Article Volume 44:2

Les figures contemporaines du contrat et le Code civil du Quebec

Table of Contents

Les figures contemporaines du contrat

et le Code civil du Quebec

Louise Rolland*

Le contrat se trouve au confluent des systhmes social,
6conomique et juridique. Sous la pousse des ideologies
individualiste et lib~rale, les juristes ont dress6 une theorie
gen~rale des contrats axle sur la libert6 individuelle, la
transaction &onomique et la fragmentation des rapports
juridiques.

Cette ,”thorie classique, heurte a la fois la mentalit6

sociale, les pratiques contractuelles et les strategies &6ono-
miques contemporaines. Les 6tudes empiriques, as saveur
sociologique ou dconomique, d~montrent en effet un d6-
placement de la libert vers la moralit6, de la transaction
vers ]a relation, de la fragmentation vers l’intgration des
rapports, de la cl6ture vers l’ouverture syst6mique.

Contract theory developed at the confluence of so-
cial, economic, and legal theory. Encouraged by individu-
alist and liberal ideologies, jurists have developed a general
theory of contract based on individual freedom, the prac-
tices of economic transactions, and the vulcanization of
contractual relations.

This “classical theory” is in conflict with the social
mentality, practical contract considerations, as well as
modem commercial strategies. Empirical sociological or
economic studies show how individual freedom is giving
way to moral considerations, business transactions to busi-
ness relations, and vulcanization to integration of relations.
The end result is an open as opposed to a closed system.

Les pratiques contractuelles contemporaines dessi-
nent de nouvelles figures : des contrats A long terme, ou-
verts et largement indtermins commandent souplesse et
flexibilit6 dans la poursuite assume d’un but dconomique
commun et dans le maintien des liens d’affaires ; des con-
trats interrelis, par succession ou par groupements, nouent
des alliances d’intrrts pariculiers ; des structures organi-
sationnelles partiellement hidrarchises difient tout a la fois
I’igalit6 et I’horizontalit6 principielles prbnes tant par le
droit que par les lois du march6. De nouvelles theories du
contrat ont vu le jour et rendent mieux compte de la
rialit6: parmi elles,
‘Le juste et l’utile>’ de Jacques Ghes-
tin, -Le contrat relationnel,, de Ian R. Macneil, (1986) 18: 1 Sociologie et soci6t6s 11 ; G. Rocher, Pour une sociologie des
ordresjuridiques> (1988) 29 C. de D. 91. L’ordre contractuel est le produit d’un processus de dcision
priv6 alors que le droit 6tatique des contrats est le produit d’un processus de d6cision public. Que le
demier reconnaisse ]a nature juridique du premier sans pour autant le contrbler de l’extdrieur nous
autorise qualifier l’ordre contractuel d’ordrejuridique priv6.

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L’usage des conventions est une suite naturelle de l’ordre de la soci6t6 civile, et
des liaisons que Dieu forme entre les hommes. Car comme il a rendu n6ces-
saire, pour tous leurs besoins, l’usage r6ciproque de leur industrie et de leur
travail, et les diff6rents commerces des choses, c’est principalement par les
conventions qu’ils s’en accommodente.

On imagine mal ]a vie en socidt6, essentiellement fondde sur l’organisation relation-
nelle, sans un code collectif d’allocation priv6e des
ressources, sans donc
l’encadrement juridique des conventions spontan6es de ses membres. En soi pourtant,
les conventions pourraient atre juridiquement libres, s’incarner dans ]a seule sphere
l’abri du regard politique. Compte tenu des d6sordres que les conventions
privde
peuvent engendrer, celui qui naitrait de I’utilisation de la force individuelle pour leur
ex6cution comme celui qui r6sulterait du d6s6quilibre 6conomique potentiel dans la
communaut6, l’on confie au droit leur force ex6cutoire par ]a contrainte publique,
apr~s lui avoir accord6 l’autorit6 d’encadrer I’exercice de la libert6 individuelle dans
les fronti~res de l’ordre public. Cet ordonnancement refite les valeurs culturelles qui
fixent ses fondements. L’ordre contractuel est dans ce sens un ordre public et, dans ]a
configuration socio-politique occidentale, un ordre 6tatique.

Les contrats ne sont done pas des bulles sociales 6tanches. Leur utilit6 sociale les
jette en quelque sorte sur la place publique sous le projecteur du droit 6tatique dont ils
tirent en contrepartie leur force obligatoire, leur s6curit6 ultime. L’interp6n6tration des
deux ordres s’accomplit sous forme dialogique, ce qui plonge le syst~me juridique au
cceur du pluralisme. Le droit positif impose ses r~gles imp6ratives et fagonne ainsi les
contrats, que ce soit par adh6sion aux finalit6s recherch6es ou par simple pr6vention
stabilisatrice. Au-delM, l’ordre priv6 pr6vaut it travers la commune intention des par-
ties, l’interpr6tation qu’elles ont d6j donn6e du contrat, les usages du milieu’. Le
contrat fagonne alors le droit par l’effet surd6terminant des r~gles du march6 6cono-
mique, des structures organisationnelles innovatrices, des mutations technologiques
ou plus globalement des valeurs qui y sont culturellement d6fendues. Le droit s’ajuste
p6riodiquement aux syst~mes social et 6conomique qui impulsent les configurations
des contrats. Ce sont 1M des moments d’interp6n6tration de l’ordre juridique priv6 et
de l’ordrejuridique 6tatique.

L’ordre contractuel se caract6rise 6galement par l’horizontalit6 des rapports juri-
et positi-
diques qu’il crde alors que les grands paradigmes du droit -jusnaturalisme
visme –
proposent au contraire une structure verticale de 16galit6 incarn6e 16gitime-
ment par des pouvoirs hi6rarchiquement organis6s. Le droit naturel moderne fondait
ia 16gitimit6 du souverain dans un ordre sup6rieur extramondain –
qui par
d6l6gation l’investissait de ses pr6rogatives. Les relations juridiques, construites sur ]a
soumission, se modelaient sur le scheme sup6rieur/inf6rieur, maitre/sujet, domi-
nant/domin6. Parall~lement, en jeu de miroir, la 16galit6 des normes s’appr6ciait en
verticalit6 allant des lois universelles aux lois naturelles aux lois humaines. Le positi-

divin –

J. Rmy, dir., Oauvres compltes de I. Domnat, t. 1, Paris, Alex-Gobelet Librairie, 1835 .la p. 121.
6Voir art. 1425-1426 C.c.Q.

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visme a s6cularis6 l’organisation juridique mais sans en modifier v6ritablement la
structure. La d6mocratie compose l’organisation des pouvoirs par mouvement circu-
laire. Ainsi, le grand nombre abdique sa libert6 au profit de repr6sentants et
d’institutions qui, 16gitimement investis, imposent les normes auxquelles chacun est
ensuite soumis. Mme autrement fond6s, la hi6rarchie est reconstitu6e et le principe
de 16galit6 demeure verticalement dress6 allant de la norme fondamentale vers les
normes g6n6rales puis vers les normes singulires, dont les normes contractuelles. En
ce sens, l’ordre juridique public –
int6gre verticalement
l’ordre priv6.

le droit des contrats –

A l’int6rieur de l’ordre priv6 cependant, des rapports fondfs sur des obligations
volontairement consenties ne peuvent en principe s’accommoder d’un scheme de
soumission : aucun des contractants n’est 16gitimement investi du pouvoir d’imposer
unilat6ralement sa volont6. Le libre choix de chacun est un pr6suppos6 essentiel de
l’ordre contractuel. Sans 8tre absolu, que son exercice soit r6el, imagin6 ou postul6, il
est n6cessaire ‘a sa conceptualisation. Toute tentative de verticalit6 constitue en soi
une distorsion ; ce que les forces socio-6conomiques ont tendance ii dresser sans autre
effort d’6quilibrage, le droit devrait le niveler en r6alit6, pour redonner au contrat son
horizontalit6 principielle.

Dans la foul6e de la r6forme du Code civil, le droit commun des contrats a 6t6 re-
vu par le 16gislateur, assist6 par l’Office de r6vision et politiquement influenc6 par les
groupes sociaux. L’on s’entend pour affirmer que cette r6forme propose une consoli-
dation du droit commun, mais 6galement une modemisation des r~gles et certaines
innovations. L’histoire de la r6forme a permis aux juristes qu6b6cois d’assister aux
jeux de force mettant en sc~ne des int6rts socio-6conomiques divergents et, bien au-
delik, h la confrontation de valeurs rendues conflictuelles entre la justice et la stabilit6
des contrats. Cette discussion, tant philosophique que juridique et 6conomique, bien
qu’exacerbfe par une r6forme 16gislative, n’est pas nouvelle’. Elle a aliment6 tous les
toumants historiques en la mati~re. Plus encore, elle n’a eu de cesse m~me en p6riode
d’accalmie, voire d’immobilisme 16gislatif. La doctrine et la jurisprudence se sont
alors passd le relais, en recherche d’dquilibre au fil de l’6volution et des soubresauts
des rapports sociaux et 6conomiques. La r6forme du droit commun des contrats laisse
des espoirs d6gus pour certains, des craintes nouvelles pour d’autres ; la naissance
toute politique du droit, comme le veut la d6mocratie et le positivisme pur, n’est que
le d6but de toute histoire juridique. II reste ‘a en d6terminer le sens par l’application
singuli~re, par l’interpr6tation g6n6rale, par la r6flexion syst6matique : tous les desti-
nataires du droit y sont convoqu6s, les citoyens comme
‘administration, les juristes
comme les tribunaux.

7 Voir I.R. Macneil, The Many Futures of Contracts> (1974) 47 Southern Cal. L. Rev. 691 aux pp.

701-02 [ci-apr~s > les dispositions du Code civil du Qudbec sur les
rapports contractuels, c’est-A-dire non seulement ce qu’il est convenu d’appeler les dispositions com-
munes A tous les contrats (art. 1377 et s. C.c.Q.), mais 6galement les dispositions sur les contrats
nomm6s (art. 1708 et s. C.c.Q.) qui s’inscrivent dans le m~me esprit en le complftant et qui, en cas de
ddrogations, le colorent d’une autre mentalit6, quoique partiellement et par nuances exceptionnelles.

Notre analyse ne prendra pas en compte, sauf exceptionnellement, les lois particuli~res applicables
en la mati’re, non par conviction id6ologique fondde sur la coexistence d’un droit g6n6ral et d’un
droit spdcial qui cohabitent dans l’antagonisme, mais par choix m6thodologique pr6f6rant garder pour
plus tard cette 6tude int6grative. Nous sommes conscients cependant que les lois particulires sont la
principale source de l’ordre public –
et constituent de ce fait
limitatif le plus efficace de la libert6 contractuelle. Voir par ex. P, Ciotola,
I’encadrement
>, voir G. Comu, dir., Vocabulairejuridique
de I’Association Henri Capitant, 6′ &l, Paris, Presses universitaires de France, 1996, s.v. thdorieju-
ridiqueo :

Activit6 doctrinale fondamentale dont l’objectif est de contribuer A l’61aboration scien-
tifique du Droit, en d6gageant les questions qui dominent une mati~re, les catdgories
qui l’ordonnent, les principes qui en gouvement ‘application, la nature juridique des

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commun des contrats afin d’6valuer si elles sont int6gr~es ou int6grables au syst~me
qu6b6cois de droit civil. Nous utiliserons 6galement un troisi~me filtre, celui des prin-
cipes unificateurs du droit priv6 propos6s ‘ la communaut6 internationale” et euro-
p6enne” pour r6glementer, ‘ titre suppl6tif et sur une base volontaire, le droit relatif
aux contrats du commerce international. Proches des pratiques contractuelles contem-
poraines, ces principes refl~tent certains consensus, au sein des grands syst~mes juri-
diques, qui leur conf’erent le statut dejus commune moderne”.

I. De la libert6 vers la moralit6

Le codage juridique des conventions prend en compte ‘ la fois leur caract~re priv6
et communautaire ; les 6changes 6conomiques r6pondent aux besoins individuels, tout
en assurant plus globalement la survie du groupe, de la socidt6. Cette double finalit6
inscrit le degr6 de contr6le du droit dans un 6tat de tension entre intr&ts le plus sou-
vent divergents, qui l’oblige ‘ fixer ses coordonn6es sur plusieurs axes id6ologiques :
individualisme/solidarit6 sociale ; libertd/s6curit6 ; subjectivisme/objectivisme ; con-
sensualisme/formalisme. Les points d’ancrage varieront au rythme des r6gions et des
saisons culturelles.

N’6chappant pas au paradigme dominant de la modemit6, les historiens du droit
ont traditionnellement propos6 une vision 6volutionniste de la th6orie g6n6rale des
contrats”. Ainsi en droit civil, le formalisme du droit romain aurait c6d6 au consen-

droits et des institutions, l’explication rationnelle des r’gles de Droit ; r6flexion sp6cu-
lative qui tend ‘ d6couvrir la rationalit6 du Droit sous son historicit6.

Quand nous en appelons ‘ ]a <>, nous pensons A ]a doctrine, reque et gd-
n6ralement v6hicul6e par les juristes y compris les tribunaux, telle qu’elle se reflte dans les grands
trait6s qufbdcois et franqais sur les obligations. Nous ne ‘associons donc pas h ce que l’on appelle ]a
<,thforie g6n6rale du contrat>> dont tric Savaux a d6montr6 la double nature et ]a confusion que g6-
nere cette double acception. La <> est interpellde, en positivit6, pour cir-
conscrire les rfgles de droit applicables A tous les contrats par opposition aux rfgles dites speciales –
du Code civil ou des autres lois –
< sert 6galement ‘a d6signer la doctrine dominante –

qui ne s’appliquent qu’aux contrats nomm6s. Par ailleurs, la
en cela dite g6n~rale
qui participe ‘ l’61aboration de la science du droit et qui pr6tend mythiquement ‘ la positivit6. Voir
1. Savaux, La thdorie ginirale du contrat, mythe ou rialiti ?, Paris, Librairie gdn6rale de droit et de
jurisprudence, 1997.

“3 Voir Institut international pour l’unification du droit priv6, Principes relatifs aux contrats du

commerce international, Rome, UNIDROIT, 1994 [ci-aprs Principes-UNIDROT].

‘” Voir Commission pour le droit europ6en du contrat, Les principes du droit europien du contrat:
L’exicution, l’inexicution et ses suites, Paris, La documentation frangaise, 1997 [ci-aprs Principes du
droit europ6en].

” Voir M.J. Bonell, An International Restatement of Contract Law : The UNIDROIT Principles of
International Commercial Contracts, Irvington (N.Y.), Transnational Juris, 1994 ‘ la p. 120 ; P-A.
Cr6peau, Les Principes d’UNIDROIT et le Code civil du Quibec : valeurs partagies ?, Scarborough,
Carswell, 1998 ‘ lap. 28.

” Si cette 6volution est analys6e par les civilistes A partir de l’antiquit6 romaine comme lieu origi-
naire, il n’en reste pas moins que le concept de th6orie g6n6rale du contrat est issu de la modemit6 ;

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sualisme, sous l’influence du droit canon d’abord, du droit naturel ensuite, de l’esprit
r6volutionnaire enfin. L’observance des rites pa’fens pouvaient avantageusement etre
remplacre par la foi jurre dont la violation trouvait une double sanction, humaine
comme manquement i la parole donnre mais, plus encore, divine comme prch6. La
solennit6, en quelque sorte, s’int6riorisait puisque l’6change de consentement
s’accompagnait du serment unilatral des deux parties au meme Dieu. C’est plus tard
la doctrine du libre arbitre, drlrgation divine puis immanence humaine, qui pouss6-
rent les jusnaturalistes vers le volontarisme comme figure d’assise des conventions
dconomiques. L’humanisme philosophique relrgua d6finitivement les solennit6s con-
tractuelles dans les retranchements de l’exception. Au moment de ]a Rdvolution, sous
l’impulsion conjugure notamment de Rousseau et de Kant, le politique se contractua-
lise et le contrat se politise autour du principe de l’autonomie de la volonte, noyau
dogmatique de toutes les librrations. Lib6ration non seulement de forme mais plus
encore de fond : la volont6 est l’expression de la libert6 humaine, absolue dans sa cir-
cularitd, puisque nul ne peut l’abdiquer sauf volontairement. Aucune obligation con-
traignante ne peut autrement naitre ; c’est le r~gne de l’individualisme cat6gorique. La
libert6 contractuelle tient le droit h distance : en son nom, l’on ne peut etre tenu ou
empech6 de contracter et l’on peut contracter avec qui l’on veut et sur ce que l’on
veut. En revanche, la sdcurit6 contractuelle appelle le droit. La volont6 individuelle
doit Her en droit ; les obligations que l’on s’impose librement doivent etre ex6cutres
sous peine de sanction publique.

Les fondements philosophiques 6taient solidement soutenus et renforc6s par le li-
b6ralisme dconomique en ce qu’ils r6pondaient adrquatement aux impdratifs du mar-
ch6. En effet, cette doctrine du daissez faire et laissez passer> permettait
l’individualisme d’absorber la justice et la solidarit6 sociale. Un individu libre sauve-
garde forc6ment ses intdr&s. Par consequent, un contrat auquel on a volontairement
consenti est forc6ment juste, ce qui 6carte toute la valeur corrective d’un quelconque
droit objectif. Plus encore, l’int~rt g6ndral 6tant la sommation des int6rts particu-
Hers, seules les initiatives individuelles pleinement spontanres sont susceptibles
d’assurer la prosprrit6 et l’6quilibre gdnrral : les automatismes 6conomiques, comme
le contrfle des prix par la libre concurrence, sont sources d’harmonies naturelles que
tout interventionnisme viendrait fausser”.

