Article Volume 49:2

Élection, gouvernance traditionnelle et droits fondamentaux chez les peuples autochtones du Canada

Table of Contents

lection, gouvernance traditionnelle et
droits fondamentaux chez les peuples

autochtones du Canada

Ghislain Otis*

large diffusion dans

Lauteur sattache dans cet article valuer dans quelle
mesure la gouvernance des communauts autochtones doit, lheure
o il est plus que jamais question dautonomie gouvernementale, se
conjuguer avec le modle tatique de dmocratie lectorale dont les
autorits fdrales ont assur une
les
communauts rgies par la Loi sur les Indiens. Larticle vise aussi
faire dterminer lincidence de la Charte canadienne des droits et
liberts dans la qute de solutions de rechange llection inspires
des coutumes et des pratiques traditionnelles de gouvernance
autochtone. Lauteur rend compte du processus graduel par lequel
ltat canadien a
institutions ancestrales de
commandement des collectivits autochtones pour les remplacer,
conformment aux pouvoirs prvus par la Loi sur les Indiens, par les
mcanismes lectoraux calqus sur le modle de Westminster. Mme
les modes dit coutumiers de dsignation des dirigeants, valids par la
Loi sur les Indiens, obissent presquuniversellement la logique
lectorale de type tatique.

refoul

les

Or, un examen attentif des effets de llection la
Westminster sur la vie politique et dmocratique des communauts
ne permet pas toujours de conclure que la promesse dun
gouvernement juste et lgitime a t honore. Une critique
convaincante du modle lectoral tatique fait ressortir le fort
potentiel de lgitimit dmocratique que reclent encore certaines
traditions gouvernementales autochtones caractre consensualiste,
souvent plus respectueuses des ralits sociologiques et familiales
observables dans les communauts. Lauteur dmontre que le cadre
juridique actuel, ainsi que les rformes lgislatives envisages,
permettraient un grand nombre de communauts de se doter
dinstitutions coutumires mieux adaptes une culture
dmocratique la fois singulirement autochtone et moderne. Il fait
toutefois ressortir lobligation pour la coutume autochtone de se
conformer la Charte canadienne des droits et liberts tout en
faisant valoir que cette dernire ne fera pas substantiellement
obstacle la volont des communauts de renouveler leur
gouvernance dmocratique partir dune lecture contemporaine de
la tradition.

In this article, the author seeks to determine to what extent the
governance of Aboriginal communites should be combined with the
state model of democratic elections, which federal authorities have
ensured is distributed widely through those Aboriginal communities
subject to the Indian Act. This question is all the more important
given that the issue of self-government, now more than ever, looms
large on the horizon. The author also attempts to gauge the impact of
the Canadian Charter of Rights and Freedoms on electoral reform
initiatives that seek to integrate the customs and traditional practices
of Aboriginal governance. The author gives an account of the
gradual process by which the Canadian state constrained the
ancestral institutions of command over Aboriginal communities,
only to have them replaced, in conformity with the powers granted
by the Indian Act, by electoral mechanisms derived from the
Westminster model. Even those processes to designate directors that
are called customary, and which are validated by the Indian Act,
almost universally obey the logic of the state electoral model.

However, an attentive examination of the effects of a
Westminster-type election on the political and democratic life of
communities does not always allow for the conclusion that the
promise of a fair and legitimate government has been honoured. A
convincing criticism of the state electoral model brings out the
strong potential for democtratic legitimacy that characterizes certain
traditions of Aboriginal governance of a consensualist nature, which
are often more respectful of the sociological and familial realities
that can be observed in communities. The author demonstrates that
the current legal framework, as well as the legislative reforms that
have been proposed, would allow a large number of communities to
adopt customary institutions better adapted to a democratic culture
that is both uniquely Aboriginal and modern. Nevertheless, it cannot
be forgotten that any Aboriginal custom adopted must be in
conformity with the Charter. This should, however, not be a
significant obstacle to communities that want to renew their
democratic governance following a contemporary reading of their
tradition.

* Professeur titulaire, Facult de droit, Universit Laval. Les travaux ncessaires la rdaction de cet
article ont t raliss dans le cadre du projet Autochtonie et gouvernance financ par Valorisation
recherche Qubec.

Revue de droit de McGill 2004

McGill Law Journal 2004
Mode de rfrence : (2004) 49 R.D. McGill 393
To be cited as: (2004) 49 McGill L.J. 393

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MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

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Introduction

I. La captation tatique du gouvernement autochtone au

Canada

II. La diffusion de llection et la coutume en milieu

autochtone

III. La critique diffrentialiste de llection chez les peuples

autochtones

IV. Le cadre juridique dune remise en cause du modle

lectoral

V. Le rle de la Charte canadienne dans la qute de rnovation

ou de dpassement du modle lectoral tatique

Conclusion

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Nous craignons vraiment que les autochtones assimilent de
plus en plus la dmocratie lacte de voter1.

Introduction

Dans les dbats et les ngociations entourant la construction dun nouvel ordre
autonomique autochtone, se pose notamment la question de la dmocratie et des
lections comme mode de dvolution du pouvoir chez les peuples autochtones. Ces
derniers devraient-ils invariablement, au nom de la modernit politique et de la bonne
gouvernance, choisir leurs dirigeants dans le plus strict respect de la mcanique
lectorale progressivement amnage dans le cadre tatique occidental ? Limpratif
dmocratique du consentement des gouverns simpose-t-il avec la mme force ou de la
mme manire en contexte autochtone ? Cet impratif peut-il tre satisfait par des
procdures non lectorales ou encore des oprations lectorales fortement diffrencies ?

Ces questions ne se poseraient sans doute pas si le droit canadien avait
irrmdiablement fondu les institutions politiques autochtones traditionnelles dans le
moule lectoral de ltat. Or la domestication juridique de lorganisation politique des
autochtones, bien que pousse trs loin par ltat, reste ce jour imparfaite. En fait,
lintrt du dbat est raviv par les propositions lgislatives rcentes du gouvernement
du Canada qui, si elles devaient tre acceptes par le Parlement, pourraient accentuer
le particularisme culturel autochtone et attnuer le rle de llection dans le choix des
dirigeants de ces collectivits.

Cet article retrace brivement la transformation des institutions politiques
traditionnelles des peuples autochtones du Canada par lintroduction graduelle de
llection comme technique de slection des dirigeants communautaires. Il rend
galement compte de la critique actuelle du modle lectoral fonde sur la
revendication de diffrence autochtone. Alors quil devient clair que ltat ne saurait
lgitimement saccrocher une conception dogmatique de la dmocratie en cartant
toute solution de rechange llection comme technique de manifestation du
consentement des gouverns autochtones, cette tude vise en outre dgager les
conditions juridiques du dpassement de llection et cerner, plus particulirement,
lincidence de la Charte canadienne des droits et liberts2.

1 Council of Elders, A Negociation Process for Off-Reserve Aboriginal Peoples in Ontario,
mmoire prsent la CRPA, 1993, la p. 6 reproduit dans le Rapport de la Commission royale sur
les peuples autochtones, vol. 2, Une relation redfinir : premire partie, Ottawa, Groupe
communications Canada, 1996 la p. 149 [Rapport de la Commission royale sur les peuples
autochtones].

2 Loi de 1982 sur le Canada, Annexe B, Loi constitutionnelle de 1982, 1982, c. 11 (R.U.) dans

L.R.C. (1985) App. II, no. 44 [Charte canadienne].

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Singulirement canadienne certains gards, la question aborde dans cet article
nen est pas moins digne dintrt pour plusieurs pays qui, tiraills entre tradition et
modernit, ont la responsabilit de liquider le douloureux legs de la colonisation3.

I. La captation tatique du gouvernement autochtone au Canada

Il nest gure ais de retracer lhistoire de lorganisation politique des socits
prcolombiennes. Quand, linstar de John Locke, ils ne niaient pas purement et
simplement que ces socits fussent organises au plan sociopolitique4, les premiers
observateurs europens ont parfois dcrit
leurs coutumes dune manire
ethnocentrique qui servait davantage leurs vises civilisatrices quune juste
apprciation de la ralit5. Quant la tradition orale des autochtones eux-mmes, elle
est loin de dissiper tout le brouillard entourant les systmes politiques utiliss pendant
cette priode de lhistoire de lAmrique.

Les historiens ont fait ressortir que la grande diversit culturelle des collectivits
prcoloniales se refltait dans leurs faons de se gouverner et, par voie de
consquence, dans leurs mthodes de lgitimation et de dvolution du pouvoir. Ainsi,
les chefferies sdentaires ou semi-sdentaires de la cte du Nord-Ouest taient
fortement hirarchises et les chefs de clan accdaient leur fonction conformment
une conception stricte du droit du sang6. Chez plusieurs peuples semi-sdentaires
pratiquant lagriculture grande chelle, tels les Iroquois, les sachems dsigns par
les mres de clan provenaient de familles coutumirement dtentrices de titres
hrditaires7. De manire gnrale, les groupes de chasseurs-cueilleurs algonquiens se
donnaient des dirigeants selon une procdure de type consensualiste o les ans

3 LAfrique connat bien les difficults nes du placage de lappareil tatique colonial sur des
structures de commandement indignes : voir par ex. C.N. Mback, La chefferie traditionnelle au
Cameroun : ambiguits juridiques et obstacles la dmocratie locale, dans Ethnicit, identits et
citoyennet en Afrique centrale, Cahier africain des droits de lHomme, no. 6-7, mars 2002, la p.
211 ; F.M. DEngelbronner-Kolf, M.O. Hinz et J.L. Sindano, dir., Traditional Authority and
Democracy in Southern Africa, Windhoek (Namibie), New Namibia Books, 1998.

