En effet, il y avait
impossibilit6 pour la ville d’6pandre du sel sur tous les trottoirs,
42 Terminal Construction Ltd v. Piscitelli [1960] B.R. 593. C’est la condition
d’ext~riorit6 ou extrandit6.
43Ibid. Voir aussi Gouvernement du Qudbec v. Syndicat de professionnels
[1972] S.A.G. 1107 (J.-L. P6loquin); Commission hydrodlectrique v. Syndicat
professionnel des ingdnieurs [1972] S.A.G. 699 (J.-R. Cardin).
44 Roberge v. Hydro-Qudbec [1977] C.P. 246; Desch~nes v. Syndicat des
fonctionnaires provinciaux [1974] C.S. 244; Canadian Federation of Indepen-
dent Business v. The Queen [1974] 2 C.F. 443; Ville de Montrdal v. Lamarche
[1973] C.A. 537; Irving Realties v. Nadeau [1968] B.R. 21; Boisclair v. Denis
[1966] B.R. 34; L.-C. Barbeau Inc. v. Star Truck Taxi Association [1965] C.S.
496; Galardo v. Ddpatie (1921) 59 C.S. 377.
45 Deschgnes v. Syndicat des fonctionnaires provinciaux, supra, note 44.
19801
COMMENTS – COMMENTAIRES
comme cela aurait 6td fait s’i n’y avait pas eu de gr~ve.46 Cependant,
l’employeur touch6 par une grave, de ses employ6s ou de ceux d’un
fournisseur, aura beaucoup de peine h se lib6rer de ses obligations
contractuelles envers ses clients. L’obligation qu’a l’employeur envers
ses clients 6tant le plus souvent une obligation de r6sultat, la force
majeure ne sera retenue que s’il n’a commis absolument aucune
faute dans son comportement. La jurisprudence nous donne plu-
t6t des exemples de comportements fautifs de la part de celui qui
invoquait la force majeure pour se lib6rer de sa responsabilit6 con-
tractuelle. 7 Dans ces exemples, la personne qui invoque la force
majeure n’aura pas pris tous les moyens raisonnables pour contrer
les effets de la grave et n’aura pas suffisamment tent6 de remplir
ses obligations contractuelles.4s
Le sujet que nous abordons dans cet article concerne plus sp6-
cifiquement les relations* contractuelles qui unissent les non-gr6vis-
tes et l’employeur. La situation analysde est celle d’un piquet de
gr~ve emp6chant certains salari6s de se rendre au travail. Les sa-
larids non-gr~vistes ou gr6vistes malgr6 eux ont-ils droit h leur
salaire?
C’est au niveau de la jurisprudence arbitrale que se retrouvent
certaines decisions concernant des rdclamations de salaires h la
suite d’une gr~ve dans l’entreprise. Les arbitres ne s’entendent pas
tous sur l’intensit6 de l’obligation de l’employeur envers les non-
belligdrants. Dans l’affaire Alliance des infirmires v. H6pital H6tel-
Dieu,4 9 l’arbitre a pr6tendu que l’obligation de
’employeur dans
4
6 Ville de Montrdal v. Lamarche, supra, note 44. Cette decision a 6t6 con-
firmde par la Cour supreme dans un jugement non publi6 ([1976] R.C.S. v) et
non motiv6. Il est douteux cependant qu’on puisse en conclure que le tri-
bunal supr6me ent6rine l’opinion de la Cour d’appel sur la nature de l’im-
possibilit6 d’agir r6sultant de la grave.
En effet, ]a poursuite 6tait fondde sur Fart. 1088a de ]a Charte de la
Ville de Montreal, laquelle n’impose 6. cette derni~re, en mati~re de chutes
sur les trottoirs, qu’une obligation de diligence analogue h cell que ron
retrouve h l’art. 1053 C.c. Or, il est trbs bien dtabli que dans un tel cas,
pour 6chapper h une condamnation, la d6fense n’a pas h prouver la force
majeure. Dans cette mesure, les remarques de la Cour d’appel ne sont que
simples obiter dicta.
