Article Volume 57:3

Le refus de soins psychiatriques est-il possible au Québec ? Discussion à la lumière du cas de l'autorisation de soins

Table of Contents

McGill Law Journal ~ Revue de droit de McGill

LE REFUS DE SOINS PSYCHIATRIQUES EST-IL POSSIBLE
AU QUBEC ? DISCUSSION LA LUMIRE DU CAS DE

LAUTORISATION DE SOINS

Emmanuelle Bernheim*

Le droit linviolabilit de la personne est
fondamental au regard du droit qubcois et son
actualisation procde notamment du refus de
soins. Mme dans le cas dune inaptitude d-
montre consentir aux soins, les volonts in-
dividuelles doivent tre au moins prises en
compte, au mieux respectes, ce qui dmontre
limportance accorde lautodtermination. La
recherche empirique dont il est question ici
porte sur lactualisation de ces principes fonda-
mentaux en matire psychiatrique. la lumire
de la jurisprudence, dentretiens et dobserva-
tions menes la Cour suprieure du Qubec,
lauteure documente les pratiques en matire
dautorisation de soins. Lexamen des principes
gnraux du consentement et du refus de soins
et des paramtres spcifiques lautorisation de
soins permet de questionner, dune part, la per-
tinence des interprtations et des applications
actuelles et, dautre part, leurs consquences
pour les patients psychiatriques.

Personal inviolability is a fundamental
principle in Quebec law, which is notably being
updated to include the right to refuse treat-
ment. Even when a person does not have the
capacity to consent to care, personal autonomy
must be taken into account, and at best ob-
served. The law thus reflects the importance of
self-determination. The empirical research dis-
cussed in the present article concerns the up-
date of these fundamental principles in the do-
main of psychiatry. In light of jurisprudence, in-
terviews, and observations conducted at the
Quebec Superior Court, the author documents
current practices
in the authorization for
treatment. A review of the general principles
regarding consent and the right to refuse
treatment and of the specific parameters re-
garding the authorization for care puts in ques-
tion, on the one hand, the relevance of current
interpretation and application of these princi-
ples, and on the other hand, the consequences
that result for psychiatric patients.

* Emmanuelle Bernheim est professeure au dpartement des sciences juridiques de
lUniversit du Qubec Montral. Lauteure a t finance par le Conseil de recherche
en sciences humaines du Canada. Elle remercie ses directeurs de recherche, les profes-
seurs Pierre Noreau et Jacques Commaille, pour leur prcieuse contribution la rali-
sation de ce projet. Lopinion exprime ici nengage toutefois que lauteure. Cette tude
a t mene dans le cadre dune recherche doctorale : Emmanuelle Bernheim, Les dci-
sions dhospitalisation et de soins psychiatriques sans le consentement des patients dans
des contextes clinique et judiciaire : une tude du pluralisme normatif appliqu, thse de
doctorat en droit et en science de lhomme et de la socit, Universit de Montral et
cole normale suprieure de Cachan, 2011 [non publie].

Citation: (2012) 57:3 McGill LJ 553 ~ Rfrence : (2012) 57 : 3 RD McGill 553

Emmanuelle Bernheim 2012

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Introduction

I.

Cadre juridique : du refus lautorisation de soins
A. Principes gnraux : le refus de soins en psychiatrie
B. Le rgime exceptionnel de lautorisation de soins

II. Les constats de la recherche empirique

A. La mthodologie de recherche
B. Les rsultats de recherche

1. Des principes gnraux le plus souvent inappliqus
2. De laptitude consentir aux soins : un concept

juridique ?

3. De la ncessit des soins : la chasse garde de lexpert

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Conclusion : de la citoyennet et du droit au refus de soins

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LE REFUS DE SOINS PSYCHIATRIQUES 555

Introduction
Au dbut des annes 1960, au Qubec, llection du gouvernement de
Jean Lesage donne le coup denvoi la Rvolution tranquille1. En une d-
cennie, de multiples changements surviennent, notamment concernant
les droits des groupes minoritaires, qui revendiquent la reconnaissance du
principe juridique dgalit2. Cette reconnaissance constitue la transpo-
sition, dans la sphre du droit, de lgalit politique quon reconnat par
ailleurs aux citoyens et quon rige au rang de valeur dmocratique 3. Par
exemple, la femme marie, considre incapable depuis 1866, retrouve la
gestion de ses biens, puis lgalit entre poux est affirme4. Certains
droits sont reconnus lenfant, tant lgitime quillgitime5.

Pour la premire fois, dans le cadre du systme de sant, des droits
sont reconnus tous les citoyens qubcois6 : le droit de recevoir des ser-
vices de sant et des services sociaux adquats sur les plans la fois
scientifique, humain et social 7, le droit de choisir son professionnel et
son tablissement de sant, ainsi que le droit la confidentialit du dos-

1 Le gouvernement de Jean Lesage a t lu avec le slogan Matres chez nous ! . Sur le
sujet, voir par ex Dale C Thomson, Jean Lesage et la Rvolution tranquille, traduit par
Francis Dufau-Labeyrie, Montral, Trcarr, 1984.

2 Gregorio Peces-Barba Martnez, Thorie gnrale des droits fondamentaux, traduit par
Ili Antonio Pel, Paris, Librairie Gnrale de Droit et de Jurisprudence, 2004 la p
257 :

Lgalit consiste […] ne pas retenir ces lments, physiques, socio-
conomiques ou culturels pour diffrencier les conduites et la faon dont elles
doivent tre juridiquement rgules. Cest en cela que lgalit se manifeste :
positivement, en considrant comme gales, en galisant les personnes que
distinguent des lments, des critres qui ne sont pas jugs comme impor-
tants ; et ngativement, en ninstaurant pas de discrimination, selon le mme
raisonnement.

3 Pierre Noreau, galit juridique formelle et sentiment de discrimination sociale : Ob-
jets et perspectives pour la sociologie politique du droit dans Service de la formation
continue du Barreau du Qubec, Congrs annuel du Barreau du Qubec, Montral, Bar-
reau du Qubec, 2009 la p 1.

4 Loi sur la capacit juridique de la femme marie, LQ 1964, c 66 ; Loi concernant les r-

gimes matrimoniaux, LQ 1969, c 77.

5 Loi modifiant le Code civil et concernant les enfants naturels, LQ 1970, c 62.
6 Et ce, sans discrimination : voir Loi sur les services de sant et les services sociaux, LRQ

c S-4.2, art 5 [LSSSS].

7 Ibid, art 5. Ce droit sera cependant tributaire des ressources disponibles et ne sera pas
exigible : Qubec, Assemble nationale, Commission permanente des affaires sociales,
Projet de loi n 65 : Loi de lorganisation des services de sant et des services sociaux
(11) dans Journal des dbats de la Commission permanente des affaires sociales, vol
29, n 115 (15 et 17 dcembre 1971) la p 5940 (Claude Castonguay).

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sier mdical8. Autre fait majeur : la participation citoyenne est pour la
premire fois encourage et un processus de plainte est mis en place9. Il
sagit donc dune vritable rvolution par laquelle lindividu se voit mis au
centre du systme, dans une perspective galitaire.
Dans les mmes annes, la publication de louvrage Les fous crient au
secours10 fait leffet dune bombe, dvoilant les conditions dhospitalisation
dans les hpitaux psychiatriques11. Des psychiatres appuient ouvertement
les revendications des patients interns et lenjeu devient rapidement po-
litique et largement mdiatis12. Le gouvernement qubcois met sur pied
la Commission dtude des hpitaux psychiatriques13, puis entreprend une
rforme des services psychiatriques qui sinscrit dans la rorganisation
globale du systme de sant. On favorise la mise en place de programmes
thrapeutiques et une premire vague de dsinstitutionnalisation est
amorce14. En mme temps, les hpitaux gnraux se dotent de dparte-
ments de psychiatrie et la Loi instituant lassurance-hospitalisation ins-
taure la gratuit des traitements en milieu hospitalier15. Cest la fin de
lasile tel quon lavait connu jusque-l.

8 LSSSS, supra note 6, art 6, 7, 19. Il est noter que cette liste nest pas exhaustive.
9 Ibid, art 3(3), 16, 29.
10 Jean-Charles Pag, Les fous crient au secours, Montral, ditions du Jour, 1961.
11 Durant les deux dcennies suivantes, des scandales concernant les conditions de dten-
tion et de soins des psychiatriss clatent successivement. Voir Lucie Laurin, Des luttes
et des droits : Antcdents et histoire de la Ligue des Droits de lHomme de 1936 1975,
Montral, Mridien, 1985 la p 80 ; Hubert A Wallot, La danse autour du fou : Survol
de lhistoire organisationnelle de la prise en charge de la folie au Qubec depuis les ori-
gines jusqu nos jours, t 1, Beauport, MNH, 1998 la p 167.

12 Yves Lecomte, De la dynamique des politiques de dsinstitutionnalisation au Qubec

(1997) 22 : 2 Sant mentale au Qubec 7 la p 8.

13 La Commission fait la lumire sur larchasme des hpitaux psychiatriques et des soins
quon y propose, ainsi que sur leur dcalage par rapport aux connaissances issues de la
recherche scientifique : Rapport de la Commission dtude des hpitaux psychiatriques,
Qubec, Ministre de la sant, 1962 (prsident : Dominique Bdard) la p 26.

14 Au Qubec, on compte quatre principales vagues de dsinstitutionnalisation, que nous
indiquons ici en prcisant le nombre de lits ferms : de 1962 1970 (3519 lits), de 1971
1988 (6485 lits), de 1989 1996 (3724 lits) et de 1995 2002 (2504 lits) : Comit de la
sant mentale du Qubec, Dfis de la reconfiguration des services de sant mentale,
Qubec, Ministre de la sant et des services sociaux, 1997 la p 23 ; Qubec, Vrifica-
teur gnral, Rapport lAssemble nationale pour lanne 2002-2003, t 2, Qubec, Pu-
blications du Qubec, 2003 la p 16.

15 Voir Loi instituant lassurance-hospitalisation, LQ 1960, c 78 ; Loi de lassurance-

maladie, LQ 1970, c 37.

LE REFUS DE SOINS PSYCHIATRIQUES 557

Au chapitre des droits des patients psychiatriques16, des organismes
vous la rinsertion sociale et la dfense des droits des personnes d-
sinstitutionnalises ou vivant avec une maladie mentale voient le jour. De
mme, des comits de bnficiaires tentent, lintrieur des hpitaux, de
contribuer la mise en place dune culture des droits. Les premires re-
vendications concernent les droits ngatifs et notamment la protection
contre les arrestations et les dtentions arbitraires et contre les traite-
ments cruels, inhumains ou dgradants17. Cest surtout devant les tribu-
naux que les premiers dbats concernant les droits fondamentaux des
usagers des services de sant mentale ont lieu18. Aussi, des amliorations
notables en ce qui a trait aux droits civils ainsi qu lquit procdurale
sont dues la Charte canadienne des droits et liberts19.
Au regard du refus de traitement, cependant, aucune disposition na
prvu de mcanisme particulier jusqu la fin des annes 1980, malgr la
reconnaissance dans le Code civil du Bas-Canada20 des droits
linviolabilit de la personne et au consentement aux soins. La question
des modalits de traitement est pourtant dautant plus cruciale en psy-
chiatrie que, depuis les annes 1950, le dveloppement et la disponibilit
de mdications varies ont radicalement chang la pratique mdicale21.
En effet, si, au dpart, la mdication a contribu la sortie de lasile de
nombreux patients, lobservance stricte de la mdication [est dorna-

16 Voir Emmanuelle Bernheim, Garde en tablissement et autorisation de soins : quel droit
pour quelle socit ?, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2011 aux pp 35 et s [Bernheim,
Garde en tablissement].

17 Lawrence O Gostin et Lance Gable, The Human Rights of Persons with Mental Disa-
bilities: A Global Perspective on the Application of Human Rights Principles to Mental
Health (2004) 63 Md L Rev 20 aux pp 24 et s.

18 Michael McCubbin et David Cohen, Les droits des usagers de services en sant men-
tale : Le nud troit du pouvoir, de la loi et de lthique (1998) 23 : 2 Sant mentale au
Qubec 212 aux pp 212-24. Notons que, ds 1905, la Cour du Banc de la Reine accueil-
lait une requte en habeas corpus pour une femme accuse de folie : Ex parte Sar-
rault (1905), [1906] 15 BR 3 (disponible sur WL Can) (Qc) ; en 1945, la Cour accueillait
une requte en annulation dinterdiction pour dmence par manque de preuve : Dame R
v Johnson (1945), [1946] CS 101 (disponible sur WL Can) (Qc) ; en 1959, la notion de
danger fut discute restrictivement : Dame L v Larue, [1959] BR 549 (disponible sur
WL Can) (Qc). Voir Commission des droits de la personne du Qubec, Commentaires
sur la Loi de protection du malade mental, Montral, Commission des droits de la per-
sonne du Qubec, 1978 aux pp 7-9.

19 Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant lannexe B de la Loi de 1982 sur

le Canada (R-U), 1982, c 11.

20 Art 19 CcBC.
21 Voir Louise Mallette, La psychiatrie sous influence (2003) 28 : 1 Sant mentale au
Qubec 298 aux pp 305-06 ; Alain Ehrenberg, Lindividu incertain, Paris, Calmann-
Lvy, 1995 ; Robert Whitaker, Mad in America: Bad Science, Bad Medecine, and the
Enduring Mistreatment of the Mentally Ill, Cambridge (Mass), Perseus, 2002.

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vant] considre comme la voie royale de la gurison 22, un outil de d-
sinstitutionnalisation, de prvention du syndrome de la porte tournante23
et de lengorgement des urgences24. Le dbat sur le droit au refus de trai-
tement des patients psychiatriques, tel quil sest dvelopp au dbut de la
dcennie 197025, met en lumire des positions antagonistes encore ac-
tuelles aujourdhui26. Pour les psychiatres, la loi ne doit pas constituer un
obstacle au traitement, les confinant un rle de gelier difficilement con-
ciliable avec leurs obligations thiques27. Pour les juristes, la loi confie aux
psychiatres un rle prpondrant, paternaliste, oppos aux prmisses du
droit civil et des droits de la personne28. Pour les malades, lquilibre reste
trouver entre le respect des droits et le retour la sant29.

22 Henri Dorvil, Prise de mdicaments et dsinstitutionnalisation dans Johanne Collin,
Marcelo Otero et Laurence Monnais, dir, Le mdicament au coeur de la socialit con-
temporaine : Regards croiss sur un objet complexe, Qubec, Presses de lUniversit du
Qubec, 2006, 35 la p 53.

23 Le syndrome de la porte tournante est un phnomne par lequel les patients dsinstitu-
tionnaliss doivent rgulirement recourir lhpital pour se stabiliser, les admissions
psychiatriques tant en ralit des radmissions. En 1970, 51% des admissions sont
dans les faits des radmissions et cette proportion monte 72.3% la fin des annes
1980. Voir Lecomte, supra note 12 la p 14 ; Comit de la sant mentale du Qubec,
supra note 14 la p 20.