4 On trouvera une analyse critique de la pense de Locke sur la question des peuples indignes des
Amriques dans James Tully, Strange Multiplicity : Constitutionalism in an Age of Diversity,
Cambridge, Cambridge University Press, 1995, aux pp. 70-82.

5 Voir par ex., Jsuites, Relations des Jsuites : contenant ce qui sest pass de plus remarquable
dans les missions des Pres de la Compagnie de Jsus dans la Nouvelle-France, Montral, ditions
du Jour, 1972, 6 vols.

6 Olive Patricia Dickason, Les premires nations, Sillery (Qc), ditions du Septentrion, 1996, aux

pp. 65-66.

7 T. Porter, Traditions of the Constitution of the Six Nations, dans Leroy Little Bear, Menno Boldt
et J. Anthony Long, dir., Pathways to Self-Determination: Canadian Indians and the Canadian State,
Toronto, University of Toronto Press, 1984 aux pp. 14-21.

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G. OTIS LES PEUPLES AUTOCHTONES DU CANADA

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pouvaient jouer un rle particulier de mdiation8. Il semble que dans bien des socits,
le pouvoir rel du chef tait fonction de lexemplarit de sa conduite et de ses qualits
de rassembleur plutt de la sanction institutionnalise de son autorit9.

Ces institutions ancestrales ont t largement captes par leffet combin de la
coercition tatique et dinluctables mutations culturelles. La captation coloniale des
communauts politiques autochtones sest opre la faveur de lincrustation
progressive de la souverainet tatique. Lgalit relative qui a, au temps des premiers
contacts, caractris le rapport entre les indignes et les puissances europennes en
Amrique du Nord fut suivie de lenfermement des socits prcoloniales dans le
giron tatique. Il en a rsult, du point de vue de ltat, linternalisation de la
question autochtone, cest–dire linscription exclusive du statut des autochtones dans
lordonnancement juridique interne10.

Bien quils tiennent pour radicalement intangible la souverainet hrite de
lentreprise coloniale, les pouvoirs publics canadiens sont de plus en plus enclins
admettre que certaines prrogatives dautonomie politique autochtone issues des
systmes prcoloniaux aient survcu lavnement de ltat11. Selon la thse du droit

8 Voir par ex. le Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, supra note 1 aux pp.

145-49.

9 Ibid., aux pp. 149-52.
10 Sur la question de linternalisation, voir notamment Michel Morin, Lusurpation de la
souverainet autochtone : le cas des peuples de la Nouvelle-France et des colonies anglaises de
lAmrique du Nord, Montral, Boral, 1997 ; Isabelle Schulte-Tenckhoff, Reassessing the Paradigm
of Domestication: The Problematic of Indigenous Treaties (1998) 4 Rev. Const. Stud. 239.

11 En 1995, le gouvernement du Canada a adopt une politique officielle de reconnaissance et de
mise en uvre ngocie du droit ancestral (inhrent) lautonomie gouvernementale des peuples
autochtones. Voir Lautonomie gouvernementale des autochtones : guide de la politique fdrale,
Ottawa, Travaux publics et services gouvernementaux Canada, 1995. La plupart des juristes estiment
quun tel droit ancestral existe effectivement et devrait tre reconnu par la Cour suprme du Canada :
voir notamment Brian Slattery, First Nations and the Constitution : A Question of Trust (1992) 71
R. du B. can. 261 ; Kent McNeil, Envisaging Constitutional Space for Aboriginal Governments
(1993) 19 Queens L.J. 95 ; Patrick Macklem, Indigenous Difference and the Constitution of Canada,
Toronto, University of Toronto Press, 2001 aux pp. 107-31. Voir toutefois Andr mond, Le sable
dans lengrenage du droit inhrent des autochtones lautonomie gouvernementale (1996) 30 R.J.T.
89. La Commission royale sur les peuples autochtones prend position en faveur de lexistence dun tel
droit dans son rapport intitul Partenaires au sein de la Confdration : les peuples autochtones,
lautonomie gouvernementale et la Constitution, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada,
1993. La Cour suprme du Canada sest dlibrment abstenue ce jour de trancher la question : voir
R. c. Pamajewon, [1996] 2 R.C.S. 821, 138 D.L.R. (4e) 204 ; Delgamuukw c. Colombie-Britannique,
[1997] 3 R.C.S. 1010, 153 D.L.R. (4e) 193. Toutefois, dans Mitchell c. M.R.N., [2001] 1 R.C.S. 911,
199 D.L.R. (4e) 385, le juge Binnie, avec laccord du juge Major, voque explicitement des principes
de nature fonder un droit ancestral lautonomie gouvernementale. Il mentionne la possibilit dune
simple diminution de la souverainet autochtone lors de lavnement de ltat europen (au para.
158) ou encore dune souverainet fusionne ou partage essentielle la conciliation au cur de
lart. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 (au para. 167). Voir galement Campbell c. British

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inhrent lautonomie gouvernementale, cette autonomie coutumire aurait t
originairement valide par le droit colonial en tant que droit ancestral12 et
bnficierait ce titre dune protection constitutionnelle depuis 198213. Mme si un tel
droit ancestral de type gouvernemental pourrait en thorie sexercer de manire
entirement autonome, cest–dire sans devoir pralablement faire lobjet dune mise
en uvre lgislative ou par voie de trait, aucune communaut na, ce jour, constitu
ou ractiv unilatralement un gouvernement de droit purement ancestral par lequel
elle prtendrait supplanter totalement et tous gards lautorit de la Loi sur les
Indiens14 qui rgit, depuis le XIX sicle, lorganisation territoriale et administrative
des collectivits autochtones.

Bien quun nombre croissant de communauts soient dotes dinstitutions
relevant de rgimes particuliers parfois protecteurs dune autonomie politique
largie15, le gouvernement de la trs grande majorit des collectivits reste encore
aujourdhui organis et oprationnalis par la Loi sur les Indiens. Chaque

Columbia (2000), 189 D.L.R. (4e) 333, [2000] 8 W.W.R. 600 (C.S.B.C.), o la Cour conclut quun
droit ancestral lautonomie gouvernementale fait effectivement partie du droit positif.

12 La reconnaissance de droits ancestraux en faveur des peuples autochtones constitue un aspect
central de la common law coloniale britannique telle quexplicite par la Cour suprme des Etats-Unis
dans les clbres affaires Johnson v. McIntosh, 21 US 543, 8 Wheat 543 (1823) et Worcester v. State
of Georgia, (1832) 31 U.S. 515, 8 L. D. 483 (1832). Ainsi, selon le droit colonial britannique, bien
que la souverainet externe des populations indignes ait t supplante par le titre dvolu Sa
Majest la faveur de la dcouverte des territoires, des droits sont reconnus aux autochtones en
raison de leur occupation antrieure du territoire. Ces droits, notamment les titre fonciers coutumiers,
sont rputs avoir survcu au changement de souverainet et sont ds lors pleinement valids par le
droit tatique mme si ce dernier nen est pas, en principe, la source formelle. La Cour suprme du
Canada a tardivement jug que la doctrine des droits ancestraux trouve galement application au
Canada, leurs origines et leurs fondements gnraux tant semblables dans les deux anciennes
colonies britanniques. Voir Calder c. Colombie-Britannique, [1973] R.C.S. 313, 34 D.L.R. (3e) 145.
Voir aussi R. c. Van Der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, 137 D.L.R. (4e) 289.

13 Voir lart. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, dont lalina premier dispose que Les droits
existants ancestraux ou issus de traits des peuples autochtones du Canada sont reconnus et
confirms. La plus haute juridiction canadienne a statu que cette disposition protge dornavant les
autochtones contre toute abrogation ou toute restriction injustifie de leurs droits ancestraux ou issus
de traits par les pouvoirs tatiques : voir R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, 70 D.L.R. (4e) 385.

14 L.R.C., chapitre. I-5.
15 Ces rgimes particuliers dcoulent soit de lois mettant en uvre des accords dautonomie
gouvernementale que les autorits tatiques ont conclus avec certaines communauts, soit de traits
organisant un gouvernement autochtone autonome. Dans le cas des ententes ayant valeur de trait,
comme cest le cas de lAccord dfinitif Nisgaa, Canada, Colombie-Britannique, Nisgaa Nation,
1998,
jouissent dune vritable protection
constitutionnelle conformment lal. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. On trouvera une
tude de ces rgimes particuliers dans Sbastien Grammond, Amnager la coexistence : les peuples
autochtones et le droit canadien, Cowansville (Qc), Bruylant-Yvon Blais, 2003, aux pp. 279-353.

institutions gouvernementales autochtones

les

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communaut autochtone, dsigne sous le vocable de bande indienne16, est dirige,
aux termes de la Loi sur les Indiens, par un organe collgial appel conseil de
bande que le Parlement fdral investit dune fonction de gouvernement
communautaire. Tributaire de ses origines et de sa finalit coloniales, cette fonction
sexerce bien des gards sous le contrle, voire la tutelle, de ladministration
tatique17. Ainsi, ltat inflchit et mobilise les structures communautaires pour en
faire linstrument de gestion des autochtones et de leurs rserves.