47 Lajeunesse v. Finestone [1952] B.R. 79; Chouillou v. Johnson Co. (1920)
60 C.S. 256; Galardo v. Ddpatie, supra, note 44.
48 L’omission de requ6rir une injonction,. si elle peut 6tre reprochde h
l’employeur par les tiers, ne saurait toutefois servir d’excuse aux piqueteurs
en faute ou h leur syndicat. Voir Syndicat national des ddbardeurs v. Sague-
nay Terminals [1964] B.R. 210, aux pp. 212-13.
49 C. D’Aoust, 15 juin 1977.
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[Vol. 25
pareil cas 6tait une obligation de rcsultat, tandis que l’obligation du
salari6 de fournir sa prestation de travail 6tait une obligation de
moyens 0 Dans une d6cision subs6quente, Infirmiers et infirmiares
unis Inc. v. H6pital Maisonneuve-Rosemont,41 l’arbitre pretend que
l’employ6 avait l’obligation de prendre les moyens raisonnables pour
se rendre h son travail et que l’employeur avait, lui aussi, une obli-
gation de moyens pour permettre aux employ6s de rentrer au tra-
vail.52 Dans l’affaire Alliance des infirmi6res v. H6pital St-Michel, 3
l’arbitre a vu, pour l’employeur comme pour le salari6 empch6 de
travailler, des obligations de rdsultat de part et d’autre. L’arbitre
prclcise toutefois que le contenu de la prestation du salari6 ob6it
aux r~gles de la diligence. Comme on peut le constater, la juris-
prudence arbitrale n’est pas unanime quant h l’intensit6 du devoir
impos6 h l’employeur. Il n’en reste pas moins qu’une fois la dispo-
nibilit6 des salarids prouv6e, la majorit6 de la jurisprudence examine
5O Ibid., A la p. 5.
51 [1978] S.A.G. 1009: b la p. 1014 (J.-G. Cldment).
52 Dans les deux derni~res d6cisions, il y a une certaine confusion entre
obligation de pure diligence et obligation de rdsultat. La derni~re comprend
la premiere en ce sens que pour atteindre une fin (le rdsultat), il faut pren-
dre les moyens approprids (agir avec diligence). Cette confusion remonte i
Demogue, vu sa definition insatisfaisante de 1’obligation de moyens. Voir
Mazeaud & Tunc, TraitM thgorzque et pratique de la responsabilitd civile dd.
lictuelle et contractuelle 6e 6d. (1965), t. 1, A la i . 117.
L’obligation de se rendre au travail dtant une obligation de rdsultat, la
question sous examen consiste b d6terminer h quel moment et sous quelles
conditions cette obligation se trouve satisfaite. En rbgle g6n6rale, l’exdcution
effective du travail rend la question inutile. Lhypoth~se du piquet de grive
la rend 6minemment pratique. De la m~me mani~re, l’obligation de l’em-
ployeur de fournir le travail convenu 6tant, elle aussi, une obligation de
r6sultat, il faut se demander h quel moment, A quel endroit dirions-nous
dans l’hypoth~se sous examen, rencontre-t-elle l’obligation du salarid. Plus
particuli~rement, en excluant l’hypoth~se que l’une ou l’autre partie in-
diffdremment aient le devoir (ce mot 6tant employ6 pour distinguer l’em-
ploi du moyen de
‘obligation elle-m~me), par exemple, de faire appel h ]a
force publique pour faire lever l’obstacle du piquet, Ai qui incombe ce devoir?
Imposer le devoir d’appeler la police aux non-belligdrants en cas de
piquetage illdgal impliquerait logiquement que, dans une situation plus nor-
male, les salari6s seraient tenus de prendre les moyens positifs pour assurer
la preservation de leur emploi 9 court terme, e.g. assurer le remplacement
de machines suranndes dont le bris frdquent leur ferait perdre des heures
de travail. Assur~ment, cette solution ne peut 6tre retenue dans l’6tat actuel
du droit positif, l’entretien de l’dquipement dtant sous la responsabilit6 de
1’employeur. II en va de mnme des piquets de gr~ve, l’employeur devant pren-
dre les moyens approprids pour en reprendre le contr6le lorsque les pique.
teurs versent dans l’illagalitd.
