Article Volume 42:2

Les confins du droit civil et du droit pénal : l’avortement et les droits de l’enfant conçu

Table of Contents

Les confins du droit civil et du droit p6nal :
I’avortement et les droits de l’enfant conqu

Michel Morin’

L’arrt Tremblay c. Daigle a oblig6 la Cour su-
preme du Canada a s’interroger sur le statut de l’enfant
conqu en droit civil. Sa motivation a 6t6 critique pour
des motifs L la fois historiques et juridiques. L’auteur
tente de montrer que la solution retenue par la Cour est
cependant justifi6e. Par le passe, Ia reconnaissance de
droits h 1’enfant conqu et l’interdiction de ‘avortement
ont toujours constitu6 des questions distinctes. La
premiere rel~ve du droit priv6, tandis que la seconde
appartient au droitp dnal.

De nos jours, les droits reconnus 4 ‘enfant conqu
t re exercs pendant la grossesse,
ne sont pas destinds
sauf s’il est n6cessaire de prendre une mesure conserva-
toire. Cette possibilit6 n’a jamais 6t6 interpr~t~e comme
permettant d’imposer une ligne de conduite A la femme
enceinte. En outre, les textes prot6geant les droits fon-
damentaux ainsi que les r;gles du droit civil permettent
a la femme de se faire avorter pour protAger sa sant6
physique ou psychologique. De plus, it n’est plus pos-
sible d’affirmer que l’avortement est contraire L l’ordre
public. Finalement, l’injonction d6livre par la Cour
sup~rieure aurait oblig6 Chantal Daigle A accoucher ou
t subir une fausse couche, ce qui va
l’encontre des
principes applicables A ce recours. Elle aurait expos6
les femmes enceintes a une condamnation pour outrage
au tribunal, cc qui aurait eu pour effet d’interdire
l’avortement sous peine de sanction p~nale. Ce rsultat
est inacceptable du point de vue constitutionnel, car
cette question rel~ve de Ia competence exclusive du
Parlement f&l6ral sur le droit criminel proprement dit.

In Tremblay v. Daigle, the Supreme Court of Ca-
nada was called to examine the status of the unborn
child under the Civil Law. Its reasons for judgment we-
re criticized on historical as well as legal grounds. Ne-
vertheless, the author argues that the correct result was
reached. In the past, the recognition of the unborn
child’s rights and the prohibition of abortion were al-
ways considered to be two separate questions. The
former was answered by private-law rules, whereas the
latter came under the ambit of the criminal law.

Nowadays, the Civil Law does not provide for the
immediate exercise of the rights of the unborn child,
except when conservatory measures must be taken.
This last possibility has never been construed as for-
cing a pregnant woman to conduct herself in a certain
way. Moreover, human-rights legislation and civil-law
principles authorize a woman to undergo an abortion in
order to protect her physical or psychological health. It
is no longer possible to maintain that abortion is contra-
ry to public policy. Furthermore, the injunction granted
against Chantal Daigle would have forced her to give
birth or suffer a miscarriage. This result cannot be sus-
tained under the rules governing this remedy. Women
would risk being found in contempt of court. Therefore
the prohibition of abortion would be backed by the
threat of a fine or imprisonment. This would be unac-
ceptable from a constitutional perspective, since Par-
liament has exclusive jurisdiction over the criminal law.

. Professeur titulaire A la Section de droit civil de la Facult6 de droit de l’Universit6 d’Ottawa. Nous
avons b6n6fici6 des commentaires de nos collfgues Michelle Boivin, Yves De Montigny, Germain
Brire, Michelle Giroux, Andr6 Jodouin, Marie Pratte, Daniel Proulx, ainsi que des professeures tli-
zabeth Fortis, de l’Universitd de Cergy-Pontoise et Anne Lefebvre-Teillard, de l’Universit6 Paris HI.
En outre, M. Martin Goyette, 6tudiant en troisi~me ann6e A la Section de droit civil, a collabor6 au re-
prage des documents de droit frangais. Qu’ils soient tous et toutes remerci6s de leur pr6cieuse colla-
boration, laquelle ne signifie en aucune mani~re qu’ils souscrivent au contenu du texte. Un dernier
mot A I’attention de notre regrette coll~gue Mar~ne Cano, qui avait lu une premihe version de cette
6tude et nous avait fait part de ses observations deux mois peine avant son d6c;s. Cet article lui est
d&li6, en t6moignage d’estime et d’amiti6.

Revue de droit de McGill
McGill Law Journal 1997
Mode de rf6rence : (1997) 42 R.D. McGill 199
To be cited as: (1997) 42 McGill L.J. 199

200

McGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 42

Introduction

I. L’avortement et la reconnaissance des droits de l’enfant conqu

legons de I’histoire
A. Le droit romain

les

1. Le droit des personnes

a. La puissance paternelle
b. Le mariage et le divorce
2. *La grossesse et I’avortement

a. La grossesse de la femme divorc6e ou de la veuve
b. L’avortement
c. L’avortement et les retenues sur la dot

3. Le droit romain : conclusion

B. La protection de I’enfant conou dans I’ancien droit frangais

1. Le r6le du curateur au ventre

a. L’ancien droit frangais
b. La codification et ses suites

2. L’ancien droit p6nal et [a justification du crime d’avortement

a. L’avortement et I’infanticide
b. Le recours au droitp6nal

3. L’ancien droit frangais : conclusion

C. Le droitp6nal canadien
D. Les legons de I’histoire: conclusion

II. La femme enceinte et les droits de ‘enfant conqu : les limites du

droit qu6bdcois
A. Les droits reconnus 4 I’enfant conqu en droit civil

1. Les dispositions du Code civil

a. La curatelle 5 l’enfant conqu
b. Les successions et la personnalit de I’enfant conqu
c. La suspension de la prescription

2. Les cons6quences ddcoulant de la reconnaissance des droits de

l’enfant conqu
a. La responsabiht6 civile
b. L’avortement et la r6alisation de la condition

3. Les droits de I’enfant conqu en droit civil : conclusion

B. LibertM de choix ou droit J la vie de I’enfant conqu ?

1. Les droits de la femme enceinte concernant sa sant6

a. Le droit de refuser de se faire soigner
b. Le droit i la sant6 physique et psychologique
c. Les risques pos6s par I’avortement et les d6laisjudiciaires

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CONpU

201

2. Les arguments favorisant [a libert6 de choix
a. Le caractbre inappropriO de l’injonction
b. Les mbres-porteuses
c. L’ordre public

3. Les insuffisances de la protection accord~e & I’enfant conqu

a. Les problmes li6s i /a nomination d’un repr6sentant
b. La libertM d’action de la femme enceinte
c. Les obligations du pbre en I’absence de mariage

4. U28tre humain

a. L’enfant conqu, un 6tre humain ?
b. Etre humain … apr~s quelques semaines ?

C. Les limites pos6es par le f6d6ralisme canadien

1. L’injonction en droit constitutionnel

a. L’outrage au tribunal
b. L’injonction et le f6d~ralisme

2. L’avortement et le partage des pouvoirs 16gislatifs

a. Le domaine du droit criminel canadien
b. L’avortement et les soins de sant6
c. La proprit6 et les droits civils

Conclusion

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MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

Introduction

,

2

En 1988, la Cour supreme du Canada declare inop&ante la disposition du Code
criminel’ concernant 1’avortement. En
‘absence de prohibition p6nale, des justicia-
bles canadiens se tournent alors vers les r~gles du droit priv6 provincial afin de faire
obstacle au libre choix des femmes enceintes. Au Qu6bec, Jean-Guy Tremblay ob-
tient, de la Cour sup6rieure, la d6livrance d’une injonction interdisant A son ex-
compagne, Chantal Daigle, de se faire avorter ; ce jugement est confirm6 par un arrt
majoritaire de la Cour d’appel du Qu6bec3. En aofit 1989, la Cour supreme du Canada
accueille cependant le pourvoi form6 A l’encontre de cette d6cision et rejette Ia re-
quete de Jean-Guy Tremblay4. Dans ses motifs, d6pos6s trois mois plus tard, la Cour
analyse les r~gles du droit civil qu6b6cois et conclut qu’elles ne protgent pas le foe-
tus contre l’avortement. La motivation de cet arr& a 6t6 jug6e d6cevante par un grand
nombre de juristes. Parmi eux, le professeur Paul-Andr6 Cr6peau conclut qu’il est
<>5.

Selon nous, la solution retenue par la Cour supreme est la seule qui soit accepta-
ble dans le contexte juridique et social qui est le n6tre. Deux approches diff6rentes
permettent d’6tayer cette affirmation. Dans la premi~re partie du texte, une analyse
historique met Ajour les limites de la protection accord6e h l’enfant conqu par le droit

‘ L.R.C. 1985, c. C-46, art. 287 [ci-apr~s Code criminel] ; en 1988, il s’agit de l’article 251 du Code
2 R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30,44 D.L.R. (4’) 385 [ci-apr~s R. c. Morgentaler (1988) avec

criminel, L.R.C. 1970, c. C-34 [ci-apr~s Code criminel de 1970].

renvois aux R.C.S.].

‘ Apr~s une cohabitation de quelques semaines, Chantal Daigle et Jean-Guy Tremblay d~cident de
se marier et de concevoir un enfant. A deux reprises, Chantal Daigle est saisie violemment ou proje-
te par terre par Jean-Guy Tremblay, qui est jaloux et possessif. En juillet 1989, elle d6cide de le
quitter et de se faire avorter. Selon le t6moignage d’un m&lecin, le foetus doit atteindre l’fige de vingt
semaines le 21 juillet 1989. Jean-Guy Tremblay obtient d’abord la d61ivrance d’une injonction provi-
soire, puis d’une injonction interlocutoire (Tremblay c. Daigle, [1989] R.J.Q. 1980 A lap. 1982 (C.S.)
[ci-apr~s Daigle (C.S.)], le 17 juillet 1989). La Cour d’appel confirme ce jugement par une d6cision
majoritaire des juges Bemier, Nichols et LeBel, les juges Chouinard et Tourigny 6tant dissidents
([19891 R.J.Q. 1735,59 D.L.R. (4’) 609 [ci-apr~s Daigle (C.A.) avec renvois aux R.J.Q.], le 26juillet
1989).

“L’arr& de la Cour d’appel est infirm6 par un arrat unanime des neufs juges de ]a Cour supreme,
rendu A l’audience le 8 aoft 1989. Les juges apprennent cejour-lA que l’avortement a d6j, eu lieu. Iis
poursuivent n~anmoins
‘audition et d6posent les motifs de leur decision le 16 novembre 1989
(Tremblay c. Daigle, [1989] 2 R.C.S 530, 62 D.L.R. (4) 634 [ci-apr~s Daigle (C.S.C.) avec renvois
aux R.C.S.]).

5 R-A. Cr~peau, L’affaire Daigle et la Cour supreme du Canada ou ]a m6connaissance de la tradi-
tion civiliste>> dans E. Caparros, dir., Milanges Germain Brire, Montr6al, Wilson & Lafleur, 1993,
217 A la p. 275. La professeure Suzanne Philips-Nootens a dgalement propos6 une r6flexion appro-
fondie sur le statut de 1’enfant conqu en droit civil, qui s’oppose A l’arr& Daigle (C.S.C.) : S. Philips-
Nootens, <
dans Caparros, dir., ibid., 197.

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CON(U

203

civil. Qu’il s’agisse du droit romain (IA) ou de l’ancien droit frangais (I.B), ce sont
toujours les r~gles du droit p6nal qui ont prohib6 ou permis le recours A 1’avortement,
quand bien meme l’enfant conqu aurait joui par ailleurs de certains droits. Cela est
6galement vrai du droit pdnal canadien (partie I.C).

La seconde partie porte sur le droit contemporain. Elle aborde en premier lieu les
rfgles du droit civil qu6b6cois concemant l’enfant congu. I1 appert que celles-ci ne
conferent pas des droits destin6s 8tre exerc~s pendant la grossesse, meme s’ils sont
conserv6s pendant cette p6riode (HA). En outre, ces r~gles ne peuvent 8tre oppos6s
au droit de la m~re h la sant6 physique et psychologique, ainsi qu’
sa libert6 de
choix. II en d6coule que les termes otre humain , tels qu’employ6s dans les Codes
civils’, ne sauraient s’appliquer t l’enfant conqu (ll.B). La th~se soutenue par les pro-
cureurs de Jean-Guy Tremblay se heurte 6galement des difficult6s d’ordre constitu-
tionnel. Elle a pour effet de cr6er une interdiction pure et simple par le biais d’une in-
jonction, dont la violation est susceptible de donner lieu A une condamnation
une
peine d’amende on d’emprisonnement, au nom de considerations morales. Elle em-
pite ainsi sur un domaine de comp6tence f6d~rale exclusive, la cr6ation de crimes
(II.C).

Avant d’aborder ces questions juridiques et historiques, il convient de pr~ciser
notre position personnelle. Une discussion portant sur le droit des femmes de recourir
l’avortement fait appel aux valeurs de chacun et de chacune ; il nous parait irr6aliste

‘Les principes du droit romain sont cites par le professeur Crpeau, ibid. aux pp. 255-57. Cet appel
A l’ancien droit est parfaitement 1gitime. En effet, l’art. 2712 C.c.B.-C. permettait de suppler aux la-
cunes du code ou d’interpr&er ses dispositions en faisant appel h l’ancien droit, soit celui de la Nou-
velle-France, tel que modifi6 jusqu’en 1865. Or le droit frangais familial tire en partie ses sources du
droit romain. Voir J.E.C. Brierley, Quebec’s Civil Law Codification Viewed and Reviewed
(1968)
14 R.D. McGill 522 ; J.E.C. Brierley et R.A. Macdonald, dir., Quebec Civil Law-An Introduction to
Quebec Private Law, Toronto, Emond Montgomery, 1993 aux pp. 9-12, n 9-11 ; M. Morin, La per-
ception de l’ancien droit et du nouveau droit franais au Bas-Canada, 1774-1866> dans H.P. Glenn,
dir., Droit qugbfcois et droitfrangais : communauti, autonomie, concordance, Cowansville, Yvon
Blais, 1993, 1.

Apr s que nous ayons r~dig6 cette 6tude, Madame la professeure Anne Lefebvre-Teillard faisait
paraitre son Introduction historique au droit des personnes et de lafamille, Paris, Presses universitai-
res de France, 1996. Cet excellent ouvrage contient toutes les informations bibliographiques pertinen-
tes sur le droit romain et le droit frangais de l’Ancien R6gime.
Art. 18 C.c.B.-C. et art 1 C.c.Q. La professeure Philips-Nootens soutient que les dispositions du
nouveau Code peuvent etre interpr6t~es comme confrant une personnalit6 juridique
l’enfant congu
(voir supra note 5 L la p. 205). Pour sa part, le professeur Cr6peau estime que l’arr& Daigle (C.S.C.),
supra note 4, mconnait la tradition civiliste et ne saurait avoir aucune autorit6 au Qudbec (voir supra
note 5 A la p. 276).

En aofit 1996, un mar demande la d6livrance d’une injonction interlocutoire afin d’interdire A sa
conjointe, domicili~e au Nouveau-Brunswick, de se faire avorter au Qu6bec. La Cour supdrieure ac-
cueille la requate en irrecevabilit6 prsent~e par l’intim6e, au motif que depuis l’arrt Daigle, ni la
jurisprudence ni la doctrine n’ont 6volu6 dans une direction qui permettrait d’entrevoir la reconnais-
sance 6ventuelle des droits du pare sur le foetus qu’il a engendrdo. En outre, le 16gislateur aurait pu
octroyer des droits au foetus A l’occasion de la r6forme du Code civil, ce qu’il n’a pas fait: Th~riault
c. Gauvreau, [1996] R.LQ. 2328 (C.S.).

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MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL

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de pr~tendre en faire abstraction. Nous avouerons au depart 6prouver une certaine
admiration pour Ia force des convictions de ceux et celles qui, contre vents et mar6es,
proclament leur attachement A la vie humaine et veulent assurer sa protection. Une
telle approche a cependant pour consequence de faire abstraction des difficult6s v6-
cues par les fermmes8. Encore de nos jours, dans l’immense majorit6 des cas, la more
assume la responsabilit6 principale de l’ducation des enfants. Pour s’acquitter de
cette tfche, il lui faut consentir des sacrifices personnels et professionnels importants.
De plus, la grossesse et la ddcision d’y mettre fin mettent en cause on ne peut plus di-
rectement son corps et sa sant6. Dans ces conditions, nous croyons fermement que
l’avortement est une question de conscience qui doit 8tre tranch6e uniquement par la
femme enceinte9.

I. L’avortement et la reconnaissance des droits de

‘enfant

conqu : les legons de I’histore
Au cours des si~cles, les r~gles du droit priv6 prottgeant 1’enfant conqu et celles
du droit p6nal concernant l’avortement ont t6 clairement distingu6es. Ce constat peut
6tre fait en examinant les principes du droit romain s’appliquant aux femmes,
t
1’enfant conqu et A l’avortement (A). En France, pour les juristes de l’Ancien R6gime,
l’interdiction de l’avortement relive 6galement du droit p6nal, m8me si les droits de
l’enfant conqu y sont tr~s clairement reconnus (B). Enfin, l’6volution des r~gles du
droit ptnal canadien illustre elle aussi ce ph6nom~ne (C). Ce survol historique nous
permettra de constater que la reconnaissance des droits de l’enfant conqu n’est pas
toujours all6e de pair avec la prohibition de l’avortement. II n’est donc pas possible de
s’appuyer sur 1’exp6rience du pass6 pour tirer des conclusions quant A la lic6it6 de
l’avortement A ‘heure actuelle au Quebec.

‘ Voir sur ce sujet D. Greshner, > (1990) 35 R.D. McGill 633. Les juristes feministes sont l4 pour nous rappeler que, trop sou-
vent, le syst~mejudiciaire vehicule les valeurs et les preoccupations des hommes, ce qui fait obstacle
A la pleine reconnaissance des problmes vecus par les femmes et A ]a mise en oeuvre de solutions.

9 Nous approuvons donc sans r6serve les propos tenus par la juge Wilson dans R. c. Morgentaler
(1988), supra note 2 aux pp. 161-85, quant au droit A ]a libert6 garanti par les art. 2 et 7 de la Charte
canadienne des droits et libertis, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B
de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U.), 1982, c. 11 [ci-apr~s Charte canadienne], Ses collfgues de
la majorit6 n’ont pas voulu discuter de cette question (pp. 51, 56-57 et 73-74 des notes du juge en
chef Dickson, auxquelles a souscrit le juge Lamer; pp. 113-14 des notes du juge Beetz, auxquelles a
souscrit le juge Estey ; lejuge McIntyre a r&lig6 les notes de la dissidence, avec l’accord du juge La
Forest). Schfmatiquement, la juge Wilson aftrine que l’avortement est une question de conscience,
mais reconnaft que le 16gislateur peut vraisemblablement restreindre le droit A l’avortement, au cours
du second Irimestre de la grossesse (pp. 180-84). II est vrai qu’une telle r~gle limiterait l’accs A
l’avortement. Les femmes en seraient cependant informees et pourraient agir librement au cours de la
priode oa l’avortement serait permis. A l’heure actuelle, en l’absence de disposition penale, les nor-
mes de la profession mdicale foumissent des balises en matire d’avortement. Au Quebec, cette in-
tervention n’est presque jamais pratiquee aprbs les vingt preniieres semaines de la grossesse (voir
notamment Daigle (C.S.), supra note 3 ; Daigle (C.S.C.), supra note 4 h la p. 535).

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CONQU

205

A. Le droit romain
Le contexte du droit familial romain de l’6poque classique (150 av. J.-C. t 285 ap.
J.-C.) (1) permet de cemer la raison d’&re des textes juridiques qui traitent de la gros-
sesse et de l’avortement (2).

1. Le droit des personnes

a. La puissance paternelle

!A Rome, le pore de famille a une puissance absolue, la patria potestas, sur tous
les descendants issus du mariage, jusqu’A l’extinction de cette autorit6, qui se produit
le plus souvent h son ddc~s’0 . Les descendants soumis 4 cettepatria potestas n’ont pas
la personnalit6 juridique. Ils ne peuvent en principe rien poss6der qui ne soit au d6ten-
teur de la puissance patemelle. Les fils et les petit-fils places dans cette situation ne
peuvent bentficier de la puissance paternele sur leurs propres enfants, meme s’ils
sont marit.s. Le pre de famillejouissant de la puissance patemelle peut mettre mort
ses enfants ; il est peut-6tre tenu, pour ce faire, d’observer certaines formalitts. II est
certain qu’I l’6poque classique, une telle pratique est devenue rarissime et est con-
damnte par les moeurs”. Pour nos fins, il suffira de noter que jusqu’en 374 apr~s J&
sus-Christ, le p~re de famille romain peut exposer un nouveau-n6, c’est- -dire
l’abandonner en un endroit quelconque. Cette prtrogative est rtguirement exercde ;
imm&Iiatement apr~s la naissance, le nouveau-n6 est prtsent6 au ddtenteur de la puis-
sance patemelle, qui l’accueille ou le rejette 2. L’enfant expos6 peut 6ventuellement
8tre recueilli ou rtduit en esclavage, mais ses chances de survie sont faibles. II est

” Le p re peut 6galement consentir ?k 1’extinction de son autorit6 par l’dmancipation ou l’adoption
(voir R. Monier, Manuel dglmentaire de droit romain, t. 1, Paris, Domat Monchrestien, 1947, rim-
prim6 : Darmstadt, Scientia Verlag Aalen, 1970 aux pp. 263-70). Par ailleurs, il existe divers mtca-
nismes de protection des enfants et des adolescents dont le pre de famille est dtc&6 (voir ibid. aux
pp. 315-29).

” Les cinquante livres du Digeste ou des Pandectes de l’empereur Justinien, trad. par Hulot, Mezt
et Paris, Behmer et Lamort / Rondonneau, 1804-05 [ci-apr s Digeste (compte tenu des contraintes
d’espace de la Revue de droit de McGill, les extraits pertinents du Digeste n’ont pas 6t6 reproduits. La
traduction de Hulot, qui reproduit le texte original, est cependant disponible dans la plupart des biblio-
th~ques de droit francophones)] rapporte un cas oti un p e tue son fils lors d’une partie de chasse,
parce que celui-ci a eu une aventure avec sa femme. L’empereur Hadrien (117 t 138 ap. J.-C.) retire
alors la puissance patemelle, parce que le fils a W tu6 pluttt comme un voleur) qu’en exergant cette
autorit6 (Digeste, ibid, D.48.9.5). Voir 6galement Y. Thomas, dans Du chdtiment dans la cite – Supplices corporels et peine de mort dans le monde
antique, Ecole frangaise de Rome, 1984,499 ; W.V. Harris, The Roman Father’s Power of Life and
Death>> dans RIS. Bagnall et W.V. Harris, dir., Studies in Roman Law in Memory of A. Arthur Schiller,
Leiden, EJ. Brill, 1986, 81.

,2 Voir Monier, supra note 10 h la p. 256 et s. ; S. Treggiari, Roman Mariage, Iusti Coniuges, from
the Time of Cicero to the 7Tme of Ulpian, Oxford, Clarendon Press, 1991 aux pp. 407-08. Le dttenteur
de la puissance paternelle peut accepter le nouveau-n6 male en le soulevant A bout de bras, ou s’y re-
fuser et l’exposer. L’hypothse voulant que les filles aient 6t6 davantage expostes que les gargons a
d6 souvent posse mais est difficilement d6montrable (voir Treggiari, ibid.).

MCGILL LAW JOURNAL! REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

donc clair qu’il n’existe pas, A cette 6poque, un > des enfants, mais plu-
t6t un droit du pore de famille sur ses enfants.

b. Le mariage et le divorce

II existe deux types de mariage A Rome. Dans une premi~re hypoth~se, la femme
est dite in manu, c’est-A-dire soumise A l’autorit6 quasi absolue de son mar. Elle ne
peut cependant 8tre mise mort, A moins qu’elle ne soit prise en flagrant d6lit
d’adult~re. Depuis Auguste (27 av. J.-C. A 14 ap. J.-C.), seul son pore peut la tuer, A
condition qu’il prenne les amants sur le fait, dans sa maison ou dans celle de son gen-
dre, et qu’il les ex6cute sur le champ 3. La femme mari6e in manu fait partie de la
famille de son mari et est plac~e dans la m~me situation qu’une fille du mariage”.
1’6poque classique, ce type de mariage tombe en d6su6tude. Il code la place au
deuxi~me type de mariage, celui dans lequel 1’6pouse continue A faire partie de la
famille de son pore et est sounilse
l’autorit6 de ses ascendants mf1es jusqu’A leur
mort ‘5.

Toujours A l’6poque classique, chaque conjoint est libre de divorcer, quel que soit
le type de mariage. Cette mesure est relativement fr6quente et ne n~cessite aucune
proc~durejudiciaire. Dans I’hypoth6se ofi un conjoint demeure soumis t l’autorit6 de
son pore, il peut se voir imposer le divorce par celui-ci . La dissolution du mariage
permet A 1’pouse ou A son p~re de r6cup6rer la dot vers6e A l’occasion du mariage 7.
L’ex-mari a cependant la charge de l’entretien et de l’Mucation des enfants. A ce titre,
il est autoris6 A faire une retenue m~me la dot pour chaque enfant du mariage, t

‘ Voir Monier, ibid. aux pp. 146, 170-72, 246-50 et 272-85. Auparavant, le droit du mar de mettre
mort la femme adult~re prise en flagrant d61it est contest par Treggiari, qui croit qu’il dtait rserv6
au pre (voir ibid. A la p. 274 et s.). Depuis Auguste, le mari qui surprend sa femme et son amant doit
son beau-pre de les mettre A mort (voir Treggiari, ibid. A la p. 282). Il peut cependant
demander
ex6cuter lui-m~me certains amants, tels l’esclave ou le com6dien ; rien ne permet d’affirmer qu’il
peut alors tuer son 6pouse (voir Treggiari, ibid. aux pp. 283-84).

“4 En l’absence de testament, l’pouse h6rite des biens de son mari, conjointement avec leurs en-
fants ; elle est alors soumise au m~me type de tutelle que ses filles pub~res. Cependant, ds 186 av. J.-
C., le testament du mari peut autoriser l’dpouse ?t choisir et A remplacer son tuteur (voit J.F. Garner,
Women in Roman Law & Society, Bloomington, Indiana University Press, 1986 t la p. 15).

‘ La femme marine qui n’est pas soumise a ]a manu de son mari vient A ]a succession ab intestat de
son lOre. Acc&lant t la personnaIit6juridique au d6c~s de son pre, elle est soumise A une tutelle, qui
est initialement accord6e A ses fr~res ou A ses oncles patemels. Mais elle obtient graduellement le
droit de faire autoriser par la justice les actes auxquels son tuteur s’oppose (voir Monier, supra note
10 A la p. 320 et s. ; Gamer, ibid. aux pp. 20-22).

“6 Des rescrits d’Antonin le Pieux (empereur de 138 A 161 ap. 3.-C.) interdisent au pre de divorcer
des conjoints qui souhaitent demeurer ensemble (voir Monier, ibid. aux pp. 303-04 ; Treggiari, supra
note 12 t lap. 460). Auparavant, il n’6tait pas rare qu’un pre impose le divorce a son enfant (voir Y.
Thomas, > dans
A. Burguire et aL, Histoire de lafamille, Paris, Armand Colin, 1986, 195 aux pp. 206 et 218 et s. [ci-
apr s <]). Certains textes donnent “A penser qu’en pratique, un Ore ne s’opposait pres-
quejamais A la volont6 de son enfant de divorcer (voir Treggiari, ibid. A lap. 361).

” Voir Treggiari, ibid au c. 10.

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CONQU

207

condition qu’il ne soit pas responsable de la rupture’8. Une r~forme d’Auguste fixe le
montant de cette retenue A un sixi~me par enfant, jusqu’h concurrence de la moiti6 de
ce qui est dfi h l’ex-6pouse. En cas d’adult~re,.une peine d’un sixi~me s’y ajoute ; une
action peut 6galement 8tre intent~e, apr~s le divorce, par le mari, le p~re de l’ex-
6pouse ou m~me par un citoyen. La sanction imposee comprend alors la confiscation,
au profit de l’accusateur, d’une moiti6 de la dot, du tiers de la fortune personnelle de
1’ex-6pouse’9 ainsi que la relegation sur une il?. Si 1’6chec du mariage est dd A une
conduite r~pr6hensible moins grave de l’ex-6pouse, la peine impos~e est du huiti~me
de la dot2 . Les retenues sur la dot visent done t permettre au p~re de famille d’assurer
1’entretien des enfants du mariage ; dans un moindre mesure, elles sanctionnent
l’infid6lit6 de ‘6pouse ou ses 6carts de conduite.

Le droit familial de 1’6poque classique accorde done une certaine autonornie aux
femmes. Dans la plupart des cas, elles ne sont pas tenues d’ob~ir h leur mari et de-
l’autorit6 de leur p~re ou, A la mort de ce dernier, d’un tuteur2 .
2
meurent soumises
Elles sont libres de quitter leur mari, au risque de perdre une partie de leur dot si elles
n’ont pas lieu de se plaindre de lui ou si elles ont eu une conduite jug~e r~pr6hensible.

“Le mari sera tenu responsable de l’6chec du mariage s’il a divorc6 sans pouvoir imputer une con-
duite inacceptable
sa femme ou s’il a eu lui-meme une telle conduite (voir Monier, supra note 10 t
lap. 297 ; Treggiari, ibka aux pp. 462-64 ; voir dgalement M. Humbert, Le remariage i Rome, Milan,
Universitk di Roma, 1972 A la p. 134). C’est 6videmment le juge qui d6cidera ce qui constitue un
comportement r6pr6hensible, mais nous avons peu d’informations sur le sujet. Le mari fautif doit
payer la dot imm&liatement en cas de fautes graves, plut6t qu’en trois versements annuels ; il dispose
d’un d6lai de six mois en cas de faute moins grave. Les dpoux peuvent dgalement consentir au di-
vorce sans chercher A d6terminer qui est responsable de l’dchec de leur union. Dans cette hypoth~se,
la dot est restitu6e int6gralement L la femme ou h son pre (voir Humbert, ibid. la p. 135 ; Treggiari,
ibid. la p. 465).

‘9 Voir Humbert, ibid. L lap. 266, n. 5.
‘0 Voir Treggiari, supra note 12 A la p. 290. Au total, le mar peut obtenir la moiti6 de la dot s’il a eu
trois enfants de son 6pouse ainsi qu’un sixi~me pour l’adultre. Dans cette hypothse, il ne reste plus
qu’un tiers de la dot pour ‘accusateur.

“, Voir ibid. t Ia p. 266. I1 est probable que ces fractions aient uniformis6 et limit6 ‘importance de
p4nalit6s qui 6taient auparavant variables. Ignacio Cremades et Javier Paricio croient qu’elles refltent
la pratique antrieure (voir I. Cremades et J. Paricio, Dos et virtus – Devolucion de la dote y sancion
a la mujer romana por sus malas costumbres, Barcelone, Bosch, Casa Editoria, 1983 aux pp. 67 et
71). I1 existe 6galement une action de moribus permettant au man d’obtenir une condamnation p6cu-
niaire sanctionnant l’inconduite de son ex-6pouse. En effet, le mar qui s’est engag6 b restituer la dot
par un contrat de stipulation verbale ne peut opposer aucune d6fense
r’action ex stipulatu lorsque
l’existence du contrat est avr&e. C’est ce qui a rendu n6cessaire la cr6ation de l’action de moribus,
afin de tenir compte du comportement de l’pouse et d’octroyer une indemnit6 au mari. D’autre part,
l’action rei uxoriae permet A la femme divorc e de recouvrer sa dot meme en l’absence de stipula-
tion ; dans cette hypothse, le marl peut etre autoris6 A faire des retenues sur la dot en cas
d’inconduite. Mame si cette deuxi~me action est la plus fr&tuente, l’action de moribus a continu6
d’existerjusqu’A son abrogation par Justinien (voir J. Beaucamp, Le statut de lafemme a Byzance (4’-
7 sicle), Paris, De Boccard, 1990 A lap. 171 ; Monier, supra note 10 t lap. 297). Selon Cremades et
Paricio, apr~s l’intervention d’Auguste, le montant de la p6nalit6 impos~e est le mame, queUe que soit
la proc&lure employ6e (voir ibid. lap. 71).

‘2 Voir supra notes 14 et 15.

208

MCGILL LAW JOURNAL/REVUEDEDROITDE MCGILL

[Vol. 42

Efles sont cependant p6nalis~es lourdement si leur adult~re est d6couvert. Les sanc-
tions impos6es cette occasion d6coulent du souci d’assurer au mad la certitude de sa
paternit6. Cette pr6occupation se retrouve dans une autre s6rie de r6gles, celles qui
concernent la grossesse.

2. La grossesse et I’avortement

Les romains attachent une importance toute particuli~re

la grossesse qui se d6-
roule apr~s un divorce ou apr~s le d~c~s du man, afin de pr6venir les simulations de
naissance (a). Paradoxalement, l’avortement n’est pas interdit, sauf dans I’hypoth~se
oa l’6pouse divorcee cherche A priver son ex-mari d’un enfant (b). La femme qui se
fait avorter malgr6 l’opposition de son 6poux peut 6galement 8tre p6nalis6e Ai
‘occasion de la restitution de la dot (c). Pendant cette p6riode, l’avortement demeure
licite lorsqu’il a lieu avec l’accord du man ou s’il est le fait d’une femme c~libataire.

a. La grossesse de la femme divorcde ou de la veuve

Dans les trente jours qui suivent le divorce, la femme peut demander au ma de
reconnaitre l’enfant qu’elle porte. L’ex-6poux peut alors d6p~cher des gardiennes
pour l’observer et la surveiller, afin d’6viter une simulation lors de la naissanceP, un
risque que les jurisconsultes de l’6poque semblent avoir constamment A l’esprit 4. En
raison de l’enjeu successoral, ceux-ci sont encore plus m~fiants apr~s le d6c~s du ma-
ri. Des gardiennes peuvent 8tre nomm~es A ]a demande des h6ritiers potentiels du d6-
funt, afin de s’assurer que la veuve est bien enceinte. Des mesures sont prises pour
6viter que le nourrisson d’une autre femme ne soit pr6sent6 comme l’enfant du d6-
funt. Dans le mois qui precede la date pr6vue pour l’accotichement, la veuve est con-
fin6e dans une piece et est constamment surveill6e par des gardiennes et des repr~sen-
tantes des h6ritiers potentiels. Toutes les femnes pr6sentes peuvent 8tre examinees,
afin de s’assurer qu’elles ne sont pas enceintese.

En ce qui conceme l’enfant d6jA conqu

la mort de son p~re, la reconnaissance de
ses droits de succession est fort ancienne. Le principe est attest6 par ]a Loi des XII
Tables (451 av. L-C.)”. Les juristes de l’6poque classique d6clarent de plus que
l’enfant conqu doit 8tre r6put6 n6 s’il y va de ses int6rats. Ainsi, dans l’hypoth~se o i

Dans le cas de supposition de part, la grossesse est simul6e ; dans le cas de substitution, ‘enfant
mort-n6 est remplacd par un nouveau-n6. Nous emploierons ci-apr~s le terme simulationw> pour d6si-
gner ces deux hypoth~ses.

2″ VoirDigeste, supra note 11, D.25.3, fragments 3, 4, 6, 11 et 12. Si la fenme refuse de recevoir les
gardiennes, le pare n’est pas oblig6 de reconnatire l’enfant. Nous n’avons pu d6couvrir d’incitation
financire suffisamment forte pour expliquer de fagon convaincante la simulation de naissances. Pour
un exemple r6cent d’une mre qui se pr6sente A l’h6pital sous le nom d’une autre femme, voir R. c.
Boudreault, [1993] R.J.Q. 2502 (C.Q. (ch. cr.)).
2 Voir Digeste, ibid., D.25.4110.
16 Voir Digeste, ibid, D.38.16.3.9 ; voir aussi Y. Thomas, Le ‘ventre’. Corps matemel, droit pater-
nel> (1986) 14 Le genre humain 211 A la p. 229, n. 9 [ci-apr~s oVentreo]. Par voie de cons&juence, la
naissance d’un enfant apr~s le d6cs du pare <(rompt>> le testament qui n’institue ni n’exh&r&e cet
h6ritier (voir Monier, supra note 10 aux pp. 484-87).

