Article Volume 18:3

Les risques dans la vente: de la loi romaine à la loi de la protection du consommateur

Table of Contents

No.3]

Les risques dans la vente: de la loi romaine
h la loi de la protection du consommateur

Daniel Jacoby *

IN TR O D U CT IO N ………………………………………………………………………………………………….
PREMIERE PARTIE: Analyse du droit positif ……………………………………….
I: Rappel historique ………………………………………………………..
CHAPITRE
I: Droit romain …………………………………………………………………
Section
Section II: Ancien droit …………………………………………………………………..
Section III: Codification …………………………………………………………………..
CHAPITRE II: Droit contemporain ……………………………………………………..
I: D octrine …………………………………………………………………………

Section

A. R~gle de principe: Res perit debitori …………….
B. R~gle d’exception: Res perit domino …………….

Section II: Quelques applications jurisprudentielles …………………

A. Alienation pure et simple ……………………………………………………..
B. Alidnation conditionnelle ………………………………………………………..

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Section III: Les risques dans la Loi de la protection du

consommateur ………………………………………………………………

A. Le rdgime exceptionnel de la vente h domicile ………
1) vente au comptant …………………………………………………………….
2) vente assortie d’un cr&dit …………………………………………………
3) remarques gdn6rales …………………………………………………………..

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360
360
362
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B. Probldmatique des risques dans la vente h temperament 363
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DEUXIP-ME PARTIE: A la recherche d’un fondement ……………………………
I: Signification de l’article 1200 du Code civil …………..
I: Port6e ……………………………………………………………………………..
II: Limites et rejet …………………………………………………………….
II: Ohi est-il donc ce fondement? …………………………………..
I: Les transferts simples ………………………………………………
A. Res perit debitori? ………………………………………………………………….
B. Res perit creditori? ………………………………………………………………..
C. Res petit domino …………………………………………………………………….
Corollaire: D6trioration partielle …………………………………………….
Section II: Probl~matique des transferts conditionnels …….

CO N CLU SIO N ……………………………………………………………………………………………………..

CHAPITRE
Section
Section
CHAPITRE
Section

* Barreau de Montreal, Professeur h l’Universit6 de Montreal.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 18

Introduction

Le cas fortuit, cause d’exon6ration du d6biteur, vient interrompre
le ddroulement normal de l’activit6 contractuelle. 1 Ses consdquences
varieront cependant suivant le genre de contrats impliquds. Dans
les contrats synallagmatiques imparfaits, comme le pr~t h usage ou
le ddp6t gratuit, cet dvdnement anonyme aura pour effet de lib6rer
le ddbiteur, emprunteur ou ddpositaire, de son obligation de res-
tituer la chose; la perte sera support6e par le crdancier-propri6taire:
c’est le risque de la chose. Dans les contrats bilat6raux, comme la
vente ou le louage, si le cas fortuit affranchit le d6biteur de toute
responsabilit6, il reste que l’obligation corrdlative du crdancier n’a
pas 6t6 directement affectde par l’dvdnement. Mais comme le dd-
biteur voit son obligation s’andantir, il y a lieu de se demander si
le crdancier doit ndanmoins accomplir ses propres engagements.
Plusieurs solutions ont 6t6 proposdes et elles varient en fonction des
esp~ces de conventions synallagmatiques.

Cette 6tude a pour objet d’analyser le jeu de la thdorie des ris-
ques dans les contrats translatifs de propridt6 et particuli~rement
dans la vente, en raison de l’importance m6me de ce contrat dans
l’activit6 6conomique. I1 s’agira de faire ressortir les principaux
problbmes suscitds par l’application de cette thdorie et de tenter
une amorce de solution pour chacun. A cette fin, dans une premiere
partie, sera analys6 le droit positif en la mati~re; celui-ci sera
prdalablement situ6 dans son contexte par un bref historique de
la question. La seconde partie visera avant tout a mettre en relief
les fondements de la thdorie des risques dans la vente, et dans cette
optique, h donner une apprdciation critique des r~gles admises.
De plus, seront aborddes les incidences de la loi de la protection
du consommateur 2 en ce qu’elle modifie les principes traditionnels.
En conclusion, nous hasarderons quelques recommendations visant
a rendre plus addquate la thdorie des risques dans la soci6t6 con-
temporaine.

1 p. Azard, La force majeure ddlictuelle et contractuelle dans le droit civil
qudbdcois, (1965), 25 R. du B. 357; R. Demogue, De la force majeure, (1937-
38), 16 R. du D. 69; D. Jacoby, Rdflexions sur le concept de cas fortuit, (1972),
32 R. du B. 121; R. Taschereau, Thiorie du cas fortuit et de la force majeure,
(th~se). Montreal, Librairie g6ndrale de droit et de jurisprudence, 1901.

2 L.Q., 1971, ch. 74.

No.3]

LES RISQUES DANS LA VENTE

Premibre Partie: Analyse du droit positif

Chapitre I

Rappel historique

Nous examinerons sommairement ici l’6volution historique de
la th6orie des risques. Cette 6tude aura pour avantage de jeter un
peu de lumi~re sur la th6orie contemporaine.

Section 1. Droit romain

2. A Rome, l’impossible dispensait le d6biteur de s’exdcuter. Plus
pr6cis6ment, advenant un cas fortuit, on disait du d6biteur qu’il
avait rempli ses engagements; il 6tait donc lib6r6,
Ce principe s’appliquait:

… a la vente et aux contrats qui ont pour objet le transport de la
propri6t6 comme h ceux qui ont pour objet l’usage d’une chose…
aux obligations unilat6rales comme aux obligations synallagmatiques 3
La propri6t6 n’6tait alors transf6r6e que par la tradition4
Or, la loi romaine voulait que l’acheteur supportat la perte
fortuite survenue avant la livraison. II ne s’agissait donc pas de
l’application de la rbgle res perit domino. En matizre de vente,
on disait en effet que le vendeur 6tait d6biteur d’un species
(chose individualis6e) et que l’acheteur, pour sa part, 6tait d6-
biteur d’une quantitas (chose d6termin6e dans son esp~ce).
D~s la formation du contrat, le vendeur s’obligeait h livrer
l’objet, et, de son c6t6, l’acheteur s’engageait h payer le prix.
Ces obligations 6taient ind6pendantes l’une de l’autre. Si la chose
p6rissait avant la livraison, le vendeur 6tait consid6r6 comme
ayant rempli son obligation et ce, par application du principe
l’impossible, nul n’est tenu,,. Les obligations 6tant unilat6rales,
,
on n’envisageait pas le contrat dans son ensemble, mais l’enga-
gement pris isol6ment.5 Par ailleurs, l’obligation de l’acheteur,
qui consistait h payer le prix de la chose, pouvait toujours 6tre
accomplie puisque celui-ci 6tait d6biteur d’une chose de genre.
En droit romain, on disait: . D~s lors,
le vendeur seul 6tait mis dans l’impossibilit6 d’ex6cuter son
engagement. En d’autres termes, l’ali6nateur, par la perte ou
destruction fortuite, perdait son bien, mais ne portait pas le

3Molitor, Les Obligations en droit romain, (Gand. L. Hebbelynck. 1851),

4 Mazeaud, Legons de droit civil, (2e dd., Paris, Montchrestien), tome 2,

tome I, no 280.

no 1614.

5 Marty et Raynaud. Droit civil, (Paris, Sirey, 1962), tome II, vol. 1, no 289.

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risque, puisqu’il conservait son droit r6sultant de la vente, c’est-
a-dire le paiement du prix.

En somme, l’ancien droit romain faisait reposer la thdorie
des risques sur la distinction entre choses de genre et corps
certains; on ne concevait pas la lib6ration du ddbiteur d’une
quantitas.

Enfin, dans les ali6nations conditionnelles, c’6tait le vendeur
qui avait la charge des risques survenus avant la rdalisation
de la condition. En effet, si la chose 6tait d6truite avant la
livraison, qui 6tait elle-m6me suspendue, le contrat ne pouvait se
former, faute d’objet au moment oii l’ali6nation allait devenir
parfaite. Cons6quemment, pas d’objet, pas de vente, pas d’obli-
gation pour l’acheteur de payer le prix, le vendeur, au moment
de la perte, n’ayant pas encore acquis de droit ex contractu.

Dans les ventes h la mesure, tant qu’il restait un 616ment
du contrat ht d6terminer, soit le prix, soit la chose, la conven-
tion demeurait imparfaite, et la perte incombait encore au
vendeur: solution identique h celle de la vente conditionnelle.

Section II. Ancien Droit

A. Doctrine classique
3. Au chapitre VI du Trait6 des obligations, ott i1 analyse a 1’extinc-
tion de l’obligation par l’extinction de la chose due,>, Pothier
aborde l’impossibilit6 d’ex6cution de l’obligation du d6biteur:
… lorsque la chose qui dtait due vient h p6rir, ne restant plus rien
qui soit l’objet et la mati~re de robligation, ii ne peut plus y avoir
d’obligation. L’extinction de la chose due emporte done n~cessaire-
ment 1’extinction de 1’obligation.6
En somme, le d6biteur d’un corps certain est lib6r6 par la
perte fortuite survenue avant la mise en demeure. 7 Si l’obliga-
tion portait sur une chose non individualis~e, le d6biteur 6tait
n6anmoins tenu d’accomplir ses engagements, car le ((genre ne
p6rit pas>>.’

I1 est 6vident que Pothier, dans ces extraits, ne consid~re

que l’obligation unilat6rale de livrer.

Ce n’est toutefois qu’au Trait6 de la vente que Pothier analyse
la thdorie des risques. D6s la perfection du contrat, l’acqu6reur

6 Pothier, par M. Bugnet, Oeuvres, (2e dd. Paris, Marchal et Billard, 1861),

tome II, no 649.

7 Ibid., nos 657 et 668.
8 Ibid., no 658.

No.31

LES RISQUES DANS LA VENTE

devra subir le risque de la perte par cas fortuit: son obligation
demeurera; celle du ddbiteur disparaitra. L’acheteur devra donc
s’acquitter du prix de vente; en effet, son obligation est devenue
parfaite d~s la conclusion du contrat et ind6pendamment de
toute traditionY

Domat, de son c6td, n’a pas dlabord une thdorie systdmatique
du cas fortuit. Toutefois, les solutions qu’il prdconise sont iden-
tiques; ainsi, en mati6re de vente, l’acqudreur sera tenu du
risque contractuel:

Tous les changements qui arrivent apr s que la vente est accomplie
regardent l’acheteur, et si la chose p6rit avant meme la ddlivrance,
il en souffre la perte, et ne laisse pas d’etre oblig6 d’en payer le prix.’O

B. Ecole de droit naturel
4. A la mme dpoque, les tenants du droit naturel, comme Puffen-
doff et Barbeyrac, critiquaient la solution admise pour les
contrats translatifs de propridt6. Celle-ci ne rdpondait pas h
un souci d’dquitd: comment admettre que l’acheteur puisse as-
sumer la perte d’un objet dont il n’est pas propridtaire et dont
il n’a pas la possession? Pour rdmddier h l’injustice, les jusna-
turalistes introduisent alors l’adage res petit domino: c’est le
vendeur qui aura la charge des risques. Le vendeur, ddbiteur
de l’obligation de donner, devra, avant la tradition, et en tant
que propridtaire, supporter la perte de l’objet.

Ces auteurs prdtendaient que cette maxime dtait reconnue
par les jurisconsultes romains eux-mmes. Par ailleurs, ils sou-
tenaient que l’acheteur ne s’dtait obligd hi payer le prix qu’h
condition qu’on lui donnft la chose.

D6jh, Pothier ne souscrit pas a leur opinion pour les raisons
suivantes: Il constate en effet que cet adage ne regoit applica-
tion que lorsqu’on oppose le propridtaire h ceux qui ont la garde
ou l’usage de la chose:

En ce cas, la chose p6rit pour le propridtaire, plut6t que pour ceux
qui en avaient la garde ou l’usage, lesquels, par la perte qui arrive
de la chose sans leur faute, sont ddchargds de l’obligation qu’ils
avaient contractde de la rendre.”
A la deuxi~me prdtention de ces auteurs, Pothier rdpond:
Je nie la proposition. [L’acheteur] s’oblige ht payer le prix, non pas
h condition que le vendeur lui donne la chose, mais plut6t h condition

9 Ibid., tome III, bi p. 123, no 307.
‘ODomat, par 1. Rdmy, Oeuvres, (nouvelle 6d., Paris, Alex Gobelet, 1835),

tome I, h p. 172.