C’est dans cet esprit que fut accomplie, au M’ sicle, la codification du droit ci-
vil, au Qu6bec comme en France. Le volontarisme et le librralisme impr6gnaient si
parfaitement les pens6es qu’ils allaient sans dire ; les conventions n’y sont drfinies
que par leurs conditions d’existence et de validit6 juridiques, c’est- -dire un consen-
tement donn6 16galement par des personnes capables, sur un objet d6termin6 et pour
une cause licite”. Ce qui a fait dire aux auteurs, dans un mouvement th6orique gdn6-

on attribue A Domat et Pothier les premires theories g6nrrales, celles qui auraient fondamentalement
marqu6 les codifications. Voir Savaux, supra note 12 aux pp. 2-3.

‘7Voir J. Flour et J.-L. Aubert, Les obligations, vol. 1, 5′ &., Paris, Armand Colin, 1991 A lap. 77.
“Voir art. 984 C.c.B.-C. ; art. 1108 C. civ.

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ralis6, que le contrat est essentiellement un accord de volontss”. La volont6, comme
acte de libert6 individuelle, se forge dans le for int6rieur de chaque partie et
s’ext6riorise, en 6change communicationnel, par la d6claration, d’oii le conflit poten-
tiel d’une volont6 d6clar6e qui ne coincide pas parfaitement avec la volont6 interne.
La r6solution de ce conflit a donn6 naissance aux courants subjectiviste et objectiviste,
oppos6s par la pr6sance que 1’on accorde i l’une ou l’autre des volont6s. Ce clivage
th6orique s’est incam6, sur fond de s6curit6 des rapports juridiques, dans les droits ci-
vils frangais et allemand, autour de 1’importance relative des vices du consentement,
de la cause subjective et de la r~gle d’or d’interpr6tation des contrats. L’6cart s’est
amoindri par am6nagement tendanciel, plus subjectiviste dans la tradition franqais&
import6e au Qu6bec ds la codification de 18661, plus objectiviste dans la tradition
germanique.

L’absolutisme du principe de l’autonomie de la volont6 et de la doctrine 6cono-

mique lib6rale a 6t6 battu en brche tout au long du XXC sicle. Curieusement, c’est
travers leur critique que ces principes furent express6ment interpell6s au regard de la
th6orie des contrats2 . Arraisonn6s par le r6alisme juridique, les postulats thdoriques
ont d6voil6 leur face cach6e : la libert6 et l’6galit6 iddelles du module humain abstrait
qui les fondaient occultaient la d6pendance et l’in6galit6 mat6rielles de l’individu et
des groupes sociaux empiriques. Les d6s6quilibres contractuels ddvoilaient les exc~s
de l’individualisme et du volontarisme, ils ordonnaient le renversement du couple
philosophique moyens-fins. Perdant son statut de valeur en soi, la volont6 devait d6-
sormais servir la justice et l’utilit6 sociale sous l’ceil vigilant du droit objectif’.
L’ordre public, limite traditionnelle h la libert6 contractuelle, s’est raffin6. A l’ordre
public de direction –
s’est adjoint l’ordre
public de protection –
lois d’6quilibre des int6rats particuliers en lutte contre les in-

code moral et social de l’intr&r

g6n6ral –

19 Au Quebec, voir par ex. P-B. Mignault, Le droit civil canadien basd sur les dans L’ volution contemporaine dii Droit des

Contrats, Paris, Presses Universitaires de France, 1986,41 .lap. 42.

Ibid. a la p. 43.
%2 Processus entrepris en 1955 par la Loi concenlant la rivision dit Code civil, L.Q. 1954-1955, c.

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forme du Code civil”7. Cet exercice poursuivait sans contredit des fins d’adaptation et
d’actualisation :

[L]a rfforme du Code civil a voulu traduire,
. ‘aube du XXI sicle, les muta-
tions profondes qu’a connues la socift6 qudb6coise depuis ‘adoption, en 1866,
du Code civil du Bas Canada dans les rapports sociaux et familiaux, les va-
leurs, les connaissances, le contexte 6conomique, la perspective nouvelle des
rapports humains dans ]a soci6t6 et une meilleure ad6quation au present’.

Compte tenu de ce que nous avons pr6sent6 comme 1’6volution de la pens6e juridique
autour d’une thdorie des contrats, on pouvait s’attendre
un revirement majeur, une
r6volution sonnant le glas de ]a doctrine contractuelle libertaire au profit d’une justice
16gislativement orientde et judiciairement contr616e. Ce fut d’abord le cas : sous
l’influx des donn6es socio-6conomiques conjugu6es aux critiques juridiques, l’Office
de r6vision proposa une r6forme profonde du droit des obligations qui se nouait,
d’une mani~re plus qu’illustrative, autour de la reconnaissance universelle de la I&
sion –
d6finie comme une disproportion importante entre les prestations resultant de
1’exploitation de l’une des parties au contrat par 1’autre” –
comme pierre angulaire
d’une nouvelle philosophie contractuelle. Par Ii, et contrairement aux codificateurs de
1866 qui avaient cru naYvement que la libert6 contractuelle 6tait synonyme de justice”0 ,
ceux des ann6es 90 ne pouvaient &re dupes des abus qu’une telle doctrine avait sus-
cit6s. Les contrats, loin d’8tre une image d’harmonie sociale, repr6sentent le plus sou-
vent un rapport de forces 6conomiques>>, le sifge d’une lutte d’int6r~ts >, un rap-
port de conflit >, un champ de tensions 6conomiques
i cause des in6galit6s entre les
parties contractantes”.

Cependant les 6tapes 16gislatives subs6quentes, plus politiquement marqu6es par
le jeu des groupes d’int6rts et d’influence, ont agi sur cette pouss6e par processus de
freinage puis de rupture4′ . La reconnaissance universelle de la 16sion fut d’abord am-
put6e de toute application au domaine des affaires” pour ensuite 8tre ramen6e au r6-
gime pr6existant d’application aux seuls incapables et, A l’6gard des majeurs capables,
aux seuls cas express6ment reconnus par ]a loi’. Les vieux dogmes avaient donc r6-

” L.Q. 1992, c. 57.
38 Qu6bec, Ministre de la justice, Commentaires du ininistre de la justice, t. 1, Quebec, Publication

du Quebec, 1993 A lap. 6 [ci-apr~s Comnmnentaires].

” Voir art. 1406, al. I C.c.Q.
‘0 La formule c61Ebre oqui dit contractuel dit juste > date sensiblement de la meme 6poque. Voir A.
Fouillde, La science sociale contemporaine, 5 d., Paris, Machette, 1910 .lap. 410.
41 1 Carbonnier, Flexible droit, 7′ ed., Paris, Librairie g6ndrale de droit et de jurisprudence, 1992
aux pp. 288-89.
412 Voir J. Pineau, D. Burman et S. Gaudet, Thorie des obligations, 3′ &., Montr6al, Th6mis, 1996
aux pp. 167-70.

4 Le recours n’6tait plus ouvert aux personnes morales et aux personnes physiques qui contractaient

pour les fins de leur entreprise. Voir art. 1449 de l’Avant-projet, supra note 35.

4’ Voir art. 1405 C.c.Q. Pour l’historique de ces modifications, voir Cr~peau, supra note 15 aux

pp. 84-110.

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sist6 au vent du changement : , dira
r6trospectivement le Ministre de la justice’. La r6forme adoptde r6sulte done de la
tension entre modernisation et tradition, tension qui se r6percute dans les concepts
fondateurs :

Le Code civil du Quebec met plus en 6vidence le respect de la personne hu-
maine et de ses droits, sans toutefois n6gliger ‘expression de ses obligations et
des devoirs qu’imposent les relations sociales. Le code favorise aussi un nouvel
dquilibre notamment […] en mati~re contractuelle o3, tout en respectant les
principes d’autonomie de la volont6 et de lib6ralisme dans les conventions, il
pr6voit des temp6raments importants visant h prot6ger la partie la plus vulnera-
blde4 .

Sur fond de r6alisme, certains ont pergu cette tension comme une r6gression
4 7. D’autres ont perqu celle ten-
sion comme une progression vers une nouvelle moralit6 contractuelle : .

Le contrat se forme par le seul 6change de consentement entre des personnes capables
de contracter, a moins que la loi n’exige, en outre, le respect d’une forme particulire
comme condition n6cessaire a sa formation, ou que les parties n’assujettissent la for-
mation du contrat i une forme solennelle [nos italiques].

52 La distinction entre le principe gfn6ral et les exceptions est marqu6e linguistiquement par la locu-

tion moins que .

” Voir J. Pineau et D. Burman, Thorie des obligations, 26 ed., Montr6al, Th6mis, 1988

la p. 40;

Beaugency c. Farargy, [1969] C.S. 496.

La confirmation d’un contrat r6sulte de la volont6, expresse ou tacite, de renoncer en invoquer

la nullit6. La volontJ de confirmer doit 8tre certaine et 6vidente [nos italiques]>.

5 L’on trouvait tout au plus une disposition au chapitre de la preuve en cas de confirmation dcrite A

l’art. 1214 C.c.B.-C.

5′ L.R.Q. c. C-12 [ci-apr6s Charte quibicoise].

Le Titre deuxi~me du Livre premier est enti~rement consacr6 aux droits de la personnalit6.
Comnmnentaires, supra note 38

lap. 10.

59Voir art. 1399 C.c.Q.

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ci seront apprdci6es objectivement en tenant compte des caract6ristiques de ]a per-
sonne du contractant’.

On ne pourrait pour autant conclure A l’individualisme dur sans nier ia double fi-
nalit6 de la Charte quibecoise: la reconnaissance de la libert6 individuelle certes,
mais conjugu6e
ia promotion de l’galit6 et de certains droits collectifs. Cette double
impulsion colore d6sormais le droit commun des contrats ; une conception subjective
soucieuse des in6galit6s sociales et 6conomiques et susceptible d’assurer une protec-
tion concrete et, dirions-nous, contextufe.

Les codificateurs, comme en font foi les commentaires du Ministre”, n’ont en ef-
fet pas cach6 leur intention d’implanter une nouvelle moralit6, une plus grande justice
contractuelle. Cet objectif aurait 6t6 parfaitement atteint par la proposition de l’Office
de r6vision du Code civil 2 sur la reception g6n6ralis6e de la l6sion entre majeurs.
Cette disposition” officiait magistralement
la c616bration de la bonne foi et orches-
trait harmonieusement toutes les mesures de protection accord6es aux plus faibles’.
On doit regretter son amputation qui laisse un Code claudiquant sur une d6finition ‘
presque totalement d6pourvue d’objet alors qu’elle aurait dO donner le ton et cir-
conscrire la port6e des autres r~gles, celles qui mettent en scene les notions d’abus,
d’exc~s, de pr6judice important. Ainsi, la lutte contre l’exploitation de l’une des par-
ties par l’autre aurait pu fonder le maintien de
‘horizontalit6 des rapports priv6s de
droit. Ce recul est d’autant plus 6tonnant que le principe d’6quivalence des prestations
r6ciproques et corr61atives –
y compris dans une autre mesure ]a raisonnabilit6 des
obligations n6es d’actes unilat6raux –
reconnu par les codes nationaux de droit civil”
et m~me dans certains pays de common law”, est maintenant consacr6 par ]a codifi-
cation du droit international des affaires, par exemple . ‘article 3.10 des Principes-
UNIDROIT. La reconnaissance g6n6rale de ]a 16sion aurait assur6ment marqu6 le
droit commun du sceau de ]a justice contractuelle. Telle que d6finie par le Code civil
d Qudbec, elle n’6tablit pas, faut-il le rappeler, une formule btement math6matique

‘ Quant

‘erreur provoqude par le dol, voir Pineau, Burman et Gaudet, supra note 42 a ]a p. 141 ;
Baudouin, supra note 21 A ]a p. 123. Quant ‘A la crainte, voir Pineau, Burman et Gaudet, ibid. A la p.
154; Baudouin, ibid. A la p. 131; M. Tancelin, Des obligations : actes et responsabilitis, 6’ 6d.,
Montr6al, Wilson & Lafleur, 1997 ‘. lap. 94.

61 Supra note 38 ha lap. 828.
62 Quebec, Office de r6vision du Code civil – Comit6 du droit des obligations, Rapport sur les ob-

ligations, Montr6al, Office de r6vision du Code civil, 1975 ‘A lap. 76.
“6 VoirAvant-projet, supra note 35, art. V-37 ; O.R.C.C., supra note 34, t. 2, vol. 2, aux pp. 614-15.
” Elle permettait, entre autres choses, d’int6grer au droit commun ce qui dtait et ce qui restera le
droit particulier de ]a consommation.

6Voir

art. 1406(1) C.c.Q.

Voir art. 1405 C.c.Q.

6? Conception objective de Ia 16sion 6norme, en France, pour les contrats qui portent sur un im-
meuble : voir art. 1674 C. civ. ; conception mixte de la simple 16sion en Allemagne : voir art. 138
B.G.B. et en Suisse: voir art. 21 CO.

“Aux ttats-Unis, voir U.C.C. 2-302.

1999]

L. ROLLAND – LES FIGURES CONTEMPORAINES DU CONTRAT

917

de commutativit6 objective, mais protege l’6quilibre des chances et des pouvoirs entre
les contractants9 , laissant ]a libert6 s’exercer mais dans l’6galit6 relative.

Or le 16gislateur qu6becois a pr6f6r6 6tablir cet 6quilibre, garant de la moralit6
contractuelle recherch6e, par des regimes particuliers et par l’identification des lieux
de vuln6rabilit6. I1 en est ainsi des r6gimes d’incapacit6 ‘ , des contrats d’adh6sion et
de consommation”, des contrats de louage d’un logement r6sidentiel”2, de la vente
d’inmeuble t usage d’habitation par un promoteur ou un constructeur A une personne
physique7>, de la renonciation au partage du patrimoine familial’ ou des acquts ‘ , des
contrats de prt d’argent”, des clauses p6nales7 , ou encore des quittances ou transac-
tions consenties par la victime d’un pr6judice corporel ou moral”. Ces r6gimes parti-
culiers augmentent l’6tendue de l’ordre public et restreignent, de ce fait, la libert6
contractuelle ; ils ouvrent souvent la voie au formalisme et permettent le plus souvent
la r6vision 16gislative > ou judiciaire’ des contrats. Syst~me de r6vision renforc6 par le
droit transitoire, car ces dispositions imp6ratives s’appliquent aux situations juridiques
en cours1 .

69 Cette ide est magnifiquement illustrfe par l’art. 3.10 des Principes-UNIDROIT, supra note 13,.
qui indique que, pour juger qu’un contrat ou une clause accorde injustement un avantage excessif A
l’autre partie, on doit prendre en consid6ration (i) le fait que l’autre partie a profit6 d’une mani~re d6-
loyale de ‘6tat de d6pendance, de la d6tresse 6conomique, de l’urgence des besoins, de l’ignorance,
de l’inexp6rience ou de l’inaptitude A la n6gociation de la premire et (ii) la nature et le but du contrat.
70 Les incapables, les mineurs (art. 153 et s. C.c.Q.) et les majeurs inaptes (art. 256 et s. C.c.Q.) sont

prot6g6s contre la 16sion, alors conque subjectivement selon la d6finition de l’art. 1406(2) C.c.Q.

7’ Les contrats d’adhfsion et de consommation sont respectivement dffinis aux art. 1379, 1384
C.c.Q. et particuli~rement r6glement6s aux art. 1435, 1436, 1437 C.c.Q., sans compter la Loi sur la
protection du consoinmateur, supra note 29. Notons que les contrats d’adh6sion et de consommation
constituent en nombre la plus grande partie des 6changes &onomiques et l’on affirme meme que 99%
des contrats r6pond de cette qualification : voir W.D. Slawson, Voir art. 472 C.c.Q.
Voir art. 2332 C.c.Q.
77Voir art. 1623 C.c.Q.
78Voir art. 1609 C.c.Q.

Par le biais de clauses obligatoires comme dans le cas du bail d’un logement (art. 1895 C.c.Q.) ou

des clauses r6put6es sans effet comme en mati~re de bail r6sidentiel (art. 1905-1906 C.c.Q.).

” Les tribunaux ont le pouvoir de r6viser les contrats d’adh6sion ou de consommation : nullit6 par-
tielle (art. 1438 C.c.Q.) des clauses extemes (art. 1435 C.c.Q.), des clauses illisibles ou incomprdhen-
sibles (art. 1436 C.c.Q.), nullit6 des clauses abusives ou r&luction de ]’obligation (art. 1437 C.c.Q.).

” Voir la Loi sur l’application de la rifonne d Code civil, supra note 37, art. 5 : .

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 44

Cette dispersion pose cependant deux difficult6s. La premiere, de cohdrence con-
ceptuelle, puisqu’on se demande si ia terminologie disparate –
16sion, abus, pr6ju-
appelle une interpr6tation diff6renci6e, malgr6 leurs finalitds protectionnistes
dice –
communes. La seconde, de coh6rence matdrielle, car ces r6gimes particuliers r6sistent
A toute syst6matisation cat6gorielle : parfois le statut juridique (personnes physi-
ques/personnes morales ; incapables/capables), parfois les fonctions 6conomiques des
actants (consommateurs/commerqants ou entrepreneurs), parfois leur niveau de con-
naissances rdelles ou pr6sum6es (profanes/professionnels), parfois leurs comporte-
ments contractuels (adhdrents/stipulants), parfois encore leur r6le respectif dans
I’ar~nejuridique (victimes/auteurs de la faute ou leur assureur).

Ii faut chercher ailleurs le maillage essentiel A ]a cohdsion interne du syst~me.
l’un ou l’autre des princi-

Deux approches sont permises suivant que l’on s’attache
pes fondateurs, A l’une ou l’autre des valeurs ddfendues.