24 Dorvil, supra note 22 aux pp 42, 45, 53.
25 Lors de la rforme de la procdure de cure ferme : Loi sur la protection du malade
mental, LRQ c P-41. La cure ferme constitue jusqu’ la rforme du Code civil la proc-
dure d’internement psychiatrique. Elle sera remplace par la garde en tablissement
(art 26 et s CcQ ; Loi sur la protection des personnes dont ltat mental prsente un dan-
ger pour elles-mmes ou pour autrui, LRQ c P-38.001).

26 Loren H. Roth se demande mme si ces positions peuvent tre conciliables : Loren H
Roth, A Commitment Law for Patients, Doctors and Lawyers (1979) 136 : 9 Ameri-
can Journal of Psychiatry 1121 aux pp 1121-27. Voir aussi David Roe et al, Patients
and Staff Members Attitudes About the Rights of Hospitalized Psychiatric Patients
(2002) 53 : 1 Psychiatric Services 87 aux pp 87-91.

27 Voir Frdric Grunberg, La doctrine du consentement libre et clair : ses fondements
thiques, juridiques et ses applications dans la recherche et la pratique de la psychia-
trie (1990) 35 : 5 Revue canadienne de psychiatrie 443 la p 448 ; JE Gray, RL
OReilly et GW Clements, Protecting the Rights of People with Mental Illness: Can We
Achieve Both Good Legal Process and Good Clinical Outcomes? (2002) 23 : 2 Health L
Can 25 la p 27 ; Richard Michaud, La lgislation et le malade mental au Qubec
dans Robert Duguay et Henri-Frdric Ellenberger, dir, Prcis pratique de psychiatrie,
Montral, Paris ; Chenelire et Stank, Maloine, 1981, 643 la p 651.

28 Voir Brian P Hill, Civil Rights of the Psychiatric Patients in Quebec (1977) 12 : 3
RJT 503 ; Jean Barrire, Droit la sant et politique psychiatrique (1970) 30 : 4 R
du B 282.

29 Comit de sant mentale du Qubec, La Loi de protection du malade mental : Consid-
rations du Comit de sant mentale du Qubec, Montral, Ministre des Affaires so-
ciales, 1978 la p 21.

unique

devient

LE REFUS DE SOINS PSYCHIATRIQUES 559

dinterprtation 31,

la fin des annes 1980, une nouvelle vague de rformes de la justice
et de la sant est initie. Au cur de ces changements, soulignons la place
privilgie attribue l’individu et au discours sur les droits, envisags
comme autonomistes et mancipatoires. Lefficacit du systme repose d-
sormais, du moins en partie, sur la revendication des droits, ce qui justifie
linflation lgislative et la judiciarisation30. Le tribunal, en tant que m-
canisme
incontestablement
l oprateur
juridique comptent pour […] dfendre [et] protger
[lindividu] sans lacunes formelles 32. Il constitue donc, dans ce contexte,
lultime rempart contre latteinte aux droits fondamentaux33.
Dans notre recherche doctorale, nous nous sommes intresse
lapplication du rgime d’autorisation de soins34 par les juges de la Cour
suprieure du Qubec. Aprs une analyse de contenu de la jurisprudence,
nous avons rencontr des juges en entretien et en observation. Les don-
nes de la recherche empirique clairent les tendances constates dans les
dcisions judiciaires, notamment sur linterprtation problmatique du
critre d’inaptitude consentir aux soins. Plus globalement, notre tude
soulve des questions sur l’effectivit de la protection judiciaire du droit
linviolabilit des patients psychiatriques et, consquemment, sur la pos-
sibilit pour ces derniers dopposer un refus de soins. Nous ne nous pro-
nonons cependant pas sur la ncessit des traitements que lon cherche
imposer dans le cadre des demandes dautorisation de soins et nous ne
remettons daucune faon en question le fait quil soit parfois ncessaire
dimposer des soins certains patients.

30 Voir Jacques Commaille et Laurence Dumoulin, Heurs et malheurs de la lgalit dans
les socits contemporaines : Une sociologie politique de la judiciarisation (2009) 59 :
1 LAnne sociologique 63 ; Jacques Commaille, La juridicisation du politique : Entre
ralit et connaissance de la ralit dans Jacques Commaille, Laurence Dumoulin et
Ccile Robert, dir, La juridicisation du politique, Paris, Librairie Gnrale de Droit et
de Jurisprudence, 2010, 199.

31 Pierre Noreau, Droit prventif : Le droit au-del de la loi, Montral, Thmis, 1993 la p

35 [Noreau, Droit prventif].

32 Peces-Barba Martnez, supra note 2 la p 225.
33 Voir par ex Qubec, Assemble nationale, Commission permanente des affaires so-
ciales, tude dtaille du projet de loi no 39 : Loi sur la protection des personnes at-
teintes de maladie mentale et modifiant diverses dispositions lgislatives (2) dans
Journal des dbats de la Commission permanente des affaires sociales, vol 35, n 100 (5
dcembre 1997) la p 6 (Jean Rochon) ; R v Board of Visitors of Hull Prison, Ex parte St
Germain (1978), [1979] 1 QB 425, 1 All ER 701 la p 701 (CA), tel que cit dans Marti-
neau c Comit de discipline de lInstitution de Matsqui (1979), [1980] 1 RCS 602 la p
635, 30 NR 119 ; R c Kang-Brown, 2008 CSC 18 au para 7, [2008] 1 RCS 456.

34 Lautorisation de soins permet de soigner contre son gr un majeur inapte consentir

aux soins : art 16 CcQ.

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Nous dvelopperons cette rflexion en deux temps. D’abord, nous ex-
poserons le cadre juridique en matire de refus et d’autorisation de soins
(I). Ensuite, nous prsenterons notre mthodologie et nos rsultats de re-
cherche (II).

I. Cadre juridique : du refus lautorisation de soins

Le cadre juridique en matire de soins, tel que nous le connaissons ac-
tuellement, est le fruit dune riche volution lgislative et jurispruden-
tielle. En matire psychiatrique, cependant, bien que les principes gn-
raux en matire de refus de soins soient applicables, certaines spcificits
doivent tre prises en compte. Dans un premier temps, nous exposerons
les principes gnraux du refus de soins en psychiatrie (A), puis, dans un
second temps, nous nous attarderons au rgime particulier dautorisation
de soins (B).

A. Principes gnraux : le refus de soins en psychiatrie

Cest en 1971 que luniversalit de la personnalit juridique ainsi que
les droits linviolabilit de la personne et au consentement aux soins
sont introduits au Code civil du Bas-Canada35. Au regard de la pratique
psychiatrique, pourtant, certains auteurs de lpoque rapportent des pres-
sions exerces sur les patients afin quils acceptent dtre traits36. Les pa-
tients admis en cure ferme taient le plus souvent considrs incapables
de donner leur consentement, et leur mdecin traitant pouvait adresser
une requte crite au curateur public, permettant un fonctionnaire
dapprouver les soins sans mme avoir vu le patient37. Il tait de pratique
courante de traiter ces patients contre leur gr, et le fait de refuser un

35 Loi modifiant de nouveau le Code civil et modifiant la Loi abolissant la mort civile, LQ
1971, c 84, art 18-19. Le droit linviolabilit tait nanmoins dj reconnu (Louis Bau-
doin, La personne humaine au centre du droit qubcois (1966) 26 : 2 R du B 66) et
lobligation dinformation pour le mdecin tait dj tablie par la jurisprudence qub-
coise depuis les annes 1930 (Bordier c S, [1934] 72 CS 316 (disponible sur WL Can), tel
que cit dans Raymond Boucher, La responsabilit hospitalire (1974) 15 : 2 C de D
219 la p 473).

36 Voir Hill, supra note 28 la p 515 ; Albert Mayrand, Linviolabilit de la personne
humaine , Srie de confrences Wainright, prsente la Facult de droit de McGill,
Montral, Wilson & Lafleur, 1975 la p 51 ; Viateur Bergeron, Lattribution dune pro-
tection lgale aux malades mentaux, Montral, Yvon Blais, 1981 la p 177 ; Robert
Kouri et Monique Ouellette-Lauzon, Corps humain et libert individuelle (1975) 6
RDUS 85 la p 105.

37 Et ce, mme pour des lectrochocs : Commission des droits de la personne du Qubec,

supra note 18 aux pp 26-27.

LE REFUS DE SOINS PSYCHIATRIQUES 561

traitement entranait le plus souvent une hospitalisation prolonge38.
Malgr labsence de dispositions lgislatives habilitantes, il arrivait que
les tribunaux substituent leur consentement celui dun patient lgale-
ment apte, la tendance gnrale tant dassimiler le refus mdicalement
draisonnable de traitement linaptitude, voire didentifier maladie
mentale et inaptitude39. Les jugements qubcois portant sur cette ques-
tion demeuraient silencieux quant aux droits constitutionnels des per-
sonnes refusant un traitement40.
Au dbut des annes 1990, la rvision du Code civil du Qubec (Code)
promettait cet gard un changement majeur41. Reprenant les principes
qui fondent la Charte des droits et liberts de la personne42, et plus particu-
lirement celui de lgalit43, le livre premier du nouveau Code rompant
avec le Code civil du Bas-Canada auquel on reprochait de porter la
marque des doctrines individualistes et librales des sicles passs 44
porte le titre Des personnes, lequel met davantage en lumire […] la
primaut accorde la personne humaine 45. Le titre premier, De la

38 Voir Jean-Pierre Mnard, Capacit et consentement clair : les droits du patient psy-
chiatrique dans Pierre Migneault et John ONeil, dir, Consentement clair et capacit
en psychiatrie : Aspects cliniques et juridiques, Montral, Douglas, 1988, 123 la p 125
[Mnard, Capacit ] ; Daniel Gervais, Le droit de refuser un traitement psychia-
trique au Qubec (1985) 26 : 4 C de D 807 aux pp 810-11 ; Andre Lajoie, Patrick A
Molinari et Jean-Marie Auby, Trait de droit de la sant et des services sociaux, Mon-
tral, Presses de lUniversit de Montral, 1981 la p 312.

39 Voir par ex Institut Philippe Pinel de Montral c Dion, [1983] CS 438 (disponible sur
WL Can) (Qc). Jusquen 1989, la comptence des tribunaux cet gard tait nbuleuse :
Margaret A Somerville, Refusal of Medical Treatment in Captive Circumstances
(1985) 63 : 1 R du B can 59.

40 Gervais, supra note 38 aux pp 836 et s.
41 Soulignons que les dispositions sur lautorisation de soins avaient originalement t in-
troduites au CcBC en 1989, par la Loi sur le curateur public et modifiant le Code civil et
dautres dispositions lgislatives, LQ 1989, c 54.

42 LRQ c C-12 [Charte qubcoise]. La disposition prliminaire du CcQ nonce que celui-ci
rgit, en harmonie avec la Charte des droits et liberts de la personne [] et les prin-
cipes gnraux du droit, les personnes, les rapports entre les personnes, ainsi que les
biens .

43 Monique Ouellette, Lgalit sous le Code civil : la ralit et lespoir (1990) 24 RJT

421.

44 Paul-Andr Crpeau, Centenaire du Code civil du Qubec (1966) 35 : 3 R du B can
389. Pour Adrian Popovici, il ne sagit pas dune rforme du Code civil, mais plutt de la
mise en place dun ordre juridique nouveau [italiques dans loriginal] : Adrian Popo-
vici, Repenser le droit civil : un nouveau dfi pour la doctrine qubcoise (1995) 29 : 2
RJT 545 la p 548.

45 Qubec, Ministre de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice : Le Code civil
du Qubec, t 1, Qubec, Publications du Qubec, 1993 la p 3 [Commentaires du mi-
nistre].

562 (2012) 57:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

jouissance et de lexercice des droits civils, nonce les grands principes
gouvernant lapplication du Code, certains y voyant mme une mini
charte 46, assurant la protection de ce qui constitue lindividualit
propre de la personne, son essence, sa dignit 47. Daprs Jean Pineau, les
changements linguistiques tmoignent, tout au long du nouveau Code, de
la primaut de la personne48. Ainsi, pour le ministre de la Justice, le fait
daffirmer que toute personne est titulaire des droits de la personnalit
consacre le fait que la personne est au centre des proccupations de cette
lgislation fondamentale 49. Le Code distingue la jouissance des droits, un
attribut essentiel de la personnalit et dont on ne peut se dpartir, de
lexercice des droits, une ralit contingente laquelle une personne peut
ou doit parfois renoncer50. Le Code nonce ainsi, aprs la protection col-
lective de la personne humaine sanctionne par les chartes des droits
ou les instruments internationaux, une protection [] personnelle de
la personne humaine cristallise dans les rapports privs51.

Le titre deux du livre Des personnes intitul De certains droits de la
personnalit souvre sur un chapitre concernant spcifiquement
lintgrit de la personne. Les droits qui y sont rattachs permettent
chacun de prserver son tre propre contre laction de tiers, quelle quen
soit la nature latteinte linviolabilit mais galement dtre prot-
g contre son propre fait latteinte lintgrit52. En somme, cest une
vritable zone rserve, inaccessible autrui, que ces droits crent autour
de la personne mme du sujet 53. Ils consacrent galement la prmi-
nence de la volont personnelle le droit lautodtermination

46 Monique Ouellette, Livre premier : Des personnes dans La rforme du Code civil :
Personnes, successions, biens, Qubec, Presses de lUniversit Laval, 1993, 11 la p 16.
47 France Allard, Les droits de la personnalit dans Personnes, famille et successions,
Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2006, 55 la p 55. Les droits de la personnalit se distin-
guent des autres droits subjectifs par leurs caractristiques dinsaisissabilit,
dimprescriptibilit, dintransmissibilit et dindisponibilit : Robert P Kouri et Suzanne
Philips-Nootens, Lintgrit de la personne et le consentement aux soins, 2e d, Cowans-
ville (Qc), Yvon Blais, 2005 aux pp 77 et s [Kouri et Philips-Nootens, Intgrit de la per-
sonne].

48 Jean Pineau, La philosophie gnrale du nouveau Code civil du Qubec (1992) 71 : 3

R du B can 423 la p 436.

49 Commentaires du ministre, supra note 45 la p 3.
50 Ibid la p 4.
51 Grgoire Loiseau, Le rle de la volont dans le rgime de protection de la personne et

de son corps (1992) 37 : 4 RD McGill 965 la p 972.

52 Commentaires du ministre, supra note 45 la p 12. Notons que cette interprtation des
droits lintgrit et linviolabilit contredit [le] pass jurisprudentiel et doctrinal
qubcois (Popovici, supra note 44 la p 557). Pour nous, cette interprtation ajoute
la confusion caractristique du domaine.

53 Loiseau, supra note 51 la p 972.

LE REFUS DE SOINS PSYCHIATRIQUES 563

linviolabilit devenant une limite, voire une contrainte, notamment dans
les rapports thrapeutiques54.
Ce chapitre sur lintgrit se divise en deux sections : dabord des
soins55, puis de la garde en tablissement. Il sensuit que le droit l’int-
grit est directement rattach aux procdures mdicales, et plus particu-
lirement la relation mdecin-patient, traditionnellement conue comme
paternaliste et ingale56. Le cadre juridique vise attnuer ce rapport de
force en favorisant l’expression de la volont des patients, mme lorsque
celle-ci va l’encontre des avis mdicaux. Lobtention du consentement du
patient est donc systmatiquement requise57, les seules exceptions tant
la situation o la vie de la personne est en danger ou son intgrit me-
nace et que son consentement ne peut tre obtenu en temps utile 58 ou
encore celle o une personne menace de sinfliger ou d’infliger autrui des
lsions59. Autrement, le refus de soins, mme fatal, devra tre respect. Le
fait qu’une personne soit inapte ou incapable de donner son consentement
ne dispense pas d’en obtenir un : il faudra alors recourir au consentement
substitu60. Les obligations de recueillir le consentement et de respecter la
dcision du patient sont galement consacres par le Code de dontologie
des mdecins61.