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CON9U

209

une more citoyenne est faite prisonni~re pendant la grossesse, 1’enfant n6 en captivit6
sera r6put6 avoir 6t6 captur6 en territoire romain et b6n6ficiera d’un droit de retour 27.
.
Ces passages du Digeste ont 6t6 r6dig6s au IHe ou au He si~cles apr~s Jesus-Christ
Us sont inspires par la philosophie stdfcienne. Celle-ci consid~re l’enfant conqu
comme un espoir dont il faut prot~ger les int&ts ; elle refuse d’y voir un 8tre vivant 9.
Les textes du Digeste favorisent 6galement la continuation de la lign~e de 1’6poux
(domus), une valeur fondamentale a cette epoque . Es illustrent la forte propension du
droit romain a recourir A la fiction, sans qu’on puisse y voir une arri~re-pens~e
thi-
que31. La protection des droits de 1’enfant conqu vise donc h assurer la continuation de
la domus du pore, sans pour autant lui reconnaitre un quelconque droit

la vie.

Dans ‘hypoth6se oa un 6poux d~tenteur de la puissance patemelle d~c~de pen-
dant la grossesse de sa femme, la protection des droits de 1’enfant conqu est assur~e
par un curateur au ventre. Ce repr6sentant agit fr~quemment t titre de curateur a la
succession, h une 6poque oa les femmes ne peuvent etre tutrices ou curatrices32. Son
rfle consiste h fournir A la veuve de quoi vivre convenablement durant la grossesse33,
m~me si celle-ci peut subvenir A ses besoins34. Ele peut &re nourrie et h6berg~e aux
frais de la succession, m~me s’il n’est pas certain que son enfant succ6dera. Dans

27Voir Digeste, ibid., D.1.5.26.
28Voir Cr6peau, supra note 5, Annexe II A la p. 279.11 n’est pas inconcevable que certains passages
attribu6s aux auteurs classiques aient 6t6 interpol6s a l’occasion de la compilation du Digeste (530 t
533 ap. L-C.) (voir L. S~bag, La condition juridique des personnes physiques et des personnes mora-
les avant leur naissance, Paris, Sirey, 1938 aux pp. 30-36 ; M. Ganzin, dans
que d’Aix-Marseille, 1974, 267 b lap. 285, n. 134).

‘9 Voir Ganzin, ibid

la p. 284. Dans cette optique, on consid~re que l’rme de l’enfant apparait
avec la respiration. La mre c6libataire est consid&rie propri6taire de l’enfant conqu, dont elle peut
disposer h sa guise (voir ibid A lap. 289). Diverses mesures sont cependant favorables A celui-ci : c6-
sarienne pratiquee sur le cadavre d’une femme enceinte, report de l’ex6cution d’une condamn~e
mort attendant un enfant (voir ibid aux pp. 273 et 286). Une autre conception, minoritaire, croit que
l’ime apparait 40 jours apr~s la conception d’un garcon et 80 jours aprbs celle de la fille (voir A. Le-
febvre-Teillard, <4nfans conceptus ... existence physique et existencejuridique>> (1994) 72 R.H.D. 499
l ]a p. 500 et s.). Nous remercions Madame la professeure Lefebvre-Teillard de nous avoir aimable-

ment communiqu6 une copie de cet article avant sa parution.

” II n’est d’ailleurs pas essentiel que le fils soit conqu par le plre. II peut 8tre adopt6 ou meme,
quoique plus rarement, 8tre conqu par un autre. Dans cette hypothse, le divorce de la femme et du
pre biologique intervient pendant la grossesse, ce qui permet A un autre citoyen d’6pouser la femme
divorcee et d’avoir un enfant. Cet 6change de bons proc6d6s peut se produire entre amis ou entre le
pare d’une femme enceinte et le nouvel 6poux qu’il destine L celle-ci aprbs avoir exerc6 sa puissance
patemelle et d6crdt6 son divorce. Bien entendu, il est hors de question qu’un man se voit imposer un
enfant qui n’est pas le sien sans son consentement, ne serait-ce que parce qu’il est libre de l’exposer
aprbs la naissance. Sur ces questions, voir Thomas, <, supra note 16, notamment aux
pp. 218-20.

” Voir Y. Thomas, <x (1995)

21 Droit 17 aux pp. 29 et 35.

32Voir Beaucamp, supra note 21 aux pp. 325-30.
33Voir Digeste, supra note 11, D.37.9.1.17 6 19 ; D.37.9.5.

Voir ibid., D.37.9.5.

McGLL LAW JOURNAL!REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 42

cette hypothse, sa naissance profite a tout le moins
s’assurer que ses besoins essentiels soient satisfaits35.

l’1ttat ; il convient donc de

b. L’avortement

Ant~rieurement au He si6cle apr~s JMsus-Christ,

‘avortement ne fait l’objet
d’aucune r~gle particuli~re du droit romain. De nombreuses femmes romaines ont re-
cours A cette intervention16. Un texte de Cicrron, datant de 66 avant Jesus-Christ, con-
damne violemment cette pratique, tout en tenant pour acquis qu’il ne s’agit pas d’un
crime37. Le Digeste rapporte le cas d’une esclave forcre d’avorter afin d’empecher la
r6alisation de la condition pos6e dans un testament pour l’affranchir.

Une difficult6 se pr~sente lorsque le divorce survient pendant la grossesse et que
1’ex-mari r6clame ‘enfant avant sa naissance. Un passage du Digeste nous apprend en
effet qu’un ex-mari soutient que son ex-6pouse est enceinte, ce que celle-ci nie. Les
juristes qui 6tudient la question 6prouvent un certain embarras. Plusieurs s~natus-
consultes portent sur la proc&lure de reconnaissance d’un enfant dans les trente jours
qui suivent le divorce, A la demande de 1’ex-6pouse, ainsi que sur le droit aux ali-
ments. Ces textes ne s’appliquent pas lorsque le p~re prend l’initiative du d6bat. U1-
pien precise que , ibid aux pp. 223-26.
7 Voir Cicron, Pro Cluentio>>, trad. par P. Boyancd, dans Cicdron, Discours, t. 8, Paris, Les Belles
Lettres, 1974, 60 aux pp. 78-80, n 32-35. Cicon fait 6tat dans cette plaidoirie d’un cas observ6 en
Asie, oil le droit romain ne s’applique pas. Une femme y accepte une somme d’argent de ceux qui
h~iteront de son d6funt mad si celui-ci n’a pas de descendant ; elle se fait avorter et est condamnde h
mort pour cette raison. Cicrron approuve chaleureusement cette dcision. Le fait qu’il donne cet
exemple 6tranger permet de conclure que l’avortement n’est pas un crime A Rome. I1 ajoute plus loin
qu’une femne qui pose ce geste <>, ibid. i lap. 224).

” Voir Digeste, supra note 11, D.40.7.3.16. Pour employer une formulation modeme, on peut dire
que dans cette hypothse, le drbiteur empeche la rralisation de la condition ; celle-ci est alors rpute
accomplie, ce qui signifie que l’esclave serait affranchi. Notons que dans l’hypothse oi5 une blessure
rrsulte d’un acte fautif et provoque un avortement, le maitre de l’esclave bless6e ou l’6poux de Ia
femme peuvent obtenir des dommages en raison du prejudice corporel subi par ]a victime (voir Tho-
mas, >3. Ainsi, le p~re n’a aucun droit A faire valoir avant la naissance de l’enfant. Une
intervention imp~riale est cependant sollicit6e dans le cadre de cette affaire. Un rescrit
de Marc-Aur~le et Verus (161 A 169 ap. J.-C.) ordonne que dans une telle situation,
l’ex-6pouse soit examinee par trois sages-femmes4″. Si elle est effectivement enceinte,
des gardiennes doivent exercer une surveillance dont la nature n’est pas clairement
pr6cise. La possibilit6 qu’un avortement ait lieu n’est pas mentionnde, mme si elle
a sans doute 6t6 envisag6e.

Quelques ann6es plus tard, les empereurs S6vre et Antonin (198

211 ap. J.-C.)
d6cr~tent qu’une femme dont l’avortement prive l’ex-mari d’un enfant sera condam-
n6e par le gouverneur un exil temporare 4 2 . I1 est probable que le fait de fournir des
produits abortifs devienne un crime vers la meme 6poque, dans le but de prot6ger la
sant6 des femmes qui les consomment43. Uavortement pratiqu6 avec des instruments
n’est pas vis6 par cette interdiction”. En somme, la femme qui se fait avorter en d6pit
de l’opposition de son ex-mari encourt une sanction de nature p6nale45. Celle-ci r6-

” Digeste, ibi, D.25.4.1.1.
40 Voir ibid., D.25.4.1.
” Le rescrit ordonne que des gardiennes soient nomm6es comme si l’ex-6pouse > (ibid., D.25.4.1). Dans le cas d’un enfant posthume, un mois avant l’accouchement, les
gardiennes surveillent en permanence les alles et venues dans ]a pice oa se trouve la future mere,
afin d’6viter une substitution (voir ibidL, D.25.4.I.10). Dans le cas de la femme divorc6e qui nie atre
enceinte, le rescrit envisage sans doute la nomination de gardiennes comme si une ex-dpouse eut de-
mandd t son ex-mari de reconnaltre apr~s un divorce l’enfant qu’elle porte (voir ibid., D.25.3). En ce
sens, voir Ganzin, supra note 28 A la p. 286 ; Thomas, >, supra note 26 A Ia p. 222. Pour une
opinion contraire, voir Cantarella, supra note 36 lap. 149.

4 Voir Digeste, ibid., D.47.11.4, D.48.19.39. Le premier fragment d6clare que la femme qui sera exile temporairement, tandis que le second parle d’un avortement
survenu aprs un divorce. Certains auteurs croient donc que le rescrit ne s’applique qu’en cas de di-
vorce. D’autres pensent qu’iI faut lire ces deux extraits cumulativement ; le rescrit viserait alors tant la
femme qui se fait avorter pendant le manage en d6pit de l’opposition de son mad que celle qui avorte
apr~s le divorce. Le passage D.48.8.8 semble viser tous les avortements, mais il s’agit fort probable-
ment d’un rdsum6 du rescrit d6-cit dans les deux premiers passages. Voir Beaucamp, supra note 21 A
lap. 309 et s., Ganzin, ibid
lap. 289 et Lefebvre-Teillard, supra note 29 4 lap. 503, n. 12, pour qui
il s’agirait peut-&tre d’une 6volution du droit romain. De toute mani~re, le consentement du mad ou le
cdlibat de la femme excluent l’application de ces sanctions p6nales.
4″ Voir Digeste, ibid., D.48.19.38.5. Si la personne qui a consomm6 un breuvage abortif ou un filtre
d’amour est ddc&6de, le foumisseur est condamn6 mort. Ce fragment ddclare que m~me si un tel
breuvage a dt6 administr6 sans intention malicieuse, il est n6cessaire de combattre ce mauvais exem-
pie. Un autre passage (ibid., D.48.8.3.2) permet de penser que les produits abortifs ont t6 assimil6s
un poison (voir J.-C. Genin, La rpression des actes de tentative en droit criminel romain, Lyon, Fa-
cults de droit et des sciences 6conomiques, 1968 aux pp. 108 et 111 ; Thomas, , supra note
26 aux pp. 224 et 232, n. 88 ; contra Ganzin, ibid. lap. 291, pour qui le fait de fournir des produits
abortifs est une infraction A part). I1 est cependant admis par tous que le fait de procurer de tels pro-
duits dtait initialement licite.

Thomas, , ibid. h lap. 224.

,Thomas explique que l’exil temporaire impos6 par le gouvemeur relive de la , ibid. A lap. 225. Pour nos fins, il suffit de noter qu’un acte auparavant licite est d6sormais

212

McGLL LAW JOURNAL/REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 42

suite d’une intervention imp6riale destin6e h modifier 1’6tat du droit, qui date du d6but
du Me sicle apr~s J6sus-Christ.

c. L’avortement et les retenues sur la dot

Avant la p6riode classique, un seul document peut 8tre interpr6t6 comme faisant
allusion h I’avortement. I1 s’agit d’un texte r6dig6 en langue grecque par Plutarque au
tournant du Ier si~cle apr~s J6sus-Christ. L’auteur y r6sume une loi attribu6e A Romu-
lus, qui est, par le fait m~me, 16gendaire. Elle est cens6e dater de la fondation de
Rome, soit du VIle si~cle avant J6sus-Christ. Elle autoriserait le mar h r6pudier
1’6pouse qui a commis un adult~re, bu du vin ou caus6 un <> .Dans ces hypotheses, il n’aurait aucune obligation financi~re envers
elle ; si l’on en croit cette loi, il devrait 8tre priv6 de tous ses biens en cas de r6pudia-
tion injustifi6e41 . I1 convient toutefois de souligner que les termes employ6s par Plu-
tarque pr8tent A interpr6tation. I1 pourrait s’agir d’avortement, mais aussi de simula-
tion apr~s l’accouchement ou m~me de magie48. I ne s’agit d’ailleurs pas d’un texte
juridique mais historique, qui r6sume un document imaginaire49, 6dict6 plusieurs si6-
cles avant la vie de son auteur. On peut y voir une r6miniscence d’une antique tradi-
tion50 ; on peut tout aussi bien penser qu’il reflte les pr6occupations du si~cle de
Plutarque, si tant est que celui-ci ait song6 A l’avortemente t. Ce texte est donc beau-
coup trop ambigu pour qu’on puisse en tirer des conclusions sur 1’existence de sanc-
tions impos6es A l’6pouse qui se fait avorter au temps de Romulus.

Si l’on examine maintenant le droit de 1’6poque classique, on constate que la
femme qui se fait avorter malgr6 l’opposition de son mar peut 8tre p6nalis6e finan-
ci~rement en cas de divorce, lors de la restitution de la dot. Depuis Auguste, l’ex-mari
peut retenir un sixi~me de la dot par enfant, jusqu’A concurrence de la moiti6 de ce qui
est dfi A l’ex-6pouse. L’adult~re donne lieu A une retenue suppl6mentaire d’un sixi~me
au profit du mar, tandis que toute autre faute, dite <>, est sanctionn6e
d’une peine d’un huiti~me. II n’existe pas de textes pr6cisant la nature de ces fautes. II
s’agit selon toute apparence d’un comportement s’6cartant de fagon marqu6e de celui

sanctionn6 par une restriction impos6e A la libert6 de ]a femme. II s’ensuit que de nos jours, une telle
l’gle relve du droit pnal, quelle que soit la qualification retenue par les romains A l’6poque.

‘ Plutarque, trad. par P. Noalles, cit6 dans P Noalles, < dans P Noailles, Fas etJus: itudes de droit romain, Paris, Les Belles Lettres, 1948, 1 “A
lap. 1.
47 Voir ibid
, Voir Ganzin, supra note 28 h la p. 271 ; Noailles, ibid. aux pp. 4-5.
4′ Les soi-disant lois de Romulus sont particulirement sujettes A caution (voir Noailles, ibid.
A lap. 2).

” C’est la thise brillamment d6fendue par Noailes, ibid. De m~me, la consommation de vin, tradi-
tionnellement associde au risque d’adultare, 6tait peut-&re perque A l’6poque archaYque comme no-
cive pour la femme enceinte (voir M. Durry, < (1955) 13 R. 6tudes latines 108 ;
Ganzin, supra note 28 A la p. 272 ; contra E. Nardi, Procurato aborto nel nondo Greco Romano,
Milano, E. Giuffr6, 1971 ; Ganzin, ibid. A la n. 30; Treggiari, supra note 12 A lap. 461, n. 120).
5 Pour une critique de la thise de Noailles, voir Nardi, ibid. aux pp. 16-29.

1997]

M. MoRIN – LAVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CONgU

213

qu’on attend d’une 6pouse exemplaire 2. Or il ne fait gu~re de doute que l’avortement
est mal vu par les romains53. Dans ces conditions, le mari qui n’a pas consenti
l’avortement peut divorcer et percevoir un huiti~me de la dot, en plus des autres rete-
nues auxquelles il a droit 4.

I1 convient d’insister sur le fait que, dans cette hypoth se, l’avortement n’est pas
vis6 en tant que tel. La condamnation de l’avortement d6coule uniquement de
1’opposition du mari et non de la nature r6pr6hensible de l’acte lui-m~me. Si le mari a
consenti t l’avortement ou si la femme qui avorte volontairement n’est pas mari6e,
aucune sanction n’est impos~e. II en va de mme en l’absence de dot, ce qui est la si-
tuation dans laquelle se trouve un grand nombre de femmes. Enfin, la retenue effec-
tu~e aura rarement pour effet de dissuader la femme d’avorter. En effet, dans
l’hypoth~se ohi l’6pouse a moins de trois enfants, un cas relativement frquent t
l’6poque, il est dans son inart& de se faire avorter, puisque la retenue imposde (un
huiti~me) est infdrieure t celle qui r6sulterait d’un autre enfant (un sixi~me)16. II est
donc clair que ces r6gles n’ont pas 6t6 61abor6es dans le but de d6courager le recours A
1’avortement.

Le probl~me pos6 par le montant des retenues en cas d’avortement a 6t6 bien saisi
par le juriste Paul, ainsi que par Ulpien. Un commentateur d’Ulpien explique en effet
que , Paul <[...] d~clare propos de la femme qui s'est fait avorter, que si elle l'a fait contre la volont6 de son mari, elle sera p6nalis~e du sixi~me de la dot comme si elle avait eu un enfant 57. L'anomalie explique ci-dessus est ainsi corri- gde58. Paul et Ulpien 6crivent toutefois dans les premi~res d6cennies du ie si6cle apr~s J6sus-Christ, alors que la femme divorcee qui se fait avorter sans le consente- 12 En ce sens, Cremades et Paricio, supra note 21. 53Voir Ganzin, supra note 28 aux pp. 280-83. Avant l'intervention d'Auguste, le montant de la retenue, discrdtionnaire, aurait peut-ftre pu aire plus 6lev6. La tradition rapportde par Plutarque pourrait conforter cette possibilit6 (voir Noailes, su- pra note 46 aux pp. 23-27). Sur la survie de laction iudicium de moribus et la fixation des retenues, voir supra note 21. Par contre, il n'est pas impossible que dans l'esprit d'un juge, le comportement du mari soit la cause rdelle du divorce, en d6pit du fait que l'6pouse s'est fait avorter. Dans cette hypo- thkse, le mari n'aurait pas le droit d'effectuer les retenues sur la dot qui ont t6 ddcrites ci-dessus. ss Thomas, <, supra note 16 t lap. 216 et s. ; Treggiari, supra note 12 aux pp. 403-

05.

‘ L’dpouse qui a d~jt trois enfants ne peut se voir imposer de retenue suppl~mentaire pour un qua-
tri~me enfant, puisque le mari ne peut retenir plus que la moiti6 de la dot 4 ce titre. I1 peut cependant
ajouter t cette retenue la pdnalit d’un huiti~me pour une faute morale moins grave que l’adultre.
L’avortement donne alors lieu t une v6ritable sanction.

” Fragment du SinaY, dans P. . Girard et R Senn, Textes de droit romain, 7’ &l., Paris, Dalloz, 1967

aux pp. 599-600.

” Voir sur ce sujet Ganzin, supra note 28 t la p. 287. Le probl~me est cependant invers6: que se
passe-t-il si l’6pouse a ddj4 trois enfants et se fait avorter? En principe, la proportion maximale que
peut retenir le mari est d~j atteinte ; il n’y aurait alors aucune sanction. Sans doute la sanction du
huitime pourrait-elle alors 8tre impos6e, comme par le pass6. It est 6galement vraisemblable qu’une
femme ayant avortd contre la volont6 de son mar serait consid6re indigne de lui succ6der ; sur
l’indignit6, voir Monier, supra note 10 b lap. 468. Cependant, cette d6cision de la femme risque de
provoquer un divorce avant le dac~s du mari, ce qui rend cette hypoth~se rare.

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

ment de son ex-mari risque l’exil temporaire. Dans ce contexte, il aurait 6t6 illogique
que la disparit6 des retenues sur la dot serve d’incitatif A l’avortement. La solution
qu’ils exposent ne semble pas avoir 6t6 retenue plus t6t. Trois sicles plus tard, en 533
apr~s Jesus-Christ, l’avortement apparait bri6vement parmi les causes l6gitimes de di-
vorce 9, ce qui atteste de la persistance de cette pratique, en d6pit des sanctions qui y
sont associ6es.

3. Le droit romain : conclusion

Les jurisconsultes des ler et He si6cles apr~s J6sus-Christ reconnaissent
1’existence de ‘enfant conqu et assurent la protection de ses int&rats. Des droits de
succession lui sont assures depuis plusicurs si6cles, au cours desquels l’avortement
n’a jamais 6t6 interdit. Ainsi, l’enfant conqu est r6put6 exister au moment o i son pre
d~c~de, ce qui fait de lui un h6ritier apres sa naissance. Pourtant, la femme enceinte
demeure libre de se faire avorter. I1 s’agit 1M de deux questions distinctes : la recon-
naissance du premier principe n’a pas pour cons6quence
l’interdiction de
l’avortemente. D’autre part, en cas de divorce, l’6pouse qui se fait avorter malgr6
l’opposition de son mari peut 8tre p6nalis~e par une retenue sur sa dot. Apr~s la r6-
forme d’Auguste, celle-ci ne peut jouer un r~le dissuasif, puisqu’elle est infrieure A
la retenue qui d~coulerait d’un enfant additionnel, sauf dans l’hypoth~se oi l’6pouse a
d6jA trois enfants.

II faut attendre le d6but du me si~cle apr~s J6sus-Christ pour qu’un 6dit imp6rial
modifie ces r~gles. Ce texte interdit aux femmes r~cemment divorc6es de se faire
avorter contre la volont6 de leur ex-mari, en imposant une sanction de nature p6nale
aux contrevenantes. La peine impos6e n’est pas des plus s6v~res, puisqu’il s’agit d’un
exil temporaire. L’arrt Daigle (C.S.C.) constate que la situation actuelle est, en quel-
que sorte, analogue A celle qui pr6valait ant6rieurement au Me si~cle. En effet, ayant
pris acte du silence du droit p6nal, la Cour supreme a reconnu que rien, en droit civil,
n’interdit l’avortement. Pour se convaincre du bien-fond6 de cette position, il con-
vient maintenant d’examiner le traitement r6serv6
1’enfant conqu par une autre
source historique du droit civil qu6b6cois, ‘ancien droit frangais.

‘9 Voir Justinien, Corpus Juris Civilis quo ius universum, t. 2, Augusta Taurinorum, 1782 A ]a p.
364, CJ.5.17.11.2. k partir du IVe si~cle ap. J.-C., le droit de divorcer n’est accord6 que dans certai-
nes hypothses 6noncdes par des constitutions imp6riales. Le conjoint fautif perd alors certains avan-
tages matrimoniaux. Depuis Justinien, le marl qui invoque un motif de divorce reconnu n’a pas a
restituer la dot et peut r6cupdrer la donation ant6nuptiale qu’il a faite (voir Beaucamp, supra note 21
aux pp. 172-77). Le divorce par consentement reste cependant possible. L’avortement est mentionnd
comme cause l6gitime de divorce en 536 (voirNovelles de I’EmpereurJustinien, t. 1, trad. par M. B6-
renger, fils, Metz, Lamort, 1811
la p. 182, Novelle 22, c. 16, n* I [ci-aprs Novelles]) mais disparait
de l’dnumdration en 542 (voir Novelles, ibid. aux pp. 139-41, Novelle 117, c. 8 ; Beaucamp, ibid, At ]a
p. 3 10). Les causes de cette suppression, qui est pour le moins curieuse, ne sont pas connues.

‘ Voir Lefebvre-Teillard, supra note 29 A lap. 503.

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CONQU

215

B. La protection de I’enfant conqu dans I’ancien droit frangais
Tout comme le droit romain,

‘ancien droit frangais envisage distinctement les
droits civils de l’enfant conqu et la r6pression de l’avortement. Ainsi, l’institution dite
du curateur au ventre existe sous l’Ancien R6gime. Le r6le que ce repr6sentant est
appel6 h jouer est toutefois limit6 (1). I1 faut plut~t se toumer du c6t6 du droit p6nal
pour d6couvrir les rfgles qui protgent 1’existence de ‘enfant conqu et qui interdisent
l’avortement (2). Le droit civil ne contient pas de r~gles sur cette question.

1. Le r6le du curateur au ventre

La doctrine frangaise des XVIIe et XVI]Ie si~cles, qui constitue l’une des princi-
pales sources du droit civil qu6b6cois 6 , retiendra davantage notre attention. Elle livre
toutefois peu d’informations sur le r~le du curateur au ventre (a). La codification de
1804 n’ayant pas modifi6 l’6tat du droit sur cette question, nous d6borderons tempo-
rairement le cadre historique que nous nous sommes fix6s, afin d’examiner la doctrine
du XIXe et du XXe sicle et de tenter de comprendre le fonctionnement de cette insti-
tution (b).

a. L’ancien droit franais

Au terme d’une 6volution complexe, le droit de succder a 6t6 reconnu A l’enfant
conqu, t condition qu’il soit n6 vivant et qu’il ait eu la capacit6 de vivre62. Pour cette
raison, les textes du droit romain concemant le curateur au ventre de la veuve ont pu
servir de module aux juristes frangais 63. Faute d’6tude particuli~re sur cette institu-
tion”, il nous faut examiner les ouvrages g6n6raux de la fin de
‘Ancien R6gime. AL

61 La Coutume de Paris s’est appliqu6e en Nouvelle-France apr~s 1664, puis au Bas-Canadajusqu’A
la codification de 1866 (voir Morin, supra note 6 A la p. 3). Elle ne contenait toutefois pas de r~gles
concemant la tutelle et la curatelle. La doctrine et la jurisprudence ont donc pris le relais, en
s’inspirant du droit romain et du droit canonique (voir 0. Martin, Histoire de la Coutume de la Prdv6-
td et Vicomtd de Paris, Paris, Cujas, [1921] 1972 aux pp. 213-27.

6
1 Madame Lefebvre-Teillard (supra note 29) d6crit en d6tail cette 6volution. Sch~matiquement, on
peut dire qu’au haut moyen Age, chez certains peuples barbares, la reconnaissance de droits de suc-
cession est d’abord conditionnelle L l’octroi du nom, quelques jours apr~s la naissance. Par la suite,
l’enfant doit plut~t avoir 6t6 baptis6. Le fait que le nouveau-n6 ait v6cu fini par atre consid&6r suffi-
sant. Cette rfgle s’impose A l’6poque de Beaumanoir (1283 ap. J.-C.). A partir du XVIe si~cle, une
question suscite un d6bat en droit frangais : ‘enfant doit-il seulement Wtre n6 vivant ou faut-il 6gale-
ment qu’il ait dt6 viable ? Plusieurs juristes optent pour cette dernire solution, en pr6sumant qu’il
existe un nombre de mois de gestation en de4t duquel un nouveau-n6 ne peut atre viable. Le code
civil de 1804 retient la r~gle de ]a viabilit6 (voir art. 725 C.N.), mais celle-ci est consid6re comme
une question de fait laissde A l’apprdciation des juges.

6 De faqon g6n6rale, c’est ce qui s’est produit en mati&e de tutelle et de curatelle (voir P. Ourliac et
J.-L. Gazzinaga, Histoire du droit priv frangais, de l’an mil au Code civil, Paris, Albin Michel, 1985
aux pp. 280-84).

6’ Nous n’avons relev6 que deux auteurs signalant la nomination d’un curateur A l’enfant conqu : H.
Richardot, (1945)
23 RH.D. 29 t la p. 34 ; Martin, supra note 61 A lap. 221. D’autres ont 6tudi6 la tutelle sans men-
tionner cette situation particulire, sans doute parce qu’elle est peu fr&luente et n’a pas pos6 de pro-

216

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

cette 6poque, le terme indique une absence d’autorit6 sur la personne re-
present~e, par opposition aux pouvoirs dont dispose le tuteur6s. La raison d’6tre de
cette r~gle est 6vidente : l’enfant conqu 6tant dans le sein de sa mre, le curateur ne
peut exercer d’autorit6 sur lui. C’est ainsi qu’en parlant des enfants congus, Jean Do-
mat mentionne uniquement les biens qui doivent leur appartenir: “. I1 en va de meme de Pothier67 et

bl~mes : L. Boyer, < (1985) 12
Recueil de mnmoires et travaux publig par la Sociftj d’Histoire du droit et des Institutions des an-
ciens pays de droit crit 61 ; G. Chevrier, (1980) 8 Recueil de mmoires et tra-
vaux publM par la Socit6 d’Histoire du droit et des Institutions des anciens pays de droit dcrit 113 ;
R. Ganghoffer, (1959) 15 Travaux de l’Institut de droit compard 79.
65 <[I]l n'y a de diff6rence entre un tuteur & tin Curateur, qu'en ce que celui-ci n'est charg6 que de veiller aux int&rts d'autrui, au lieu que le tuteur est charg6 & de la personne & des int&rts, (Guyot, dir., Ripertoire universel et raisonng dejurisprudence civile, criminelle, canonique et binificiale, t. 5, Piris, Visse, 1784 A la p. 193 (Curateur pour fait de grossesse )) ; le curateur A l'interdit fait cepen- dant exception A la r~gle. Voir 6galement J.-B. Denisart, Collections des ddcisions nouvelles et des notions relatives a Iajurisprudence, t. 5, 8' &., Paris, Desaint, 1786 t la p. 700 ; R.J. Pothier, >).

6J. Domat, Les loix civiles dans leur ordre naturel ; le droit public et Legum delectus, t. 1, Nou-
velle &Iition, Paris, Chez Bauche, 1756 A lap. 12, art. VI. Cet article est cit6 int6gralement ci-dessous,
infra note 90 et texte correspondant.
67 Dans son
conqu69. Ce repr6sentant > demander une provision alimentaire pour l’enfant
pendant la grossesse, mais ceci semble superflu, puisque la m~re peut agir elle-m~me
en justice0 . Ii pourrait 6galement repr6senter l’enfant conqu lors d’un partage, quoi-
– 71
qu’il soit plus A-propos d’y surseoir .

Le curateur agit 6galement dans l’int6r& des h6ritiers, afin de pr6venir une simu-
lation qui les frustrerait de leur h6ritage72. I1 est autoris6 A surveiller ‘accouchement.
Sa mission peut consister L examiner l’6tat du nouveau-n6, afin de d6terminer s’il est
n6 A terme. Dans une affaire, cela aurait permis de conclure que l’enfant avait 6t6 con-
qu lors d’une relation adult~re, ce qui lui aurait fait perdre le droit de succ6der 73. II ne
s’agit certes pas lh d’un constat fait dans l’int&& de l’enfant conqu, mais bien dans
celui des autres h6ritiers du p~re.

Le laconisme des sources74 ne permet pas de pr6ciser davantage les origines et le
r6le de cette curatelle, qui assure la d6fense des int6rets de l’enfant ou de ceux qui

On nonme aussi quelquefois des curateurs aux ventres ad unun actum, conme pour
intenter une action de retrait lignager : mais, comme l’6vnement de cette action d6-
pend de la naissance du posthume, on attend qu’il soit n6, pour y statuer d6finitivement
; et lorsqu’il est nd, l’instance est reprise par le tuteur. […]

Voir J. Mesle, Traits des minoriis, tutelles et curatelles, Paris, Knappen, 1785. Cet auteur 6crit:
<[l]e curateur que le Juge commet pour le gouvemement des biens, en attendant la naissance du post- hume, est appel6 en droit, curator ventrfi> (ibid.
la p. 9); de p~re peut donner un tuteur au post-
hume, qui, s’il naissait de son vivant, serait en sa puissance […] ; mais comme ce tuteur ne peut g6rer
qu’apr~s ia naissance du posthume, le juge nomme un curateur pour avoir soin des biens en attendant
(ibid. aux pp. 12-13). En 1692, Argou 6crit qu’on
l’enfant qui est encore dans le ventre de sa m~re ; ce qui est n6cessaire en certains cas pour exercer les
droits qui lui peuvent appartenir ; mais ces cas sont tr~s rares, & on n’en voit presque point
d’exemple)> (G. Argou, Institution au droitfranfais, t. 1, Paris, Bailly, 1773 t la p. 151). En 1710,
Bretonnier (voir Argon, ibid. aux pp. viii et xi) ajoute cependant : <[1]es exemples en sont frdquens parmi nous, aussi-bien qu'en Droit (ibid lap. 151). Guyot, dir., supra note 65 a la p. 202. Denisart affinne que le curateur A l'enfant conqu peUt dffendre ses int&rats de quelque mani~re que ce soib> (supra note 65 A la p. 717). I ne semble ce-
en mesure de dicter un comportement A la m~re au nom des int6rts
pendant pas que le curateur ait.dt6
de l’enfant qu’elle porte.

‘o Voir Guyot, dir., ibid., t. 13 A la p. 216 ().
7′ Voir ibid.
7 “Voir ibid
7′ Voir Denisart, supra note 65 h lap. 717.
7′ Nous avons consult6 les ouvrages suivants : J. Bacquet, Oeuvres de Me Jean Bacquet, t. 1, Lyon,
Duplain, 1744, oa l’on trouve une description du r6le du curateur au ventre en mati6re f.odale (ibid.
la p. 85) ; R Bourjon, Le droit commun de la France, Paris, Brunet, 1775 ; P.J. Brillon, Dictionnaire
des arr~ts, Paris, G. Cavelier, 1727 ; G. Coquille, Oeuvres de Me Guy Coquille, Bordeaux, Labotti~re,
1703 ; J.-A. Ferriere, Traits des Tuteles, Toulouse, Birosse, 1766 ; C.J. de Ferri~re, Nouveau Commen-
taire sur la Coutume de Paris, Paris, Knapen, 1751 ; C.J. de Ferri~re, Nouvelle introduction t la pra-
tique, contenant I’explication des termes de pratiques, de droit et de Coutumes, Paris, Brunet, 1745 ;
C. J. de Ferrire, La science parfaite des notaires ou le parfait notaire, Paris, Durand, 1752 ; M. Du-
pin et E. Laboulaye, Institutes coutumikres d’Antoine Loysel, Paris, Videcoq, 1846 ; M”” [sic], Traitez

MCGILL LAw JOURNAL! REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 42

pourraient prendre sa place dans la succession. En terminant sur ce point, signalons
que l’institution du curateur au ventre a exist6 en Nouvelle-France et n’a pas 6t6 mo-
difiejusqu’A la codification de 1866 ; son utilisation semble toutefois avoir 6t6 rare75.

b. La codification et ses suites

Le Code Napoldon de 1804 consacre au curateur au ventre une disposition laco-

nique, l’article 393 :

Si, lors du dki-.s du man, ]a femme est enceinte, i sera nomm6 un curateur au
ventre par le conseil de famille.
A la naissance de l’enfant, ]a mre en deviendra tutrice, et le curateur en sera de
plein droit le subrog6 tuteur.

,

Les auteurs du XIXe si~cle expliquent que le curateur doit exercer une sur-
veillance afin de pr6venir les crimes qui pourraient etre commis pendant la grossesse
ou l’accouchement, tels la simulation entourant une naissance, l’infanticide ou
76
. Ils font r6frence aux textes du Digeste, en prcisant que l’examen des
1’avortement
femmes enceintes et leur confinement avant ‘accouchement ne correspondent plus a
1’6tat des moeurs ; ils insistent 6galement sur le fait que le curateur doit simplement
pr6server le statu quo face A la succession, en prenant, si besoin est, des mesures con-
servatoires.

Plusieurs auteurs affirment que le curateur ne peut exercer aucune autorit6 sur la
femme enceinte elle-m~me. En 1807, la Cour d’appel d’Aix decide que la veuve n’a
pas A se soumettre A un examen m6dical afin de s’assurer qu’elle est bien enceinte 7.

des minoritez, des tutelles et des curatelles, Paris, Cochart, 1714 ; Martin, supra note 61 ; F Ragueau,
Glossaire du droitfranpois, Paris, L et M. Guignard, 1704.

‘5 Voir FJ. Cugnet, Traitd abrdgi des Ancienes Loix de Proprijt en Canada, aujourd’huy Province
de Qudbec, Qu6bec, Guillaume Brown, 1775’ a la p. 178 ; H. Des Rivi~res Beaubien, Traiti sur les
lois civiles du Bas-Canada, t. 1, Montrdal, Ludger Duvemay, 1832 A lap. 76 et s. ; M. Bibaud, Coin-
mentaires sur les Lois du Bas-Canada ou Confdrences de l’cole de droit, t. 2, Montr6al, Crat et
Bourguignon, 1861 A lap. 369 et s. Bibaud aftimne : <> (ibid. h lap. 520).