II. La diffusion de llection et la coutume en milieu autochtone

Dans son entreprise de prise en charge et dorganisation tutlaire du
gouvernement autochtone, ltat sest proccup du mode de dsignation des chefs
appels constituer lorgane de direction politico-administrative quest le conseil de
bande. Ds 1869, la Loi pourvoyant lmancipation graduelle des sauvages
autorisait le gouvernement ordonner, par dcret, que les chefs de toute nation, tribu
ou peuplade de sauvages soient lus par les membres de sexe masculin de la
communaut sous la supervision de ladministration qui se donnait en outre le
pouvoir de destituer, certaines conditions, les chefs lus18. Toutes les lois
subsquentes relatives ladministration autochtone ont contenu des dispositions
analogues et cest galement le cas de lactuelle Loi sur les Indiens dont le paragraphe
74(1) dispose que :

Lorsquil le juge utile la bonne administration dune bande, le ministre peut
dclarer par arrt qu compter dun jour quil dsigne le conseil dune bande,
comprenant un chef et des conseillers, sera constitu au moyen dlections
tenues selon la prsente loi.

Le paragraphe 78(2) de la Loi sur les Indiens indique les motifs de vacance ou de
destitution ministrielle des chefs et conseillers dsigns selon la Loi sur les Indiens.
Sautorisant de larticle 76, le gouverneur en conseil a pris un rglement sur les
lections au sein des bandes assujetties la Loi sur les Indiens, notamment en ce qui
concerne la mise en candidature, le droulement de llection et les mcanismes
dappel19.

16 La composition actuelle de la bande npouse pas ncessairement les contours du groupe, de la
tribu ou de la bande traditionnelle : voir Andr mond, Quels sont les partenaires autochtones avec
lesquels la Couronne entretient une relation historique ? (1997) 76 R. du B. can. 130 aux pp. 138-42.
17 Ainsi, la plupart des rglements administratifs pris par le conseil de bande dans le cadre de ses
attributions (voir les art. 81 et 83 de la Loi sur les Indiens, supra note 14) pourront tre annuls par le
ministre (art. 82) ou devront tre approuvs par lui avant dentrer en vigueur (art. 83).

18 Loi pourvoyant lmancipation graduelle des sauvages, S.C. 1869, c. 6, art. 10. Cette
disposition permettait toutefois aux chefs traditionnels nomms vie de conserver un sige au sein du
conseil jusqu leur dcs.

19 Voir DORS/2000-391. Pour une tude historique dtaille de la lgislation fdrale sur cette
question, voir Wayne Daugherty et Dennis Madill, Ladministration indienne en vertu de la

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Cest dire que, ds le dpart, les autorits tatiques firent du systme lectif de
slection des dirigeants, calqu sur le modle de Westminster de scrutin majoritaire
uninominal un tour, un lment important de leur stratgie dassimilation des
autochtones au sein de la socit majoritaire20. Le gouvernement sest toutefois
abstenu dimposer de manire soudaine et gnrale le mode lectoral pratiqu dans les
institutions tatiques. Cest ainsi que lon prfra maintenir provisoirement en place,
en les validant dans lordre tatique, les mcanismes coutumiers de slection des
chefs jusquau moment o les autochtones aient atteint un degr jug suffisant de
dveloppement pour effectuer le passage au systme lectoral. Fidle la pratique
britannique de lindirect rule, le colonisateur a voulu non pas marquer son respect
pour la culture politique ancestrale des autochtones21, mais bien instrumentaliser les
lgitimits traditionnelles jusqu ce que leur pregnance ft dissoute au terme dune
acculturation politique.

Plusieurs communauts se sont nanmoins fait imposer le systme lectif
tatique22, parfois dans la plus vive controverse23. Jusquen 1951, linstauration de
llection prvue par la Loi sur les Indiens resta lente et difficile ; elle ne put se
raliser que dans une minorit de bandes24. La difficult venait de la rsistance des
communauts rfractaires la loi des blancs ou encore des rticences des
fonctionnaires eux-mmes qui estimaient que bien des communauts ntaient pas
suffisamment volues pour faire bon usage des mcanismes lectoraux prvus

lgislation relative aux Indiens et les pouvoirs du conseil de bande (1868-1951), Affaires indiennes et
du Nord, Ottawa, 1980, partie I.

20 Tel que lobservent Daugherty et Madill, ibid. la p. 2 :

[l] introduction des rgles dmocratiques, lectives, qui taient tenues lpoque pour
un signe de progrs et de civilisation, devait tre lun des aspects importants de ce projet
dassimilation. Le gouvernement estimait que lintroduction dune administration lue
amnerait les Indiens abandonner leurs institutions tribales traditionnelles, qui taient
diffrentes dans tout le pays et qui taient considres comme des obstacles au progrs
des Indiens.

21 Israel Wood Powell, un haut fonctionnaire fdral, plaidait, en 1881, en faveur de lavnement de
llection chez les autochtones au motif quun puissant instrument de civilisation serait ainsi cr qui
ferait disparatre un jour le systme des chefs hrditaires, seul bastion de lignorance et de la
barbarie. Voir Abrg de rapports sur le systme municipal projet pour les bandes indiennes, 1881,
Ottawa la p. 155.

22 Le 16 mai 1899, par exemple, le gouvernement dcrta lapplication des dispositions lectorales
de la loi lensemble des communauts de lEst du Canada alors que rien de donne penser que ces
communauts avaient marqu leur accord : voir Daugherty et Madill, supra note 19 la p. 8.

23 Mentionnons ici le cas clbre des Iroquois des Six Nations dOhsweken qui portrent devant les
organisations internationales leur protestation contre la dcision des autorits fdrales de leur
imposer un conseil de bande lectif au dtriment de leur systme traditionnel de gouvernement. Voir
notamment Edmund Wilson, Apologies to the Iroquois, Syracuse (N.Y.), Syracuse University Press,
1992, aux pp. 257-58. Voir aussi Daugherty et Madill, ibid. aux pp. 46-67.

24 cette date, seulement 194 communauts lisaient leurs chefs conformment la loi : voir

Daugherty et Madill, ibid. la p. 99.

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dans cette loi. Ladministration fdrale prfra exercer un contrle de facto troit sur
les pratiques des communauts chappant aux dispositions de la Loi sur les Indiens.
Ces bandes ont t amenes officieusement adapter progressivement leurs usages
coutumiers aux formes lectorales sans que celles-ci ne correspondent ncessairement
aux prescriptions du rgime dlection tatique25.

Llection sest peu peu gnralise mme dans la pratique dite coutumire
des communauts, phnomne sans doute attribuable deux facteurs. Dune part, au
dirigisme des administrateurs fdraux, et, dautre part, linfluence constante des
institutions de la socit majoritaire auxquelles les autochtones en sont tardivement
venus, aprs une longue exclusion discriminatoire, participer en qualit dlecteurs26.
Cette apparente intgration dmocratique explique sans doute pourquoi la dsignation
des dirigeants selon la coutume de la bande est encore aujourdhui reconnue par
larticle 2 de la Loi sur les Indiens27 et pourquoi lapplication formelle du rgime
lectoral dict par cette loi na jamais t dcrte dans un certain nombre de
communauts28.

Malgr cela, en 1971, plus de 70% des bandes dsignaient leur conseil
conformment aux dispositions lectorales de la Loi sur les Indiens29. Elles ne sont
plus aujourdhui que 50% le faire puisque plusieurs dentre elles ont, depuis lors, t
autorises par le ministre se soustraire au rgime tabli par cette loi afin dappliquer
leurs propres codes lectoraux dits coutumiers. On parle communment alors dun
retour la coutume30. Seulement 11 communauts continuent ce jour de se donner
des dirigeants selon des modes traditionnels non lectoraux de type hrditaire31.

25 Voir Daugherty et Madill, ibid. aux pp. 67-70.
26 Si les membres de certaines bandes ont pu voter aux lections fdrales entre 1887 et 1896, ce
nest quen 1960, soit dix ans aprs les Inuits, que les Indiens obtinrent les mmes droits politiques
que les autres citoyens canadiens au niveau fdral. Au Qubec, les autochtones nont droit de
suffrage aux lections lgislatives que depuis 1969. Voir Vers lgalit lectorale, Comit de la
rforme lectorale autochtone, Ottawa, Commission royale sur la rforme lectorale et le financement
des partis, 1991, la p. 8. En gnral, la participation autochtone aux lections tatiques reste trs
faible. Lors du scrutin tenu au Qubec le 14 avril 2003, seulement 29% des autochtones en moyenne
ont exerc leur droit de vote alors que le taux moyen de participation dans lensemble de la population
dpassa les 70%, comme le rapporte Le Devoir [de Montral] (31 juillet 2003), supra note 14, A2.

27 Le para. 2(1) de la Loi sur les Indiens reconnat aujourdhui explicitement quen labsence dun
arrt ministriel pris sous lautorit de lart. 74 de la Loi sur les Indiens, supra note 14, rendant les
dispositions lectorales de la loi applicables, le conseil est celui dsign selon la coutume de la
bande.

28 Cest le cas de 196 communauts. Voir Affaires indiennes et du Nord Canada, Les collectivits
dabord : la gouvernance des premires nations, en ligne : Affaires Indiennes et du Nord Canada
.

29 Voir Daugherty et Madill, supra note 19 la p. 99.
30 Larrt ministriel pris sous lautorit de lart. 74 de la Loi sur les Indiens, supra note 14, rendant
le rgime lectoral de la loi applicable une communaut peut tre abrog, ce qui emporte ipso facto

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Selon la Cour fdrale, la coutume dont il est question dans la Loi sur les Indiens
consiste en une pratique tablie ou adopte par les personnes qui elle sapplique et
qui ont accept dtre diriges par elles32. Les juges ont confirm la validit, au plan
coutumier, de toute norme adopte selon les pratiques gnralement acceptes par
les membres de la bande et qui font ds lors lobjet dun large consensus33. Il
incombe la partie qui invoque la coutume den prouver lexistence et le contenu34.