Pour permettre une pleine libert de dcision et daction par rapport
son propre corps en matire mdicale, le consentement ou le refus de

54 Gervais, supra note 38.
55 Aux fins dinterprtation, le terme soins renvoie toutes espces dexamens, de prl-
vements, de traitements ou dinterventions, de nature mdicale, psychologique ou so-
ciale, requis ou non par ltat de sant, physique ou mentale. Il couvre galement,
comme acte pralable, lhbergement en tablissement de sant lorsque la situation
lexige (Commentaires du ministre, supra note 45 la p 12).

56 Voir par ex Georges A Legault, Professionnalisme et dlibration thique : Manuel
daide la dcision responsable, Qubec, Presses de lUniversit du Qubec, 1999 aux
pp 28 et s ; Suzanne Lamarre, Le respect de lautonomie dans Louise Blanchette, dir,
Lapproche systmique en sant mentale, Montral, Presses de lUniversit de Montral,
1999, 113 aux pp 114 et s.

57 Notre analyse exclut des exceptions qui se situent l’extrieur du rapport mdecin-
patient, comme l’immunisation ou le traitement obligatoire (Loi sur la sant publique,
LRQ c S-2.2, art 83, 123) et l’examen psychiatrique permis par une ordonnance de
garde provisoire (art 27 CcQ).

58 Art 13 CcQ.
59 Dans le cas spcifique des mesures de contrle (isolement, contention, substances chi-
miques), voir LSSSS, supra note 6, art 118.1 ; Qubec, Ministre de la Sant et des Ser-
vices sociaux, Orientations ministrielles relatives lutilisation exceptionnelle des me-
sures de contrle : Contention, isolement et substances chimiques, Qubec, Direction des
communications du ministre de la Sant et des Services sociaux, 2002.

60 Art 11, al 2 CcQ ; LSSSS, supra note 6, art 9.
61 RRQ, c M-9, r 17, art 28-29.

564 (2012) 57:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

soins doivent tre libres et clairs. Pour ce qui est du premier critre, il
vise plus prcisment un consentement ou un refus dnu de toute con-
trainte indue. Le second critre sattache au consentement ou au refus in-
form. Le mdecin a lobligation de divulguer son patient linformation
qui porte sur le diagnostic, la nature et lobjectif du traitement propos,
les risques, les effets et les bnfices du traitement, la procdure, la con-
squence dun non-traitement et les alternatives thrapeutiques pos-
sibles62. Le patient doit tre en mesure de comprendre et dvaluer les in-
formations transmises par le mdecin et darrter une dcision en fonction
de ses besoins personnels63. Limpossibilit de
le faire constitue
linaptitude consentir aux soins.

Il existe essentiellement deux types dexceptions la rgle absolue de
la primaut de la volont individuelle. La premire concerne l’alination
entre vifs dune partie du corps et la participation de majeurs aptes
donner leur consentement une exprimentation. Le Code exige expres-
sment, dans ces cas spcifiques, que le risque couru ne soit pas hors de
proportion avec le bienfait qu’on peut raisonnablement en esprer 64. La
seconde exception concerne les mineurs et les majeurs inaptes. Outre le
consentement substitu donn par une personne autorise, l’autorisation
du tribunal devient ncessaire lorsque le majeur inapte consentir re-
fuse catgoriquement de recevoir les soins, moins quil ne sagisse de
soins dhygine ou dun cas durgence 65. Dans ce cadre, le tribunal doit
mener une enqute exhaustive auprs de tous les protagonistes suscep-
tibles de lclairer. La personne concerne doit tre entendue et les soins
autoriss doivent absolument tre requis par ltat de sant, faute de quoi
la volont du majeur, mme inapte consentir aux soins ou lgalement
incapable, doit tre respecte66.

Les tribunaux avaient dj affirm la primaut de la volont indivi-
duelle en matire de soins avant mme que ne soit acheve la rvision du

62 Jean-Pierre Mnard, Le refus de traitement du majeur inapte dans Le refus catgo-
rique, Montral, Association des hpitaux du Qubec, 1993, E-1 la p E-4 ; Suzanne
Philips-Nootens, Pauline Lesage-Jarjoura et Robert P Kouri, lments de responsabilit
civile mdicale : Le droit dans le quotidien de la mdecine, 3e d, Cowansville (Qc), Yvon
Blais, 2007 la p 145.

63 Il semblerait cependant que plusieurs facteurs constituent des obstacles un consen-
tement de qualit : [L]es limites de sa comprhension, linattention, la distraction, la
peur, lanxit, le selective hearing, les effets de la maladie et de la mdication (ibid
la p 140).

64 Art 19-20 CcQ.
65 Art 16, al 1 CcQ.
66 Art 23, al 2 CcQ.

LE REFUS DE SOINS PSYCHIATRIQUES 565

Code67. En effet, dans laffaire Nancy B. c. Htel-Dieu de Qubec, la de-
manderesse, atteinte de dgnrescence nerveuse, demandait tre d-
branche du respirateur qui la maintenait en vie. Elle avait notamment
t rencontre quatre fois par un psychiatre qui confirmait que celle-ci
joui[ssait] d’une trs bonne sant mentale : elle [tait] en mesure de
prendre des dcisions et d’en saisir la porte 68. Estimant quen raison de
son aptitude consentir, Nancy B. avait le droit qu’on la libre de l’es-
clavage d’une machine, sa vie dt-elle en dpendre 69, le juge concluait
quil continuerai[t] quand mme esprer contre toute esprance 70. En
se rfrant la cohrence du systme juridique, la jurisprudence ant-
rieure en matire dinformation mdicale et de consentement aux soins
ainsi qu la doctrine, le tribunal concluait que le droit au refus de soins
devait tre interprt largement. Cette dcision judiciaire constitue lun
des principaux prcdents en matire de refus de soins.

B. Le rgime exceptionnel de lautorisation de soins

Soulignons dentre de jeu que lautorisation du tribunal nest nces-
saire que dans le cas o le majeur inapte refuse catgoriquement les
soins, mais non quand il les accepte. Or, si le consentement est altr, il
lest tant dans les cas de refus que dacceptation. Pour Jean-Pierre M-
nard, [c]onsidrer apte un patient qui ne lest pas quivaut le traiter
sans consentement ; il faut donc viter de dduire laptitude du consen-
tement ou de la passivit71, tout comme linaptitude du refus. Or, certains
auteurs affirment que des patients, en raison de leur diagnostic, feraient
lobjet dune prsomption dinaptitude jusqu ce quils fassent la dmons-

67 Voir Couture-Jacquet c Montreal Childrens Hospital, [1986] RJQ 1221, 28 DLR (4e) 22
(CA) [Couture-Jacquet avec renvois aux RJQ] ; Nancy B c Htel-Dieu de Qubec, [1992]
RJQ 361, 86 DLR (4e) 385 (CS) [Nancy B avec renvois aux RJQ] ; Manoir de la Pointe-
Bleue c Corbeil, [1992] RJQ 712 (disponible sur WL Can) (CS). Ces dcisions furent
rendues en vertu du CcBC.

68 Nancy B, supra note 67 la p 363.
69 Ibid la p 365.
70 Ibid la p 367.
71 Jean-Pierre Mnard, Limpact de la Loi sur la protection des personnes dont ltat
mental prsente un danger pour elles-mmes ou pour autrui sur le consentement aux
soins dans Dveloppements rcents en droit de la sant mentale, Cowansville (Qc),
Yvon Blais, 1998, 237 la p 246 [Mnard, Impact de la Loi ]. Voir aussi Cline Cor-
beil, Le consentement aux soins psychiatriques, mmoire de matrise en droit de la san-
t, Universit de Sherbrooke, 1997 [non publi] la p 26. Notons cependant quil
nexiste aucun consensus sur la forme explicite ou implicite que devrait avoir le consen-
tement : Collge des mdecins du Qubec, Le consentement aux soins, Montral, Collge
des mdecins du Qubec, 1996 la p 5.

566 (2012) 57:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

tration de leur aptitude72. Le plus souvent, linaptitude consentir aux
soins ne semble tre souponne que lorsque le patient fait des choix al-
lant lencontre de ses propres intrts cliniques, des choix jugs drai-
sonnables ou irrationnels73. ce sujet, les commentaires du ministre de la
Justice sont clairants :

Comme la valeur du refus dune personne inapte est douteuse, ce re-
fus est qualifi pour indiquer quil doit sapparenter un refus libre
et clair et distinguer du simple rflexe biologique totalement
tranger lexpression de la volont. […]
De faon gnrale, [l]article [16 du Code] a pour but de respecter da-
vantage lexpression de volont […] des majeurs inaptes et de prot-
ger leur intgrit contre un refus injustifi provenant soit de leur re-
prsentant soit deux-mmes74.

Toute la question est de savoir jusquo il est possible de tenir ce raison-
nement. Peut-on simplement dduire linaptitude du refus ? Ds 1996, la
Cour dappel du Qubec prcisait que

[l]e refus de soins mdicaux nest pas, en soi, […] lindication dune
incapacit mentale et dune inaptitude donner un consentement.
Toutefois, replac dans le contexte particulier de chaque cas, il peut
tre indicateur dune certaine incapacit75.

cet gard, Robert P. Kouri et Suzanne Philips-Nootens posent deux
constats :

Le premier porte sur la dtermination du seuil de comptence en
matire mdicale mme. Il semblerait que lon tende parfois juger
apte la personne acceptant les conseils de son thrapeute, et inapte,
celle qui les questionne et surtout, qui les refuse. Le deuxime cons-
tat est la tendance infrer linaptitude partir dune dcision qui
ne semble pas rationnelle [notes omises]76.

72 S Van McCrary et A Terry Walman, Procedural Paternalism in Competency Determi-

nation (1990) 18 : 2 JL Med & Ethics 108 la p 108.

73 Danielle Blondeau et ric Gagnon, De laptitude consentir un traitement ou le
refuser : une analyse critique (1994) 35 : 4 C de D 651 la p 657 ; Caroline Gendreau,
Le droit du patient psychiatrique de consentir un traitement : laboration d’une norme
internationale, Montral, Thmis, 1996 la p 30 ; Claire Gamache et Frdric Millaud,
Le psychiatre face au refus de traitement : une dmarche clinique et juridique (1999)
24 : 1 Sant mentale au Qubec 154 p 160 ; Corbeil, supra note 71 la p 26. Dans ce
cas, les mdecins omettraient de dispenser linformation complte sur les alternatives
thrapeutiques qui pourraient ventuellement convenir au patient (ibid la p 112).

74 Commentaires du ministre, supra note 45 la p 18.
75 JMW c SCW, [1996] RJQ 229 la p 235, [1996] RDF 15 (CA).
76 Robert P Kouri et Suzanne Philips-Nootens, Le corps humain, linviolabilit de la
personne et le consentement aux soins : Le regard du lgislateur et des tribunaux ci-

LE REFUS DE SOINS PSYCHIATRIQUES 567

Dans un autre texte, ils tirent la conclusion suivante :

Cette position traduit un a priori qui peut se rvler trs contes-
table : le consentement irait demble dans le sens du meilleur int-
rt de la personne, […] sil est donn par un tiers, ou serait une relle
manifestation dautonomie sil est donn par le majeur inapte. Le re-
fus, quant lui, est suspect77.

Dans cette perspective, le traitement est considr a priori comme po-
sitif ou ncessaire, ce qui lude la gravit de lenjeu rel, surtout en psy-
chiatrie. Le traitement psychiatrique touche en effet, chez le patient, ce
quil y a de plus fondamental, de plus intime, soit sa pense et sa percep-
tion du monde 78. Il semblerait a contrario que le concept dintgrit de la
personne ne concerne que lintgrit du corps et non lintgrit psycholo-
gique, auquel cas il est facile de glisser dans le jugement de valeur quant
la raisonnabilit du choix de refuser un traitement, surtout lorsquil
sagit de maladie mentale79. Cette interprtation va pourtant lencontre
de la finalit admise de la lgislation, soit la protection des droits des pa-
tients lautodtermination, linviolabilit et lintgrit80.
En matire dautorisation de soins, le juge doit procder une valua-
tion en deux temps. Il doit d’abord trancher la question de linaptitude
consentir aux soins, dont le fardeau de preuve revient entirement au
demandeur. cette tape, le juge doit faire un examen objectif de la
preuve. Sil conclut que le dfendeur est inapte consentir aux soins, il
devra valuer la ncessit effective du traitement propos ainsi que les
risques et bnfices qui y sont associs. Lors de cette seconde tape, le

vils, Sherbrooke, ditions de la Revue de droit de lUniversit de Sherbrooke, 1999
au para 204.

77 Robert P Kouri et Suzanne Philips-Nootens, Le majeur inapte et le refus catgorique

de soins de sant : un concept pour le moins ambigu (2003) 63 : 1 R du B 1 la p 23.

78 Mnard, Capacit , supra note 38 la p 131. Voir Hill, supra note 28 la p 515.
79 Les tribunaux reconnaissent pourtant, dans le cadre de la Charte qubcoise, que le
droit lintgrit touche tant lintgrit physique que psychologique, notamment depuis
lamendement de larticle 1. Voir Qubec (Curateur public) c Syndicat national des em-
ploys de lhpital St-Ferdinand, [1996] 3 RCS 211 la p 252, 138 DLR (4e) 577.

80 Gendreau, supra note 73 aux pp 30-31 :

Cette pratique qui consiste, dune part, considrer incapable un patient qui
refuse explicitement un traitement et, dautre part, considrer capable un
patient qui accepte un traitement, cest–dire qui ny rsiste pas, a une
double consquence sur les droits de la personne. La premire consquence
consiste outrepasser la dcision des patients qui sont capables de consentir
un traitement et qui refusent le traitement. Ainsi, on porte atteinte, entre
autres, leur droit lautodtermination et leur droit lgalit en rendant
impossible lexercice de leur droit. La deuxime consquence consiste priver
de la protection dun tiers une personne incapable qui nopposerait pas de r-
sistance ladministration dun traitement.

568 (2012) 57:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

juge devra agir dans le seul intrt du dfendeur, en tenant compte dans
la mesure du possible des volonts qu’il aura exprimes81.