53[1979] S.A.G. 251 (A. Rousseau).
1980]
COMMENTS – COMMENTAIRES
la question de la force majeure, ce qui nous porte i conclure que
l’obligation de l’employeur serait vue comme une obligation de
r6sultat par ces arbitres.
L’6tude du degr6 de disponibilit6 des salari6s non-participants
fait robjet de certaines d6cisions. On exige g6n6ralement que ces
derniers ne se rendent coupables d’aucune collusion avec les gr6-
vistes 54 Les non-participants doivent se comporter de fagon h se
montrer disponibles h travailler. Ainsi, aucun ordre ne doit
tre
donn6 chez les non-participants k l’effet de ne pas franchir les pi-
quets. Ils ne doivent pas participer au piquetage ni brandir de
pancartes, gestes qui sont interpr6t6s comme des manifestations de
solidarit6. Ils doivent se pr6senter r6gulirement au travail durant
la grave et doivent faire savoir hi leur employeur qu’ils sont disponi-
bles h travailler. De plus, certains arbitres exigent que les salari6s
v6rifient toutes les entr6es ou demandent h passer le piquet de
grive.5 5 Les menaces exerc6es aupr.s des salari6s doivent 8tre r6elles
et susceptibles de leur faire croire qu’une violence physique ou mo-
rale pourra leur 6tre impos6e par suite de leur entr6e au travail 3
Une fois que l’arbitre est convaincu de la disponibilit6 des salari6s
et de l’absence de faute dans leur comportement, il voudra voir si,
dans les circonstances, le piquet de gr~ve a repr6sent6 un cas de
force majeure pour l’employeur. Plus pr6cis6ment, il se demandera
si le piquet, ou toute autre forme d’obstruction, a r6sult6 en une
impossibilit6 absolue, pour l’employeur, d’ex6cuter son obligation
de fournir le travail aux non-bellig6rants.
Pour 6tre qualifi6 de force majeure, le piquetage devra en pr6-
senter les caract6ristiques. 7 L’6v6nement qualifi6 de force majeure
54 Alliance des infirmi~res v. H6pital St-Michel, supra, note 53; Syndicat
national des employds de commission scolaire v. Commission des 9coles ca-
tholiques [1976] S.A.G. 1057 (J.-J. Anctil); Union internationale des employds
professionnels et de bureau, local 57 v. Produits de papier C.I.P. Ltge [1976]
S.A.G. 519 (M. Bri~re); Commission scolaire rdgionale v. L’Association inter-
nationale des machinistes et des travailleurs de l’adroastronautique [1973]
S.A.G. 677 (A. Gervais); Canadian Bechtel Ltd v. Syndicat national des hom-
mes d’instruments et chaineurs [1972] S.A.G. 1259 (B. C6t); Gouvernement
du Qudbec v. Syndicat de professionnels, supra, note 43; Commission hydro-
dlectrique v. Syndicat professionnel des ingdnieurs, supra, note 43.
5 Alliance des infirmi res v. H6pital St-Michel, supra, note 53; Infirmiers
et infirmi~res unis Inc. v. H6pital Maisonneuve-Rosemont, supra, note 51.
66 En r6alit6, il s’agit en ce dernier cas d’une condition d’ill6galit6 du pique-
tage. Voir 1’art. 381 du Code criminel [S.R.C. 1970, c. C-34 tel qu’amend6J
traitant de 1intimidation ainsi que la jurisprudence s’y rapportant, y com-
pris la jurisprudence en mati~re d’injonction.