11 Pothier, op. cit., n. 6, t. III, h p. 124, no 307.

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que le vendeur s’oblige, de son c6t6, envers lui, h lui faire avoir la
chose: il suffit donc que le vendeur s’y soit valablement obligd…
pour que l’obligation de racheteur ait une cause, et subsiste.’2

Corollaire: Introduction progressive du principe de l’effet translatif

du contrat 13

5. L’adoption du principe de l’effet translatif aura une incidence
particuli~re sur la thdorie des risques 6rig6e par les Codifica-
teurs de 1804;'” notons pour l’instant que si Pothier subordon-
nait le transfert de la propri6t6 h la tradition, il n’en reste pas
moins que les notaires, ds
le XIIIe si~cle pour les donations,
et le XIVe pour les ventes, insdraient dans les actes des clauses
de dessaisine-saisine; ainsi,

… les acqudreurs se dispensaient d’entrer en saisine de seigneur prdci-
s~ment pour 6viter le retrait lignager, mais prenaient soin d’acquitter
tous les droits … y compris le droit de saisines, qui ne correspon-
dait plus h rien.15

Cet usage 6tait si r6pandu qu’au XVIIe si6cle, les th6oriciens
du droit comme Loysel attribuaient d6jh h la clause de dessai-
sine la m~me valeur juridique que la tradition rdelle.’

En parall~le, les jusnaturalistes, h la suite de Grotius, reva-
lorisaient le r6le de la volont6 et donnaient ainsi b cette pratique
un fondement logique et philosophique:
le transfert du droit
de propri6t6 6tait rdalis6 par le seul vouloir des individus.

Section III. Codification

A. En France
6. Au seuil de la pdriode r6volutionnaire, la doctrine prdconisait
donc l’abolition de la tradition et de la mise en possession, corn-
me condition du transfert. Globalement, l’effet translatif du
‘article 1138 C.N., constitue simplement la
contrat, retenu par
consdcration de la pratique notariale. Les rddacteurs du Code

12 Id.
13 Sur le transfert de la propri6td: D. Jacoby, Le transfert de la propridtd
dans une perspective de rdforme, (1970), 5 R.IT. 65 et 165; G. LeDain, The
Transfer of Property and Risk in the Sale of Fungibles, (1952-55), 1 McGill L.J.
237.

14 Infra, no 6.
15 0. Martin, Histoire de la Coutume de la prdv6td et vicomtg de Paris,

(Paris, E. Leroux, 1926), t. II fasc. 1, A p. 127.

16 Mazeaud, op. cit., n. 4, t. II, no 1615.

No.3]

LES RISQUES DANS LA VENTE

civil n’ont fait que supprimer dans les contrats la n~cessit6 des
clauses de style.17

I1 6tait alors ais6 de donner h l’axiome res perit domino
toute sa vigueur: l’acheteur devenant propri6taire par le seul
consentement, allait supporter les risques, h titre de propri6-
taire, et ce, avant toute tradition.

B. Au Bas-Canada

Au Qu6bec, les Commissaires adopt6rent aussi le principe
de l’effet translatif du contrat, mais ne reproduisirent pas l’article
1138 du Code Napol6on. Le Code de 1866 ne contient en effet
aucune disposition sur la th~orie des risques dans les contrats
d’alidnation pure et simple. Toutefois, l’article 1202 du Code
civil, b la difference du Code francais, consacre la rigle de la
r6solution du contrat engendrant des obligations de faire.

7. Cet aperru historique facilitera l’6tude de la jurisprudence qui,
dans l’ensemble, manifeste un traditionnalisme accentu6 dans la
recherche des crit~res de solution. Les tribunaux font constam-
ment appel h des brocards anciens, au point qu’il est permis
d’affirmer que la thdorie contemporaine des risques est centrde
essentiellement sur des r~gles latines.

En r~sum6, le droit romain appliquait la r~gle res perit
creditori b la vente: le cr~ancier de l’obligation de donner avait
la charge des risques. Si le vendeur 6tait lib6r6 de toute obli-
gation, l’acqudreur, ddbiteur d’une chose de genre, devait n~an-
moins accomplir ses engagements;
toutefois, en vertu de la
th~orie dite <(de la compensation des chances >>, il profitait en
retour des fruits et revenus de la chose, d~s l’accord des volon-
tds et avant toute d6livrance.’ 8

En ancien droit, Pothier admettait aussi la rigle res perit
creditori mais pour une autre raison: c’est parce que l’obligation
de l’acheteur 6tait parfaite qu’il devait n~anmoins prester le prix,
et ce, malgr6 la perte de l’objet avant la ddlivrance.

Toutefois, les jusnaturalistes, voyant dans cette r~gle une
mesure draconienne, invoqu~rent la fameuse maxime res petit
domino. Cette norme nouvelle allait modifier l’optique de la
th~orie des risques. Jusquh son introduction, la charge des ris-
ques s’analysait exclusivement au niveau des obligations con-
tractuelles. Or, lier les risques au droit de propri6t6, c’dtait

17Bufnoir, Propridtd et Contrat, (Paris, A. Rousseau, 1900), h p. 45.
18Mazeaud, op. cit., n. 4, t. II, no 1117.

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[Vol. 18

faire appel h une technique propre au droit des biens, au
d6triment du droit des contrats. Quoiqu’il en soit, cette r~gle
avait 6t6 puis6e dans un rescrit de Diocl6tien: il s’agissait, en
1’esp~ce, de d6terminer si l’objet gag6 6tait atux risques du
cr6ancier saisi du gage ou du d6biteur qui en avait conserv6
la propri6t6; et l’on r~pondait: res perit domino.19 Jusqu’h la
nouvelle application qu’en faisaient les jusnaturalistes dans les
contrats translatifs de propri&t6, la maxime avait conserv6 en
ancien droit un sens bien particulier: on l’appliquait essentiel-
lement dans les hypotheses ot l’on opposait le propri6taire
d’une chose h celui qui en avait la detention, et ce, par r6ac-
tion contre les anciennes couturnes germaniques qui pr6coni-
saient une solution contraire 0 –

Quant aux r6dacteurs de 1804, en consacrant le principe de
l’effet translatif du contrat par le simple accord des volontds
et en retenant la r~gle res perit domino, ils en modifiaient
substantiellement la port6e. Les conditions avaient chang6. Si
les tenants du droit naturel l’avaient invoqude par souci de
protection de l’acqu6reur, le l6gislateur frangais, en adoptant
le syst~me de l’effet translatif, faisait revivre la pr6tendue in-
justice de l’ancien droit.

De nos jours, nous le verrons, la querelle a repris sous une
une forme nouvelle: dans les ventes avec r6serve de propri6t6,
il apparait inique de faire supporter les risques par le vendeur-
propri6taire qui a perdu la possession mat6rielle de l’objet. Par
ailleurs, comment admettre que l’acqu6reur, puisqu’il n’est pas
encore propri6taire, en ait n6anmoins la charge? 21

Chapitre II

Droit contemporain

Section I. Doctrine

8. La doctrine des risques contractuels prdsente, dans ses grandes

lignes, une opinion unanime sous plusieurs aspects.

Pour la majorit6 des auteurs, les risques ne se posent qu’en
mati~re de contrats synallagmatiques. 22 Pour bien cerner le

19 Troplong, De la Vente, (Se dd., Paris, 1856), t. I, h p. 462, no 358.
20Huc, Commentaires du Code civil, (Paris, F. Pichon, 1894), t. VII, no 104.
21Infra, no 14.
22 Mazeaud, op. cit., n. 4, t. II, no 1107. En effet, on oppose le risque de
la chose aux risques du contrat. Les risques du contrat ne se congoivent

No.3]

LES RISQUES DANS LA VENTE

probl~me, il convient de rechercher ce qu’il advient de robli-
gation du cocontractant lorsque, par force majeure, le d6biteur
est dispens6 d’ex6cuter ses propres engagements.2 3 La doctrine
frangaise a, depuis longtemps, rationalis6 la thdorie des risques.
Au Qu6bec, la question n’a 6t6 abord6e de facon synth6tique
que r6cemment.24

En mati~re de risques, il faut distinguer le principe de

l’exception.

A. R~gle de principe: Res perit debitori

La rbgle de principe, res perit debitori, commande que le
risque du contrat soit support6 par le d6biteur de l’obligation
dont l’ex6cution est devenue impossible. C’est lui qui supportera
les cons6quences de la perte en ce sens qu’il ne pourra exiger
‘obligation corr6lative.25 Par ailleurs, les deux
l’ex6cution de
contractants seront lib6r6s.20

Si le i6gislateur n’a pas pr6vu express6ment la rigle, il reste
que l’on en retrouve des applications particuli6res dans le Code.
C’est ainsi que l’article 1660 C.c. lib~re le locataire du paiement
du loyer lorsque l’immeuble est d6truit fortuitement. De m~me,
l’article 1686 C.c., visant le contrat d’entreprise oii la mati~re
est fournie par le locataire, emp~che l’ouvrier, sauf exceptions,
de r6clamer ses gages, si l’objet p6rit par cas fortuit. Par
ailleurs, 1’article 1202 C.c. semble consacrer la rZgle res perit
debitori dans le domaine des obligations de faire.

En r6sum6, le l6gislateur a consacr6 dans ces textes la r6gle

g6n6rale qui nous vient du droit romain: res perit debitori.

Le fondement de ce principe serait la volont6 pr6sum6e des
parties: si l’un des d6biteurs est emp~ch6 d’agir malgr6 lui, il

que dans la mesure oit 1’on se trouve en pr6sence d’obligations corr6latives.
On se demande si le d6biteur lib6r6 peut n6anmoins r6clamer la prestation
de son cocontractant. Toutefois, cette attitude restreint le champ d’inter-
f6rence du cas fortuit. Que le contrat soit bilat6ral ou unilat6ral, il reste
que, dans l’hypoth~se oit le d6biteur d’une obligation de livrer est empech6
de l’exdcuter, il convient de rechercher qui, des contractants, supportera
les cons6quences de la force majeure.

23M.; voir aussi: Ripert et Boulanger, Trait6 de Droit Civil, (Paris, Librairie

g6ndrale de droit et de jurisprudence, 1957), tome II, no 500.

Montr6al, 1970), nos 354 h 371.

24J.L. Baudouin, Les Obligations, (Montr6al, Presses de l’Universit6 de
2 Marty et Raynaud, op. cit., n. 5, t. II, vol. 1, no 285.
2 0 L. Faribault, Traitg de droit civil du Quebec, (Montr6al, Wilson et Lafleur,

1959), tome VIII bis, no 804.

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[Vol. 18

y aurait entente tacite de libdration du cocontractant.L2 7 D’autres
voudraient justifier la rigle au moyen du concept de cause.28
Enfin, certains y voient une des applications du mdcanisme de
l’interd6pendance des obligations. 29

B. R~gle d’exception: Res perit domino

1. G6ndralitds

9. En droit frangais, 1’article 1138 du Code Napol6on consacre une
solution d’exception en ce qui touche les contrats translatifs de
propri6t6; 30 si l’obligation impossible i remplir porte sur la
livraison d’un objet individualis6, les risques passent au crdan-
cier de
‘obligation qui est propridtaire de la chose: Res petit
domino. 31 Il est vrai dans ce cas que les r~gles res perit domino
et res perit creditori entranent un rdgime identique.32
En droit qudbdcois cependant, l’uniformit6 n’est pas atteinte.
Ainsi, quelques auteurs, apr~s avoir constat6 que 1’article
1138 du Code Napol6on n’a pas d’6quivalent au Qudbec, se
rdf~rent b 1’ancien droit. L’explication se trouve chez Pothier:
res perit creditori.3 3 Les r6sultats sont les m6mes, seul le mdca-
nisme diff~re; en effet, c’est toujours
‘acheteur qui, dans les
deux cas, supporte la perte.34

D’autres rejettent catdgoriquement les r~gles res perit domino
ou creditori. En effet, la formulation de 1’article 1200 du Code
civil ne permettrait pas ici la transposition de la solution fran-

27Mazeaud, op. cit., n. 4, t. II, no 1109.
28G. Wasserman, Impossibility of performance in the Civil Law of Quebec,

(1952), 12 R. du B. 366, h p. 380.

29 Ripert et Boulanger, op. cit., n. 23, t. II, no 503.
30 Art. 1138 C.N.: L’obligation de livrer la chose est parfaite par le seul
consentement des parties contractantes. Elle rend le crdancier propridtaire
et met la chose A ses risques d~s rinstant oii elle a dI 6tre livrde, encore que
la tradition n’en ait point 6td faite, h moins que le d6biteur ne soit en
demeure de la livrer; auquel cas la chose reste aux risques de ce dernier.
31 P.B. Mignault, Le droit civil canadien, (Montr6al, C. Thdoret, 1906), tome
VII, h p. 12; Mazeaud, op. cit., n. 4, t. II, no 1116; Marty et Raynaud, op. cit.,
n. 5, t. II, vol. 1, h p. 257, no 289; Ripert et Boulanger, op. cit., n. 23, t. II,
no 510.