Pour dmontrer l’inaptitude consentir aux soins, une valuation de
nature mdicale non forcment psychiatrique est ncessaire.
Laptitude consentir des soins mdicaux doit tre soumise une va-
luation particulire, qui s’avre diffrente de celle visant louverture dun
rgime de protection et ltablissement de lincapacit lgale82. On oppose
ici aptitude de droit et aptitude de faits 83, cette dernire pouvant fluc-
tuer dans le temps ou tre influence par divers facteurs84. Les critres
dvaluation de laptitude consentir aux soins galement dnomms
critres de la Nouvelle-cosse 85 ont t approuvs par lAssociation
des psychiatres du Canada en 1987 et repris par la jurisprudence qub-
coise dans l’affaire Pinel86. Soulignons que les cinq critres retenus par la
majorit pour dmontrer l’inaptitude ne sont cependant pas cumula-
tifs 87, cest–dire quils ne doivent pas ncessairement tous tre rencon-
trs. Voici ces critres :

1. La personne comprend-elle la nature de la maladie pour laquelle
un traitement lui est propos ?
2. La personne comprend-elle la nature et le but du traitement ?
3. La personne saisit-elle les risques du traitement si elle le subit ?
4. La personne comprend-elle les risques de ne pas subir le traite-
ment ?
5. La capacit de comprendre de la personne est-elle affecte par sa
maladie [notre traduction] 88 ?

81 Art 12, al 1 CcQ.
82 Institut Philippe-Pinel de Montral c AG, [1994] RJQ 2523, [1994] RDF 641 (CA) [Pinel
avec renvois aux RJQ] ; MC c Service professionnel du Centre de sant et de services so-
ciaux dArthabaska-et-de-lrable, 2010 QCCA 1114 (disponible sur WL Can) [MC].

83 Ainsi, une personne peut tre inapte consentir un contrat mdical, mais apte con-

sentir aux soins : Mnard, Impact de la Loi , supra note 71 la p 242.

84 Kouri et Philips-Nootens, Intgrit de la personne, supra note 47 la p 208.
85 Ils sont inspirs de la lgislation de cette province : Hospitals Act, RSNS, 1989, c 208,

art 52, al 2. Ces critres existent depuis 1967.

86 Supra note 82.
87 MC, supra note 82 au para 13.
88 Pinel, supra note 82 la p 2539. Le jugement cite la version originale anglaise de ces

critres :

a) understands the condition for which the treatment is proposed;
b) understands the nature and purpose of the treatment;
c) understands the risks involved in undergoing the treatment;

LE REFUS DE SOINS PSYCHIATRIQUES 569

Ces critres posent des difficults plusieurs gards89. Dabord, la recon-
naissance de la maladie constitue un lment central de lvaluation de
laptitude consentir aux soins90 ; or il nexiste pas de consensus sur
limpact du dni de la maladie sur laptitude consentir aux soins. Si,
pour certains, linaptitude est lie de faon intrinsque au dni de la
maladie91, pour dautres, celui-ci constitue le moyen ultime dy survivre92.
En outre, il semblerait que le concept dautocritique ( insight ), large-
ment utilis en psychiatrie pour mesurer lapprciation faite par le patient
de son tat ou de son comportement, ne fasse pas lobjet dun consensus
permettant de le mesurer adquatement93. Dans laffaire Pinel, le juge
Steinberg, dissident, avait dailleurs exprim des rserves :

The major weakness I perceive in the position of the Appellant is that
the incapacity of the Respondent to consent is attributed to a denial of
his condition, and that denial is inferred from the refusal to undergo
the treatment. If pushed to extremes, this reasoning deprives the in-

d) understands the risks involved in not undergoing the treatment; and
e) whether or not his ability to consent is affected by his condition.

89 Ce test fonde la dtermination de laptitude uniquement sur les comptences cognitives
et ne permet pas de jauger les lments affectifs susceptibles de conditionner la dci-
sion, comme les croyances, les connaissances ou les valeurs. Voir Irwin Kleinman, The
Right to Refuse Treatment: Ethical Considerations for the Competent Patient (1991)
144 : 10 Canadian Medical Association Journal 1219 aux pp 1219-22 ; Somerville, supra
note 39 la p 65. Des diffrences socioculturelles entre lvaluateur et lvalu influe-
raient sur le rsultat de lvaluation consentir, un refus de soins appuy dune explica-
tion culturellement convenable aux yeux du mdecin tant considr comme une
preuve daptitude : Constantin Tranulis, Ellen Corin et Laurence J Kirmayer, Insight
and Psychosis: Comparing the Perspectives of Patient, Entourage and Clinician (2008)
54 : 3 International Journal of Social Psychiatry 225 la p 238.

90 Pinel, supra note 82 la p 2533 :

En sant mentale, il y a une ralit extrmement importante : la personne
implique se rend-elle compte qu’elle est malade ? Cest un critre capital,
lgard duquel le profane est vulnrable parce quil risque dtre manipul
par la personne malade, qui, sous dautres aspects, parat normale et peut
mme bahir. Lignorance ou la non-reconnaissance par une personne de sa
maladie est trop souvent la composante essentielle du maintien de cette ma-
ladie.

91 Denis Morrison, Consentement clair et capacit en pratique clinique psychiatrique
ou opinion : le consentement clair sapplique-t-il en psychiatrie ? dans Migneault et
ONeil, supra note 38, 5 la p 7 ; Frdric Grunberg, Rflexion sur le dni psychotique
et le refus catgorique aux soins dans Le refus catgorique, supra note 62, B-1 la p B-
2.

92 Yvon Garneau et Jean-Martin Diener, La rgle du consentement clair et ses im-
passes en psychiatrie dans Migneault et ONeil, supra note 38, 49 la p 53 ; Somer-
ville, supra note 39 la p 63.

93 Constantin Tranulis, Martin Lepage et Ashok Malla, Insight in First Episode Psycho-

sis: Who Is Measuring What? (2008) 2 Early Intervention in Psychiatry 34.

570 (2012) 57:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

dividual of the very right to refuse treatment conferred by Article 10
of the Civil Code of Quebec94.

Quant au dernier critre, concernant limpact de la maladie sur la capaci-
t consentir, il permet pratiquement dinfrer linaptitude du diagnostic.
Or, la juridicisation et la judiciarisation de la dcision de traitement et le
discours sur les droits et liberts auraient d permettre une reconnais-
sance effective des dimensions non mdicales du consentement aux
soins95. Ce dernier critre, en plus de confrer une nette prpondrance au
tmoignage des mdecins, aurait au contraire pour effet de neutraliser
lintervention judiciaire96.
En 2003, dans larrt Starson c. Swayze, la Cour suprme du Canada
se prononce pour la premire fois sur laptitude consentir aux soins, et
plus particulirement sur les deux critres problmatiques :

[P]our que le patient soit considr apte appliquer les renseigne-
ments pertinents sa situation personnelle, il nest pas ncessaire
que le patient soit daccord avec son mdecin traitant sur le diagnos-
tic. La psychiatrie nest pas une science exacte et il faut sattendre
ce que des personnes par ailleurs capables donnent des interprta-
tions divergentes de linformation. […] Bien quun patient nait pas
tre daccord avec un diagnostic particulier, sil est dmontr quil est
dans un tat psychologique donn, le patient doit tre apte re-
connatre la possibilit quil puisse tre affect par cet tat. […]
Par consquent, le patient nest pas oblig de dcrire son tat psy-
chologique comme une maladie ou de qualifier autrement son tat
en termes ngatifs. Le patient nest pas non plus oblig dtre
daccord avec le mdecin traitant quant la cause de cet tat.
Nanmoins, si ltat du patient a pour consquence que celui-ci nest
pas apte reconnatre quil est affect par les manifestations de cet
tat, il ne sera pas apte appliquer les renseignements pertinents
sa situation et valuer les consquences de sa dcision97.

94 Pinel, supra note 82 la p 2542.
95 Gendreau, supra note 73 la p 12.
96 Jean-Pierre Mnard, Le refus catgorique de soins revu et corrig dans Service de la
formation permanente du Barreau du Qubec, Famille et protection, vol 219, Cowans-
ville (Qc), Yvon Blais, 2005, 295 la p 314 :

Avec respect, ce raisonnement, sil devait sappliquer, rduirait le rle du juge
du fond constater quil existe une preuve mdicale leffet que la personne
souffre dune maladie mentale, preuve qui lierait le juge quant la conclu-
sion sur linaptitude de la personne et ce, sans que le tribunal puisse tenir
compte des incertitudes de la preuve et des opinions divergentes des experts
quant au diagnostic.

97 Starson c Swayze, 2003 CSC 32 au para 79, [2003] 1 RCS 722, confirmant (2001), 201

DLR (4e) 123, 146 OAC 121 (CA Ont).

LE REFUS DE SOINS PSYCHIATRIQUES 571

La cour propose plutt un test en deux volets, qui concerne la capacit
comprendre linformation sur le traitement et les consquences de la d-
cision de soins98. Si la Cour dappel du Qubec confirma ds lanne sui-
vante que la dcision Starson tait applicable en droit qubcois, elle af-
firma du mme souffle qu’elle ne contrevenait pas aux principes dj ta-
blis dans Pinel99. La consultation des dcisions de la Cour suprieure de-
puis laffaire Starson permet de constater que le test labor dans laffaire
Pinel, y compris le dernier critre, est encore couramment appliqu100,
sans toutefois ltre de faon systmatique101. Toutefois, il semblerait que
certaines dcisions rduisent le test de Pinel [d]eux fils conduc-
teurs […] : la perception de sa maladie par la personne et les effets de
cette maladie sur sa capacit de consentir des soins 102. Cette rduction
du test est dautant plus problmatique quelle cre un double standard :
si, dans ce cadre, la ncessit de dmontrer linaptitude protge une majo-
rit de patients, ce n’est cependant pas le cas des patients psychiatriques.
Ainsi, lautorisation de soins, bien que pouvant possiblement s’appliquer
toute situation mdicale, est le plus souvent demande pour des soins
psychiatriques ou pour les soins physiques de patients psychiatriques103,

98 Ibid au para 78 :

La dtermination de la capacit exige lapplication de deux critres. Premi-
rement, la personne concerne doit tre apte comprendre les renseigne-
ments pertinents lgard de la prise dune dcision concernant un traite-
ment. Pour ce faire, cette personne doit avoir la capacit cognitive danalyser,
de retenir et de comprendre les renseignements pertinents. […] Deuxime-
ment, la personne concerne doit tre apte valuer les consquences rai-
sonnablement prvisibles dune dcision ou de labsence de dcision. Pour ce-
la, cette personne doit tre apte appliquer les renseignements pertinents
sa situation et valuer les risques et les avantages prvisibles dcoulant
dune dcision ou de labsence de dcision.

99 MB c Centre hospitalier Pierre-le-Gardeur, [2004] RJQ 792, [2004] RDF 224 (CA) [MB
avec renvois aux RJQ]. Soulignons que le lgislateur no-cossais a amend lHospitals
Act pour retirer du test sur laptitude consentir aux soins le dernier critre : Amend-
ment to the Regulations Respecting Hospitals made by the Governor in Council pursuant
to Section 17 of Chapter 208 of the Revised Statutes of Nova Scotia, the Hospitals Act,
NS Reg 236/2007, Form A.

100 Voir par ex Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke Htel-Dieu c RC, 2008
QCCS 6001, [2008] RL 661 ; Institut Philippe-Pinel de Montral c JG, 2008 QCCS 1084
(disponible sur QL) ; Hpital gnral juif Sir Mortimer B Davis c BK, 2007 QCCS 4247,
[2007] RL 495 ; Centre hospitalier Robert-Giffard c SL, 2006 QCCS 5154 (disponible sur
QL).

101 Ainsi, le tribunal conclut rgulirement linaptitude sans appliquer le test de Pinel.
Voir par ex Htel-Dieu de Lvis c A, 2007 QCCS 1993 (disponible sur QL) ; Centre de
sant et de services sociaux de Rivire-du-Loup c DB, 2010 QCCS 72 (disponible sur QL).
102 Institut Philippe Pinel de Montral c HM, 2005 CarswellQue 11253 au para 19 (WL

Can) (disponible sur QL) (CS).

103 Bernheim, Garde en tablissement, supra note 16 la p 119.

572 (2012) 57:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

tout simplement parce que les critres retenus et lapplication qui en est
faite rduisent linaptitude consentir aux soins une atteinte dordre
mental104. Nous questionnons cet tat de fait, considrant que les patients
psychiatriques, mme sous garde en tablissement, conservent, au regard
des soins, les mmes droits que tous les patients du systme de sant.
Ainsi, si linaptitude consentir aux soins dcoule gnralement dune al-
tration de ltat mental, linverse ne peut tre tenu pour acquis : une al-
tration de ltat mental na pas forcment pour consquence linaptitude
consentir aux soins.
Le rgime juridique de l’autorisation de soins est pourtant une excep-

tion au sein du droit mdical qubcois. La teneur des principes gnraux,
la centralit du droit l’intgrit en droit des personnes et la prpond-
rance de la volont des patients mme inaptes dans leur rapport
avec leur mdecin devraient imposer naturellement une prudence dans
linterprtation des dispositions concernes. cet gard, le concept
dinaptitude et les critres retenus pour en faire la dmonstration de-
vraient agir comme des remparts protgeant l’individu contre des at-
teintes potentielles son inviolabilit. Il est d’autant plus important dans
ce cadre que les traitements imposs aux personnes inaptes consentir
aux soins soient strictement requis par leur tat de sant105. Dans la me-
sure o linaptitude consentir aux soins devient l’attribut de certains
types de maladies, lvaluation de la ncessit des soins envisags consti-
tue de facto la seule manire de s’assurer de la protection du droit
linviolabilit.

104 Daprs les recherches menes par Thomas Grisso et Paul S. Appelbaum, les critres re-
tenus pour valuer linaptitude influent sur le profil des patients considrs comme
inaptes consentir aux soins. De mme, plus les critres sont nombreux, moins la pro-
portion de patients jugs aptes est importante : Thomas Grisso et Paul S Appelbaum,
Comparison of Standards for Assessing Patients Capacities to Make Treatment Deci-
sions (1995) 152 : 7 American Journal of Psychiatry 1033.

105 Dans MB, supra note 99, la Cour dappel renverse partiellement la dcision de premire
instance dans laquelle le juge, aprs avoir conclu linaptitude de la dfenderesse con-
cernant uniquement le consentement lhbergement, avait dcid dautoriser la mdi-
cation pour viter des dmarches rptitives en cas de refus de sa part (ibid la p
800). Le juge Chamberland crit :

Dans ce contexte, et mme si la dcision du juge peut se justifier en termes de
rapidit, defficacit et d’conomie, il nest pas permis de lentriner sur le
plan du droit. Le respect de lautonomie, de linviolabilit et de lintgrit de
la personne est une valeur fondamentale du droit qubcois en matire de
soins. Il ny a rien dans la lettre et lesprit de la loi qui permette dvaluer
l’avance une demande future advenant un refus et den dcider. La situation
peut voluer entre aujourdhui et demain ; il est imprudent, et contraire la
loi, de dcider aujourdhui en fonction d’une situation qui risque de se prsen-
ter demain (ibid).

LE REFUS DE SOINS PSYCHIATRIQUES 573

La possibilit de choisir et, ultimement, de refuser des soins constitue

la
reconnaissance ultime des droits
et
lautodtermination. L’tude du contexte lgislatif, jurisprudentiel et doc-
trinal en matire psychiatrique dnote cependant des nuances et des con-
tradictions difficilement conciliables avec ces principes gnraux. En se-
conde partie, nous prsenterons les rsultats de la recherche empirique
que nous avons mene auprs de juges de la Cour suprieure, en nous in-
tressant plus particulirement la conception qu’ils ont du rle du tri-
bunal dans ce genre d’instance et du type d’intervention ncessaire auprs
des personnes souffrant de maladie mentale.

l’inviolabilit

II. Les constats de la recherche empirique
Nous prsenterons dans un premier temps notre mthodologie de re-
cherche (A), puis nos rsultats (B).