, Voir M. Delvincourt, Cours de Code civil, t. 1, Paris, Delestre-Boulage, 1824 A lap. 272, n. 5 ; A.
Magnin, Traitj des minoritis, tutelles et curatelles, de la puissance paternelle, des drnancipations,
conseils defainille, interdictions, et gingralement des capacitis et incapacitds, qui naissent de ces di-
verses situations, suivant la nouvelle ldgislation, t. 1, Paris, Mamier, 1833 aux pp. 456-67, n 583-99 ;
A.M. Demante, Cours analytique de Code Napoldon, t. 2, Paris, Plon, 1853 aux pp. 214-15, n’ 142-
142 bis ; J.-M. Boileux, Commentaire sur le Code Napoldon, t. 2, 6ed., Paris, Videcoq, 1852 aux pp.
304-07, n* 393 ; C. Demolombe, Traitd de la nzinoriti, de la tutelle et de l’dmancipation, t. 1, 2′ 6d.,
Paris, Auguste Durand, 1861 aux pp. 26-29, n 47-78 ; C. Aubry et C. Rau, Cours de droit civilfran-
fais, t. 1, 4′ 6d., Paris, Imprimerie et Librairie g~ndrale de jurisprudence, 1869 aux pp. 559-61, n*
136; F Laurent, Principes de droit civilfran ais, t. 4, 3′ &., Bruxelles, Bruylant-Christophe, 1878
aux pp. 508-10, n’ 393-95 ; G. Baudry-Lacantinerie, G. Chneaux et Ph. Bonnecarrere, Traitd thdori-
que etpratique de droit civil, Des personnes, t. 4, 3′ d., Paris, Sirey, 1905 aux pp. 383-88, n’ 332-34.
‘ Voir Aix, 19 mars 1807, S.1808.H1.216 (An XIII). En plus d’6carter l’application des rfgles conte-

nues au Digeste, la Cour dclare :

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CON(U

219

Delvincourt limite les fonctions du curateur au ventre 1’administration des biens de
la succession:

(5) Un curateur au ventre, et non pas un tuteur. Le tuteur n’est donn6 qu’t la
personne, et le posthume n’existe pas encore. D’ailleurs, la nomination de ce
curateur a lieu dans l’int6ret, non seulement du posthume, mais encore de tous
ceux qui devront recueillir la succession, si 1’enfant nait mort, ou ne nat pas
viable. En un mot, ce curateur est charg6 de conserver la succession pour ceux
qui y auront droit d’apr~s l’6vdnement de la grossesse. Par cons&luent, il est
cens6 donn6 aux biens, plut6t qu’A la personne. Je pense, au surplus, qu’il a,
quant aux biens, les memes droits que le tuteu?.

Magnin d6crit ainsi les limites impos6es aux pouvoirs de ce repr6sentant:

Nos lois civiles, vrais modules de biens6ance, ne veulent rien de semblable:
elles donnent seulement aux h6ritiers du mari, et A tous ceux qui sont prdpos6s
Ai l’int&at des mineurs, la facult6 de faire nommer par le conseil de famille un
curateur au ventre ; mais cette pr6caution, purement conservatrice d’une suc-
cession incertaine, n’a rien de ffcheux pour la femme ; elle dissipe les craintes
de ceux qui sont appel~s A la succession, sans inconv6niens pour elle.
I[…]I

Le curateur doit donc veiller

1’6v6nement de la grossesse. I1 n’a point
d’autorit6 sur la m~re : son caract~re ne lui donne pas le pouvoir de la suivre
partout, de critiquer ses actions, et de lui prescrire une r~gle de conduite ; mais
il a le droit de lui faire des visites dans son domicile, de prendre des ren-
seignements, d’examiner ses d6marches, d’assister a l’accouchement, et
d’empecher enfin qu’on ne change l’ordre de succ6der, en changeant 1’6tat de
l’accouchement.

Demolombe est du meme avis:

Cette surveillance sans doute ne saurait 6tre exerc6e par le curateur avec trop
de convenance, de discr6tion et de reserve ; et il est vrai aussi de reconnaitre
que le curateur n’a pas pr~cis6ment d’autoritd sur ]a femme, b laquelle il ne
peut prescrire aucune mesure, ni par exemple assigner le lieu de sa r6sidence
ou de son accouchemente.

Laurent ajoute:

la loi n’a point soumis Ia femme qui se dit enceinte A en fournir la preuve ; qu’elle est
donc contente de cette d~claration – Que d’apres M. Maleville, la principale fonction
de ce curateur est d’emp&her la supposition d’enfant ; […] Consid6rant que le curateur
au ventre devant emp&her la supposition d’enfant, est le surveillant cr66 par la loi,
pour d6voiler la fausset6 et la simulation de la grossesse ; ce qui prouve 6videmment
qu’on ne peut pas en 6tablir la preuve par une seule visite des gens de l’art; […].

7 Delvincourt, supra note 76, t. 1 A lap. 272 [nos italiques].
‘9 Supra note 76 aux pp. 457 et 460, n 584 et 588 [italiques de l’original]. II ajoute que le curateur
(W’a rien A faire, si les actes sont susceptibles d’Etre diffdr&s, sans pr6judice pour la succession> (ibid
A lap. 462, n 593).

” Demolombe, supra note 76

lap. 32, n 58.

MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 42

I1 faut donc que la surveillance du curateur ne blesse pas nos moeurs, c’est-a-
dire cette ddlicatesse de sentiment que nous devons aux progrbs de la civilisa-
tion, ni la libert6 individuelle qui fait l’essence de notre existence civile et poli-
tique ‘.

Au XXe si~cle, les auteurs affirment que cette institution est tombde en ddsud-
tude82. L’article 393 du Code Napolgon disparait d’ailleurs en 1964 A l’occasion de la
rdforme de la tutelle 3. Dans l’ensemble, on constate que cette curatelle ne semble pas
avoir dtd utilisde pour imposer une ligne de conduite A la mbre. Quant A la protection
de 1’enfant conqu, le droit pdnal pourvoit depuis longtemps A cette situation. Le cura-
teur ne dispose d’aucun pouvoir particulier h cet dgard, sauf celui d’exercer une sur-
veillance discrte et, le cas dchdant, de d6noncer la m~re aux autorit6s.

2. L’ancien droit pdnal et la justification du crime d’avortement

Apr~s avoir pr6sent6 les r~gles de l’ancien droit p6nal concemant l’avortement et
l’infanticide (a), il conviendra d’examiner comment certains auteurs justifient ces
prohibitions (b).

a. L’avortement et I’infanticide

Avoir un enfant hors mariage a longtemps dt6 la cause d’une marginalisation so-
ciale importante. N6anmoins, dans l’ancien droit frangais, l’action en ddclaration de
patemitd offre une protection A l’enfant ; si elle est accueillie, le pbre a l’obligation de
nourrir et d’dlever le nouveau-nd, qui lui est le plus souvent confi&8. En ddpit de ce
fait, certaines mbres sont suffisamment ddsespdrdes pour tuer leur enfant. La peine de
mort leur est imposde par un ddit du roi Henri II, datant de 1556, qui vise dgalement
les femmes qui se font avorter3 .

uLaurent,

supra note 76 A lap. 510, n 395.

32 Voir M. Planiol et G. Ripert, Trait pratique de droit civil franfais, Les personnes, t. 1, Paris,
L.G.DJ., 1925 aux pp. 509-10, n* 464 ; R. Rodire, La tutelle des mineurs, Paris, Sirey, 1950 at la p.
146 et s., n 86 : <> (1988) 21 Histoire sociale 39 [ci-aprs ]. La fille-mire* s6-
duite par des manoeuvres dolosives a 6galement droit it des dommages-intdrts (voir infra note 222).

Voir D’Aguesseau, (Essai sur l’6tat des personnes>> dans Oeuvres de M. le Cliancelier
D’Aguesseau, t. 5, Paris, Les libraires Associds, 1767, 416 A la p. 464 ; J.-M. Carbasse, Introduction
historique au dmitpinal, Paris, Presses universitaires de France, 1990 At lap. 277, n 163 ; A. Laingui
et A. Lebigre, Histoire du droit pdnal, t. 1, Paris, Cujas, 1979 t ]a p. 174 et s. Au moyen aige,
1’embryon est rput6 dotd d’une Sine quarante jours aprs sa conception, mais ceci pose d’dvidentes
difficultds de preuve dans les premiers temps de ]a grossesse : (Carbasse, ibid. A lap. 276, n* 163). Si
cette condition est remplie, l’avortement est qualifi6 d’homicide (Laingui et Lebigre, ibid. At lap. 173
et s.). En principe, l’,dit de 1556 supprime cette distinction et rprime toute forme d’avortement.

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENTET LES DROITS DE L’ENFANTCONQU

221

Le chancelier D’Aguesseau d~clare h ce sujet:

Cette Loi est plus sage et plus s6v~re que toutes les Lois romaines. […] Plus
s6vre, en ce qu’elle pr6sume toujours, sans aucune autre preuve, que toute
femme dont l’enfant se trouve avoir 06 priv6 de bapt~me & de s~pulture pub-
lique, faute par elle d’avoir d6clar6 son 6tat, soit rdputie avoir homicidi son
enfant, &pour reparation, punie de mort & dernier supplic 6.

Cette r~gle couvre le cas de 1’enfant mort-n6, meme si la mre qui n’a pas dgclar6
sa grossesse n’a rien se reprocher dans cette hypoth6se. Elle peut done conduire A la
condamnation d’une femme innocente. Le syst~me judiciaire se montre cependant
compr6hensif: oil est fort ais6 de faire dire aux Chirurgiens & aux Sages femmes que
‘accus6e n’6toit pas encore
l’extremit de sa grossesse, & pour lors on presume fa-
vorablement qu’elle
tant
l’avortement que l’infanticide font l’objet d’une repression, meme s’il peut 6tre dif-
ficile de r~unir les preuves n6cessaires h l’obtention d’une condamnation 8.

l’auroit d6clar~e avant que d’accoucher>87. Ainsi,

b. Le recours au droitp6nal

Certains juristes de l’Ancien Rdgime envisagent successivement les droits de suc-
cession de l’enfant conqu et l’interdiction de l’avortement en droit p6nal. Jean Domat
s’exprime ainsi :

[1]es enfans qui naissent morts sont considerez comme s’ils n’avoient dt6 ni
nez, ni congfis. […] Les avortons sont ceux qu’une naissance prmature fait
naltre ou morts ou incapables de vivre!.

I1 ajoute :

Les enfans qui sont encore dans le sein de leurs meres n’ont pas leur 6tat r~glM,
& il ne doit l’tre que par la naissance. Etjusques-l4 ils ne peuvent 8tre comp-
tas pour des enfans, non pas meme pour acqu6rir A leurs pres les droits que
donne le nombre des enfans. Mais l’esp~rance qu’ils naitront vivans fait qu’on
les considere en ce qui les regarde eux-m~mes, comme s’ils 6toient d6j nez.
Ainsi on leur conserve les successions 6chfies avant leur naissance, & qui les

‘6 D’Aguesseau, ibiL [italiques de l’original].
87 biL Ia p. 465.

La jurisprudence est particulirement exigeante. Pour condamner 1’accus~e, il faut qu’un proc s-
verbal de la d6couverte du corps soit dress6 et qu’il n’y ait eu ni d6eclaration de grossesse ni bapteme
ou s6pulture normale (voir Carbasse, supra note 85 t lap. 277, n 163 ; Laingui et Lebigre, supra note
85 A lap. 175 et s. ; voir 6galement Chinea, supra note 64 A lap. 117, qui signale la difficult6 de d6-
couvrir le cadavre du nouveau-n6).

” Domat, supra note 66 A la p. 12, art. IV et V [notes omises]. Au moyen Age, la r&gle qui refuse
toute capacit6 de succ~ler A l’enfant mort-n6 est reprise sans difficult6 du droit romain. Les canonis-
tes considrent en effet que l’enfant conqu est dot6 d’une Ane apr~s quelques semaines (40 jours le
plus souvent), mais va en enfer s’il est mort-n6, faute d’avoir 6t6 baptisd. Us acceptent sans trop de
difficult~s qu’un Stre naturel non baptis6 n’a pas le droit de succ&ler, meme s’ils qualifient par
ailleurs l’avortement d’homicide (voir Lefebvre-Teillard, supra note 29 h la p. 504 et s.).

222

MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

regardent ; & on leur nomme des curateurs pour prendre soin de ces succes-
sions. Ainsi on punit comme homicide la mare qui procure son avortemente.

La derni~re phrase nous semble particuli~rement r6v61atrice :dans l’esprit de
Domat, l’interdiction de l’avortement relve tout naturellement du droit p6nal. La
meme juxtaposition se retrouve chez le chancelier D’Aguesseau :

Enfin, la derniere suite & la principale de la fiction par laquelle un enfant
dans le ventre de sa mere, est r6put6 n6, lorsque l’int~r& de sa vie et de sa con-
servation le demande, est la sdv6rit6 avec laquelle la Loi punit les avortemens.
Elle considre comme un homicide le meurtre de celui qui n’est encore que
1’espArance d’un homme 9’ .

Les droits p~nal et priv6 frangais de l’Ancien R6gime ayant des sources commu-
nes 92, une maxime inspir~e du droit romain peut y recevoir une application simulta-
n~e. Dans 1’esprit de D’Aguesseau, l’application de la maxime romaniste Infans con-
ceptus jam pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur (l’enfant conqu est
consid&r6 comme n6 chaque fois qu’il s’agit de ses int&8ts93) conduit
t qualifier
‘avortement de crime. Le droit civil ne se prononce toutefois pas sur cette question ;
chacun de ces domaines du droit demeure distinct. Ainsi, dans l’hypoth~se o i la
femme qui se fait avorter n’est pas poursuivie criminellement, son mari doit se con-
tenter de se s~parer 9 . On notera au passage que la disparition d’une fille ne retient pas
l’attention du chancelier D’Aguesseau. Quoi qu’il en soit, en l’absence de condamna-
tion p6nale95, le droit civil peut mettre fin
l’obligation de cohabitation des 6poux. I1

” Domat, ibid, art. VI [notes omises].
9′ D’Aguesseau, supra note 85 t lap. 445. Apr~s l’adoption de l’dit de 1556, les peines imposdes
sont relativement cldmentes : fustigation, amende, bannissement t temps (voir Carbasse, supra note
85 A la p. 277, n 163 ; Laingui et Lebigre, supra note 85 A la p. 176). Or, rhomicide est toujours
sanctionn6 par la peine de mort, meme s’iI est accidentel ou s’il r~suIte d’un acte de 16gitime d6fense.
Seul le Roi peut gracier le condamn6 (voir Carbasse, ibid. au n 101). Cette r~gle n’est pas appliqu~e
ici, ce qui montre que l’infanticide et l’avortement sont plac6s dans une categorie part. Comme nous
‘avons vu, la doctrine de 1’6poque affirme que I’avortement est r6put6 8tre un homicide, paraphrasant
ainsi l’Edit de 1556. Uassimilation des deux termes ne va donc pas de soi.

Ces deux droits ont 6t6 fagonnis par les textes du droit romain et canonique, ainsi que par la 16gis-
lation royale (voir g6n6ralement Carbasse, ibid.). Dans un grand nombre de rdgions de la France, le
droit coutumier constitue la source premiere dii droit priv6 ; son apport en droit p6nal est cependant
nigligeable A la fin de l’Ancien R6gime.

93 A. Mayrand, Dictionnaire de maximes et locutions latines utilisdes en droit, Cowansville, Yvon
Blais, 1985 A lap. 112. Notons que cette maxime ne figure pas au Digeste. Des formules tr~s voisines
sont employ6es au moyen Age par les canonistes, A 1’exception des termes
dans Oeuvres de M. de Renusson, Paris, Libraires associ6s, 1780, 100, qui pr6sente ces dispositions
comme une r~gle de < ; sur 1’abandon par l’6pouse, voir Bourjon, ibid. A Ia p. 736
et s. ; Guyot, supra note 65, t. 6 aux pp. 322-24 ((Douaire ) ; sur le douaire coutumier, voir M. D.
Castelli, (Le douaire en droit coutumier ou ]a d6viation d’une institution (1979) 20 C. de D. 315). La
Coutume de Paris ne pr6voit toutefois pas la perte du douaire lorsque la s6paration d’habitation est
due A la faute de l’pouse, m~me si une partie de la doctrine affirme le contraire (voir Martin, supra
note 61, t. 2 h la p. 306). Par ailleurs, une condamnation pour adult~re prononc~e A la r&juisition du
man prive la femme de son douaire et, le cas 6ch6ant, de sa part de communaut6, sauf si le mari lui a
pardonn6 dans les deux ans de la condamnation (voir Bourjon, ibid. A lap. 736 ; F Lebrun, Traiii de
la communautj entre mari etfemmne, Paris, Brunet, 1754 4 lap. 526 ; Pothier, supra note 65, t. 6 a la
p. 243, n 527 ; Renusson, ibid. lap. 101). Un arr~t du Parlement de Paris a priv6 une veuve de son
douaire parce qu’elle avait 6t6 pralablement d~clar6e coupable de supposition de part (voir J. Du
Fresne, Journal des principales audiences du Parlement, t. 1, Nouvelle &lition, Paris, C. Robuste,
1733 A la p. 211). Pour qu’une femme puisse 6tre privde de son douaire ou de sa part de la commu-
naut6 apr~s s’8tre fait avorter, il faudrait faire une analogie avec les regles concemant l’adultre ou
1’abandon par l’6pouse. 11 semble bien qu’une condamnation pr6alable serait requise.

9’Voir M.-A. Cliche, L’infanticide dans la r6gion de Qu6bec (1660-1969)
(1990) 44 R.H.A.F. 31
tci-apr~s dans D. Lamoureux, dir., Avortement Pratiques, Enjeux, Contr~le social, Montr6al,
tditions du Remue-m6nage, 1993, 17. En Nouvelle-France, sept femmes sont accus~es d’infanticide
et trois sont mises mort (voir Cliche, >, supra note 84 t lap. 45). En 1708, le Conseil
lire l’Fdit de 1556 A tous les trois mois
souverain enregistre la declaration du Roi obligeant les cur6s

224

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

7 octobre 1763″8, le droit p6nal anglais s’applique99. En ce qui conceme l’interruption
de la grossesse, contrairement au droit frangais, la common law n’en fait pas un crime
avant les premiers mouvements du foetus (quickening)’0. Une loi de 1841 du Canada-
Uni modifie cette rigle et rend ill6gale toute forme d’avortement0 ‘ ; ce principe est
repris en droit p6nal canadien d~s 1869’0. En 1969, le Parlement d6crte que
‘avortement n’est pas un acte criminel si certaines conditions sont remplies : un
comit6 de l’avortement th6rapeutique compos6 de trois m6decins, oeuvrant dans un
h6pital accr6dit6 ou approuv6, doit d6cider si la continuation de la grossesse met pro-
bablement en danger la vie ou la sant6 de la mere’ . La meme ann6e, les dispositions
qui restreignent l’accs h la contraception sont abrog6es’O’. En 1988, la disposition
concernant l’avortement est d6clar6e enti~rement inop6rante par la Cour supreme”.

pendant le pr6ne (voir , ibid.
]a p. 57, n. 80), r~gle r6it6r6e en 1722 par une ordon-
nance de l’intendant B6gon (voir A. Lachance, Crimes et criminels en Nouvelle-France, Montr6al,
Bor6al, 1984 A la p. 36). Cette ordonnance exige que la declaration de grossesse soit faite aupr~s du
procureur d’une juridiction royale ou seigneuriale ou, A d6faut, d’un ecclsiastique. Elle interdit de
confier les nouveau-n~s aux autochtones pour que ceux-ci les adoptent ; en contrepartie, elle pr6voit
que les enfants trouv~s seront confi6s A une nourrice qui sera r~tribude par le domaine du Roi (voir
Archives nationales de France, Colonies, s~rie F3, vol. 10, fo 208 ; voir aussi l’ordonnance de
l’intendant Hocquart, ibi. , vol. 12, fo 246).

9′(R.-U.), 3 Geo. 3, reproduit dans L.R.C. 1985, app. HI, no. 1.

Acte de Qudbec de 1774 (R.-U.), 14 Geo. 3, c. 83, reproduit dans L.R.C. 1985, app. 11, no. 2, art.
11 ; voir g~n6ralement A. Morel, <(La r6ception du droit criminel anglais au Qu6bec (1760-1892)>
(1978) 13 RJ.T. 449. Entre 1760 et 1764, les tribunaux militaires exergant une compdtence lOnale
n’ont pas appliqu6 de rhgles franaises, quel que soit le droit sur lequel ils se sont effectivement fon-
das.

” Voir C.B. Backhouse, > (1983) 3 Windsor YB. Access Just. 61 A la p. 65 [ci-apris nvoluntary
Motherhood]. Aprbs la Proclamation royale de 1763, supra note 98, une loi du Parlement britanni-
que datant de 1623 entre en vigueur ; elle est tout aussi s6v~re que l’&lit frangais de 1556. Une loi
bas-canadienne de 1812 vient supprimer la prsomption de meurtre qui pse sur la mere qui ne d6-
clare pas une naissance ; toutefois, la simple dissimulation de grossesse peut 8tre sanctionn6e par un
emprisonnement de deux ans ou moins (voir Cliche, >, supra note 97 aux pp. 46-48). Voir
6galement C.B. Backhouse, (1984) 34 U.T.LJ. 446.

‘0’ An Act for Consolidating and Amending the Statutes in this Province Relative to Offences
Against the Person, S. Prov. C. 1841, c. 27, art. 13.11 n’est donc pas exact de dire que ce changement
fut effectu6 en 1859 dans le cas du Bas-Canada : Backhouse, , reconnaissant ainsi qu’ils
ne lui appartiennent pas encore. En outre, les articles 838, 2e al. et 2543 C.c.B.-C.
distinguent entre les personnes qui existent et celles qui sont simplement conques et
qui nattront ult~rieurement viables’08 . La personnalit6 de l’enfant conqu se conjugue
donc au futur.

,7 Les codificateurs sont fort laconiques sur le sens de cette disposition (voir Second rapport des
commissaires charg6s de codifier les lois du Bas-Canada, en mati~res civiles dans Code civil du Bas-
Canada, Livre premier, Qu6bec, Derbishire et Desbarats, 1862 A la p. xciv [ci-apr~s Rappport des
commissaires>]). Par ailleurs, l’institution du curateur
l’enfant conqu a jou6, au Qu6bec, un r6le
inattendu lorsque le d6c s du pre est dO A un acte fautif. L’octroi d’une indemnit6 6tait en effet sou-
mis aux conditions strictes de l’art. 1056 C.c.B.-C, en particulier l’obligation impos6e aux personnes
y mentionn6es d’intenter une action unique dans l’ann6e suivant le d6cis. L’enfant conqu avait alors
int&r& h se joindre aux autres membres de la famille. k titre d’illustration d’une telle situation, voir
Hamel c. Brunelle, [1977] 1 R.C.S. 147 11 la p. 150, oil ]a question n’est toutefois pas discut6e.
L’article 1056 C.c.B.-C. n’a pas dt6 repris par le Code civil du Quebec.

‘ULes articles 771, 838, 929 et 2543 C.c.B.-C. se lisent ainsi:

771.

La capacit6 de donner et de recevoir entre vifs se considre au temps de la
donation. Elle doit exister A chaque dpoque chez le donateur et chez le donataire lors-
que le don et son acceptation ont lieu par des actes diffrents.

I1 suffit que le donataire soit conqu lors de la donation, ou lorsqu’elle prend effet en

sa faveur, s’iI est ensuite n6 viable.

838.

La capacit6 de recevoir par testament se consid~re au temps du d6c~s du
testateur ; dans les legs dont l’effet demeure suspendu apr~s ce d~cxs soit par suite
d’une condition, soit dans les cas de legs A des enfants 4 naitre et de substitution, cette
capacit6 se consid&re au temps oib le droit est ouvert.

1 n’est pas n6cessaire que ]a personne avantag6e par testament existe lorsque cet acte
est fait, ni qu’elle y soit d6sign6e et identifi~e d’une mani~re absolue. II suffit qu’elle
existe au dkcbs du testateur ou qu’elle soit alors conque et naisse ensuite viable, et
qu’elle soit clairement reconnue A cette 6poque pour celle qui 6tait dans l’intention du
testateur.

Meme dans les legs qui demeurent suspendus, tel qu’il est mentionn6 pr.c6demment
au pr6sent article, il suffit que le 16gataire existe ou soit conqu, avec Ia condition qu’il
naitra viable, et qu’il se trouve etre Ia personne indiqu6e, au temps oi le legs prend ef-
fet en sa faveur.

929.

L’on peut cr6er une substitution par donation entre vifs en un contrat de
mariage ou autrement, par donation h cause de mort en un contrat de mariage, ou par
testament.

La capacit6 des personnes suit dans chaque cas la nature de l’acte.

La disposition qui substitue peut 6tre conditionnelle comme toute autre donation ou

legs.

La substitution peut 8tre attach6e h une disposition soit universelle, ou a titre univer-

se], ou A titre particulier.

228

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

L’article 192, 2e al. du Code civil du Quebec dclare les pre et m~re majeurs ou
6mancip6s tuteurs de plein droit de l’enfant conqu mais non encore n6. II ajoute
qu’ils sont charg6s d’agir pour lui dans tous les cas oii son int6r& patrimonial
1’exige>>. Cette disposition permet elle aussi de poser des actes afin de prot6ger les
biens qui appartiendront
sa naissance. Si les deux parents ne peuvent
exercer la tutelle’, un tuteur datif doit 8tre nomm6, conform6ment A l’article 205
C.c.Q.

1’enfant

Ainsi, tant le Code civil du Bas-Canada que le Code civil du Qulbec reconnais-
sent l’existence de l’enfant conqu et l’importance de prot6ger ses int6rts. Les dispo-
sitions sur les successions et la prescription nous aideront h cemer la nature tr~s parti-
culire de cette protection.

b. Les successions et la personnalit6 de l’enfant conqu

L’article 608 C.c.B.-C. restreint de fagon significative la personnalit6 de l’enfant

qui n’est pas encore n6:

Pour succ&ler, il faut exister civilement h rinstant de l’ouverture de la suc-

cession ; ainsi sont incapables de succ6der:

1.

2.

Celui qui n’est pas encore conqu;

L’enfant qui n’est pas n6 viable.

L’article 617, ler al. C.c.Q. est au meme effet” . Ainsi, l’enfant conqu jouit de
droits conditionnels : il peut h~riter s’il nait viable. Dans le cas contraire, aux yeux de
la loi, il est r6put6 n’avoirjamais exist6′ 2 . En cas de non viabilit6, il ne recueille ni ne

I1 n’est pas n~cessaire que l’appel6 ait 6t6 present t ]a donation entre vifs qui substi-

tue en sa faveur; iI peut meme n’avoir 6t6 ni n6 ni conqu lors de l’acte.

2543.

I1 n’est pas n6cessaire que la personne vis~e existe lors de sa d6signation,
ni qu’elle soit alors express6ment d6termin~e. I suffit qu’h l’6poque ot le droit a pris
naissance en sa faveur, elle existe ou soit conque et naisse viable, et qu’elle soit recon-
nue comme la personne vis~e.

‘ Cette situation se rencontre quand les parents sont, soit mineurs et non 6mancipls (art. 192

C.c.Q. a contrario), soit incapable d’exercer pleinement leurs droits civils (art. 179 C.c.Q.).

“‘ Uaptitude de l’enfant conqu A succ&ler ou t recevoir des libralis est confirm6e par les articles

439, 1242, 1279, 1814, 1840 et 2447 C.c.Q.

“. Voir J.E. Roy, Uenfant n6 viable est habile t succ&lerm (1903-04) 6 R. du N. 372 h la p. 373 ; J.-
G. Cardinal, Uincapacit6, Dur6e de la minorit&> (1958-59) 61 R. du N. 128 aux pp. 129-31 ; G.
Comu, (1961) 7 R.D. McGill 242 A la p.
245 ; A. Mayrand, (1965) 25 R. du B. 177 A la p. 205. R~cemment, une
auteure signale qu’il est parfois injuste de refuser la personnalit6 au nouveau-n6 qui a v~cu quelques
instants mais n’est pas considr6 viable : C. Philippe, La viabilit6 de l’enfant nouveau-n&>
D.1996.Chron.29. En 1866, le Code civil du Bas-Canada prvoit qu’un enfant n6 avant le cent quatre
vingti~mejour suivant la c616bration du mariage mais d~clar6 non viable ne peut 8tre d6savou6 par le
man de la m~re (art. 222(3)), contrairement A ce qui se produirait dans le cas d’un enfant n6 viable
(art. 221). Cette rfgle est disparue en 1980 (art. 581-86 du premier Code civil du Quebec, L.Q. 1980,
c. 39 ; art. 530-37 C.c.Q.). Toutefois, on voit mal comment le man pourrait avoir un intr~t juridique

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CONqU

229

transmet aucun droit. I n’a, par cons6quent, pas d’h~ritiers, contrairement
ce qui se
produirait s’il s’agissait d’une personne physique. I1 s’agit simplement d’une per-
sonne en formation, dont les droits ne seront d~finitivement acquis qu’apr~s la nais-
sance, si elle est alors viable.

La naissance, jointe h la viabilit6, constituent, dans cette perspective, un 6v6ne-
ment futur et incertain, qui seul peut conf&er d6finitivement des droits t l’enfant. El-
les s’apparentent ainsi A une condition juridique dont la nature exacte pr&e contro-
verse. Selon certains auteurs, la naissance et la viabilit6 constituent une condition sus-
. Dans cette hypoth~se, les droits de l’enfant conqu n’existant pas encore, ils
pensive
ne peuvent 8tre exerc6s avant la naissance, ce qui n’exclut pas le recours A certaines
mesures conservatoires (art. 1086 C.c.B.-C. et 1504 C.c.Q.). D’autres pr6ferent dire
que ces droits existent pleinement et sont soumis une condition r6solutoire, c’est-h-
dire qu’ils disparaissent r6troactivement dans l’hypothse oti l’enfant ne nait pas via-
ble (art. 1088 C.c.B.-C., 1506 et 1507, 2e al. C.c.Q.)”3.

I1 convient donc d’examiner les dispositions du Code civil pour d6terminer si,
dans l’esprit du 16gislateur, les droits de l’enfant conqu ne doivent etre exerc6s
qu’apr~s sa naissance ou si, au contraire, ils peuvent l’8tre imm6diatement. En effet, si
l’enfant conqu n’acquiert pas de droits avant de naitre viable, il est difficile de soute-
nir qu’il jouit d’un droit
la vie en attendant l’av~nement de cette condition suspen-
sive. Au contraire, ses droits pourraient &re plus importants, et mme s’6tendre jus-
4u’A la personnalit6 juridique, si la naissance et la viabilit6 6taient une condition r6so-
lutoire. Selon nous, la position la plus coh~rente des d6fenseurs du droit A la vie de
l’enfant conqu est celle de la professeure Suzanne Philips-Nootens, qui propose de ne

suffisant pour d~savouer un enfant qui n’a pas W d~clar6 viable. Notons enfin que l’enfant mort-n6 et
le foetus avort6 de plus de 500 grammes doivent faire l’objet d’une d6claration sp~cifique (voir R-
glement d’application de la Loi sur la protection de la santj publique, R.R.Q. 1981, c. P-35, r. 1, art.
9, cit6 par t. Deleury et D. Goubau, Le droit des personnes physiques, Cowansville, Yvon Blais, 1994
Alap. 10, n. 21).

“‘ Voir Roy, ibi.

lap. 376 ; 1 .Deleury, Naissance et mort de la personne on les confrontations
de la m&lecine et du droit > (1976) 17 C. de D. 265 A lap. 278 ; E. W. Keyserlingk, A Right of the
Unborn Child to Prenatal Care -The Civil Law Perspective> (1981) 13 R.D.U.S. 49
la p. 86 [ci-
apr~s Prenatal Care- Civil Law>] ; voir cependant E. W. Keyserlingk, The Unborn Childs Right to
Prenatal Care, Montr6al, Centre de recherche en droit priv6 et compar6 du Qu6bec, 1984 aux pp.
101-03 [ci-apr~s Prenatal Care].

“‘ Voir G. Brire, La jouissance et l’exercice des droits civils : nouvelle version> (1989) 20 R.G.D.
265 bt lap. 271 ; R. P. Kouri, R6flexions sur le statut juridique du foetus > (1980-81) 15 R.J.T. 193.
Voir 6galement l’analyse des professeurs Cr6peau, supra note 5 aux pp. 264-71, et Philips-Nootens,
supra note 5 a la p. 210 et s. D’autres ne prennent pas position: A. Mayrand, L’inviolabilitj de la per-
sonne humaine, Montr6al, Wilson & Lafleur, 1975
le foetus? dans Formation permanente du Barreau du Quebec, Droit et enfant, Cowansville, Yvon
Blais, 1990, 39 ; M. Rivet, La situation juridique de l’enfant non encore n6 au Canada (Droit civil)
dans Travaux du treizi~me Colloque international de droit comparg, Ottawa, Edition de l’Universit6
d’Ottawa, 1978,73 ; M. Rivet, “. Depuis le ler janvier 1994, le tribunal peut
surseoir au partage pour <<6viter une perte>>, ce qui inclut vraisemblablement des frais
inutiles (art. 843 C.c.Q.). De toute manire, le partage ne peut jamais avoir lieu avant

“4 Voir ibid aux pp. 212-14.
,5Daigle (C.S.C.), supra note 4 A la p. 560:

Les articles 608, 771, 838 et 2543 portent explicitement qu’k moins que le foetus ne
naisse vivant et viable, il ne b6n6ficiem pas des droits y reconnus. Si le foetus ne nalt
pas vivant et viable, les droits mentionn~s dans ces articles s’6teignent, comme si le
foetus n’avaitjamais exist6. Bref, ]a condition que le foetus naisse vivant et viable est
une condition <> serait appropri6e si des droits en existence 6taient andantis

“‘ Deux possibilit6s se prdsentent dans ce cas. Si les biens d6volus initialement hk l’enfant conqu se
partagent ais6ment, la situation peut 8tre assimil~e A l’omission d’un bien de ]a succession (art. 751,
3e al. C.c.B.-C.). Un partage suppl6mentaire peut alors avoir lieu. Par contre, s’il y a eu un tirage au
sort de lots composes de biens qui ne peuvent se partager ais6ment, ]a non-viabilit6 de ‘enfant conqu
constituerait une erreur portant sur le nombre d’h6ritiers, ce qui justifierait la rescision (art. 751, ler
al. C.c.B.-C.). En cas de d6saccord entre les h6ritiers, une action en rescision devrait etre intent~e.
Voir A ce sujet G. Brikre, Pricis du droit des successions, 3’ 6d., Montreal, Wilson & Lafleur, 1993
aux pp. 449-51, n7 681-84 ; A. Mayrand, Les successions ab intestat, Montr6al, Presses de
l’Universit6 de Montr-al, 1971 aux pp. 386-87 et 390, n” 435 et 440.

“‘ C. Demolombe, Trait des successions, t. 1, 4’ 6d., Paris, A. Durand et Hachette, 1870 1k Ia p.
248, n 188. L’auteur s’appuie 6galement sur le fait qu’il est impossible de connailtre 1k l’avance le
nombre d’h6ritiers (voir ibid. A la p. 248 et s., ad 189). Mayrand signale lui aussi le danger de proc6-
der 1k un partage quand un des h6ritiers est encore dans le sein de sa mkre. L’on aura un lot en surplus
si l’enfant ne nait pas vivant et viable ; l’on sera A court d’un lot si des jumeaux naissenb> (Mayrand,
ibid. A lap. 286 et s., 11 328). De mame, D. Le Brun &crit :
(Traitld des suc-
cessions, t. 1, Paris, Veuve Savoye, 1786
la p. 58). L’auteur conseille alors de compter trois enfants a
venir, m~me s’il est th6oriquement possible qu’il y en ait cinq, car (ibiL). De nos jours, ]a technologie permet d’obtenir une
rgponse imm&liate 1k cette question. Le risque que ‘enfant ne naisse pas vivant et viable demeure ce-
pendant.

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CONqU

231

la fin de la liquidation (art. 836 C.c.Q.) ; en pratique, celle-ci risque de durer plus
longtemps que la grossesse.

L’hypoth~se de la condition r6solutoire semble donc peu appropri6e, puisque les
droits de l’enfant con~u ne seront probablement pas exerc6s avant la naissance.
L’objection n’est cependant pas d6terminante, puisqu’on peut admettre que ces droits
existent sans 8tre exerc6s, le partage 6tant report6 par simple commodit6.

Uexamen de l’article 691 C.c.B.-C. appuie 6galement la these de la condition

suspensive. Cette disposition se lit comme suit:

Ni le tuteur au mineur, ni le tuteur on le curateur au majeur ou
l’absent, ne
peuvent provoquer le partage des immeubles de ]a succession d6volue A ce
mineur, ce majeur en tutelle ou en curatelle ou cet absent ; mais ils peuvent y
8tre forces ou requis, et alors le partage se fait en justice conform6ment aux
dispositions de l’article 693 et avec les formalit6s requises pour ‘ali6nation des
biens des mineurs.