Favoriser le rattachement

la libert6 contractuelle aurait pour effet d’antagoniser
r6gimes g6ndral et particuliers. Au nom de l’uniformit6 du droit, les juristes ont sou-
vent adopt6 le raisonnement bas6 sur le couple principe gdn6ral/exception qui em-
porte toujours une dissociation, incam6e par l’interpr6tation stricte et l’application
restrictive de l’exception”2. Cette approche ferait de l’ordre public un corps de r~gles
‘article 1040c
exceptionnelles
C.c.B.-C., un exemple frappant de ses effets, contr6s plus tard et sous l’impulsion de
l’esprit consumdriste, par un vigoureux redressement fond6 sur l’interpr6tation ndces-
sairement tdl6ologique des r~gles imperatives”.

l’histoire judiciaire a fourni, sur la reception de

Favoriser le rattachement A ]a justice contractuelle assurerait l’interpdn6tration des
deux r6gimes. Si la doctrine volontariste est consolid6e par le Code civil du Quebec,
l’approche subjectiviste est, A tous 6gards, renforcde. Ces deux aspects entrent en
compte quand il s’agit de d6gager de cette structure l’esprit de notre droit commun.
Dans ce sens, c’est le devoir g6n6ral de bonne foi qui doit servir de point d’ancrage
aux regimes particuliers. Sous ce principe f6drateur, c’est alors d’int6gration qu’il
s’agit dans le droit fil d’une plus grande moralit6 contractuelle. Cette approche
s’inscrit dans la mentalit6 jurisprudentielle dominante des demi~res d6cennies’. La
Cour supreme du Canada est ainsi retourn6e aux principes generaux qui auraient tou-
jours dO gouvemer rordre contractuel avec en tdte la bonne foi et l’quit:, valeurs qui
n’dtaient pas 6trang~res Pothier” et Domat qui les civilistes accordent d’avoir en-

82 Voir J. Ghestin, Le contrat dans le nouveau droit quibicois et en droitfranfais : principes direc-
tetrs, consentelnent, cause et objet, Montrdal, Institut de droit compar6, Universit6 McGill, 1982 A ]a
p. 55 ; P.-A. Ctd, Interprtation des lois, 2′ ed., Cowansville (Qc.), Yvon Blais, 1990 A lap. 474.

Gareau Auto c. Banque canadienne inpiriale de commerce, [1989] R.J.Q. 1091 (C.A.).
Banque nationale du Canada c. Soucisse, [1981] 2 R.C.S. 339, 43 N.R. 283 ; Banque de Mon-
tralc. KuetLeong Ng, [1989] 2 R.C.S. 429, 62 D.L.R. (4!) 1, 100 N.R. 203 ; Houle c. Banque cana-
dienne nationale, [1990] 3 R.C.S. 122,74 D.L.R. (4′) 577; Banque de Montral c. Bail Ltie, [1992] 2
R.C.S. 554, 93 D.L.R. (4′) 490 [ci-aprs Bail avec renvois au R.C.S.].

as Voir M. Bugnet, dir., (Euvres de Pothier: annotges et raises en correlation avec le Code civil et la

legislation actuelle, t. 2, 2′ 6d., Paris, Cosse et Marchal, 1861 aux pp. 20-21 [ci-apr~s Pothier].

1999]

L. ROLLAND – LEs FIGURES CONTEMPORAINES DU CONTRAT

919

gendr6 la premiere th6orie gdn6rale des contrats. On trouve du reste chez Domat cette
approche int6grative qui, au regard de la bonne foi, va au-delM des cat6gories tout en
en tenant compte :

[Qu’il] n’y a aucune espce de convention, oa il ne soit sous-entendu que l’un
doit ‘a I’autre la bonne foi, avec tous les effets que l’quit peut y demander,
tant en la mani’re de s’exprimer dans la convention, que pour l’ex6cution de ce
qui est convenu, et de toutes les suites. Et quoiqu’en quelques conventions cette
bonne foi ait plus d’6tendue, et en d’autres moins ; elle doit 8tre enti~re en tou-
tes, et chacun est oblig6 ‘ tout ce qu’elle demande selon la nature de la con-
vention et les suites qu’elle peut avoir 6.

N’est-ce pas 1 l’esprit qui surd6termine la r6forme du Code civil ? Le devoir g6n6ral
de bonne foi dans l’exercice des droits civils”, contextuellement r6affirm6 au chapitre
des obligations ‘w, en constitue ]a marque textuelle it laquelle il faut ajouter l’6quit6
comme source implicite d’obligations” et la raisonnabilit6 comme jalon des pratiques
contractuelles acceptables. Au-delM de leur fonction surd6terminante, c’est de nor-
: celles d’agir, h quelque 6tape des relations
mes objectives de conduite qu’il s’ag’
contractuelles, avec I’honn8tet6 et la loyaut6 requise par les standards autant sociaux
que sectoriels.

Bonne foi, 6quit6 et raisonnabilit6 sont les pierres angulaires et le scellant d’une
construction 6tanche capable d’endiguer les abus potentiels d’une libert6 d6brid6e.
Ces valeurs, qui transcendent les cat6gories, ont acquis par la codification une positi-
vit6 sans pr6cddent et s’6rigent clairement en r~gles objectives ind6rogeables. La r6-
forme du droit commun des contrats, dont le Ministre affirme qu’elle s’int~gre aux
grands courants internationaux73 , emprunte ainsi la voie qui fait de la moralit6 con-
tractuelle une force 6quilibrante essentielle et de la bonne foi un imp6ratif cat6gori-
que. En vertu de I’article 1.7 des Principes-UNIDROIT et de l’article 1.106 des Prin-
cipes du droit europ6en, ]a bonne foi, en mati~re contractuelle, loge au sein de l’ordre
public international.

L’6quilibre ainsi 6tabli par le Code civil du Qu6bec serait irrm6diablement fauss6
par un traitement parall’le, sinon hi6rarchique de ses principes fondateurs. La libert6
et la moralit6 contractuelles s’interp6n~trent, interagissent, et nous pr6f6rons les saisir
dans leur relation dynamique plut6t que forger une fronti~re imaginaire qui ne rdpon-

R6my, supra note 5 ‘ lap. 138.
Voir art. 6 C.c.Q.
Voir art. 1375 C.c.Q. : La bonne foi doit gouvemer ]a conduite des parties, tant au moment de la

naissance de l’obligation qu’ celui de son ex6cution et de son extinction>.

‘2 Voir Cr6peau, supra note 15
‘ Commentaires, supra note 38 ‘a]a p. 827.

la p. 54.

Voir art. 1434 C.c.Q.

90 Voir art. 7, 1437 C.c.Q.
“‘ Sur la bonne foi objective, voir B. Lefebvre, (1996) 26
R.D.U.S. 321 ; L. Rolland, La bonne foi dans le Code civil du Qu6bec : du g6ndral au particulier
(1996) 26 R.D.U.S. 377.

920

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 44

drait pas 4 la structure du droit commun. Pour rester fid~le
la double conception du
contrat et
lesprit de la r6forme, c’est de r6conciliation qu’il doit s’agir. La libert6 et
la volont6 priment dans la mesure de leur existence r6elle : l’autonomie de la volont6,
le laissez faire et laissez passer> sont done des principes que le droit respectent mais
devant lesquels il ne s’incline plus avec r6v6rence et abn6gation.

Les concepts philosophico-6conomiques de la th6orie classique des contrats ont
done 6t6 6branl6s et transform6s. Outre les principes fondamentaux qui affectent la
mentalit6 contractuelle, les mutations juridiques sont 6galement impuls6es par la plu-
ralit6 des profils qu’offrent maintenant les 6changes 6conomiques. La r6alit6 contem-
poraine s’av~re moins uniforme, plus complexe. Elle d6borde les modules juridiques
abstraits et monolithiques congus par le XIX si~cle pour la capter. L’empirie exige
maintenant que l’on tienne compte des relations que le contrat engendre, des person-
nes singulires qu’il met en pr6sence, des attentes sp6cifiques de chacune des parties,
des conjonctures spatio-temporelles et socio-dconomiques dans lesquelles il s’incame.

II. De la transaction vers la relation

Nous avons convenu, avec Domat, que les contrats assurent juridiquement ]a cir-
culation des richesses et r6pondent, de ce fait, aux besoins humains. Or les contrats,
comme les besoins, varient a l’infini sur la courbe du simple au complexe. Le contrat
peut viser la satisfaction de besoins 616mentaires ou de besoins superflus
lors
d’op6rations juridiquese’ faciles ou compliqu6es qui repr6sentent une valeur 6conomi-
que insignifiante ou consid6rable. D6fini comme un accord de volont6s, le contrat met
en sc~ne au moins deux personnes. L’identit de ces personnes peut etre relativement
indiffdrente ou
l’616ment essentiel de l’engagement. II peut mettre en cause
l’autonomie,
la subordination” ou la coordination” des contractants. Rencontre
d’interlocuteurs aux pouvoirs souvent diff6renci6s, rencontre en complexit6 ajout6e
qui donne une palette d’infinies nuances.

” Le contrat peut pr6voir le transfert d’un bien simple ou complexe, ddtermin6 ou d6terminable ; il
peut porter par ailleurs sur la transmission de services, de connaissances, de savoir-faire. Dans tous les
cas, nous faisons appel, en langage civiliste, A l’objet de l’obligation : voir art. 1371-1373 C.c.Q.

9 Nous faisons appel ici a robjet du contrat: voir art. 1412 C.c.Q.

L’un des contractants peut 8tre un groupe de personnes, groupe inorganis6 (la pluralit6 de cr~an-
ciers ou de d6biteurs donne naissance aux obligations modalit6s complexes, conjointes (art. 1518 et
s, C.c.Q.) ou solidaires (art. 1523 et s. C.c.Q.) ; ou groupe structur6 en soci6t6. Cette structure peut
demeurer occulte (soci6t6 en participation : art. 2250 et s. C.c.Q.) ou 6tre d6clar6e (socidt6 en nom
collectif ou en commandite : art. 2189 C.c.Q.) ; l’identit6 de ses membres peut 8tre publiquement
connue (Loi sur la publicit lidgale des entreprises individuelles, des socigtis et des personnes mora-
les, L.R.Q. c. P45) ou partiellement voil6e (soci6t6 en commandite: art. 2236 et s. C.c.Q.), voire une
personne morale titulaire de la personnalit6 juridique (art. 298 C.c.Q.) et d’un patrimoine distinct (art.
302 C.c.Q.).

9′ On pense particulirement au contrat d’entreprise: voir art. 2099 C.c.Q.

On pense particulirement au contrat de travail: voir art. 2085 C.c.Q.
On pense particulirement au contrat de soci6td: voir art. 2186 C.c.Q.

1999]

L. ROLLAND – LES FIGURES CONTEMPORAINES DU CONTRAT

921

Le contrat s’inscrit en outre dans les dimensions spatio-temporelles. Aux contrats
qui n’ont d’incidences qu’individuelles ou purement locales, s’ajoutent ceux qui tien-
nent en joue la survie dconomique d’une r6gion, ceux qui soutiennent les vdhicules de
financement et alimentent les grandes industries nationales, ceux enfin qui font fi des
fronti~res. Les contrats ont une vie et donc un temps”, entre l’instantan6it6 et la per-
p6tuit6. Le contrat s’incarne enfin dans un environnement socio-6conomique concret.
A cet 6gard, les contrats participent aux ph6nom~nes culturels sous un double rap-
port: les pratiques contractuelles s’inscrivent dans un champ de valeurs –
valeurs
sociales, syst6miques et sectorielles dominantes –
qui les mod~le ; en revanche, les
contrats, comme v6hicules de communication, ne sont pas sans influence sur leur en-
vironnement, y compris le syst~me juridique.

Dresser m6thodiquement le portrait graphique des relations contractuelles sup-
pose une multitude de coordonn6es et plusieurs syst~mes de r6f6rences. Pour ce faire,
le droit proposerait ce qu’il est convenu d’appeler une th6orie juridique, dite ggnrale,
des contrats. Compte tenu de la diversit6, un mod~le unique doit etre non seulement
flexible mais englobant : une th6orie r6ductrice, dont la fixit6 occulte de larges pans
de la r6alit6 ph6nom6nale, a un tel effet paralysant que l’ordre priv6 finit par la bouder
en ]a taxant de dogmatisme ‘.

La th6orie classique, il est vrai, donne une image exigud du ph6nom~ne contrac-
tuel. Sans doute par souci d’assurer la plus grande s6curit6 des rapports, elle se con-
centre sur l’objet –
l’6change 6conomique – plutft que sur les sujets, elle soutient la
cl6ture environnementale, elle assure l’imm6diatet6 de l’ex6cution apr~s avoir sup-
port6 la fixation d6finitive du contenu obligationnel. Ces moyens sont devenus des r6-
gles g6n6rales qui tol~rent, A titre exceptionnel, certaines transgressions. Or les 6tudes
empiriques faites aux Etats-Unis 2 , en France”. et au Qu6bec ‘”, qu’elles soient A sa-
veur sociologique, 6conomique, psychologique ou historique, d6montrent que ces pa-
ram~tres ne correspondent plus ? la r6alit6. Les 6changes 6conomiques du XX< sicle r6pondraient d'autres caract6ristiques et reposeraient le plus souvent sur une autre fi- '0 Leur nature, la volont6 des parties ou la loi les inscrivent souvent dans ]a duroe, d6termin~e ou non, minimale ou maximale : terme extinctif (art. 1517 C.c.Q.) ou suspensif (art. 1508 C.c.Q.), recon- duction expresse ou tacite (par exemple, en mati~re de bail d'un logement : art. 1941 C.c.Q.), cessa- tion r6troactive ou non. ... Voir J.-G. Belley, La thdorie g~nrale des contrats [:] Pour sortir du dogmatisme (1985) 26 C. de D. 1045. 02 Voir S. Macaulay, > (1963) 28 Am.
Soc. Rev. 55 ; Elegant Models, Empirical Pictures, and the Complexities of Contracb> (1977) 11 L.
& Soc. Rev. 507 ; An Empirical View of Contracb> [1985] Wisconsin L. Rev. 465. Pour une r~tro-
spective de plusieurs courants analytiques aux 8tats-Unis, voir I.R. Macneil, Relational Contract
Theory as Sociology: A Reply to Professors Lindenberg and de Vos
(1987) 143 J. Instit. & Theoret.
Econ. 272 ; J.R Esser, Institutionalizing Industry: The Changing Forms of Contract>> (1996) 21 L. &
Soc. Inq. 593.

” Voir Carbonnier, supra note 41.
’04 Voir J.-G. Belley, (1991) 32 C. de D. 253 [ci-apr~s L’entreprise, l’approvisionnement et le droib].

922

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 44

gure, soit le contrat relationnel th6oris6 par Ian R. Macneil”‘
. Selon lui, s’il est des
normes communes ii tous les contrats”‘, elles varient en intensit6 suivant la place
qu’un contrat occupe r6ellement dans le spectre des possibilit6s. Ce spectre se ddploie
en faisceau allant des 6changes ‘A faible teneur relationnelle (<> ou
contrat transactionnel) aux 6changes ‘A tr~s forte teneur relationnelle (contrat relation-
nel allant jusqu’a l’intertwined contract>> ou contrat interreli6), mais pr6supposant la
relation toujours pr6sente. Cette thdorie est plus englobante puisqu’elle inclut le con-
trat transactionnel que la doctrine juridique classique pose comme moule universel,
mais sans exclure ou marginaliser les autres figures dont l’empirie nous apprend
qu’elles sont des mod~les constants dans le monde 6conomique contemporain. Ce
sont des contrats qui sont davantage centr6s sur les sujets (A), qui s’adaptent ‘a
l’environnement social (B), qui, inscrits dans la durde, impliquent une dose certaine
d’ind6termination, donc de flexibilit6 (C).

Le Code civil du Quibec –

le droit commun des contrats –

supporte, au con-

traire de la th6orie classique, la plupart des traits du contrat relationnel de Macneil.

personnes individuelles –

A. De I’objet vers le sujet
Les contrats strictement transactionnels, centres sur l’6change, ont pour caract6-
ristique d’6tre d6sincarn6s. Les parties –
deviennent des
volontrs, leurs particularit6s se rdduisant ii leurs fonctions juridiques, par exemple
d’offrant et destinataire ou de vendeur et acheteur. L’objectivation est ii tous 6gards
renforc6e par la distinction catdgorielle, sumina divisio”‘ 6tablie par la doctrine et
soutenue par la jurisprudence mais formellement inexistante dans le Code civil, entre
contrats personnels, ou conclus intuitu personae, et les autres. Selon la thdorie classi-
que, la discrimination r6side en un point : ]a personne du cocontractant est-elle une
considdration principale, un 616ment essentiel du contrat ? L’importance de l’identit6
subjective des parties n’est pas traitfe comme un a priori th6orique mais fait, au con-
traire, l’objet d’une interpr6tation ou 6valuation a posteriori par les tribunaux, ‘ ddfaut
par les parties de l’avoir explicitement 6tablie”‘.

l’ The New Social Contract: An Inquiry into Modern Contractual Relations, New Haven, Yale Uni-

versity Press, 1980 [ci-apr~s Social Contract].
” Macneil propose 10 normes communes

tous les contrats : (i) le respect integral du rfle ; (ii) la

mutualit6 et la rrciprocit6 ; (iii) la planification ; (iv) le respect du consentement donn6 ; (v) la flexi-
bilit ; (vi) la solidarit6 ; (vii) le respect des principes de la responsabilit6 : les normes de liaison ;
(viii) la creation et la restriction du pouvoir ; (ix) Ta pertinence des moyens ; et (x) ‘harmonisation
avee la socidt6 : voir Social Contract, ibicL aux pp. 39 et s. Voir aussi I.R. Macneil, < (1983) 78 Nw. U.L. Rev. 340 .lap. 341 [ci-apr~s <>]. Nous avons
repris la traduction proposre par J. Alberts, Contrat et riseau : lefranchisage comme exemiple d’un
rdgulationjuridique hybride, these de maitrise en droit, Universit6 Laval, 1997) [non publire].

‘0’ Voir F Valleur, L’intuitus personae dans les contrats, Paris, Librairie de jurisprudence ancienne

et modeme, 1938 4 lap. 21.

,08 Voir ibid. A lap. 20.

