McGill Law Journal ~ Revue de droit de McGill
LES RAPPORTS ENTRE LA CONSTITUTION ET LES
ACCORDS POLITIQUES DANS LES TATS AFRICAINS :
RFLEXION SUR LA LGALIT CONSTITUTIONNELLE
EN PRIODE DE CRISE
Paterne Mambo*
Depuis lavnement du multipartisme dans
certains tats africains, des crises plus ou moins
violentes y agitent rgulirement la scne poli-
tique. Les dsaccords entre les gouvernants et
lopposition crent un climat de tensions perma-
nentes, dbouchant quelquefois sur des confronta-
tions armes dune rare violence.
Les acteurs politiques africains recourent as-
sez frquemment des accords et autres compro-
mis pour sortir des crises nes de leurs dsaccords.
Ces arrangements politiques comportent souvent
un contenu juridique destin pallier les insuffi-
sances et les lacunes de la constitution, dont
linstrumentalisation par le pouvoir excutif est
lune des causes du malaise des socits politiques
africaines.
La relation entre la constitution et les conven-
tions politiques en priode de crise pose problme.
Elle se rvle tre une relation la fois conflic-
tuelle et pacifique, dont les manifestations dpen-
dent des rgles en prsence. La grille de lecture de
lanalyse constitutionnelle classique se trouve af-
fecte par le caractre atypique de cette normativi-
t constitutionnelle pntre par la politique. La
pyramide des normes, en particulier, est boulever-
se par ces accords politiques qui, dans certains
cas, sont prioritaires par rapport la constitution.
Cette htrodoxie normative, dans laquelle la
norme constitutionnelle semble affaiblie, a nan-
moins lintrt de favoriser parfois son enrichisse-
ment par la norme politique.
Since the advent of multi-partyism in differ-
ent African states, violent crises regularly shake up
the political scene. The rulers and the opposition
are generally in disagreement, which creates an
atmosphere of permanent tension, sometimes lead-
ing to armed confrontations of extraordinary vio-
lence.
To overcome their disputes, African political
actors frequently have recourse to agreements and
other compromises to end crises born of their disa-
greements. More and more, these political ar-
rangements have legal content intended to make
up for the inadequacies and lacunae of the consti-
tution, whose use by the executive for its own ends
is one of the causes of unrest in African political so-
cieties.
This raises the problem of the relation be-
tween the constitution and political agreements in
times of crisis. Based on an analysis of various sit-
uations, we observe a relationship that is at once
conflictual and peaceful, depending on the rules in
place. This atypical penetration of constitutional
normativity by politics affects the interpretive
framework of traditional constitutional analysis.
The pyramid of norms is also affected to the point
where, in certain cases, political agreements take
priority over the constitution. This normative het-
erodoxy, in which constitutional norms seem
weakened, nevertheless has the benefit of some-
times being enriched by political norms.
* Enseignant la Facult de droit dAbidjan-Cocody, Paterne Mambo est lauteur dune
thse de doctorat intitule Droit et ville en Afrique : tude de la dcentralisation ivoi-
rienne en matire durbanisme, Paris, Harmattan, 2009. Il a par ailleurs contribu des
ouvrages collectifs portant, dans une perspective comparative, sur les thmatiques de la
ville, de lurbain, de la mobilit et du patrimoine culturel.
Paterne Mambo 2012
Citation: (2012) 57:4 McGill LJ 921 ~ Rfrence : (2012) 57 : 4 RD McGill 921
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Introduction
I. Une relation conflictuelle
A. Une conflictualit conduisant au renversement de
la pyramide des normes
1. Le primat des normes politiques
2. Le dclassement des rgles constitutionnelles
B. Une conflictualit favorisant la dstabilisation de
lordre constitutionnel
1. Le bouleversement institutionnel provoqu
par les accords
2. La redfinition des comptences prvues dans
la constitution
II. Une cohabitation pacifique
A. Une cohabitation marque par la rsurgence de
lhgmonie constitutionnelle
1. Lvanescence des accords politiques
2. Lapplication conditionne des normes
conventionnelles
B. Une cohabitation dbouchant sur lenrichissement
de la constitution par les conventions politiques
1. Le rle positif des rgles politiques places dans le
marbre du droit constitutionnel
2. La souplesse du constitutionnalisme imputable
lutilisation slective des normes
Conclusion
ACCORDS POLITIQUES DANS LES TATS AFRICAINS 923
Introduction
La prolifration ou la valse des arrangements politiques 1, au cours
de ces dernires annes2 o le constitutionnalisme africain est reconsid-
r3, renouvelle la question de la place de tels arrangements politiques
dans lordonnancement juridique des tats africains et de la relation
quils entretiennent avec la constitution4. Cette recrudescence des com-
promis politiques5 ne symbolise-t-elle pas un recul de ltat de droit cons-
titutionnel6 ?
Les travaux raliss rcemment sur le continent africain qui abordent
cette question de la relation entre le droit et la politique ne sintressent
la nature et la porte de cette relation que de manire accessoire. Les
tudes connues qui tentent de traiter la question en profondeur sont assez
rares et leur actualisation nest pas inutile : do lintrt de cette contri-
bution, qui se propose de revisiter la thmatique essentielle, en Afrique
1 Selon la formulation du doyen Djedjro Francisco Meledje, Faire, dfaire et refaire la
Constitution en Cte dIvoire : un exemple dinstabilit chronique dans Charles Fom-
bad et Christina Murray, dir, Fostering Constitutionalism in Africa, Pretoria, Pretoria
University Law Press, 2010, 309 la p 331 [Meledje, Instabilit chronique ]. Voir
aussi Adama Kpodar, Rapport technique du colloque international de Lom tenu les 16
et 17 juin 2010. LAfrique et linternationalisation du constitutionnalisme : actrice ou
spectatrice ?, Lom, Centre de droit public de lUniversit de Lom et Centre dtudes et
de recherche sur les droits africains et sur le dveloppement institutionnel de
lUniversit Montesquieu-Bordeaux 4, 2010 la p 9 [Kpodar, Afrique et internationali-
sation].
2 Leur dnombrement prcis savre impossible, incertain et difficile raliser. Il serait
ambitieux de vouloir raliser un inventaire des accords politiques. Voir Jean-Louis
Atangana Amougou, Les accords de paix dans lordre juridique interne en Afrique
(2008) 3 Revue de la recherche juridique, Droit prospectif 1723 la p 1743.
3 Ce rexamen du constitutionnalisme africain a t remis lordre du jour loccasion
du colloque international de Lom, prcdemment mentionn. Voir, pour une synthse
des travaux, Kpodar, Afrique et internationalisation, supra note 1.
4 Voir Atangana Amougou, supra note 2 aux pp 1723 et s.
5 Dans un souci de simplification, nous utiliserons de la mme manire une varit de
termes pour renvoyer la mme ide : accords politiques, accords de paix, arrange-
ments, compromis et conventions politiques ou de sortie de crise. Lexpression retenue
importe peu partir du moment o le problme est le mme, savoir celui de la rela-
tion entre ces accords et la constitution. Voir ibid la p 1726.
6 Selon Raymond Carr de Malberg, cette expression a t invente par les juristes alle-
mands Mohl, Stahl et Gneist. Voir Lo Hamon, Ltat de droit et son essence (1990)
4 Rev fr dr constl 699 la p 699. Lide de ltat de droit constitutionnel signifie que la
construction dun tat de droit passe par le rgne de la constitution. Voir Adama
Kpodar, Rflexions sur la justice constitutionnelle travers le contrle de constitu-
tionnalit de la loi dans le nouveau constitutionnalisme : les cas du Bnin, du Mali, du
Sngal et du Togo (2006) 16 Revue bninoise des sciences juridiques et administra-
tives 104 la p 108 [Kpodar, Rflexions ].
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notamment, dune normativit juridique pntre ou rattrape par la ra-
lit factuelle et politique.
Lentreprise nest pas sans cueil. Le sujet est en effet difficile en rai-
son des contours flous de la notion daccord politique, qui semblent rejail-
lir malencontreusement sur la signification du concept mme de constitu-
tion7, quil importera, malgr tout, de prciser.
Mme si la notion daccord politique est des plus incertaines8, il est
nanmoins possible et impratif de la dfinir. Le professeur Atangana
Amougou en a esquiss une dfinition essentielle9 : parlant plutt
daccords de paix, et situant ainsi les accords politiques dans un contexte
de protection ou de retour la stabilit sociale suite des secousses ob-
serves10, lauteur sattache en effet les prsenter comme des conven-
tions conclues entre les protagonistes dune crise interne dans le but de la
rsorber. Leur laboration rsulte gnralement dun diffrend entre le
pouvoir et lopposition qui ne trouve pas de solution, gnrant un conflit
interne propice un blocage institutionnel. Ceci conduit lauteur obser-
ver que ces accords apparaissent presque toujours dans un contexte ex-
ceptionnel11.
Quant au concept de constitution ou de loi fondamentale, sa significa-
tion est apprcie diversement par les auteurs. La tendance gnrale est
de dfinir la constitution comme la norme qui fixe le statut de ltat et qui
assure lencadrement juridique de son pouvoir12. En dveloppant davan-
tage, la constitution se prsente comme lensemble des rgles qui, au sein
de ltat, dterminent les modalits dacquisition, de conservation,
7 Les arrangements politiques modifient la lecture de la constitution et compliquent la
dfinition de cette notion, promise ainsi des incertitudes. En priode de crise, le con-
cept de constitution condamne et conduit une dfinition introuvable. Voir Meledje,
Instabilit chronique , supra note 1 aux pp 335 et s.
8 Voir Atangana Amougou, supra note 2 aux pp 1744-45.
9 Voir ibid aux pp 1724-25.
10 Il peut sagir dun antagonisme et de dsaccords entre les acteurs politiques ou parfois,
voire souvent, dune confrontation arme. On relve en tout tat de cause lexistence
dune crise, dont la rsolution implique la recherche de la paix par une convention poli-
tique contenu juridique ou ncessitant des arrangements constitutionnels. Le profes-
seur Martin Blou remarque ainsi que la crise est un baromtre indiquant les limites de
la constitution. Voir Martin Blou, La rvision de la Constitution ivoirienne (2010)
41 Revue ivoirienne de droit 153 la p 164 [Blou, Rvision de la Constitution ].
11 Atangana Amougou, supra note 2 la p 1725.
12 Voir Togba Zogblmou, Constitutionnalisme et droits de lhomme en Afrique noire
francophone (2010) 1 Revue juridique et politique des tats francophones 98.
ACCORDS POLITIQUES DANS LES TATS AFRICAINS 925
dexercice et de transmission du pouvoir13, ainsi que le rgime des droits
et liberts des personnes et des groupes14.
Mais la notion elle-mme est volutive. Louis Favoreu remarque fort
opportunment le passage, en France, de la constitution comprise comme
une ide, assimile au rgime politique, un droit constitutionnel davan-
tage recentr sur ladoption de rgles obligatoires et juridiquement sanc-
tionnes15. Le doyen Meledje constate par ailleurs son extensibilit s-
mantique, surtout en temps de crise, lorsque la notion de constitution in-
corpore son contenu les arrangements politiques16.
Les mutations du constitutionnalisme africain ont entran la redfi-
nition du concept de constitution. En tout tat de cause, lunanimit est
faite autour de la reconnaissance de la constitution comme tant le fon-
dement de ltat17 ; son statut de norme ou de rgle suprme dans
lordonnancement juridique de celui-ci reste, en doctrine, une conception
largement partage18, bien que toujours dbattue19.
13 Voir Francis Hamon et Michel Troper, Droit constitutionnel, 28e d, Paris, Librairie g-
nrale de droit et de jurisprudence, 2003 aux pp 44-48.
14 Voir Eloi Diarra, Lhistoire constitutionnelle du Mali (2010) 2 Revue juridique et po-
litique des tats francophones 229.