A. La mthodologie de recherche

La recherche que nous avons mene ne portait pas prcisment sur le
refus de soins, mais plutt sur la dynamique des dcisions cliniques et ju-
diciaires de garde en tablissement et dautorisation de soins. Nous nous
interrogions alors sur la place respective que peuvent tenir diffrents
types de normes dans le processus dcisionnel des juges et des psy-
chiatres, dans ces matires complexes o droits des personnes et protec-
tion sont fondamentalement en opposition106. Plus prcisment, nous vou-
lions mieux comprendre comment se dploie le rapport subjectif aux
normes et au droit, et ce qui dtermine leur choix et leur mobilisation107.

106 Nous nous tions dj intresse aux dcisions judiciaires prises dans ce genre de con-
texte lors de notre recherche de matrise sur lexpertise psychiatrique (pour laquelle
nous avions rencontr des juges en entretien) : Emmanuelle Bernheim, Perspective
Luhmannienne sur linteraction entre droit et psychiatrie : thorisation de deux mo-
dles dans le contexte particulier de lexpertise psychiatrique (printemps 2008) 13 : 1,
en ligne : Lex Electronica [Bernheim, Perspective
Luhmannienne ]. cette poque, nous avions conclu, au sujet des juges de la Cour du
Qubec statuant sur des requtes pour garde en tablissement, quils se trouvaient
captif[s] , donc soumis une contrainte […] entrav[ant] la libert daction (ibid la
p 95). Nous affirmions, ce sujet, que les juges, de manire gnrale, cherchent se
constituer un savoir juridique personnel sur laffaire quil[s] entend[ent] (ibid), ce qui
leur permet notamment de prendre leurs distances par rapport la preuve mdicale et
ainsi de trancher de manire claire. cette poque, nous noncions que la pitre qua-
lit de la preuve tait responsable de la captivit des juges, car elle ne leur permettait
justement pas de se composer un bagage substantiel de connaissances. Cest dans ce
contexte que nous avons voulu en savoir plus sur la dynamique dcisionnelle judiciaire.
107 Pour nous permettre de faire cette tude, nous avons construit le Modle de pluralisme
normatif appliqu, qui met en lien respectivement diffrents types de normes avec dif-
frents types de rationalits, ainsi quun cadre thorique sociologique permettant

574 (2012) 57:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

Dans lexpos qui suit, nous rendrons compte de notre dmarche mthodo-
logique, puis de nos rsultats auprs des juges de la Cour suprieure du
Qubec en matire dautorisation de soins.
Nous avons rencontr les juges dabord en entretien, puis en observa-
tion la Cour108. Lors des entretiens109, nous les avons interrogs sur la
conception quils avaient de leur rle en matire dautorisation de soins,
sur les fondements des dispositions en la matire ainsi que sur leur con-
naissance objective et leur interprtation du droit et de la jurisprudence.
Les observations110 nous ont permis de prendre connaissance de leur pra-
tique, qui sest parfois rvle peu conforme avec ce qui nous avait t dit
au pralable en entretien111. la fin de la sance dobservation, soit en
gnral dune audience, nous avions lopportunit de discuter avec le juge

dapprhender la complexit du processus dcisionnel subjectif, notamment travers
les concepts dindividualisme, de systme de raisons, de rationalit, de configuration et
dintermonde. Nous nous sommes notamment inspirs des auteurs suivants : Norbert
lias, Quest-ce que la sociologie ?, Marseille, ditions de lAube, 1991 ; Raymond Bou-
don, Raison, bonnes raisons, Paris, Presses Universitaires de France, 2003 ; Raymond
Boudon, La “rationalit axiologique” : une notion essentielle pour lanalyse des ph-
nomnes normatifs (1999) 31 : 1 Sociologie et socits 103 ; Danilo Martuccelli, La
consistance du social : Une sociologie pour la modernit, Rennes, Presses Universitaires
de Rennes, 2005 ; Patrick Pharo, Le sens de laction et la comprhension dautrui, Paris,
LHarmattan, 1993 ; Georg Simmel, Digression sur le problme : Comment la socit
est-elle possible ? dans Patrick Watier, dir, Georg Simmel : La sociologie et lexprience
du monde moderne, Paris, Mridiens Klincksieck, 1986, 21 ; Emmanuelle Bernheim,
Les dcisions dhospitalisation et de soins psychiatriques sans le consentement des pa-
tients dans des contextes clinique et judiciaire : une tude du pluralisme normatif appli-
qu, thse de doctorat en droit et en science de lhomme et de la socit, Universit de
Montral et cole normale suprieure de Cachan, 2011 [non publi] aux pp 293-332
[Bernheim, Les dcisions].

108 Dans le district judiciaire de Montral.
109 Notre chantillon dentretiens est compos de quatre hommes et quatre femmes, et le
nombre dannes de pratique en tant que juge est variable, allant dune une trentaine.
Nous avons rencontr les juges au Palais de justice de Montral, leur bureau. Les en-
tretiens ont dur entre une heure et une heure et demie. Sur les huit juges rencontrs,
trois ont refus dtre enregistrs.

110 Nous avons pu observer quatre juges durant quatre semaines en 2009. Au total, nous
avons pass 18 heures en salle daudience. Notre chantillon dobservation est compos
de deux femmes et deux hommes. Sur ces quatre juges, deux avaient t rencontrs au
pralable en entretien.

111 Anne-Marie Arborio et Pierre Fournier affirment que l’utilit centrale de lobservation
directe est de rsister aux constructions discursives des acteurs sur leurs pratiques
pour sassurer de la ralit de ces pratiques : Anne-Marie Arborio et Pierre Fournier,
Lenqute et ses mthodes : Lobservation directe, Paris, Nathan, 1999 la p 6. Voir aussi
Henri Peretz, Les mthodes en sociologie : lobservation, 2e d, Paris, La Dcouverte,
2004 la p 12.

LE REFUS DE SOINS PSYCHIATRIQUES 575

des motivations de sa dcision112. Nous avons pu galement faire de courts
entretiens spontans avec diffrentes personnes comme des dfendeurs,
des familles du dfendeur au litige et diffrents professionnels de la sant.
Nous avons galement rencontr en entretien ou en groupes de discussion
diffrents acteurs qui, en raison de la nature de leurs activits profession-
nelles, taient susceptibles de nous clairer sur la pratique des juges et
des psychiatres. Nous visions, par la multiplication des sources de don-
nes et des participants la recherche, augmenter la fiabilit de nos r-
sultats de recherche113.

Tableaux des chantillons

Donnes principales

Type de donne

Type dinformateur114

Nombre

Entretien
Entretien
Entretien
Observation
Observation
Observation

Juges CQ
Juges CS
Psychiatres
Juges CQ
Juges CS
Psychiatres

7
8115
7116
5
4117
10118

112 Nous avons constat que le retour discursif sur les vnements, chaud, permet aux ac-
teurs observs une rflexivit facilite par le contexte dobservation. De plus, pour le
chercheur, ces discussions avec les acteurs observs contribuent viter de relier trop
facilement ses hypothses et ses interprtations des faits observs.

113 Derek Layder, New Strategies in Social Research: An Introduction and Guide, Cam-
bridge (Mass), Polity Press, 1993 la p 121 ; Matthew B Miles et A Micheal Huberman,
Analyse des donnes qualitatives, 2e d, traduit par Martine Hlady Rispal, Bruxelles, De
Boeck, 2003 la p 482.

114 CQ : Cour du Qubec ; CS : Cour suprieure du Qubec.
115 Constituant les juges 1 8 tmoignant dans le prsent article.
116 Constituant les psychiatres 1 7 tmoignant dans le prsent article.
117 Constituant les juges 9 12 tmoignant dans le prsent article.
118 Les rencontres ont eu lieu lors des audiences pour autorisation de soins la Cour sup-

rieure.

576 (2012) 57:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

Type de donne

Donnes complmentaires
Type dinformateur119

Nombre

Entretien
Entretien
Entretien
Entretien
Entretien

Groupe de discussion

Juges CA
Psychiatres
Infirmier
Juge TAQ
Avocat
Avocats

2
3
1
1
1
3120

Tout au long de la collecte de donnes, puis de lanalyse121, nous avons
opt pour une posture qualitative et rflexive. Le contact avec nos infor-
mateurs a t loccasion de nous immerger dans leur contexte de travail,
de faire une exprience de nature culturelle 122. Dans cette perspective,
le chercheur et les informateurs, par une construction interperson-
nelle 123, jouent chacun un rle essentiel au regard de lmergence du sa-
voir et nous nous sommes efforce de prserver une haute valeur
lindpendance psychologique de chaque individu et au maintien de son
intgrit psychique 124. Notre dmarche danalyse est plus prcisment
celle de ltude de cas, soit une approche de recherche empirique qui
consiste enquter sur un phnomne, un vnement, un groupe ou un
ensemble dindividus, slectionn de faon non alatoire, afin den tirer
une description prcise et une interprtation qui dpasse ses bornes 125.
Cette mthode permet dtudier des phnomnes contemporains dans la
ralit o les frontires entre le phnomne et son contexte ne sont pas

119 CA : Cour dappel du Qubec ; TAQ : Tribunal administratif du Qubec.
120 Constituant les avocats 1 3 tmoignant dans le prsent article.
121 Nous avons analys nos donnes dentretien et dobservation laide du logiciel NVivo.
122 Anne Laperrire, Lobservation directe dans Benot Gauthier, dir, Recherche sociale :
De la problmatique la collecte des donnes, Qubec, Presses de lUniversit du Qu-
bec, 2009, 311 la p 315.

123 Lorraine Savoie-Zajc, Lentrevue semi-dirige dans Gauthier, supra note 122, 337

la p 339.

124 Carl Rogers, tel que cit dans Alain Blanchet et Anne Gotman, Lenqute et ses m-

thodes : Lentretien, 2e d, Paris, Armand Collin, 2007 la p 10.

125 Simon N Roy, Ltude de cas dans Gauthier, supra note 122, 199 aux pp 206-07.

LE REFUS DE SOINS PSYCHIATRIQUES 577

toujours claires et o il faut habituellement utiliser des sources multiples
dinformation et dvidence 126.

B. Les rsultats de recherche

Nous avons choisi de diviser nos rsultats de recherche en trois cat-
gories correspondant aux lments du cadre juridique qui nous semblent
les plus importants en matire de refus de soins psychiatriques. Nous
aborderons, dans un premier temps, les principes gnraux, puisque ceux-
ci, nous lavons vu, imposent une perspective donne sur le consentement
et le refus de soins (1). Puis nous exposerons nos rsultats de recherche
sur lautorisation de soins plus spcifiquement, soit linaptitude consen-
tir aux soins (2), puis la ncessit des soins (3).

1. Des principes gnraux le plus souvent inappliqus

Rappelons, en premier lieu, que le rle des tribunaux dans ces ma-
tires particulires est de protger les droits des dfendeurs. Cest
dailleurs ce quexprime clairement la Cour dappel du Qubec :

[L]e lgislateur a confi aux tribunaux la mission dautoriser les at-
teintes lintgrit d’une personne malgr son refus. Dans
laccomplissement de cette tche, le tribunal doit s’assurer du respect
que la loi accorde tout tre humain, y compris le majeur inapte qui
refuse les soins. Le lgislateur aurait pu assigner cette tche aux or-
ganismes issus du milieu mdical ou hospitalier ou encore une
commission administrative quelconque. Il a plutt opt pour un re-
cours aux tribunaux. Ce choix marque sa volont de faire primer le
droit lautonomie et lautodtermination de la personne sur
lapproche thique mdicale traditionnelle qui veut que tout soit mis
en uvre pour le bien-tre du patient127.

Pourtant, en entretien, aucun juge na affirm faire des droits de la

personne une priorit. Les informateurs identifient plutt soit le droit
la libert des individus de disposer deux-mmes tous gards 128, soit le
droit au refus de traitement129, comme tant la justification a priori de
laction du tribunal, sans pour autant tre au centre de leurs proccupa-
tions. Notons galement que tous ne sentendent pas sur les fondements
juridiques du rgime dautorisation de soins. Pour un informateur par

126 Gordon Mace et Franois Ptry, Guide dlaboration dun projet de recherche, Qubec,

Presses de lUniversit Laval, 2000 la p 80.

127 Qubec (Curateur public) c Centre de sant et de services sociaux de Laval, 2008 QCCA

833 au para 20, [2008] RDF 239.

128 Juges 2, 7.
129 Juges 4-6.

interprtation nie tout simplement

578 (2012) 57:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

exemple, il existe une tension entre le droit au consentement aux soins et
le droit de recevoir des soins130. Lautorisation de soins viserait dans cette
perspective mettre en uvre le droit de recevoir des soins du dfendeur,
favorisant une interprtation positive des dispositions sur lautorisation
de soins et, plus globalement, sur le droit lintgrit131. Pour un autre in-
formateur, cette
le droit
lautodtermination132.
Un seul informateur a fait rfrence aux principes jurisprudentiels en
matire de consentement aux soins133, ce qui nous semble rvlateur du
dcalage entre soins physiques et soins psychiatriques dont nous avons
parl prcdemment. Ce dcalage est encore renforc par linterprtation
et lapplication de la jurisprudence relative laptitude des patients psy-
chiatriques et le refus de soins plus gnralement. cet gard, labsence
de liens conceptuels clairs entre les principes gnraux et lautorisation de
soins rvle la structuration de deux logiques distinctes, comme si les d-
cisions dautorisation de soins taient prises en vase clos. Il sensuit que
linterprtation des principes gnraux semble bien souvent tributaire de
la comprhension et du sens donn lintervention judiciaire.
Deux lments inhrents semblent conditionner linterprtation du
droit applicable, soit une perspective ngative de la maladie mentale

130 Juge 2. Rappelons que le droit de recevoir des soins, bien que non justiciable en soi, est

prvu larticle 5 de la LSSSS, supra note 6.

131 Il est en effet possible de penser que le fait de ne pas bnficier des soins requis par
ltat de sant constitue une atteinte au droit lintgrit, surtout dans un contexte o
le droit la sant ne bnficie daucune reconnaissance formelle.

132 Juge 5 :

[T]u as le droit aux soins, mais tu as aussi le droit de ne pas recevoir de soins.
[…] Pour moi [le droit de recevoir des soins] ne reconnat pas la contrepartie,
cest que tu as le droit de ne pas en avoir. Ton droit, ce nest pas le droit aux
soins, cest le droit de consentir aux soins. Alors, pour moi, il a le droit de dire
non. Je ne pars pas du fait quil a le droit de dire oui. Je pars du fait quil a le
droit de dire non. […] Dabord la primaut de la volont de lindividu. Le droit
la vie prive. Le droit lintgrit physique, qui implique le droit de dire
non.
133 Juge 5 :

Cest la mme chose. […] Ce sont des pathologies. Pour moi, cest juste une
autre pathologie. Est-ce quon peut avoir une approche qui se ressemble ?
Puis pourtant on ne la pas. Parce quon accepte beaucoup plus facilement,
comme dans le cas de Nancy B, a on laccepte. […] Pourquoi, quand on
change de pathologie, on change de rgime ? a ne devrait pas. Cest pour a
que, moi, je ne le vois pas comme un droit aux soins. Oui tu as le droit den
avoir, mais tu as aussi le droit de ne pas en avoir. Puis partir du moment
o tu es devant moi, cest parce que tu as dit non. La question cest de savoir
si cest un vrai non. Convainquez-moi.