Dans ce contexte, le qualificatif coutumier nvoque pas larchtype du jus non
scriptum dont parlent les anthropologues. Une norme est ici tenue pour coutumire
simplement parce que son foyer dlaboration se trouve formellement en dehors de
lappareil tatique. Une telle appellation ne charrie par consquent aucun a priori
quant au processus dlaboration de la norme, quant son support formel
dnonciation ou quant la conformit de son contenu un quelconque critre
prcolonial ou immmorial. Bien quelle autorise dans une certaine mesure le groupe
autochtone marquer sa spcificit culturelle en matire dorganisation politique, la
coutume nest pas ncessairement synonyme de tradition. Elle constitue plutt un
mode consensuel et communautaire de production du droit qui, sans tre contraint au

le retour un mode coutumier, voir Sparvier v. Cowesses Indian Band No. 73, [1993] 3 F.C. 142 aux
pp. 149-50, 63 F.T.R. 242 (1re inst.) [Sparvier avec renvois au F.C.] ; Gordon c. Canada, [2001] A.C.F.
no 114 au para. 12, [2001] F.C.J. no. 114 (1re inst.) [Gordon avec renvois au A.C.F.]. Cest ainsi que
134 communauts qui taient assujetties aux dispositions lectorales de la loi ont t autorises
revenir un modle selon la coutume. Le gouvernement a toutefois conditionn le retrait du rgime
tatique lengagement de ces communauts dadopter un code lectoral. Voir Affaires indiennes
et du Nord Canada, supra note 28.

31 Cette donne a t transmise lauteur par les responsables des Affaires indiennes et du Nord

Canada.

32 Bande indienne de McLeod Lake Indian Band c. Chingee, [1998] A.C.F. no 1185 au para. 8,
[1998] 165 D.L.R. (4th) 358 (1re inst.) [McLeod Lake Indian Band avec renvois au A.C.F.]. Ds lors,
comme lindique la Cour dans Francis c. Mohawk Council of Kanesatake, [2003] FCTR 115 (1re inst.)
[Francis], la coutume comporte deux lments, [l]e premier rside dans les pratiques, qui peuvent
tre tablies soit par des actes rptitifs, soit au moyen dune mesure isole comme ladoption dun
code lectoral (au para. 24) alors que le deuxime lment de la dfinition de la coutume est un
lment subjectif, qui renvoie la manifestation de la volont des personnes souhaitant ladoption de
rgles relatives au mode dlection des membres dun conseil de bande dtre lies par une rgle ou
pratique donne (au para. 26).

33 Bigstone c. Big Eagle, [1993] 1 C.N.L.R. 25, [1992] F.C.J. no. 16 (1re inst.). Dans Francis, ibid., le
juge Martineau dfinit ainsi, au para. 36, ce quil faut entendre par un large consensus : la pratique se
rapportant une question ou une situation donne qui est vise par cette rgle doit tre fermement
tablie, gnralise et suivie de manire uniforme et dlibre par une majorit de la communaut.
Voir aussi Premire nation Salt River no. 195 (Conseil) c. Premire nation Salt River no 195, [2003]
A.C.F. no 865 au para. 42, [2003] F.C.J. no. 865 (1re inst.) [Premire nation Salt River no. 195 avec
renvois au A.C.F.].

34 Francis, supra note 32 au para. 21 ; McArthur v. Saskatchewan (Registrar, Department of Indian

Affairs and Northern Development) (1992), 91 D.L.R. (4e) 666, [1992] S.J. no. 189 (Sask. Q.B.).

2004]

G. OTIS LES PEUPLES AUTOCHTONES DU CANADA

403

plan matriel par les pratiques des anctres, permet aux contemporains de tracer leur
propre itinraire entre tradition et modernit35.

La Loi sur les Indiens nimpose aucune condition quant la forme des normes
issues du processus coutumier. La communaut pourra donc sen tenir un droit non
crit36 ; elle pourra encore codifier ses pratiques selon la technique du droit lgifr
tatique37. De fait, il nest pas rare quun code communautaire reproduise quasiment
lidentique les dispositions lectorales de la Loi sur les Indiens et du rglement
correspondant. Les codes lectoraux seront modifis aussi souvent que ncessaire
pour tenir compte des circonstances changeantes38. Il se peut toutefois que la pratique
effective et constante, gnralement accepte par la communaut, ne corresponde pas
la norme nonce dans le code. Dans ce cas, les tribunaux ont estim que la norme
coutumire en vigueur tait celle dicte par la pratique plutt que le texte39.

Ce ne sont certes pas toutes les rgles coutumires dorganisation politique de la
communaut qui sont valides par la loi fdrale. Seules celles se rapportant la
composition et la formation de lorgane de direction de la bande sont vises. Cela dit,
rien ne justifie dinterprter troitement la comptence coutumire ainsi reconnue. Le
rgime coutumier pourra comporter une vaste gamme de normes rgissant non
seulement la formation de linstance dirigeante mais aussi sa structure et sa
composition. Entreront dans le champ coutumier le mode de dsignation des
personnes composant lautorit publique, les conditions de maintien de ces personnes
dans leurs fonctions, leur remplacement, la dure de leur mandat, les rgles et

35 La Cour fdrale a soulign dans les termes suivants le caractre volutif de la coutume

autochtone aux fins de la Loi sur les Indiens :

Il faut ajouter que la coutume nest pas immuable. Elle volue selon les circonstances.
Une bande peut dcider de cesser de sen remettre sa tradition orale et mettre sa
coutume par crit. Elle peut passer dun systme fond sur la succession un systme
lectoral. Elle peut dcider dadopter comme usages des pratiques et une procdure
comparables la procdure lectorale utilise pour lire des gouvernements
municipaux ou provinciaux. Je ne peux interprter lexpression coutume de la bande,
contenue au paragraphe 2(1), comme empchant une bande de modifier au besoin sa
coutume de gouvernement pour tenir compte de situations nouvelles.

McLeod Lake Indian Band, supra note 32, au para. 10. Voir aussi Francis, supra note 32 aux paras.
24-25.

36 Voir par ex. laffaire Premire nation Salt River no 195, supra note 33 au para. 47, o le juge
Rouleau rappelle qu[u]ne coutume lectorale na pas tre codife ou crite de quelque manire
que ce soit. La coutume peut tre tablie selon des pratiques lectorales non crites suivies de manire
constante au cours des lections prcdentes, dans la mesure o elles ne sont pas contestes par les
membres.

37 McLeod Lake Indian Band, supra note 32, au para. 10.
38 Une jurisprudence constante reconnat quune simple proclamation faisant lobjet dun large
consensus dans la communaut peut oprer une modification valide dun rgime communautaire :
voir par ex. McLeod Lake Indian Band, supra note 32.

39 Voir Napoleon v. Garbiit, [1997] B.C.J. no. 1250 (C.S.B.C.) ; Francis, supra note 32.

404

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 49

procdures de destitution de mme que tout lappareil administratif charg
dappliquer ces rgles.

Les exigences de la coutume tant intgres au droit fdral, les tribunaux
tatiques, au premier chef la Cour fdrale, ont comptence pour sanctionner une
violation de la coutume40. Il est en effet bien tabli quun conseil de bande, un individu
ou une quelconque autorit agissant sous lempire de la coutume de la bande constitue
un office fdral au sens de la Loi sur la Cour fdrale41. Les juges ont dailleurs
souvent t appels se prononcer sur la validit coutumire de mesures prises en
matire lectorale et accorder des redressements adapts aux circonstances.

III. La critique diffrentialiste de llection chez les peuples

autochtones

Au cur de la pense politique dominante au Canada se trouve la conviction que
llection constitue le principe de base de la dmocratie reprsentative; cest elle qui
assure aux gouvernants la lgitimit politique42. La Cour suprme du Canada
rappelait rcemment que :

… la dmocratie est une forme de gouvernement o le pouvoir souverain
appartient
la population dans son ensemble. Dans notre systme
dmocratique, cela veut dire que tout citoyen doit avoir la possibilit relle de
prendre part au gouvernement du pays en participant llection de
reprsentants43.

Dmocratie, reprsentation politique et lection constituent, dans le discours de la
modernit constitutionnelle, une indissoluble trinit, la condition universelle du juste
gouvernement de la personne humaine44. Or, sautorisant de laltrit culturelle et de la

40 La Cour fdrale rappelait rcemment, dans Francis, supra note 32 au para. 17, que cest la Loi
sur les Indiens, supra note 14, plus prcisment le para. 2(1) de celle-ci, qui reconnat le droit
coutumier en vertu duquel le demandeur, en sa qualit de chef, et les dfendeurs en leur qualit de
membres du conseil et de la tribu des Blood allguent chacun remplir leurs fonctions et que le droit
coutumier de la tribu est reconnu en tant que loi en raison du droit lgislatif fdral, et le conseil ainsi
lu a qualit conformment la Loi sur les Indiens.

41 Voir par ex. Canatonquin c. Gabriel, [1980] 2 C.F. 792, [1981] 4 C.N.L.R. 61 (C.A.) ; Sparvier,
supra note 30 ; Parisier c. Premire nation de Ocean Man, [1996] A.C.F. no 129, 108 F.T.R. 297 (1re
inst.) ; Premire nation de Grand Rapids c. Nasikapow, [2000] A.C.F. no 1896, 197 F.T.R. 184 (1re
inst.) ; Francis, supra note 32 ; Premire nation Anishinabe de Roseau River c. Premire nation
Anishinabe de Roseau River (Conseil), [2003] A.C.F. no 251, 228 F.T.R. 167 (1re inst.).