15 Voir Louis Favoreu, Le droit constitutionnel, droit de la Constitution et constitution
du droit (1990) 1 Rev fr dr constl 71.
16 Voir Djedjro Francisco Meledje, Le gouvernement dans la Constitution de Cte
dIvoire (2010) 41 Revue ivoirienne de droit 167 la p 171.
17 Voir Dominique Rousseau, Question de Constitution dans Jean-Claude Colliard et
Yves Jegouzo, dir, Le Nouveau constitutionnalisme : Mlanges en l’honneur de Grard
Conac, Paris, Economica, 2001, 3 ; Maurice Ahanhanzo Glele, La Constitution ou loi
fondamentale dans Pierre-Franois Gonidec et Maurice Ahanhanzo Glele, dir, Ency-
clopdie juridique de lAfrique : Ltat et le droit, t 1, Abidjan, Nouvelles ditions afri-
caines, 1982, 21 aux pp 22, 47 [Glele, Loi fondamentale ] ; Albert Bourgi, Lvolution
du constitutionnalisme en Afrique : du formalisme leffectivit (2002) 52 Rev fr dr
constl 721 aux pp 725-26 ; Clestin Keutcha Tchapnga, Droit constitutionnel et con-
flits politiques dans les tats francophones dAfrique noire (2005) 3 Rev fr dr constl
451 la p 485. Pour un point de vue sur leffet des accords politiques sur la suprmatie
de la norme constitutionnelle, voir El Hadj Mbodj, La constitution de transition et la
rsolution des conflits en Afrique. Lexemple de la Rpublique dmocratique du Congo
(2010) 2 Rev DP & SP 441 la p 452.
18 Voir Rousseau, supra note 17 la p 5 ; Glele, Loi fondamentale , supra note 17 la p
22 ; Koffi Ahadzi, Les nouvelles tendances du constitutionnalisme africain : le cas des
tats dAfrique noire francophone (2002) 1 : 2 Afrique juridique et politique : La revue
du CERDIP 35 aux pp 40 et s ; Atangana Amougou, supra note 2 la p 1739 ; Mbodj,
supra note 17.
19 On connat la controverse interminable entre les internistes et les internationalistes,
chacun prchant pour la suprmatie de sa chapelle et plaant, au sommet de la pyra-
mide, des normes de droit dont ils sont les promoteurs. Le cadre troit de cette tude ne
permet pas dy revenir.
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Mais plus que cette conceptualisation, cest surtout lirruption des ac-
cords politiques sur la scne juridique et institutionnelle africaine qui ra-
vive lattention des constitutionnalistes. Certains auteurs se sont intres-
ss aux raisons de ce conventionnalisme volutif20. On relve ainsi, parmi
les explications gnralement fournies, que la naissance des compromis
politiques, engendrs la suite dune crise ou dune situation conflictuelle,
advient surtout dans un contexte de contestation des institutions et des
rgles constitutionnelles21, juges inopportunes ou discriminatoires. La
faible crdibilit de la constitution22 et de la justice constitutionnelle23, vi-
trines dune dmocratie mascule 24, expliquerait cette tendance les
ignorer dans les priodes de tensions. Au surplus, les arrangements poli-
tiques ont une nature et une valeur juridiques controverses. Certains au-
teurs adhrent lide que les compromis politiques sont des conventions
constitutionnelles25, ce que rejettent dautres constitutionnalistes26.
Dautres encore tentent de dmontrer lapparentement de ces compromis
la coutume constitutionnelle et la thorie de la constitution mat-
20 Le conventionnalisme est un nologisme cr sur le modle du terme constitution-
nalisme . Il est un driv du terme convention qui dsigne, en droit, un accord de
deux ou plusieurs volonts, en vue de produire des effets de droit quelconques. Mais la
convention, dans cette tude, sentendra surtout au sens constitutionnel du terme, cest-
-dire au sens de convention constitutionnelle . Voir Atangana Amougou, supra note
2 la p 1724.
21 Voir Djedjro Francisco Meledje, Le systme politique ivoirien dans la gopolitique
ouest africaine (2006) 3 Rev DP & SP 701 la p 711 [Meledje, Systme politique
ivoirien ] ; Adama Kpodar, Politique et ordre juridique : les problmes constitution-
nels poss par laccord de Linas-Marcoussis du 23 janvier 2003 (2005) 4 : 2 Revue de la
recherche juridique, Droit prospectif 2503 la p 2522 [Kpodar, Politique et ordre juri-
dique ] ; Tchapnga, supra note 17 la p 478.
22 Rvis rgulirement dans certains tats africains, souvent de manire fantaisiste, le
texte constitutionnel est peru comme un nid contentieux, pour paraphraser Jean du
Bois de Gaudusson, Dfense et illustration du constitutionnalisme en Afrique aprs
quinze ans de pratique du pouvoir dans Roux et al, Renouveau du droit constitution-
nel : Mlanges en lhonneur de Louis Favoreu, Paris, Dalloz, 2007, 609 la p 617 [Gau-
dusson, Dfense et illustration ].
23 Voir Kpodar, Rflexions , supra note 6 ; Komla Dodzi Kokoroko, Lapport de la ju-
risprudence constitutionnelle africaine la consolidation des acquis dmocratiques :
Les cas du Bnin, du Mali, du Sngal et du Togo (2007) 18 Revue bninoise des
sciences juridiques et administratives 85 ; Tchapnga, supra note 17 la p 468.
24 Thodore Holo, Dmocratie revitalise ou dmocratie mascule ? Les constitutions du
renouveau dmocratique dans les tats de lespace francophone africain : rgimes juri-
diques et systmes politiques (2006) 16 Revue bninoise des sciences juridiques et
administratives 17 la p 17.
25 Voir Pierre Avril, Les conventions de la Constitution (1993) 14 Rev fr dr constl
327 ; Dominique Rousseau, supra note 17 la p 13 ; Meledje, Instabilit chronique ,
supra note 1 la p 336.
26 Voir par ex Kpodar, Politique et ordre juridique , supra note 21 aux pp 2514 et s.
ACCORDS POLITIQUES DANS LES TATS AFRICAINS 927
rielle27. La valeur normative de tels arrangements politiques est elle aussi
dbattue, leur supriorit la constitution tant parfois constate, parfois
conteste28.
La relation entre la constitution et les accords politiques, dans cer-
tains tats africains en crise ou frachement sortis dune priode de con-
flits, est marque par des expriences juridiques et institutionnelles ex-
ceptionnelles, voire parfois surralistes, et engendre une srie
dinterrogations auxquelles nous tenterons de rpondre. Se pose ainsi la
question de la nature de cette relation et de ses incidences sur la hirar-
chie des normes dans les tats concerns29. La cohabitation entre les
rgles constitutionnelles et les conventions politiques a-t-elle une in-
fluence sur lordonnancement juridique ? Le positivisme classique est-il
remis en cause par le constitutionnalisme africain ? Cette relecture du
modle constitutionnel occidental, fonde sur lirruption de la normativit
politique sur la scne juridique, permet-elle de conclure loriginalit du
droit africain ? Prsente-t-elle des vertus ou plutt des inconvnients pour
la socit politique et constitutionnelle subsaharienne ?
Alors que, dans certains pays de tradition dmocratique, les accords
politiques font partie intgrante de la vie institutionnelle normale, sur le
continent africain, ces accords prosprent gnralement en priode de
crise ou de tensions politiques. Ce particularisme de lAfrique affecte n-
cessairement la pyramide des normes et remet en cause lorthodoxie juri-
dique et certaines thories dveloppes par les tenants du positivisme
classique30. En examinant ainsi la situation normative et juridique des
tats africains en crise ou antrieurement confronts des conflits, on
aboutit des rsultats contrasts rvlant une relation conflictuelle entre
la constitution et les compromis politiques (I), mais galement la possibili-
t de leur cohabitation pacifique (II).
I. Une relation conflictuelle
La relation entre la constitution et les arrangements politiques est
souvent caractrise par des rapports conflictuels et contradictoires. Cette
27 Voir, sur ces subtilits thoriques, Atangana Amougou, supra note 2 aux pp 1734-40.
28 Voir, sur cette dichotomie doctrinale, Atangana Amougou, supra note 2 aux pp 1740 et
s ; Kpodar, Politique et ordre juridique , supra note 21 aux pp 2519 et s ; Agnro Pri-
vat Mel, La ralit du bicphalisme du pouvoir excutif ivoirien (2008) 3 Rev fr dr
constl 513 aux pp 544 et s.
29 Nous nous proposons de les numrer au fur et mesure des situations analyses.
30 Par positivisme classique, nous rfrons principalement la thorie kelsnienne et plus
prcisment au normativisme qui place la constitution au sommet de la pyramide des
normes.
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conflictualit conduit au renversement de la pyramide des normes (A), et
favorise en outre la dstabilisation de lordre constitutionnel (B). On cons-
tate ainsi une dconstruction de la logique du positivisme classique31.
A. Une conflictualit conduisant au renversement de la pyramide des
normes
Ltude des systmes africains permet de relever que, dans lhypothse
dun conflit de normes entre la constitution et les accords politiques, ces
derniers prvalent sur la loi fondamentale, comme par un renversement
du sens de la roue , selon la riche expression du doyen Meledje32. On peut
remarquer, en pareilles circonstances, la ngation ou la remise en cause
du primat de lordonnancement juridique sur lordonnancement politique.
La constitution se trouve alors relgue au second plan et les compromis
politiques acquirent une place prpondrante dans larchitecture norma-
tive de ltat. Certains auteurs parlent mme, cet gard, de renonce-
ment la constitution ou de mise en veilleuse des rgles constitution-
nelles33.
On constate ainsi, dans les tats concerns, le primat des normes poli-
tiques (1) et un dclassement des rgles constitutionnelles (2).
1. Le primat des normes politiques
La prolifration des compromis politiques se situe dans un contexte
gnral de rsurgence des crises et des foyers de tensions en Afrique34. La
violence du jeu politique africain constitue une ralit tangible, o la mul-
tiplication des accords symbolise, de manire trs marque, ce que cer-
31 Dans la doctrine de Hans Kelsen, une norme ne saurait appartenir un ordre juridique
donn qu la condition que sa cration soit dtermine par une autre norme. Pour une
tude approfondie, voir Hans Kelsen, Thorie pure du droit, traduit par Charles Eisen-
mann, Paris, Dalloz, 1962. Lintrusion ou lirruption des accords politiques sur la scne
normative africaine impose donc une relecture du modle kelsnien, surtout lorsquils
sont non soumis et antithtiques la constitution, considre comme la norme fonda-
mentale et suprme dans lordonnancement juridique classique.
32 Meledje, Systme politique ivoirien , supra note 21 la p 703.
33 Kpodar, Politique et ordre juridique , supra note 21 aux pp 2521-22.
34 ce propos, Clestin Keutcha Tchapnga crit :
Lactualit a donn, en moins de dix ans, une illustration saisissante de la
dgnrescence des antagonismes politiques en antagonismes arms au Ni-
ger et au Burundi en 1996, au Congo-Brazzaville en 1997, en Cte dIvoire en
1999 et depuis 2002, en Centrafrique en 2003, incitant ainsi sinterroger
sur les rapports entre droit constitutionnel et conflits politiques en Afrique
francophone (Tchapnga, supra note 17 la p 451).
ACCORDS POLITIQUES DANS LES TATS AFRICAINS 929
tains auteurs appellent le recul du constitutionnalisme35. La prolifration
des compromis politiques rvle en effet linsuffisance des solutions cons-
titutionnelles proposes pour les rsoudre : on peut la considrer comme
un phnomne de dconstitutionnalisation.