I1 est cependant loisible au tuteur on curateur de demander le partage d6finitif
des meubles et un partage provisionnel des immeubles de cette succession.

Cet article demeure silencieux quand aux pouvoirs du curateur h l’enfant conqu. Seul
le tuteur ou le curateur au mineur, h l’interditI 8 et h l’absent peut provoquer un par-
tage des meubles (al.2) ou r6pondre A une demande de partage (al. 1). Le l6gislateur
semble donc refuser au curateur au ventre le droit d’intenter une telle action ou d’y
r6pondre, ainsi que celui de concourir h un partage volontaire”‘. Tout ceci laisse en-
tendre que le partage doit 8tre report6 dans le cas ofi l’enfant n’est pas encore n6. En
outre, en refusant au curateur le droit de demander le partage provisionnel des im-
meubles, il prive l’enfant con~u du droit de percevoir imm6diatement sa part des re-
venus des immeubles de la succession ‘ .

” Ce terme a 6t6 remplac6 en 1989 par l’expression > (Loi sur le
curateur public et modifiant le Code civil et d’autres dispositions ligislatives, supra note 106, art. 92).
‘article 894 du Code de procedure civile, L.RQ., c. C-25, avant la modification de 1992

9 Voir

(Loi sur l’application de la rdfonne du Code civil, L.Q. 1992, c. 57, art. 411):

Pour concourir t un partage on A une licitation volontaire, le tuteur ou le curateur doit y
avoir 6t6 autoris6 suivant les r~gles &lict6es pour l’ali~nation de biens appartenant a un
incapable.

Or les r~gles en question ne font aucune mention du curateur A 1’enfant conqu (art. 297 et 343
C.c.B.-C., version de 1989). Celui-ci ne se voit pas conf6rer les pouvoirs d’un tuteur (art. 345 C.c.B.-
C., version de 1989). Par opposition, le mineur 6mancipl peut faire un acte en suivant les formalit6s
prescrites pour le mineur non 6mancip6 (art. 322 C.c.B.-C.). L.-P. Sirois estime que le curateur an
ventre ne peut 8tre autoris6 vendre la part d’un immeuble appartenant 1’enfant conqu, car ce repr6-
sentant n’est pas mentionn6 aux articles qui autorisent cet acte (voir Tutelles et curatelles, Qu6bec,
L’Action sociale, 1921 4 la p. 439 et s., n 591).

“0 Voici la d6finition du partage provisionnel contenue dans le Dictionnaire de droitprivi et lexique

bilingue, 2! 6d., Cowansville, Yvon Blais, 1991 t la p. 417:

Partage temporaire qui se rapporte uniquement i la jouissance et A la possession des
biens indivis sans mettre fin A l’indivision.

MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

I1 est vrai que Particle 345 C.c.B.-C. autorise ce curateur A agir <.dans tous les cas oa [les] int6r&s [de l'enfant conqu] 1'exigent>, ce qui pourrait th6oriquement inclure
la repr6sentation lors d’un partage
. I1 est cependant difficile de croire que le fait
d’attendre la fin de la grossesse soit pr6judiciable A l’enfant. A notre avis, en ne men-
tionnant pas cette situation, les articles 305 et 691 C.c.B.-C. excluent tout partage
dans l’hypoth~se oi l’un des h6itiers est simplement conqu . Le curateur doit donc
se contenter d’administrer les biens de la succession conjointement avec les autres
h~ritiers, en prenant, le cas 6ch~ant, les mesures conservatoires n~cessaires'”.

Aux termes du nouveau Code, les pore et m~re majeurs ou 6mancip6s sont de
plein droit tuteur de leur enfant conqu ; ils > (art. 192, 2e al. C.c.Q.). Lh encore, il est dif-
fiile de concevoir qu’il soit n6cessaire de proc6der immdiatement au partage, qui
doit de toute fagon avoir lieu apr~s la liquidation (art. 836 C.c.Q.). Apr~s celle-ci, les
pore et more ou le tuteur datif semblent 8tre autoris6s > (art. 301 C.c.B.-C.). Or cette disposition ne
s’applique pas express6ment au curateur it l’enfant conqu. Par ailleurs, les d6veloppements qui prdc6-
dent nous amnent a conclure que l’enfant conqu ne peut obtenir d’aliments, un problme qui n’est
susceptible de se poser que si la femme enceinte est exclue de la succession. En effet, si l’enfant ne
nait pas viable, il n’ajamais eu droit ht une part de succession. Les aliments lui seraient donc vers6s au
d6triment des autres h6ritiers ou des cr6anciers de la succession. Depuis 1989, les intr~ts du conjoint
et des crdanciers d’aliments sont prot6g~s par les articles 607.1 i 607.11 C.c.B.-C., devenus Ai peu de
choses pros les articles 684-95 C.c.Q. Le probl~me demeure toutefois dans l’hypoth~se oil la femme
enceinte n’6tait pas mari6e avec le p~re de 1’enfant. Nous ne croyons pas que 1’enfant conqu puisse
alors 8tre consid6rW un cr6ancier d’aliments. Pour ce faire, il faudrait accorder un recours alimentaire
a la femme enceinte non mari6e, ce qui n’ajamais 6t6 fait (voir la partie I/.B.3.c, ci-dessous).

2 Le droit franais semble etre au meme effet : D. Dalloz et A. Dalloz, dir., Rdpertoire mdthodique
et alphabitique de ligislation, de doctrine et de jurisprudence, t. 32, Paris, Bureau de la jurisprudence
g6n6rale, 1855 h lap. 95, ” 131-32 (, sauf si son reprsentant y renonce avec l’autorisation du conseil de tutelle.
Pour la mgme raison, l’article 807 C.c.Q., qui permet au liquidateur d’une succession
manifestement solvable de verser des acomptes aux h6ritiers ou aux cr6anciers
d’aliments, ne saurait profiter t 1’enfant conqu. Seul le tuteur de l’enfant conqu pour-
rait 6ventuellement accepter la succession, dans la mesure oi l’intdr& patrimonial de
ce pupille l’exigerait ; i est difficile de concevoir que tel soit le cas. Dans l’ensemble,
les r~gles du nouveau Code concernant les successions peuvent difficilement
s’appliquer hi l’enfant conqu pendant la grossesse.

En somme, les droits de l’enfant conqu semblent bien etre suspendus jusqu’I la

naissance. L’6tude des r~gles concemant la prescription confirme cette conclusion.

c. La suspension de la prescription

L’enfant conqu peut 8tre titulaire d’un droit conditionnel de propri6t6 ou de
crdance, qui se cristallisera s’il nait viable. L’article 2232 C.c.B.-C. pourvoit h cette
situation en 6dictant que la prescription <>, <<[s]auf ce qui est dit t 1'article 2269>>’2. II n’est donc pas n~cessaire d’agir au nom de toutes ces personnes
pour 6viter qu’un possesseur ou une personne ddbitrice n’obtienne contre elles le b6-
n6fice de la prescription. Aux termes de l’article 2269 C.c.B.-C., ce principe regoit
, qui courent
cependant exception dans le cas des prescriptions de moins de dix ans
uniquement contre les mineurs et les interdits ; l’enfant conqu n’est pas mentionn6.
Ainsi, contrairement au tuteur d’un mineur, le curateur t l’enfant conqu n’est pas tenu
d’intenter une action afin d’interrompre une courte prescription, qu’il s’agisse d’un
recours d6lictuel ou contractuel. Le 16gislateur semble done prdsumer que seules les

126

cadre des pouvoirs d’administration des parents d’y consentir. En revanche, l’intention du 16gislateur
est d’alldger la charge des pare et mrre lorsque leur pupille possde des biens d’une valeur peu 61e-
vde. Une interprdtation restrictive des termes <> ont 6t6 remplacds en 1989 par l’expression
(Loi sur le curateur public et modifiant le Code civil et d’autres disposi-

majeur inapte A consentir
tions ldgislatives, supra note 106, art. 127).

126 Le texte se lisait ainsi en 1989 :

2269.
Les prescriptions que la loi fixe t moins de trente ans, autres que celle en
faveur des tiers-acqudreurs d’immeubles avec tire et bonne fai, et celle en cas de res-
cision de contrat mentionn6e en l’article 2258, courent contre les mineurs, les idiots, les
furieux et les insensds, pourvus ou non de tuteur ou de curateur, sauf recours contre ces
demiers.

La prescription de l’article 2259 ayant dt6 ramen6e de dix cinq ans depuis 1866, seules la prescrip-
tion du tiers-acqudreur et de l’article 2258 sont fix6es A dix ans. Ainsi, en 1989, l’article 2269 visait
en pratique les prescriptions de moins de dix ans.

234

MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

mesures urgentes seront prises avant la naissance, le statu quo 6tant maintenu en ma-
ti~re de prescription” ‘.

Sous le nouveau Code, la prescription ne court pas contre l’enfant A naitre (art.
2905, ler al. C.c.Q.). Elle court cependant contre le mineur ou le majeur sous cura-
telle ou sous tutelle, sauf A l’6gard des recours qu’ils peuvent avoir contre leur repr6-
sentant (art. 2905, 2e al. C.c.Q.). Ainsi, dans le cas d’un d6biteur ou d’un possesseur,
la prescription est suspendue face
courir h la
naissance’.

1’enfant conqu ; elle recommence

Le curateur (sous le C.c.B.-C.) ou le tuteur (sous le C.c.Q.) A l’enfant conqu ne
sont donc jamais tenus d’intenter une action et d’encourir des frais qui deviendront
inutiles si l’enfant ne nait pas viable ; sous le C.c.B.-C., cela 6vitait les frais inh~rents
A la reprise d’instance par le tuteur. II peut n6anmoins 8tre plus prudent d’interrompre
la prescription avant la naissance, afin d’6viter toute contestation par la suite. I1 s’agit
lh de 1’exemple type d’une mesure conservatoire’ 9. Tout indique donc qu’aux yeux du
16gislateur, les droits de l’enfant conqu ne sont pas exerc~s pendant la grossesse, sauf
s’il faut agir pour 6viter la perte d’un droit devant 6ventuellement lui appartenir. Les
dispositions du Code 6tudi~es jusqu’A maintenant portant principalement sur des
droits patrimoniaux, il convient de se demander quelles autres consequences peuvent
atre tir6es de l’existence de l’enfant conqu en droit civil qu6b6cois.

2. Les consequences d~coulant de la reconnaissance des droits de

I’enfant conqu

La reconnaissance des droits de l’enfant conqu a eu des consequences importantes
en mati~re de responsabilit6 civile (a). Certains auteurs font 6galement appel aux r6-

… Un cas particulier confirme cette interpr6tation. Supposons qu’au d&c~s du d6funt, il ne reste que
quelques heures avant qu’une courte prescription ne soit acquise par le d6biteur de la succession,
alors que les hritiers sont tous mineurs. II est logique de conclure qu’une telle prescription est sus-
penduejusqu’A la nomination d’un tuteur qui soit 16galement habilit6 t intenter l’action en leur nom.
En effet, imm&liatement apr~s le d6c~s, les h6ritiers mineurs sont dans l’F> (art. 2232 C.c.B.-C.) pendant le
temps requis pour nommer un tuteur. L’argument a 6t6 invoqu6 sans succ~s dans une cause o5i un avis
avait 6t6 envoy6 tardivement au nom de mineurs, ce qui ne n6cessitait pas la nomination d’un tuteur:
Cripeault c. Quebec (Ville de), [1979] R.P. Qu6. 11 (C.A.). Voir aussi Schuller c. Madill, [1975] C.S.
908 et Methot c. Du Tremblay (1886), 12 Q.L.R. 251 (Ct. Rev.). Dans le cas oil l’un des h6ritiers est
simplement conqu, il n’est pas ncessaire que le curateur interrompe la prescription, puisque celle-ci
est suspendue par lejeu de 1’article 2232 C.c.B.-C. et que l’article 2269 ne s’applique pas. Si la pres-
cription est sur le point d’8tre acquise apr~s ]a naissance, elle demeure suspenduejusqu’l la nomina-
tion d’un tuteur, comme dans le cas de l’hritier mineur.

” Les p~re et m~re majeurs ou 6mancips sont de plein droit tuteur de leur enfant mineur et peu-
vent agir pour leur enfant conqu dans tous les cas oti son int~r& patrimonial rexige (art. 192 C.c.Q.);
ils peuvent donc interrompre la prescription sans 8tre nomm6s par le tribunal. Le risque que celle-ci
soit acquise apr~s la naissance mais avant ]a nomination d’un tuteur existe si les parents d~cildent tous
les deux ou sont mineurs et non 6mancipes.

..9Voir Bri~re, supra note 113 At lap. 98, n 117.

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CONqU

235

gles des obligations conditionnelles dans le but de montrer que 1’avortement est illi-
cite (b).

a. La responsabilit6 civile

La jurisprudence a eu t se pencher h quelques reprises sur le cas d’une interrup-
tion de grossesse provoqu6e par un comportement fautif. Dans cette hypoth~se, la
femme enceinte subit un prejudice corporel et des inconv~nients multiples qui doivent
6videmment 8tre r6par6s”3O. A ce jour, la jurisprudence n’a pas accord6 d’indemnit6
pour la disparition de l’enfant t naitre”‘. Dans cette hypothse, l’enfant conqu n’est
pas assimil6 t un descendant. En effet, la perte du soutient 6ventuel apport6 par un en-
fant d6jt n6 a toujours 6t6 indemnis~e. En ce qui conceme la douleur ressentie par les
parents en raison de son d6c6s, sous l’empire du Code civil du Bas-Canada, elle ne
donnait pas lieu
un arr&t d’octobre
1996 ‘ . Sous le nouveau Code civil, les principes g6n6raux de la responsabilit6 civile
s’appliquent (art. 1457 C.c.Q.), notamment la reparation du pr6judice moral (art. 1607
C.c.Q.). Dans ces conditions, il semble bien que le perte d’un enfant conqu occa-
sionne un tel pr6judice, tout comme celle d’un nouveau-n6 ou d’un enfant en bas age.
II est cependant probable que l’indemnit6 accord~e dans la premiere hypoth~se sera

une indemnit6, du moins ant6rieurement

‘” Voir Lavoie c. Rivikre-du-Loup (Citg de), [1955] C.S. 452 aux pp. 456-57 ; Langlois c. Meunier,

[1973] C.S. 301 aux pp. 304-05.

“‘ Voir Lavoie c. Riviare-du-Loup (CitJ de), ibid. ; Julien c. J.E. Roy Inc., [1975] C.S. 401 aux pp.
406-07 ; J.-L. Baudouin, La responsabiliti civile ddlictuelle, Cowansville, Yvon Blais, 1985 A la p.
420, n* 901 [ci-apr~s Responsabiliti civile] ; contra Langlois c. Meunier, ibid. Les deux premiers ju-
gements, refusant l’octroi de dommages pour la perte d’un enfant t naitre, ont 6t6 appliques dans des
dfcisions concemant ]a Loi sur l’assurance-automobile, L.R.Q. 1977 c. A-25: Assurance-automobile
– 25, [1982] C.A.S. 270 ; Assurance-automobile – 9, [1984] C.A.S. 489. Par contre, apr s avoir
conclu qu’aucune faute n’a 6t6 commise, un juge de la Cour suprieure declare qu’iI aurait 6td dispo-
sd A accorder des dommages au pre pour la operte des joies de la paternit6> s’il avait tenu la d6fende-
resse responsable (Bilodeau c. Montrdal (Socigtj de transport de Ia communautg urbaine de), [1991]
R.R.A. 768 A lap. 771 (C.S.), conf. sans discuter cette question par (9 f~vrier 1996), Montr6al, 500-
09-001704-915, J.E. 96-482 (C.A.)).

‘”2 Avant le ler janvier 1994, si 1’enfant conqu avait 6t6 consid6r6 comme un descendant,
l’indemnisation du prdjudice resultant de sa disparition aurait 6t6 r6gie par l’article 1056 C.c.B.-C.
Une jurisprudence tris critiqu~e excluait alors toute r6paration de la douleur ressentie par les parents,
connue sous le nom de solatium doloris. Seule la perte d’un soutien 6ventuel dtait r6par6e, ce qui
donnait lieu A des indemnit~s tr s modestes si 1’enfant 6tait mort en bas-Rge (voir Langlois c. Meu-
nier, ibid aux pp. 305-06 ; Baudouin, ResponsabilitJ civile, ibid aux pp. 425-32, n 914-18 ; P.
Deslauriers, Droit qu6bcois et droit frangais des obligations : divergence et concordance>> dans
Glenn, dir., supra note 6, 311 aux pp. 337-434 ; J. S. Poirier, (1995) 29 RJ.T. 657). Pour indemniser la douleur subie
par les parents, il fallait donc affirmer que 1’enfant conqu n’6tait pas un descendant, afin d’appliquer
les r~gles ordinaires de la responsabilit6 civile (voir Langlois c. Meunier, ibid. la p. 305). D’autres
jugements ont implicitement consid~r6 que ce type de pr6judice ne pouvait 8tre indemnis6,
l’assimilant peut-tre inconsciemment au solatium doloris (voir la note pr6c&lente). La Cour supreme
du Canada a renvers6 sa jurisprudence et reconnu le pr6judice moral d~coulant du d6c~s d’un descen-
dant: Augustus c. Gosset, [1996] 3 R.C.S. 268, 138 D.L.R. (4) 617 [ci-apr s Augustus c. Gosset avec
renvois aux R.C.S.].

236

MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DEDROITDE MCGILL

[Vol. 42

moins 6levee que dans les deux autres cas. En effet, les risques de fausse couche sont
g~n~ralement connus du public, et les liens 6motifs entre les parents et l’enfant pren-
nent une autre dimension apr~s la naissance”‘. La reconnaissance du pr6judice moral
cons6cutif
l’interruption d’une grossesse ne signifie done pas que l’enfant conqu est
consid6r6 comme une personne d6jh n6e. I1 convient par ailleurs de noter que cette
conclusion est parfaitement compatible avec les r~gles du droit p6nal canadien’14.

” En France, un arret reconnalt que la femme enceinte dont Ia grossesse est interrompue par un acte
fautif subit un pr6judice dont la nature exacte (souffrances morales ou physiques, ou combinaison des
deux) n’est pas pr6cis~e (Cass. civ. 2%, 17 mai 1973, Gaz. Pal. 1974. 1’ sem. Jur.71 (note H.M.) ; pour
une apprciation diff&ente de cet arr~t, voir G. Mmeteau, ] ; voir 6galement C.
Atias, (La situation juridique de l’enfant conqu> dans J.-B. D’Onorio et al., dir., La vie prinatale –
Biologie, Morale et droit : Actes du Vie Colloque national des juristes catholiques, Paris, 15-17 no-
vembre 1985, Paris, Tequi, 1986, 117 t la p. 124). La ctrbs modeste indemnit6 accord~e au p re> en
premiere instance ne fait pas l’objet d’un pourvoi en Cour d’appel et de cassation (Cass. civ. 27, 17
mai 1973, ibid ; pour des exemples d’indemnit6s accord~es aux parents dans des circonstances sem-
blables, voir Cons. d’ttat, 19 mai 1983 et Cass. civ. 1″, 24 f6vrier 1987, arr~ts in6dits disponibles
dans la banque de donndes informatis~e LEXILASER). Le prejudice d’agr~ment a d’ailleurs d~j.i t6
accord6 pour la perte d’un animal (voir Y. Lambert-Faivre, Le droit du domnage corporel, 2′ dd., Pa-
ris, Dalloz, 1993 it lap. 198, n 201 ; G. Viney, La responsabilit: conditions, Paris, L.G.D.J., 1982 a
lap. 330, n 268). Ainsi, le fait que la perte d’un enfant conqu soit indemnis~e ne permet pas de con-
clure que celui-ci est trait6 de la m~me mani~re qu’un enfant d6jAt n6. II peut fort bien s’agir d’un es-
poir perdu, d’une tristesse devant l’chec de ]a grossesse, sans que cette souffrance soit de meme na-
ture que celle ressentie lots du d&cIts d’un enfant d6jht n6 (en ce sens, voir Juris-classeur civil, art.
1382-86, (valuation du pr6judice corporel : Dommages t ]a personne en cas de d~cis)> par M. Per-
rier, Fasc. 202-2, n 203).

‘ Le fait de citer le Code criminel, ne prate done pas t cons&tuence (voir Lavoie c. Rivi&re-du-
Loup (Cit de), supra note 130 A la p. 457 et les commentaires du professeur Crpeau, supra note 5 t
lap. 250 et s.). L’article 223(1) du Code criminel, supra note 1, d~finit les termes oetre humain, de la
fagon suivante :

Un enfant devient un 8tre humain an sens de la pr~sente loi lorsqu’il est compltement
sorti, vivant, du sein de sa mere :

a) qu’il ait respir6 ou non;
b) qu’il ait ou non une circulation ind6pendante;
c) que le cordon ombilical soit coup6 ou non.

Les dispositions du Code criminel concemant la n6gligence criminelle (ibid., art. 220-21) protgent
l’intgrit6 d’une > plut6t celle que d’un v tre humain>> ; ces derniers termes sont employds
dans la d6finition de divers type d’homicide (ibid., art. 222, 224-29). Les d6fenseurs des droits du
foetus ont done pr6tendu que le terme personne>> dtait plus large que ‘expression 4tre humain , it
l’inverse de ce qui est avanc6 en droit civil (voir R. c. Sullivan, [1991] 1 R.C.S. 489 i ]a p. 502, 122
N.R. 166 [ci-apr s Sullivan avec renvois aux R.C.S.]). Notons que, dans cet arrt, le procureur de ]a
Couronne semble avoir refus6 de d6fendre cette these en raison de l’arr& Daigle (C.S.C.), supra note
4 it lap. 501, bien qu’une partie intervenante l’ait fait; ]a Cour a rejet6 cette argumentation (voir Sul-
livan, ibid. aux pp. 502-03). II convient de souligner qu’une personne qui, > est coupable de meurtre
(Code criminel, ibid., art. 238). D’autre part, la Cour provinciale de l’Alberta a d~cid6 qu’un incull6
ayant poignard6 une femme enceinte et caus6 la mort du foetus devait etre renvoy6 it son procs sous
une accusation de tentative de meurtre, nonobstant le fait qu’un meurtre ne pouvait etre commis dans

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CONqU

237

En cas de pr6judice corporel caus6 durant la grossesse, l’enfant n6 viable peut in-
tenter une action en dommages int&ts. En effet, si l’enfant survit, ses droits remon-
tent A sa conception : il est cens6 avoir exist6 lorsque la faute a 6t6 commise et lui a
caus6 pr6judice”. La maxime Infans conceptus jam pro nato habetur quoties de
commodis ejus agitur trouve ici application. II suffit cependant de dire que la nature
du pr6judice ne peut atre connue avant la naissance ; on justifie ainsi cette solution
sans faire appel A une fiction136. Dans de telles circonstances, une action en dommages
intent~e pendant la grossesse serait pr6matur~e. En effet, elle risquerait de devenir
sans objet 37 si l’enfant ne naissait pas viable, car il n’existerait plus de victime pou-
vant demander r6paration.

Ici encore, les droits de 1’enfant conqu sont simplement pr6serv6s jusqu’I ce que
l’on sache s’il naltra viable. La r6paration du pr6judice subi pendant la grossesse sup-
l’int6grit physiquel3 , mais celui-ci demeure condi-
pose bien 1’existence d’un droit
la viabilit6. A l’heure actuelle, la personne qui, par sa faute,
tionnel
met fin au d6veloppement de l’enfant conqu ne cause pas un pr6judice reconnu par le
droit civil. I1 est n6anmoins concevable qu’un recours puisse 8tre exerc6 de fagon pr6-
ventive afin de prot6ger l’int6grit6 physique de l’enfant conqu’3″.

la naissance et

On l’a dit, l’enfant con~u est r6put6 6tre n6 lorsqu’il y va de son int&&. Ce prin-
cipe permet de r6parer une atteinte
son int6grit6 physique ayant eu lieu avant sa
naissance, en faisant appel aux r~gles usuelles de la responsabilit6 civile’4. Certains

ces circonstances (voir R. c. Severight (1993), 154 A.R. 51, 31 C.R. (4′) 45 ; par la suite, l’accusation
de tentative de meurtre a 6t6 abandonn~e).

L’article 223(2) du Code criminel d~clare que le fait d’infliger 4 un enfant, avant ou pendant la
naissance, constitue un
homicide. Si ‘enfant survit, il n’y a done pas d’infraction. Pour qu’il y ait tentative, il est n~cessaire
que l’accus6 ait l’intention de provoquer le d6cs de 1’enfant apr s sa naissance ; il ne suffit pas que
l’accus6 entende causer des blessures au foetus. Une femme enceinte ayant introduit une carabine t
plomb dans son vagin et bless6 gri~vement le foetus ne commet done pas d’infraction si 1’enfant
survit apr~s l’accouchement: R. c. Drummond (1997), 143 D.L.R. (4’) 368 (Ont. Ct. (Prov. Div.)).

En France, oi il n’existe pas de disposition semblable At ‘article 223, la Cour d’appel de Douai a
reconnu qu’un accident de la route ayant provoqu6 la perte d’un foetus de neuf mois constituait un
homicide involontaire : Douai, 2juin 1987, J.C.P. 1989.11.21250 (note X. Labb#e).

‘3 Voir Montreal Tramways Co. c. LUveillk, [1933] R.C.S. 456 aux pp. 461-62,4 D.L.R. 337.
‘3 Voir ibid. b la p. 476 et s., lejuge Cannon.
‘”Voir S~bag, supra note 28 A lap. 116. Dans la mesure oti 1’enfant est d6jt n6 au moment du pro-
cbs, le fait que l’action ait dt6 intent~e de fagon pr~matur~e ne pr~te pas t cons&tuence. Pendant la
grossesse, la partie d6fenderesse peut cependant soutenir qu’elle n’a pas t engager des frais tant
qu’elle ne peut 8tre fix6e sur l’6tendue de sa responsabilit6, c’est-t-dire tant qu’elle ne sait pas avee
certitude si 1’enfant naitra viable ou s’il est en bonne ou mauvaise sant6.

’38Voir Cr6peau, supra note 5 A lap. 273, n 79.
‘3 Voir la partie II.B.3.b, ci-dessous.
‘, Pour des exemples d’application de ]a maxime en droit frangais, voir S6bag, supra note 28 aux
pp. 63-119. Au Qu6bec, la jurisprudence reconnait parfois les droits de l’enfant conqu sans citer cette
maxime. Ainsi, un enfant dont le pre est d&&dd pendant que sa mere le portait a pu profiter des ter-
mes d’une police d’assurance m~me si l’article 2543 C.c.B.-C. n’6tait pas en vigueur au moment du
d6cs (voir Cyr-Grenier c. Compagnie d’assurance ginerale de commerce, [1979] C.P. 26 (voir Loi

MCGILL LAW JOURNAL!REVUE DE DROITDE McGiLL

[Vol. 42

auteurs affirment par ailleurs que 1’application de cette maxime pourrait servir de base
h l’interdiction de l’avortement. En effet, il serait de l’int6r& de 1’enfant conqu de
prot6ger son int6grit6 physique pendant la grossesse. On pourrait dos lors envisager
que soit demand6e une injonction interdisant A la mare de se faire avorter. Une telle
conclusion pose toutefois de graves problmes en droit canadien, dans la mesure ob
l’emploi de l’injonction pour une telle prohibition est susceptible d’empi6ter sur la
comp6tence f6d6rale en droit criminel'”. A ce sujet, il n’est pas sans int6r& de noter
que les codificateurs ont sans doute tenu pour acquis l’ill6galit6 de l’avortement, mais
ils n’en soufflent mot dans leurs travaux’42. II semble donc que dans leur esprit, il ne
s’agit pas IA d’une question de droit civil. Namnoins, il convient de se demander si
un droit conditionnel A la naissance de l’enfant conqu peut avoir pour cons6quence
d’interdire l’avortement.

b. L’avortement et la r6alisation de la condition

On l’a dit, la naissance et la viabilit6 constituent la condition requise pour que
l’enfant conqu puisse 6tre d6finitivement titulaire de droits. Certains consid~rent qu’il
s’agit d’une condition A caract~re suspensif, tandis que d’autres y voient plut6t une
condition r6solutoire. QueUe que soit la solution retenue, il ne s’ensuit pas que la more
soit dans l’impossibilit6 de poser un geste qui emp~che la r6alisation de la condition.
A cet 6gard, les articles 1084 C.c.B.-C. et 1503 C.c.Q.se lisent:

L’obligation conditionnelle a tout son effet lorsque le d6biteur oblig6 sous telle
condition en empkhe l’accomplissement.

La professeure Philips-Nootens affinne que cette disposition pourrait avoir pour
effet d’interdire l’avortement’43 . Pourtant, si elle devait 8tre appliqu6e, la femme de-
vrait uniquement subir les cons6quences patrimoniales de sa d6cision, comme si
l’enfant 6tait venu au monde, sans pour autant que l’avortement soit interdit. En effet,
les articles 1084 C.c.B.-C. et 1503 C.c.Q. n’interdisent pas au d6biteur d’emp~cher la
r6alisation de la condition suspensive ou de provoquer la r6alisation de la condition
r6solutoire'”. Ces dispositions rendent plut6t l’obligation exigible, en faisant abstrac-

sur les assurances, L.Q. 1974, c. 70) ; voir dgalement Royal Trust Co. c. Tucker, [1982] 1 R.C.S. 250,
40 N.R. 361).
“‘ Voir la partie ll.C, ci-dessous. Sur la situation en France, voir G. Goubeaux, Traitd de droit civil,

Lespersonnes, Paris, L.G.D.J., 1989 aux pp. 54-56, n 44.

“2 Voir <>, supra note 107.
,41 Voir Philips-Nootens, supra note 5 t lap. 212. La professeure Philips-Nootens admet alors, pour
les fins de la discussion, que la naissance et la viabilit6 constituent une condition suspensive. Le pro-
fesseur Crdpeau se contente de declarer que l’article 1084 C.c.B-C. *cn’est pas 6tranger A [son] pro-
pos>> (supra note 5 A lap. 267).

‘”Si ]a condition r6solutoire se r6alise, les parties sont obligdes de se restituer mutuellement les
prestations reques (art. 1507 C.c.Q.). On peut soutenir que le principe qui sous-tend l’article 1503
C.c.Q. vise 6galement la partie qui empche l’accomplissement d’une telle condition, auquel cas la
restitution doit avoir lieu comme si l’obligation dtait rdsolue.

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CONpU

239

tion de cet acte 45. Pour que l’analogie soit valable, il faudrait faire comme si
l’avortement n’avait pas eu lieu et considdrer que 1’enfant est n6.

Cette fiction ne pourrait cependant profiter aux pseudo-hritiers de l’enfant dispa-
ru par suite de l’avortement. En effet, 1’enfant qui n’est pas n6 viable est incapable de
succ6der (art. 608 C.c.B.-C. et 617 C.c.Q.). I est cens6 n’avoir jamais exist6 ni eu de
biens, il ne peut donc transmettre de succession. A notre avis, les articles 1084
C.c.B.-C. ou 1503 C.c.Q., qui ne s’appliquent pas express6ment t l’enfant conqu 146, ne
peuvent faire obstacle aux termes clairs des articles 608 C.c.B.-C. et 617 C.c.Q., qui
privent ‘enfant mort-n6 de la capacit6 recueillir une succession. La maxime voulant
que 1’enfant conqu soit r6put6 6tre n6 lorsqu’il y va de ses intr&ts conduit au meme
r6sultat. En effet, elle ne peut tre invoqu6e par des tiers, ce qui serait le cas des pseu-
do-h&itiers de l’enfant conqu. Le fait que la femne ait pu se faire avorter dans le but
d’h6riter d’une succession ou d’augmenter sa part ne nous semble pas davantage per-
tinent. Si l’on accepte ce raisonnement, aucune cons6quence juridique ne peut d6cou-
ler d’une naissance fictive.

Que l’on adopte la th~se de la condition suspensive ou de la condition r6solutoire,
les mesures conservatoires qui peuvent
tre prises aux termes des articles 1086
C.c.B.-C. et 1504 C.c.Q. n’incluent pas l’interdiction de l’avortement. En effet, si
1’enfant conqu n’a qu’un droit conditionnel A son int6grit6 physique, son repr6sentant
ne peut exiger l’accomplissement de la condition. Toute cette discussion montre
qu’on ne peut assimiler en tout point la naissance h une condition r6gie par les r~gles
des obligations 47.

3. Les droits de ‘enfant conqu en droit civil : conclusion

L’analyse qui pr6c~de permet de constater que les droits de 1’enfant conqu ont
la condition qu’il naisse viable. Dans certains cas, le Code
toujours 6t6 subordonn6s
pr6voit express6ment qu’il n’est pas n6cessaire d’agir en son nom avant sa naissance.
De m~me, la r6paration du pr6judice qu’il subit pendant la grossesse n’a lieu qu’en
cas de naissance et de viabilit6. Enfin, l’analogie avec le r6gime des obligations con-
ditionnelles amine
conclure que rien n’interdit de provoquer la r6alisation d’une
condition.

L’enfant conqu apparait ainsi comme une personne en formation dont les droits
sont destin6s A 8tre exerc6s apr~s la naissance 48 . Si tel est le cas, il n’est pas vis6 par

“‘ Uinaction du d6biteur peut parfois empcher la rhalisation de la condition suspensive.
L’obligation devient alors exdcutoire et peut faire l’objet d’une injonction (voir Association des tra-
vailleurs et travailleuses du Cafe Campus (Montrial) inc. c. Association des rdsidents de la paroisse
de COte-des-Neiges (19 mai 1993), Montr6al 500-09-002153-922, J.E. 93-1042 (C.A.) ; Guenter
Kaussen c. Scanti Investments Ltd, [1981] C.S. 191, pourvoi suivi d’un d~sistement).

2,4 La th6orie de la personnalite conditionnelle de 1’enfant conqu est une construction doctrinale

fond~e sur une analogie ainsi que sur les termes de l’article 607 C.c.B.-C.

“47Ce dont les auteurs cit6s A la note 143 conviennent pleinement.
‘, Voir Deleury et Goubau, supra note 111 L la p. 12 et. s. ; C. Neirinck, La protection de la per-
sonne de l’enfant contre ses parents, Paris, L.G.DJ., 1984 A lap. 19, a* 18. Pour des opinions en sens

240

MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROIT DE McGILL

[Vol. 42

le premier alinta de l’article 18 C.c.B.-C. ou par l’article premier C.c.Q., selon les-
quels <4[fout 8tre humain poss~de la personnalite juridique>>4 . Bien que des mesures
puissent 6tre prises pour 6viter qu’il ne perde des droits, ce principe n’a jamais 6t6
6tendu h la protection de son int~grit6 physique pendant la grossesse. De toute ma-
nitre, la reconnaissance des droits de ‘enfant conqu ne d6bouche pas forc6ment sur
l’interdiction de l’avortement. En effet, une telle r~gle aurait pour effet de limiter la
libert6 et les droits de la femme enceinte. C’est cette question que nous allons mainte-
nant 6tudier.

l la vie de I’enfant con~u ?

B. Libert de choix ou droit
Le fait d’opposer les int&ts de l’enfant conqu A la libert6 de la ferme enceinte
ne va pas sans crier de nombreuses difficult~s. 1 convient de les examiner en d6tail,
afm de bien mesurer les probl~mes que pose une reconnaissance d’un droit A la vie de
1’enfant conqu. Le droit civil reconnait l’autonomie dtcisionnelle de ]a femme pour
tout ce qui concerne sa sant6 ; ces principes s’opposent aux intdrets de l’enfant conqu
(1). I en va de m~me de certaines autres r~gles qui peuvent etre invoqutes au soutien
de la libert6 de choix de la femme enceinte (2). Par ailleurs, les dispositions du Code
civil du Quebec ne sauraient suffire A assurer une protection satisfaisante d’un quel-
conque droit A la vie de ‘enfant conqu (3). C’est en ayant toutes ces consid6rations Ai
l’esprit qu’il faut se demander si les termes << 8tre humain >> employ~s dans la Charte
des droits et liberts de la personne’ et dans le Code civil du Quibec, peuvent englo-
ber l’enfant conqu (4).

1. Les droits de la femme enceinte concemant sa sant6

Plusieurs droits reconnus A la fermne en mati~re de sant6 trouvent application
pendant la grossesse. I en est ainsi du droit de refuser des soins ou un traitement (a),
du droit h la prdservation de sa sant6 psychologique (b) ainsi que du droit d’obtenir
sans dtlai un avortement requis pour des motifs de sant6 (c).

a. Le droit de refuser de se faire soigner

Dissocierjuridiquement 1’enfant conqu et la femme enceinte conduit A se deman-
der si le tribunal peut ordonner
la mere de subir un traitement dans l’int6rt de
l’enfant. De fagon tout A fait cohrente, les dtfenseurs des droits de l’enfant conqu r6-

contraire, voir Atias, supra note 133 ; G. Mtmeteau,
(1990) 89 RT.D.C. 611 [ci-apr~s , supra note
133.
“‘ Sur le sens des mots &8tre humain>>, voir la partie 1.B.4, ci-dessous. Si I’enfant conqu devait etre
qualifiM d’&tre humain, il poss&lerait la personnalit6 juridique et serait une personne humaine. Celle-ci
6tant (inviolable>> (art. 19, ler al. C.c.B-C. et art. 3 C.c.Q.), il aurait alors droit en tout temps ,A )a pro-
tection de son int~grit6 physique.