1999]

L. ROLLAND – LES FIGURES CONTEMPORAINES DU CONTRAT

923

L’on admet volontiers que l’intuitus personae ne se r6duit pas

l’exemple classi-
que du contrat entre le peintre charg6 du portrait, ressemblant sinon flatteur, de son
module. L’on admet aussi que les qualit6s 6conomiques d’un contractant ne sont pas
les seules caract6ristiques d6terminantes. Si les fronti~res de cette sumina divisio res-
tent relativement floues, il n’en reste pas moins que l’intuitus personae est le plus
souvent pr6sent6 comme r6gime exceptionnel, les contrats impersonnels demeurant ]a
cat6gorie r6siduelle en m~me temps que le module”‘ .

La th6orie classique repousse l’intuitus personae la p6riphdrie du droit des con-
trats pr6textant de ses effets n6fastes sur ]a sdcurit6 juridique. Ainsi conque, cette doc-
trine fragiliserait l’existence, la validit6 et la p6rennit6 des contrats en exacerbant les
causes de nullit6 et de dissolution. Or, ce refoulement dfnie la rdalit6. L’identit6 des
contractants, leur personnalit6, leurs caract6ristiques sont d6terminantes dans un tr~s
grand nombre de contrats. L’on a coutume de qualifier la nature intuitu personae des
contrats suivant qu’ils rec~lent des liens fond6s sur l’affection ou la confiance”‘. Sont
conclus intuitu personae, dans le premier cas, les contrats de mariage'” et toutes les
lib6ralit6s”2, dans le second cas, les contrats de travail”‘, d’entreprise”‘, de mandat’15 ,
de socidt6″‘ et d’association”‘, de d6p6t”‘, de prt de consommation”‘, d’assurance’2
auxquels on pourrait sflrement ajouter, pour les m~mes raisons, les contrats de prt
usage’2’ et de louage’22 . I1 est par ailleurs des contrats qui impliquent la confiance .

‘” Au stade de la formation du contrat, l’offre g6n6rale m~ne i la conclusion du contrat ds son ac-
ceptation sauf si le contrat envisag6 est intuitu personae auquel cas l’offrant, dont le statut est du reste
remis en cause, conserve une facult6 d’agr6ment : voir Baudouin, supra note 21 aux pp. 98-99 ;
Pineau, Burman et Gaudet, supra note 42 aux pp. 76-77. L’erreur sur ]a personne ne constitue pas un
vice du consentement sauf dans les contrats intuitu personae oiu la personne devient un 616ment es-
sentiel au mame titre que les qualit6s substantielles de l’objet de la prestation : voir Baudouin, ibid. A
lap. 114 ; Pineau, Burman et Gaudet, ibid. aux pp. 126-127 ; Tancelin, supra note 60
]a p. 87. Au
stade de l’exdcution du contrat, le cr6ancier ne peut s’opposer au paiement fait par un tiers au contrat
sauf s’il s’agit d’une obligation de faire form6e intuitu personae : voir Baudouin, ibid
la p. 480 ; Tancelin, ibid A Ia p. 590. Au stade de l’extinction, ]a
Pineau, Burman et Gaudet, ibid
rdvocation ou la r6siliation unilat&ale n’aurait d’application 16gale que dans les seuls contrats conclus
intuitu personae : voir Baudouin, ibid. A la p. 242.

la p. 386 ; ”

… Voir la nomenclature dress6e par Valleur, supra note 107.
.. Voir art. 431 C.c.Q.
,, Par ex. les contrats de donation : voir art. 1806 C.c.Q.
“Voir art. 2085 C.c.Q.
Voir art. 2098 C.c.Q.
,, Voir art. 2130 C.c.Q.
Voir art. 2186 C.c.Q.
‘ Voir art. 2267 C.c.Q.

Particuli~rement dans les cas de d6pbt titre gratuit: voir art. 2280 C.c.Q.

“9 Voir art. 2314 C.c.Q.
’20Voir art. 2389 C.c.Q.
,2, ttant donn6 l’importance de la conservation du bien dont le prteur demeure propri6taire: voir

art. 2313 C.c.Q.

924

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 44

1’6gard d’un tiers comme les conventions d’arbitrage’23 et les contrats de cautionne-
ment'”. Cette liste a presque pour effet d’6puiser d6ji les contrats nomm6s du Code
civil. Parmi les contrats innomm6s, la confiance pr6side aux contrats entre profession-
nels et clients/patients, aux contrats de franchise et de sous-traitance. De la meme ma-
ni~re, dans le monde des affaires comme dans le monde de la consommation, l’on ne
peut nier que plusieurs contrats se forment sous le signe de la bonne r6putation des
contractants. A cet 6gard, plusieurs contrats de vente –
l’arch6type meme du contrat
transactionnel –
dont les contrats d’approvisionnement ainsi que les contrats de
transport, sont nourris, des degr6s divers, d’intuitus personae.

La summa divisio fond6e sur les contrats personnels et impersonnels ne r6pond
pas de l’empirie et a pour effet d’atrophier, au nom dit-on de la stabilit6 et la s6curit6
contractuelles, la dimension subjective des 6changes 6conomiques. En ce sens, ]a
th6orie du contrat relationnel offre une image plus juste de la r6alit6 et permet un do-
sage plus judicieux des valeurs de subjectivit6 et d’objectivit6.

Pour Macneil, le contrat est ‘. D6finir le contrat par la relation a pour effet de pro-
pulser les personnes au centre de l’v6nement’2″. A cet 6gard, Macneil propose le d6-
ploiement d’un spectre relationnel allant des ononprimary relations>> jusqu’aux pri-
mary relations>, distinction fond6e sur l’importance que prend la personnalit6 indivi-
duelle dans le rapport 6conomique. Dans les primary relations>, chacun des partici-
pants est un 8tre unique qui s’investit totalement, alors que dans les nonprimary re-
lations , les participants sont facilement interchangeables. Les premieres impliquent
une communication vaste et profonde, alors que les secondes se r6duisent certaines
dimensions formelles d’interaction communicationnelle ; les premieres enfin contri-
buent, au-delt des pures satisfactions 6conomiques,
l’6panouissement personnel des
acteurs, ce qui n’est pas un objectif poursuivi par les secondes. Tout rapport contrac-
tuel se situe entre ces deux p6les dans un continuum sans fronti6res 6tanches’27 , qui
permet des nuances plus subtiles que la seule cat6gorie d’intuitus personae. Cette
thorie ne suppose pas de tomber pour autant dans i’arbitraire de la pure subjectivit6,

12 ttant donnd l’importance de la conservation du bien dont le locateur demeure propri~taire : voir

art. 1851 C.c.Q.

’23Voir art. 2638 C.c.Q.
t4Voir art. 2333 C.c.Q.

Values >, supra note 106 .la p. 341.
W2

1″ Jean Carbonnier faisait d6j .ce voeu en 1958 : J[I]1

faut rdintroduire l’individu dans l’tude du
C’est qu’il faut peut-8tre partir de ‘individu pour ddcouvrir comment se forme la vie soci-

contrat […J
ale et, partant, comment se forme le contrat> (supra note 41 aux pp. 289-90).

17 Voir Futures , supra note 7 aux pp. 722-25. Macneil emprunte cette distinction .]a sociologie:
voir L. Broom et P. Selznick, Sociology, 4! ed., New York, Harper & Row, 1968 aux pp. 120-21.
Notons que cette subjectivisation du contrat n’est pas la seule distinction que Macneil 6tablit entre les
contrats transactionnels et les contrats relationnels, certaines s’attachant davantage A l’objet du con-
trat, dans les premiers un transfert de contr6le ou de propri6t6, dans les seconds une coop6ration .
long terme pour l’accomplissement d’un but dconomique commun. Voir 6galement , supra
note 106 4 lap. 362.

1999]

L. ROLLAND – LES FIGURES CONTEMPORAINES DU CONTRAT

925

mais propose un d6placement du regard de l’objet de i’6change 6conomique vers les
acteurs 6conomiques, vers les personnes en pr6sence relationnelle, parfois sur ce
qu’elles sont subjectivement, parfois, et d6ji plus objectivement, sur le r6le qu’elles en-
tendent mutuellement tenir ainsi que sur les attentes l6gitimes qu’elles entretiennent.

Comme il implique une rencontre, fortuite ou planifi6e, le contrat met en pr6sence
des 8tres individuels et fagonne des alliances parfois homog~nes parfois h6t6rog~nes,
entre gens d’affaires, entre commergants et consommateurs, entre une multinationale
et un petit entrepreneur, entre un professionnel et un neophyte. Les contractants ont
donc une personnalit6 propre en m~me temps que des appartenances identitaires.
Leurs int6rets peuvent etre divergents, leurs connaissances in6gales, leurs forces d6s-
6quilibr6es ; la puissance 6conomique de
‘un peut exacerber ]a vuln6rabilit6 de
l’autre, le monopole peut cr6er la d6pendance. Expulser du contrat ses vfritables ac-
teurs pour l’investir de leur seule volont6, c’est postuler l’6galit6 absolue qu’on sait ne
pas exister en r6alit6. Si le droit ent6rine
cet 6gard le statu quo, alors il consacre
l’in6galitd, donne encore plus de force au plus fort, plus de puissance au plus puis-
sant”28, ce qui est contraire
l’horizontalit6 principielle des rapports de droit privd. Une th6orie juridique efficiente
doit prendre en compte les disparit6s personnelles r6elles, notamment les appartenan-
ces identitaires, ce que soutient le droit commun des contrats h travers, entre autres,
les r6gimes particuliers dont nous avons fait 6tat dans ]a section pr6cfdente et qui pr6-
d6terminent, aux c6t6s de la bonne foi, le r6gime gdndral.

]a mentalit6 contemporaine dominante et surtout

Inscrire le contrat dans la dynamique relationnelle suppose des interactions dont
les mod~les ont 6t6 dessin6s par les sciences qui, comme la psychologie, s’int6ressent
aux relations interpersonnelles : d’interactions conflictuelles ou harmonieuses depend
l’6chec ou le succ~s de ia relation.

Selon la conception transactionnelle, la conclusion d’un contrat est appr6hend~e
selon la structure judiciaire comme le r~glement d’un litige, un >” , un compromis entre des intdrts antagonistes, aprement d6fendus>>”‘,
l’assujettisement d’une personne
une autre,,”‘. Volontaire, cette transaction trouve
son point culminant dans l’6change des consentements advenu g6n6ralement aux ter-
mes de n6gociations sous la pression r6ciproque des parties’. La rencontre des vo-
lont6s individuelles se fixe autour de la d6termination des droits et obligations de cha-
cun. Les relations des parties s’inscrivent des lors en rapports de domination du
cr6ancier sur le d6biteur. Les rapports, r6ciproques au moment de la formation,

‘=’Voir Social Contract, supra note 105 5 la p. 64.
‘ J.-G. Belley, <> (1988) 9 Droit et Soci&t 281 .lap.

“0 Mestre, supra note 30
“‘ Flour et Aubert, supra note 17 .lap. 36.
18 Voir I.R. Macneil, <> [1985] Wisconsin L.

lap. 45.

287.

Rev. 483 .lap. 503.

926

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 44

s’engagent sur des chemins parallles au moment de l’ex6cution dans l’atmosph~re de
tension, pr6d6terminde par la thorie, vers le conflit et la contrainte 6ventuels”‘.

Les 6tudes empiriques sur les comportements contractuels peignent un tout autre
tableau o6 l’individualisme fait place .l’interd6pendance, ]a domination A la collabo-
ration, l’antagonisme A la solidarit6″. Partageant un destin 6conomique commun, pri-
vil6giant la survivance de leurs liens d’affaires, les parties d6laissent la mentalit6 con-
flictuelle des transactions au profit de la concertation. Tant et si bien que les valeurs
. savoir int6grit6 et solidarit6″5 . I1 faut bien
dominantes logent dans la coop6ration,
comprendre que ce ne sont pas M5 que des vertus mais bien une mentalit6 contractuelle
fond6e sur une meilleure efficacit6 6conomique. Due A la sp6cialisation des ressources
et A l’organisation des entreprises”‘, l’interd6pendance est un fait auquel le monde des
affaires s’adapte, plus encore dans le contexte de la mondialisation des march6s. Ces
donn6es sont des ingr6dients normatifs susceptibles d’alimenter r6f6rentiellement le
principe de bonne foi consacr6 par le droit commun des contrats.

La fin recherch6e, soit le maintien des liens d’affaires, est proche d’une valeur dd-
fendue par ]a th6orie classique, soit la stabilit6 contractuelle, mais les moyens diffe-
rent. Selon 1’approche transactionnelle, la stabilit6 est assur6e par l’immutabilit6 et la
menace de sanction ; selon l’approche relationnelle, elle est prot6g6e par la collabora-
tion et le compromis. Dans le Code civil du Quibec, la collaboration”‘, la coop6ra-
tion’ et la loyautW’39 ont toujours pour fonction d’assurer la meilleure ex6cution du
contrat. Ce sont ces valeurs que le 16gislateur promeut lorsqu’il impose aux contrac-
tants de ne pas agir A contretemps de fagon menacer les int6rts 16gitimes des au-
tres : de i’associ6 A l’6gard de la soci6t6′ , des salari6s et leur employeur”‘, des man-
dant et mandataire”‘ ainsi que des entrepreneur et client”‘, les uns
l’6gard des autres.
Les r~gles proposdes pour le commerce international consacrent express6ment le de-

” L’individualisme domine IA oi chacun poursuit ses propres int6rts et, ce faisant, voit I’autre
comme une menace ou encore un moyen de les rdaliser ou non: voir R.W. Gordon, ((Macaulay, Mac-
neil, and the Discovery of Solidarity and Power in Contract Law
la
p. 568.

[1985] Wisconsin L. Rev. 565

“4 Voir >, supra note 104.
‘4 Voir <, supra note 106.
I’ Voir la partie IIIA. ci-dessous.
le contrats de soci6t6: voir art. 2186 C.c.Q.
“Dans
” Dans les contrats de mandat: voir art. 2149 C.c.Q.
” Des administrateurs

l’6gard de la personne morale (art. 322 C.c.Q.) ; de l’administrateur du
bien d’autrui A l’gard de I’administr6 (art. 1309 C.c.Q.), du salad6 l’6gard de son employeur (art.
2088 C.c.Q.), du mandataire .rHgard du mandant (art. 2138 C.c.Q.).

“0 Voir art. 2228 C.c.Q.
Voir art. 2091 C.c.Q.
,42 Voir art. 2178 -2181 C.c.Q.
“‘ Voir art. 2126 -2129 C.c.Q.

1999]

L. ROLLAND – LES FIGURES CONTEMPORAINES DU CONTRAT

927

voir de collaboration'” et confirment son r6le efficient : <>”‘.

Ce d6placement de l’objet vers les sujets n’est pas qu’atmosph6rique, il a un effet
consid6rable sur les rapports obligationnels. Les interactions relationnelles sont, dans
cet esprit de collaboration, essentiellement fond6es sur des jeux de r6le et Macneil
pose, parmi les normes communes A tous les contrats’, le respect int6gral du r6le as-
sum6 par chacune des parties’. La th6orie classique ne traite pas des r6les leur pr~ff&
rant, pour d6crire sensiblement le m~me ph6nom~ne mais dans cette atmosphere
d’objectivation, le contenu obligationnel des contrats : obligations explicites ou impli-
cites”‘, ces demi~res 6tant class6es comme essentielles, naturelles ou accidentelles’
eu 6gard toujours i l’objet du contrat. Or, le l6gislateur qui 6tablit le contenu des con-
trats nomm6s, plus souvent
titre suppl6tif qu’autoritaire, utilise in6vitablement les
jeux de r6les pour fixer les exigences contractuelles normales vis A vis de chacun. Et
ce n’est M que le synopsis minimal de l’action. Pour compl6ter le sc6nario, encore
faut-il y ajouter la personnalit6 individuelle des contractants, y compris leurs apparte-
nances identitaires, ainsi que le contexte particulier de leurs relations.

Selon les normes 6tablies par Macneil, chaque contractant doit, pour 8tre de
bonne foi, respecter les exigences normales de son r6le, r6pondre positivement aux
attentes 16gitimes de l’autre partie et s’abstenir de nuire
ses int6rts 16gitimes”. Non
seulement ces r~gles s’appliquent-elles aux fins poursuivies par chacune des parties,
mais 6galement aux moyens employ6s pour y parvenir”‘. Certains diront que ces no-
tions d’attentes et d’int6r~ts l6gitimes risquent de pr6cipiter le contrat et le droit dans
le gouffre du relativisme et du subjectivisme. Au contraire, elles appellent un dosage
d’objectivit6 et de subjectivit6 qui caract6rise si bien le droit civil des contrats. Dans le
droit du commerce international, elles sont du reste interpellfes en termes de raison-
nabilit6’ 2, crit~re d’apprdciation objectif ” mais contextuellement marqu6 par la situa-

” Voir art. 5.3 des Principes-UNIDROIT, supra note 13.

Art. 1.107 des Principes du droit europfen, supra note 14.

16 Voir Social Contract, supra note 105 L la p. 39 et s. ; <>, supra note 106
” Voir Social Contract, ibid. aux pp. 40-44.
” Voir art. 1434 C.c.Q.
’49 Voir Baudouin, supra note 21 aux pp. 247 et s. ; P-A. Cr6peau, < (1965) 43 R.B.C. 1 ; Pothier, supra note 85 A lap. 6.

“o Voir Social Contract, supra note 105 aux pp. 40-44.
‘”, Ce qui fait appel, de fagon interreli6e, une autre norme commune aux contrats, c’est-M-dire la

pertinence des moyens : voir <>, supra note 106 aux pp. 347 et 363.

’52 Voir Cr6peau, supra note 15 L la p. 132. Dans les Principes-UNIDROIT, supra note 13, voir les
art. 2.20, 5.3, 7.1.6, 7.1.7, 7.3.1 pour les attentes 16gitimes, et les art. 6.1.3, 6.1.5 pour les int~r&s lgi-
times.