5 Nous nous rdf6rerons au piquetage puisque c’est la la principale activit6
accompagnant une greve susceptible d’emp~cher l’employeur de fourir
McGILL LAW JOURNAL
[Vol. 25
doit 6tre extdrieur h celui qui l’invoque. L’employeur ne peut plaider
1’ext6riorit6 du fait quand le piquetage ou la gr6ve sont roeuvre
d’une partie de ses salarids dans un conflit qui l’opposait h ces me-
mes salari6s. La gr~ve n’est donc g6ndralement pas pergue comme
6tant le fait d’un tiers dont l’employeur ne rdpond pas. La subor-
dination juridique des salarids h l’employeur fait en sorte que les
salarids, meme en gr~ve, ne sont pas vus comme des tiers, 6trangers
i lemployeur. La force majeure n’est alors pas retenue.58 De meme,
le caract~re d’irrdsistibilit6 de la gr~ve ne sera pas present lorsqu’il
s’agira d’un conflit auquel l’emnployeur est partie. Les salaries de-
meurant sous son contr6le, une gr~ve m~me imprdvisible parce que
spontande et illdgale, n’aurait pas, de ce seul fait, le caract~re d’irr6-
sistibilit6. 9
La force majeure sera, par contre, retenue lorsque ce sont des
tiers 6trangers h l’employeur qui emp~chent l’acc~s aux lieux du
travail. La gr~ve du Front commun de 1972 illustre bien cette situa-
tion. Lors de cette gr~ve gdn6rale des secteurs public et para-public,
des piquets de gr ve furent dressds devant certains 6tablissements
sans que les salaries de ceux-ci ne participent au mouvement de
grve. Grdvistes malgr6 eux, ces salari6s rdclam~rent leurs salaires
aupr~s de leur employeur pour les jours oit ils furent ainsi empe-
chds de travailler. Cet 6vdnement 6tait le fait de tiers jugds dtran-
gers h l’employeur puisqu’ils n’6taient pas ses salari6s. L’impossi-
bilit6 pour l’employeur de donner acc~s aux lieux de travail deve-
’emp6chement pour l’employeur de fournir le travail.
le travail aux non-gr6vistes. Notons cependant qu’il pourrait s’agir dgale-
ment d’occupation d’usine ou de toute autre forme d’activit6 dont l’effet
serait
58 Commission hydro dlectrique v. Syndicat professionnel des ingdnieurs,
supra, note 43; Union internationale des employds professionnels et de bu-
reau, loc. 57 v. Produits de papier C.LP. Ltde, supra, note 54; Commission
scolaire rdgionale v. Association internationale des machinistes et des tra.
vailleurs de l’adroastronautique, supra, note 54; Canadian Bechtel Ltd v.
Syndicat national des hommes d’instruments et chaineurs, supra, note 54;
Gouvernement du Qudbec v. Syndicat de professionnels, supra, note 43.
9 Union internationale des employds professionnels et de bureau, loc. 57
v. Produits de papier C.LP. Ltde, supra, note 54; Commission hydrodlectrique
v. Syndicat professionnel des ingdnieurs, supra, note 43.
Dans les autres provinces canadiennes, un 6vdnement se situant hors du
contr6le de l’employeur l’exon~re de payer la prime de disponibilitd aux
non-belligdrants qui ont dtd emp~chds de travailler du fait de la gr ve. La
gr~ve est vue comme un tel 6vdnement. Voir Re Chrysler Corp. (1954) 5 LA.C.
1926 (Lewis). Une d6cision ultdrieure est cependant & l’effet contraire,
’employeur A payer l’indemnitd de disponibilit6 aux employ6s
obligeant
emp~chds de travailler h la suite d’une gr~ve illdgale dans une autre unitd
d’accrdditation. Voir Re Whyte Packing Co. (1961) 12 L.A.C. 163 (Lane).