‘ L.R.Q. c. C-12 [ci-apr~s Charte qub6coise].

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CONQU

241

pondent par 1’affirmative A cette question’. Pourtant, le majeur apte A consentir a le
cette r~gle, t tel
droit de refuser des soins 1
point qu’une personne peut se laisser mourir”‘. On voit mal au nom de quel principe
la mere pourrait 8tre obligre de recevoir des traitements, ce qui s’est pourtant d~j
produit aux ttats-Unis5 4.

2 ; nul texte n’autorise une d&ogation

” Voir P.-A. Crpeau, < (1974) 52 R. du B. Can. 247 t la p. 251, n 10, qui recon-
nat cependant que la question est delicate ; R. P. Kouri, (1994) 35 C. de D. 649).

” Voir Nancy B. c. H6tel-Dieu de Qudbec, [1992] R.J.Q. 361 (C.S.) [ci-apris Nancy B.]. Le juge-
ment Nancy B. a dt6 approuv6 par la Cour supreme dans l’affaire Rodriguez c. Colombie-Britannique
(PG.), [1993] 3 R.C.S. 519 A la p. 598 de l’opinion majoritaire dujuge Sopinka et a lap. 560 de celle
du juge en chef Lamer, les autres juges ne remettant pas en cause ce principe (p. 624 de l’opinion de
lajuge McLachlin), 107 D.L.R. (4′) 342 [ci-aprhs Rodriguez avec renvois aux R.C.S.]. Voir sur cette
question J. M. Gilmour, >
(1994) 31 Osgoode Hall L.I. 473.

‘ Voir Bemardi, supra note 151 A la p. 209 et s. ; B. M. Knoppers, Conception artificielle et res-
ponsabilitd mddicale, Une dtude de droit compard, Cowansville, Yvon Blais, 1986 aux pp. 178-88 ; S.
(1995) 40 R.D. McGill 947, notamment
Martin et M. Coleman, (1991) 9 R.C.D.F. 157 ; A. Diduck, (1993) 2 Soc. & Leg. Studies 463 ; S. A. Tateishi, Apprehending the
(1989) 53 Sask. L.R. 113. Au
Foetus En Ventre de sa Mere: A Study in Judicial Sleight of Hand
Nouveau-Brunswick, une loi provinciale de protection de la jeunesse, la Loi sur les services a lafa-
mille, L.N.-B. 1980, c. F-2.2, art.l, s’applique au foetus (voir Nouveau-Brunswick (Ministre de la
santi et des services communautaires) c. D. (A) (1991), 109 R.N-B. (2′) 192 (B.R.), oa ‘on ordonne
l’intim~e d’etre suivie par un m&lecin et une hygidniste. Notons que dans ce dernier arrat, le droit

242

MCGILL LAW JOURNAL /REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

l’enfant

A notre avis, en cette matire, l’autonomie dcisionnelle inh~rente a la personne
humaine ne saurait atre ni~e dans l’int&r&t de tiers. Nous croyons qu’il en est ainsi
m~me en cas de toxicomanie ou d’alcoolisme. Compte tenu du droit de refuser un
traitement, l’obligation de se soumettre A une cure de d6sintoxication doit r6sulter
d’un texte l~gislatif expr~s ; elle ne saurait 8tre impos~e au nom des int6rats de
55
l’enfant conqu
. L’effectivit d’une telle obligation est d’ailleurs sujette h caution.
Aucun probl~me ne se pose si la femme enceinte accepte de participer
la cure. Par
contre, si elle refuse, elle risque de s’enfuir et de reprendre la consommation de dro-
gue, d’alcool ou de produits chimiques. Si une injonction a 6t6 d~livr6e, elle s’expose
h une condamnation pour outrage au tribunal et une peine d’emprisonnement ; il est
6galement concevable qu’elle soit gard6e contre son gr6 dans un 6tablissement de
sant6. Ces probl~mes pourraient inciter les ferumes enceintes toxicomanes ou alcooli-
ques A ne pas consulter les professionnels de la sant6, ce qui serait manifestement
contraire au but recherch6 par une telle ordonnance. M~me si l’obligation de se faire
traiter prot6geait de faqon efficace l’enfant conqu de la consommation de drogue ou
d’alcool, le pouvoirjudiciaire devrait s’abstenir de crier par lui-meme une telle r~gle,
qui n’a aucun 6quivalent dans le cas des autres personnes ayant une d~pendance 6 . Le
16gislateur est mieux meme de pr~ciser dans quelles conditions une d6tention peut
etre ordonn~e, en s’assurant au pr~alable que la mesure est v6ritablement n6cessaire et
b6n~fique 57

constitutionnel A la libert6 de la mere n’a 6t6 ni plaid6, ni consid6r6 par la Cour; au meme effet, voir
Nouveau-Brunswick (Ministre de la santj et des services communautaires) c. L (C.), [1992] A.N.-B.
No 349 (QL) (B.R. N.-B.)).

“‘ Voir A ce sujet la partie II de la Loi sur les stupefiants, L.R.C. 1985, c. N-I, qui n’a pas dt6 mise
en vigueur. L’ill~galit6 de la consommation de stupfiants peut donner lieu t une poursuite pdnale, ni
plus ni moins. Au Yukon, une disposition permettait d’ordonner A la femme enceinte dont le foetus
pr~sentait un syndrome>; dO A l’alcool de participer A une activit6 supervis e ou de recevoir des con-
seils. Elle a 6td dgclar6e inop6rante parce que l’expression foetal alcohol syndrome;. 6tait trop vague,
ce qui contrevenait A l’article 7 de la Charte canadienne, supra note 9: Joe c. Yukon Territory
(Director of Family and Children ‘s Services) (1986), 5 B.C.L.R. (2’) 267 (C.S. Y).

‘-‘ Pour cette raison, la femme enceinte contrainte de suivre une cure de d6sintoxication dans un
6tablissement de sant6 pourrait etre victime de discrimination. En revanche, il est difficile de conce-
voir que son droit
la s6curit6 de la personne (art 7 de ]a Charte canadienne, ibid.) soit compromis
par cette obligation, A moins que le sevrage ne lui fasse courir un risque important. C’est plutOt son
droit A la libert6 qui est en cause.

‘ Le 12 septembre 1996, la Cour d’appel du Manitoba casse un jugement ordonnant ht une femme
enceinte de cesser d’inhaler des solvants et de suive une cure de d6sintoxication (Winnipeg Child and
Family Services (Northwest Area) c. G. (D.E), [ 1996] M.L n 398 (QL) [ci-apr~s Winnipeg Child], ar-
r& unanime rendu par une formation de cinqjuges ; le 18 octobre 1996, Ia Cour supreme du Canada a
accord6 l’autorisation de se pourvoir, [1996] 3 R.C.S. xiv. Compte tenu de ]a preuve faite en premiere
instance, le juge Twaddle conclut que la Loi sur la santj mentale, L.R.M. 1987, c. MII0, ne peut
s’appliquer (voir Winnipeg Child, ibid., par. 4-11). I1 note qu’en common law, les droits de l’enfant
conqu ne peuvent etre exerc6s avant sa naissance (voir ibid., par. 22-25). I1 se demande si les tribu-
naux devront interdire la consommation d’alcool ou de tabac afin de prot6ger la sant6 de l’enfant
(voir ibid, par. 25-29) ; cela risquerait de susciter un sentiment d’animosit6 chez ]a m~re (voir ibid.,
par. 28). Or, les juges n’ont pas le pouvoir d’obliger une personne majeure et apte t consentir t suivre
un traitement. En outre, il est difficile de concevoir qu’une condamnation pour outrage au tribunal

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CON9U

243

La mre peut donc refuser un traitement n~cessaire A la survie de l’enfant qui est
en son sein. Si celui-ci est bien un 6tre humain, il en r6sulte un paradoxe : le refus de
la femme de se faire soigner peut th6oriquement faire en sorte que la grossesse ne soit
pas men6e

terme, tandis qu’il lui serait interdit de se faire avorter

158

Un constat semblable a 6t6 fait en France159 . Un p~re naturel’O a demand6 au tri-
. Le tribunal a r6pon-
bunal d’ordonner A la mere de se faire suivre par un m~decin 6
du: pendant la p6riode de la conception toute mesure de protection de la personne
physique de l’enfant ne peut 8tre efficace qu’a travers la personne physique de la
mre ; […] le juge ne saurait donc prescrire les mesures sollicit~es pour cette p~riode
. La doctrine ap-
sans porter atteinte aux droits de la personnalit6 de cette dernlere>>

. .

1

162

puisse etre prononcde contre une femme enceinte toxicomane (voir ibid., par. 32-34). Le juge Twad-
dle cite la Ddclaration des droits de l’enfant, R~s. A.G. 1386 (xiv), Doe. Off. AG NU, 14’ sess., p. 19,
Doe. NU A/4354 (1959), qui reconnait le droit a une protection juridique avant et apr~s la naissance.
I1 invite le l6gislateur A mettre en oeuvre ce droit (voir Winnipeg Child, ibid., par. 35-37). I1 prdcise
que ]a competence parens patriae peut etre exerce uniquement apr~s la naissance (voir ibid., par. 14-
15) ; voir aussi M. Morin, (1990) 50 R. du B. 827 A lap. 890 et s. ; au Qu6bec, cette comp6tence
n’existe pas (voir W(V) c. S.(D.), [19961 2 R.C.S. 108 t la p.145, par. 59), 134 D.L.R. (4) 481.

,58 On retrouve malheureusement une distinction semblable en mati~re d’euthanasie, m8me lorsque
]a personne est consciente : le refus de se faire soigner est icite, mais l’aide au suicide ne l’est pas
(voir Rodriguez, supra note 153 aux pp. 560 et 605-06). I1 s’agit IA de la cons6quence de l’art. 241(b)
du Code criminel, supra note 1, qui interdit express6ment l’aide au suicide ; A l’inverse, aucune dis-
position ne vise express6ment la cessation d’un traitement.

‘ Voir Trib. civ. Bizerte, 22 novembre 1955, D.1957.Jur.138.
‘6 Le tribunal d6clare que 4Ia validit6 de la reconnaissance de l’enfant naturel simplement con~u est
admise par une jurisprudence constante, l’enfant existant d~s sa conception et le devoir des auteurs
commengant ds ce moment>> (ibid.
la p. 139). L’int6r& d’une reconnaissance anticip6e tient no-
tamment au fait qu’entre 1907 et 1970, le premier parent naturel qui reconnait son enfant d6tient la
puissance patemelle sur lui, sauf s’il en est priv6 subs~quemment par le juge (voir art. 383 C.N., tel
que modifi6 par la Loi du 2 juillet 1907 relative a la protection et a la tutelle des enfants naturels,
J.O., 4 juillet 1907; Bull. 2862, n 49519, D.R1907.IV.148, remplac6 par la Loi n 70-459 du 4juin
1970, J.O., 5 juin 1970, 5227, D.1970.Lg.138.). La reconnaissance peut r~sulter de l’acte de nais-
sance ou d’un acte authentique (voir art. 335 C.N.). Au Qu6bec, la reconnaissance volontaire ou for-
cde a toujours 6t6 possible (voir art. 240 et 214 C.c.B.-C, version de 1866 ; comparer avec
‘art. 340
C.N., interdisant la recherche de patemit6 sauf s’il existe des prsomptions ou indices graves>>) et les
enfants naturels 6taient plac6s sous l’autorit6 de leur pre et mere (voir art. 243 C.c.B.C., version de
1866). La reconnaissance volontaire est demeur~e possible par la suite (voir art. 577-78 du premier
Code civil du Quebec, supra note 111 ; art. 526-28 C.c.Q.).
161 Pour pouvoir b6n6ficier des allocations de toute nature vers es par l’ttat frangais, la femme en-
ceinte doit se soumettre A trois examens m~dicaux pendant la grossesse : Code de la santi publique,
Ddcret n 53-1001 du 5 octobre 1953 ; D6cret n 55-512 du 11 mai 1955 ; D6cret n 56-907 du 10
septembre 1956, art. L. 159 (abrog6 par la Loi nd 89-899 du 18 decembre 1989, art. 3, J.O., 19 d6-
cembre 1989, 15735.)

‘ Trib. civ. Bizerte, 22 novembre 1955, supra note 159 A la p. 139. Le tribunal d~clare, imm~dia-
tement avant ce passage, que la puissance paternelle, organis6e dans l’intrt de 1’enfant, offre une
tant A l’dpoque de la conception qu’au moment de
protection qui peut 8tre
l’accouchement>>, sans pr6ciser dans quelles conditions elle poun-ait trouver A s’appliquer. I1 est clair

rnxcessaire

244

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

prouve ce raisonnement 6
1. Plus r6cemment, une veuve demande l’implantation
d’embryons f6cond6s in vitro du vivant de son marl. Le Tribunal de Grande Instance
de Rennes d6clare ce qui suit:

Le Code civil, enfin et surtout, n’admet l’dtablissement de liens entre le foetus
et les parents que pour 1’hypothse et dans l’attente de la naissance. Tel est le
cas de la r6connaissance ant6natale d’enfant naturel, de nul effet pendant la
grossesse et rput6e non avenue en cas de mort avant terme ; tel est le cas de la
recherche de paternit6 ou de l’action A des fins de subsides, qui ne se fondent
sur les liens ant6nataux qu’au profit d’un enfant n6.
I[…]I

Le l6gislateur civil n’a donc pas entendu anticiper l’autorit6 parentale et Mme
0… ne peut ni s’en prvaloir, ni se pr6valoir de ce que son mari aurait exere6
seul ou conjointement, ou voulu voir exercer une autorit6 de ce type'”.

Au sujet de l’adage infans conceptus, longuement examin6 par les parties ., le
tribunal fait une d6claration A l’emporte-pi~ce : cette maxime est une facilit6 intellec-
tuelle qui n’6tablit des droits qu’au profit d’un enfant n6 . La jurisprudence fran-
qaise refuse donc aux parents le droit d’exercer l’autorit6 parentale pendant ]a gros-
sesse, qu’il s’agisse d’une femme enceinte ou d’un embryon non implant6.

cependant que dans cette affaire, les droits de la femme enceinte ne sont pas restreints par cet 6noncd
de principe.

‘” Voir ibid. A lap. 140 (note A.R.) ; H. Desbois, Puissance paternelle : droit de l’auteur d’une re-
connaissance d’enfant naturel simplement conqu)> (1957) 55 R.T.D.C. 310 ; Desbois entrevoit toute-
fois le problme pos6 par l’arrt Daigle (C.S.C.), mais il ne prend pas position (voir ibid. . la p. 312);
Neirinck, supra note 151 A lap. 36, n* 35. Christian Atias reconnalt que:

[lie fait qu’une intervention ne puisse 8tre impos6e A la m~re dont le corps est en cause
lui conf4re seulement une sorte de veto qui s’ajoute A l’autorit6 dont elle dispose en
qualitd de mere ; ce veto ne peut tre exerc6 librement que dans ]a mesure oD un danger
v6ritable est A craindre pour la mre. Dans tous les autres cas, si la contrainte est ex-
clue, ]a responsabilit6 envers l’enfant et son pre ne l’est pas (supra note 133 a la p.
128 [notes omises]).

Le probl~me de la responsabilit de la mhre dans une telle hypoth~se ne s’est toutefois pas pos6 en
jurisprudence frangaise. Pour sa part, G6rard M6meteau d6plore la solution retenue par le Tribunal
Civil de Bizerte et appelle il un changement d’attitude (voir Situation juridique>>, supra note 148 h la
p. 623).

Au Nouveau-Brunswick, un enfant a a~l6gu6 que pendant la grossesse, sa mhre a conduit un v6-
hicule automobile de mani~re imprudente et caus6 l’accident qui est t l’origine des blessures qu’il a
subies t ce moment. L’action a 6 ddclar e recevable en droit (Dobson c. Dobson (1997), 143 D.L.R.
(4) 189 (B.R. N.-B.) conf. par [1997] N.BJ. n 232 (QL)).

” Trib. gr. inst. Rennes, 30 juin 1993, J.C.P.1994.UI.22250 (note C. Neirinck). Le refus de permettre
l’implantation d’embryons chez une veuve a dt6 confirm6 par le l6gislateur (Loi n’ 94-654 du 29
juillet 1994, art. 8, J.O., 30juillet 1994, 11060 ; art. L. 152-2, al. 3, du Code de la santdpublique, su-
pra note 161).

” Trib. gr. inst. Rennes, 30juin 1993, ibi.

1997]

M. MoRIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CONqU

245

b. Le droit i la sant6 physique et psychologique

Le droit la sfiret6 et 1’int~grt physique de la personne’66 comprend beaucoup
plus que le droit de refuser un traitement. I1 protege le droit la sant6 physique et psy-
chologique de la fenme enceinte 6 .Le 16gislateur qu6b6cois reconnait d’ailleurs h

‘6 Voir Charte quibicoise, supra note 150, art. 1 ; art. 7 de la Charte canadienne, supra note 9.
Cette demire disposition n’entre enjeu que si l’atteinte ii la vie, la libert6 et la s~curit6 de la personne
ne respecte pas les principes de justice fondamentale>. Elle doit de plus atre imputable au pouvoir
lgislatif ou ex6cutif de l’Itat (voir art. 32 de la Charte canadienne). Tel serait le cas d’une loi ayant
pour effet d’interdire l’avortement sous peine d’emprisonnemenL Dans l’arr& Daigle (C.S.C.), la
Cour supreme daclare que la Charte canadienne ne vient pas au secours de M. Tremblay, parce que
l’ltat n’a pris aucune mesure concemant le foetus (supra note 4 aux pp. 570-7 1). I1 s’agit donc d’un
litige priv6 au sens de l’arr&t S.D.G.M.R c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, 33 D.L.R. (4′)
174. L’art. 7 aurait peut-tre pu s’appliquer A Chantal Daigle parce que celle-ci 6tait menac6e
d’emprisonnement.

La jurisprudence de la Cour, qui est loin d’etre claire, a reconnu par la suite qu’un pouvoir dis-
cr6tionnaire conf6r6 par une loi doit atre exerc6 de manike A respecter la Charte canadienne, qu’une
disposition 16gislative doit etre interpr~t e conform6ment t celle-ci et que les rfgles de common law
s’appliquant 4 un litige priv6 doivent respecter les valeurs de la Charte canadienne (voir notamment
Lavigne c. Syndicat des employds de lafonction publique de l’Ontario, [1992] 2 R.C.S. 211 aux pp.
246-48 et 311, 81 D.L.R. (4) 545 ; Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3 aux pp. 25,90, 107, 109 et 120,
108 D.L.R. (4) 193 ; 1. (D.) c. S. (C.), [1993] 4 RC.S. 141 aux pp. 181, 190, 191-92 et 195, 108
D.L.R. (4′) 287 ; Dagenais c. SocijtJ Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835 aux pp. 875, 892-93, 908-
12, 918 et 942-44, 120 D.L.R. (4′) 12 ; Hill c. Eglise de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130
aux pp. 1159-72, 126 D.L.R. (4′) 129).

Dans ces conditions, il est certain qu’une disposition du Code civil doit 8tre interpr6t.e de ma-
nire A ce conformer aux valeurs de la Charte canadienne, tout comme une r;gle de common law. En
outre, une disposition du Code civil qui contrevient A la Charte canadienne sera d~clar e inop6rante
(voir McKinney c. Universiti de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 230 i la p. 327, dissidence de lajuge Wil-
son, 70 D.L.R. (4′) 545).

’67 Voir R. c. Morgentaler (1988), supra note 2 aux pp. 55-57, 61 et 68-73 (lejuge en chef Dickson),
81, 88-89, 101-105 et 108, (le juge Beetz), 163 et 173 (a juge Wilson) ; voir 6galement Rodriguez,
supra note 153 aux pp. 587-88 (M. le juge Sopinka pour la majorit6). Ces arrets peuvent atre utilis6
pour interpreter ‘article 1 de la Charte qudbicoise, supra note 150, puisque les termes de cette dis-
position et ceux de l’art. 7 de la Charte canadienne, ibid., sont trbs semblables (voir Quibec
(Curateur Public) c. Syndicat national des employis de l’h6pital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211
au par. 102, le juge L’Heureux-Dub6, 138 D.L.R. (4′) 577 [ci-apris St-Ferdinand avec renvois aux
R.C.S.] ; Ford c. Quebec (PG.), [1988] 2 R.C.S. 712 aux pp. 748 et 768-71, 54 D.L.R. (4’) 577). No-
tons qu’aux termes de l’art. 52 de la Charte quibfcoise, l’art. 1 a prs~ance sur les autres lois qu6b6-
coises. De plus, celles-ci doivent atre interprtes dans le sens indiqu6 par la Charte qudbicoise (voir
art. 53). L’article 1 a dt6 modifi6 en 1982 ; il protege le droit A de la personne, tandis
qu’en 1975, seule 1’int6giit physique> de la personne dtait vis~e (voir Charte des droits et libertds
de la personne, L.Q. 1975, c. 6., art. 1 ; Loi modifiant la Charte des droits et libertis de la personne,
L.Q. 1982, c. 61, art. 1 ; St-Ferdinand, ibid. au par. 95). Pour compromettre le droit ii l’intgrit6, une
atteinte ; elle < (St-Ferdinand, ibid. au par. 97). Nous croyons que le pr6ju-
dice psychologique d6coulant du refus de pratiquer un avortement r~pond A ces conditions (voir infra,
note 169).

246

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

cette demi~re le droit de recevoir des soins ad6quats aux plans scientifique, humain et
.6 8 L’avortement permet dans certains cas d’6viter une atteinte A la sant6 psycho-
social
logique de la femme’ 6 . I1 est cependant difficile de d6terminer si un tel risque existe.
Cet exercice est susceptible de donner lieu A de nombreux litiges et d’aboutir A des r6-
sultats tr~s variables. A titre d’exemple, imaginons qu’une personne n’ayant aucun
lien avec I’enfant conqu sollicite la d6livrance d’une injonction pour prot6ger celui-ci.
La m~re c6libataire r6pond que si l’injonction est d6livr6e, elle confiera l’enfant A
l’adoption. Elle ajoute que ceci lui causera un pr6judice plus consid6rable que
l’avortement, ce que confirme une psychologue, qui est contredite par un psychiatre.
Bien malin le juge qui pourra trancher le d6bat sur la base d’une telle preuve7 0.

Jean Rhdaume estime que seules les menaces A l’intdgrit6 physique de ]a mere peuvent justifier
un avortement, encore qu’il vante le courage des femmes qui sont prtes a se sacrifier en accouchant
(voir Droits et libertds de la personne et de lafamille, Montral, Wilson & Lafleur, 1990 aux pp. 20,
100 et 103 et s. [ci-apris Droits et libertds]).

‘” Uart. 4 de la Loi sur les services de sant6 et les services sociaux, L.R.Q. c. S-5, pr~voyait en

1989:

Toute personne a droit de recevoir des services de sant6 et des services sociaux ad6=
quats sur les plans t la fois scientifique, humain et social, avec continuit6 et de fagon
personnalisde, compte tenu de l’organisation et des ressources des 6tablissements qui
dispensent ces services. […]

L’art. 5 de la Loi sur les services de santj et les services sociaux, L.R.Q. c. S-4.2, en vigueur depuis le
ler octobre 1992, est au meme effet. II peut avoir des r6percussions en droit civil (par exemple, St-
Ferdinand, ibid au par. 107). Dans d’autres provinces, certains gouvemements ont d6cid6 de ne pas
d6frayer le coOt d’avortements pratiqu6s dans des cliniques priv6es plut6t que dans des h6pitaux. Ces
decisions ont dt6jug~es contraire
]a loi provinciale pertinente pr6voyant le paiement des actes m6di-
caux requis par l’dtat de sant6 d’un patient. Divers motifs de droit administratif ont conduit t ce r~sul-
tat (voir British Columbia Civil Liberties Association c. Colombie-Britannique (PG.) (1988), 24
B.C.L.R. (2) 189 (C.S. C.-B.) ; Morgentaler c. New Brunswick (PG.) (1990), 98 N.B.R. (2′) 45
(B.R.) ; Lexogest inc. c. Manitoba (PG.) (1993), 85 Man.R. (2′) 8 (C.A.) ; voir 6galement Nouvelle-
tcosse (PG.) c. Morgentaler (1989), 93 N.S.R. (2′) 202, 64 D.L.R. (4′) 297 h la p. 304 (C.S. N.-.),
conf. par (1990), 96 N.S.R. (2) 54, 69 D.L.R. (4′) 559 (C.A. N.-E.), autorisation de se pourvoir refu-
see, [1990] 2 R.C.S. ix ; contra Morgentaler c. Prince Edward Island (Minister of Health & Social
Services) (1996), 144 Nfld. & EE.I.R. 263, 139 D.L.R. (4’) 603 (C.A. I.-E-R.)).

” II semble 6tabli que dans 25 It 33 % des cas, le refus d’autoriser un avortement occasionne ,A la
femme des s&luelles psychologiques qui perdurent pendant plusieurs ann6es (voir PK.B. Dagg, <(The Psychological Sequelae of Therapeutic Abortion-Denied and Completed (1991) 148 Am. J. Psy- chiatry 578 a la p. 582 et s. [ci-aprts <(Psychological Sequelae] et P.K.B. Dagg, (The Clinical Impact of Research on Abortion> Paper presented at the American Psychiatric Association Annual Meeting,
May 1993, San Francisco, (manuscrit in6dit) A la p. 14 et s. [ci-aprts )]). Je remercie
le professeur Dagg de m’avoir transmis ces documents.

17′ Dans une affaire oji un homme r6clamait ine injonction interdisant a son ex-amie de se faire
avorter, un m&lecin a d6clar6 que ]a continuation de la grossesse causerait un pr6judice psychologi-
que A celle-ci (voir Murphy c. Dodd (1990), 70 O.R. (2′) 681 t lap. 686 (H.C. Ont.)). La possibiit6
que l’avortement cause un pr6judice psychologique est statistiquement htrs faible ; le soulagement et
le bonheur est la r6action Ia plus courante des f’emmes qui subissent cette intervention. Un risque
existe si la d6cision de se faire avorter r6sulte de pressions exerces par l’entourage de la femme en-
ceinte ou si celle-ci 6prouve de l’anxidt6 ou un sentiment de culpabilit6 face t la grossesse. Entre 10 et
15 % des femmes subissent un tel pr6judice, qui s’estompe en quelques mois (voir Dieleman c. On-

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CONqU

247

A notre avis, demander A la femme enceinte d’accoucher et de confier son enfant
A ‘adoption, c’est forc6ment lui infliger un prejudice psychologique qui constitue une
atteinte au droit h l’int6grit6 garanti par ‘article 1 de la Charte quibicoise”‘. Uaffaire
Daigle fournit un exemple d’une telle situation. Devant les tribunaux, Jean-Guy
Tremblay n’a jamais offert de prendre charge de 1’enfant h naitre. Si Chantal Daigle
avait choisi de ne pas 6lever celui-ci, elle aurait dfl le confier d’autres personnes,
peut-6re meme A l’adoption. Elle aurait subi les cons6quences psychologiques de
cette decision.

Des exemples tir6s de la jurisprudence permettent de constater que les probl~mes
d~crits ci-dessus ne sont pas imaginaires. Le premier concerne une dentiste, m6re de
. Le
famille, qui est A nouveau enceinte en d6pit de la vasectomie subie par son man
17 mars 1972, sur les conseils de son m~decin, elle se rend dans l’6tat de New York
subir un avortement. Elle demande ensuite un remboursement A la R6gie de
rassurance-maladie, comme l’y autorise h cette 6poque la Loi de l’assurance-
maladie173. Le tribunal doit decider s’il s’agit d’un avortement th6rapeutique au sens
de cette loi ; il conclut que les dispositions du Code criminel ne s’appliquent pas lors-
que cette intervention a lieu A 1’6tranger.

172

A ‘audience, le m6decin de la demanderesse declare qu’au moment de la consul-
tation, celle-ci 6tait d6prim~e, agit6e et anxieuse ; son avis, elle 6tait sur le point de

tario (PG.) (1995), 20 O.R. (2’) 229, 117 D.L.R. (4) 449 aux pp. 613-17 (Ont. Ct. (Gen. Div.)) [ci-
apris Dieleman avec renvois aux D.L.R.] ; >, ibid. aux pp. 579-82, et
>, ibid. aux pp. 1-8). La jurisprudence foumit quelques exemples de prejudice psy-
la grossesse et l’avortement (voir Yu c. Tang,
chologique resultant d’un sentiment de culpabilit6 face
[1988] B.CJ. n 1436 aux 6crans 5-6, 10-11 (QL) (C.S. C.-B.) ; Mainville c. Hpital giniral de
Montreal, [1992] R.R.A. 579 (C.S.) ; Lebrun c. Graham (1995), 30 Alta.L.R (3′) 369 (B.R.)). Dans
ces deux demiers cas, il s’agissait de grossesses d~coulant de Ia faute professionnelle d’un m&lecin.

… Supra note 150. Par le pass6, dans divers pays d’Europe, dans 6

19 % des cas, les femmes con-
l’adoption apr s qu’une demande d’autorisation d’un avortement a dt6 refus6e
fient leur enfant
(Psychological Sequelae>>, ibid A ]a p. 582). I1 y a tout lieu de croire que le traumatisme iH6
l’abandon d’un enfant est consid&able. Le mouvement des retrouvailles tmoigne de la force du lien
que la soci6t6 a, par le passe, forc6 la mre A rompre. L’enfant et la mare cherchent souvent A se re-
trouver ; le l6gislateur autorise cette d~marche, t certaines conditions (voir art. 632 du premier Code
civil du Quebec, supra note 111 ; art. 583 C.c.Q.). Les adversaires du droit b l’avortement demandent
pourtant A la femme enceinte de confier son enfant A 1’adoption (voir B. Godard, La lutte contre le
droit t l’avortement au Canada> dans Lamoureux, dir., supra note 97, 126 aux pp. 141 et 153 ; Die-
leman, ibid.). Notons qu’en France, la Cour de cassation affirme qu’on ne peut reprocher A une
‘adoption apr~s 1’6chec d’une intervention l6gale desti-
femme d’avoir refus6 de confier son enfant
n6e t provoquer un avortement (voir Cass. civ. 1″, 25 juin 1991, J.C.P.1992.TI.21784 (note J.-F. Bar-
bi&i)) ; la Cour a toutefois conclu que 4’existence de l’enfant qu’elle a conqu ne peut, A elle seule,
constituer pour sa mre un pr6judice juridiquement reparable […] en rabsence d’un dommage parti-
culier […] ajout6 aux charges normales de la matemit&> ; voir 6galement Bordeaux, 26 janvier 1995,
J.C.P.1995.IV.1568.

‘” Voir L (S.B.) c. Rigie de l’assurance-maladie (6 juin 1975), Montr6al 05-002515-73, [1975]

C.S. 757 (r6sum6) [ci-apr~s L (S.B.)].

au Qu6bec en pareille circonstance.

‘7 L.Q. 1970, c. 37, art. 9. Le remboursement est 6videmment limit6 au montant qui aurait 6t6 pay6

248

MCGILL LAW JOURNALI REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 42

faire une depression. Pour se conformer
la procedure pr6vue par le Code crininel,
elle aurait dfi patienter quatre
cinq semaines, ce qui aurait augment6 son sentiment
d’anxi6t6 ainsi que les risques pos6s par ravortement’74. C’est pourquoi il lui fut re-
command6 de se rendre dans l’tat de New York ; un autre m6decin declare qu’il ap-
prouve pleinement cette decision. Le tribunal conclut qu’un avortement th6rapeutique
a 6t6 pratiqu6 et que la patiente a droit au remboursement demand6. La Cour d’appel
confirme lejugement, dans un arr& unanime et in6dit 75.

La prerniere affaire Morgentaler porte 6galement sur cette question 76. L’accus6
invoque en d6fense l’tat de nfcessit6, affirmant qu’il a pratiqu6 un avortement pour
prot6ger la sant6 de la femme enceinte. La majorit6 des juges rejette cet argument. A
leur avis, rien ne permet de conclure qu’il n’6tait pas possible de pr6senter une de-
mande A un comit6 de I’avortement th6rapeutique 77. Dans sa dissidence, le juge en
chef Laskin, avec l’appui des juges Judson et Spence, consid~re que le juge de pre-
mire instance a eu raison de soumettre ce moyen de d6fense au jury. En l’esp~ce,
l’accus6 a d~clar6 qu’apr~s avoir rencontr6 la patiente pendant quelques minutes, il a
jug6 qu’un avortement 6tait devenu n6cessaire pour mettre fin A 1’tat d’anxi6t6,
d’insomnie et A la perte d’app6tit de celle-ci, ainsi qu’au prejudice physique qui pou-
vait r6sulter de la continuation de la grossesse. I1 a ajout6 avoir craint qu’elle ne pose
quelque geste irr~fldchi>>’ 78. Le juge en chef conclut qu’il n’y a pas lieu de casser le
verdict d’acqnittement du jury

179

La d6fense de ncessit6 a 6t6 invoqu~e avec succ~s par le docteur Morgentaler
lors d’un deuxi~me proc~s devant jury, tenu peu apr~s le jugement rendu par la Cour

‘7 4 VoirL(S.B.), supra note 172 aux pp. 8-12 du texte int6gral du jugement.
,’ Voir Rigie de l’assurance-maladie du Quebec c. L (S.B.) (22 novembre 1976), Montreal 500-

09-000770-750 (C.A.).

116 Voir Morgentaler c. R., [1976] 1 R.C.S. 616, 53 D.L.R. (3′) 161 [ci-apr~s Morgentaler c. R.

(1976) avec renvois aux R.C.S.].

‘” Voir ibid. aux pp. 659 (lejuge Pigeon) et 684-85 (lejuge Dickson, alorsjuge puln6).
7 Ibid aux pp. 638-39.
‘” Voir ibid. A lap. 654. La dissidence du juge en chef Laskin 6tait 6galement fond6e sur le fait que
le jury 6tait en droit d’appliquer ‘art. 45(b) du Code criminel, supra note 1. Cette disposition exon~re
une personne pratiquant une operation chirurgicale (ibid.). II va de soi qu’en matire pd-
nale, l’accus6 a le b6n6fice du doute, meme s’il invoque la d6fense de n~cessit6 (voir Perka c. R.,
[1984] 2 R.C.S. 232 aux pp. 257-58, 13 D.L.R. (4′) 1). Les manifestants bloquant l’acc~s de cliniques
d’avortement ont invoqu6 sans succi-s la defense de n.cessit6 pour justifier leur geste et 6chapper A
une condamnation pour outrage au tribunal (voir Everywoman ‘s Health Center Society (1988) c.
Bridges (1989), 61 D.L.R. (4′) 126 i la p. 133, 48 C.C.C. (3′) 535 (C.S. C.-B.) [ci-apr s Everyvo-
man’s Health (1989) (C.S. C.B.) avec renvois aux D.L.R.], conf. par Everywioman’s Health Center
Society (1988) c. Bridges (1990), 54 B.C.L.R. (2′) 273 A lap. 290,78 D.L.R. (4′) 529 (C.A. C.-B.) [ci-
aprs Everywoman’s Health (1990) (C.A. C.-B.)] ; R. c. Toth (1991), 63 C.C.C. (3′) 273 A la p. 287
(C.A. C.-B.), autorisation de se pourvoir refusae, [1991] 1 R.C.S. xv ; R. c. Watson, [1996] B.C.J. n’
733 au par. 22 (QL) (C.A. C.-B.)). La d6fense de n6cessit6 a dgalement 6t6 rejet6e en France dans des
circonstances semblables (voir Cass. crim., 31 janvier 1996, D.1996.Inf.64). La dfense de n~cessit6 a
6t6 jug6e recevable lorsque des voies de fait ont 6t6 commises pour empcher qu’un foetus ne soit
bless6 par la femme enceinte elle-m~me (voir R. c. Manning (1994), 31 C.R. (4′) 54 (C.P. C.-B.)).