LE REFUS DE SOINS PSYCHIATRIQUES 579

plus particulirement sur la vulnrabilit et la relle capacit de prendre
des dcisions des personnes souffrant de maladie mentale134 et une d-
duction corolaire implicite quant laptitude relle des dfendeurs. Dans
ce cadre, le droit de refuser des soins est systmatiquement nglig, voire
oubli, en rupture avec la jurisprudence qubcoise depuis les annes
1980 en matire de refus de soins135. Nous avons constat que les droits de
la personne, et plus particulirement les droits de la personnalit, sont fa-
cilement carts au profit de la protection du dfendeur. cet gard, plu-
sieurs juges rencontrs ont clairement affirm la prpondrance de la re-
lation daide dans leur interaction avec le dfendeur136. Dans cette pers-
pective, le dfendeur est apprhend a priori comme ayant besoin de pro-
tection et la dcision judiciaire est conceptualise comme un substitut au
consentement du dfendeur, dans son meilleur intrt. Dans ce contexte,
les lments motifs sont centraux et la dcision est prise avec le
cur 137. De plus, certains juges ont tendance anticiper les cons-
quences de leurs dcisions long terme, se voyant investis dune respon-
sabilit morale envers les dfendeurs138. Ce contexte particulier laisse peu
de place lapplication de critres objectifs, comme celui de laptitude
consentir aux soins, et lautorisation de soins semble tre vue comme un
moindre mal ds lors que le dfendeur est peru comme vulnrable .

2. De laptitude consentir aux soins : un concept juridique ?

Dans le cadre des entretiens que nous avons mens, nous avons de-
mand aux juges de la Cour suprieure comment ils apprciaient
laptitude consentir aux soins des dfendeurs139. notre grande sur-
prise, la majorit a affirm ne pas savoir dfinir le concept dinaptitude.

134 Bernheim, Les dcisions, supra note 107 aux pp 394 et s.
135 Avant laffaire Nancy B, en effet, la Cour dappel avait dj affirm lautorit finale [du
majeur] daccepter ou de refuser un traitement mdical quon lui propose (Couture-
Jacquet, supra note 67 la p 1227).

136 Juges 1-2, 6-7, 10-12.
137 Juge 2.
138 Voir par ex juge 7 :

Parce que si cette personne-l peut vivre en harmonie avec ce qui est propos
pour son bien, et comprendre lintervention que souhaitent faire le mdecin
et les hpitaux, et adhrer ce processus-l, je pense que la suite va tre plus
facile. Parce que jessaie toujours de concevoir mon rle, dans ce domaine-l
comme dans dautres, comme ntant pas un rle qui se termine ma dci-
sion. Si je suis capable dajouter pour faire en sorte que cette dcision-l soit
viable, ventuellement, jessaie de le faire.

139 La question pose tait la suivante : Comment apprciez-vous laptitude consentir

aux soins ?

580 (2012) 57:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

Les rponses voquent de nombreux lments, comme la normalit140 ou
le danger141, et la majorit des informateurs tablit un lien a priori entre
la schizophrnie ou la psychose et linaptitude142. Seulement deux juges
ont nomm spontanment larrt Pinel, tout en admettant que linaptitude
est fluctuante 143 :

a devient une question de jugement, il ny en a pas dans la loi et je
ne sais pas cest quoi le critre non plus. a devrait tre quil ny a
pas dautres solutions. La personne est en danger144.
Cest l o on prend notre boule de cristal. Tu poses des questions
lindividu. Cest quand tu nas pas lindividu que cest compliqu
parce que tu es oblig de te faire une ide partir de ce que les psy-
chiatres pensent145.

Le dernier extrait soulve un lment central : le fait que le rapport
psychiatrique est dterminant dans lvaluation de linaptitude consen-
tir aux soins146, en dpit de lindtermination substantielle du concept
ou peut-tre en raison de cette indtermination147. En effet, daprs un in-

140 Juge 3 : Il y a des lments physiques lis a, il y a des lments lis la condition
physiologique, il y a la perception du rel, et de ce que la personne normale ferait dans
les mmes circonstances .

141 Juge 6 : Lhpital est convaincu que la personne doit tre soigne car elle est dange-
reuse pour elle-mme ou pour autrui ; Juge 5 : Tu as le droit dtre fou et libre, tu
nas juste pas le droit dtre dangereux . Juge 11 autorise des soins en rfrant explici-
tement la garde en tablissement ordonne par une juge de la Cour du Qubec la se-
maine prcdente. La consultation de la jurisprudence dmontre que la dangerosit est
un facteur parfois retenu au regard de laptitude consentir aux soins. Voir Centre hos-
pitalier Robert-Giffard c WK, 2008 QCCS 5501 (disponible sur QL) ; Centre hospitalier
universitaire de Sherbrooke Htel-Dieu c PM, 2008 QCCS 549 (disponible sur QL).
Contra Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke Htel-Dieu c GT, 2009 QCCS
4029 (disponible sur QL) ; Centre hospitalier Anna-Laberge c AT, 2004 CanLII 31651
(disponible sur WL Can) (Qc CS). Dans Pinel, pourtant, la Cour dappel avait cart
largument selon lequel il sagit dun lment considrer dans lvaluation de
laptitude (Pinel, supra note 82 la p 2536).

142 Juges 3-5, 8. Pour le juge 6, bien quil affirme ne pas tablir ce lien, il prcise que les

cas de schizophrnie sont plus lourds .

143 Juge 5.
144 Juge 4.
145 Juge 5.
146 La Cour dappel a rappel plusieurs fois que les juges dinstance ne sont pas lis par la
preuve mdicale, mais doivent imprativement expliquer d’une part, les motifs pour
lesquels [ils] rejette[nt] la preuve dexpert et, d’autre part, ceux pour lesquels [ils ont]
considr valides les raisons donnes par l’intim au soutien de son refus de traite-
ment : Centre hospitalier de l’Universit de Montral (CHUM) Hpital Notre-Dame
c GC, 2010 QCCA 293 au para 6 (disponible sur QL).

147 Dans la mesure o le rapport psychiatrique doit brosser un tableau, non seulement de
laptitude du dfendeur, mais galement de ses besoins cliniques, il deviendrait en

LE REFUS DE SOINS PSYCHIATRIQUES 581

formateur, les juges nont pas la science qui permet dvaluer la capacit
consentir 148. De sorte que, dans cette valuation, le point de dpart est
lopinion du mdecin, qui semble bien souvent servir de lorgnette tra-
vers laquelle la situation du dfendeur sera comprise et interprte149.
Soulignons galement que le droulement classique de laudience veut que
le demandeur prsente sa preuve en premier notamment par le tmoi-
gnage du psychiatre ce qui impose demble une perspective sur la con-
dition du dfendeur150.
Malgr labsence de discours structur sur lvaluation de laptitude
consentir, nous avons pu, travers nos entretiens et nos observations, re-
censer plusieurs lments rcurrents. Soulignons dabord que la connais-
sance et lapplication de la jurisprudence applicable sont ingales. Nous
avons pu constater en entretien que certains juges ne connaissaient pas
laffaire Starson151. Ceux qui la connaissaient ont affirm que Starson et
Pinel peuvent faire lobjet dune application conjointe, mais que les cri-
tres applicables restent ceux de Pinel152. De mme, un informateur af-
firme qu on se sert peu de Starson , mais que la dcision a servi rap-
peler que le principe est lautonomie en toute situation 153. Pour un
autre informateur, Starson reste un cas exceptionnel, puisque le dfen-
deur tait professeur duniversit. Il affirme dailleurs qu on na pas des
cas comme a 154. Les informateurs les plus concerns par les droits de la

quelque sorte ce que Danielle Blondeau et ric Gagnon appellent un verdict anticip
(Blondeau et Gagnon, supra note 73 la p 661).

148 Juge 6. Juge 7 : Je me fie beaucoup ce que le mdecin dit. Alors je cherche beaucoup
un diagnostic mdical pour mamener prendre une dcision juridique quant
linaptitude consentir . Certaines dcisions semblent aller dans le mme sens : Insti-
tut universitaire en sant mentale du Qubec c CL, 2009 QCCS 5354 au para 28 (dispo-
nible sur QL) [CL] ( Le Tribunal doit dabord mentionner qu’il n’est pas un expert m-
dical ). Voir aussi Centre de sant et de services sociaux de Rivire-du-Loup c CA, 2009
QCCS 426 (disponible sur QL) ; Centre de sant et de services sociaux de Beauce Ser-
vices hospitaliers c JP, 2008 QCCS 3611 (disponible sur CanLII).

149 Juge 1.
150 Voir par ex juge 3 :

Deux choses : premirement, la preuve de lexpert. Au vu de la preuve
dexpert, tant le rapport que le tmoignage, le compte-rendu du dossier mdi-
cal dans la mesure o il est produit. Puis, videmment, le tmoignage de la
personne elle-mme. […] Alors le patient ou la personne vise, vous lui parlez
en termes de diagnostic, mais il faut bien quon lui parle de sa condition. Et
de ce pourquoi il est l. Je veux dire, linaptitude, mon sens, ce nest pas
une affaire mathmatique.

151 Juges 7-8.
152 Juges 1-2, 6.
153 Juge 6.
154 Juge 1.

582 (2012) 57:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

personne ont gnralement affirm que la dcision de la Cour suprme
navait fait que les conforter dans leur manire de fonctionner155. De faon
gnrale, tous les juges ont confirm que la dcision Starson navait pas
chang leur manire de prendre leur dcision en matire dautorisation de
soins156.
En salle daudience, nous avons constat que la jurisprudence est g-
nralement peu plaide et que, conformment ce que rvle ltude des
jugements, sur les cinq critres de Pinel censs dmontrer linaptitude
consentir aux soins, seulement deux sont rellement appliqus : il sagit
du dni et de lincidence de la maladie sur la capacit consentir, qui sont
souvent indissociables dans la dmonstration. Dans certains cas, le rap-
port psychiatrique fait tat dune maladie dont une des caractristiques
est le manque dautocritique et, lorsque le dfendeur ne reconnat pas sa
maladie telle que dcrite par le psychiatre, il ne fait que dmontrer quel
point il est atteint. Le dni du diagnostic psychiatrique sert alors directe-
ment de confirmation de ce mme diagnostic157 :

Quand on est en prsence de gens dont on est vraiment convaincu
que cette problmatique-l existe et que ces gens-l vous disent :
Non je ne suis pas malade. Non, je nai pas besoin . Comment on
fait pour dire : Est-ce quil est capable de consentir ? […] Et l, a
nous place devant le dni. Bien, le dni, videmment, a peut tre le
droit de choisir quelque chose dautre. Jessaie de massurer que cest
vraiment enlign pour produire les rsultats que je pense souhai-
tables, pour le patient. Javoue que le comportement, la crdibilit du
psychiatre deviennent trs importants et quand on sent que ce sont
des gens et puis a se sent impliqus avec leurs patients, ca-
ring, des gens qui ne se prennent pas pour le bon Dieu, mais qui ont
vraiment un lien affectif avec leur patient. On est plus port les
couter158.
Prenez par exemple en schizophrnie, cest classique, dans tous les
rapports vous allez voir que la personne elle-mme napprcie pas sa
condition. Et a, il suffit de faire tmoigner la personne, cest clair.
Ils ne comprennent pas… en fait, ils sont en dni. Et cest une ques-
tion de crdibilit aussi. videmment, au dpart, je tiens pour acquis
que lexpert, qui est souvent psychiatre, ne ment pas. Il a cur le
suivi de cette personne-l159.

155 Juges 4-5.
156 Nous avons pos la question directement : Est-ce que la dcision Starson a influenc

votre manire de rendre jugement ?

157 Par exemple, le juge 11 conclut que le dfendeur ne se reconnat pas de maladie men-

tale malgr lavis des experts .

158 Juge 4.
159 Juge 3.

LE REFUS DE SOINS PSYCHIATRIQUES 583

Ces extraits laissent penser que, non seulement le dni de la maladie
est considr comme un facteur dmontrant linaptitude consentir aux
soins, mais galement que, dans cette perspective, le tribunal se cantonne
vrifier si un diagnostic a bel et bien t pos. Le rle du psychiatre est
donc central cette tape de lvaluation, non en tant quexpert, mais en
tant que mdecin traitant. En tant quexpert160, le psychiatre fournit les
informations objectives de limpact de la maladie sur la capacit consen-
tir, mais cest en tant que mdecin traitant que son dvouement lgard
du dfendeur sexprime. Ce dvouement semble curieusement constituer
une preuve supplmentaire de sa crdibilit161. ce sujet, un informateur
affirme quil recherche constamment ce grand souci du professionnel de
la sant 162. Ici, lexercice fait par les informateurs semble tre celui de
contrler lexistence de cette attention bienveillante pour se convaincre du
bien-fond de la requte. Ultimement, bien que nous ne puissions pas le
vrifier empiriquement, cette logique dcisionnelle pourrait mener cer-
tains juges ne pas interroger rellement laptitude des dfendeurs, pour
se reposer seulement sur le dvouement de leur mdecin traitant.
lappui de cette interprtation, soulignons le fait quun seul juge a
nomm expressment les critres se rapportant la comprhension du
traitement, ses risques et ses bnfices et aux consquences poten-
tielles du refus de traitement163. Cette constatation est confirme par nos
observations, ainsi que par les tmoignages davocats rencontrs en
groupe de discussion qui rapportent que les juges passent les cinq cri-
tres tellement vite 164. Pour deux de ces avocats, les juges tiennent pour
acquis que les dfendeurs ne comprennent rien 165. Nos observations ne
nous permettent pas de tirer une conclusion aussi catgorique.
Cependant, nous avons constat entre les juges une diffrence impor-
tante quant la rception de la preuve dinaptitude exige par la cour. De
manire gnrale, les psychiatres tmoignent spontanment sur le dni,

160 De la maladie mentale et non en tant quexpert judiciaire, puisque, dans le cadre de
lautorisation de soins, les psychiatres ne font pas office dexperts nomms par le tribu-
nal, mais plutt de tiers experts qui agissent titre de conseillers du tribunal :
Louise Rolland, Les tiers, vecteurs du rseau social : Les personnes et les biens dans le
Code civil du Qubec (2006) 40 RJT 75 la p 97.

161 Voir Nicolas Dodier, Lexpertise mdicale : Essai de sociologie sur lexercice du jugement,

Paris, Mtaili, 1993.

162 Juge 7.
163 Juge 8.
164 Avocats 1-2.
165 Ibid. Juge 3 : Je demande toujours lexpert de mexpliquer de quoi il sagit. Mme si
jai un rapport. Donnez-moi le contenu de votre rapport, pour la raison simple que la
personne lentende. La personne a le droit de lire le rapport, elle la peut-tre lu, mais
quest-ce quelle a compris ?