Ce recul du constitutionnalisme fait place la suprmatie des arran-
gements politiques, qui deviennent le vritable fondement de ltat, rem-
plaant ainsi la constitution dans le rle quon lui prte traditionnelle-
ment. Dans ces conditions, on le voit bien et cest ce que dcrivait Domi-
nique Rousseau : le texte constitutionnel na aucun impact sur la vie poli-
tique, cest–dire sur le fait ou sur la pratique, qui prennent le pas sur le
droit. Les accords politiques deviennent, par la mme occasion, la vri-
table source de lexercice du pouvoir dtat36.
Quelques exemples permettront de mieux prsenter la question. Pen-
sons dabord la crise ivoirienne et lAccord de Linas-Marcoussis37 du 24
janvier 2003, intervenu la suite dun coup dtat militaire infructueux
perptr le 19 septembre 2002 et finalement mu en rbellion arme, avec
pour consquence la coupure du territoire national en deux parties gou-
vernes au sud par le pouvoir lgal et au nord par le bloc rebelle. Le pro-
fesseur de Gaudusson remarque que les conditions dligibilit la prsi-
dence de la Rpublique contenues dans cet accord diffrent de celles que
prvoit la Constitution de la Rpublique de Cte dIvoire38. LAccord de Li-
nas-Marcoussis, en ignorant larticle 35 du texte constitutionnel39, se pr-
sente comme un accord contra constitutionem qui supplante ce dernier40.
35 Kpodar, Politique et ordre juridique , supra note 21 la p 2522.
36 Rousseau, supra note 17 la p 13.
37 Doc off CS NU 2003, annexe, Doc NU S/2003/99 [Accord de Linas-Marcoussis].
38 2000, art 35 [Constitution ivoirienne] ; Jean du Bois de Gaudusson, Laccord de Mar-
coussis, entre droit et politique (2003) 2 Afrique contemporaine 41 aux pp 43 et s
[Gaudusson, Laccord de Marcoussis ].
39 Cette disposition exigeait du candidat llection prsidentielle quil ft n de pre et de
mre eux-mmes ivoiriens dorigine, son ge minimum tant fix quarante ans. Criti-
que, juge souvent injuste et discriminatoire, elle serait lorigine de la crise ivoi-
rienne qui a dbut le 19 septembre 2002.
40 Dans laccord voqu, le candidat doit avoir exclusivement la nationalit ivoirienne,
mais changement notable lobtention de la nationalit par lun de ses deux parents
suffit la validation de sa candidature. Par ailleurs, lge minimum est abaiss 35
ans.
LAccord de Linas-Marcoussis, supra note 37, aura permis M. Alassane Ouattara,
dont la nationalit ntait pas tablie clairement selon une dcision de la chambre cons-
titutionnelle de la Cour suprme ivoirienne du 6 octobre 2000, de se prsenter la der-
nire lection prsidentielle doctobre et de novembre 2011. M. Konan Bdi, qui avait
dj atteint lge limite constitutionnel de 75 ans, a pu galement se prsenter sur la
base des dispositions de cet accord.
930 (2012) 57:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
Ailleurs, les compromis politiques remettent en cause la constitution
et se prsentent comme suprieurs celle-ci par leurs exigences rvision-
nistes ou rnovatrices. LAccord dArusha pour la paix et la rconciliation
au Burundi41 du 28 aot 2000 revendiquait une nouvelle constitution, tout
en imposant de nouvelles institutions qui contredisaient la constitution
alors en vigueur42.
Au Kenya, de faon similaire, laccord de partage du pouvoir entre les
deux principaux partis et leurs partisans, survenu en fvrier 2008 aprs
la crise postlectorale sanglante43 ayant suivi le scrutin prsidentiel de
dcembre 2007, recommandait aussi llaboration dune nouvelle constitu-
tion, finalement adopte en aot 201044.
dusson rappelle ce propos
Le cas de Madagascar est galement difiant. Le professeur de Gau-
[qu]en 1991, les dirigeants malgaches [ont] fait preuve de beaucoup
dingniosit pour surmonter laffrontement opposant, sur fond de
manifestations et de violences, le chef de ltat, Didier Ratsiraka, re-
fusant de dmissionner, ses adversaires, organiss au sein du
Comit des forces vives , dcids occuper, sance tenante, les
lieux du pouvoir. La construction juridique imagine pour sortir de
limpasse est, pour les juristes, dune surprenante originalit, tant
dans la procdure que dans le fond : les deux parties, le gouverne-
ment et lopposition, ont conclu et sign, le 31 octobre 1991, une
41 Burundi, 28 aot 2000 [Accord dArusha pour le Burundi].
42 Voir Jean-Pierre Chrtien, Le Burundi aprs la signature de laccord dArusha
(2000) 80 Politique africaine 136 la p 149 :
Le texte [de laccord dArusha] sordonne selon les travaux des cinq commis-
sions : [] 2) Dmocratie et bonne gouvernance : principes dune nouvelle
Constitution reconnaissant les trois entits ethniques (Bahutu, Batutsi,
Batwa), Parlement subdivis en une Assemble nationale et un Snat de
deux dlgus par province issus chacun de lune des deux principales eth-
nies, excutif dirig par un prsident flanqu de deux vice-prsidents
dethnies et de partis diffrents, rforme de la justice, correction des dsqui-
libres au sein de la fonction publique, cration dun ombudsman, [] avec
[] un excutif chapeaut par un prsident et un vice-prsident [italiques
dans loriginal].
43 On dnombrerait plus de 1000 morts : Stphanie Braquehais, Kenya: les victimes des
violences post-lectorales attendent que justice soit faite , (18 janvier 2012) sur
Reportage Afrique, Radio France International, Paris, en ligne : Radio France In-
ternational
44 Il semble significatif de relever que la nouvelle Constitution of Kenya, 2010, vote par
rfrendum le 5 aot et promulgue le 27 aot 2010, supprime le poste de premier mi-
nistre contenu dans laccord politique de fvrier 2008 (The National Accord and Recon-
ciliation Act 2008 (Kenya), no 4 de 2008). Malgr cette suppression, le premier ministre
Raila Odinga reste son poste jusquaux lections prsidentielles de 2012, sur la base
dun compromis visiblement anticonstitutionnel, qui prdomine malgr tout.
ACCORDS POLITIQUES DANS LES TATS AFRICAINS 931
convention amendant la Constitution du 31 dcembre 1975.
Celle-ci est maintenue dans son principe, mais laccord procde une
profonde rorganisation des pouvoirs publics. Certaines instances
sont supprimes (Conseil suprme de la rvolution, Assemble na-
tionale populaire) ; dautres, essentiellement le chef de ltat, voient
leurs prrogatives rduites. Enfin, de nouvelles institutions appa-
raissent. Il est cr une Haute autorit pour la transition de la IIIe
Rpublique , prside par le leader de lopposition, Albert Zafy. []
Cette construction a contribu dnouer limbroglio malgache et
prparer le changement de rgime qui sera acquis avec la Constitu-
tion du 18 septembre 199245.
Plus rcemment, lactualit politique et juridique malgache a rvl
que la crise ne du renversement de Marc Ravalomanana par Andry Ra-
joelina, prsident de la Haute autorit de la transition depuis le 17 mars
2009, suite des manifestations populaires violentes, a t le germe dun
conventionnalisme politique dont certaines normes sopposent la Consti-
tution de la Rpublique de Madagascar46 du 11 dcembre 2010, pourtant
adopte par voie rfrendaire le 17 novembre 2010. Lchec des accords de
Maputo et dAddis-Abeba a fait place la signature, le 17 septembre 2011,
dun autre accord politique, appel feuille de route pour la sortie de crise47.
Certaines dispositions de la feuille de route savrent en effet contraires
la Constitution malgache de la Quatrime Rpublique. Cet accord poli-
tique prvoit par exemple une Cour lectorale spciale, destine rempla-
cer la Haute Cour constitutionnelle malgache consacre par la Constitu-
tion malgache. Cette situation est dautant plus dlicate que, conform-
ment au texte constitutionnel, tous les textes lgislatifs doivent, avant
leur promulgation, tre soumis au contrle de constitutionnalit de la
Haute Cour constitutionnelle, celle-l mme que la feuille de route entend
supprimer. Ce quil convient de retenir dans lexemple de Madagascar,
cest moins les bouleversements institutionnels observs que le caractre
prioritaire ou supraconstitutionnel des accords politiques signs par les
parties en conflit. Ces accords supplantent la constitution et dictent
lorganisation ou la structuration de la vie politique malgache.
On aboutit ainsi au couronnement des normes politiques et la dvalo-
risation de la constitution, alors mme que les accords renferment gnra-
45 Jean du Bois de Gaudusson, Les solutions constitutionnelles des conflits politiques
(1996) 180 Afrique contemporaine 250 aux pp 251-52 [Gaudusson, Les solutions cons-
titutionnelles ].
46 11 dcembre 2010, constituant lannexe de la Loi constitutionnelle no 2007-001 du 27
avril 2007 (Madagascar) [Constitution malgache].
47 Pour un bref aperu de ces diffrents accords, voir Rpublique franaise, Prsentation
de Madagascar (8 mars 2012), en ligne : Ministre des Affaires trangres
932 (2012) 57:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
lement des dispositions inconstitutionnelles48. Ceux-ci simposent la loi
fondamentale49 en obligeant parfois les acteurs politiques les respecter
davantage que cette dernire50. Des sanctions sont mme prvues en cas
de violation des clauses de ces arrangements politiques51.
Il existe tout de mme un surprenant contraste, difficilement expli-
cable en droit, entre certaines dispositions des accords qui reconnaissent
la constitution et respectent la lgalit constitutionnelle et dautres qui
exigent, au contraire, que les acteurs politiques sen remettent aux con-
ventions conclues en cas de conflit de normes. Ces accords laissent voir,
finalement, leur visage de Janus, tant indcis et hsitants entre le rejet
et la conservation du texte constitutionnel.
On peut sinterroger sur les fondements de la primaut des accords po-
litiques. Sans stendre sur la question, on pourrait avancer la thse de
l internationalisation de leur signature, sous les auspices dune com-
munaut internationale52 qui donne en quelque sorte sa caution morale
aux textes adopts par les protagonistes et les diffrentes parties la crise
ou au conflit. Llaboration des compromis politiques, gnralement
mais pas toujours place sous la tutelle des Nations Unies ou des orga-
nisations internationales53, expliquerait peut-tre la suprmatie, relle ou
suppose, des accords conclus.
Cette prdominance des arrangements politiques a pour consquence
la dngation de la primaut constitutionnelle, telle que schmatise dans
la thorie kelsnienne de la pyramide des normes, cest–dire quelle en-
trane un dclassement des rgles constitutionnelles.
48 Voir par ex Meledje, Systme politique ivoirien , supra note 21 la p 712.
49 Certaines constitutions sont ainsi contraintes de se conformer aux accords et de se
mettre en harmonie avec ces derniers. On peut citer lexemple du Burundi, de la Rpu-
blique dmocratique du Congo et de lUnion des Comores. Voir Gaudusson, Dfense et
illustration , supra note 22 la p 623.
50 Atangana Amougou, supra note 2 la p 1741. Lauteur remarque une disposition con-
firmatoire : [S]elon larticle 3 alina 2 de la Constitution rwandaise, en cas de conflit
entre les dispositions de la Constitution et celles de lAccord de paix, ces dernires prva-
lent [italiques dans loriginal].
51 Aux termes de la rsolution 1721, par exemple, la violation de lAccord de Linas-
Marcoussis, supra note 37, donne lieu des sanctions dcides au sein de la commu-
naut internationale par le Conseil de scurit des Nations unies : Doc off CS NU, 2006,
5561e sance, Doc NU S/RES/1721.
52 Sur cette thmatique, voir Mlanges offerts Charles Rousseau : La communaut inter-
nationale, Paris, A Pedone, 1974.