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CON9U

249

suprame’O. L’accus6 y a fait 6tat de la difficult6 d’obtenir l’autorisation requise pour
qu’un avortement soit pratiqu6 suffisamment rapidement dans un h6pital accr6dit6. A
son avis, cela rendait n6cessaire une intervention pratiqu6e sans d6lai en clinique pri-
v~e’ 1 . Plus r6cemment, les tribunaux ont enjoint des manifestants de ne plus se tenir t
l’entr6e de cliniques d’avortement. Ces militants tentaient de dissuader les femmes de
se faire avorter. En 1988 et en 1989, ils obstruaient carr6ment le passage. En 1994 et
en 1995, leurs propos 6taient A l’occasion courtois et sereins, mais ils avaient le plus
souvent pour effet d’harceler et d’intimider celles qui franchissaient ce barrage. Les
femmes enceintes qui subissaient ces pressions entraient
la clinique anxieuses, agi-
t6es ou meme en larmes. Leur droit
la sant6 psychologique 6tait compromis par
l’attitude des manifestants, d’oia la d6livrance d’injonctions82 .

Ces exemples montrent qu’une grossesse qui n’a pas 6 ou qui n’est plus d6sir6e
occasionnera fr6quemment un pr6judice psychologique que des professionnels peu-
vent identifier et d6crire devant le tribunal. Comme le disait le juge McIntyre, il est
vraiment impossible de faire face une grossesse non voulue, sans difficult6 sur le
plan psychologique t’83 . Qui plus est, l’obtention d’une d6cision judiciaire se pronon-
ant sur l’existence d’un tel pr6judice requiert un temps pr6cieux dans ces circonstan-
ces, car cela augmente les risques de complications d6coulant de l’avortement. I1 en
r6sulte une atteinte A l’int6grit6 physique de la femme enceinte.

c. Les risques pos6s par I’avortement et les d6laisjudiciaires

Pendant la grossesse, chaque semaine qui passe accroit les risques reli6s h
l’audition d’une demande

l’avortement’ . Pour cette raison, les d6lais inh~rents

I Voir R. c. Morgentaler, [1976] C.A. 172, autorisation de se pourvoir refus6e, [1976] 1 R.C.S. x.

Voir ibid. A lap. 179.
2 Voir Morgentaler c. Wiche, [1989] O.J. n’ 2582 par. 7 et 11 (QL) (C.S. C.-B.) ; Everywoman’s

Health Center Society (1988) c. Bridges (1993), 109 D.L.R. (4′) 345 aux pp. 351-52 (C.S. C.-B.) [ci-
apr~s Everywoman’s Health (1994) (C.S. C.-B.)] ; Dieleman, supra note 170 aux pp. 696, 727-28,
733-35. En Colombie-Britannique, une loi provinciale interdit toute manifestation et toute communi-
cation dans un p6rim~tre d6limit6 par r~glement autour de cliniques oa 1’on pratique des avortements.
Cette atteinte
la libert6 d’expression est raisonnable dans une soci6t6 libre et d6mocratique (voir R.
c. Lewis (1996), 24 B.C.L.R. (3′) 247, 139 D.L.R. (4′) 480 (C.S. C.-B.)).

“‘ R. c. Morgentaler (1988), supra note 2 A la p. 148. II s’agit de l’opinion dissidente, A laqueUe

souscrit le juge La Forest.

“‘ Les risques lies t l’avortement sont trs faibles comparativement aux autres interventions m6di-
cales, y compris la grossesse et l’accouchement. ls sont d crits dans certaines actions en responsabili-
t6 qui ont d’ailleurs 6t6 rejet6es (voir Victor c. Dionne, [1986] R.R.A. 279 (C.S.) ; Masson c. De Koos,
[1990] I-R.A. 818 A la p. 821 (C.S.) ; Mainville c. H~pital gindral de Montreal, supra note 170).
Selon la preuve faite devant la Cour de l’Ontario, les risques de complications augmentent A toutes les
deux semaines (voirDieleman, supra note 170 aux pp. 600 et 616). Les tribunaux ont tenu compte de
ce facteur en d~cidant qu’il fallait enjoindre des manifestants de ne pas se tenir devant les cliniques
d’avortement. En effet, les patientes demeurant dans une r6gion 61oignie, oa les services
d’avortement ne sont pas toujours disponibles, peuvent faire demi-tour
la vue des manifestants et
reporter l’intervention, accroissant ainsi les risques (voir ibid. aux pp. 728 et 733 ; Morgentaler c. VW-
che, supra note 182 au par. 12). L’importance du facteur temps a 6galement 6t6 notre dans Medhurst
c. Medhurst (1984), 45 O.1. (2′) 575, 7 D.L.R. (4′) 335 A la p. 342 (H.C. Ont.) [ci-apris Medhurst

MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 42

d’injonction compromettent le droit A la srcurit6 de la femme enceinte, en particulier
lorsque son 6tat de sant6 physique ou psychologique nrcessite une interruption de la
grossesse. Dans cette hypoth~se, l’existence de drlais appreciables pour l’obtention
d’un avortement a conduit une majorit6 de juges de la Cour supreme a d6clarer in-
constitutionnelle la disposition du Code criminel portant sur cette question 8’. Celle-ci
exigeait, entre autres choses, l’approbation pr~alable d’un comit6 de l’avortement th6-
rapeutique oeuvrant au sein d’un h6pital accrrdit6 ou approuv6 ; or plusieurs hrpitaux
n’avaient pas cr66 de comit6, alors que d’autres ne pouvaient le faire car ils ne rem-
plissaient pas les conditions f’xxes par le 16gislateur.

La n6cessit6 d’obtenir une approbation par un jugement qui ne soit plus suscep-
tible d’appel occasionne des drlais encore plus consid&ables. A cet 6gard, I’affaire
Daigle s’est d6roul6e en un temps record, soit un mois et un jour; la multiplication de
recours semblables aurait n~cessairement augment6 ce d6lai, meme si l’on presume
que la Cour d’appel efit 6t6 la Cour de demi~re instance dans la majorit6 des cas. I1
faut done se demander si le 16gislateur qu6b~cois entendait qu’un avortement requis
par 1’6tat de sant6 d’une femme fasse l’objet de proc6dures judiciaires, qui auraient
pour effet d’accroitre consid6rablement les risques poses par cette intervention. A no-
tre avis, la r~ponse A cette question ne peut 8tre que negative.

Dans 1’ensemble, il apparalt que le droit de la femme de refuser des soins et de
preserver sa sant6 physique ou psychologique peut rendre licite l’interruption de la
grossesse’86, que celle-ci r6sulte d’une intervention mrdicale ou d’une absence de

avec renvois aux D.L.R.] et Protection de la jeunesse- 310, [1988] R.J.Q. 1135 aux pp. 1136-37
(Trib. jeun.). Notons toutefois que selon un m6decin, au cours du premier trimestre de la grossesse, il
peut etre prAf~rable de retarder de deux semaines; un avortement, afin que la patiente ne prenne pas
trop rapidement une decision qu’elle pour-ait regretter, ce qui pourrait 6ventuellement lui causer un
prdjudice psychologique (voir Dieleman, ibid.).

“5 Voir R. c. Morgentaler (1988), supra note 2 aux pp. 57-73 (juge en chef Dickson), 81-82, 91-100
et 114-22 (juge Beetz), ainsi que 163 et 173 (juge Wilson). Lejuge en chef s’attarde dgalement sur le
critre de la menace posse A la sant6 de la femme enceinte. A son avis, les comit6s de l’avortement
sont confrontrs
une absence de norme 16gislative claire >, ce qui constitue un vice de procedure
grave)> (ibiL aux pp. 68-69). Lejuge Beetz rejette cet argument (voir ibid. aux pp. 106-09).

‘ Le droit d’une mineure de d&cider seule de se faire avorter est discut6 (voir Deleury et Goubau,
supra note 111 t la p. 111, n. 94). On salt que les risques de complications physiologiques lies A
l’avortement sont infrrieurs A ceux qui sont associ~s A la continuation de ]a grossesse (voir supra note
184). De m~me, les risques de causer un prejudice psychologique sont tr~s faibles si la decision de
l’adolescente est prise librement (voir supra note 170). Si celle-ci est fgue de quatorze ans ou plus,
elle peut consentir seule t l’avortement qui est requis par son 6tat de sant6, physique ou psychologi-
que (voir art. 14, 2e al. C.c.Q.). Si elle est Rgre de moins de quatorze ans, la d&cision appartient aux
parents (voir art. 14, ler al. C.c.Q.) ; le tribunal peut cependant passer outre ce refus (voir art. 16, ler
al. C.c.Q.). Si l’avortement n’est pas requis par l’tat de sant6 d’une adolescente de plus de quatorze
ans, nous pensons que celle-ci peut consentir seule (voir art. 17 C.c.Q.). En effet, comparativement h
d’autres interventions mrdicales usuelles, nous ne croyons pas que cette intervention constitue des
soins>> qui > (voir Girard, supra note 152 aux pp. 93-98) ; dans cette hypoth6se, l’autorisation
des parents serait requise (voir art. 17 C.c.Q.). De meme, les parents d’une mineure fgue de moins de
quatorze ans peuvent consentir seuls A l’avortement ; ils n’ont pas A obtenir l’autorisation du tribunal,

1997]

M. MoRIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CON9U

251

traitement. La femme enceinte dont la sant6 n’est pas menac6e par la continuation de
la grossesse ne peut cependant b6n6ficier de ces r~gles. I1 devient alors n6cessaire de
se demander si elle peut invoquer d’autres principes du droit civil.

2. Les arguments favorisant la ibert6 de choix

Plusieurs principes du droit civil qudb6cois assurent h la personne une certaine
autonomie. Certains d’entre eux peuvent trouver application lorsqu’il s’agit de d6ci-
der si la femme enceinte est libre de se faire avorter. Ainsi, les tribunaux ont toujours
6t6 hostiles aux recours ayant pour but de contraindre une personne A poser un acte
qui requiert sa participation personnelle. Si l’on applique ces principes A la femme en-
ceinte, il appert que les tribunaux devraient se refuser A d6cemer une injonction ;
l’enfant conqu serait alors laiss6 sans protection (a). A cet 6gard, il est possible de
faire un parall~le avec l’interdiction de la maternit6 de substitution (b). Enfin, il sem-
ble bien qu’h l’heure actuelle, la notion d’ordre public ne s’oppose pas A l’obtention
d’un avortement, mgme dans l’hypoth~se oi cette optration n’est pas rendue ntces-
saire par l’6tat de sant6 de la femme enceinte (c).

a. Le caractbre inappropri6 de I’injonction

Traditionnellement, les tribunaux qudb6cois rdpugnent A utiliser l’injonction afin
de forcer l’ex6cution d’une obligation’ . Cette r6ticence est justifi6e par la possibilit6
d’octroyer des dommages-intr&ts au cr6ancier (art. 1065 C.c.B.-C. et 1607 C.c.Q.).
Elle tient 6galement au fait que les juges se refusent A menacer d’amende ou
d’emprisonnement un ddbiteur rdcalcitrant en lui ordonnant de poser un geste exi-
geant sa participation personnelle. Cette attitude a t6 confortde par l’abolition de
l’emprisonnement pour dettes (art. 1 C.p.c.). A cet 6gard, il convient de rappeler que
l’injonction est un recours d’origine anglaise’88 . En France, si l’on connait le m6ca-
nisme de
sanctionne
l’inexdcution d’une obligation civile189 . Les tribunaux qudbdcois ont fait 6cho A ces

l’astreinte, on ne congoit pas que

l’emprisonnement

qui serait requise si les soins <) (art. 18 C.c.Q.). Par ailleurs, la Chambre de Ia jeunesse de la Cour du
Qu6bec peut ordonner 1’h6bergement d’un mineur dans un 6tablissement afin qu’il y repoive des
soins, y compris un avortement (voir Protection de la jeunesse – 310, supra note 184 ; Protection de
lajeunesse- 753, [1995] R.D.F. 355 (C.Q. (ch.j.)) (cette dacision ne discute pas de l’avortement)).

‘” Voir A. Prujiner, < (1979) 20 C. de D.
249 ; G. Mass6, < (1993) 24 R.G.D. 515.

‘ Voir les auteurs cit6s A la note prcdente.
‘8 Voir P. Fouchard, (1989-90) 3 R.J.FD. 569).
192 Un juge anglais a dt6 saisi d’un cas semblable F l’affaire Daigle. Le passage suivant peut etre
transposd sans difficultds dans le contexte qub6cois:

No court would ever grant an injunction to stop sterilisation or vasectomy. Personal
family relationships in marriage cannot be enforced by the order of a court. An injunc-
tion in such circomstances was described by judge Mager in Jones v. Smith [(1973)
278 So. 2d 339 at 344] in the District Court of Appeal of Florida as ‘ludicrous’.
I ask the question ‘If an injunction were ordered, what could be the remedy?’ and I do
not think I need say any more than that no judge could even consider sending a hus-
band or wife to prison for breaking such an order. That, of itself, seems to me to cover
the application here ; this husband cannot by law by injunction stop his wife having
what is now accepted to be lawful abortion within the terms of the Abortion Act 1967
(Paton c. Trustees of BPAS, [19781 2 All E.R. 987 aux pp. 990-91 (Q.B.)).

En France, les tribunaux refusent 6galement d’utiliser le mrcanisme de l’astreinte dans le do-
maine des relations familiales (voir Fouchard, supra note 189 A la p. 46). Au Canada, des injonctions
ont dt6 sollicit6es sans succ.s contre des femmes d~sirant obtenir un avortement en se conformant A la
procrdure prescrite A cette dpoque par le Code criminel (voir Dehler c. Ottaiva Civic Hospital (1979),
25 O.R. (2′) 748, 101 D.L.R. (3) 686 (H.C. Ont.), conf. par (1980), 29 O.R. (2) 677, 117 D.L.R. (3′)
512 (C.A. Ont.), autorisation de se pourvoir refus~e, [1981] 1 R.C.S. viii; Medhurst, supra note 184).

“‘ Voir la partie lIA.2.a, ci-dessus.

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CONqU

253

de se faire avorter. Ainsi, h l’heure actuelle, les principes du droit civil concemant la
reparation pourraient rendre la prohibition de l’avortement inefficace.

b. Les m~res-porteuses

I1 est 6galement possible de faire un rapprochement avec le cas des m~res porteu-
ses. Une convention ayant pour objet la gestation d’un enfant heurte de front l’ordre
public ; seules les r~gles sur ‘adoption permettent de modifier la filiation d’un en-
fant94. II n’est pas concevable qu’une femme puisse renoncer A l’avance son autorit6
parentale. Avant le ler janvier 1994, il 6tait peu probable qu’elle efit pu consentir
‘adoption avant 1’accouchement”‘. La convention de gestation est maintenant expres-
s6ment prohib6e’6. La r6ticence de la doctrine face au contrat de m~re porteuse tient
en partie au fait que l’enfantement, par sa nature m~me, ne peut faire l’objet d’un
contrat de services. Une telle op6ration porterait atteinte aussi bien h la dignit6 de la
femme devant accoucher qu’h celle de l’enfant mis au monde 97.

Des consid6rations de meme nature entrent en jeu s’il est ordonn6 a la femme de
poursuivre sa grossesse”‘ . Certes, il ne s’agit pas de modifier ici la filiation biologi-

“” Voir l’art. 541 C.c.Q. ; B. M. Knoppers, C. Bernard et D. Shelton, Les personnes et lesfamilles, t.
1, Montr6al, Adage, 1992, module 4 A la p. 1, n. 12 ; J.-L. Baudouin et C. Labrusse-Riou, Produire
l’homme : de quel droit?, Paris, Presses universitaires de France, 1987, c. 3 ; Prix Charles Coderre
1985, Rflexions juridiques sur le phdnonne desfemmes porteuses d’enfants, Montrial, Yvon Blais,
1985 ; N. Kasirer, (1993-94) 19 Queen’s L.J.
469. La Cour de cassation frangaise refuse d’indemniser un tel prejudice (voir Cass. civ. 1″, 25 juin
1991, supra note 171 ; voir la note tr~s critique de L-F. Barbii) ; voir aussi Bordeaux, 26 janvier
1995, supra note 171 ; comparer Cass. civ. 1′, 16 juillet 1991, D.1991.Inf.229, oti des m6decins n’ont
pas proc&16 A un examen, ce qui aurait pennis de d6celer ]a rub~ole dont 6tait atteinte la femme en-
ceinte, laquelle a caus6 les malformations de l’enfant ; la Cour d6clare que ces professionnels n’ont
pas rempli leur obligation de renseignement en privant les parents de la possibilit6 de requdrir h un
avortement th~rapeutique.

En 1996, deux arr~ts de la Cour de cassation mettent en cause des m&lecins ayant omis de divul-
guer t leurs patientes soit un risque de maladie h6r&litaire, soit que l’une d’elles avait contract6 la ru-
b6ole. Dans les deux cas, l’enfant est n6 avec un handicap important. La Cour accorde une indemnit6
aussi bien A la m~re qu’I l’enfant, estimant que la d~ficience de celui-ci est en relation directe avec
]a faute du m&Iecin. Ainsi, la personne handicape est cens6e subir un pr6judice en raison du fait que
les parents ont d6cid6 de la concevoir en croyant erron6ment qu’iI n’existait pas de risque de maladie
h&r6ditaire, ou parce qu’ils ont d~cid6 de ne pas recourir A l’avortement en dtant convaincus que
l’enfant ne pourrait contracter la rub6ole. Cette decision est difficilement compatible avec le principe
de la dignit6 inh6rente A toute personne. En revanche, l’octroi d’une indemnit6 t la m~re est tout “i fait
justifi6 (voir Cass. civ. 1”, 26 mars 1996, D.1997J.35).

Un arret de la Cour d’appel du Qu6bec semble tenir pour acquis que s’il existe une technique
permettant de d&celer les anomalies du foetus, la femme enceinte doit en 6tre inform~e, afin de pou-
voir decider si elle souhaite se faire avorter; l’opinion majoritaire n’est toutefois pas tenue de trancher
la question (voir Bdrard-Guillette c. Maheux, [1989] R.J.Q. 1759 (C.A.)) ; voir 6galement Bouchard
c. Villeneuve, [1996] R.J.Q. 1920 a la p. 1929 (C.S.) (en appel). Les parents ne peuvent cependant
s’opposer A un traitement pouvant sauver la vie de leur nouveau-n6 trisomique au motif que sa qualit6
de vie serait inacceptable. La Cour sup6rieure autorise alors les m&Iecins A intervenir (voir Centre
hospitalier Ste-Marie c. Fournier, [1996] R.J.Q. 2325).

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CONqU

255

separation ou 6tre exig6 par le conjoint de la femme2. II s’agit d’une intervention
dont la 16gitimit6 a 6t6 reconnue par un grand nombre d’ttats occidentaux, du moins
dans les premiers mois de la grossesse ‘. II n’existe aucun consensus en faveur de son
interdiction pure et simple en tout temps aprs la conception, que ce soit au Quebec
ou au Canada2 2. C’est plut6t la libert6 de planifier les naissances qui est consacr6e.
R~cemment, la Cour d’appel du Quebec s’est prononc6e en ce sens. Le juge Choui-
nard d6clare :

Personne ne conteste la libert6 reconnue de la conception, consacr6e par nos
chartes, pratiquement soutenue par l’ttat, qui assume meme, en mati6re de
contraception, les services rendus par un m&lecin, ainsi la ligature des trompes,
la vasectomie et l’interniption de grossesse 3.

Le juge Chamberland tient des propos similaires:

Notre soci6t( reconnait le droit des couples, voire les encourage, A planifier,
avec intelligence et r6alisme, la taille de leur famille ; elle reconnalt le droit des
la lumire de leurs propres priorit6s et aspi-
femmes de d6cider elles-memes,
rations, si elles porteront ou mettront un monde un enfant. L’avortement est
permis au Canada, le 16gislateur ayant choisi de ne plus intervenir sur le sujet
[ … ]11

notre avis, de tels propos auraient pu 8tre tenus ds 1989. A cette 6poque, il y a
d6jA quelques ann6es que des jurys canadiens ou qu6b6cois ont refus6 de condamner les
m~decins qui pratiquent des avortements A la demande de leurs patientes. En outre, pour
les tribunaux de la Colombie-Britannique, en raison de la vive controverse suscit6e par

0 Voir M.-T. Lacourse, <,L'avortement rdpt6 ... une 6thique de la responsabilit6d dans Lamoureux, dir., supra note 97, 49 A la p. 64. "o Voir R. c. Morgentaler (1988), supra note 2 A ]a p. 183 ; B. M. Knoppers et I. Brault, La loi et l'avortement dans les paysfrancophones, Montr6al, Th6mis, 1989 aux pp. 40-45 ; M. Vall6e, (1989-90) 3 R.JFD. 483 A la p.
506 et s. ; M. Bouffard, < (1990) 31 C. de D. 575 A la p.
576.

20 Le projet de loi C-43 pr6voyait que l’avortement serait 16gal uniquement si un m&lecin d6cidait
que cette intervention permettait de prot6ger la sant6 de la femme (voir EL. C-43, Loi concernant
l’avortement, 2! sess., 34! Pad., 1990 (adopt6 par la Chambre des Communes le 29 mai 1990)). I1 a
6t6 d6fait au S6nat le 31 janvier 1991 (voir Ddbats du Sifnat A la p. 5307). Les voix dtaient partagdes
6galement et le Pr6sident a refus6 d’exercer son vote. En juillet 1988, diverses r6solutions d6crivant
l’orientation g~n6rale d’une 6ventuelle r6forme furent soumises aux d6put6s de Ia Chambre des
communes. Toutes furent rejetdes, les diffrentes factions s’entendant toujours pour s’opposer A une
proposition, mais jamais pour en adopter une (voir Dibats de la Chambre des communes (28 juillet
1988) aux pp. 18153-62 ; voir aussi T. Flanagan, <> (Daigle (C.S.), supra note 3 h lap. 1986). Par
ailleurs, la Cour supreme a affirm6 n’avoir pu trouver de decision ou de disposition reconnaissant au
son
pre un > (Daigle (C.S.C.), ibid.
avis, <[e]n tant que p&e en puissance, M. Tremblay aurait autant et plus que quiconque, t 1'exception l'6gard du foetus et un droit de parler en son nom)> (ibid. L lap. 552). Nous
de l’appelante, un int&&
avons pourtant vu que les droits de ‘enfant conqu peuvent 8tre protg6s par tous les membres de la
parent6, sans que les pIre et mre ne bdn6ficient en droit d’aucune preference. Ant~rieurement au ler
janvier 1994, le pare ne se voyait reconnaitre, par le Code, aucun droit particulier pendant Ia gros-
sesse. Nous ne croyons pas qu’il soit possible de d6duire de son seul statut de pre un droit de veto en
mati~re d’avortement. Ceci aurait pour effet de contraindre la femme enceinte A continuer sa gros-
sesse pour Iui remettre ‘enfant, ce qui nous semble inacceptable (voir la partie 1.B.2, ci-dessus).

la p. 572), meme si

258

MCGILL LAW JOURNAL/REVUEDE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

Aux termes du nouveau Code, les pbre et m~re majeurs ou 6mancip6s sont de
plein droit tuteurs de leur enfant mineur (art. 192 C.c.Q.). Le deuxi~me alin6a de cet
article dispose qu’ repr6sentent 6galement l’enfant conqu dans tous les cas oft son
int&rt patrimonial l’exige. Une premitre difficult6 apparait ici : il peut 8tre n6cessaire
de d6terminer qui est le p~re avant la naissance ” . Par ailleurs, lorsque les deux pa-
rents mineurs et c6libataires n’ont pas 6t6 6mancip6s en justice ou sont incapables
d’exercer leurs droits2 2, la tutelle dolt normalement 8tre d6f6r6e par le tribunal sur
avis du conseil de tutelle (art. 205 C.c.Q.). Des dispositions semblables Ct celle du
Code civil du Bas-Canada r6gissent la convocation de l’assembl6e de parents, d’alli6s
et d’amis, qui d6signe les trois membres du conseil de tutelle (art. 222-32 C.c.Q.).
Dans cette hypoth~se, c’est un repr6sentant nomm6 par le conseil de tutelle qui veille
aux intdr&ts patrimoniaux de 1’enfant A naitre.

b. La libert d’action de la femme enceinte

213

La libert6 d’action de la femme enceinte oppose 6galement des limites au pouvoir
du curateur. La doctrine frangaise affirme en effet que celui-ci ne peut exercer aucune
autorit6 sur elle. II ne peut que surveiller le d6roulement de la grossesse et
. Ceci apparait clairement dans l’hypothtse ohi la femme enceinte
l’accouchement
est battue par son conjoint on son partenaire. Selon certains auteurs, une curatrice a
l’enfant conqu pourrait solliciter la d6livrance d’une injonction interdisant de porter
atteinte aux droits de l’enfant2 14. Le droit conditionnel A l’int6grit6 physique est alors
menac6 par un tiers ; il n’est pas question d’interdire A la mre de se faire avorter.
Dans une telle situation, les int6r~ts de I’enfant et ceux de la femme enceinte ne sont
pas oppos6s, m~me si celle-ci refuse d’agir pour elle-mame”5. Par contre, la curatrice
ne saurait contraindre la femme A quitter son conjoint. Quelle que soit la frustration
que l’on pent 6prouver face A la d6pendance psychologique des femmes battues, la
solution ne consiste certainement pas t tenter de faire disparaltre le probltme t coup
d’injonctions. Outre le fait que cette solution serait inefficace dans un grand nombre
de cas, elle heurte de plein fouet le droit des femmes A leur autonomie.

Du point de vue de l’enfant conqu, I’injonction visant la femme enceinte est peut-
6tre pr6f6rable, si l’on suppose que celle-ci sera plus port6e A respecter l’ordonnance
que son conjoint violent. Elle demeure n6anmoins inacceptable, car elle limite une de

2. Voir Deleury et Goubau, supra note I I Ia p. 379 et s., n’ 497. Le probl~me s’est d6jA pos6

(voir Murphy c. Dodd (1990), 70 O.R. (2′) 681 t lap. 690 (H.C. Ont.)).

232 Voir art. 179 C.c.Q. Les mineurs mari6s sont cependant 6mancips de plein droit (voir art. 175

C.c.Q.).

.3 Voir Ia partie I.B.l.b, ci-dessus.
2″ Le cas de l’enfant conqu victime de s6vices est discut6 par le professeur Cr6peau (voir supra note
5). A son avis, le curateur peut agir pour faire cesser cette atteinte aux droits de ‘enfant (voir ibid. a ]a
p. 273). Voir aussi Knoppers, supra note 154 A lap. 180.
21 Les voies de fait constituant un acte criminel (voir Code criminel, supra note 1, art. 265), on con-
goit mal que la femme d6clare avoir le droit d’8tre battue! Elle risque plutt’de nier les allegations de
la curatrice en pr6tendant ne pas tre victime de s6vices. Par ailleurs, la curatrice pourrait agir si un
prjudice est caus6 Ct l’enfant sans qu’un acte criminel ne soit commis, si ]a femme enceinte refuse
d’agir et si la libert6 de celle-ci n’est pas compromise par 1’exercice du recours.

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CONQU

259

216

ses libert~s, celle de resider avec le partenaire de son choix. I faut d’ailleurs noter
qu’aucun recours de ce genre n’a 6t6 exerc6 au Quebec par le passe, aussi bien avant
qu’aprgs la grossesse
. Les int&ts de 1’enfant con u n’ont donc pas eu pour effet de
restreindre la libert6 d’action de la femme enceinte en ce domaine. Le meme constat
peut-6tre fait lorsque celle-ci refuse des soins qui pourraient etre requis dans l’intr&
de l’enfant conqu21 7

Avec la venue du nouveau Code civil, les p~re et m~re majeurs ou 6mancip~s sont
de plein droit tuteurs de leur enfant conqu (art. 192, 2e al. C.c.Q.). Les deux parents
sont charg6s d’agir conjointement (art. 193 C.c.Q.) au nom de celui-ci <>. Pour qu’un tiers agisse n~anmoins au nom de
l’enfant, il faudrait qu’il puisse 8tre nomm6 pour prot6ger un int~r& extra-patrimonial,
tel l’int~grit6 physique. I1 nous parait douteux que le l6gislateur ait envisag6 cette hy-
pothse. Ii semble plut6t avoir confirm6 la position de la Cour supreme, selon laquelle
la curatelle ‘ l’enfant conqu du Code civil du Bas-Canada n’avait d’application qu’en
mati~re patrimoniale21’ . En outre, les dispositions concemant la tutelle font r~f~rence ‘a
la personne du mineur (art. 177, 185-88 C.c.Q.) ; le 2e al. de l’art. 192 C.c.Q. est le
seul ‘A viser express6ment l’enfant conqu2 ‘9. I1 mentionne uniquement ses int& ts pa-
trimoniaux. I1 s’ensuit que les autres intr~ts ne sont pas prot6g~s.

La nomination d’une tierce personne pour agir comme tutrice ‘A l’enfant conqu
demeure possible si les parents ne peuvent exercer la tutelle. Ndanmoins, dans un
souci de coherence, il faut presumer que le r6le de ce repr6sentant se limite ‘a la pro-
tection d’int&&ts patrimoniaux. Dans l’ensemble, le l6gislateur semble avoir voulu
mettre la femme enceinte ‘a l’abri de recours visant ha lui dicter sa conduite dans
l’int&& de l’enfant. En ce qui concerne les atteintes port6es par des tiers ‘A l’int~grit6
physique de l’enfant conqu, les recours que son repr~sentant ou la femme enceinte
peuvent exercer lui assurent un certain degr6 de protection.

On peut conclure que pendant la grossesse, l’enfant con~u n’a pas un droit ‘a
l’int~grit6 physique qui soit opposable ‘a la femme enceinte. De la m~me mani~re, les
obligations du p~re ‘ l’6gard de celle-ci ne sont pas affect~es par l’existence de
l’enfant conqu.

2 6 Sur Ia possibilit6 thorique qu’un enfant intente un recours contre sa m~re pour le pr6judice qu’il
a subi pendant la grossesse de celle-ci, notamment en raison d’alcoolisme ou de d~pendance a une
drogue, voir Bernardi, supra note 151.
2″ Voir la partie ll.B.l.a, ci-dessus.
21″ Voir Daigle (C.S.C.), supra note 4 aux pp. 557-60 ; voir aussi Bemardi, supra note 151

la p.
176 ; Deleury et Goubau, supra note 111 A lap. 13, n 7, A lap. 16, n 10, n. 52, et A lap. 379, n 496 ;
M. Ouellette, dans Textes r~unis par le Barreau du Quebec et la
Chambre des notaires, La riforme du Code civil, t. 1, Ste-Foy, Presses de l’Universit6 Laval, 1993
lap. 103, n 274.

2 1 De m~me, l’article 1814 C.c.Q. envisage s6par~ment ]a donation faite h un mineur et celle faite a

un enfant conqu.

2
1 Voir la partie IIA.2.a, ci-dessus.

MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 42

c. Les obligations du pbre en l’absence de marage

Si la protection du droit A ‘int6grit6 physique de 1’enfant conqu prenait toujours
le pas sur les int&rts contraires, le p~re qui en a les moyens devrait logiquement 8tre
oblig6 d’aider financirement la femme enceinte dans le besoin, afin qu’elle
s’alimente suffisamment pendant la grossesse . Pourtant, s’ils ne sont pas mari6s en-
semble, la femme enceinte ne peut lui r6clamer d’aliments (585 C.c.Q.). En cas de s6-
duction d6loyale, r6sultant de manoeuvres dolosives, elle peut obtenir r6paration pour
l’atteinte A son honneur ainsi que pour la perte de revenus subie22. Elle a cependant
, c’est-A-dire aux frais m6dicaux occasionn6s par
toujours droit aux frais de gesine
1’accouchement2 4.

223

” En principe, les prestations de l’aide sociale ou de rassurance-emploi pourvoient A cette situa-
tion, mais les principes que nous 6tudions remontent A 1866, bien avant leur apparition. A lrheure ac-
tuelle, la femme enceinte prestataire en vertu de la Loi sur la sicuritj du revenu, L.R.Q. c. S-3.1.1,
peut presenter un certificat r&Iigd par un m6decin ou une sage-femme et attestant de la ndcessit6
d’une prestation additionnelle. Celle-ci s’61ve Ai quarante dollars par mois (voir Rbglement sur la sj-
curitj du revenu, D. 922-89, 14juin 1989, G.O.Q. 1989.11.3304, art. 26 et 34 ; Raglement modiflant le
Rglernent sur la sdcurit du revenu, D. 1354-95, 11 octobre 1995, G.O.Q. 1995.1.4581, art. 3 et 4).
Si le p re est suffisamment A l’aise financi~rement, l’int6rt de l’enfant conqu exige le versement
d’une pension alimentaire plus O1eve que le montant des prestations vers es A la femme enceinte,
notarnment si celle-ci 6prouve des difficultds a s’alimenter convenablement. Dans I’hypoth~se oil les
deux parents ne sont pas marius ensemble, le droit civil n’a jamais accord6 un tel recours (voir art.
585 C.c.Q. a contrario). S’il devait le faire, il s’agirait d’un cas oil les int6r~ts de ]a femme enceinte et
ceux de renfant conqu ne sont pas opposes.

Voir Baudouin, Responsabilitd civile, supra note 131 A la p. 153, n* 298. De nos jours,
racceptation tr~s r6pandue au Qu6bec du ph6nom~ne des mares c6libataires rend sans doute illusoire
la demande d’une indemnit6 pour perte de l’honneur.

223Voir ibid A lap. 153, n 299 ; l’article 2261, ler a]. C.c.B.-C. fixe a deux ans la prescription pour
>, tandis que la version anglaise emploie les termes > (<). La jurisprudence accorde les frais de g6sine m~me si
la femme n’a pas dt6 s&luite par des manoeuvres dolosives, ce qui fait obstacle a l’octroi d’une in-
demnit6 pour perte de l’honneur (voir P. Letarte, > (1942) 2 R. du B. 251
A lap. 256 ; A. Perrault, La critique des arr~ts>> (1946) 6 R. du B. 37 aux pp. 43-48 ; A. Nadeau et R.
Nadeau, Traitd pratique de la responsabilitj civile delictuelle, Montreal, Wilson & Lafleur, 1971 aux
pp. 206-09, n’ 191 ; Bidard c. Provencher, [1968] R.C.S. 859). Bien que certains juges affirment que
les frais de g~sine ont un caract~re alimentaire, ils ajoutent que les aliments proprement dits peuvent
atre rdclam6s uniquement par un tuteur repr6sentant 1’enfant apr s la naissance. Ainsi, lejuge Fauteux
d6clare que ces d6penses sont accord es & titre d’aliments ou autre>> et comprennent ou encore >
(Bddard c. Provencher, ibid A la p. 864). Par ailleurs, les frais de g~sine sont accord~s h la mare
mame si l’enfant est mort-n6 (Forsyth c. Boyce (1939), 67 B.R. 270 A lap. 277). Ceci montre que ce
droit resulte de l’accouchement, que l’enfant accMe A la personnalit6juridique ou non.

‘ Le droit qu6b6cois est ici tributaire de l’6volution du droit frangais. Au XVIe et au XVIIe si~cles,
les officialit~s, soit les tribunaux eccldsiastiques, obligent le pare A verser une provision A ]a femme
enceinte. Cette somme sert aussi bien A lui procurer des aliments pendant la grossesse qu’A d6frayer
les frais de g6sine proprement dits (voir Lefebvre-Teillard, supra note 29 A lap. 255). Au XVIIIe si6-
cle, les tribunaux laYcs accordent encore une provision pour frais de g~sine. Ces frais 4sont employ6s

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CONqU

261

Toute allusion aux frais de gdsine a disparu du Code civil du Quebec. Toutefois, le
Code civil du Bas-Canada a 6t6 simplement (M. Fournel, Trait, de la siduc-
tion considirie dans l’ordrejudiciaire, Paris, Demonville, 1781
la p. 98). Si la femnme odevenue
m~re>> peut obtenir une provision pour les aliments dus t 1’enfant, c’est (Foumel, ibid. a la p. 99). La pension alimentaire commence d’ailleurs
courir unique-
ment A compter de l’accouchement, meme si le jugement est rendu avant ce moment (voir Fournel,
ibid lap. 204). En employant l’expression (frais de gsine >, le Code civil du Bas-Canada pourvoit
donc uniquement aux d6penses occasionn6es par l’accouchement, ce qui ressort clairement de la ju-
risprudence cit6e 4 la note pr c&tente. La Cour supieure a d~j refus6 d’octroyer une provision pour
frais de g6sine avant l’accouchement, en affirmant que seuls les > pouvaient etre accord~s (Bolduc c. Corbeil (1906), 7 R.E Qu6.
412 t la p. 413 (C.S.)). Notons que dans son 6tude sur les filles-mres en Nouvelle-France, Marie-
Aim6 Cliche ne signale pas
‘octroi de provisions aux femmes enceintes (voir >, supra
note 84). En France, A l’heure actuelle, le tribunal qui accueille 1’action en recherche de paternit6 peut
condamner le pare A rembourser en tout ou en partie les frais de maternit6 et d’entretien encourus par
la mre pendant les trois mois qui ont suivi et les trois mois qui ont pr6cld6 la naissance (voir art.
340-5 du Code civil, dict6 par la Loi d 72-3 du 3janvier 1972, J.O., 5 janvier 1972, 145).