42 Pierre Martin, Les systmes lectoraux et les modes de scrutin, 2e d., Paris, Montchrestien, 1997,

la p. 9.

43 Figueroa c. Canada (Procureur gnral), [2003] A.C.S. no 37 au para. 30, 2003 CSC 37.
44 Il faut convenir avec Olivier Ihl que [p]lbiscit comme le symbole de la participation du peuple
au gouvernement, le vote est synonyme de libert et de pluralisme. Ce qui suffit en faire, la force du rite

2004]

G. OTIS LES PEUPLES AUTOCHTONES DU CANADA

405

tradition, une critique parfois radicale du modle tatique de dmocratie lectorale se
fait jour dans les milieux autochtones et chez un certain nombre dauteurs. Les
contradicteurs du modle lectoral tatique lui reprochent essentiellement davoir
dsarticul les instances traditionnelles de commandement sans avoir honor la
promesse dun gouvernement juste.

Pour les autochtones qui, lpoque prcoloniale, appliquaient des mcanismes
consensualistes de dsignation des chefs, la rgle du scrutin majoritaire peut savrer
hirarchique et conflictuelle en plus dtre arbitraire parce quelle est susceptible
dexclure du processus un grand nombre, sinon la majorit, des membres de la
communaut45. Llection peut, en dautres termes, tre vcue comme une involution
plutt quune avance de la dmocratie communautaire46. Le consualisme ancestral de
certains peuples autochtones se rvle en fait dune modernit et dune actualit
indniables du point de vue de la pratique occidentale o [l]e consensualisme est une
notion dapparition rcente qui dsigne une culture politique privilgiant laccord des
individus47. Lapproche consensualiste vient opposer la rification du dbat une
dlibration labri des luttes partisanes et dont on attend quelle promeuve des
rponses empreintes de prudence et de modration48.

Il est en outre vrai que les transformations quont connues les socits
autochtones nont pas fait disparatre le rle des cercles familiaux comme lieux

aidant, le critre, sinon le garant, dune juste organisation des pouvoirs : Le vote, Paris, Montchrestien,
1997, la p. 11.

45 Les auteurs Boldt et Long relaient cette critique dans les termes suivants :

Indian communities have engaged traditionally in an extensive consultation process in
the selection of their leaders and all decisions affecting the group required a consensus
by members. Under the democratic representative electoral system imposed upon them
by the Canadian government, however, leaders are generally elected by a minority of
members, and the associated organization of delegated authority and hierarchical
structures have relegated most members of the Indian community to the periphery of
the decision-making process. Decisions are now made by Indian lites elected and
appointed.

Menno Boldt et J. Anthony Long, Tribal Philosophies and the Charter of Rights and Freedoms
dans Menno Boldt et J. Anthony Long en association avec Leroy Little Bear, dir., The Quest for
Justice : Aboriginal Peoples and Aboriginal Rights, Toronto, University of Toronto Press, 1985, 165
la p. 170.

46 Ltude des cultures politiques consensualistes prcoloniales tend dmontrer quelles se
conformaient lide dmocratique de lgitimation du pouvoir par le consentement de la
communaut politique. Voir Dan Russell, A Peoples Dream : Aboriginal Self-Government in
Canada, Vancouver, University of British Columbia Press, 2000, aux pp. 100-01.

47 Olivier Duhamel et Yves Mny, Dictionnaire constitutionnel, 1re d., Paris, Presses universitaires

de France, 1992, la p. 207.

48 Ibid. Dans Wasauksing First Nation v. Wasausink Lands Inc. [2002] 3 C.N.L.R. 287, aux para.
309-11, le tribunal fait bien ressortir lincompatibilit entre le consensualisme et le principe
majoritaire propre la Loi sur les Indiens.

406

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 49

premiers des solidarits socio-conomiques et politiques. La persistance de cette
singularit culturelle dans bon nombre de communauts pourrait expliquer pourquoi
un systme lectoral culturellement inadapt paratra illgitime parce que de nature
dtruire les quilibres coutumirement assurs par les instances consensualistes de
dlibration interclanique. La logique arithmtique du principe une personne un
vote, combine au scrutin majoritaire uninominal un tour, aura dans bien des cas
pour effet dassurer aux familles ou aux clans dont les membres sont les plus
nombreux une mainmise durable sur les leviers du pouvoir. Paradoxalement, ces
procds de la dmocratie lectorale induisent une logique dynastique l o les
organisations
laudience
communautaire la plus ample possible, ne reconnaissaient pas de famille rgnante.
En plus de mconnatre les compositions sociologiques vivantes des collectivits,
cette situation fait le lit du npotisme et ne peut engendrer chez les exclus que
cynisme et dsaffection lgard des institutions49.

traditionnelles, soucieuses de donner au pouvoir

faudrait encourager

Il va galement de soi que la logique formellement galitaire du suffrage gnral
est aussi venue saper les prrogatives traditionnelles des chefs hrditaires et de
groupes particuliers tels les anciens et les mres de clan. LAssemble des
Premires Nations affirme quil
ltablissement de
gouvernements autochtones fonds sur les traditions des Premires Nations,
notamment les systmes hrditaires, les systmes de clans et dautres structures
gouvernementales50. Cette organisation sabstient toutefois de prner la simple
reconstitution archologique de formes politiques jamais rvolues. Elle appelle
plutt de ses vux lavnement dinstitutions novatrices refltant ces traditions et les
besoins contemporains en matire de gouvernement51. Or, les solutions de rechange
au modle lectoral de Westminster
traditionnelles
autochtones nexcluent nullement llection. Ainsi, la communaut huronne-wendat
sest rcemment donn un systme lectoral fond sur un amnagement actualis des
groupements lignagers anciens52. Les membres de la communaut ont t regroups
en huit cercles familiaux ayant chacun le droit dtre reprsent par un chef familial
au sein du conseil de la nation. Llection des chefs est deux tours. Lors du premier
tour, les lecteurs membres de chacun des cercles familiaux votent, loccasion dune
assemble familiale de mise en candidature, pour dsigner les candidats issus du
cercle pour le poste de chef familial. Une candidature peut aussi tre autorise par la
voie dune ptition manant dau moins dix pour cent des membres dun clan familial.
Au deuxime tour, tous les lecteurs de la communaut peuvent voter pour choisir,

imprgnes des valeurs

49 Voir le Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, supra note 1 aux pp. 151-

52.

50 Assemble des Premires Nations, Reclaiming our Nationhood : Strenghtening our Nation,

mmoire prsent la Commission royale sur les peuples autochtones, 1993 la p. 16.

51 Ibid.
52 Code de reprsentation de la Nation Huronne-Wendat, Conseil de la Nation Huronne-Wendat,

juin 2002, en ligne : .

2004]

G. OTIS LES PEUPLES AUTOCHTONES DU CANADA

407

selon le principe majoritaire prfrentiel, les chefs familiaux parmi la liste des
candidats proposs. Le grand chef est lu au suffrage universel par lensemble des
lecteurs de la nation partir dune liste de candidats proposs par chaque cercle
familial lors dassembles de mise en candidature. Cette procdure originale empche
la colonisation de lorgane gouvernemental par une famille hgmonique, vite
lenfermement clanique de llecteur et donne aux chefs lus une double lgitimit,
la fois familiale et communautaire.

Certains autochtones sont toutefois davis que les lections ne sont pas la voie
oblige de la dmocratie et que la prise de dcision par consensus assure une
reprsentation plus respectueuse du pluralisme et de la diversit de lopinion53.
Dautres encore vont jusqu rpudier tout a priori dmocratique, estimant que la
lgitimit du pouvoir peut tre assise sur des fondements ressortissant la culture
traditionnelle. Cest notamment le propos de ceux qui avancent que les conceptions
occidentales dgalit et de dmocratie reprsentative ne devraient pas faire obstacle
au maintien, ou la revitalisation, des institutions hrditaires54.

IV. Le cadre juridique dune remise en cause du modle lectoral

La gnralisation de llection dans les rgimes communautaires ou coutumiers
nest pas juridiquement irrversible; cest dailleurs ce qui confre tout son intrt et
sa pertinence la rflexion sur les conditions dune adaptation ou dune remise en
cause de llection pour mieux reflter la spcificit autochtone. En effet, les
communauts qui ne sont pas soumises au rgime lectoral de la Loi sur les Indiens
peuvent modifier leur coutume pour moduler ou liminer la procdure de llection
au profit dune autre formule quelles jugeraient mieux adapte leur situation. Bien
que cette autonomie normative soit, aux termes de la Loi sur les Indiens, de pure
tolrance puisque susceptible dtre supplante la discrtion du ministre, le contexte
politique dans lequel se dploient actuellement les relations entre ltat et les
autochtones fera obstacle tout unilatralisme dbrid de la part des autorits. Cest
pourquoi il existe aujourdhui, pour la moiti des communauts autochtones, un

53 Dans un rapport dpos devant la Commission royale sur les peuples autochtones, une
organisation dans autochtones dclare : Lart du consensus dans la prise de dcisions se meurt.
[N]ous craignons vraiment que les autochtones assimilent de plus en plus la dmocratie lacte de
voter. Nous sommes convaincus que la prise de dcisions par consensus est essentielle la culture de
nos peuples. : Council of Elders, A Negociation Process for Off-Reserve Aboriginal Peoples in
Ontario, 1993 la p. 5, reproduit dans le Rapport de la Commission royale sur les peuples
autochtones, supra note 1 la p. 149.

54 Russell, supra note 46 aux pp. 103-04.

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MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 49

espace juridique o le choix entre la dmocratie lectorale et dautres procds de
dsignation des membres du conseil de bande reste possible55.