32 Ripert et Boulanger, Id.
33 G. Wasserman, op. cit., n. 28, h p. 380; A. Boh6mier et F. Fox, De l’effet
des changements de circonstances sur les contrats dans le Droit civil qudbdcois,
(1962), 12 Th6mis 77, i p. 95 et ss. On se base de plus sur ‘article 1200 C.c.
pour justifier la th6orie des risques.

34 Supra, no. 3.

No.3]

LES RISQUES DANS LA VENTE

gaise. Cons6quemment, les risques sont h la charge du d6biteur
de l’obligation de donner. Le vendeur ne saurait r~clamer l’ex6-
cution de l’obligation corr61ative du cr6ancier: res perit debitori 5
En dernier lieu, il convient de remarquer que la doctrine
moderne fait reposer la r~gle res perit domino sur un principe
d’6quit6. Si l’acqu~reur n’a pas pris imm~diatement livraison
de l’objet, il apparait normal qu’il en subisse la perte puisque,
en definitive, le vendeur, avant la livraison, peut 8tre assimil6
h un d6positaire.3 6

Apr~s avoir cern6 les traits dominants de la th~orie des
risques en mati~re de contrats translatifs, il y a lieu de v6rifier
l’application des principes a certaines modalit~s d’ali~nations.

2. Modalitds

a. Alignation de choses ddterminges quant & l’espce

10. Si la maxime res perit domino connait une application imm6-
diate en mati~re d’ali6nation pure et simple, il y a lieu de
prdciser que le transfert des risques est li6 au transfert du
droit de propri~t6; 37 et, par voie de cons6quence, la charge
des risques est, pour le cr~ancier, suspendue jusqu’h la sp6-
cification des objets ali~n6s: ainsi, dans les ali~nations de
choses d6termin6es quant h l’esp~ce, de m~me que dans les
i mesurer, deux conditions sont requises pour op~rer
ventes
le transfert: l’individualisation doubl~e de la notification h
l’acqu6reur.3 8 Cette solution s’explique juridiquement: genus
nunquam perit.

b. Alignation avec terme

Si le cr6ancier de la livraison a accord6 un terme h la
prestation du d6biteur, les risques passent n~anmoins h l’ache-
teur ds l’accord des volont6s 3 9 Cette hypoth~se ne diff~re
pas de la r6gle g6n6rale.

Par contre, s’il y a connexit6 entre les risques et la pro-
pri6t6, ralination avec terme relatif au transfert de propri~t6

3 L. Faribault, op. cit., n. 26, t. VIII bis, no 802.
3 Mazeaud, op. cit., n. 4, t. II, no 1118.
37G. LeDain, op. cit., n. 13.
aA. 1026 et 1474 C.c. Noter cependant que dans les ventes hi mesurer, on
exige parfois F’opration contradictoire effective ou prdsum6e: Joyal v.
Beaucage, (1921), 59 C.S. 211.

39 Mazeaud, op. cit., n. 4, t. II, no 1123.

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[Vol. 18

aura pour effet de diffdrer les risques jusqu’hi l’6ch6ance du
terme.4 0

c. Alignation conditionnelle

La vente conditionnelle suspensive a pour effet de retarder
le transfert de la propridtd jusqu’h l’av~nement de la condi-
tion.

L’article 1087 du Code civil pose pour principe qu’une fois
la condition rdalisde, le d~biteur doit effectuer la livraison, h
moins que
‘objet n’ait 6t6 enti~rement d6truit depuis l’dpoque
du contrat. En consdquence, pour certains auteurs, 41 tant que
la condition n’est pas rdalisde, le vendeur, demeurant propri6-
taire, assume les risques contractuels. Outre de perdre l’objet
de l’obligation, il est priv6 du droit de demander le prix hi
l’acheteur.

Toutefois, il faut se rappeler que la condition r6alisde opere
r6troactivement et, en toute logique, cette r6alisation devrait
avoir pour effet de rendre le contrat valable d~s sa formation
et, par voie de consdquence, les risques seraient normalement
assumds par l’acqudreur, propridtaire depuis l’accord des vo-
lontds. L’article 1087 C.c. comporterait done une exception au
principe de la rdtroactivitd 6nonc6 par

‘article 1085 C.c.42

Par ailleurs, en raison de la thdorie de la (compensation
des chances>>, on ne comprend pas pourquoi l’acqudreur sous
condition suspensive a la facult6 d’hypoth6quer un immeuble 4 3
si, par ailleurs, il n’est pas tenu de la perte.44
En rdalitd, le l6gislateur qu6bdcois, L l’instar du l6gislateur
frangais, aurait sacrifi6 la logique h l’dquit. 46 Toutefois, on
rdtorque qu’il est ddraisonnable de consid6rer comme form6
un contrat dont l’objet aurait disparu avant la rdalisation de
la condition.4 6 Mignault prdcise:

… Avant d’attribuer un effet rdtroactif A la condition accomplie, il
importe de savoir si elle a produit un effet; or elle n’en a produit
aucun. L’obligation du vendeur n’a pas pu naltre: car, au moment
oii la condition s’est rdalisde, la chose vendue n’existait plus, et

40 Marty et Raynaud, op. cit., n. 5, t. II, vol. 1, no 291.
41 L. Faribault, op. cit., n. 26, t. VIII bis, no 87.
42Id.
43A. 2038 C.c.
44L. Faribault, op. cit., n. 26, t. VIII his, no 87.
451d.
46 Marty et Raynaud, op. cit., n. 5, t. II, vol. 1, no 292.

No.3]

LES RISQUES DANS LA VENTE

il n’y a pas d’obligation sans objet. L’obligation de l’acheteur
n’a pas pu naitre, faute de cause…47
Le ldgislateur s’est aussi occup6 de la perte partielle: dans
ce cas, le crdancier devra accepter l’objet dans 1’6tat oit il se
trouve, sans diminution de prix.4 8 En d’autres termes, l’ache-
teur devra subir les risques contractuels partiels. Le ldgisla-
teur, en cette mati~re, semble avoir appliqu6 dans toute sa
rigueur la r~gle de la rdtroactivit6. Ici, le contrat 6tant synal-
lagmatique, l’objet, – donc la cause -, de l’obligation n’a pas
disparu 9

Pour ce qui est des ali6nations sous condition r6solutoire,
il semble qu’il faille adopter une solution sym6trique h celle
admise en mati~re de condition suspensive.50 Les risques sont
h la charge de l’acqu6reur propri6taire sous condition rdsolu-
toire.’

11. D’une facon g6n6rale, la doctrine de la th6orie des risques, tant
au Qudbec qu’en France, gravite autour des adages latins res
perit domino ou creditori et res perit debitori. Toutefois, il
est t noter que le Code qudbecois, sous un aspect, ne le con-
sacre pas aussi expressdment que
le Code francais. Cette
diff6rence expliquerait dans une grande mesure -les divergen-
ces doctrinales de notre droit, du moins en ce qui touche son
application dans les contrats translatifs de propri6t6. N6an-
moins, cet expos6 nous permettra de mieux appr6cier la pra-
tique de nos tribunaux. C’est h la lumiire des arr~ts que nous
cernerons les difficult6s inh6rentes h la. mise en oeuvre des
maximes traditionnelles et des dispositions de notre Code, et
ce, tant pour les ali6nations simples que les alidnations con-
ditionnelles.

47p.B. Mignault, Le droit civil canadien, (Montreal, C. Th6oret, 1901),

tome V, h p. 446.

4 8Art. 1087, al. 3.
49L. Faribault, op. cit., n. 26, t. VIII bis, no 88; le Code Napo16on, h
l’article 1182 al. 3, accorde en outre au cr6ancier-acqudreur la facult6 de
r~soudre le contrat.

50 Marty et Raynaud, op. cit., n. 5, t. II, vol. 1, no 292.
GlRipert et Boulanger, op. cit., n. 23, t. II, no 513; Mazeaud, op. cit., n. 4,
t. II, no 1123; Faribault, op. cit., n. 26, t. VIII bis, no 106; I.L. Baudouin, op. cit.,
n. 24, no 369.

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Section II. Quelques applications jurisprudentielles

A. Alignation pure et simple
12. Un arrt de la Cour sup6rieure consacre express6ment l’appli-
cation du brocard res petit domino. Dans l’esp~ce, il s’agissait
de l’achat de marchandises par mandataire. Les effets sont
voids au cours de 1’exp6dition. Le vendeur en rdclame le prix:
Consid6rant que la vente est compl6te par le consentement des
parties et qu’au moment de la perte de la chose, la compagnie
d6fenderesse 6tait propridtaire des peaux de vison en question et
que, dans les circonstances, l’axiome res perit domino doit recevoir
toute son application … 52
Dans cette affaire, le juge se r6f~re aux commentaires de
Mignault et Langelier pour soumettre l’acheteur au paiement
du prix.

La rtgle regoit 6videmment toute son application quand
l’acheteur est par surcrolt en demeure de prendre la livraison
de la chose 3 Toutefois, elle ne joue plus si le vendeur 6tait
lui-mdme en demeure de livrer: il supportera la perte, et dans
ce cas, l’acheteur aura droit de rdclamer le remboursement des
acomptes versds.5 4

La maxime res petit domino trouve aussi sa place dans les

ventes contre remboursement (C.O.D.):

La vente 6tait parfaite par le consentement des parties … De ce
moment, l’acheteur dtait devenu propri6taire des pi~ces, de meme
que le vendeur avait droit d’en r6clamer le prix … La condition
C.O.D. … ne faisait que conserver au vendeur, par l’entremise des
messageries, la garantie que la loi lui accorde pour le paiement,
c’est h savoir la rdtention de la chose vendue jusqu’h paiement.55
II va de soi, nos tribunaux soumettent les ventes maritimes
au mime principe. La seule difficult6 consiste h d6terminer
l’dpoque du transfert de propri6t6. En ce qui regarde les ventes
F.O.B. (Free On Board), les cours ont unanimement ddcidd
que le transfert s’opdrait d~s l’embarquement. Consdquemment:
I am of opinion that the property passed and that even without
the express stipulation contained in the contract that the goods
would be, during the transit, at the risk of the purchaser…

52 Mechutan Fur Corp. c. Carl Druker Furs Inc., 1962 C.S. 429, it p. 431.
53 Thibault c. Martel, (1910), 11 R.P. 224.
54 Rice c. Skinner, (1923), 61 C.S. 487; noter les diffdrences entre le som-

55 Dolbec c. Lortie, (1921), 59 C.S. 267, ii pp. 269-270.
56 Grace & Co. c. Clogg, (1920), 57 C.S. 251, h p. 256; Vipond c. Montefusco,

maire et le jugement.

(1917), 26 B.R. 490.

No.3]

LES RISQUES DANS LA VENTE

Corr6lativement, jusqu’h l’embarquement,

perte sont assumds par le vendeur.

les risques de

Les tribunaux ont aussi appliqu6 la maxime res perit domino
aux ali6nations en bloc. Ce type de vente, ddfini nulle part,5T
tombe sous l’application de l’article 1025 C.c. D~s que les objets
vendus en bloc sont individualisds, il y a transfert de la pro-
pridt6 et des risques h l’acheteur. La d6termination du prix
global n’est pas une condition du transfert.58

La mrnme r~gle s’applique aux ventes de choses d6termindes
quant h 1’esp~ce, mais le transfert des risques est suspendu
jusquh l’individualisation des objets. Sont incluses dans cette
catdgorie les ventes; h mesurer de l’article 1474 du Code civil:
Lorsque du bois coup6 est achet6 hi un prix convenu, mais que le
vendeur se rdserve le droit d’en garder une partie aprZs le sciage,
l’objet n’est pas absolument d6termin6. Mais une fois cette partie
enlevde apr~s le sciage, il restait tun bloc de bois bien identifi6,
bien d~termin6 qui 6tait la propridt6 de l’acheteur. Si l’acheteur
apris avoir 6t6 pr~venu par le vendeur, tarde t enlever le bois,
et qu’une partie disparait, il doit supporter la perte.5 9

B. Alidnation conditionnelle

13. Les ventes conditionnelles soulkvent plus de difficultds que les

ventes ordinaires.