584 (2012) 57:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

labsence dautocritique en raison de la maladie et, plus rarement, sur les
risques de ne pas recevoir de traitement. Sur les quatre juges observs en
cour, un seul posait lui-mme des questions lies la comprhension du
traitement par le dfendeur, de ses risques et bnfices et des risques de
ne pas recevoir ce traitement. Les trois autres juges se contentaient de la
preuve telle quelle tait prsente par lhpital. deux reprises, il ny eut
aucune dmonstration de linaptitude. Dans le premier cas, le dfendeur,
schizophrne et dficient intellectuel, tait sous curatelle publique, alors
que, dans le second, la dfenderesse tait absente mais reprsente166.
Concernant le premier cas, rappelons quaucune condition prexistante,
telle la curatelle, nentrane de conclusions au regard de laptitude du d-
fendeur de consentir aux soins. Quant la dfenderesse absente, le juge
sest content de demander si cette dernire comprenait la dmarche en-
treprise par lhpital. Le psychiatre a dclar ne pas avoir obtenu de r-
ponse claire de cette dernire ce sujet167.
Dans les faits, cette tape de lvaluation, la discussion porte princi-
palement sur le dni du dfendeur, sur limpact de la maladie sur son ap-
titude consentir, sur les raisons de son refus de traitement, sur ses choix
personnels, ainsi que sur son mode de vie. Le psychiatre est le principal
tmoin, mme lorsque le dfendeur est prsent. Bien souvent, en effet, ce
dernier assiste linterrogatoire du psychiatre sans pouvoir intervenir, et
son avis ne sera sollicit quen second lieu, le plus souvent sur des points
prcis. Un juge rencontr en entretien explique pourquoi la question de la
vie personnelle du dfendeur est importante :

coutez, si dans le dossier, jai un diagnostic qui est tabli dans le
rapport du psychiatre, de schizophrnie avec ses consquences, des
gens qui sont devenus dysfonctionnels dans la socit, cest clair que
pour moi a cest… Je sais que la Cour suprme ne pense pas a,
mais si jai quelquun qui ne fonctionne pas dans la socit, puis qui
narrive pas sinsrer dans la socit et qui a gnralement un
comportement dysfonctionnel, a, pour moi, cest quelquun qui est
inapte gouverner sa vie. Il a besoin daide. Il va falloir quon laide.
Il ne russira pas prendre sa vie en main. Et je ne dis pas quon
doit tous fonctionner de la mme faon, loin de l. Je suis le premier
pour la libert des gens. Les gens organisent bien leur vie comme ils
lentendent168.

Cette dclaration est surprenante dans la mesure o elle laisse en-
tendre que lautorisation de soins est un moyen de rinsertion sociale. Il
semblerait quun glissement conceptuel de linaptitude consentir aux
soins vers le comportement dysfonctionnel ou problmatique permette

166 Juges 11-12.
167 Juge 12.
168 Juge 3.

LE REFUS DE SOINS PSYCHIATRIQUES 585

lintervention judiciaire et mdicale dans le meilleur intrt des personnes
concernes ltape de lvaluation de laptitude consentir aux soins169.
Or, les fondements de ce type dintervention sont extrmement problma-
tiques, la fois sur les plans lgal et mdical, entre autres parce quils
sous-tendent une apprciation subjective voire morale du dysfonc-
tionnement, voire de la normalit170, mais galement du meilleur intrt.
Quelle est la limite entre le normal et lanormal, lacceptable et
linacceptable ? quel moment considre-t-on un comportement comme
problmatique, dysfonctionnel, dviant ? Comment sassurer que, dans un
cas prcis, les interventions de type mdical sont celles qui conviennent ?
cet gard, soulignons de plus quassocier meilleur intrt et traitement
permet difficilement de tenir compte des volonts de la personne concer-
ne, comme est pourtant tenu de le faire le tribunal171. Nous tablissons
un lien entre cette conception de lautorisation de soins, paternaliste, et la
dynamique de relation daide qui caractrise parfois lintervention judi-
ciaire172.
propos des soins demands, rappelons que le juge doit mettre en ba-
lance les risques et les bnfices attendus, et que les premiers ne doivent
pas tre plus importants que les seconds. Dans cette perspective, le meil-
leur intrt du dfendeur, qui doit tre la seule proccupation ce stade
du processus, commande de favoriser lintervention la moins invasive pos-
sible.

3. De la ncessit des soins : la chasse garde de lexpert

Interrogs sur les critres appliquer pour autoriser des soins, les
juges rencontrs en entretien ont peu dvelopp sur la question de la n-
cessit des soins. Tout au plus ont-ils mentionn qu une fois quon a d-
termin que la personne na pas la capacit ncessaire, aprs a, cest de
valider que ce quon nous demande est ncessaire aussi 173. Un seul in-
formateur explique, bien que brivement, les critres respecter cette
tape du processus :

169 Voir Katherine Brown et Erin Murphy, Falling Through the Cracks: The Quebec

Mental Health System (2000) 45 : 4 RD McGill 1037.

170 Voir Emmanuelle Bernheim, De lexistence dune norme de lanormal. Porte et valeur
de la recherche empirique au regard du droit vivant : une contribution la sociologie du
droit (2011) 52 : 3-4 C de D 461.

171 cet gard, certaines dcisions laissent entendre quen labsence de contre-expertise,
les prtentions du dfendeur ne pourront tre retenues : voir par ex CL, supra note 148.
172 Nous pourrions galement discuter de la mdicalisation voire de la psychiatrisation

du social qui nous semble luvre ici.

173 Juge 5.

586 (2012) 57:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

Dans quelle mesure le plan de traitement choisi va amliorer la con-
dition du patient, quels sont les effets secondaires, quelle est la du-
re de tout a. Et moi, ce qui est trs important aussi, cest de vri-
fier au bout de deux ans, il va tre o, ce patient-l ? Est-ce quil va
tre guri ? Et puis, des fois, on ma rpondu : Ah non ! Dans deux
ans, on va revenir, on va recommencer . Et puis, il faut quon d-
montre que si on nintervient pas, cette personne-l va vraiment d-
prir dune faon qui lui est nuisible pour sa sant174.

En entretien, plusieurs juges ont affirm se fier aux psychiatres
quant au traitement adquat175. De la mme faon, si les juges en au-
dience questionnent les psychiatres sur les effets secondaires, voire la
toxicit, du traitement propos et sur les moyens pris pour contrer ces ef-
fets, ils ne refusent pas pour autant daccorder le traitement demand176,
mme dans le cas de traitements particulirement invasifs177. Ils se ser-
vent
soumis par
ltablissement demandeur, mme lorsquils sont peu prcis179. Plusieurs

projets dordonnance 178

rgulirement des

174 Juge 8.
175 Juges 1-2, 5-8.
176 Juges 9-12.
177 Par exemple, les lectrochocs (juge 11).
178 Une diffrence conceptuelle importante existe pourtant entre ordonnance et autorisa-
tion. Alors quune ordonnance est une dcision manant dun juge , une autorisation
constitue une permission pour la partie demanderesse daccomplir un acte juridique
que celle-ci ne pourrait normalement faire seule : Grard Cornu, dir, Vocabulaire juri-
dique, 7e d, Paris, Presses Universitaires de France, Quadrige, 2005 aux pp 94, 628.

179 Pourtant, le juge ne peut dlguer ses pouvoirs aux autorits mdicales ou leur donner
un blanc-seing que celles-ci pourraient utiliser volont (JR c Centre hospitalier de
lUniversit de Montral, 2009 QCCA 480 au para 14 [disponible sur CanLII]) et il doit
tre extrmement prcis quant aux traitements permis, leur frquence et la dure
de lautorisation : voir Qubec (Curateur public) c Institut Philippe-Pinel de Montral,
2008 QCCA 286 au para 24, [2008] RDF 34. Cependant, ce nest manifestement pas
toujours le cas. Voir Centre de sant et de services sociaux de Sept-les c JL, 2010 QCCS
6395 aux para 14, 16-17 (disponible sur CanLII) :

Pour ces motifs, le tribunal : […]
Autorise le demandeur, le Centre de sant et de services sociaux de Sept-les
ou tout autre tablissement de sant, pour une priode de cinq (5) ans
compter du prsent jugement, traiter le dfendeur contre son gr, lors dun
refus catgorique et ce, en recourant tout moyen pour se faire, y compris la
force juge ncessaire selon la formule suivante, savoir :

administrer au dfendeur toute mdication ncessaire au traitement de
sa condition psychiatrique et physique, juge pertinente sa stabilisation et
utilise de faon rgulire et en urgence, par voie orale, intramusculaire ou
intraveineuse, lesdits traitements pour une priode de cinq (5) ans, savoir :
a)
ladministration de mdicaments antipsychotiques, typiques ou aty-
piques ;

LE REFUS DE SOINS PSYCHIATRIQUES 587

affirment tre conforts par le fait que la mdication a t essaye avec
succs par le pass. Ainsi, le questionnement ne porte pas tant sur la n-
cessit du traitement, mais plutt sur ses rsultats attendus :

La chose que je demande aux mdecins cest : Avez-vous dj en-
trepris le traitement ? Cest une faon de vrifier si le plan propos
a des chances de succs. Si on na jamais pu entreprendre quoi que
ce soit, a membte encore plus que si on la entrepris et que a a
montr un certain rsultat, et l on a besoin dune autorisation parce
que pour toutes sortes de raisons le patient refuse de continuer. […]
Si on na jamais essay a me cause beaucoup dangoisse. On essaie
de questionner davantage : Pourquoi vous pensez que celui-l cest
le bon ? Ils vont me parler de la littrature scientifique180.

Le mme informateur explique ainsi sa position :

ladministration de mdicaments dappoint tels les antiparkinsoniens,

b)
les anxiolytiques, les hypnotiques et les stabilisateurs de lhumeur ;
c) des examens de laboratoire de routine comprenant les bilans, prises de
sang, analyses durine, ainsi qulectrocardiogrammes, lectroencphalo-
grammes, imageries crbrales, ncessaires au suivi adquat de patients re-
cevant de tels mdicaments, afin dajuster le dosage de la mdication, den
monitorer les effets indsirables, et afin de vrifier la concentration sanguine
de sa mdication, si indiqu ;
d) ainsi que lutilisation de traitements dlectroconvulsothrapie en srie
pour un nombre de 8 12 en uni ou bilatral, ou en traitement dentretien,
pouvant varier de lquivalent dun traitement par semaine jusqu un trai-
tement tous les trois (3) mois, et ce, de faon espace selon ltat clinique du
dfendeur. Le traitement en est un de dernire ligne dans le cas o la mdi-
cation ne serait pas efficace ou si ltat de dsorganisation du dfendeur ve-
nait comporter un risque pour sa vie ;

assurer le suivi mdical et psychosocial appropri par des membres
dune quipe multidisciplinaire compose de travailleurs sociaux, infirmires,
omnipraticiens et psychiatres ;
Autorise le demandeur ou tout autre tablissement de sant procder aux
examens et aux investigations mdicales ncessaires et requis par la condi-
tion psychiatrique et physique du dfendeur, et ce, afin de contrler
lensemble des paramtres biologiques du dfendeur, incluant le taux san-
guin de certains mdicaments faisant partie du traitement propos […].

Voir aussi Centre de sant et de services sociaux des les c JM, 2010 QCCS 2129 au para
19 (disponible sur CanLII) :

Autorise le demandeur, son personnel, ses professionnels ou tout autre ta-
blissement constitu suivant la Loi sur la sant et les services sociaux choisi
par le demandeur, traiter le dfendeur contre son gr, et ce, en rapport avec
les maladies dont il souffre, soit une schizophrnie paranode avec traits de
personnalit narcissiques, l’obsit, le diabte insulinotrait, lhypertension
artrielle, une maladie cardiaque athrosclrotique, la dyslipidmie, lapne
du sommeil, lathrosclrose multi-tage ainsi quun ulcus bulbaire, nonobs-
tant le refus de celui-ci […].

180 Juge 8.

588 (2012) 57:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

Cest un chque en blanc. Oui. Mais quand on signe un chque en
blanc pour les traitements, il faut quand mme quon ait limpression
que sans cette mdication-l la personne va tre vraiment pire. Il
faut galement quon ait limpression quavec la mdication, non seu-
lement elle risque dtre stabilise, mais quelle va samliorer et que
sa qualit de vie risque de samliorer. Si on nest pas convaincu, on
a vraiment un problme181.

Il sensuit que lvaluation du besoin de traitement se cantonne bien
souvent ce qui pourrait arriver si le dfendeur ntait pas trait182. En
mme temps, daprs les dires de certains informateurs, les raisons du re-
fus de soins des dfendeurs peuvent servir confirmer le besoin de trai-
tement. Partant, la sparation entre valuation de linaptitude, dune
part, et valuation des besoins effectifs de soins, dautre part, semble tre
poreuse. En effet, des raisons juges drisoires constitueraient une d-
monstration de linaptitude et donc du besoin de soins183.

Paradoxalement, malgr le fait quils aient conclu au pralable
linaptitude du dfendeur, plusieurs informateurs rapportent tenter
dobtenir le consentement de ce dernier184. Dans cette qute du consente-

181 Ibid.
182 Or ce genre de prdiction est pratiquement impossible. En rponse aux questions du
juge sur les consquences d’une absence de traitement pour le dfendeur, un psychiatre
a rpondu : Je ne peux pas le savoir. Je suis comptent mais je ne suis pas devin
(Juge 11). Psychiatre 4 :

Alors, la psychiatrie, maintenant, est vcue comme une espce de radiogra-
phie de lme du patient, et si le patient a t vu par un psychiatre, tout le
systme, tout la fois les familles, mais le systme psychiatrique et le sys-
tme lgal, fait que cest absolument sr, ce gars-l ne se suicidera pas, celui-
l ne fera pas telle chose, celui-l va faire a. Et au psychiatre davoir lodieux
de cette norme responsabilit, cest–dire en 35 minutes, de prvoir quest-
ce qui va se passer dans la vie des gens.

De plus, il faut garder en tte que la psychiatrie nest pas une science exacte et que
lvaluation du psychiatre est subjective. Psychiatre 5 :

Cest–dire que, vous et moi, qui sommes normaux, entre guillemets, si vous
faites le silence, si vous vous assoyez en silence, vous mditez, par exemple,
un des dfis auxquels tous les gens qui font de la mditation sont confronts,
cest les penses qui narrtent pas dans la tte. a narrte pas. Cest comme
une espce de discours intrieur, constant, constant, constant. Comment, sur
la base de quoi, on va dcider que tel discours intrieur est psychotique ou ne
lest pas ? Cest trs, trs subjectif. […] Moi-mme comme individu, est-ce que,
certains moments, je frle cette zone o on perd contact avec une certaine
ralit ? Donc a, cest toute la notion de subjectivit.

183 Voir par ex juge 8 : Et cest de questionner le patient : Pourquoi vous refusez a ? Et

des fois des choses aussi btes que : Je ne veux pas grossir .