‘ Voir Dispositions finales C.c.Q.
“6Supra note 99.
7 L’article 2613 C.c.B.-C., devenu en 1974
2

‘article 2712, pr6voyait que seules les r~gles reprises,
modifi6es ou contredites par le Code 6taient abrog~es ; celles sur lesquelles le Code dtait silencieux
demeuraient en vigueur. Les dispositions du Code civil du Bas-Canada ont 6t6 remplac6es par le
Code civil du Quibec, ce qui dquivaut A une abrogation. Celles qui avaient dt6 abrogdes en 1866 ne
revivent 6videmment pas de ce fait (voir Loi d’interprtation, L.R.Q. c. 1-16, art. 9). En revanche,
celles qui n’ont pas 6t6 abrog~es en 1866 demeurent en vigueur aujourd’hui.

‘ Plusieurs problmes se posent ici. La Charte qudbicoise, supra note 150, rend inoplrante une loi
ou un r~glement qui entre en conflit avec ses dispositions ; elle ne mentionne pas express6ment laju-
risprudence (voir ibid., art. 52 et 56.3). La Charte canadienne, supra note 9, ne s’applique pas aux
relations d’ordre priv6 (voir ibid., art. 32). Les tribunaux ont cependant ‘obligation de faire 6voluer la
jurisprudence de fagon A se conformer . la Charte canadienne (voir supra note 166).

Peut-etre la r~gle pourrait-elle encore s’appliquer dans le cas oji la mre accouche b l’dtranger et

encourt de ce fait des frais qui ne sont pas rembours~s par le r6gime d’assurance-maladie.

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

cofncident. Elle n’impose toutefois aucune obligation A la femme enceinte. Par contre,
en l’absence de mariage, les intr&ts de 1’enfant conqu n’ont pas pour effet d’imposer
une obligation alimentaire au p~re pendant la grossesse. Certains principes sont donc
jugds plus importants que les intdrats de l’enfant, telle la libert6 d’action de la femme
ou 1’absence d’obligation alimentaire entre conjoints de fait.

Les r~gles pr6voyant la nomination d’un reprdsentant peuvent difficilement etre
adapt6es au contexte d’un recours dirig6 contre la femme enceinte afin de protdger
l’int6grit6 physique de ‘enfant conqu. L’article 192 C.c.Q. fait d’ailleurs obstacle “h
une telle procddure, car l’intdr& patrimonial de l’enfant n’est pas en cause. Certaines
libert6s de la femme enceinte ont 6galement pr6s6ance sur les int6r&ts de ‘enfant, tel
le droit de r6sider avec le partenaire de son choix. D’autres part, l’absence de lien
matrimonial exempte le pHre de toute obligation alimentaire envers la femme en-
ceinte. Dans cette perspective, la protection accord6e par le droit civil se r6v~le insa-
tisfaisante. Elle pourrait cependant 8tre renforcde si l’enfant conqu devait 6tre consi-
d6r6 un 8tre humain. C’est la question dont il nous faut maintenant traiter.

4. L’tre humain

L’article 18 C.c.B.-C. et l’article premier C.c.Q. disposent que tout atre humain
poss~de la personnalit6 juridique . Uarticle premier de la Charte des droits et libertds
de la personne23 et 1’article 3 C.c.Q. garantissent de plus le n’est pas d6terminde par la reconnaissance de certains droits t ‘enfant con-
2. Celui-ci peut 8tre une personne en formation, dont les droits patrimoniaux sont
9u?
pr6serv6s pendant la grossesse, sans 6tre pour autant un atre humain i part entire. En
6tudiant cette question, il importe de distinguer deux hypotheses : l’existence humaine
commence ds la conception (a) ou h un certain stade de la grossesse (b).

a. L’enfant conqu, un 6tre humain ?

II est possible de soutenir que l’expression (tre humain s’applique dis la for-
mation de l’embryon23 ; on peut egalement considdrer qu’elle doit s’appliquer uni-

23 Supra note 150.
23′ Si l’enfant conqu est une personne humaine, l’article 19, ler al. C.c.B.-C. et l’article 3, ler al.
C.c.Q. s’appliquent (<[l]a personne humaine est inviolable ). Nous soutenons donc que 'enfant con- 9u n'est pas encore une personne humaine ou un (1994) 14 Health L. Can. 63). Saisi d’un litige portant sur la

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CONqU

263

quement aux personnes physiques deja nees.
II nous parait illusoire d’affirmer que
l’interpr~tation de ces termes est une <235 relevant du <>2. Car on peut fort bien reconnaitre que l’embryon et le foetus
sont des organismes humains, tout en refusant d’en faire pour les fins du droit des
<>, au motif qu’ils n’ont pas d’existence autonome avant la naissance. Nous ne
croyons pas davantage possible de faire abstraction de <27 en pr6cisant la port6e de ces termes. I1 nous parait pr~f&able de nous con-

mise en vente de ce meme produit, le Conseil d’etat frangais a afTirmi6 sans plus d’explications que la
loi permettant l’interruption volontaire de grossesse ne violait pas le droit A la vie garanti A toute per-
sonne par des instruments intemationaux (voir Convention europienne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertisfondamentales, 4 novembre 1950, S.T.E. 5, 213 R.T.N.U. 221, art. 2 ; Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, 19 d~cembre 1966, R.T. Can. 1976 n 47, 999
R.T.N.U. 171, art. 6 ; Cons. d’ttat, 21 d~cembre 1990, D.1991.Jur.283 (note P. Sabourin)). Pour sa
part, le Conseil constitutionnel constate qu’aux yeux du l6gislateur de 1994, le principe du respect de
tout 6tre humain ds le commencement de la vie n’est pas applicable aux embryons f~cond6s in vitro.
II d6clare qu’il ne lui appartient pas de remettre en cause, <, laissant entendre que l’enfant conqu n’existe pas encore. Ces deux dispositions nont pas
pour objectif de d6finir les droits de l’enfant conqu ; en quelque sorte, elles s’annulent mutuellement.
La nature des droits reconnus
t l’enfant conqu demeure done ambigud. En ce qui concerne
1’expression < (P.L. 107, Loi portant refonne au Code civil du Quibec du droit
des successions, 3 sess., 32′ 1Mg., Qu6bec, 1982, art. 1). Cette phrase a 6t6 omise dans les versions
subs&tuentes, pour conserver le statu quo, notamment en mati~re de rparation du prejudice caus6
pendant la grossesse (voir Bribre, supra note 113 aux pp. 35-39, n 39). Cette suppression ne permet
cependant pas d’affirmer que l’enfant conqu est un 8tre humain. Le 16gislateur a vit de prendre po-
sition sur le sujet, en employant une expression ambigud. On peut d’ailleurs penser qu’en ne prcisant
pas la porte de ces termes en 1991, il a implicitement accept6 les conclusions de l’arr&t Daigle
(C.S.C.), supra note 4.

5 Crpeau, supra note 5
Ibid. Pour une critique de cette vision du probl~me, voir M. Shaffer, <> (1994) 39 R.D. McGill 58.

S (1996) 27 R.G.D. 21). Historiquement, certains auteurs de droit naturel, tels Grotius et Pu-

264

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

centrer sur les probl~mes et les difficultds que soul6ve une reconnaissance d’un droit A
la vie dis la conception.

II faut noter tout d’abord que, si l’embryon est un 8tre humain, toute mesure
de r6gulation des naissances est interdite aprs la conception, y compris dans les
jours qui suivent la f6condatione 8. De plus, en vertu de la Charte des droits et Ii-
bertis de la personne, tout individu peut se porter A la d6fense d’un
tre hu-
main>>”‘, m~me si les p~re et m~re souhaitent qu’un avortement ait lieu. D’autre
part, le droit A la sant6 physique et psychologique de la femme ne peut 8tre con-
cili6 avec un droit absolu de l’enfant conqu A la vie. Les femmes ont en effet le
droit constitutionnel de ne pas se voir imposer par l’ttat, sous peine de sanction
p6nale, l’obligation de poursuivre une grossesse s’il en resulte une menace A leur
sant620. L’article premier de la Charte des droits et libertis de la personne”,
protege 6galement le droit de la femme enceinte A la siret6,
l’integrit et A la
libert6 de sa personne>>. S’il devait 8tre 6tendu h l’enfant conqu, le droit t la vie
pr6vu par cette disposition serait subordonn6 t l’6tat de sant6 physique et psycho-

fendorf, ont conclu que l’autorit6 maritale etait une rfgle du droit naturel. De nos jours, personne ne
pretend que cette r~gle fait partie de la constitution. La meme 6volution peut 8tre observ6e face A
l’avortement.

‘Daigle (C.S.), supra note 3 t lap. 1986:

E1 ne nous appartient certainement pas d’examiner si le foetus, en tant qu’8tre humain, a
plus ou moins droit A la vie, d6pendant du nombre de semaines de grossesse de sa
mere. Le 1egislateur n’a pas fait cette distinction et il n’est pas dans notre intention de
tenter de la faire.

La position de la Cour d’appel est beaucoup moins claire. Le juge Bemier reconnait des droits A
l’enfant conqu < (Daigle (C.A.), supra note 3 A la p. 1739). Pour
sa part, le juge Nichols alfirme (Daigle (C.A.), ibid. 4 lap. 1742). Enfm, le juge LeBel mentionne qu’4[t]
cette etape du d6veloppement de l’enfant, la balance des inconvenients paralt clairement favoriser le
foetus […]>> (Daigle (C.A.), ibid. A lap. 1754).

2′ Supra note 150, art. 2. Voir Daigle (C.A.), ibid. aux pp. 1739 et 1746, les juges Bemier et Ni-
chols et t lap. 1754, lejuge LeBel, qui est toutefois nettement plus reserv6. La Cour sup6rieure a d6jit
jug6 qu’un simple particulier n’avait pas l’interet requis pour exiger le respect de ]a disposition perti-
nente du Code criminel, supra note 1. Cefle-ci interdisait les avortements n’ayant pas 6t6 autoris6s par
un comit6 de ‘avortement th6rapeutique (voir C6t c. Centre local de services comnunautaires Le
Norois, [1987] RJ.Q. 2426 (C.S.) [ci-apris Le Norois]). Nous ne croyons pas que cette d6cision
puisse s’appliquer i la Charte qudbicoise, ibid., compte tenu du libell6 de l’article 2 de cette loi:

Tout atre humain dont la vie est en peril adroit au secours.
Toute personne doit porter secours t cehui dont la vie est en peril, personnellement ou
en obtenant du secours, en lui apportant l’aide physique necessaire et immediate, at
moins d’un risque pour elle ou pour les tiers ou d’un autre motif raisonnable.

Le droit il la s6ecuritO de ]a personne>> pr6evu par l’article 7 de la Charte canadienne, supra note
9, protage les femmes contre une atteinte A leur sante physique et psychologique qui resulte d’une ac-
tion de l’ttat (voir R. c. Morgentaler (1988), supra note 2 aux pp. 55-56 (le juge en chef Dickson),
pp. 90-91, 105 et 108 (lejuge Beetz), pp. 163 et 173 (Iajuge Wilson)).

2″ Supra note 150. Sur l’interpr6tation de cette disposition, voir supra note 167.

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CONqU

265

logique de la femme enceinte242. Un tel r6sultat serait pour le moins curieux 241
Enfin, le recours aux tribunaux pour d6terminer si la sant6 de la femme enceinte
est menac6e occasionnerait in6vitablement des d61ais. Ceux-ci auraient pour effet
d’augmenter les risques pos6s par un avortement qui pourrait s’av~rer n6cessaire
pour pr6server la sant6 de la femme.

La difficile question du sens des mots > peut maintenant 8tre tran-
ch6e
la lumi~re des implications juridiques et sociales expos6es ci-dessus. En em-
ployant cette expression, le 16gislateur a affim6 que tout homme et toute femme pos-
sde le droit A la vie. Rien ne permet de penser qu’il entendait conf6rer une protection
additionnelle
‘enfant conqu2″. Celui-ci n’a ni respir6 ni v6cu de fagon autonome ; il

12 On sait que la Cour supreme a refus6 de decider si les termes <[c]hacun a droit ii la vie [...]> (art.
7 de la Charte canadienne, supra note 9) protgent 1’enfant conqu (voir Borowski c. Canada (PG.),
[1989] 1 R.C.S. 342, 57 D.L.R (4′) 231). Toutefois, la Cour a reconnu que le droit de la femme en-
ceinte a sa sant6 physique et psychologique justifie le recours
‘avortement (voir supra notes 169-
70). Dans ‘arr& R. c. Morgentaler (1988), supra note 2, les juges majoritaires ont tous d6clar6 que le
l6gislateur peut 16gitimement chercher A prot~ger le foetus et restreindre le droit de la femme de se
faire avorter, sans pr6ciser dans quelles conditions une r~gle de cette nature serait jug~e acceptable
aux termes de ‘article 1 de la Charte canadienne, ibiL (voir R. c. Morgentaler (1988), ibid aux pp.
74-76 des notes du juge en chef Dickson, pp. 124-28 de celles du juge Beetz, p. 183 de celles de la
juge Wilson). Bien qu’ils aient express~ment affirm6 ne pas prendre position sur la question d’un
droit ii Ia vie du foetus (voir ibid A la p. 74 des notes du juge en chef Dickson, p. 128 de celles du
juge Beetz et p. 184 de celles de la juge Wilson), il est impossible de r6concilier l’analyse du juge en
chef et de la juge Wilson avec un droit a la vie remontant ii la conception. Pour sa part, le juge Beetz
affirme que I’avortement ne saurait 8tre interdit lorsque la sant6 de la femme enceinte est menacde par
la continuation de Ia grossesse (voir ibid. aux pp. 82, 125-26 de ses notes) ; il laisse entendre qu’une
interdiction de l’avortement A partir d’un certain stade de la grossesse serait peut-Afre acceptable (voir
ibid. aux pp. 112-14). Voir sur ce sujet Shaffer, supra note 236.

243 L’opinion majoritaire d’un arr~t de la Cour supreme consid&e une approche semblable, pour fi-
nalement ]a rejeter. II s’agit dans cette affaire de parents ayant refus6 de consentir a ce que leur enfant
de quelques mois regoive une transfusion sanguine. Une ordonnance est rendue afin d’autoriser tem-
porairement une soci6td ontarienne d’aide b l’enfance ii consentir a cette transfusion. Le juge La Fo-
rest, avec l’accord des juges L’Heureux-Dub6, Gonthier et McLachlin, affirme que le droit A la libert6
garanti par l’article 7 de la Charte canadienne, ibid, protege le droit des parents d’61ever leurs enfants
et de dfuider quels traitements m~icaux doivent leur atre administr6s. La loi ontarienne portant at-
teinte a ce droit afin de prot6ger la vie et la sant6 des enfants est toutefois jug6e conforme aux princi-
pes de justice fondamentale (voir B.(R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1
R.C.S. 315 aux pp. 362-81, (1994), 122 D.L.R. (4’) 1). De fagon similaire, les intr~ts de l’enfant con-
qu peuvent atre prot6g6s en imposant une restriction t la libert6 dont jouit la femme enceinte ; ils ne
peuvent toutefois pas avoir pour effet de compromettre la scurit6 de sa personne. Les juges Cory, Ia-
cobucci et Major croient plutt que la des parents ne saurait s’dtendre au droit des parents
de refuser t leur enfant un traitementjug6 n6cessaire par un professionnel de la sant6, car le droit A la
vie et
la s6curit6 de l’enfant serait ainsi compromis (voir ibi aux pp. 430-34). Le juge en chef est
d’avis que Particle 7 ne s’applique pas et le juge Sopinka 6vite de prendre position. R6cemment, ]a
Cour a affirm6 que la Charte canadienne, ibid et la Charte quibicoise, supra note 150, ne reconnais-
sent pas de droit de conserver et de continuer une relation parent-enfanb> (Augustus c. Gosset, supra
note 132 au par. 53 des motifs de la Cour).

‘” Voir Keyserlingk, <(Prenatal Care- Civil Law>>, supra note 112 A la p. 62 et.Keyserlingk, Prena-

tal Care, supra note 112 ; Rivet, supra note 113 aux pp. 455-57.

MCGILL LAW JOURNAL!REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

ne constitue pas encore une personne physique. II est tout t fait logique de ne pas lui
reconnaitre la qualit6 d’8tre humain. Ceci irait A l’encontre du sens usuel de cette ex-
pression, en plus de modifier consid6rablement les r~gles traditionnelles du droit qu6-
b6cois, qui n’ontjamais port6 sur l’avortement.

En d6finitive, le probl~me consiste A determiner qui est habiIit6 A decider si
l’avortement doit avoir lieu : les juges ou la femme enceinte ? Il faut se demander si,
en reconnaissant que tout 8tre humain poss~de la personnalit6 juridique, le l~gislateur
qu6b~cois entendait confier aux tribunaux le soin de trancher cette question, sans
6noncer aucun crit~re pour baliser leur action2 4
1. Plac~e devant une telle alternative,
nous croyons que la Cour supreme a retenu la seule solution acceptable d’un point de
vue juridique et social. II reste toutefois A examiner une variante de cette question :
est-il possible de consid~rer que l’8tre humain se forme A un certain stade de la gros-
sesse ?

b. Etre humain … aprbs quelques semaines ?

Aucun texte de droit qu~b~cois ne permet de consid6rer que plus le d6veloppe-
ment de l’enfant est avanc6, plus il s’apparente A un 8tre humain. De deux choses
l’une : ou cette expression englobe le simple embryon ou, au contraire, elle s’applique
uniquement apr~s la naissance. Elle ne peut varier selon le nombre de semaines. En
effet, aucun crit~re ne permet de decider A quel stade de la gestation d’etre humain>
apparait. On peut estimer que cela se produit quand le foetus est form6 ou peut bou-
ger, environ huit semaines apr s le d6but de la grossesse. L’avortement devient alors

“45 En Cour d’appel, les juges majoritaires ont propos6 une varidt6 de critres qui illustrent bien le
danger inherent A l’dlaboration de solutions au cas par cas. Le juge Bernier affirme que recourir A
l’avortement constitue un abus de droit, sauf en presence de motifs raisonnables eu 6gard au stade de
la grossesse >, les motifs de Chantal Daigle n’6tant pas, A son avis, suffisamment s6rieux)> (Daigle
(C.A.), supra note 3 A lap. 1739). Lejuge Nichols affirme ce qui suit:

au stade ob est rendue sa grossesse il ne peut 8tre question d’y metire fin librement,
compte tenu du fait qu’il s’agit d’une grossesse d~sir6e, que la vie et ]a sant6 de la mre
ne sont pas en danger et que tout porte A croire que l’enfant est normal.

II ajoute que le litige

n’exige pas non plus que nous nous penchions sur les consequences de la naissance
pour ]a mare, le foetus ou pour le pare. A ce sujet, ]a preuve n’offre aucun renseigne-
ment, que ce soit d’ordre social, psychologique, d’ordre mat6riel ou 6conomique.
J’aurais la conviction de sombrer dans ]a sp~ulation si je m’aventurais A prvoir les ef-
fets qu’aura ]a naissance du foetus dans les circonstances actuelles.
Lorsqu’il s’agit d’arbitrer le conflit que pose Ia fibre disposition de son corps par une
femme et le droit A ]a vie de l’atre qu’elle porte, un cas comme celui-ci fait pencher la
balance du c~t6 du foetus tant A cause des droits apparents qui lui competent qu’t cause
de la balance des inconv6nients (Daigle (C.A.), ibid. aux pp. 1742-43).

Quant au juge LeBel, il precise que le foetus parait en bonne sant6 et que Ia sant6 physiologique>> de
]a mare n’est pas en danger. II d6clare mettre (en balance ]a fin imm6diate de ‘existence et d’autre
part des inconv6nients et des restrictions importantes de ]a vie de l’appelanteo. II conclut : <[A] cette 6tape du d6veloppement de l'enfant, la balance des inconv6nients paralt clairement favoriser le foetus etjustifier la demande d'injonction> (ibid. A lap. 1754).

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT Er LES DROITS DE L’ENFANT CON9U

267

246

tr~s difficile A obtenir dans ce delai
. Par contre, on peut penser que 1’existence hu-
maine apparalt uniquement apr~s que le seuil de viabilit6 a 6t6 atteint, au plus t6t
apris la vingt-deuxi~me semaine 247. Si tel 6tait le cas, les avortements pratiqu~s A
l’heure actuelle au Qu6bec seraient tous licites. Les termes <<8tre humain> ne conte-
nant aucun crit~re permettant de trancher cette question, il ne convient pas de s’en
remettre A ‘arbitraire des juges.

les avantages et les

C’est pourtant A ce genre d’exercice que se sont livr6s deux juges de la Cour
d’appel dans l’arr& Daigle, en s’inspirant des r~gles de la proc6dure interlocutoire,
qui permettent de pond6rer
inconv6nients d6coulant de
l’injonction (art. 752 C.p.c.) 24 . En se prononqant sur 1’existence du droit invoqu6, ces
consid&ations n’ont pas leur place 249. En d’autres termes, le droit A la vie de l’enfant
conqu ne saurait d6pendre d’une 6valuation des avantages et des inconv6nients d6cou-
lant d’une injonction. De ce point de vue, le nombre de semaines 6coul6es depuis le
debut de la grossesse ne peut avoir pour effet de rendre un avortement plus ou moins
acceptable. C’est au l~gislateur qu’il appartient de poser une rfgle sur ce sujet 0 .

k l’issue de cette analyse, il apparait que les intr&ts de l’enfant conqu ne sau-
raient avoir pour effet de restreindre la libert6 d’action de la femme enceinte.
L’expression < est beaucoup trop vague pour &re 6tendue h l’embryon
ou au foetus. Cette interpretation serait de plus difficile A concilier avec le droit des
femmes A la protection de leur sant6 physique et psychologique. En admettant toute-
fois qu’elle repr6sente l’intention du 16gislateur, il devient n~cessaire de se demander
si un tel rsultat est acceptable dans le contexte constitutionnel canadien.

C. Les Iimites pos6es par le f6d6ralisme canadien
L’utilisation d’une injonction dans le but de prot~ger le droit a la vie de t’enfant
conqu pose un certain nombre de problmes de droit public. Une br~ve description
des caract6ristiques de l’injonction en droit constitutionnel (1) permet d’aborder la
question du partage des pouvoirs lgislatifs en mati~re d’avortement (2).

Voir Shaffer, supra note 236 t lap. 76.

“1 Voir Deleury et Goubau, supra note 111 A lap. 10, n. 21.
24′ Les juges Nichols et LeBel opposent les droits de ‘enfant conqu et ceux de la femme enceinte et
d6clarent pond6rer les avantages et les inconv6nients d6coulant de l’injonction interlocutoire (voir les
extraits cit6s, supra note 245).

14′ Lorsqu’une injonction interlocutoire est demand6e, le tribunal doit d’abord determiner si le droit
all~gu6 est clair ou discutable. Dans ce dernier cas, il doit 6valuer les inconv6nients occasionn6s par la
d6livrance ou le refus de l’injonction interlocutoire, afin de determiner lesquels l’emportent (voir D.
Ferland et B. Emery, dir., Prdcis de procdure civile du Quebec, vol. 2, Cowansville, Yvon Blais,
1994 aux pp. 353-55).

SL’arr& R. c. Morgentaler (1988), supra note 2, reconnalt clairement au 16gislateur le droit de res-
treindre l’acc .s A l’avortement pass6 un certain stade de d~veloppement du foetus, qui n’est pas pr6ci-
s6. Les juges majoritaires sont unanimes sur ce point.

MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

1. L’injonction en droit constitutionnel

Le non-respect d’une injonction peut avoir pour cons6quences ]’imposition de
sanctions p6nales (a). I ne s’ensuit pas que cette proc6dure relive exclusivement du
domaine de comp6tence imparti au Parlement (b).

a. L’outrage au tribunal

En droit qu6b6cois, la personne qui contrevient A une injonction commet un ou-
trage au tribunal. Elle est alors passible d’une amende de 50 000 $ ainsi que d’un em-
prisonnement d’une dur6e maximale d’un an (art. 761 C.p.c.). La proce6dure qui per-
met d’obtenir une telle condamnation est r6gie par le droit provincial et est ode nature
quasi p6nale 251. Elle comporte toujours un 616ment de “droit public)) 2, meme si
1’expression outrage civib> est utilis6e, afin d’indiquer que le Code de procedure
civile s’applique. Par contre, si la d6sob6issance rev&t un caract~re public et jette le
discr&lit sur le syst~me judiciaire, le contrevenant commet un outrage crinineb ’53,
qui est r6gi par les r~gles de proc6dure du droit p6nal canadien. Dans ce demier cas,
la peine ne connait pas de limites255. Des manifestants oppos6s h l’avortement ont ap-
pris A leur d6pens que dans une affaire m6diatis6e, le refus d’obtemp6rer A une in-
jonction est tr~s rapidement qualifi6 d’outrage criminel 6.

2 Vdfotron Ltde c. Industries Microlec Produits electrmniques Ltee, (1992] 2 R.C.S. 1065 a ]a p.
1078, 96 D.L.R. (4′) 376 [ci-aprs Wdifotron avec renvois aux R.C.S.] ; voir 6galement Commission
de transport de la comunauti urbaine de Montrdal c. Quebec (PG.), [1987] R.D.J. 199 (C.A.).

252 Vddotron, ibid. A lap. 1075.
2 L’accusation d’outrage peut alors 8tre port6e par le juge ou le Procureur g6n6ral provincial,
meme si la partie au litige qui a demand6 la d61ivrance de l’injonction refuse de le faire (voir Poje c.
Colombie-Britannique (PG.), [1953] 1 R.C.S. 516, 105 C.C.C. 311 ; A. Popovici, L’outrage au tribu-
nal, Montral, Th6mis, 1977 au c. 1).

Voir Popovici, ibid. aux pp. 22-30 etc. 4 ; Commission de transport de la communaut6 urbaine

de Montrial c. Syndicat du transport de Montrial (C.S.N.), [1977] C.A. 476 A lap. 480.

2″ Voir Code criminel, supra note 1, art. 9 ; cette infraction a

t6 d~clarde valide par la Cour su-
preme dans United Nurses ofAlberta c. Alberta (PG.), [1992] 1 R.C.S. 901, 89 D.L.R. (4′) 609 [ci-
apr s United Nurses]. L’outrage criminel peut d6couler de la violation d’une ordonnance judiciaire
destin6e A assurer le respect d’une rfgle de droit provincial. Cela ne soulve pas de difficults du point
de vue du partage des comp~tences (voir United Nurses, ibid aux pp. 937-38). Sur ce type d’outrage,
voir 6galement B.C.G.E.U. c. Colombie-Britannique (PG.), [1988] 2 R.C.S. 214 aux pp. 233 et s., 53
D.L.R. (4′) 1.

2 Voir Everywoman’s Health Centre Society (1988) c. Bridges, [1989] B.CJ. n’ 453 (QL) (C.S. C.-
B.) ; R. c. Bridges (No. 2) (1989), 61 D.L.R. (4) 154 aux pp. 159-60,48 C.C.C. (3′) 546 (C.S. C.-B.);
Everywoman’s Health Centre Society (1988) c. Bridges (1990), 48 C.R.R. 356 A ]a p. 366 (C.S. C.-
B.); Everywoman’s Health (1990) (C.A. C.-B.), supra note 179 aux pp. 292-93 ; Everyvoman’s
Health (1994) (C.S. C.-B.), supra note 182 aux pp. 352-53. Dans ce demierjugement, lejuge conclut
qu’il n’y a pas d’outrage criminel. D’autre part, la Cour supreme a reconnu r&cemment qu’une mani-
festation tr~s m&iiatis~e pouvait donner lieu A une condarnnation pour outrage criminel (voir Mac-
Millan Bloedel Ltd c. Simpson, [1996] 2 R.C.S. 1048 aux pp. 1062-63, 137 D.L.R. (4′) 633, jugement
unanime [ci-apr s MacMillan Bloedel avec renvois aux R.C.S.]).

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CONqU

269

Peut-on douter un seul instant que Chantal Daigle et bien d’autres femmes encein-
tes aient 6t6 prtes t purger une peine d’emprisonnement pour se faire avorter ? Dans
ces conditions, le recours a. l’injonction et t la condamnation pour outrage au tribunal
dans le but de prot6ger le droit ft la vie de l’enfant conqu se rdvfle sous sa vraie na-
ture : une interdiction pure et simple, assortie d’une sanction p6nale. II est vrai qu’une
demande d’injonction ayant pour objet l’interdiction d’un avortement est pr6sent6e au
nom de l’enfant conqu par une partie priv6e. I1 peut s’agir du p~re, d’une tutrice
nomm6e malgr6 l’opposition des pfre et m’ere ou m~me d’une 6trang~re qui se r6-
clame de la Charte des droits et libertis de la personne257. A notre avis, cette seule ca-
ract6istique n’est pas suffisante pour qu’une prohibition pure et simple, assortie
d’une peine pouvant aller jusqu’t l’emprisonnement, soit rattach6e au droit priv6. Le
fait que ce soit une partie priv6e, et non pas l’ttat, qui tente d’empecher l’avortement
ne retranche pas n6cessairement la rfgle portant sur cette question du domaine crimi-
nel. k l’6poque oft l’avortement 6tait un acte criminel, les tribunaux ont d’ailleurs re-
fus6 de d6livrer des injonctions contre les personnes que le Procureur g6n6ral refusait
de poursuivre, refusant ainsi d’aborder la question sous l’angle civilf’. En pratique, la
femme enceinte menac6e d’outrage au tribunal est confront6e t une interdiction qui
risque de la conduire derriere les barreaux si quelqu’un d6cide de s’adresser au tribu-
nal. Dans cette perspective, toute distinction avec le droit p6nal est purement formelle.

b. L’injonction et le f6d6ralisme

On l’a dit, toute contravention t une injonction peut donner lieu A une condam-
nation pour outrage au tribunal. I1 ne s’ensuit pas qu’elle constitue une rfgle de
droit p6nal sur laquelle le Parlement soit seul ft pouvoir 16gif6rer. Les 16gislatures
provinciales peuvent pr6voir
l’imposition de peines d’emprisonnement afin
d’assurer le respect des r~gles qu’elles ont le pouvoir d’6dictere 9. L’injonction peut
6tre employ6e f cette fm260 ; elle peut 6galement Pure d6livr6e aux termes d’une loi

27 Supra note 150, art. 2.
2” Ant~rieurement A 1988, plusieurs jugements ont rejet( une requete en injonction oj 1’on all6guait
que des m6decins contrevenaient au Code criminel en pratiquant des avortements. Les juges ont af-
firm6 qu’il appartenait au Procureur g6n6ral d’agir (voir Carruthers c. Langley (1985), 13 D.L.R. (4′)
528, 57 B.C.L.R. 373 (C.S. C.-B.), conf. par (1985), 69 B.C.L.R. 24 (C.A. C.-B.), autorisation de se
pourvoir refus6e, [1986] 1 R.C.S. vii ; League for Life in Manitoba Inc. c. Morgentaler (1985), 34
Man.R. (2′) 91 (B.R.), ofi le juge fait une 6tude exhaustive de la question ; Campbell c. Ontario (PG.)
(1987), 58 O.R. (2′) 209 (H.C. Ont.), conf. par (1987), 60 O.R. (2′) 617 (C.A.), autorisation de se
pourvoir refus~e, [1987] 1 R.C.S. vi ; Quibec (PG.) c. Chartrand, [1987] R.J.Q. 1732 (C.A.), infir-
mant [1987] RJ.Q. 331 (C.S.), autorisation de se pourvoir refus6e, [1988] 1 R.C.S. vii ; Harvey c.
Qudbec (Ministre de Ia justice), [1987] RJ.Q. 1743 (C.S.) ; Le Norois, supra note 239 ; Guay, supra
note 198
la p. 12 des notes du juge Barbeau). L’arr& Qudbec (PG.) c. Chartrand, ibid, laisse enten-
dre que l’inaction du Procureur g6n6ral poun-ait etre r6vis6e en cas d’abus, mais la Cour d’appel d6-
cide d’attendre le rdsultat de la contestation constitutionnelle men6e par le Dr Morgentaler. Voir 6ga-
lement H. Dumont, contenue dans le Code criminel ; de plus, lejuge Idington tient pour acquis qu’elle vise unique-
ment le propridtaire qui ne tient pas lui-m6me une maison de ddbauche (Bidard, ibid. A lap. 683). Par
ailleurs, il existe d’autres situations oa l’injonction peut venir A l’appui d’une loi provinciale. Le Pro-
cureur gdndral pout demander la ddlivrance d’une telle ordonnance afin de mettre fin aux violations
rp6tdes d’une loi lorsque l’imposition des peines pr6vues par celle-ci s’av~re inefficace (voir League
for Life in Manitoba Inc. c. Morgentaler (1985), 34 Man.R. (2′) 91 aux pp. 100-02 (B.R.) ; Dieleman,
supra note 170 aux pp. 648-52).

26 Voir Goodyear lire and Rubber Co. of Canada c. R., [1956] R.C.S. 303 aux pp. 308-09,2 D.L.R.
(2′) 11. Le mot n’est pas employ6 en l’esplce, mais l’ordonnance en question a les m8-
mes caractdristiques.

2′ Voir MacMillan Bloedel, supra note 256 aux pp. 1058-59.
2+’Di Iorio c. Gardien de la prison commune de Montrial, [1978] 1 R.C.S. 152 aux pp. 227-28, 73
D.L.R. (3′) 491 [nos italiques]. Il s’agissait dans cette affaire d’une condamnation pour outrage au tri-
bunal irnposde A la suite d’un refus de rpondre aux questions posdes.

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CONQU

271

ouring to uphold and enforce their views, are essentially matters for Parliament
and quite foreign to civil Courts2″.

Le jugement de la Cour sup6rieure et l’arr& de la Cour d’appel dans l’affaire
Daigle nous semblent 8tre tomb6s dans le travers d6nonc6 par le juge Middleton.
Cette affirmation suppose cependant que l’interdiction de l’avortement relive de la
comp6tence exclusive du Parlement, une question qu’il nous faut maintenant exami-
ner.

2. L’avortement et le partage des pouvoirs I6gislatifs

L’injonction ddlivr~e en premi~re instance contre Chantal Daigle assure-t-elle le
respect d’une r~gle qui d6coule d’un chef de compdtence provinciale ? S’agit-il plut6t
d’une question qui relive exclusivement du droit p6nal ? Sans prdtendre faire une
analyse approfondie du partage des compdtences en droit constitutionnel canadien,
nous esp6rons presenter les termes de ce d6bat ainsi que les 616ments sur lesquels
nous appuyons notre propre conclusion. Pour ce faire, une br~ve description de la ju-
risprudence concemant le domaine du droit criminel s’impose, ainsi qu’un examen
des r~gles d’interpr~tation applicables en mati~re constitutionnelle (a). I1 devient alors
n~cessaire d’examiner les chefs de competence provinciale susceptibles de permettre
l’adoption de r~gles concemant l’avortement, soit les soins de sant6 (b) ainsi que la
propri6t6 et les droits civils (c).

a. Le domaine du droit criminel canadien

Ii n’est pas ais6 d’identifier les crit~res permettant de d6terminer si une interdic-
tion assortie de sanctions p6nales relive du domaine imparti au Parlement en matire
criminelle’ 6′. Dans la perspective qui est la notre, il convient de s’attarder particuli6-
. I1 est
rement aux cas oi une rfgle de droit provincial empi~te sur cette competence
possible de relever dans la jurisprudence certaines caract~ristiques auxquelles les ju-
ges accordent beaucoup de poids, quoiqu’aucune d’entre elles ne soit d6terminante.
12existence d’une sanction de nature p6nale est 6videmment prise en consid6ration.

266

267

264 Robinson c. Adams (1924), 56 O.L.R. 217, 1 D.L.R. 359 A la p. 365 (C.A. Ont.). Lejuge Middle-
ton ajoute que l’injonction ne doit pas servir L assurer le respect des r~gles du droit criminel. Cette
opinion n’a pas t6 suivie : un acte criminel peut constituer simultan6ment une atteinte A un droit rele-
vant de la compdtence provinciale, ce qui autorise le recours A l’injonction (voir MacMillan Bloedel,
supra note 256 aux pp. 1058-59).

.. Voir Loi constitutionnelle de 1867, supra note 259, art. 91(27) ; voir aussi les rdflexions stimulan-
tes du professeur F Chevrette, (1996) 27 R.G.D. 137.