1980]
COMMENTS – COMMENTAIRES
nait absolue par le fait que, la gr~ve 6tant g6n6rale, les forces
polici~res 6taient, en certains endroits, d6bord6es 6 Toutefois, lors-
que, devant une telle situation, remployeur d6cide de fermer ses
portes, il se met lui-m6me dans l’impossibilit6 de prouver qu’il 6tait
emp6ch6 de fournir le travail d’une manire absolue 0 1
D’autres d6cisions ont rejet6 le principe de la force majeure
m6me dans le cas de grve sectorielle.0 2 Ces arr~ts ont soutenu que
la gr~ve 6tait tout h fait pr6visible pour le gouvernement, 6tant
donn6 1’6chec des n6gociations. I1 ressort 6galement de ces juge-
ments que lorsque le piquetage est 6tabli par une partie des salari6s
de l’employeur concem6, la force majeure ne peut
tre retenu puis-
que le piquetage ne sera pas alors le fait de tiers 6trangers ;
l’em-
ployeur. J.-L. P61oquin, dans la d6cision Gouvernement du Qudbec
v. Syndicat de professionnels,6 apr~s avoir refus6 d’admettre 1’exis-
tence d’un cas de force majeure, precise cependant:
Si l’impossibilit6 d’entrer au lieu de travail avait dt6 causde par une
gr~ve d’employ6s 6tra’ngers au Gouvernement et avec lesquels ce dernier
n’aurait eu aucune relation juridique, je pourrais sans doute conclure
qu’il s’agirait de 1’action d’un tiers, pouvant peut atre 6quivaloir h force
majeure.6 4
De plus, pour prouver 6ventuellement l’impossibilit6 absolue d’ex6-
cution, 1employeur doit avoir recours aux forces de l’ordre et doit
ddposer une requ6te en injonction 6 Evidemment, celui-ci peut pr6-
‘0 St-Bruno English Catholic Teachers Association v. Commission scolaire
catholique [1974] SA.G. 609 (M. Cinq-Mars); Commission scolaire de Joliette v.
Syndicat national des employds [1973] SA.G. 527 (L. Cossette).
61 Commission scolaire de Joliette v. Syndicat national des employds, supra,
note 60. La valeur de cette proposition est douteuse. On ne voit pas pour-
quoi, devant l’impossibilitd d’assurer l’acc:s des travailleurs aux lieux du
travail, l’employeur serait priv6 du droit d’en ddcrdter officiellement la ferme-
ture, au moins tant que dure cette impossibilit6. Par ailleurs, cette derni~re
6tant une question de fait, pourquoi 1’employeur recherch6 en dommages-
intdr6ts pour certaines cons6quences juridiques de son geste ne pourrait-il
pas en faire la preuve?
02 Commission scolaire r4gionale v. Association international des machi-
nistes et des travailleurs de l’agroastronautique, supra, note 54; Gouverne-
ment du Quebec v. Syndicat de professionnels, supra, note 43.
6Supra, note 43.
64 Ibid., i la p. 1113.
65Alliance des infirmi.res v. Hdpital St-Michel, supra, note 53; Syndicat
des employds de bureau de la C.T.C.U.M. (C.S.N.) v. C.T.C.U.M. [1975] S.A.G.
457 (J.-R. Boivin); Commission scolaire rdgionale v. Association internationale
des machinistes et des travailleurs de l’agroastronautique, supra, note 54;
Canadian Bechtel Ltd. v. Syndicat national des hommes d’instruments et
chaineurs, supra, note 54; Gouvernemedit du Quebec v. Syndicat de profes.
sionnels, supra, note 43; Commission hydrodlectrique v. Syndicat profession-
nel des ingdnieurs, supra, note 43.
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[Vol. 25
firer, pour 6viter que le conflit ne s’envenime, ne pas faire appel aux
forces de 1’ordre, mais alors il devra verser leur salaire aux non-
participants qui se sont montrds disponibles a travailler.” Car, l’em-
ployeur qui n’utiliserait pas ces moyens mis i sa disposition aurait
sans doute beaucoup de difficult6 h convaincre l’arbitre du carac-
tare irresistible de la gr~ve. Par contre, lorsque 1’employeur a fourni
la protection polici~re et assur6 1’acc~s au lieu du travail, ii a rem-
pli son obligation. On a ddjh ddcid6 que si les non-belligdrants exi-
gent, comme condition suppl6mentaire au retour au travail, une
protection polici~re de leurs domiciles, ils se mettent eux-memes en
faute h l’6gard de leur obligation de fournir le travail et ne sau-
raient, en cons6quence, exiger le salaire pour un travail qu’ils
n’ont pas fourni et qu’ils auraient pu fournir. 7
De l’6tude de ces decisions, nous pouvons conclure A une nette
tendance h faire peser sur l’employeur l’obligation d’assurer 1’acc~s
aux lieux du travail a ses salarids disponibles lors de la gr~ve d’une
autre partie de son personnel. En effet, une fois prouvde la dispo-
nibilit6 des non-bellig6rants, ]a jurisprudence veut que l’on cherche
h savoir si c’est la r~gle gdn6rale de la responsabilit6 contractuelle
de 1’employeur ou 1’exception h cette r~gle qu’est la force majeure
qu’on doit appliquer.