53 Pour les exemples ivoirien et congolais, voir Ydoh Sbastien Lath, Les volutions des
systmes constitutionnels africains lre de la dmocratisation, thse de doctorat en
droit, Universit dAbidjan-Cocody, 2008 aux pp 127-28, nn 417-18 [non publie].
ACCORDS POLITIQUES DANS LES TATS AFRICAINS 933
2. Le dclassement des rgles constitutionnelles
La place prpondrante quoccupe la normativit politique dans le
nouveau constitutionnalisme africain remet au cur du dbat lutilit de
la constitution dans les tats en crise. La sacro-sainte primaut constitu-
tionnelle54, telle que la prsente la doctrine classique dans la schmatisa-
tion de la hirarchie des normes, se trouve ainsi dsavoue. La vie poli-
tique africaine dans les tats en crise donne au juriste le sentiment que la
constitution est mise en veilleuse, au point o lon peut se demander,
comme le fait Pierre-Franois Gonidec, [] quoi servent encore les consti-
tutions 55 dans un contexte de marginalisation au profit des normes poli-
tiques. Selon Meledje, qui fait spcifiquement rfrence au contexte ivoi-
rien, cela traduit [l]e peu de considration accorde la Constitution 56.
On peut stonner de cette remise en cause de la suprmatie de lordre
constitutionnel par lordre politique dans les tats africains en crise, sur-
tout qu une poque encore rcente, o le vent du multipartisme soufflait
sur le continent africain57, lautorit et la prminence de la constitution
taient reconnues dans lordonnancement juridique de la plupart de ces
tats58. On est davantage interloqu lorsque lon remarque que la dcon-
sidration qui affecte la constitution fait suite, illogiquement, son adop-
tion par voie rfrendaire rfrendum au cours duquel on peut mme
observer ladhsion dune forte majorit au projet de texte constitution-
nel59. Ce fut le cas de la Constitution ivoirienne du 1er aot 2000, adopte
plus de quatre-vingt-six pour cent des suffrages exprims, qui fut malgr
tout clipse par la crise militaro-politique, dbute en septembre 2002,
au profit de normes politiques considres comme beaucoup plus justes60.
54 Rousseau, supra note 17 aux pp 5 et s ; Glele, Loi fondamentale , supra note 17 la
p 47.
55 P-F Gonidec, quoi servent les constitutions africaines ? Rflexion sur le constitu-
tionnalisme africain (1988) 4 Revue juridique et politique, indpendance et coopra-
tion 849.
56 Meledje, Instabilit chronique , supra note 1 la p 326.
57 On situe gnralement ce moment au dbut des annes 1990. Parmi les nombreuses
contributions qui constatent louverture des tats africains au pluralisme politique et
la dmocratie librale partir de 1990, voir Djedjro Francisco Meledje, Fraudes lec-
torales et constitutionnalisme en Afrique dans Jean-Pierre Vettovaglia et al, dir, Pr-
vention des crises et promotion de la paix : Dmocratie et lections dans lespace franco-
phone, vol 2, Bruxelles, Bruylant, 2010, 785 ; Gaudusson, Dfense et illustration , su-
pra note 22 ; Bourgi, supra note 17.
58 Voir Kpodar, Politique et ordre juridique , supra note 21 la p 2521.
59 Blou, Rvision de la Constitution , supra note 10 la p 162. Voir galement Meledje,
Instabilit chronique , supra note 1 la p 330.
60 Les normes politiques sont considres comme plus justes par les opposants au rgime
du prsident Laurent Gbagbo, qui ont pris les armes pour revendiquer un nouvel ordre
934 (2012) 57:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
La campagne rfrendaire avait pourtant t marque par un consensus
des partis politiques, toutes tendances confondues, autour du texte consti-
tutionnel, appelant mme ouvertement le corps lectoral un vote en fa-
veur de celui-ci. Cette apparente incongruit peut peut-tre sexpliquer
partir de lexamen du taux dabstention de quarante-quatre pour cent61,
taux traduisant bien un malaise au sein de la socit politique ivoi-
rienne62.
La succession des compromis depuis 2003 a permis, dans le contexte
ivoirien, de canaliser les dissensions au sein de la classe politique, mme
si cela a entran une dstabilisation de lordre constitutionnel, comme
cest bien souvent le cas dans les tats africains en crise. Une telle situa-
tion rvle selon nous une conflictualit normative dote dune force agis-
sante.
B. Une conflictualit favorisant la dstabilisation de lordre constitutionnel
Le caractre anticonstitutionnel de certains accords ou de certaines de
leurs dispositions, au demeurant gnralement admis63, relativise la por-
te des systmes politiques institutionnaliss. Dans les tats africains
concerns par ce phnomne, on se rend bien compte, finalement, que la
politique est moins saisie par le droit 64 que le droit par la politique. La
relecture du constitutionnalisme africain tablit une vidence souligne
par la doctrine : les compromis ou les arrangements permettent la poli-
constitutionnel, dsirant en modifier des dispositions considres comme tant discri-
minatoires.
61 Blou, Rvision de la Constitution , supra note 10 la p 163.
62 La classe politique ivoirienne tait divise sur la question des conditions dligibilit la
prsidence de la Rpublique. La rdaction de larticle 35 devait dterminer si les candi-
dats devaient tre de pre et de mre ivoiriens, ou sils devaient navoir quun seul as-
cendant ivoirien. Le tango de la constituante de 2000 , pour paraphraser le doyen Me-
ledje, a finalement opt pour le et en lieu et place du ou, souhait par une partie de
lopinion publique et par quelques partis politiques ayant pourtant appel voter en fa-
veur du projet de texte constitutionnel soumis rfrendum. Le Rassemblement des
rpublicains dAlassane Dramane Ouattara, dont la nationalit ivoirienne tait contes-
te par certains, faisait partie de ces partis opposs la validation du et, donc
lexclusion du ou, par les rdacteurs de la loi fondamentale. Pour des dveloppements
plus loquents, voir Meledje, Instabilit chronique , supra note 1 aux pp 328 et s.
Le caractre polmique de larticle 35 de la Constitution ivoirienne, supra note 38, a fait
penser certains, y compris quelques constitutionnalistes, que celle-ci tait discrimi-
natoire et injuste, ce qui est tout fait discutable, dans la mesure o le texte constitu-
tionnel ne se rsume pas cette seule disposition.
63 Voir par ex Gaudusson, Laccord de Marcoussis , supra note 38 aux pp 45 et s.
64 Voir Louis Favoreu, La politique saisie par le droit : Alternances, cohabitation et conseil
constitutionnel, Paris, Economica, 1988.
ACCORDS POLITIQUES DANS LES TATS AFRICAINS 935
tique de crer le droit, si bien quil est possible daffirmer que le droit est
une politique qui a russi65.
Les conventions politiques, dont lirruption dans lordre juridique
semble inattendue66, visent rorganiser les institutions et les pouvoirs
publics. La relation entre la constitution et les accords politiques se cris-
tallise ainsi autour de lide de rupture de la cohrence et de lunit de
lordre constitutionnel dans son ensemble. Cette rupture est rvle par le
bouleversement institutionnel occasionn et par la redfinition des comp-
tences prvues dans la constitution.
1. Le bouleversement institutionnel provoqu par les accords
Si les accords politiques prsentent essentiellement la vertu de r-
soudre les crises, leur application conduit gnralement une remise en
cause de la structure institutionnelle de certains tats dAfrique. La d-
stabilisation de lordre institutionnel se remarque ainsi dans la reconfigu-
ration du systme politique et dans les incidences que les compromis font
peser sur le pouvoir excutif, lgislatif ou judiciaire.
Si le systme politique reste gnralement inchang, si la nature du
rgime prsidentiel classique, transfigur en rgime prsidentialiste sur
le continent africain67, demeure en place par endroits, il semble nan-
moins que les accords politiques permettent de parvenir des modifica-
tions ou des amendements.
65 Voir Kpodar, Politique et ordre juridique , supra note 21 la p 2525.
66 On sait que dans la thorie de Kelsen, la cration dune norme doit tre dtermine par
une autre norme pour faire partie de lordre juridique, ce qui ne correspond pas la na-
ture des accords politiques, surtout lorsque leur rapport la norme constitutionnelle est
controvers. Voir notamment Hans Kelsen, Thorie gnrale du droit et de ltat, suivi
de La doctrine du droit naturel et le positivisme juridique, traduit par Batrice Laroche
et Valrie Faure, Paris, Librairie gnrale de droit et de jurisprudence, 2010.
67 Sur le prsidentialisme ngro-africain, voir Jean Buchmann, LAfrique noire indpen-
dante, Paris, Librairie gnrale de droit et de jurisprudence, 1962 ; Jean Gicquel, Le
prsidentialisme ngro-africain : Lexemple camerounais dans Mlanges offerts
Georges Burdeau : Le pouvoir, Paris, Libraire gnrale de droit et de jurisprudence,
1977, 701 ; Ismala Madior Fall, Le pouvoir excutif dans le constitutionnalisme des
tats dAfrique, Paris, Harmattan, 2008 [Fall, Pouvoir excutif] ; Martin Blou Djezou,
Le prsident de la Rpublique ivoirienne, thse de doctorat en droit, Universit de Nice,
1984 [non publie] [Blou, Rpublique ivoirienne] ; Mbabiniou K Tchodie, Essai sur le
prsidentialisme en Afrique noire francophone : lexemple togolais, thse de doctorat en
droit, Universit de Caen, 1993 [non publie] ; Pierre Danho Nandjui, La prminence
constitutionnelle du Prsident de la Rpublique en Cte dIvoire, Paris, Harmattan,
2004.
936 (2012) 57:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
Le pouvoir excutif dabord, dans sa nature, passe rellement du mo-
nocphalisme en priode normale au bicphalisme en priode de crise68.
Dans certains rgimes prsidentialistes, caractriss ordinairement par la
personnalisation du pouvoir dtat69, on remarque mme une dsacralisa-
tion de la fonction prsidentielle, marque par un rexamen du statut du
prsident de la Rpublique70. Limportance de ce dernier se trouve parfois
relativise par la monte en puissance dun premier ministre, clips na-
gure et repositionn aujourdhui, lorsque les accords politiques condui-
sent au partage du pouvoir, selon lapproche consociationnelle ou de po-
wer sharing dveloppe par Arend Lijphart71. Lexemple ivoirien semble
particulirement caractristique de ce point de vue. On peut relever en ef-
fet une certaine redistribution des cartes au sein du pouvoir excutif,
loccasion de la conclusion darrangements politiques dans le cadre de la
rsolution de la crise ivoirienne72 : la formation du gouvernement, la tte
duquel le premier ministre nest plus seulement un primus inter pares,
prend une forme htroclite et consensuelle. Le chef de ltat nest plus
vritablement le chef du gouvernement ; il nest plus en ralit, pour re-
prendre la formule consacre par larticle 41 de la Constitution ivoirienne,
68 Voir Mel, supra note 28 la p 531.
69 Sur le phnomne de la personnalisation du pouvoir en Afrique, voir Grard Conac,
Portrait du chef de ltat (1983) 25 Pouvoirs 121 aux p 121 et s ; Jean-Franois M-
dard, La spcificit des pouvoirs africains (1983) 25 Pouvoirs 5 la p 20.
70 Albert Bourgi constate, en priode normale, le principe de la prminence prsidentielle
dans les tats africains (Bourgi, supra note 17 la p 729).
71 Arend Lijphart, Democracy in Plural Societies: A Comparative Exploration, New Ha-
ven, Yale University Press, 1977. Voir aussi Kenneth McRae, dir, Consociational De-
mocracy : Political Accomodation in Segmented Societies, Toronto, McClelland and
Stewart, 1974. Voir aussi le numro spcial intitul les Les dmocraties consocia-
tives (1997) 4 : 3 Revue internationale de politique compare 531.