La vente a l’essai, aux termes de l’article 1475, est pr6sum6e
faite sous condition suspensive. En cons6quence, si la perte
survient alors que la chose vendue est dans les mains de
l’acheteur 6ventuel, c’est le propridtaire-vendeur qui en sup-
portera le risque.

… L’appelant avait un d6lai raisonnable pour examiner lesdits
timbres, et faire connaitre hi
l’intim6, sa d6cision quant h leur
achat… c’est pendant ce ddlai raisonnable que ce vol avec effrac-
tion eut lieu… l’appelant n’est pas en faute; … dans les circons-
tances, la perte desdits timbres doit 8tre support~e par l’intim6,
restd propridtaire d’iceux, et non par l’appelant.6 0
La rbgle qui veut, dans les ventes sous conditions suspen-
sive, que le vendeur, en tant que propridtaire, supporte les

vente en bloc des articles 1569 a et ss. C.c.).

W L’article 1474 C.c. y fait toutefois r6fdrence (ne pas confondre avec la
58 National Fruit Exchange Inc. c. Greenshield, 1946 C.S. 263; Villiard c.
Phoenix, 1950 C.S. 149; La Compagnie & bois Bddard c. The Eagle Lumber
Co., (1923), 35 B.R. 483; Cohen c. Bonnier, (1924), 36 B.R. 1.

Veneer Industries Co. Ltd., 1945 R.L. n.s. 203; a. 1026 et 1474 C.c.

59Ldvesque c. Tremblay, 1947 B.R. 684 (sommaire); Simard c. Quebec
60 Laurin c. Ginn, (1908), 14 R.L. n.s. 439 (Cour d’appel).

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[Vol. 18

risques, fut longtemps et unanimement admise,0 ‘ et une cer-
taine jurisprudence plus ricente sanctionne encore ce principe.
En l’absence du transfert de propri6td, il n’y a pas de transfert
des risques:

Vu
‘article 1087 du Code civil; considdrant que, r~gle gdndrale, Ic
transfert de la propri~t6 de la lessiveuse dtant affect6e d’une con-
dition suspensive et n’6tant pas encore r6alisde, la perte de la
chose devrait 8tre pour le vendeur, tandis que l’acheteur serait
d~chargd de son obligation de payer le prix, parce que, au cas de
la perte de la chose vendue, la propri6t6 de cette derni~re ne peut
lui atre fournie; considdrant que telle serait… la solution dans
un contrat de location-vente… ; consid6rant que la clause 3 pr6-
cit6e du contrat en litige met, dans tous les cas, les risques h la
charge de l’acheteur locataire qui, ds lors, reste tenu de payer
le prix de vente malgrd la perte de la chose vendue, et constitue
une stipulation exorbitante du droit commun; que, en consdquence,
ladite clause renverse la r4gle g6ndrale des risques dans les contrats
synallagmatiques.62
Cet arr~t met en lumi~re la r~gle suivante: selon le droit
commun, une vente sous condition suspensive du paiement
du prix n’op~re le transfert de proprit6 qu’au moment de
ce paiement. Jusque 1l,
le vendeur, h titre de propri6taire, doit
assumer les risques de la perte. Cette r~gle est suppl6tive de
la volont6 des parties: on peut y ddroger par une convention
spdciale.

14. Cette solution a cependant dtd battue en br~che par une juris-

prudence rdcente:

Dans une premiere esphce,(3

il s’agissait de la vente d’une
scie mdcanique avec rdserve du droit de propri6td en faveur
du vendeur jusqu’h parfait paiement du prix. Apr~s que rache-
teur ffit mis en possession, l’outil fut vold. Le vendeur rdclama
alors le solde du prix de vente.

En raison des consdquences importantes de cet arr~t, qu’il

nous soit permis de rapporter les motifs du jugement:

… II reste h ddcider qui, en droit, doit subir la perte. Le d6fendeur
[acheteur] soutient que ce n’est pas lui, parce qu’il n’6tait pas
propridtaire de la scie, quand elle fut volde, et qu’il en avait pris
le soin requis par son contrat. Res perit domino…

[Dans la vente h tempdrament]… tant que l’acheteur n’a pas
payd le prix complet et bien qu’h tous points de vue pratique,
ce soit lui le maitre, le vendeur conserve encore le titre de pro-

(1907), 13 RJ. 514.

6 1Beaudry c. Janes, (1870),
62 Southern Canada Power Co. Ltd. c. Dubois, 1944 C.S. 54 & p. 56.
03 Ldtourneau c. Lalibertg, 1957 C.S. 428.

15 L.C.J. 118 (en rdvision); Caron c. Bleau,

No.3]

LES RISQUES DANS LA VENTE

pri6t6 dans la chose. Mais ce titre, il s’est d6jh engag6 d~s le
contrat k le transfdrer h 1’acheteur et, d~s que le prix est pay6,
ce transfert se fait automatiquement et avec rdtroaction h la date
du contrat, sans qu’il soit n~cessaire pour le vendeur de faire le
moindre geste quelconque (a. 1085 C.c.).

A la lumi~re de ces principes, je me vois forc6 de conclure
contre le ddfendeur. Au moment oii la scie fut vol~e entre les
mains du d6fendeur, le demandeur avait ex~cut6 absolument toutes
ses obligations en vertu du contrat de vente. Il est donc impossible
de dire que le contrat s’est trouv6 frustrd h raison de l’inaccom-
plissement, par le demandeur, de l’un quelconque de ses engage-
ments … Apr6s la livraison de la scie par le demandeur au d~fen-
deur, ii n’y a plus que le d~fendeur qui, des deux, ait encore
une obligation h accomplir, celle de payer le prix. De plus, le ddfen-
deur a la possession, la garde, la maitrise, 1’usage et la jouissance
de la scie et il doit en prendre le soin d’un homme raisonnablement
prudent. Car il est au moins une sorte de ddpositaire… [Le ddfen-
deur] est le seul des deux contractants 6. qui il reste h executer
une obligation en vertu du contrat. Il a eu la possession physique
de la scie et c’est lui qui l’a expos6e au danger.. 04
Dans une deuxi~me esp~ce, 65 le d~fendeur avait promis de
vendre au demandeur un immeuble pour un montant de $4,500
payable par un versement initial de $450 et le solde, par
mensualit~s de $40. Le vendeur s’6tait r~serv6 la propri~t6
jusqu’h ce que la moiti6 du prix fut acquitt~e. Une clause
stipulait par ailleurs que le promettant-acheteur 6tait, jus-
qu’au transfert de la propri~t6, assimilk h tun locataire.

Plusieurs mois apr~s, un sinistre d~truisit la maison que
l’acqu6reur occupait depuis la promesse. Ce dernier demanda
la resolution de la convention et le remboursement des ver-
sements effectu6s, pr6tendant que la perte devait 8tre sup-
portde par le vendeur-propritaire: res perit domino.

La Cour ddbouta le demandeur de son action. II est ht
remarquer que
le promettant-acheteur n’avait pas rdussi At
6tablir le cas fortuit. Mais, en Cour sup6rieure, on a abord6
le probl~me sous l’angle de la th~orie des risques. Cette erreur
de qualification a 6t6 reprise et commise par les commenta-
teurs.0 ‘ On a voulu aussi y voir l’application de la r-gle res
perit creditoriY.67 En fait la solution est ailleurs .68 Nous mon-
trerons plus loin que ces interpretations sont sans fondement.

64 Ibid., h p. 430 et p. 431.
O0 Latreille c. Isabel, 24 avril 1956, C.S. no 362,954; en appel: 1958 B.R. 431.
66 A. Bohdmier et F. Fox, op. cit., n. 33, b p. 97 et ss.; R. Comtois, Com-

mentaires des Arrdts, (1957), 60 R. du N. 344.

67 A. Boh~mier et F. Fox, ibid., b p. 98.

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Ce n’est qu’en Cour d’appel que la question a 6t6 correctement
pos~e.69

Section III. Les risques dans la Loi de la protection du

consommateur.

15. La Loi de la protection du consommateur, adoptde le 14 juillet
1971,70 sans affecter substantiellement les r~gles g6n6rales sur
les risques en mati~re de vente, cr66e toutefois un r6gime
particulier pour les ventes h domicile. Elle suscite par ailleurs
un problkme dans le domaine de la vente h temp6rament.
Voyons ces deux aspects.

A. Le regime exceptionnel de la vente a domicile
16. Cette nouvelle loi r6glemente les rapports contractuels entre
le vendeur h domicile et le consommateur. 71 Le consommateur
b6n6ficie maintenant d’un d6lai de r6flexion de cinq jours
t
l’int6rieur duquel il peut r6soudre le contrat h sa seule dis-
cr6tion, suivant certaines modalit6s.72 Le point de d6part de
ce d6lai est 1’6poque oii le contrat est devenu exdcutoire,73
c’est-h-dire une fois que chaque partie est en possession de
‘6crit constatant le contrat.74 Pendant cette p6riode, le ven-
deur 75 assume les risques de perte par cas fortuit, tant de
1’objet du contrat que de l’objet qu’il aurait regu en paiement.
Cette obligation subsiste m6me dans la p6riode de restitution. 0
Analysons de plus prbs ce m6canisme en faisant les distinc-
tions qui s’imposent.

1. Vente au comptant
17. Si la vente est au comptant, l’acheteur devient, en vertu des
rbgles g6n6rales, propri6taire de l’objet d~s la formation du
contrat qui, d’ailleurs, doit 8tre 6crit.7 A partir de l’instant

68 L. Drazin, Case and Comment, (1959), 5 McGill L.J 198.
691nfra, no 31.
70L.Q., 1971, ch. 74.
7’Ibid., a. 47 h 59 (section V. Vendeurs itin6rants). Pour un apercu som-
maire de cette r6glementation: D. Jacoby, Chronique, (1971), 31 R. du B. 536.
72 L.Q., 1971, ch. 74, a. 52 h 54. Ce d6lai peut cependant 6tre 6tendu par

‘article 105 de la loi.

application de
73 Ibid., a. 53.
74 Ibid., a. 7.
75 Qui doit 6tre un commergant.
76 L.Q., 1971, ch. 74, a. 58.
77 Ibid., a. 50.

No.3]

LES RISQUES DANS LA VENTE

oii il est en possession d’un double du contrat, il a la facult6
de revenir sur sa d6cision et de r6soudre la convention.

a. L’objet a W livrd et l’acqugreur exerce la facultg de rdsolution.
Si le consommateur r6soud le contrat, il doit remettre
l’objet de la vente au commergant. La remise dans le d~lai
de cinq jours vaut rdsolution 78 et, par cette remise, il remplit
du fait m~me son obligation de restitution. Toutefois, s’il s’est
prdvalu de son droit de r6solution en avisant son vendeur,79
il a encore sept jours pour restituer le bien au commergant.80
Pendant toute cette p~riodeY’ le vendeur, m~me s’il n’est plus
propridtaire de l’objet, continue
assumer la charge des ris-
ques.8 2 Donc si la chose est perdue ou d6truite par cas fortuit,
en tout ou en partie, avant que l’acheteur n’ait exerc6 son droit
. la rdsolution, il pourra forcer le vendeur i lui livrer un objet
identique mais ne sera pas tenu de payer deux Lois le prix.
Si cette perte a lieu apr~s l’exercice de la r6solution et avant
la restitution, l’acqu6reur sera lib6r6 de la remise mais pourra
exiger le remboursement du prix qu’il a pay6. Enfin, si l’ac-
qu6reur restitue l’objet apr~s le d~lai de sept jours, il est en
faute de ne pas avoir remis le bien dans le d6lai et dos lors
la charge des risques est renvers6e par application de l’article
1200 du Code civil: en ce cas, l’acqu6reur devra remettre un
bien identique au vendeur ou, encore, lui abandonner le prix.

b. L’objet a 6M livrg et l’acquireur n’exerce pas la facultg de

resolution.

Si le consommateur ne se pr6vaut pas de son droit h la
r6solution dans le d61ai, il devient alors irr6vocablement pro-
pri6taire et ne peut plus se d6faire du contrat. Il assume, pour
ravenir, le risque de la perte fortuite.

c. L’objet n’a pas W livrd et l’acqudreur exerce la facultg de

rdsolution.

Si, pour diff6rentes raisons, le vendeur n’a pas livr6

‘objet
et que l’acqu6reur exerce son droit h la r6solution, aucun
probl~me ne se pose. Si l’objet a pfri par cas fortuit, dans les

78 Ibid., a. 54 par. a).
79Ibid., a. 54 par. b).
80 Ibid., a. 56.
81 Celle de la r6solution et celle de la restitution.
82L.Q., 1971, ch. 74, a. 58.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 18

mains du vendeur, celui-ci assume les risques. I1 devra, le cas
6ch6ant, rembourser le prix au consommateur.

d. L’objet n’a pas 6t9 livr et l’acqugreur n’exerce pas la facultg

de rdsolution.