26′ Dans l’exercice de sa competence en droit criminel, le Parlement peut pr6voir des mesures de
d6tention et de traitement des personnes dclar6es inaptes pour cause de troubles mentaux (voir R. c.
Swain, [1991] 1 R.C.S. 933 aux pp. 997-1008, 125 N.R. 1), ainsi que l’h6bergement et l’encadrement
la p. 712,
des jeunes contrevenants (voir Colombie-Britannique (PG.) c. Smith, [1967] R.C.S. 702

272

McGILL LAW JOURNAL! REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 42

Le fait qu’une r~gle de droit criminel soit en vigueur ou ait exist6 dans le pass6 pose
lourd dans la balance. Dans cette hypoth~se, l’acte interdit est consid6r6 comne fai-
sant partie ou comme ayant d6jA fait partie des m6faits sociaux (public wrong) que le
droit criminel a pour mission de combattre. Ce crit~re est sans doute celui auquel les
juges s’attardent le plus souvent2 .

La jurisprudence a reconnu A maintes reprises que certaines questions rel~vent
, en par-
exclusivement du Parlement et ne peuvent faire l’objet de lois provinciales
ticulier dans l’hypoth~se oai une disposition de droit criminel a d6jht port6 sur la meme
question.

269

S

Le droit constitutionnel canadien n’admet cependant pas de solution toute faite.
Une loi provinciale peut reprendre une r~gle qui a d~jt 6t6 contenue dans une loi f6d6-
rale 270. Elle peut m~me faire double emploi avec une disposition f6d~rale relevant du

65 O.L.R. (2) 713 ; R. c. S. (S.), [1990] 2 R.C.S. 254 aux pp. 347-50, 57 C.C.C. (3′) 115). Meme si
ces mesures ne sont pas des sanctions p~nales dans le sens traditionnel du terme, les lois dans lesquel-
les elles s’inscrivent relvent de la competence du Parlement en droit criminel.

D’autre part, l’article 92(15) de ]a Loi constitutionnelle de 1867, supra note 259, ne fixe aucune
limite aux peines pouvant 8tre impos6es pour tine contravention A une loi provinciale. Les lois pro-
vinciales qui ont 6t6 d6clar6es inop&antes parce qu’elles empi6taient ]a comp6tence exclusive sur le
droit criminel ne pr~voyaient pas de peines particulirement d1ev6es. La rigueur des peines impos~es
n’est donc pas d6terminante.

26 Voir Reference Re Section 5 (a) of The Dairy Industry Act, R.S.C. 1927, c. 45, [1949] R.C.S. 1, 1
D.L.R. 433, conf. par [1951] A.C. 179, [1950] 4 D.L.R. 689 ; Labat c. Canada (PG.), [1980] 1
R.C.S. 914 aux pp. 932-34, 30 N.R. 496 ; Boggs c. R., [1981] 1 R.C.S. 49 aux pp. 61-64, 120 D.L.R.
(3) 718 ; Devine c. Quibec (PG.), [1988] 2 RC.S. 790 aux pp. 810-11, 55 D.L.R. (4′) 641 ; Knox
Contracting Ltd c. Canada, [1990] 2 R.C.S. 338 aux pp. 347-50, 110 N.R. 171 ; R. c. Swain, ibid. ;
RJR-MacDonald Inc. c. Canada (PG.), [1995] 3 R.C.S. 199 aux pp. 240-67, Ie juge La Forest, pour
un majorit de 5 juges et aux pp. 356-64, lejuge Major dissident, 127 D.L.R. (4′) 1.

11 existe plusieurs arr~ts oii une loi provinciale, de par son caract~re v&itable, a 6t6jug6e comme
empi6tant sur la competence 16gislative du Parlement en mati~re criminelle (voir notamment
Switzman c. Elbing, [1957] R.C.S. 285, 7 D.L.R. (2′) 337 [ci-apr~s Switzman avec renvois aux
R.C.S.] ; Westendorp c. R., [1983] 1 R.C.S. 43 aux pp. 53-54, 46 N.R. 30 [ci-apr~s Westendorp avec
renvois aux R.C.S.] ; Cabaret Sex Appeal Inc. c. Montral (Ville de), [1992] R.J.Q. 2189 aux pp.
2196-214 (C.S.), conf. pour un autre motif par [1994] R.J.Q. 2133 (C.A.)).

Pour ce qui concerne rinterdiction de travailler le dimanche, voir Ontario (PG.) c. Hamilton
Street Railway Co., [1903] A.C. 524 ; Henry Birks & Sons Ltd c. Montreal (City of), [1955] R.C.S.
799 aux pp. 807-09, 818-23, 5 D.L.R. 321 ; sur la libert6 de recruter des fidles et le droit criminel,
voirSaumurc. Quebec (City of), [1953] 2 R.C.S. 299,4 D.L.R. 641.

269 lVarrat Johnson c. Alberta (PG.), [1954] R.C.S. 127, 2 D.L.R. 625, d6clare inop~rante une loi
provinciale permettant au gouvernement de la province d’obtenir une ordonnance de confiscation de
machines t sous, en raison du fait que le Code criminel permet au gouvemement f6dral d’obtenir
une telle ordonnance. 11 est 6vident qu’un seul gouvemement peut confisquer
‘appareil, d’oia
l’inconstitutionnalit de la loi provinciale. Par ailleurs, les juges Locke (voir ibid. A la p. 162) et
Cartwright (voir ibid. A lap. 167) notent que si la d6f’mition des termes ((machines A sous contenue
dans la loi provinciale 6tait plus large que celle du Code criminel, L.R.C. 1927, c. 36, art. 986(4),
mod. par L.C. 1938, c. 44, art. 46, elle serait inconstitutionnelle.
271 11 en va ainsi de l’interdiction faite At un syndicat de contribuer au financement d’un parti politi-
que f6d6ral. La l6gislature provinciale peut, en vertu de son pouvoir de lgif6rer sur Ia propri~t6 et les

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CON(U

273

droit criminel mais qui n’est pas entr e en vigueur27’. Le fait que le Code criminel
contienne des dispositions sur le meme sujet ou sur une question connexe n’est pas
d6terminant. En effet, une autre r~gle pent porter sur cette question et se rattacher h un
chef de competence provinciale. C’est la th6orie du double aspect 72. Des dispositions
f6d~rales et provinciales peuvent donc porter sur une m~me question et se rattacher
chacune un chef de comp6tence diff&ent. Elles peuvent alors coexister si elles ne se
contredisent pas273. Dans 1’hypoth se oa l’objectif poursuivi par le 16gislateur f6d6ral

droits civils (voir Loi constitutionnelle de 1867, supra note 259, art. 92(13)), mettre en place un sys-
tame de pr06vement obligatoire. Par voie de consequence, elle peut 6galement restreindre
rutilisation qui sera faite des fonds recueilis de cette manire (voir Oi4 Chemical and Atomic Wor-
kers International Union c. Imperial Oil Ltd., [1963] R.C.S. 584 aux pp. 591-94 et 596-97,41 D.L.R.
(2′) 1 ; voir cependant la tr~s forte dissidence des juges Cartwright (voir ibid. A Ia p. 598), Abbott
la p. 606), qui insistent sur 1’abrogation d’une r~gle f&l-
(voir ibid. lap. 599) et Judson (voir ibid.
rale portant sur la mame question).

27 Voir Schneider c. R., [1982] 2 R.C.S. 112, 139 D.L.R. (3′) 417 [ci-apr~s Schneider avec renvois
se faire
aux R.C.S.]. I1 s’agissait dans cette affaire d’une loi provinciale obligeant les h~rdfnomanes
traiter ; elle fut jug~e valide car elle relevait du pouvoir des provinces de 16gif&er sur la sant6, m~me
si elle pr6voyait qu’un juge pouvait ordonner :, un patient de demeurer en institution pendant au plus
trois ans. La disposition de loi f~ddrale portant sur cette question 6tait conditionnelle t la conclusion
d’un accord avec la province oil elle devait s’appliquer et n’6tait pas entree en vigueur. I1 n’y avait
donc aucun conflit entre les deux lois.

27 La th6orie du double aspect doit ses lettres de noblesse aux arrats portant sur la suspension d’un
permis de conduire. Celle-ci est impos6e au conducteur reconnu coupable d’avoir conduit son vdhi-
cule en dtat d’6bri~t6, ce que prohibe le Code criminel. Les lois provinciales peuvent pr6voir une p-
riode de suspension plus longue ou l’assortir de conditions plus rigoureuses. On notera qu’il s’agit de
rfgles concemant l’octroi et la r6vocation d’un permis (voir, entre autres, Ross c. Ontario (Registraire
des vdhicules automobiles), [1975] 1 R.C.S. 5,42 D.L.R. (3′) 68).

Par ailleurs, une loi provinciale obligeant les entreprises bL fermer leurs portes le dimanche afin
d’imposer une joume commune de repos est parfaitement valide. En effet, si elle n’a pas pour objet
la profanation du dimanche en tant que jour religieux, elle ne porte pas une question de moralit pu-
blique (voir R. c. Edwards Books andArt Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713 aux pp. 737-44,35 D.L.R. (4) 1).
27 3 Voir Multiple Access Ltd c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161, 138 D.L.R. (3′) 1 ; voir 6galement
E Joyal, cLe principe de la primaut6 de la lgislation f~drale en droit constitutionnel canadien
(1993) 27 R.J.T. 109 ; Canada (PG.) c. Dupond, [1978] 2 R.C.S. 770, 84 D.L.R. (3) 420 [ci-apr~s
Dupond] (d’apr s les juges majoritaires, le rfglement municipal, interdisant toute manifestation,
complete le Code criminel sans entrer en conflit avec ses dispositions (voir ibid. aux pp. 792-94, le
juge Beetz) ; le juge en chef Laskin et les juges Spence et Dickson sont dissidents (voir ibid. aux pp.
778-80)).

Une loi provinciale autorisant une r~gie A retirer le permis des propritaires de salles du cinema
qui projettent des films jug~s obscnes a pour objet veritable la r~glementation d’une entreprise pro-
vinciale (voir Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1976] 2 R.C.S. 665 aux pp. 691-92 (le juge
Ritchie), lejuge en chef Laskin et les juges Judson, Spence et Dickson 6tant dissidents (voir ibid. aux
pp. 680-84), 55 D.L.R. (3′) 632 [renvois aux R.C.S.] ; par contre, le rfglement qui paraphrase une
disposition du Code criminel et interdit sous peine d’amende la projection de films obsc;nes est jug6
invalide, car il ne vise pas la rglementation d’une entreprise (voir le juge Ritchie, ibid. aux pp. 698-
99 ; la Cour est unanime sur ce point)). Voir aussi Rio Hotel Ltd c. Nouveau-Brunswick (Commission
des licences etpermis d’alcool), [1987] 2 R.C.S. 59,44 D.L.R. (4′) 663 [ci-apr~s Rio Hotel avec ren-
vois aux R.C.S.]. U encore, le Code criminel contient des dispositions sur le sujet r6glement6, soit les
spectacles de nudit6. La loi provinciale est toutefois valide car elle vise les > si l’enfant se trouve dans le d6-
nuement ou dans le besoin>> ou si sa vie est en danger 6. I1 se trouve que certaines lois
provinciales imposent une peine aux parents qui negligent, maltraitent ou abandon-
nent leurs enfants. Cette infraction a une port~e plus large que celle du Code criminel.
Elle fait partie d’une loi qui porte sur l’ducation des enfants ; sa validit6 constitu-
tionnelle est admise pour cette raison 2

De fagon g6nrale, une loi provinciale peut 8tre inspir~e par des pr6occupations
morales si elle a principalement pour objet une question de comp6tence provinciale.
La determination de cet objet, du <, est une operation
6minemment subjective. C’est ainsi qu’un r~glement municipal interdisant temporai-
rement toute manifestation a 6t6 qualifi6 de mesure portant sur la rglementation des
voies publiques2 . En revanche, un r~glement interdisant aux prostitu~s d’offrir leurs
services sur la place publique a 6t6 jug6 inop6rant, parce qu’il visait la prostitution en
tant que fl6au social2 79. En ce domaine, tout est question d’appr~ciation.

sation pour augmenter les ventes d’alcool> (voir ibid. aux pp. 64-65, le juge en chef Dickson, avec
l’accord des juges McIntyre, Wilson et Le Dain ; ibid. A lap. 80, le juge Estey, avec l’accord du juge
Lamer; ibid. aux pp. 66-67, lejuge Beetz souscrit h l’opinion de ses deux collfgues.)

I1 faut noter que dans les deux derniers cas, ]a sanction la plus fr&iuemment impos~e, et ]a plus
efficace, consiste A retirer le permis d6livr6 par l’organisme provincial charg6 de r6glementer ces sec-
teurs d’activit6. Cela permet de conclure qu’il ne s’agit pas d’une r~gle de droit criminel (voir Rio
Hotel, ibid aux pp. 65-66, le juge en chef Dickson, avec l’accord des juges McIntyre, Wilson et Le
Dain ; ibid aux pp. 70 et 79, le juge Estey, avec I’accord du juge Lamer.)

274 Voir Banque de Montrial c. Hall, [1990] 1 R.C.S. 121, 65 D.L.R. (4′) 361 ; Husky Oil Opera-

tionsLtdc. M.R.N., [1995] 3 R.C.S. 453 aux pp. 503-07, 128 D.L.R. (4′) 1.

275 Voir Reference Re Authority to Perform Functions Vested by the Adoption Act, the Children’s
Protection Act, the Children of Unmarried Parents Act, the Deserted Wives and Children’s Mainte-
nance Act, R.S.O. 1937, c. 218, 312, 217 and 211, [1938] R.C.S. 398 aux pp. 402-03 et 421, 3 D.L.R.
497.276 Supra note 1, art. 215(1) et (2)(a) (i) et (ii).
27 Voir R. C. Dowdell, [1933] 4 D.L.R. 794, 46 B.C.R. 267 (C.S. C.-B.) ; Re Gutsch, [1959] O.R.

539, 19 D.L.R. (2) 572 (H.C. Ont.) ; R. c. Chief (1963), 42 D.L.R. (2′) 712, 46 W.W.R. 57 (B.R.
Man.), conf. par (1964), 44 D.L.R. (2′) 108 (C.A.).

27 Voir Dupond, supra note 273.
2 9 Voir Westendorp, supra note 268 aux pp. 53-54. Toutefois, dans Montral (Ville de) c. Goldwar,

[1983] C.A. 342, la Cour d’appel du Qu6bec s’6tait appuy~e sur l’arr& Dupond, ibid., pour declarer
valide un rbglement semblable A celui que la Cour supreme a d6clar6 inoprant dans l’affaire Westen-
dorp, 16 D.L.R. (4) 667. La Cour supreme a toutefois infirm6 cette decision (voir Goldwax c. Mont-
rMal (Vile de), [1984] 2 R.C.S. 525).

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENTETLES DROITS DE L’ENFANT CONQU

275

Le partage des pouvoirs lgislatifs joue 6galement un r6le d~terminant lorsque les
tribunaux sont appel6s appliquer une disposition provinciale ambigud. Celle-ci peut
parfois 8tre susceptible de deux interpr6tations, la premire se confinant un domaine
de competence provinciale, la seconde d6bordant ce cadre et empi6tant sur un do-
maine de competence f6drale. Dans ces conditions, il faut 6videmment choisir la
.280
premi~re interpretation

premi~” .

.

Cette probl6matique peut 8tre transpos6e

l’affaire Daigle : quoique valide en
vertu de la comp6tence 16gislative provinciale, la rggle de droit provinciale 6nonc6e i
l’art. 2 de la Charte des droits et des libertis de la personne”‘ ne peut etre interpr~t~e
de fagon h interdire A une femme enceinte de se faire avorter si cette interdiction re-
1ve de la comp6tence exclusive du Parlement sur le droit criminel. C’est cette der-
nitre question qu’il nous faut maintenant tenter de r6pondre.

b. L’avortement et les soins de sant6

Le pouvoir du Parlement de l6gif&er en droit criminel s’6tend h l’interdiction de
l’avortement ainsi qu’aux conditions de sa 16galit6282. Une l6gislature provinciale
peut-elle n6anmoins 6dicter des r~gles portant sur cette question ? La comp6tence en
mati~re de sant6 vient naturellement h l’esprite3. A titre d’exemple, une loi provin-

‘ Pour donner un exemple, un rfglement de zonage municipal peut avoir pour effet d’interdire
toute forme d’affichage dans les quartiers rsidentiels. I1 peut 6galement 8tre interpr&t6 comme ne vi-
sant pas l’installation d’affiches partisanes lors d’une campagne 61ectorale f16drale. Une majorit6 des
juges de la Cour supreme a retenu cette deuxi~me interpr6tation (voir McKay c. R., [1965] R.C.S. 798
aux pp. 805-07,53 D.L.R. (2′) 532). Voir 6galement Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60 aux pp.
101-09, 2 D.L.R. (4′) 193; Scowby c. Glendinning, [1986] 2 R.C.S. 226, 32 D.L.R. (4’) 161 [renvois
aux R.C.S.] (une disposition provinciale protege les citoyens contre l’arrestation et la d6tention arbi-
traire sous peine d’amende ou de dommages punitifs ; elle ne peut s’appliquer i une arrestation effec-
tu6e aux termes du Code criminel, bien qu’elle puisse rgir les arrestations pour des infractions aux
lois provinciales (ibid. aux pp. 239-41)).

Supra note 150.

2 Voir Morgentaler c. R. (1976), supra note 176 aux pp. 626-28 (le juge en chef Laskin, dissident,
avec l’accord des juges Judson et Spence) ; R. c. Morgentaler (1988), supra note 2 aux pp. 128-29 (le
juge Beetz, avec l’accord du juge Estey) et p. 156 (le juge McIntyre, dissident, avec l’accord du juge
La Forest). Par ailleurs, dans R. c. Morgentaler (1988), lejuge en chef Dickson et le juge Lamer (voir
ibid. k lap. 80) ainsi que Ia juge Wilson (voir ibid A la p. 184), en r6pondant A la troisi~me question
constitutionnelle, reconnaissent que le Parlement avait le pouvoir d’&licter la disposition interdisant
l’avortement sauf si un comit( de m6decins d~terminait qu’il 6tait th6rapeutique. Il y a donc unanimi-
t6 sur cette question. Deux auteures aftirment, sans en faire la d6monstration, que
‘avortement est
une question d’int&t national : M. McConnel et L. Clark, <> (1991-92) 14 Dalhousie L.J. 81.

‘2 Voir Loi constitutionnelle de 1867, supra note 259, art. 92(7) ; voir aussi R. c. Morgentaler
(1988), supra note 2 it lap. 124 (juge Beetz) ; R. c. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463 i lap. 491 [ci-
apr~s Morgentaler (1993)]:

Par consequent, si la pr6occupation centrale des textes 16gislatifs en l’esp ce 6tait le
traitement m~lical des grossesses non d~sir0es et la s6curit6 des femmes enceintes, et
non ]a limitation des services d’avortement destin~e prot~ger l’int6rt public on A in-
terdire un mal public, on pourrait soutenir que les textes constituent une loi valide sur

276

MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

ciale peut exiger que cette intervention soit pratiqu6e par un m6decin. Une r6glemen-
tation ayant pour but de prot~ger la sant6 des femmes en fixant les conditions
d’ex~cution de cet acte serait 6galement valide, A condition qu’elle n’ait pas pour ob-
jectif ou pour effet de le rendre moins accessible. A priori, la d6cision de d6frayer ou
non les frais de rintervention par le regime d’assurance-maladie semble 6galement
entrer parfaitement dans le cadre de la r6glementation des soins de sant6. Ces ques-
tions n’ont d’ailleurs jamais 6t6 r6gies par le droit criminel.

Un arn& de la Cour supreme appuie cette interpretation”. I1 declare invalide une
loi de la Nouvelle-tcosse interdisant les avortements pratiqu~s dans une clinique pri-
v6e. A 1’6chelle provinciale, quatre-vingt-trois pour cent des avortements avaient lieu
dans un seul h6pital ; le personnel affect6 A cette section n’6tait pas remplac6 et avait
diminu6 considrablement en quelques annes 85. Apr~s avoir pris connaissance des
d~bats parlementaires, la Cour conclut que le 16gislateur entendait prohiber les avor-
tements pratiqu6s en clinique priv~e parce qu’il s’agissait lA d’une conduite spciale-
ment r6pr6hensiblem. Elle insiste sur le fait que la loi a pour objectif primordial
d’interdire un acte qui a toujours 6t6 r6gi par le droit criminel ; elle la d6clare donc in-
constitutionnelle 7.

Au Nouveau-Brunswick, une loi portant sur l’avortement a 6galement 6t6 d~cla-
re inconstitutionnelle. Elle est adopt6e en 1985, alors que le docteur Morgentaler
manifeste son intention d’ouvrir une elinique d’avortement. Aux termes de cette mo-
dification de la Loi mjdicale2″, constitue une faute professionnelle le fait de procurer
ou de tenter de procurer un avortement h l’ext~rieur d’un h6pital reconnu A cette fin
par le ministre de la sant6. En outre, le Conseil de la corporation des m~decins est
autorisds
suspendre sans audition le pennis d’un m6decin contre lequel une plainte a
6t6 d6pose ou 289. Cette suspension ne peut demeurer en
vigueur plus de trente jours. Pendant cette p6riode, une commission enqu~te et fait
rapport au Conseil, qui decide si une faute professionnelle a 6t6 commise 90. Le minis-
tre de la sant6 peut porter plainte aupr~s du Conseil et demander que le permis d’un
m6decin ayant prtendument commis une faute professionnelle ou s’appr~tant A en
commettre une soit suspendu provisoiremente 9 . Si le Conseil refuse d’accueillir cette
demande, le ministre peut s’adresser A la Cour du Banc de la Reine, qui est habilit6e a

la sant, &licte conformment A Ia comp6tence g6n6rale de la province en mafi&e de
sant6.

2 Voir Morgentaler (1993), ibid.

Voir ibi aux pp. 509-10.
Voir ibi aux pp. 504-05. La province soutenait que

‘interdiction de poser des actes m6dicaux
en clinique privde se justiflait par des raisons d’efficacit6 ; mais la preuve tendait a prouver le con-
iraire (voir ibi. aux pp. 505-12).

Voir ibid aux pp. 493-99.

‘ L.N.-B. 1981, c. 87, art. 56(b.1), 56.1 a 56.4.
IML, art. 56.1.
Voir ibid, art. 56.3.
29’ Voir ibid, art. 56.2

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CONQU

277

rendre une telle ordonnance 22. En somme, le fait de pratiquer des avortements A
‘ext&ieur d’un h6pital approuv6 conduit tr~s rapidement h la revocation du droit de
pratiquer la m~decine dans la province. Aucune autre sanction n’est pr~vue.

En 1994, le docteur Morgentaler conteste la constitutionnalit6 de cette 1oi 293. Le
juge Stevenson lui donne raison. Au moment ott la loi est adopt~e, il est en th~orie
inutile de pr~ciser que le fait de pratiquer un avortement t 1’ext~rieur d’un h6pital ac-
cr6dit6 ou approuv6 constitue une faute professionnelle, puisqu’il s’agit d6jA d’un
crime. En pratique, plusieurs jurys ont cependant refus6 de condamner le docteur
Morgentaler. La modification de 1985 vise donc 5, mettre en place une proc6dure et
des sanctions qui se substituent aux rfgles de droit crimine f94. En outre, elle ne vise
pas la qualit6 des soins de sant6 dans la province ou les normes professionnelles ; son
objectif est plut6t d’interdire une pratique jug~e socialement ind6sirable. Elle n’est
donc pas fondle sur la competence 16gislative sur les h6pitaux, les soins de sant6 et la
pratique de la m&iecine’95. La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick, dans un arr&
majoritaire, approuve les propos du juge de premiere instance296 ; la Cour supreme du
Canada refuse l’autorisation de se pourvoir297. Ces jugements font pr6dominer
l’intention du 16gislateur sur les effets de la loi. Ils semblent assez inusitds car ils d6-
clarent invalide une loi provinciale pr6voyant uniquement la rvocation d’un permis,
au motif qu’elle empi~te sur la competence f6d&ale en mati~re de droit criminel”.
C’est dire h quel point la marge de manoeuvre des provinces est mince lorsqu’il s’agit
d’avortement,.

(4). La violation de l’ordonnance de la Cour du Banc de la Reine consti-

292 Voir ibi., art. 56.2(2)
tue un outrage au tribunal (voir ibid., art. 56.2 (5)).
29 Voir Morgentaler c. Nouveau-Brunswick (PG.) (1994), 152 N.B.R. (2′) 200 (B.R.) [ci-apris
Morgentaler (1994)]. La disposition du Code criminel interdisant l’avortement a dt6 d6clar6e inop-
rante en 1988 (voir R. c. Morgentaler (1988), supra note 2).

2″ Voir Morgentaler (1994), ibid

lap. 229. Ce critire a aussi 6t retenu par le juge Sopinka dans

Morgentaler (1993), supra note 283 aux pp. 498-99.

29 Voir Morgentaler (1994), ibid.
296Voir Morgentaler c. Nouveau-Brunswick (PG.) (1995), 156 N.B.R. (2’) 205.
‘9t[1995J 3 R.C.S. v, 124 D.L.R. (4’) vi.
“‘ La chose n’est toutefois pas sans prdcdent. Voir Switzman, supra note 268 ; les juges majoritai-
res sont tous d’avis que l’interdiction de faire de Ia propagande communiste relive de la comp6tence
f&Irmle en droit criminel. M~me si aucune amende n’6tait impos6e aux personnes utilisant une mai-
son dans ce but, la loi dans son ensemble a d6 jug~e inconstitutionnelle. Par ailleurs, un obiter du
juge Estey est int~ressant. A son avis, un organisme provincial ne peut rendre une d6cision qui d6-
clare effectivement le titulaire d’un permis coupable d’un acte criminel (voir Rio Hotel, supra note
273 A lap. 71).

A l’Ile-du-Prince-,douard, les avortements pratiqu~s dans des cliniques sont exclus par rfgle-
ment des services couverts par le r6gime d’assurance-maladie. Un juge de premiere instance a laiss6
entendre que cette mesure est inconstitutionnelle (voir Morgentaler c. Prince Edward Island (Minister
of Health & Social Services) (1994), 122 D.L.R. (4’) 728 aux pp. 750-52 (C.S. L-R-t)). Cette d6ci-
sion a d6 infirme (supra note 168).

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 42

c. La propri6t6 et les droits civils

Qu’en est-il maintenant de la competence provinciale en mati~re de propri6t6 et
de droit civil3 ? I1 faut d’abord noter que la d6cision de consentir un avortement ne
rel ve pas de la competence provinciale sur les relations entre 6poux. Telle est la
conclusion de la Cour d’appel de la Saskatchewan, dans sa r6ponse un renvoi por-
tant sur la validit6 d’un projet de loi provincial0 . Entre autres choses, celui-ci exigeait
qu’une 6pouse majeure obtienne le consentement 6crit de son mari et qu’elle attende
au moins quarante-huit heures avant de se faire avorter. A cette 6poque, la disposition
du Code criminel concernant l’avortement pr6servait express6ment toute r~gle portant
sur <4a n~cessit6 d'obtenir une autorisation ou un consentement qui est ou peut 8tre 302 , ce qui semble laisser le champ libre aux provinces. Dans son ensemble, le requis>>
projet avait cependant pour effet de rendre les r~gles concemant l’avortement plus s6-
v~res et plus restrictives. La Cour conclut donc

son inconstitutionnalit6.

En ce qui conceme l’enfant conqu, sa protection rel~ve t certains 6gards de la
comp6tence provinciale. Les provinces peuvent 6dicter des r~gles sur sa filiation ou
sur l’administration des biens devant lui appartenir apr~s sa naissance. Elles pour-
raient vraisemblablement obliger la femme enceinte A recevoir certains traitements
pendant la grossesse, a condition de se conformer t la Charte canadienne des droits et
liberts 3 . Nous avons vu que, par le pass6, les r~gles du droit civil qu6b~cois n’ont
jamais port6 sur ‘avortement. I1 demeure n~anmoins concevable qu’A l’heure ac-
tuelle, l’interdiction de cet acte soit rattach~e A la propri6t6 et aux droits civils, tout
comme les autres r~gles portant sur l’enfant conqu.

Dans le contexte de l’affaire Daigle, ce raisonnement conduit A des r6sultats in-
acceptables. En effet, si la these soutenue par les procureurs de Jean-Guy Tremblay
avait
t6 retenue, certaines dispositions de droit provincial auraient produit le meme
effet que la disposition du Code criminel qui, ant~rieurement A 1968, prohibait
l’avortement de fagon absolue. La finalit6 poursuivie ici, a savoir la fixation du mo-
ment oa doit d6buter la protection de la vie humaine, relve des pr6occupations tradi-
tionnelles du droit criminel, soit la d6finition des valeurs fondamentales de la vie en
soci~t6. En outre, le recours A l’injonction permet d’assortir la violation de cette r~gle
d’une sanction p6nale, par le biais de l’outrage au tribunal. En lui-meme, aucun de ces

Jean Rhaume affime que l’avortement touche A Ia paternit6 et A la matemit6 et rel~ve pour cette
raison du droit civil : < (1990) 21
R.G.D. 151 A la p. 167 [ci-apr~s oDaigle : un oubli>] ; voir 6galement Rh6aume, Droits et libertds,
supra note 167
la p. 132 et s. Par ailleurs, et malgr6 ce qu’en dit cet auteur, l’emploi du mot
4foetus>> ne permet pas de conclure que dans l’affaire Daigle, la Cour <
(<, ibid. lap. 166). D’ailleurs, le terme
cfoetus> n’apparait pas au Code criminel.

“oReference Re Bill 53, Freedom of Informed Choice (Abortions) Act, 4th Sess., 20th Leg., Saskat-

chewan, 1985 (1985), 44 Sask. R. 104,25 D.L.R. (4′) 751.

‘2 Code criminel de 1970, supra note 1, art. 251(7) ; Code criminel, supra note 1, art. 287(7).
0 Supra note 9. Une province peut d~tenir un toxicomane contre son gr6 afin de l’obliger A se faire

traiter (voir Schneider, supra note 271).

1997]

M. MORIN – L’AVORTEMENT ET LES DROITS DE L’ENFANT CONqU

279

facteurs n’est d~tenninant ; leur combinaison nous amine cependant t conclure que
nous nous situons ici au coeur du domaine du droit criminel3 4.

L’interdiction de l’avortement s’apparente aux tentatives de combattre la pr6sence
de prostitu6es sur les voies publiques ou, dans les ann6es cinquante, la propagande
communiste. Ces questions controversies sont embl6matiques du droit criminel et ne
peuvent, pour cette raison, faire 1’objet de r~gles prohibitives provinciales.
Uimposition d’une p6nalit6 aux conjoints infid~les fournit un autre exemple : les
provinces ne peuvent 6dicter, directement ou indirectement, des mesures r6pressives
portant sur cette question, meme si elles peuvent r6gir les obligations des 6poux pen-
05
dant le madage ainsi que les aspects patrimoniaux de leur union’ .

.

En admettant que la r6pression de ‘avortement rel~ve bien de la competence sur
le droit p6nal, il faut conclure que la Cour supr~me du Canada n’a eu d’autre choix
que de casser le jugement d61ivrant l’injonction contre Chantal Daigle. En effet, elle a
dfi s’interroger sur la port6e des r~gles de droit civil recormaissant l’existence de
l’enfant conqu et assurant la pr6servation de ses droits jusqu’ sa naissance. Interpr6-
t6es comme ne s’appliquant pas A l’interdiction de l’avortement, ces r~gles ne pretent
le flanc A aucune critique et rel~vent de la propridt6 et des droits civils. De meme, le
droit A la vie de l’etre humain, garanti par la Charte des droits et libertis de la per-
sonne” du Qu6bec, peut etre limit6 A la protection des personnes physiques apr~s leur
naissance. Par contre, interpr6t6es comme ayant pour cons&juence d’interdire toute
forme d’avortement, ces r~gles sortent du domaine de comp6tence provinciale. En
somme, le partage des pouvoirs 16gislatifs dicte A notre avis la solution retenue par la
Cour, bien que les juges n’abordent pas la question sous cet angle 3
0

7.

Conclusion

L’6tude des textes du droit romain montre que pendant plusieurs si~cles, les fem-
mes sont libres de se faire avorter. En cas de divorce, le mad a la possibilit6
d’effectuer des retenues sur la dot si l’6chec du manage est dfi h cette d6cision. Pour
le reste, l’avortement ne fait l’objet d’aucune restriction jusqu’au He sicle ap. J.-C.,
alors que les empereurs interdisent aux femmes divorcees de priver leur ex-mari d’un
enfant. La reconnaissance des droits de 1’enfant conqu, qui est bien ant6rieure A cette
r~gle, n’a donc pas eu pour corollaire la prohibition de l’avortement. En France, c’est
encore le droit criminel qui a r6prim6 cette pratique. Le droit civil ne s’est pas pro-
nonc6 sur la question. Qui plus est, le curateur au ventre, dont le r6le premier 6tait de

Dans un arrat, trois 616ments ne permettaient pas h eux seuls de declarer le mandat d’une com-
mission d’enqute provinciale inconstitutionnel ; la combinaison de ces trois facteurs a cependant
permis A la Cour de parvenir t cette conclusion (voir Starr c. Houlden, [1990] 1 R.C.S. 1366 aux pp.
1405, 1408-12), 68 D.L.R. (4) 641.

Voir R. c. Strong (1915), 26 D.L.R. 122 A la p. 126, 43 N.B.R. 190 (C.A. N.-B.) ; R. c. Hayduk,
[1938] 4 D.L.R. 762 (C.A. Ont.). tvidemment, l’octroi de dommages-int~r&s au mad a pu par le pas-
s6 etre rattach6 A la propridt6 et au droit civil ; mais il ne s’agit pas IA d’une sanction de nature p~nale.

-Supra note 150, art. 1.
“‘Voir Daigle (C.S.C.), supra note 4 lap. 550.

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MCGILL LAW JOURNAL/REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 42

pr6venir l’apparition d’un faux h6ritier, a toujours vu ses pouvoirs restreints par le
droit de la femme A l’autonomie de sa personne et de son corps.

Au Quebec, le Code civil du Bas-Canada a repris les textes du Code Napoldon.
La personnalit6 juridique demeure conditionnelle A la naissance et A la viabilit6 de
l’enfant. Pendant la grossesse, les droits de l’enfant conqu sont pr6serv6s, sans que les
r~gles pertinentes aient pour effet d’interdire l’avortement. En l’absence d’une dis-
position p6nale l’interdisant, l’interruption volontaire de grossesse a les m8mes con-
sequences qu’une fausse couche : elle met un terme A la formation d’une personne. Le
l6gislateur qu6b6cois reconnait d’ailleurs aux femmes le droit h la protection de leur
sant6 physique et psychologique. Or rares sont celles qui peuvent poursuivre une
grossesse non d6sir~e sans encourir un risque psychologique. II faudrait des termes
tr~s clairs pour restreindre le droit de decider librement de subir une intervention m6-
dicale, qu’on ne trouve nulle part dans les textes applicables.

La r6ticence des juges A ordonner A une personne, au moyen d’une injonction, de
poser un geste personnel, sous peine d’amende ou d’emprisonnement, favorise cette
interpretation. Elle permet de supposer que le lgislateur n’entendait pas obliger la
femme A accoucher contre son gr6. Dans ces conditions, les mots <>, tel
qu’utilis~s dans la Charte des droits et libertis de la personne’ et dans les Codes ci-
vils, ne peuvent 8tre interprdt6s comme prohibant l’avortement en tout temps apr~s la
conception. Rien ne permet de conclure que c’6tait Ia l’intention du lgislateur. Qui
plus est, une disposition l6gislative provinciale interdisant express6ment l’avortement,
sous peine de sanctions p6nales, serait imm6diatement d6clar6e inconstitutionnelle. Ii
faut donc 6carter l’interpr~tation d’une disposition de droit provincial qui est suscep-
tible de produire le m~me r~sultat.

L’idde qu’il existe une tradition civiliste qu6b6coise admettant une seule r~ponse t
une question aussi d6licate et controvers6e nous semble des plus discutables. Elle tire
des conclusions de textes ambigus, sans 6gard aux cons6quences sociales d’une telle
interpretation. Par surcroit, cette analyse fait abstraction du contexte juridique dans
lequel se ddroule la discussion, pour ne rien dire des r~gles du droit constitutionnel. I1
ne serait jamais venu A l’idde des juristes romains ou des auteurs frangais de ne pas
tenir compte des r~gles du droit p6nal portant sur l’avortement. Ni la tradition, ni la
socid6t qudb6coise ne peuvent s’accommoder de cette vision partielle des choses.

“s Supra note 150.