Sur les applications africaines, voir Jacques Djoli EsengEkeli, Le constitutionna-
lisme africain entre la gestion des hritages et linvention du futur : Lexemple congolais,
thse de doctorat en droit, Universit de Paris 1, 2003 aux pp 384 et s [non publie] ;
Pierre Moukoko Mbonjo, Pluralisme socio-politique et dmocratie en Afrique :
Lapproche consociationnelle ou du Power-Sharing (1993) 15 Afrique 2000 39 ; Roger J
Southall, Consociationalism in South Africa : the Buthelez Commission and Beyond
(1983) 21 : 1 Journal of Modern African Studies 77. Pour un lien avec la dmocratie plu-
raliste en Afrique, voir Maurice Kamto, L’urgence de la pense : Rflexions sur une pr-
condition du dveloppement en Afrique, Yaound, Mandara, 1993 aux pp 70-71.
72 Crise militaro-politique ivoirienne dbute le 19 septembre 2002 et acheve, selon les
discours officiels, le 11 avril 2011 la suite de violentes contestations post-lectorales.
Celles-ci se sont soldes par des affrontements arms entre les deux camps rivaux, celui
du prsident Laurent Gbagbo et celui du prsident Alassane Dramane Ouattara, que la
rbellion arme a soutenu dans cette confrontation. Mais cette crise semble perdurer
sous une forme latente, parce que les populations ivoiriennes et la classe politique sont
encore divises.
ACCORDS POLITIQUES DANS LES TATS AFRICAINS 937
le dtenteur exclusif du pouvoir excutif73. Les accords lui retirent sa
comptence constitutionnelle de nommer et de dmettre discrtionnaire-
ment le premier ministre74, rendu inamovible par la solidification de son
statut75. La fonction prsidentielle, passe au crible des arrangements
contracts, a paru un moment perdre de sa superbe et apparait ainsi, aux
yeux de certains observateurs avertis, comme simplement honorifique76.
Dans certains pays, la violence politique pousse linstitutionnalisa-
tion dune primature ou, un degr plus lev, dune vice-prsidence, par
la conclusion dun accord entre lopposition et le parti au pouvoir. Morgan
Tsvangirai au Zimbabwe et Raila Odinga au Kenya ont pu ainsi devenir
premiers ministres dans leur pays respectif. Dautres tats optent quant
eux pour linstauration dune vice-prsidence de la rpublique, pour sol-
der la crise politique77. Quoi quil en soit, toutes ces formules de partage
du pouvoir excutif entre les protagonistes cassent ou dconstruisent la
logique du prsidentialisme ngro-africain, de manire relativiser sa
porte. Mais cette instrumentalisation politique des rgles constitution-
nelles semble crer un conflit permanent entre lgalit et lgitimit,
comme on a pu le constater dans la crise ivoirienne ou malgache78.
Ensuite, le parlement dans les tats africains en crise, sans quil soit
besoin de stendre, est parfois, voire souvent, soumis aux accords poli-
tiques, beaucoup plus quaux dispositions constitutionnelles. Il est mme
arriv que le pouvoir lgislatif fasse lobjet dune confiscation ou subisse
des atteintes sous la forme dinjonctions, contenues dans les clauses con-
ventionnelles, alors mme que la rgle du mandat impratif est anticons-
titutionnelle79. Quant au juge constitutionnel, quune partie de la doctrine
73 Constitution ivoirienne, supra note 38, art 41.
74 Ibid.
75 Surtout la suite de laccord politique de Ouagadougou du 4 mars 2007, obtenu la fa-
veur dun dialogue direct entre les principaux protagonistes de la crise ivoirienne dbu-
te le 19 septembre 2002. Le chef de lex-rbellion, M. Guillaume Soro, nomm alors
premier ministre par le prsident Laurent Gbagbo, exera les fonctions de chef du gou-
vernement jusquaux lections de sortie de crise doctobre et de novembre 2010.
76 Meledje, Instabilit chronique , supra note 1 la p 338.
77 Les exemples du Burundi et de la Rpublique dmocratique du Congo peuvent tre ci-
ts.
78 Cette tension est souligne trs justement par le professeur du Bois de Gaudusson,
Dfense et illustration , supra note 22 la p 624. Sur leur rapport, voir Ouraga Obou,
Lgalit et lgitimit (2006) 37 Revue ivoirienne de droit 9.
79 Dans la crise ivoirienne ne du coup dtat infructueux de septembre 2002, on a pu
constater que le premier ministre devenait quelquefois lgislateur aux dpens des par-
lementaires eux-mmes. Par ailleurs, maintes reprises, le prsident Laurent Gbagbo
a t oblig de demander aux dputs issus de sa famille politique de procder au vote
de certaines lois ou la modification de certaines dispositions lgislatives. Il en va ainsi
938 (2012) 57:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
incluant Dominique Rousseau juge responsable de tous les maux80, il est
quelquefois ignor ou cart du jeu politique et de la vie juridique.
Dautres institutions, au sens de principes tablis constitutionnelle-
ment, sont galement vacues ou renverses par certains accords poli-
tiques. On a pu ainsi observer, au Burundi, une rotation du pouvoir dtat
sans lections, entre Pierre Buyoya et Domitien Ndayizeye, suite
lAccord dArusha pour le Burundi, obtenu difficilement par le mdiateur
Nelson Mandela. En effet, aprs avoir exerc la fonction prsidentielle
pendant dix-huit mois, M. Buyoya a cd pacifiquement le pouvoir en
avril 2003 M. Ndayizeye, et ce en dehors de tout scrutin. Autoris oc-
cuper la fonction jusquau 1er novembre 2004, date prvue pour la tenue
dlections gnrales, M. Ndayizeye a vu son mandat se prolonger
jusquen aot 2005, au moment o le nouveau prsident, Pierre Nku-
runziza, fut lu au Burundi.
On peut donc remarquer une remise en cause gnrale de lordre cons-
titutionnel par les compromis politiques. Les comptences constitutionna-
lises sen trouvent naturellement redfinies, laune de la pratique du
pouvoir dtat, par les protagonistes de la crise.
2. La redfinition des comptences prvues dans la constitution
Les conventions de sortie de crise, dans la majorit des situations ob-
serves, ont pour finalit un partage du pouvoir dtat entre les parties
la convention et leurs partis politiques. On constate ce sujet une remise
en question des comptences constitutionnalises et une redistribution de
ces dernires81, modifiant par la mme occasion le texte constitutionnel
qui leur servait de fondement. Ce que Guy Braibant appelle lavenir de
ltat82 ne se fonderait plus ainsi sur la constitution, contrairement la
thse du doyen Wodi qui remarquait, en 1990, dans leffervescence de
linstitutionnalisation du pluralisme dans les tats africains, que la loi
du nouvel article 26 de la Loi n 2004-412 du 14 aot 2004 portant amendement de la
loi n 98-750 du 23 dcembre 1998 relative au domaine du foncier rural (Cte
dIvoire), JO, 30 dcembre 2004, afin de permettre aux trangers de pouvoir trans-
mettre leurs hritiers leurs droits de proprit sur les terres rurales, pour respecter
les prescriptions de lAccord de Linas-Marcoussis, supra note 37.
80 Rousseau, supra note 17 la p 21. Lopinion publique et les acteurs politiques accusent
le juge constitutionnel de contribuer aux drives suivantes : la fin du politique,
ltouffement du dbat, le retour du thologico-politique, la rgression dmocratique, le
gouvernement des juges et mme la promotion des professeurs de droit.
81 Gaudusson, Laccord de Marcoussis , supra note 38 aux pp 44 et s.
82 Guy Braibant, Lavenir de ltat dans tudes en lhonneur de Georges Dupuis, Paris,
Librairie gnrale de droit et de jurisprudence, 1997, 39.
ACCORDS POLITIQUES DANS LES TATS AFRICAINS 939
fondamentale sert de support la vie politique83. Depuis ce temps leau a
coul sous les ponts ; les crises rptition en Afrique subsaharienne re-
mirent en cause, au moins quelquefois, certaines thories constitutionna-
listes.
Dans ce renouveau du constitutionnalisme africain, surtout dans les
tats en crise, la question du partage du pouvoir excutif est gnrale-
ment dbattue et cristallise les intrts dfendus par les diffrents acteurs
politiques, conduisant parfois des situations surralistes et des pra-
tiques anticonstitutionnelles84. Dans la plupart des exemples cits ce
propos, on observe un prsidentialisme dsormais contest, dont les r-
percussions et le retentissement se rvlent modrs bien des gards.
Les attributions du prsident de la rpublique chef de ltat et du
premier ministre chef du gouvernement sen trouvent naturellement
redistribues au profit de ce dernier. Ce fut le cas en Rpublique dmocra-
tique du Congo, o contrairement aux habitudes institutionnelles consa-
cres, la prsidence du conseil des ministres relevait de la comptence du
premier ministre par principe et exceptionnellement du prsident de la
rpublique85. Mais cest surtout dans la crise ivoirienne que le renverse-
ment du sens de la roue 86 politico-institutionnelle est juridiquement sur-
prenant. Les accords de Marcoussis et de Ouagadagou, pour citer deux
exemples, sont trs marquants dans ce quon peut considrer, bien des
gards, comme un conventionnalisme rdhibitoire87. En effet, le renforce-
ment du statut du premier ministre dans les conventions politiques em-
pche dornavant la domination du champ politique par le prsident de la
rpublique, pourtant port en triomphe par la constitution.
LAccord de Linas-Marcoussis ampute par exemple le chef de ltat de
ses attributions militaires. Il nest plus le chef suprme des armes et il ne
fait plus de nominations militaires, ce qui contredit les articles 46 et 47 de
83 Francis Wodi Vangah, Rgimes militaires et constitutionnalisme en Afrique (1990)
100:803 Penant : Revue de droit des pays dAfrique 195 la p 197.
84 Nous avons choisi daborder cette partie partir de lexemple du pouvoir excutif parce
quil semble plus pertinent.
85 Selon les dispositions de larticle 6 de lAccord politique pour la gestion consensuelle de
la transition en Rpublique dmocratique du Congo, Rpublique dmocratique du Con-
go, 19 avril 2002, en ligne : Rseau documentaire international sur la rgion des Grands
Lacs africains
go].
86 Nous reprenons encore une fois lexpression de Meledje, Systme politique ivoirien ,
supra note 21 la p 703.
87 Par un dplacement ou une relecture de la question traite par Joseph Owona, Lessor
du constitutionnalisme rdhibitoire en Afrique noire : tude de quelques Constitutions
Janus dans Mlanges offerts P-F Gonidec. Ltat moderne : Horizon 2000, Paris, Li-
brairie gnrale de droit et de jurisprudence, 1985, 235.
940 (2012) 57:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
la Constitution ivoirienne du 1er aot 2000. Dans le mme temps, les at-
tributions du chef du gouvernement sont accrues88, ce qui autorise re-
marquer que ce dernier exerce dsormais un pouvoir et non plus simple-
ment une fonction. Sans pouvoir propre au dpart, le premier ministre
ivoirien, la faveur des compromis politiques successifs, a t dot de
comptences exclusives ou concurrentielles.
La porte de cette volution vertigineuse 89 parat bouleversante : le
premier ministre, nagure simple excutant, est devenu un dcideur. Et
ses rapports avec le chef de ltat passent ainsi du duo au duel, de la col-
laboration la comptition, ouvrant la voie une insoumission du chef du
gouvernement au prsident. Le bicphalisme de faade au sein de
lexcutif, souvent dnonc dans les rgimes prsidentiels africains, ac-
quiert par la mme occasion une certaine ralit. Il sensuit parfois des
tensions et des dissensions qui affaiblissent le pouvoir et le poussent
limmobilisme. La rsistance du prsident Laurent Gbagbo la plupart
des conventions politiques tendant le dpossder de ses comptences
constitutionnelles, au profit des premiers ministres qui se sont succd
depuis janvier 200390, symbolise toute la conflictualit entre les normes
politiques et les rgles juridiques. Toutefois, la relation entre compromis
et norme constitutionnelle nest pas exclusivement conflictuelle. Dans cer-
taines hypothses, quil importe dexaminer, on remarque mme une co-
habitation pacifique.