Si le consommateur ne se pr6vaut pas de son droit dans le
d6lai, la vente devient d6finitive. A l’expiration des cinq jours,
1’acqu6reur assume pour 1’avenir les risques de la perte, mame
si
‘objet ne lui a pas encore 6t6 livr6, pourvu qu’il soit pro-
pri6taire. Res perit domino. D~s lors, le vendeur ne sera pas
tenu de lui livrer un objet de la m~me espce; il sera lib6r6
de son obligation (a. 1200 C.c.) et l’acheteur devra lui aban-
donner le prix, ‘a moms que le vendeur ne soit en demeure
de livrer, auquel cas la charge des risques est renvers6e.

Si la perte, au contraire, survient avant l’expiration du d6lai
de cinq jours, c’est le vendeur qui assume les risques et il
devra livrer un objet identique a l’acqu6reur sans pouvoir exiger
a nouveau le prix.

2. Vente assortie d’un cr6dit

18. Les r~gles s’appliquent m~me si le contrat est conclu a crddit.
Si, dans le cadre d’une vente h tempdrament,83 le vendeur a
fait conventionnellement assumer les risques a l’acheteur, pra-
tique d’ailleurs courante dans ce type de transaction, la clause
sera inefficace pendant la dur6e du d6lai. Elle ne prendra effet
qu’h son expiration.

3. Remarques gdndrales

19. Ces r~gles s’appliquent de plein droit et de mani~re absolue
puisque la loi est d’ordre public.84 On ne saurait y d6roger par
convention. Bien plus, caveat venditor, il semble que toute
clause mettant, durant la p6riode pr6vue, les risques a la charge
de l’acheteur, constituerait une violation de la loi donnant ou-
verture a une poursuite p6nale contre le vendeur s1 et 4 une
poursuite civile. L’acheteur aura alors le choix de demander la
nullit6 du contrat 16 ou, s’il s’agit d’un contrat assorti d’un
cr6dit, il pourra demander la suppression du cooit de credit

83 Ibid., a. 29 et ss.
84 Ibid., a. 103.
85 Ibid., a. 110 et a. 111; sauf si l’erreur a 6 faite de bonne foi (a. 113).
S6 Ibid., a. 117 al. 1.

No.3]

LES RISQUES DANS LA VENTE

et la restitution de toute partie ddjh payde de ce cofit.87
Ce droit, qui n’est pas susceptible de confirmation,” devra
6tre exerc6 par l’acqu6reur dans l’ann6e de la formation du
contrat.8 9 Devant ce risque consid6rable, il est suggdrd aux
vendeurs; h domicile de ne rien prdvoir au contrat qui irait h
l’encontre de l’article 58 de la loi.

Notons enfin que si l’acheteur a payd en tout ou en partie,
au moyen d’une chose donn6e en paiement, le vendeur assume
encore les risques de sa perte fortuite dans l’hypoth~se prdvue
par l’article 58 par. b). Toute stipulation contraire constituerait
elle aussi une violation de la loi avec toutes les consdquences
qu’elle emporte.90

B. Problimatique des risques dans la vente & tempgrament
20. La vente a temp6rament, telle que r6glement6e par la loi de
la protection du consommateur, contient des dispositions rela-
tives aux risques. I1 convient de se rappeler que le vendeur h
temp6rament peut, h. son choix, reprendre le bien vendu, en
cas de d6faut de l’acheteurY’ Toutefois, si, h cette 6poque, le
consommateur a d6jh acquitt6 les deux tiers de son obligation,
le commergant ne peut agir qu’avec la permission du tribunal,
demand6e par requ~te9 2 Si la requite est rejet6e,
‘acheteur
conserve le bien 9 3 et >; c’est reconnaitre
l’existence d’autres dvdnements susceptibles d’entrainer l’im-
possibilit6 d’ex6cution, comme le vol avec effraction ou le vol
qualifid, l’embargo, la mise hors de commerce ou l’expropriation.
La jurisprudence l’admet. D’ailleurs l’article 1302 du Code
Napoleon, dont les codificateurs ont tir6 profit, ajoute h la
perte matdrielle une autre sdrie d’hypothses.102 Le ldgislateur
de 1866 a en quelque sorte simplifi6 l’6nonc6 de la r6gle fran-
gaise dans un souci de gdndralisation qu’il manifestait ddj
en
abordant cette section du chapitre de l’extinction des obliga-
tions:

[Le ldgislateur de 1804 parlant de la perte de la chose due] on a
changd la rubrique de cette section afin d’y comprendre express6-
ment tout ce qui n’dtait compris qu’implicitement sous la rubrique
adoptde dans le code frangais.’ 0 3

En ce qui regarde la destruction matdrielle,

‘article 1200
vise uniquement la perte intdgrale de l’objet, l’article 1150 du
Code civil, qui se trouve inclus sous la section I au chapitre du
Paiement, r~glementant les effets de la perte partielle. 0 4

101 P.B. Mignault, op. cit., n. 47, t. V,
102 A. 1302 C.N.: Lorsque le corps certain et ddtermind qui dtait robjet
de robligation, vient h pdrir, est mis hors du commerce, ou se perd de
mani~re qu’on en ignore absolument l’existence, l’obligation est dteinte si
la chose a pdri ou a dtd perdue sans la faute du ddbiteur et avant qu’il
fit en demeure.

. p. 664.

Lors m~me que le ddbiteur est en demeure, et s’il ne s’est pas chargd
des cas fortuits, P’obligation est dteinte dans le cas oil la chose fit dgalement
pdrie chez le crdancier si elle lui efit dtd livrde.

Le ddbiteur est tenu de prouver le cas fortuit qu’il allgue.
De quelque mani~re que la chose volde ait pdri ou ait dtd perdue, sa perte

ne dispense pas celui qui l’a soustraite, de la restitution du prix.

0 3 ler Rapport des Commissaires, 1863, h p. 25.
1
1o4 Infra, no 28.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 18

B. L’impossibilitg doit rdsulter d’un cas fortuit.

Le d6biteur apportera la preuve de 1’6v6nement fortuit avec
ses caract6ristiques traditionnelles. 10 5 Sauf la d6termination du
degr6 de preuve, l’alin6a 2 de l’article ne fait que mettre en
oeuvre la r~gle g6n6rale de l’article 1203 de notre Code civil
qui touche le fardeau de la preuve. 106

C. Le ddbiteur n’cst ni en faute ni en demeure.

La faute est exclusive de cas fortuit. De plus, la demeure
traduit le retard injustifi6 du d6biteur dans l’exdcution de son
obligation de livrer10 7 N’ayant pas livr6 l’objet h l’6poque voulue,
il en supportera la perte, en ce sens qu’il devra donner au
cr6ancier une juste compensation de la valeur de la chose, ou
une chose de m6me nature.

Par contre, s’il 6tablit que la perte aurait, malgr6 tout, eu
lieu dans les mains du cr6ancier, on revient alors h la r~gle
le d6biteur pourra victorieusement pr6tendre A sa
g6n6rale:
lib6ration. Une telle preuve implique cependant l’existence d’un
6v6nement fortuit plus g6n6ralis6 dans l’espace. En effet, seul
le cas fortuit qui aurait pu arriver h la fois au d6biteur et au
cr6ancier serait susceptible de renverser la r~gle. Prenons
l’exemple d’un incendie qui aurait d6truit toutes les maisons
situ6es dans le secteur de r6sidence du crdancier et du d6biteur.
En somme, la loi, en toute 6quit6, soumet au m6me r6gime,
les cons6quences d’un tel sinistre, puisque l’objet, livr6 ou
non, aurait de toute fagon 6t6 d6truit. Mais alors, une mesure
de confiscation g6n6rale aurait le m~me effet.

D. Le ddbiteur ne doit pas 6tre chargg du cas fortuit.

La loi, ayant g6n6ralement une fonction purement suppl6tive,
reconnaft les principes de l’autonomie de la volont6 et de la
libert6 contractuelle, dans les limites de l’ordre public et des
bonnes moeurs. Dbs lors, si le d6biteur assume convention-
nellement le cas fortuit, il demeurera responsable de la livrai-
son. Cette disposition de l’article 1200 C.c. n’appelle pas d’autres
commentaires.

305D. Jacoby, Rdflexions sur le concept de cas fortuit, op. cit., n. 90.
100 Nadeau et Ducharme, Traitd de droit civil du Qudbec, (Montr6al, Wilson

et Lafleur, 1965), Tome IX, no 107 et ss.

107A. 1067 A 1069 C.c.

No.3]

LES RISQUES DANS LA VENTE

E. Le ddbiteur ne doit avoir ni voi6 ni rec6l9 l’objet.

Une fois encore, le ldgislateur sanctionne la mauvaise foi.
Le ddbiteur rdpondra de ses actes dolosifs en remboursant la
valeur de 1’objet. C’est le mdcanisme de coercition prdvu par
le dernier alinda de 1’article.

En doctrine, on s’est demand6 si le voleur pouvait, comme
le ddbiteur de bonne foi, rapporter la preuve que la chose eut
6galement pdri dans les mains du crdancier. Mignault, apr-s
avoir 6nonc6 l’inutilit6 de mettre le voleur en demeure de
restituer la chose, parce qu’il l’est par le seul fait du vol, rdpond
par la ndgative; le voleur assume indistinctement les cas fortuits:
N’apparat-il point, et tr-s clairement, que la loi rejette, quant au
voleur, la distinction qu’elle 6tablit en faveur des ddbiteurs ordi-
naires? II est m6me 6vident que la loi s’est servie des expressions
de r’article 1200, pour comprendre prdcis6ment le cas oil la chose
volde efit 6galement p6ri chez le propri6taire si elle se fftt trouv~e
en sa possession: car il eftt 6t6 bien inutile de faire une disposition
expresse pour nous apprendre que le voleur est responsable des
cas fortuits qui ne sont arrives que parce que la chose s’est trouv6e
chez lui.1os
Cette opinion, conforme celle de Pothier, rallie l’assentiment

de Faribault.10 9

Section II. Limites et rejet de l’article

23. Cette analyse exdgdtique de larticle 1200 C.c. nous laisse quel-
que peu insatisfait. Le probl~me reste entier. Si nous aban-
donnons l’aspect ,,efficacit6 imm6diate>> de 1’article, et qu’au-
delht de ce qu’il affirme, nous tchons d’en ddgager vdritable-
ment les limites, nous serons alors en mesure d’en ddduire une
solution valable, et ce, dans l’optique qui nous prdoccupe.

On peut ainsi se demander si les dispositions de cet article
contiennent vdritablement le fondement de la thdorie des ris-
ques dans les contrats translatifs de propri6t6. En fait, une
lecture attentive de l’article nous permet d’affirmer qu’il s’agit
ici de robligation unilatdrale de livrer. De m6me que le paie-
ment consomme l’obligation du ddbiteur, le cas fortuit met
fin h son obligation de livrer. L’article 1200 C.c. n’envisage
que le sort de l’obligation de livrer, et ce, tant hi l’6gard du
ddbiteur que du crdancier. Dire que le ddbiteur est lib6r6 signi-

108 P.B. Mignault, op. cit., n. 47, t. V., hi p. 668.
109 L. Faribault, op. cit., n. 26, t. VIII bis, no 101.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 18

fie – pardonner l’6vidence – que le cr6ancier ne saurait exiger
la prestation.

Dans cette optique, 1’article 1200 C.c. a une porte gdnerale
et s’applique exclusivement h l’obligation de livrer envisag~e
unilat6ralement. On n’y distingue pas suivant les diff~rentes
cat6gories de contrats. Quelle que soit la convention qui ait
engendr6 l’obligation, l’article 1200 C.c. devrait trouver son
application. La jurisprudence a d’ailleurs donn6 h ces dispo-
sitions une porte g~n~rale; elle s’est pr~value de l’article toutes
les fois qu’une obligation de livrer ou de restituer 6tait en
cause, et ce, ind~pendamment de la nature du contrat.110 De
plus, le dernier alin~a de l’article nous porte h croire que l’obli-
gation ne vise pas exclusivement les rapports contractuels. Il
prdvoit en effet
‘hypoth~se du voleur qui, de plein droit, a le
devoir de remettre la chose volhe. Son obligation est envisag6e
unilatralement et consacre les relations voleur-vol6, ce dernier
ayant la facult6 d’exiger la valeur du bien, malgr6 la destruction
fortuite. L’article, de portde g~n6rale, n’est que la consecration
d’une condition de lib6ration du d~biteur, c’est-4-dire une hypo-
those d’extinction envisag~e de fagon autonome et ce, que
l’obligation de livrer r~sulte d’un contrat ou de la loi.