Cet espace samplifierait encore si le Parlement canadien adoptait la proposition
de rforme des institutions gouvernementales autochtones que contient le projet de
Loi sur la gouvernance des premires nations56. Selon ce projet, toutes les
communauts autochtones du pays pourraient adopter par rfrendum un code portant
sur le choix des dirigeants57. Les communauts actuellement rgies par les dispositions
lectorales de la Loi sur les Indiens pourraient dornavant se doter dun systme hybride
o une majorit des conseillers seraient lus alors que les autres seraient dsigns selon
un autre procd58. Pour ces communauts, llection resterait la formule premire mais
ne serait plus la mthode unique de dsignation des dirigeants politiques.

Quant aux communauts observant actuellement un rgime dit coutumier, elles
devraient en codifier les rgles et prvoir, outre un mcanisme dappel, la manire
dont le code pourrait tre subsquemment modifi59. Si leur rgime actuel est de type
lectoral, elles pourraient le modifier pour supprimer en partie ou totalement cette
formule60 ; si ce rgime privilgie un procd qui nest pas llection, il pourrait tre
conserv tel quel selon le vu de la communaut61.

On voit donc que cette rforme de la gouvernance autochtone rendrait
juridiquement possible un recul du principe lectoral en milieu autochtone au Canada.
Des collectivits aujourdhui assujetties intgralement au systme lectoral tatique

55 Rappelons quune communaut laquelle sappliquent les dispositions lectorales de la Loi sur
les Indiens (supra note 14) aux termes de lart. 74 ne sera autorise par le ministre revenir un
rgime communautaire que si ce rgime est de type lectoral. La dcision du ministre de rvoquer
larrt rendant les dispositions de la loi applicables est en effet discrtionnaire et le gouvernement
fdral a donc adopt la politique de ne recourir ce pouvoir quen prsence dun engagement de la
communaut de mettre en place un systme lectif.

56 P.L. C-7, Loi concernant le choix des dirigeants, le gouvernement et lobligation de rendre
compte des bandes indiennes et modifiant certaines lois, Deuxime session, trente-septime
lgislature, 51-52 Elizabeth II, 2002-2003, tel que modifi par le Comit permanent des affaires
autochtones, du dveloppement du Grand Nord et des ressources naturelles, en
ligne :

[Projet de loi].

57 Voir ibid. aux al. 4 (1)(a) et 4 (2). dfaut dadopter un tel code, la communaut tombera sous le

coup dun rgime lectoral gnral prvu dans la loi.

58 Voir ibid. lal. 5(1)(b).
59 Ibid. aux al. 5(2)(b) et 5(3).
60 Cette modification pourrait intervenir soit avant lentre en vigueur de la nouvelle loi,
conformment la procdure de modification amnage dans le code que se donnerait la
communaut en vertu de la loi.

61 La nouvelle loi nen viendrait pas moins rduire lautonomie coutumire actuelle des
communauts puisque celles-ci seraient dornavant juridiquement tenues de codifier leurs pratiques,
de prvoir des mcanismes dappel et dadopter leur code par rfrendum.

2004]

G. OTIS LES PEUPLES AUTOCHTONES DU CANADA

409

pourraient passer un rgime qui ne serait dsormais que partiellement lectoral,
alors que les communauts rgies par la coutume conserveraient la latitude quelles
ont dcarter le recours llection pour la dsignation de leurs chefs. Pour les
peuples autochtones, le projet de loi fdral pose plus que jamais la question du
rapport entre la tradition, la dmocratie et les lections.

Les chefs autochtones contestent cependant la lgitimit politique et la validit
constitutionnelle du projet fdral de loi sur la gouvernance autochtone qui porterait,
selon eux, atteinte au droit inhrent lautonomie gouvernementale des peuples
autochtones62. Larrive dun nouveau premier ministre fdral la fin de lanne
2003 rend dsormais incertaine ladoption du projet.

Il reste voir dans quelle mesure la protection constitutionnelle des droits et
liberts de la personne inflchira les conditions juridiques dune remise en cause par
les autochtones du modle lectif tatique.

V. Le rle de la Charte canadienne dans la qute de rnovation

ou de dpassement du modle lectoral tatique

loin de faire

La validit culturelle de lidologie librale des droits fondamentaux dans les
socits autochtones est
lunanimit, plusieurs estimant que
lindividualisme clbr par les chartes modernes ne peut lgitimement tre greff sur
la culture autochtone rpute communautariste et consensualiste. Pour les tenants de
cette thse, exiger des communauts autochtones le respect des droits et liberts
attendu des autres institutions gouvernementales canadiennes perptuerait la
colonisation culturelle des autochtones63.

En ralit, on ne peut nullement prsumer que la protection des droits
fondamentaux par le biais dun instrument comme la Charte canadienne soit par
dfinition une atteinte lintgrit ou la dignit de la culture autochtone. Ceux qui
avancent quune charte des droits ne permet pas darticuler dune manire
culturellement idoine les droits du groupe et les droits individuels commettent souvent
lerreur de confondre diffrence autochtone et tradition ancestrale. Ces analystes ne
prennent gure au srieux lhypothse dune autochtonie exprimant, en dehors du
rfrent prcolonial ou des valeurs traditionnelles, une singularit culturelle forte et
lgitime.

62 Voir Matthew Coon-Come, Approaching Change: Top Down or Bottom Up, communication

prsente lors du colloque Beyond the Indian Act, Ottawa, 17-18 avril 2002.

63 On consultera entre autres Mary Ellen Turpel, Aboriginal Peoples and the Charter: Interpretative
Monopolies, Cultural Differences (1989) Can. Hum. Rts. Y.B. 3 ; Russell, supra note 46 aux pp.
103-30 ; Boldt et Long, supra note 45 ; Kerry Wilkins, But We Need the Eggs : The Royal
Commission, the Charter of Rights and the Inherent Right of Aboriginal Government (1999) 49
U.T.L.J. 58 aux pp. 86-99. Pour une position plus nuance, voir John Borrows, Contemporary
Traditional Equality : the Effect of the Charter on First Nation Politics (1994) 43 U.N.B.L.J. 19.

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MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 49

La vie autochtone contemporaine nest pas uniquement faonne par le legs des
anctres prcolombiens; elle montre aussi les linaments dune irrfutable modernit :
sdentarit, pousse dindividualisme, conomie
formalise,
urbanisation, intgration dans la structure bureaucratique des services publics et des
transferts financiers tatiques, aspiration au dveloppement conomique par
lexploitation marchande de la terre et des ressources, qute demplois salaris,
consumrisme, sujtion aux mdias et aux technologies de masse, valorisation de la
scolarisation et de la formation technique, crise existentielle dune jeunesse sans
repre et recomposition douloureuse des rapports entre hommes et femmes.

toujours plus

Alors que lappareil gouvernemental, une structure sans quivalent dans lunivers
traditionnel, est devenu omniprsent dans la vie des communauts autochtones, la
capacit des pouvoirs publics daffecter les intrts socioconomiques, la scurit et la
libert des autochtones est sans prcdent dans lhistoire de ces socits64. L o existe
un ample pouvoir de contrainte unilatrale institutionnalise, existe aussi le risque
dabus de pouvoir. Cette situation ne disparatra pas avec lavnement des autonomies
puisque les autochtones rclament en gnral pour leurs gouvernements autonomes
tous les attributs essentiels de la puissance publique tatique65. Or il nest pas vraiment
possible davancer avec un degr lev de certitude que les citoyens autochtones
rcusent en bloc les droits individuels que lidologie librale a scrts pour modrer
cette puissance.

Au-del de la reprsentation, toujours vivace, de socits rtives aux droits et
liberts individuels66, lautochtonie contemporaine ne se rvle pas viscralement
hostile aux revendications de droits fondamentaux. Si lattachement indfectible aux
chartes des droits profess par certaines associations de femmes autochtones est bien
connu, parce que fort mdiatis, on observe aussi que les justiciables autochtones ne
manquent gure une occasion dexiger des autorits fdrales et provinciales le

64 Voir notamment C.E.S. Franks, Rights and Self-government for Canadas Aboriginal Peoples,
dans Curtis Cook et Juan D. Lindau, dir., Aboriginal Rights and Self-Government: the Canadian and
Mexican Experience in North American Perspective, Montral, McGill-Queens University Press,
2000, 101 aux pp. 128-33.

65 Loin de rpudier le modle tatique moderne, les autochtones acceptent souvent de le reproduire
pour lessentiel dans leur ordre politique et constitutionnel autonome. Cela ressort clairement de
lAccord dfinitif Nisgaa, supra note 15 aux chapitres 11 et 12, et des projets de traits faisant
actuellement lobjet de ngociations. Les institutions gouvernementales mises en place ou envisages
prsentent, en effet, les caractristiques essentielles de la modernit juridique.

66 Russell, supra note 46 aux pp. 117-18 et 128-29, crit que Rights theory has a long history
within the common law judicial system, and today it is firmly embedded with the Canadian psyche.
However, Aboriginal people have been less enamoured of such notions … Aboriginal societies
premised on an ethic of care and responsibility have traditionally been interested less in rights than in
concepts of personal obligation.

2004]

G. OTIS LES PEUPLES AUTOCHTONES DU CANADA

411

respect de leurs droits et liberts67. Tout indique quils nen attendent pas moins de
leurs propres autorits dont les actions sont frquemment contestes linitiative de
demandeurs autochtones, notamment en matire dlections coutumires, pour
manquement la Charte canadienne68. Il est particulirement pertinent de relever le
fait que les droits et liberts individuels sont parfois invoqus par des autochtones
lencontre dinstitutions communautaires, telles les cercles de justice en matire
pnale, que lon se reprsente gnralement comme des manifestations plutt fortes
du particularisme autochtone69.