184 Voir par ex juge 7 :

partir de l, je vois, et je dois comprendre galement dans ses fins dtails,
quels sont les traitements qui sont recommands, avec toutes les compo-

LE REFUS DE SOINS PSYCHIATRIQUES 589

ment du dfendeur, plusieurs informateurs expliquent tenter dabord de
cerner la raison du refus de traitement, qui rside le plus souvent dans les
effets secondaires. Puis, ils peuvent amnager lautorisation de soins en
fonction des craintes exprimes par le dfendeur, voire entriner un con-
sentement obtenu expressment. Soulignons le paradoxe qui consiste
solliciter et considrer comme valable le consentement aux soins dun
dfendeur dont linaptitude consentir aux soins a t dmontre.
Ces constats soulvent plusieurs interrogations. Dabord, dans un con-
texte o ltablissement demandeur produit la fois la preuve de
linaptitude consentir aux soins et celle de la ncessit des traitements
requis par ltat de sant, comment le tribunal peut-il prendre le recul n-
cessaire la prise de dcision dans le meilleur intrt du dfendeur185 ?
Ensuite, et cest la question qui nous intresse plus particulirement,
quels sont les impacts dun tel processus judiciaire sur leffectivit du droit
de refuser des soins pour les patients psychiatriques ?

Conclusion : de la citoyennet et du droit au refus de soins
Nous avons vu en introduction et dans la premire partie de cet article
que linviolabilit de la personne est fondamentale au regard du droit civil
qubcois et que son actualisation procde notamment du consentement
aux soins. Le consentement lment central des points de vue juri-
dique, dontologique ou thique en tant que processus rciproque
dchanges, est la pierre angulaire du rapport mdecin-patient. Il permet
ou il assure la possibilit dexpression des opinions et des volonts,
son postulat tant que tous sont rputs aptes faire des choix concer-
nant leur corps et leur sant. A priori, aucun tat physiologique, psycho-
logique ou psychiatrique na dincidence sur laptitude consentir aux
soins.
Au-del de la protection des droits lintgrit et linviolabilit, la
possibilit de faire des choix thrapeutiques, lobligation de recueillir le
consentement et, le cas chant, de respecter le refus de soins, dnotent la
centralit de la volont individuelle au regard de la personnalit juri-

santes de posologie, de dure, dintervention, etc., et de nouveau jessaie
dvaluer, avec la personne qui vit avec cette maladie mentale, la meilleure
faon de lamener consentir. videmment si on en vient la conclusion que
les soins sont appropris. Et cest l que je considre que la relation daide
peut tre importante.

La jurisprudence dmontre parfois une tentative de concilier les points de vue des par-
ties : Hpital Maisonneuve-Rosemont c RD, 2009 QCCS 5252 (disponible sur CanLII).

185 Cest dans ce cadre que le juge est captif de la preuve psychiatrique : Bernheim,

Perspective Luhmannienne , supra note 106.

590 (2012) 57:3 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL

dique. Dailleurs le fait que, mme dans le cas dune inaptitude dmon-
tre, les volonts individuelles doivent tre au moins prises en compte, au
mieux respectes, dmontre limportance accorde lautodtermination.
Selon ces prmisses, lexercice des droits ne peut tre que minimalement
restreint.
Soulignons cependant plusieurs difficults conceptuelles lies la

mise en uvre du refus de soins. Nous pourrions classer ces difficults en
deux catgories. La premire catgorie concerne les postulats qui sous-
tendent les principes gnraux et qui placent les individus en position de
responsabilit, tant lgard de leur sant que de la revendication de
leurs droits. Ces postulats, sils ont
lavantage de promouvoir
lmancipation des populations dj privilgies186, constituent bien sou-
vent des obstacles pour les personnes vises187. La seconde catgorie se
rapporte aux paramtres actuels du refus de soins et de lautorisation de
soins tels que nous les avons tudis dans cet article. En effet, les critres
lgaux et la procdure judiciaire comme dans le cas des principes gn-
raux bien que mis en place pour protger les droits des patients, sem-
blent avoir parfois leffet inverse188. Soulignons que la teneur de ces diffi-
cults conceptuelles rsulte non pas des textes lgislatifs eux-mmes,
mais plutt de linterprtation et de lapplication qui en est faite.
Daprs Lajoie, Molinari et Auby, il existerait une obligation la san-
t qui supposerait dune part que lindividu est responsable de son tat
de sant et que, dautre part, il a le devoir, non seulement moral, mais
galement juridique, de prserver et de rtablir sa sant 189. Le fait de
conceptualiser les dcisions de traitement comme dnotant une responsa-
bilit individuelle est particulirement problmatique sur le plan juri-
dique. Dans un premier temps, il a pour effet de neutraliser la vritable
possibilit de refuser des soins : une fois inform des consquences poten-
tielles ou du risque de ne pas se soigner, le choix dassumer ce risque
mme sil est possible juridiquement deviendrait une manifestation
dirresponsabilit. Dans un second temps, les interventions de protection,
comme le consentement substitu ou lautorisation de soins, ne peuvent
pas dans ce contexte tre conceptualises comme positives soit en fa-
veur dun individu tant plutt conues comme des transferts de res-

186 Alain Supiot, Lesprit de Philadelphie : la justice sociale face au march global, Paris,

Seuil, 2010 la p 51.

187 Philippe Warin, Une approche de la pauvret par le non-recours aux droits sociaux

(2009) 61 Lien social et Politiques 137.

188 Voir Christine Vzina et Emmanuelle Bernheim, Risques de sant et populations
marginalises : rflexion interdisciplinaire sur la centralit des droits de la personne
dans le statut citoyen (2009-10) 40 RDUS 1.

189 Lajoie, Molinari et Auby, supra note 38 la p 288.

LE REFUS DE SOINS PSYCHIATRIQUES 591

ponsabilits. Il ne sagirait plus dinaptitude consentir aux soins, mais
bien dinaptitude prendre ses responsabilits en matire de sant, ce qui
est fort diffrent.
En outre, linterprtation restrictive du droit lintgrit en tant
que libert de dcision et daction par rapport son propre corps, et plus
particulirement en matire de soins rduit dramatiquement son
champ dapplication. En plus du problme dj voqu du fondement pa-
radigmatique des interventions de protection, cette interprtation restric-
tive permet en pratique, nous lavons vu, une lecture morale des situa-
tions de soins. Nous postulons que, si le droit lintgrit tait au con-
traire interprt comme le droit la protection de son intgrit, et no-
tamment, lorsque ncessaire, par le biais des soins, les interventions de
protection seraient conceptualises comme des processus de mise en
uvre des droits. Dans cette perspective, le droit lintgrit deviendrait
un droit collectif, puisquil ne se conceptualiserait plus ponctuellement,
dans le rapport entre le mdecin et le patient, mais plutt globalement, en
tant que bien commun. Le droit lintgrit engloberait ainsi le droit de
recevoir des soins, et mme le droit la sant, ce qui nous semble plus
conforme avec la finalit mme des interventions de protection et, plus
particulirement, du rgime dautorisation de soins.
Au sujet de lautorisation de soins, rappelons que lintervention judi-
ciaire vise la protection des droits linviolabilit et lautodtermination.
Cependant, ce rle pratique du tribunal se double dun rle symbolique
particulirement important au regard du principe dgalit. En effet,
linstance judiciaire, en tant que moment citoyen, constitue la matrialisa-
tion du statut citoyen et de la non-altrit de la personnalit juridique, en
dpit des mesures de protection. Il sagit ici de garantir tous citoyens, y
compris les personnes inaptes au regard de leur inviolabilit et de leur
autodtermination, le droit une audition impartiale190. Ces deux rles
judiciaires, pratiques et symboliques, sont troitement imbriqus lun
dans lautre dans la mesure o tant la protection des droits que la mise en
uvre du moment citoyen sont essentielles lactualisation de lgalit.

Les rsultats de notre recherche nous autorisent cependant, en raison
des paramtres lgaux, questionner la possibilit pour les tribunaux de
sassurer de la protection des droits des dfendeurs. Quant au critre
dinaptitude consentir aux soins, soulignons le caractre fluide et in-
constant de la ralit que lon vise ainsi objectiver191. Ltre humain, en
effet, en perptuelle construction, na jamais fini de changer. Or, les cri-

190 Charte qubcoise, supra note 42, art 23.
191 Voir Patrick Pharo, Phnomnologie du lien civil : Sens et lgitimit, Paris,

LHarmattan, 1992 la p 119.

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tres objectifs ncessaires lactivit judiciaire192 laissent penser le
contraire. Alors que la logique clinique serait de faire la diffrence entre
lacte, la pense et la parole pour faire des choix au cas par cas193, les cri-
tres objectifs tendent au contraire figer les situations et les personnes.
Selon la thorie dworkinienne de linterprtation, le flou des concepts
place invariablement linterprte juridique devant un cas difficile
trancher. En effet, si le cas facile peut tre rsolu par linterprtation et
lapplication stricte du droit, la solution simposant delle-mme, le cas dif-
ficile, en revanche, exige que linterprte cherche une solution en
sinspirant des principes gnraux qui fondent la cohrence du systme
juridique194. Or, dans le cas que nous avons tudi, o les concepts juri-
diques sattachent la catgorisation des comportements humains, no-
tamment par lintervention dexperts195, le droit est pratiquement inutile.
Cest donc bien lextrieur du droit que linterprte cherche le sens at-
tribuer aux concepts, ventuellement par lapplication de principes mo-
raux ou paternalistes.

La dpendance lexpert est encore plus vidente au regard de
lvaluation de la ncessit des soins. Rappelons que ltablissement de-
mandeur est le seul produire une preuve de nature mdicale et que le
mdecin concern est le mdecin traitant. Nous avons vu que les tribu-
naux hsitent souvent rejeter une preuve mdicale uniquement sur la
foi du tmoignage du dfendeur et quune certaine jurisprudence laisse
mme entendre quen labsence de contre-expertise, les prtentions du d-
fendeur ne pourront tre retenues. Dans les faits, la faiblesse de la preuve,
notamment au soutien de la position du dfendeur, permet difficilement aux
juges de se dissocier de la preuve mdicale196. Dans ce cadre, le tribunal ne
devient plus que le lieu de lexpression de toutes les opinions dun point de
vue formel197 et non plus le lieu de la dcision.

192 Noreau, Droit prventif, supra note 31 aux pp 50-51.
193 Voir Bernheim, Les dcisions, supra note 107 aux pp 712-13.
194 Voir Ronald Dworkin, La thorie du droit comme interprtation (1985) 1 Droit et so-
cit 81 la p 83 ; Ronald Dworkin, LEmpire du droit, traduit par Elisabeth Soubrenie,
Paris, Presses Universitaires de France, 1994.

195 Pour Franois Ost, lintervention de lexpert devient ncessaire lorsque le droit fait d-
pendre la solution de faits : Franois Ost, Dire le droit, faire justice, Bruxelles, Bruylant,
2007 la p 18.

196 Mme si la preuve profane seule peut permettre au juge daffirmer son indpendance
par rapport la preuve scientifique : Lara Khoury, Lincertitude scientifique en ma-
tire civile et la preuve dexpert dans Pierre Patenaude, dir, Linteraction entre le droit
et les sciences exprimentales : La preuve dexpertise, Sherbrooke, ditions Revue de
Droit de lUniversit de Sherbrooke, 2001, 45 la p 65.

197 Dans la mesure o tous ont droit de parole de manire gale.

LE REFUS DE SOINS PSYCHIATRIQUES 593

Il semble vident quen matire dautorisation de soins, le cadre juri-
dique actuel choue assurer la protection des droits des dfendeurs.
Tant les critres retenus pour dmontrer linaptitude consentir aux
soins, la nature de la preuve notamment sur la ncessit des soins et
la procdure elle-mme198 posent problme. Les consquences sont donc
dramatiques, la fois sur le plan pratique par rapport la mise en
uvre des droits des dfendeurs dans leurs cas particuliers et sur le
plan symbolique par rapport au groupe vis puisque linstance se
voit vide de son sens premier, lexercice du statut citoyen.
Il est ncessaire cette tape de revenir plus particulirement aux pa-

tients psychiatriques. Dans la mesure o, nous lavons vu, les autorisa-
tions de soins les concernent tout particulirement, nos constats sont
alarmants plusieurs gards, plus prcisment sur leur possibilit relle
de refuser des soins. Dans un premier temps, rappelons que les critres
retenus pour dmontrer linaptitude consentir aux soins induisent une
interprtation naturellement psychiatrisante, notamment par la dduc-
tion de linaptitude de certains diagnostics. Dans un second temps,
linterprtation et lapplication du cadre juridique gnral, ainsi que les
paramtres du processus judiciaire en place expressment pour per-
mettre la mise en uvre des droits limitent, voire alinent paradoxa-
lement la possibilit pour ces patients dy recourir efficacement. La relle
possibilit de refuser des soins semble donc tre tributaire de la maladie
dont on serait diagnostiqu, de la reconnaissance ou de lacceptation du
diagnostic, des raisons que lon serait en mesure dinvoquer, voire de nos
choix et de notre style de vie. Dans ce cadre, nous nous voyons malheu-
reusement dans lobligation de tirer de notre tude les mmes conclusions
que celles de Jean Htu et Herbert Marx en 1976 :

Le principe de lgalit de tous devant la loi est bien sr un mythe.
Ce ne sont que les favoriss qui y croient.
Dans tous les domaines du droit, les dfavoriss reoivent un traite-
ment spcial cause principalement de leur condition et de leur po-
sition sociale. […] Ce nest pas que la loi en elle-mme est

198 Lors de nos observations la Cour, nous avons constat que les dfendeurs sont rgu-
lirement non reprsents. Or, dans les cas o le juge considre le dfendeur inapte, il
peut lui nommer doffice un procureur : art 394.1 Cpc. Daprs la jurisprudence, deux
conditions doivent tre satisfaites pour que le juge exerce ce pouvoir : 1) lintrt d’un
mineur ou d’un majeur qu’il estime inapte est en jeu et 2) il est ncessaire, pour assurer
la sauvegarde de cet intrt, que le mineur ou le majeur inapte soit reprsent (MF c
JL, [2002] RJQ 676 la p 686, 211 DLR (4e) 350 [CA]).

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toujours discriminatoire ; cest dans son application que la discrimi-
nation se manifeste souvent199.

199 Jean Htu et Herbert Marx, Les dfavoriss, le Code civil et les juges (1976) 22 : 3
RD McGill 352 la p 367-68. Sur la question de savoir pour qui linterprtation judi-
ciaire de la condition sociale limite la porte du droit lgalit, voir galement Henri
Brun et Andr Binette, Linterprtation judiciaire de la condition sociale, motif de dis-
crimination prohib par la Charte des droits du Qubec (1981) 22 C de D 681. Notons
que pour Hlne Tessier, les diffrences culturelles, scolaires et sociales causent
dimportants dsavantages devant les tribunaux : Hlne Tessier, Pauvret et droit
lgalit : galit de principe ou galit de fait ? dans Service de la formation perma-
nente du Barreau du Qubec, Dveloppements rcents en droit administratif, Cowans-
ville (Qc), Yvon Blais, 1998, 45 la p 65.

Telecommunications Carriers and the "Duty to Serve" in this issue Haldane Unrevealed

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