II. Une cohabitation pacifique
Le rapport entre accords politiques et norme constitutionnelle se ra-
lise parfois pacifiquement. On relve dans ces situations, selon la configu-
ration des compromis obtenus, une rsurgence de lhgmonie constitu-
tionnelle (A), ainsi que lenrichissement de la constitution par les conven-
tions politiques (B).
88 Jean du Bois de Gaudusson rappelle que laccord exige du prsident de la Rpublique
quil dlgue certaines de ses prrogatives au premier ministre et au gouvernement di-
rig par ce dernier. Lexemple voqu prcdemment, sur les questions militaires, peut
tre cit nouveau, car la responsabilit de la restructuration de larme, contraire-
ment ce que laissent entendre les dispositions constitutionnelles, se trouve confie au
gouvernement et retire au chef de ltat (Gaudusson, Laccord de Marcoussis , supra
note 38 la p 44).
89 Formule emprunte au doyen Meledje, Instabilit chronique , supra note 1 la p 338.
90 Seydou Elimane Diarra en janvier 2003, Charles Konan Banny en dcembre 2005 et
Guillaume Soro, en mars 2007.
ACCORDS POLITIQUES DANS LES TATS AFRICAINS 941
A. Une cohabitation marque par la rsurgence de lhgmonie
constitutionnelle
Malgr tout ce dont nous venons de discuter, il faut noter que souvent,
la suprmatie que dtient la constitution dans lordonnancement juridique
des tats africains semble prserve en priode de crise, notamment en
raison de lvanescence des accords politiques (1) et de lapplication condi-
tionne des normes conventionnelles (2).
1. Lvanescence des accords politiques91
On a pu parler, dans le contexte des tats africains en crise, de valse
ou de succession des conventions politiques, pour souligner leur caractre
pisodique, provisoire et phmre. Un auteur rappelle utilement que ces
compromis ou ces arrangements sont des actes transitoires92, dont la vie
et la survie dpendent de la volont des acteurs du jeu politique, ainsi que
de lvolution mme de la crise. Si les textes constitutionnels ne sont pas
des tentes dresses pour le sommeil 93, comme la dit Royer-Collard, ils
peuvent tre destins disparatre ou subir des mutations. Les accords
politiques non plus ne sauraient prtendre la prennit ou lternit.
Leur existence est passagre et on comprend que la fin de la crise annonce
gnralement leur inapplicabilit pour lavenir. Ainsi, lorsque le transi-
toire fait place la norme, la lgalit constitutionnelle reprend le dessus.
Sa suprmatie redevient un principe et non une exception. On pourrait
expliquer ce phnomne par le besoin, exprim en Afrique, de faire repo-
ser ncessairement la lgitimit politique sur la lgalit constitutionnelle.
La caducit des accords sonne la renaissance de la constitution : la r-
alisation des objectifs poursuivis par ces derniers justifierait alors quils
soient mis sous le boisseau et que la loi fondamentale refasse surface. Ce
retour en grce de la lgalit constitutionnelle fait suite, bien souvent,
une autorit improbable des conventions de sortie de crise. La doctrine
saccorde reconnatre, sur cette question dailleurs, que certains com-
91 Cette partie nintgre pas lexamen des questions touchant la possibilit pour certains
acteurs dignorer les accords signs volontairement et de se rfrer exclusivement la
constitution dans lexercice du pouvoir dtat, bien que cette constitution, lorigine de
certaines crises, soit dclasse ou mise entre parenthses la faveur des compromis ou
des arrangements politiques. On aurait ainsi spcul, malencontreusement dailleurs,
sur la reconnaissance par ces acteurs de la supriorit constitutionnelle. Or, il nest
point utile de revenir sur ces tiraillements et sur ces conflits de normes, dj examins.
De telles questions nous paraissaient par ailleurs un peu trop polmiques et leur trai-
tement est souvent sujet caution.
92 Atangana Amougou, supra note 2 la p 1744.
93 Selon une formule reste clbre depuis 1820, tel que cit dans F Guizot, Du gouverne-
ment de la France depuis la Restauration, Paris, Ladvocat, 1821 la p 77.
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promis ont une force juridique incertaine, faute dtre assortis dune sanc-
tion juridictionnelle94, ce qui nest pas le cas de la constitution.
En effet, il nexiste pas de juridiction comptente pour sanctionner
les violations des accords de paix. Cela semble dailleurs relever de la
simple logique dans la mesure o ce sont des accords politiques et
non des accords juridiques en tant que tels95.
Il semble que cette survivance de la supriorit des textes constitutionnels
entre dans lordre normal des choses ; dautant plus que les accords poli-
tiques ressemblent beaucoup des actes de conscration ou de lgitima-
tion des auteurs de pratiques anticonstitutionnelles, quand on considre
que la constitution condamne laccession au pouvoir par des moyens anti-
dmocratiques.
Le repositionnement de la norme constitutionnelle au sommet de la
pyramide des normes replace en mme temps les acteurs constitutionnels
dans leur position originelle. Pour citer un seul exemple, on retiendra que
dans lexercice du pouvoir excutif, le prsident de la Rpublique reprend
sa place de chef de ltat et du gouvernement. Il redevient statutairement
le moteur de la machine politique 96, le pivot des constitutions afri-
caines 97. Et la persistance de la prminence prsidentielle 98 saffirme
de plus belle. Au demeurant, mme si les compromis politiques ne dispa-
raissent pas de lordonnancement juridique des tats africains en crise,
leur application conditionne relativise la porte quils peuvent avoir.
2. Lapplication conditionne des normes conventionnelles
Dans certains tats africains en crise, la suprmatie de la norme cons-
titutionnelle est rvle et expose par une exigence tendant, pour les
parties, revendiquer lamendement de la constitution pralablement
lapplication des accords politiques. La convention signe dans la crise
zimbabwenne en septembre 2008 na t ainsi mise en uvre qu partir
dune modification de la loi fondamentale qui prvoyait la cration dun
94 Voir Thierry Debard, Dictionnaire de droit constitutionnel, Paris, Ellipses, 2002 la p
88.
95 Atangana Amougou, supra note 2 la p 1736.
96 Voir Blou, Rpublique ivoirienne, supra note 67 la p 165.
97 Cdric Milhat, Ltat constitutionnel en Afrique francophone : entre tat de droit et
tat de droit dans Dveloppement durable : leons et perspectives. Actes du colloque
tenu Ouagadougou du 1 au 4 juin 2004, Paris, Organisation internationale de la
Francophonie, 2004, 61 la p 63, en ligne :
98 Jean du Bois de Gaudusson, Quel statut constitutionnel pour le chef dtat en
Afrique ? dans Colliard et Jegouzo, supra note 17, 329 la p 333 [Gaudusson, Quel
statut constitutionnel ? ].
ACCORDS POLITIQUES DANS LES TATS AFRICAINS 943
poste de premier ministre que M. Morgan Tsvangirai, opposant au prsi-
dent Mugabe, a occup partir du 11 fvrier 2009.
Cest donc surtout par leur intgration au bloc de constitutionnalit
que les accords politiques signalent leur infriorit au texte constitution-
nel. Un auteur a pu parler, fort pertinemment, dune revanche du droit
sur le politique 99 et, partant, du constitutionnalisme sur le convention-
nalisme. Lincorporation des normes conventionnelles au texte juridique
replace la constitution dans son statut de loi suprme de ltat, et sou-
ligne au passage cette tendance lui reconnatre, en Afrique, une vocation
programmatique, pdagogique ou symbolique100.
Au Burundi par exemple, laccord de partage du pouvoir daot
2004101, dans lequel tait pos le principe de la prise en compte des
groupes ethniques et des partis politiques minoritaires dans la gestion du
pouvoir dtat, na t applicable que lorsque les dispositions affrentes
cette question se sont trouves incorpores la nouvelle Constitution de la
Rpublique du Burundi adopte le 28 fvrier 2005 par voie rfrendaire102.
Les difficults dapplication des compromis mconnaissant manifeste-
ment la constitution obligent la modifier, pour intgrer ces compromis
au bloc de constitutionnalit. Il en rsulte que les arrangements poli-
tiques, contenu juridique, nont de valeur en fin de compte que si des
dispositions constitutionnelles sont prises pour quil en soit ainsi. On a pu
observer, dans ce contexte, la permanence des principes constitutionnels
et considrer dans le mme temps la constitution comme un point de re-
pre pour les conventions de sortie de crise. Le principe de la constitu-
tionnalit des lois et des accords internationaux semble repris et appliqu
aux accords politiques.
Par ailleurs, on peut remarquer que les accords politiques ne sont pas
signs ex nihilo ; leur laboration se rfre des dispositions constitution-
nelles particulires qui se trouvent contestes103 ou difficilement appli-
99 Atangana Amougou, supra note 2 la p 1744.
100 Voir Jean du Bois de Gaudusson, Synthse et conclusion dans Henry Roussillon, dir,
Les nouvelles constitutions africaines : La transition dmocratique, Toulouse, Presses de
lInstitut dtudes politiques de Toulouse, 1995, 189.
101 Accord de partage de pouvoir au Burundi, conclu le 6 aot 2004 Prtoria, ratifi le 18
aot 2004.
102 Constitution de la Rpublique du Burundi, 2005 ; Gaudusson, Dfense et illustra-
tion , supra note 22 la p 620, n 16.
103 Voir par ex les conditions dligibilit la prsidence de la Rpublique ivoirienne que
renferme larticle 35 de la Constitution ivoirienne, supra note 38.
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cables dans le contexte de la crise104. De sorte que ces accords sinspirent
parfois de la constitution en place. Malgr tout, il reste que le texte consti-
tutionnel est enrichi par les conventions politiques, travers ce processus
de reconqute de prpondrance au sommet de la hirarchie des normes.
Ce qui souligne le caractre utilitaire de la cohabitation des normes en
prsence.
B. Une cohabitation dbouchant sur lenrichissement de la constitution par
les conventions politiques
Cet enrichissement de la norme constitutionnelle par les rgles con-
ventionnelles exprime finalement le rle positif que peuvent jouer les
normes politiques lorsquelles sont places dans le marbre du droit consti-
tutionnel (1), cest–dire lorsquelles sont intgres dans le dispositif cons-
titutionnel de ltat. Par ailleurs, le recours altern la constitution et
aux accords politiques dnote, sil tait encore besoin de le souligner, une
certaine souplesse du constitutionnalisme africain (2), spcifiquement
dans les tats en crise.
1. Le rle positif des rgles politiques places dans le marbre du droit
constitutionnel
En dehors des hypothses de syncrtisme constitutionnel, consistant
dans lassociation entre la constitution et les accords politiques pour f-
conder la loi fondamentale105, ou de lamendement de celle-ci pour
ladapter ces compromis106, ce qui bien videmment la dclasse par rap-
104 Voir par ex la question des lections au suffrage universel au Burundi avant la conclu-
sion de lAccord dArusha pour le Burundi, supra note 41.
105 Dans le contexte de la crise rwandaise, notons larticle 3 de lAccord de paix dArusha
entre le Gouvernement de la Rpublique Rwandaise et le Front Patriotique Rwandais,
Journal officiel de la Rpublique rwandaise, sign le 4 aot 1993, publi le 15 aot
1993, vol 32, no 16, 1265 [Accord dArusha du 4 aot 1993] : Les deux parties accep-
tent que la Constitution du 10 juin 1991 et lAccord de Paix dArusha constituent indis-
solublement la loi fondamentale qui rgit le pays durant la priode de transition [] .