En dfinitive, lorsque lon observe la culture vivante qui transparat des
comportements et du discours des acteurs contemporains, force est de constater que la
diffrence autochtone ne se rduit aucun dogme traditionaliste, nulle vrit
statique et impermable aux multiples interprtations de lidentit et de la culture.

De toute manire, il fait peu de doute que, mme si les tribunaux nont pas encore
clairement tranch la question70, la Charte canadienne sapplique en droit positif la
procdure de dsignation coutumire des membres dun conseil de bande exerant
les attributions prvues par la Loi sur les Indiens.

Le Parlement et lexcutif centraux ainsi que toute autorit ou organisme faisant
partie de la structure gouvernementale fdrale seront tenus au respect des droits et
liberts inscrits dans la Charte canadienne. La Cour suprme applique en outre cet
instrument toute entit exerant, en vertu dune dlgation de la loi, un pouvoir
visant la ralisation dune politique gouvernementale71. Lassujettissement de la

67 On en trouve un exemple loquent dans la longue bataille judiciaire mene par des autochtones
rsidant lextrieur des rserves en vue de faire dclarer inconstitutionnel, parce que contraire au
droit lgalit garanti dans la Charte canadienne, le para. 77(1) de la Loi sur les Indiens, supra note
14, qui les privait du droit de vote aux lections tenues conformment la Loi. La Cour suprme du
Canada leur a donn raison : voir Corbiere c. Canada, [1999] 2 R.C.S. 203, [1999] A.C.S. no. 24
[Corbiere avec renvois aux R.C.S.].

68 Voir par ex. les quelques affaires rcentes suivantes : Francis, supra note 32 ; Scrimbitt c. Sakimay
Indian Band Council, [2000] 1 F.C. 513, [1999] A.C.F. no 1606 (1re inst.) ; Hall c. Bande indienne
Dakota Tipi, [2000] A.C.F. no. 207, [2000] 4 C.N.L.R. 108 (1re inst.) ; Gros-Louis c. Nation Huronne-
Wendat (Conseil), [2000] A.C.F. no 1529 (1re inst.) ; Sark c. Lennox Island, [1999] A.C.F. no 1025 (1re
inst.) ; Crow c. Bande indienne du Bande de Blood, [1996] A.C.F. no 119, 107 F.T.R. 270 (1re inst.).

69 Voir notamment Helli Hgh, Finding a Balance Between Ethnicity and Gender Among Inuit in
Arctic Canada dans Diana Vinding, dir., Indigenous Women: the Right to a Voice, Copenhague,
International Working Group for Indigenous Affairs, 1998, 75.

70 Les juges ont ce jour plutt tenu pour acquise lventuelle application de la Charte canadienne
la coutume lectorale sans examiner en dtail la question : voir la jurisprudence rsume dans
Francis, supra note 32 au para. 77.

71 Blencoe c. Colombie-Britannique, [2000] 2 R.C.S. 307, [2000] A.C.S. no 43 ; Eldridge c.
Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 624, [1997] A.C.S. no 86 [Eldridge avec renvois aux R.C.S.] ;
Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, [1989] A.C.S. no 45. Ainsi, un
conseil de bande sera assujetti la Charte canadienne dans lexercice des pouvoirs que lui attribue la

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coutume lectorale de la bande la Charte canadienne ne saurait toutefois se justifier
par le jeu de la thorie des pouvoirs dlgus. La jurisprudence estime en effet que le
pouvoir de la bande de choisir ses dirigeants selon la coutume est inhrent, cest–
dire quil ne tire pas sa source originelle de la loi mais bien de lexistence historique
de la communaut en marge du droit tatique72.

En revanche, mme si la prrogative coutumire de la bande est de source non
tatique, lusage quen fait ltat lui-mme pourra suffire faire jouer les garanties de
la Charte canadienne. La Loi sur les Indiens, qui est incontestablement vise par
lalina 32(1)(a) de la Charte canadienne, vient donner effet aux normes coutumires
dans le droit fdral. En sappropriant ses fins le travail normatif de la communaut,
le Parlement fdral fait de celle-ci un rouage essentiel de la mise en uvre de sa
politique lgislative. La formation du conseil de bande selon la coutume, dont le
Parlement lui-mme fait une condition pralable la capacit du conseil dexercer les
pouvoirs confrs par la Loi sur les Indiens, devient partie intgrante de la politique
gouvernementale vhicule par cette dernire. En incorporant ainsi les rgles
communautaires son corpus juridique et son action lgislative, le Parlement fdral
en fait une conduite suffisamment intgre lordre tatique pour tre contrainte par
la Charte canadienne.

Cest parce quils nont pas peru cette dynamique dintgration fonctionnelle de
la coutume de la bande la politique lgislative fdrale que certains auteurs, insistant
sur le caractre inhrent du pouvoir lorigine de la coutume lectorale, ont estim
que celle-ci ne pouvait tomber sous le coup de larticle 32 de la Charte canadienne73.
La nature originairement extra-tatique de la rgle coutumire vise par la Loi sur les
Indiens ne saurait en effet tre dterminante puisque soustraire tout examen fond
sur la Charte candienne une rgle formellement mobilise par la Parlement pour
raliser sa politique de gouvernance des autochtones reviendrait permettre au
lgislateur dchapper la Charte canadienne en faisant siennes des normes manant
dentits ne pouvant, par hypothse, tre qualifies de gouvernementales au sens de
larticle 32 de la Charte canadienne. Lemprunt par le gouvernement de normes
labores par un corps non vis par larticle 32 ne devrait pas davantage chapper aux
prescriptions de linstrument constitutionnel que lopration inverse, beaucoup plus

Loi sur les Indiens en vue de raliser la politique gouvernementale fdrale que vhicule cette loi.
Voir notamment Canada (Commission des droits de la personne) c. Conseil de la Bande de Gordon,
[2001] 1 C.F. 124 au para. 32, [2000] A.C.F. no 1175 (C.A.) ; Horselake First Nation v. Horseman,
[2003] 2 C.N.L.R. 193 (Alta. Q.B.).

72 Bone c. Conseil de la bande indienne de Sioux Valley No 290, [1996] A.C.F. no 150, 107 F.T.R.

133 (1re inst.) ; Francis, supra note 32 au para. 18.

73 Voir par ex. Kent McNeil, Aboriginal Governments and the Canadian Charter of Rights and
Freedoms (1996) 34 Osgoode Hall L.J. 61 aux pp. 88-90, reproduit dans Kent McNeil, Emerging
Justice? Essays on Indigenous Rights in Canada and Australia, Saskatoon, University of
Saskatchewan Native Law Center, 2001, 215.

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G. OTIS LES PEUPLES AUTOCHTONES DU CANADA

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usite, qui consiste dlguer des pouvoirs gouvernementaux une entit par ailleurs
prive74.

On ne peut non plus passer sous silence le fait que linapplicabilit de la Charte
canadienne aux communauts rgies par la coutume crerait une ingalit
fondamentale entre les individus autochtones du pays puisque le degr de protection
de leurs droits et liberts varierait selon quils appartiennent ou non une bande vise
par un dcret ministriel pris en vertu de larticle 74 de la Loi sur les Indiens75.
Autrement dit, en exerant sa discrtion dautoriser une bande revenir un rgime
coutumier, le ministre se trouverait priver du mme coup tous les membres de cette
communaut de la protection de la Charte canadienne eu gard au processus de
dsignation de leurs dirigeants. Si tel tait le cas, il faudrait sattendre ce que les
autorits fdrales soient plus hsitantes carter llection prvue par la Loi sur les
Indiens.

Certes, larticle 25 de la Charte canadienne dispose que cette dernire ne porte
pas atteinte aux droits et liberts ancestraux, issus de traits ou autres des
peuples autochtones du Canada … . Le droit dune bande, reconnu par la Loi sur les
Indiens, de dsigner ses dirigeants selon la coutume tant probablement protg par
cette disposition, il en rsulte que lexistence mme de ce droit ainsi que ses
caractristiques fondamentales se trouvent labri dune attaque pour violation dun
droit ou dune libert garantis par la Charte canadienne76. Cette immunit ne stend
toutefois pas aux simples modalits dexercice dun droit vis par la clause de
sauvegarde. Cest ce qui ressort de la jurisprudence de la Cour suprme relative aux
dispositions ou principes du mme type que larticle 2577. La conformit la Charte
canadienne sera donc, dans la plupart des cas, une condition de la validit juridique
de tout procd communautaire de constitution dun conseil de bande au sens de la
Loi sur les Indiens. De mme, sil est adopt, le projet de Loi sera assujetti la

74 Eldridge, supra note 71 au para. 42.
75 Il ne fait en effet pas de doute que la Charte canadienne sapplique aux rglements lectoraux

prvus par la Loi sur les Indiens, supra note 14 : voir Corbiere, supra note 67.

76 Par exemple, lart. 25 de la Loi sur les Indiens, ibid., empche den attaquer lart. 2, qui valide un
code coutumier au motif que cette disposition autoriserait un traitement moins favorable que le
rgime lectoral dcoulant de lart. 74. De mme, il fait obstacle la contestation du code lectoral
dune communaut donne qui serait moins avantageux que celui dune autre communaut. La
capacit de chaque communaut rgie par la coutume de se doter dun code distinctif est une
caractristique essentielle du droit reconnu par lart. 2 de la Loi.