Nous avons vu prdc~demment que la source formelle de
l’article se retrouve chez Pothier qui envisage toujours l’obli-
gation unilat6rale et ne traite de l’ex~cution qu’au chapitre
de la vente.111 Par ailleurs, les auteurs frangais, dos qu’ils
abordent 1’6tude de
‘article 1302 C.N. (1200 C.c.), nous r6f~rent
Sl’article 1138 C.N. pour r6gler le sort de l’obligation corr6-
lative du cr~ancier.

Transposons ds lors cette interpr6tation au niveau des con-
ventions. L’article 1200 C.c. s’applique aux contrats tant unila-
t6raux que bilat6raux. Dans les contrats synallagmatiques im-
parfaits, le d~positaire et le commodataire sont eux aussi lib6r6s.
Dans les limites de ces contrats, oil ne sont conceds que la
garde ou l’usage, l’article 1200 C.c. trouve son application nor-
male. Dans les conventions synallagmatiques parfaites, l’inter-
pr~tation est la m~me: le vendeur ou le donateur est lib6r6
de son obligation de livrer un corps certain dos qu’il y a im-
possibilit6 d’exdcution. Son obligation est 6teinte. Le cr6ancier
ne saurait rien exiger de lui, pas m~me une compensation,
puisqu’il n’est pas en faute.

ho D. Jacoby, Rdflexions sur le concept de cas fortuit, op. cit., n. 90.
l’Supra, no 3.

No.3]

LES RISQUES DANS LA VENTE

En r6sum6, les dispositions de

‘article 1200 C.c. ne visent
pas le sort de l’obligation du cr6ancier. Elles n’entendent que
les rapports crdancier-ddbiteur de l’obligation de livrer. L’extinc-
tion de 1’obligation du ddbiteur emporte tout naturellement
l’extinction du droit h la livraison. C’est confondre deux paliers
d’analyse que de vouloir trouver r~glde, dans ces dispositions,
la situation du cr6ancier de l’obligation de livrer quant h sa
propre obligation de payer le prix. En d6finitive, pour regler
le sort de cette obligation corrdlative, il faudra faire appel a
d’autres r~gles de notre droit. Avant d’aborder cette mati~re,
remarquons que l’article 1200 C.c. n’ira jamais ‘a l’encontre des
diffdrentes thdories proposdes, intdressant l’obligation du cr6-
ancier de la livraison. II est ais6 d’y recourir sans etre oblig6
de d6former la terminologie. Que l’on invoque la r~gle res perit
creditori ou la r~gle res perit domino, l’article 1200 C.c. n’y
contrevient jamais. Par ailleurs, ceux qui prdconisent l’extinc-
tion de cette obligation par application du m6canisme de la
corrdlativit6 ne peuvent que se rdjouir du fait que leur position
n’est pas infirmde par les dispositions de
il fallait
s’y attendre puisque, dans les trois cas,
‘analyse se situe h
un niveau diff6rent. Et quand bien m~me on tirerait argument
de la rddaction de l’article 1202 C.c., oU le 16gislateur a affirm6
la lib6ration des deux parties, pour conclure que la r~gle in-
verse s’inf~re de la lecture de l’article 1200 C.c., on ne pourra
prdtendre y cerner le fondement exact d’une telle solution.

‘article:

En somme, si l’on s’ing6nie iL trouver une r-gle au niveau
de ‘article 1200 C.c., c’est, en d6finitive, en raison de l’absence
en notre loi d’une disposition correspondante h l’article 1138
du Code Napoleon. Et d’ailleurs, en France, nous l’avons vu,
les discussions des auteurs, se jouant dans les cadres de l’article
1138 C.N., ne sont jamais centr6es autour de l’article 1302 C.N. 112
II demeure que doctrine et jurisprudence qudbecoise ne pr-
sentent pas tin front commun pour ce qui est des contrats trans-
latifs de propri6t6. En cons6quence, il faudra ddceler ailleurs
la solution relative au sort de l’obligation du crdancier.

1i2 Notre article 1200 C.c.; pour la doctrine frangaise, supra, no 8.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 18

Chapitre II

O’t est-il donc ce fondement?

Section I. Les transferts simples
24. Les commentateurs qu6becois invoquent trois rgles d’appli-
cation en mati~re de contrats imm~diatement translatifs de
propri~t6: res perit debitori, res perit creditori, ou res petit
domino. II convient donc de les analyser s6pardment.

A. Res petit debitori?
25. Faribault propose la maxime res perit debitori. Le d6biteur
de l’obligation, outre sa liberation, serait tenu de supporter la
perte de l’objet ddtruit par cas fortuit avant la livraison.’n
Cette doctrine consacre la resolution du contrat avec, pour
consequence, le rdtablissement de la situation pr~contractuelle.
Si l’acqudreur a ddj t acquitt6 le prix, il aura la facult6 d’exiger
le remboursement. Dans le cas contraire, le vendeur ne saurait
lui r~clamer la prestation.

Cette opinion ne paralt cependant pas fond~e. D’une part,
l’auteur rejette la rbgle res perit domino parce que l’article
1138 C.N. n’a pas 6t6 reproduit par le l6gislateur qu6becois:
nous mettrons en lumi~re les raisons particuliRres qui ont
orient6 les Commissaires dans cette voie.1 4 D’autre part, il
invoque A l’appui de sa th~se deux d6cisions malheureusement
inapproprides: l’une traite de la r6solution pour inex~cution et
la seconde vise une obligation de faire.”5 Par ailleurs, l’auteur
se contredit au m6me volume, h quelques pages d’intervalles.”n
Enfin, nous avons montr6 que l’article 1200 C.c. ne r~gle en
rien le sort de l’obligation corr61ative du crdancier. 1″ 7

B. Res petit creditori?
26. Dans les contrats translatifs de propridt6, la charge des risques
est h l’acqu6reur, en tant que cr6ancier de l’obligation de
livrer.” s

13 L. Faribault, op. cit., n. 26, t. VIII bis, no 802.
114 lnfra, no 27.
115 Wilson c. La Cit6 de Hull, (1915), 48 C.S. 238; Moisan c. Hill, (1926), 40

B.R. 515.

116 En effet, il admet ailleurs l’application de la r~gle res petit domino.

Voir L. Faribault, op. cit., n. 26, t. VIII bis, no 87.

117 Supra, no 23.
118 A. Bohdmier et F. Fox, loc. cit., n. 33, h p. 95; G. Wasserman, loc. cit.,
. Bell, The Theory of risks in Quebec Law of Contract and

n. 28, bt p. 389;
Quasi-Contract, (Essai), Universit6 McGill, 1964.

No.3]

LES RISQUES DANS LA VENTE

I1 convient donc d’analyser les arguments qui militent en
faveur de cette solution. On note principalement que les codi-
ficateurs, sous l’article 1200 C.c., r6firent h Pothier; ce dernier
reconnaissait l’application de la rigle res petit creditori; on
en conclut que cette maxime a 6t6 introduite en notre droit.119
Cette interpretation n’est pas conforme aux sources histo-
riques. Nous ne doutons pas de la position adopt6e par Pothier
mais nous doutons fortement de la relation 6tablie par ces
auteurs. C’est en effet sous les articles 1200 it 1202 C.c. que les
Commissaires citent Pothier. Toutefois, et cela est d’impor-
tance, celui-ci, dans le passage dont s’inspire l’article 1200 C.c.,
n’analyse que l’obligation unilat6rale du ddbiteur.120 Pothier
l’extinction de l’obligation
6tudie l’impossibilit6 d’exdcution,
par l’extinction de la chose due,.’ 2′ Ce n’est qu’au chapitre de
la vente que l’auteur aborde le sort de l’obligation corrdlative
du crdancier. Et, i ce niveau, il a recours h la r~gle res petit
22
creditori, mais pour des raisons que nous connaissons ddj.
En somme, cette r6f6rence ii Pothier ne prouve en aucune
fagon la mise en oeuvre la maxime res perit creditori dans
le domaine qui nous pr6occupe. Elle ne fait que corroborer
l’interpr6tation antdrieurement propos6e de l’article 1200 C.c.:
ce dernier ne concerne que l’obligation de livrer envisagde uni-
lat6ralement 22 Nous verrons plus loin la vdritable intention des
codificateurs. 24

On soutient par ailleurs que le silence de ‘article 1200 C.c.,
‘article 1202 C.c., permet d’affirmer 1’existence
en regard de
d’une r~gle contraire. Si le 1dgislateur a expressdment consacr6
la rigle res petit debitori pour les obligations de faire, il y a
lieu de croire que les obligations de donner sont rdgies par
le principe inverse: res perit creditori; ce ne peut ‘tre la r~gle
res perit domino:

‘article
L’article 1025 C.c. aurait pu contenir une r~gle semblable h
1138 C.N. II se contente au contraire de renvoyer aux articles 1200
et 1202 C.c.125
Si cette derni~re affirmation est exacte, il reste que les
codificateurs n’ont pas eu l’intention de modifier la solution

19A. Boh6mier et F. Fox; id., G. Wasserman, id.
120 Supra, no 3.
121 Pothier, op. cit., n. 6, t. II, no 649 et ss.
122Supra, no 7.
‘2 3Supra, no 23.
12 4 Infra, no 27.
125A. Boh6mier et F. Fox, loc. cit., n. 33, h p. 96.

McGILL LAW JOURNAL

(Vol. 18

frangaise. L’argument a contrario est inaddquat. Nous tenterons
de le d6montrer.126

C. Res perit domino

27. Cette rigle, propre au droit des biens, ne s’attache nullement
aux relations de d~biteur h crdancier. I1 convient de remarquer
toutefois que ce principe est sous-jacent h la th6orie des con-
trats et que les Commissaires se sont prononc~s directement
sur son adoption en droit civil qu~b~cois. Res perit domino est
le fondement de la thorie des risques en mati~re de vente.

1. Les dispositions 16gislatives.

Un inventaire rapide des dispositions du Code ne laisse
aucun doute. La charge des risques est toujours intimement
li6e au droit de proprit6.

Ainsi, en mati~re d’usufruit, le risque de la perte tombe sur
le nu-propri~taire; il ne saurait rdclamer une indemnit6 du
cocontractant.127 Si celui qui a requ un paiement indfi retient
l’objet de mauvaise foi, il supporte les risques, h moins que la
chose n’efit 6galement 6t6 d~t~rior~e en la possession du pro-
pri6taire 28 En cons6quence, si le d~biteur est de bonne foi, le
titulaire du droit de propri6t6 assumera la perte; c’est une fois
encore l’application d’une r~gle g6n~rale. La mme idde se de
gage des relations ouvrier h maitre, en mati~re d’ouvrage par
devis et march6s.’2 9 Par ailleurs, la loi, d~cr~tant formellement

12 0 0n a tent6 de justifier la r~gle res perit creditori par d’autres raisons.
L’acheteur serait tenu de payer le prix malgr6 la perte survenue avant ]a
livraison parce que le vendeur aurait rempli son obligation de moyens, i.e.
celle de conserver la chose en bon p~re de famille. Ayant accompli son
engagement, 1acqu6reur dolt l’imiter. Cette interpr6tation, en plus de d6roger
h la r~gle qudb6coise, nous laisse quelque peu insatisfait: c’est confondre
l’obligation de conserver avec la livraison. Le texte de l’article 1200 C.c.
6nonce que le ddbiteur est libdr6 de son obligation de livrer. La raison
peut en etre qu’il a agi en bon p~re de famille, mais cette solution ne rZgle
en rien le sort de l’obligation corrdlative du crdancier. En d’autres termes,
l’auteur explique
inconsciemment pourquoi le d~biteur est
libdr6, sans
donner un fondement au maintien de l’obligation du cr6ancier.

Voir J. Bell, op. cit., n. 118; F. Laurent, Principes de droit civil franvais,
p. 520,

(3e 6d., Bruxelles, Bruylant – Christophe & C. 1878), tome XVIII,
no 509.

157S.L. Baudouin, op. cit., n. 24, no 368.
128 A. 1050 al. 2.
129 A. 1685 et 1686 C.c.