53 Voir art. 1.108 des Principes du droit europ~en, supra note 14:

Doit 8tre tenu pour raisonnable aux termes des pr6sents Principes ce que des personnes
de bonne foi plac6es dans ]a m~me situation que les parties regarderaient comme tel.
On a 6gard en particulier
la nature et au but du contrat, aux circonstances de l’espece
et aux usages et pratiques des professions ou branches d’activit6 concem6es.

928

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 44

tion contractuelle particuli~re et, dirions-nous, subjectivement teintde par les circons-
tances singulires de l’esp~ce. Le droit commun du Qu6bec le fait d6j en asseyant ]a
responsabilit6 civile sur ]a diligence normale, normalit6 qui tient cependant compte
des circonstances'”. En mati~re contractuelle, le climat subjectiviste et personnaliste
commande plus encore un critre souple.

Le concept de r0le interactionnel, bien mieux que les categories fondres sur
l’intuitus personae, permet
tous 6gards d’atteindre les finalit6s essentielles du con-
trat. Le fait de frustrer les attentes et int6rts ldgitimes de chacune des parties revient A
nier les avantages qu’elles avaient prdvu tirer du contrat et par consequent A les plon-
ger au cceur de conflits, lieux pr6destinds d’insdcurit6 et d’instabilit6.

B. De la clfture vers I’ouverture environnementale
Si les appartenances identitaires renvoient, comme nous l’avons vu, aux caract6-
ristiques g6n6riques fond6es sur le ddsdquilibre des forces et du pouvoir des parties au
contrat, elles font 6galement appel aux propri6tfs culturelles, particularismes secto-
riels ou plus globalement sociaux. Les contrats s’inscrivent dans un milieu et doivent,
par consequent, 8tre contextu6s. Les pratiques contractuelles agissent sur la commu-
naut6 dans laquelle ils naissent, vivent et meurent ; en retour, la socidt6 ne saurait tol-
rer que ces pratiques, au nom d’une certaine libert6 individuelle, usurpent ses convic-
tions profondes, contredisent l’ordre de justice 6conomique qu’elle se donne. Ces
mouvements d’influence r6ciproque s’expriment dans un dialogue intersystdmique et
construisent une atmosphere surdrterminante dans laquelle baignent le droit autant
que les contrats.

Les usages, fond6s sur les consensus de certaines communaut6s identifides A
l’6gard de valeurs et standards > sectoriels, sont absorbrs par le droit. Le Code civil
du Quibec accorde aux usages des fonctions non seulement interpr6tatives'” mais
6galement normatives. Les usages donnent au silence la valeur d’une acceptation”‘,
comme elles 6tablissent Ia priorit6 de l’ex6cution des obligations corr6latives d’un
contrat synallagmatique”‘
largement, elles sont une source autonome
d’obligations contractuelles implicites”‘. Que le l6gislateur abdique devant une tradi-
tion sectorielle trop bien 6tablie’9 ou qu’il se reporte, par souci de souplesse,
]a mul-

; plus

art. 1457 C.c.Q.
‘Voir
,”Voir art. 1426 C.c.Q.
Voir art. 1394 C.c.Q.
‘”Voir art. 1591 C.c.Q.
Voir art. 1434 C.c.Q.

‘ C’est le cas pour les activit6s juridiques maritimes comme le transport (art. 2004, 2027, 2062,
2064, 2082 C.c.Q.) ou les assurances (art. 2526, 2528, 2569, 2570 C.c.Q.). Le ministre dira de
‘article 2004 C.c.Q. sur la contribution des parties aux avaries communes lors de l’ex~cution d’un
contrat d’affratement :

Le principe de la contribution proportionnelle pour toutes les avaries communes n’a
t6 retenu : il a paru pr6fdrable de donner effet aux rfgles et aux usages maritimes
pas

1999]

L. ROLLAND – LEs FIGURES CONTEMPORAINES DU CONTRAT

929

tiplicit6 des secteurs couverts par un type de contrat”, il invoque les usages ‘ des fins
diverses”‘ faisant montre du souci d’adapter les contrats a leur environnement.

La thdorie classique reconnait 1’existence de ces sources matrrielles de droit mais
leur accorde une importance relativement trnue ; par contre, leur existence est rigou-
reusement encadrre. Leur force contraignante se fonde sur le consentement mutuel
implicite des parties et est mise en ceuvre par la preuve que ces pratiques poss~dent
, supra note 106 aux pp. 367-68.

” Voir Baudouin, supra note 21 aux pp. 79-82.

1999]

L. ROLLAND – LEs FIGURES CONTEMPORAINES DU CONTRAT

931

acquis et toujours fugitifs qui commandent au droit, comme aux contractants, ouver-
ture et souplesse:

C. De la fixitW vers la flexibilit&6
L’ordre public et le champ de valeurs, qu’ils soient intemationaux, nationaux ou
locaux, ram~nent les relations contractuelles dans leur espace d’appartenance. Les
la perpdtuit 0′,
contrats s’inscrivent aussi dans la dimension temporelle. Allergique
la th~orie classique consacre l’immddiatet6 de la formation, de 1’ex~cution et de
l’extinction du contrat. On distingait, bien avant la lettre de la loi, les contrats A ex6-
cution instantande et ‘, exdcution successive’ , les obligations pures et simples et les
obligations a terme, les contrats ia dur~e fixe et ‘ durde ind6termin~e, les premiers ten-
dant toujours ii constituer la norme gdn6rale.

Cette conception, figure du contrat transactionnel, tend ‘a transgresser le mouve-
ment naturel du temps pour amener, par l’effet d’une planification structur6e essen-
tiellement autour de la promesse, le futur dans le prdsent, ce que Macneil appelle la
presentiation . Des cdsures strictes s’6tablissent entre les moments prdcontractuel,
contractuel et post contractuel’
; une fermeture notionnelle s’6rige entre la formation,
l’ex~cution et l’extinction du contrat :

The creation of a transaction and the individual’s mode of entry into it typically
are one and the same. They are accomplished by sharp consent, the boundary
between being in (transaction commenced) and not having come in (transaction
not commenced) being clearly defined. The mode of individual withdrawal
from and termination of the transaction itself also are typically identical: com-
pletion of clearly defined performance as planned. As with commencement, the
boundaries between being finished (transaction terminated) and not being fin-
ished (transaction not yet terminated) are clearly defined. The whole process
can be summarized as ; the boundaries between out and in
at the beginning, and in and out at the end, are clear7.

La th6orie relationnelle des contrats nous invite ia tenir compte de I’6volution gra-
duelle des rapports : une relation commence et se termine rarement de fagon

” Voir Pineau, Burman et Gaudet, supra note 42 aux pp. 425-3 1.
’70 Distinction doctrinale, l’art. 1383 C.c.Q. en donne maintenant les d6finitions fond6es essentiel-
lement sur 4Ia nature des choses , ce qui tend ‘a les distinguer des contrats dont l’ex~cution est assor-
tie de modalitds temporelles d6cid6es par les parties.

. Sur ces distinctions, voir P. Deslauriers, La diclaration prdcontractuelle de risque en droit qui-
bicois, Cowansville (Qc.), Yvon Blais, 1994 ; J. Ghestin, L’obligation prcontractuelle de rensei-
gnements en droit franqais dans D. Tallon et D. Harris, dir., Le contrat aujourd’hui : comparaisons
franco-anglaises, Paris, Librairie g6n6rale de droit et de jurisprudence, 1987, 171 ; P. Legrand, Jr.,
(1989) 21 R.D. Ottawa 585 ; P. Legrand, Jr., [1992] Contemp. Law 197 ; J. Schmidt, La sanction de la faute
pr~contractuelleo (1974) 73 R.T.D. civ. 46.

172 Futures>, supra note 7 ‘ la p. 750.

932

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 44

toute c6sure abstraite. Le contrat relationnel foumit un
abrupte”‘, ce qui s’oppose
cadre temporel tridimensionnel : odes parties conscientes de leurs rapports pass6s, se
rencontrent et 6changent en pr6voyant que leur relation se poursuivra dans le futurm”‘ ,
tant et si bien que le contrat est tout au plus une projection du pr6sent dans le futur'” et
non l’apprdhension du futur par le pr6sent. Lorsque le Code civil d Quibec prend en
l’acceptation tacite
consid6ration les relations ant6rieures des parties pour conclure
d’une offre de contracter’, lorsqu’il impose au juge-interpr~te de tenir compte des
circonstances dans lesquelles le contrat a 6t6 conclu et de I’interpr6tation que les par-
lorsqu’il prescrit qu’un bail est reconduit tacitement par la
ties lui ont d6jA donn6e”‘,
seule poursuite de la relation’8 , lorsqu’il impose la survie des obligations apr~s
I’extinction du contrat qui les avait engendr6es'”, il adopte l’id6e d’un contrat inscrit
dans un continuum temporel et endosse, ce faisant, la conception relationnelle.

Plus encore, la r6alit6 6conomique contemporaine plonge tr~s souvent les rela-
tions contractuelles dans la dur6e, voire le long terme. L’6change de consentement est
g6n6ralement pr6c6d6 de longs pourparlers et d’ententes pr6alables”‘. Non seulement
‘ex6cution se prolonge-t-elle en phases successives, mais les parties, avant meme son
extinction, planifient explicitement ou implicitement eurs futures relations d’affaire.
Si l’interd6pendance rejette la domination, la dur6e exige l’adaptation. La versatilit6
des march6s, les interf6rences aussi multiples qu’impr6visibles qui affectent les fac-
teurs de production, les brusques changements sociaux, politiques, 6conomiques ou
technologiques font en sorte que ]a rigidit6 devient n6faste pour les affaires. La r6so-
lution pacifique, des conflits, mais plus encore les accommodations et ajustements en
cours d’exdcution, dosent la souplesse indispensable A la survie du lien contractuel.

La thorie classique promeut essentiellement la fixation exhaustive comme ins-
trument de pr6vision. Pour contrer les al6as, le contrat transactionnel tend A tiger le
temps, t assujettir le futur. Macneil voit dans ce processus des difficult6s insurmonta-
i6es A la nature humaine et aux relations interpersonnelles. Incapable d6jA de
bles
capter globalement le pr6sent, l’8tre humain est certainement inapte .saisir l’avenir ;
‘effort de conversion de la r6alit6 en langage abstrait –
forme d’expression du con-
trat –
a toujours un effet r6ducteur ; toute communication humaine est soumise k des

‘7 Voir ibid. A lap. 751.
7 Alberts, supra note 106 k lap. 87.
,, Voir ibid.
’76Voir art. 1394 C.c.Q.
“Voir art. 1426 C.c.Q.
,’ Voir art. 1879 C.c.Q.
‘”Contrats de socit6 : voir art. 2233,2262 C.c.Q. ; contrats de mandat: voir art. 2162 C.c.Q.

W’ V6ritables avant-contrats, sous forme de promesses de contracter telles que pr6vues .l’art. 1396
C.c.Q. qui different de la formation d6finitive du contrat projet6, mais 6galement accords partiels, ac-
cords de principe, lettre d’intention, punctation. Au Qudbec, voir Pineau, Burman et Gaudet, supra
note 42 aux pp. 106-108 ; en France, voir Mestre, supra note 30 A lap. 52 ; Terr6, Simler et Lequette,
supra note 20 aux pp. 137-49.

1999]

L. ROLLAND – LES FIGURES CONTEMPORAINES DU CONTRAT

933

distorsions, par cons6quent tout accord emporte ses divergences”‘. Dans un contrat ii
long terme, non seulement les al6as ou encore les risques de mauvaises pr6visions se
multiplient-ils, mais ces difficult6s inhdrentes sont exacerb6es : The problem is that
presentiation is a quite illusory goal and all long-term contracts must in practice be in-
complete 2. Dans la pratique, ces contrats se caract~risent donc par leur indetermina-
tion planifi~e ‘

‘.

Quelle que soit I’approche conceptuelle, la fin recherch6e est la mame

l’efficacit6 6conomique par la stabilit6 des rapports juridiques. Les moyens seuls dif-
ferent et affectant le choix des normes : d’un c6t6, fixation et immutabilit6 ; de l’autre,
communication continue et flexibilit6. La question surgit : est-ce l’immutabilit6 ou la
flexibilit6 qui sert le mieux la stabilit6 des liens contractuels ? La th6orie classique as-
socie 6troitement la sdcurit6 juridique ‘a l’immutabilit6 des contrats. Le droit devient
l’instrument qui fait du contrat une source d’obligations juridiquement contraignantes
par la force 6tatique. Qu’elles lient les parties, qu’elles soient opposables aux tiers,
qu’elles soient irr6vocables et en principe non modifiables, tout concourt ‘ les mettre
‘ abri des fluctuations 6v6nementielles. Selon Macneil, la pratique contractuelle pr6-
senterait un autre visage : particuli~rement dans les relations d’affaires continues'”, la
flexibilit6 serait garante non seulement de la p6rennit6 mais 6galement de l’efficacit6
et de la paix contractuelles.

Paul-Andr6 Cr6peau, avec

lafavor contractus, c’est-a-dire l’effectivit6 du contrat –

la collaboration d’tlise M. Charpentier, dans
l’ouvrage”‘ qu’ils consacrent a la comparaison des valeurs soutenues respectivement
par le Code civil du Quebec et les Principes-UNIDROIT, ont admirablement d6mon-
tr6 qu’une fin partag6e –
peut 6tre poursuivie par des moyens diffdrents. II ressort de leur analyse que le droit
commun du Qu6bec a emprunt6 ‘ l’une et l’autre conception, et qu’en renongant ‘a la
stricte rigidit6 de la th6orie classique il n’a pas, pour autant, souscrit ‘a toute la fluidit6
des Principes-UNIDROIT. Sans reprendre toute l’analyse des auteurs, une variable
pourra servir la comparaison, soit le degr6 de d6termination du contenu obligationnel.
Selon la th6orie classique, la determination pr6cise de l’objet du contrat et des
obligations qu’il g6n~re est lie au principe de l’autonomie de la volontd. Le contrat
reposant sur le moment magique de l’6change des consentements, les futures parties
doivent savoir avec exactitude ce ‘ quoi elles s’engagent. Au silence du Code civil du
Bas Canada, l’on opposait comme conditions, sous peine de nullit6, qu’a une offre

… Voir , supra note 7 aux pp. 726-29.
“2 D. Campbell et D. Harris, (1993) 20 : 2 J. L. & Soc. 166 .lap. 169.

‘8 (ibiL).

.. Que ‘exacution d’un contrat se prolonge dans le temps ou que les parties entretiennent des rela-

tions d’affaires multiples sur une base continue.

” Supra note 15 ‘ lap. 12 et s.

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 44

prdcise devait correspondre une acceptation parfaitement conforme. Le Code civil diu
Qudbec att6nue cette rigidit6 par la qualification suivante : l’offre doit comporter tous
les 616ments essentiels du contrat envisag6′” et l’acceptation doit y 6tre substantielle-
ment conforme’7 . A ddfaut d’atteindre ce degr6, i’on replonge dans les limbes extra-
contractuels de la ndgociation, dans lejeu des propositions et contre-propositions. Au
contenu formel des 6changes, UNIDROIT oppose le comportement des parties qui,
s’il indique suffisamment leur accord, permet de conclure t l’existence d’un contrat”.
Par ailleurs, pour limiter les risques de contentieux, l’article 2.11 des Principes ac-
corde A l’offrant d’6valuer la substance de l’acceptation et, le cas dchdant, de la refu-
ser en r6itdrant son offre initiale’9 . Union de la souplesse et de la s6curit6 par la com-
munication achevde.

Qu’arrive-t-il lorsque les parties ont convenu de reporter la d6termination d’un
616ment essentiel du contrat ? La thdorie classique exige que l’objet d’une obligation
soit au moins d6terminable au moment de l’change des consentements, que > [italiques dans l’original]’ ‘
qui incluent l’intervention d’un tiers mais non celle du juge qui < ‘”‘. Selon les Princi-
pes-UNIDROIT, une clause ind6terminde demeure valide s’il existe un moyen raison-
nable d’y palier, moyen qui, m~me s’il n’a pas 6t6 pr6vu par les parties, tienne compte
de leur intention’2 . Le meme processus s’applique en cas de lacune importante’9 ‘. Pre-
nons comme exemple la fixation du prix. Selon la th6orie classique, tout contrat dont
le prix est ind6termin6 et qui ne prdvoit pas de crit~res objectifs et pr~dterminds pour
sa fixation est nul. La Cour de cassation, si6geant en assemblde plni~re, a provoqu6
en 1995′”‘ un ouragan juridique’9 en disposant que l’ind6termination du prix, du
moins dans les contrats-cadres, n’emportait pas la nullit6 du contrat sauf si la loi
l’imposait. Une partie pouvait donc, sans impunit6, fixer unilat6ralement le prix sauf

‘ Voir art. 1388 C.c.Q.

Voir art. 1393 C.c.Q. L’absence d’accord sur des 616ments secondaires n’est donc pas fatal, ce qui
est rditdr6 par l’art. 1387 C.c.Q. : <>.

,’ Voir Principes-UNIDROIT, supra note 13, art. 2.1 ; le jeu de l’offre et de l’acceptation n’aura

d’effet que sur le moment et le lieu de la formation du contrat, s’il devient ndcessaire de les fixer.

‘8) Voir Crdpeau, supra note 15 it lap. 16.
,9’ Pincau, Burman et Gaudet, supra note 42 A lap. 216.

Ibid. it lap. 217.
2 Voirsupra note 13, art. 2.14.
‘ ‘ Voir Principes-UNIDROIT, ibid, art. 4.8. A ddfaut d’accord entre les parties quant A une clause
importante pour la d6termination de leurs droits et obligations, on [6ventuellement le tribunal arbitral]
y supplde par une clause approprie. Les crittres sont : l’intention des parties, la nature et le but du
contrat, la bonne foi, ce qui est raisonnable.