106 On peut citer les exemples du Rwanda et de la Sierra Leone. Lauteur Antagana Amou-
gou, supra note 2 la p 1739, rapporte en effet, dans le Protocole daccord entre le gou-
vernement de la Rpublique Rwandaise et le Front Patriotique Rwandais sur le partage
du pouvoir dans le cadre dun gouvernement de transition base largie, 30 octobre
1992 et 9 janvier 1993, art 24(b), al 1, la cration dune commission juridique et consti-
tutionnelle charge [d]inventorier les adaptations faire sur la lgislation nationale
pour la rendre conforme aux dispositions pertinentes de lAccord de Paix, spcialement
celles du Protocole dAccord sur ltat de Droit (ibid). Antagana Amougou souligne
que la mme logique a prvalu en Sierra Leone alors que le Peace Agreement Between
the Government of Sierra Leone and the Revolutionary United Front of Sierra Leone, 7
juillet 1999, art 10 [Accord de Lom], prvoyait explicitement la ncessit de rviser la
Constitution :
ACCORDS POLITIQUES DANS LES TATS AFRICAINS 945
port aux normes politiques, le texte constitutionnel retrouve frquemment
sa position dominante dans les tats africains en crise. Dautant plus quil
se trouve enrichi par une normativit politique, mise son service, qui lui
semble assujettie dans la pyramide des normes.
La doctrine souligne remarquablement le caractre lacunaire des
constitutions africaines107. Les lacunes des textes et le vide constitutionnel
engendr pourraient dailleurs expliquer largement ce que certains au-
teurs qualifient de crise du constitutionnalisme africain. On dcouvre ain-
si matire conflits potentiels, derrire limprcision de certaines normes
constitutionnelles. Dautant plus quon observe, en Afrique comme ail-
leurs, que la vie politique se dtache ou diffre bien souvent des principes
poss dans la constitution. Cet cart entre les rgles constitutionnelles et
la vie politique reposerait sur une raison simple :
[L]a constitution [] ne tranche vritablement que des principes et
du problme, assez thorique et abstrait, de la source du pouvoir
mais se borne en ce qui concerne son exercice tracer des perspec-
tives davenir et indiquer ce qui doit tre. La pratique politique, au
contraire, est dcisive en ce qui concerne lexercice du pouvoir et
lobservation montre que la ralit ne correspond pas toujours, ni
mme souvent, loptimisme des schmas constitutionnels108.
Le professeur Capitant fait le mme constat en soulignant, dans une for-
mulation lgante, que
[l]on reconnat ltrange faiblesse des textes en matire constitu-
tionnelle, la force dvasion de la vie politique hors des formules o
lon a tent de lenserrer, le divorce presque constant qui en rsulte
entre lapparence juridique et la ralit politique109.
Les insuffisances et les vicissitudes qui affectent la constitution dans
les tats africains en crise justifient alors le recours aux conventions poli-
In order to ensure that the Constitution of Sierra Leone represents the needs
and aspirations of the people of Sierra Leone and that no constitutional or any
other legal provision prevents the implementation of the present Agreement,
the Government of Sierra Leone shall take the necessary steps to establish a
Constitutional Review Committee to review the provisions of the present Con-
stitution, and where deemed appropriate, recommend revisions and amend-
ments [].
107 Voir Gaudusson, Dfense et illustration , supra note 22 aux pp 617 et s ; Gaudusson,
Les solutions constitutionnelles , supra note 45 la p 256 ; Blou, Rvision de la
Constitution , supra note 10 la p 164 ; Tchapnga, supra note 17 aux pp 476-77.
108 Pierre Pactet, Institutions politiques : Droit constitutionnel, 20e d, Paris, Armand Co-
lin, 2001 la p 66.
109 Ren Capitant, La coutume constitutionnelle (1979) Rev DP & SP 959 la p 962.
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tiques, dont il faut nanmoins se garder dexagrer la porte110. Malgr
tout et y regarder de plus prs, la contribution des accords et des com-
promis politiques la construction dun droit constitutionnel consensuel
tourn vers des considrations dmocratiques et pluralistes ne semble pas
indniable. Un auteur rapporte cet gard quen Afrique du Sud, une
convention politique111 renfermant trente-quatre principes constitution-
nels fonda la base dune constitution intrimaire112 et dune constitution
finale113. Lexemple a t suivi par la Rpublique dmocratique du Congo,
dans le prolongement du dialogue intercongolais, dont laboutissement
donna lieu la conclusion dun Accord global et inclusif sur la transition
en Rpublique dmocratique du Congo114, sign Pretoria, aux fins de ju-
guler le conflit arm et accessoirement politique qui minait ce pays115.
Partant de ces considrations, on peut remarquer que les accords poli-
tiques apparaissent comme des correctifs aux dfaillances des textes cons-
titutionnels. Ils permettent ainsi de gommer ou de revenir sur certaines
aberrations constitutionnelles116. Dans ce sens, la constitution parat
avantageusement amliore. En clairant la constitution, les conventions
de sortie de crise comblent par la mme occasion tout ce qui sapparente
un vide constitutionnel et permettent de rsoudre les imbroglios juri-
diques que le constituant ou le juge nest pas parvenu dissiper. Certains
auteurs considrent mme, dans certains cas, les accords politiques
comme la manifestation dun exercice, certes imparfait, mais tout de
mme indniable du pouvoir constituant driv117.
110 Les accords ou les compromis sont eux-mmes des textes imparfaits, nonobstant leur
utilit que lon tente de souligner ici.
111 Cet accord sud-africain a t ralis dans le cadre dun forum de ngociations partis
multiples, qui a runi 26 dlgations de partis politiques, le 26 avril 1993. Voir Lath,
supra note 53 la p 127.
112 Constitution of the Republic of South Africa 1993, no 200 de 1993.
113 Constitution of the Republic of South Africa 1996, no 108 de 1996.
114 Rpublique dmocratique du Congo, 17 dcembre 2002, en ligne : Rseau documentaire
international sur la rgion des Grands Lacs africains
115 Pour une analyse approfondie, voir Lath, supra note 53 aux pp 128 et s.
116 Voir titre illustratif larticle 35 de la Constitution ivoirienne, supra note 38 (sur les
conditions dligibilit la prsidence de la Rpublique), qui est donn comme tant
lorigine de la crise politico-militaire que la Cte dIvoire a connue partir du 19 sep-
tembre 2002.
117 Voir Atangana Amougou, supra note 2 la p 1736, o lauteur cite Georges Burdeau,
Trait de science politique : Le statut du pouvoir dans ltat, t 4, 2e d, Paris, Librairie
gnrale de droit et de jurisprudence, 1969 la p 288, et les dispositions de quelques
conventions de sortie de crise qui prvoyaient une procdure de rvision de la constitu-
tion au Rwanda, en Rpublique dmocratique du Congo et au Libria.
ACCORDS POLITIQUES DANS LES TATS AFRICAINS 947
Au total, les conventions de sortie de crise renforcent le droit constitu-
tionnel, dans les tats o il est question de situer le rle quelles jouent.
La rigidit de la loi fondamentale, classiquement admise, est relativement
inflchie pour sadapter au contexte de la crise et de la lgalit particu-
lire quelle ncessite. La juxtaposition des accords politiques et de la
constitution permet en dfinitive de remarquer la souplesse du constitu-
tionnalisme africain, imputable lutilisation slective des normes.
2. La souplesse du constitutionnalisme imputable lutilisation slective des
normes
Le constitutionnalisme dsigne, selon Maurice Kamto, le phnomne
constitutionnel en mouvement dans un environnement socio-politique
donn 118. Sa caractrisation par la doctrine permet de souligner, lato
sensu, quil transcende le texte de la constitution pour englober la pra-
tique et la jurisprudence constitutionnelles, de mme que les pratiques
politiques119. De ce point de vue, la loi fondamentale et les conventions de
sortie de crise, si on reste dans le contexte africain, semblent reflter le
contenu ou la signification donn au concept. Le constitutionnalisme afri-
cain, selon la vision juridique ou politique qui le fconde thoriquement, a
le don de faire la fois la pluie et le beau temps : autant il est clbr, au-
tant il est critiqu laide de formules diverses, quand il ne pousse pas
simplement sinterroger120.
Certains auteurs ont pu ainsi parler de regain ou de renouveau du
constitutionnalisme africain121, dans une conception restrictive du terme.
Dautres, au contraire, nont pas cach leur dception face un constitu-
tionnalisme en net dclin, qui recule devant la recrudescence de la vio-
lence politique dans les tats africains, laissant alors merger un conven-
tionnalisme en plein essor122. On a mme dnonc les faiblesses congni-
118 Maurice Kamto, Pouvoir et droit en Afrique Noire : Essai sur les fondements du constitu-
tionnalisme dans les tats dAfrique Noire francophone, Paris, Librairie gnrale de
droit et de jurisprudence, 1987 la p 43 [Kamto, Pouvoir et droit]. Cette dfinition na
pas cependant le sens restrictif que lui donnent certains auteurs qui rattachent la no-
tion uniquement lide de constitutions crites, destines, en France comme en Eu-
rope partir du dix-huitime sicle, encadrer les modes de dvolution et dexercice du
pouvoir politique, et ainsi limiter labsolutisme, voire le despotisme, du monarque ou
du souverain.
119 Fall, Pouvoir excutif, supra note 67 aux pp 22-23.
120 Un auteur se demande ainsi si le nouveau constitutionnalisme africain rsout vrita-
blement les crises politiques : Atangana Amougou, supra note 2 la p 1724.
121 Voir par ex Bourgi, supra note 17 la p 747 ; Gaudusson, Les solutions constitution-
nelles , supra note 45 la p 255.
122 Atangana Amougou, supra note 2 aux pp 1724 et s.
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tales de ce constitutionnalisme123, qualifi par ailleurs de rdhibitoire124.
La perversion dont il est lobjet125, son ineffectivit relle ou suppose126 et
la crise qui laffecte127 font de ce phnomne constitutionnel, selon le mot
du professeur Kamto128, une institution purement symbolique129, dteste
quelquefois pour son caractre formel et irrationnel130.
En tout tat de cause, il nest gure ncessaire de sattarder sur ces
considrations dans le cadre de cette tude, dont lobjet est bien de mon-
trer, ce stade de lanalyse, quel point le constitutionnalisme africain
est souple lorsquil recourt la fois au texte constitutionnel et aux conven-
tions politiques, dans les tats o il faut rsorber une crise.
En effet, plutt que de voir dans le regain du conventionnalisme un
dclin du constitutionnalisme africain, il faudrait considrer ce phno-
mne comme une avance positive du droit constitutionnel appliqu sur le
continent. Mieux, on aboutit, dans le jeu politique, surtout dans les tats
en conflit ou en crise, lapplication dun droit constitutionnel consensuel,
rvl par la mise en uvre slective de la constitution et des accords po-
litiques. Le recours alternatif ou simultan la loi fondamentale et aux
conventions de sortie de crise a lavantage de soustraire le constitutionna-
lisme africain, dans un sens large, au rigorisme de certaines rgles et au
formalisme des procdures ; mme sil a linconvnient douvrir la voie
une possible dsacralisation de la rgle constitutionnelle et de sa supr-
matie normative.
123 Gaudusson, Quel statut constitutionnel ? , supra note 98 la p 330.
124 Voir Owona, supra note 87. Ce phnomne commence quand certaines dispositions
dune loi fondamentale rduisent nant dautres dispositions explicitement ou implici-
tement (ibid la p 235).
125 Pierre-Franois Gonidec, Les systmes politiques africains : Les nouvelles dmocraties,
3e d, Paris, Librairie gnrale de droit et de jurisprudence, 1997 aux pp 25 et s.