III. Les recours de 1’employeur
Les non-bellig6rants peuvent indiff6remment poursuivre, soit
leur employeur par une action en rdclamation de salaire, 8 soit le
6 Commission scolaire r~gionale v. Association internationale des machi-
nistes et des travailleurs de l’adroastronautique, supra, note 54.
67 Syndicat des employds de bureau de la C.T.C.U.M. (C.S.N.) v. C.T.C.U.M.,
supra, note 65.
sVoir, e.g., Alliance des infirmi~res v. H6pital St-Michel, supra, note 53;
Infirmiers et infirmiares unis Inc. v. Hdpital Maisonneuve-Rosemont, supra,
note 51; North Island Teachers Association v. North Island Regional School
Board [1978] SA.G. 128 (H. Frumkin); Alliance des infirmiares v. Hdpital
H6tel-Dieu, 23 nov. 1976, in6dit, (C. D’Aoust); Syndicat national des employds
v. Commission scolaire des gcoles catholiques, supra, note 54; Union inter-
nationale des employds professionnels et de bureau, loc. 57 v. Produits de
papier C.I.P. Ltde, supra, note 54; Syndicat des employds de bureau de la
C.T.C.U.M. (C.S.N.) v. C.T.C.U.M., supra, note 65; St-Bruno English Catholic
Teachers Association v. Commission scolaire catholique, supra, note 60;
Commission scolaire rdgionale v. Asssociation internationale des machinistes
et des travailleurs de l’adroastronautique, supra, note 54; Commission scolaire
de Joliette v. Syndicat national des employds, supra, notd 60; Canadian Bechtel
Ltd. v. Syndicat national des hommes d’instruments et chaineurs, supra, note
54; Gouvernement du Qudbec v. Syndicat de professionnels, supra, note 43;
Commission hydrodlectrique v. Syndicat professionnel des ingdnieurs, supra,
note 43.
19801
COMMENTS – COMMENTAIRES
syndicat coupable de piquetage illdgal par une action d6lictuelle,
en plaidant que leur manque h gagner r6sulte de la faute des pique-
teurs,’ 9 soit les piqueteurs individuellement”
Supposons que l’attaque soit dirig6e contre le syndicat et que
celui-ci soit condanm6. I1 ne peut se retourner contre quiconque
puisque, en droit, il est
l’origine m6me de l’action qui a caus6 le
pr6judice. Mais, si les non-gr6vistes choisissent plut6t de rechercher
leur employeur, il en va diff6remment. Celui-ci, condarn6, essaiera
de se faire dddommager par le syndicat dont les piqueteurs sont
membresP1 Mais quelle sera la nature de ce dernier recours? II sera
ou d6lictuel ou “contractuel”. S’il est “contractuel”, c’est-h-dire fon-
d sur une clause de renonciation h la gr!ve dans la convention
collective, il devra n6cessairement 6tre exerc6 plus tard, devant
l’arbitre de grief.2 S’il s’agit plut6t d’un recours ddlictuel, la ques-
tion devient plus d6licate.
L’employeur peut d6sirer vider la question imm6diatement, h
l’occasion ou au cours du premier proc~s. I1 peut aussi juger pr6f6-
rable d’en attendre l’issue et r6clamer ensuite les dommages encou-
rus. En ce dernier cas, outre rennui r6sultant du retard h recou-
6 Voir, e.g., St-Pierre v. Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Qudbec
Inc. C.P. (Qudbec), jugement no 32-002-320-785, 12 janv. 1979 (le juge Desjar-
dins); Joncas v. Syndicat des fonctionnaires provinciaux du Qudbec Inc. C.P.