‘> Voir Coinpagniefianaise de tdldphone c. Bechtel France ; SNC Le Montpanzasse c. GSTAIcatel
Bretagne ; SA Compagnie Alantique de tjlIphone c. SA SUMACO; Vassali c. Gagnaire, Ass. pldn., I
ddccmbre 1995, D.1996.13.

‘” Voir CEDIP et Universit6 de Montpellier, dir., La ddternination dt prix: nouveatux enjeux, Paris,

Dalloz, 1997.

1999]

L. ROLLAND – LES FIGURES CONTEMPORAINES DU CONTRAT

935

dans des cas d’abus qui menaient alors ‘ la r6siliation du contrat ou la r6duction de
l’obligation. Rien dans le droit commun du Qu6bec n’empecherait les tribunaux de
suivre ce courant qui, du point de vue de la th6orie classique, serait un contre-
courant’96 . Cette pratique contractuelle n’est pas rare et le droit du commerce interna-
tional en prend acte. Le premier alin6a de l’article 5.7 des Principes-UNIDROIT pr6-
voit :

Lorsque le contrat ne fixe pas de prix ou ne pr6voit pas le moyen de le d6termi-
ner, les parties sont r6putdes, sauf indication contraire, s’8tre r6f6r~es au prix
habituellement pratiqu6 lors de la conclusion du contrat, dans la branche com-
merciale consid&6re, pour les memes prestations effectu6es dans des circons-
tances comparables ou, ‘a d6faut d’un tel prix, ‘ un prix raisonnable.

Certaines dispositions du Code civil du Quebec, au titre des contrats nomm6s, pr6-
voient express6ment la fixation du prix au moment de l’accord'”, mais il en est
d’autres qui pr6voient express6ment que le prix pourra etre fix6 d’apr~s la valeur de la
contre-prestation’9 , donc ult6rieurement et en assumant les fluctuations du march6.

Lafavor contractus est le principe selon lequel il faut autant que possible pren-
dre des mesures destinies ‘ favoriser la validit6 et l’ex6cution, bref la survivance plu-
tbt que la nullit6 ou l’extinction d’un contrat>’9 , un principe qui assure la stabilit6
contractuelle. Nous croyons que, mieux que la fixit6 principielle, la souplesse des
moyens alternatifs de d6termination –
contri-
bue ‘a la sdcurit6 juridique. D’autant que les contrats sont par nature incomplets et le
sont plus encore les contrats ‘ long terme. Parce qu’il est impossible et inopportun
d’en spdcifier les conditions (prix, quantit6, qualit6, d6livrance), parce qu’il est impos-
sible de pr6voir l’avenir et de le formuler au pr6sent, ces contrats s’expriment en ter-
mes qui 6tablissent le processus par lequel les parties en pr6cise-
ront le contenu et feront les ajustements requis au fur et ‘ mesure de l’ex6cution”. Si
le droit r6pond ‘ ces pratiques contractuelles par la nullit6 pour ind6termination, il
participera ‘ la fragilisation des rapports juridiques et mettra l’institution en p6ril.

y compris la n6gociation continue –

La th6orie relationnelle, qui fait de la flexibilit6 et de la coopration des normes

essentielles, r~pond mieux ‘a cette r6alit6 que la th6orie classique des contrats:
In contrast with the contract transaction, the contract relation depends entirely
upon further cooperation, not only in carrying out what performance has been
planned, but in further planning of the substantive activities of the relation.

,9 La fixation obligatoire du prix lors de la conclusion du contrat 6tait une condition de validit6 des
contrats qui en France trouvait sont fondement dans l’art. 1129 C. civ. La Cour de cassation a decid6
que cette disposition n’6tait pas applicable ‘ la determination du prix. L’art. 1374 C.c.Q. est au meme
effet, comme l’dtait l’art. 1060 C.c.B.-C.

C’est le cas en mati~re de vente (art. 1708-1786 C.c.Q.) et de bail d’un logement (art. 1903

C.c.Q.).

2134 C.c.Q.).

,.. C’est le cas en matire de contrats d’entreprise ou de service (art. 2106 C.c.Q.) et de mandat (art.
’99 Cr~peau, supra note 15 ‘a lap. 12.
200 Voir Esser, supra note 102 ‘ lap. 622.

936

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 44

Thus, everything is dependent upon further cooperation, not only in perform-
ance, but also in planning” ‘.

Si l’ind6termination semble 8tre une caract6ristique profonde des contrats contempo-
rains, la d6termination ne doit pas pour autant constituer un pi~ge, une menace A
l’efficacit6 contractuelle et 6conomique. Sans boule de cristal, les contractants sont
soumis A tous les al6as du temps dans des rapports non modifiables sauf du consen-
tement mutuel des parties ou par les juges pour les causes reconnues par la loi2″. Paul-
Andr6 Cr6peau int~gre la th6orie de l’impr6vision au rang des serviteurs de lafavor
contractus0′ alors que la th~orie classique y volt au contraire une source d’insdcurite'”
et d’instabilit6 5 . Pareil paradoxe dans une liaison de finalit6 a de quoi surprendre : s’il
ne peut se r6soudre par la logique, c’est qu’il r6pond de l’id6ologie.

Tous s’entendent sur l’objet de cette th6orie : il s’agirait de r6viser un contrat
lorsque l’ex6cution des obligations est rendue beaucoup plus on6reuse ou beaucoup
moins avantageuse en raison de circonstances impr6visibles au moment de sa forma-
tion ; bien entendu ce d6s6quilibre ne doit pas 8tre imputable aux parties’. Tous
s’accordent sur la validit6 des clauses dites de hardship>> par lesquelles les parties
s’obligent en pareil cas A ren6gocier l’6quilibre contractuel et, au cas d’6chec,
sou-
mettre leur diff6rend A un arbitre 7 . Certains refusent cependant que le l6gislateur
I’impose et confie aux tribunaux ce pouvoir de r6vision pr6textant qu’on ne peut cou-
rir le risque de laisser A la discr6tion des tribunaux le choix de solutions qui risquent
d’8tre purement arbitraires et entrainer des effets … >2 . I1 reviendrait
done aux seules parties, dans l’exercice de leur libert6, de pr6voir l’impr6visible et
d’accorder leur confiance absolue un arbitre. La th6orie de l’impr6vision s’applique
i des situations exceptionnelles et constitue de ce fait un r6gime juridique exception-
nel. C’est ainsi que les Principes-UNIDROIT la pr6sentent et en font une r~gle
d’application g6ndrale sans etre pour autant imperative” .

Ceux qui rejettent cette th6orie s’appuient sur les fondements du droit commun
auxquels ils ajoutent un

libert6 contractuelle et s6curit6 juridique –

des contrats –

201 <(Futures>>, supra note 7 A lap. 781. Au m~me effet, voir Campbell et Harris, supra note 182 t la
p. 170 ; Esser, ibid. A la p. 623. Dans la th6orie du contrat relationnel, Ia norme de flexibilit6 est in-
timement Miie A la norme de solidarit6, c’est-t-dire l’obligation pour les parties d’utiliser les meilleurs
moyens pour pr6server et maintenir la relation de coop6ration : voir ((Values>>, supra note 106.

“‘ La thdorie classique fait de l’immutabilit6 une cons&luence directe de 1’effet obligatoire des con-

trats consacr6 par les art. 1434 -1439 C.c.Q.

20′ Supra note 15 A lap. 30.
, Voir Pineau, Burman et Gaudet, supra note 42 A la p. 433.
o’ Voir Baudouin, supra note 21 A lap. 245.
” Voir Pineau, Burman et Gaudet, supra note 42 A la p. 432 ; Cr6peau, supra note 15 aux pp. 30-
..7 Voir Baudouin, supra note 21
20S Pineau, Burman et Gaudet, ibid.
20″ Voir Principes-UNIDROIT, supra note 13, art. 6.2.2, 6.2.3 ; Principes du droit europen, supra

lap. 245 ; Pineau, Burman et Gaudet, ibid. & lap. 434.

32.

note 14, art. 2117.

1999]

L. ROLLAND – LES FIGURES CONTEMPORAINES DU CONTRAT

937

choix de politique l6gislative. Le rejet par le Ministre de la justice d’une proposition
de I’Office de r6vision du Code civil d’inclure une r~gle d’application g6n6rale”‘ de-
vient un principe, r6affirm6 par des interventions ponctuelles donc exceptionnelles
dans le champ particulier des lib6ralit6s”‘ et des patrimoines d’affectation 2 . Ils re-
doutent les r6actions en chane, oa la r6vision appelle la r6vision, et cela dans un
mouvement sans fin. Ceux qui pr6conisent la r6ception de cette thorie s’appuient tout
autant sur les fondements du droit commun des contrats : Julie B6dard a remarqua-
blement d6montr6 que la th6orie de l’impr6vision trouve sa source dans le principe de
l’autonomie de la volont6 et que la sfcurit6 juridique lui sert d’assise”‘ . Ils invoquent
par ailleurs toutes les dispositions 16gislatives qui font de la r6vision judiciaire le
moyen d’assurer non seulement la justice mais 6galement le maintien des liens con-
tractuels. A tous ces arguments de logique interne, s’ajoute 1’argument puissant de la
pragmatique:

Une grave &quivoque doit atre, en effet dissipfe. Ce qui cr~e l’ins~curit6, c’est
le bouleversement des conditions 6conomiques, sp6cialement la hausse vertigi-
neuse des prix. Ce fait une fois acquis, on n’y rem6die pas par l’intangibiliti du
contrat dans une instabilit g~n~rale. Un r6ajustement a plus de chances de
contribuer au r6tablissement de la sfcurit6, en crrant les conditions d’un nouvel
6quilibre [italiques dans l’original)”.

Exclure la th6orie de l’imprdvision du droit commun des contrats, et cela sans rejet
16gislatif formel, emporte la ruine 6conomique de l’une des parties ou la ruine con-
tractuelle pour les deux. Le d6biteur d’une obligation devenue > l’ex6cutera soit au risque de sa survie 6conomique et de sa productivit6 future,
soit ne l’ex6cutera pas au risque de la survie et de l’efficacit6 r6elle du contrat. La
r6action en chaine peut alors prendre une trajectoire tragique :

Celui-ci [le d6biteur], ruin6 par un seul contrat, ne pourra remplir ses engage-
ments contractuels vis-a-vis d’innombrables autres cranciers. I1 peut se trouver
6galement que, dans des circonstances imprvisibles A un niveau r6gional, na-
tional ou international, des centaines voire des milliers de d6biteurs soient rui-
n6s par un seul contrat qui aurait simplement pu &re r6vis6 : l’argument de
l’instabilit6 6conomique nationale peut donc 6galement etre invoqu6 en faveur
de l’acceptation de la th6orie de l’impr6vision. Autrement dit, un excs de sta-

2t0 Voir O.R.C.C., supra note 34, art. 75

la p. 345 ; Connientaires, supra note 38 aux pp. 624-25.
Cette proposition n’a pas 6t6 reprise dans l’avant-projet de loi et n’a donc W soumise ni a ]a discus-
sion publique ni au lgislateur.
“‘ Voir art. 771, 1834 C.c.Q.
… Voir art. 1294 C.c.Q.
2’ <1″. Nous pourrions ajouter qu’en revanche, aux
actes composites mais unitaires, le droit pr6fere la pluralit6 des actes simples. Ce dou-
ble mouvement poursuit essentiellement le meme objectif : ramener la rdalit6 A ]a
simplicit6 du module, la fondre dans le scheme.

2I Bddard, supra note 213 b. lap. 784.
2,6 Voir , supra note 7 aux pp. 782-83.
,17 R. Cabrillac, L’acte juridique conjonctif en droit privjfranais, Paris, Librairie g6n6rale de droit

et de jurisprudence, 1990 A lap. 3.

1999]

L. ROLLAND – LES FIGURES CONTEMPORAINES DU CONTRAT

939

La th6orie classique tend ‘a expulser du territoire contractuel toute personne qui
n’a pas particip6 ‘ ]a rencontre des volont6s. L’on sait que le contrat, acte juridique
bilat6ral, requiert deux parties, chacune ayant des intdrts propres. L’on sait qu’une
partie, ou les deux, peut 6tre compos6e de plusieurs personnes ; le Code civil d Quj-
bec le reconnalt maintenant express6ment2 “. Mais si le contrat peut se d6cliner au plu-
riel, il se conjugue en g6n6ral au singulier : >2 ‘ . Par
phdnom~ne de fusion , la multiplicit6 se r6incame en personne morale unique’ ou en
entit6 gfn6rique comme la soci6t6 et la succession, voilant le nombre d’actionnaires,
d’associ6s ou d’h6ritiers par l’effet du groupement. De la meme mani~re, la pluralit6
de liens sera camoufl6e par l’unit6 de l’objet de l’obligation indivisible&22 ou soli-
daire 2. Par ph6nom~ne de fission, l’unitd d’une op6ration complexe dclate en multipli-
cit6 d’actes qui ramne par exemple le contrat tripartite en une sfrie d’actes bilat6raux ” .
La structure bic6phale de d6part doit demeurer pendant toute la vie du contrat. Le
principe de 1’effet relatif24 cr6e une partition 6tanche entre la cat6gorie identitaire des
parties contractantes et la cat6gorie r6siduaire des tiers. Rappelons que la d6finition
juridique s’apparente a l’une des acceptions usuelles du tiers : >2 et <>22′ . Cette extran6it6 n’est
pas entirement soutenue par la r6alit6 juridiqu&7 . Ainsi des personnes interviennent
la formation d’un contrat sans que ce demier ne les lie formellement. Outre le repr6-
sentant, toute personne doit donner son autorisation ou son assistance”‘, meme le no-
taire instrumentant”. Pendant la vie du contrat, les parties originaires peuvent

211 Voir art. 1378 C.c.Q. : <> [nos italiques].

219 Cabrillac, supra note 217 ?t la p. 3.
220 Voir art. 298 et s. C.c.Q. : c’est notamment le cas de la soci6t6 par actions (art. 2188 C.c.Q.) et du

syndicat de copropriftaires (art. 1039 C.c.Q.).

22 Voir art. 1520 C.c.Q.
212 Voir art. 1528, 1541 C.c.Q.
22. A cet 6gard, ]a d6finition du cr6dit-bail (art. 1842 C.c.Q.) et du mandat (art. 2130 C.c.Q.) y intro-
duit ]a pr6sence d’un tiers pour mieux signifier l’absence d’une troisi~me partie ; voir plus pr6-
cis6ment la section plus que symboliquement intitul6e <:
art. 2157-2165 C.c.Q.

14 Voir art. 1440 C.c.Q.
21 P-A. Crfpeau, dir., Dictionnaire de dioitprivi, 2 6d., Cowansville (Qc.), Yvon Blais, 1991, s.v.

<(tiers>>.

16 Petit Larousse illustrd, Paris, Larousse, 1988, s.v. <.
221 Voir Cabrillac, supra note 217 aux pp. 12-13.
228 On pense particuli~rement au tuteur (art. 173 C.c.Q.), au conseil de tutelle (art. 213 C.c.Q.), et

1’6poux pour les actes concemant ]a residence familiale (art. 401 et s. C.c.Q.).

2 2 Entre autres pour certains actes solennels qui requirent la forme notaride comme condition de
formation. Par exemple, le contrat de maiage (art. 440 C.c.Q.), 1’hypoth~que immobili~re (art. 2693
C.c.Q.), certaines donations (art. 1824 C.c.Q.).

940

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 44

s’6clipser par l’effet de substitution conventionnelle ou 16gale’ comme de nouvelles
personnes peuvent s’y greffer par l’effet d’adh6sions”‘ . Le cercle des relations con-
tractuelles n’est jamais d6finitivement stabilis6. Cette extran6itd n’est pas plus soute-
nue par la r6alit6 socio-6conomique, car dans le monde contemporain, l’abondance
des activit6s, conjugu6e A I’hypersp6cialisation, dessine des figures plus complexes ” .
Enchevdtr6 dans un r6seau de connexions 6conomiques>>2 ‘, le contrat devient l’File
d’un archipel anim6 d’une vie collective>> .

L’esprit communautaire n’a cependant pas p6n6tr6 la th6orie classique du contrat.
La pluralit6 sera vaincue le plus souvent par une strat6gie d’6clatement dont la princi-
pale tactique demeure la hirarchisation : hirarchisation substantive entre principe
g6n6ral et exception, entre principal et accessoire ; hirarchisation temporelle par voie
de successions d’6v6nements isol6s dont l’antdriorit6 ddtermine le rang relatif.

Ainsi, ]a th6orie juridique rangera traditionnellement ]a promesse de porte-fort
et la stipulation pour autrui”.. parmi les exceptions au principe de l’effet relatif du
par hi6rarchie des qualificatifs –
contrat, mais pour ajouter imm6diatement –
que la
premiere constitue une fausse exception, au mieux une att6nuation du principe.

C’est toujours en fondant le principe de la relativit6 des obligations convention-
nelles sur la volont6 et la participation i l’6change des consentements que l’on fixe les
fronti~res contractuelles. Les hdritiers y sont int6gr6s par la fiction du prolongement
de la personne du contractant2 ” . Les ayants-cause
titre particulier, dont les acqu6-
reurs subs6quents, le sont par la th6orie de I’accessoire, qui peuvent faire valoir di-
rectement les droits personnels acquis conventionnellement par leur auteur dans la
mesure ob ils sont intimement li6s au bien transf6r6’. C’est d’abord ia jurisprudence,
interpellde par la r6alit6 et la recherche d’6quit6, qui a cr66 certaines chaines de
transmission et 6branl6 ainsi la clOture de l’ordre contractuel”. Le Code civil du Qud-
bec r6unit simplement ces r6gimes dans une section consacr6e aux effets du contrat A

23 Par exemple, par l’effet de la subrogation (art. 1651 et s. C.c.Q.), de la cession de cr~ance (art.
1637 et s. C.c.Q.), de ]a novation par changement de ddbiteur ou de cr6ancier (art. 1660 et s. C.c.Q.),
de la ddl6gation (art. 1667 C.c.Q.). lgalement, ‘acqu6reur d’une entreprise par rapport au contrat de
travail (art. 2097 C.c.Q.) ou d’un immeuble par rapport au bail (art. 1886,1887, 1937 C.c.Q.).