77 Voir notamment, Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to Amend the Education Act (Ont.),
[1987] 1 R.C.S. 1148, [1987] A.C.S. no 44 ; Adler c. Ontario, [1996] 3 R.C.S. 609, [1996] A.C.S. no
110. Voir aussi Peter W. Hogg et Mary Ellen Turpel, Implementing Aboriginal Self-Government:
Constitutional and jurisdictional Issues (1995) 74 R. du B. can. 187 aux pp. 213-15 ; Macklem,
supra note 11 aux pp. 221-27 ; Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, supra
note 1 aux pp. 250-58. Voir toutefois McNeil, supra note 73 aux pp. 68-79 et 88-90, et Wilkins, supra
note 63 aux pp. 108-14.

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protection constitutionnelle des droits et liberts et il en ira de mme des rgles de
dvolution du pouvoir que se donneront les communauts conformment aux
dispositions de cette loi.

Ds lors, sil est vrai que llection des membres dun conseil de bande
autochtone au sens de la lgislation fdrale nest pas imprativement requise par la
Charte canadienne78, on voit mal comment le respect des droits fondamentaux
pourrait prendre racine en dehors du terreau dmocratique. Comment, en effet,
pourrait-on faire totalement limpasse sur le consentement des gouverns sans
discriminer en matire de droits politiques79 ? Le droit du sang et les prrogatives
matriarchales ou grontocratiques pourraient tre considres comme autant
datteintes au droit des individus lgalit sans gard ltat civil, au sexe, lge et
aux origines familiales. Ne sera tenue pour discriminatoire au sens de larticle 15 de la
Charte canadienne quune diffrence de traitement, fonde sur un motif numr ou
analogue, ayant par ailleurs pour effet de porter atteinte la dignit de la personne80.
Pour dterminer sil y a atteinte la dignit, les tribunaux tiennent compte de divers
facteurs contextuels dont le dsavantage prexistant subi par les personnes exclues
dun bnfice, la correspondance entre la diffrence de traitement et la situation des
personnes exclues ainsi que limportance des intrts en cause pour les personnes
exclues. Dans lapplication de ces facteurs contextuels, la Cour suprme a, ce jour,
accord une trs grande importance au droit des autochtones de participer la vie
politique de leur communaut81. Lanalyse contextuelle devrait ainsi amener les
tribunaux conclure que la ngation totale de droits politiques en raison de ltat civil,
du sexe, de lge ou des origines familiales constitue une violation premire vue de
larticle 15.

Certes, selon larticle 1 de la Charte canadienne, une restriction un droit ou une
libert peut nanmoins tre juge constitutionnellement valide sil sagit par ailleurs
dune mesure raisonnable dont la justification puisse se dmontrer dans une socit
libre et dmocratique. Mais un rgime de dsignation des dirigeants autochtones qui
serait, par hypothse, exclusivement hrditaire serait insusceptible de validation aux
termes de larticle 1 puisque la justification ne peut se concevoir, selon le libell
mme de la disposition justificative, en dehors des valeurs dune socit
dmocratique82. Cela ne signifie pas, en revanche, que la Charte canadienne rend

78 Lart. 3 de la Charte canadienne qui garantit aux citoyens canadiens le droit de vote ne sapplique
quaux lections lgislatives fdrales et provinciales : voir Haig c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 995,
[1993] A.C.S. no 84.

79 Voir lal. 15(1) de la Charte canadienne.
80 Voir Law c. Canada (Ministre de lEmploi et de lImmigration), [1999] 1 R.C.S. 497, [1999]

A.C.S. no 12.

81 Voir Corbiere, supra note 67.
82 Rappelons que dans R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103 au para. 64, [1986] A.C.S. no 7, la Cour
suprme a insist sur le fait que, dans lapplication de lart. 1 de la Charte canadienne, Les tribunaux
doivent tre guids par des valeurs et des principes essentiels une socit libre et dmocratique

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G. OTIS LES PEUPLES AUTOCHTONES DU CANADA

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constitutionnellement illicite toute forme de participation privilgie des notables
coutumiers ans, chefs hrditaires, mres de clan aux organes contemporains
de direction. supposer quune telle participation soit premire vue juge contraire
au droit lgalit nonc larticle 15 de la Charte canadienne, on pourra dans
certains cas la justifier en vertu de larticle 1. Confrer de tels acteurs traditionnels
des droits politiques particuliers servirait en effet une finalit importante et lgitime en
incarnant au sein du gouvernement lunit et la continuit tant historique que
culturelle de la collectivit. Ces membres traditionnels pourraient en outre exercer une
fonction snatoriale en clairant les lus quant aux meilleurs moyens de prserver
lharmonie du groupe, den assurer la prennit et doprer le dialogue entre le pass
et le prsent.

Dans la mesure o les instances traditionnelles prsentes au conseil ne joueront
quun rle consultatif ou ne jouiront pas dun poids dcisionnel formel leur
permettant de faire chec la volont des membres lus du conseil, le juge de la
constitutionnalit devrait admettre que la prsence au sein dun gouvernement
autochtone de personnalits non lues issues des pouvoirs traditionnels se justifie
demble dans une socit dmocratique ouverte la diffrence autochtone. Ce type
dorgane de composition bipartite permettrait une coordination originale des
lgitimits moderne et traditionnelle sans disqualification du principe dmocratique.

Par ailleurs, mme si le respect des droits fondamentaux ne pourra gure se
concevoir en labsence de dmocratie, on peut douter, linstar des critiques du
systme lectif en milieu autochtone, que llection constitue une condition sine qua
non de conformit dmocratique. Le consentement des gouverns ne peut-il pas se
dgager au terme de procdures consensualistes non lectorales conformes la
tradition autochtone ? En plus de rpondre au besoin defficacit dcisionnelle et de
tenir compte de lactuelle dmographie autochtone, toute formule de dvolution du
pouvoir par consensus devra toutefois tre respectueuse de la libert dexpression, de
la libert dassociation et de lgalit politique des individus. La protection de ces
droits et liberts individuels sera particulirement ncessaire pour assurer lgalit de
candidature et pour minimiser lintimidation et les reprsailles lencontre des
participants aux discussions visant latteinte dune dcision consensuelle.

Si, tel quavanc ci-haut, un gouvernement partiellement lectif contrl par les
lus mais intgrant des notables coutumiers satisferait les exigences de larticle 1 de la
Charte canadienne, il en irait de mme dun gouvernement non lectif plac sous le
contrle des membres nomms par consensus dmocratique mais comprenant aussi
des conseillers de plein droit reprsentant les pouvoirs traditionnels.

Toutes ces considrations sur le dpassement ou la dilution du principe lectoral
ne devraient pas occulter le fait que la conformit la Charte canadienne simpose

dont la foi dans les institutions sociales et politiques qui favorisent la participation des particuliers et
des groupes dans la socit.

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mme pour un rgime pleinement lectoral de dsignation des chefs autochtones.
cet gard, la libert dassociation au sein de groupes politiques libres de toute
obdience lignagre, les droits de candidature et la composition du corps lectoral
savreront particulirement sensibles. Il ressort par exemple de la jurisprudence de la
Cour suprme du Canada quil sera inconstitutionnel, parce que discriminatoire, de
nier tout droit de participation politique aux membres dune bande qui rsident
lextrieur du territoire communautaire83.

Conclusion

En ce dbut de vingt et unime sicle, plusieurs autochtones souhaitent tirer un
trait dfinitif sur la Loi sur les Indiens ; la plupart des chefs veulent aussi en finir avec
les tentatives du gouvernement fdral de toiletter cette vieille loi exhalant
lvolutionnisme victorien. Les autochtones revendiquent le passage une autre tape
historique dans leur relation avec ltat : celle de lautonomie politique galitaire et
effective scurise dans la loi fondamentale du pays. la faveur de ce nouvel ordre
autonomique, ils esprent inventer des institutions gouvernementales porteuses de
dignit culturelle dans lesquelles se reconnatront les gnrations actuelles et futures.

Au moment de dfinir la place de la dmocratie et de llection dans les
constitutions des futurs gouvernements autonomes, les collectivits concernes feront
le bilan des pratiques lectorales qui se sont gnralises sous ladministration de la
Loi sur les Indiens. Elles devront aussi composer avec la politique de conditionnalit
dmocratique du gouvernement fdral qui, dans les ngociations visant la
conclusion de traits et daccords dautonomie gouvernementale, se fait le chien de
garde de certaines valeurs ou principes de bonne gouvernance rputs tre le
patrimoine inalinable de tous les Canadiens.

Rien ne permet de penser que les autochtones entendent renier lidal
dmocratique et rpudier les droits fondamentaux. Il parat en revanche assur que
plusieurs poseront la question de ladquation culturelle des procds propres la
dmocratie lectorale de type occidental. Cette rflexion nous parat tout fait
opportune et ncessaire mais elle ne permettra pas dluder la confrontation des
pratiques autochtones aux droits fondamentaux protgs dans la Charte canadienne.
Pareille confrontation inflchira la qute de solutions de rechange la dmocratie
lectorale sans pour autant faire blocage aux attnuations innovatrices de la logique
lective. Au regard de la Charte canadienne, llection nest pas un droit fondamental
proscrivant les pratiques consensualistes dinspiration coutumire.

Forcment porteurs de ferment dmocratique,

les droits fondamentaux
empcheront cependant un retour aux usages ancestraux par lesquels on entendrait
clipser totalement la lgitimit procdant du consentement des gouverns. Lavenir

83 Corbiere, supra note 67.

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dira si la contribution originale des peuples autochtones du Canada au dveloppement
politique de lhumanit sera davoir pens et ralis la dmocratie sans les lections
mais aussi sans dni des droits fondamentaux.