(Qudbec), jugement no 78-2236, 12 janv. 1979 (le juge Desjardins); D’Orson-
nens v. C.A.L.P.A. Air Canada, C.P. (Montrgal), Division des petites crdances,
jugement no 520-32-001096-767, 2 juin 1977 (le juge Pag6); Viau v. C.A.L.P.A.
Air Canada, C.P. (Montrdal), Division des petites cr6ances, jugement no
520-32-000-843-763, fdvrier 1979 (le juge Hyde).
7OSur le principe de la responsabilit6 individuelle, voir Gagnon v. Foun-
dation Maritime Ltd [1961] S.C.R. 435; Union nationale des employds v.
Canadian Vickers Ltd [1958] B.R. 470.
71Sur la responsabilit6 du syndicat pour une gr~ve illdgale ou pour les
d6lits ou quasi-d61its commis par ses membres h l’occasion d’une grave ill6-
gale, voir D’Aoust & Verschelden, La responsabilitg civile des syndicats en cas
de grgve illdgale (h paraitre dans la sdrie des monographies de l’Ecole de
relations industrielles, Universit6 de Montrdal). S’il y a piquetage ill6gal dans
sa forme, meme sans gr~ve ill6gale, la responsabilit6 du syndicat pourra 6tre
encourue dans les m~mes conditions. Voir aussi Cloutier v. Boulangerie de
la fournde blanc’et or Ltde [1968] C.S. 167 i la p. 169.
72 M~me en ce cas, 1employeur pourrait pr6f6rer exercer un recours ddlic-
tuel devant les tribunaux r6guliers. De plus, la portde du recours contractuel
d6pend de la teneur de la convention collective et peut ne pas s’4tendre aux
dommages rdsultant d’activit6s illdgales de piquetage sans qu’il y ait grtve.
Pour des rdclamations de dommages fonddes sur la violation de la conven-
tion collective, voir Rexfor v. Syndicat national des forestiers de Rexfor,
C.S.N. [1978] S.A.G. 1319 (J.-P. Lalancette).
McGILL LAW JOURNAL
(Vol. 25
vrer ses dommages, le coOt d’un nouveau procs et le risque de
compromettre la paix industrielle (peut-6tre) r6tablie, des probl6-
mes de droit d’importance se posent quant b la nature du recours
t exercer. II est tentant d’affirmer de but en blanc qu’il s’agit de
l’action r6cursoire. Mais l’employeur, tout en ayant 6t6 en d6faut
sur une base contractuelle, n’est pas le co-auteur du d6lit dont s’est
rendu coupable le groupe de travailleurs. I1 n’a donc pas 6t6 pour-
suivi comme d6biteur solidaire. S’agirait-il alors d’un recours su-
brogatoire? En ce cas, il n’a pas plus de droit que ses auteurs et,
en cons6quence, la prescription a pu 6tre acquise par le tiers (i.e.,
le syndicat).7 Ce n’est pas 1’endroit pour r6pondre i ces questions.74
Encore fallait-il les soulever, car l’on n’est pas sans entrevoir les dif-
ficult6s pratiques qui peuvent r~sulter du report du contentieux h
une date ult6rieure.
Si l’on revient h la preniere hypoth~se selon laquelle l’employeur
entend “vider le probl~me” en son entier h l’occasion du procs
initial, on est appelk h se demander par quel moyen il pourrait y
arriver. La proc6dure qui vient d’embl6e h 1’esprit est celle de I’in-
tervention forc6e ou naise en cause, de mani~re h amener le tiers-
syndicat ht prendre part au d6bat. L’articlc du Code de proc6dure
civile qui en traite se lit:
216. Toute partie engag6e dans un procs peut y appeler un tiers dont
la pr6sence est ndcessaire pour permettre une solution complete du
litige ou contre qui elle pr6tend exercer un recours en garantie [nos
italiques].
D’abord, qu’est-ce que le “litige”?70 C’est I’ensemble des questions
de droit et de fait qui font l’objet de la contestation entre le de-
73Contre
le
7
juge qualifie d”‘action
‘acquisition de la prescription, voir Gagnon v. Gervais [1976]
C.P. 447. II s’agissait toutefois d’une defense ci une