2, En matire d’assurance collective: voir art. 2401-2406 C.c.Q.
2’2 Voir Mestre, supra note 30.
23 R. Savatier, Les intanoiphoses iconomiques et sociales du droit civil d’aujourdhui, I’ sirie,

Panorama des mtutations, 3′ 6d., Pads, Dalloz, 1964 A la p. 53.

‘ M. Cabrillac, Remarques sur la th6orie g~n6rale du contrat et les cr6ations r6centes de la
pratique commerciale > dans Milanges didies ii Gabriel Marty, Toulouse, Universit6 des sciences so-
ciales de Toulouse, 1978 A lap. 248.

‘. Voir art. 1443 C.c.Q.
2’ Voir art, 1444 et s. C.c.Q.
‘. Voir art. 1441 C.c.Q.
” Voir art, 1442 C.c.Q.
2’S Voir General Motors Products of Canada c. Kravitz, [1979] 1 R.C.S. 790, 93 D.L.R. (3’) 481;

cette r~gle est, pour ce qui concerne ]a vente, maintenant codifie F l’art. 1730 C.c.Q.

1999]

L. ROLLAND – LES FIGURES CONTEMPORAINES DU CONTRAT

941

l’6gard des tiers, brisant ainsi la muraille relationnelle 6rig6e par la thdorie classique.
Ces tiers , en perte de statut juridique, sont tout de mame r6cup6r6s par les cat6go-
ries th6oriques interm6diaires de tiers lis ou faux tiers>” qui les confinent dans
leur espace initial, gardant les vraies parties>> i l’abri du foisonnement social.

Au statisme des cat6gories d’appartenance qui tend ii isoler d6finitivement les
contractants correspond le mouvement dynamique qu’animent les 6changes, trans-
missions et mutations. La trajectoire se dessine, par saccades, en une succession de
bulles juridiques herm6tiques qui tendent ‘a reproduire le sch6ma classique du duo. En
langage m6taphorique, la thdorie classique pr6f’ere le couple reconstitu6 ia la famille
61argie. Pour construire la chaine, le ciment demeure l’unit6 d’objet –
un bien trans-
f6rd ou une obligation transmise – plus que le maillage des relations. Cette figure de
la pluralit6 des liens contractuels est explicitement reconnue par le Code civil du Qu-
bec : lin6aire, fond6e sur la transmission, elle engendre un r6seau simplifi6 qui ne
heurte pas de plein fouet la th6orie classique comme le fait le groupe de contrats.

Les groupes de contrats r6pondent en meme temps de la complexit6 6conomique
et de la fragmentation des facteurs de production. Pour mener ‘a bien un projet 6co-
nomique, il arrive que l’intervention de plusieurs agents soit requise. Les grands
chantiers de construction
le concours d’ing6nieurs d’architectes,
d’entrepreneurs, de sous-entrepreneurs, de fournisseurs, de consultants ; la distribu-
tion et le transport, dans un espace national ou international, suppose la coop6ration
de plusieurs sujets ind6pendants ; la plus petite intervention chirurgicale tisse des liens
entre le patient et son m6decin g6n6raliste, le m6decin sp6cialiste, la chirurgienne,
‘anesth6siste, l’h6pital, sans compter les liens contractuels pr6existants entre ces
derniers.

impliquent

La th6orie du groupe de contrats prend acte de ces situations dconomiques qui r6-
unissent une pluralit6 de contrats, juridiquement ind6pendants selon le crit~re de ]a
stricte participation ‘ l’change de consentement, mais qui ont en commun de porter
sur le meme bien ou de partager le meme destin. Identit6 de 1’objet de la prestation :
l’on trouve, par exemple, les contrats de transport combin6 ou successif41 . Identit6 de
la cause du contrat : l’on trouve les grands projets de construction mais 6galement les
contrats de publicit6 qui r6unissent, en structure diffuse, le client, 1’annonceur, le con-
cepteur, le diffuseur42. Les figures sont nombreuses et se modlent sur diverses ossa-
tures? ‘ allant de la chalne lin6aire h la grappe complexe. A l’hdt6rog6n6it6 des con-

240 j. Ghestin (avec le concours de C. Jamin et M. Billiau), Traitj de droit civil – Les effets du con-
trat, 2′ 6d., Paris, Librairie g6n6rale de droit et de jurisprudence, 1994 A lap. 388 et s. ; J.-L. Aubert,
A propos d’une distinction renouvel~e des parties et des tiers

[1993] R.T.D.C. 263.

24’ Selon r’art. 2031 C.c.Q., le transport successif est celui qui est effectu6 par plusieurs transpor-
teurs qui se succ~dent en utilisant le mame moyen de transport alors que le transport combin6 est ce-
lui oir les transporteurs se succulent en utilisant des modes diffdrents de transport.

.2 Voir B. Teyssid, Les groupes de contrats, Paris, Librairie g6n~rale de droit et de jurisprudence,

1975 t lap. 99 et s.

243 Bernard Teyssid a propos6 une nomenclature fond6e sur l’interd6pendance : ensembles de con-
dimension temporelle ou spatiale, ou A d6-

trats indivisibles, simples ou complexes, ou divisibles,

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 44

tractants rdpond toujours un 616ment identificatoire de nature, d’objet, d’obligations
principales ou accessoires”.

parties et tiers –

Cette th6orie a 6merg6 en France, dans les ann6es 1970, autour de la question du
r6gime de responsabilit6 applicable, contractuelle ou d6lictuelle, dans les cas o6i un
pr6judice 6tait caus6 A un contractant par l’inex6cution d’une obligation originant
d’un autre contrat, 6conomiquement interreli6 au sien. La proximit6, voire ]a superpo-
sition de situations coexistantes, l’interd6pendance des effets de chaque contrat sur
i’ensemble, ont soulev6 les problmes reli6s A la cl6ture du cercle contractuel. Le
principe de l’effet relatif des contrats entraine la qualification juridique des personnes
et provoque le choix du r6gime. Cette assertion se simplifie en-

core par le dogme de l’autonomie de la volont6, seule selon ]a th6orie juridique clas-
sique 4 pr6sider, sur fond de consentement, A la discrimination entre personnes lies et
toutes les autres, qualifi6es indistinctement de tiers. Outre le choix du r6gime de res-
ponsabilit6, chaines et grappes de contrats soul~vent les questions de 1’action directe
du cr6ancier contre le d6biteur de son d6biteur, des effets de l’an6antissement d’un
contrat sur la survie des autres, de l’interprdtation de l’un par les autres. Ce sont des
questions auxquelles la th6orie classique apporte certes des r6ponses, mais au prix de
contorsions juridiques telles que l’assimilation des deux r6gimes de responsabilit6, la
multiplication des recours de toute nature, au pire devant des tribunaux diffdrents qui
appliquent des lois diff6rentes, pour juger –
de liti-
ges sur la m~me cause d’action.

peut-8tre sans autre coh6rence –

Cette thforie a d’abord regu en France un accueil mitig62 ‘ pour etre finalement
rejet6e par l’Assembl6e pl6nire2 ‘ . Quant au droit qu6b6cois, la Cour supreme du Ca-
nada a, dans l’affaire Bailr’, suspendu son jugement sur cette question.

pendance unilatdrale ; ensembles de contrats i structure simple ou i structure complexe, les uns et les
autres conclus entre parties diffdrentes ou entre memes parties : voir ibid. aux pp. 93-133 ; M. Ba-
cache-Gibeili distingue les groupes homog~nes des groupes h6tdrog~nes, ces demiers sfpar6s en
groupes symdtriques et asymftriques : voir La relativitd des conventions et les groupes de contrats,
Pads, Librairie gdndrale de droit et de jurisprudence, 1996 aux pp. 122-42.

” Voir Bacache-Gibeili, ibid. Mbme nature et meme objet de ]a prestation : groupe homog~ne par
addition comme les ventes successives du m~me bien ou groupe homog~ne par diffraction comme
tout sous-contrat par rapport au contrat principal (les concepts d’addition et de diffraction sont em-
pruntds A Teyssi6, ibid. aux pp. 42-92). M~me objet de ]a prestation mais nature diff~rente : vente-
donation du meme bien. Contrats de nature diff6rente mais engendrant la m~me obligation princi-
pale: contrat d’entreprise et contrat de travail dont la nature se distingue principalement par
l’indtpendance et la subordination. Contrats de nature diffdrente qui n’engendrent pas la meme obli-
gation principale mais des obligations accessoires identiques : obligation de garantie de qualit6 ou
obligation de s6curit6 du bien, impartie, l’une et l’autre, au vendeur de mat6riaux et a ‘entrepreneur
qui les fournit .1 son client.

.. Appliqude par Cass. civ. 1′, 21 juin 1988, D.1989.5 ; rejet6e par Cass. civ. 3″, 22juin 1988, J.C.P.
1988.11.21125.

Ass. pln., 12juillet 1991, D.1991.549.
. Supra note 84.

1999]

L. ROLLAND – LES FIGURES CONTEMPORAINES DU CONTRAT

943

Le clivage prend sa source dans l’application du principe de l’effet relatif des
contrats, une construction que la th6orie classique tire des articles 1023 C.c.B.-C.,
1440 C.c.Q. et 1165 du Code civil frangais, qui prdvoient que le contrat n’a d’effet
qu’entre les parties contractantes 1’exclusion des tiers, sauf dans les cas pr6vus par la
loi. L’on peut r6duire le statut de parties contractantes>> aux seules personnes qui ont
consenti
l’acte juridique bilat6ral, ce qui provoque l’6clatement de l’ensemble con-
tractuel en autant de particules simples : les autres contrats deviennent des faits, les
autres contractants des tiers. C’est la solution retenue par la th6orie classique. L’on
peut autrement 6tendre le statut de parties contractantes>> it tous ceux qui, li6s par
contrat, participent de la m~me op6ration juridique prise globalement. L’on invoque la
premiere solution comme seule garante du principe de l’autonomie de la volont6, fon-
dement de la force obligatoire des contrats. L’ on invoque la seconde comme seule ga-
rante de la prdvisibilit6 contractuelle’4 . Nous sommes en presence d’un conflit de va-
leurs, l’une principielle, l’autre fonctionnelle. Une r6conciliation est-elle possible ? I1
faut pour cela abandonner la th~se lib6rale du XD(X si~cle et rechercher, dans le pou-
voir de la loi, la force obligatoire des contrats. L’intervention juridique vise h assurer
la sdcurit des pr6visions contractuelles parce qu’elles servent l’utilit6 sociale et sont
un instrument de justice commutative. Pour atteindre la justice, encore faut-il permet-
tre 4 la victime d’atteindre le patrimoine du fautif et, pour assurer la s6curit6, permet-
tre ce dernier de se pr6valoir des clauses exon6ratoires telles que stipul6es dans son
contrat.

En droit qu6b6cois, l’assimilation des r6gimes de responsabilit6 n’est plus possi-
ble : l’article 1458 C.c.Q. 61imine l’option comme le cumul. On peut d~s lors se de-
mander si la solution retenue par la Cour supreme dans l’affaire Bail’ serait la
m~me: condamner le maitre de rouvrage it indemniser le sous-entrepreneur du pr6-
judice qu’il a subi h cause de l’inex6cution de son obligation contractuelle
d’information envers l’entrepreneur, arguant qu’il s’agissait 4 l’6gard du sous-
entrepreneur du manquement quasi-d6lictuel un devoir de conduite. Cela reviendrait
faire du devoir d’honorer ses engagements pos6 par I’article 1458 C.c.Q. une r~gle
g6n6rale de conduite dans la soci6t6 dont chacun, quel que soit son statut mais dans ]a
mesure de son pr6judice, pourrait se pr6valoir dans une action en responsabilit6 extra-
contractuelle sous l’article 1457 C.c.Q. Ce serait pousser tr~s loin les effets positifs de
l’opposabilit6 des contrats en tant que faits sociaux, ce serait provoquer un 6clatement
de la sphere contractuelle proche du s6isme juridique. Pire encore, ce serait confondre
la nature du remade, c’est-ii-dire confondre la compensation du pr6judice direct et
l’ex6cution par 6quivalent d’une obligation contractuelle pr6vue quant son existence
et son 6tendue. Les pr6visions conventionnelles ajoutent aux devoirs g6n6raux –
il
s’agit selon Bernard Teyssi6 d’un plus contractuel>>
et devraient de ce fait
6chapper h ceux qui lui sont parfaitement 6trangers. L’encadrement propos6 par la

… Voir Bacache-Gibeili, supra note 243 aux pp. 255-60.
2 9Supra note 84.
Supra note 242.

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROITDE MCGILL

[Vol. 44

thtorie du groupe de contrats endigue ce d6luge tout en permettant une circulation ju-
ridique plus fluide A travers des fronti~res contractuelles moins hermgtiques.

Une fois l’existence d’un groupe de contrats prouvge –

l’ensemble des contrats
portent sur le meme bien (identit6 d’objet) ou poursuivent un but dconomique com-
mun (identitd de cause) ou g6n~rent des obligations principales ou accessoires identi-
ques –
le cercle contractuel serait 6largi A toutes les parties contractantes. Mireille
Bacache-Gibeili propose la creation de sous-catggories de <> pour ceux
qui ont particip6 i la formation de l’acte, et de <> pour
ceux qui participent au groupe ‘5″. Les premieres seraient seules ii pouvoir provoquer
I’andantissement du contrat qu’elles ont form. Les secondes, dans la mesure o6 elles
sont victimes d’une faute contractuelle quel qu’en soit l’auteur, jouiraient entre elles
des actions directes en ex6cution, en nature ou par 6quivalent. La partie poursuivie
pourrait en revanche leur opposer les immunit6s prevues par son contrat d’origine 2.

Le Code civil du Quibec reconnait et rgglemente, au titre des contrats nommes,
certains ensembles contractuels en prgvoyant une action directe des <>. Pour le credit-bail, il s’agit de l’action en garantie I6gale et conven-
tionnelle du crgdit-preneur contre e vendeur” ; pour le louage, il s’agit de l’action en
, voire meme l’action en r6siliation du
execution du sous-locataire contre le locateur
; pour le contrat d’entreprise, c’est action en res-
locateur contre le sous-locataire”
ponsabilit6 contractuelle du client contre le sous-entrepreneurs ” et l’inscription d’une
hypothque l6gale sur l’immeuble du client comme sfiret6 accessoire des crgances de
toutes les parties contractantes qui ont particip6 A sa construction ou sa rgnovation ” ;
pour le transport combin6 ou successif de biens, c’est 1’action en responsabilit6 con-
tractuelle de l’expgditeur contre son cocontractant ou contre le dernier transporteur,
simple partie contractante
; pour le transport combing ou successif de personnes, il
s’agit de r’action en responsabilit6 contractuelle du passager contre le transporteur qui
a caus6 le prgjudice2″.

On pourrait arguer que ces dispositions spgcifiques illustrent la nature exception-
nelle de l’extension contractuelle. Nous ne le croyons pas : par l’adoption des articles
1442 et 1730 C.c.Q., le l6gislateur a r6cemment enterin6 la jurisprudence qui avait,
sous le poids de la r6alit6 et de l’quit, institu6 la transmission des droits personnels

2″ Bacache-Gibeili, supra note 243 A la p. 262.
m Voir les ,propositions nouvelles > faites par Bacache-Gibeili, ibid. aux pp. 335-36, mais en tenant
compte qu’elle rilduit le concept de groupe de contrats A (ibid. A
lap. 107).

2 Voir art. 1845 C.c.Q.
2 Voir art. 1876 C.c.Q.
2.. Voir art. 1875 C.c.Q.

=’ Voir art. 2123, 2724 C.c.Q.
2’Voir art. 2051 C.c.Q.
2. Voir art. 2039 C.c.Q,

Pour la perte de l’ouvrage, voir art. 2118 C.c.Q. ; pour les malfagons, voir art. 2120 C.c.Q.

1999]

L. ROLLAND – LES FIGURES CONTEMPORAINES DU CONTRAT

945

aux ayants-cause ‘ titre particulier. A l’heure oti la complexification des 6changes
6conomiques s’accompagne d’une forme fluide d’int6gration, les juristes peuvent
adopter deux attitudes. Ils peuvent suivre la tradition fondre sur des principes auto-
nomistes dfpass6s : i l’intdgration 6conomique s’opposerait la fragmentation juridi-
que. I1 peuvent opter pour l’actualisation rdaliste : ‘A l’intrgration 6conomique r6pon-
drait la naturalisation juridique de tous les membres d’une m6me op6ration contrac-
tuelle ‘a l’exclusion des vdritables tiers .

B. Verticalit&6: les contrats hybrides, symbiotiques et asym6triques
Les pratiques contractuelles tiennent en joue non seulement la clrture du cercle,
posre comme canon dogmatique par la th6orie classique, mais 6galement sa posture.
A rhorizontalitd principielle des rapports s’ajoute la verticalit6 de l’organisation dans
des figures nouvelles qualifides d’hybrides ” , voire de symbiotiques”. Ce sont alors
les jeux de pouvoirs qui sont en cause, leur r6partition en structures bilat6rales ou
unilat6rales.

Traditionnellement, le pouvoir unilatdral de toute personne sur ses biens, sur sa
libert6, s’exergait par une abdication en faveur d’une autre personne qui acceptait de
faire la meme chose ‘ l’6gard de la premiere. Le contrat supposait donc l’exercice si-
multan6 et bilat6ral, par des sujets inddpendants, de leurs pouvoirs respectifs qui se
redivisaient, apr~s
l’acte juridique, en pouvoirs unilatdraux
d’exdcution des obligations accord6s au cr6ancier par le droit objectiP 2. Le pouvoir,
on s’en rend compte, est intimement
i6 h ]a libert6 et donc h ]a d6cision. Dans les so-
ci6trs drmocratiques, nul hormis l’ttat ne peut imposer ses decisions aux autres sans
leur consentement.