No.3]

LES RISQUES DANS LA VENTE

que le priteur h usage demeure propritaire,’130 nonce implici-
tement que remprunteur, en cas de perte, est ddcharg6 de son
obligation de remise, h moins, toutefois, qu’il n’ait prdfdr6
sauver robjet qui lui appartenait.’ 31 En matire de pr~t de con-
sommation, la r~gle est explicite:
’emprunteur, devenu pro-
pridtaire par l’effet du contrat, supporte les risques. 132 Le d6-
positaire n’est pas tenu du cas fortuit.133 Les h6teliers sont
soumis au m~me rdgime.134 La r~gle est identique en matire de
socidt6, selon que la jouissance ou la proprit6 de l’objet est
fournie par

‘associ6.135

De ces dispositions, dont l’6numdration n’est pas exhaustive,
se ddgage l’application de la maxime res perit domino. Cette
r~gle gn6rale n’6tant cependant pas clairement exprimde, il y
a lieu de recourir h l’intention du lgislateur.

2. L’intention lgislative

C’est sous l’article 1474 C.c., gouvernant la vente au poids,
au compte et h. la mesure, que les Commissaires fournissent
un indice certain de leur volont6 en ce qui concerne la thdorie
des risques dans les contrats translatifs de propridt6.

Pour mieux cerner leur attitude, il convient de comparer
ces dispositions avec l’article correspondant du Code Napo-
ldon.’ 36 Ils se sont 6cartds du texte frangais pour les raisons
suivantes:

130 A. 1764 C.c.
131 A. 1768 C.c.
132 A. 1778 C.c.
133 A. 1804 et 1805 C.c.
134 A. 1815 C.c.
133 A. 1846 C.c.
136 A. 1474 C.c.:

Lorsque des choses mobilibres
sont vendues au poids, au
compte ou h
la mesure, et
non en bloc, la vente n’est
parfaite que
lorsqu’elles ont
dt6 pesdes, comptdes ou mesu-
roes, mais racheteur peut en
demander la ddlivrance ou des
dommages-intdrats, suivant les
circonstances.

A. 1585 C.N.:

Lorsque des marchandises ne
sont pas vendues en bloc, mais
au poids, au compte ou h la
mesure, la vente n’est point
parfaite, en ce sens que les
choses vendues sont aux ris-
ques du vendeur jusqu’h ce
qu’elles soient pes6es, comp-
tdes ou mesurdes; mais I’ache-
teur peut en demander ou la
ddlivrance ou des dommages-
intdr~ts, s’il y a lieu, en cas
d’inex~cution de l’engagement.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 18

L’article 3 (article 1474 C.c.) reproduit
l’article 1585 C.N., sauf
l’ornission des mots ((en ce sens que les choses vendues sont aux
risques du vendeur)>. Cette modification de la r~gle ainsi 6nonc6e
a caus6 beaucoup de doutes et un conflit d’opinion parmi les
commentateurs. D’un c6t6, on soutenait que la d~claration que la
vente des choses qui devaient 6tre pes~es, mesur~es ou comptdes
n’est parfaite que par cette operation, dtait restreinte, par les
expressions qu’on vient de mentionner, seulement L l’effet de
continuer le risque de ia chose h la charge du vendeur, mais que,
cependant, la propridt6 passait b. l’acheteur. De l’autre c6t6, on
tenait que ces expressions ne restreignaient pas l’6nonciation de
la r~gle, mais ne faisaient que 1expliquer, et consdquemment que
la vente ne transfdrait pas la propridt6 et n’6tait pas parfaite, h
moins que ]a chose n’eit dt6 pesde, mesurde ou comptde. Telle est
l’opinion de Troplong, Marcad6 et autres, et telle parait avoir dt6
l’intention des rddacteurs de l’article, au rapport de Fenet. Les com-
missaires ont adopt6 ce point de vue qui est transmis avec l’6non-
ciation de la rigle par Pothier et, pour 6viter toute ambiguitd, ils
ont en cons6quence, omis les expressions cit6es plus haut.13 7
Un simple raisonnement nous conduit h reconnaitre que
les codificateurs, en mati~re de vente, ont li6 le risque h la
proprit6. C’est pour 6viter tout conflit d’opinions en ce qui
touche l’effet translatif du contrat que l’on a omis une partie
de Particle correspondant du Code Napol6on.

En r6sum6, l’adage res perit domino est admis d’emblde en
notre droit. Les dispositions de notre Code ajout6es A ]a volont6
du 16gislateur corroborent une telle conclusion.

Il convient aussi de se demander ce qui a pouss6 les Com-
missaires hi 6carter la r~gle de l’article 1138 du Code Napoldon.
En cette mati~re, Mignault affirme que m6me s’il n’est pas
explicitement reproduit, il reste que ce principe a 6t6 adoptd
ici.138 Comme les commentateurs frangais ne s’entendaient pas
sur le sens de cet article, certains pr6tendant que la propri6t6
ne passait qu’h l’6poque de la livraison, le 16gislateur a omis de
l’introduire pour les m~mes raisons que sous Particle 1474 C.c.:
Les Commissaires ont recommand6 l’introduction de la nouvelle
r~gle, mais non dans le langage de 1’article 1138 du Code frangais.
Cet article a 6t6 l’objet de nombreuses critiques, tant h cause de
sa r6daction vague, que parce qu’il est incomplet… L’article 44
(article 1025 C.c.) maintenant soumis a dt6 r6dig6 avec l’intention
d’6viter ces d6fauts … 13

1374ime Rapport des Commissaires, 1863, p. 5.
138 P.B. Mignault, op. cit., n. 47, t. V, p. 401 note (a).
3 9 ler Rapport des Commissaires, 1863, h p. 11.

No.3]

LES RISQUES DANS LA VENTE

Corollaire: Dgtgrioration partielle

28. L’article 1150 C.c. vise la d6t6rioration partielle de l’objet d’une
obligation de r6sultat. Ii 6nonce que le d6biteur est lib~r6 cpar
la remise de la chose dans 1’6tat oii elle se trouve au temps de
la livraison,,, si cette perte s’est produite fortuitement. En
‘article 1150 C.c. est le pendant de Particle 1200 C.c.,
somme,
ce dernier visant la perte totale. Ces dispositions, h port~e
g6ndrale, s’appliquent h tout contrat g6n~rateur d’une obliga-
tion de d6livrance, qu’il soit ou non translatif de propri6t6.
Une fois encore, la loi ne r6gle pas le sort de robligation du
cr6ancier dans les contrats d’ali~nation. Toutefois, par appli-
cation de la r~gle res perit domino, il y a lieu de croire que
l’acqu6reur d’un corps certain doit, dans cette hypoth se, ac-
quitter le prix total, sans diminution.

29. En rdsum6, le Code du Quebec consacre, dans les contrats
translatifs de propridt6, l’intimit6 du lien entre la charge des
risques et le droit de propridt6. Sauf convention particuli~re,
on appliquera la r~gle res perit domino.140 Cette interpr6tation
est d’autant plus conforme h 1’intention lgislative que les
Commissaires, sous l’article 1202 C.c., renvoient h Marcad6 qui,
en guise d’introduction, applique la maxime par rdfdrence h
l’article 1138 C.N.:

Quant au point de savoir si l’extinction d’une obligation par l’effet
de l’impossibilit6 qui survient b son execution emporte apr~s elle
extinction de l’obligation r6ciproque, on sait qu’il est rdsolu n6ga-
tivement par 1’article 1138 pour les cas dun corps certain.. 141

Section II. La probldmatique des transferts conditionnels.

30. On a ddjh remarqu6 que le vendeur, dans rhypothise d’une
alidnation conditionnelle suspensive, assume les risques de la
perte survenue avant la rdalisation de la condition.1 42 Cette
solution a 6t6 critiqude par les auteurs car elle sacrifie la lo-
gique ht l’6quit. 14 Nous connaissons aussi les. effets d’une perte
partielle.’4 La jurisprudence a, jusque rdcemment, appliqu6
‘article 1087 C.c.145 Ce n’est qu’avec rarrt
les dispositions de

140 G. LeDain, op. cit., n. 13.
141 V. Marcade, Explication du Code civil, (7i~me 6d., Paris, Delamotte et

Fils, 1873), tome IV, ii p. 685, no 870.

142 Supra, no 10.
143 Id.
144 Supra, no 10.
14 5 Supra, no 13.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 18

Ldtourneau v. Lalibertg que la mise en oeuvre de la r~gle res
petit domino a 6t6 battue en brche.146

I1 ne nous appartient pas principalement de ddterminer
ici si la solution appliqude dans l’esp~ce est conforme ‘ l’6vo-
lution socio-6conomique du milieu. I1 importe cependant de
mettre en lumi~re la rbgle invoqu6e par le tribunal et de l’ap-
pricier h la lumi~re de notre droit.

En l’espce, la propri6t6 a 6t6 diff6r~e jusqu’au parfait paie-
ment du prix et l’acqu~reur a recu livraison immddiate de
l’objet. On a soutenu que le juge avait appliqu6 la r6gle res
perit creditori.147 Qu’il nous soit permis de d6montrer l’inexac-
titude de cette assertion. En effet, depuis que le 16gislateur,
rompant avec la tradition historique, a admis l’effet translatif
du contrat, il n’existe plus ici d’obligation de donner. La doc-
trine moderne commence seulement h s’en apercevoir14 Il faut
se rappeler que le concept ,obligation de donner,, s’inscrit dans
un syst~me oii le transfert de la propri~t6 est subordonn6 ‘a la
tradition de l’objet. Ainsi, en ancien droit, la vente engendrait
une obligation de donner h la charge du vendeur. C’est en re-
mettant la chose hi l’acqu6reur qu’il remplissait cette obligation.
Au Quebec, le transfert de la propri6t6, d’une fagon g6n6rale,
n’est pas assujetti h la mise en possession.149 C’est par l’effet
du consentement seul que la propri6t6 est transf6r6e; et m~me,
lorsque les ali6nations n’op6rent pas un transfert immddiat,
c’est pour des raisons qui tiennent soit h la nature des objets
ali~n6s soit h la nature de la convention. Ainsi la vente d’une
chose, d6termin~e quant h l’espce seulement, n’est parfaite
que par la spdcification de l’objet; 150 mais cette convention
n’engendre pas une obligation de donner: elle met h la charge
du vendeur une obligation d’individualiser les objets ali6n~s
doubl6e d’une obligation de d6livrance. De m~me, lorsque le
transfert est subordonn6 it une condition, la mutation s’opere
d~s la r~alisation de l’6v~nement, et ce, sans tradition. C’est
la volont6 seule qui est translative de propri6t6, sous r6serve
des modalit6s propres h chaque contrat. En r~sum6, les con-
trats d’ali6nation, qu’ils soient ou non immddiatement trans-

1461957 C.S. 428; supra, no 14.
147 A. Boh6mier et F. Fox, op. cit., n. 33,h p. 98.
148 G. Trudel, Traitd de droit civil du Qudbec, (Montreal, Wilson et Lafleur,

1946), tome VII, h pp. 348, 353, 371.

1490 On a conserv6 cette rbgle en mati~re de dation en paiement (a. 1592

C.c.), et au cas de don manuel (a. 776 C.c.).

15oA. 1026 et 1474 C.c.

No.3]

LES RISQUES DANS LA VENTE

latifs de propri6t6, font naitre des engagements r6ciproques b
la charge des parties: une obligation de payer pour l’acqudreur,
de m~me que diffdrentes obligations pour le vendeur, dont
celle de remettre l’objet i l’acqudreur. Si le Code a parfois con-
serv6 le concept d’,obligation de donner,,,151 c’est que le l6gis-
lateur de 1866 n’a pas saisi immddiatement toute la porte du
principe qu’il adoptait; 152 ainsi les articles 1063 et 1064 C.c.,
malgr6 leur terminologie, gouvernent tous les contrats ot le
d6biteur est tenu d’une obligation de livrer.’53 De nos jours,
il faut opposer l’obligation de livrer h l’obligation de faire.’54
Par ailleurs, il convient de se rappeler que les r~gles res
perit debitori et creditori s’analysent toujours en rapport avec
robligation de livrer.155 Or, comment prdtendre que le tribunal,
dans l’arr~t prdcit6, ait appliqu6 la r~gle res perit creditori,
puisque la livraison avait ddjh 6t6 effectude? En rdalit6, le juge
n’a appliqu6 aucune des maximes traditionnelles: 5 6 on a, dans
l’esp~ce, charg6 l’acqudreur des risques contractuels pour des
raisons d’6quit6, sans faire appel h des principes juridiques
6tablis. On a invoqu6 des 6ldments empiriques: dans les con-
trats d’alidnation avec r6serve de propridt6, la perte doit 6tre
supportde par celui qui n’a pas rempli toutes ses obligations,
par celui qui est en possession de l’objet, par celui qui l’expose
aux risques.157

Qu’il nous soit permis de conclure que l’arr~t Ltourneau
ne traduit d’aucune fagon la th~orie classique des risques con-
tractuels dans les contrats translatifs de propridt6.