126 Jean du Bois de Gaudusson, Trente ans dinstitutions constitutionnelles et politiques :
points de repre et interrogations (1992) 4 Afrique contemporaine 50 la p 56 ; Kam-
to, Pouvoir et droit, supra note 118 aux pp 439 et s.
127 Glele, Loi fondamentale , supra note 17 aux pp 33-34 ; Dmitri Georges Lavroff, Les
systmes constitutionnels en Afrique noire : Les tats francophones, Paris, A Pedone,
1976 aux pp 13 et s.
128 Voir Kamto, Pouvoir et droit en Afrique, supra note 118 la p 43.
129 Grard Conac, Lvolution constitutionnelle des tats francophones dAfrique noire et
de la Rpublique dmocratique malgache dans Grard Conac, dir, Les institutions
constitutionnelles des tats dAfrique francophone et de la Rpublique malgache, Paris,
Economica, 1979, 1 la p 24 ; Ibrahima Fall, La signification du constitutionnalisme
en Afrique noire dans Jean-Louis Seurin, dir, Le constitutionnalisme aujourdhui, Pa-
ris, Economica, 1984, 231 la p 233.
130 Jean-Marie Breton, La part du sacr dans les rapports du pouvoir et du droit : de la
lgitimation la disqualification du pouvoir (rflexions propos de lex-rgime imprial
centrafricain (1986) 12 Dr et Cult 105.
ACCORDS POLITIQUES DANS LES TATS AFRICAINS 949
Le professeur Ouraga Obou mettait en garde contre les risques dune
telle analyse qui donne la possibilit ceux qui ne peuvent user ni du
glaive ni du suffrage universel pour accder au pouvoir, [de sessayer]
lusage immodr des arcanes de la science juridique pour se soustraire
la lgalit 131. Mais il sagit moins daccorder une prime la dvalorisa-
tion du rle de la norme fondamentale, encore moins la dformation de
sa nature, que denvisager ici sa flexibilit, des fins de dmocratie et de
stabilit politique, surtout dans les tats africains ouverts au pluralisme.
Dans cette perspective, on observe que lutilisation squence ou alterne
des normes constitutionnelles et conventionnelles132, pour grer les af-
faires de ltat, permet de donner une certaine souplesse au constitution-
nalisme africain en priode de crise.
face des accords politiques dont
Conclusion
Au terme de cette tude, un constat simpose : la nature de la relation
entre la constitution et les accords politiques est atypique ou htrodoxe
dans le contexte africain. Elle dfie la logique des mcanismes du positi-
visme classique133. La hirarchie des normes, classiquement admise, nest
pas respecte bien souvent, relguant parfois la constitution au second
plan
la suprmatie dans
lordonnancement juridique de ltat concern peut tre remarque.
La cohabitation entre les rgles constitutionnelles et les conventions
politiques a une influence incontestable sur lordonnancement juridique
en modifiant la structuration de celui-ci. Cette cohabitation conflictuelle
ou pacifique pose le problme entier de la norme prpondrante dans
lhypothse dune contrarit des dispositions en prsence. Loriginalit du
constitutionnalisme africain, parfois abusivement considr comme un
simple dcalque du constitutionnalisme occidental ou europen, rside
dans sa capacit faire prvaloir les rgles politiques sur les rgles cons-
titutionnelles lorsquil sagit de rsoudre une crise ou un conflit. La lo-
gique de lorthodoxie juridique aurait consist plutt rgler la crise dans
le cadre de la normativit constitutionnelle. Certes, des solutions constitu-
tionnelles aux crises politiques africaines existent134. Mais, lorsque la
constitution manipule ou instrumentalise est indigne de la confiance de
131 Ouraga Obou, Requiem pour un code lectoral, Presses des universits de Cte dIvoire,
Abidjan, 2000 la p 29.
132 Cette utilisation implique naturellement une application slective des rgles en pr-
sence pour stabiliser les institutions rpublicaines.
133 Nous rfrons principalement la thorie kelsnienne et prcisment au normativisme
juridique qui place la constitution au sommet de la pyramide des normes.
134 Voir Gaudusson, Les solutions constitutionnelles , supra note 45 aux pp 250-56.
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certains acteurs politiques et quelle est conteste par lopposition, que
faire face la crise persistante ? Si certaines constitutions africaines r-
solvent les conflits politiques, dautres ne manquent pas assurment den
crer. Ces dernires, faute de lgitimit et face aux griefs qui les affectent,
ne sont pas alors aptes rsorber le contentieux n entre les diffrents
protagonistes. LAfrique a su innover, mme si cela peut choquer, en cher-
chant dans les compromis politiques contenu juridique des r-
ponses aux problmes contemporains qui lui sont poss.
Loriginalit des systmes politico-juridiques africains rside gale-
ment dans une ingnierie constitutionnelle indite. LAccord global et in-
clusif au Congo135 avait prvu llaboration et ladoption dune constitution
de transition, destine rgler les conflits politiques qui agitaient ce pays
et instaurer par la suite un nouvel ordre constitutionnel. Cette Constitu-
tion de la transition, ngocie et signe par les acteurs politiques en de-
hors de la volont du peuple souverain, a t adopte Pretoria, en
Afrique du Sud, le 6 mars 2003136. Elle est entre en vigueur le 4 avril
2003. En dehors du principe quen cas de conflits de normes, la primaut
de la norme politique sur la norme constitutionnelle a en effet t retenue
par les animateurs de la scne politique congolaise, il faut remarquer
lincorporation de la Constitution de la transition laccord politique qui
lui sert de fondement juridique. Ce type de constitution atypique, limite
dans le temps, reste conditionn par la convention politique qui lui est su-
prieure, ce qui renverse et heurte les thories classiques du positivisme
juridique137.
Au chapitre de loriginalit des systmes juridiques africains mergent
par ailleurs les traits daffirmation dun conventionnalisme rdhibitoire o
il arrive parfois que certaines dispositions dun accord politique contredi-
sent dautres dispositions de laccord. Un tel cas sest produit en Rpu-
blique dmocratique du Congo. Dans une dcision singulire, la Cour su-
prme de justice, face cette contradiction, avait pos le principe de la
primaut de certaines dispositions dun accord politique sur dautres dis-
positions en cas de conflit de normes138.
135 Supra note 114.
136 Constitution de la transition, Journal officiel de la Rpublique dmocratique du Congo,
5 avril 2003, 44e anne.
137 Voir les prcisions supra note 133.
138 Voir la dcision de la Cour suprme de justice congolaise, rendue le 24 fvrier 2006, sur
lavenir politique du prsident de lAssemble nationale, M. Olivier Kamitatu, exclu du
Mouvement de Libration du Congo, grce auquel il avait accd cette fonction : Cour
suprme de justice de la Rpublique dmocratique du Congo, 24 fvrier 2006, Olivier
Kamitatu, R Const 28/TSR, tel que cit par Mbodj, supra note 17 aux pp 454-55.
ACCORDS POLITIQUES DANS LES TATS AFRICAINS 951
Au surplus, on retiendra de cette tude le caractre ambivalent des re-
lations entre la constitution et les accords politiques dans les tats afri-
cains en crise. On observe ainsi un paradoxe permanent entre les conflits
de normes et la complmentarit normative occasionn par la coexistence
des rgles en prsence. Dans ces circonstances, la suprmatie de la nor-
mativit politique ou des textes constitutionnels dpend du jeu des ac-
teurs, du moment et surtout de leurs intrts. Dans la crise ivoirienne,
pour citer un exemple, le prsident Laurent Gbagbo sadossait sur la cons-
titution pour lgitimer ses dcisions et ses prises de position dissidentes,
tandis que son opposition politique et arme lui opposait la supriorit des
normes internationales ou conventionnelles, savoir les rsolutions onu-
siennes et les accords de paix conclus par les parties belligrantes.
partir de lexemple ivoirien, la question du dbat, fort minent,
entre partisans du monisme et du dualisme revient assurment sur le de-
vant de la scne doctrinale139. Cette question, qui nest pas juridiquement
tranche, peut tre cependant rsolue politiquement, mme si, ce niveau
galement, les choses peuvent fluctuer au gr des dsidrata des acteurs
politiques. Il sagit de sinterroger sur les normes qui prvalent ou qui
ont vocation prvaloir en la matire. Cette tude na pas la prtention
dy rpondre, mais de prolonger la rflexion partir de ce questionne-
ment.
Les vertus de la normativit politique se trouvent et spuisent par ail-
leurs dans la facult quelle a de reconsidrer la rigidit affectant les cons-
titutions crites et de moduler lapplication de leurs rgles en fonction des
circonstances du moment.
139 Le dbat porte sur la valeur respective des normes constitutionnelles et des normes in-
ternationales, ou celles adoptes sous les auspices de la communaut internationale,
pour rsoudre les crises politiques. Certains considrent que la constitution doit prva-
loir parce quelle nest pas abroge. Dautres au contraire soutiennent que le chef de
ltat ou ses reprsentants, en signant des conventions politiques anticonstitutionnelles
par certaines de leurs dispositions, reconnaissent par consquent le dclassement de la
norme constitutionnelle au profit de normes politiques adoptes sur la base du consen-
sus. Cette controverse traduit, en arrire-plan, la polmique qui enfle dans lopinion
publique ce sujet. En Cte dIvoire par exemple, le prsident Laurent Gbagbo et ses
partisans estimaient que force devait rester la constitution, raffirmant ainsi sa pr-
pondrance sur les normes internationales, ou celles marques du sceau des instances
internationales. En revanche, les adversaires du prsident Gbagbo rcusaient cette po-
sition et considraient plutt les accords politiques comme prpondrants sur les
normes internes ivoiriennes, par rfrence lintervention de la communaut interna-
tionale dans la procdure dlaboration de ceux-ci. Mieux, les diffrentes rsolutions
onusiennes qui ont t prises dans le cadre de cette crise ont t davantage perues
comme des normes supraconstitutionnelles, cest–dire comme des normes suprieures
la constitution.
952 (2012) 57:4 MCGILL LAW JOURNAL ~ REVUE DE DROIT DE MCGILL
La prudence exige que lon prenne nanmoins au srieux le danger
que reprsentent ces accords politiques qui dconstruisent lordre juri-
dique existant et qui imposent un droit public de circonstances ou un nou-
veau droit constitutionnel, en marge de la norme officielle140. Cette re-
marque relativise leur apport et incite ne pas sintresser qu la face vi-
sible et idyllique de cet iceberg normatif spcial .
Si, par ailleurs, on assiste de plus en plus la conclusion de conven-
tions politiques contenu juridique en temps de crise, le droit doit per-
mettre en priode normale la formation daccords juridiques contenu po-
litique. Passe la crise, il faut surtout revenir une constitution consen-
suelle qui fdre les positions, mme les plus tranches, de la classe poli-
tique ; cest–dire une loi fondamentale qui soit le rsultat, ou
laboutissement, dun dosage russi entre le politique et le juridique.
Il est vident, en effet, que les conventions de sortie de crise traduisent
un malaise constitutionnel, refltant lurgence de ladoption de nouvelles
constitutions dans les tats africains. Cette relecture de lordonnance-
ment constitutionnel ralis en Afrique doit-elle se laisser pntrer par
des influences trangres, ou bien au contraire se construire de manire
autarcique en sappuyant sur les ralits et les exigences africaines ?
lheure o lon parle de convergence des modles constitutionnels141 et
une poque o linternationalisation du constitutionnalisme africain est
mise en vidence142, la question mriterait certainement dtre revisite.
140 Gaudusson, Laccord de Marcoussis , supra note 38 la p 49.
141 Voir notamment Sory Balde, La Convergence des modles constitutionnels : tudes de
cas en Afrique subsaharienne, Paris, Publibook, 2011.
142 Gaudusson, Dfense et illustration , supra note 22 la p 623.