]a formation de

L’intdgration 6conomique des facteurs de production rrpond de ]a m~me philoso-
phie. Le contrrle sur les biens s’acquiert de la manire la plus absolue par le droit de
propri6t6, alors que le contrrle sur les personnes s’obtient par voie consensuelle dans
un rapport de subordination qui rel~ve de la nature du contrat de travail. L’entreprise
ainsi constiture, souvent sous forme corporative, rdpond d’une organisation pyrami-
dale oti le pouvoir ddcisionnel est certes dissfmin6 mais par voie de drlrgation des
propri6taires ou actionnaires. L’on parle alors d’intdgration verticale fond6e sur
l’organisation interne. A l’oppos6, le march6 offre un mode d’int6gration lat6rale : des
6changes de biens et de services par la seule force du lien contractuel, unissant des
partenaires indfpendants entre lesquels n’existe aucune autre forme de contrrle que
l’exigibilit6 des obligations consenties. Ce sont l’a les deux modes d’intrgration qui

2’ Voir O.E. Williamson, <> dans C. Joerges, dir., Franchising and the Law: Theoretical and Coin-
parative Approaches in Europe and the United States, Baden-Baden, Nomos Verlagsgesellschaft,
1991, 67 [ci-apr6s <(Symbiotics Contracts>>].

(1988) 4 J. L. Econ. & Org. 65.

262 Voir I.R. Macneil, > (1981) 75 Nw. U.L. Rev. 1018 aux pp. 1036-39.

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 44

dominent les sciences dconomiques et qui sont juridiquement moddlisds par le droit
positif.

Un choix s’offre donc aux acteurs 6conomiques et les crit~res pour l’exercer ra-
tionnellement sont multiples, allant des coats de production et de transaction i
l’allocation des risques et A la spdcificit des biens et services recherchds. Si l’achat
d’un bien est moins on6reux que sa fabrication, si la confection d’un contrat l’est
moins qu’une incorporation, le march6 sera plus intdressant que l’organisation ” . Si
un 6change 6conomique peut 8tre strictement d6termin6 entre des parties dont cha-
cune est facilement interchangeable, si les risques sont prdvisibles, l’int6gration lat6-
long terme, soumis plusieurs
rale sera profitable ; s’il est largement inddtermin6,
alas et donnant lieu ? de nombreuses decisions ultdieures, donc si l’imprdvisibilit6
des risques rdsiduels entrainent des coats de transaction 6lev6s, l’int6gration verticale
sera plus avantageuse ‘ . Lorsque les biens ou

services recherch6s rdpondent de standards et peuvent 6tre produits en masse, l’on
optera plus facilement pour le march6, donc pour le contrat ; lorsque au contraire ]a
production ddpend d’un design extr~mement prdcis, lorsqu’elle fait appel A des con-
naissances et expertises pointues, lorsqu’elle est susceptible de modifications rapides
et r6p6tdes, le degr6 de contr6le requis emportera la decision pour une organisation
hi6rarchis6e” . Selon la logique de march6, la concurrence assure la reduction des
coats ; selon la logique de l’organisation, l’autorit6joue ce rdle en simplifiant les pro-
cessus d’ajustements requis, c’est-A-dire en 6vitant les frais de consultation partena-
riale et de revision contractuelle.

par acquisition, fusion ou filiation –

D6jA en 1979, Williamson avait identifi6 une troisi~me voie, ]a (1993)
149 J. Instit. & Theoret, Econ. 731 aux pp. 731-32.

” Voir O.E. Williamson,
(1979) 22 J. L. & Econ. 233 oD l’auteur analyse les trois formes de gouvernance A travers certaines
leur
caractiristiques des 6changes 6conomiques, soit le degr6 d’incertitude qu’ils supposent,
frdquence, ainsi que la sp&cificit6 des investissements requis pour produire les produits et services at-
tendus.

1999]

L. ROLLAND – LEs FIGURES CONTEMPORAINES DU CONTRAT

947

sant l’une des entreprises i contr6ler, c’est–dire i d6terminer, surveiller et sanction-
ner les performances et comportements >), les ententes i long terme avec des entreprises de consultants
sp6cialis6s.

Cette forme nouvelle de relations d’affaire r6pond aux changements socio-
6conomiques actuels : le ph6nom~ne de mondialisation pousse les entreprises qui
choisissent l’int6gration verticale vers une croissance d6brid6e, difficile et coOteuse ii
g6rer ; le rythme des changements technologiques conduit i l’hypersp6cialisation
d’une part et d’autre part i des coots faramineux de recherches et adaptations ; les
strat6gies de financement se sont modifi6es et ne sont plus lies aux sflret6s classi-
ques2″ . La conjoncture invite donc i la d6sagr6gation partielle, au partage des risques,
aux 6changes inter-organisationnels facilit6s par les nouvelles technologies de com-
munication”‘ mais 6galement par les nouvelles techniques de production et de distri-
bution.

Ni le droit classique des contrats, nile droit des corporations ne r6ussit

rendre
juridiquement compte de ce ph6nom~ne. On le range assez arbitrairement dans I’un
ou l’autre des domaines, ce qui donne aux qualifications juridiques un effet dangereu-
sement r6ducteur.

Parmi les contrats hybrides ou symbiotiques, la franchise est le plus connu et le
mieux th6oris6. II n’est gu~re besoin de rappeler l’asym6trie des pouvoirs entre le
franchiseur et les franchis6s : le premier –
d6veloppe un
processus de distribution en contr6lant unilat~ralement l’ et l’< en
quantit6 et qualit6 autant que les modes de gestion, alors que les seconds –
acqu6rant
certains droits sur le concept –
foumissent la plus grande partie du financement n6-
cessaire
l’op6ration’ et acceptent de se soumettre aux conditions globalement et
pr6alablement stipul6es. Constitu6e par un contrat A long ou moyen terme –
de 5 i
20 ans ” –
son contenu d6note clairement le d6s6quilibre” . Les obligations du fran-

disposant d’un concept –

, Voir E. Schanze, < (1993) 149 J. Instit. & Theoret. Econ. 691 L ]a p.
693 ; voir aussi Symbiotics Contracts , supra note 261 ; RK. Newman, dir., The New Palgrave Dic-
tionary of Economics and the Law, New York, Stockton Press, 1998, s.v. (Symbiotic Arrangements .

2′ Voir Newman, ibid.
9 Voir ibid.
270 Voir Picot, supra note 265 ; nous ne traitons pas ici exclusivement des dchanges contractuels au
dont le commerce 6lectronique – mais bien des

moyen des nouveaux supports technologiques –
dchanges communicationnels sans autre discrimination catdgorielle.

2′ Voir G.K. Hadfield, ), observer les consignes sur la
tenue des livres, respecter toutes les directives inscrites dans le manuel d’op6ration. Pour le fran-
chiseur: assurer ]a formation des franchis6s, faire ]a publicit6 du produit, garantir l’exclusivitd territo-
riale, offrir un support de gestion, obligation dont l’intensit6 est laiss6e h sa seule discr&ion ; voir ibid.
l’6gard d’obligations accessoires,
facult6 d’agrdment d’un nouvel acqu6reur, obligation de non-concurrence Ai la charge du franchis6,
rachat

“, Droit de r6siliation unilat6rale en cas d’inex6cution, m~me

rabais de l’quipement et des fournitures ; voir ibid.

27 I! n’a aucune obligation de d6velopper le systme, de continuer les op6rations, d’investir dans la
la libert6 d’6tablir un

publicit6, de maintenir la marque de commerce ; il n’y a aucune restriction
autre syst~me concurrent ; voir ibid.

.., Voir , supra note 104.

1999]

L. ROLLAND – LES FIGURES CONTEMPORAINES DU CONTRAT

949

II est possible de les drfinir comme les contrats r6gissant une activit6 profes-
sionnelle dans laquelle l’un des contractants, l’assujetti, se trouve tributaire
pour son existence ou sa survie, de la relation r~guli~re, privilrgire ou exclusive
qu’il a dtablie avec son cocontractant, le partenaire privilrgi6, ce qui a pour effet
de le placer dans sa drpendance dconomique et sous sa domination”‘ .

Le droit reconnait, mots couverts, certaines situations contractuelles asym6triques:
le contrat de travail, de consommation, de bail d’un logement, tous strictement rrgle-
mentrs et pris en charge par l’ordre public”9, donc le plus souvent en marge du droit
commun. II oublie plus facilement les contrats entre professionnels, entre gens
d’affaire, sur lesquels p~se une prrsomption quasi-irr6fragable d’indrpendance et
d’6galit6. Le contrat de d6pendance fait 6chec aux concepts fondateurs de la throrie
classique des contrats, au principe de l’autonomie de la volont6 meme assoupli par les
exigences de la bonne foi. Pour offrir une protection aux assujettis, le droit frangais a
tent6 des accommodations, sans toucher aux fondements, mais au prix de contorsions
juridiques importantes2 ‘. I1 a, par exemple, 6tendu les rapports de travail aux entrepre-
neurs ind6pendants.

la nrgociation des seules stipulations essentielles du contrat. I1

Les contrats qui se structurent en r6seaux verticaux questionnent fondamentale-
ment le droit et la throrie juridique classique. Or, aucune autre solution n’a 6t6 propo-
sre que ]a reconnaissance, maintenant expresse, du contrat d’adhrsion. Fondre sur
l’asym6trie des pouvoirs, sa definition 16gislative’
comporte une limite importante
qui rrduit sa portre
n’est pas rare au contraire que les contrats de d6pendance, comme les contrats hybri-
des ou symbiotiques, fixent la repartition des pouvoirs par dissdminations accessoires,
ce qui pose le probl~me de la qualification juridique. La protection particulire des
adhdrents –
rel~ve de ia moralitd contractuelle
que nous avons d6ji, expose 8 . Pour etre pleinement efficace, elle devrait prendre en
compte l’intrgration organisationnelle et la structure verticale. En plus d’attribuer une
valeur normative aux attentes particuli~res des parties au <, la moralit6 dans G. Teubner, Le droit,
un syst6me autopoYtique, Paris, Presses universitaires de France, 1989 A lap. 193 et s.

interactionnel, institutionnel et socirtal –

950

MCGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 44

du contrat relationnel servirait d6ji. mieux cette rralit en 6levant la coop6ration et ]a
collaboration au rang normatif”.

J.-G. Belley drmontre que les rapports 6conomiques d’Alcan avec les petits en-
trepreneurs du Saguenay reposent sur une relation de confiance qui conjugue
I’absence de formalisme i une mrthode flexible de r~glement des conflits. Si les ter-
mes g6ndraux des contrats sont impos6s par I’Alcan, les particularitds sont fixres au
fur et t mesure des besoins dans un esprit d’<>, c’est-a-dire de
renonciation tacite ii toute intervention exteme, surtout judiciaire. Cet 6quilibre fonc-
tionnel repose sur le d6sir partag6 de maintenir des relations contractuelles avantageu-
ses ; l’interd6pendance 6conomique ” des parties commande que la bienveillance de ]a
multinationale fasse contrepoids “t la suj6tion reconnue et acceptre des entrepreneurs
locaux. Selon Belley, il existe une culture locale propre A. crder un ordrejuridique pri-
v6 qui, avec l’ordre 6tatique, fonde une situation de pluralisme juridique, c’est-A-dire
la reconnaissance de deux ordres coexistants et interactifs.

L’ordre priv6, structur6 par l’organisation inteme d’Alcan, fixe les r6gles imprra-
tives (incluant les normes 6tatiques relevantes) qui gouvement les rapports des parties
et Ta proc6dure de r6solution pacifique des conflits ; il r6git les relations intemes. En
revanche, l’ordre 6tatique agit le plus souvent t ia marge sur les conflits marqu6s par
la m6fiance et plus grn6ralement sur les relations externes. A cause sans doute de la
force de la norme d’immunitds r6ciproques, le professeur Belley ne se prononce pas
sur la p6nrtration 6ventuelle de l’ordre juridique priv6 dans i’ordre 6tatique, sur la
prise en compte des normes internes dc confiance et de bienveillance dans la solution
judiciaire d’un litige. Nous croyons que ce pas pourrait 6tre franchi A travers
l’application des principes g6nrraux du droit, des devoirs positifs de bonne foi, du r6-
gime particulier des contrats d’adh6sion, quitte, en l’absence de rrglementation di-
recte des contrats hybrides, A lui confdrer une interpr6tation extensive.

Le foisonnement des activit6s 6conomiques qu’accompagnent des changements
technologiques majeurs provoquent des bouleversements importants. Les grandes or-
ganisations se drconcentrent au profit de structures certes plus souples mais non moins
complexes. Le profil du rdseau s’impose ; il reste au droit de modeler son architecture.

Voir Hadfield, supra note 271 A la p. 984 et s.

18’J.-G. Belley note que si Alcan joue un rrle majeur dans 1’6conomie r6gionale, elle est de son crt6
relativement d6pendante des ressources hydrorlectriques et humaines de la rdgion. Outre cette drpen-
dance double mais parall~Ie, une interddpendance accrue –
s’est installe entre Alcan et ses fournisseurs depuis que ]a sous-traitance fut soumise aux normes
d’assurance-qualitd. D’une sous-traitance de stricte subordination qui appelait les plus faibles A user
de tactiques d’6vitement dans une stratrgie globale fondre sur la force et ]a concurrence, le nouvel
ordre normatif cre une sous-traitance de compdtence qui, formant une classe de foumisseurs moins
interchangeables, rapproche davantage les parties d’un r6gime de partenariat industriel. Voir notam-
ment J.-G. Belley, <
(1996) 37 C. de D. 37.

plus vraie bien qu’encore asymrtrique –

1999]

L. ROLLAND – LEs FIGURES CONTEMPORAINES DU CONTRAT

951

Conclusion

Lire la r~alit6 contemporaine des contrats

travers les schemes du Code civil du
Quebec est non seulement possible mais souhaitable. La soci6t6 – plus encore la so-
ci6t6 universelle –
est mouvante : l’quilibre des valeurs comme rarchitecture des
institutions et des syst~mes se reconstruisent sans relache.

Les pratiques contractuelles dessinent de nouvelles figures sous 1’impulsion des
besoins 6conomiques et sociaux. Les contrats se personnalisent en meme temps qu’ils
s’inscrivent dans la longue dur6e ; plus ils se complexifient, plus ils sont incomplets,
indftermin6s ; les structures organisationnelles du monde des affaires 6clatent au pro-
fit de r6seaux marchands paradoxalement hi6rarchis6s. Des 6tudes empiriques ont
pouss6 les 6conomistes, sociologues etjuristes proposer de nouvelles th6ories, aptes
A rendre compte de la r6alit6 et susceptibles de r6guler plus ad6quatement les rapports
juridiques.

Ces nouvelles th6ories attaquent certains dogmes fondateurs soutenus par la th6o-

nie juridique classique. tric Savaux… d6montre, avec beaucoup de justesse, que la
thdorie g6n6rale des contrats>> a mut6 pour atteindre la positivit6. Ce serait oubli6,
dit-il, qu’une thdorie est une vision du monde, qu’une th6orie des contrats est une vi-
sion des contrats, qu’elle r6pond donc de valeurs, qu’elle charie son cortege de pr6-
suppos6s id6ologiquement orienteurs. Dans des soci6t6s oa r~gnent la pluralit6 et la
mouvance, le monolithisme et l’univocit6 vont contre-fil. La m6sadaptation du droit
aux pratiques contractuelles contemporaines emporte le danger de sa marginalisation
au sein des grands syst~mes sociaux. Nous pouvons affirmer que le monde des affai-
res boude d’ores et d6jit le droit et emprunte des canaux r6gulateurs alternatifs pour
6chapper au syst~me juridique 6tatique.

Nous croyons pourtant que le droit commun des contrats est suffisamment souple
et perm6able pour absorber les r6alit6s nouvelles et endiguer les abus qu’elles pour-
raient g6n6rer. Pour cela, la communication intersyst6mique doit 8tre fluide. L’ordre
priv6 contractuel doit pouvoir p6n6trer l’ordre juridique public, sinon comme source
formelle, du moins comme source mat6rielle de normes ; les syst~mes juridiques et
6conomiques doivent autrement etre
l’afffit du discours parfois diffus de
l’environnement social.

Dans le monde contractuel, le droit a une double mission : d’imposer et de propo-
ser des normes, donc d’encadrer les comportements qu’il jugerait d6viants et de r6-
pondre aux attentes l6gitimes de ]a communaut6. Le droit est r6flexion d’une part,
instrument facilitateur d’autre part. En mati~re contractuelle, les r~gles juridiques sont
parfois imp6ratives, le plus souvent suppl6tives ; la th6orie classique –
ceuvre de vo-
lont6, cr6ation de l’esprit –
a pour effet d’emprisonner ces demi~res dans un carcan
trop hermdtique. Est-il judicieux d’isoler conceptuellement le droit commun des con-
trats dans une sphere close, immobile et aseptique, insensible aux p6rip6ties, aux in-

… Supra note 12.

952

McGILL LAW JOURNAL / REVUE DE DROIT DE MCGILL

[Vol. 44

fluences, aux bouleversements ? On le fait, au nom de la sdcurit6 mais au prix de
contorsions, voire de fictions et de mythes, au prix d’irr6alismes scl6rosants. De tels
moyens d6nient la fin.

La stabilit6 et la s6curit6 contractuelles sont autrement atteintes : la personnalisa-
tion des rapports, la collaboration, ]a souplesse et la flexibilit6, ]a communication
continue, le r6seautage et l’organisation lat6rale donnent aux relations 6conomiques
une facture nouvelle. En prendre acte permet au droit d’affermir l’dquilibrage qu’il a
amorc6 entre la libert6 et ]a moralit6. S’y soustraire le privera d’accomplir sa double
mission : pr6sider au contr6le social par la pond6ration publique des int6rts priv6s et
participer A la construction sociale comme acteur communicationnel.