31. On a aussi prdtendu que l’arr~t Latreille v. Isabel’ 58 adoptait
la maxime res perit creditori.159 Toutefois, une analyse atten-
tive de la ddcision montre que cette r~gle n’a pas pu Atre ap-
pliqude, 6tant donn6 que l’acqudreur de l’immeuble occupait
les lieux depuis le contrat: l’obligation de ddlivrance avait d6jh
6t6 remplie.

‘ 5 A. 1063 C.c.
152 Mazeaud, op. cit., n. 4, t. II, no 1616.
153Ex: pr&t, ddp6t.
4 A. 1200 et 1202 C.c. Encore que l’obligation de livrer soit elle-m6me une
15

obligation de faire.

quatement les r-gles.

155 1 suffit de se rdfdrer h la tradition historique et d’en transposer ad6-
56 Pas m6me res petit domino.
17 J.L. Baudouin, op. cit., n. 24, no. 368.
58 Supra, no 14.

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[Vol. 18

Par ailleurs, et cette remarque est lourde de consdquences,
le tribunal, en cour supdrieure, a errondment fond6 sa ddcision
sur la thdorie des risques. Cette thdorie implique l’interf6rence
d’un cas fortuit dans 1’activit6 contractuelle. Or, dans l’esp~ce,
le promettant-acqu6reur n’avait pas administr6 cette preuve. 11
s’agissait ici d’un probl~me de responsabilit6. Le juge s’est r6f6-
r6 aux cornmentaires de Mignault qui analysait le problme des
risques du contrat lorsque le transfert de la propridt6 avait
6t6 diff6r6. Ce dernier r~gle l’hypothhse oil la chose est d6truite
par cas fortuit. II se demande si le crdancier de la d6livrance,
c’est-h-dire l’acqu6reur, doit ndanmoins acquitter le prix. I1
rapporte F’opinion de Mourlon qui fait reposer la charge des
risques sur le propridtaire, c’est-4-dire le vendeur. Mignault
note que cette solution n’est pas unanimement admise: en
effet, on a prdtendu que la rigle qui met la chose aux risques
du crdancier est basde sur le principe que le ddbiteur d’un
corps certain est libdr6 par cas fortuit. En consdquence, dans
l’hypoth~se ofi la livraison n’a pas encore 6t6 effectu6e, le cr6-
ancier, c’est-h-dire l’acheteur non encore en possession, suppor-
terait la perte. Mignault appuie cette solution et prdcise:

J’appliquerais la m~me solution lorsque la chose a dt6 livrde h
l’acqudreur, mais que le vendeur a stipul6 que la propridtd ne
serait transmise que sur paiement du prix, car le vendeur a rempli
son obligation, et la perte de la chose ne devrait pas exempter
l’acqu6reur d’acquitter la sienne.160
Inddpendamment du bien-fondd de cette opinion,160

il con-
vient de remarquer que Mignault envisageait ici la th6orie des
risques. Et le jugement de la Cour supdrieure a errondment fait
appel h ces commentaires. I1 est h noter qu’une partie de la
doctrine a repris cette erreur.1 62 En appel, le tribunal a cern6
la difficultd et c’est pourquoi il s’est empressd d’dlucider le
problkme it la lumi~re de
‘article 1629 C.c.,’1 3 apr~s avoir
dnoncd justement:

Plaintiff relies upon the maxim res perit domino… I do not find
it necessary to express an opinion on this point… because I consider

159 A. Bohdmier et F. Fox, op. cit., n. 33, ht p. 98.
160 P.B. Mignault, op. cit., n. 47, t. V, p. 403 note (a).
101 Pas plus que dans l’arr&t Ldtourneau v. Lalibertd, l’opinion du com-

mentateur ne repose sur aucun principe dtabli.

162 Supra, no 14.
103 Le contrat assimilait le promettant-acqudreur

transfert de la propridt6.

i un locataire jusqu’au

No.3]

LES RISQUES DANS LA VENTE

that the maxim can apply only when the thing in question has
perished as the result of a fortuitous event … 164

32. Il y a lieu de rechercher la v6ritable solution applicable h. Fes-
pece oa le vendeur, se r6servant la propri6t6 de la chose jusqu’h
la rdalisation d’une condition, livre imm~diatement la posses-
sion de l’objet h l’acqu6reur. Deux voies s’offrent au juge:
6carter l’application des maximes traditionnelles et faire appel
h des concepts empiriques, ou encore analyser en profondeur
la situation juridique du ddbiteur pour tenter ndanmoins de
r6soudre la difficult6 h la lumi~re des m6canismes classiques.
Nous rejetons la premikre branche de ralternative pour la raison
que la jurisprudence s’y est ddjh aventurde, non sans contra-
diction. Dans la mesure ott ‘on essaie de d6terminer qui assume
la charge des risques par des voies juridiques, il faut, h 1’instar
de la jurisprudence ant6rieure,165 appliquer la rgle res perit
domino.

Toutefois, si la r~gle qui met les risques h la charge du
crdancier est inapplicable dans les esp~ces soulev~es, et ce,
parce que l’obligation de livrer a 6t6 remplie d~s raccord des
volont6s, la doctrine, dans l’ensemble, reconnait que les ma-
ximes res perit domino et res perit creditori conduisent t des
solutions uniformes. 166

En somme, l’arr~t LUtourneau v. Lalibertg ne consacre en
aucune mani~re les solutions traditionnelles. Il s’agirait plut6t
de l’application d’une maxime nouvelle applicable aux contrats
translatifs de propri6td:

1G7 Du moins, dans les contrats avec reserve de propridt6 en faveur du
vendeur, lorsque l’objet a 6td livr6 h l’acqu6reur et qu’il n’y a aucune con-
vention spdciale sur les risques.

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[Vol. 18

Conclusion

Nous avons tent6, dans cette 6tude, de mettre en relief la th6orie
des risques dans le contrat de vente. L’analyse nous a r6v6l6 qu’elle
reposait au d6part sur le phdnom~ne de l’impossibilit6 d’exdcution
par suite d’un cas fortuit. Le survol du droit contemporain nous
a fourni l’occasion de cerner quelques lacunes de la technique juri-
dique et les limites de l’application de cette thdorie. Issue princi-
palement du droit romain, transplantde dans l’ancien droit, la thdo-
rie moderne des risques s’est implantde au Quebec avec les modifi-
cations inhdrentes h l’introduction du principe de l’effet translatif
du contrat d’alidnation. Loin d’atteindre l’uniformit6, elle a suscit6
plusieurs divergences resultant, pour beaucoup, des emprunts faits
aux syst~mes anciens. Par surcroit, l’6volution du milieu, le de-
veloppement de nouveaux rapports contractuels et usages corn-
merciaux, de m~me que l’apparition du droit de la consommation
sont autant de facteurs qui ont accentu6
‘acuit6 des probl6mes.
A notre avis, la thdorie des risques dans les contrats translatifs
de propri6t6 mdrite d’6tre syst6matisde de maniere fonctionnelle.
En l’occurence, elle devrait 6tre reconstruite sur des principes plus
uniformes et faisant preuve d’un plus grand r6alisme. Il est ddcon-
certant de constater que la solution actuelle puisse d6pendre de
l’application plus ou moins rigoureuse de trois r~gles diff6rentes.
On a toutefois remarqu6 que la maxime res petit domino, contrai-
rement aux deux autres, est, h nombre de points de vue, la seule
qui ait le mnrite de rdpondre juridiquement h l’ensemble des hypo-
theses soulevdes par cette catdgorie de conventions.

Toutefois, si le droit commun des risques, suppl6tif de volont6,
est cens6 refldter l’intention pr6sume des parties, il convient de
se demander si son maintien est compatible avec l’av~nement de
contrats qui, tout en suspendant le transfert de la propridt6 jusqu’il
parfait paiement du prix, mettent l’acqu6reur en possession de
l’objet dos l’accord des volontds; est-il certain, dans ce cas, que
res perit domino soit v6ritablement conforme aux exigences d’une
volont6 pr6sumde? Cette r~gle s’ajuste-t-elle parfaitement aux im-
p6ratifs du commerce? Nous n’en sommes pas certain.

Qu’il nous soit permis, en finale, de suggdrer quelques r6formes
ldgislatives visant a amliorer le droit actuel des risques. Nos re-
marques se situeront h un double niveau: le Code civil et la Loi
de la protection du consommateur.

Le Code civil. A l’heure otL le gouvernement du Qu6bec, par le
biais de l’Office de Revision du Code civil, rdforme un code plus
que centenaire, il est imp6rieux que la doctrine des risques fasse

No.33

LES RISQUES DANS LA VENTE

l’objet d’une r6flexion profonde et d’un amenagement nouveau. A
cette fin, voici quelques idles visant tant la presentation que la
substance du droit.

II convient, h la diff6rence du code actuel, d’6dicter express6-
ment les rZgles applicables en matiire de contrats translatifs de
propriet6. C’est au chapitre des obligations que devraient s’inscrire
en toutes lettres les techniques g~n~rales relatives aux risques et ce,
quelle que soit la politique legislative adopt~e. On pourrait imaginer
plusieurs dispositions, les unes r~glementant les risques dans les
contrats d’ali6nation portant sur une chose individualis6e, les au-
tres pr~cisant les modalit~s du transfert des risques dans les con-
ventions ayant pour objet une chose simplement d~termin6e dans
son esp~ce.

Etant donn6 toutefois que l’individualisation de l’objet soulve
plusieurs difficult6s, tant sur le plan du droit mat6riel que sur le
plan de la preuve, il conviendrait de rechercher, du moins, en
mati~re mobili~re, une 6poque de transfert des risques plus facile
h cerner. Puisque, de toutes facons, l’objectif premier est de d-
terminer avec pr6cision le moment exact oii s’op6re ce transfert, du
vendeur A l’acheteur, en raison de toutes les consequences prati-
ques qu’il emporte, il serait certes ais6 de rattacher ce mdcanisme
h un critZre marqu6 au coin d’une plus grande certitude.

On peut donc se demander si, t l’instar de plusieurs pays de
i6 A la
codification, le transfert des risques ne devrait pas Atre
ddlivrance, et non plus ndcessairement au transfert de la propri6t6,
sau, 6videmment convention contraire. N’est-il d’ailleurs pas nor-
mal que ce soit t compter de la livraison que l’acqudreur assume
les risques de perte par cas fortuit? D~s cet instant, il a l’usage
et la jouissance de l’objet et l’expose aux risques de perte ou de
vol. En somme, le droit commun des risques, en mati~re mobili~re,
devrait 6tre modifi6 de mani~re fonctionnelle.

Si l’Office de Revision du Code civil garde le statu quo, il con-
viendrait, h tout le moins, que la r~gle suggdrde soit adopt~e pour
les contrats avec reserve de propridt6 en faveur du vendeur jusqu’h
paiement du prix, lorsque l’acqudreur est mis en possession de
l’objet.

En mati~re immobili~re, compte tenu des difficultds d’appr6-
ciation de la notion de livraison, il serait vraisemblablement plus
heureux de relier les risques h la passation de l’acte de vente,16 8
h titre de droit suppl6tif.

168 Lequel, d’ailleurs, aurait avantage ht 6tre soumis b. la forme authentique.

McGILL LAW JOURNAL

[Vol. 18

S’il est recommand6 de prdciser clairement la theorie des ris-
ques dans le domaine des conventions translatives de propri6t6,
il serait utile, par ailleurs, de reformuler les articles 1200 h 1202
du Code civil traitant de l’impossibilit6 d’ex6cution par cas fortuit.
La Loi de la protection du consommateur. Nous avons remarque’
que les consequences de la thdorie des risques au niveau de la vente
t domicile sont relativement complexes. I1 serait souhaitable, dans
une loi de droit strict et t caract.re impdratif, d’expliciter ces con-
s6quences au chapitre des vendeurs itin6rants, de mani6re h mi-
nimiser les risques d’interpr6tation. Ces amendements auraient
pour effet de renseigner tant les commergants que les consom-
mateurs sur la portde exacte de l’article 58 de la loi. Enfin, au
chapitre de la vente A tempdrament, puisque les dispositions de
l’article 41 suscitent un autre conflit d’interpr6tation, le l6gislateur
qu6becois devrait songer h prdciser, dans une formule simple, la
libert6 des conventions en mati~re de risques et situer ainsi l’article
concern6 dans un contexte moins ambigli.

Au terme de cette 6tude et en rddigeant ces derni~res lignes, il
nous vient h 1esprit que, de la Loi romaine h la Loi de la pro-
tection du consommateur, la thdorie des risques porte tr~s bien
son nom …